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Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

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Page 1: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 2: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

ABRAHAM

L I N C O L NSA JEUNESSE ET SA VIE POLITIQUE

H I S T O I R E D E L’A B O L I T I O N D E L

E S C I .A V A G E

a u x É T A T S - U N I S

A LPHONS E SIOUAULT

PARISLIBRAIRIE HACHETTE ET G

79 , BOULEVARD SA INT —GE RMAIN , 79

Page 3: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 4: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

INTRODUCT ION

OU L’AUTEUR FAIT LA CONNAI SSANCE DE SON I—I ÉROS .

LA MORT D’

UN JUSTE .

Ce livre a été commencé à Washington,que lques

j ours après la mort du grand citoyen dont j e veux'

Ë/ raconter l’

instructive e t touchante histoire .

ca Je la donne au public dans l’ordre où j e l’ai apw prise .

3 Montrer l’homme comme il m ’est apparu d ’abord ,pui s rechercher sa j eunesse

,_

ce qu’ i l a du aux circonstances et ason éducation

,l e suivre pas à pas de

puis ses débuts dans la carrière politique j usqu’au j ouroù il arrive à la première magistrature des États—Unis

,

voilà l e plan de cet ouvrage que j e destine surtoutà la j eunesse des écoles et aux lecteurs des biblio

A . JOUAUL'I‘

.

Page 5: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

[0 INTRODUCT ION

Après avoir visité tout le nord des États-Unis j ’arrivais à temps dans la capitale pour assister , l e 4 mars

1 865 , à la cérémonie qui devait inaugurer la secondeprésidence d’

Abraham Lincoln , réélu par ses conc itoyens , l e 2 novembre de l

’ année précédente .

Le moment était solennel .Le Congrès venai t de voter le treimeme amende

ment à la Constitution , qui abolit l’esclavage aux

Etats-Unis .Les forces du Sud étaient épuisées .La chute de Vicksburg

,l ’entrée hérmque du vieil

amiral Farragut dans la baie de Mobi le , la marchehardie de Sherman

‘a travers la Géorgie , l’

invest isse

ment de Richmond par Gran t et les expédi tions heureuses et bri l lantes du ga lan t Sheridan , tout annoncait la fin prochaine de la lutte .

Les É tats rebelles ne pouvaient plus résister longt emps , entourés par les flottes et les armées du Nordd ’un cordon mi l itaire dont le gouvernement de Richmond comparaît lui-méme l

étreinte à celle d’un boagigantesque .

Pour atteindre ce résultat on avait fait des sacrifices immenses en hommes et en argent . La guerrecoûtait déj à 830mille morts , un million de b lessés et15 milliards de notre monnaie

,sans compter les ruines

accumulées par les armées belligérantes .C ’est dans ces circonstances que le président Abra

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INTRODUCT ION 8

ham Lincoln , entouré de ses ministres , du Sénat , duCorps diplomatique venait , devant le peupl e assemblésur la p lace du Capitole , renouveler entre les mainsdu chef de la Justice son serment de fidélité à la Const itution .

I l est d ’usage qu ’avant cette cérémonie le president s’adresse à ses concitoyens .Je n’oublierai j amais l ’ impression p rofonde que j e

ressentis quand j e vis arriver sur l’ estrade ce grandhomme étrange auquel l e p euple américain avait eule bonheur de confier ses destinées .L

allure était lourde , nonchalante , i rrégulière ; l ecorps long , maigre ; plus de six pieds , des épaulesvoûtées

,de grands bras de bate l ier , de grandes mains

de charpentier , des mains extraordinaires , mai s quin ’avaient pourtant rien de dispr0port ionné si on lescomparaît à ses pieds .Lincoln portait un vêtement noir mal aj usté quilui donnait l ’air d ’un employé des pompes funèbres .Pour cravate une corde de soie noire arrêtée parun large nœud et dont les bouts fl ottaient sur lesrevers de son gilet . Le col de sa ch emise rabattu laissait voir les muscles saillants d ’un cou j aune

,au

dessus duque l sortait d ’une grosse masse de poilsnoirs , hérissés et épais comme un bouquet de sapins ,une figure d ’un attrait i rrésistible .

Surpris d’abord par ses grandes extrémités et sesimmenses oreilles , j e fus bien vi te séduit par la douoeur, l ’ intelligence , la bonhom ie sagace empreintessur sa physionomie .

Page 7: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

4 INTRODUCT IONRegardez son portrait . La bouche est prodigieuse

,

les lèv res s’

étendent sur une ligne droite d’un côté dela barbe à l ’autre

,arrêtées brusquement par deux sil

lons profonds qui ne sont pas placés bien lo in desoreilles . Le nez se proj ette de la face avec un airinquiet

,comme s’i l flairait quelque chose dans l ’ai r .

Tou t cela est mal façonné , mais tout cela n ’est pasl’homme .

De cette gross iere écorce émergeaient un front etdes yeux appartenant à une nature supérieure . Cecorps servait de gaine à une âme mervei l leuse degrandeur et de beauté mora l e . Sur le front tout si llonne de rides , on lisait les pensées et les soucis del ’homme d’É tat , e t dans de grands yeux noirs , profonds

,pénétran ts

,où dominaient la douceur et la

bonté noyées dans une cer taine tristesse , on devinaitune inépuisable charité , si l ’on entend ce mo t dans saplus haute expression , j e veux dire l ’amour parfait del ’humanité .

Si le style peint l’homme , les paroles que Lincolnva prononcer suffiraient pour le faire connaître tout

entier .I l s ’avance sur le bord de l ’ estrade , et , d

une voixqui remue les fibres les plus intimes du cœur de ceuxqui peuvent l ’entendre , prononce le discours suivant

Mes chers concitoyens ,Au moment de prêter pour la seconde fois le ser

ment pour la présidence,j ’a i moms à vous dire que

Page 8: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

INTRODUCT ION 5

la premi ère . Alors un exposé détaillé de la conduite àtenir était nécessaire . Maintenant , durant quatre années pendant lesquelles l’ opinion publique a été con

sultée sur chaque point , a chaque phase du grandconfl it qui absorbe encore l ’attention et o ccupe l ’énergie de la nation , peu de choses nouvelles peuvent

vous être dites .Les progrès de no s armes

,dont tout dépend princi‘

palement , sont aussi bien connus de la nation que demoi—même

,et j ’ en ai la confiance , ils sont de nature a

nous satisfaire et a nous encourager . Avec une pleineespérance dans l’ avenir

,j e ne puis aventurer aucune

prédiction .

A la même date,i l y a quatre ans , tous les esprits

inquiets s ’attendaient a une guerre civile imminen te .

Tous la redoutaient ; tous cherchaien t à l ’eviter . Pendant que j e vous adressais ,

‘a cette place,mon discours

d ’inauguration , des agents parcouraient la vi l le , cherchant à détruire l ’Union par la guerre , a la dissoudre ,à la diviser . Les deux partis maudissaient l a guerre ;mais l ’un aimait mieux faire la guerre que de laisservivre la nation , l

’autre que la laisser périr,et la

guerre éclata .

Un huitième de la population se composai t d’ esclaves de couleur cantonnés au Sud de l ’Union . Cesesclaves étaient un intérêt particulier et puissant .Tou t le m onde savai t qu

i ls étaien t en réa li té la

cause de la gu erre . For tifier , étendre , perpétuercette institution était l ’obj et qui poussait les insurgésà rompre l’Union par les armes , tandis que le gouver

Page 9: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

6 INTRODUCT IONnement réclamait seulement le droit de la limiter surle territoire national .

Aucun des parti s ne supposait que l a guerre dûtatteindre de telles proportions ou une si longue durée .

Aucun ne supposai t que la cause du confl it cesseraitavec ce conflit ou même avant . Chacun s’attendait àun triomphe plus aisé

,à un résultat moins fondamental

,

moins surprenant .Des deux côtés nous lisons . la même Bible , nous

prions le même Dieu,et chacun l’invoque contre son

adversaire . I l p eu t sem bler étrange qu e des homm es

osen t in voq u er le D ieu ju s te , en m angean t du pa in

à la su eu r du fron t d ’

au tres homm es ; ma is ne les

ju geons p as , p our n e pas ê tre ju gés . Les prières desdeux partis ne pouvaient pas être exaucées à la fois .Aucune ne l ’ a été pleinement . Le Tout— Puissant a sesvoies . Malheur au monde à cause des scandales

,mais

malheur à ceux par qui v ien t le scandale .

Si nous pouvons supposer que l ’ esclavage américain est un de ces scandales permis par Dieu

,mais

qu ’ il lui plaît enfin de dé truire,et s’ il a déchaîné

,au

Nord et au Sud a la fois,cette terrible guerre comme

le châtiment dû a ceux par qu i a été fait ce scandale,

pouvons nous voir dans ceci aucune dérogation à cesattributs que tous ceux qui croi ent à un Dieu vivantlui reconnaissent ? Nous espérons profondément , nou sdevons demander avec ferveur

,que cette terrible Ina

lédict ion de la guerre cesse enfin .

Maintenant , si la volonté de Dieu est que la guerrecontinue j usqu ’à ce que toute la richesse acquise pen

Page 10: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

INTRODUCT IONdant deux cent c inquante ans par le travai l des èsclaves soit épuisée

,et ju squ

à ce qu e chaqu e gou tte

de sang tirée par le fou et so i t payée par u ne au tre

gou tte de sang t irée par le sabre , i l faut encore redire ce qui a été di t i l y a trois mi l le ans

LE S JUGEMENT S DU SE IGNE UR SONT JUSTE S ET ENT IÈREMENT DRO IT S .

Ces dernières paroles étaient comme une p l’0phéti6et devaient bientôt trouver leur accomplissement dansle martyre de ce lui qu i les prononçait .Non

,assez de sang n’avait pas coulé pour apaiser

l’

immuable j usti ce qui préside aux destinées de cemonde . Il fallait le sang d’un j uste pour racheter lepéché originel de la république américaine . Lincoln

était le plus j uste,et Dieu va le choisir comme v ictime

exp iatoire 1 .

Le 5 avril Ri chmond est pris ; l e 7 , Lincoln entredans la capi tale du gouvernement rebelle aux acolamations de son armée victorieuse

,des noirs affranchis

et de tous les amis de la lib erté ; le 14 , i l mouraitassassiné .

Le soir de l’inauguration,encore tout ému du dis

cours que j e venai s d ’entendre,j e fus présenté à la

Maison-Blanche par M . Lafayette S . Foster , et j’eus

1 . C ’était la ju s tice de l ’histoire , qu e la tombe de l’esclavage aux E tats -Unis fût à jamais indiqu ée par un cr ime qu i

n’

a eu d’

au tre mobi le que l ’ intérêt . Bigelow . Discou rsprononcé à Par is , le 11 mai 1865 .

Page 11: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

8 INTRODUCT IONl ’honneur de serrer l a main a l ’honnête Abraham Lincoln

,que j e revis encore deux fois

,d’abord à un ban

quet et à un bal,puis une dernière

,la dernière pour

l e monde comme pour moi , au petit théâtre Ford .

C ’était un Vendredi— Saint ; on j ouait une pièce trèsen vogue ayant pour titre le C ou s in d ’

Amér iqu e . Lep résident et madame Lincoln assistaient a la représentation

,accompagnés du maj or Rathburn et de m iss

Clara Harris ; on attendait le général Grant ; la salleétait comble .

Le ri deau venait de se lever sur le trois1eme acte ,lorsqu ’un coup de pistole t retentit du cô té de la logeprésidentielle . Tous les regards s ’y portent et nou svoyons debout

,sur le devant de la loge , un homme

de taille moyenne,aux trai ts fortement accentués . I l

agite un poignard,et s ’écrie , d

’une voix tragiqueS ie semper tyrann is

1 ! Une seconde après i l avaitdisparu dans les couli sses .

Ce fu t d ’abord une stupeur générale,e t

,comme il

arrive souvent,que lques spectateurs crurent à une

scène nouvel le intercalée dans la pi èce . Mais les crispoussés par madame Lincoln et par miss Harris nousfirent bientôt p ressentir la triste vérité . Quel spectacledans cette loge ! Le corps de Lincoln gisai t inanimé ;son crâne brisé laissait fi ltrer la cervelle ; a ses côtés ,l ’arme du meurtrier , pistolet à un seul coup . Je renonce à décrire l e tumulte épouvantable qu i suivit .Tout cela n’avait pas duré une minute et demie ; la

'1 . Que tel so i t touj ours le sor t des ty rans!

Page 12: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

INTRODUCT ION 9

douleur et la rage mordaient la foule au cœur , et lescris de vengeance se mêlaient aux sanglot s

,pendant

qu’on transportait du théâtre dans une maison voisine ,p our lui donner les premiers so ins , et de la à. la Maison -Blanche

,l e grand citoyen qui avait , avec tant de

sagesse,de fermeté et de patriotisme , condui t a la

vraie liberté le peuple américain , mais , comme Moïse ,ne devait point entrer dans cett e nouvelle terre promise rêvée depuis cinquante ans par le parti républi

cain l’

Un ion sans l’

E sc lavage .

Le rapport des médecins ne laissa bientôt plus deporte ouverte a l’espérance . A minuit tous les membres du cabine t étaient réunis au tour du présiden tinanimé

,ainsi que MM. Summer

,Colfax , Farnswoorth ,

Curtis,Oglesby et quelques amis personnels . On es

pérait au moins que le mourant reprendrait un instantses sens

,pour avoir l a consolation de lui dire un su

prême adieu . Mais rien . A sept heures vingt minutesdu matin

,le 1 5 avri l 1 865

,Abraham Lincoln expirait

sans avoir repris connaissance , assassiné par l’ acteurJohn Wilkes Boo th

,fils d ’un acteur ang lais fixé depuis

longtemps en Amérique,où il s ’ était acquis une grande

réputation que le plus détestable des crimes a rendueodieusement impérissable .

Telles sont les circonstances dans lesquelles j aiconnu Abraham Lincoln . Depuis ce temps

,fidèle à sa

mémoire , j’ai voulu faire revivre l’homme le plus

Page 13: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

10 INTRODUCT IONj u ste qu a it vu naître le dix-neuvième Si ècle et j ’a id ’abord recherché sa j eunesse . Dans les documentsque j ’ai consultés sur cette partie assez obscure deson existence

,la légende déj à se mêlait à l ’histoire ,

mais grâce a des informations pui sées aux meilleuressources , j

’ ai pu,j e l ’espère

,retrouver à peu près

l’

exacte vérité ; c’ est la première par tie de cet o uvrageque j e recommande particulièrement à ceux qui songent à l’avenir de la France

,notre chère patrie .

On y verra que le Président de la République a tenules promesses de l’enfant et du père de famil le

,et que

les grandes vertus privées appliquées à la po l itiquesont des instruments plus puissants que le génie pourfaire triompher en ce monde la j ustice et la liberté .

Voilà tout l ’ esprit de ce livre complétement étrangerà nos luttes politiques et où j e n’ ai vou lu montrer quela puissance de l

honnêteté et du caractère sur lesdestinées d ’un peuple .

P ar is,le 7 novembre 1874.

Page 14: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

SOURCES

TH E P ION E E R BOY , aud How he became Presiden t , byW i l l iam M . Thayer . Bo ston . Wa lker , W ise , and C °

H IS T ORY OF T H E A D M IN IS T RAT ION OF PRE S ID E N T LIN COLNInc lud ing h is speeches , letters , adres ses , proc lamations andmes sages , w ith a pre l im inary Sketch o f h is l ife , by HenriJ . Raymond . New-Y ork : J . C . Derby e t N . C . M i l ler .

AE RA II AM LIN COLN , par Au gu st in C o ch in (membre de l’

Ins

t itu t ) . Paris,l ibra ir ie Dego rce-Cado t . (Bib l io thèque l ibéra le . )

THE M ART Y R ’

S MONU M E NT,co l lect ion des discou rs p ronom

cés par Abraham Linco ln entre Springfie ld et Washington ,recu ei l l is par M . Franc is Lieber .

LA MORT D E LINC O LN , po és ie couronnée par l’

Académie

française au concours de 1867 , par M . Edou ard Grenier .

THE A M E RICAN C ON FL IC T a History o f the great rebel lionin the United States o f America

,1860 by Horace Gree

ley . Hartford pub l ished by 0 . D . Case and company .

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Page 16: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PREM IERE PART I E

LA JEUNESSE

D’

ABRAIIAM L INCOLN

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Page 19: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 6 LA JE UNE SSEniers aussi pauvre que courageuse . Pour habitation

,

une hutte de boi s faite de troncs d’arbre enduits deterre glaise et de mousse , couverte en planches malj ointes

,sans fenêtres , avec une porte seulement . Le

mobilier était des plus simples quatre ou cinq escabeaux boiteux , que lques pots , deux marmites , unedaubière

,un four et une façon de lit comme on en

voyait autrefoi s dans les chaumières de no s campagnes les plus déshéritées .Le mari s’appelai t Thomas Lincoln . Né dans lecomté de Ro ckingham (Virginie) , i l était resté o rphe

lin à l’âge de douze ans .

C ’était un homme illet tré , mais une nature d’ élite ,simple et bon

,très-pratique et excellent observateur .

Des temps rigoureux et des malheurs sans nombrel’

accablèrent partout où i l a l la , et i l fi t l’ impossible ,p endant sa j eunesse abandonnée , pour gagner sonpain et rester honnête . Sa volonté et sa persévérancel’

aidèrent seu les à y réussir .Venu dans le Kentucky en 1 777 , i l avait épousé unefemme nommée Mary Hanks . Tous deux apparte

naient a la secte des Baptistes .

De leur union étaient issus . troi s enfants une fi lledont l ’histoire ne rapporte ri en

,un fils mort presque

1609 Borné : au N . , par l ’ob io , qu i le s épare des E tatsd

Ohio et d’

Indiana,et au S . , par l

E tat de Tenes see ; à l’

E . ,

par la Virginie , e t au S .—O .

, par le Miss iss ipi . La partie orien

tale ado ssée au p lateau des Apa laches , es t montu eu se_

et tra

vers ée par les monts Cumber land . C ’

es t un pays agricole , qu i

p rodu it des céréa les et du tabac , et élève en grand le bétai l(bêtes à cornes et à laine, chevaux et porcs ) .

Page 20: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’ARRARAM L INCOLN 17

au berceau,et notre héros , Abraham Lincoln , né le

12 février 1809 , qu’ on appelait par abréviation A betout court

,nom qu ’ i l a conservé toute sa vie , même

arrivé a la première magistrature du pays .L

honnéte A be, au delà de l’

A tlant ique , c’

est Abraham Lincoln

,président de la république des E tats

Unis .

Les leçons que reçut Abraham , durant sa premièreenfance

,furent très-élémentaires .

Mme Lincoln n ’ étai t point une intelligence cultivée,

mais la nature l ’avait douée de facultés remarquables .Un bon j ugement

,un esprit élevé , un cœur affectueux

et droit unis à une grande force de caractère et a unevéritable piété

,faisaient d’elle une femme exception

nelle .

Tout ce que j e suis , tout ce que j e voudrais être ,a dit Lincoln lui—mème , j e le dois à ma mère que sa

mémoire soit bénie !Le père ne savait ni lire ni écrire

,et il avait b ien

trop de peine a gagner l e pain de chaque j our,pour

s’occuper beaucoup ensui te de l’éducation de ses enfau ts . Toutefois , lui aussi , il les instruisait a sa manière, en leur racontant l

’histo ire de ces hardis p ionniers du grand Ouest, qui ouvrirent aux Américains laroute du Pacifique à travers l e continent .C ’était une rude expérience . I l ne fallait pas seulement , par un incessant labeur , arracher à une naturesauvage les choses les plus nécessaires à l ’existence ;A . JOUAULT .

Page 21: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

18 LA JEUNE SSEon avait à lutter contre les épidémies meurtrières quiaccompagnent d’ordinaire les premiers défrichements ,contre les bê tes féro ces

,contre les bandits et surtout

contre les Indiens,invisibles ennemis , touj ours pré

sents a la porte du logis , quand s ’absentait le père defamill e pour aller travailler dans les bois . La cabanerestai t alors sous la garde des femmes dont l e sangfroid

,la présence d ’esprit et quelquefoi s l ’héroïsme

étaient du reste extraordinaires .

En voici deux exemples restés légendaires dansla contrée .

Peu de temps après que le grand— père d’

Abraham

se fut établi dans le Kentucky,un Peau —Rouge

,armé

d ’ un fusi l et d ’un tomahawk,entre dans la cabane d ’un

M . Daviess,dans le but de piller et d ’emmener la

famille prisonnière . Madame Daviess ,seule avec ses

enfants,ne perd pas contenance . Devinant les desseins

de l’Indien,e l le l ’ invite ’a boire et place devant lui sur

la table une bouteille de whi sky . Celui-ci , pour remp lir son verre pose à terre son fusil ; la femme saisitl ’arme

,couche en j ou e le misérable et le menace S

il

bouge, de lui faire sauter la cervelle . Le Peau-Rougelaissa échapper la bouteille , s ’assit sur un escabeauet promit de se tenir coi . Madame Daviess le gardadans cette posture j usqu ’au retour de son mari:Dans une autre circonstance

,à peu près vers le

même temps,l a maison d ’un M . Merrill est attaquée

nuitammen t par quelques Indiens et le malheureuxpionnier sérieusement blessé au moment où il se présentait sur l e seuil . Les sauvages croyaient pénétrer

Page 22: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 19

faci lement dans l ’intérieur mais madame Merrill avaitbrusquement fermé et barricadé la porte . Ils y pratiquent alo rs une ouverture avec la hache . La courageuse femme

,cachée dans une encoignure , attendait ,

une pio che à la main , entourée de ses enfants quipoussaient des cri s déchirants son mari gisant à sespieds , tout sanglant , mais sans avoir encore perduentièrement connaissance .

Un Peau —Rouge s ’

introduit amoitié dans la chambre ; elle lu i assène un coup mortel , tire à elle le ca

devre , le repousse dans un coin et attend . Croyantl’entrée forcée

,un second agresseur se présente triom

phant et subit le même sort ; puis un troisième, unquatrième alors les assaillan ts reconnaissent leurfatale erreur et deux d ’ entre eux ivres de rage essayentde descendre par la cheminée . Madame Merri l l neveut pas quitter son poste dans la crainte d ’une surprise ; elle ordonne à ses enfants de vider dans lefoyer le contenu d ’une paillasse . Quelques minutesaprès

,la flamme et la fumée précipitaient dans la

chambre les deux Indiens à demi suffoqués , et ilsétaient immédiatement assommés à coups de piochepar M . Merrill qui , dans un effort désespéré , avait finipar se relever . Le reste de la troupe prit la fuite .

L’histoire des épreuves qu ’avait traversées la familleLincoln n’ était pas moins émouvante , et quandThomas

arrivait au récit de la mort de son père assassiné parles Peaux-Rouges , il continuait généralement en cestermes 1

Page 23: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

20 LA JEUNE SSEVotre grand-père était né dans le comté de Rockin

gham (Virginie) , qu’ il quitta pour s’établir dans l e

K entucky , en 1 780. J ’ étais alors un tout petit enfant .Nous habitions un véritable désert , car nos plus proches voisins vivaient ’

a plus de deux ou trois milles,et

nous étions entourés d ’

lndiens qui haïssaient leshommes b lancs . Il entreprit la périlleuse besogne d ’éclaircir l e pays boisé pour y établir une ferme , n ’ayantpour compagnons dans la forêt que sa hache et sonfusil . Quatre ans s ’ étaient déj à passés , lo rsqu

’un soiri l ne revint pas a la cabane . On se mi t à sa recherche

,

et on ne retrouva que son cadavre scalpé par lesIndiens , au pied d

’un arbre qu ’ il était en train d ’abattre . Il avait dû être surpris

,car sa hache avait disparu

et son fusi l chargé gisait dans l’herbe à quelques pasde lui .Triste temps

,et fasse le ciel que nous ne le ré

voy ions plus !Votre grand-père , aj outait- il , m ’a souvent raconté

la guerre de 1 780 avec les Indiens,quand les colons

,

rassemblés sous les ordres de Boone , le grand chasseur du Ken tucky

,furent taillés en pièces . Le fi ls de

Boone fu t blessé,et son père essaya de l ’ emporter

dans sa retraite . Il plongea dans la rivière avec sonprécieux fardeau sur les épaules ; mais l

’enfant eXpiraavant d’atteindre l’autre r ive et Boone dut l ’abandonner aux flots pour échapper aux Indiens qui nageaientà sa poursuite .

Peu de temps auparavant,tro is petites fi lles

,

appartenant au for t de Boonshore, traversaient en

Page 24: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 21

canot la riwere du Kentucky . Au moment de toucherl ’ autre bord

,quelques Indiens se précipitent des

buissons dans la rivière,tirent l e canot a terre

,s’

em

parent des j eunes filles et les emmenent . Les pauvresenfants eurent g rand’

peur ,et leurs cris retentirent

vers le fort qui entendit leur détresse . On accourut ;mais pendant qu’on se dirigeait vers le canot , lesIndiens s’étaient enfuis avec les troi s enfants . C ’

ê

tait aux appro ches de la nuit , i l ne fallait pas songerà les suivre ; l e lendemain seulement les gens dufor t partirent en campagne pour les délivrer .I ls s’étaient mis de bonne heure en quête des

prisonnières , et ne les rencontrèrent qu’après une

course de 40 milles . On dut camper toute la nu it . Al ’aube

,craignant que les Indiens ne tuassent les j eu

nes filles , dès qu’ ils se verraient découverts

,l es colons

firent feu les premiers,en prenant bien soin de ne

pas toucher les enfants . L ’attaque fut si soudaine queles Peaux-Rouges se sauvèrent

,abandonnant leurs

captives et leurs armes .

Quand il avait fini ce récit , Thomas Lincoln faisaitle tab leau de la triste situation dans laque l le la mortdu chef avait laissé toute la famille .

C ’était notre protecteur , disai t-il ; lu i mort , oùtrouver du pain ? Que devenir en ce désert?Votre grand’mere travailla dur pour me nourri r

,

et mes frères et sœurs,mes aînés

,s ’ en allèren t au

loin afin de gagner leur vie où ils purent . Mais deuxou trois ans après , la pauvre femme étant accablée

Page 25: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

22 LA JEUNE SSEde misère , i l me fallut parti r aussi , et j e vécu s sanslogis j usqu’ à mon mariage . Alo rs j e vins ici .Si tu m ’avais perdu , Abe , tu aurai s été forcé de

quitter ta mère et d ’

errer au loin parmi les é trangerspour chercher ta vie .

Tels étaient les récits qu i remplaçaient dans la cabane les contes de Perrault et berçaient la premièreenfance d ’

Abraham ,l e futur capitaine des volon taires

de Salem,dans la guerre d e l’Illino is contre le Faucon

noir,le président auquel

,en 1 865 , les représentant s

des dernières tribus indiennes expirantes viendron t,à

la Maison-Blanche,demander secours et protection .

LE PRE M IER MAITRE D E COLE . ÉDUCAT ION RE LIC IEUSE .

LE S p A STEURS A M BULANT S .

La situation de la famille d’

Abraham , moins misérable que celle de son grand -père

,était lo in d

'être

bril lante . Thomas ne gagnait le pain q u’

à la sueur deson fron t ; mais i l était décidé à faire tous les sacrifices possibles , pour donner à son fils les bienfaitsd ’une instruction dont i l sentait d’autant plus le prixqu ’ il en avait été lui—même privé .

Abraham avait sept ans lorsqu ’on l’envoya à l’école

Page 27: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

24 LA JE UNE SSEpar expérience , dit Thomas , ce qu’ i l en coûte pourêtre ignorant .

La Providence nous viendra en aide ; ayons fo ien Dieu , mon ami .

Je ne dispute pas là-dessus,répliqua le bon

homme ; mais j amais la foi n’

apprendra a notrepauvre Abe à écrire .

Je n’en suis pas sûre , reprit madame Lincoln .

La foi peut nous ouvrir un chemin elle a tiré Danieldes griffes des lions , elle p eut enlever notre fils àcelles

'

de l’ ignorance .

Thomas sourit , ne répondit rien pour ne pas heurte rles sentiments na ifs et pieux de sa compagne

,et atten

dit que la Providence envot a son fi ls un professeurd ’écriture . Ce qui , du reste , arriva .

Abraham reçut dans la pauvre cabane une forteéducation chrétienne

,dont l ’empreinte se retrouvera

dans tous les actes et tous les discours de sa vie poli

tique .

Un pasteur éloquent de Brooklin,frère de l’auteur

de l ’Oncle Tom ,le révérend Beecher Stove , avait ,

pendant la guerre civile,fait de sa chaire une véri

table tribune,et chacun de ses discours enfantait des

défenseurs nouveaux de la cause de l ’Union et del’

Emancipation . Autant il y avai t de fougue et de passion chez l ’orateur sacré , au tant on trouvait de fo i et

Page 28: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

B’ABRAHAM L INCOLN 95

de résignation chrétiennes dans les paroles du président Lincoln . Les rôles semblaient intervertis

,et

j ’ai mainte fois entendu dire en ce temps —làLes sermons de Beecher sont des messages et

les messages de Lincoln des prières .Les sentiments profondément religieux qui forment

un des traits distinctifs du caractère de Lincoln , i l l esdoit non— seulement a sa mère mais aussi à l’ influence d ’un des prédicateurs ambulants qu i visitaient quelquefois la contrée , le pasteur E lkins .

Ces humbles missionnaires n etaient pas des hommesde grande science . On comptai t ceux qui avaient fréquenté le collège le p lus grand nombre n’avait pasmême été à l ’école . Quelques — uns néanmoins étaientdoués d ’un véritable ta lent .

Tous croyaient à une vocation de Dieu et déployaient dans l

exercice de leur apo stolat,une ar

deur infatigable et un désintéressement sans bornes .Ils voyageaient sur de mauvai s chevaux

,semant cha

que j our de place en place la parole de l’É vangile etcouchant à la belle étoi le

,si la nuit les surprenait en

route loin de tout e hab itati on .

Deux anecdotes empruntées à Milbrun donnerontune idée exacte de la vie des pasteurs de l’Ouest aucommencement de notre siècle .

Un de ces prédicateu rs , qui traversa tout le NordOuest du territoire , homme long , mince et ché tifavec une physionomie

'

séduisante et un regard pleinde douceur , fort aimé de toutes ses ouailles , reçut en

Page 29: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

26 LA JE UNE SSEprésent d’

un riche propriétaire un titre de trois centving t acres . Le prédicateur étai t extrêmement pauvre,et i l avait été long temps avant de gagner à peine dequoi conserver et son âme et son corp s 1 . Il parutheureux de ce riche cadeau et partit l e cœur pénétréde reconnaissance . Mais au bout de tro is mois il avaitchangé d ’avis , et , rencontrant un j our son bienfaiteur

Voici , Monsieur , lui dit- il , votre titre que j e vousremets .

Pourquo i ? dit son am i surpris ; n’ est — il pas enrègle

Ce n ’est pas celaNe serait— ce pas une bonne terreE lle est p lus fertile qu’aucune autre .

Croyez-vo us que j e regrette mon cadeau ?Je n ’ ai pas la moindre raison de douter de votre

généro sité .Alo rs

,pourquo i ne pas la garder

Eh bien Monsieur,dit le prédicateur

,vous savez

que j e suis très - amateur de musique, et mon livre dechant contient un hymne qui est un des plus grandssoutiens de ma vie . Je n ’ai pas été capable de lechanter de tou t mon cœur depu is que j e suis propriétaire . E t i l se mit à chanterJe ne possède pas un pied de terre

,ni chaum ière

dans le désert pauvre homme errant , j e loge enpassant sous les tentes du ciel , et j e vais et j e viensj oyeux , jusqu ’

à c e que j e puisse atteindre mon1 . Exmession que l

on retrouve souvent chez les écrivainsbaptistes et puritains .

Page 30: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D ’ARRARAM L INCOLN 27

Chanaan . Là est ma maison et mon véritable patrimoine ; l

‘a est mon tréso r,l ‘a mon cœur

,comme

aussi mon séj our éternel .Reprenez votre titre

,aj outa-t - il ; j e préfère mon

hymne .

Il y avait un autre prédicateur de la classe despionniers

,passionné pour sa mission

,que ni faim ni

dénùment ne pouvaient rebuter . I l était plu s instruitque la plupart des prédicateurs des alentours .Longtemps i l eut pour lit l e flanc nu et g lacé d ’une

montagne,les oreilles assourdies par les hurlements

en chœur des loups . D ’ au tres fois i l était assez heureux pour rencontrer une ro che creuse

,où i l g l issait

son corps,et il trouvait la un bon abri contre la pluie

ou la gelée .

Un j our,qu’ i l était assis pour dîner à la table d’un

trappeur,l’assistance fut effrayée par de terribles cris

venus du côté de la porte de la cour . On se lève etl ’on voit un grand chat sauvage s

é lancer sur le plusj eune des enfants . Saisissant un fusil accro ché audessus de la porte , le prédicateur l ’épaula , j eta l ’ éclairde son regard le long du canon et fit feu . Le point demire avait été sûr , mais trop tard l ’ enfant était mort ,déj à victime du féro ce animal .Cette même année

,le missionnaire eut corps à

corps avec un ours une lutte dont il sortit vainqueur ;i l avait plongé son couteau dans les poumons de l ’animal

,j uste a temps pour ne’ pas être étouffé dans sa

mortelle étreinte .

Page 31: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

28 L A JE UNE SSEDurant douze mois , au milieu de tels accidents , il

traversait a pied et à cheval qu a tre cen ts m i lles , p réchai t qu a tre cen ts fo is , et trouvai t au bout de l ’ an ,en comptant ses recettes chaussettes de fil

,habits

de laine , chemises de coton et quelque menue monnaied

’argent,

que son salai re s ’ élevait à l a valeu r de12 do llars et 10 cen ts (5 francs 50I l persévérait quand même , gagnait en savoir et

en influence,devint docteur en théologie et fut fait

président d ’une université . I l est connu dans l ’histoiresous le nom de Henry Bidleman Bascom 1

.

Le pasteur E lkins était un missionnaire aussi dévoué que les précédents i l aimait beaucoup la familleLincoln et venait la v isiter au ssi souvent que ses devou s le lu i permettaient . Son attention avait été par

1 . Dans le roman des P ionn iers de Cooper , Lou ise Grant raconte a ins i la v ie de s on p ère à s es débuts comme m inistremé thodœte

Mo n père a pas s é b ien des années comme m iss ionnaire ,dans les nouveaux étab l is sements du pay s ; ses ouai l les étaientpauvres ; p lu s d

une fo is nou s avons manqu é de pain ; nou Sn

avions pas le mo yen d’

en acheter e t nou s n’

o s ions pas en

demander , de peu r de déshonorer ses s aintes fonc tions .Comb ien de fo is l’a i—je vu s

’élo igner de sa fam il le s ou ffl ante,

en p ro ie à la faim e t à la malad ie,e t q u i perdait s on u n iqu e

conso latio n en le voyant partir ! Où a l la it-il ? remp l ir des devo irs que les ma lheu rs domes tiques ne pouvaient le déterm iner à négl iger . O li ! combien i l do it être diffic i le de chercher à conso ler les au tres quand on a le cœur abreu

'vé de 1’amer tume de tous les chagrins . (Traduct ion de D cfaueonpret . )

Page 32: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’ARBAHAN L IN COLN 29

ticulièrement attirée par le j eune Abraham auquel ilavait prédit qu’ il serait un j our

,non pas président

de la République,mais un excellent pionnier . C

é

tait le plus bel éloge qu ’on pût faire de lui dans la

contrée .

DEPART POUR LHNDIANA . ABRAHA M CO M M E -XCD SA VIE DE

P IONNI ER . LA CABANE E T LE M OUL IN .

Vers la fin de 1 815 l’ entreprise de Thomas Lincolnavait relativement assez bien prospéré . Autour de sacabane quelques acres défrichés

,labourés et ensemen

cés par ses mains donnaient chaque année de satisfaisantes récoltes . L’union et la paix régnaient sous sonmodeste toit ; i l avait la meil leure des femmes , ingénieuse ménagère , épouse dévouée , mère vigilante ;son fils Abraham grandissait chaque j our en sagesseet en science , affectueux et obéissant , déj à très — forten l ecture et pourtant le pionnier n’ était pas sati sfaitde sa condition . I l voulai t abandonner cette ferme sipéniblement édifiée

,émigrer dans une autre contrée .

Non qu’ il fût difficile a contenter ou que le goût duchangement et de la. spéculation , si commun chez lesAméricains se fût emparé de son esprit il avait uneau tre ra ison . Le Kentucky était un pays à esclaves où

Page 33: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

30 LA JE UN E SSEl e travailleu r libre vivait non- seulement sans grandprofit

,mais aussi sans considération ; voilà pourquo i

Thomas Lincoln avait décidé d’aller s ’établir dansl ’état voisin

,l’

Indiana 1,où il n’y avait pas d’

es

claves .

