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Journées d'Etudes de Psychologie Sociale Clinique Organisées par le C.O.R sur le thème L'ŒUVRE OUVERTE AUTOUR DU CONCEPT DE MOI-PEAU ET DES TRAVAUX DE DIDIER ANZIEU HOPl'lAL JOSEPH IMBERT ARLES 29 & 30 Novembre 1986 -

Actes du C.O.R.1986 - L'oeuvre ouverte autour du …association.cor.free.fr/ActesCOR1986.pdfJournées d'Etudes de Psychologie Sociale Clinique Organisées par le C.O.R sur le thème

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Journées d'Etudes de Psychologie Sociale Clinique Organisées par le C.O.R sur le thème

L'ŒUVRE OUVERTE

AUTOUR DU CONCEPT DE MOI-PEAU ET DES TRAVAUX DE DIDIER ANZIEU

HOPl'lAL JOSEPH IMBERT ARLES

29 & 30 Novembre 1986 -

Présentation des Actes par C. Guérin et M. Thaon

? A U T O U R D U M O I - P E A U

Christian Guérin : Introduction aux Journées d'Etudes.................................................... 9 Didier Anzieu : Les chemins du Moi-peau.................................................................... 11

¦ Interventions Thématiques Brèves ¦

O L'individu

© Claude Seys : Rencontre avec la peau de l'autre................................................. 21 © Patricia Thaon: Réflexions sur le vêtement.......................................................... 24 © Yvette Basset: Thérapie de couple et problématique de l'enveloppe.. 26 © Madeleine du Lac: A propos de l'enveloppe sonore........................................... 28 © Evelyne Estienne: A propos de l'interdit du toucher ............................................. 31 © Martine Raulet: Moi-peau et chirurgie esthétique................................................. 33 © Jean Chabert: Moi-peau et pulsions partielles..................................................... 35

© Le groupe

© Jean-Pierre Vidal: Moi-peau et liens group(e)aux................................................ 37 © Itziar Gambini: Les peaux du groupe................................................................... 41 © José Manuel Martinez: Moi-peau et assignation sociale ....................................... 43 © Gérard Abbassi: Moi-peau et Institution............................................................. 45

© La culture et l'épistérnologie

© Joël de Martino: Problèmes épistémologiques à propos du Moi- peau 47 © AlbertCiccone: Questions terminologiques à la notion de Moi- peau.. 49 ® Danielle Dravet: Moi-peau et corps féminin ........................................................ 51 © Bernard Chouvier: Moi-peau et création ............................................................ 53

? A P A R T I R D U M O I - P E A U

Didier Anzieu : Les signifiants formels........................................................................... 57 Marcel Thaon: L'enveloppe de l'écriture .......................................................................... 67 Evelyn Granjon: L'enveloppe familiale généalogique ......................................................... 73 Christian Guérin: A propos des enveloppes externes du Moi............................................ 77

¦ Epilogue ¦

Didier Anzieu : Narcisse et Echo (Conte psychanalytique) .............................................. 82

? BIBLIOGRAPHIE DES TRAVAUX DE D. ANZIEU Chronologie 1952-1987................................................................................................ 85 Index Thématique........................................................................................................... 95

Gérard Abbassi (Marseille): Psychologue clinicien.

Didier Anzieu (Paris): Professeur Emérite de Psychologie Clinique à l'Université de Paris X,

Nanterre; Psychanalyste; Vice-président de TA.P.F.

Yvette Basset (Aubagne): Psychologue clinicienne; Psychothérapeute de couple.

Jean Chabert (Lyon): Psychologue clinicien.

Bernard Chouvier (Lyon): Docteur en Psychologie; Enseignant à l'Université de Lyon II;

Psychologue clinicien.

Albert CÎCCOne (Lyon): Psychomotricien; Etudiant en psychologie.

Anne Clancier (Paris): Psychanalyste à l'Institut de Psychanalyse de Paris.

Joël de Martino (Aix): Docteur en Psychologie; Psychanalyste.

Danielle Dravet (Aubagne): Psychologue clinicienne; Psychanalyste.

Madeleine du Lac (Arles): Psychanalyste; Orthophoniste, Hôpital Général d'Arles.

Evelyne Estienne (Marseille): Thérapeute en Relaxation; Educatrice.

Itziar Gambini (Aix): Psychologue clinicienne.

Evelyn Granjon (Marseille): Docteur en Médecine; Pédopsychiatre; Thérapeute Familiale Psychanalytique.

Christian Guérin (Arles): Docteur en Psychologie; Psychologue clinicien, Hôpital Général d'Arles.

José Manuel Martinez (Aix): Psychologue clinicien. Martine Raulet (Marseille): Psychologue

clinicienne. Claude Seys (Cannes): Psychologue clinicienne.

Marcel Thaon (Aix): Docteur en Psychologie; Enseignant à l'Université de Provence;

Psychologue clinicien.

Patricia Thaon (Aix): Psychologue clinicienne.

Jean-Pierre Vidal (Perpignan): Docteur en Psychologie; Psychanalyste.

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Clinique des Objets de Relations

Depuis quatre années, l'hôpital Joseph Imbert d'Arles accueille les Journées d'Etudes organisées par le C.OJt. L'Institution, la Famille, la Ren-contre ont été successivement les points d'étayage de notre parcours.

Les Actes que nous présentons aujourd'hui ont la particularité d'être centrés sur les travaux du Professeur Didier Anzieu. Dans le cadre de l'Association de recherche Clinique des Objets de Relations, nous avons souhaité en effet orienter notre travail sur la problématique des enveloppes psychiques telles que Didier Anzieu les conçoit, avec comme projet celui de nous permettre de réfléchir sur les articulations possibles entre ses travaux et nos axes de recherche.

Une phrase clef pourrait de ce point de vue engager nos réflexions: "Le développement de l'appareil psychique et du Moi passe par la différenciation progressive de ces deux enveloppes (l'enveloppe d'excitation et l'enveloppe de signification) et par l'établissement entre elles d'articulations qui maintiennent en même temps un écart suffisant" (1986c, p°16). C'est en particulier à l'arti-culation entre les deux enveloppes que nous concevons la place et la fonction des "objets de relations", ces intermédiaires qui jalonnent et permettent la rencontre. Nous trouvons ainsi chez Didier Anzieu une zone de travail qui est propice au développement de notre hypothèse des Objets de Relations (cf. les Actes de 1985, "Rencontres Cliniques"); l'exploitation de ce chantier restante être menée. D. Anzieu a travaillé particulièrement au niveau intra-subjectif, alors que nous nous orientons de fait au niveau inter-subjectif, avec une extension de ses hypothèses sur les enveloppes psychiques du sujet lui-même à la relation de celui-ci avec son environnement. C'est ainsi que nous nous situons dans le champ de la Psychologie Sociale Clinique, inspirée de la métapsychologie psychanalytique, mais centrée sur la relation à l'objet, l'articulation entre l'interne et l'externe, l'étude des intermédiaires auxquels elle confère un statut spécifique, irréductible aux autres formations de l'inconscient, au rêve, au symptôme, au lapsus ou au délire.

La dynamique des Journées d'Etudes a orienté le travail dépensée dans une direction un peu différente de ce projet initial, mettant encore plus à contribution Didier Anzieu qui a su répondre d'une manière active, ludique et créatrice, nous incitant à laisser les échanges suivre leur propre cours. Nous sommes ainsi très reconnaissants à Didier Anzieu comme à l'ensemble des

intervenants qui, dans un cadre limité, ont su présenter avec concision et clarté leur questionnement toujours étayé sur la clinique. L'intérêt des échanges conservés dans les Actes doit beaucoup à leur effort et à leur expérience.

