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STEFANO BENNI ACHILLE A U PIED LÉGER ROMAN TRADUIT DE L ITALIEN PAR MARGUERITE POZZOLI ACTES SUD

Achille au pied léger - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782742755608.pdf · & radon, vapeur d’eau, monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, plomb tétraéthyle,

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DIFFUSION :Québec : LEMÉAC ISBN 978-2-7609-2883-1Suisse : SERVIDISFrance et autres pays : ACTES SUD Dép. lég. : février 2009 (France)7,50 € TTC France / www.actes-sud.fr

ISBN 978-2-7427-8050-1N

Illustration de couverture : © Pierre Rouillon

ACHILLE AU PIED LÉGER

Ulysse, auteur en mal d’inspiration, travaille dans unepetite maison d’édition du nom de Forge qui, face àune concurrence de plus en plus déchaînée, est me-nacée de perdre son âme. Frappé par des accès desommeil impromptus et poursuivi, jusque dans sesrêves, par les auteurs des manuscrits qu’il doit lire,il se réfugie dans son amour pour Pilar-Pénélope, maiscède également volontiers aux avances de sirènes tel-les que Circé, secrétaire du directeur de la maisond’édition…

Un beau jour Ulysse reçoit un étrange courriel pro-venant d’un certain Achille, qui souhaiterait lui par-ler. Intrigué, il accepte et découvre, au fi n fond d’unpalais bourgeois, un jeune homme cloué à vie dansun fauteuil roulant. Une amitié hors du commun naîtentre eux, qui bouleversera leurs existences.

Virtuose dans l’art de jongler avec des situationsdésopilantes, Stefano Benni, grâce à sa langue inven-tive et moqueuse, crée un univers à la fois fantas-tique et étonnamment familier.

Passionné de jazz, auteur de chansons, de poèmes, de re-cueils de nouvelles et de romans, acteur à l’occasion, Ste-fano Benni est l’un des écrivains italiens les plus lus dansson pays. Il vient de publier en France La Grammaire deDieu (Actes Sud, 2009).

STEFANO BENNIACHILLE AU PIED LÉGERROMAN TRADUIT DE L’ITALIEN PAR MARGUERITE POZZOLI

BABEL, UNE COLLECTION DE LIVRES DE POCHE

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ACTES SUD

ACHILLE AU PIED LÉGER

Ulysse, auteur en mal d’inspiration, travaille dans unepetite maison d’édition du nom de Forge qui, face àune concurrence de plus en plus déchaînée, est me-nacée de perdre son âme. Frappé par des accès desommeil impromptus et poursuivi, jusque dans sesrêves, par les auteurs des manuscrits qu’il doit lire,il se réfugie dans son amour pour Pilar-Pénélope, maiscède également volontiers aux avances de sirènes tel-les que Circé, secrétaire du directeur de la maisond’édition…

Un beau jour Ulysse reçoit un étrange courriel pro-venant d’un certain Achille, qui souhaiterait lui par-ler. Intrigué, il accepte et découvre, au fi n fond d’unpalais bourgeois, un jeune homme cloué à vie dansun fauteuil roulant. Une amitié hors du commun naîtentre eux, qui bouleversera leurs existences.

Virtuose dans l’art de jongler avec des situationsdésopilantes, Stefano Benni, grâce à sa langue inven-tive et moqueuse, crée un univers à la fois fantas-tique et étonnamment familier.

Passionné de jazz, auteur de chansons, de poèmes, de re-cueils de nouvelles et de romans, acteur à l’occasion, Ste-fano Benni est l’un des écrivains italiens les plus lus dansson pays. Il vient de publier en FranceLa Grammaire deDieu(Actes Sud, 2009).

Illustration de couverture : © Pierre Rouillon

DU MÊME AUTEUR

Terra, Julliard, 1985.Le Bar sous la mer, Actes Sud, 1989 ; Babel n° 490.Baol, Laffont, 1993.La Dernière Larme, Actes Sud, 1996.Hélianthe, Actes Sud, 1997.Bar 2000, Actes Sud, 1999 ; Babel n° 529.Spiriti, Actes Sud, 2002.Saltatempo, Actes Sud, 2003 ; Babel n° 750.Achille au pied léger, Actes Sud, 2005.La Compagnie des Célestins, Actes Sud, 2006.Margherita Dolcevita, Actes Sud, 2007.