En effet,dans les travaux qui ne demandent que de

la force et peu d’ intelligence,pour les cultures du riz

,

du coton , du tab ac , pratiquées dans les grandes plantations et pour lesque l les la bête de somme rendraitautant de services qu e l ’homme

,l e nègre coûtant

moins cher que le blanc,que vouliez -vous que fissent

les gens pauvres qui n ’avaient que leurs bras et leurcourage pour subvenir à leurs besoins ? On ne voulaitpas d ’eux chez les propriétaires et le p eu qu’on eno ccupai t çà et là et par intervalles vivait dans une si profonde misère que les nègres eux-mêmes

,bien soignés

,

bien vêtus,bien nourris et faisant peu de besogne

,

n’avaient que de la pitié et même du mépris pour ces

1 . L’

Indiana a été fondé à V incennes par des Français ve

nu s du Canada , vers l ’an 1730. Organ isé en terr ito ire le 7 mai

1800, on en a distrait depu is le M ichigan en 1805 et l’

I llino is

en 1809 .

Une constitution fut adoptée le 29 ju in 1816 et l ’E tat admisdans l

Union le 11 décembre de la même année .

L’état d ’

Indiana es t s itu é entre les états d ’

I ll ino is , à l'oues t,et d

0hio , à l ’es t . Il to uche au nord—ouest au lac M ichigan e t

es t s éparé au sud par l’

Ohio de l ’état du Kentucky .

L’

Ohio ,la rivière Blanche (White river) , affluent du Wabash ,

et leWahash, sont les principaux cours d

eau qu i arrosent cepays p lat , couvert de bo is e t de prairies et entièrement agrico le .

1

La cap itale es t Indianapo l is , la popu lation était dehabitants en 1860.

Superficie 33809 mi l les carrés .

Page 35: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

32 LA JE UNE SSEThomas Lincoln ; la maison et les terres, tout ce qu’ i lpossédait en un mot pour quinze cents francs ! Si

encore Colby avait payé en espèces , mais l’argent

était rare ; le tabac , l e sucre , le coton servaient demonnaie ; Colby n

’avait, lui , réco lté que du mais , donti l avait fait du whisky

,et il ne put offrir en argent que

20 dollars et le reste du prix en whisky, marchandised ’un placement facile

,du reste dans un pays où déj à

l’

ivrognerie commençait à sévir . C’était à prendre ou

a laisser . Thomas eut p eur de ne pas retrouver l ’occasion de se défaire d’une propriété qui le forçait avivre sous un régime odieux et il accepta l’offre .

Colby est un brave homme , disait Lincoln à safemme

,une fois le marché conclu, et j e m

’é tonnequ’ il semble si satisfait de venir s’établir dans le Kentucky ; on voit bien que l

’esclavage ne le troublepas .Madame Lincoln n’avai t consenti qu a contre-cœuret el le le fit sentir à son mari .

I l est bien heureux , mon ami , répondit— elle , quetout le monde n’ait pas vo s scrupules , car le Kentuckydeviendrai t bientôt un désert . E nfin que la volontéde Dieu et la vôtre soient faites .

Les préparatifs du déménagement ne furent paslongs . Le père , aidé d

Abraham,construisit en quel

ques j ours un de ces bateaux plats que nous appe

Page 36: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ARRAHAM L INCOLN 33

Ions eha lancls , sur lequel il chargea le whisky , quelques meubles et ses instruments aratoires . Puis

,ayant

embrassé sa femme et ses enfants , le pionnier des

cendit seul l’Ohio , a la recherche d ’un emplacementnouveau sur lequel il pourrait planter sa tente .

Comme la laiti ère de la fable,l e brave homme

comptait ce que lui rapporterait en écus la vente deson whisky

,et comment i l en emploierait le prix en

semences,en bétail

,en outils . Mais vo ilà qu

à moitiéchemin l e bateau chavire

,et la cargaison tombe dans

l’ eau . Heureusemen t quelques bûcherons travai l laientsur la rive

,qui lui v inrent en aide . I ls repêchèrent

t rois bari l s qui con tenaien t l a moi ti é du wh isky, uneparti e des outils et du mobilier

,remirent à flo t l e

frê l e esquif,et le courageux Linco ln con tinua à des

cendre la riv ière j usqu ’

à Thompson Ferry,sur la rive

droi te . I l étai t dans l ’ Indiana,sur l a terre l ibre qu ’ i l

avai t désirée . Il s ’agissait maintenan t de pénétrer dansles terres .

Un nommé Posey qui p ossédait une paire de bœu fs,

moyennant l’

abandon que Lincoln lui fi t de son bateau , s

’engagea a le conduire , lui et ce qui restait d ela cargaison

,à 1 8 mi l les dans l ’ intérieur du comté

de Spencer . Voilà nos hommes en route ; mais que depeines pour avancer ! Il fallai t l e plus souvent sefrayer un chemin avec la “ hache, si bien que plusieursj ours furent dépensés pour ce petit traj et .Thomas Lincoln a raconté plus tard que j amai s

dans sa vie,pourtant si difficile

,i l n ’avai t traversé

d’aussi rudes épreuves que durant. ce voyage .

A . JOUAULT . 3

Page 37: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

34 LA JE UNE SSEA cinq ou six milles de l ’endroit vers lequel i l sedirigeai t en que lque sorte d’

ins tinct et sur les donnéestrès- vagues qu ’ i l avait pu recuei l l ir des bûcheronsqui l ’avaient sauvé , i l arriva avec son guide devantl ’habitati on d ’un fermier qui leur off rit une cordialehospitalité et tous les rafraichissements que contenaitson humble logis . Cet homme connaissait admirablement la contrée . Il indiqua à Thomas Lincoln un lieuqui devait être très — favorable pour un nouvel établissemen t et offrit même de l’y accompagner . C ’

était unej oie pour les co lons de ce temps — là de voi r arriverdans leurs alentours de nouveaux hô tes pour agrandirl eurs relations et donner un peu de mouvement a leurv ie soli taire de pionniers . I ls é taien t touj ours disposésà prêter assistance aux derniers venus et même apartager avec eux les modestes ressources que leuravai t procurées un travail Opiniâtre .

M . Linco ln étai t satisfai t d ’ avoi r atteint le but de sonvoyage

,mais i l fu t encore plus enchanté de l ’empla

cemen t que M . Wood ( c’

est le nom de son hô te) venait de lui recommander ; c ’était beaucoup mieuxque tout ce qu ’ i l avai t espéré . I l n’

apprit pas non plussans une grande satisfac tion qu ’i l aurait que lques eutres voisin s , une famille Neele vers l ’est à environ deuxmi l les et deux au tres a six ou huit mil les au nord .

M . Wood se chargea de lui garde r son peti t mobi l i ere t , pendan t que Posey retournai t à Thompson Ferryavec son atte lage , Lincoln regagna apied son domicilepar un chemin p lus direct au sud-est

,qu ’ i l voulait étu

dier pour ramener sa famille avec moins de difficultés .

Page 38: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D ’

ARRARAM L INCOLN 35

Je vou s laisse a penser quelle fête au logis quand ilfut de retour , toutes les questions auxquelles il fallutrépondre

,l e récit du naufrage , l e voyage à travers les

bois,l’hospitalité de M . Wood

,et les esp érances que

donnait la contrée choisi e . 011 se mit de suite en route .

I l n e restait dans la cabane que des couvertures etquelques vêtements , et sou s un hangar trois chevaux .

Sur l’un on plaça les couvertures qui servirent de selleà Mme Lincoln et a sa fill e ; Abraham mon ta le secondet on lui confia la garde—robe ; l e père suivait avec letroisième

,tantôt chevauchant , tantôt allant à pied .

Le voyage dura sep t j ours et ne fut pas sans fati gues ;mai s le courage et la force ne manquaient ni à lamère

ni aux enfants et ils arrivèren t sans encombre chezleur plus proche voisin M . Neele qui leur offritl ’hospitalité j usqu a ce qu’ ils eussent eu le temps de sebâtir un abri .

Prends ta hache,mon fi ls , dit un matin Thomas

Lincoln,nous al lons bâtir notre cabane .

Deux j ours après l ’habitation n ’ était pas tout a faitterminée , mais elle pouvait déj à abriter la famille .

A près le gite,i l fallai t songer à la table . On avait bien

du blé,principal élément de l’alimentation

,mais l e

mou l in le plus voisin était a près de vingt milles . Ilsen improvisèrent un très-primitif un grand troucreusé dans un tronc d’ arbre avec un fer rouge et unpilou grossièrement tai llé , vo ilà tout. Ce moulin servit

Page 39: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

36 LA JE UNE SSEnéanmoins pendant plusieurs années à la famille . Unfour et une daubière constituaient , dans la cabane ,toute la batterie de cuisine . Leurs au tres u stensi lesétaient restés au fond de l ’Ohio .

Une des principales ressources était la chasse . Legib ier abondai t dans la contrée ; l e t ir au dindon surtout était un divertissement du petit nombre de ceuxque les planteurs ne négligeaient j amais d ’adopterdans un nouvel établi ssement . Après avoir employéla cognée pour se procurer de quo i se loger et sechau ffer , les gens prenaient le fusil p our chercher dequo i se nourrir et se vêtir .

On m it de bonne heure un fusi l entre les mainsd

Abraham qui dev int rapidement un excellent tireu r .Ce fut sa première et peut-ê tre sa seule ré création .

Tou t cela ne lui faisai t poin t oub l ier l ’ étude .

Durant les longues soi rées du premier hiver passédans l’Indiana , on voit Abraham continuer à se perfectionner dans la l ecture , travaillant à la lueur dufoyer

,car les pionniers de ce temps-là n ’avaient pas

le moyen de brûler de l ’huile ; à peine tro uvaient- i lsde quoi satisfaire à leurs beso ins les plu s indispensab les .

Page 40: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAH AM L IN COLN 37

M ORT DE MADA M E LINCOLN . ADR. \ IIAM CONTINUE SE S ÉTUDE S .

Abraham avait douze ans quand il perdit sa mère .

La mort de Mme Lincoln était la première qui fûtsurvenue parmi les familles de la colonie , et el le devint comme la date d’une ère nouvelle dans l ’histoirede ce petit groupe de pionniers .On prépara les funérailles aussi bien que les circonstances le permettaien t . Comme On manquait d’ église , de ministre , de sacristain , de sonneur et de cimet ière , i l n

’y avait pas grand chose a faire .

M . Linco ln avait choisi pour la sépulture un tertreisolé dans les bois

,a un quart de mille de son habita

tion ; nu voisin y creusa la fosse et construisit pourservir de cercueil un coffre assez gro ssier .Le j our et l ’heure des funérai l les fixés tous les ha

bitants , a dix o u douze milles aux environs , en furentaverti s . Un ami pieux devait lire les Écritures

,et un

autre réciter les prières .Qui a cheval , ‘

qui en charriot,l e plus grand nombre

a pied , toutes les familles de pionniers s’

assemblèrent

à l’

habitation pour payer un j uste et dernier tributde regrets a la mémoire de celle qu ’elles avaientaimée .

Page 41: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

38 LA JEUNE SSECe fut un moment solennel des obsèques en depareilles circonstances , aux confins de la civilisation

,

doub lent touj ours de maj esté . La pauvreté et la situation pénible de la vie de pionnier su ffisaient a lesempreindre du plu s douloureux intérêt

,auquel s ’aj ou

taient encore et les vertus de la défunte tant ap

préciées de toutes ses connaissances , et la désolation de la fami lle . Surtout chacun était ému ‘a la vued

Abraham pauvre j eune cœur brisé par la pertede cette mère qu ’ i l chérissait d ’une affection sansbornes .

Cette tombe,su r la hauteur des bois

,autel de la

p iété fi l iale,fut longtemps le refuge de l ’orphelin ,

quand i l ne pouvait plus rester dans son logis vide decelle qui l e charmait autrefois .La cabane était devenue

,selon la touchante expres

sion du poète américain 1,comme u n n id d

'

où la

mère s’

es t envo lée et su r lequ el i l es t tombé de lan eige .

En effet , la mort de madame Lincoln avait apportéun grand changement dans cette famille dont elleétait l’âme , et personne ne l’épreuva plus vivementqu

Abraham . Durant quelques semaines son espritfut absorbé dans son deuil . S es études coutumièresdu so ir ne pouvaient chasser l e grand chagrin deses p ensées , Son père , qui s

’ en aperçut , désira luiappo rter que lque soulagement . I l eut l e bonheur demettre la main sur un exemplaire du Voyage du

1 Longfel low.

Page 43: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

40 LA JEUNE SSEdire , et , au moment où i l en avait déj à relu la moitié ,i l reçut en cadeau un autre volume qu i l’ intéressaaussi profondément

,les Fables d

E sop e, que lui offrit

madame Bruner pour le dis traire et le consoler .E s0pe devint bientôt le favori d’

Abraham et sesfables son livre de ch evet .Pendant qu’ il v ivait dans ces deux livres

,arrive

dans . l a contrée un nouveau voisin,Denis Hanks

,

j eune homme d ’enviro n vingt ans qui savait un peuécri re .

On lui demanda des leçons qu ’ il promit .

Le temps arriva donc pour Abraham de prendreses premi ères leçons d ’écriture

,et il se mit à l ’œuvre

avec une ardeur enthousiaste . Lisant b ien,il voulait ,

dès lor s,écrire de même . I l n e dou tait pas de l'ac

complissement de ce dessein et il avait la confianceque

,s ’ i l pouvait apprendre a fo rmer des lettres

,i l

ferait des progrès rapides .

Hanks s ’ intéressa à l ’entreprise presque autantqu

Abraham lui-même . I l était heureux de prêteraide a que lqu’ un qui montrait un désir e t un goût SIvifs pour apprendre . Hanks , i l est vrai , était un médiocre écrivain , mais i l savait former les lettres et pouvait donner a un autre beaucoup de renseignementse t de conseils .

Les deux nouveaux livres d’

Abraham et ses leçonsd ’écriture l’absorbèrent a ce point qu’ i l né g ligea sestravaux manuels quotidiens . Son p ère observait avecquelle ferveur i l se plongeait dans ces études et l ’encourageait fort ; mais i l s ’aperçut un j our que le gar

Page 44: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 41

con donnait trop a l’esprit , qu’ il o ubliait le pain quo

Viens,Abe l Il ne faut pas négliger ton ouvrage ,

lui dit- i l .Si nous ne nous occupons pas suffisamment d ’ar

racher ces mauvaises herbes , nous serons en retard

pour les semail les .— Laissez—moi terminer mon chapitre , réponditl ’enfant .

Je vois que tu ne fais rien , et j e crains que tu nedeviennes paresseux . Touj ours étudier et ne j amaistravailler est pire que beaucoup de travai l sansétude .

Une minute , et j’

y vais .Combien d ’enfants ont répété la même cho se mille et

mi l le fois ! Abraham n ’ avait point l’habitude de parlerainsi , et c ’étai t quelque p eu nouveau pour son père .

D’

ordinaire,i l était prompt à obéir

,même à quitter

ses j eux ; mais l’

absorban t intérêt de ses livres et deses écritures fut la cause de cette hésNation .

Que ce soit une minute courte ! répondi t le pèrepresque ir‘rité . Nous devrions maintenant doublernotre besogne de chaque j our .

Oui,dans une minute .

— Maintenant l maintenant , dis —j e l exclama le

père avec un ton d ’autorité .

Abraham ferma son livre a contre — cœur et obéitparce qu’ i l le fal lait . Ce ne fut pas avec un visageaimab le qu ’ i l se rendit aux champs , et cependant i l

Page 45: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

42 LA JE UNE SSELes braves garçons , dit son père , obe1ssent tou

j ours a leurs parents,qui n ’ont pas besoin de les

mener comme on pousse du bétail .J ’ avais seulement besoin de lire une minute de

plus , répondit Abraham .

E t moi , j’avais besoin que tu ne continuasses pas

,

et j e sai s ce qui te vaut le mieux . Que tu lises et quetu écrives , bien ! Mais j e veux que tu travailles , quandle travail l ’exige .

ou L INCOLN RENCONTRE UN PROFE SSE UR DE MATHÉ MATIQUE SE T DE NOU V E AUX LIVRE S p orn SA BIBLIOTHÈQUE . V OYAGEA LA NOUV E LLE -ORLEANS .

A quelque temps de là , Thomas Lincoln vint à seremarier . I l épousa en secondes noces une demoiselleSal ly Johnston

,d E lisabeth town (Kentu cky) . Abraham

accueilli t très— cordia l ement sa belle —mère ; i l lu i sembla qu ’ ell e comblerait le vide laissé par la saintefemme qu’ i l avait tant pleurée , et son attente ne futpoint déçue . E lle fut pour lui une véritable mère

,

comme i l était lui-même pour elle un fils affec tueuxet dévoué .

Nous avons vu comment le petit pionnier ava itappris a lire e t à écrire . Pour compléter cette instruction

,la Providence envoie dans le voisinage un savant

Page 46: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 43

comme on n’

en avait pas encore vu , M . AndrewCrawford , qu i pouvait enseigner non-seulement lalecture et l’écriture , mais encore l’ar i thmétiqu e ju squ

'à la règ le de trois . Ses capacités une fo is connues

,

M . Lincoln le pressa d’ ouvrir une école , et prom it d ’y

envoyer son fils .Voilà donc de nouveau Abraham a l ecole et fai san t

de rapides progrès .R ien de plus intéressant , de plus instructif , quel’histoire de sa biblio thèque le hasard , les circonstances lui apportent les meilleurs l ivres qu'i l fa l lai tpour former ce grand caractère , dont la natio n américaine aura besoin pour son salut a l’heure de laguerre civi le .Sa belle—mère trouve à lu i pro curer de seconde main

la Vie d’

H enry C lay ,un des hommes politiques qui

se dévouèrent avec le plus d ’ inte l ligence a la causede l’Union et de l’Emancipat ion . Abe , au débu t de sa

vie poli tique,suivit le parti de ce grand homme

,qu

i lprit pour maitre et pour modèle .

La façon dont le futur président devint propriétairede la Vie de Washing ton mérite d

’ être racontée . Ilpossédait la vie des grands hommes de P lutarque,celle de Franklin ; mais le livre qui racontait l’histoiredu père de la patrie , du fondateur de la République,ap partenait à son professeur , M . Crawford

,qui le lui

avait prêté .

raham avait fait de ce livre une sorte de bréviairemettait dans sa poche le j our

, a son chevet lanuit

,et dont i l ne pouvait se séparer .

Page 47: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

44 LA JEUNE SSEMais voilà qu ’un orage imprévu fond sur l a cabane

,

pénètre par les fissures du toit et mouille complétement le volume .Comment le rendre ’a M . Crawford en parei l état ?

se demandait — il les larmes aux yeux .

Il le fit sécher tant bien que mal,et un matin le

rapporta,tout penau‘d

,a son maître en lu i demandant

du temps p our pouvoir en payer le prix quand il

aurai t du travail .Vois- tu cette pièce d e terre

,l ui répondit Craw

ford ? si tu veux me la faucher , le livre est à to i .Le marché fut vite conc l u

,et dès le lendemain

l ’aube , par une be l le matinée d’automne aussi joyeuseque son cœur

,i l était a la“ besogne .

Troi s j ours suffirent pour la moisson , e t l ’heureuxmoissonneur emporte. son livre a la maison , plus fierde sa conquête qu

A lexandre de ses victo ires .

A dix—huit ans,Abe est un grand et fort garçon

,

labori eux et relativement instruit , très- estimé déj àdans la contrée , dont i l est devenu le secrét aire . Nousle voyons alors choisi par un richemeunier

,M . Peters

,

pour accompagner son fi ls John,qui devait conduire

a la No uvelle-O rléans une importante cargaison defarines et autres marchandises destinées ’a approvis ionner le s plantations .

C ’ est Lincoln batelier , gagnant 10 dollars par mois .

Les deux j eunes gens descendirent gaiement le

Page 48: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D ’ARRARAM L INCOLN 45

grand fleuv e du Mississipi . Ils avai ent à faire un traj etde mille s .Le paysage variait à tout moment . Ils rencontraientsouvent d’autres bateaux conduits par une bandej oyeuse avec laquelle ils échangeaient les hu r rahtraditionnels . De temps a autre ils étaient arrêtés parles habitants des plantations riveraines . D ’ où venezvous ‘? Où allez — vous ? Que l les sont vos denrées ?Les réponses suivaient les questions

,et , après quel

ques heures de repos,les j eunes gens reprenaient

leur course .

La nui t,ils amarraient à un des grands arbres du

bord et dormaient sur le pont,enveloppés d ’une sim

ple couverture .

Parfois de lourds orages s’

abattaient sur eux ; laplui e tombait a to rrents , le v ent faisai t rage , e t i l fallait défendre la frêle embarcation contre les assautsde la tempête .

Enfin nos deux j eunes voyageurs arriven t sains etsaufs , eux et la cargaison , près du l ieu de leur destination , au nord de la Nouvel le-Orléans . Ils préviennent leurs clients qu’ i ls débarqueront le lendemain

,

et vont se coucher de bonne heure sur leur bateau ,pour être frai s et dispos a la première heure du matin .

Abraham n’ était pas endorm i qu’ il entend, dans desjones situés à peu de distance de la crique où ils stat ionnaient

,parler à voix basse , comme si l ’on tramait

unmauvais coup .

Qui va là ? cria p ar deux fois Abraham d’

une voixforte , en sam ssant une barre de bois .

Page 49: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

46 LA JEUNE SSECe sont des nègres ; i l n

’y a rien à craindre ,murmura le fi ls du meun ier

,a demi- éveillé .

Mais a peine avait - i l prononcé ces mots qu ’un deces nègres (il s étaient sept) , d ’un bond prodigieuxsauta su r le bateau

,d’où Ab raham le précipita dans

l ’eau d ’un coup de sa barre . Les autres se ruent alorssur nos deux j eunes gens ; mais i ls avaient comptésans la force et le courage de leurs adversaires . Ilsfurent bâtonnés et poursuivis j usque dans les bois .Ces malheureux ne se doutaient guère qu’ il s y é

naient d ’ attaquer le futur lib érateur de leur race !La cargaison fu t livrée en bon état aux plan teurs dela No uvelle —O rléans

,et Abraham rapporta dans l’In

diana une réputation de batelier p rudent,habile et

courageux .

NOUV E LLE EMIC RAT ION . LA FAMI LLE LINCOLN S’

ETADL I T

DANS L’ILL INO I S .

Le grand —père d’

Abraham, né dans la Virginie ,

était venu dans le Kentucky . On connaî t sa triste fin .

Thomas Lincoln avait quitté le Kentucky , terre d ’esclaves , pou r le pays libre d’

Indiana ; i l devait encorealler en avant . Go ahead ! Les récits les plus séduisantscommençaient à circuler dans les anciens E tats sur

Page 51: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

48 LA JE UNE SSEaidés de leurs sœurs et de leur mère . Ainsi équipépour un voyage qui durai t des semaines souvent desmois

,l

émigrant partait , dédaignan t la fatigue prochaine , les chemins mauvais , l es rivières sans ponts ,l e souci des orages

,le sommeil sur la dure ou dans un

chariot la maladie les accidents et fréquemment lamort en route . I l préférait arrê ter sa pensée sur lanou veauté et l ’excitation du voyage

,sur les ressources

vantées d’un pays inconnu et sur les avantages probables de son changement . Durant dix ou quinzemilles par j our

,les voyageurs rencontraien t

,a travers

des chemins non frayés,i ci des montagnes

,des maré

cages,des cours d ’ eau

,la des forê ts épaisses

,touffues

,

de vastes prairies où l ’horizon seul arrêtait l e regard .

La caravane de pionniers,hommes femmes et

enfants,troupeaux e t bêtes de somme , avançait péni

blement j our par j our,dormant la nuit sous la large

voûte des cieux et accomp l i ssant avec patience sonentreprise

,qui durait des semaines

,sinon des mois .

Voilà commen t voyagea M . Lincoln . Il avait,pour

transporter les biens des tro is famil les,deux attela

ges,l’un de deux bœufs , l

’autre de quatre . Abrahamconduisait le dernier . Leur traj et mesurait plus dedeux cents milles

,ce qui n ’était pas une entreprise

excessive pour la persévérance et l’héroïsme des

fami l les de pionniers .Le temps les favorisa presque constamment

,malgré

la boue qui encombrait les chemins . Pendant des millesAbraham cheminait dans un pied de fange ; souvent ,durant une longue distance , i l avait de l

’ eau j usqu ’aux

Page 52: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 49

genoux,et ses genoux étaient à une belle hauteur'

Au bout de ‘

; cent cinquante milles , la caravane setrouva en face de la rivière Kaskaskia , où les terresbasses étaient inondées . Que faire en pareille o ccurrence ? Abraham donna son av is , -et l ’action su ivitde près . Dans l ’eau j usqu ’à la ceinture , i l guida sonattelage

,poussant ses bœufs et égayant ses compa

gnons par des paroles encourageantes . Son hab itue l leénergie et sa force de caractère l’aidèrent à surmontertoutes les difficultés .Le voyage du comté de Spencer (Indiana) a Deca

tur (l llinois) dura quinze j ours . Le lieu choisi pours’y fixer était situé au nord , auprès de la rivière Sangamon

,a environ dix mi l les a l ’est de Decatur

,posi

tion excellente entre les bois et les prairies .La maison ne tarda pas a être construite

,et Abe

prit sa bonne part du travail .Dix acres de prairies furent réservés et entourésde ces fameux piquets dont on a tant parlé dans lacampagne présidentielle qui précéda l’ élection deLincoln .

L’existence de ces piquets,dit M . Scripps

,fut

signalée à l’attention publique pendant une sessionque tenait à Décatur la convention répub l icaine del’

Illinois . On en prit deux pour y attacher des bannières portant des inscriptions de circonstance

,et

i ls furent présentés à l’assemblée au milieu d’

un

enthousiasme indescrip tible . Après cela on en demanda dans tous les E tats de l’Union où le travailétait en honneur . I ls furent portés en procession ,A. JOUAULT .

Page 53: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

50 LA JE UNE SSEcomme des reliques , et acclamés par un peupleentier comme un symbole du triomphe des dro its etde la dignité du travai l libre .

J ’ai vu une canne qu ’avait envoyée à Lincoln unede ses viei lles connai ssances de l’Indiana, cannefaite d

un des p iquets qu ’il avait taillés dans sa jeunesse .

ABRAHA M QUITTE SA FA M ILLE E T DE V IENT CO M M IS D’

UN

M EUNIER .

Au printemps suivant , Lincoln quitte sa famille ,après l ’avoir établie , pour aller chercher fortuneailleu rs .Nous le rencontrons d

’abord dans le comté deMenard

,près Petersburg , travaillant à l

’ouvrage qu ’i l

t rouve . I l passe l ’hiver chez un nommé Amstrong ,homme pauvre et avancé

en âge . L’

hospitalité qu’on

lui avait offerte gratuitement i l la payait en leçonsqu ’ i l donnait l e j our au fil s d e la maison , un fortmauvais suj et , dont i l sera question plus tard . I l consacrait en parti e l a nuit à compléter son instructionpar la lecture de quelques livres nouveaux qu’ i l avait ftrouvés dans la maison .

La j eunesse du pays ne tarda pas à le remarquer .

Page 54: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAN L INCOLN 51

C’est a cette époque que l ’estime publiqu e aj outa au

diminutif de son nom l’

épithète d’

honnéte , et qu’on

l’

appela

L’

HONNÊTE ABE .

Lincoln ne fut j amai s un élégant : mais il p araîtqu ’en ce temps- l

a i l était des plus mal habi l lés,si mal

qu ’ i l s’en apercevait lui -même . Que vou lez — vous ?disait-il a ce suj et ; moi , j e p réfère un bon l ivre à unbeau vêtement . E t en effet

,pendan t l

hiver passé

chez Amstrong,i l aj outa quelques livres nouveaux à

sa précieuse biblioth èque .

Au printemps de “

1831 , Lincoln est engagé par unnommé Benton O ffut , marchand meunier a NewSalem ,

pour un nouveau voyage à laNouvell e-O rléans,

moyennant 15 do llars par m o is , prix extraordinairepou r le temps .Son patron , n

’ayant pas trouvé de bateau a acheter,

charge Lincoln de lui en construire un . Le bateau terminé

,Abraham se met en route et déploie dans le

voyage tant de qualités,que , pendant le retour même,

il est engagé comme premier commis de la boutiqueet du moulin de son patron , sis au vil lage de NewSalem .

Voilà donc le futur président de la république c lerkde marchand , et bientôt le premier du pays . I l conquiért la confiance de tous et devient un arbitre sansappeL

Abe l’a dit plus rien a aj outer . Son opinion

Page 55: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

52 LA JE UNE SSEI l exerçait depuis trois mois cette nouvelle profes

sion,lorsqu’un sieur Nelson Day , qu i avait l ’habitude

de fréquenter la boutique , vint l e voir , et l e trouvaun l ivre à l a main .

Touj ours à lire , comme d ’habitude , lui dit-il , etla grammaire encore ?

— Oui ; j e désirerais en connaître quelque chose .Je ne m ’en suis pas o ccupé j usqu ’à p résent .

Moi non plus ; mais j e ne m ’en porte pas plu smal . Comment pouvez— vous travailler i ci , au milieudes acheteurs qui vous dérangent a chaque instant ?

Franklin avait touj ours un livre a l a main ; j efais comme lui , répondit Abe .

Vous connaissez don c bien sa vie ?

Certainement,depuis plusieurs années dé jà ; et

s’ i l n’ avait pas fai t précisemen t ce qui vous semble siextraordinaire

,i l eût fabriqué des chandelles toute sa

vie .

Abraham ne quitta pas sa vieille grammaire sans lap osséder sur le bout du doigt

,et voilà comment

,avec

de la persévérance,sans autre maître que la volonté

de savoir , i l apprit à parler et à écrire correctementsa langue maternelle . Aj outons que ce fut sans préjudice pour son patron , et que l

’étude ne fit oublierà Lincoln ni ses devoi rs de commis n i les intérêts dela boutique et du moulin de New-Salem .

Page 56: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 53

GUERRE DU FAUCON-NOIR . L INCOLN CAPITAINE , CEOMETRE ,

LÉG ISLATEUR , AVOCAT .

Au printemps de 1 832 éclata la guerre du FauconNoir (Blah—H awk) , un des chefs indiens les plus redoutables . Le gouv erneur de l’Illinois appela sou s lesarmes quatre régiments de volontaires . Des agencesde recrutement furent ouvertes en différentes localités ; mais , comme il n

’y en avait point a Salem,Lin

coln allait s’engager dans une '

ville voisine , lorsqu ’onobtint l’autorisation de lever une compagn ie entièredans le pays .Ce sera pour trente j ou rs , disait—on .

Trente mois , s ’ il le faut , répondit Lincoln .

E t , par]

son ardeur patriotique,i l enflamma et en

traina toute la j eunesse du pays,si b ien qu’on le

nomma capitaine .

La compagnie de New-Salem s e rendit au camp deBeardstown , et marcha de la à l a rencontre du Faucon-Noir .Les trente j ours expirés

,on n ’avait point encore vu

l’ennemi . La compagnie fut dissoute à O ttawa , et , envrais volontaires américains , la plupart des hab itants

Page 57: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

54 LA JEUNE SSEde Salem rentrèrent chez eux

,l aissant la place à

d ’autres .

Appel est fait a une nouvelle levée,et Abraham

s’

engage comme simple soldat.Trente j ours encore se passent

,et la guerre n’ était

pas finie . Le régiment avait fait son temps , i l est renvoyé dans ses foyers comme le premier .

Lincoln s’ engage une tro isi ème fois et prend part àla batail le de Bad -Axe

,qui termine la guerre par une

éclatan te v ic to ire .

I l retourne alors a Salem , ayant perdu son chevalp rès de Janesv ille (Wisconsin ) , descend en cano t larivi ère des Rochers j u squ ’à Dixon

,traverse à pied la

contré e j usqu ’à Peoria,où il tro uve

,sur la rivière de

l’

I llinois , un cana l qui le mène à 40 milles de son dom i cile

,traj et qu ’

i l dut faire a pied .

Sa rentrée a Salem fut j oyeusement fêtée par sesnombreux amis .A dater de cette campagne , les v ieillards l’appelèrentencore A be ; mais l es fameux volontaires du premiermois ne le nommaient plus que le Cap i tai7qe , toutfiers d’avo ir servi sous un tel chef.

On songea alors a l’envoyer à l a législature del’

E tat , quoiqu’ i l n’

habitât le pays que depuis n eufmois et ne fût connu qu

à New— Salem , tandis que lesautres candidats, hommes du reste fo‘rt dis tingués

,

étaient en réputation dans tou t le cômté . Il échoue,

Page 59: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

56 LA JE UNE SSEagitateur du Sud , un des chefs les plus ardents duparti esclavagiste .Donnez — vous à l’arpentage ! dit Calhoun .

Je n ’y connais rien .

Apprenez .

Comment ?Facilement

,si vous en avez besoin pour v ivre .

E t voilà Lincoln arpenteur . M . Calhoun lui prêteF lins et G i lson , deux livres où il apprend la géométrie pratique

,contin uant ainsi l ’étude des mathémati

ques , qu’ il avait laissée à l a règle de trois .

L ’arrivée des émigrants qui cherchaient des terresdonnai t une grande importance à la profession d ’arpenteur , la première qu

’avait exercée Washington .

Lincoln y apporta des aptitudes spéciales et i l laremplissait avec succès depuis plus d ’un an

,lo rsqu ’un

événement inattendu pour lui vint changer sa pos ition .

à Monterey, et le 1 er sep tembre 1849 adoptèrent une C ons titution renfermant u ne c lau s e p ou r l ’exc lu s ion de l ’es c lavage .

Le Sud menaça de s c is s io n et de guerre c ivi le s i l’

es cla

vage était exc lu de la Ca l iforn ie et les u ltra-es c lavagistes ,condu its par Ca lhoun , ce lu i qu e vient de renconter Linco ln ,

demanda ient non- seu lement le rejet de la Ca l i forn ie de l’

U

n ion ,ma is ex igeaien t enco re

,e

*'*e au tres conces s io ns , un

amendement à la Con s titu tion ! . t iné à équ i librer le po uvo ir po l itique des E tats l ibres et des E tats à esc laves . Ce bu t

p ara issait pouvo ir être atteint par la nom ination de deux prés iden ts

,l’

un des E tats l ibres , l ’au tre des E tats à esc laves,qu i devaient approuver tou s les actes avant qu e ces derniers

devinssent des lo is .

(Bigelow , Les E ta ts-Un is d’

Amér ique en

Page 60: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 57

Dans l’été de 1 834 avaient lieu de nouvelles élections pour la législature de l ’I llinois , et l ’on n

oublia

pas Lincoln .

I l commençait à être connu de tout le comté .

Soldat , i l s’était engagé le premier et n ’avait quitté

que le dernier le champ de bataille .

Arpenteur,il avait rendu de grands services aux

colons .Dans les affaires , personne ne montrait plus deloyau té et d ’ intel l i gence

,et ses vertus privées avaien t

fait l ’admiration de tous ceux qui l ’avaien t connu,

puisqu ’ on le surnommait l’H onn ê te A be .

Les élections euren t l ieu par u ne bel le j ournéed

’août . Les votants étaient nombreux ; et Linco ln ,selon .les prévisions de ses amis

,fut nommé à une

forte maj orité . Ceux— ci , l e soir , vinrent le féliciter . I l

était d’usage de traiter ses partisans en pareille o ccurrence ; mais Lincoln s

obst ina a leur refuser du rhumet du whisky

,et ne leur offrit que du thé et du café .

Ils le rai l lèren t for t a ce propos,mais ne l’en estimé

rent que davantage .

C’est p endant qu’ i l Siégeait a l a législative que Lincoln se résolut à étudier l e dro it .I l se lia avec John T . Stuart , éminent j urisconsulte ,l’un des hommes les plus distingués de l’E tat , qui , enjudi cieux observateur , s

aperçu t bientôt que son j eune

_collègu e était doué de talen ts . I l lui conseilla d’étudier

Page 61: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

58 LA JE UNE SSEles lo is

,l’

encouragea et lui ouvrit sa bibliothèque .

Abraham réfléchi t aux conseils de M . S tuart donti l subit l’ ascendant et , peu de temps après la fin dela première session

,i l travailla pour devenir avo cat .

Afin de mieux étudier,i l p rit la résolution de ne ré

cevoir personne dans la soirée , pour ne pas risquersa santé par de tr0p longues heures de travai l nocturne ni séductions ni promesses de plai sir ne l’anraien t détourné de la règ le qu ’i l s’était imposée .

De New-Sa l em où il avait son bureau de géomètre ,

a S pringfie ld où se trouvait la bib l io thèque deM . Stuar t , on comptait 22 milles . Lincoln faisait à piedfréquemmen t ce voyage . Après une j ournée d’

arpen

tage,i l se mettai t encore en route le soir pour aller

chercher les l ivres nécessaires à ses études de droit .En six mms , i l avai t appris p resque par cœur les C omm en tai res de Blackstone 1 et i l ne tarda point a êtrereçu avocat

,chose du reste des plus faciles en ce

temps-là,et peut — être encore auj ourd’hui .