Nous ne manquerons pas de souligner la présence brève mais active de Monsieur le Maire d'Arles, Médecin dermatologue à l'hôpital, qui a été extrê-mement sensible et intéressé par les travaux des Journées et par la manière dont la psychologie et la psychanalyse appréhendent la problématique de l'enveloppe. D'autre part, il s'est montré très encourageant à l'idée d'un projet d'un service de psychologie à l'hôpital général d'Arles, ce dont nous lui sommes reconnaissants.

Comme il est maintenant habituel, nous avons encore choisi de rendre compte aussi bien des interventions données lors des Journées que des débats qui ont suivi.

De plus, il nous est apparu opportun de mettre à disposition du lecteur un outil de travail pour ses propres recherches sous la forme d'une Bibliographie chronologique et thématique de l'œuvre de Didier Anzieu complète à ce jour et située enfin de volume.

Le travail de composition et de mise en page sur ordinateur a été fait grâce aux soins et à la patience de Marcel et Patricia Thaon qui ont cherché une forme en harmonie du contenu des Journées.

Nos derniers mots iront de nouveau à Didier Anzieu, mais au conteur cette fois. Nous lui connaissions cette autre manière déparier de la vie psychique par le détour de la fiction à travers la lecture de ses contes déjà publiés qui posent sans concession, mais avec beaucoup d'humour, les questions graves en attente d'autres modes d'expression (théorique entre autre). En nous offrant l'histoire de la nymphe Echo, il nous a fait l'immense plaisir partagé de l'entendre conter et de le voir à l'œuvre. Nous étions alors convaincus qu'aussi bien par son contenu que par sa présence à ce moment là, ce conte était bien un objet de relation.

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ntroduire des Journées d'Etudes sur les recherches de Didier Anzieu concernant le Moi-peau et les enveloppes psychiques nous amènent tout naturellement à souligner l'importance des conditions sans lesquelles nous ne pourrions travailler. Il y a toujours des parts discrètes au travail de l'échange et de la pensée, dont certaines sont reconnaissables. Ainsi la contri-bution de l'Hôpital général d'Arles mise en œuvre par la Direction et le personnel chargé de l'accueil; en plus de la qualité que nous lui connaissons, nous lui devons l'aména-gement technique nécessité par la présence de deux exposi-tions. Nous devons à la Municipalité de la ville d'Arles, l'apport de verdure et de fleurs contribuant à l'hospitalité des lieux. A l'Association du Méjan, la réalisation d'un concert donné par le quatuor Bagatelle^. Nous devons tout particu-lièrement à Madame Germaine Tarrou, institutrice détachée aux musées d'Arles, l'organisation de la double exposition, l'une consacrée à ses recherches sur les malles sensorielles qu'elle utilise auprès des enfants, l'autre à certaines toiles du peintre artésien Gabriel Delprat qu'elle nous permet de découvrir. Nous avons été particulièrement sensibles à cer-tains aspects de sa technique: la toile construite par le peintre participe au travail de composition en recevant dans son épaisseur les couleurs qui s'y incrustent, s'y diluent et s'y fixent. Ainsi nous nous trouvons dans un espace de travail pluri-dimensionnel fait de formes, de couleurs et de sons. A cela s'ajoute la présence nombreuse des participants et celle de Didier Anzieu.

"Laissons-lui la tranquillité et la nature là où il se fixe, travaille. Nous verrons à moins d'accident en l'observant qu'il en va pour ce saisonnier comme pour le platane, comme pour le serpent. Il y aurait bien d'autres modèles à proposer mais l'écorce tombée est ici immédiatement ressaisie et traitée, la peau légère et vide se remplit du pommelé d'un ovipare nouveau."

Ces quelques mots de René Char à l'adresse de son ami, le peintre Georges Braque m'ont évoqué sans détour Didier Anzieu. Du serpent qui mue à l'arbre qui se dérobe, nous allons à notre tour, durant ces journées, ouvrir un livre et prendre peut-être la mesure des choses: d'une recherche, de ses origines et de ses conséquences théorico-cliniques, et peut-être aussi d'un chercheur en psychologie clinique et en psychanalyse.

Je rappelle simplement que Didier Anzieu est profes-seur émérite de l'université de Paris X, professeur de psy-chologie clinique, psychologue, psychanalyste. La bibliogra-phie complète de ses travaux nous permet de nous rendre compte de l'étendue de ses investigations. De très nombreux

domaines de la psychologie ont fait l'objet de son attention, parmi lesquels: l'abord psychanalytique des groupes dont il a été un fondateur en France; l'abord psychologique et psycha-nalytique du travail de la création, inauguré par les deux volumes consacrés à L'auto-analyse de Freud, prolongé par cet ouvrage très important sur lequel nous aurons peut-être l'occasion de travailler, Le corps de l'œuvre; bien entendu ses travaux sur les fondements du Moi et les enveloppes psychi-ques dont Le Moi-peau est une vaste synthèse. Je n'oublie pas non plus ses activités littéraires avec la publication d'un recueil de contes, Contes à rebours, dont Anne Clancier nous annonçait la prochaine réédition augmentée aux Editions Clancier-Guenaud.

Je ne sais pas, avec tout ça, si nous arriverons à le laisser tranquille! En tout cas nous essaierons de mettre en travail ce qui est offert pour la compréhension des processus psychiques et plus particulièrement ce qu'il en est des inves-tissements psychiques de la peau.

Suivant votre hypothèse de la double enveloppe consti-tutive du Moi (l'enveloppe d'excitation et celle de signifi-cation), mais en cheminant à l'envers de sa construction, nous partirons d'une source de signification très importante. En effet, chacun d'entre nous devrait avoir connaissance de votre ouvrage Le Moi-peau qui sera au centre de nos réflexions. Nous partirons donc de cette source de sens pour nous laisser porter par l'excitation provoquée par l'intérêt de tels travaux face à la réalité clinique quotidienne. Nous essaierons d'en échanger les effets et les interrogations (re)construisant ainsi une enveloppe de signification, à la fois plus partageable et plus personnelle avec, nous le souhaitons, une plus-value de sens, de plaisir et de sensibilité à la dimension psychiqup. Ce mouvement en trois temps: signification, excitation/décons-truction, reconstruction de la signification, qui met en rela-tion un auteur, ses travaux et un public, est à l'origine de la théorie de l'œuvre ouverte élaborée par le linguiste italien Umberto Eco.

"L'œuvre ouverte", nous avons choisi ce titre géné-rique pour plusieurs raisons:

* La première résulte de ce que suscite généralement pour tout lecteur du Moi-peau, la couverture du livre, qui donne à voir un tableau de Gérard David, représentant le supplice de la peau arrachée. Avec le choix d'une telle cou-verture, Didier Anzieu n'y est pas allé de main morte à l'égard du lecteur! Il paraît que les hommes n'y réagissent pas tout à fait comme les femmes. Personne en tout cas n'y demeure indifférent. Ainsi, par l'émotion appelée, nous voyons que l 'objet du livre n'est pas la peau, mais bien

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L'Œuvre ouverte

l'investissement psychique de la peau. Dans un autre ouvrage, en contre-point de celui-ci, Une peau pour les pen-sées, nous retrouvons une thématique analogue et complé-mentaire. Le tableau de Charles Breuil représenté, met en scène, cette fois -ci, une peau de femme dont se revêt un homme. De nouveau la peau y est ouverte, mais le scandale et son effet sont différents. Didier Anzieu inscrit dans les couvertures (les enveloppes) de ses deux derniers ouvrages des ouvertures qui fluctuent entre les gestes extrêmes de l'arrachement et du recouvrement.

