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Accompagner l’amour inconditionnel de soi
Mémoire de psychopraticien en psychothérapie ACP, par Sébastien Irola
Organisme de formation ACP-Integrative
Directeur de mémoire : Sébastien Daix 24 Novembre 2018
�1
Table des matières
Table des matières 2Avant Propos 3Introduction 4Problématique 8Mon rituel de préparation aux entretiens thérapeutiques 20La diversité de ma pratique 21Ma porte d’entrée dans la relation : ma bienveillance 22Là où j’en suis de mon estime de moi 24Me servir de ma bienveillance comme pierre de touche existentielle 28Mon processus personnel 28La difficulté de se heurter aux mêmes murs … 32Relation thérapeutique et humilité 35Moments de mouvement 39J’accompagne mes client.e.s à recevoir un amour inconditionnel, 46Comment se transmet, ou se transforme, cet amour de soi ? 50Relation thérapeutique et sentiment d’amour inconditionnel 54Conclusion 57Remerciements 59Bibliographie 60Index des notions abordées 63Annexe 64Introduction aux analyses de processus 65Analyse de processus n°1 66Analyse de processus n°2 77« Conclusion » aux analyses de processus 89Résumé 90Mots clés 90
�2
Avant Propos
Je tiens ici à vous poser le décor, vous indiquer dans quel esprit je vous invite à lire
ces lignes que je partage avec vous aujourd’hui.
Je détaillerai le processus que cette rédaction m’a fait vivre plus en détail dans les
lignes qui vont suivre, mais j’ai ressenti le besoin de vous faire en amont la
précision qui suit.
Bien loin de moi l’idée de faire ici une démonstration, au sens de la démarche
scientifique du terme, avec une suite très logique d’hypothèses, d’arguments et de
vérification de ces hypothèses au regard de preuves irréfutables, au sens de ce
que j’ai appris dans ma formation antérieure d’ingénieur.
Non, je préfère, et c’est comme cela que j’ai rédigé ce document, faire une
démonstration, au sens de vous montrer quelque chose !
J’aurais souhaité produire un écrit qui soit parfaitement cohérent de bout en bout,
qui « coule » avec une fluidité toute naturelle et qui soit à la fois facile et agréable à
lire.
Alors je ne sais pas comment vous allez vivre cette expérience, mais je tiens à
vous préciser que j’ai rédigé ce mémoire « par blocs », de façon « non linéaire »,
guidé par l’envie de partager avec vous. J’ai ensuite agencé ces « blocs » dans
une certaine forme de logique, qui reste tout à fait discutable !
Je me dis qu’il est tout à fait possible que vous ne lisiez pas ce mémoire de façon
linéaire, et peut-être est-ce préférable ?! Je vous laisse seul.e juge de cette
décision ! C’est une liberté, et un choix qui vous appartient, qu’en ferez-vous ?!
�3
Introduction
un exercice d’écriture pour explorer ce que la rédaction de ce mémoire me fait vivre
La fiche descriptive de cet exercice figure en annexe, en voici le résultat :
1 - Je suis en sixième année de formation à l’écoute ACP (Approche Centrée sur la
Personne) selon Carl Rogers. Je pratique à mon compte depuis un peu plus d’un
an et demi et suis en pleine rédaction de mon mémoire de certification à la pratique
de la psychothérapie.
2 - Pour être heureux, il me manque une pleine et entière satisfaction de moi-
même, dans ce processus de rédaction.
3 - Au départ, je reçois un message de confiance dans ce processus de la part de
Sébastien Daix, mon directeur de mémoire. J’avais tendance à lui faire confiance
tout en doutant de mes capacités à mener à bien ce projet.
4 - Je me suis lancé dans cette aventure il y a plus de deux ans déjà. Le chemin
n’est pas simple, il est jalonné d’épreuves, mais aussi de réussites.
5 - En chemin, je rends service à plusieurs client.e.s, certain.e.s avec lesquels ça
n’accroche pas vraiment, mais d’autres qui mettent en place de réelles ressources
en avant, dans la résolution de leurs problématiques.
6 - Malgré ces réussites, je fais régulièrement face à mes peurs, qui changent de
forme ou de sujet au fil de l’aventure, mais me retournent à chaque fois les tripes.
C’est globalement ma peur de ne pas parvenir à produire un mémoire à l’image
que je m’en fais : avec de nombreuses références théoriques, pratiques et le tout
en cohérence très fine avec ma question de départ et une problématique finement
ciselée.
�4
7 - Pour changer de décor, je prends soin de moi de diverses manières, la plupart
nouvelles pour moi : par un soin et une constellation de l’âme, un massage
balinais, une séance d’art thérapie lors d’un séminaire, en marchant régulièrement
avec mon chien, en démarrant ma participation à un cercle d’hommes, en me
rapprochant d’un groupe de praticiens et thérapeutes du bien-être, en poursuivant
notre groupe de rencontre ACP ad hoc, en m’autorisant deux journées de
développement personnel et en développant des projets professionnels avec des
personnes qui m’inspirent confiance …
8 - Avec cette lutte en toile de fond contre ma peur du manque d’argent, qui
terrasserait ma famille si je n’y suis pas vigilant ? Son emprise sur moi vient par
vagues d’angoisse et me fait perdre mes moyens, tend à me faire fuir, me terrer
dans mon trou …
9 - Pour autant, je ne baisse pas les bras et m’ouvre à des solutions qui s’offrent à
moi, un financement familial notamment.
10 - Je me retrouve alors face à ce constat qui me pèse, me coûte profondément :
je suis dépendant et incapable de m’en sortir seul, par moi-même … C’est ce
regard jugeant sur moi-même qui se cache là, terré bien profond en moi-même. Il
guette tous mes faits et gestes pour les « descendre », leur faire perdre leur raison
et leur valeur … C’est ce travail de sape intérieur constant qui m’use et m’empêche
de mobiliser toute mon énergie au service de mon objectif ultime : devenir une
meilleure version de moi-même!
11 - Ce regard jugeant me terrasse … me plombe … me fait ployer, me cacher,
capituler … Il est trop fort, trop présent, trop …
12 - C’est alors, lors d’une séance d’accompagnement à l’écriture qu’avec
Sébastien Daix et Jean-Philippe Saulet j’en viens à faire l’exercice ci-présent, qui
me permet de poser les choses et de nommer ces peurs qui me figent, me
bloquent, me tétanisent, me paralysent et leur lien avec cette partie jugeante en
�5
moi-même, qui sape mes efforts et empêche toutes les autres parties de moi
(seulement partiellement aujourd’hui) d’être et d’exister.
13 - Il est temps que la dictature intérieure cesse ! Le peuple de mes autres parties
de moi se soulève ! Ce sont toutes ces configurations qui peuvent s’unir : mon
enfant intérieur joueur et boudeur, mon adolescent intérieur en colère et désireux,
mon thérapeute bienveillant et intègre, ma partie père et beau-père qui se veut
forte et cadrante (sécurisante?), ma partie mari amoureux et rassurant, …
Ils font face au fils blessé qui a trop donné et porté sur ses épaules, à l’étudiant
submergé et dégoûté, à l’animateur effacé et dominé, …
Toutes ces parties coexistent en moi, dans des rapports parfois conflictuels certes,
mais NOUS AVANÇONS !
14 - Ca ne sera qu’au terme de ce travail de symbolisation que je pourrai
pleinement recevoir la reconnaissance des miens : des parties de moi, de ma
famille, de mes collègues et pairs … La consécration de ce certificat, certes non
diplômant, marquera le début (ou la confirmation) d’une nouvelle ère … intérieure
et extérieure pour moi.
15 - Je ne connais pas la fin de cette histoire !
Je fais ici référence à quelques concepts théoriques que je détaillerai et présenterai
plus loin dans ce document.
Il me semble que Maria Vilas-Boas Bowen (1984) exprime très bien ce qu’il a pu se
passer pour moi lors de mon processus de formation, et la direction dans laquelle
je souhaite tendre, en tant que thérapeute :
« L’essence même de la connaissance expérientielle est le développement
de notre niveau de conscience découlant de notre connexion à notre
voyage intérieur. »
Voyage intérieur qu’il m’a semblé illustré précédemment !
« A mesure que nous avançons en profondeur et que nous augmentons la
connaissance de nous-mêmes, des couches de mal-être se dissipent, les �6
perceptions se clarifient et nous devenons de plus en plus capables de
différencier nos projections et distorsions de ce qui est. »
Cela fait référence, pour moi, à mes peurs.
« Grâce à cette lucidité, nous nous sentons plus libres de laisser notre
intuition guider notre démarche auprès du client. A partir de ces « insights »
intuitifs, des aptitudes et des techniques appropriées émergent
spontanément dans le contexte du moment. » 1
C’est effectivement la sensation que j’ai, en regardant aujourd’hui mon processus
de formation et là où j’en suis aujourd’hui !
Maria Vilas-Boas Bowen (1984), Le processus thérapeutique, le thérapeute, l’apprentissage. 1
Center for Studies on the Person, La Jolla (California).�7
Problématique
Question de départ
Je souhaite commencer par vous livrer le processus de formulation de ma question
de départ, pilier de ce travail de symbolisation :
Aujourd’hui, elle s’exprime de la façon suivante : Comment, en tant que psychopraticien dans l’approche centrée sur la personne (ACP), je facilite
l’amour inconditionnel de soi ?
Cette question ne m’est pas venue sous cette forme immédiatement. Mon
processus de formalisation de cette question s’est étendu sur plusieurs années.
Il y a plusieurs années m’est apparue l’importance, pour moi, de la considération,
dans ce sens qu’elle exprime une forme de sidération, d’attention profonde et
mutuelle entre deux personnes qui sont en relation. Ce terme est très proche du
concept de Regard Positif Inconditionnel au sens de l’Approche Centrée sur la
Personne, développée par Carl Rogers au fil de sa carrière.
Je citerai ici l’une de ses dernières expressions concernant cette attitude, qu’il
place au deuxième rang, après l’authenticité (dont je parlerai plus loin dans cet
écrit) (Rogers, 1980):
« La seconde attitude importante à la création d’un climat de changement
est l’acceptation, ou la bienveillance, ou la valorisation - ce que j’ai appelé
“regard positif inconditionnel.” Lorsque le thérapeute fait l’expérience d’une
attitude positive et acceptante vis-à-vis de tout ce qu’est le client dans
l’instant, il est plus probable que se produise un mouvement thérapeutique
ou de changement. (…) Le thérapeute valorise le client en totalité plutôt que
d’une manière conditionnelle. » 2
Rogers, C. R. (1980) A way of being. Boston : Houghton Mifflin. p. 114-1172
�8
Pour moi, être bienveillant c’est accueillir l’autre personne telle qu’elle est, sans
aucun jugement, ni sur ses actes ou ses paroles. C’est lui permettre d’être elle-
même. Je pense que cette façon d’être est un trait de caractère assez naturel chez
moi. Petit et en grandissant, je ne me suis jamais reconnu dans les railleries ou les
moqueries.
Ensuite, j’ai relevé l’importance pour moi du cadre familial, dans ce sens qu’il me
renvoyait à ma propre expérience personnelle. J’ai la sensation d’avoir reçu de
l’amour de la part de mes parents, et pourtant je n’étais pas capable de l’intégrer en
moi, de me reconnaitre avoir le droit de recevoir cette bienveillance. Bienveillance
que je ne m’accordais pas à moi même, en conséquence.
Cela m’interroge profondément, qu’est-ce qui fait qu’une personne va pouvoir, à un
moment donné, recevoir la considération profonde et sincère d’une autre personne,
et faire en sorte de l’intégrer pour elle-même, de se l’approprier ?
Je préciserai ici que j’utilise parfois alternativement les termes de facilitation et
d’accompagnement, de faciliter et d’accompagner. Pour moi ces mots sont presque
des synonymes, en ce sens qu’ils traduisent un positionnement « à côté » de la
personne, en aucun cas devant ou derrière elle, tout au long de son cheminement
personnel en thérapie. Je ne me sens ni supérieur, ni inférieur à la personne avec
laquelle j’entre en relation thérapeutique. Je m’en sens égal, au titre que nous
sommes tous deux des êtres humains ! Cela me semble tout indiqué pour vous
présenter :
Mon socle conceptuel et théorique : l’approche centrée sur la personne
Cette première partie brosse déjà plusieurs concepts qui appartiennent au champ
humaniste de la psychologie, et la psychothérapie en particulier. J’ai assez peu
exploré les autres champs de ces disciplines, si ce n’est qu’en les balayant au fil de
ma formation intégrative.
�9
Le socle fondamental des valeurs humanistes de l’ACP me rejoint profondément
dans ma conception de mes relations inter et intra personnelles.
Je crois profondément en ce potentiel, ces capacités de développement, cette
tendance actualisante (Rogers, 1979) et formative en chacun.e de nous (tendance
formative que je ne traiterai pas dans cet écrit, mais dont la valeur me parait
essentielle dans sa reliance au tout). Cet élan vital qui nous pousse à avancer, à
intégrer, et à réagir de multiples façons, tendant à la réalisation de nous-mêmes.
« (…) il y a dans l’organisme humain une source d’énergie directionnelle ;
(…) cela correspond à une fonction digne de confiance, propre à
l’organisme tout entier plutôt qu’à une partie de celui-ci ; et (…) elle est
peut-êt re la mieux représentée comme une tendance vers
l’accomplissement, vers la réalisation, non seulement vers la préservation
mais aussi vers l’épanouissement de l’organisme. » 3
Je ne peux pas concevoir d’avoir les réponses aux problèmes des autres, ne les
ayant pas pleinement pour les miens ! C’est pourquoi le terrain non directif de l’ACP
me convient et me rassure au plus haut point (Pagès, 1993).
« La non-directivité, c’est d’abord une attitude envers le client. C’est une
attitude par laquelle le thérapeute se refuse à tendre à imprimer au client
une direction quelconque, sur un plan quelconque, se refuse à penser que
le client doit penser, sentir ou agir d’une manière déterminée.
Définie positivement, c’est une attitude par laquelle le conseiller témoigne
qu’il a confiance dans les capacités d’auto-direction de son client. » 4
Il m’est effectivement possible d’accompagner l’autre sans avoir la prétention de
l’orienter, de le diriger. Cela est, pour moi, la marque d’une grande humilité, qui me
semble bien plus productive. Ainsi l’apprentissage est pleinement fait par la
personne elle-même, plutôt que lui avoir été suggérée ou imprimée par une tierce
personne extérieure.
Rogers, C. R. (1979) Un manifeste personnaliste. Fondements d’une politique de la Personne. 3
Junod édition Traduction On Persona power, 1977, Delacorte Press, New York, USA. p. 195
Pagès, M. (1993) L’orientation non directive en psychothérapie et en psychologie sociale. Dunod. 4
p. 37�10
En cela, que l’expérience soit le terreau d’un apprentissage intégré me convient
tout à fait. L’experiencing, conceptualisé par Gendlin et repris par Rogers (1980),
me semble être la façon la plus authentique de percevoir, ressentir, conscientiser,
symboliser et intégrer ce que nous vivons pour en faire une partie de nous même,
de notre expérience de vie.
« Lorsqu’un sentiment, réprimé jusque-là, est éprouvé pleinement et de
façon acceptante en conscience durant une relation thérapeutique, il n’y a
pas seulement un changement psychologique ressenti, mais aussi un
changement physiologique concomitant, alors qu’un nouvel état d’insight est
atteint. » 5
J’ai, jusqu’à peu, beaucoup été focalisé sur le vécu mental et rationnel de ma
personne, et des autres, pour me rendre compte, ces dernières années, de la plus
grande richesse d’un vécu organique, émotionnel et spirituel. En cela, prendre en
considération la personne, moi ou une autre, comme un ensemble de toutes ces
sphères est tellement plus gratifiant et proche de ce qui me semble être plein,
entier. En cela, l’approche holistique de l’ACP me convient également
profondément.
En effet, la vision anthropologique de l’ACP reconnait et prend en
considération plusieurs dimensions de la personne : ses dimensions
physique, émotionnelle, professionnelle ou scolaire, sociale et projective.
Enfin, et pour commencer le travail que je souhaite exposer ici, comment faire en
sorte que chaque personne que je rencontre, dans le sens profond de la rencontre,
qu’elle soit thérapeutique ou interpersonnelle, puisse avoir cette perception d’elle-
même qui la mène à être pleinement elle-même, fonctionnant pleinement au sens
de l’ACP (Rogers, 1961) ?
« La personne qui aurait fait l’expérience théoriquement optimale d’une
thérapie de type « non-directif » pourrait être décrite comme fonctionnant
Rogers, C. R. (1980) A way of being. Boston : Houghton Mifflin. p. 1325
�11
pleinement. Cette personne serait capable d’éprouver et d’accepter
pleinement toutes ses expériences, pensées, sentiments et réactions. »
Comment pourrait-elle faire cela ?
« En s’efforçant d’appréhender, aussi exactement que possible, la situation
essentielle interne et externe, elle se servirait de son équipement
organismique tout entier.
Elle utiliserait consciemment toutes les données que son système nerveux
est capable de lui fournir ; tout en reconnaissant qu’il y a parfois plus de
sagesse à se laisser guider par les données de l’organisme total que par
celles de la seule conscience. »
Cela ne parait effectivement pas être si évident !
« Elle serait capable de s’en remettre à son organisme fonctionnant dans
toute sa complexité et de se laisser guider, parmi les nombreuses
alternatives, vers le comportement qui assurera la satisfaction la plus
complète et la plus authentique de l’ensemble des besoins existant à un
moment déterminé.
Elle se ferait confiance, non parce qu’elle est infaillible, mais parce qu’en
étant pleinement ouverte aux conséquences de chacune de ses décisions,
elle est en mesure de corriger celles qui s’avèrent inadéquates. »
Cela donne envie, n’est-ce pas ?!
« Cette personne serait donc capable de faire face à tous ses sentiments et
ne se sentirait menacée par aucun d’eux?