1 . Blacks to ne était u n avo cat de Lo ndres qu i ouvrit à Oxford . en 1753 , u n co urs de dro it c iv il e t po l itique . S es leçonsp ub l iées sou s le titre de C ommen tai res su r les lo is d

A ng le

ter re , au s s i estim ées en Amérique qu ’

en Angleterre , ont devant les tr ibunaux de ces pays la même au torité que notrePo thier en France avant le Code c ivi l .

Page 62: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 59

DÉDU'I‘S B’ABRAHA M LINCOLN AU BARREAU DE SPRINGFIE LD .

On sait peu de chose sur sa carr iere d’avocat , sinonqu ’i l ne voulai t point se charger d ’une cause a laquel lei l ne croyait pas de droits

,scrupuleux à ce point

qu ’on le vit un j our abandonner son c l ient au momentde le défendre

,parce que l ’avocat adverse venait de

lui prouver avant l ’ audience qu ’ i l avait très - certainemen t tort .Comme orateur

,i l était pl ein d’

entrain et d ’unebonne humeur que rien ne pouvai t altérer . Sa parolerespirait la franchise et l’honnê teté

,et l ’ esprit y abon

dait . Dans ses plaidoiries on trouvait de quoi penseret de quoi rire .

I l était bien a la barre le disciple de cet Es0pe dontles fab les avaien t tant charmé son enfance ; i l aimaità frapper l’esprit de ses auditeurs par des anecdo teset des apologues qui lui réussissaient mieux que leslongs et pompeux discours ordinaires aux avocatsaméricains .

Un j our , il avait pour adversaire un de ces hommesparlant sans cesse du respect qu ’on doit aux prin

Page 63: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

60 LA JE UN E SSEcipes , aux lo is de l a société , ne voulant pas en démordre et disant touj ours

,avec leurs lunettes sur le

nez,leurs cheveux hérissés , une grosse voix tonnante ,

que leurs adversaires n e connaissent pas lescipes ,

violent les principes,et qu ’ eux seuls

,

sont les organes et les conservateurLincoln , au lieu de se laisser déferrer par cette y igoureuse argumentation de son adversaire en lunettes ,lu i ditMon cher collègue

,vous m ’avez rappelé tout a

l ’heure une h i stoire qui s’est passée dans mon enfance . J ’avai s un voi sin qui , sortant de sa maison ,prit un fusi l et dit a son fil s Vois— tu là—bas un écureui l ? I l y a un écureuil sur cet arbre . Non

,j e n ’en

vois pas . Le père tire un coup de fusil,i l y a touj ours

un écureu il sur l ’arbre ; un second coup , i l y a touj oursun écureuil ; un troisi ème coup , l

’écureui l est t ouj oursl

a . E nfin,i l dit a son fi l s Reprends ce fusil

,i l est évi

dent qu’ i l ne vaut rien . Mais non,mon père

,ce

n ’ es t pas la faute du fusil,c ’ est tout simplement un

poi l de vos sourcils que vous voyez à t raVers vo s lnnettes , et que vous prenez pour un écureui l qu in ’exi ste que dans votre imagination 1 .

Une des premières plaidoir i es de Lincoln est resté ecélèbre . E l le se rattache aux souvenirs de sa jeu

1 . Au guste Cochin

Page 64: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L IN COLN 61

nesse i l défendait un accusé innocent , et rencontrait l’oqcasion de payer une dette de reconnaissance la veuve d’un de ses premiers bienfaiteurs .

Dans un camp m eeting du comté de Menard , unerixe avait eu lieu

,et un homme avait été tué . Les

soupçons se portent sur un nommé Jcé,qu’on arrête

malgré ses pro testations , et qui se trouve être cet ancien élève d’

Abraham,le fil s de M . Armstrong

,dont i l

avait habité la maison,la p remière année après avoir

quitté sa famille .

Les langues a l laient leur train ordinaire sur les fâcheux antécédents de l ’accusé ; on rappelait l es moindres incidents de son enfance p as un de ses actesles plus insignifiants qui ne fût l

’ indice certain d ’uneperversité précoce expliquant l‘horrible crime dont ilvenait de se rendre coupable . On plaignait bien lapauvre mère

,mais i l fal lait que j ustice se fit , et la sur

excitation fut porté e ‘a un tel po int que,si Joé n ’avait

pas été protégé par les murs de sa prison i l eût étépendu par la fou l e après un simulacre de jugement .Il eût subi la loi de Lynch 1 .

1 . Lo i de Lynch , Lynch- law, j u stice sommaire que le peu

ple exerce aux E tats -Unis d ’

Am ériqu e , con tre les individu squ i jou is sent de l ’ impunité par l ’ insu ffisance des lo is ; il lespend ou leu r infl ige u n certain nombre de cou p s de fou et .On dérive ce nom d

un certain John Lynch , co lon de la Caroline eu XVI I ° s ièc le , que ses conc itoyens investirent d’

un

pouvo ir d iscrétionnaire afin de ju ger et de réprimer imme

d iatement les désordres ins éparab les d ’

une co lonie nais sante ;cette mesure au rait été adoptée par les au tres E tats de l ’Amériqu e du Nord pour des c irconstances semb lab les .

(Littré , ’D ict . de la Langue française . )

Page 65: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

62 LA JE UNE SSELe j eun e homme valait pourtant mieux que sa réputation

,et le passage de Lincoln dans sa maison lui

avait profité .

M.Armstrong était mort deux ou tro is an s après le

départ de ce dernier ; Joe s’était mis à la tête d e laferme

,et sa mère n’ avait eu qu

à se louer de ses

bons pro cédés .La malheureuse femme était au désespoir ; ellecherchait en vain ce qu’ elle pouvait faire pour sauverson enfant , retenue chez e l le par ses devoirs de ménage et fort éloignée de la prison , lo rsqu’elle reçut lalettre suivante

Springfield,ILL . sep .

Chère madame Armstrong , j e viens d’apprendrevotre profonde afflict ion et l ’arrestation de vo tre fi lspour un meurtre . J e puis hardimen t cro ire qu ’ i l nepeut être coupab le du crime dont on l’ accuse . Celane me parait point possible . Je suis impatient qu ’ i lait à tout prix un j ugement équitable ; e t ma reconnaissance pour vos persévérantes bontés envers mo iquand j ’étais dans la détresse , me pousse à vou s offrirgratuitement mes humbles services en sa faveur . Ceme sera une occasion de m’

acquitter, dans une faiblemesure

,des bienfaits que j

ai reçus de vous et devo tre regrettable mari , lo rsque votre toi t me donnaune gracieuse hospitalité sans argent n i récompense. ‘

Votre affec tionné ,Abraham L INCOLN .

Page 67: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

64 LA JEUNE SSEfaveur de l ’asile des orphelins et des écoles libresd

A lexandrie

Par une fro ide nuit de j anvier, un p etit garçon ,

n ’ayant ni logis ni toit pour abriter sa tête sanspère ni mère

,sans guide pour protéger son exi stence

,

s ’ en vint frapper à la porte d ’un riche planteur,q

l’

accueillit , lui donna à souper et à c oucher , etlendemain le congédia avec sa bé nédiction . Cettehumanité réconforta son cœur et l ui inspira un nouveau courage pour lutter contre les obstacles de lavie . Des années s ’écou lèrent ; la Prov idence l’aida ; ilétait devenu avocat . Son ancien hôte mourut ; lesvautours qui font d ’ordinaire leur proie des biensd ’un homme

,complotèrent de dépouil ler l a veuve de

sa succession . E lle couru t au plus proche avocatpour lui confier sa cause , et i l se trouva que cetavo cat étai t l ’orphelin que feu son mari avait , quelques années auparavant , bien accueilli et régalé . Lestimulant d ’une vive et fidèle reconnaissance

,vint

s’aj outer aux devoirs de sa profession . Il se chargeade la cause avec une volonté contre laquelle devaient se briser les résistances et gagna son pro cèsla fortune de la veuve fut mise en sûreté pour touj ours ; et , aj outa M . Stephens avec une force d’émo tion qui électrisa l ’auditoire

,cet orphelin c ’était

moi !

C ’ est en 1837 qu’

Abraham Lincoln commença l ’exercice de sa profession d ’avocat .

Page 68: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 65

Vingt-trois ans plus tard, les citoyens du NouveauMonde plaçaient , à la tête du gouvernemen t de l ’Union

,le petit pionnier , le tendeur de bois , comme on

dont j e viens de raconter la j eunesse .

Page 69: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 70: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D EUXIÈM E PARTIE

LA VIE POLITIQUE

B’

A BRA HAM L I N COL N

Page 71: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 72: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

LA VIE POLITIQUE

B’

ABRAHAM L IN COLN

LINCOLN AU CONGRES DE 1847 . GUERRE DU M E X IQUE . D I S

TRICT DE COLO M BIE . DROIT DE DET ITION ,E TC E TC .

La j eunesse d’

Abraham Lincoln , c’ est l’histoire

même de tout l e peuple des É tats-Unis , marchant ,dans le silence et l ’obscurité

,a l a conquête pacifique

du Nouveau —Monde par le travail et la liber té .

Pionnier du grand Ouest pendant la première partiede sa vie , nous l ’avons vu exercer tous les métiers ,même les plus humbles

,que lui font rencontrer sur

son chemin les hasards et les nécessités de l ’existence .

Qu ’on ne s ’étonne pas pour cela de son éclatante

D e l’autre côté de l’Atlantique on ne demande pasa un homme ce qu’ il fait

,mais s’ il fait quelque chose ,

Page 73: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

70 LA V IE POL IT IQUEet s’ il fait b ien ce qu Il entreprend . L

ouvrier quiporte devant son établi un cœur dro it et des mœursprobes , peut traiter d ’

égal à éga l avec l’homme deto ute condition , et chacun est classé , dans la société ,d

après les services qu’ i l y rend et les profits que sontravail aj oute à la fortune commune . On ne mépriseque l’oisiveté .

O r , dans un pays où la civilisation cherch e a s’ implanter par les arts de la paix

,où les hommes ont de

vant eux des solitudes sauvages a déboiser et a défricher

,quand il faut tout créer

,l a maison , la ferme ,

le moulin,l a hache du bûcheron et la charrue du

laboureur sont des armes plus utiles et plus noblesque le fusil du soldat ou l’épée du capitain e . Cesarmes - là , Lincoln les avait courageusement maniées .L ’avocat étai t un ancien pionnier

,et

,quand il parut

sur l ’arène poli tique,le p euple ne tarda pas

a voir enlui comme une incarnation vivante de la dignité etdes droits du travail manuel .

Lincoln fit partie p endant six ans (1834-1840) de lalégislature 1 de l ’Illinois , comme membre de la Cham

1 . Les pouvo irs pub l ics aux E tats -Unis sont partagés entreles gouvernements des E tats (Lég is la t ures) et le gouvernement fédéral (C ongrès ) , les prem iers s e réservant les affairesintérieu res e t to u t ce qu i tou che aux intérêts des c itoyens , les econd ayant la hau te main su r tou tes les re lations avec l ’ét ranger

,et entre les É tats eux —m êmes .

La l ég is lature de l ’ I llino is s e compo se d’

un sénat de vingt

Page 75: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

72 LA VIE POL IT IQUEdir avec le temps , et Lincoln trouvait , dans cette circonstance

,une excellente occasion de la manifester .

Mais ses effor ts et ceux de ses amis ne furent po intcouronnés de succès .Le résultat de l’ élection donna 1 70 votes à Polk et

105 à Henri Clay , e t , le 1“ mars 1845 , l e Texas étai tannexé aux E tats —Unis en qualité d ’

E tat à esclaves .En 1847 Linco ln prend place au Congrès , commemembre de la Chambre des représen tants

,envoyé

par l’E tat de l‘

I llinois . Il était le seul whig d e la députation

,qui comptait sept membres .

De graves questions se débattaient en ce moment .La guerre du Mexique soulevai t d ’ immenses difficultés

,et l ’ inév itab le esclavage se présentait au Congrès

sous toutes les formes et a propo s de tou tes les questions dro i t de p ét ition ; adm in is tra t ion du d is tr ic tde C o lom bie gou vernemen t des terr i to ires , etcDès le début

,Lincoln se distingue par la netteté et

la franchise de ses opinions ; on devine immédiatemen t qu ’ i l ne sera j amais l ’homme des compromisbasés sur l equivoque , qu

’ i l veu t avant tou t la j usticeet réprouve , comme contraires au dro it des gens , l esrécentes entreprises sur le Mexique .

I l a l lait, en cela , contre l’ espri t national et les espérances caressées par tous les partis

1 . Pour l ’intel l igence de tou te la partie po l itique de ce livreil es t indmpensable de vo ir à l ’Appendice la s ign ification desm o ts dé mocra te e t rép u blica in , p a r t i démocra t ique e t p ar t i

r ép u blica in ,dans la langue des E tats -Unis .

Page 76: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

AERAHAM L INCOLN 73

On disait,on enseignait alors que ce qu etaient dan s

l’antiquité la Grèce à la Perse,Rome à Carthage

,les

E tats-Unis le sont aux races espagnoles de l’Amérique du Nord . Il ne s’agissait pas seulement du Mexique ; mais tout le con tinent , j usqu ’ à l ’isthme de Panama

,était voué

,dans l’ esprit populaire , a une in

corporation graduel le dans la grande République .

E t ce rêve ambitieux n’étai t pas confiné dans leschaudes régions du Sud et l’ imagination des politiquesméridionaux ceux-ci semblaient autorisés encore acroire

,en raison des nécessités prétendues de l‘ insti

tut ion de l’esc lavage,que , ne pouvant s

’étendre versl’

Ouest,ni vivre en paix par d’autres moyens avec les

E tats libres grandissants,i l leur étai t nécessaire d’ an

nexer Cuba et les vastes régions misérab les et malcu ltivées

,mais belles et ferti les , qui s ’é tendent entre

les frontières du Texas et les deux O céans pour finir àPanama .

On trouvai t ce sentiment partagé par un grandnombre d

hommes du Nord ,froids et modérés , qui

déploraient une tel le nécessité,tout en la proclament ,

et considéraient comme la des t inée man ifes te de larace anglo — saxone de dominer le continent entier etd’absorber la race espagnole

,tenue pour aussi inca

pable que les Indiens , de développer les ressourcesdu pays et d’établir un gouvernement ferme et

Page 77: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

74 LA V I E POL IT IQUELe Congrès , sous l

’ administration de Polk (1845patronnait toutes ces idées

,épiant l’o ccasion

de chercher quere l le au Mexique l ’ annexion du Texasvint en fournir une qu’on ne laissa point échapper .Le général ! achary Taylor , avec une petite armée ,o ccupait la région située entre le Nueces et le RioGrande

,que les E tats-Unis prétendaient appartenir

au Texas,tandis que les Mexicains affirmaient que le

Texas ne s’ était j amais étendu au -delà du Nueces . Unelégère colli sion s’é lève

, en avri l 1846 , entre les troupes du général Taylor et celles du général mexicainArista

,et voici la guerre allumée .

Le président adresse immédiatemen t au Sénat unmessage déc larant que la gu er re ex is tai t par su i te

de l’

aete du gou vernemen t de Mex ico .

Une voix é loquente s’ é lève contre tant de p récipitation a fa ire sortir la guerre d ’un acte qui p ouvaitn ’être que la su ite d ’un malentendu . Lincoln demande qu ’une enquête précède au moins la pri sed’armes et que

,S

il y a eu inj ure,réparation soit de

mandée par les vo ies diplomati ques,avan t de recourir

à la force . Non- seulement i l ne fut point écouté , maisencore , dans les dernières années de sa vie , sesennemis , en quête de griefs contre lui , l

accusèrent

d ’avoir manqué de patriotisme quand il s’ agissait d’uneaffaire aussi nationale . Dans un discours prononcé à '

O ttawa S tephen A . Douglas affirma très-net

tement que Lincoln s ’était distingué au congrès parson opposition à la guerre du Mexique , se rangean tdu côté des ennem is de la pa tr ie, et qu

’en retour

Page 78: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D ’ARBAHAN L INCOLN 75

nant dans son pays,i l avait été poursuivi tout le

long de la route par l ’indignation publique .

C ’était pendant la campagne électorale où nousverrons Lincoln disputer Douglas un s iége de sénateur au Congrès .Voici ce qu ’ il répondit à cette accusationJ ’étais un ancien whig

,et

,quand le parti démocra

« tique essaya de me faire voter que la guerre avaitété jus temen t commencée par le président Polk ,j e m ’y refusai énergiquement . Toutefo is , quand ona demandé de l ’argent ou des terres pour payer lessoldats

,j ’ai touj ours voté comme Doug las . Vous

pouvez trouver ce la inconséquent , si bon vous semb le . Vo ilà la vérité et Doug las a le droit d ’en tirertoutes les conséquences qu’ i l pourra . Mais lorsque ,sous une forme généra le

,i l co lpo rte cette idée que

« j ’ai refusé les subsides nécessaires aux soldats quicombattaient dans la guerre du Mexique , o u que j ’ aitenté d’

entraver leur action , le moins que j e puiss erépondre est qu ’ il s e trompe gro ssièrement et dutout au tout

,comme il pourra s ’en convaincre en

lisant les pro cès-verbaux du Congrès .

Linco ln,dans cette questi on

,avai t vu que la force du

gouvernement devant le p eup le,au commencement

de la guerre,tenait à ce qu ’ on ne p erdait pas une oc

casion de répéter que le M exiqu e avai t versé le sang

américa in su r le s o l des É ta ts — Un is . Lui croyai t lefait erroné , et il avait mis en demeure le président ded onner a la chambre des éclaircissements sur ce point ,

Page 79: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

76 LA VIE P OL IT IQUELe cabinet esquiva les explications , et les dispositions conquérantes du peuple américain , que nousavons rapportées plus haut , donnent à penser que lamaj orité préférai t ne pas savoir la vérité .

4

Le Congrès était souvent saisi de pétitions relativesà l ’esclavage

,mais le même sort était réservé aux

moindres résolutions et propositions touchant ce suj ettrop brû lant . On les déposait sur le bureau

,et l ’on

ne s’en occupai t p lus autrement .Dès son arrivée au Congrès

,Lincoln prit en main la

cause des pétitionnaire s .

M . Go tt avai t, par une preposition fortement mot ivée , invité le comi té administrateur du distric t deColombie à présenter un bi l l abolissant l e commercedes esclaves sur l e territoire du Congrès ‘ . Lincoln

pr0po se un amendemen t tendant à l ’abolition de l ’esclavage lui-même .

Ce bil l portait en substanceDéfense d ’ introduire aucun esclave dans le dis

triet , excepté pour les fonct i onnai res du gouvernement

,auxquels on laissai t la faculté d ’

amener les nègres nécessaires à leur maison pendant la durée deleur serv ice.

« Tous les noirs résidant actuellement dans le

1 . Le congrès a une juridiction exclus ive su r le district deCo lomb ie, où es t s itu ée la vi l le de Washington .

Page 80: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 77

district,et tous ceux qui y naîtraient dans la suite ,

étaient déclarés libres,et ne pourraient être retenu s

en esclavage,même en deho rs du district .

Indemnité accordée aux propriétaires sur letrésor public .

Ce bil l d’émancipation devait être soumis ‘

a l’acceptation du peuple .

Un autre bill fut encore introduit , pendant la mêmes ession , pour prohiber dans le district la vente et lelouage des esclaves .Lincoln défendit en vain toutes ces propositions aunom de la j usti ce et de l’humanité . Le moment n ’étaitpoint encore venu , le crime de l

’esclavage n’avai t pasp esé assez lourdement sur les amis de la liberté

,qui

le toléraient aveug lément dans la crainte de voir périrl’

Union . I l fallait que le Sud eût montré plus d’ audace ,que les desseins nourris dans l ’ombre se fussent produits au grand j our . Au début

,les p lanteurs avaient

dans l’ intérêt de leurs riches cultures de co ton,

demandé grâce pour une institution nécessaire,di

saient-ils , a la fortune pub l ique ; i ls vont bientôt érigerl ’esclavage en doctrine , prétendre qu’ i l est la conditionnorma le et régu l i ère du nègr e

,et entreprendre une

croisade 'généra le pour faire de la serv itude humaine

,comme dans l ’antiquité , l a pierre angulaire de

la République américaine . Le Nord alors ouvrira lesyeux

,un grand parti républicain se fondera dont Lin

coln sera le chef,et , avec la liberté , la j ustice prendra

enfin possession du Nouveau —Monde .

Page 81: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

78 LA VIE POL IT IQUE

LE PASSE DE S ETAT S-UNIS . LA CONSTITUTION E T L’

E SCLAVAGE .

CO M PRO M IS DU M ISSOURI E T CO M M ENT I L FUT RE SPE CTE .

Pour bien comprendre le rôle de Lincoln dans lacrise que va traverser la société américaine

,i l est

indisp ensable de revenir , en quelques mets , sur l’

his

toire de l’esclavage aux Etats—Unis .

Les colonisateurs du nouveau monde se trouvaientplacés sur la plus magnifique des régions de la terreoù l ’humani té puisse accomplir ses destinées . Aprèsla guerre de l ’ indépendance , la sagesse et le patriotisme de leurs grands hommes d’Etat , Washington ,Franck l in

,Jefferson , leur avaien t donné une con

st itution modèle , sans parei lle dans le monde , etqui

,a peine née , devait avoir la singulière fortune

d’

exciter l’ envie de nos civilisations viei l les de tro ismille ans .Dès le début , un immense courant d

émigration s’ é

tablit du vieux continent vers l ’ancien , et vient accroître avec une rapidité prodigieuse la popu lation desEtats —Unis . En 1 789 cette population n ’est que de3 millions d ’hommes en 1874 elle atteint le chiffrede 42 millions voilà pour la prospérité intérieure .

Au dehors , l e s affaires de la Confédération ne vont

Page 83: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

80 LA VIE POL IT IQUEIls avaient la maj orité dans l’Assemblée

,mais la

Caro l ine du Sud et la Géorgie répétaientPas d ’

esclavage pas d ’union Telle était l’al

ternative .

La Caroline du Nord était passive ; la Virginie et lesÉtats voisins du Nord étaient préparés ‘a l’ abolition .

L’

avidité de l’ extrême Sud l’emporta .

Les partisans de la liberté se conténtèrent de lafaculté laissée au Congrès d’ interdire la traite au boutde vingt ans

,par l’article suivant

L’ immigration ou importation de toutes p ersonnes,

que l ’un quelconque des États maintenant existantsj ugera convenab l e d’admettre

,ne sera pas interdite

avant l ’an 1 808 1.

Puis,persuadés que cette institution disparaîtrait

peu à peu,repoussée par les progrès de la civilisation

et de la liberté ils laissèrent s’ introduire dan s laConstitution des privi lèges qui ne font point partie del’œuvre , qui étaient la négation même de son principe , et qui devaient , comme un corps étranger dansun organisme parfait , arrêter à chaque instant et déranger la société j usqu ’ au j our où l ’esclavage en serai t v io lemment expu l sé .

Il fut donc reconnu que l’homme de couleur étaitsusceptible de devenir la propriété d’autrui , commeun meub l e ou un animal domestique qu ’on peu t .

re

vendiquer partout où on le trouve . C ’est le paragra

phe 3 de la section I I de l’article IV

,ainsi conçu

1 . C on sti tu tion des E ta ts-Un is . A rt . sect . IX ,I .

Page 84: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D‘

ABRAHAM L IN COLN 81

Toute personne obligée a un service o u a un travail dans un État , conformément à ses lois , ne pourra ,si elle s ’ enfui t dans un autre , être affranchie de ceservice o u travail ; elle sera livrée sur la réclamationde la partie aqui ce servi ce ou ce travail seront dus .

I l semblait que ce fût assez d’avoir concédé aux

planteurs du Sud le maintien de leur propriété odieuse ,de les avoir armés de la Constitution pour leur rendreleurs esclaves fugitifs , et de leur avoir donné vingt anspour compléter leur personnel servile .On va plus loin .

Des privi lèges électoraux sont attachés à la propriété des esclav esLes représentants

,ainsi que les taxes directes

,

seront réparti s entre les divers États qui feront partiede l

Union , selon le nombre des habi tan ts . Ce nombrese détermine en aj outant à la totalité des personneslibres (y compris les engagés à terme , excepté lesIndiens) les tro is cinquièmes du reste de la population 1 .

Vis- ‘

a-vis de son maître , le nègre n ’est qu ’une bêtede somme

,mais , vis-à— vis de l’Etat , i l devient les trois

cinquièmes d ’un citoyen .

Ainsi,dit M . B . Bigelow 2

, l mtroduction de l’es

clavage aux Etats— Unis avai t créé , aussi bien en théori e qu’en pratique , deux systèmes so ciaux et politiques qui devaient subsister conj o intement.

1 . C ons ti tu t ion des E ta ts Unis . Art . I“ , sect. I I .2 . Les E ta ts Un is d

Amér ique en 1863 . Librair ie Hachette .

A . JOUAULT . ti

Page 85: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

82 LA V IE POL IT IQUEDans le Sud, une société fondée sur l’avilissement

des classes ouvrières,où

,par conséquent

,tou t tra

vai l manu el dég rade le c itoyen ,mais qui , en même

temps , p ossède p rès de la m o i tié de la rep résen te

t ion du pays ;En face , au nord, une population deux fo is plus

nombreuse,habitant des É tats distincts et plus ou

moins éloignés , où presque tout individu j ouit , devantla loi , de l

’égalité politique , où aucune espèce de travai l honnête ne dégrade et ne ferme l’accès des emplo is et des dignités .On devait logiquement s’attendre a échouer dans

toute tentative pour concilier ces deux intérêts fuç ouciliables . Toutefois , l e mal aurait pu finir par disparaitre s’ i l avait été restreint

,comme on le supposait

d ’abord , aux Etats primitifs , e t ne s’était po int étenduaux territoires encore inoccupés comme y avaitpourvu l ’ordonnance de 1 787 .

Voici en effet quelle était la législation de l’esclavage en 1 7891 0 La traite était autorisée j usqu ’en 180820 L

esclavage était maintenu dans les anciens É tatsqui voudraient le conserver ;3 ° Il était exclu des territoires situés au nord-ouestde l

Ohio par l’ordonnance de 1 787,qui en réglait l’ad

ministration et contenait cette clause qu’

i l n’

y eu

r ai t jam a is , dans lesd i ts ter r i to ires , n i esc lavagen i servi tu de invo lon taire

,excep té p ou r pun ir les

cr im es don t les coupables seraien t dûmen t con

va incu s .

Page 86: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

B’ABRAHAM LINCOLN 83

Mais , dès l ’origine , cette clause est foulée auxpieds .La Caroline du Nord , le 22 décembre 1 789 , un

mois après la ratification de la Constitution,passe un

acte de cession de ses territoires Ouest (qui deviennent le Tenessee) à l

Union,mais a la cond i tion qu e

le Congrès ne fera jamais au cu ne lo i tendan t aéman cip er les esc laves dan s lesdi ts terr ito ires .

La Géorgie de même (avril en cédant àl’

Union les territoires qui forment auj ourd’hui l ’A labama et le Mississipi

,imposa à l’Union et requit le

Congrès d’accep ter la condition suivante que lesterritoires cédés deviendraient un É tat et seraient

« admis dans l ’Union aussitôt qu ’ ils contiendraient60mille habitants

,ou aune époque plus rapprochée

si le Congrès le j ugeait convenable,avec les mêmes

priviléges et de la même manière qu’ i l avait été

prévu par l ’ ordonnance de 1 787 pour le gouvernement des États-Unis ; ladite ordonnance devant s’appliquer a toutes les parties du territoire cédé danstoutes ses dispositions

,excep té celles rela tives la

p rohibi tion de l’

esc lavage .

La découverte de la machine à nettoyer le coton

,découverte qui augmenta si rapidement dans

les É tats cotonniers la valeur du travail servile , fitfermer complétement l’oreille des planteurs à toutesles considérations présentées j adis avec quelquesuccès

,en faveur d’une extinction progressive de l’es

clavage .

On voit alors nettement les deux parti s se des

Page 87: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

84 LA V IE POL IT IQUEsiner 1

, et quels ferments de discorde la j eune Répub lique po rte dans son sein . Le Sud et le Nord se surveil lent avec une j alousie pleine de défiance lepremier , pour empêcher que son influence politiquene diminue en proportion de l ’ industrie

,de la puis

sance cro issante duNord et de l’ immigration qui s’accumulait sur ses fronti ères ; l’au tre pour arrêter l’extension des privilèges exagérés que la Constitutionavait accordés seulement aux Etats originels .I l en résultait que , lorsqu ’un É tat à esclaves demandait son admission dans l’Union

,un Etat libre se

présentait au ssitô t , réclamant la même faveur . C ’étaitune véritable course aux Etats .

ETATS NOUVEAUX ADMIS DANS L’

UN IONLibres . E sc laves .

Dans la session de 1818—1819,l e Congrès autorisa

l’

Alabama, où se concentrait rapidement une population esclavagiste

,a se dresser une Constitution ne

renfermant aucune prohibition relative à l’esclavage .

Un bill semblable ayant été proposé en faveur duM issouri , James Tal lmadge , de l ’É tat de New-Y ork

,

1 . Bigelow.

Page 88: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 85

présenta à la Chambre un amendement interdisanttoute nouvelle introduction d ’esclaves , et affranchissant

,dès qu ’i l s auraient vingt-cinq ans , les enfants

des esclaves actuels .

De la l e différend connu sous le nom de différenddu Missouri

,lequel

,pour la première fo is , div isa sé

rieusement l e pays sur la question de l ’esclavage .

La discussion fut des plus violentes au sein duCongrès .Cobb

,de la Géorgie

,s é cria

On a allumé un incendie contre lequel toutes leseaux de l’Océan ne pourron t pas prévaloir . Une merde sang suffira seule a l’éteindre .

A quoi Tallmagde réponditOn nous menace d’une disso lution de l ’Union

,

d ’une guerre civi le . Eh bien , soit ! Mon existencen’est probablement pas plus assurée que celle d ’aucundes citoyens qui m ’

écoutent ; mais , tant que j e vivrai ,chacun de mes j ours sera consacré à l a liberté del’homme . S ’ i l faut du sang pour éteindre l ’ incendieque j ’aurai

,bien a contre -cœur , contribu é allumer

,

sans hésitation aucune j e donnerai le mien .

Ces paroles prophétiques,Parker , l e grand apôtre

aboliti onniste,l es renouve l lera p lus tard dans une

lettre,écrite de Rome en 1859

,à M . Francis Jackson .

Les conséquences de l’esclavage ont a lors compromisl ’avenir des Etats-Unis , tout l e monde le sent chacunattend dans l’ anxiété .

Le peuple américain,dit Parker

,va

,j e pense

,

marcher au son d’au e ° rnde musique,et i l vaut mieux

Page 89: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

86 LA VIE POL IT IQUEpour lu i qu ’i l y songe à temps . Il y a quelques années

,

i l ne semblait pas difficile d’ abord d’ arrêter l’esclavage

,puis d ’y mettre fin sans verser l e sang . Je crois

que maintenant cela ne se peut plus,ni maintenant

ni plus tard . Toutes les grandes chartes de l ’humanitéont été écrites avec du sang . Un j our , j

espérai quecelle de la démocratie américaine pourrait êtr e écriteavec une encre moins coûteuse ; mais , a cette heure ,i l est visib le que notre pélerinage nous mène ‘a unemer Rouge où plus d’un Pharaon va sombrer ou

périr .

Au point où nous en sommes , l ’heure de l a lutte n ’apoint encore sonné . Pour arrêter l’ esclavage

,éviter

la guerre civile,des hommes bien intent i onnés vont

essayer de ces compromis bâtards qui,en retardant

les révolutions nécessaires , ne font que les rendreplus v iolentes . Au lieu de tuer , par un acte d ’énergie ,l ’ institution honteuse qui

,comme un ver solitaire

,

minait la so ciété nai ssante , absorbait ses mei lleuresfacu l tés

,para lysait son action

,empoisonnait sa pros

périté et ses richesses , on fit une transactio n avec lecrime .

C ’est donc par un compromis que se termina leconfl it du Missouri

,compromis que l ’on respecte tant

qu ’ il servit les intérêts de l ’ esclavage , et que l’on sehâta de violer dès qu ’ i l cessa de les favoriser

,ainsi

qu ’ il en étai t arrivé de l ’ordonnance de 1 787,relative

aux territoires .

Le Congrès supprima l ’article comportant la prohibition de l ’esclavage dans l’E tat du Missouri , mais

Page 91: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

88 LA V IE POL IT IQUEmis du Missouri , permettait l’esclavage dans une contrée d ’où i l avait été formellement et aj amais exclu .

Son adoption par le Sénat et la Chambre des représentants causa une vive émotion dans toute l’Union .

Il y avait à ce moment des élections dan s l’I llino is ; onrenouvelai t la législatu re , et la nouvelle législaturedevait choisir un sénateur pour le Congrès en remplacement de M . Shie lds

,qui avait voté avec M . D ou

g l as en faveur du bill Kansas —Neb raska .

La campagne électorale fut des p lus vives et

Lincoln y prit une très — grande part . Deux foi s dansles assemblées populaires i l se trouva en présence deDoug las .La prem iere

,c e fut à Springfield , le 4 o ctobre .

Cette rencontre a été considérée comme le point culminan t de la campagne

,et le discours de Lincoln fut

acclamé par tous les ami s de la liberté et de l’Union .

L’

honnê te Abe ouvre la discussion , et , dans un langage clair , simple , éloquent , expose les trahisonsdont son adversaire s ’ était rendu coupable et la vanitédes raisons qu’ i l invoque pour j ustifier sa nouvelleconduNe .

Jadis Douglas appelait le comp romis du Missouriu n pacte sacré , et déclarait qu

’ i l ne se trouveraitj amai s une main barbare assez hardie pour l e bri ser .Auj ourd’hui i l prétend qu’ en votant le rappel ducompromis du Missouri

,i l n ’a fait que défendre le

grand principe de la souveraineté du peuple ildésire que les habitants du Kansas et du Nebraskaso ient libres de se gouverner eux-mêmes

,comme i l s

Page 92: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAN L INCOLN 89

en sont capables . Voilà les prémisses qu’ il p ose et ilen tire cette conclusion que les citoyens dh Kansas

et du Nebraska ont le dro it d’

établir l’esclavagedans leurs États .Mon honorable adversaire prétend que ce seraitl eur faire insulte de les supposer incapables de segouverner eux—mêmes . Ne vous laissez pas prendrea ce que ce langage peut avoi r de flatteur pour desoreilles républicaines ; allons au fond de l

’argument .Qui conteste a l’émigrant de ces nouveaux pays ledroit de se gouverner a sa guise ? Je le lui reconnaiscomme vous . Mais ce que j e lui refuse

,c’ est le droit

de gouverner aucune autre personne sans son cou

sentement .

Les deux adversaires se rencontrèrent une autrefois aPeoria , sans incident particulier a noter .En ces deux occasions l ’ avantage resta à Lincoln

,

et le résultat de l’élection fut la défaite du parti démocratique et l

’arrivée à la Législature de députés hostilesà l ’ introduction de l ’esc lavage dans les nouveaux territoires situés au-dessus du 36° 30’ de latitude . Cettevictoire donnait l ’assurance d ’ envoyer au Congrès unsénateur dévoué à la liberté

,si l’ on pouvait s’arrêter

sur le choix d’un candidat . Linco ln étai t l e candidatdésigné des Whigs , e t M . Judge Trumbull

,celui d’une

fraction nouvel le,sorti e du part i démocra tique escla

vagiste et qui s ’appelait les Démocra tes libres .

I l y avait la un danger que Lincoln évita en faisantdonner les vo ix de ses amis a M . Trumbull .

Page 93: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

90 LA V IE POL IT I QUE

CA M PAGNE ELE CTORALE DE 1858 . A . LINCOLNET S TEPHEN DOUGLAS

Les premi ères rencontres de Lincoln et de StephenDouglas n ’avaient été que des escarmouches . En 1858

,

l ’expiration du mandat de ce dernier,comme séna

teu r de l’Illino is au Congrès , mit de nouveau en présence ces deux puissants adversaires . Ce fut un

véritable tournoi dont le peuple entier des Etats —Unissuivit avec autant de passion que les combattants euxmémes l es émouvantes péripéti es . Linco ln y conquitdevant le pays entier l a réputation méritée non — seulement d ’un habi le po lémiste , mais aussi d ’un sagepolitiqu e

,inébran lable dans ses principes et coura

geux même contre ses amis , par lesquels il ne selaissa j amais entraîner hors des vois légales

,comme

i l arrive dans ces luttes ardentes de la politique oùtrop souvent, pour le malheur de la liberté , la passion succède à la raison et compromet les meilleurescauses .C’était encore la question du Kansas qui agitait l’ es

prit public et divisait les partis .

Page 94: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D ’ARBAHAN L IN COLN 91

Le 4 mars 1857 Buchanam avait pri s p ossession dela présidence .