Titre original :Achille piè veloceEditeur original :

© Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milan, 2003

© ACTES SUD, 2005pour la traduction française

ISBN 978-2-7427-8050-1978-2-330-08610-7

STEFANO BENNI

ACHILLEAU PIED LÉGER

roman traduit de l’italienpar Marguerite Pozzoli

ACTES SUD

à la mémoire d’Akiet de Luigi Pintor

Quel est ton nom dans l’obscurité ?

LIBER SYBILLAE.

I

Qu’arrive-t-il aux gens que l’on dit normauxlorsqu’ils rencontrent brusquement un fou quihurle, ou qui les agresse avec ses propos déli-rants ? Lorsqu’ils voient un homme écroulé sur lesol, ou cloué par un spasme, sur les marches d’uneéglise ? Après une telle rencontre, ils restent im-mobiles, avec une expression de malaise et depeur, abasourdis. Mais leur visage a changé :c’est comme s’ils avaient été photographiés parune lumière aveuglante : ils secouent la tête, par-lent seuls ; l’espace d’un instant, leur normalitéparaît entamée. Qu’ont-ils vu dans l’éclair decette lumière, quel paysage, quel miroir, quellevérité insoutenable qu’ils oublieront aussitôt,mais dont l’image restera à jamais dans unrecoin obscur de leur cœur, dans la bibliothèqueen flammes de leur vie ? (Medèn)

L’homme aux livres sous le bras sortit de chezlui, et le monde n’était plus là.

Il regarda mieux et vit qu’il y était encore,mais un épais brouillard le cachait, peut-êtrepour le sauver d’un danger. C’était le monde detous les jours, et l’homme en vit quelques détailsà ses pieds : une fissure sur le trottoir, un lam-beau de plate-bande, une feuille, morte pour le

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poète, palminervée pour les botanistes, à balayerpour les employés municipaux. Puis lui apparu-rent le tronc d’un arbre, le squelette sans rouesd’une bicyclette et une lumière jaune, de l’autrecôté de la rue.

Il se dirigea vers celle-ci.Il aspira une bouffée de brise humide ma-

tinale, inhalant azote, oxygène, argon, xénon& radon, vapeur d’eau, monoxyde de carbone,dioxyde d’azote, plomb tétraéthyle, benzène,particules de carbonates et de silicates, quelquesspores de champignons, une escadrille de bac-téries, un poil d’origine inconnue, un ectopara-site de pigeon, des pollens anémophiles, unegoutte d’anhydride sulfureux échappée d’unelointaine usine et un grain de sable en prove-nance de Tevtikiye (Nord-Ouest de la Turquie)transporté par le sirocco de la nuit.

Bref, il respira l’air de la ville.Peu de bruits à cette heure-là. Un oiseau

enroué, une voix télévisuelle simulant la gaieté,lointains soupirs de motorisés.

L’homme traversa la rue avec prudence, sentitsur son crâne le chatouillis d’une petite pluie etrejoignit la lumière jaune qui tenait lieu de comèteà un abri. Arrivé là, l’homme aux livres sous lebras trouva refuge parmi quelques semblables.

Un vieux avec une sacoche et un mini-para-pluie qui ne s’ouvrait plus depuis un mois, maispour lequel il avait de l’affection. Une femmeavec un col en renard et un chat en cage. Unmonsieur distingué avec une Samsonite qui fer-mait mal. Un Philippin qui, en fait, était thaïlan-dais. Et enfin un couple d’ados aux cheveuxteints, lui Schtroumpf, elle coquelicot, portant surleurs épaules deux sacs d’écolier gonflés commel’estomac d’un python repu.