* Ainsi la deuxième raison: Didier Anzieu nous tend une perche (ou une peau) pour ouvrir son hypothèse et com-prendre sur quoi elle se fonde et comment elle fonctionne. C'est aussi le projet de tout chercheur dès lors qu'il consent à publier ses recherches. Mais d'une manière plus générale, ces deux extrêmes de l'arrachement et du recouvrement ne sont-ils pas les pôles entre lesquels fluctue le sujet lorsqu'il se prend au désir et à la nécessité de connaître et de compren-dre, quel que soit son objet?

* Une troisième raison, déjà évoquée, avec les recher-ches d'Umberto Eco qui réfléchit sur la qualité de certaines œuvres de susciter l'ouverture et la sensibilité. Mais il est nécessaire aussi de réfléchir sur les manières d'actualiser une telle potentialité.

Pour revenir, enfin, à René Char, il ne s'agira ni de vous malmener, ni de vous bien mener, mais de parcourir avec vous vos recherches et cela de vive voix, à travers les manières dont les uns et les autres nous pouvons nous en servir dans nos pratiques.

(l) Le concert est donné au bénéfice de l'Association humanitaire Musique espérance, avec Cyril Ghesiem (violon); Florence Altenburger (violon); Michel Renard (Alto); David Ethève (violoncelle); avec la participation d'Ariane Granjon (violon).

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Les chemins du Moi-peau

par Didier ANZIEU

René Char, je ferai écho en évo-. quant Michel Serres: "Voici, sur la peau, en surface, l'âme changeante, ondoyante et fugace, l'âme striée, nuée, tigrée, zébrée, bariolée, tourbillonnaire, incendiée; voilà le tatouage. Mon âme constamment présente, blanche, flamboie et se diffuse dans les rouges qui s'échangent, instables, avec les autres rouges. Les déserts, en manque d'âme sont noirs; vertes, les prairies où l'âme rarement mais cependant parfois se pose, ocre, mauve, bleu froid, orangé, turquoise. Telle, complexe et un peu effrayante, apparaît notre carte d'identité. Chacun porte la sienne, originale, comme l'empreinte de son pouce ou la marque de ses mâchoires; nulle carte ne ressemble à aucune autre; chacune change avec le temps. Ceux qui ont besoin de voir pour savoir ou croire dessinent ou peignent et fixent le lac de la peau, changeant et osselé, rendent visible, par couleurs et formes, le pur tactile; mais il faudrait pour chaque épiderme un tatouage différent; il faudrait qu'il évolue avec le temps; chaque visage demande un masque tactile original; la peau historiée porte et montre l'histoire propre ou visible, usure, cicatrices des blessures, plaques durcies par le travail, rides et sillons des anciennes espérances, taches, boutons, eczéma, psoriasis, envie, là s'imprime la mémoire."

C'est avec plaisir que j'évoque cet ouvrage du philoso-phe Michel Serres, Les cinq sens, paru conjointement avec mon propre livre, Le Moi-Peau, qui montre donc, non seule-ment la convergence de chercheurs qui n'ont pas de contact entre eux, mais, après des décennies de domination intellec-tuelle du structuralisme, de la linguistique, le retour à des réalités corporelles, fondatrices. Ce n'est pas d'ailleurs que la psychologie clinique qui est amenée à s'intéresser aux inves-tissements psychiques de la peau. Je viens de recevoir l'annonce de la parution d'un ouvrage d'une de nos collègues qui est plutôt expérimentaliste que clinicienne, Yvette Hatwell, Toucher l'espace. "Ce titre peut surprendre, écrit-e l le , car en tant qu 'ê tre humain adul te , nous avons un système visuel si développé que c'est surtout à travers lui que nous connaissons, nous croyons connaître le monde. Pour-tant, bien des raisons suggèrent que le toucher joue aussi un rôle important dans la cognition spatiale. Si la main est d'abord et surtout un organe d'exécution des actions, elle constitue aussi un système perceptif efficace à travers lequel nous percevons les formes, les grandeurs, les directions, les orientations, les textures, à condition bien sûr de ne consi-dérer que l'espace proche de notre corps. De plus, étant extrêmement mobile, la main explore directement les trois dimensions de l'espace et accède à la face des objets cachée à la vue." Ceci justifie au passage une critique qui m'a été et qui me sera adressée, qui est de négliger l'enveloppe visuelle au profit de l'enveloppe tactile; vous voyez donc bien que

c'est un propos délibéré; nous en avons assez du primat du visuel; nous voulons revenir aux bases tactiles.

Les capacités perceptives, spatiales du système manuel apparaissent d'ailleurs clairement quand celui-ci se substitue à la vision défaillante grâce à l'utilisation intensive du tou-cher. Les aveugles complets de naissance parviennent sou-vent à mener une vie autonome. Qu'en est-il alors chez les voyants qui connaissent l'espace extérieur grâce à la mobilisa-tion conjointe de l'œil et de la main? Quelles sont les capaci-tés discriminatives réelles du toucher chez l'enfant et l'adulte voyant? Les bébés sont de redoutables touche-à-tout. Recon-naissent-ils d'emblée par la vue un objet qu'ils viennent d'explorer manuellement sans voir? Ou bien doivent-ils apprendre à mettre en correspondance leur perception visuelle et manuelle? Enfin, que se passe-t-il si ces informations apportées simultanément par l'œil et par la main sont en conflit?

Donc, que ce soit par une approche psychanalytique, par une approche philosophique, par une approche expérimen-taliste, la recherche contemporaine tourne autour de ce thème des origines tactiles de l'appareil psychique. Je ferai un bref commentaire de ce texte d'Yvette Hatwell, en constatant qu'elle limite le tactile au toucher manuel; bien sûr, le rôle de la main est considérable; mais là encore je dirai que comme pour le visuel, c'est une étape secondaire qui est précédée par une étape qu'il m'a semblé important de décrire et de mettre en place, qui est l'accolement peau contre peau le plus com-plet possible entre le corps de la mère et le corps de l'enfant, avec ce fantasme d'une peau commune qui me semble constituer l'origine de la notion d'espace, l'origine du conte-nant psychique fondamental.

La géométrie d'ailleurs, l'intérêt des mathématiciens, c'est qu'ils nous présentent des concepts qui rendent compte de réalités primaires. La configuration originaire, d'après les travaux de René Thom, c'est l'interface, limite entre deux por-tions de l'espace, avec la différence fondamentale de savoir si ces deux portions de l'espace délimitées par l'interface ont des régimes différents - névroses - ou des régimes similaires -psychoses - (ce n'est pas René Thom qui fait la comparaison avec la pathologie, c'est moi qui l'ajoute). En géométrie, la surface découle de l'idée de limite ; une surface fermée est conçue comme l'enveloppe d'un volume dont le prototype est constitué par la surface sphérique; ici, l'espace est partagé en deux portions de régimes différents, l'interne et l'externe, d'où ces représentations de l'appareil psychique que j'ai citées à plusieurs reprises dans mon livre et que la clinique nous fait rencontrer avec abondance, l'appareil psychique représenté comme bulle ou comme boule ou, déjà chez Freud, comme vésicule. Ceci signe la constitution d'un Moi-peau en cours

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A:

L'Œuvre ouverte

d'autonomisation et de caractéristique tri-dimensionnelle. A l'opposé, le géomètre décrit une surface qui partage l'espace en deux, mais ces deux parties ne peuvent pas être distin-guées l'une de l'autre. Cette surface est ouverte, mais cette fois -ci ce n'est plus au sens de l'œuvre ouverte qu'il faut le prendre; elle est ouverte comme une bulle qui est ouverte à tous les vents, à toutes les déperditions; ouverte comme un ballon percé, la surface s'aplatit progressivement pour deve-nir approximativement plane. La notion de profondeur n'a plus de sens pour le sujet, dont l'espace psychique reste, ou redevient, bi-dimensionnel.