La Cour suprême venait de décider implicitementpar un arrêt que le compromis du Missouri était unacte contraire à la Constitution . C ’est l’arrêt mémorable rendu a l a requête de l’ esclave Dred Scott ,qui ses maîtres refusaient la liberté

,quoiqu ’il offrit

de l’acheter . D red avait appartenu en dernier lieu à

un ch irurgien qui l’amena successivement dans diverses lobalités où il n’y avait pas d’

esclavage , d’ aprè s

le compromis du Missouri,et l’esclave basai t là

dessu s sa réclamation .

La Cour,après des débats qui duraient depuis des

années,débouta Dred de sa demande par le seul motif

que les nègres n ’ étaient pas des citoyens selon la loifédérale ; qu

’ ils étaient une propriété a la discrétiondu propriétaire comme toute autre . et que le fait d’avoir résidé dans un territoire libre ne signifiai t rien

,le

Congrès n’ayant pas plu s l e dro it d ’ interdire quelquepar t l

introduction de l ’esc lavage qu ’ i l n ’avait celui del’

abolir là où il existait déj à .

A quelque temps de l ‘a,l e Kansas demande à être

admis comme E tat dans l ’Union .

Malgré la décision de la Cour,les défenseurs de la

liberté soutiennent la léga l ité du compromis,et refu

sent d’admettre que l ’esc lavage soit toléré par laconstitution d

un nouvel E tat situ é au — dessus du36° 30'latitude .

De leur côté,les partisans de l ’esclavage

,dans le

Sud , étaient décidés à ne permettre , sous aucun pré

Page 95: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

92 LA V IE POL IT IQUEtexte

,que cette institution fût législat ivement p ro

hibée dans aucun E tat ou Territoire .

Telles sont les conditions dans lesquelles fut présentée au Congrès (session de 1857 — 1 858) une Const itu tion pour l e Kansas , dont le proj et avait étéélaboré

,en 1856 , par une convention tenue à Le

compton .

Les artic les de cette Constitu tion étaient artificieusement conçus

,de fa çon à introduire forcément l ’es

clavage dans le nouvel E tat , en dépit de la répugnanceet du vo te même des habi tants .

Les républicains l’

at taquèrent v i olemment . Unepor tion même du parti démocratique recule devantla fraude essayée et Douglas se fit l

interprète de sessentiments . Mais ici encore on le voit manquer defranch ise

,ou du moins rester indifférent entre le

crime et la j usti ce . I l jou e le rôle de Pilate .

Peu importe , disai t-il , que les h abitants votentpour ou contre l ’ esclavage , mais ils do ivent avoir ledro it de voter pour ou contre la Constitution ellemême .

La Constitution préparée ‘a Lecompton,fut votée

par le Congrès , l e 30 avril 1858 , et proposée à laratification du peuple du Kansas . On lui promit

,s’ i l

l’

acceptait , de grandes concessions de terres . Lesoffres étaient séduisantes , mais la constitution n’ enfut pas moins repoussée aune immense maj orité .

Page 96: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ARBAHAM L IN COLN 93

Le Congrès se sépare,et S tephen A . Douglas re

tourne dans l’Illinois pour préparer sa réélection . Sonattitude

,dans l’affaire du bil l Lecompton , le sépa

rait du gouvernement ; la cause républicaine en avaitprofi té

,et les partisans des compromis demandaient

qu’on lui laissât son siège où il pourrait peut - êtrerendre encore quelques services

, grâce a ces expé

dients et à ces équivoques dans lesquels il était passémaître .

Mais les républicains sincères de l’ Illinois pensaientd

’une autre manière . Ils connaissaien t leur sénateur .Ils savaien t que , sur le p oint capital de leur programme Opp os i tion l

ex tension de l’

esc lavage

dans les ter ri to ires , Douglas n’ é tait point avec eux

,

puisqu ’ i l avait déc laré de la manière la plus positiveque peu lu i imp or tai t s i les habi tan ts du Kansasvo taien t p ou r ou con tre l

esc lavage . Pour eux,sa

conduite dans l’affaire avait été plutôt dirigée par lacrainte de perdre toute chance d ’être réé lu que pardes considérations de j usti ce et de légalité . Aussi ,malgré l ’avis d ’hommes importants du pays et desautres États

,i ls résolurent de le combattre de toute

leur énergie , et désignèrent par un vote de la convention 1 d’

É tat tenue à Springfield , l e 17 j uin 1858 , pour

candidat au Sénat des Etats-Unis , l’

honnê te AbrahamLincoln .

1 . Les convention s de parti (concu sses) sont les comités électoraux qu i désignent aux électeurs les candidats aux fonc

tions pub liques . On les appel le conven tions d’

E ta t s i l ’électiona pour objet la magistratu re locale o u ce l le de l ’E tat ; convent ions na t iona les

, S’

I l s'ag it de l ’élection du Prés ident .

Page 97: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

94 LA VI E POL IT IQUELe discours de Lincoln devant cette conventiondont il était membre fut l e commencement de la campagne . Les sentences par lesquelles il débuta contiennent ces paroles célèbres

,si souvent citées de

puis,par ses ennemis comme par ses amisUne maison divisée contre elle-méme , disait -il, nesaurait rester longtemps debout . Je crois que cegouvernement ne peut pas supporter la permanence d ’un régime moitié libre , moitié esclave . Jene compte pas que l’Union sera brisée

,j e ne compte

pas que la maison tombera,mais j e comp te qu’elle

cessera d’ê tre divisée . L’une ou l ’autre chose arrivera .

Lincoln voyait l ’avenir terrible que préparaient ason pays les propriétaires d ’esclaves , et tous ses discours tendaient à dévoiler les manœuvres par lesquelles il s espéraient arriver à leur but . Que leur fallai t-ii

,au point où en étaient les choses ? Un second

arrê t de la Cour suprême , déclarant que la Constitution comportai t l’esclavage dans tous les États , commela décision Dred Scott avait établi qu ’el le le faisaitdans les Territo ires, et c’en était fait de la liberté dansle Nouveau—Monde .

I l devint évident,dès le début

,que cette campagne

électoral e était le commencement d’un duel à mo rtentre les deux principes que personnifiaient les deuxpuissants orateurs .

Doug l as , au physique comme au moral , était tout lecontraire de Lincoln .

Au phy sique , un petit homme trapu , avec des yeux

Page 99: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

96 LA VIE POL IT IQUEs’appliquer aux hommes tenus dans uservitude En affirmant que la taxation était inséparable de la rep résen ta t ion ,

n’

avait-ou pas proclamé ledroit plus grand et plus essentiel qu’ a tout être innocent et raisonnable au contrôle et a l’usage de ses capacités et facultés et a la j ouissance de son propregainLincoln résumait en deux mot s sa pensée S i l

es

clavage n’

es t pas un ma l, r ien n’

es t u n ma l.

Pour Douglas,qu ’on maintienne l ’esclavage dans

ses anciennes limites,qu’on l’ étende a tou t le terri

toire,pourvu que l’Union fût sauvée , l e reste impor

tait peu à l a pro spérité de la République .

Les deux adversaires se rencon trèrent pour la première fois a Chicago

,en j uillet . Ri en n’avait été con

venu sur la manière dont on engagerait l e combat ;mais , Douglas ayant tenu un meeting le 9 j uillet , il étaitinévitab l e que M . Lincoln lui répondrait le 10. Unesemaine plus tard tous deux parlèrent le même j our, à

Springfield,mais devant des auditoires di fférents ; cela

ne suffisai t pas à Lincoln , e t i l adressa a Douglas unelettre dans laquelle i l le provoquait a une série dedébats con tradicto ires pendant la durée de la campagne .Le cartel fut accepté , mais Douglas y mit pour condition de parler le premier dans les quatre premièresséances

,et le dernier dans les trois autres .

Les sept débats contradictoires furen t fixés commesuit

,dans les principaux centres de population de

l’

I ll inois

Page 100: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

B’ABRAHAM L INCOLN 97

Ot tawa .

Freeport .

JonesboroCharleston .

Galsbourg

Quincy .

Alton .

On peut dire que non—seulement tout l’I llinois, maisle peuple entier des États-Unis assistai t à cette grandelutte oratoire , mouvement avant— coureur d’un com

bat plus terrible . La presse portait les discours desdeux champions aux plus lointaines extrémités del‘

Union on les l isait avec avidité,on les commentait

,

on les j ugeait . Les deux partis comptaient les coups .A Ottawa , Linco ln dédaigne de répondre aux accu

sations puériles par lesquelles avait débuté son adversaire . (Il ne releva que plus tard ce qui avait trait à saconduite p endant la guerre du Mexique . )I l veut placer d’ abord le débat sur son véritable ter

rain,faire avouer aux hommes du Sud leurs desseins .

Rapprochant les faits les p lus récents la guerre duMexique , l e manifeste d

Ostende 1,l’arrêt Dred Scott

,

1 MM. Buchanan , Mason et Sou lé, ministres des E tatsUn1s en Angleterre, en France et en E spagne , se réunirenten 1864, à Ostende et discu tèrent s érieu sement l ’acqu is itionde Cuba à l ’E spagne , qu i n

avait jamais manifes té l ’intentionde vendre sa co lo nie . et , si ce la éta it néces saire, la conqu êtepar la fo rce . La c ircu laire émanant de c ette p rétendu e confé

rence disait eu propres termes Il es t parfaitement c lairpour tou t homme qu i réfléchit, que par sa po sition géogra

21 août .27

15 septembre .

1 8

7 octobre .

13

15

Page 101: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

9 8 LA V IE POL IT IQUEl e rappel du compromi s du Missouri

,i l démasque

cette vaste conspiration qui ne tendai t fa rien moinsqu’à légaliser l’ esclavage dans toute l’Un ion . au Nordcomme au Sud, dans les nouveaux comme dans lesanciens États .Puis

, prenant à parti son adversaire , il lui disaitVous parlez comme moi de liberté , et il semble

étrange que nous nous combattions en arborant lesmêmes devi ses . C ’est que nous n’

entendons pas cemot de la même façon .

Moi,j e cro is que la déclaration d Indépendance a

eu pour conséquence logique l’affi anchissement desnègres .

Douglas , en prétendant le contraire , nous fait recu ler en -deçà de cette ère de j ustice .

Quand i l permet à un É tat nouveau d é tablir l’esclavage ,

i l éteint l e sens moral, i l arrache l’amourde la l iberté du cœur des citoyens qui to lèrent uneinstitu tion si con traire aux droits de l’humanité .

Son indifférence est d ’autant plus coupable, d

au

tant plu s dangereuse , qu’ elle prend le masque de la

liberté pour autoriser la servitude .

phique Cuba no u s appartient S i l’

E spa

gue , sou rde à la vo ix de son propre intérêt e t pou s sée paru n o rgue i l aveu gle e t u n faux sent iment d ’honneur

, re fu sede vendre l ’î le de Cuba aux E tats -Un is , a lor s , p ar tou tes leslo i s divines et hum a ines

,nous avon s le dro i t de l

arracher à

l’

E spagne , s i no us en a vons le p o u vo ir .

Dans le nord , cette tentative pou r obten ir Cuba paru t su sc itée , comme .le rappe l du compromis du Mis sou ri , surto utdans le bu t d

’étendre e t de fortifier l ’influence esc lavagis teaux E tats —Unis .

Page 103: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

100 LA VIE P OL IT IQUELecompton

,la hame wolente que lui portaient depu is

cette époque les chefs de l’aristo cratie du Sud,sans

compter les influences locales , engageaient beaucoup de républicains a le renvoyer au Sénat . Ilsp ensaient que c’était la récompense due aux effortsheureux qu’ i l avait faits

,grâce auxquels on n’avait

point imposé par surprise au peuple du Kansas uneconstitution esclavagiste . On y voyait aussi un enconragement pour les démocrates moins avancés quivoudraient imiter son exemple .

Ces considérations prévalurent et Douglas l ’ emporta . Le vote populaire lui donna bien cinq millevoix de moins qu

à Lincoln , mais Douglas avait la ma

jorité dans la Légis lature ; elle le renvoya au Sénat .Malgré cette apparente défaite , la lu tte avai t été

féconde en résultats,car le parti anti- esclavagist e

était enfin fondé ; i l avait un chef .

Entre la fin de la campagne sénatoriale de 1 858 etl ’ouverture de la campagne présidentielle de 1860,Lincoln visite plusieurs États de l ’Union . Nous levoyons parcourir l ’Ohio , le Kansas et l

’É tat de NewY ork , parlant dans les écoles et dans les clubs , poursuivant partout ses anciens adversaires avec la mêmelogique

,l e même esprit

,la même éloquence .

Chose étonnante,qu ’i l ait fallu déployer tant de

t alent,montrer tant de ver tus et en fin de comp te

verser des fl ots de sang pour démontrer , au dix—neu

Page 104: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABBAHAM L INCOLN 101

vième Siècle , a un peuple républicain , qu’

un vrai partisan de la liberté doit aimer la liberté pour tout lemonde

,même pour des hommes d’une autre couleur !

ELE CTION PRESIDENTIE LLE . ABRAHA M L INCOLNE ST É LU PRÉ SIDE NT .

L’élection présidentielle devait avoir lieu le É movembre .

Le parti républicain formula ainsi son programme(p latform )Les principes promulgués dans la déclaration d’in

dépendance et compris dans la constitution fédérale ,sont essentiels a la sauvegarde des institutions répu

blicaines .

La constitution,l’union et les dro its des E tats

doivent être et seront maintenus .

Le mainti en invio lable des droits des E tats ,particulièrement du droit qu’a chaque E tat d’ ordonneret de contrôler ses propres institutions

,exclusive

ment se lon ses propres inspirations,est essentiel à

l’ équilibre des pouvoirs sur lesquels sont fondées laperfection et la durée de l’organisation politique du13 3Y5

Le nouveau dogme su ivant lequel la constitu

Page 105: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

102 LA VIE POL IT IQUEtion

, par sa propre force établit l ’esclavage dans unou dans la totalité des E tats —Unis

,est une hérésie po

litique dangereu se .

Le congrès , les législatures locales , l es individus

,n

ont l e p ouvoir de donner à l’esclaVage uneexistence légale dans aucun des territo ires des E tatsUni s .

La convention nationa l e républ icaine de 1 860 seréunit à Chi cago

,le QG mai , dans un immense édifice

appe lé le Wigwam, que l e parti avait fait édifier pour

la circonstance . On comp tait 465 délégués et six candidats , tous plus connus que Linco ln ,

no tammentMM . Chase , BaÎes , Seward . Mais la lutte ne devaitêtre sérieuse qu ’entre Lincoln et Seward .

S i l’ on avait voté l e premier j our,ce dernier l ’em

portait . On renvoya la séance au lendemain et denouvelles combinaisons se p roduisirent . M . Sewardavai t trop d ’

attaches po l itiques avec les hommes decompromis il fallait un homme nouveau

,indépen

dan t,qui ne transigeâ t plus .

La maj orité absolue était de 233 sur 465 votants . Lepremier scrutin donna le résultat suivant

MM. Seward .

Lincoln .

Divers .

Au second tour on eut un indice du résultat définitif

,quand le président de la délégation du Vermont ,

laquelle s’ était divi sée au premier tour , annonça , à

Page 107: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

104 LA V IE POL IT IQUE

Pendant que ceci se passait à Chicago, l

honnête

Abe était à Springfield,dans les bureaux du j ournal

de la lo calité . Vers cinq heures du soir,le directeur

du télégraphe lui fait passer un billet ainsi conçu

M . L IN COLN ,

Vou s êtes nommé au trois1eme scrutin .

Ses amis l ’entourent , l e félicitent , et lui , tout si lencieux , met le billet dans sa poche et les quitte .

Où allez-vous donc lu i dit — on .

A l a maison,répond — il . I l y a laune brave petite

femme qui sera bien heureuse de cette nouvelle j eveux la lui apprendre l e premier .Le j our suivant arriva à Springfield le comité chargéde lui annoncer officiellement le choix de la Convemtion de Chicago .

Parmi les membres se trouvait un j uge de Pensy1vanie , un homme fort grand, et qui regardait Linco ln ,homme encore plus grand que lui avec un œil

étrange où l’ on pouvait lire à la fois l ’admiration etl'envie . Cela n’avait pas échappé au futur p résident ,qui , en serran t la main du j uge , lui demandaQuelle tai l le avez -vous ?Six pieds trois pouces . E t vous , monsieur Lin

coln ?

Page 108: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABBAHAM L INCOLN 105

S ix pieds quatre pouces .Alors

,dit le j uge

,la Pensylvanie doit s

’ incl inerdevant l’Illinois . Mon cher monsieur , i l y a des annéesque j e désire de tout mon cœur un président que j epuisse regarder d’en bas

,et j e le trouve a la fin dans

un pays où j e croyais qu ’ il n’y avait qu e de petitsgéants .La nomination de Lincoln fut universellement ap

prouvée par le parti républicain . Comme on,

reconnaissait en lui un homme de fermes principes , unardent ami de la vérité

,on se p récipita dans la lutte

avec une énergie et un enthousiasme qui étaient desûrs garants de la victoire

,en présence surtout d’ad

versaires hésitants et divisés .Les E tats du Maine , du New—Hampshire

,du Ver

mont,du Massachusetts

,du Rhode- Is land , du Con

necticut , du New —York,de la PensylVanie , de l

Ohio,

de l’Indiana,de l’ I llino is

,du Michigan , de l

’ l owa , duWisconsin , du Minneso ta et de la Ca l ifornie donnèrenta Abraham Linco ln deux millions de voix .

—LA SECE SSION. V OYAGE DE SPRINGFIE LD A WASHINGTON .

CO M PLOT DE BALTI M ORE .

On sait quel fut l e résultat de c ette élection . Sans

Page 109: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

106 LA VIE POL IT IQUEdéral , sans qu

’aucun acte agressif ait été tenté contreles droits des états du sud

,les chefs esclavagistes

proclamèren t hautement le droit de sécession .

La Caroline méridionale se déc lare la première .

Les mili ces de cet é tat s’ emparent,a Charleston

,de

la douane des E tats—Unis,de l ’hôte l des postes

,de

l ’arsena l , ainsi que des forts Pinckney et Moultries ,qui défendent la rade . I l ne reste p lus a l’Union quele fort Sumter , avec une garnison de quatre-vingtshommes commandés par le maj or Anderson .

Le j uge fédéral de Charleston,dévoué aux intérêts

du sud,refuse de siéger

,et les principaux meneurs

du mouvement se réunissent à Mi l ledgevi l le pours ’entendre sur la séparation et les mesures militairesqui devaient en assurer le succès .

Le Congrès a l lai t s’ouvrir le 3 décembre et l ’oncomptait avec rai son sur la neutralité du gouvernement .

E lu par la coalition des démocrates , M . Buchanann

o sait rompre avec ses anciens al l iés : i l affectait devoir dans le choix de son successeur un acte agress ifcontre eux , i l cherchait de vains moyens de conciliation , il n

admet tait pas la possibilité de la sécession ; ill a condamnai t et cependant i l ne se croyait pas ledroit de la réprimer . Les par tisans du Sud

]. étaient en

maj orité dans son ministère et remplissaient la plupart des emplois fédéraux ils en avaient profité pourfavoriser de mille manières les desseins de leurs com

plices et entravaient tou tes les mesu res proposées parleurs collègues dévoués à l’Union . L’un d’entre eux ,

Page 111: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

108 LA V IE POL IT IQUEnelles

,et nous en trouvons la preuve dans leurs

pro presDans beaucoup de ces états , l

’esclave fugitif est

déchargé de son travail , et dans aucun le gouvernement local ne s’ est soumis aux stipulations prescrites par laAinsi l ’union consti tutionnell e a été formellementbrisée et méprisée .

On aj outait à tous ces griefs 1 é lévation à la haute

dignité de président des E tats —Unis d ’un hommedont les opinions et les desseins sont hostiles à l

esclavage .

Que faisait— il,cet homme j uste , pendant que la

rébellion s’

organisait au grand j our , avec la com

p licité secrè te du gouvernement auquel i l allait succéder ?

I l attendait à Springfield que son heure fût venue,

survei l lan t en si lence la trahison de ses adversaires etse défendan t avec énergie contre les amitié s spontenées d’ une foule de personnages qu i l n ’avait j amaisconnus et qui encombraient main tenant sa modestedemeure .

Je sui s très—surpris,disait-il a sa femme ; j e reçois

maintenant l e sixième de la nation,qui voudrait vivre

aux dépens des autres cinq sixièmes . Mais é loignezde moi tous ces solli citeurs ; on ne saura qui j e veuxchoisir pour mes fonctionnaires que le j our Où j e seraiinstallé à la Maison Blanche .

Ce j our arriva vite .

Page 112: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

Les États esclavagistes avaient suivi l ’exemple de laCaroline du Sud .

Le 8 février 1874,l’assemblée de Montgomery vo

tait la Constitution des États confédérés et choisissaitpour président et vice- président de la Confédérationdu Sud , MM. Jefferson Davis et Alexandre A . Ste

phens .

Le 1 1 du même mois,l’

honnête Lincoln quitteSpringfield pour se rendre au poste d’honneur que luiavaient confié ses concitoyens

,après avoir adressé

aux habitants de sa patri e adoptive ces touchantesparoles d’adieuMes amis

,personne

,s’ i l n’est dans ma situatio n

,

ne peut se rendre comp te de la tri stesse que j’éprouveen me séparant de vous . A ce peuple j e dois tout ceque j e suis . Ici j ’ ai vécu plus d’

un quart de siècle ; i cisont nés mes enfants ; ici l

’un d’ eux est enterré . Je nesais dans combien de temps ni si j amais j e vous reverrai .

Um devoir pèse sur moi , l e p lus lourd peut-êtrequi ait pesé sur un homme depuis les j ours de Washington . Il n’aurait j amais réussi sans l’aide de laProvidence en qui touj ours i l se confia . Je sens quej e ne puis réussir amon tour sans la même assi stancedivine qui l e soutenait ; et dans le même Tout-Puissantj e place mon espérance .

Vous,mes amis , priez-le de m’aider . Sans lu i, pas

Page 113: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 10 LA VI E POL IT IQUEde succès ; avec lui , le triomphe est certain . Encoreune fois

,j e vo us envoie les adieux d ’un cœur qu i

vous est attaché par les liens de la plus profondeaffection .

I l part , accompagné des vœux et des prières detous . A chaque station , la foule attend son passagecomme celui d’un lib érateur

,acclaman t Lincoln et

la Constitution !Ce fut une véritable ovation que ce voyage deSpr ingfield à Washington . Dans chaque grand centrede population il est arrêté

,fêté

,complimenté . Il ré

pond a toutes les députations , et chacu n des discours ,petit ou grand

,qu ’ il prononce , est un vrai modèle d’à

propos,suivant les lieux , les personnes o u les circon

stances .

A New-Y ork , l e maire de la cité lui dit toutes les es

pérances que l e peuple loya l des États-Unis avait misesen lui pour le maintien de la Constitution violée par lesrebelles .

Rien,répondit Lincoln , ne saurai t me faire con

sentir à la destruct ion de cette Union à laquelle notregrande cité marit ime de New—York

,comme le pays

tout entier , doit sa mervei l leuse prospérité , tant quel’

Union sera consacrée au but pour lequel elle a étéétablie . Dans ma pensée , le navire est fai t pour la cargaison ; tant qu’ il peut être sauvé avec elle il ne doitj amais être abandonné ,

à moins que la dernièrechance de sal-u t ne soit de j eter par— dessus bord lefret et les passagers . Aussi longtemps donc que laprospérité et la liberté du peuple trouveront un sûr

Page 115: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

112 LA VIE POL IT IQUEacte mémorable ; on lui demande de lever , au moyend ’une corde , l e drapeau qui était au-dessu s de l ’édifice .

Mes amis , répond— il,vous me priez de lever le

drapeau sur cet édifice Où a été prononcée la déclaration d’ indépendance . C ’est bien une image de ceque j e suis . Ce n ’est pas moi qui ai fait ce drapeau ,ce n ’est pas moi qui ai fait la machine pour le teni r

,

ce n’est même pas moi qui ai fait la corde pour letirer ; j e ne suis qu’un instrument , j e ne fais queprêter mon bras c ’est la nation qu i fait le reste .

Je me suis souvent demandé , en relisant notreConstitution

,qu ’est—ce qui lui avait valu cette faveur

d ’être a la fois la p lus j eune et la plus ancienne desconstitutions qui soien t au monde . E t j e me suisrépondu c ’est que

,dans cette Constitution

,ses

immortels au teurs ont écrit le principe admirablede la liberté pour tous , et qu’ en le faisant , ils ontprophétisé non- seulement l’avenir de leur pays

,

« mais l’avenir du monde entier . Ils ont annoncéqu’un j our viendra où l e poids qui p èse sur lesépaules de tou t homme venant en ce monde seraallégé , et c

’ est parce qu ’ ils ont mi s ce principedans leur Constitution que cette Constitution a duré .

Pour moi,j e ne sais pas ce qu’ elle deviendra dans

l’avenir ; mais , avant de me faire renoncer à sesprincipes

,on m ’

assassinera su r p lace .

Cette cérémonie terminée Lincoln partit pourHarrisburg , où la législature de Pensylvanie le reçutofficiellement . A six heures du soir

,i l montait secrè

Page 116: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L IN COLN 113

tement dans une voiture qui le conduisit à l ’embarcadère où l’at tendait un train spécial , et retourna àPhiladelphie . Dès que le train se mit en route , lesfils télégraphiques furent coupés , afin que le départdu président

,quand il serait connu , ne pût être divul

gué au loin . A Philadelphie , l e p résident et le marshallLamon

,de Washington

,son seul compagnon , mon

tèrent dans un wagon-salon du train pour Washington

,et i ls arrivèren t dans la capitale fédéra l e le len

demain 23 février , a six heures du matin .

Une foule immense,dit M . Bigelow

,auquel nous

empruntons ces détails très -précis,s ’était portée à la

station de Baltimore,et sa conduite

,lorsque passa le

train dans lequel , croyait-on , se trouvait le président ,ne laissa aucun doute sur les mauvaises intentions dupeuple . Les précautions prises par M . Linco ln se trouvaient suffisamment j ustifiées . Cette preuve manifestedes proj ets désespérés formés par les ennemis de lanouve l le administration rendit nécessaire la présence

,

dans la capita le , d’une certaine force militaire pourprévenir les troubles, lo rs de l

’ installation du nouveauprésident .

A . JOUAULT .

Page 117: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 14 LA VIE POL IT IQUE

INAUGURAT ION DU 4 MARS 1861 . CONSTITUTION DE S ÉTATSCONFÉDÉ RÉ S . PHILOSOPHIE DE L

’E SCLAVAGE .

L ’ inau guration d’

Abraham Lincoln à Washington,

l e 4 mars 1861,eut lieu sans manifestations ho sti les

de la par t des agents du sud , fort nombreux pourtantdans la capitale .

La cérémonie , très- simple en elle —même , empruntai t toute sa solennité a la gravité des circonstances .

On a vu par le portrait que nous avons tracé dunouveau présiden t

,et par l’histoire de sa j eunesse et

de sa v ie politique,qu’ i l ne possédait aucun de ces

avantages que donnent la richesse,l’ extérieur

,les

man ières , l ’expérience de ce qu ’on nomme le monde ,et le lecteu r comprendra sans peine que l ’honn êteA be ait été embarrassé , confus , presque honteux ,

quand , aux acclamations d’une foule enthousiaste et

frémissante , i l se présenta sur l’estrade

,accompagné

de M . Buchanan , son prédécesseur , et de son com

pétiteur Stephen Doug las , pour prêter le sermentconstitutionnel et s’ adresser à l ’assemblée du peuple .

Il s’avance lentement et d ’un air inquiet , raconteM

.Auguste Polo ; i l a retiré son chapeau qui lui

semble un pesant fardeau ; il le fait machinalement

Page 119: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

11 6 LA V IE POL IT IQUELoin de moi

, dit— il

, l’idée de m’

immiscer , directement ou indirectement , dans l’ institution de l‘esclavage dans les E tats Où elle est en vigueur . Je pensen ’avoir pas ce dro it , et j e n

’ai pas l ’ intention d ’ en agirainsi . Ceux qui m ’ont choisi et élu savaient parfaitement que j ’avais maintes fois fait une semblable déclarat ion ,

e t que j amais j e ne m ’étais rétracté .

Mais ce que j e veux , c’est le maintien de la Cons

t itution .

Aucun E tat , de son propre mouvement , n ’a ledro it de se retirer légalement de l’Union .

Toutes les résolutions o u ordonnances qui concourent a cette fin son t l également nulles

,et tous

actes de violence,commis par un ou plusi eurs E tats

contre l ’autorité des E tats—Unis , constituent, suivantla loi

,l’ insurrection ou la révo lu tion .

Je pense donc,qu’en ce qui concerne la Consti

t ut ion et les lois , l’

Union n ’ est pas dissoute ; et, dansla limite de mes pouvo irs , j e veillerai , comme laConstitution me l ’ordonne expressément , à ce que leslois de l’Union soient fidèlement exécutées danstous les E tats .Il termina par un éloquent appel à la conscienceet au patriotisme de ses concitoyens égarés

Vous qui êtes mécontents , c'est dans vos mains et

non dans les miennes que se trouve à cette heure lesort de la guerre civile . Le gouvernement ne vou sattaquera pas .Vous pouvez éviter un confl it en n ’étant pas vous

même les agresseurs. Vous n’avez point un serment

Page 120: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 1 17

enregistré dans le ciel (oath regis tred in heaven) de

détruire le Gouvernement ; moi , j ’ai solennellementj uré de le maintenir , de le pro téger et de le défendre .

J e n ’ai point envie de fermer la porte a la conciliation . Nous ne sommes pas des ennemis , mais desamis . Nous ne devons pas être ennemis . Que lapassion ne nous pousse pas j usqu’ à briser les liens denotre ancienne amitié .

Après cette adresse au peuple , Lincoln prêta , entreles mains du j uge Taney , l e serment constitutionne lJE JURE SOLE NNE LLEME NT D E REMPL IR AVE C F I

DÉL ITÉ LE S FON CT ION S DE PRÉSIDE NT DE S ETATSUN IS , ET DE FA IRE T OUT CE QUI DÉPE N DRA DE MO IPOUR MA IN TEN IR , PROTÉGE R E T DÉFENDRE LA CON STITUT ION DE S ETATS —UN IS .

Le soir même Abraham Lincoln prenait possessionde la Maison —Blanche .

Pendant ce temps,son prédécesseur quittaitWa

shington a dest ination d e Wheatland,sa propriété

patrimoniale , n ’ayant plus a rendre compte que devant l’histoire de la fidélité avec laquelle il avait tenul e serment qu ’ i l avait, lu i aussi , prê té à la Constitution , quatre années auparavant .

Les E tats du sud n’

admettaient pas le principe posépar Lincoln

,qu’au cu n E ta t n

a le dro i t , de son

Page 121: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 18 LA V IE POL IT IQUEp r op re m ou vemen t

,de se r etirer légalemen t de

l’

Un ion .

Pour le parti séparatiste , l ’union fédérale avait faitson temps . Les intérêts des E tats méridionaux demandaient un gouvernement distinc t e t indépendant

,et

ceux qui le voulaient étaien t l ibres de se retirer de laConfédération

,car l’union n’avai t été qu’un contrat

en tre les E tats et non pas , comme l’envisageaient l eshommes du nord

,un gouvernement placé au — dessu s

des E tats et leur étant par conséqu ent supérieur .

En conséquence,l e congrès des dé légués de la

Caroline du sud,de la Géorgie , de la Floride , de

l’

A labama, du Mississip i et de la Louisiane , réunile 4 février 1 861 , a Montgomery , avait adopté , l e1 1 mars

,une nouvel le constitu tio n définitive et per

manente qui mettait dorénavant a l ’abri de t outediscussion

,de toute atteinte

,l ’ institution de l’esola

vage .

L ’ancienne constitution était a peu près muette s urce point . I l étai t dit seu lement que les personnestenu es a ser vir ou a trava i ller qui tenteraient de s’

é

chapper seraient rendues a leurs maîtres .

La nouvelle s ’exprime en termes nets et clairs .Voici ce qu ’on y litLes citoyens de chaque État auron t le droit de

transit et de séj our dans tout É tat de la Confédérationavec leurs esclaves ; e t j amais i l ne sera por té atteinteau droit de propriété sur lesdi ts esclaves .Les esclaves ou les indiv idus contraints au service

o u au travail dans tout É tat o u Territoire de la Con

Page 123: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

120 LA VIE POL IT IQUEL

esclavage exi ste dans le Missouri , i l ne s’agitpas de le créer

,mais de l e maintenir . La situation de

ce pays est la même que la nôtre vous ne pouvez attaquer ses dro its sans méconnaître ceux de tous lesÉtats du Sud

,sur un point que la constitution ne vous

permet pas de mettre en question . Vous avez admisle Kentucky et le Tenessee avec la clause de l’esclavage , pourquoi traiteriez-vous différemment le Missouri ? En vain direz —vous que celui-ci est un Étatnouveau et non point

,comme le Kentucky et le Te

nessee,un démembrement des États primitifs qui

étaient en possession de l ’esclavage . Cette circons

tance ne change rien aux nécessités des lieux,et i l

s’agit i ci également,non de créer un droit nouveau ,

mais d’admettre un fai t existant . Le Missouri d’ailleursfaisait partie de la Louisiane

,que vous avez admise

avec l ’esclavage .

Craignez,si vous prohibez l ’esclavage la où vous

le trouverez é tab l i , de produire un effet moral dangereux dans les anciens États Où i l existe , et que laConstitution a vou lu couvrir de son égide ; ne trompezpas sa prévoyante sagesse ; songez que nous avonsdeux millions d’esc l aves qui

,s’ ils se sentaient sou

,

tenus par vous,peuvent se porter d ’un momen t à

l’autre aux plus cruelles extrémités ; souvenez-vousdes désastres de Saint —Domingue et ne vou s exposezpas aux mêmes horreurs .

Est-ce notre fau te si no s ancêtres nous ont léguécette plaie , et que pouvons-nous faire de plus que detraiter nos esclaves avec humanité et douceur , de

Page 124: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

D’

ABRAHAM L INCOLN 121

manière à rappro cher autant que p ossible leur sor t decelui des cu ltivateurs libres . L ’

esclavage , après tout ,a existé dans les républiques les p lus florissantes del’antiquité . I l existe encore dans les colonies de toutesles puissances de l ’Europe . Pourquoi serait- i l interditdavantage chez nous ?Laissez la cette question brûlan te

,don t la discus

sion est pleine de dangers ; ne nous donnez pas ‘a penser qu ’un j our pourrait venir Où l

Opinion qui nousest contraire

,abusant de sa maj orité dans le Congrès

,

prononcerait l’abolition de l ’esclavage dans toute l ’êtendue des États-Unis

,car ce j our- là serait le dernier

de la Confédération .

Ainsi l’ on invoquait les nécessités agricoles,l e fait

accompli,l e danger so cial . On faisait appel a la misé

ricorde, et , dans l’intérêt de l ’Union, cet appel étai t

entendu .

L’

esclavage était considéré comme un mal nécessaire dont les planteurs du Sud n ’

osaient pas mêmeprononcer le nom

,et qu ’ ils appelaient leur ins ti tu t ion

par ticu lière .

En 1860,le Sud ayant compris que le Nord se fati

guait de la qu es tion nèg re et sentant quelle étaitla faiblesse de sa position sur le terrain de la tolérance

, a cessé de faire appel a la miséricorde des eunemie de l’esclavage .

Exaspéré,dit M . E dward Lee Childe ‘ , de ce que

1 . Le généra l Lee, Sa v ie et s es campagnes , par Edward

Lee Chi lde . Paris , Librairie; Hachette et

Page 125: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

122 LA VIE POL IT IQUEleNord

,autrefois son alli é (puisqu

’ il s etait uni a lui enconnaissance de cause) , lui j etait auj o urd ’hui à la faceune honte dont la responsabi l ité remontait plus hautdans le passé

,l e Sud devient accu sateur .

Ce n ’est plus comme un fait acquis que les rebellesdéfenden t l ’ esclavage

,ils le j ustifien t comme une insti

tut ion raisonnable,bien fa isan te et d i vine

,une insti

tu tion d ’ordre naturel,mei l leure pour l ’esclave que la

l iberté,un système qui ne dépend même pas de la

couleur des hommes soumis à l’ esclavage et qui convient aussi b ien a la race blanche qu ’

à l a race noire .

Le travail servile est représenté comme la conditionnormale de toute so ciété bien organisée . I l y a unephilo sophie de l ’esclavage p rofessé ex ca thed raL

esclavage n’est point un mal , disen t l es nouveaux

docteurs ; c ’ est la condition qui convient le mieux a lamasse de l ’humanité . Le noir est nécessairement lepremier esclave

,parce qu ’i l est l e plus stupide

,le

moins précieux,l e plus facile à capturer ; mais le tra

vei l leur blanc qui n ’a rien a donner au monde dansleque l i l est né que le travail gro ssier de ses bras robustes

,est de fa i t

,un esclave sur tou s les points du

globe , et s’ i l l ’étai t de d ro i t, il serait plus heureuxqu’ i l ne peut j amais espérer le devenir avec le systèmequi p révaut en E urope et dans les États libres de l’Union .