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Tout avait l’air tranquille et l’homme aux livressous le bras, prénommé Ulysse, mit ses livres dansun sac en plastique pour qu’ils ne se mouillentpas, et s’assit. Mais les démons de l’automne an-noncèrent un bouleversement imminent. D’abord,un coup de tonnerre, puis un flash qui illu-mina un ciel d’apocalypse et, pour finir, le cré-pitement d’une pluie diluvienne qui persuadachacun de se serrer sous l’abri. Au bout de larue, on entendit un cri rauque et, débouchantd’un virage en pente légère, apparut le dragon-chenille. Perçant de ses yeux jaunes le mur debrouillard, il se dirigea vers ses proies, balançantsa tête monstrueuse. Il mesurait plus de dixmètres de long, était rouge sang, avec six pattesridées sur lesquelles il galopait à toute vitesseentre les files de voitures garées. Lorsqu’il futprès de l’abri, il fit clignoter un petit œil jaunâtresur la partie droite de son mufle – un clin d’œilchargé d’un désir obscène. Puis, il s’arrêta en fai-sant crisser ses crocs, devant les humains inca-pables de fuir, paralysés de terreur.

Lentement, il ouvrit non pas une mais troisgueules. Avec deux d’entre elles, il dévora sesvictimes ; par la troisième, il en recracha une,visiblement mastiquée et digérée. Il referma sesmâchoires d’un claquement sec et repartit, avecun soupir rassasié.

Une petite fille blonde, tresses au vent et sacà dos, se mit à courir derrière lui. Elle le pour-suivait en hurlant et faisait preuve d’un courageincroyable, pour son âge. Elle avait sûrement vudisparaître dans la gueule du monstre un parentou un camarade de classe et, sans la moindrepeur, elle se jeta contre le flanc du dragon et lemartela à coups de poing.

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Le monstre s’arrêta, ouvrit toute grande sagueule postérieure et engloutit la téméraire.

“Merci, dit la petite fille aux tresses.— De rien”, dit le chauffeur du bus.A l’intérieur du dragon-chenille, l’homme aux

livres sous le bras se tenait debout près de lavitre. C’était sa position préférée. Il n’osait pasregarder les autres passagers assis, terrorisé àl’idée qu’un jeune lui cède sa place, le jugeantsuffisamment vieux. L’homme n’était pas vieux,mais il avait les cheveux un peu grisonnants etclairsemés : tôt ou tard, il le savait, il lui faudraitsubir l’offense courtoise d’un “Asseyez-vous, jevous en prie”, peut-être de la part de la dame auchat encagé, et il n’aurait sans doute pas le cou-rage de répliquer : “Je vous demande pardon,mais qu’est-ce qui vous fait croire que je suisplus vieux que vous ?”

Petite précision :L’homme qui n’était pas si vieux avait entre

trente et quarante ans ; sous son bras, il ne por-tait pas des livres mais des manuscrits, ou plutôtdes scriptodactyles, comme il les appelait, étantdonné qu’aujourd’hui écrire est une activité dedinosaure. Il prenait le bus presque tous lesmatins et s’appelait Ulysse, Lello pour les amis ;l’autobus s’appelait Treize et il n’avait pasd’amis, tout au plus des passagers habituels.Autre précision : la dame au chat avait effective-ment deux ans de plus qu’Ulysse, les scriptodac-tyles provenaient d’aspirants écrivains, et Ulysseétait lecteur dans une maison d’édition nomméede Forge ; le chat s’appelait Paradis, était tigré,roux et entier.

“Qu’est-ce que ça peut bien foutre ?” demandala petite fille aux tresses.

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Elle ne parlait pas des précisions susmention-nées, mais répondait sans doute à une informa-tion, mise en garde ou remontrance émanant,par voie de téléphone portable, d’un géniteurcommunicant.

“Les jeunes, les jeunes”, dit l’homme au mini-parapluie qui ne s’ouvrait pas, tout en cherchantdu regard l’approbation d’Ulysse. Mais il n’obtintrien.

“Tout le monde parle des jeunes, mais bordel,qui nous donne la parole, à nous ? lança unepetite voix perçante, dans un coin du bus.

— Vous parlez même trop”, répondit uneautre petite voix.