Elle serait son propre juge : c’est elle qui examinerait les données et tous
les témoignages : mais elle serait ouverte à toutes les sources de données
et n’en exclurait aucune. »
En d’autres mots, elle fonctionnerait exclusivement à partir de son lieu d’évaluation
interne. C’est-à-dire que la personne évalue ses actes et ses pensées uniquement
à partir de son propre référentiel interne, et non en fonction de ce que peuvent en
penser des personnes (ou des institutions) extérieures.
« Elle serait totalement engagée dans le processus par lequel elle est et
devient de plus en plus elle-même.
Elle découvrirait qu’elle a des tendances sociales constructives et réalistes.
�12
Elle existerait totalement dans le moment présent et elle découvrirait que ce
mode de vie s’avère à la longue, le plus satisfaisant. » 6
De nombreux écrits, que je ne détaillerai pas ici, peuvent attester qu’une personne
qui a suivi un processus thérapeutique réussi tend effectivement de plus en plus à
fonctionner de cette manière !
Il y a pour moi une composante déterminante de la réponse à ma question de
départ, et elle se situe dans cette distance entre le Self idéal de la personne, ce
qu’elle aimerait, ou croit qu’elle aimerait, être, et son Self réel, celle qu’elle ne peut
s’empêcher d’être (Rogers, 1961). Cette distance je l’appellerai, comme d’autres
avant moi, l’estime de soi. Cette estime de soi est essentielle, centrale dans ma vie
intra et inter personnelle. Et plus nous avançons sur cette question, plus la distance
entre Self idéal et Self réel s’amenuise.
« en d’autres mots, le Self idéal (devient) moins parfaitement « ajusté »,
plus facilement atteignable. Il est, en quelque sorte, un but à atteindre
moins culpabilisant. » 7
Je souhaite explorer en quoi je peux accompagner la personne à s’approprier sa
propre estime d’elle-même pour aller vers une personne qui fonctionne plus
pleinement.
Pour cela je placerai la focale de mon travail sur la relation qui s’établit entre une
personne que j’accompagne en travail thérapeutique et moi, dans ma dimension de
thérapeute ACP.
Rogers, C. R. (1961) Développement de la Personne. synthèse du chapitre sur la personne 6
fonctionnant pleinement par S. Daix.
Rogers, C. R. (1961) On Becoming a Person: A Therapist’s View of Psychotherapy. Boston : 7
Houghton Mifflin. p. 236�13
Mon hypothèse générale
Pour répondre à cette question, et la mettre à l’épreuve des faits, je fais l’hypothèse
générale suivante :
En fonctionnant pleinement, au sens de l’ACP (Rogers, 1961), j’apporte les attitudes et le cadre (Rogers, 1942 & 1957) qui permettent à la personne de faire l’expérience de l’amour inconditionnel de soi.
Cela soulève et évoque plusieurs concepts chers à l’Approche Centrée sur la
Personne, que je peux tenter de clarifier ici pour vous.
Fonctionner pleinement (Rogers, 1961), comme cité plus haut, signifie d’après
moi : approcher une circulation la plus fluide possible entre des perceptions
sensorielles et viscérales, perçues directement par notre corps avant qu’elles
soient conscientisées, leur émergence à la conscience, leur symbolisation, puis
leur mise en mots ou en gestes qui traduiront effectivement la prise en compte et
l’adaptation aux perceptions initiales. Cela peut paraître compliqué énoncé ainsi, je
tâcherais d’en clarifier les rouages en m’appuyant sur mon expérience.
Les attitudes dont il est question, et dont je n’en ai évoqué qu’une jusqu’à présent,
constituent les trois piliers de l’ACP : la Congruence, le Regard Positif
Inconditionnel (RPI) et la Compréhension Empathique. En d’autres mots, il s’agit de
la bienveillance, du non jugement, du ressenti empathique de ce que la personne
vit et exprime de façon verbale ou non verbale, et de l’authenticité, à la fois interne
et externe. (Rogers, 1980)
« Le premier élément pourrait être appelé sincérité, authenticité, ou
congruence. Plus le thérapeute est lui-même ou elle-même dans la relation,
ne présentant aucune façade professionnelle ou masque personnel, plus
grande est la probabilité que le client changera et grandira d’une manière
constructive. (…) Pour ce qui est du thérapeute, ce dont il ou elle fait
l’expérience est accessible à la conscience, peut être vécu dans la relation,
et peut être communiqué, si cela est approprié. Ainsi, il y a une adéquation �14
proche, ou congruence, entre ce qui est expériencié au niveau viscéral, ce
qui est présent à la conscience, et ce qui est exprimé au client. »
Pour moi, être congruent, c’est être tout à fait sincère, avec moi-même déjà, de
reconnaître ce qu’il se passe en moi, c’est la congruence interne. Et c’est aussi
parvenir à trouver les mots ou les expressions corporelles justes pour exprimer cela
à l’autre personne, il s’agit alors de ma congruence externe. Lorsqu’elles sont en
adéquation, alors je me sens bien, je me sens libre d’être et d’exprimer qui je suis.
La seconde attitude, le RPI, a été décrite plus haut dans ce texte (p. 7).
« Le troisième aspect facilitant dans la relation est la compréhension
empathique. Cela veut dire que le thérapeute ressent avec précision les
sentiments et les significations personnelles dont le client fait l’expérience,
et communique cette compréhension au client. Lors d’un fonctionnement
plein, le thérapeute est tellement à l’intérieur du monde privé de l’autre qu’il
ou elle peut clarifier non seulement les significations dont le client est
conscient mais aussi celles qui sont juste à la lisière de la conscience. (…)
écouter, de cette façon très particulière, est l’une des forces de changement
les plus puissantes que je connaisse. » 8
Pour moi, l’empathie c’est de pouvoir ressentir les émotions et les sentiments que
ressent l’autre personne, sans pour autant se noyer dedans ou « fusionner » avec
elle. C’est pour cela qu’il est important pour moi plutôt de parler de compréhension
empathique, c’est ressentir tout en faisant la part de ce qui m’appartient et ce qui
appartient à l’autre personne.
Ces trois attitudes, adjointes de trois autres conditions nécessaires et suffisantes
(Rogers, 1957), posent un cadre qui permet une sécurité psychologique à la
personne, et ainsi les conditions à l’acceptation de qui elle est profondément, et
ainsi d’amorcer un processus de changement de personnalité. Ces trois autres
conditions sont le contact psychologique, la perception de la personne d’une forme
de malaise, de fragilité émotionnelle our psychologique (dite d’incongruence), et la
Rogers, C. R. (1980) A way of being. Boston : Houghton Mifflin. p. 114-1178
�15
perception de cette personne d’au moins deux des trois attitudes fondamentales :
le RPI et la compréhension empathique.
« 1. L’existence d’un contact psychologique entre deux personnes.
2. L’existence, chez la première, appelée client, d’une discordance
intérieure, d’une vulnérabilité ou d’une anxiété.
3. L’existence, chez la seconde, appelée thérapeute, d’une concordance
intérieure (congruence) ou d’une véritable intégrité relationnelle.
4. L’existence, chez le thérapeute, d’une considération (ou d’un regard)
positive inconditionnelle à l’égard du client.
5. L’existence, chez le thérapeute, d’une compréhension empathique du
cadre de référence interne du client et la volonté de lui partager cette
compréhension.
6. La perception par le client de la compréhension empathique et de la
considération positive inconditionnelle que lui porte le thérapeute. » 9
L’importance du cadre
Je ne traiterais pas ici de l’importance et de l’effet du cadre horaire, géographique
et « réglementaire » qui sont des éléments tout aussi importants au sentiment de
sécurité psychologique de la personne. Cela, en étant tout à fait conscient de son
importance capitale. (Rogers, 1942)
« La relation d’aide représente un genre de lien social qui diffère de tous
ceux que le client a éprouvés jusque-là. Souvent des parties importantes
des premières entrevues sont consacrées à des essais variés pour
comprendre ce type différent de relation humaine et en faire l’épreuve.
L’aidant doit reconnaître cela s’il veut maîtriser efficacement la situation. » 10
Je préciserai ici l’importance d’avoir entamé un processus de supervision tout au
long de ma pratique. Celui-ci m’a permis d’avancer et d’être plus pertinent, plus
Rogers, C. R. (1957) The necessary and sufficient conditions of therapeutic personality change, 9
Journal of Consulting Psychology, pp. 95-103.
Rogers, C. R. (1942) Counseling And Psychotherapy. Ed : Houghton Mifflin, Boston.10
�16
affirmé, concernant notamment le cadre de la pratique thérapeutique que je
propose.
Mes hypothèses opératoires
Je rappelle ici - ma question de départ : Comment, en tant que psychopraticien ACP, je facilite
l’amour inconditionnel de soi ? - et mon hypothèse générale : En fonctionnant pleinement, au sens de l’ACP
(Rogers, 1961), j’apporte les attitudes et le cadre (Rogers, 1942 & 1957) qui
permettent à la personne de faire l’expérience de l’amour inconditionnel de soi.
L’hypothèse générale que je souhaite explorer paraît difficile à traiter directement,
et sera donc divisée en trois hypothèses opératoires, auxquelles j’apporterai des
éléments au fil de cet écrit.
La première est que ma porte d’entrée dans la relation est mon RPI. Celui-ci
permettrait de remplir trois des six conditions, à savoir d’établir principalement et de
manière primordiale un contact psychologique, d’incarner et de faire ressentir ce
RPI à la personne. J’explorerais par quels moyens, et de quelles manières cette
attitude est centrale dans mon processus d’accompagnement. Je n’enregistre pas
mes premiers entretiens par souhait de préserver l’objectif premier de cette
séance : instaurer la confiance dans la relation. Pour cela, dans ma pratique, je ne
peux me baser que sur mes notes et mes souvenirs sensoriels et cognitifs de ces
entretiens. L’accroche théorique reste la vision détaillée par R. Sandford dans son
article de 1984 (Sandford, 1984). Il semblerait que cette bienveillance soit le socle
qui permet de matérialiser et donner une réalité à la relation ?
« C’est seulement lorsque le besoin de défense, ou le besoin ressenti de
défense, diminue dans cette relation sécure que le client commence à
ressentir un regard positif sur soi sans conditions – ou regard positif
inconditionnel envers lui-même. Peut-être, plus exactement, que plus le
besoin ressenti de défense ou de protection diminue, moins le client met de
conditions à son propre sens de valeur personnelle. Et dans la mesure où le �17
client perçoit le regard positif inconditionnel du thérapeute, ce changement
ou mouvement peut survenir. » 11
La seconde est que lorsque cette attitude fonctionne en interrelation avec les
deux autres, compréhension empathique et congruence, alors elle devient pleinement facilitatrice, les trois autres conditions devenant respectée (Rogers,
1980). Il y a quelque chose d’un fonctionnement plein qui se met en place (Rogers,
1977), je peux mobiliser à la fois mes ressentis viscéraux, mes reflets émotionnels
et mes propositions cognitives.
« Plus le thérapeute est lui-même dans la relation, n’affichant pas une
contenance professionnelle ou une façade personnelle, plus il est
vraisemblable que le client changera et se développera de manière
constructive. Cela signifie que le thérapeute est ouvertement les sentiments
et les attitudes qui coulent à l’intérieur de lui-même à ce moment là. (…) ce
qu’il (le thérapeute) expériencie est disponible à sa conscience, peut être
vécu dans la relation et communiqué si cela convient. Ainsi y a-t-il une
harmonisation, ou congruence, entre ce qui est expériencié viscéralement,
ce qui est présent à sa conscience et ce qui est exprimé au client. » 12
Ce qui amène la personne écoutée à faire l’expérience, dans l’ici et maintenant de
sa vision d’elle-même (Rogers,1961)
« A ce moment-là, le soi est ce ressenti (…) Le soi est subjectivement dans
le moment existentiel. Ce n’est pas quelque chose que l’on perçoit . » 13
Sandford, R. (1984) Le regard positif inconditionnel : une manière d’être mal comprise, ACP 11
Pratique et recherche n°9, p 21.
Rogers, C. R. (1977) C. Rogers on Personal Power. Ed : Delacorte Publishing Company. p. 9.12
Rogers, C. R. (1961) On Becoming a Person: A Therapist’s View of Psychotherapy. Boston : 13
Houghton Mifflin. p. 147.�18
La troisième est qu’à partir de ce vécu expérientiel la personne développe ses propres clés pour s’apporter un amour inconditionnel à elle-même,
autrement dit qu’elle augmente son estime d’elle-même de façon positive. Ainsi la
personne a la possibilité de passer d’un « état » plutôt rigide et fixe, à un « état »
plus fluide et en mouvement, en accord avec son lieu d’évaluation interne. (Rogers,
1961)
« Tout au long de la discussion qui va suivre, j’admettrai que le client
s’éprouve lui-même comme étant pleinement accepté. J’entends par là que
quels que soient ses sentiments - crainte, désespoir, insécurité, colère -
quelle que soit la manière dont il envisage sa propre situation à ce moment,
il perçoit qu’il est psychologiquement accepté, tel quel, par le
psychothérapeute. Ceci implique donc une compréhension empathique et
une acceptation inconditionnelle.
Il convient également de souligner que c’est l’expérience qu’a le client de
cette acceptation qui la rend optimale, et non seulement le fait de sa
présence chez le thérapeute. (…)
Le continuum le plus significatif se développe à partir d’un point fixe vers le
changement, à partir d’une structure rigide vers une fluidité, à partir d’un
état de stabilité vers un processus évolutif. (…)
Je vais essayer d’indiquer la manière dont je me représente les étapes
successives du processus par lequel le sujet passe de la fixité à la fluidité,
d’un point situé près du pôle statique du continuum à un point situé près de
« son pôle en mouvement.» 14
De manière à mettre cela en pratique, je mets en place des entretiens
thérapeutiques de psychothérapie et de counselling. Pour que les conditions
d’accueil soient optimales, de mon point de vue, je me prépare à la tenue de ces
entretiens.
Rogers, C. R. (1961) Développement de la Personne. p 85-8614
�19
Mon rituel de préparation aux entretiens thérapeutiques
Lorsque j’en ai la possibilité, le plus facilement lorsque je reçois mes client.e.s dans
mon cabinet principal, j’aime prendre le temps de me préparer aux entretiens.
Je me rends disponible 10 à 15 minutes avant l’entretien.
J’ai déjà préparé la salle au préalable. Je prends quelques minutes pour me tapoter
le corps en suivant un exercice de Do In. Cela me permet de « réveiller tous mes
canaux de réception » à ce qu’il va se passer en séance.
Je m’assieds ensuite pour relire mes notes ou réécouter un passage de l’entretien
précédent. Un peu à l’image de ce que je retiens de mes lectures d’Irvin Yalom,
pour faire en sorte que les entretiens se suivent, et ne forment qu’une grande
séance de thérapie en continu. Cela me replonge là où en était la personne lors de
la dernière séance, tout en me disant qu’il s’est passé du temps depuis (une à trois
semaines parfois) et qu’elle n’en est plus tout à fait à cette étape là. C’est plutôt un
exercice pour moi de préparation, je reste tout à fait disponible à ce que la
personne va être aujourd’hui en séance.
Je prends alors quelques minutes de respiration profonde, en « mettant de coté »
mes préoccupations personnelles, et en plaçant mon intention et mon attention à
être pleinement disponible à la personne que je reçois.
J’ai parfois même la sensation de ressentir l’état émotionnel de la personne qui est
en train d’arriver… Cette sensation est encore parfois très subtile, mais s’avère être
assez proche de la réalité…
Nul besoin de préciser que je mets mon téléphone en silencieux dès que la
sonnette retentit !
Une fois la séance écoulée, et dans le cas où je ne l’ai pas enregistrée, je prends
quelques notes sur le contenu et le processus tel qu’il m’est apparu. Je conserve
toutes ces notes et enregistrements dans des fichiers protégés par mot de passe, �20
et ne laisse apparaitre qu’un code numérique et une lettre, pour respecter au mieux
la confidentialité de ces données.
La diversité de ma pratique
Je tiens ici à faire un petit point sur le panel des accompagnements que je propose,
qui varie, dans mon contexte professionnel, selon le cadre ou le nombre de
personnes accompagnées à la fois (pointage au 01/06/18) :
Figurent en bleu les extraits qui illustrent ma pratique dans ce mémoire, et en
orange les études de cas que j’ai choisi de détailler davantage.
Je ne mentionne pas ici les écoutes informelles que je mets en place dans mon
contexte familial, étant mari, père d’un enfant et beau-père de deux adolescents,
fils de ma mère, de mon père, frère d’une sœur et tonton de 3 enfants !
Je ne fais pas non plus état des nombreuses écoutes mises en place tout au long
de mon processus de formation, lors des sessions de formation (10/an pendant 6
ans), des groupes de rencontres (10/an pendant 6 ans), des séminaires de deux à
trois jours (1 à 2 par an pendant 6 ans)…
individuel adulte individuel adolescent
enfant (+ parents)
couple 3 à 5 personnes
> 5 personnes
thérapie adulte
counselling adulte
tutorat thérapie ado.
counselling ado.
thérapie par le jeu
thérapie de
couple
Groupes Formation
1 à 2 séance
s
6 clients, 7 séances
10 clients, 12 séances
1 personne
1 cliente, 1 séance
2 clients, 2 séances
1 client, 1 séance
8 clients, 7 séances
8 personnes, 1 rencontre
26 personnes, 1 intervention
3 à 5 séance
s
6 clients, 20 séances
3 clients, 11 séances
3 clients, 10 séances
4 clients, 6 séances
6 personnes, 3 groupes
5 à 10 séance
s
4 clients, 25 séances
2 clients, 13 séances
2 clients, 10 séances
15 personnes, 8 réunions
> 10 séance
s
2 clients, 46 séances
1 client, 28 séances
1 client, 17 séances
1 client, 11 séances
5 personnes, 19 groupes
�21
Ma porte d’entrée dans la relation : ma bienveillance
Entrer en relation.