Cette philosoph i e devint bientôt un dogme politique et , dans un discours prononcé à Savannah , M. S tephens exp l iqua ainsi les principes sur lesquels étaitfondé le nouveau Gouvernement .

Page 127: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

124 LA VIE POL IT IQUE B’ABRAHAM L INCOLN

Le général confédéré Beauregard ouvrit le feu contre le fort Sum ter où flot tait le drapeau de l’Union .

Après un bombardement de vingt-quatre heures,le

maj o r Anderson capitula avec tous les honneurs de laguerre et s ’embarqua ,

en destination de New-Y ork ,avec toute la garnison .

La rupture étai t définitive et le sort des bataillesallait décider des destinées de la liberté dans le Nouveau-Monde .

Page 128: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

TROISIEME PART I E

A BRAHAM L IN COLN

PRÉSIDENT ‘

DES ETATS UNIS

Page 129: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 131: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 28 ABBA IIAM L IN COLNbles moyens n’avaient été laissés à un chef d’

É tat par

son prédécesseur pour entreprendre une au ssi grandetâche .Sous l'administration de Buchanan les hommes duSud avaient littéralement dévalisé le gouvernementde l

Union .

Un trésor vide ; des arsenaux avec leurs dépôts ,leurs chantiers et leur matériel , occupés ou détruits ;les nav ires réunis à Norfolk incendiés et presque toutela flo tte fédérale dispersée sur tous les points duglobe ; dans les bureaux des ministères , un personnelde traîtres ; sous les drapeaux , à peine assez de soldats fidèles pour mettre la capitale a l’abri d ’un coupde main telles étaient les ressources du p ouvoir exécutif au moment où Lincoln en prit l es rênes . E t lesp lus dangereux ennemis n ’ étaien t pas seulement lesconfédérés . Derrière soi , dans le Nord , restaient desmi lliers de partisans de la cause du Sud , dont lessympathies actives n ’étaient un secret pour personne

,

et qui se tenaient prê ts , au moment opportun , a donner la main aux rebelles .Tou tefoi s

,si rien n

étai t préparé pour l ’attaque etpour la défense , le Nord avait en hommes et en richesses des forces considérables qu ’ i l ne s ’agissaitque de savoir employer .D ’après le recensement officiel de 1 860

,les états et

territoires du Nord renfermaient une population deâmes y compris quelques centaines de mille

noirs . La population des états confédérés n’éta it quede 8 desquels étaient noirs

,de

Page 132: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉ SIDENT DE S ETAT S-UN IS 129

sorte qu’en déduisant ceux- ci de part et d’ autre

,i l

restait en chiffres ronds de blancs poursou tenir la lutte contreLes ressources matérie l les n ’étaient pas moins

inéga les que le chiffre des habitants respecti fs . Larégion qui formai t les états confédérés est p lutô t unpays de plantations produisan t l e co ton

,le tabac

,

le riz , qu’un pays d ’agricu l ture proprement dite Où

l ’on trom e le b lé , la laine , les best iaux , les chevaux ettou t ce qui contribue ‘a faire vivre de grandes armées .Le Nord avait

,au contraire

,des richesses agricoles

inépuisab les , un commerce qui s ’ étendai t sur tous lesmarchés et une induët riemerveilleusement dévelo ppée .

Ma lgré la d ispro portion des forces au débu t le Sud ,parfaitemen t org an i s é de longue main , eu t u ne incontestable supério rité . Le No rd qu i ava i t to u t a crée r,fut lent à user de ses moyens ; i l subit de s ang l antsrevers

,capables de décourager l es plus intrépides .

Mai s Lincoln avai t dans le succès fina l de la causede l’Union une foi profonde qu’ i l fi t partager à lamasse de la nation .

Le premier acte d ’un nouveau président est de choisir son cabinet . Linco ln n’avait pas

,comme beau

coup de ses prédécesseurs , pris d’ engagements en

vers certains électeurs infl uents qui,dans la dé

mocratie américaine,vendent leur conco urs aux

candidats . Pendant lebal lottage , a la Convention deChicago

,un de ses amis lui avait écrit par télégraphe

Vous serez nommé,si vous promettez d’accorder

les p laces d’a ttorney généra l et de d irec teur généA . JOUAULT .

‘J

Page 133: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

130 ABRAHAM L IN COLNra l des p os tes a messieurs X . et La réponsefut courte

,mais clai re Je n’ accepte aucun marché

et j e refuse absolument .Lincoln s

inspira de ceux- là mêmes qui l’avaientnommé ; i l s

adressa aux candidats désignés avec luipar les électeurs

,et confia les principaux ministères à

ses concurrents , les affaires étrangères à Wil l iamH . Seward , de New— York , les finances à SalmonP . Chase

,la guerre à Simon Cameron

,de Pensylva

nie,la j usti ce (a ttorn ey généra l) a E douard Bates ,

du M issouri . Les autres postes furent donnés auxhommes les p lus distingués de l ’Union a Gédéon

We l les,du Connecticut . la marine ; a Caleb B . Smith

,

de l’ Indiana,l ’ intérieur ; enfin à Montgomery Blai r,

du Maryland , la direction générale des postes .

Avan t d’a l ler ch ercher les rebe l les sur l eur territoire

,le gouvernemen t devai t assurer la sécurité a

l’ intérieur , s’

armer contre les traîtres et pour celatoucher a une des libertés les plus chères aux AngloSaxons

,la liberté indiv iduelle .

Aux États —Unis,comme en Angleterre

,toute per

sonne arrêtée , sans que les faits mo tivan t son arrestation so ient des délits ou des crimes évidents contrel e dro it commun

,a la faculté de demander à ê tre con

duite dans le délai de trois j ours devant un magistrat

Page 135: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

132 ABRAHAM L INCOLNcommerce qui furent équipés en navires de guerre

,et

l e 19 avril 1861 l e président pro clamait le blo cus detous les ports des États séparés .

Tou t cela ne suffisai t point . Les Améri cains , ceuxdu Nord surtou t

,n ’étaient point un peuple militaire ,

bien qu ’on les eût vus montrer à l ’ o ccasion certainesqua l ités guerrières . L’armée régulière était insignifiante

,ses meilleurs officiers appartenaient au sud

,

et 259 d’entre eux avaient passé dans les rangs desrebe l les .Dès que la prise du fort Sumter fut connue , laformation d ’une armée charg ée de défendre la const itu tion fut considérée comme une affaire nationa le .

Le 15 avril , l e lendemain du bombardement , Lincoln lança une proclamation dans laquel le i l demandait aux gouverneurs des différents É tats de fourni r ,pour un service de tro is mois hommesdestinés ‘a contribuer a la réoccupation des forts

,

arsenaux et autres propriétés fédérales capturées parles séparati stes .

Le 3 mai,après la prise de l ’arsenal de Harper’s

Ferry , en Virginie , l e Présiden t fit un nouvel appelde volon taires pour un service de trois annéeso u pour la durée de la guerre et augmen ta dehommes l’effectif de l ’armée de terre

,et de

mate lots celui de la marine .

A la fin de l ’année 1861,les États -Unis avaient

enrôlé env iron hommes,non compris les

de milice appelés en avril qui avaient été congé

Page 136: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRESIDENT DE S ÉTAT S-UN IS 133

diés après leurs trois mois de servi ce , ethommes de l’armée régulière .Mais ce n’étai t pas tout d

’ avoir lev é de grandesarmées

,qui allait-ou mettre

‘a leur tête ? Sans doute ,de par la constitution , Lincoln se trouvait commandant eu chef des forces de terre et de mer ; mais ,parce qu ’ il avait guerroyé pendant trois mois contre leFaucon-Noir

,il ne se croyait pas pour ce la un bien

grand cap itaine et confia la directi on générale desOpérations au généra l Sco tt , le vainqueur du Mexique .

Celui- ci , trop âgé et trop infi rme pour tenir l a campagne en personne

,comprit

,devant la gravité des

événemen ts,la nécessité de remettre en des mains

fermes,habiles et sûres l ’ exécution de ses p lans et

fi t offrir par l e Président Lincoln le commandementeffectif de l’armée fédérale a un des officiers supérieurs les plus distingués de la guerre du Mexique

,son

ami le colone l Rober t Lee , de la Virginie , en ce moment campé chez les Indiens du Texas

,et qu ’on fi t

mander en tou te hâte à Washington .

Arrêtons—nous un instant devant l’ imposante figuredu noble défenseur de Richmond

,moins a cause du

rôle militai re qu ’ il va j ouer dans la guerre civ ile,que

pour montrer en sa personne le représentant de ce qu’ ily a eu de respectab le dans la cause du Sud

,c ’est-à—dire

tisme d’É tat, qui avai t été le premi er obstacle

et menaçait encore de la briser,contre lequel

Page 137: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

13 4 ABRAHAM L IN COLNi l était j uste de lutter

,mais qu’ i l est impossible de

ne pas respecter quand il s ’ incarne dans certaine sâmes véritablement grandes, sincères et désintéressées . Robert Lee était de celles — là .

Lincoln plaçait avant toute chose l’Union et laConstitution Lee était Virg inien avant d ’être citoyendes États-Unis .

On se rappelle l’humble origine du premier,son

pauvre logis,son enfance

,ses pénibles travaux . Robert

Lee , l ui , était un vrai gentilhomme .

Les Lee de Virgini e descendaient d’une anciennefamille d ’

Angleterre dont les domaines patrimoniauxétaient situés dans l’E ssex . En 1 192

,nous trouvons

un Lionnel Lee , à la tête d ’une compagnie de chevaliers

,accompagnan t Ri chard Cœur—de— Lion a la troi

s ième cro isade . I l se distingue tellement au siège deSaint - Jean-d ’

A cre qu’

à son retour Richard l e créecomte de Letchfield , et lui donne la propriété deD itch ley ,

nom que porta par la suite une des terresde Lee en Virginie .

On peut voir encore auj ourd’hui a l a tour de Loudres l’armure que portai t Lionnel en terre sainte .

(Si vous voulez un souvenir des exploits de Lincoln ,i l faut al ler à Patent-Office , à Washington , où l’onconserve un modèle de bateau inventé et construi t parl

honnê te Abe , quand il était bûcheron et batelier . )Sous Élisabeth , sir Henry Lee était cheval ier de la_

Page 139: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 3 ABRAHAM L INCOLNRobert Lee 1 ne fut poin t obligé comme Lincoln defaucher pendant trois j ours les prés d’un maîtred’ école pour pouvoir a son aise lire la vie de Wash ington c’est peut- être la raison qui fi t que le gent ilhomme comprit moins bien que l’enfant du peupleoù était le devoir d’un loyal citoyen

,l e j our Où la

guerre civil e éclata .Tous deux pourtant invoquent dans leurs lettres et

l eurs discours le souvenir du père de la pa tr ie, oupou r mi eux dire il semble qu ’ i ls évoquen t sa grandeâme et lui demandent des inspirations et des conseils .Voici ce qu

écrivait Lee , de Fort-Mason (Texas) , l e23 j anv ier 1 86 1 .

b

J ’ai reçu la V ie de Washing ton par Everett .Combien ce grand esprit souffrirai t de voir ainsi cenaufrage de ce qu ’ i l avait fondé avec tan t de peine'Je me refuse cependant à croire , tan t qu ’ i l resteun rayon d'espoi r

,que tous les frui ts de ce tte belle

existence doiven t périr , et que ses sages conseils etl ’exemp l e de ses vertus doivent être sitô t oubliéspar ses concitoyens . Autan t que j ’en puis j uger parles j ournaux

,nous sommes en pleine anarchie et a

l a vei l le d ’une guerre civile . Puisse Dieu éloigner denous ces d eux fléaux l Il faudra bien des annéespour que les hommes soien t assez chrétiens pour1 . Arrivé au grade de l ieu tenant au corps du génie , aprèsêtre so rti de l ’éco le m i l ita ire de Wes t — Po int en 1829 , Robert

Lee épou sa ,en 1832

,Mary fi l le de Geo rge Washington Parke

Cu s tis , petit-fi l s de la femme de Washington e t fils adopt if dece dernier .

Page 140: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDENT DE S ETAT S—UN IS 137

se passer de lois sévères et d’

appels à la force . Jevois que quatre E tats se sont retirés de l’Unionquatre autres apparemment vont suivre leur exemp le . Si les E tats frontières son t entraînés a l eur tour ,moitié du pays sera rangée contre l ’ au tre moit ié . I lme faut être patient et attendre la fin , car j e ne pui srien ni pour hâter ni pour retarder les événemen ts . !

Cette fin qu’ i l attendait , c etait le parti que prendrait dans le conflit la Virginie . qui fut la derni ère àquitter l ’Union . Cette séparation accomplie , Rober tLee crut que son devoir était d ’associer sa destinéeà cel le de son pays natal et il refusa les offres de Linco ln e t du généra l Sco tt .

Mon mari a versé des larmes de sang sur cettemalheureuse guerre , écri t Mme Lee à une amiemais , comme homme et comme Virginien ,

i l doit

par tager les destinées de son E tat , qui s’ est prononcésolennel lement pour son indépendance .

Qu ’on remarque bien les termes de cette lettre c en ’étai t pas l ’esc lavage

,mais l ’ indépendance de son

E tat que Lee se croyait ob l igé de défendre . I l ne partageait aucunement les th éories po l itiques de JeffersonDav is et de Alexandre S tephens , qui voulaient faire dela servitude humaine la pierre angulaire de la republique nouvel le . Ses idées su r ce suj et sont nettementexprimées dans une lettre écrite en 1856

Bien peu de personnes,disait-ii

,dans ce siècle

Page 141: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

138 ABRAHAM L INCOLNéclairé se refuseront à reconnaître

,j e pense

,que

l ’esclavage ne soit un mal moral et p olitique dans

n ’ importe quel pays . Inutile de s’ étendre sur toutce qu ’ i l a de mauvais . A mes yeux la race blancheen souffre encore plus que la race

Il pensai t toutefois qu ’ il était défendu par l es loisde toucher a cette institution et qu ’ il fallait attendredu temps le remède à un mal si p rofond .

Tout en nous rendant compte , aj outait- il, quel ’abolition éventue l le et finale de l ’ esclavage est enbonne voie

,et tout en donnant

a cette bonne œuvrele secours de nos prières et de tous les moyenshonnêtes et ju st ifiables en no tre pouvoir, i l nous enfaut lai sser l e développement et le résu l tat entreles mains de Celui qui voi t la fin de tou te chose

,qui

préfère agir par des infl uences lentes , pour quideux mil le ans ne sont qu ’ un seu l j our .

Les véritables motifs qu i ont décidé la conduite ducolonel Lee se retrouvent encore dans la lettre suivante adressée à sa sœur aînée , dont le mari avaitdes opinions très- prononcées en faveur du Nord .

Ar l ington,Virginie , 20 avr i l 1861 .

Auj ourd ’hui nous nous trouvons en pleine guerre ,et i l n ’y a plus de remède . Bien que j e ne vo ie pas

Page 143: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

140 ABRAHAM L INCOLNLes rude s épreuves de la guerre civile n ’ avaient pasencore blanchi ses cheveux . Sa moustache était noirele reste de sa barbe était rasé de près . Ses beauxyeux d’un bleu clai r

,pleins de douceur et de bonté

,

bri l laient sous ses sourcils noirs . On ne pouvait rencontrer ce regard sans l’ aimer . D ’une tempérancepresque absolue , i l buvai t rarement autre chose quede l ’eau et était d ’une indifférence comp lète pour cequ

i l mangeait . Jamais aucun excès n ’ avai t affaib l i sarobus te v igueur . Grave

,silencieux

,se renfermant en

lui -même , i l donnai t à qui le voyai t pour la première fois l ’ idée d ’un homme doué de peu de sensibilité . Sa sincérité , sa franchise dans toute circons

tance , son cœur grand e t généreux , plein d’

honnéteté

et d ’une admirable simplicité,ne purent être connus

que pendant la guerre

Le plébeœn Lincoln allait donc avo ir pour adversaire le p lus noble des genti lhommes , adversaire dignede lui

,car Robert Lee fut le représentant l e plu s

capable et le plus vertueux de l’ aristocrati e americaine .

'

1 . É DOUA RD LE E C H ILDE , Vie et camp agnes de Rober t Lee .

Librair ie Hachette et 1873 .

Page 144: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDENT DE S ETAT S—UN IS 141

LA POLIT IQUE E T LA GUERRE . LE GENERAL MA C— CLE LLAN.

E MANC IPAT ION DE S NÈGRE S APPARTENANT A DE S REBE LLE S .

La vie d’

Abraham Lincoln , depuis son élévation ala présidence , se mê le d ’ une façon si intime à l ’histoiregénérale des E tats-Unis

,que

,pour bien la faire con

naître , l ’au teur devrait presque racon ter tou t en ti èrecette gigan tesque guerre civ i le qui se termina par lasoumission du Sud et l’ abol i ti on de l’ esclavage . Maisce suj et est trop vaste pour le cadre qu i l s’ est tracé

,

et n ’entre pas dans son principa l dessein qui est surtou t de montrer l ’honnê te homme dans le grand citoyen . Aussi ne trouvera-t -on dans cette dernière parti edu livre , que ce qu ’ i l est nécessaire de savoir des faitspolitiques et mi l itaires pour mieux apprécier la conduite et le caractère du petit pionnier arrivé a la première magistratu re de son pays

,après avoir passé

par'

tous les degrés de la hiérarchi e sociale .

Politi qu ement, la lutte se divise en deux périodesdistinctes

Page 145: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

142 ABRAHAM L INCOLNments que contient son adresse du 4 mars

,ne de

mande a la force des armes que le moyen de fairerentrer dans l’Union l es E tats qui en sont sortis

,et re

pousse toute idée d’

immixt ion dans l ’ institution de l ’esclavage .

Mais,après deux années de luttes sanglantes , quand

toute espérance de retour des E tats du sud à l’Unionfut définitivement perdue

,le gouvernement considéra

comme une nécessité , comme une mesure de guerreindispensable au salut publi c

,de confisquer tous les

esclaves qui appartiendraient a des individus encoreen état de rébellion le 1 " r j anvi er 1863 .

C ’est l e 23 septembre 1 862 que Lincoln annonçacette résolution par une pro clamation célèbre quiportait pour titre

A cte p ou r étou ffer l’insu rrec tion , p ou r p u n ir latrahison et la rébellion , p ou r sa is ir et confisqu cr

les biens des rebelles et p o u r d’

au tres fi ns .

Le 2 décembre suivant , dans son message annuel ,i l recommandait au Congrès les amendements sui

vants a la ConstitutionArt . Chacun des E tats où l’esc lavage existe

actuellement , qui abolira cette institution à un moment quelconque avant le 1” j anvier 1 900 de NotreSeigneur , recevra une compensation en titres derentes des E tatsArt . 2 . Tout esclave qui aura pratiquement j oui

Page 147: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

144 ABRAHAM L INCOLNnaître et protéger l a liberté de ce s personnes , et nemettre obstacle en aucune manière aux efforts qu’ellesp ourraient faire pour ob tenir leur l iberté effective ;

Que ledit premier j anvi er , le pouvoir exécu tif désignera

,par une proclamation

,les É tats ou portions

d’

É tat dans l esquels l a population sera en rébellioncontre les É tats - UnisQue le fait qu’un É tat ou sa population sera

,ce

j our-là , représenté de bonne fo i au Congrès desÉ tats -Unis , par des membres choisis a des élection sauxque l les aura participé la maj o ri té des électeurs légalement désignés , sera , à défaut de preuves suffisan tes étab l issan t le contraire . considéré comme untémoignage conc luan t que ce t État ou sa po pulationn ’est pas en rébe l l ion con tre les É tats — Unis ;Moi

,Ab raham Linco ln , président des É tats-Unis ,

en vertu des pouvoirs don t je sui s investi commecommandant en chef des armées de terre et de merdes Eta ts-Unis , en ce temps de rébellion armée contre l’autorité et l e gouvernement des États-Unis

,et

comme mesure de guerre convenab l e et nécessairepour la répr ession de ladite rébell ion , auj ourd

’hui,

premier j our de j anv i er de l ’an de No tre -Seigneur1863

,conformément à ce que j e . me suis proposé de

faire après le délai de cen t j ours pleinement écoulédepuis la date de l ’ ordre ci—dessus mentionné . j e p roclame pub l iqu ement et j e désigne comme É tats o uportions d’

É tat dont les popu lations respectives sontauj ourd‘hui en rébel l ion contre les États -Unis

L’Arkansas

,l e Texas

,l a Louisiane

,à l

excep

Page 148: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDE NT DE S ETAT S — UN IS 145

tion des paroisses de Saint-Bernard , Plaquemines ,Jefferson

,Saint-Jean-Baptiste

,Saint-Charles , Saint

Jacques,Ascension

,Assomption , Terre-Bonne , La

fourche,Sainte-Marie , Saint-Martin et Orléans , y com

pris la v i lle de la Nouvelle — O rléansLe Mississipi

,l’

A labama , la F loride , l a Géorgie ,la Caro line du Sud , la Caroline du Nord , la Virginie ,

à l’exception des quarante huit comtés compri ssous la dénomination col lective de Virginie -Occidentale

,ainsi qu e les comtés de Berkeley , Accomac,

Northampton , É lisabeth-City , York , Princ esse-Anneet Norfolk

,avec les villes de Norfolk et de Ports

mouth .

Les portions d’É tat exceptées resteront,pour le

présent , comme si cette proclamation n ’ avait pas été

pubhée .

E t , en vertu des pouvoirs et dans le but ci-dessusindiqués , j

ordonne et j e déc lare que tou tes personnesretenues comme esclaves dans les Etats ou porti onsd

É tat désignés sont libres à partir de ce j our,et que

le gouvernemen t exécutif des É tats-Unis,comprenant

les autorités militaires et navales,reconnaisse et main

tienne la liberté desdites personnes .J ’enj oins aux personne s ainsi déclarées libres de

s’abstenir de toute violence , excepté dans le cas delégitime défense , et j e leur recommande de travaillerloyalement , autant qu’elles le pourront , moyennantdes salaires raisonnables .Je déclare , de plus , et j e fai s connaître que ces

personnes , si elles se trouvent dans les conditionsA . JOUAULT . 10

Page 149: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

146 ABRAHAM L INCOLNconvenables

,seront acceptées dans le service

l ’armée des États — Uni s , pour former les garnisons desforts

,pour garder les positions

,les postes et autres

places,ainsi que pour servir à bord des navi res de

guerre de toutes sortes .

En agissant ainsi , j e cro is sincèrement accomplirun acte de justice

,rester dans les prescriptions de la

Constitution , obéir aux nécessités militaires , et j ’ invoque le j ugement réfl échi de l

’humanité et la grâce

du Tout-Puissant .

En foi de quoi , j e signe la présente de ma main ,e t j ’y fais apposer leîsceau des États-Unis .Fait en la ville de Washington

,le p remier j our

de j anv ier de l ’an de Notre— Seigneur mil hu it centsoixante-trois , et le quatre— vingt septième de l ’indépendance des États -Unis d’

Amérique .

ABRA I IAM L IN COLN .

P ar le P rés iden t,

W ILL IAM H . SEWARD .

La politi que de Lincoln tou chant l ’ émancipationmérite une attention part i culiè re , parce qu ’elle futtou t a la foi s très- l oyale et extrêmement habile . Ildéteste l ’esclavage

,mais veut rest er sur le terrain de

la tolérance et de la Constitution . Seulement,avec la

perspicacité et la sagesse d ’un véritable homme d ’

É tat ,

Page 151: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

148 ABRAHAM L INCOLNserment qui me l’avait mis en main . J ’ai compri s egalement que

,dans la pratique de mon administration

civ i le , i l m’était défendu d’ écouter mes sentiments

particuliers sur la question de l’esc lavage considéréeau point de vue moral . J ’ai déclaré cela main tes foiset en maintes circonstances , et j

affirme que j usqu ’àce j our aucun de mes actes n’a été dicté par mon jugement et mes sentiments sur cette insti tution .

Je compris cependant que mon serment de conserver la Constitution

,au mieux de mon pouvoir

,

m’

imposait également l’obligation de préserver

,par

tous les moyens indispensables , le gouvernement de

la nati on don t cette Constitut ion était la lo i organique .

Était-il possible , pour conserver l a Constitution ,de laisser périr la nation ?C’ est la loi générale qu ’ i l faille , tan t qu ’on le peut ,

protéger aussi bien les membres que le corps . Seu lement quelquefoi s on coupe un des membres poursauver le corps ; mais j amais le sage n e songera adonner sa vie pour sauver un de ses membres .

Je pense donc que des mesu res qui autrementseraient inconstitutionnelles , peuvent devenir légitimes quand elles sont indispensables au salut de lanati on . Juste ou inj uste , j ’accepte ce principe et j e leprofesse . Je ne puis admettre que j ’aurais

,au mieux

de mon pouvoir , véritablemen t tenté de sauver laConstitution , si , pour l’esclavage ou quelque autreintérêt secondaire

,j e laissai s Sombrer tout ensemble

l e gouvernement , l e pay s et l a Constitution .

Page 152: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDENT DE S É TATS —UN IS 1 49

Lorsqu’

au commencement de la guerre le général Fremont essaya une émancipation militaire , j e luidéfendis d ’en agi r ainsi parce que j e ne pensais pasque ce fût alors une nécessité indispensable .

Quand , un peu plus tard , le secrétaire de la guerre ,M . Cameron ,

suggéra l’idée d ’armer les nègres , j ecombatti s égalemen t cette idée comme inopportune .

Quand,vers l e même temps , l e général Hunter

essaya aussi une émancipation militaire , j e m’y oppo

sai de nouveau,parc e que la nécessité n’ était point

encore impérieuse .

Au contraire,en mars

,mai et j uillet 1 862

,j e fis de

chaleureux et réitérés appels aux États frontières(Border -S ta tes ) restés fidèles pour les engager à accepter l ’émancipation de leurs nègres avec indemnité ,parce que j e commençais a penser qu ’ il allai t fallo irarmer les noirs pour le succè s de l a guerre . Ces Étatsdéclinèrent ma pro position et alors j e me vis danscette alternative ou d’abandonner l’Union ,

et avec ellela Constitution

,ou de m’

emparer d’ une main ferme

de l’élémen t de couleur . En le faisant j’

espérais plusgagner que perdre , et cependant j e n

’ avais pas uneentière confiance dans ce moyen .

Une année d’ expérience est venue me rassurer .Nous n ’avons rien perdu dans l’ estime de la nat ion ,de l’armée , de l

’étranger,et nous avons gagné

soldats,marins et travailleurs . Voilà des faits pal

pables et sur lesquels , comme faits , il n’y a pas ‘a épi

loguer . Nous avons les hommes et nous n ’aurions

pas pu les avoir sans prendre la mesure . Que celu i

Page 153: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

150

qui veut le maintien de l’Union et blâme l’armementdes noirs fasse cette expérience , qu

’ i l écrive sur uneligne I l fau t domp ter la rébellion par la forcedes armes , et sur la suivante I l fau t en lever à lacau se de l

Un ion nèg res armés et les rep la

cer la où i ls sera ien t s’

i ls n’

avai en t p o in t été éman

cip és , et j e le mets au défi de tenir tête a cette vêrité

,que sans la mesure prise par le gouvernement la

cause de l’Union se trouvait compromise .

J ’aj oute un mot qui n’a poin t été prononcé dans laconversation . Le réci t qui précède n’ a point été dictépar le désir d’ être comp l imenté sur ma sagaci té . J e

n’

a i p o in t la p réten tio n d'

a vo i r g ou verné les é t én emen ts

, je con fesse au con tra ir e bien hau t q uc j ’a iété d ir igé p ar eux .

Auj ourd ’hui,après trois années de luttes

,la situa

tion n ’est plus cc que les part is ou les hommes avaientproj eté et attendu Dieu seu l revendique ses droits .Le but vers lequel i l nous mène semb le man ifeste .S ’ i l entre dans sa volonté de chasser de la terre unegrande inj usti ce ; s’ i l veu t que nous, hommes du nord ,comme vous

,hommes du sud

,nous payions chère

ment notre complicité dans le mal,l’histo ire impar

tiale n’y verra qu’une cause de plus pour reconnaîtreet bénir la j ustice et la bonté du Tout —Puissant .

A dater de l ’ émancipation des nègres les affairesprennent une face toute nouvelle . On a pu voir par la

Page 155: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

152 ARRAHAM L INCOLNgramme des radicaux

,nous verrons rapidement se

dissoudre toutes no s armées .Les amis du jeu ne N ap o léon disaient tout basqu’une grande victoire de l ’armée du Potomac permettrait a son chef de j ouer le rô le de médiateur , d’ imposer la paix aussi bien au gouvernement de Washington qu ’a celui de Richmond .

La conduite de Mac Clellan était bien faite pour just ifier de pareilles suppositions

,car non- seulement i l

considérait comme non avenus les ordres qui lu i arrivaient de Washington

,mais i l blâmait publiquement

l a politique du cabinet .Par un long ordre du j our daté du 7 octobre 1 , le chef

de l ’armée du Potomac,qui tenait tous ses pouvoirs

du président,se permit de commenter la proclama

tion présidentielle d’

affranchissement du 22 septembre de manière à faire croire que les troupes étaientmécontentes d ’ un acte qui satisfaisait au contraire lamasse de l ’armée

,composée en grande parti e d ’aboli

t ionnistes ; i l ne craigni t même pas de b l âmer indirectemen t le présiden t

,tou t en affectan t de recommander

à ses soldats la s oumission à l ’autori té civile . Lorsque des erreurs politiques sont commises

,disait-il

dans son ordre du j our,le remède doi t en être cher

ché seulement dans l’acte souverain du peuple parlan t par la vo ix du scrutin .

Le gouvernement fédéra l , plu s fort et plus résoludepuis la proclamation de Lincoln

,décida que l’armé e

1 . 1862 .

Page 156: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRES IDE NT DE S ÉTAT S — UN IS 153

désormais serait uniquement employée à son œuvre deguerre et que les chefs , même les p lus i l lu stres , n ’ interviendraient plus dans les affaires de la République .

C ’ est la seconde parti e de la lutte qui commence,la

plus glorieuse,la plu s féconde , avec Grant , Sherma n

et Sheridan,dignes adversaires de Lee

,de Beauregard

et de Johnston .

Le 5 novembre Mac Clellan , après sa proclamationintempestive

,était renvoyé dans ses foyers .

Nous laisserons le jeu ne N ap o léon ,devenu simple

citoyen , travailler au renversement du présiden t , pendant que ses successeurs luttent d’éne rgie et de talentpour le triomphe de l’Union , et nous irons voir ce quefaisait l’honnéte Lincoln a la Maison -Blanche .

A BRAH .U I LINCOLN A LA MAISON—BLANCHE

La Maison -Blanche est une h abitation très-simpl e ,très —modeste

,qui sert d ’hôtel aux présidents des E tats

Unis : véritable maison de verre où tout le mondeentre et est admis

,l ’ambassadeur et l e négociant , l e

Page 157: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

154 ABRAHAM L INCOLNsénateur et l’ouvrier , les étrangers comme les nationaux . Aussi la vie du souverain temporaire qui résidelaest-elle percée a j our .

Lincoln fut encore plus en proi e que ses prédécesseurs a l a curio sité publique ; son humble origine etla gravité de sa mission suffisent pour l’expliquer . Onconnut donc bien vite les habitudes du nouveau président qui

,du reste

,n ’avai t rien à cacher .

I l se levait a cinq heures du mat in en été,a« six

heures en hiver,et consacrait deux ou trois heures à

dépoui l l er sa vo lumineuse correspondance part iculière et à parco urir les j ournaux . A neuf h eures i l déj eûnait et se rendait ensuite au bureau de la guerre ,pour connaitre les nouvel les appor tées par le télégrapheet causer de la situation mi l itaire avec le généralHa l leck . De retour à l a Maison -B lanche

,i l appe lai t

son secrétaire auquel il dictai t les réponses à faire àcer taines lettres

,retenan t l es autres pour y répondre

lui — même .

Le mardi et le vendredi é taient les jours de consei ldes ministres . Tout le reste de la semaine

,les portes

étaient ouvertes depuis mid i a tous les visi teurs , pourla p lupart des curieux o u des so l liciteurs . Neuf surdix appartenaient à cette dernière catégorie .

Lincoln écoutait avec une bienveil lance infatigable .

Les soucis,les angoisses qui se peignaient sur sa phy

sionomie ne l ’empêchaient pas d’être tout entier à son

interlo cuteur , et de temps a autre une anecdote luirevenait , un éclair de bonne humeur j aillissait de sesyeux , accompagné d

’un é clat de ri re sonore , Sa ma

Page 159: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

156 ABRAHAM L INCOLNble envers chacun , qui sont l’ essence sinon l’euveloppe des gens bien nés .

Tout en payant largement ses devoirs au monde,

l’ exce l lent homme savait trouver des heures de libertéet dérouter la curiosité . On l e croyait à Washingtonet i l était à l ’armée du Po tomac , chez Mac Clellan o u

chez Gran t . I l partai t seu l,la nuit

, p our al ler prendredes nouvel les sur place

,si les dépêches ne l ’avaient

po int satisfait ; puis après, i l s ’

asseyait sous la tente ,entre quelques officiers , au coin du feu , écoutant lesrécits des anciens soldats du Mexique

,ou répétant aux

plus j eunes , avec sa bonhomie habituelle , une de sesanecdo tes favorites .

Ses amis les plus intimes ne lui connaissaient p asde défaut . Fumer , boire , j ouer , j urer , étaient chosesinconnues pour Lincoln qui

,loin de s’en vanter

,en

était presque honteux . Un j our en effet,dans une

so i rée où tou t le monde fumait excep té lui,quelqu’ un

fi t la remarque tout hau t que le P rés iden t n ’

ava i t pas

de v ices . Vo ilà un comp l iment douteux que vousme fai tes , observa ce derni er . J e me souviens qu’unj our , dans un théâtre en p lein vent , un homme assis àcôté de moi m’

o ffrit un cigare . Je refusai en aj outan tque j e n

avais pas de vices . Mon homme ne dit rien ,fuma quelque temps encore

,et

,quand i l eut fini ,

grogna , sans me regarder , ces paro les que j ’entends

Page 160: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDENT DE S É TATS — UN I S 157

encore J’

ai éprou vé qu e ceu x qu i n’ on t pas de

v ices on t d iablemen t p eu de ver tu s .

Lincoln étai t un homme d’esprit que ses adversairesont essayé de représenter comme un bou ffon i llet tré .

On a fai t un volume intitu lé les Ca lembreda ines duv iei l A be E st - il besoin de dire que le l ivre n ’estqu’un long mensonge

,un pamph let é lectoral I l est

certain qu ’

à la présidence comme au barreau Abrahamse souvenai t touj ours de son E s0pe et se servait avecun grand bonheur de la fable et de l’apologue , pourconfondre les indiscrets et se débarrasser des fâcheux .

Voici quelques anecdotes authentiques qui ferontbien connaitre le côté humoristique du caractère del’homme .

Un gentleman vient lui demander une passe pourRichmond . Très- bien

,répond Linco ln . Je serais

t rés— heureux de vous ob l iger si mes passes étaientrespectées

,mais le fait est

,monsieur

,que j ’ai depuis

deux ans délivré deux cent cinquante mi l le passes àmes soldats pour entrer dans la capitale des confédérés et que pas un n ’a réussi .

Page 161: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

158 A BBA I IAM L INCOLN

Pendant que Sherman préparait l ’ expédition quidevait aboutir à la prise de Port-Roya l

,sur l ’Océan

Atlantique,i l y avait grande curiosité pour apprendre

de quel côté on devait d’abo rd se diriger . Les reporters américains[et étrangers , l es curieux , les traîtresmême circonvenaient la Maison-Blanche pour recuei llir des nouvelles . Un personnage assez considérablequi se trouvait à une soirée de la Présidence importunait Linco ln d ’une manière indiscrète afin de connaitre quelque chose de la marche proj etée .

Vou lez —vous me promettre de garder le secret ?dit le président d ’un air grave .

« Sur mon honneu r , j e vous le j ure , réponditl’

importun .

Eh bien , j e vai s vous le dire .

Le présiden t prend un air mystérieux,s ’avance

près de son interlocuteur,le laisse un moment anxieux

et la bouche ouverte dans l ’attente de la fameuserévélation , et lu i souffle bruyamment à l

’orei l le,de

façon a être entendu de toute l’assemblée L ’ex

pédition est partie l’

Océan Atlantique .

Une autre fois on lui ditVoilà bien des défaites ; elle est bien dure , cette

Page 163: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

160 ABRAHAM L INCOLNEh bien ! le gouvernement por te un lourd fardeau ; il aen mains des trésors qui n ’ont pas été comptés . Sesagents font du mieux qu’ i ls peuvent

,ne les harcelez

pas . Restez silencieux et nous ferons une heureusetraversée .Cette spirituel le comparaison fut toute la réponsede Lincoln a des doléances qui duraient depuis plusd’une heure

,et les donneurs de conseils s’en allèrent

charmés et convainc us .