Ulysse se dit qu’il était dangereux de se re-tourner pour assister à cette querelle automo-trice, mais un importun lui toucha le cou, et ilfut contraint de le faire. Il remarqua avec stupeurque derrière lui, ou tout au moins, dans le mètrelimitrophe, il n’y avait personne. Mais juste sousson nez quelque chose se balançait, lui frôlantla tempe. Il fit un geste afin de chasser l’insecte,plume, ou intrus. Et il s’aperçut, à son grandétonnement, que près de son œil droit oscillaitune chaussure de gymnastique microscopique,appartenant à la jambe miniature d’un minus-cule jeune homme perché sur son épaule.Simultanément, de sa poche pointa la petite têted’un vieux monsieur à lunettes qui protestait,brandissant vers le ciel un parapluie pas plusgrand qu’un cure-dent :

“Vous, les jeunes, vous parlez même trop, etvous ne savez même pas de quoi !”

Le microjeunomme haussa les épaules surl’épaule d’Ulysse, et rota avec une vigueur dehamster. Puis il se pencha par-dessus la clavi-cule, exhibant une tignasse imbibée de gel, et fit

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un geste significatif à l’adresse du micromon-sieur de la poche. Ulysse put ainsi se rendrecompte que les voix querelleuses étaient cellesde deux créatures qui étaient pour ainsi dire descopropriétaires, ou des parasites, ou des sym-biotes. Il se retourna, pour voir si dans l’autobusquelqu’un avait remarqué ce qui se passait. Ilsaisit ensuite le microjeunomme et essaya de lecacher dans sa poche.

“Doucement, bon Dieu, protesta celui-ci.— Tenez-le à distance et ne l’approchez pas

de moi, dit le petit vieux, environ quatre-vingtsans et huit centimètres. Il est déjà insultant pournos œuvres d’être en contact dans votre sac.

— Œuvres ? laissa échapper Ulysse.— Ne faites pas l’innocent, dit le vieux, en

s’accrochant à un bouton. Je suis le professeurVirgile Colantuono, auteur du scriptodactyle leplus gros, dans l’élégante chemise bleu ciel.

— Oui, cinq cent quarante pages, il m’écrasedepuis ce matin, dit le microjeunomme. Moi, jesuis l’auteur du scriptodactyle dont la couverturea été réalisée sur ordinateur. Paolo Petrotto,auteur de Perial Killer, le polar triple X qui vousempêchera de dormir.”

Ulysse s’assit, contrairement à son habitude, etvérifia le paquet de scriptodactyles. En effet, lepremier était une énorme chemise bleu ciel in-titulée Mémoires d’un professeur, de Virgile Co-lantuono, sous-titrée Souvenirs d’une intégrité.Au-dessous, illustré d’un dessin sanguinolent quipouvait être un crâne décharné ou un saucissonà cuire avarié, il y avait la chemise contenantPerial Killer XXX.

“Alors, vous êtes… balbutia Ulysse.— Ne faites pas semblant de ne pas nous con-

naître, protesta Petrotto. Votre maison d’édition

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proclame à tous les vents : «Nous vous lironstous, et répondrons à tous.» Je vous demandedonc : vous m’avez lu, oui ou non ?

— Non, d’abord il doit me lire, moi”, dit leprofesseur en agitant son parapluie, ou plutôtson paragoutte.

Ulysse tituba, sous l’effet d’un coup de frein etde la confusion mentale.

“Je vous ai lus cette nuit, balbutia-t-il. En toutcas, j’ai commencé à vous lire, mais je ne com-prends pas…

— Vous ne comprenez pas ? piaula le jeuneauteur de polars, en descendant le long de samanche. Qu’y a-t-il à comprendre ? Mon histoireest simplissime ! Un serial killer tue douze per-sonnes en les droguant à l’héroïne, puis il lessectionne lentement avec une scie à découper,puis il les viole, les peint en noir et blanc etlaisse auprès des cadavres un signe, une phrasecryptée. Eastman, l’enquêteur, découvre quecette phrase a un lien avec le championnat defoot de la semaine et…

— Histoire grand-guignolesque et éculée, fitle professeur Virgile. Moi, j’ai écrit une autobio-graphie dense mais alerte ; elle raconte cinquanteannées d’enseignement dans un village du Sudoublié de tous, même de la mafia. Chaque jour,avec minutie, je rapporte les événements, lesanecdotes, les notes, les remarques…”

Il n’acheva pas sa phrase. D’un scriptodactyleplacé dans une enveloppe matelassée sortit unefemme de huit centimètres et demi de hauteur,qui bâillonna le professeur avec un timbre-poste.