Voilà donc dégagées, très brièvement, quelques-unes des idées directrices de ma recherche. Vous m'avez demandé de dire quelques mots du chemin qui m'a amené à ces idées. Bien que vous l'ayez écarté tout à l'heure, c'est de derma-tologie qu'il faut partir, pour moi. Car avant de faire un stage lors ma formation de psychologue dans un hôpital psychia-trique ou des centres psycho-pédagogiques, ma première expérience pratique de psychologue a été dans le service de dermatologie du Professeur de Graciansky à l'hôpital Saint-Louis où j'étais chargé de participer à une recherche sur ce qu'on appelait "Les facteurs émotionnels en dermatologie" et où j'utilisais un instrument, apte à mesurer ces facteurs émo -tionnels, à savoir les tests projectifs, le Rorschach et le T.A.T. Le T.A.T. était administré par un collègue et j'admi-nistrais le Rorschach. J'ai eu ainsi pendant deux ans le privilège de tester avec le Rorschach toute la gamme des malades du service chez lesquels un soupçon de nervosité était évoqué, mais aussi le chef de service et ses principaux adjoints. Je peux le dire sans indiscrétion, il y avait un monde d'écart entre le protocole des soignants et celui des malades, richesse des protocoles des soignants, pauvreté extraordinaire des protocoles de malades; quand j'avais dix réponses pour les dix planches, c'était un record de productivité. Et je me souviens notamment que déjà les malades acceptaient très mal de passer un test en disant: "des taches d'encre, c'est des trucs de petits garçons que vous me faites faire!" En plus, de petits garçons fautifs, parce que faire des taches sur sa feuille de papier, ce n'est pas très bien vu dans sa scolarité. Et je me souviens de ce malade, qui avait vu dans chacune des dix planches un papillon ; quand à l'enquête je lui demande s'il a encore quelque chose à me dire qu'il aurait vu: "Mais bien sûr, je vais vous le dire!", et me montrant la ligne centrale de la figure du test, "Vous voyez bien, dix fois, on a reproduit le système respiratoire d'un papillon." Vous ne vous étonnerez pas qu'après l'eczéma, il ait fait une crise d'asthme.

Je garde un souvenir nostalgique de cet épisode derma-tologique de mon existence. J'ai pressenti quelque chose que les recherches en psycho-patho-dermatologie ont, depuis, mis en évidence, à savoir un parallélisme entre l'atteinte, la pro-fondeur de l'atteinte physique de la peau et l'importance de l'altération du Moi chez ces patients. Plus la peau est profon-dément atteinte, plus on a affaire à des failles narcissiques extrêmement importantes et à des altérations des fonctions originaires du Moi. Cela a été, je dirais, mon premier signal d'alerte en ce qui concerne les rapports de la peau et de la psyché. Un deuxième signal, je l'ai trouvé dans les débuts de ma pratique analytique en rencontrant quelque chose sur laquelle ma formation et les enseignements que je suivais n'avaient pas attiré mon attention, c'est que dans leur anamnè-se, dans la remémoration de leur histoire, certains patients en analyse évoquaient des troubles dermatologiques passagers; l'observation, l'écoute attentive montraient que ces réactions généralement d'eczéma étaient consécutives à une séparation précoce d'avec la mère, je dirais la première séparation importante de la mère, vacances passées ailleurs,

hospitalisations éloignées pour des raisons médicales, sépara-tion du couple parental, donc éloignement de la mère pendant un certain temps, peu importe les raisons. Le phénomène de la séparation entraînait une rougeur de la peau, et c'est alors que j'ai eu pour la première fois l'intuition encore sous forme d'image avant que cela devienne une idée, l'intuition que la séparation de la mère était vécue comme un arrachage de la peau, qu'il y avait donc le fantasme d'une peau commune à la mère et à l'enfant, et que cet arrachage brutal laissait donc une trace rouge, la chair à vif, la mère ayant gardé la peau, l'enfant n'ayant plus la partie commune, la peau de sa mère. Cela a été d'abord une image qui peu à peu s'est transformée en idée.

La pratique des groupes, à laquelle je me suis adonné pendant un certain temps de ma vie, a montré, à mes collè-gues - je pense à René Kaës - et à moi-même, tout particu-lièrement, combien les phénomènes de peau étaient, d'une façon tout à fait symbolique, vécus intensément dans les groupes non-directifs. Nous avons montré, René Kaës et moi, que la situation de petit groupe était l'exploration de la surface imaginaire du corps de la mère, mais que par contre la s i tuat ion de groupe large, ou bien évoquait un blocage complet de la vie associative ou alors entraînait des fantas-mes d'exploration de l'intérieur du corps de la mère. J'ai été aussi très frappé par un travail de notre regretté collègue anglais P.M. Turquet, qui montrait que dans le groupe large l'individu vit une telle expérience de déréliction et d'isole-ment qu'il ne peut ré-émerger comme "je", comme sujet, que s'il arrive à établir avec un des autres participants une relation -Turquet parle de la relation à "la peau de mon voisin" -, en terme d'Anzieu, il s'agit de rétablir le fantasme d'une peau commune avec son voisin, qui peut être son voisin immédiat. Ce fantasme de peau commu ne peut être réactivé par le rap-prochement physique. On observe dans les groupes, qu'ils soient expérimentaux ou des groupes de la vie réelle, le besoin, dans certaines circonstances, de se rapprocher physi-quement du voisin, de le toucher, épaule contre épaule, corps contre corps: le fantasme d'une peau commune est bien là, à l'œuvre. Ou bien, de trouver un équivalent du fantasme tactile de peau commune par un échange de regards visuels, la vue n'étant qu'un substitut, mais un substitut avantageux, à distance et non plus proxime, un substitut de l'échange tactile qui assure de la présence de ce fantasme. C'est ce que Turquet développe dans l'idée de la peau du voisin, du voisin qui peut être en face ou qui peut être à côté.

La pratique des tests projectifs que j'ai déjà évoquée à propos de la dermatologie, m'a aussi confirmé que le test de Rorschach est l'exploration, entre autres choses, de la surface du corps; l'axe de symétrie centrale des planches, les dégra-dés de la couleur, la configuration des découpes fait que nous avons énormément de réponses qu'il convient et qu'il est nécessaire d'interpréter en terme d'espace corporel. Si chez les névrosés, c'est relativement peu important - ce qui est important, c'est le contenu des fantasmes qui sont projetés dans les planches - dès qu'on aborde cette nouvelle catégorie nosologique à laquelle la clinique contemporaine nous affronte de plus en plus souvent, à savoir les états-limites, les failles narcissiques, les dépressions, nous avons affaire à des perturbations, on disait de l'image du corps il y a vingt ans sous l'influence du travail de P. Schilder, de ce que Fischer et Cleveland, des chercheurs américains ont ajouté dans l'inter-prétation du test de Rorschach la variable "barrière" et la variable "pénétration", sur cette dimension que Freud a appelée le pare-excitation et que je reprends comme étant une des fonctions fondamentales du Moi-peau.