Voici maintenant un fermier de la Virginie qui seplain t au Prés ident de c e que les soldats de l’Union ,

en traversant la ferme,ne s ’ é taien t point content és

de prendre le foin,qu ’ i l s avaient encore mis les che

vaux en réquisition .

E h quoi ! mon cher monsieur , répliqua doucement Lincoln

,comment voulez -vous que j e pense à

de parei l les choses ? S ’

occuper de ces affaires — là ! vingtprésidents ne suffiraientL ’homme insiste Donnez-moi

,dit - i l

,seule

ment un mot de votre main pour le co lonel .Ah ! ah ! repartit Lincoln , en décroisant d ’a

bord ses grandes j ambes pour les recroiser ensuite d’unau tre cô té

,vous me rappe lez l’h istoire de Jack C hasè

de l’Illino is . C ’était le p lus habi le homme de la contrée pour conduire un radeau a travers les rapides« etentrer dro it dans le chenal . Un j our on lança sur le

Page 164: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT D E S ÉTAT S — UN IS 161

fleuve un bateau ‘a vapeur ; Jack (i l est mort maintenant

,le pauvre garçon en fut nommé capitaine .

Au premier voyage le b ateau se trouva en grand.

danger , et , dans le moment où toute la vigi lance du.

capitaine était nécessai re au sa lu t de l’ équipage e t despassagers

,un enfan t se mi t à crier

Capitaine ! Capitaine ! arrêtez , j ’ai laissé tomberma pomme dans la rivi ère .

Le fermi er,qui était un homme d ’esprit

,se mit à

rire,serra la main que lui tendait Lincoln et fit inté

rieurement le sacrifice de ses chevaux .

Quelques o fficieux trop pressés venaient souvent lu idire All ez donc plus vite , émancipez tou t de suiteles esclaves

,p rovoquez les étrangers .

Vous voulez que j’émancipe les esclaves , leur répondait-il

,mais j e suis avant tout chargé de sauver

l’

Union ; j’aime mieux sacrifier une j ambe et sauver

le corps,et quan t aux esclaves , j'y viendrai . Lorsque

j ’étais dans la forêt,j e savais b ien qu ’ i l y avai t des

torrents , mais je ne me su is j amais demandé commentj e les traverserai s avan t d’être arrivé au bord .

D ’ autres p ensaient que malgré tou t le sang verséon pouvait encore s’entendre et arriver a un comp romis Une députation de Baltimore vint dans cetesprit demander à Lincoln de traiter avec les séparat istes ; il leur répondit aussi par une histoire .

A . JOUAULT . M

Page 165: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

162 ABRAHAM L INCOLNJ’

ai connu , dit- i l , dans ma j eunesse , un charpent ier qui se vantait de faire des ponts sur tous les torrents

.Un j our

,pour se moquer de lui , on lui fi t cette

question E st — ce que vous feriez bien un pontentre la terre et l ’enfer ? Certainement , répondi t

il , j e bâtirais très—bien un pon t entre la terre etl ’enfer

,seu lement j e crois que de l’ autre côté i l n ’y a

pas de point d ’appui .

Vous me demandez , mes chers concitoyens , dej eter un pont entre les É tats-Unis et l es Etats-Goufederes

, je l e voudrais b ien , mais j e ne vois pas qu ’ i l yait de point d ’appui du côté de nos adversaires .Comme on insistait , en racontan t que Charles Ieravai t traité avec son par lement , i l répondit à celui quiavai t rappelé cet exemple h istorique 1 °

J e n ’en tends rien à l ’h istoire,c

est l ’affaire deM . Seward , mon secrétaire d ’É tat ; cependant j e cro isb ien me rappe ler que Charles Ier y a perdu la téte .

On ne manquai t pas non plus de l’entretenir de lacondui te des généraux et que lqu ’un vin t même luiconse i l ler de destituer le général Grant , le premierqu i, avec Sherman , avait ramené la victoire sous lesdrapeaux du nord .

Pourquoi l e destituer ? demanda le présidentC ’est parce qu ’il boi t beaucoup de whisky .

Page 167: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

164 ABRAHAM L IN COLNI l y a quatre -vingt— sept ans

,no s pères ont eh

fante sur ce continent une nat i on nouvelle , conçuedans la liberté e t mise sou s l’invocat ion du p rincipede l’égalité humaine . A présent nou s sommes engagésdans une grande guerre civ i le pour éprouver si cettenat ion

,si toute autre nation , ainsi conçue, ainsi con

sacrée,peut durer longtemps .

Nous sommes réunis sur un grand champ de batai l le de cette grande guerre . Nous sommes réunispour en consacrer une part au dernier repos de ceuxqui on t donné leu r v i e pour que la nation pût v ivre .

Ce la est j uste , cela est bien ; mais dans un sensp lus é levé nou s ne pouvons consacrer , nous ne pouvons sanctifier cette terre .

Les braves gens,v ivants o u morts

,qui ont com

battu ici l ’on t consacrée bien au de l à de no tre po uvo ir,

bien au delà de notre louange ou de no tre blâme .

Le monde ti endra peu de compte et se souviendra peu de temps de ce que nous disons içi ; mais i lne pourra j amai s oublier ce qu ’ il s y ont fai t .C ’est p lutô t à nous

,surv ivants

,de nous consacrer

à la grande tâche qu ’

i l s nous ont laissée,afin que ces

morts honorés nous inspiren t un dévoûment nouveaupour la cause a laque l l e ils ont donné la dernière

,la

pleine mesure de leur dévoûment,afin que nous pre

n ions ici hautement cette résolution que les morts nesont pas morts en vain

,et que le gouvernement du

peuple par le peuple et pour le peuple ne périra passur la terre .

On retrouve lesmêmes sentiments dans quelques

Page 168: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDENT D E S ÉTAT S — UN IS 165

paroles qu’

improv isa Lincoln à l’inauguration d ’une

vente de charité organisée par les dames de V Vash ing

ton,au profit de la commission chrétienne de secours

aux ma lades et aux b lessés de l ’armée fédéra le .

Laclys et Gen tlemen, j e ne veux que vous dire un

mo t . Cette guerre extraordinaire dans laque l le noussommes engagés pèse lourdement sans doute sur tou tesles classes de la so ciété

,mais plus lourdemen t encore

sur le soldat . N’est— il pas vrai que l

’homme donnerai ttout ce qu’ i l po ssède pour conserver sa vie ? O r pendant que les au tres citoyens ne con tribuent que deleur bourse au succès de la guerre

,l es so ldat s j ouen t

leur v ie et la perdent pour le sa lut de la patrie . Auxsoldats donc l es p lus hauts méri tesCette guerre si extraordinaire a donné lieu a des

élans eux-mêmes extraordinaires,comme on n ’ en

avait pas encore vu dans les guerres précédentes,et

,

parmi ces manifestations,aucune n ’ es t plus remar

quable que ces foire s organisées par les dames americaines au profit de nos soldats et de leurs fami l l es .

L’

éloge est un genre d ’

éloquence qui m’est peu

fami l i er et j e n’ ai j amais étudié l ’art de faire des compliments aux femmes , mais j e dois avouer que tou t ceque les orateurs et les poètes ont dit en l eur honneur

,

depuis la création du monde , ne suffirait point certainement pour rendre h ommage et j ustice a la conduitedes dames américa ines pendant cette triste guerre .

Que Dieu les bénisse et nous protège !

Page 169: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

66 ABRAHAM L INCOLNNous pourrions multip l i er les citations

,l es anec

dotes ; ce qui précède est assez complet pour donnerau lecteur une idée suffisante de la nature du génie deLincoln

,de son caractère

,de ses sentiments

,de ses

pensées !Ce qu ’ i l fau t surtout remarquer chez lui

,c ’est que

ses actes étaient touj ours abso lumeu t conformes à sesparoles . On se battait pour l ’ esclavage

,mais l es plu s

fougueux abolitionnistes méprisaien t profondément lesnoirs , e t dans le commerce de la vi e ces pauvres gensétaient traités comme de véritables pestiférés par lesplus éloquents défenseurs de l’ émancipation . Lesaffranchis avaient leur place a part dans les wagons

,

l es omnibus et les théâtres . Défense même leur étaitfaite d ’entrer dans les églises ou de reposer dans lescimetières

,réservés exclusivemen t à l ’usage de la race

blanche . Dans l’I llino is,l e pied d’un noir ne pouvait

fou ler le so l de l’E tat . Il s ’

exposait à être fouetté etreconduit à la fron tière . Dans d’autres E tats , s ’i l épousai t une b lanche , on le rouait de coups .

Linco ln fut l e p remier qui ouvrit les salons de laMaison—B lanche a des noirs c’ est qu ’ i l avait pourcette race déshéritée une véritable charité d’

apôtre,

mettant au service des petits comme des grands soncœur tout entier .Un exemple entre cent . M . correspondant d

un

j ourna l belge , arrive un j our chez le Président qu i lu iavait accordé une audience particulière du matin , ettrouve l’honnète Abe occupé à compter un paquet deGreenbacks , des bi l lets de un dollar .

Page 171: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

168 ABRAHAM L INCOLNAbe demandait souventPère , pourquoi donc les Indiens ha15sent — ils tant

l es hommes blancs ? E t Thomas ne savait guère querépondre , car i l sentait dans sa conscience que lahaine est la dernière arme des vaincus

,et que ces pau

vres gens défendaient a leur manière et suivan t leursmoyens ce que l ’homme a de plu s sacré

,l e so l natal .

Peup l e de chasseurs et non de pasteurs,i ls avaient

au débu t accuei l li l es blancs comme des amis . Maisquand 1’ agriculteur européen se mit à si llonner laterre du so c de sa charrue , l a chasse se réfugia dansles forêts plus épaisses et moins entamées pour senourrir

,l lndien dut suivre la chasse

,abandonner les

lieux Où i l avait accoutumé de v ivre,où reposaient les

o ssements de ses ancêtres .

Refoulés au sud-ouest a mesure q ue l a colonisations ’ avance

,les indigènes son t tombés a un degré de mi

sère qui en annonce l ’extinct ion prochaine . E n lutteperpétue l le avec les colons

,et touj ours les plus fai

b les,de temps en temps ils envoient demander j ustice

et pro tection au Présiden t des É tats —Unis .

J ’eus l ’occasion de rencontrer à Washington lesgrands chefs d ’une tribu indienne autrefois puissante

,

venus tou t exprès de leurs cantonnemen ts lointains,pour faire entendre ‘a Linco ln l eurs p laintes et leursprières . Avan t l’audience qui leur avai t été accordéeils nous racontaient leur misère

,et j ’ en étais d ’autant

plus touché qu’ i l s regrettaient le temps où la Fr ancerégnait aux rives du Saint-Lauren t et du Mississipi .introduits par un interprè te devant le Président qui

Page 172: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S ÉTAT S — UN IS 169

l eur serra afiectueu sement l a main , les Peaux-Rougesrestèrent d’abord comme émerveillés a la vue des tentures et du mobi l ier du salon , p our tant fort modeste ,Où il s étaient reçus .Après quelques instants de silence le plus agé raconta qu ’ i ls étaient venus vers leur Grand-Père pourapprendre de lui a devenir riches .

« Comme vous,disaient- ils

,nou s sommes les eu

fants du Grand—E spri t,et nous avons traversé d ’ im

menses espaces avant de pouvoir arriver j usqu ’ i ci .D ’abord nous voyagions lentemen t à chaque étapenous espérions vous rencontrer ; mais le p eup l enous répondai t Vou s a vez encor e u n long chem in .

E nfin nous vous avons trouvé et nous sommes contents . Nous voyons par tout ce qui nous entoureque vous ê tes ri che . Nous aussi

,nous l

avons é téj adis, au temps Où le Grand-E spri t nous aimait . Leso l sur lequel nous marchons appartenait autrefoisa nos pères . (lei l ’orateur frappa du pied le parque t ,et i l y avait p lus que des regrets dans son regard ony lisait le désespoir de l ’ impuissance . ) Auj ourd ’huinous sommes pauvres

,nous sommes tout a fai t pau

vres . Nous n’avons p lus rien pour garanti r nosépaules du froid . Chassés de la terre natale

,affa

mes , nous sommes venus a vous pour vou s demander de nous secourir . Le Grand— E spri t nous parlerapar la bouche de notre Grand-Père ; i l nous consei llera . Tachez que nous ne restions pas p lus longtemps pauvres

,et que nous devenions riches comme

les blancs . .

Page 173: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 70 ABRAHAM L IN COLNToutes les fois que revenait l e mot pau vre dansce discours empreint de regrets si amers , i l avait ledon d ’

exciter l e rire de que lques gen t lem en de l ’assistance

,gens riches ou enrich i s sans doute

,mais assu

rément sans cœur .

L’

honnéte Abe s’en était aperçu , et , avant de répondre aux ma lheureux qui imploraient son secourset sa protection

,i l rappela avec beau coup d ’

à propos,

à l ’adresse des rieurs,ce que disait Washington au

suj et des IndiensNous sommes plus écl airés et plus puissants

qu'

eux,i l est de no tre honneur de les trai ter avec

bon té et générosité .

Puis,s ’adressant aux grands chefs

,i l p romit de

veiller sur leur tribu,de la protéger

,de la défendre

contre les agressions inj ustes . Mais , aj outa— b i],

pour sortir de la pauvreté,i l fau t , au lieu de de

mander exc lusivement à la chasse vo s moyens d’

exis

tence , vous mettre à cultiver la terre ,deveni r

bate l iers,ch arpenti ers

,meuniers maçons

,travail

« l eurs en un mot,comme j ’ai fait moi-méme , mo i

que vous appelez auj ourd ’hui votre Grand-Père etqu ’a protégé le Grand-E spri t .L

’in terprète traduisi t aux Peaux-Rouges les paroles

du Président . Les comprirent— i ls bien ? Je l ’ignore .

Tou t ce que j e pui s dire,c ’ est que j e les vis l e soir

même quitter W ashington pour retourner dans leurtribu après avoir reçu de Lincoln

,sur ses fonds par

t icu liers,l’ argen t nécessaire a leu h voyage .

Lincoln pourtant é tait loin d’être ri che . Presqu e

Page 175: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 72 ABRAHAM L IN COLNl e président du sénat

,M . Foster , qui m ’avai t gra

cieusement offert de me servir de guide dans cettecirconstance . Avec un pareil introducteur j ’ aurais pupeut-être passer par une por te réservée . Mais i l aimamieux me faire prendre le chemin de tout l e monde

,

et nous restâmes deux heures a faire queue dans lej ardin de la Maison -Blanche

,au milieu d’une foule

immense qu ’avai t peine à contenir une doub le haie deso ldats . J e passai a mon tour devant le Présiden t quiéchangea a mon suj et avec M . Foster quelques motsde présentation

,que j e n ’ ai poin t retenu s tant j ’ étai s

étourdi par le brui t d ’

unemusique criarde ; pu is le fluxdes v i siteurs nous poussa

,et nous a l lâmes nous per

dre dans la foule qui nous avai t précédés .Non-seulemen t Lincoln se prêtait de bonne grâce à cespénib les exigences , mais i l y trouvai t plai sir et profi t .J e veux rester

,disait -i l , le représentan t du peu

ple,et ne pas devenir un personnage officiel , qui

ne sai t rien que d’

officiel . E n me mettan t en contac t avec tous

,j e respire le m ême ai r que ce peuple

qui m’

entoure ; i l m’ est p lus faci l e de me souvenir

que j ’en sui s sorti et que , dans deux ou trois an« nées

,j e doi s y ren trer J

appelle cela m on ba in

d'

op in ion p u bliqu e . !

Pourquoi faut-i l dire ici qu ’on abusa quelquefoisodi eusement de la facilité avec laquelle Lincoln selaissait aborder ? Certains j ourna l istes surtout j ouèrentun assez triste rôle et ne recherchaient l’honneurd ’être présentés au Président de la République quepour avoir le prétexte de faire rire à ses dépens dans

Page 176: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS ID ENT DE S ÉTAT S — UN IS 1 73

l eurs correswndances . On remp l irait un volumeavec les anecdotes et les récits forgés par lesreporters étrangers et américains qui furent reçusà la Maison-Blanche . Si le p lus grand nombre a surendre à Lincoln et aux siens l’hommage que meritaient leurs vertus , i l est regret lable de constater qued ’autres se sont plu a accab ler le Présiden t d ’

epigrammes de mauvais goût , et n

’ont même pas craintd’a l ler j usqu’à calomnier sa famille .

Mais ne rappelons pas ces souvenirs effacés . Letemps a fai t j u sti ce des ch roniques inspirées autrefois par la haine po l itique et l e nom d

Abraham

Linco ln n ’ a plus besoin d ’être défendu contre leridicule

,encore moins con tre la calomnie l .

Le président se trouvait placé,au sein même des

É tats restés fidèles à l ’union , entre deux factions v iolentes (les démocra tes e t les rép u blica ins rad icau x)qui sur chaque questi on réc lamaient des solutionsdifférentes .Toutes les mesures qu I l prit devaient au début

diviser le n ord et trou bler le p ays . On disait ce la desbons du Trésor , de la suppression de l

H abeas corpu s ,de la proclamation d’émancipation , de l

’ emplo i desnègres comme so ldats dans l ’armée .

Il n ’en fut rien . Les faits justifièrent l a sagesse des

1 . Duvergier de Hauranne .

Page 177: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 74 ABRAHAM L IN COLNmesures prises par le président , et bientôt toutes furentacceptées comme des armes de guerre indispensablesau salut public .

I l est assez curieux de passer auj ourd’hui en revueles charges dont on accablait Lincoln .

D ’ un côté on le trouvait trop conservateur , de l ’autre trop radical . Les conservateurs l’accusaient defaire la guerre pour dé truire l’esclavage ; l es radicauxle dénonçaient comme ne faisant rien ou p eu de chosep our la liberté . Un parti le traitait de tyran et d ’usurpateur ; l

’autre se p laignait de la douceur du gouvernement pour les traîtres et tous ceux qui sympathisaient avec les rebel les . D ’après ceux- ci i l allait tropvite ; suivant ceux-là trop lentement . Beaucoup maudissaient ses tendances b e l l iqueuses quelques-uns

,au

con traire,déploraien t ses dispositions pacifiques . Pour

certains,ses réso lutions despo tiques mettaient en péri l

la liberté américaine , d’au tres voyaien t l e péril dans

l a faiblesse de l’ autorité .

Toutes ces opinions finirent par se rallier à la politique de Lincoln qui , au j our où nous sommes arrivés ,en 1 864

,avait su se conduire , à travers la tempête de

passions qui faisait rage autour de lui,de façon à

gagner les suffrages de tous .A ce moment tous les j ournaux ne parlen t du pré

s ident qu’ avec respect ; les so ldats l’aimen t et l ’honorent ; dans le monde , i l n

’est personne , quelles queso ient son opinion politique , ses vues sur l’origine , laconduite et la marche de la guerre

,qui ne conv1enne

très—franchement que Lincoln s’est montré à la hau

Page 179: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

176 A E RA I IAM L INCOLNde l ’infanterie de marine servirent dans la flotte

,sans

comp ter les ouvriers et les autres employés dans leschantiers et les arsenaux . Au 5 décembre 1 864

,la

marine de guerre des E tats-Unis comptait 559 steamers

,dont 71 cuirassé s , et 112 navires à voiles

total,671 .

Si l ’on se rappe l le combien était précaire , en 1 861 ,la situation du gouvernement fédéral , on comprendraavec quel élan la nation dut répondre aux appelssuccessifs adressés par le président aux différentsE tats restés fidèles à l’Union .

Un des derniers historiens de la guerre civi le enAmérique compare la rapidi té avec laquel le les bataillons de vo lontaires furent recrutés

,rassemblés

et organisés dans le Nord,a ces l ég ions de sque lettes

que la Bible nous montre,dans une plaine déser te et

silencieuse où g isent épars et desséchés des ossements innombrables , se levan t soudain et prenantfigure et vie a la voix du prophète E zéchiel .Certes l ’ image es t poétique ; à distance , l a créationsoudaine de ces grandes armées américaines peutsembler tenir du miracle ; quand o n a vu les chosesde près

,i l en faut un peu rabattre . L’é tranger qui

assistait sur place au recrutemen t de l ’armée américaine , avait sous les yeux un spectacle étrange où lagrandeur du but disparaissait sous le ridi cu le desmoyens . La mise en scène était grotesque

,et der

Page 180: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDENT DE S ÉTATS-UN IS 1 77

rière la coulisse i l se passait so uvent les trafics lesmoins avouables . C ’est que

,si le patrioti sme était im

mense,i l y avai t encore en j eu d ’au tres sen timents ,

l ’ambition,la vanité

,la spéculation ; et l’ esprit pra

tique et calculateur de l’Américain ne perdit rien deson ingéniosité au milieu des dangers de la nation .

L’armée américaine,aussi nationale par sa compo

sitiou que par son esprit,e t qui représentait dans

une juste proportion les divers é léments de la population

,n ’eut aucune analogie avec nos armées euro

péennes , ni même avec la petite armée permanentedes E tats-Unis .Le Congrès vot ait ou le président pro clamait

,en

vertu de pouvoirs extraordinaires,une levée de

de de hommes . Ce la fait,l ’autorité

fédérale n’

intervenait p as dans l e recrutemen t etn’ avait qu ’à recevoir les régiments réunis dans lesdivers E tats , selon la quote-part qui leur était assignée . Dans les E tats particu l iers , l e gouverneur faisaitla répartition entre les différentes cités et laissait àl ’initiative individuelle le soin de fourn ir le contingentdemandé 1 .

'1 . L’

initiat ive individuelle cherchait parfo is à s’affran

chir du faib le contrôle de s au to rités de l ’É tat . Certains co rp s

fu rent offerts d irectement au prés ident par ceux qu i les

avaient levés . Te l le fut la brigade dite E œce lszor composée dec inq rég iments levés en qu el qu es s emaines à New- Y o rk par u nanc ien d ip lomate ,

M . S ick1e . Le gouverneur de l ’E tat ins ist ait pou r la faire entrer dans son contingent . M . S ick le , p ours e s ou s traire à s on autor ité , fit l ’appe l de la brigade su r les

glacis d ’

un fort soum is à la juridiction fédérale et partit au ss itôt après p o u r Washingto n . La quere l le dura longtemp s ,mais enfin des réc lamations unanimes décidèrent Linco ln à

A . JOUAULT .

Page 181: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

ABRAHAM L INCOLN

M . le lieutenant-colonel Ferri Pisani , qu i voyageaitaux États-Unis en 1862

,a tracé de la formation des

corps de volontaires au début de la guerre un tableauvivant et d’une parfaite exactitude qu ’on ne lira passans intérêt et qui me paraît indispensable pour biense rendre compte de l ’état de la société américainesous la présidence d

Abraham Lincoln .

A peine,dit M . Pisani , le congrès a— t -ii décrété les

premières levées, que des milliers de citoyens , sans

autre mandat que leur confiance plus o u moins j ustifiée en eux-mêmes et en leur notoriété présumée

,

se sont partagé,à leur profit

,bien entendu

,l ’im

mense travail du recrutement , de la fo rmation descorps et des cadres

,l aissant le gouvernement assister

,

l es bras cro isés,à ce singulier spectacle d ’une armée

qui s’ organise elle-même,et attendre tranqui l lement

qu’ on la lui remit tou te faite entre les mains .L’un a fait appel a tous ceux qui voulaient de lui

pour capitaine et a levé une compagnie ; l’autre s’est

intitulé colonel et a levé un régiment . Quelques-uns

incorporer ces troupes indépendantes dans les contingentsparticu l iers des E tats où e l les avaien t été levées ce n

’étaitqu e j u stice , car si e l les n

’avaient pas été comprises dans laqu o te —

part de chacun de ces E tats , leu r concurrence auraitélevé la pr ime d

engagement, diminu é le nombre d ’hommes

disponib les et hâté a ins i le moment où '

la conscr iption seraitdevenu e nécessa ire . Mais , lorsque cette question fu t tranchée ,la br igade Eœeels io r avait déj à é té rédu ite de mo itié par le feude l'ennemi et les fatigues de la guerre . (C om te de P ar is . )

Page 183: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

180 A E RAHAM L IN COLNchaque citoven . Un emprunt étant autorisé par le schambres

,le gouvernement en faisai t connaître les

conditions à un certain nombre de grands banquiers,

qui fo rtifiaient l e crédit de l’É tat de leur propre crédit ,entraînaient les souscripteurs , plaçaient l eurs titres ,et apportaient au ministre des finances prêt a le recevo ir de leurs mains le montan t de l ’emprunt couver t en totalité

Aux Etat s -Unis , l e crédit militaire et moral d ’uncer tain nombre de parti cu l iers s ’ est interposé entrel’

Etat et l a masse de la population , et a été l e levierqui a fai t surgir

,presque tout a coup

,une armée mé

dioere si on veut , mais enfin une armée nombreuse ,qui avec le temps peu t devenir excel lente .

Nature l lement un parei l mouvement,pénétrant

j usque dans les profondeurs de la so ciété américain eoù tan t de choses son t à rebours de ce qui se voi t dansl a v ieille E urope , a dû se traduire par les excentricités les plus singu l i ères .

N ous avons en ce moment,à New — York

,le spec

tac le extraordinaire de l ’opération du recrutement enplein exercice . Le grand Barnum est l e modè le et lemaitre de tous les citoyens qui aspirent à vengerl ’honneur du drapeau fédéral , sous le titre et avec lesappointemen ts de capitaine

,de colonel et de général .

Le génie de la réClame,mis au service de la patrie ,

s ’é lève a des hauteurs incommensurables .

La brigade dite E xce ls ior , une des premières formées , et qui est véritablement fort belle , a eud ’abord son

Page 184: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S ETAT S UN IS 181

magnifique maison couverte d’affiches et de drapeaux .

Un peuple immense se pressait devant le gigan tesquebalcon chargé d’

emblèmes guerriers , du mi l i eu desque l s un orchestre mili taire versait su r la fou le destorrents d ’harmonie . Puis par intervalle

,un discours

patriotique venait mettre le . comble a l’enthousiasmeexcité par la musique et par la vue des drapeaux etdes trophées . Alors un mouvement se propageai t dansla foule

,et sous la main étendue de l ’orateur

,geste

traditionnel accompagné d ’une formule analogue à laformule fameuse S u ivez le m onde des flots de peuple envahissaien t l es sa l les et couvraient de signaturesles registres de recrutement . E n général

,chaque

corps en formation à New-York a un bureau de recrutement dans Broadway , et , en ou tre , une ten te oùl’on reçoi t l es engagements , sur la place de l’Hôtelde-Ville . Ces tentes forment un petit camp

,au milieu

duquel circule une fou le curieuse et grave ; car toutse fait gravement aux Etats -Unis

,comme cela se fai t

en riant en France .

I l est certain que si le sp ectacle d ’un camp pareilétait exposé sur la p lace de la Basti l le

,la gaîté e t l 'i

romi e de nos ouvriers des faubourgs auraient pours’ exercer d’

inépu isables suj ets . Ce qu ’i l y a de plaisant

,c’est le contraste entre le sérieux imperturbable

des recruteurs et des recrutés , et l e style et la formeet les dessins des réclames , réclames qu

’on n ’aurai t

qu’

à transporter dans un de nos petits théâtres poursoulever l’hilarité générale . Ces affiches représententpour la plupart un soldat de l

Union exterminant des

Page 185: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 82 ABRAHAM L IN COLNennemis . Au - dessou s vient un appel patriotique

,

adroitement mêlé à l’énumérat ion des t itres parti enhers que le chef de corps et son régiment croientavoir à la confiance publique Par exemp le :A t ten t ion !j eu n es gens qu i vou lez venger la pa tr ie ! O i l trou ver ez-vou s u n rég im en t qu i l

emp or te su r celu i des

chasseu rs de L in co ln ou des zou aves de N ew-Y o rk ?T ou s les offic iers y son tversés dans l

ar tde la gu erre

le co lonel sera u n gradé de lVes t— P o in t , etc . Souventle citoyen qui lève le régiment ne prend que la position de lieutenant- colonel

,lai ssan t l ’emplo i de colonel

inoccupé, afin d’attirer le public par l’ espoir de le

voir rempli par un gradé de West—Point , c’ est -à—dire

par un officier de l’armée permanente,élève de

l ’ école mi l itaire ; promesse séduisan te dont l’effet surles masses prouve qu’ e l l es son t animées , au fond ,d ’un vrai bon sens et d ’un certain instinct militaire .

Puis vient le détai l des avantages assurés par laRépub l ique a l’engagé 60 francs par mois , des vivresen abondance

,de bons uniformes et un lot de terrain

a l’ expiration du temps de servi ce .

Les parties capitales de la réclame sont presquetouj ours signalées à l ’attention du public par

'

une

main,un doigt étendu

,comme on en figure sur les

poteaux des routes . J ’ai vu de pauvres Irlandaisaffamés dévorer des yeux des affiches gigantesques ,fascinés qu’ i l s étaient par des mains diaboliques , aubout desquel les se trouvait l’énumération complète descomestibles dont se compose la ration , pain , vin ,viande

,légumes

,bière

,etc . I l faut croire qu ’ il y a eu

Page 187: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

184 ABBA I IAM L INCOLNJ ’ai cru qu ’ i l était intéressant de montrer au lecteurcomment s ’étaient formées ces grandes armées

,dont

la victoire a été sur le continent du nouveau mondele triomphe de la j ustice et de la liberté . La place etla compétence me manquent pour parler de cetteformidable guerre au poin t de vue purement militaire . Je n ’accepte pas toutefois l e j ugement qu ’ enporte un h istorien que j ’ai déj à cité dans ce chapitre

,

M . le comte de Pari s .Le récit détail lé de ces campagnes

,dit cet écriva in

,

offre une sui te de petits événements que rien nesemble rattacher entre eux

,et qui parait longue et

monotone . Cette guerre,par bien des côtés , rappelle

celles du Moyen-Age,où de petites armées avancent

et reculen t sans cesse l ’ une devant l ’autre,se perden t

souvent de vue , pour se rencontrer en un j our debatai l le

,et se dispersent le lendemain ,

fau te de moyensde subsistance

,guerre faite non —seulement par l’armée

,

mais par de vrais amateurs qui conserven t tou te leurindépendance individuelle ; guerre a laquelle toute lapopu lation

,divisée par des pouvoirs hostiles

,prend une

part act ive,e t qui

,par conséquent

,offre un champ

plus large que toute autre guerre aux violences,aux

pill ages e t aux crimes .

C ’est la,i l me semble

,une vue de la lutte prise de

trop près . Si en effet , au premier abord , l a g randeurdu territoire

,l e chaos des dates , des chiff res , des

noms d ’hommes et de lieux , les marches e t les contremarches des armées qui se disputent l’ espace comprisentre R ichmond et Washing ton

,font croire que tout

Page 188: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRES IDE NT D E S ETATS UN IS 185

est confusion dans cet immense conflit , i l n’ en est

rien en réalité . Tout au contraire , les événements decette guerre offrent dans leur succession un caractèrede logique et de s implicité , qui se retrouve en bienpeti t nombre dans d ’autres guerres

,et qui serait

vraiment merveilleux,si la lutte n’ avait été au fond

qu ’ un choc entre deux principes .

E ssayons donc de résumer en quelques pages quatreannées de batai l les et de montrer comme en un tableau synop tique les grandes lignes de ce tte gigantesque lutte .

E t d ’abord deux mo ts sur l e théâtre de la guerre .

Les Etats—Unis formen t une immense vallée,ce l l e

du Mississipi,encadrée par deux vastes terrasses

,

l ’une qui regarde l ’Océan Pacifique (Montagnes Rocheuses) , l

’autre qui incline vers l’Océan Atlantique(Monts Alleghanys) . C’ est surtout dans la vallée duMississipi et sur la terrasse qui regarde l’E u rope quela vi e se concentre ; l

‘a sera le théâtre de la guerre quise divise en trois zones .

La première,située au nord de l’Ohio

, quela guerre

n’

envahit pas , fourni t ses enfan ts à l’armée et fabrique , trafique , spécule pour subvenir aux besoins descombattants .La seconde 5 etend sur la rive droite du Mississipiet comprend les pays le plus récemmen t conqui so u colonisés . C ’est la guerre de partisans qui s’y fait

Page 189: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 86 ABRAHAM L IN COLNguerre irrégulière , sanguinaire ,

presque sauvage,

mais sans influence sur l’ ensemble des opérationsmilitaires .

Le véritable champ de bataille a pour limites aunord l’Ohio et le Potomac , a l ’ouest le Mississipi ,depuis Cairo j usqu ’à la Nouvelle—Or léans

,au sud le

golfe du Mexique,et à l ’est l’O céan Atlantique depuis

la pointe de la Floride j usqu ’ à la baie de la Chesapeake un cinquième env iron des Etats —Unis .

Les Etats fédéraux occupaient l a parti e supérieurede cette immense terrasse qui , depuis l a chaîne desAlleghanys

,va en s

abaissant du côté de la mer eten s

élargissant du côté du sud . Ils tenaien t aussi lebassin supérieur du Mississipi et de ses plus grandsaffluents

,le Missouri sur la rive dro ite

,l’

Ohio,le Ten

nessee sur la rive gauche .

Les É tats confédérés occupaient l ’embouchure duMississipi

,et une grande partie du cours du fleuve

(Texas , Louisiane , et Arkansas sur la rive dro ite ;Mississipi et Tennessee sur l’autre ) . I ls fermaient toutecommunication avec la mer aux riches pays de l ’ouest .I ls po ssédaient de larges plaines qui s’épainou issentau sud-est de la chaîne des Alleghanys (Al abama,Géorgie

,Floride

,l es deux Carolines

,une partie de la

Virginie) et avaient une longue étendue de côtes ,mais de côtes plates

,moins favorables aux ports et ‘a

la navigation que le s côtes profondément déchiréesdu nord .

E ntre le nord et le sud se trouvait le groupe desÉtats du centre qu’ on appe lait États frontières (Border

Page 191: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

1 88 ABRA I IAM L INCOLNLe gouvernement fédéral comprit alors qu’avantd ’entrer sérieusemen t en campagne

,il devait orga

h iser ses troupes et mettre a leur tête,non plus des

officiers improvisés,mais de véritab les hommes de

guerre formés dans la carrière des armes ; que , pourobtenir l e succès dans une grande lutte

,de nom

breux soldats ne suffisen t pas, qu ’ i l fau t les instruire ,l es discip l iner

,l es aguerri r .

Les deux armées rivales restent donc en présen cependant neuf mois , sans sortir des positions respect ives que l eur avait fai tes la batai l le du Bu l l Run .

Mac C lellan o rganise les forces fédérales assembléessur ce point

,et qui portent l e nom d ’armée du P o

tom ac . I l exerce ses troupes,les soumet à une disci

pline sévère,puis prenant R i chmond pour obj ect if, i l

marche sur York-Town,que l es confédérés évacuent

après l ’y avoi r retenu un long mois . Il les j o int et lesbat à W i l l iamsburg (5 mai mais un combat desept j ours sur les rives du Chikahominy lui ferme lechemin de Ri chmond (23 - 30 j uin ) , l

’ oblige à transporter ses troupes sur le James R iver , e t , deux moisaprès (30 août) , une seconde bataille du Bul l Run ,perdue par le général Pope contre le général Lee ,remit les choses a peu près dans l’état où e l les étaientdix— huit mois auparavant .Les confédérés semblent alors vouloir prendre une offensive résolue ; le général Lee entre dans le Marylandet menace à la fois Washington

,Baltimore et les v illes

industrielles de la Pensylvanie méridionale . Le prés ident Lincoln

,lo in de s e laisser abattre

, ordonné la

Page 192: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDE NT D E S ÉTAT S —UN IS 1 89

levée de nouvelles armées,et la sanglante bataille

d’

Ant ietam,gagnée par Mac Clellan

,dégage le Mary

land et sauve la capitale .Après cette victoire le gouvernement voulu t presserla guerre du côté de R i chmond Mac Clellan restaitdans l’ inact ion .

Le président l e destitua et remit le commandementde l’armée du Potomac a Burnside , lui ordonnantd ’al ler cherch er l ’ennemi qu ’ i l trouva sur le Rappahanock .

La j ournée de Frederiksburg , vivement disputée(18 décembre fut une éc latante défai te pourles fédéraux

,qui perdirent encore une fois le fruit de

tous leurs efforts précédents .

A insi,pendant l ’année 1 862 , l ’armée du Potomac

avait é té plus souvent battue que vi ctorieuse,et rien

n’

eû t pu faire espérer une fin heurense de cette grandelutte

,si les opérati ons m i l itaires avaient été circons

crites dans les champs de bataille de la Virginie .

En 1863 , après l emancipation des nègres , l e cabinet de Wash ington a des vues plus fixes sur laguerre et son issue . On s’aperçoit que

,pour triompher

du Sud,i l fau t l’étreindre par un vaste blo cus

,ré

server la prise de Ri chmond pour l e coup décisif etne demander aux armées du Potomac que de defeudre la ligne qui couvre Washington contre l ’attaquedes confédérés .

