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Apports des tablettes tactiles pour jeunes adultes présentant une déficience mentale ou un trouble autistique : études de cas Déborah Amar, Anja Goléa Marion Wolff Université Paris Descartes – Sorbonne Paris- Cité, LATI 45 rue des Saints pères, Paris [email protected] - [email protected] [email protected] Maria Pilar Gattegno Cabinet de psychologie ESPAS-IDDEES 97 av. Charles de Gaulle, Neuilly sur Seine [email protected] Jean-Louis Adrien Université Paris Descartes – Sorbonne Paris-Cité, LPPS Institut de psychologie, Boulogne-Billancourt [email protected] ABSTRACT The emergence of touchscreen interfaces and more specifically of tablet computers raises the question of contributions of this new interface as compared to conventional interfaces. With these case studies, we looked for possible contributions of touch pads for persons with intellectual disability or autism spectrum disorder, more particularly in terms of interaction and collaboration. An experiment was carried out to analyze interaction behaviors during an execution of tangram puzzles performed on a tablet computer, or in the conventional way using wooden pieces. Results suggest that the touch pad generates an increased motivation and promotes positive interaction between subjects. Key Words Touchscreen interfaces, intellectual disability, autistic spectrum disorder, interaction, collaboration. ACM Classification Keywords H.5.2 Users Interfaces; Ergonomics General Terms Human Factors 1. INTRODUCTION L’objectif de cette étude est d’évaluer les effets de la réalisation de puzzle de type « tangram » sur tablette tactile sur la communication et la collaboration chez un sujet présentant un diagnostic d’autisme, ainsi que chez des adultes atteints de déficience mentale. Quelques définitions seront donc données avant de décrire la méthode utilisée dans cette expérimentation et les résultats obtenus. De nos jours, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) sont de plus en plus intégrées dans les pratiques éducatives. En effet, le bénéfice des NTIC pour l’enseignement est aujourd’hui exploité à travers les environnements numériques de travail (ENT), qui permettent d’accéder à des ressources en ligne, mais aussi à travers l’utilisation de logiciels spécialisés et plus simplement d’internet. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. To copy otherwise, or republish, to post on servers or to redistribute to lists, requires prior specific permission and/or a fee. Ergo’IHM 2012, October 16–19, 2012, Biarritz, France. Copyright © 2012 ACM 978-1-4503-1846-4/12/10 ...$15.00. Les NTIC favorisent aussi l’échange entre les individus. Elles permettent par exemple de mettre en place un espace collaboratif, c'est-à-dire un environnement informatisé ayant pour objectif de favoriser la collaboration entre pairs, à travers le partage des capacités de chacun pour mieux atteindre un objectif commun. Ainsi, certains travaux [1] ont été effectués dans l’objectif de déterminer les principes de base pour la conception d’environnement numérique de travail (ENT), favorisant les interactions sociales. Les principaux résultats observés montrent que les individus s’impliquent plus dans les environnements qui favorisent l’interaction sociale. Les auteurs concluent qu’en facilitant l’interaction sociale, les NTIC pourraient favoriser le développement d’échanges de connaissances et de savoirs. Il en va de même pour les séniors qui peuvent aujourd’hui bénéficier de services issus des tablettes interactives adaptées à leurs besoins [2]. Elles pourraient donc également aider au suivi et à l’accompagnement d’enfants et de jeunes adultes présentant un handicap mental ou cognitif en vue de leur intégration scolaire, sociale ou professionnelle en contribuant aux actuels programmes mis en place pour les évaluer et les accompagner [3]. 1.1 Les interfaces tactiles L’interaction avec une interface tactile, où l’utilisateur se sert de ses doigts pour déplacer différents objets ou naviguer dans les menus, est plus naturelle que l’interaction classique effectuée avec une souris. Ainsi, les efforts cognitifs et moteurs nécessaires pour désigner sont plus faibles avec ce type de périphériques par rapport aux dispositifs de pointage indirects (comme la souris par exemple). De plus, l’utilisation d’un écran tactile est très intuitive et ne nécessite donc pas d’apprentissage, contrairement à l’utilisation d’un clavier ou d’une souris [4]. Enfin, un écran tactile présente l’avantage de pouvoir être utilisé par plusieurs utilisateurs en même temps. A l’inverse, la souris reste souvent dans la main d’un seul et unique utilisateur [5]. Dans le cadre des troubles cognitifs, le côté sensoriel et l’aspect intuitif du « toucher-réaction » pourrait faciliter la compréhension et l’utilisation des nouvelles technologies. De plus, le fait que l’interface tactile soit accessible par plusieurs utilisateurs en même temps, pourrait contribuer à favoriser la collaboration et l’interaction entre les individus lors de la réalisation commune d’un jeu sur tablette tactile. Une étude [6] sur l’utilisation des interfaces tactiles pour améliorer la collaboration chez les enfants ayant des troubles 169