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Autour du Moi-peau

Partant du principe que les Grecs anciens ont tout connu de l'inconscient et que la mythologie grecque est un inventaire exhaustif des figures et des formes de l'incons-cient, j'ai donc cherché, non plus Œdipe ou Narcisse comme saints patrons de complexes fondamentaux, mais où, dans la mythologie grecque, on trouve un précurseur du Moi-peau? Quand on est décidé à trouver quelque chose, on le trouve, et j'ai eu d'autant moins de mal que je l'ai trouvé avant de le chercher et c'est après-coup que je me suis rendu compte que je l'avais trouvé. En effet, dans le premier article que j'ai publié qui anticipe la notion de Moi-peau, où je recherche quels sont les fantasmes fondamentaux du masochisme primaire, j'avais été amené à évoquer, pour dis tinguer le masochisme sexuel du masochisme moral, deux mythes, le mythe de Marsyas pour le masochisme sexuel et le "mythe" de la crucifixion, l'histoire chrétienne de la crucifixion dans le mythe du masochisme moral.

Le silène Marsyas joue de la syrinx, c'est-à-dire de la flûte à six trous. Il se répand en Phrygie, dans l'actuelle Turquie, zone qui est à la limite de la colonisation grecque et où vivent encore les "Barbares". Marsyas représente le sym-bole de la résistance des Phrygiens à la colonisation cultu-relle par les Grecs, d'où le conflit, le défi, par lequel ces deux peuples vont s'affronter par héros interposés, entre Apollon, le Dieu de la Vie, l'harmonie grecque, et la flûte plus pay-sanne, plus populaire, plus vulgaire, représentée par Marsyas. Marsyas défie donc le dieu grec auquel des deux produira la plus belle musique. Et le Grec qui n'est pas grec pour rien, après un premier épisode se terminant par un match nul, l'emporte par une ruse digne d'Ulysse. Ils produisent tous les deux la même aussi belle musique, mais Apollon dit: "Jouons de l'instrument à l'envers et voyons ce que ça va donner." Alors, avec la lyre à l'envers, il arrive à produire une musique correcte, tandis que l'autre avec la flûte à l'envers ne produit rien. Il est donc battu et le contrat prévoyait, contrat maso-chiste type, que le vaincu serait au libre gré du vainqueur remis, si j'ose dire, pieds et poings liés. Et vous savez tous qu'Apollon suspend Marsyas à un pin et le dépiaute inté-gralement. Ce que l'on sait moins, et que je suis allé chercher dans Le rameau d'or de Frazer, c'est que l'histoire mytho-logique de Marsyas ne s'arrête pas là, à la suspension qui est la verticalité inversée. Au lieu que l'Homme soit debout sur ses pieds, sur la terre solide où il prend appui, il est suspendu les pieds en l'air, tête en bas, donc suspendu à l'envers, ce qui est la dénégation de la verticalité de l'Homme, ce qui est l'atta-que contre ce que j'appelle la fonction primaire du Moi-peau qui est la fonction de maintenance, de soutènement, d'appui sur un corps vertical, permettant l'accès à la verticalité du corps propre. Ensuite, Marsyas a son corps ouvert et il se vide de tout son sang. C'est l'attaque contre les fonctions de contenance et l'attaque contre les fonctions de pare-exci-tation. Mais cette peau vide est précieusement conservée comme relique dans une grotte où prend naissance le fleuve Marsyas, auquel est donné le nom de cette peau qui marque l'origine, affluent du Méandre, principale rivière de Phrygie. Dans cette grotte, naît donc sous la protection de cette peau -analogue à l'Egide d'Athéna pour la Grèce - ce fleuve qui apporte la fécondité au pays, fonction donc de soutien de l'excitation sexuelle et de recharge libidinale, avec l'écho sur les parois de la grotte de ce fleuve naissant, l'enveloppe sonore répondant à l'enveloppe tactile, et où chaque année les Phrygiens viennent donner des concerts de musique; et la peau dans la grotte se met à vibrer rythmiquement en écho à la musique. Sauf dans un cas: quand l'air qu'on joue est un air d'Apollon, la peau reste complètement immobile.

J'ai donc ainsi pu trouver, en décortiquant le mythe de Marsyas, neuf mythèmes constitutifs qui correspondent à ce que je propose d'appeler les neuf fonctions du Moi-peau. Mais là, je vais un peu vite. Il faut passer par l'hypothèse d'une pulsion d'attachement, car vous avez tout à fait raison de rappeler que mon sujet n'est pas la peau en tant que telle, mais les investissements psychiques de la peau, permettant la constitution d'un fantasme de peau imaginaire. Puisqu'il s'agit d'investissements, je n'ai pu arriver à concevoir le Moi-peau qu'en ayant abandonné l'idée d'un primat de la pulsion libidinale et/ou de la pulsion de mort - si l'on veut compléter, comme Freud, sa première théorie par sa seconde théorie pulsionnelle - mais la prise en considération de ce que l'analyste anglais Bowlby, parallèlement aux travaux des éthologues, a proposé comme étant une pulsion d'attache-ment que l'on pourrait, si l'on veut être freudien à tout prix, décrire comme une forme, une variante de la pulsion d'auto-conservation par rapport à la pulsion libidinale sexuelle qui est la pulsion tournée vers la conservation de l'espèce et non plus vers la conservation de l'individu.

Bref, les théoriciens et les expérimentalistes proposant la notion de pulsion d'attachement ont mis en évidence un certain nombre de caractéristiques-types de l'attachement: le sourire, la solidité du portage, la douceur du contact corporel favorisé par la fourrure chez les animaux, par la présence de système pileux à certains endroits du corps de l'homme et de la femme, par la chaleur et aussi par l'allaitement. Je dis "et aussi", car la pulsion libidinale au niveau oral est essentielle-ment réduite à la dimension de l'allaitement qui, dans la théorie de l'attachement, existe bien, on ne saurait le nier, mais est un cinquième des caractéristiques fondamentales. Et ces nouvelles pathologies que j'évoquais tout à l'heure, états-limites, dépressions, failles narcissiques, manifestent des trou-bles du sourire, du portage, de la douceur, de la chaleur, et accessoirement de l'allaitement, mais essentiellement des autres variables. Il est donc nécessaire dans l'investigation psychanalytique d'attacher de l'importance à ces caractéris -tiques jusque-là considérées comme connexes, secondaires ou mineures. Il y aurait tout un débat à avoir sur ce que c'est qu'un matériel analytique et selon la réponse que l'on donne, cela peut être un éclairage sur le patient, cela peut être aussi un refus d'entendre ce qu'il nous présente, sous prétexte que ce n'est pas un matériel véritablement analytique, qu'il n'est pas œdipien, qu'il n'est pas érotisé.

Deux mots sur mon ami René Zazzo. René Zazzo, découvrant les travaux de Bowlby, de Harlow et la notion de pulsion d'attachement, dans son anti-psychanalytisme viscé-ral, s'est frotté les mains en disant qu'enfin, on pouvait prendre en défaut scientifiquement la théorie psychana-lytique. Et cela lui faisait un grand plaisir. Mais comme Zazzo est un excellent ami et en même temps un scientifique qui joue cartes sur table et que j'avais eu plaisir à le convier comme collègue à Paris X-Nanterre où j'enseignais, Zazzo m'a proposé de faire un séminaire commun sur la notion de pulsion d'attachement pour voir ce qu'un analyste pouvait en penser. Et, loin de considérer que c'était une critique destructrice de la psychanalyse, j'ai trouvé que Zazzo me faisait connaître quelque chose d'essentiel qu'il était néces-saire d'intégrer à la théorie et à la technique analytiques. Et c'est pourquoi c'est lui le grand-père du Moi-peau, si j'ose dire. La grand-mère du Moi-peau, c'est Sami-Ali, avec son ouvrage sur Le visuel et le tactile et tous les travaux qu'il a faits sur l'espace imaginaire. Zazzo m'a donc donné l'occa-sion d'écrire, dans le petit livre collectif sur la pulsion

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d'attachement qu'il a dirigé, un article sur les plaisirs de la peau, intitulé "De la peau à la pensée" où pour la première fois, j'invente l'expression de Moi-peau ; suivi, l'année d'après, par la rédaction et la publication dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse de mon article princeps qui s'intitule alors "Le Moi-peau". Cette fois -ci, nous sommes donc passé de l'image à l'idée, faut-il dire à l'idée, en tout cas pas au concept, mais à une métaphore qui m'a semblé pouvoir être, pour moi, pour d'autres, source de créativité et de fécondité dans l'investigation psychologique et psychanalytique. Et c'est pourquoi je résiste à transformer complètement en concept cette métaphore pour lui garder son caractère de fécondité possible, de ce que vous avez justement appelé "œuvre ouverte".