Quels sont les éléments qui vont faire que deux personnes, qui ne se connaissent
pas de prime abord, vont entrer en relation ? Qui plus est, pour que l’une d’elle livre
à l’autre des aspects les plus intimes de sa personnalité, de sa vie, de ses soucis et
ses ennuis ?
J’ai toujours voulu entrer en profondeur relationnelle (Mearns & Cooper, 2005) avec
les autres.
« un état de profond contact et d’engagement entre deux personnes, dans
lequel chaque personne est pleinement soi avec l’autre et capable de
comprendre et de sentir la valeur des expériences de l’autre. » (traduction 15
S. Daix)
A tel point que je me sentais un peu comme un extraterrestre lors de mes années
d’études où ne primait que la discussion superficielle, les blagues ou les contenus
très sérieux des cours que nous apprenions. Je ne trouvais de satisfaction dans
aucune de ces façons d’interagir avec l’autre. J’ai toujours ressenti un intérêt
profond pour connaître l’autre, dans ce qu’il a de plus humain, de plus particulier et
de plus universel à la fois. Mais à cette époque je ne savais pas parler de moi, ni
accueillir l’autre avec sincérité.
Cela a été pour moi tout un parcours pour y parvenir aujourd’hui, d’une manière
que je trouve satisfaisante, mais que je remets régulièrement en question.
Il me semble que mon regard bienveillant est un élément central dans mon entrée
en relation avec les personnes.
Je ne les juge pas. J’ai envie de les accueillir telles qu’elles sont, d’autant plus
facilement pour moi, lorsque je les reçois en thérapie. Cet exercice reste plus
Mearns, D. & Cooper, M. (2005) Working at Relational Depth in Counseling and Psychotherapy. 15
London : Sage publications.�22
difficile pour moi dans ma sphère familiale, où les implications émotionnelles sont
plus fortes et plus imbriquées les unes dans les autres ! Il me semble parvenir
également à cet exercice avec mes pairs, avec lesquels j’estime que nos échanges
sont très riches, lors de notre formation, des séminaires auxquels nous assistons.
Mon regard est bienveillant. Mon sourire est bienveillant. Et cela se lit sur mon
visage, transpire de ma personne d’après certains de mes proches.
Est-ce une porte suffisamment large et ouverte pour que la personne s’engouffre
dans la relation ?
Je ne sais pas lire cela chez les personnes que je reçois. Mais certaines
reviennent… plusieurs fois. D’autres pas.
Cela m’apprends à rester humble également.
Je citerai ici Ruth Sandford (1984) qui dit toute l’importance du Regard Positif
Inconditionnel, en particulier, et décrit de façon plus détaillée sa part dans les
relations, et ses effets tout au long d’un continuum de relations courtes ou longues :
« Le regard positif inconditionnel est un besoin fondamental,
omniprésent et persistant.
Pour qu’un individu puisse éprouver et exprimer un regard positif
inconditionnel, il faut d’abord qu’il en ait lui-même fait l’expérience de la part
d’une autre personne signifiante. »
Je remercie ici mes parents, puis ma femme, qui m’ont permis d’en faire
l’expérience, même si je n’y étais pas pleinement réceptif à l’époque.
« Il existe un regard positif inconditionnel pour soi-même et pour les
autres.
Rogers émet l’hypothèse que c’est un des trois éléments essentiels
pour que le thérapeute crée un climat où le client puisse faire l’expérience
d’une croissance positive pour devenir une personne qui fonctionne
pleinement. (…)
�23
Le résultat de cette recherche renforce ma conviction que le RPI, une
fois installé dans les relations intimes et signifiantes de la vie personnelle,
affecte aussi, et finit par envahir entièrement, l’attitude de l’individu envers
les autres tout au long de ce continuum. L’absence ou la présence de cette
manière d’être en relation aux autres détermine le ton ou le sens de la vie
de cette personne et de son impact. » 16
Là où j’en suis de mon estime de moi
Le sujet de ce mémoire n’est, bien évidemment, pas anodin pour moi.
Au delà de la résonance profonde qu’il a dans mon histoire personnelle, chose que
j’ai développé dans un autre chapitre de cet écrit, il prend encore une place
centrale dans la personne que je suis au quotidien.
Mon histoire personnelle, mes expériences de vie et ma volonté, ma direction, mon
élan de vie font que je travaille encore cette question pour moi aujourd’hui.
Cela peut se traduire de multiples façons, que je vais essayer d’illustrer ici.
Le premier exemple est celui que je mets en œuvre en ce moment même, celui où
j’écris ces lignes , qui sont une traduction de ma créativité non artistique, ou 17
creativeness, comme l’a nommé Ned Gaylin (2001) dans Family, Self and
Psychotherapy : A person-centered perspective. C’est cette dimension de créativité
dans ma vie de tous les jours, que j’essaie de développer, où plutôt à laquelle
j’essaie de donner plus de place, dans mon organisation intégrée plutôt rationnelle
et systématique.
Sandford, R. (1984) Le regard positif inconditionnel : une manière d’être mal comprise, ACP 16
Pratique et recherche n°9, pp. 27-28.
Cette astuce visuelle tente de vous montrer les moments où je suis en « méta-analyse », c’est-17
à-dire que je suis en train de me « regarder » en train de rédiger ces lignes.�24
J’écris ces lignes dans mon lit, il est 6 heures du matin, tout le monde dort encore,
mais l’inspiration de ces lignes s’est formalisée dans mon esprit il y a quelques
minutes, et plutôt que de les remettre à plus tard, comme cela arrive encore
souvent, je les couche ici sur le « papier » de mon ordinateur.
Faire cela, en laissant libre cours à ma créativité non artistique, est aujourd’hui,
pour moi, une manière de laisser vivre ce qui est présent en moi, cet élan d’être. Et
il est important que je vous évoque ici le regard que je porte sur moi-même à ce
moment précis. Je suis en paix avec moi-même. Auparavant, j’aurais eu ce
jugement de me dire « mais tu vas faire du bruit, tu vas réveiller quelqu’un, tu vas
déranger… ne fais pas de bruit, ne bouge pas, ne le fais pas ». C’est le genre de
violence intérieure que je m’inflige depuis des années, et « contre lequel » je me
bats depuis des mois en thérapie, et dans mon intégration quotidienne.
Je ne sais pas si je développerai cela davantage, mais il y a quelque chose que j’ai
évoqué ici qui a une importance centrale pour moi ces dernières semaines : être
plutôt que faire, ou plutôt redonner une place à l’être, en moi, qui a été submergé
par le faire, qui semblait être la seule façon pour moi de m’apporter de la
reconnaissance.
Il y a pourtant plusieurs mois, lors d’un entretien avec une collègue, que je remercie
ici, je formalisais pour moi-même l’importance de différents degrés de
reconnaissance. Pendant longtemps je plaçais la reconnaissance des Autres au
centre, et la cherchais, souvent en vain ; ce qui générait beaucoup de frustration,
de culpabilité. J’ai pris conscience ce jour-là, en le mentionnant, que j’avais fait
passer une autre reconnaissance en première place : la mienne ! Ma propre
reconnaissance intérieure. Je me suis rendu compte à ce moment là, que c’est ma
propre reconnaissance qui est la plus importante. Bien entendu, la reconnaissance
des tiers garde une importance, mais secondaire.
Ce point me paraît aujourd’hui essentiel à véhiculer, et a un lien direct avec le sujet
de ce mémoire.
�25
Aujourd’hui, à cet instant précis par exemple, je m’apporte de la reconnaissance et
de la chaleur, je pourrais même aller jusqu’à dire de l’amour. Je me reconnais en
tant qu’être humain en train d’être, de laisser libre cours à cette créativité ordinaire,
non artistique, qui pourtant a quelque chose dans son « organisation » qui se
rapproche de cette idée que je me fais d’un fonctionnement créatif, une forme de
désorganisation justement, d’imprévisibilité, qui ne rentre pas dans les cases que je
me suis mises partout dans mon quotidien, de ce qui « devrait être fait ou pas fait à
telle ou telle heure de la journée ».
Et je sens que c’est exactement en faisant cela, sans me focaliser sur l’acte de
faire, mais celui d’être, que je peux me libérer de ce qui m’oppresse intérieurement,
et m’empêche aujourd’hui d’avancer pleinement vers la personne que je suis, qui a
une profonde envie de vivre et de rayonner.
Je citerais ici ce texte de Nelson Mandela (1994), personne ô combien inspirante et
symbolique de ce qui peut naître d’un enfermement pendant de nombreuses
longues années, et qui en ressort plus grande et lumineuse que jamais. Voilà un
héros des temps modernes dont pourraient s’inspirer les créateurs de super-héros,
qui ont un succès qui ne m’étonne pas ces temps-ci.
« Notre peur la plus profonde n'est pas que nous ne soyons pas à la
hauteur, notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au
delà de toute limite, c'est notre propre lumière et non pas notre obscurité qui
nous effraie le plus.
Nous nous posons la question : Qui suis-je, moi, pour être brillant,
talentueux et merveilleux ? En fait, qui êtes-vous pour ne pas l'être ?
Vous êtes un enfant de Dieu. Le renoncement à vivre votre plein potentiel
ne contribue pas au bien-être de la planète. Nous n’avons rien à gagner à
n’occuper qu’une toute petite place pour éviter que les gens dans notre
entourage ne se sentent dévalorisés.
Nous sommes nés pour irradier la Gloire de Dieu en nous. Elle n’est pas
présente que chez certaines personnes : nous la possédons tous! Et en
faisant rayonner notre Lumière, nous donnons inconsciemment le droit aux
�26
autres d’en faire autant. En nous libérant de notre propre peur, nous
contribuons à ce que notre présence libère automatiquement les autres. » 18
Ces lignes sont dans notre salon depuis des années, et pourtant je ne suis pas
encore bien sûr d’en avoir intégré le sens profond. J’aurais peur d’être pleinement
moi-même ? de rayonner, par peur de dévaloriser les autres autour de moi ? C’est
cette dernière phrase qui a une accroche profonde en moi. C’est effectivement par
rapport aux Autres que je ne me permets pas quelque chose de moi-même. Cela
peut paraître hallucinant pour quelqu’un qui a choisi de devenir thérapeute de dire
cela ! J’accorde tellement d’importance à l’autre, que je crains de lui faire de
l’ombre… Alors que mon élan en est un de lumière, d’amour inconditionnel.
J’ose ces mots, puisqu’ils prennent aujourd’hui une place centrale dans ma vie,
dans le développement pour moi de cet écrit, et de ma façon d’être thérapeute.
C’est lors d’un regroupement d’accompagnement à la rédaction de ce mémoire que
me sont venus ces mots, presque à mes dépens. Et ils s’imposent. Cet amour
inconditionnel reprend bien l’intention que je mets dans la relation que je construis
avec la personne que j’écoute, ou avec laquelle je vis. Je me rends compte, encore
timidement, que j’amène la personne que j’écoute à explorer cette part d’amour
conditionnel vécue avec ses parents, que ce soit de manière consciente ou
inconsciente. En revisitant cet épisode douloureux et frustrant de la vie de l’enfant
intérieur de la personne, et en y apportant un amour inconditionnel présent, cette
dernière peut être amenée à vivre un relâchement et une détente corporelle, qui
peut l’amener un peu plus près d’une estime d’elle-même actualisée et
fonctionnelle. Je détaillerai cela plus loin dans ce mémoire.
Mandela, N. (1994). Extrait du discours qu’il a prononcé lors de son intronisation à la présidence 18
de la République de l'Afrique du Sud.�27
Me servir de ma bienveillance comme pierre de touche existentielle
Faire le point pour moi, de cette manière sur ma bienveillance, la façon qu’elle a de
vivre en moi, tout en ayant conscience des étapes que j’ai franchies vis-à-vis d’elle,
me permet d’avoir une expérience riche. Cette expérience, profondément vécue et
intégrée, je peux désormais m’en servir comme d’une pierre de touche
existentielle :
Les pierres de touches existentielles sont « des évènements de vie ou des
expériences personnelles dont nous tirons une force personnelle
considérable et qui nous aident, non seulement à nous ancrer dans les
relations, mais aussi en nous permettant d’être plus ouverts et plus
confortables dans des relations plus diversifiées. » (Mearns, 2004) 19
C’est à dire que je sais aujourd’hui, pour moi, et dans mes relations, que ma
bienveillance est une réelle force. Elle peut devenir aujourd’hui cette porte d’entrée
à une relation, qu’elle soit professionnelle ou interpersonnelle.
Je souhaite désormais illustrer ces considérations sous l’éclairage de :
Mon processus personnel
Mon processus d’écriture de ce mémoire…
… a été, est, tellement surprenant, enrichissant, fort, remuant, créatif, bouleversant,
simple …
Ce qui me parait en avoir été le point de départ, la porte d’entrée, est que je me
suis autorisé à ne pas me formaliser… ou plutôt, pour être plus clair, je me suis
autorisé à faire confiance… à me faire confiance… à faire confiance à ce
processus d’auto-organisation, que je découvre au fil de la maturation et la
rédaction de ce mémoire.
Mearns, D. (2004) Conférence en hommage à Mary Kilborn. traduction par S. Daix19
�28
Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse se dérouler ainsi, et cela est, justement,
l’un des autres points clé : je ne m’appuie pas sur ce que je connais, je ne retourne
pas dans un schéma de fonctionnement du passé, je n’essaie pas de reproduire
quelque chose que j’ai déjà fait. Je m’ouvre à quelque chose de tout à fait nouveau
pour moi. A un tel point qu’effectivement je suis parfois surpris de ce que je produis,
surpris de la facilité apparente avec laquelle cela prend forme. Au fond je sais bien,
et vais essayer de rendre compte ici, que cette mise en forme est le résultat de tout
un cheminement, parfois en partie inconscient, de maturation et d’intégration.
J’ai envie d’écrire ce mémoire pour vous raconter une histoire, pour vous faire
participer à ce que je souhaite vous partager. Vous faites partie de ce que j’écris,
cela aussi est important pour moi. Ces mots ne sont pas en deux dimensions, je
souhaite qu’ils sortent du papier, ou de cet écran d’ordinateur, pour aller au plus
profond de vous, se placer juste à côté de la personne que vous êtes pour vous
questionner, vous toucher, peut-être vous remuer. Moi, ce que j’écris ici me touche,
me remue, a un sens profond pour moi.
Il semblerait d’ailleurs que les petites heures du matin soient les plus propices à
générer et accueillir ces mots !!
Je vais être honnête, ce processus n’est pas facile ou linéaire… Il est jalonné de
longs moments de doutes, de tentations d’abandonner, de questionnements,
d’avoir la sensation de ne pas ou de ne pas pouvoir y arriver, de ne pas être à la
hauteur de l’enjeu que j’y mets… J’ai écrit récemment « du chaos naîtra une auto-
organisation » et c’est exactement cela ! Je l’ai lu et observé à de nombreuses
reprises au fil de mon parcours de formation, de mon cheminement personnel et
familial, de ma pratique professionnelle : c’est effrayant, profondément dérangeant,
mais invariablement satisfaisant de laisser glisser, en toute non directivité, la ou les
personnes (qu’il s’agisse de moi ou d’une autre), vers cette phase où tout semble
perdu, désorganisé, embrouillé, emmêlé… ça remue vraiment intérieurement !
Je repense à cet atelier, que nous avions co-proposé avec une collègue lors d’un
séminaire ACP. Ce fut mon premier « saut dans le vide » ! … avec filet ? Je ne me �29
souviens pas du thème. Nous l’avions préparé avec ma collègue, d’une manière
dont je ne me souviens pas non plus maintenant. Mais je me souviens d’en avoir
eu envie, d’avoir été content de le proposer avec elle, et aussi d’avoir eu peur de ce
qu’il pourrait bien se passer ! Et ce que je me remémore ici profondément, c’est
cette angoisse, cette peur presque panique, lors de l’atelier, d’avoir la sensation
que tout était perdu, que cela ne pouvait, n’allait rien donner, comment cela se
pourrait-il ? Cela semblait, à ce moment là, si désorganisé, si désordonné, si
embrouillé, si chaotique ! Je me suis presque observé en train de prononcer des
mots, de mettre en œuvre des gestes, sans avoir aucune idée du résultat qu’ils
produiraient… Mais j’étais présent, profondément présent, par les trois attitudes, à
moi-même, à ma collègue, au groupe et à chaque personne qui le constituait
(sentiment de présence dont je peux encore me souvenir aujourd’hui..).
Mon processus de vie, en parallèle de la maturation de ce mémoire …
J’ai été profondément touché et confronté à moi-même tout au long de la mise au
monde de cet écrit. Le choix du sujet y est évidemment pour beaucoup, et me
permet, une fois de plus, d’avancer sur moi-même, de me développer pour aller
vers une version de moi-même qui fonctionne plus pleinement, de façon plus
congruente.
Je note, ces dernières semaines, l’attention que je porte aux relations, aux
rencontres qui me nourrissent, et dans lesquelles je parviens à être pleinement
moi-même. Cette petite voix jugeante tend à disparaître, ou alors c’est que je lui
donne moins de place !
Je prends davantage soin de moi, je marche davantage par exemple, j’ai osé me
faire masser pour la première fois par une professionnelle, j’ai participé à une
constellation de l’âme, vécu un « soin de l’âme », peint ma première toile, eu ma
première séance d’EFT… voilà pour les expériences vécues positives et agréables.
D’autres le sont moins. J’apprends de plus en plus à vivre avec la peur profonde de
manquer d’argent, de ne pas y arriver, ou de ne pas être à la hauteur. Peur qui se
�30
transforme parfois en angoisse existentielle, qui a eu tendance à me paralyser, à
me bloquer. J’ai aussi fait l’expérience à plusieurs reprises d’un désespoir profond
et envahissant, d’une grande tristesse également.
Je sens que je me rapproche de moi, que je m’autorise davantage à être et à rêver,
à me dire que c’est possible ! J’apprends la place centrale de mon enfant intérieur
dans ce processus. C’est lui qui, lorsque je parviens à le sécuriser, en lui apportant
de l’amour, de la confiance, de la bienveillance, du respect et de la reconnaissance,
me fait ressentir un élan de joie, de créativité ! Créativité qui est au cœur d’une
nouvelle façon de fonctionner, qui s’attache beaucoup moins à ce qu’il s’est passé,
et à ce qu’il pourrait se passer, pour se focaliser davantage sur l’instant présent, l’ici
et maintenant.