[ACM Press the 2012 Conference - Biarritz, France (2012.10.16-2012.10.19)] Proceedings of the 2012 Conference on Ergonomie et Interaction homme-machine - Ergo'IHM '12 - Apports des

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Apports des tablettes tactiles pour jeunes adultes présentant une déficience mentale ou un trouble

autistique : études de cas Déborah Amar, Anja Goléa

Marion Wolff

Université Paris Descartes – Sorbonne Paris-

Cité, LATI

45 rue des Saints pères, Paris [email protected] - [email protected]

[email protected]

Maria Pilar Gattegno

Cabinet de psychologie

ESPAS-IDDEES

97 av. Charles de Gaulle,

Neuilly sur Seine [email protected]

Jean-Louis Adrien

Université Paris Descartes –

Sorbonne Paris-Cité, LPPS

Institut de psychologie,

Boulogne-Billancourt [email protected]

ABSTRACT The emergence of touchscreen interfaces and more

specifically of tablet computers raises the question of

contributions of this new interface as compared to

conventional interfaces. With these case studies, we looked

for possible contributions of touch pads for persons with

intellectual disability or autism spectrum disorder, more

particularly in terms of interaction and collaboration. An

experiment was carried out to analyze interaction behaviors

during an execution of tangram puzzles performed on a

tablet computer, or in the conventional way using wooden

pieces. Results suggest that the touch pad generates an

increased motivation and promotes positive interaction

between subjects.

Key Words Touchscreen interfaces, intellectual disability, autistic

spectrum disorder, interaction, collaboration.

ACM Classification Keywords H.5.2 Users Interfaces; Ergonomics

General Terms Human Factors

1. INTRODUCTION L’objectif de cette étude est d’évaluer les effets de la

réalisation de puzzle de type « tangram » sur tablette tactile

sur la communication et la collaboration chez un sujet

présentant un diagnostic d’autisme, ainsi que chez des

adultes atteints de déficience mentale. Quelques définitions

seront donc données avant de décrire la méthode utilisée

dans cette expérimentation et les résultats obtenus. De nos

jours, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la

Communication (NTIC) sont de plus en plus intégrées dans

les pratiques éducatives. En effet, le bénéfice des NTIC

pour l’enseignement est aujourd’hui exploité à travers les

environnements numériques de travail (ENT), qui

permettent d’accéder à des ressources en ligne, mais aussi à

travers l’utilisation de logiciels spécialisés et plus

simplement d’internet.

Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that

copies are not made or distributed for profit or commercial

advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. To copy

otherwise, or republish, to post on servers or to redistribute to lists,

requires prior specific permission and/or a fee.

Ergo’IHM 2012, October 16–19, 2012, Biarritz, France. Copyright © 2012 ACM 978-1-4503-1846-4/12/10 ...$15.00.

Les NTIC favorisent aussi l’échange entre les individus.