Page 193: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

190 ABRA'HAM L IN COLNLe succès final dépendra d ’autres opérations .La Virginie occidentale

,l e Kentucky , l e Tennessee ,

c ’est— à—dire les Etats frontières , tombent sous la maindes fédéraux

,grâce aux victoires des généraux Halleck

Fremont,Grant

,etc .

Par sa marine,le Nord enveloppe les côtes de l’A

tlantique et du golfe de Mexique ; i l bl oque tous lesports du Sud , fai t d’

heu reuses expéditions au capHatteras

,et à Port—Royal

,occupe Beaufort afin de

rendre le blocus plus effectif et d’ empêcher,en échange

des exportations de coton,l ’ introduction des secours

étrangers .

Mais la clef de la s ituation était sur le Mississipi .Les troupes fédérales avaient pris pour base de leursopérations Cairo (Illino is) , au confluent de l’Ohio etdu Mississipi ; et , d

’après les ordres du ministère , onéquipait sur ce point une flotte formidable de canonnières .

Les confédérés étaient maitres de tout le cours dufleuve j usqu ’à quelques kilomètres de cette mêmeplace en ava l .Les opérations combinées de Grant , de Butler , deBanks et du commodore Farragut amènent la chutesuccessive de Memphis , de la Nouvelle-O rléans , deVicksburg . Cette dernière plac e succombe le 4 j uillet 1863

,Port—Hudson se rend le 8 les Unionistes sontmaîtres de tout l e Cours du Mississipi depuis sa sourcej usqu ’ à ses embouchures

,et la confédération se trouve

par le fait coupée en deux parties incapables dès lorsde se rendre l ’une ‘a l’autre aucun service efficace .

Page 195: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

192 ABRAHAM L INCOLNLe 13 juillet i l écrivit au vainqueur de Wicksb urg

Mon cher Général ,Je ne crois pas avoir j amais eu l

honneur de vousrencontrer et j e vous . écris ces lignes pour vousdire combien j e vous suis reconnaissant des serv ices que vous avez rendus a notre pays . J ’espéraisbien , en vous voyant appro cher de Vicksburg , quele succès final couronnerait votre entreprise , a enj uger d’ après vo s premières opérations . Toutefois

,

lorsque vous ê tes descendu et avez pris le fortGibson

,Grand -Gulf et les environs j e pensais que

vous descendriez la rivière pour j o indre le généralBanks ; et lo rsque vous avez donné au nord , àl’ est de Big -B lack

,j e craignais que ce ne fût une

faute . Auj ourd ’hui,j e me plais à reconnaître que

vous aviez raison et que j ’avais tort .

Au moment où Vicksburg tombait au pouvoir desfédéraux

,ceux— ci étaient également vainqueurs du

côté de l’A tlantique .

Le général Meade sauvait Washington du plus grandpéri l que la capitale eût encore couru depui s le commencement de la guerre

,en chassant des hauteurs de

Get tysbu rg l e général Lee , qui étai t forcé de battre enSpr ingfield avec ses hommes , entrait chez l ’adjudant- générale t peu de temps après était nommé co lone l du 21° de l ’I llino is . A u mo is d

aoû t 1861 , il fu t p romu par le prés ident Linco ln au grade de br igadier-généra l . I l devait commander le

dis trict de Cairo ( I l lino is ) .

Page 196: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS ID ENT “

DE S ÉTATS — UN IS 1 93

retraite après avoir de nouveau envahi le Maryland,et

de laisser sur le champ de batai l l e dix mille prisonniers et sept mil le b lessés .

Le j our qui suiv it cette batai l le,et pendant lequel la

nouvel le de la v i ctoire se répandit dans tous les étatsdu nord , était précisémen t le 4 j ui l let . Par une singulière coincidence , bien faite pour frapper les populat ions a esc lav es , c ’est éga lemen t l e 4 j ui l let , alorsque toutes les v i l les de l ’Union cé lébraient avec erithousiasme la grande fête nationale et l e triomphe dugénéral Meade , que Vicksburg , le bou levard de laconfédération rebe l le sur le Mississipi , ouvrait sesportes au général Grant .

Ainsi la cause de l ’Union remportait en mêmetemps une grande v i c toire sur chacun des deuxpoints les p lus importan ts de l ’ immense territoire dispu té . A l ’est des Al leghanys , l ’armée du Po tomac dégageait Wash ington et reprenait l ’offensive ; a l ’ ouest ,dans la va l lée du Mississipi

,les so ldats de Gran t rou

vraient aux vaisseaux du Nord le cours du fl euve ,l’artère centra le du continent . Désormais

, dit M . E li

sée Reclus , on considéra le Cap des tempêtes commedéfinit ivement doub lé , on sen tit qu ’en dépi t de toutesles v i cissitudes et de tous les ma lheurs tenus enréserve par l ’ avenir , le sort de la na tion ne serait p lusexposés aux hasard des combats et que les dernièresj ournées , les p lus sanglantes de la guerre , avaien t étév raimen t le paroxysme de la crise qui depuis deux années déj à mettait en péri l le salut de la Répub l ique .

Par une proclamation du 15 j ui l let Linco ln fixa un13

Page 197: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

194 A BRAHAM L IN COLNj our de prières nationa les e t d’actions de grâces pourremercier Dieu des succès qu’ on venait d’ obtenir .E lle étai t ainsi conçue

PROCLAMAT ION

Le Dieu Tout—Puissant a daigné prêter l ’oreille auxsupp l i cations et aux prières d ’un peuple affligé etdonner

,sur terre et sur mer , à l ’armée et a la flotte

des Etats — Unis d’

assez fécondes et éc latantes v ictoirespour augmenter no tre confiance dans l e succès final

,

et nous permettre de ne pas espérer sans fondementque l ’union de ces Etats sera maintenue et leur const it ut ion préservée , que la paix et la prospérité netarderont pas a renaître . Mais

,pour prix de ces vic

t oires , de braves et loyaux ci toyens ont immo lé a lapatrie leur v ie , leurs membres , leur l iberté , et le deuils ’est étendu sur presque toutes les familles du pays

,

a la suite de si terrib les sacrifices . Dans ces victoireset dans ces deui ls i l est convenab le et j uste de reconnaître et de confesser la main touj ours présente duPère Tou t-Puissant .Qu ’ i l soit donc auj ourd ’hu i connu que j ’ai réservé

le j eudi , sixième j our du mois d ’aoû t prochain,pour

être observé comme un j our d ’actions de grâces nat ionales

,de louanges e t de prières ; que j ’ invite le peu

ple des Etats— Unis as ’

assembler a cette occasion dansl es lieux accou tumés où se pratiquen t l es différentscultes re l igieux

,afin que

forme approuvée par sa

Page 199: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

196 ABRAHAM L INCOLNet se résumait en un mot : P ou r faire le bien et

remp lir ton devo ir , a ide- to i , le ciel t’

aidera .

En somme , si les succès obtenus donnaient d e légitimes espérances , il restait encore a porter le derniercoup , et c

’est souvent le plus difficile . LeNord était vi ctorieux, mais i l n

’ était pas le maître ; pour le devenirentièrement , pour subj uguer l e S ud et mettre fin àla sécession , i l fa l lait plus d ’une sanglante bataille etun ensemble d

'Opérat ions

a la hauteur du génie desplus grands capitaines .

J ’ai dit que nulle guerre n ’avait été plus logiquedans la conduite générale de ses mu l tip les opérationsles campagnes qui vont achever l ’œuvre nous endonneront la meilleure des preuves .

Au poin t où en sont les choses , après la Chutede Vi cksburg , le Nord n

’a plus qu’

à garder les positions conquises sur l’A t lant ique , le golfe du Mexique etl e Mississipi , dans l es E tats du centre et ceux del ’ouest . Tout c e qu i restera de troupes disponiblesp ourra ê tre concentré sur Richmond .

Grant a été placé à la tête de l ’ armée du Po tomacet

,ne voulant pas ri squer son armée sur le théâtre

malheureux où Mac Clellan avait perdu la moitié dela sienne deux années auparavant , i l arrive , par d’habiles manœuvres qu’ i l effectua sans être inquiété , àplacer ses tro upes dans le vaste camp retranché que

Page 200: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDE NT D E S ÉTAT S -UN I S 19 7

forme la Péninsule compris e entre la riv1ere Jameget l’Appomattox .

Là, sans inquiétude pour ses opérations et ses renforts , qui lui arrivent désormai s tous les j ours par larivière James

,le général Grant j ouit d’une complète

liberté de mouvements et n ’a plus à craindre d ’ êtretourné par l ’ennemi . Il p eut s’o ccuper uniquementdu siège .

L ’espace que défendent Lee et Beauregard , et danslequel on peu t dire que la confédération j oue sa fortune , ne se compose pas de la seule vi l le de Ri chmond ; ell e comprend aussi Petersburg et un ch eminde fer qui réunit l es deux cités . L’ensemble des rét ranchement s forme en réali té une énorme citadelle

,

don t le front, long de 40 ki lomètres , offre de fo rmidables ouvrages . Derrière ces fortifications

,une voie

ferrée peut , en quelques heures , t ransporter la garnison sur tous les po ints menacés .

Ce sont là les retranchements que Grant,solidement

retranché lui-même , cherche à percer sur un pointo u sur un au tre

,afin d ’i soler Ri chmond de ses com

municat ions avec le Sud e t d’ en faire une simple enclave des É tats libres

,destinée à tomber tô t ou tard

,

et par la force même des choses,au pouvoi r des

fédéraux .

Malgré tou te la ténacité de Grant et les forces nouvel les mises à sa disposition

,l e gouvernemen t de

Lincoln comprit toutefois que la capitale des confé

deres ne tomberait peut—ê tre j amai s si on l ’at taquait

Page 201: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

198 A BBAHAM L INCOLNseulement par la Virgini e ou en venant par mer ; qu ’i lfa l lai t pénétrer au cœur des É ta ts rebe l les et coupertoutes leurs commun i cations .

Pendan t donc que Grant prenait le commandementde l ’armée du Po tomac

,Sherman partait du Ten

h essee , dont la conquê te avai t été achevée par la bat ai l le de Chattanooga (27 , 28 et 29 novembreAvec hommes et 250 pièces de canon , i l s edirigeai t vers les mon tagnes , après avoi r réuni àNashv i l le une grande quantité d’

approvis ionnements ; puis ,g râce a des marches hab iles , fai sait tomber les redou tab les positi ons du défi lé repoussantsans cesse les confédérés

,tournant les obstacles qu’ i l

ne pouvai t renverser,et débouchan t enfin de l ’autre

cô té des Al leghanys pour al ler mettre le siège devantla forte place d ’

A tlanta,où l ’ ennemi s ’était retranché .

Le moment é tait déc isi f. Non — seu l emen t le Nordavait vaincu , mais i l avai t su pro fi ter de ses v ictoires .De la marche de Sherman a travers la Géorgie dép endai t le sor t définitif de la guerre Lincoln voyaitle succès cer tain . Que lui fal lai t— il ? du temps, quelques mois . Mais son mandat a l lait expirer ; le 2 novembre ,

l e scrutin devait décider si le peuple loyal desE tats-Unis serai t en maj orité pour laisser aux mainsde l

honnê te Abe les dest inées de la Républiqueaméricaine .

Page 203: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

200 ABBA I IAM L INCOLNchaque scrutin sort ou un avertissement, ou un blâme ,o u une approbation pour le parti qui se trouve au pouvoir . C ’est ainsi que l’on comprend aux E tats—Unis lapratique du gouvernemen t républicain .

Pendant la guerre de sécession,sous la prem iere

présidence de Linco ln,les é lections partiel les furent

l’

image exacte des craintes o u des espérances qu’msp irait la conduite du cabinet de Wash ington .

En 1 862 , année d’ incerti tude et de revers

,si l ’oppo

sit ion démocratique triomphe , c ’ est que les gensréfléchis et sans passion

,en traînés par les épouvan

tables défaites des armées du Nord , en étaien t venusà douter que le gouvernemen t fû t assez habi le et assezpuissan t pour réduire la rébel l ion . Après les succèsde Vicksburg

,Gettysburg

,Port-Hudson

,la réo uver

ture du Mississipi,la

'

conquê te du Tennessee e t d ’

unegrande parti e de l’A rkansas , en 1 863 , l

adminis tra

tion,au con trai re

,l ’emporte dans tou tes les élections

les j uges,les maires . les représentants , l es sénateurs

élus appartiennent a l’Opinion répub l icaine m odérée .

La nomination du généra l G ran t au commandementen chef de tou tes les forces nationa les fort ifia la confiance du peuple dans le gouvernemen t de Linco ln .

Sans doute i l en est encore qui ne désirent pas lachute de la rébelli on

,mais ceux qui dans les heures les

p lus anxieuses n’ont j amais désespéré du succès ,voient

,au printemps de 1864

,se ra l l ier à eux la ma

jo rité des ci toyens du Nord , qui commence a cro irefermement q ue le général Grant aura vi te raison dece qui restait encore debo ut de la confédération .

Page 204: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S ÉTAT S —UN IS 201

Au ssi les élections de cette époque furen t-elles apeine disputées par l ’opposition ; le parti républicainl’

emporta dans presque tous les collèges .

C ’est dans ces circonstances qu ’arrivait l’ époquedes électiOns pour la présidence , e t disons de suiteque le sentimen t populaire se prononçait ene1 g iq uement pour renommer Lincoln . On songea pourtantau débu t à lu i opposer un adversaire pris dans le seinm ême du parti républicain .

Une prem iere Convention nat ionale,réunie à C leve land l e 31 mai 1 86 i , avait fai t appel à tous lesradicaux du pay s . TO the Rad ica l m en of the nation . E nv iron 350 personnes étaient présentes ; maisun très — peti t nombre se trouvait muni de po uvoirsréguliers .

Les motifs de leur oppositi on à la réélection deLinco ln étaien t de différente nature .

D'

abord les républ icains radicaux n ’

admet taient pasen prin cipe qu

un présiden t pû t être réé lu deux foisde suite . Quatre ans de pouvoir leur paraissaien t unepériode suffisante

,et i l s demandaien t qu'un amende

men t â la consti tution conçu dans ce sens fût voté parle congrès et soumis a la sanction du peuple .

Quan t a la po l itique de Lincoln,les radicaux trou

vaient qu’

à l ’extérieur i l avai t manqué d’énergie devant les entreprises de l a France au Mex ique ; qu ’

à

Page 205: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

202 A E E AHAM L INCOLNl m térieur i l n ’avait poin t pri s de mesures assez énergiques pour dompter le Sud et serait trop clémentaprès la v i ctoi re .

No s lecteu rs n’on t pas oublié ce que nous a vons ditdans un des précédent s chapitres des vues de la politique américaine sur le Mexique e t l’Amérique cent rale . La guerre civi le avait p ermis au gouvernementde Napo léon III de porter un coup qui pouvait devenir morte l a la doctrine de Monroe. Le 10 avri l

,

l archiduc Maximi l ien recevait a Miramar une députation qui venai t lui o ffri r la couronne du Mexique i ll’

acceptait , débarquait a la Vera Cruz et lançai t le 29sa proc lamation au peup l e mexicain c ’ était un v éri

tab le défi j eté au peup le des E tats—Unis . Le cabinet deLinco ln crut néanmoins devoir user de pati ence dansl ’ intérêt de l a cause qu ’ i l soutenait

,pour ne pas

,en

donnant à Juarez l ’appui des fédéraux , fournir auxtroupes françai ses l ’o ccasion de prêter main—fo rte auxconfédérés .Le peup l e

,qui ressen t tou tours très -vivement les

inj ures faites à son pay s , ne pouvait se résigner à lapr udence l ’opinion des masses étai t su r ce poin t d ’unevivacité extrême

,et e l les manifestaien t l eurs senti

men ts contre la France dans l es termes les plus blessauts pour notre amour - propre national .I l ne se passe guère

,dit M . Duverg ier de Hauranne ,

de semaine qu ’on ne lise dans les journaux levrai ou mensonger , peu leur importe , de qu

défaite humi lian te ou de que lque l achcai s c

’est la pâture que

Page 207: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

204 ABRAHAM L INCOLN( ou la p la te— forme

,comme on dit aux États-Unis)

d e la convention de C leveland était— il certain d etrouver un écho retenti ssan t dans tous les cœurs endéclaran t que la p o li tiqu e na t iona le connu e sou s len om de doc tr ine de M on ro ë ava i t été r econnu e partou tes les p u issan ces , et qu e l

é tablissem en t d’

u n

g ou vernemen t an ti — répu blica in su r le con tinen tam ér ica in n e p ou va i t ê tre to léré par le g ou ver nem en t des É ta ts Un is .

Sur la politique in térieure voici quelles étaient lesrésolutions du par ti radical

1 . L’union fédérale sera maintenue .

2 . La constitution et les lois des E tats-Unis doiventêtre ob servées et obéies .

3 . La rébelli on sera domp tée par la fo rce des armese t sans compromis .

4 . La liberté de la parole,l a l iberté de la presse

,la

liberté individue l le (habeas corp u s) sont inviolables ,excep té dans les distric ts où la lo i martiale a étépro c lamée .

5 . La rébel l i on a détrui t l ’esclavage et la cons t it ution doit ê tre modifiée par un amendemen t qui enprohibe le rétablissemen t et assure à tous les homm es l ’égalité devant la loi .

Sur tous ces points,pas de différence notable au

fond entre le programme des radicaux et celui desrépublicains modéré s ; mais i l n ’ en étai t point demême des articles du manifeste relatifs à la recon s

Page 208: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDENT DE S É TATS-UN IS 205

titution des E tats séparés et au châtiment des rebelles . Ces articles étaient ainsi conçus

1 1 . L ’œuvre de la reconstruction des E tats rebellesappartient au peuple par l’ intermédiaire de ses représentants au congrès , et non au pouvo ir exécutif.12 . La confiscation des biens des rebel les et l epartage de ces biens entre les soldats et les possesseurs actuels est un acte de j ustice .

La politiqu e de Lincoln était plus clémente,et le

parti répub l icain par tageait l es sen timents de Lincoln .

La convention rad ica le avait choisi comme candidats a la présidence , l e général Fremont , a la vi ceprésidence

,l e général Cochrane . Tou s deux accepté

rent dans son entier le manifeste de Cleve land,à

l ’exception tou tefois,di sons — le a leur honneur

,de

l’ arti cle 12 relatif à la confiscat i on Fremont le repudia absolument et Cochrane s ’ en remit sur ce pointà la sagesse du congrès , quand le temps serait venude s’o ccuper des lois de reconstruc tionLa po l itique intérieure du parti radical ne trouvadans le pays aucun écho , et ses deux candidats ne tardèrent pas à se retirer de l’ arène é lectora le , dès qu ’ i lsfuren t convaincus que la grande masse du peupleserait partagée entre les Rép u blica ins Un ion is tes etles Dém ocra tes par tisans de la paix .

Page 209: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

206 ABRAHAM L INCOLNLe mard i 7 j uin , une nouvelle Convention nationalese réunit à Bal timore sous le nom de Un ion na tiona lconven t ion ; tous les états qui ne sont pas ouvertement en rébellion y sont représentés .Cette assemblée adhéra a la pol itique suivie par

Abraham Lincoln et la résuma en termes précis eténergiques dans le manifeste qu’elle adressa au peupleloyal des E tats-Unis .

Le premier devoir de tout citoyen américain,di

saient les dé légués de Ba l timore est de maintenircontre leurs ennemis l ’ intégrité de l’Union et l’autorité souveraine de la Constitution et des lois des E tatsUnis .Mettant de côté toutes les divergences de nos op i

nions po l itiques , nous nous engageons comme citoyensde l’Union ,

animés par un sen timent commun et marchant au même but , a faire tout ce qui sera en notrepouvoir pour aider le gouvernement à domp ter par laforce des armes la réb e l l ion soulevée contre son autori té et a infliger aux rebe l les le châtiment dû a leurscrimes .

Nous approuvons la détermination qu ’ a prise legouvernemen t des E tats— Unis de ne point compromettre avec les rebe l les

,de n

éco uter aucune parolede paix avan t leur reddition sans condi tions et leur retour a l ’obéissance a la Constitution e t aux lois del’

Union ; nous demandons qu’ il reste ferme dans

résolutions,qu’ i l poursuive la guerr

grande énergie j usqu’à la suppression

Page 211: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

208 ABBAHAM L INCOLNcomme essentiel s à la sauvegarde de nos institutions

,

l es actes du Président et les mesures qu ’ i l a pri sesp our défendre la nation contre ses ennemis déclaréset secrets

,spécia lement la pro c lamation d’

émanci

pat ion des nègres appartenant à des rebel les et l’emplo icomme soldats de l’Union des hommes affranchis del ’esc lavage . No tre confiance en Linco ln est entière etnous espérons qu ’ i l usera de tous ses pouvoirs et emploiera tous les moyens nécessaires pour mener àbonne fin son œuvre et sauver la patrie .

Le manifeste de Baltimore recommandait encorel ’union de tou s les esprits

,l ’ intégri té et l’ économie

dans l ’administration de la fortune publique , la protect ion pour les immigrants l ’humanité pour les

prisonniers de guerre , la reconnaissance pour les soldats tombés au servi ce du pays

,l e respect des enga

gement s con tractés sous la fo i de la nati on , etc . , etc .

Au suj et des affaires du Mexique la Convention republicaine unioniste est tou t aussi énergique au fond que laConvention radica le , mais e l le s ’exprime en termes plusdip lomatiques . Ce l le- ci disai t que le peup l e américainn e vou lait plus tolérer ( to lera te) l’entreprise étran ‘gèrecommencée par la France sur le continent américainau mépri s de la doctrine de Monroé . Les républicainsemprun ten t au cabine t de Lincoln son langage .

Nous approuvons , dit l e manifeste , la positionpri se par le gouvernement qui déclare que le peupledes États—Unis ne saurait j amais regarder avec indiiference l es attentats d’

une puissance européenne a“yant

Page 212: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S ÉTAT S —UN IS 209

pour but de renverser par la force o u supprimer parla fraude les institutions républi caines d’un des peuplesde l’Amérique du Nord . Nous voyons avec une extrêmej alousi e

,comme une menace pour la paix et l’ indé

pendance de notre pays les efforts faits par cettepuissance pour implanter de nouveau a la porte des

E tats—Unis , un gouvernement monarchique sans autreappui que la force d ’une armée étrangère .

Te l les étaient les principales réso lutions contenuesdans le manifeste de Baltimore el les n’ étaient , on levoit

,qu’une approbation presque sans réserve donnée

à la politique de Lincoln la convention le désignadonc à l ’unanimité comme candidat a la présidence ,avec Andrew Johnson pour v i ce— président . Quelquesvoix s’étaien t égarées au premier tour de scrutin surle général Grant .

Les deux conventions de Cleveland et de Baltimore,

les républicains modérés et les radicaux , ne par laientpas de compromis le Nord tout entier vou lait que leSud se rendit d ’abord à discrétion

,se croyan t certain

d ’un triomphe complet à courte échéance .

On avait cette conviction que Grant et Sherman ,

ayant déj à remporté une série de succès non interrompus et peu coûteux , la rébellion ne tarderai t pasà succomber sous leurs coups , que R i chmond et A tlanta pris , l eur chute entraînerait celle de la Confédération . Aussi aucun doute , aucune appréhension ne

14

Page 213: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

210 ABRAHAM L IN COLNtroublaient la sécurité des auteurs du manifeste quenou s avons résumé plus haut . Leur langage était celu id

un maître qui v ient de soumettre des suj ets insufgés ,qui récompense les serviteurs fidèles et traduit lescoupables devant son tribunal . Tel fut l ’esprit danslequel se réunit , agit et se sépara la Convention deBaltimore tous ses membres étaient assurés quel ’année 1864 verrait et la réélect ion de Lincoln et lachute de la Confédération du Sud .

Mais voici que des événements imprévus , du j ourau lendemain

,changent complètement la face des

affaires .

Grant échoue dans ses attaques contre Cold Harboret Petersburg

,Sheridan manque un mouvemen t tour

nant qu ’i l opérait contre Lee,le Maryland est de

nouveau menacé,et Sherman arrêté par des obsta cles

inattendus dans sa march e sur Atlanta . Ces reversébranlent la confiance du Nord .

E n même temps une proclamati on apocryphe estlancée dans tous les É tats . Le Président Linco ln yconfessait de prétendues fautes commises par le général Grant et ordonnait une nouvelle levée d ’hommes ,afin de reconstituer l’armée du Potomac décimée parles dernières défaites et maintenant exposée d ’unj our a l ’autre a une destruction complète .

Ces nouve l les avaient déj à porté un coup tau crédi t des É tats — Unis et produ it une baisseble sur les fonds publics , lo rsqu’ on acroit l a retraite du

Page 215: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

212 A BBAHAM L INCOLNL

Union restaurée et déclarée perpétuelle ;clavage à tout j amais abo l i dans son sein ; amnisti ecomp lète pour tous le s citoyens ayan t pris part a larébel l ion indemnité pour les propriétaires desesc laves affranchis ; réparti tion des représentantset des taxes directes dans les anciens E tats à esclaves

,

d ’après leur population to tale , y compris les hommesde cou leur ; convocation d ’une Convention nationa le chargée de ratifier les précédentes conditions etde proposer tel amendemen t à la Constitution quisemb lerait uti le .

Linco ln répondit à son honorable correspondant

qu’ i l pouvait a l ler lui -même au Canada se mettre enrapport avec les commissaires en question mais ilne lui donnait pour toutes instructions que la no te cidessous

HOTE L D U POUVO IR EXÉCUT IF (Execu tive Mans ion) .

Wash ington , 18 Ju i l let 1864.

A q u i de d ro i t

Toutes propositions qui embrassent le rétablissemen t de la paix

,l’ intégrité complète de l’Union et

l ’abandon de l ’esclavage,et viennent d’une autorité

reconnue par les armées actue l lemen t en guerrecontre les États-Unis , seront reçues et prisessiderat ion par le Pouvoir exécutif des Érencon treront des conditions l ibérales

Page 216: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDE NT D E S ÉTATS —UN IS 213

tions essentielles et sur les circonstances secondaires ;l e porteur ou les porteurs de pareilles propositionspeuvent venir en toute sécurité .

Signé ABRAHAM L IN COLN .

Ce qui précède se tro uvai t au bas de la lettre quele Président écrivai t à M . Greeley à l a suite de sacommunication

,lettre qui lu i fut portée par le se

crétaire parti cu lier de Lincoln , l e maj or Hay . Unepareille réponse pouvait à j uste titre être considéréecomme une véritab l e fin de non recevoir ; MM . C layet Holcombe en tirèren t tou t le part i p ossib le

,dans

un manifeste auquel on donna beaucoup de publici té,

pour exciter l ’ardeur du Sud e t lui atti rer les sympathies des citoyens qui dans l e Nord attendaient impatiemment le j our Où l ’on pourrait signer une paix honorable . On repro chait au gouvernemen t de ne pasavoir m i eux accueillli les ouvertures des Confédérésdu Canada et de vouloir

,a tou t prix

,continuer une

guerre ruineuse,dont le succès final était redevenu

aussi incertain qu’au premier j our .

Fort heureusement d ’autres négociations avaient eulieu vers le même t emps du côté de Richmond

,qui

ne tardèrent pas à lever tous les doutes sur les véritab les dispositions du Sud .

Le révérend James F . Jaques de l’

I llinois , et

M .

‘ J . R . Gilmore , de New—York , S étaient rendus , ausu de Lincoln , mais sans sa permission , dans la capi

Page 217: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

214 ABRAHAM L INCOLNtale des confédérés pour y porter des paroles de pajx ;ils avaient ob tenu du Présiden t Davi s une audience oùcelui - ci leu r posa nettemen t son u l t imatum .

Je désire autan t que vous la paix , leur dit— il ; j edép lore comme vous le fai tes tan t d’

effu s ion de sang ;mais j ’ai ce sentimen t que pas une goutte du sang quia cou lé dans cette guerre n ’ est resté sur m es mains :j e puis regarder Dieu en face et dire ce la . J ’ai fait

tout ce qui dépenda i t de moi pour empêcher cette« l u tte . Je l a voyai s b ien arri ver , e t pendan t douze ans« j

ai travai l lé n u it et jou r pour l a prévenir ; mais je

n’

ai pas réussi . Le Nord était sourd et aveug le ; i l nevou lait pas nous laisser nous gouverner nous—mêmes ,et la guerre est venue main tenant nous irons j usqu ’au bou t

,j usqu

’ a ce que le dernier homme de notre générati on soit tombé

,pui s après , nos enfants

prendront encore le fusi l et combattront no tre combat

,à m o ins q u e vou s n e r econna iss ie: n o tre dro i t

au SE LF — GOVE RNME NT . N ou s n e n ou s ba llon s pas

p ou r l’

esc lavage . Nous nous battons pour l ’ I ndép endan ce et c ’est e l le ou l’extermination que nousvou lonsî

Quand ses hô tes prirent congé de lui,M . Davis les

salua de ces dernières paroles

Dites a M . Lincoln de ma part que j e recevrai avecp laisir

,en tout temps , toute proposition de paix ba

sée sur la reconnaissance de no tre indépendance . .Il

serait tout a fait inutile de venir à moipropositi ons .On ne pouvait pas être plus exp l icite ;

Page 219: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

216 ABBAHAM L INCOLN

voyait un citoyen tenant à la main un transparent su rl es faces duquel on lisait des devises et des sentencesconçues dans le goût suivant

L inco ln a ru iné le pays en qu a tre ans , n ou svou lons n os dr o i ts , n ou s deman don s n o tre liber té

, qu’

on n ou s rende l’H abeas corpu s .

L’

Un ion ,la C ons ti tu tion et L i ttleMac !

O ld A be es t u n cheva l,Mac C lellan u n cava lier .

P lu s de sp r ingfield —j okes auj ou rd’

hu i ! P lus d e

tes d rogu es , v ieuœ char la tan !

Les disco urs va laient les sentences .Approchons d ’une des estrades en plein vent où

,

entre deux morceaux d’une criarde musique,parle

un des orateurs les plus populaires du New-Jersey,

l e révérend C . Chauncey Burn . Toutes les sympathiesde l’orateur son t pour les rebe l les . Écoutez — le

Nous n ’avons pas le dro it , di t— ii , de brûler leursrécoltes

,de voler leurs pianos , leurs cuillères . l eurs

j oyaux . M . Linco ln a volé des milliers de nègres ; voler un nègre

,c ’ est l a même chose que voler

cui llères ! On a dit que si le Sud voulait mettre basles armes

,les portes de l ’Union l ui seraient ouvertes ;

le Sud ne peut pas honorablement mettre bas lesarmes

,parce qu ’ i l combat pour son honneur . Deux

mi l lions d ’hommes ont été employés au massacre

du Sud et les v ides de l ’armée de Lincoln ne peuventplus être remplis ni p ar les engagements volontai res ,ni par la conscription . Pour moi si j e

.

faisais une

1 . For every negro he had thus s to len spoons .

Page 220: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S ÉTAT S — UN IS 217

pri ère , j e demanderais qu ’aucun des Etats de l’Unionne pût Jamais être ni conquis ni subjugué .

Le Rev . Henri Clay Dean , de l ’l owa , s’

exprimait

ainsi du haut du perron de la maison voisinePendant trois ans Lincoln a demandé des soldats

,

et on les lui a donnés . Mais avec les grandes arméesdont i l a le commandement

,qu ’ a- t - il fait ? i l a

échoué ! échou é De pareilles défaites étaient encore inconnues . Une sigrande destruction d ’

hommes ne s’ était pas vue depui s la destruc tion de Sennachérib par le souffle duTout—Puissant . E t le monstre a encore besoin d ’hommes pour continuer son œuvre de boucherDepuis que cet usurpateur , ce traître , ce tyran occupe le siège de la Présidence

,l e p arti ré pub l icain

cri e couteau en main guerre au couteau ! Lesang a coul é par torrents e t la soif du vieux monstren ’est pas étanchée . I l lui faut touj ours du sang .

Voilà ce qu ’ on entendai t aux abords de la Conven tiondémocrati que . L’auteur n ’apprécie pas

,i l raconte ; l e

lecteur fera bon march é de ces odieuses attaques contre 1’honnète et exce l lent Lincoln mais i l était indispensable de les rapporter en cette histoire , afin demontrer à quel degré d’

injus tice et d’

aberration l’espritde parti peut pousser l es hommes .

9

Le manifeste de Chicago fut rédigé par C . L . Vallau

digbam ; i l était ainsi conçu

Page 221: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

2 i 8 ABRAHAM L IN COLNN ous avons réso lu d

adhérer avec une fidélitéinaltérab le , dans l’avenir comme dans le passé , à l’Union te l le que l ’a é tablie la Constituti on c ’est là l eseu l fondement so l ide de no tre force

,de notre sécu

rité , de no tre bonheur en tant que peuple , et le système de gouvernement qui convi ent le mieux à la

prospérité et aux progrès de tous l es E tats de ceuxdu Nord aussi bien que de ceux du Sud .

La Conven t ion cro i t j ustement interpréter lessentimen ts du peup le am éricain en déclarant qu ’après quatre années d ’effo rts infruc tueux pour restaurer l

Union par la fo rce des armes après que l a Const itution

,au nom de prétendues nécessités militaires

,

a été vio lée , la l iberté des citoyens foulée aux pieds , lafortune de la nati on et des particuliers compromise ,la j usti ce

,l’humanité , la l iberté et le bien pub l i c de

mandent que des tentatives soien t immédiatementcommencées pour arrê ter les hostilités , afin d ’ arriver

,

soit par la convocati on d ’ une Conven ti on souveraine detous les E tats

,soit par tous au tres moyens , à rétabli r

la paix dans le p lus bre f dé lai possib le,sur les bases

d ’une Union fédéra le où le dro it des E tats serait formellement reconnu et so lenne l lement consacré .

Ce programme signifiai t , en langage améri cain , quel e parti démocratique dési rait bien l

Union,même

avec l ’ esc lavage,mais qu’ i l ne faisait pas du retour à

cette Un i on une condition essen tiel le de la paix .

La Convention porta a la présidence le généralC lel lan .

Page 223: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

220 ABRAHAM L INCOLNgnés par les traditions mêmes du peuple américain (dansles limites de ce qui peut ê tre compatible avec l’honneur et les intérêts du pays) , afin d’arriver à ce ttepaix désirable d ’où sortirait pou r l ’avenir l ’Union reconnue et acceptée par tous les États et les droits dechaque État garantis dans l’Union par la Constitution .

L’

Union est la seu l e condition de la paix , nous nedemandons pas davantage .

Laissez moi aj outer ce qui,j e n ’ en dou te pas

,bien

qu ’on ne l’ait point formellement exprimé,é tait dans

l’esprit de tous les membres de la Conventi on,ce qui

est dans le sentiment du peup le qu’ i l s représentaien tj e veux parler de l ’accue i l qui attend tout É tat décidéauj ourd’hui -

a reprendre sa place dans l’Union . I l yserait reçu immédiatement , avec une pleine et en t ièregarantie pour to us ses droits constitu ti onnels . Siaprès avoir fai t en toute franch ise e t loyau té de persévérant s effo rts pour arriver a un résu l tat pacifique

,

no tre entreprise venai t à échouer , l a responsabi l itédes conséquen ces qui pourraient ultérieurement s ’ensuivre devrait retomber su r ceux qui resteraient enarmes con tre l ’Union ,

car l’Union doit être à toutprix sauvée .

Je ne pourrais plus regarder en face ceux de mesanciens camarades qui ont survécu à tan t de batai l lesmeurtrières , si j

abandonnais cette Union pour laquelle nous avons ensemb le exposé si souvent nosj ours . Sans doute les so ldats comme le peuple verraient avec une immense j oie qu ’une paix fondée surl’

Union et la Constitution v int mettre fin a tant d ’ef

Page 224: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDE NT DE S É TAT S — UN IS 221

fusion de sang , mais i l n’

y a pas de paix du rable

sans l'Un ion .

On eût pu croire qu ’

à la suite de cette lettre le partidémocratique changerait de candidat ; i l n ’ en fut

rien . Les leaders de la Convention défendirent MacC lellan

,mais de la façon la plu s inj urieuse pour

son honneur et son patrio tisme . Le Da i ly N ews , l’or

gane le plus avancé du parti,affirma que le général

avait eu connaissance des résoluti ons de Chicagodeux mois avant la Conventi on

,qu ’el les lui avaient été

soumises au nom du parti démocrate par A lfred Edgarton de l’Indiana

,et qu’ i l en avait approuvé sans

réserve l’espri t et la lettre . Que lques j ours après , dansun meeting . Fernando Wood , pour défendre son candidat qu ’ on attaquai t au suj et de la lettre précédente

,

osait prononcer ces paroles Mac Cle l lan seranotre agent

,notre créature ; il ne peut désobéir a la

voix Quant a sa lettre , tant pi s pour quis ’y trompe ce n ’ est qu ’un sub terfuge

,qu ’une ruse

de guerre .