Cela m’ouvre à une façon d’être nouvelle, plus en mouvement, en contact avec une
nouvelle forme de stabilité, non dans la fixité, ou la rigidité, ni même dans la
régularité autrefois si réconfortante.
Je n’ai pas la sensation d’avoir toutes les clés, mais je sais, par l’expérience que
j’en ai faite, que j’ai des ressources en moi qui sont bien présentes, parfois encore
masquées.
J’ai encore à apprendre à accueillir mes émotions désagréables au même titre et
au même niveau que mes émotions agréables. Chacune m’apprend à être dans le
moment, à m’actualiser face à la situation que je vis. J’ai pu observer, au fil de ces
dernières années, que le temps entre le moment vécu, sa prise de conscience, sa
symbolisation et son intégration tend à se réduire, se rapprocher. Dans ce même
élan, de rapprocher passé et futur, pour le réunir et le vivre dans le présent.
�31
Synchronicités
Je tenais juste à dire ici à quel point il est surprenant et enrichissant de réaliser les
synchronicités entre ce que vivent et traversent mes clients, et ce que cela me
renvoie et m’apprend sur ce que je vis moi-même très personnellement à ce
moment là !
La difficulté de se heurter aux mêmes murs … ou de tomber dans les mêmes trous …
Je ne sais pas encore si ces lignes ont leur place dans ce mémoire… C’est
pourtant l’expérience que je semble revivre régulièrement aux moments, en
journée, de me mettre à travailler sur ces lignes. Je me dis alors, que cette
expérience non intégrée a peut-être quelque chose à me dire. Je me propose donc
à moi-même d’y accorder toute mon attention et de voir ce qu’il en découle.
Assez régulièrement, dans mes accompagnements, les personnes, ou moi-même,
identifions des schémas qui se répètent. Et régulièrement, ce texte
« Autobiographie en cinq actes » (Nelson, 1992) me vient en mémoire, tellement il
m’a parlé en le découvrant, et il continue de me parler encore :« 1. Je descends la rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je tombe dedans.
Je suis perdu… je suis désespéré.
Ce n’est pas de ma faute.
Il me faut longtemps pour en sortir.
2. Je descends la même rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je fais semblant de ne pas le voir.
Je tombe dedans à nouveau.
J’ai du mal à croire que je suis au même endroit,
Mais ce n’est pas de ma faute.
�32
Il me faut encore longtemps pour en sortir.
3. Je descends la même rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je le vois bien.
J’y retombe quand même… c’est devenu une habitude.
J’ai les yeux ouverts
Je sais où je suis
C’est bien de ma faute.
Je ressors immédiatement.
4. Je descends la même rue.
Il y a un trou profond dans le trottoir :
Je le contourne.
5. Je descends une autre rue… » 20
Cela est exprimé avec des images similaires par certains de mes clients :
Sonia notamment, après avoir déjà évoqué cette image lors de séances
précédentes, : - « j’ai fait un tour de spirale, où peut-être je suis encore au nœud du truc, sauf
que, si tu veux, le fait de l’avoir déjà fait plusieurs fois …
- Et voilà, c’est ça, il y en a eu plusieurs avant - Comme je l’ai fais plusieurs fois, si tu veux, à chaque fois j’observe les trucs,
et du coup je me dis « bon, ben là la prochaine fois je… » - hm hm
- « bon ben soit tu replonges pareil, et tu vas te retrouver au même stade » - hm hm - « soit ben sinon tu te sers un peu de ce que tu as vécu dans la spirale, et ça
va te permettre de… ben voilà ! »
Nelson, Portia (1992), Autobiographie en cinq actes. cité dans Sogyal Rinpoché, Le livre tibétain 20
de la vie et de la mort.�33
- ouais. Est-ce que je sens que tu peux te faire confiance dans cette
expérience des tours de spirale précédents ? - oui, je crois - ouais
- j’ai vraiment cette image là, au début tu es dans le tourbillon, là dans l’œil, tu
tournes. Alors au début ça va très vite et c’est très proche, - ouais
- et au fur et à mesure que tu montes, ça continue de tourner - ouais - mais il y a comme les cercles qui deviennent plus éloignés - ouais, ouais, c’est ça, c’est ça
- hm - soit cette image là… - ouais
- soit sinon j’avais cette image qui me venait, tu sais? - oui - comme quand tu as quelqu’un qui rentre dans un mur « bim », et il re-rentre
dans le mur « bim » - oui, c’est ça - bon ben moi j’espère que ça va se faire plutôt comme ça, comme ça, et puis
après pfiouuu (…) »
Là, Sonia fait des gestes qui illustrent ces propos imagés, comme pour se les
approprier sous une autre forme?
Cela illustre ce qu’il se passe chez mes clients, et qui résonne en moi. Qu’en est-il
de mon propre processus endommagé, précaire, non intégré ? Que se passe-t-il si
je lui apporte bienveillance (c’est difficile de ne pas me juger ou me culpabiliser
moi-même là dessus), empathie (vraiment m’autoriser à ressentir le désespoir
profond auquel il est lié), et congruence (en reconnaissant tout ce que cela me fait
vivre, ce qui peut le déclencher, et ce face à quoi je me retrouve si désespéré…)
Voilà, cela me permet d’en extraire ce mot, cette sensation si profonde, si
désagréable, si bouleversante qu’est le désespoir… C’est du désespoir que je �34
ressens, lorsque je me retrouve face à mon ordinateur allumé, l’écran vide, à ne
pas savoir quoi faire, par où commencer, si seulement je vais y parvenir… Parvenir
à quoi ? Je ne le sais même pas en fait ! Juste cette sensation horrible que je n’y
arriverai pas, que je ne serais pas à la hauteur, quoique je fasse… Alors je plonge,
dans une face sombre de moi-même, qui ne m’apporte que peu de réconfort, et me
laisse en profond désaccord avec moi-même (incongruence !), ressentant tantôt du
dégoût, tantôt de la tristesse, une forme de défaitisme…
Le poser ici en mots semble rendre tout ce processus plus humain à mes yeux, de
prendre une forme de distance. Distance qui n’atténue pas la profondeur du
ressenti lorsqu’il se présente, mais semble le rendre plus acceptable. Et malgré le
fait que cela ne soit pas tout à fait réglé pour moi-même, cela ne m’empêche pas
de l’accueillir chez l’autre. Cela ne va pas non plus à l’encontre de la qualité de
mon accueil. Cela m’est propre, fait partie de ma personne intérieure. Peut-être un
jour, lorsque cela sera plus congruent pour moi, cela fera résonance avec ce
qu’évoque un.e client.e et pourra devenir une pierre de touche existentielle ?
Relation thérapeutique et humilité
Je ne sais pas où va la personne, quel chemin elle va emprunter, et elle non plus !
Elle tâtonne, elle hésite, moi aussi. Nous essayons, parfois à tour de rôle,
suggérons, proposons, jusqu’à ce que « ça prenne », que « ça fasse sens »…
Vis-à-vis de Béatrice, j’exprime d’abord maladroitement, puis de façon plus ACP : - « Il y a quelque chose qui me vient. Alors tu en fais ce que tu en veux, en
peux… j’ai cette sensation effectivement de la Béatrice d’avant… qu’il peut
peut-être être bénéfique de l’accueillir avec bienveillance. Elle a fait ce
qu’elle a pu à ce moment là, elle était sous cette chape de plomb « tu es
timide, tu vas travailler là, tu vas faire.. faire.. faire.
- Oui voilà, il faut pas que je fasse ça »
Pour l’instant Béatrice accueille cette bienveillance avec un « il faut »…
�35
- « Parce que quelque part cette Béatrice elle a, bon la sensation que j’ai c’est
ça, c’est qu’elle a fait ce qu’elle a pu, elle est toujours là quelque part et
quelque part… bon je ne sais pas si elle a encore quelque chose à te dire
mais, mais j’aurais envie d’accueillir cette Béatrice avec bienveillance, ne
serait-ce que là maintenant, de lui dire « oui t’as fait ce que t’as pu » - (vive émotion, larmes qui coulent et voix fluette) ouais.. »
Puis avec une émotion franche et sincère ! - « Et aujourd’hui t’es encore un peu là… mais voilà c’est plus la vie,
aujourd’hui, que Béatrice, aujourd’hui, toi, tu as envie de mener. - (larmes) Oui t’as raison, il faut pas que je chasse ma vie d’avant - hm hm
- où j’ai fait plein de bêtises, pas bonnes pour moi - hmm hm - Mais c’est ça, c’est que je voudrais oublier tout ce que j’ai fait
- hm hm - Mais comme tu dis il faut que je l’accueille comme ça (vive émotion dans la
voix et sanglotante) pour me dire « ben tout ce que j’ai fait, ça m’a fait
avancer »
Notez ici la puissance du fait que Béatrice se parle à elle-même de la sorte ! - « ça t’a fait avancer, et quelque part j’entends aussi, ça t’a montré ce que tu
ne veux pas être. Et quelque part, ne serait-ce que ça, ça te permet peut-
être d’aller vers ce que tu veux être. - Oui, oui. Après je me dis qu’il vaut mieux s’en apercevoir à 60 qu’à 80. (rires)
(…) Je vais le noter. Faut pas que j’essaie d’oublier ce que j’étais, et de le
garder… et avoir de la bienveillance envers moi. - En tout cas je sais que c’est moi, mon intention d’être à la fois bienveillant
pour cette Béatrice qui a vécu et ce qu’elle a vécu, qui est toujours un peu
là ; et puis pour cette autre Béatrice qui vit une nouvelle vie, qui veut vivre
une nouvelle vie. »
Je suis ici, alors, pleinement congruent avec ma bienveillance ! Je l’exprime, et
nous avons pu voir qu’elle est bien reçue.
�36
Cela est d’autant plus vrai en thérapie par le jeu avec un enfant …
Virginia Axline (1999) présente ce qu’est cette pratique avec ces mots :
« La thérapie par le jeu repose sur le fait que le jeu est le canal naturel
d’expression de soi de l’enfant.
C’est l’opportunité qui est donnée à l’enfant de « jouer » ses sentiments et
ses problèmes de la même manière que dans la thérapie des adultes quand
les personnes expriment leurs difficultés. » 21
Cela implique qu’il y a beaucoup moins l’usage de mots ! Je repense à mon
accompagnement de Théodore, pendant une dizaine de séances. J’ai senti
rapidement que :
- le contact psychologique était établi ; - qu’il était conscient d’une forme d’incongruence, dans le sens où il se rendait
compte de certaines de ses difficultés cognitives et sociales ; - j’incarnais globalement ma congruence avec celui que j’étais lors des entretiens,
en laissant notamment ma part d’enfant interagir avec lui dans le jeu, en me
laissant rire et me prendre au jeu avec lui - mon regard positif inconditionnel en ne jugeant à aucun moment ce qu’il pouvait
faire, ne pas faire, dire ou ne pas dire ; - ma compréhension empathique en tentant parfois de mettre des mots sur des
sensations qu’il pouvait exprimer, ou que je pouvais ressentir, tout en vérifiant
avec lui que cela correspondait ou non ; - sa perception de mes attitudes de bienveillance et d’empathie, en captant ses
regards, son envie de revenir, ou parfois même de ne pas venir. Je l’ai senti
tester ces attitudes et ait tout fait pour qu’elles répondent à ses tentatives de
manière à installer et confirmer la confiance qui s’est tissée entre nous.
Je précise ici que je présente mon intégration des six conditions nécessaires et
suffisantes pour un changement thérapeutique de la personnalité chez le client,
développées par Carl Rogers (1957), qui constituent pour moi un réel moyen de
Axline, V. (1999) DIBS. Flammarion.21
�37
vérification que la relation thérapeutique fonctionne. Je précise tout de même, et y
reviendrai plus loin dans ce texte, qu’il m’est parfois difficile de prendre le recul
nécessaire pour évaluer avec précision que les conditions sont bel et bien
remplies, notamment au niveau de la dernière.
Malgré cet appui sur les conditions nécessaires et suffisantes, il m’était parfois
difficile, à l’issue de la séance, de me rendre compte de l’avancement du travail
thérapeutique… Je n’avais que peu de mots exprimés auxquels me raccrocher, et,
malgré mes vérifications, qu’une vision limitée de ce que Théodore pouvait vivre ou
ressentir des séances que nous vivions ensemble. Je faisais alors l’expérience,
parfois inconfortable et emplie de doutes, de placer toute ma confiance dans ces 6
conditions. Ca n’est qu’au bout de plusieurs séances, et d’un travail sur cette
question en supervision, que je suis parvenu à questionner sa mère et avoir un
échange avec son orthophoniste. Cela m’a permis d’avoir leurs points de vue, qui
m’ont effectivement apporté un éclairage très important ! Chacune reconnaissait
des changements dans les attitudes de Théodore vis-à-vis d’elles-même, ou à
l’école, et vis-à-vis des exercices qu’il avait à effectuer.
… ou lors de mon travail en supervision !
Etre accompagné en supervision m’a également beaucoup appris en termes
d’humilité. J’y ai appris à poser mes doutes, mes incertitudes, et à y faire face. J’y
ai appris à mobiliser mes ressources, à les reconnaître. J’y ai appris à assumer ma
pratique, mon style thérapeutique naissant, en le confrontant parfois à celui de ma
superviseuse. J’y ai appris à prendre cette place qui est la mienne, en percevant
les ponts, et parfois les fossés, qui relient, ou séparent, ma façon de faire avec
celle de ma superviseuse, ou même d’autres praticiens.
Ces expériences me font vivre une forte humilité.
Humilité qui me fait dire que la bienveillance seule n’est pas suffisante.
En effet, ma seconde hypothèse est que ma bienveillance doit être articulée avec
les deux autres attitudes fondamentales que sont la congruence et l’empathie.
�38
Pour être plus précis et plus complet, ce sont les six conditions nécessaires et
suffisantes qui peuvent permettre à la personne de fonctionner pleinement.
Mon projet initial était d’illustrer directement ce point, mais je décide de n’en illustrer
qu’une partie.
Quels sont ces moments qui me permettent de percevoir l’effet de ces six
conditions, une fois qu’elles sont mises en place ?
Moments de mouvement
Je ne saurais retracer avec précision le cheminement intérieur et personnel qui m’a
mené à prendre davantage conscience de ces mouvements intérieurs.
Ils se traduisent aujourd’hui, pour moi, par une plus grande attention à… mes
gargouillements intestinaux !! Cela peut vous paraître trivial, mais cela a un sens
profond pour moi, aujourd’hui.
Je me suis rendu compte que mes gargouillements intestinaux m’indiquaient un
apaisement corporel, pour moi-même. Cela pouvait aussi m’apporter une indication
supplémentaire à ce qu’il se déroule dans la relation thérapeutique! Je me suis
rendu compte que cela était un « canal » supplémentaire pour que je perçoive que
la relation thérapeutique fonctionne, progresse, permet à la personne
accompagnée de dénouer (merci à Sonia pour avoir trouvé le mot juste!) une
situation.
Cela m’amène, en d’autres termes, à être tout à fait attentif à ma congruence
interne, qui me communique à sa manière ce que mon corps a capté, par
empathie, de ce que vit la personne que j’accompagne.
Le schéma est souvent similaire, quel que soit le sujet traité. La personne éprouve
un embrouillement, des sentiments entremêlés, du flou…
�39
Je vais illustrer ce paragraphe à partir d’une séance avec Denise, qui dès le début
de l’entretien exprime ses doutes, sur le fait même de venir en thérapie
aujourd’hui : - (raclement de gorge) « ouais, j’ai hésité à venir parce que j’ai eu 10 min dans
semaine pour penser à moi. - ok - et du coup, voilà j’ai hésité
- ouais ouais - je me demandais si ça valait le coup… j’ai l’impression de pas avoir pris de
recul sur ce que j’ai dit la dernière fois. - hm hm
- mais bon, je me suis dit c’est pas grave, au moins comme ça pendant une
heure je parlerais ! (rires) - ouais voilà, peut-être que ça te permet de prendre 60 minutes pour toi. hm
(…) je comprends cette question « est-ce que j’ai pris du recul depuis la
semaine dernière ? » - ouais et puis… j’avais soulevé une question pour moi-même et j’ai même
pas eu le temps d’y penser en fait (…) voilà, je ne sais pas par où
commencer ou quoi dire…»
Quelques minutes plus tard dans la séance, Denise fait état de cela de façon plus
claire, et ayant clairement des incidences physiologiques : - « j’aimerais pouvoir avancer sur moi parce que sinon… je sais pas si c’est
pour ça que je stagne dans ma vie. - t’as cette sensation de stagner oui, oui - pour l’instant oui, voir que c’est un énorme fouillis. - ouais hm hm - toute la semaine dernière j’avais la tête qui tournait. - oui
- j’ai pas réussi à redescendre - d’accord - samedi… j’ai jamais eu la migraine, mais je pense que c’était pas loin d’être
une migraine tellement… - tellement ça tournait
�40
- j’avais la tête qui tournait, j’avais vraiment l’impression que j’allais exploser. - ok - et je me suis demandé si c’est parce que je réfléchissais trop? - ouais ouais
- et cette semaine ça recommence. - ça recommence - (…) je pense que c’est lié au fait que je pense trop, ou que je fais trop de
choses »
Et au fil des séances (ou de la séance), les choses se dénouent, se clarifient,
s’apaisent… - « pour moi essayer de me rechercher c’est chercher ma nature profonde,
disons - hm hm, hm hm - que je n’ai vue que très rarement dans ma vie (rires)
- d’accord oui - je sais même pas si je l’ai déjà vue, en vrai (rires) - tu ne le sais même pas - oui… j’aspire à devenir calme, posée. - hm hm… c’est comme ça que tu verrais ta nature profonde? - j’espère qu’elle est comme ça oui. - t’espères qu’elle est comme ça oui
- en fait j’en sais rien ! (RIRES)»
Et un peu plus loin dans la séance : - « j’ai pas envie non plus de planifier ma vie, de dire « ce week-end on fait ci,
dans trois week-ends on fait ça… » mais juste avoir le sentiment qu’il y ait de
l’espace - qu’il y ait de l’espace oui - autour de moi… de l’espace un peu dans le futur proche
- hm hm - et voilà! (rires) de l’espace pour penser maintenant… - c’est ça, quelque chose de plus aéré - voila… c’est ça, j’ai aucun espace en fait… - aucun espace
�41
- (…) je ne fais rien de mes journées et pourtant mes journées sont remplies,
je ne comprends pas! »
Et ces prises de consciences, lorsqu’elles sont pleinement vécues pas les
client.e.s, s’accompagnent de ces mouvements physiologiques.