Elles permettent par exemple de mettre en place un espace

collaboratif, c'est-à-dire un environnement informatisé

ayant pour objectif de favoriser la collaboration entre pairs,

à travers le partage des capacités de chacun pour mieux

atteindre un objectif commun.

Ainsi, certains travaux [1] ont été effectués dans l’objectif

de déterminer les principes de base pour la conception

d’environnement numérique de travail (ENT), favorisant les

interactions sociales. Les principaux résultats observés

montrent que les individus s’impliquent plus dans les

environnements qui favorisent l’interaction sociale. Les

auteurs concluent qu’en facilitant l’interaction sociale, les

NTIC pourraient favoriser le développement d’échanges de

connaissances et de savoirs. Il en va de même pour les

séniors qui peuvent aujourd’hui bénéficier de services issus

des tablettes interactives adaptées à leurs besoins [2]. Elles

pourraient donc également aider au suivi et à

l’accompagnement d’enfants et de jeunes adultes présentant

un handicap mental ou cognitif en vue de leur intégration

scolaire, sociale ou professionnelle en contribuant aux

actuels programmes mis en place pour les évaluer et les

accompagner [3].

1.1 Les interfaces tactiles L’interaction avec une interface tactile, où l’utilisateur se

sert de ses doigts pour déplacer différents objets ou

naviguer dans les menus, est plus naturelle que l’interaction

classique effectuée avec une souris. Ainsi, les efforts

cognitifs et moteurs nécessaires pour désigner sont plus

faibles avec ce type de périphériques par rapport aux

dispositifs de pointage indirects (comme la souris par

exemple). De plus, l’utilisation d’un écran tactile est très

intuitive et ne nécessite donc pas d’apprentissage,

contrairement à l’utilisation d’un clavier ou d’une souris

[4]. Enfin, un écran tactile présente l’avantage de pouvoir

être utilisé par plusieurs utilisateurs en même temps. A

l’inverse, la souris reste souvent dans la main d’un seul et

unique utilisateur [5]. Dans le cadre des troubles cognitifs,

le côté sensoriel et l’aspect intuitif du « toucher-réaction »

pourrait faciliter la compréhension et l’utilisation des

nouvelles technologies. De plus, le fait que l’interface

tactile soit accessible par plusieurs utilisateurs en même

temps, pourrait contribuer à favoriser la collaboration et

l’interaction entre les individus lors de la réalisation

commune d’un jeu sur tablette tactile. Une étude [6] sur

l’utilisation des interfaces tactiles pour améliorer la

collaboration chez les enfants ayant des troubles

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envahissants du développement, illustre une des

applications possibles de l’utilisation des interfaces tactiles

dans le cadre du handicap. L’objectif de cette étude est

d’évaluer la collaboration entre les sujets à travers des

indicateurs verbaux et non verbaux du comportement

social. Pour ce faire, les auteurs ont choisi d’utiliser

l’interface tactile : la table Diamond Touch (DT). Les

résultats de cette étude montrent que l’utilisation de la DT

favorise les interactions sociales d’une manière générale.

En s’inspirant de ces travaux [6], l’étude exploratoire

proposée ici utilise une tablette tactile de type Ipad, de plus

en plus utilisée actuellement par le grand public. A partir de

puzzles de type tangram (modèles plus ou moins complexes

à reconstituer à partir de 7 figures géométriques

élémentaires), on a relevé les comportements de

communication et de collaboration chez un sujet présentant

un diagnostic d’autisme, ainsi que chez des adultes atteints

de déficience mentale invités à « jouer » en binômes. La

méthodologie utilisée ainsi que les résultats seront présentés

après avoir brièvement exposé les types de handicap des

sujets testés.