Les techniques de ce que, René Kaës et moi, nous avons appelé "la psychanalyse transitionnelle" découlent en partie, pour moi en tout cas, de ces considérations que je viens de rappeler. L'accent mis sur les oppositions senso-rielles de base, le doux et le rugueux, le chaud et le froid, la solidité ou l'inconsistance du portage, la netteté de la découpe ou le flou de la découpe, etc.. m'a semblé être un trait privilégié de l'analyse transitionnelle, transitionnelle au sens winnicottien comme René Kaës le mo ntre bien, en ce sens que pour qu'il y ait opposition, il faut qu'il y ait aussi continuité et coexistence entre les deux termes opposés, ce qui est la caractéristique même de l'objet et de l'aire transi-tionnelle. Le type de patients que j'évoquais tout à l'heure est souvent caractérisé par une expérience insuffisante de l'aire transitionnelle, expérience négative, faite à l'envers; il faut donc repérer les secteurs dans lesquels cette expérience a été erronée pour permettre de la rétablir dans sa fonction positive au cours de l'expérience psychanalytique.

Ayant mis l'accent sur l'importance du rapprochement peau contre peau, il est nécessaire que j'introduise maintenant la différence; car il faut bien que le visuel puis le symboli-que, la sémiotisation réorganise le fonctionnement psychi-que; pour cela j'ai donc introduit une notion nouvelle, la notion d'interdit du toucher. Qu'est-ce que je ne suis pas allé dire là? J'avais déjà, une dizaine d'années auparavant, inventé la notion d'illusion groupale qui était pour moi une notion positive, à savoir qu'un groupe ne se constitue pas s'il ne vit pas cette illusion fondatrice; ce qui fait que, dans les expérien-ces de groupe, dès que le groupe commence à se sentir eupho-rique et uni, il y a quelqu'un qui dit: "Tiens, Anzieu dirait qu'on est en train de vivre l'illusion groupale", et cela fiche par terre le mouvement qui est en train de se constituer. Alors, le même destin semble me guetter en ce qui concerne le double interdit du toucher. J'aimerais redire qu'il faut d'a-bord une satisfaction complète, répétée, des relations tactiles entre l'enfant et l'entourage, spécialement l'environnement maternel, pour que se constituent ces bases sensorielles de la psyché. Et autant il est nécessaire que les contacts tactiles aient été féconds, autant il vient un moment où le renonce-ment est nécessaire pour pouvoir passer à une restructuration fondée sur d'autres principes. D'où ce double interdit du toucher qui m'a semblé correspondre, au niveau de la cons-titution des enveloppes psychiques, à ce que l'interdit de l'inceste et du parricide au niveau œdipien va constituer au niveau des contenus osychiques. Car la prise en considération des contenants me semble extrêmement importante. Il ne me restait plus qu'à décrire les fonctions du Moi-peau: la maintenance, la contenance, le pare-excitation, l'individua-tion, la consensualité, le soutien de l'excitation sexuelle, la recharge libidinale, la surface d'inscription, puis la fonction négative toxique auto-immune que j'ai évoquée tout à l'heure

à propos de Marsyas et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir dans les débats suivants. Je crois donc que je peux m'arrêter maintenant dans l'évocation de ce chemin.

Marcel THAON: Je vais librement associer à partir de Cécho déclenché en moi par t'expose de 'Didier Anzieu. Associer sur ce moment où il organise sa pensée autour de l’idée que Marsyas pendu par les pieds met en seine en quelque sorte la négation de la verticalité de l'homme. Articuler à cet épisode le fait que lorsque Marsyas doit jouer de l'instrument à Cenvers, cela appa-rait comme la métaphore de ce qui va lui arriver plus tard, au sens où Apollon lui demande défaire comme si le haut et le Bas étaient la même chose. 'Et comme nous le savons Bien, il n'y a que le pétvmane qui peut chanter avec son derrière; les autres sont Bien oBligés de le faire avec leur Bouche et de reconnaître ainsi que le haut et le Bas ¦ Coralité et Canalité - ne sont pas du tout la même chose. "Et donc, en ce sens, Marsyas est condamné à faire l'expérience du piège dans lequel il est tombé: croire qu'il y a une symétrie totale de l'image du corps de l'homme alors qu'en fait nous sommes construits autour de dissymétries.

Cela rappelle encore, je crois, un épisode du mythe que vous n'avez pas cité mais que vous racontez dans votre livre: cette flûte, Marsyas ne Ha pas découverte lui-même, Une l'a pas construite, mais il la tient d'une femme qui ¦ après s'être vue dans leau en train de jouer, pour s'apercevoir que lorsqu'elle produit ces sons si Beauxj son visage gonflé par C effort est extrê-mement laid ¦ s en est dessaisie; associant là, je crois, une fois de plus à la dissymétrie; la Beauté doit se payer de la laideur d'une expérience correspondante. Ici, le son sublime se déploie sur un fond visuel qui le contredit.

Didier ANZIEU: On peut aller dans votre sens encore davan-tage. Quand la déesse qui a inventé cette flûte se penche sur le miroir des eauxpour voir à quoi elle ressemble, elle voit ses joues gonflées avec un petit Bidule qui sort entre les deuxjoues et mon hypothèse, c'est qu'alors, au lieu d'un Beau visage de déesse, elle voit une paire de fesses avec la crotte qui est en train d'en sortir et elle jette cet instrument de musique, qui va être ramassé justement par Marsyas avec tout le destin consécutif. "En ce qui concerne la verticalité de Chomme, vous avez tout à fait raison en montrant que le thème de 'à Cenvers' est le thème fondamental de cette première variable, de cette première fonction du Moi-peau. Si cette fonction est à Cenvers, ça risque, non pas de mettre à Cenvers toutes les autres fonctions, mais ça risque de les perturBer considérablement. C'est cette fonction-là qui doit être redressée, remise sur ses pieds si l'on veut que le travail de recons-truction architecturale de la psyché tienne debout. Je citerai là C exemple dune patiente dont Cimage du corps est la suivante: "je suis une algue.' C'est une représentation de C inconsistance du moi. Algue flottant entre deux. eawQ- donc n'ayant pas encore dinterfaces, n'ayant pas encore de surface, aux formes extrê-mement moBiles et changeantes, avec cependant deux, caracté-ristiques positives de Calgue, car j'ai lu dans l'encyclopédie le chapitre 'algue' que je n'avais jamais étudié auparavant, car cette patiente m'a fait Beaucoup travailler et m'a Beaucoup instruit; Calgue vit d'eau et de soleil; or, cette patiente vivait essentiellement d'eau et de soleil, ce qui lui a permis de ne pas

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sombrer comple.teme.nt dans (autisme. L'effet de six mois de travail analytique intensif a été qu'elle se vivait comme 'cèdre" et non plus comme 'algue'. C'est-à-dire que nous restions toujours dans Ce domaine du végétal, nous n'avions pas encore accédé à l'animalité, mais le cidre ¦ il paraît qu'il y a plusieurs espèces de cèdres et je n'ai pas eu le temps de travailler la question 'cèdre' -, je vewc dire, te cèdre des régions que je connais, c'est un arbre qui part verticalement et tout d'un coup sa verticalité s'arrête et les Branches deviennent latérales, les branches sont horizontales. C'est-à-dire que par cette métaphore du cèdre, cette patiente représentait son accès à ta verticalité; elle s'était adossée sur moi psychiquement; elle avait donc un tronc sur lequel elle pouvait s'appuyer pour se redresser, mais elle ne te pouvait pas complètement; une nostalgie d'une vie horizontale, dune vie allongée, dune vie couchée restait chez etle dominante; et le cèdre était donc une formation de com-promis entre Calgue ancienne et la verticalité complète de l'être humain dont elle était en cours d'accès, mais à laquelle elle n'avait pas accédé complètement.