Ces mouvements sont perçus par moi (je les reflète parfois) ou directement par les
client.e.s… - « tu en es où avec ta sensation de tête qui tourne, là maintenant ?
- … là ça va légèrement mieux d’ailleurs ! - oui ? - c’est en train… là ça bourdonne plutôt que tourner, - ok
- et c’est en train de s’apaiser en même temps - ah - …. ouais c’est bizarre!
- hm - ça fait plus la tête… putain est-ce que c’est parce que j’ai dit ça ? - hm.. cet espace - ouais - en tout cas tu es restée sur ce mot là - ouais… ouais mais vraiment c’est fou ! » (RIRES)
Placer l’attention sur ces sensations permet d’en préciser encore davantage la
description, qui en vient à provoquer des mouvements physiologiques, tels que ces
rires par exemple, et qui sont une nouvelle porte vers une compréhension plus
approfondie : - « il y a peut-être quelque chose que je peux te proposer, de faire résonner
ce mot « espace » au niveau de la sensation que tu as justement. Essaie de
faire résonner le mot dans la sensation et de voir s’il se passe quelque chose
ou pas?
- .. tu veux dire par exemple en le parlant ou juste en le pensant ? - comme ça te vient, pour essayer justement de… est-ce qu’il y a un lien entre
ce mot et la sensation d’apaisement ? - et beh, en fait le truc que j’ai là dans ma tête, c’est un peu… en méditation
quand j’atteins cet espèce de calme posé là �42
- oui - j’ai un peu cette sensation là, qui est en train de se passer, là, - ouais - encore même plus doux que ça.
- hm hm - là c’est des petits picotements. hyper calme. - calme ouais
- aaaah. (soupire) - doux et apaisant - (rires) - qui te renvoie à la méditation, vraiment, oui
- de l’espace, de l’espaaaaace (dit en chuchotant + rires) - et en le disant de cette façon là en plus ! espaaaace (dit en chuchotant
aussi)
- (rires) espaaaace… ah ouais, c’est vrai que ma tête ne tourne plus, c’est fou! - hm hm - ça va devenir mon mantra ! (rires) quand ma tête va tourner je vais dire
espsaaaaace ! (rires) - … - … »
Cet extrait est pour moi d’une telle intensité !
Notez que cette façon de faire se rapproche beaucoup du focusing (Gendlin, 2006)
dont j’ai expérimenté brièvement la pratique lors de cet entretien, en l’incluant dans
mon approche globale non directive.
Le mouvement physiologique m’indique un apaisement, qu’un nœud a été dénoué.
Sa prise de conscience par la personne peut alors se faire, et permettre à
l’expérience d’être pleinement intégrée à son Self.
« Dans ces brèves périodes a lieu une expérience immédiate et existentielle
d’unité ou d’entièreté : un sentiment ou une émotion qui existe dans le
système physiologique du client est de manière concomitante en harmonie
�43
avec une représentation symbolique consciente de ce sentiment, et accepté
comme une partie de la totalité de sa propre personne. » (Rogers, 1956) 22
Voici un exemple décrit et vécu par Wilfried, juste après avoir vécu une forte
émotion et avoir pris conscience de l’influence peut-être néfaste qu’il pouvait avoir
sur des personnes auxquelles il tient. Il se pose la question de sa volonté de tuer
son père, dans le passé, et aujourd’hui : - « moi la seule chose que je veux enterrer c’est le passé
- oui enterrer le passé, mais pas les personnes - voilà ! exactement - hmm - mais je suis resté comme un con hein ! Je me suis dit « mais putain, qu’est-
ce qui fait que tu peux penser ça ? » - c’est ça, qu’est-ce qui fait que tu peux … ? - « qu’est-ce qui fait que tu peux penser ça ? » Alors j’ai dit « Aujourd’hui t’en
parlera, avec Mr Irola, et avec ta mère, parce que peut-être ta mère te dira
« oui c’est parce que… bon ». voilà. Ce qui est certain c’est que moi je
voulais me tuer moi, ça oui. - tu voulais te tuer toi oui… »
Sa dernière phrase est sortie « toute seule », sans que Wilfried ne s’en rende
compte… La lui refléter lui fait réaliser ce qu’il vient de dire, et de comprendre : - « …
- … - (les sanglots montent) Est-il possible que je voulais me tuer moi ? … pour ne
pas le tuer à lui ? - hmm - Bien sûr oui ! (sanglote) … Evidemment c’est clair ! … Voilà pourquoi ! …
Purée je viens à peine… je viens de comprendre d’un coup ! »
Les sanglots accompagnent la prise de conscience, l’insight que Wilfried est en
train de vivre en direct : - « ouais
Rogers, C. R. (1956) Moments de mouvement. Conférence AAP, New-York. Trad. F. Ducroux-22
Biass : 1984.�44
- (sanglote et renifle) Il est fort possible que je voulais me tuer moi… oui c’est
vrai - mais pas… - c’est ce que je me disais à l’époque en plus !
- hmm hm - Putain ça m’est revenu d’un coup ! » (se frappe la cuisse avec la main)
Tout son corps réagit ! - « hm c’est là - (sanglote) Je voulais me détruire pour ne pas détruire les gens… - hmm - ça y est j’ai enfin compris (son corps se détend à nouveau)
- hmm hm - (sanglots plus léger) Ah bordel j’ai compris ! - hmm
- ça expliquerait tout ça ! - ouais, ça explique tout oui. »
Son corps se remet doucement de l’insight, qui lui a pris beaucoup d’énergie et
d’attention émotionnelle. Elle s’est exprimée via les sanglots, et sa main, en plus
des mots qui faisaient sens au fil de leur verbalisation.
Ces observations ouvrent la voie à ma troisième hypothèse, qui est que je peux
entrevoir que la personne que j’accompagne a alors les clés pour s’apporter un
amour inconditionnel vis-à-vis d’elle-même :
C’est à dire que la distance entre son Self réel et son Self idéal se réduit. En
d’autres termes, que son estime d’elle-même s’améliore !
Pour explorer cela, je me base sur le fait que ces parties (Self réel et Self idéal)
peuvent s’exprimer à travers les configurations de Self de la personne.
L’une de ces configurations, qui revient assez régulièrement, est celle de l’enfant
intérieur. C’est en faisant référence à cet enfant intérieur que j’illustrerai mon point :
�45
J’accompagne mes client.e.s à recevoir un amour inconditionnel,et notamment leur l’enfant intérieur
Une fois de plus, c’est presqu’avec surprise que j’ai remarqué cela, et vous
l’évoque ici aujourd’hui.
A plusieurs reprises, en y prêtant attention a posteriori, je me suis rendu compte
que mes clients évoquaient leurs relations avec leurs parents. Ces dernières sont
effectivement propres à chacun.e, mais revêtaient, à travers la relation que j’ai
établie avec elles ou eux, quelque chose de similaire, de commun… Il ne s’agissait
pas seulement de parler de leurs parents, mais bien d’évoquer… de revivre leurs
relations avec leurs parents.
D’une manière ou d’une autre, et c’est tout l’objet de cet écrit, j’amène la personne
à recontacter quelque chose de cette conditionnalité de l’amour qu’elle a reçu de
ses parents…
« (…) Chaque fois que sa mère désapprouve une action quelconque,
l’enfant tend à interpréter cette désapprobation comme s’adressant à son
comportement total, bref, à sa personne. Etant donné que l’enfant attache
généralement une importance primordiale à l’approbation de sa mère, il en
arrive à être guidé, non par le caractère agréable ou désagréable de ses
expériences ou comportements (c’est-à-dire non par leur signification par
rapport à sa tendance actualisante), mais par la promesse d’affection qui s’y
attache. (…) Quand le comportement de l’enfant est guidé par des facteurs
« introjectés » de ce genre, sa fonction d’évaluation est devenue
conditionnelle. » Rogers (1966) 23
Je repense notamment à cet entretien avec Sonia, qui évoque ses parents, qui ne
sont pas d’accord avec elle sur la déscolarisation de son fils :
Rogers, C. R. (1966) Psychothérapie et relations humaines. Publications Universitaires Louvain. 23
p 222�46
- « ben c’est sûr qu’ils m’ont pas validé, mais bon ça je connais, il me valident
pas.. - hm hm - des fois ils valident pas grand chose mais…
- ils valident pas grand chose.. non - c’est pas le.. c’est pas leur histoire quoi ! - hm hm
- .. voilà! - ouais c’est ça, il y a quelque chose de l’actrice de ta vie là (référence à ce
qu’a dit la cliente une ou deux séances auparavant, sur le fait de devenir
actrice de sa vie), qui est là , et qui…
- (en chuchotant) ouais ! - qui dit « ben non là c’est pas votre histoire, les .. les chemins différents.. moi
je suis là! » (…)
Sonia intègre et assume ici se démarquer de l’opinion de ses parents quant à
l’éducation de son fils, tout en l’acceptant avec bienveillance vis-à-vis d’elle-même.
Ou aussi, lorsque Béatrice dévoile la difficulté qu’elle a à reconnaître l’amour que
lui porte sa mère : - « (…) à la mort de mon père. Et c’est à partir de là, à partir de ce moment là
que … et je sentais bien. que avec ma mère c’était … ça faisait de
l’électricité là comme avec les fils électriques quand on les met ensemble,
c’est pas le bon fil hein - non ouais - Et elle, elle me poursuit tout le temps - hm hm. oui - Et alors bon, je me dit « ma mère elle m’aime pas, et cætera mais .. »
A plusieurs reprises, lors des entretiens précédents, Béatrice a exprimé le fait
qu’elle sentait que sa mère ne l’aimait pas. - « hm hm - En fait il a des gens qui ont dit « ouais mais ta mère elle s’intéresse à toi » - hm hm - Je me dis c’est pas possible
�47
- hm hm. tu as du mal à la croire - oui pour moi c’est, c’est … - hm hm - et des fois les gens ils me disent « ta mère elle t’aime hein »
- hm hm - Enfin bon (rire) là je l’ai pas vu - tu ne le vois pas non
- oui oui oui. A sa façon. - A sa façon. - voilà. »
Là, Béatrice commence, et cela continuera au fil des entretiens, à se dire que sa
mère l’aimait d’une façon qui lui était particulière à elle, et qui ne répondait pas
forcément à son besoin de recevoir de l’amour.
Je citerai également Véronique, pour laquelle cette conditionnalité lui a amené une
image très dure et très forte, qui se révèlera être très importante par la suite pour
elle :
Véronique décrit cette image à plusieurs reprises, en la détaillant toujours
un peu plus : Elle se retrouve derrière une porte, dans sa chambre. Elle
joue seule, et ses parents sont de l’autre côté de la porte. Elle ne peut pas
l’ouvrir cette porte… Au fil des séances, Véronique se rend compte avec
effroi avoir reproduit partiellement ce schéma avec ses propres enfants et
son compagnon, tout en contactant sa vive envie d’ouvrir les portes et d’être
à la fois en relation avec son compagnon et avec ses enfants. Elle se
retrouve au contact de ses enfants, mais c’est avec son compagnon que se
joue à nouveau cette histoire de la porte qui ne peut pas être ouverte…
C’est une image qui a été très utile lors de ses quelques séances de
thérapie de couple avec son compagnon.
Cet amour conditionnel est alors transformé, progressivement remplacé par un
amour inconditionnel de moi envers mes client.e.s, puis de mes client.e.s envers
elles et eux-mêmes !
�48
Me revient en mémoire un cas particulier, où cela s’est mis en place très
rapidement, lors de la première séance ! Je regrette de n’avoir pas enregistré cette
séance, tant son intensité a été surprenante et pleine, seulement après quelques
minutes d’entretien. Fait d’autant plus marquant pour moi, qu’il s’agissait de ma
première écoute en anglais !
Coraline revient sur son passé, son enfance, son éducation catholique, sa
mère qui a dû élever seule ses six frères et sœurs et elle… Coraline parle
de beaucoup de choses qu’elle ne s’est pas permises à elle-même, se
sentant souvent coupable de choses qui ne dépendaient pas d’elle. Et alors,
en se redressant très nettement sur sa chaise, Coraline me dit (et semble
revivre), en parlant de cette petite fille qu’elle était, avoir toujours su qu’il y a
une Reine en elle ! (ces quelques mots ne relatent ce moment que si
faiblement, en comparaison du frisson qui me parcourt à la mémoire de ce
vécu intense). Coraline me parle alors de la partie sage (wise) d’elle-même,
qui était autrefois si intuitive, qui a toujours su qu’une part féminine d’elle-
même referait surface à ses trente ans. Elle a symbolisé cela en brûlant dix
ans de journaux intimes…
Ce moment m’a profondément touché, marqué et reste présent aujourd’hui pour
moi. Une qualité particulière de relation s’est instaurée à partir de cette première
séance. Je pense que cela a touché en moi une puissance que je ne soupçonnais
pas, en cette autre personne, et en moi-même… Je ne comprends cela que
quelques semaines plus tard… aujourd’hui en écrivant ces lignes !!
Voici, illustré par quelques exemples, comment l’accompagnement que je mets en
place peut agir pour que la personne transforme un amour conditionnel vécu dans
l’enfance en un amour inconditionnel vécu au présent. Ceci à la réception de ma
bienveillance sincère, transmise par ma congruence et mon empathie. Ce
processus permet le basculement d’un lieu d’évaluation externe à un lieu
d’évaluation interne. La personne passe d’une façon de voir qui lui a été introjectée,
à une façon de voir qui est la sienne, dans le présent.
�49
Processus d’évaluation organismique
Remarquez que ce processus n’est pas uniquement intellectuel. Il vient mettre en
mouvement la personne dans plusieurs de ses dimensions :
La personne vivant pleinement se met à participer à l'expérience de son
organisme, à l'observer et non à la contrôler. Pour prendre une décision elle
se réfère finalement à elle-même et éprouve un sentiment de liberté en
même temps que celui d'être une personne responsable, assumant autant
la décision de son action que les conséquences de ses choix. Dans le cadre
de limites posées par son organisme, sa situation de vie actuelle ou son
hérédité biologique, elle vit et exerce pleinement son autonomie. (extrait
d’une présentation de S. Daix lors d’un séminaire sur la personne
fonctionnant pleinement, 2017)
La retranscription des enregistrements audio cités ici rendent peu compte de cela,
si ce n’est en remarquant les changements d’attitudes corporelles des clients
lorsqu’ils évoquent un contenu qui a profondément du sens pour eux. Ils se mettent
à parler plus fort, ou chuchoter, à rire ou pleurer, à marquer des temps de pause
plus longs… Cela peut s’accompagner d’indications sonores, non retranscrites en
détail ici, de perception que j’ai, et que je leur reformule de plus en plus, de leurs
gargouillements intestinaux.
Comment se transmet, ou se transforme, cet amour de soi ?
Nous pouvons croire que c’est une fois que, en tant que thérapeute, j’éprouve pour
moi un amour inconditionnel pour moi-même que je peux pleinement le véhiculer et
le rendre accessible à la personne que j’accompagne.
Et si cela se passait légèrement différemment ?
Voilà plusieurs années que je me rends compte qu’il m’est beaucoup plus facile
d’éprouver une bienveillance sincère vis-à-vis d’une autre personne que pour moi-�50
même. Je ne rentre pas ici dans le détail de ce processus intérieur. Il m’est très
facile, presque naturel, d’éprouver cela pour les personnes que je reçois en
thérapie ou en counselling. Je suis alors dans une posture d’acceptation totale de
la ou les personne.s que j’ai en face de moi, telle.s qu’elle.s s’exprime.nt
verbalement ou de manière non verbale. C’est un élément qui concourt
indubitablement à ce que la ou les personne.s en vienne.nt à être davantage
bienveillante.s avec elle.s-même.
Voici ce que j’exprime à Béatrice : - « (…) bon la sensation que j’ai c’est ça, c’est qu’elle a fait ce qu’elle a pu,
elle est toujours là quelque part et quelque part… bon je ne sais pas si elle a
encore quelque chose à te dire mais, mais j’aurais envie d’accueillir cette Béatrice avec bienveillance, ne serait-ce que là maintenant, de lui dire « oui t’as fait ce que t’as pu »
- (vive émotion, larmes qui coulent et voix fluette) ouais.. - Et aujourd’hui t’es encore un peu là… mais voilà c’est plus la vie,
aujourd’hui, que Béatrice, aujourd’hui, toi, tu as envie de mener. - (larmes) Oui t’as raison, il faut pas que je chasse ma vie d’avant - hm hm - ou j’ai fait plein de bêtises, pas bonnes pour moi - hmm hm
- Mais c’est ça, c’est que je voudrais oublier tout ce que j’ai fait - hm hm - Mais comme tu dis il faut que je l’accueille comme ça (vive émotion dans la
voix et sanglotante) pour me dire « ben tout ce que j’ai fait, ça m’a fait
avancer »
Ce qui est surprenant, une fois de plus, et nouveau, c’est qu’il semblerait que cela
soit ce mouvement, de moi, d’offrir de la bienveillance à la personne, qui ensuite se
la permet à elle-même, …
Comme lors de cette séance avec Joan, qui décrit précisément ce mouvement pour
elle, suite à une reformulation que je lui propose, après qu’elle ait dit ne pas
considérer les compliments qu’elle reçoit : �51
- « comme si ta considération pour ce que tu reçois est en train de changer ? - c’est ça.. ben je pense que je commence à les prendre en fait (…) considérer
pour moi c’est prendre conscience »
Notez ici l’importance pour la personne de définir les mots tels qu’elle les utilise, et
la signification qu’ils ont pour elle. - « il y a quelque chose de ce mouvement, de la personne qui te dit le mot…
tu le prends… et après : « conscience » !