“Une maison d’édition comme la vôtre devraitveiller à la qualité, dit-elle à Ulysse en agitant undoigt. Elle ne devrait pas se compromettre avec

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de mauvais polars à la mode ou avec des jour-naux intimes gâteux. Moi, j’ai écrit un livre quifait référence aux voix les plus remarquables dela littérature ; il suffit de regarder les citations enexergue, il y en a douze… Vous avez lu Sanspoudre de riz ?

— Je lirai tout, dit Ulysse avec un filet devoix. Je répondrai à chacun.

— Vous avez intérêt à le faire, dit un mini-Tarzan plus large que long, audacieusement assissur la cage du chat. Moi, je suis l’auteur de Ram-baud, poème culturel-culturiste. Assez de poè-mes rachitiques ! Je me suis entraîné pendantdes années dans des salles de musculation, pourécrire ce livre…

— Moi, je vous ai envoyé le recueil de poè-mes Satins ivres, dit quelqu’un, en grimpant surle dos d’Ulysse. Il a déjà remporté une dizainede prix et a été apprécié par…

— Un à la fois, dit Ulysse, et il porta les mainsà son pantalon, que quelqu’un essayait de dé-boutonner.

— Je ne sais pas quel âge, ni quelle expé-rience du monde vous avez, susurra une petitefée rondelette, à la chevelure blond Barbie, sus-pendue à un point très délicat de l’anatomied’Ulysse. Mais je vous assure que dans mon Jour-nal oral tout est vrai ! Plus de trois cents pipes àdes hommes différents, parmi lesquels de nom-breuses personnalités, et pour chacun une pagefulgurante illustrant les techniques, les réactions,les imprévus et les anecdotes. Et les dessins,vous les avez regardés ? C’est ma fille qui les afaits.

— Et moi qui vous prenais pour une maisond’édition sérieuse ! s’écria un décimètre de colo-nel. Je vous ai envoyé Il n’y a pas de place, un

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livre qui explique pourquoi l’Occident doitdétruire les Chinois avant 2010…

— Ça vous intéresse, l’histoire d’un hommequi, un matin, se réveille transformé en cafard ?dit une petite voix, du fond de l’enveloppe.

— Monsieur Kafka, vous au moins, ne plai-santez pas, soupira Ulysse.

— Et vous, ne mettez pas mon livre au milieude ces scriptodactyles.

— Quand un entraîneur renonce à l’attaque,il renonce à l’essence même du foot, proféraune voix rauque venant de la gazette sportive.

— Aboule le fric, mon beau, cent vingt euros,dit la facture de gaz.

— Encore un trajet et tu me jetteras à la pou-belle, hein, sale type ? Vous êtes tous les mêmes,vous les passagers.” C’était le ticket de bus quiparlait avec la voix de Garbo.

Ulysse se leva ; la tête lui tournait, les voix lebombardaient de toutes parts. Il se boucha lesoreilles, tituba.

“Vous voulez vous asseoir, monsieur ? dit lapetite fille aux tresses, taille normale.

— J’ai l’air vieux ?— Merde alors, dit-elle en faisant claquer un

chouingomme. Si vous, vous n’êtes pas vieux…— Noooooon”, cria Ulysse.Et il courut vers la porte de sortie, culbutant le

vieux monsieur au mini-parapluie qui, sous lechoc, s’ouvrit, renversant le panier à chat qui,sous le choc, pissa, faisant jurer le Thaïlandaisen philippin et provoquant l’ouverture de laSamsonite avec éruption de chaussettes ainsique d’un stock inattendu de bites en caoutchouc.Tout cela pendant que le pauvre lecteur demaison d’édition se secouait pour se débarrasserde ses petits persécuteurs, dont deux s’étaient

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agrippés à ses cheveux, pendant que le profes-seur était terré dans la poche et que la pipo-logue poursuivait son exploration. Jusqu’à cequ’Ulysse voie s’ouvrir la porte du bus, plonge àl’extérieur et…

Se réveille.