1.2 Déficience mentale et autisme : définitions

Le retard mental se définit comme un fonctionnement

mental inférieur à la moyenne. La principale caractéristique

du retard mental réside en une limitation des capacités

adaptatives de l’individu, et notamment de celles en lien

avec l’autonomie, les capacités sociales et la

communication, les apprentissages et le travail. Les

individus ayant une déficience mentale se caractérisent par

des traits de personnalité typiques, tels qu’une immaturité

affective, une tendance à l’entêtement et à la persévération,

une impulsivité et une intolérance à la frustration, ainsi

qu’une certaine passivité face à l’extérieur. [7].

L’autisme fait partie des Troubles Envahissants du

Développement (TED). Ces troubles du développement

apparaissent durant l’enfance (avant 3 ans) et se

caractérisent par trois aspects principaux qui sont des

altérations qualitatives des interactions sociales, des

altérations qualitatives de la communication verbale et non-

verbale et la présence de centres d'intérêts restreints et/ou

des conduites répétitives [3]. Les individus atteints

d’autisme ont un comportement typique, caractérisé par le

retrait autistique qui se manifeste par un manque d'intérêt

pour les autres et une indifférence à leur égard, ainsi que par

une indifférence affective et un manque d'expressivité

émotionnelle. L'enfant paraît complètement détaché de tout

ce qui se passe autour de lui. Il ne cherche pas le contact et

peut même le refuser, l'éviter. Concernant les capacités

cognitives des sujets atteints d’autisme, on remarque une

grande hétérogénéité. Chez un même enfant, tous les

domaines cognitifs ne sont pas développés de la même

manière. Cependant, le QI moyen est en général, pour la

majorité d’entre eux, inférieur à 55, ce qui témoigne d’une

déficience [8] [9].

2. METHODE 2.1 Sujets L’échantillon testé est composé de 9 jeunes adultes

présentant une déficience mentale, âgés de 19 à 26 ans

(moyenne d’âge : 23,56; écart-type : 2,35) répartis en

binômes1 et d’un jeune adulte de 19 ans présentant un

1 En raison de présences irrégulières de ces jeunes adultes, nous

avons été obligés de former deux types de binômes. Trois des sujets

ont réalisé les tangrams avec un expérimentateur, alors que les six autres sujets ont été répartis en trois binômes pour leur réalisation.

diagnostic d’autisme2. Afin de constituer un binôme de jeu

habituel, le frère du sujet atteint d’autisme a été sollicité,

l’accompagnant de ce jeune adulte avec handicap étant

observateur quant au bon déroulement de l’expérience.

2.2 Déroulement de l’expérience La tâche à effectuer consiste à réaliser les tangrams en

binômes de deux manières différentes : tangrams classiques

(pièces en bois) et sur tablette tactile de type Ipad à l’aide

d’applications choisies (tangrams dont les pièces étaient

suffisamment appropriées en taille, colorées et attractives)

après en avoir étudié plusieurs disponibles sur ce support.

Au début de chaque passation, la règle du jeu est expliquée

aux participants, en précisant que le tangram pouvait être

réalisé en commun et que de l’aide pouvait être demandée

quand ils le souhaitaient. Toutes les passations, chacune

d’une durée de 30 minutes environ, ont été mises en œuvre

après une courte session d’entraînement sur les deux

supports. Pour chaque format de passation, présenté de

manière aléatoire (pièces en bois VS Ipad), trois niveaux de

difficulté croissante sont présentés aux sujets dans le même

ordre : facile, medium, difficile et aucune limite de temps

n’est fixée pour la réalisation. À la fin de chaque passation,

les sujets sont soumis à un débriefing au cours duquel il leur

a été demandé quel jeu ils avaient préféré et pourquoi.

Toutes les sessions ont été filmées avec l’autorisation des

familles, auxquelles l’anonymat a été garanti.

2.4 Méthode de recueil des données A partir des films réalisés, tous les comportements verbaux

(communication) et non verbaux (posture, gestes,…)

témoignant de la collaboration ou du refus de collaboration

entre les individus ont été relevés à l’aide d’une grille

d’observation, fondée sur des listes de comportements déjà

constituées lors de travaux antérieurs concernant

notamment les interactions sociales pendant le jeu [10],

[11], [12], et qui ont été adaptées à la problématique de

cette étude.