- oui, je le prends, et c’est en mouvement après dans ma tête, et en moi. Je le
considère, je l’analyse, je le bouge, je le retourne dans ma tête, je le
retourne, je le retourne, j’ai le mot, j’ai le compliment, je le visualise et je le
vois écrit… avec tout ce qui va en découler de ce mot là. Et je veux voir si ça
.. à essayer de le coller à moi, et de remplacer les mauvais… ce qui est en
train de se passer c’est exactement ça, en fait d’en parler : je suis vraiment
en train d’enlever les choses, les points de vue négatifs que j’ai de moi, et je
suis en train de remplacer… c’est en train tout doucement de se remplacer
par les vraies choses en fait, ce que je pense être les vraies choses. (…) il y
a des mots qui sont en train d’être remplacés - remplacés par d’autres oui. Tu as le mot négatif qui s’enlève et à la place tu
colles d’autres mots qui sont plus vrais, plus justes pour toi. »
En reprenant les mots qu’emploie la cliente, cela lui permet d’aller encore plus loin
dans la description de ce que cela lui fait vivre. - « c’est ça, voilà je mets les deux en concurrence et je vois (…) ça dépend
des jours. mais au plus profond de soi, n’importe quel jour on reste ce qu’on
est - hm hm - après c’est les couches supérieures qui peuvent se modifier - hm hm, tout à fait, ça me parle ça oui - (…) c’est comme le noyau de la Terre, il est là et au dessus c’est en
mouvement, ça change constamment - hm hm - mais le noyau lui il ne change pas, il est toujours là »
Notez également l’importance des images dans la description de ce dont fait
l’expérience la cliente ici. �52
- « pour revenir à ce que tu disais tout à l’heure, tu disais que tu sais que tu
resteras toi-même.. et avec cette conscience que les couches supérieures
sont en mouvement - c’est ça
- c’est là qu’il y a ce changement de certains mots par d’autres, bon certains
jours c’est plutôt ces mots là, certains jours c’est d’autres - oui
- ce sont les mouvements de surface, mais le fond reste - oui la base commence à être une vraie base quoi ! » (rires)
Une fois de plus, en se rapprochant de ce qui est profondément juste pour elle, son
corps réagit, ici en riant, une détente s’opère.
- « hm hm - avec des consolidations solides, ça commence à devenir solide - hmm hm
- ça commence à devenir solide et je commence à … ben à me considérer en
fait. - à te considérer oui - je commence hein ! - hm hm oui » (sourire)
Là, c’est par une remarque dite avec malice, que la cliente prend conscience de la
dimension de cette considération pour elle-même : - « c’est encore qu’un embryon. - hm hm. c’est ça, c’est ce que j’entends, en toute modestie, voilà il y a cet
embryon de toi qui commence à te considérer toi - non, disons que ma considération, que j’ai pour moi, pour l’instant elle est de
la forme d’un embryon. c’est petit mais… comme un embryon ça va… enfin
c’est sensé vivre et grandir. disons que le mouvement est enclenché, et il
faut pas… il faut pas que je le tue, comme j’ai eu l’habitude de le faire, c’est
là que c’est le plus dur. C’est un peu comme des infanticides en fait. Faut
pas que je l’empêche d’évoluer et de vivre. »
Cela reste fragile, mais le mouvement est bel et bien enclenché !
�53
Je me rends compte que le ton que j’emploie véhicule ma bienveillance et les
mouvements de mon visage véhiculent mon empathie, par le biais de ma
congruence interne et externe qui sont en accord. Je me suis rendu compte, assez
récemment, lors d’une écoute téléphonique avec Amélia, que c’est effectivement
par ce biais, assez difficile pour moi à illustrer ici, que je peux véhiculer toute ma
bienveillance et mon empathie, qui résonnent effectivement de façon tout à fait
cohérente avec ma congruence, à la fois interne et externe.
Je me rends compte que je n’ai pas parlé de mon regard comme étant un élément
facilitateur de mon accompagnement. Il m’est arrivé de pleinement comprendre sa
place dans le Regard Positif Inconditionnel ! Cela se traduit pour moi de manière
très concrète, et dont il est également difficile pour moi de rendre compte à travers
cet écrit. Je tenais tout de même à le mentionner ici !
… offrir cette bienveillance à une autre personne m’autoriserait-elle à me donner de
la bienveillance à moi-même? En l’écrivant, je me rends compte qu’il s’agit d’un
processus que nous connaissons déjà, qui pourrait s’appeler la gratification d’avoir
effectué une tâche de façon satisfaisante?
Relation thérapeutique et sentiment d’amour inconditionnel
Je souhaite, tout d’abord, clarifier davantage de quel Amour je parle, en reprenant
les différents termes Grecs qui désignent l’amour :
Agapè : l'amour désintéressé, divin, universel, inconditionnel
Éros : l'amour naturel, la concupiscence, le plaisir corporel
Storgê : l'affection familiale, l'amour familial
Philia : l'amitié, l'amour bienveillant, le plaisir de la compagnie
(Wikipedia, 2018)
C’est de la première forme d’Amour, Agapè, dont il est question ici.
C’est en faisant l’expérience de cet Amour vis-à-vis de mes client.e.s, lors de
certaines séances plus particulièrement, et en en reparlant en supervision, que j’ai �54
pris la décision de changer l’intitulé de cet écrit, qui ne devait traiter « que »
d’estime de soi. Il me semble important et vivant pour moi d’aller jusqu’à employer
ce mot d’Amour inconditionnel.
Cet Amour nait pour moi dans le fait de vraiment rencontrer l’autre, dans toute son
humanité, sa beauté intérieure et extérieure, sa particularité et à la fois à cet
universel auquel elle me renvoie.
J’approche ce sentiment, j’en parle en supervision, je lis à ce sujet, je ne suis pas
en accord avec la théorie du transfert, en rejoignant clairement C. Rogers (1987)
qui dit ceci :
« Lorsque la compréhension du thérapeute est correcte et que son
acceptation est réelle, sans interprétation ni jugement, les attitudes de
transfert tendent à se défaire et les sentiments se tournent vers leur objet
réel. » 24
Et je me rapproche de la contre-théorie du transfert que propose John Schlien
(1987).
« L’influence déterminante de la compréhension a été mise en vedette pour
rendre compte du phénomène appelé « transfert ». Ceci ne devrait pas
dissimuler le fait que c’est cette compréhension même (non le transfert,
l’amour transférentiel, ni l’amour lui-même) qui guérit. La compréhension
provoque guérison et croissance, l’incompréhension provoque blessure et
destruction. » 25
Cela dit, je me rends compte ici, qu’il ne s’agit pour moi que d’un début et non
d’une fin… Je suis surpris de rédiger ces mots ici. Je pensais aller vers une clôture
de tous les éléments que j’ai partagés avec vous ici, pour me rendre compte que
c’est un nouveau début que j’ai amorcé par l’intermédiaire de ce processus de
rédaction, et par les expériences que j’ai vécues en parallèle de celui-ci.
Rogers, C. R. (1987) Commentaires sur l’article de John Schlien « une contre-théorie du 24
transfert ». Person-Centered Review, vol. 2 n°2, traduit par François Ducroux-Biass.
Schlien, J. (1987) Une contre théorie du transfert, issu de « Person-Centered Review », vol. 2 n25
°1, traduit par Françoise Ducroux-Biass. �55
Il apparait effectivement que s’apporter l’inconditionnalité permet et répond le mieux
à la situation et à maintenir l’estime de soi-même, mais cela ne fait pas tout. Ce
n’est pas cela qui amène la relation thérapeutique à un autre niveau, qu’il me serait
bien difficile d’élaborer plus en détail ici. Finalement ce terme apparaît en titre de ce
mémoire. J’ai pu croire que je parviendrais à le clôturer en détaillant plus
précisément ses effets, comme pour vous en convaincre. Mais il n’en est rien… Je
ne peux ici que m’ouvrir à cet Amour de l’autre. Je sens qu’il a des effets
thérapeutiques dans les relations que je mets en place.
�56
Conclusion
Je commencerai cette conclusion par ces mots de Kim McMillen (2001), lus par
Charlie Chaplin lors de son 70e anniversaire, qui me semblent tout à fait résumer le
processus auquel je suis arrivé ici. J’ai essayé de résumer ou de réduire cet extrait,
mais sans y parvenir tant tous ces mots ont une résonance profonde en moi
aujourd’hui ! :
« Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai compris qu’en toutes circonstances, j’étais à la bonne place, au bon
moment. Et alors, j’ai pu me relaxer. Aujourd’hui je sais que cela s’appelle…
l’Estime de soi. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai pu percevoir
que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle n’étaient rien d’autre qu’un
signal lorsque je vais à l’encontre de mes convictions. Aujourd’hui je sais
que cela s’appelle… l’Authenticité. Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai cessé de vouloir une vie différente et j’ai commencé à voir que tout ce
qui m’arrive contribue à ma croissance personnelle. Aujourd’hui, je sais que
cela s’appelle… la Maturité. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai
commencé à percevoir l’abus dans le fait de forcer une situation ou une
personne, dans le seul but d’obtenir ce que je veux, sachant très bien que ni
la personne ni moi-même ne sommes prêts et que ce n’est pas le
moment… Aujourd’hui, je sais que cela s’appelle… le Respect. Le jour où
je me suis aimé pour de vrai, j’ai commencé à me libérer de tout ce qui
n’était pas salutaire, personnes, situations, tout ce qui baissait mon énergie.
Au début, ma raison appelait cela de l’égoïsme. Aujourd’hui, je sais que cela
s’appelle… l’Amour propre. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai
cessé d’avoir peur du temps libre et j’ai arrêté de faire de grands plans, j’ai
abandonné les mégaprojets du futur. Aujourd’hui, je fais ce qui est correct,
ce que j’aime quand cela me plait et à mon rythme. Aujourd’hui, je sais que
cela s’appelle… la Simplicité. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai
cessé de chercher à avoir toujours raison, et je me suis rendu compte de
toutes les fois où je me suis trompé. Aujourd’hui, j’ai découvert …
l’Humilité. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai cessé de revivre le
passé et de me préoccuper de l’avenir. Aujourd’hui, je vis au présent, là où �57
toute la vie se passe. Aujourd’hui, je vis une seule journée à la fois. Et cela
s’appelle… la Plénitude. Le jour où je me suis aimé pour de vrai, j’ai
compris que ma tête pouvait me tromper et me décevoir. Mais si je la mets
au service de mon cœur, elle devient une alliée très précieuse ! Tout ceci,
c’est… le Savoir vivre. Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter.
Du chaos naissent les étoiles. » 26
Avec mes propres mots, je dirais ceci : Ecrire ces lignes constitue pour moi une
façon de trouver ma place en tant que thérapeute. Non seulement la trouver, mais
aussi la prendre, la garder et la revendiquer ?!
Mon approche se fait dans la douceur, qui me caractérise. J’emploie et affiche cette
bienveillance pour l’autre de façon naturelle et presqu’instinctive. Celle-ci a gagné
en puissance et en maturité en la mettant en adéquation avec ma propre
congruence interne, et en la révélant aux autres par le biais de ma congruence
externe. Tout cela en ressentant par et en véhiculant avec empathie ce que je
ressens que les autres vivent au fond d’eux-mêmes.
Cette pratique m’ouvre à un élan plus grand, que je maîtrise encore peu pour
l’instant, d’Amour inconditionnel, au sens de l’Agapè dont parlaient déjà les Grecs il
y a de cela bien longtemps.
Je vous en ai livré ici des aspect partiels mais très vivants et réels pour moi.
J’aspire à pouvoir poursuivre cette quête avec d’autant plus d’implication et de
réalisations !
Mc Millen, K. & Mc Millen, A. (2001) When I Loved Myself Enough. Sidgwick & Jackson. lu par 26
C. Chaplin lors de son 70e anniversaire.�58
Remerciements
Je remercie tout d’abord et avant tout, mon épouse, Carole, sans laquelle rien de
tout cela n’aurait été possible, qui a eu la patience et la confiance de me laisser
mener cette expérience au bout, malgré tout ce que cela a fait bouger dans notre
relation de couple et nos relations familiales.
Je remercie également mon fils, Charly, qui, sans le savoir vraiment, m’a donné
l’impulsion de devenir vraiment moi-même !
Je remercie particulièrement Sébastien et Valérie, qui ont su m’apporter un cadre
sécurisant pour grandir dans cette pratique.
Je remercie aussi mes collègues et amies stagiaires, avec lesquelles je me suis
senti aussi en confiance de pouvoir être pleinement moi-même.
Je tiens également à remercier, sans les nommer, toutes les personnes qui m’ont
aidé à et permis de rédiger ce document, symbole de mon processus à devenir
psychopraticien en approche centrée sur la personne !�59
Bibliographie
Axline, V. (1999) DIBS. Ed : Flammarion.
Gendlin, E. T. (2006) Focusing - Au centre de soi. Ed : Alter Ego.
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Trad. F. Ducroux-Biass : 1984.
�60
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Biass : 1989. p. 5.
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Sandford, R. (1984) Le regard positif inconditionnel : une manière d’être mal
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Schlien, J. (1987) Une contre théorie du transfert. Person-Centered Review, vol. 2,
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Vilas-Boas Bowen, M. (1984) Le processus thérapeutique, le thérapeute,
l’apprentissage. Ed : Center for Studies on the Person, La Jolla. �61
Wikipedia (consulté le 14.08.2018)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mots_grecs_pour_dire_amour
�62
Index des notions abordées
Approche Centrée sur la Personne (ACP) p. 4, 5, 8, 9 à 11, 13, 14, 17, 29, 35, 59,
90.
Conditions Nécessaires et Suffisantes p. 15, 16, 17, 19, 37, 39, 90.
Cadre p. 9, 14, 15, 17, 21, 50, 59, 65 à 68, 73, 77, 81.
Configurations de Self p. 6, 45.
Congruence / Authenticité / Sincérité p. 8, 14, 16, 18, 22, 34, 37, 39, 49, 54, 57, 58,
68, 69, 79, 81, 90.
Empathie / Compréhension empathique p. 14, 15, 16, 18, 19, 34, 37 à 39, 49, 54,
58, 65, 69, 79, 81, 90.
Enfant Intérieur p. 6, 27, 31, 45, 46.
Estime de Soi p. 13, 55, 56, 90.
Insight p. 7, 11, 44, 45.
Lieu d’Evaluation Interne p. 12, 19, 49.
Personne Fonctionnant Pleinement p. 11 à 14, 17 à 20, 23, 26, 27, 30, 36, 39, 50,
59, 90.
Pierre de Touche Existentielle p. 28, 35.
Processus p. 3, 4, 6, 8, 12, 15, 17, 19, 20, 28, 30, 34, 49, 51, 54, 57, 59, 65 à 90.
Regard Positif Inconditionnel / Bienveillance / Considération p. 6, 8, 9, 11, 14, 16,
17, 22, 23, 28, 31, 34, 36 à 38, 47, 49, 51 à 54, 58, 65, 69, 71, 76, 79, 81, 90.
Supervision p. 16, 38, 54, 55.
Tendance Actualisante p. 10, 46, 78.
Thérapie par le Jeu p. 21, 37.
Transfert p. 55.
�63
Annexe
�64
Introduction aux analyses de processus
Je vous présente ici deux accompagnements que j’ai réalisés dans l’année qui
s’est écoulée, le second étant toujours en cours.
Les personnes accompagnées sont très différentes, Béatrice a la cinquantaine, est
au chômage et fait un peu d’aide à domicile, elle est en couple, mais vit dans sa
propre maison ; Jérôme a la trentaine, il vit seul et travaille à temps plein dans un
organisme public en passe de devenir privé.
Dans les deux cas je vous poserai le décor, et vous détaillerai un peu ce qu’il s’est
déroulé (= processus) lors de nos séances. J’y apporterai un regard diachronique,
c’est-à-dire en balayant l’ensemble de l’accompagnement, puis un regard
synchronique, en m’arrêtant un peu plus précisément sur le déroulé de certaines
séances.
Je m’attacherai parfois à regarder ce qui a été vécu pour la personne que
j’accompagne, pour moi-même et/ou pour notre relation.
Avant de commencer, il y a un point que je souhaiterais poser ici, quant au cadre
de pratique dans lequel je « m’insère ». J’ai estimé que le premier
accompagnement relève de la psychothérapie, et que le second relève du
counselling (vu que la porte d’entrée du second est une émotion bien ciblée). Il
m’est encore difficile aujourd’hui d’être satisfait de ce « clivage », sachant qu’une
fois la porte d’entrée à la relation franchie, ma façon d’être reste congruente,
empathique et bienveillante ! Elle prend certes des formes différentes, je ne suis
pas exactement la même personne avec chaque cl ient.e. Chaque
accompagnement est pour moi particulier, et il m’est difficile parfois de le
catégoriser…
�65
Analyse de processus n°1
J’ai envie de vous raconter ici l’histoire de mon petit bout de chemin partagé avec
Béatrice.
Béatrice est venue me voir par rapport à un souci d’ordre global qu’elle ressentait.
Celui-ci se traduisait par des angoisses lorsqu’elle était dans des endroits avec du
monde, en position debout, et une difficulté en lien avec son précédent emploi
notamment.
Je l’ai suivie durant 11 entretiens individuels, dans les locaux d’une association
Mirapicienne qui m’héberge.