Françoise LAURIOL: j'ai été un peu étonnée qu'on n'ait pas porté de la voix comme condition de l’attachement ¦ il y aie hol-ding, il y a ta douceur, il y a le contact -, étant donné que la vovc de ta mère façonne aussi (enfant. (Premièrement, je voûtais vous interroger un peu là-dessus. "Et deuxièmement - je ne sais pas comment je vais dire ça, c'est encore confus pour moi -, c'est par rapport au parallélisme que vous faites, et qui me semble extrê-mement vrai, entre l'atteinte corporelle et ta faille narcissique très profonde que l'on voit chez certains sujets, et tes manifes-tations au niveau dermatologique. 'Et je voulais vous demander ce que vous pensez de ce qu'on appelait autrefois tes névroses d'organe. 'Est-ce que ces atteintes corporelles, donc intérieures du corps, vous partent, vous disent quelque chose par rapport à cette profondeur de la peau?

Didier ANZIEU: T,n ce qui concerne la VOVQ je ne (oublie pas, puisque que le premier chapitre de la dernière partie de mon livre, c'est Cenveloppe sonore. (D'ailleurs, immédiatement après te Moi-peau, (article que j'ai publié porte sur (enveloppe sonore. Mais je constate en effet que les théoriciens de ta pulsion dattachement y attachent beaucoup moins d'importance et ne te retiennent pas nécessairement, alors qu'ils retiennent des fac-teurs beaucoup plus tactiles. (Mon idée serait que l'expérience tactile fournit la notion de surface, tandis que (expérience sonore fournit la notion de volume, et donc joue un rate et permet de dégager la notion de tri-dimensionnalité qui est latente dans l'expérience tactile. (D'ailleurs on vient bien de voir dans le mythe de Marsyas comment la dimension de musique, de résonance sonore était importante et utile à (expérience tactile. Mais à ce moment-là il faudrait aussi évoquer l'odeur, tes sa-veurs, on parle des cinq sens.

Mon hypothèse, mon postulat est que l'expérience tactile fournit la base et que les autres enveloppes sensorietles vont s'emboîter sur cette enveloppe de base fondamentale et notam-ment que (expérience de la réftexivité qui est constitutive de l’appareil psychique est dabord une expérience tactile: quand je touche mon nez avec mon doigt, j'ai à la fois ta sensation du doigt qui touche et du nez qui est touché et ces deuxsensations, je tes éprouve en un seul et même moment ; ta réftexivité olfac-tive ¦ humer, être humé -, ta réflexivité sonore - émettre un son et te recevoir - puis (expérience du miroir, (expérience spéculaire ¦ voir, être vu ¦ puis (expérience intellectuelle - réfléchir, se

regarder penser -, tous ces emboîtements successifs de réftexivité supposent comme base, comme roc, comme piédestal ¦ c'est mon hypothèse ¦ (expérience tactile du toucher - être touché. Si (on s'arrête à votre seconde question sur ta vieille notion des névro-ses d organe, je dirais qu'en ce qui concerne ta peau, nous avons affaire à un organe très particulier, puisque c'est celui qui occupe la plus grande surface, qu'il est à (extérieur, alors que tes autres organes sont ou insérés dans ta peau ou à (intérieur du corps. (Donc une atteinte de la peau, c'est-à-dire de ta surface, du contenant, a une signification différente de ce que peut être une atteinte d'origine névrotique ou psychotique contre un organe interne ou contre un des organes sensoriels contenus dans ta peau. 'Vous me demandez un exempte. "Dans mon livre, j'en donne un particulièrement. Cest une patiente qui souffre de difficultés d'asthme. Elle arrive dans mon bureau qui est ptein d'étagères de (ivres et etle me dit: 'Ca ne pourra pas marcher; ça manque de volume ici.' Ca manque de volume, au singulier certainement, mais au pluriel, il y en a plutôt trop de volumes. Cela me permet de faire immédiatement une hypothèse sur sa psychopathotogie, (opposition primaire distinctive qui est atteinte chez etle, c'est l’opposition plein/vide, opposition qui s'avère justifiée par lasuite du travail que j'ai pu faire avec tlte. 9{ous sommes bien ta avec la respiration toujours dans un problème de surface du corps, mais d'un morceau du corps qui, par l’orifice buccal, du nez et de la bouche, renvoie à une sorte de peau intériorisée que constitue (ensemble du système respiratoire. Il y a donc une peau externe et des peaux à (intérieur du corps ; il s'agit détendre ta notion tactile et d'y intégrer ta notion respiratoire, des problèmes respiratoires, de ta dimension respiratoire, de (expérience respiratoire qui joue un rôle très important. Je répète que les névroses d'organe répon-dent à des problématiques différentes de celles des atteintes des contenants psychiques sur le modèle de ta peau et en annexe de ta respiration.

Jean-Pierre CAMOIN (maire d'Arles, dermatologue): Je voudrais vous poser une question. J'ai (impression, lorsque je vois des eczémas atopiques, c'est-à-dire des enfants qui sont eczémateux dès le troisième mois de leur vie pratiquement, qu'il y a un espèce de rejet de la mère qui refuse de caresser (enfant à cause de sa dermatose. "Et nous conseillons toujours aux mamans de caresser (enfant te plus possible malgré tes lésions qui peu-vent entraîner une certaine gêne. Mais ta question que je vous pose est ta suivante: nous avons remarqué que les eczémas atopiques qui n'étaient pas soignés de cette façon, qui n'étaient pas touchés, étaient souvent des gens qui devenaient des- musi-ciens et des mathématiciens. Je me suis toujours posé ta question. Pourquoi cesgens-tà sont plutôt plus intelligents dans ce type d'activité, ta musique et la mathématique?

Didier ANZIEU: Vous m'instruisez et je vous remercie de ce que vous m'apprenez. Je ne serais pas capable de vous en fournir une explication, mais je proposerais d'élargir et de nuancer (observation clinique que vous nous proposez. Il est exact que (eczéma du nourrisson est souvent corrélatif à une insuffisance des soins maternels, non pas de l’allaitement, mais des soins du corps et de la surface du corps et notamment des caresses, de ce que j'évoquais tout à l'heure, la chaleur, ta douceur, ta solidité du portage. Mais une des hypothèses sur lesquelles nous tra-vaillons, c'est qu'une affection comme l'eczéma serait liée à une insuffisance des soins corporels de la mère, mais que dautres affections dermatologiques - peut-être le psoriasis, la question

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est complexe et discutable - seraient fiées au contraire à l’excès de stimulations, la trop grande précocité et la trop grande quantité de stimulations corporelles, épidermiques, par une mère qui ne peut pas s'empêcher déjouer à la poupée avec son enfant d'une façon excessive et exagérée. C'est-à-dire que comme tou-jours, le trop et le manque sont sources d'altérations pathologi-ques et que nous avons à repérer ¦ dans la clinique psychologique en tout cas et en corrélation avec ce que vous pouvez observer dans la clinique médicale proprement dite ¦ ce qui est lié à un excès d'excitation que Cappareil psychique naissant de Cenfant ne peut pas métaBoliser ou au contraire à une insuffisance de l'excitation. "En ce qui concerne la théorie de la créativité, là on rejoint alors la conséquence que vous nous proposez. J'avais, dans mon livre sur 'Le corps de l'œuvre', proposé de distinguer la créativité qui essaye de faire la somme d'excitations excessives subies tout au long de l'enfance et les créativités, au contraire, qui cherchent à réparer et à combler une insuffisance d'exci-tation dans la relation de l'enfant avec sa mère et son entourage. 'Et sans doute à partir de là, on pourrait en effet trouver les chaînons intermédiaires susceptibles d'expliquer l'investissement de la musique et l'investissement des mathématiques.