Le silence de Mac C lellan fit penser , a j uste titre ,que

,s’ il ne répudiait pas d ’une manière éclatante des

al l i és qui interprétaient ainsi sa pensée et sa conduite,

c ’est que ceux- ci disaien t la vérité ; et le parti republicain n’eut aucune peine à faire accepter que lesvrais principes du

part i démocratique qui vou lait renverser Lincoln n’ étaient pas dans la lettre d’

accep ta

tion de son candidat , mais dans la plate— forme de Chi

Page 225: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

ABRAHAM L INCOLNC ’ est ce qu

exprima avec son esprit ordinaire lesecrétaire d ’É tat

,M . Seward

,à une processi on d ’

eleoteurs républi cains qui v inren t a cette époque défi lersou s ses fenêtres e t lui donner une de ces fréquentesaubades auxquelles sont exposés les hommes d’

É tat

américains surtout pendan t les époques d’

elec

tion .

-z Mes chers concitoyens , dit M . Seward (du haut desa fen ê tre) , la démocrati e , à Chicago , après avoircherché pendant six semaines si la guerre qu enous soutenons était un triomphe ou un échec pour

« notre cause,a fini par décider que nous avi ons

échoué ; en conséquence elle a pris des résolutionset nommé un candidat tel s

,que cette opinion de

v iendra nécessairemen t une vérité si l ’on cessele s ho stilités et qu ’on abandonne le terrain sansconteste . A Ba l timore

,au contraire , vous avez pensé

qu ’ i l n ’ était pas aussi certain que cela que nouseu ssions échoué ; et en conséquence vous avezdécidé de demander j usqu

à la fin au sor t des batai l les le sa lu t de l’Union . S herman et Farragu t

t iennen t d’

en lever tou te ra ison d’

ê tre au x n om inat ions de C hicag o et les élections parti elles du Maineet du Vermont prou vent que les choix de Ba l timoresont bons et salu taires pour le pays . La question estauj ou rd’hui bien nettement posée Mac C lellan

et la S éparation ou L in co ln et l’

Un ion . Avez-vousquelque doute sur lesuccès final (Cri s Non fion

moi,j e n’en ai aucun . M

amis , pour votre visite .

Page 227: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

224 ABRAHAM L INCOLNmilitaires et financières et j e regrette pour le paysque l’on soit forcé de lui continuer son mandat .

Le scrutin du 8 novembre donna les résultats qu’avaient déj à prévus depuis plusieurs semaines les Ohservateurs in telligents Lincoln fu t nommé par2,213

,665 voix ; Mac Clellan en obtint 1 , 802, 237 .

La volonté de la maj orité du peuple dans les Étatsloyaux n ’é tait plus douteuse j amais on n’avait vouluplus fermement

,plus unanimement qu’

à cette heurel’

intég ri té de l ’Union ,ni vu plus clairement la vani té

de toutes les espérances de conci liation . Le devoirdu gouvernement étai t donc désormais de n ’

accuellir

aucune proposition de paix tant que les rebelles n ’auraient pas mis bas les armes .

Deux dernieres tentatives furent pourtant encorefaites

,au commencement de l

'

hiver de 1 865 , pour arréter l es hostilités . L’honorable Francis P . Blair

,du Ma

ryland , visita deux fois R i chmond dans ce but, avecle consentement du Président Lincoln , mais sans quece dernier l ’eùt prié de faire aucune démarche . Enfin

,

sur leur demande formelle,MM . Al

A . John Campbell et Robert M . F .

l’

autorisation de traverser le

Page 228: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉSIDE NT DE S ÉTAT S - UN IS 225

Petersburg pour se rendre ala forteresse Monroe Où i l sdevaient rencontrer le secrétai re d’

É tat,M . Seward

,

et le Président Lincoln . La conférence fut longue etbien remplie ; on y parla de part et d

’autre en touteliberté

,mais on n ’

aboutit à aucun résultat . Les délégués de la confédération n’avaient pas pouvoir de promettre le retour a -1

’Union ; l e Président Lincoln nevoulait pas traiter sur une autre base en sorte que lesparties se séparèren t comme elles s ’étaien t réunies .Au retour des délégués

,un grand meeting eu t l i en a

R ichmond , dans l equel le Président Jefferson Daviss

exprima ainsiDans ma correspondance avec M . Lincoln

,ce

foncti onnaire n ’a cess é d ’

appeler les É tats —Unis et laConfédération no tre pays déso lé ; j e n ’ai

,mo i ,

j amais manqué d ’étab l ir n ettemen t l a distinct ion entredeux gouvernements désormais séparés ; et p lutô t quede nous voir j amais de nouveau réunis , j e préférerai sperdre tout ce que j e possède sur cette terre e t subirmille morts si c ’é tait possible .I l terminait sa harangue en faisant un nouvel appelà tous ceux qui se trouvaient en état de porter l esarmes

,leur promettan t qu ’ avant un an les Yankees

seraient chassés de la Virginie et demanderaien t lapaix sur les bases que vou lait le Sud .

Le meeting à l ’unanimité se prononça pour continuer énergiquement la guerre .

Page 229: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

226 ABBAH AM L IN COLN

CA M PAGNE DE SHE R MAN EN GÉ ORGIE . CAP ITULATION DU

GÉNÉRAL LE E . ABOLITION DE L’

E SCLAVAGE .

Pendant la campagne électorale , l’armée de terre etl a flotte avaient repri s le cours de leurs succès unmoment interrompu par des échecs assez graves

,et

qui avaient menacé de ru iner l’œuvre si péniblementaccomp l ie par Lincoln

,a l ’heure Où l

on croyait le

triomphe certain .

Au point Où nous avons laissé les opérations militai«res , deux positions impo rtan tes restaient encore àprendre pour comp l éter le b locus du Sud c

’étaientMobi le

,dans le golfe du Mexique

,et C har les ton , sur

l’

A tlant ique .

Le 5 août 1864 , la flotte fédérale s’ était présentéedevan t la bai e de Mobi le

,

‘sous la conduite de l ’amiralFarragu t . Ce courageux marin

,fatigué par l ’âge et la

ma ladie , s’ était fait attacher à la hune du vaisseau amiral le H ar tford

,du hau t de laquelle i l commanda l’ac

tion . Le combat était a peine commencé que le béli erTecumseh s

abîma , frappé par une to rpille . Alors l’amiral fi t prendre la tê te au Har tford et toute la flott e

,

criblan t de mitraille et d’

obus les forts “

e nnemis , franchit l a barrière intérieure et gagna le milieubaie

,Où elle engagea contre

une action meurtrière,mais

Page 231: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

228 ABRAHAM L IN COLNtrait le 17 février 1865 à Colombie

,c ’est-à—dire au cœur

de la Caro line du Sud , que Beauregard évacuait entou te hâte

,puis montait a Fayetteville le 11 mars

,Où

il s e trouvait encore a une distance de deux centsmilles de l’armée de Grant

,mais sur le point d’

effec

tuer sa j onction avec deux autre colonnes,opérant sur

le flanc de cette armée .

Grant resserrait pendant ce temps ses lignes d’invest issement autour de R ichmond et de Pétersburg .

Le 2 avril 1865 , i l emportait Petersburg ,et Lee

envoyait a Jefferson Davis un exprès po ur l ’ invi ter àp rendre la fuite en toute hâte , avant que les cavaliersde Sher idan ne lui eu ssent coupé tou te retraite .

Le 7,Lee qui venai t de parcourir près de 300milles

à travers un pays coupé de ravins , de bois , de torrents

,Lee qui n ’ avait plus de canons

,plu s de vivres

,

presque pas d ’armes , fuyant les troupes du généralOrd

,se réfugiait a Farmville sur l ’Appomattox .

L’

épuisement des soldats confédérés , qui depuis cinq j ours de marche n ’avaient a la lettre r ien

m angé excepté des graines de mais et des écorcesd’ arbres , devint tel qu ’après un consei l de guerretenu par les généraux , le commandant en chef del‘

artillerie,le général Pendleton

,fut chargé de com

1 . Nou s regrettons de ne pouvoir rapporter en son entierle réc it très —dramatique qu ’

a donné de la cap itu lation de l ’armée de Nord-V irginie , M . Edouard Lee Ch ilde

,dans s on inté

res sente étude su r la Vie et les Camp agnes du général RobertLee , son onc le . Cela eû t é té peu t-être le mei l leur et le p lusju s te hommage à rendre à ce l ivre honnête et ému , où l ’au teur(dont nou s ne partageons pas les op inions ) su garder une

attitude consc ienc ieu se entre ses sentiments de fami l le et la

vérité historique .

Page 232: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDENT DE S ÉTATS -UN IS 229

muniquer au général en chef que l’ avis unanime du

conseil était qu ’ i l n ’y avait plus qu’

à se rendre . Tel lecependant n ’était pas la manière de voi r de Lee . Merendre ! s ’

écrie-t -il,l e regard en feu ; i l me reste trop

de bons soldats pour celaI l croyai t sans doute encore pouvoir atteindre les

montagnes , et tant que cette chance lui restait , i l nese croyait pas au torisé ‘

a renoncer à la lutte .

Mais Grant qui l e suivait de près le force à quitterFramville e t lu i écrit l e 7 avri l 1865 , qu

en présencede l’ inut ilité d ’ une résistance p lus prolongée de lapart de l ’armée de Nord —Virginie , et pour se decharger de tou te responsabi l ité pour le sang qui pourraitêtre versé dorénavant , i l venai t demander la redditionde cette armée à laque l le on ne ferait qu ’une seulecondition l ‘ engagemen t par le s officiers e t soldatsde ne por ter en aucun cas de nouveau les armescontre le gouvernement des É tats—Unis

,tant qu ’ i ls

resteraien t prisonniers sur parole .

Gran t demandai t une entrevue pour arrêter définit ivement les conditions de la capitulation .

Lee hésita j usqu ’au 9 , et ce'

ne fut q u ’

à la dern iereextrémi té

,quand i l fut convaincu de l’ inutilité abso lue

de toute nouve l le ten tative , qu ’ i l accorda l ’entrevuedemandée . La capitulation fut signée :tous les officiers ,en gardant leurs armes

,les soldats , en livrant leurs

fusils,pouvaient se retirer chez eux , san s avoir à crain

dre d’etre poursuivis par les au torités des États —Unis ,sou s la condition d’observer la parole qu’ ils donnaientd

obéir à la Constitution et aux loi s du pays .

Page 233: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

230 ABRAHAM L IN COLN

Pendant que l’armée terminait par les merveilleuses campagnes de Grant et de Sherman la soumission des États rebe l les , le Congrès , sur la proposi tiond

Abraham Linco ln , vo tai t l ’abolition de l ’esclavage .

L’

amendemen t constituti onne l abo l issant et prob iban t a j amais l ’esclavage aux É tats — Unis

,e t dans les

territoires soumis ‘a leur j uridiction , avait été , pour lapremière fois , présenté au sénat par M . Henderson .

Le séna t l’avait adop té par 38 voix con tre 6 ; mais il futrepoussé a la chambre des Représentants le scrutindonna 95 oui ; 69 non .

Le premier vote avait eu lieu l e 29 avril 1 864, lesecond

,l e 15 j u in suivan t .

Sur la proposition de M . Ash ley , de l’Ohio , on décidaque la question serai t de nouveau soumise à la chambrea l ’issue de la guerre et de la campagne présidentielle .

Aussi,dans son dernier message du 6 décembre

,Lin

co ln,rappe lant cette réso lution

,avait— il cru devoir

engager fortement la chambre des Représentants à semettre d ’accord avec le sénat au suj et de l ’amendement adopté par ce dern ier .Je ne mets pas en doute

,disait- ii , la sagesse et le

patrio t isme de ceux qui s ’opposent encore au passage de cet amendement , j

’ose seulement Voumander que la mesure qu’ il renferme soit deprise en considération et adoptée pendant lasession . Certainement

Page 235: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

232 ABRAHAM L INCOLNdes divers É tats comme amendement à la Const itut ion des États-Unis

,et qu ’une fois ratifié par les trois

quarts des susdites législatures,il sera bon et valable

à to utes fins , comme faisant partie de la Constitution

ARTICLE XI IISE CT ION I .

— Il n’y aura ni escla vage,ni servitude

involontaire aux É tats — Unis ainsi qu’en to u t lieusoumis a leur juridiction , si ce n ’ est comme punitiond

un crime dont la partie aura été dûmen t convaincue .SE CT . Il . Le Congrès aura le pouvoir de faire

exécuter cet article au moyen des loi s à ce nécessaires .

Cet amendement fut rat ifié par les légi slatures d ’

Il

linois , Rhode — Island , Michigan , Maryland , New —York,

Maine,WestV irginie

,Kansas , Massachusetts , Pensyl

vanie , Virginie , Oh io , Missouri , Nevada , Indiana ,Louisiane , Mineso ta , Wisconsin , Vermont , Tennesse,Arkansas

,Connecticut

,New - Hampshire

,Caroline

du Sud , Alabama , Caroline du Nord et Géorgie ,en tout v ingt- sept États constituant les trois quart dunombre entier des États-Unis .En conséquence , par une proclamation du secre

taire d’

É tat , M . Sevvard, datée du 18 décembre 1865,quatre-v ingt -dix ans après la déclaration d’

lndé

pendance l ’amendement précité, . abolissant l ’es

clavage , devint valable à toutes fins comme faisant

Page 236: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉS IDENT DE S ÉTAT S —UN IS 233

ÉPILOGUE .

Après la capitulation de Lee , l e Sud avait encoreune armée en campagne , l

’armée de Johnston quepoursuivai t Sherman et qui ne deva it se rendre que le1 7 avri l 1865 .

Au dernier conseil de cabinet tenu sous la presidence de A . Lincoln , et auque l assistait le généralGrant , l e j our même de l ’assassinat , le Présidentse tourna vers le généra l en chef

,e t lui demanda s ’

il

avait des nouvel les de Sherman . Le généra l lui répondit qu’ i l n ’ en avait pas

,mais qu ’ i l attendait d ’heure

en heure des dépèches lui annonçant la reddition deJohnston .

Eh bien ! dit le Président , vous aurez prochaine

ment des nouvel les et el les seron t importantes .

Pourquoi pensez -vous ce la dit le général .Parce que j ’ai rêvé la nuit dernière ; et touj ours ,

depuis le commencement de la guerre , j’ai invariablement rèvé la même chose toutes les fois qu ’ i l y aeu un grand événement .Il rappela a lors Bull’ s Run ,

An tietam , Gettysburg

,etc . ,

et dit qu ’

à la veil le de chacun de ces épisodé s de la guerre il avait eu le même rêve .Tenez

,ajouta t -il en se tournant vers le secre

taire de la marine,c ’est votre partie , M . Welles . J ’ai

rêvé que j e voyais un vaisseau qui cing lait avec une

Page 237: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

234 ABRAHAM L INCOLNextrême rapidité , et j e suis sûr que Cela présagequelque grand événement national .

Etrange pressentiment l Ce grand événement que luiannonçait son rêve , c ’est l’attentat dont il al lait êtrevictime le soir même et que j ’ai raconté dans l’ introduction de cet ouvrage .

Vo ici comment fut annoncé l’ assassinat de Lincolnpar la première dépêch e officiel le envoyée de Washington a la légation des É tats -Unis , a Lo n d r es , par l eministre de la guerre , E . M . Stanton

H ier soir (14 avril) , vers 10 h . du soir, le

président Lincoln a été assassiné dans sa loge duthéâtre Ford

,dans la Cité .

I l était arrivé vers hu it h eures avec m istress Lincoln . Un monsieur et une dame se trouvaient aveceux dans la loge dont la porte n ’était pas gardée .L’assassin ouvrit cette porte , s

approoha vivement duprésident et lui tira par derrière un coup de pistoletdans la tête . La balle frappa la partie postérieure ducrâne et pénétra d ’outre en outre . L ’assass in sautaensuite de la loge sur la scène en brandissant uncoutelas ou un poignard , et s

écriant S ie s emper tyrannis ! puis s ’

échappa par les derri ère s duthéâtre .

Le président était tombé sur l e sol privé de sentiment . I l resta dans le même état j usqu ’à 7 h . 20 du

matin et rendit l’

âme .

Au moment même où ce meurtre s’accomplissaitau théâtre

,un second assassin se présentait au d ‘

o

Page 239: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

236 ABRAHAM L IN COLNla lutte

,i l semblait , par la sagesse de son langage

et de ses vues,devoi r amener bientôt

,en tre les en

fants de la patrie américaine , une féconde et durable réconciliation . Ses derniers actes sont le couronnement de sa vie d’

honné te homme et de grandcitoyen .

Ce n’ est qu ’au bout de quelques j ours que l ’on connutle nom de l ’assassin ? Dans que l bu t avai t- i l accomplison exécrab le forfait ? Qu ’

était - ii devenu ? Quelquespersonnes

,pendan t la courte apparition du meurtrier

brandissant son poignard dans la loge du p résident,

se sou venaien t d ’avoir déj à vu cette figure somb reet énergique . mais c

’ est en vain qu ’e l les cherchaientà mettre un nom sur ce masque pourtan t connu .

Le crime avai t é té longuemen t prémédité ; cartou tes les précautions ava ien t é té prises pour que rienn ’en pût en traver l ’exécution . L’assassin avait pénétrédans la sa l le avan t la représen tation e t dispo sé lesmeubles de la loge de manière à n ’ê tre gêné dansaucun de ses mouvements . Une porte communiquantavec les cou loi rs extérieurs avai t é té condamnée

,et

u n trou , percé a la vri l le dans cette porte , permettaitde voir du dehors ce qui se pass ai t a l ’ intérieur .

Quand les personnages du drame se trouvèrent placéscomme le vou lai t le meurtrier , i l pénétra dans la loge,et les choses se passèrent exactemen t comme i l lesavait d’avance arrangées . Le général Grant

, en ne

Page 240: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

PRÉ S IDE NT DE S É TAT S — UN IS 237

venant pas au théâtre , fit seul manquer la parti e dup rogramme qui l e concernait .Profitant de la stupeur générale , le meurtrier avaitpu traverser la scène , sans que personne songeât àl ’arrêter

,descendre un escalier conduisant à une

porte de derrière donnant sur la rue et s ’élancer surun cheval que lui tenait tout prêt un complice .

Toute la police fut mise immédiatement sur pied .

Le général Anges , commandan t mi l itaire de Washington ,

offrit une récompense de dollars pourl’arrestation de l ’assassin . Cet exemple fut imité partoutes les grandes v illes du Nord , et pourtant pendan t p lusieurs j ours on ne put rien découvrir .L

arrestation de l’assassin fut des p lus dramatiques .

Booth ne démentit point,dans cette circonstance

suprême , l’ indomptable énergie de son caractère , laquel le

,mise au servi ce d ’une meilleure cause

,eût pu

faire de lui un grand homme .

Poursuivi dans les marais de Mary’ s County , dansl’

Illinois , il avait pu , avec son complice Harrold , gagu er la ferme de Garrett , près de Port-Royal , et sebarricader dans une grange . Les so ldats du colonelBaker cernèrent la grange

,menaçant d ’y mettre le

feu si les fugitifs refusaient de se rendre . Boo th s ’ étaitfracturé la j ambe en sautant de la loge du présidentsur la scène

,et ses fatigues et ses courses des j ours

derniers avaient aggravé sa b lessure et la rendaienttrès-douloureuse . Il déclara cependant qu’ i l ne serendrait point et qu’ on ne l ’aurait p as vivant . Le

Page 241: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

238 ABRAHAM L INCOLNc olon el Baker fit mettre le feu a la grange . On entendit a lors un colloque s ’établir entre les fugiti fsmenacé d’étre brûlé vif, Harrold voulait se rendre .

Booth l e traita de lâche et c ria lui —mème aux so ldats

de recevoir son complic e qui se rendait . Harroldso rtit e t fut immédiatement garro tté .

Cependant les flammes avaient envah i toute lagrange . Booth

,resté seul

,rassembla toutes ses forces ,

et un revolver dans chaque main , se j eta tête baisséesur la clôtu re qui fermait l ’entrée du bâ timent . Une

des planches céda , et il allait passer par cette étroiteouverture

,lorsque le sergent Corbett , craignant pour

sa vie et celle de ses camarades , lui déchargea a boutportant un coup de p istolet dans la tête . Il vécut encore deux heures , et eut une agonie terrible , car i ldemandait en grâce qu

’on lui tirât un c oup de revolver dans l e cœu r , pour l’acheVer ; puis on chargea s on cadavre sur une charrette , derrière laquellemarchai t Harrold attaché par le c ou . La fami l le deBoo th réclama en vain son corps , et l

’on ignore cequ ’ i l est devenu . Bien des légendes c irculent encorea ce suj et à Washington et à New-Y ork . I l est probable qu ’i l fut jeté à la mer .

On fit au président Lincoln de magnifiques funérai lles

,et les j ournaux du temps sont pleins des récits

de cette solennité .

Page 243: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

240 ABRAHAM L INCOLNde City-Hall . Durant tout le parcours , l es populationsaffluaient sur le passage du funèbre convo i et venaientsaluer une dernière fois

,avec toutes les marques de

la douleur e t du respect,l’

honnéteABRAHAM L INCOLN .

Page 244: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 245: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique
Page 247: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

244 APPE NDICEcontrer d ’opposition nulle part 1 . Mais dès l ’année 1 775on v i t se produire une oppositi on énergique contrel ’esclavage . Dans la Pensylvanie, à New —York

,des

so ciétés ab olitionnistes se formèrent,l ’esclavage dis

parut de plusieurs Etats du No rd , mais se maintintvers le Sud Où l ’on a l léguait en sa faveur la nécessitéde la culture du coton . Les fondateurs de la republique américaine échouèrent dans les efforts qu ’ il firentpour l’exclure de la confédératio n .

Dans l ’acte origine l de la déc laration d’

indépen

dance , Jefferson repro chait durement à George I II l epatronage dont ce lui- ci avait favo risé la traite Leroi , disait Jefferson , a déclaré une guerre cruelleà la nature humaine

,i l a vio lé les droits sacrés de

la v ie et de la liberté dans la personne d ’un peuplelo intain qui ne l’a j amais offensé . Ces h ommes innocents , i l les a réduits et la captiv ité , i l les a trans

« portés dans un autre’

hémisphère pour y êtreesclaves et pour périr misérab lement dans la tra

La chose semb lait la p lu s natu rel le du monde , et les souvereins de l ’Eur0pe o ccidenta le furent les p rem iers à au tor iser l ’exerc ice de la traite e t même à prendre un intérêtdans cette lucrative ent repri se .

S ir John Hawk ins fu t le prem ier Anglais qu i commanda

ouvertement u n négrier , e t l ’on accu s e la re ine E lisabethd

avo ir partic ipé aux bénéfices de l ’affaire .

Au temps des S tuar ts , quatre compagnies anglaises furentégalement cons titu ées en vue de la traite et les ro is Charles I I e t Jacqu es I I firent partie de la dern ière .

E nfin le traité d ’

A s ien to , en 1713 , créa une compagnie pourl ’exp lo itation des nègres africa ins et les actions étaient ains ipartagées

à Philippe d ’

E spagne'l/4 à la reine Anne d ’

Ang leterre ;112 réservée au pub lic .

Le nombre des esclaves impo rtés dans les co lonies anglai

ses qu i devinrent les E tats -Unis en 1776, es t évalué àj usqu ’à cette dernière date .

Page 248: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

APPENDICE 245

versée ! Cette conduite de pirates l’

opprobre despuissances infidèles

,est la conduite du ro i chrétien

de la Grande —Bretagne . Décidé à tenir ouvert unmarché où l ’on vend , Où l ’on achète des h ommes ,i l a p ros t i tu é son veto en annulant toutes les décisions de nos assemb lées qui avaient pour obj etde proh iber ou de restreindre cet exécrable commerce . E t pour que cet assemb lage d’

horreurs so itcomplet , i l excite les popu lations d ’esc laves a selever en armes au mi lieu de nous , afin d ’acheter laliberté don t i l les a privés par le meurtre de ceuxauxquel s i l les a imposés

,leur vendan t ainsi au prix

de l ’assassinat cette liberté dont i l les a dépoui l léspar un crime .

Ce paragraphe de Jefferson dans ses mémoires ,fut re tranch é pour plaire a l a Georgi e et à la ! aro line du Sud . Quant à mes co l lègues du Nord

,

aj ou te - t — il , il s furen t aussi b lessés de ma censure ;car

,encore bien qu ’i ls n

eussent pas beaucoupd ’esclaves , i l s en étaien t grands marchands pourles autres !LesÉ tat s du Sud firent donc du maintien de l’esclavagela condition s ine qu a n on de leur entrée dans l

Union ;i l fal lut y souscrire

,sous peine de renoncer à établi r

cette Union pour laquelle o n avait versé tant de sang .

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LE S M ILICE S ET L’

ARMÊE PE R M ANENTE AUX É TATS —UNIS .

A côté de l’armée permanente i l y a,aux É tats-Unis

,comme en France,mais avec des proportions ren

versées , la garde nationale , appe lée mi l i ce . Les mi

Page 249: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

246 APPENDICEl ices sont organisées par régiments

,chaque régiment

étan t composé d ’un s eul batai l lon et commandé parun co lone l

,un lieu tenan t — co lonel et un maj o r

,selon

la traditi on anglaise . Comme en France,tous les ci

toyens , en pr incipe , fon t parti e de la garde nationale ;mais

,de m ême que chez nous

,le nombre des mili

ciens effectifs,c ’ est— à dire armés , équipés et pourvus

d’un rudimen t d ’instruction militaire , se réduit , parl e fai t

,aux gens de bonne volonté . Ces mi l ices

,en ce

qui concerne leur organisation , leur armement et leurservice (en temps ordinaire , serv i ce gratui t , bien entendu) ne dépendent pas du gouvernement fédéral ,mais uniquement des gouverneurs particuliers desÉ tats . E l les on t d’ai lleu rs tous leurs o fficiers nommésà l ’é lection .

Quand le gouvernemen t fédéral a besoin , pou r unserv ice de guerre , de mo biliser un co rps de mil ice , i ladres sse une réquisition à l’un o u ap lusœurs des É tats .Chaque É tat mobi lise alors un certain nombre de rég iments , qui , pas san t pour un temps sous les ordresdu président

,reçoivent du gouvernement fédéral une

solde et des prestations en nature œ lculées, par pa

renthèse,sur un pied fort é levé . I l est à remarquer ,

tou tefoi s . que si le nombre des régiments mob i l iséspar un Etat le comporte

,le gouverneur de ce t E tat

(chef é lu du po uvo i1 exécutif) investit un citoyenque lconque du g rade de généra l

,e t lui donne le com

mandemen t du contingen t de son E tat . Comme ce c itoyen

,aussitôt que les m i l ices retournent dans l eurs

foyers,rentre lui-même dans la v i e privée , ne gardant

de ses fonctions qu ’un t itre honorifique,on comprend

d ’où proviennen t ces nombreux généraux que . l’ onrencon tre aux E tats -Unis dans tou tes les carrières o uprofessions civi les

, parmi les médecins , les avocats ,les négocian ts et même les pasteurs .

Aussitô t que l’ armée du sud qui , en 1861 , n’était

Page 251: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

248 APPE NDICEfut admis , en principe , qu

’ ils seraient tous au choixdu président de la République

,et pris parmi l’uni

versalité des citoyens , sans au tre condition que celled ’un examen préa lable . Vous voyez par là , en allantau fond des choses , que ce que les E tats—Unis se sonttrouvés dans l ’obligation de faire , ou du moins detenter

, ç’

a été de fo rmer une armée de même forceque l ’armée française e t d ’une composi tion analogue

,

et d ’ en improviser tous les éléments personne l s etmatériels aussi bien q ue les élémen ts moraux , dansl’espace de quelques semaines . Afin de se rendrecompte de la grandeur d ’un parei l effort e t d’ en préj uger les résultats

,i l faut se rappe ler que , pour un

ent‘

antement semblab le , nous avons mis quelque chosecomme 70 ans ; notre organisati on m i l itaire actuelle ,obj et d ’ envie et d

admiration pour l’E uro pe , étant , àtou t prendre

,l e p rodui t d’une tradition non in ter

rompue , de dépenses immenses d’

habitudes invété

rées dans les mœurs , les lois et l administration , enfind’une série d’ expériences qu i remontent au moinsjusqu a la Révolution française .

LE S m an s aux É TATS-UNIS . RÉ PUBLICM NS

E T DÉ M OCRATE S .

Les deux grands partis qu i se divi sent l’Amériquedu nord remontent à l ’origine de la Constitutionmême .

Les É tats—Unis,dit M . Tocqueville , forment une

inst itution comp lexe ; ou y remarque deux sociétés

Page 252: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

A PPEND ICE 249

engagées ou plutô t emboîtées l ’une dans l’autre . On yvoi t deux gouvernements complétement séparés etpresque indépendants : l ’ un habi tuel et indéfini quirépond aux besoins j ou rna l iers de la société

,l ’au tre

excep tionne l e t circonscri t q ui ne s’ app l ique qu ’ à certains intérê ts généraux , sous la forme fédé rale qui setrouve dans la Constitution et qui a paru la dernière .

Le gouvernemen t fédéra l est une exception,l e gou

vernement des É tats est la règ le commune . !

Les causes qui manquèren t€J

de faire avorter l’Uniondes États qui avaient conquis leur indépendancesubsi stent après la promulgation de la Constituti on . Dela deux grands parti s qui se partagent le pouvoir , quis’

appelaient au trefois F édéra lis te et Démocra te et quise nommen t auj ourd ’hui Répu blicain e t D émocra te .

E n 1 789 ,quand la Constitution entre en v igueur ,

nous trouvons Wash ing ton,présiden t , chef du parti

fédéra l iste,du parti qui veut un gouvernement cen

tral for t , capab le de résister à l’étranger et donnantle spectacle d’un des p lus grands pouvoirs de la terre .

Un de ses ministres qui fut plus tard aussi présiden t ,Jefferson

,chef du parti démocratique , voyai t dans

l’extension du pouvoir central un danger pour lal iberté du peuple dans chaque É tat et le germe deleur destruction .

En 1 861,les mêmes partis sont en présence .

Les répu blicains sous la présidence de Lincoln fontprédominer la doctrine de la supériorité de l ’Unionsur les É tats et défenden t cette idée que les États nepeuvent au nom de leur souveraineté attenter à l aliberté humaine ; en face d ’eux les dém ocra tes aunom de la l iberté des É tats et du texte de la Constitution réclament l’ immunité pour leurs institutions part iculières .

I l y a bien encore d’autres différences entre lesdeux partis

,qui

,suivant les ci rconstances

,l eur ont

Page 253: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

250 APPE NDICEfai t donner les sobriquets oub l iés auj ourd’hui , mêmeaNew—York et à Washing ton : N u lli/i ers , F ree-so i

lers , L oco/oo , K n ow—N o th i ng , N a tive—Am ér icans .

Les Démocrates exa l taien t l’É tat par ti cu l ier aux dépens de l ’Union , les Répub l icains sou tenaien t l’Unionaux dépens de l’E tat particu l ier . L’

annexion de nouv eaux territores étai t demandée par les premiers pourétendre l ’esc lavage

,par les autres pour l ’y pro scrire .

Ceux- ci appe laien t de tous leurs vœux l ’émigration européenne et accordaient tous les droi ts po l i tiques auxnouveaux venus dès le j our de leur arrivée ; ceux- là ,au con trai re , ne reconnaissaient de dro i ts po l it iquesqu ’aux individus nés sur l e so l , et vou laien t gardertous les avantages de la constitution américaine pourles Américains .Enfin les Républi cains , en maj orité dans le nordessen ti ellemen t manufac turier

,étaien t pro tectionni stes

pour defendre l ’ industrie ind igène contre les fabriquesétrangères

,tandis que les Démocrates du sud

,pays de

grandes cu l tures,demandaient à échang er l ibrement

les p roduits de leur sol fécond contre les marchandi

ses importées d ’

E urope .

Si la doc trine du dro it des É tats a par deux foisfai l l i fai re sombrer l’Union , l a première après la paixde 1783

,l a seconde p arce qu ’ e l le couvra i t de sa pro

t ect ion l ’ esc lavage , i l fau t prendre garde de tomberdans les extrêmes de la do ctrine o pposée . L

excès

de la cen tralisation serai t mortel pour la l iberté auxEtats —Unis .L

abolition de l ’esclavage a fai t pour j amai s disparaître la cause de disj onc tion qui existait entre leNord et le Sud

,et la po ssession du dro i t de suffrage

garantit définitivemen t l’affranehi contre la possibil ité d ’ être rédui t de nouveau en servi tude ; i l nefaut pas que le congrè s s

’avance plus loin qu ’ i lfait dans

Page 255: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

252 APPE ND ICEn ’aient pas tué avec lui la clémence et décidé

,au lieu

de la paix qu ’ il voulait , l a pacification par la force !)cet homme demeu rera , dans la trad i tion de sa patrie etdu monde . en que lque sor te le p euple incarné , ladémocrat ie moderne e l le—même .

I l fa l l ait donc le sang du j uste pour sceller l e grandœuvre d ’émancipation que le sang du j uste ava i t inauguré ! La tragique histoire de l’abo l ition de l ’ esclavageouverte avec le gibet de John Brow

,se fermera sur

l ’assassinat de Linco ln .

E t maintenant qu ’ il repose auprès deWashington ,comme le second fondateur de la grande républ ique !Tou te la démocrati e européenne est présen te enesprit à ces funérai l les

,comme el le a vo té du cœur

pour sa réé lection et applaudi à la v ic toire dans lesein de laque l le i l est enseve l i . Tout entière e l le voudra s’asso cier au monumen t que l

Amérique lui

élèvera sur le Capitole de l’esclavagisme abattu .

A l a même date M . Henri Martin s’

exprimait ainsidans le S iècleLes États—Unis ont fait une perte irréparable , et i l

faudrait remonter j usqu ’ à Washington pour trouverun citoyen qui ait rendu a la grande répub l ique améri caine autant de services que le noble et malheureuxPrésident qui vient de tomber sous les coups d’

un

misérable assassin . M . Lincoln était né en 1809 ; ilétait jeune encore et cependant on peut di re qu ’ i l n ’yeut j amais de carrière d’homme d ’ état mieux remplie .

On trouvait chez lui,à défaut des qualités trop b ri l

lentes dont on fait trop de cas en E urope , ces solides

Page 256: Abraham Lincoln Sa Jeunesse Et Sa Vie Politique

APPENDICE 253

vertu s du citoyen et ce robuste bon sens qui semblentêtre le propre de la race américaine . L’histoire en effetdira avec quelle fermeté et en même temps avecquelle modération il a su diriger la politique de l ’Union dans les circonstances les plus diffici les , et sansreco urir a des lo is d ’ exception

,et sans s ’

armer d ’unpouvoir dictatorial , traverser v i ctorieusemen t une criseOù son pays pouvait

L’

Amérique conservera le souvenir de Lincoln aumême titre que ce lui de Washington ; e l le asso ciera cesdeux noms dans sa reconnaissance

,car si l’un a fondé

l ’union,l’autre l’a empêchée de périr .

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256 TABLE DE S MAT IÈRE SI ll . Campagne électora le de 1858 . A . Linco ln et S te

phen Dou glasIV . 1860. E lection prés identie l le . Abraham Linco ln es t

élu prés ident .V . La Séces s ion . Voyage de Linco ln de Springfie ld àWash ington Comp lo t de Bal timore

VI . Inau gu ration du 4 mars 186 1 . Constitu tion des

É tats Unis . Phi lo sophie de l ’es c lavage .

TROISIEME PART IE .

ABRAHA M LINCOLN PRÉ S I DE NT DE S ÉTATS -UNIS .

I . Préparatifs de guerre . Forces et res sources res

pect ives des E tats du Nord et du Sud . Le généralLee .

I I . La po l itiqu e et la guerre . Le général Mac-C lellan . Emancipation des nègres appartenant à des rebelles

I II . Abraham Linco ln à la Ma i s o n BlancheIV . Comment u n grand peup le condu it une grandegu erre . Les vo lo nta ires e t les fédéraux Théâtrede la guerre . Opérations m i l itaires . Un jour depr ières et d

actions de grâces .

V . E lection prés identiel le de 1864 . Les tro is Convention s . L inco ln ou Mac C le l lan .

VI . Campagne de Sherman en Géorg ie . Capitulah on

du général Lee . Abo lition de l ’E sclavageE PILO GUE

A PPENDIC E .

I . Introduction de l ’esclavage aux É tats —Unis .

I I . Les m i lices américainesI II . Les partis aux E tats -Un i s . Démocrates et Républicains .

IV . Hommages rendu s par la presse française à la mémo ire d

Abraham Linco ln .

C OULOMM IERS . T yp A . MOUSSIN

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A LA M ÊM E L I BRA IR I E

E DWARD LE E CHILDE . L e g éné r a l L ee ,sa v ie e t ses campa

gnes . O uvrag e accompagné d’un portra it e t de deux

cartes. '1 vo l . in- 18 jésus , broché . 3 fr . 50

MInc LE E CH ILDE . L e g éné r a l L ee , avec u n portrai t et deuxcartes . 1 vo l . in-32

,broché . 50 c .