Il ne s’agit pas de mon cadre classique d’entretiens, et il m’a fallu quelques
séances pour me sentir à mon aise en ce lieu. Le déroulement des entretiens a fait
qu’il ne m’a pas été possible de mettre en place mon rituel de préparation aux
entretiens, ce qui a eu tendance à me déranger un peu au début, puis je n’en ai
plus fait cas.
J’ai enregistré par dictaphone tous les entretiens, sauf le premier. J’ai retranscrit en
intégralité l’un d’entre eux (le sixième), puis partiellement certains des autres.
J’alternerai cette analyse entre un regard diachronique et synchronique de ce qui a
été vécu par elle, par moi et dans notre relation.
�66
Processus diachroniques
Processus de Béatrice Béatrice est arrivée avec une forte gêne, de ne pas pouvoir se tenir debout dans
des espaces contenant beaucoup de monde. Cela générait en elle une angoisse
très forte, peu exprimée verbalement à son entourage (ses enfants, ses
compagnons).
Béatrice parle vite, respire peu, est angoissée aussi des réponses que je peux lui
apporter, ou qu’une autre personne avec qui elle interagit pourrait lui exprimer.
Béatrice revient, elle sent que la relation thérapeutique lui fait du bien, sans
forcément parvenir à nommer ce qu’il se passe pour elle.
Béatrice s’exprime beaucoup en « il faut ». Verbe qui a tendance à s’estomper au fil
des séances.
Elle en arrive progressivement à davantage de compréhension de son mécanisme,
qui ne prenait finalement pas sa source là où elle le pensait initialement.
Elle a exploré avec moi sa relation à son travail, à ses compagnons successifs, à
sa mère, son père, ses frères et soeurs, ses enfants, ses amis.
Plus le cheminement s’est fait, plus il a été possible pour Béatrice d’espacer les
séances, pour les trois dernières séances. Nous avons commencé à un intervalle
de deux semaines entre les entretiens, pour passer à trois, puis à quatre.
Mon processus Il m’a été difficile, dans un cadre nouveau, d’assurer le cadre temporel aussi bien
que dans mon cabinet. Les premiers entretiens ont débordé de plusieurs minutes
sur l’horaire entendu. L’emplacement de l’horloge me forçait à tourner la tête très
franchement alors que le contact visuel avec Béatrice est quasi constant.
�67
J’ai d’abord été un peu hésitant, peut-être trop présent par mes « hm hm » ! Dans
cette même vivacité, ce même empressement que Béatrice. En en prenant
conscience, notamment après une retranscription, j’ai veillé à moins intervenir,
moins rapidement, à laisser Béatrice dérouler davantage ce qu’elle avait à dire.
Processus de la relation Le rythme des échanges est allé d’une difficulté à gérer le cadre, d’une forme
d’empressement, à un échange plus cadré, plus relâché. La sincérité a été de mise
tout le long il me semble. Il y a peut-être eu moins de gêne au fil du temps.
Nous avons également exploré notre relation par moments, sur la façon dont
Béatrice se sentait dans nos échanges. Je lui demandais ce qui lui convenait ou
non, comment elle se sentait dans la relation. Je le lui ai exprimé également. Je
garde cela en tête, et ça me vient par moments, suite à mes lecture d’Irvin Yalom,
qui revient régulièrement dans ses entretiens sur là façon dont se sent la personne
dans la relation thérapeutique.
Processus synchroniques
Entretien 1Non enregistré.
Processus de Béatrice Béatrice vit des angoisses encore présentes alors que ça va bien dans sa vie
sociale et professionnelle.
Elle a eu une passe difficile de vie professionnelle et personnelle. Elle pensait que
c’était lié au travail. Dès qu’elle est debout, qu’il y a du bruit et du monde, elle a la
tête qui tourne. Comme si elle avait besoin de gérer tout le monde, si elle se
désunissait et donnait un peu d’elle à chacun.
�68
Béatrice veut bien faire, être avec les gens jusqu’à aller en eux. (Est-ce une forme
de surempathie ?) Elle se dit timide aussi. Elle a peur du regard des autres.
Elle gérait seule avec ses deux enfants ou lorsqu’elle est allé seule à la montagne
ou en vélo. Elle a confiance en son corps, qui peut le faire. Mais elle ne peut pas
gérer du monde debout avec du bruit.
Elle exprime une émotion de tristesse et de joie qui montent quand elle me voit
jouer son attachement à quelqu’un qui se dérobe et elle tombe au fond du trou
(mes mains reprenant son geste de se raccrocher assez brusquement au bureau
qui est entre nous). Mais elle a toujours cette envie, cet élan de vie, qui fait qu’elle
s’éloigne de relations toxiques.
Elle se sent comme légère après avoir déposé sa démission et ne sentait plus ces
chaînes (lourdes) et étouffantes.
Béatrice est satisfaite et étonnée d’en avoir dit autant malgré une appréhension,
avoir ressenti la tête qui tourne d’en avoir tant dit, des mots et images qu’elle a su
dire, et moi reformuler.
Mon processus Je me suis senti plutôt confiant, malgré le débit de parole assez rapide de Béatrice.
J’ai la sensation de m’être adapté à son rythme.
Il m’a semblé être juste dans mes attitudes de congruence, de bienveillance et
d’empathie.
Processus de la relation Nous fixons la régularité à une fois toutes les deux semaines (pour des raisons
financières).
Je sens que le contact psychologique est établi. Béatrice est consciente d’une
forme d’incongruence sans pour autant savoir de quoi il s’agit vraiment, elle en
connaît les conséquences ressenties pour elle, qui lui posent un problème dans sa
vie personnelle et sociale. Je me suis senti congruent, et ai exprimé, dans mes
postures, ma bienveillance, sans juger ce qu’elle m’a dit, et ai reflété ses émotions
�69
par empathie. Il me semble que cela a été perçu puisqu’elle s’est livré, avec une
certaine surprise.
Entretien 5Enregistré et retranscrit partiellement.
extraits :
Béatrice fait référence à sa première expérience professionnelle :
« - Et ma mère elle a cette image de moi, timide, qui franchement fait
rien du tout, ne pense qu’à s’amuser et qu’on a placé là… parce que les
timides, on va pas les placer avec d’autres… Alors que j’aurais aimé avoir
plein de collègues pour pouvoir sortir, pour pouvoir faire des tas de choses.
Et je lui ai dit « mais non je préfèrerais qu’on soit plusieurs ». « Non, non, toi
qui est timide ça sera mieux si tu es toute seule pour commencer. Elle m’a
mis une vie qui m’allait pas..
- Elle t’as mis une vie qui t’allait pas oui.
- Et souvent quand ça allait mal à la pharmacie, je me disais que c’est pas
le métier que j’ai choisi. Etre au comptoir ça me plait pas, le commerce ça
me plait pas, bon le côté médical ça me plaisait un peu, mais pas ce côté
là. (…)
- C’est quelque chose que tu n’as pas choisi toi, alors que j’entends
aujourd’hui tu veux choisir ce que tu fais, comment tu vis.
- Et souvent ma mère me dit « Tu vois, heureusement que je t’ai trouvé ce
travail ». (rires nerveux) C’est pas ce que je voulais faire !
- C’est pas ce que tu voulais faire non. Je voulais plutôt m’occuper
d’enfants, pas être dans la maladie… parce que ma mère, toute sa vie,
elle a été dans la maladie. (…)
Et aussi ce moment essentiel à la suite de l’accompagnement (cité plus haut dans
le corps du texte):- « (…) bon la sensation que j’ai c’est ça, c’est qu’elle a fait ce qu’elle a pu,
elle est toujours là quelque part et quelque part… bon je ne sais pas si elle a
encore quelque chose à te dire mais, mais j’aurais envie d’accueillir cette �70
Béatrice avec bienveillance, ne serait-ce que là maintenant, de lui dire « oui t’as fait ce que t’as pu »
- (vive émotion, larmes qui coulent et voix fluette) ouais.. - Et aujourd’hui t’es encore un peu là… mais voilà c’est plus la vie,
aujourd’hui, que Béatrice, aujourd’hui, toi, tu as envie de mener. - (larmes) Oui t’as raison, il faut pas que je chasse ma vie d’avant - hm hm - ou j’ai fait plein de bêtises, pas bonnes pour moi - hmm hm - Mais c’est ça, c’est que je voudrais oublier tout ce que j’ai fait - hm hm
- Mais comme tu dis il faut que je l’accueille comme ça (vive émotion dans la
voix et sanglotante) pour me dire « ben tout ce que j’ai fait, ça m’a fait
avancer »
Processus de Béatrice Béatrice exprime ce que sa mère voulait pour elle. Sa mère la décrit comme timide,
et décide qu’elle travaille dans une pharmacie. Alors que Béatrice n’a pas envie de
ça. Commence à exprimer ce qu’elle veut elle.
Mon processus J’exprime mon intention de bienveillance vis-à-vis de cette Béatrice du passé, au
présent.
Processus de la relation Cette dernière expression marque un tournant majeur dans l’accompagnement de
Béatrice. Effectivement, j’exprime vraiment mon intention de bienveillance vis-à-vis
de cette Béatrice qui a souffert et qui souffre toujours aujourd’hui. A plusieurs
reprises dans les entretiens suivants, Béatrice fera référence à ce moment, à cette
intention, qu’elle va progressivement intégrer en elle.
�71
Entretien 6Enregistré et retranscrit intégralement.
J’ai choisi, pour cet entretien, d’en regarder une portion sous l’angle de l’échelle du
processus thérapeutique (Rogers, 1998). Pour cela, j’ai ressenti le besoin de
clarifier pour moi quels sont les stades de cette échelle du processus
thérapeutique. Celle-ci est effectivement présentée avec de nombreux exemples et
comme étant un continuum, la limite entre les stades n’étant pas si rigide ou claire
que cela. J’en ai tiré ces quelques notes, que je souhaite partager avec vous, qui
m’ont aidé à « classer » les déclarations de Béatrice dans un stade ou un autre.
Ma lecture des stades de l’échelle du processus thérapeutique Stade 1
Communication sur des sujets extérieurs.
Refus de communication personnelle.
Aucun désir de changement.
(Blocages dans la communication interne)
Stade 2
(Après avoir été accepté totalement au stade 1 ?)
Problèmes perçus comme extérieurs à soi.
Pas de responsabilité personnelle.
Expression globale et sans nuances (toujours, jamais)
Stade 3
Expériences personnelles = objets (au lieu de dire « je » : « vous », « tu », « on »)
Perception de soi à travers le regard (hypothétique) de l’autre (significatif)
Sentiments et intentions du passé (perçus comme honteux, mauvais,
inacceptables)
Choix personnels reconnus comme inefficaces.
�72
Stade 4
Sentiments plus intenses, dans le présent, mais avec méfiance et peur.
Pas ou peu d’acceptation franche de ceux-ci.
Découverte de schèmes personnels, mais avec doutes (et jugement)
Prise de conscience hésitante des contradictions et responsabilités personnelles.
Stade 5
Sentiments vécus dans le présent.
Sentiments concernant la relation et le thérapeute difficiles à exprimer.
Surprise et peur au jaillissement des sentiments.
Découverte originale de schèmes personnels.
Tendance à l’exactitude dans la différenciation des sentiments et intentions.
Contradictions et responsabilités mieux acceptées.
Stade 6
Sentiments éprouvés immédiatement, spontanément et de façon riche.
Expérience vécue, pas un objet.
Détente physiologique qui l’accompagne.
Prise de conscience devenant cadre de référence clair.
Stade 7
Nouveaux sentiments éprouvés immédiatement.
Croissance de l’acceptation de soi.
Confiance dans sa propre évolution.
Communication interne claire.
Choix effectif de nouvelles manières d’être.
Processus de Béatrice Béatrice s’exprime en « je » et en « moi » (stade 3 ou 4)
Elle relate des expériences du passé (stade 3) « j’étais responsable », « la décision
que j’ai prise de partir de chez moi »
�73
Et ressent de la honte (au présent, timidement) par rapport à cette situation (stade
4)
Il y a un début d’acceptation « voila c’est moi qui l’ai fait » mais encore de l’auto-
jugement « c’est que je suis pas bien quoi » (stade 4)
Béatrice explore ce sentiment, d’abord dans le passé « ça me faisait honte » (stade
3), « ça a fait qu’empirer parce qu’on se cachait et pour moi c’était pas bien de se
cacher »,
Et ne reconnaît pas pleinement sa responsabilité « j’étais obligée de cacher »,
« fallait cacher » (stade 2)
Béatrice réalise les conséquences que ça a eu « ça m’a démolie » (stade 3)
Et du schéma que cela a induit en elle « pour moi c’était honteux », « et ça m’est
resté un peu… ben la relation avec un homme c’est honteux » (stade 4) sans pour
autant en accepter la responsabilité « ma mère elle a un peu cette idée là (…) elle
me met cette idée là dans tête déjà quand j’étais jeune »
Béatrice commence à faire l’expérience du sentiment au présent « cette relation là
m’a fait entrer dans quelque chose de … c’est honteux » (stade 4)
Cela reste perçu comme quelque chose de négatif« c’était honteux et ça a fait
l’effet que je me suis sentie pas bien après » (stade 3)
Béatrice fait un lien avec ce qui l’a amenée, entre autres choses, à me rencontrer
« ça a démoli mon image. ça a fait que quand je suis dans une foule je me sens
pas bien » (stade 4)
Ce qui l’amène à ressentir au présent « j’ai l’impression que… de porter la honte
sur moi (…) et quand je me retrouve dehors je ressens d’être comme ça » (stade 4)
�74
Mon processus J’ai trouvé l’exercice de la retranscription complète difficile et cela m’a demandé
beaucoup de temps (près de 8 heures!). Je me rends compte alors effectivement
du rythme de parole très élevé de Béatrice, et du mien en conséquence.
C’est suite à cet exercice que je me rends compte de l’importance de laisser
Béatrice dérouler davantage, sans que je « sois aussi près de ce qu’elle exprime »,
comme pour lui laisser plus d’air.
Processus de la relation C’est effectivement au fil des séances, sans clairement me souvenir du moment
exact, que je m’en suis rendu compte, nous en avons parlé et réalisé ensemble : il
apparaissait que Béatrice prenait peu de temps de respiration lors de son déroulé.
En en prenant conscience, j’ai amené le rythme de nos échanges à diminuer
progressivement et subtilement. Béatrice me l’a exprimé par moments, et a
reconnu le bienfait de ralentir un peu.
Entretien 11Enregistré.
Processus de Béatrice Béatrice a réalisé cette peinture en parallèle des
séances précédentes, elle ne se souvient plus
bien à quel moment.
Elle m’en a exprimé le processus. Elle a d’abord
travaillé sur le fond, puis a rajouté les bulles
colorées.
Ces bulles colorées correspondent aux émotions
qui sont sorties d’un endroit plutôt sombre pour
aller vers du plus lumineux.
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Mon processus Je me suis senti très touché par le fait qu’elle m’offre cette peinture. Je me suis
senti très admiratif et curieux de la signification qu’elle y a mise. J’en ai eu les
larmes aux yeux. Je ne m’y attendais pas, et cela a donné une dimension
supplémentaire au processus de Béatrice et à la relation thérapeutique. Je trouve,
qu’avec ses mots, Béatrice exprime extrêmement bien le processus qu’elle a vécu.
Processus de la relation Nous convenons de mettre un terme à la relation thérapeutique. Béatrice m’avait
fait part de son intention en amont de la séance, par téléphone. Béatrice sent
qu’elle a compris, et elle l’a symbolisé, à la fois via son œuvre créative et sa façon
de s’approprier un regard bienveillant vis-à-vis d’elle-même.
Béatrice se dit intéressée pour participer à un groupe de rencontre s’il s’en crée un
dans le secteur. Elle se sent prête à partager avec d’autres, même si cela l’effraie
un peu.
Je ne suis pas parvenu, jusqu’à présent, à créer ce groupe pour donner suite à sa
demande.
�76
Analyse de processus n°2
J’ai envie, ici, de vous présenter mon expérience d’accompagnement thérapeutique
de Jérôme.
Jérôme m’a été redirigé par notre médecin généraliste commun pour travailler sur
sa gestion de la colère.
Nous avons, jusqu’à présent, effectué 29 entretiens, et le suivi est encore en cours.
Il s’agit de mon suivi le plus long depuis que je suis installé à mon compte.
J’ai enregistré presque la moitié de nos entretiens, et retranscrit partiellement une
partie de ces enregistrements (surtout les premières séances). Certains entretiens
n’ont pas pu être enregistrés, et je préciserai pourquoi, mais ont fait l’objet de notes
prises après la séance.
Cette fois-ci je me suis trouvé dans mon cadre de pratique habituel. J’ai pu, sauf
quelques rares fois, mettre en place mon rituel de préparation aux entretiens, de la
manière qu’il est décrit dans le corps de ce mémoire.
J’alternerai également cette analyse entre un regard diachronique et synchronique
de ce qui a été vécu par lui, par moi et dans notre relation.
�77
Processus diachroniques
Je n’avais pas songé traiter de ce cas ici au départ, mais ce qu’il s’est déroulé lors
de certaines des séances les plus récentes, et la durée de l’accompagnement
m’ont poussé à rendre compte de ce qu’il s’est joué pour nous dans cette relation
thérapeutique.
Mon processus Ecrire ces quelques lignes me donne envie de commencer par détailler mon
processus tout au long de cet accompagnement.
J’ai effectivement, pendant un certain temps, douté de ma capacité à identifier le
processus qui était en cours chez Jérôme. Et cela a fait que j’ai ressenti de la peur
à me lancer dans la rédaction de cette analyse de processus. Il me semblait que je
ne serais pas capable d’identifier les étapes franchies, ni même une progression
très franche dans le déroulé et le contenu de nos séances. Pour autant, j’ai, à
chaque fois, fait confiance à la mise en place des six conditions nécessaires et
suffisantes, détaillées plus avant dans ce mémoire (Rogers, 1957). Et c’est en me
raccrochant à cette façon d’être et de faire, que je ne peux que constater
aujourd’hui les résultats de cet accompagnement, avec satisfaction et fierté, à la
fois envers moi et envers Jérôme et sa tendance actualisante (Rogers, 1979).