À partir de la grille d’observations établie, chaque

comportement relevé a ensuite été codé selon les catégories

prédéfinies ci-après :

a) Verbalisations de demande (VD) : le sujet

demande de l’aide, un conseil ou un complément

d’information (« je peux avoir un indice ? », « donc là, je

dois faire comme celui d’avant ? »), pose une question ou

demande confirmation par rapport à son action (« ça va bien

là ? », « donc là c’est bon ? »).

b) Signe de lassitude (SD) : le sujet soupire, hausse

les sourcils, reste inactif, se touche la tête de manière

répétée ou verbalise directement sa lassitude (« j’en ai

marre », « c’est long » …).

c) Attitude de concentration (AC) : Le sujet est

focalisé sur la réalisation du jeu sans jamais se détourner de

sa tâche et montre un intérêt constant dans sa réalisation (se

tient proche du jeu sans être envahissant, se prend le

menton entre le pouce et l’index).

d) Comportements et verbalisations d’interaction

positive (CVP) : le sujet touche ou s’adresse à l’autre dans

le but de l’encourager (« allez ! »), tend une pièce à l’autre,

tente d’établir un jeu coopératif (mise en commun des

Les analyses de comportements ont tout d’abord été effectuées séparément, puis regroupées ensuite car les résultats obtenus étaient

strictement similaires. 2 Compte tenu des délais nécessaires à l’obtention de différentes

autorisations, il n’a pas été possible au jour de la publication d’obtenir plus de sujets atteints d’autisme pour compléter l’étude.

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efforts pour atteindre le but), sourit à l’autre, prend en

considération les actions et les propositions de l’autre,

donne un conseil ou propose de l’aide (« tu devrais essayer

de placer celui là »)

e) Comportements d’évitement (CE) : le sujet se

tient en retrait par rapport à l’autre ou au jeu, regarde

ailleurs, tourne le dos à l’autre, ignore ce que dit l’autre,

cherche à établir le contact avec une personne extérieure, ou

se met en situation de jeu parallèle (joue à côté de l’autre

plutôt qu’avec l’autre).

f) Comportements et verbalisations d’interaction

négative (CVN) : le sujet a un comportement agressif

envers l’autre (tentative verbale et/ou physique d’intimider

(menace), de faire mal, ou de porter atteinte à autrui),

donne un ordre à l’autre (« mets-le ici je te dis ! »), a un

comportement envahissant par rapport au jeu (empêche

l’autre d’accéder au jeu de par sa position ou par ses

menaces), auto-agression (le sujet porte atteinte à sa propre

personne).

3. ANALYSE DES RESULTATS Les comportements identifiés ont été tout d’abord

dénombrés puis répertoriés selon les différentes catégories

retenues. Ils ont ensuite été étudiés selon le type de tangram

mis à disposition (condition pièces en bois vs pièces

virtuelles de l’Ipad) à l’aide de tableaux à double entrée dits

« tableaux de contingence ». Ces types de tableaux

permettent de mettre en évidence les relations pouvant

exister (ou non) entre les modalités de ces différentes

variables qualitatives croisées deux à deux.

Les effectifs observés étant limités, il n’a pas été possible

de mettre en œuvre un test d’inférence (Khi-deux), nous

avons eu alors recours à une analyse des taux de liaison

inter-modalités interprétables en termes «d’attractions

pertinentes» – ou de sur-représentations de comportements3

- pouvant indiquer des tendances à la reproductivité (pour

des exposés théoriques voir [13] ; et pour des exemples

d’application : [14] et [15]).

Ce type d’analyse, bien qu’il ne permette pas de généraliser

les résultats obtenus sur l’échantillon testé, donne ainsi des

pistes non négligeables qui pourraient être approfondies lors

d’études ultérieures. Ci-après les résultats concernant les

différents binômes étudiés.