Processus de Jérôme Jérôme est arrivé à ma rencontre, très perturbé par ses accès de colère, dont il a
parlé à son médecin généraliste. Il semblait tout à fait dépassé, et sa colère
semblait s’exprimer malgré lui dans de nombreux contextes, principalement
professionnel, mais également personnel et familial.
�78
Processus de la relation Il m’a semblé entrer en relation assez rapidement avec Jérôme. Le contact
psychologique ne m’a pas posé de problèmes, ni même à lui, il me semble. Notre
proximité en âge y a peut-être contribué ? Le fait que je sois un homme aussi ?
Ensuite, l’incongruence dont Jérôme faisait l’expérience a été ciblée dès le début
de nos rencontres : comment gérer cette colère explosive ?
Comme je le détaille dans le corps du mémoire, ma bienveillance a permis d’ouvrir
la porte assez rapidement à une confiance réciproque, et une proximité
presqu’amicale.
J’ai alors veillé à être en phase avec moi-même, à être sincère tout au long de nos
séances, et à véhiculer ma compréhension empathique vis-à-vis de ce à quoi
Jérôme faisait face.
Jérôme a pu recevoir cette bienveillance et cette empathie par mon attitude
générale, ma façon de lui parler, d’exprimer certaines émotions (de colère, de
dégoût, de tristesse ou de joie) par les traits de mon visage ou le ton que
j’employais, et par les mots que je choisissais de refléter, et parfois par les
propositions que je me suis permises de faire.
L’une de ces propositions les plus importantes il me semble, a été, et je le
détaillerai un peu plus loin, de lui proposer de faire nos séances en marchant,
lorsque la météo et son humeur le permettraient. Près de la moitié de nos séances
se sont effectivement déroulée de la sorte ! Il est arrivé parfois que nous marchions
en forêt, sur un chemin avec un dénivelé d’une centaine de mètres, mais plus
régulièrement à plat, le long d’un chemin empierré aménagé à cet effet. Nous
partons directement du cabinet à pied, et rejoignons ces tracés en quelques
minutes.
�79
Processus synchroniques
Entretien 1Non enregistré.
Processus de Jérôme Il exprime assez facilement toute une palette d’émotions. A débuté un travail sur lui
au niveau de la respiration. Il se rend compte que sa colère est problématique. Elle
l'envahit et le fatigue, lui semble inutile et il se sent idiot quand ça arrive.
Il évoque ses relations au travail : ok humainement avec son patron et un collègue
mais sent souvent le besoin de faire respecter les règles alors que ça n'est pas à lui
de le faire. Il n'en veut plus de cette colère. Il se sent inflexible. Il commence à se
rendre compte quand ça arrive.
Il a parlé de sa bonne relation avec sa mère. Il la sent en colère aussi. Sa relation
avec son beau-père est moins bonne. Ce dernier n'a pas été à la hauteur pour lui. Il
se rend compte que c'est comme il est et ne lui en veut plus.
Tout comme il n'en veut plus à ses anciens copains desquels il attendait trop et
avec lesquels il finissait souvent blessé (émotionnellement).
Jérôme a une relation avec une femme douce, qui lui fait du bien, mais il ne
s'engage pas, de peur de son effet sur ses trois enfants jeunes et fragiles. Je lui
suggère qu'il ne veut pas leur faire subir ce qu'il a vécu avec ses beaux-pères, des
machos qui LUI ONT LAISSÉ UNE MARQUE INDÉLÉBILE.... dès qu'un homme
macho vient en frontal il ne peut que recevoir de la colère. Il se souvient néanmoins
d'un beau père qui a été sympa avec lui.
"Moi il faut me prendre par le côté, pas en frontal" (fait ce geste du bras droit qui
vient envelopper son bras gauche tout en tournant son buste vers la gauche).
Il pense être un bon gars, pas trop compliqué.
Le coin ne lui plaît pas trop et il n'a pas envie de s'investir dans une activité, quand
bien même il ait déjà fait l'expérience avec le basket, et de l'effet canalisateur du
sport sur la colère.
Il se dit sensible et naïf.
�80
Il était au fond du seau l'an dernier et s'est lancé le défi de faire de la moto. Il s'est
accroché car ça lui tenait à cœur, et il a persévéré (alors qu'il ne se perçoit pas
comme persévérant) et maintenant c'est une passion.
Il a découvert être bon de ses mains au fil des années.
Mon processus Je suis parvenu à fixer le cadre (en oubliant le caractère hebdomadaire je crois?), à
être présent et à suivre son déroulé de façon assez fluide je trouve.
Processus de la relation Les bases semblent être posées. Le contact psychologique est établi assez
rapidement, Jérôme est conscient de son incongruence, je me sens congruent, et
lui exprime ma bienveillance sur ce qu’il exprime, et reformule par empathie les
émotions qu’il m’exprime. Jérôme semble recevoir ces expressions, j’y reviendrais
dans les échanges suivants.
Entretien 11Enregistré et retranscrit partiellement.
Processus de la relation Je propose, en fin de séance, à Jérôme de faire la prochaine séance en marchant,
sur du plat ou en montant en foret, s’il ne pleut pas par contre ! Nous ferons en
fonction de comme Jérôme se sent, sur du plat ou en foret.
Mon processus J’ai fait cette proposition après avoir entendu sa difficulté à se remettre au sport, et
avoir entendu à de nombreuses reprises qu’il parlait de « marcher ». C’est
effectivement en relisant mes notes de retranscription d’entretiens, que je me rends
compte de la grande fréquence de ce mot dans sa façon de s’exprimer à propos
des choses, qui marchent ou surtout ne marchent pas pour lui, ou autour de lui. J’ai
noté également l’importance pour lui de sortir du cadre)
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Processus de Jérôme Jérôme répond qu’en forêt ça lui convient, « je suis toujours à fond, même si je n’ai
aucune condition physique. ça ne me gêne pas d’en chier. comme ça la tension
partira en marchant, ça permet d’évacuer plus, être assis le permet moins, ou
comme couché sur un divan !… c’est une bonne idée, si c’est trop dur, on fera demi
tour ! »
Entretien 12Première séance en marchant, non enregistrée.
Mon processus Je propose de rester en silence en montant puis d’échanger sur ce que Jérôme a
vécu.
Processus de Jérôme Me parle de sa relation au sport collectif, dont il a été dégoûté, au basket
surtout ,très individualiste, puis au rugby, par mauvais esprit trop compétitif des
seniors.
Ne se sent pas endurant. Recherche de l'explosivité d'avant. Ne sait pas se gérer.
Toujours à bout puis se dégoûte. Pareil pour la nourriture, la boisson, sa relation
aux femmes. Quoiqu’il s’est senti en conscience, la dernière fois, en buvant du vin
avec son oncle et pas de rhum.
Il ressent que la lassitude est toujours là, mais pas dans la léthargie. (Comme
tamponnée ?)
Processus de la relation Son rythme de marche était assez soutenu en montant, et il a récupéré rapidement.
Quand je le lui ai demandé, il n’a pas senti de jugement dans notre relation, peut
être que oui mais ne l’a pas perçu.
Il me répond "Laisse moi respirer" quand je lui propose un rendez-vous la semaine
prochaine. Nous convenons d’un rendez-vous dans 2 semaines.
�82
Entretien 13Enregistré et retranscrit partiellement : séance en salle.
Entretien 14En marchant, sous l’orage et la pluie dans la forêt !
Processus de Jérôme Jérôme me parle de son expérience d’un incendie au boulot, lors duquel il est
content de son comportement, pas uniquement dans la réaction (comme avant),
mais avec de l’analyse avant l’action (une forme de recul, de conscience de ce qu’il
se passe et de ce qu’il peut y faire). « J’aime agir dans ces conditions », ça lui a
donné une énergie importante, et il a mis en place beaucoup d’actions dont il est
FIER dans la foulée.
Jérôme se pose des questions, auxquelles il finit par répondre de lui même lors de
la descente, sur les intentions et la cohérence de son chef. Pour Jérôme, être chef
c’est comme le chef des pompiers : il doit être clair et ferme sur les ordres, tout en
respectant chacun quel que soit son grade. Ce n’est pas ce qu’il ressent avec le
sien.
Il a la possibilité de postuler à un poste autonome, quoique toujours au grade
d’ouvrier. Cela lui donnerait la possibilité de vivre ailleurs. (puisqu’il se plaint de
vivre là où il vit, où il n’a ni véritables amis, ni famille).
Il dit qu’il ne saurait pas quoi faire de beaucoup d’argent.
Cette expérience de l’incendie a répondu à une question qu’il se posait : est-il
capable de réagir en cas d’urgence? oui ! Et en cohérence et en étant content de
lui.
Jérôme a la sensation de faire des choix cohérents, dont il est fier.
Mon processus Je me rends compte après coup que la séance a été un peu extrême dans ses
conditions climatiques et de sécurité de Jérôme.
�83
Ma réaction première est d’espérer que son téléphone n’a pas été endommagé.
Dorénavant je serai plus attentif aux conditions climatiques annoncées en amont de
la séance, pour savoir si je la propose en marchant ou non !
Processus de la relation Jérôme a eu peur dans la montée, sous les pins qui bougeaient beaucoup sous le
vent et la pluie. Il ne me l’a exprimé qu’en fin de séance.
Il a souffert physiquement du rythme de la marche (que j’ai essayé de réduire),
mais n’aime pas non plus avoir la sensation de ne pas avancer.
A posteriori je me dis que le sentiment de sécurité dans la relation était déjà tel qu’il
a « survécu » à cette séance très particulière !
Entretien 19En marchant.
Mon processus Je loupe ma préparation (mon rituel) et mon début de séance suite à une
discussion avec mon beau-fils. Je présente mes excuses, Jérôme les accepte sans
problème. Je le sens fatigué et lui propose une marche à plat, après qu’il accepte
d’aller marcher plutôt que de rester assis.
Je le sens OK, mais lui ne le sent pas encore ? Vais-je trop vite? C’est lui qui pose
le prochain rendez-vous, ça me convient.
Entamons-nous le processus de fin de thérapie? Qui peut durer? Comme avec
mon autre client du moment? Comment puis-je l’accompagner au mieux? Mettre
les choses au clair sans que cela reste dans du non dit comme j’ai pu parfois le
ressentir dans mon propre travail thérapeutique.
C’est tout un processus de prise de décision et de pouvoir dans la relation…
A posteriori je me rends compte que je me suis laissé envahir par ma relation avec
mon autre client, pour lequel nous entamions une réflexion sur la fin possible du
travail thérapeutique. J’étais loin de me rendre compte que la relation perdurerait
encore aujourd’hui !
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Processus de la relation Nous fixons un rendez-vous dans 2 semaines. Suite à ma question sur la poursuite
des entretiens, et de leur régularité discutable. Jérôme dit un mois, puis reste à
deux semaines.
Entretien 20En marchant dans la montagne
Processus de Jérôme Il s’est offert un beau cadeau, sa nouvelle moto, très adaptée à lui, source de
satisfaction et de fierté pour lui-même. Me parle dans moult détails de la chape,
l’abri, le relationnel essentiel pour lui chez Honda, qui l’ont chouchouté.
Mon processus Je note cette tendance à prendre soin de lui dans une situation où il a fait quelque
chose au boulot qui n’était pas de son ressort et le mettait en stress, en colère. Le
fait de le faire lui a permis de se retirer ce stress. Comme pour la moto, qui le libère
d’un stress qu’il avait avec l’autre moto, moins stable. Là c’est une vraie moto
(comme si aujourd’hui il était devenu un vrai lui-même? ça ne me vient que
maintenant de faire l’analogie!)
Processus de la relation Rendez-vous prochain dans 3 semaines, Il a été bon de faire le bilan lors de cette
séance. (cette dernière remarque provient de mes notes, mais je n’ai plus la teneur
du bilan qui a effectivement été fait ce jour là…)
Entretien 21En marchant à plat, dans la nuit et la fraicheur, non enregistré.
Processus de Jérôme besoin d’évacuer, pas en forêt, trop effrayant.
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revient sur sa posture au boulot, ressent un agacement comme continu, vis-à-vis
de son chef en particulier, cette situation dont il ne sait pas comment s’extirper. Fait
le tour de tout ça, en évoquant vers la fin sa posture souvent voûtée, ne pas se
satisfaire de ses réactions sanguines (histoire familiale de son père et son grand
père) quand il est touché, collé à la situation, à son chef.
Se rend compte qu’il parvient à mettre de la marge, de la distance, et à réagir
avec moins d’avancement, avec humour même, vis-à-vis de ces petites
choses qui ne concernent que lui : sa conduite en moto, ces petites
« altercations » ou « provocations » au boulot, qu’il sentait orientées en particulier
vers lui, alors qu’il se rend compte que ça n’est pas le cas. Ne sait pas si c’est de la
paranoïa.
Mon processus Je lui exprime et sens qu’il prend soin de lui de cette façon… ce sont peut-être trop
mes mots?
Processus de la relation Je lui pose la question de la régularité des rdv, 3 semaines c’était un peu long, il
était agacé, mais à la fois pris par ses engagements (kiné).
Prochain rdv dans 2 semaines, avant d’aller à Paris, pour y aller détendu, pas se
rajouter cette pression.
Entretien 24En marchant à plat, jour puis tombée de la nuit, non enregistré.
Processus de la relation J’ai senti une grande présence, une distance par rapport aux émotions qu’il
relate encore dans le passé, plus ou moins proche, encore présentes en lui
aujourd’hui.
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Entretien 27En marchant
Processus de Jérôme A commencé le jogging la semaine dernière. Il y est allé avec un ami, ça a été dur
pour Jérôme, qui n’a pas trouvé son rythme et s’est épuisé. Il se dit qu’il le fera
différemment la prochaine fois.
Entretien 28En marchant, je n’ai pas eu le temps de me préparer, non enregistré.
Processus de Jérôme Jérôme me parle de la semaine passée en stage, où il sentait que ça flottait. Il s’est
senti chez lui, compétent, à participé auprès du formateur. À osé demander à cette
femme, partenaire de galère d’un soir, à partager leurs repas. À beaucoup apprécié
son intelligence, sa discrétion, son raffinement. Est tombé un peu amoureux d’elle,
son cœur d’artichaut. Cette autre (voix) lui a dit de ne pas en faire trop, de ne pas
forcer. Elle est en couple, a des enfants.
Détaille à nouveau la relation de travail en équipe avec P. : respect, pas malveillant,
prises de becs ponctuelles, ça monte et ça redescend vite.
Jérôme est ok pour que j’utilise nos entretiens pour mon mémoire.
Déception encore vis à vis de son père.
Sent qu’en Juillet il va être sensible, doit prévoir de ne pas se mettre en première
ligne.
Trop sensible pour être manager, un peu de responsabilité, mais pas trop de
monde. Pas en labo pur. Pas envie.
Mon processus Sans trop parvenir à identifier pourquoi, je me dis qu’il se passe quelque chose
d’important lors de cet entretien, que quelque chose est en train de bouger. Je
�87
regrette de ne pas avoir enregistré cet entretien pour pouvoir plus clairement y
mettre le doigt dessus !
Processus de la relation Je lui pose la question d’un counselling professionnel. C’est encore trop tôt. Est
confiant quelque part que les choses vont sortir de cette période de transition.
Entretien 30Enregistré, en salle.
Processus de Jérôme Ca y est ! Jérôme vient de prendre conscience d’un élément déterminant à la
poursuite de son travail thérapeutique. Il vient de comprendre qu’à travers sa colère
et parfois sa haine des comportements des autres, c’est en fait contre lui que cette
colère et cette haine sont tournées… C’est lui-même qu’il déteste….
A la fin de cette séance, par texto, une fois rentré chez lui, Jérôme me remercie
d’avoir pu « vider son sac ».
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« Conclusion » aux analyses de processus
Ces accompagnements m’ont changé. Je ne suis plus tout à fait la même personne
que j’étais avant de les réaliser. Et c’est le cas pour chaque personne que
j’accompagne, qu’elle ne vienne qu’à une séance, ou que le suivi soit plus long
dans le temps.
Je vais essayer ici de clarifier ce qui a changé en moi et pour moi à l’issue de ce
petit historique.
Je pense que, dans les deux cas, et à chaque fois qu’un accompagnement perdure
dans le temps, je vérifie avec satisfaction et humilité à quel point les attitudes sont
fondamentales et permettent d’amener un mouvement chez la personne. Il est
parfois difficile de le voir ou de le sentir à l’issue d’une séance, ou même pendant
qu’elle se déroule, mais cela m’apparait de façon tellement évidente avec le recul !
Il m’est difficile de le justifier, ou de le prouver, d’une façon très cohérente et
rationnelle, mais j’espère que vous aurez ressenti cela en lisant ces quelques
extraits d’entretiens.
�89
Résumé
Je vous présente ici mon cheminement à la fois personnel et professionnel
quant à l’exploration de la question de mon accompagnement à l’amour
inconditionnel de soi, en tant que psychopraticien ACP.
Je vous indique la façon que j’ai de mettre en place mes accompagnements
individuels, et à quel point ma bienveillance constitue la porte d’entrée à la relation
thérapeutique.
Ensuite, en précisant mon processus personnel, je rends compte de
l’importance d’un fonctionnement plein du thérapeute. Lorsque les six conditions
nécessaires et suffisantes pour un changement de la personnalité sont vérifiées,
cela implique pour moi que les trois attitudes fondamentales que sont la
congruence, le regard positif inconditionnel et la compréhension empathique
interagissent entre elles.
Ces conditions réunies, justifiant d’une réelle humilité et de moments de
mouvement, rendent possible à la personne accompagnée, et à moi-même, de
s’approprier un véritable sentiment d’amour inconditionnel de soi.
Mots clés
Estime de soi, Amour inconditionnel, Approche Centrée sur la Personne, six
conditions nécessaires et suffisantes, trois attitudes : regard positif inconditionnel,
congruence, empathie, personne fonctionnant pleinement, processus.
�90