3.1 Sujets présentant une déficience mentale À partir de l’analyse des taux de liaison positifs (indiqués

en gras dans le tableau 1 ci-après), nous pouvons constater

que les verbalisations de demande (VD), les signes de

lassitude (SL), les comportements d’évitement (CE) et les

comportements et les verbalisations négatifs (CVN) ont

tendance à être observés lors de la réalisation du tangram en

bois.

A l’inverse, les attitudes de concentration (AC), les

comportements et les verbalisations d’interaction (CVP) ont

tendance à être observés lors de la réalisation du tangram

sur Ipad. Pour les comportements négatifs, les chiffres étant

proches de 0, il faut relativiser leur poids.

3 Le taux de liaison peut être envisagé comme un rapport de

proportions entre les effectifs réellement observés et ceux que l’on

aurait dû obtenir compte tenu de la répartition des observations recueillies. Ce taux peut être ainsi positif (interprétable en termes

d’attraction ou de sur-représentation) ou négatif (interprétable alors

en termes de répulsion ou de sous-représentation). Cf. Corroyer & Wolff, 2003 [16].

BOIS IPAD

VD + 0.19 (92) - 0.32 (31)

SL + 0.07 (35) - 0.12 (17)

AC - 0.34 (29) + 0,57 (41)

CVP - 0.14 (87) + 0.23 (74)

CE + 0.32 (47) - 0.53 (10)

CVN + 0.01 (53) - 0.01 (31)

Tableau 1: Taux de liaison pour les sujets présentant

une déficience mentale

Il est possible que les verbalisations de demande (demande

d’aide, de conseil, de complément d’information, de

confirmation ou autre questionnement) soient plus présentes

lors de la réalisation du tangram en bois parce que les sujets

rencontrent plus de difficultés sur ce support. Par

opposition, la réalisation sur Ipad apparaîtrait donc plus

simple à gérer pour les sujets.

Les signes de lassitude peuvent témoigner d’un ennui plus

important lors de la réalisation du tangram en bois. Ces

résultats sont cependant à nuancer car les taux de liaison

sont relativement faibles (+0.07). Les sujets semblent plus

concentrés lorsqu’ils réalisent le tangram sur Ipad, ce qui

pourrait témoigner d’un plus grand intérêt pour la

réalisation sur ce support par rapport à la réalisation du

tangram en bois. De plus, les sujets montrent peu de

comportements d’évitement lors de la réalisation sur Ipad,

ce qui témoigne de leur intérêt pour ce support. Les

comportements et les verbalisations d’interaction positive

sont plus nombreux sur ipad ; on peut donc penser que ce

support stimule la collaboration entre les individus.

3.3 Sujet avec autisme Les données d’observations étant insuffisantes pour calculer

des taux de liaison pertinents et représentatifs (un seul sujet

avec autisme a pu être observé), seuls les dénombrements

de comportements par catégories seront présentés dans le

tableau 2 ci-après. Le nombre de comportements relevés est

plus élevé lors de la réalisation du tangram en bois par

rapport à la réalisation du tangram sur l’Ipad (53.59% VS

46.48%). Cependant, les comportements d’évitement (CE),

les signes de lassitude (SL) et les comportements et

verbalisations d’interaction négative (CVN) sont absents

sur l’Ipad, alors qu’ils sont présents lorsque le sujet réalise

le tangram en bois.

BOIS IPAD Total

VD 2.99% (2) 4.48% (3) 7.47%

SL 1.49% (1) 0% (0) 1.49%

AC 11.94% (8) 13.43% (9) 25.37%

CVP 23.88% (16) 28.36% (19) 52.24%

CE 2.99% (2) 0% (0)

2.99%

CVN 10.45% (7) 0% (0) 10.45%

Total 53.74% (36) 46.27% (31) 100%

Tableau 2: Comportements d’interaction chez le sujet

atteint d’autisme (exprimés en pourcentages)

On remarque que les comportements et les verbalisations

d’interaction positive (CVP) sont les plus présents quel que

soit le support de jeu. En effet, ces comportements

représentent plus de la moitié des comportements relevés

(52.24%). Ils sont cependant légèrement plus présents lors

de la réalisation sur ipad (28.36%). Les verbalisations de

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demande sont aussi plus nombreuses lorsque le sujet

effectue le tangram sur l’ipad, ce qui peut témoigner d’une

difficulté de prise en main de l’outil. Comme en témoignent

les relevés concernant les attitudes de concentration, le jeu

semble intéresser le sujet ; cet intérêt peut expliquer le

nombre élevé de comportements d’interaction positive. De

plus il est important de noter que même si l’Ipad

n’augmente pas nécessairement les comportements

d’interaction de ce sujet par rapport à la réalisation du

tangram en bois, il est associé à la suppression des

comportements négatifs, des comportements d’évitement et

des signes de lassitude exprimés par le sujet.

3.4 Analyse qualitative des débriefings A la question « quel jeu avez-vous préféré ? », l’ensemble

des sujets a répondu l’Ipad. Tous les sujets préfèrent donc

réaliser le tangram sur l’Ipad plutôt que le tangram en bois.

Lorsque l’on cherche à savoir pourquoi ils préfèrent l’Ipad,

tous les sujets évoquent le caractère ludique de l’objet

(« c’est marrant ! », « c’est plus drôle »,…), 60% d’entre

eux trouvent qu’il est plus facile de réaliser le jeu sur Ipad

et 20% s’intéressent au caractère pratique de l’Ipad (« bah

c’est mieux, on peut l’utiliser quand on prend le métro par

exemple», « c’est léger donc on peut l’emmener partout »).

Enfin, 10% des sujets s’intéressent au coté

multidimensionnel de l’Ipad (« on peut faire plein d’autres

choses avec ça, avec le jeu en bois on peut rien faire

d’autre »).

DISCUSSION ET CONCLUSION Si l’on considère l’ensemble des résultats, les deux types de

passations semblent favoriser l’interaction entre les sujets.

Cependant, lorsque l’on regarde plus en détails, on

remarque que les deux situations de passation ne favorisent

pas systématiquement le même type d’interaction.

Les signes de lassitude, les comportements d’évitement, les

comportements négatifs, ainsi que les verbalisations de

demande qui dénotent ici d’une certaine difficulté dans la

réalisation de la tâche, sont plus présents lors de la

réalisation du tangram en bois. En revanche, lors de la

passation du Tangram sur Ipad, on note des attitudes de

concentration, ainsi que des comportements d’interaction

positive. L’Ipad semble donc être bénéfique pour favoriser

l’interaction positive et la collaboration chez les sujets

atteints de déficience mentale ou d’autisme. De plus, il est

nécessaire de prendre en compte l’aspect de plaisir

d’utilisation relevé lors des débriefings. En effet, la totalité

des sujets a évoqué sa préférence pour l’Ipad et son aspect

ludique. La motivation liée à cette préférence est un facteur

à ne pas négliger dans l’approche des apports de ce nouveau

type d’outil pour les personnes avec handicap. Malgré ces

résultats encourageants, l’effectif réduit de la population et

la nature très diverse des troubles mentaux/cognitifs

présentés par les sujets rendent les résultats difficilement

généralisables à une population plus large. Néanmoins, les

premiers résultats obtenus lors de cette étude exploratoire

semblent très prometteurs et il serait intéressant de

poursuivre ce travail à travers une étude plus approfondie

pouvant prendre en compte des effectifs plus importants et

également un matériel tel que la table interactive

« Diamond Touch », qui permet les interactions à plusieurs

personnes [17], l’Ipad étant limité à des binômes.

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