Anne CLANCIER (psychanalyste): je vais essayer de prendre dans l’ordre de votre exposé les idées ou les exemples cliniques qui me sont venus à l'esprit en vous écoutant. "D'abord un cas d'eczéma: un enfant qui était dans un orphelinat, très abandon-nique, qui avait été recueilli par un couple qui tenait un aérium et qui avait l’intention d'adopter un enfant. L'enfant ayant souvent des poussées d'eczéma, on avait conseillé de l'envoyer dans une station thermale spécialisée pour trois semaines. L'eczé-ma disparut. Lorsque le couple vint reprendre l'enfant à la fin de la cure, celui-ci s'était couvert d'eczéma depuis la veille. Ter-sonne n'y comprenait rien. Je leur ai dit: '9{avez-vous pas eu du retard?' - ''liens, on n'y avait pas pensé. On a eu vingt-quatre heures de retard; il nous attendait la veille et en vingt-quatre heures ils'était couvert d'eczéma.

Didier ANZIEU: 'Donc c'est bien un exemple de séparation. L'enfant attendait la fin de la séparation et ce retard a ravivé le traumatisme de séparation et la poussée d'eczéma est bien direc-tement liée à cela.

Anne CLANCIER: Cet enfant n'en n'avait plus depuis qu'il était dans cette famille et tout dun coup c'était un nouveau stress. Il avait bien supporté la séparation parce qu'elle avait été. préparée pour les trois semaines, mais il n'a pas pu faire face à la séparation imprévue des vingt-quatre heures supplémentaires. Je pense à un autre cas, un bébé de sept ou huit mois. Une per-sonne qui s'occupait de mes enfants avait un enfant 'naturel", comme on disait à l’époque. Le père l’ayant abandonnée, elle rejetait l’enfant, elle l'avait n~;s chez une nourrice et n'allait pas le voir. Tar hasard, un jour, j'ai rencontré le pédiatre de cet enfant, l’(dit: ''Vous savez, l’enfant de Mariette va mourir. T( n'y a qu'une seule solution pour le sauver, il faut que vous le preniez chez vous.' C'était tout à fait imprévu; on est allé cher-cher l’enfant; il avait des uoubles respiratoires, une bronchite et était couvert d'eczéma, notamment sur la tête, un eczéma infecté qui était presque répugnant. La. mire ne pouvait pas le toucher. Mors c'est moi qui me suis mise à le toucher, à soigner sa tête, à enlever les croûtes quand il fallait etc.. Cet enfant a guéri, il est même devenu magnifique physiquement. Mais à par-tir de ce moment-là, cet enfant s'est collé à moi, et pas du tout à

sa mère qui ne s'intéressait pas à lui. Jusqu'à trois/quatre ans, il est resté à la maison; il me suivait comme les chiens suivent leur maître, partout. Il eut un retard de la parole mais il arriva à parler normalement à trois ans.

Didier ANZIEU: 'Dans ce second cas, le fantasme de peau commune qui ne fonctionnait pas avec la mère, s'est remis à fonctionner avec vous; et ce que vous décrivez comme consé-quence, c'est ce que T>. Meltzer appelle l’identification adhésive ou ce que les étholqgues décrivent comme étant le phénomène de l’empreinte.

Anne CLANCIER: C'est cela. J'ai eu des nouvelles récemment. Cet enfant a eu des difficultés scolaires qui l’ont empêché de faire l’apprentissage du métier de pâtissier qu'il souhaitait faire mais il a réussi à gagner sa vie dans son métier qui ne nécessitait pas de calculs. Il a réussi relativement bien, malgré ses handi-caps d'origine. J'ai pensé aussi, en vous écoutant, au toucher interne, au toucher de l'intérieur de la bouche. Je ne veux P<x entrer dans les détails; CD. Meltzer en a parlé et vous aussi. Mais simplement citer le cas d'une personne que j'ai eue en analyse d'adulte. "Elle avait été allaitée très longtemps, elle avait un excellent narcissisme et quelques problèmes de culpabilité œdipienne. Je fus frappée par un terme qui revenait tout le temps; chaque fois qu'il s'agissait d'un stress auquel elle avait fait face, elle disait: 'Je me suis accrochée'. Ce"mot 'accrochée' revenait constamment. 'Tour les études, je me suis accrochée; pour faire face à cette situation, je me suis accrochée...' 'Un jour, me dit-elle, ma mère m'a dit qu'elle ne me voulait pas, quelle avait sauté dans les escaliers et fait des tas de trucs pour nepas m'avoir quand elle était enceinte...'

Didier ANZIEU: Tour la décrocher...

Anne CLANCIER: Oui, voilà! "D'autres patientes m'avaient souvent dit ça, elles n'en sortaient pas, elles remâchaient çœ 'Ma mère ne m'aimait pas, je ne serais jamais normale; ma mère ne m'a jamais aimée.' Cette patiente, qui était très épanouie par ailleurs, m'a dit: 'J'ai pensé, quand ma mère m'a dit ça: 'eh bien, ma vieille, je me suis accrochée. Je t'ai bien eue. 'Sa mère avait eu un bon contact sur le plan de l'allaitement, ce n'était pas une mère sans contact, mais une mère qui voulait maîtriser, ne pas se séparer de sa fille. Ma patiente s'est autonomisée assez vite pour fuir cette relation. Je pensais qu'il avait dû y avoir un décrochage pénible à un moment. "Elle m'a appris un jour que si elle avait été bien allaitée, on lui avait interdit le suçage du pouce. "Et dès les premières semaines, elle avait réussi à trouver son pouce, la sage-femme dit: 'Oh là, là, c'est très mauvais; il faut lui attacher les bras.' On lui attacha les bras jour et nuit jusqu'à ce qu'elle ait perdu cette 'mauvaise habitude'. Je crois qu'il y avait une relation entre le trop d'allaitement (nourrie jus-qu'à seize ou dix-huit mois) et le trop d'interdit du suçage du pouce. Qu'en pensez-vous?

Didier ANZIEU: C'est tout à fait patent, ce que vous décrivez, comme disproportion entre les soins de la surface du corps et le soin de l’allaitement. Le suçage du pouce étant la conjonction des deuxj du contact tactile, et de l’allaitement, et l'interdit de sucer son pouce, comme l’interdit du toucher - on peut le décrire comme une des variantes, un des précurseurs de l’interdit du toucher ¦ s'il est trop précoce et accompagné de sanctions exces-sives, il peut être nocif pour le développement de l’enfant; il

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faudra qu'un jour ou l’autre cet interdit de sucer son pouce soit énoncé et respecté, mais quand te suçage du pouce aura donné toutes ses conséquences positives ; là, c'est mettre ta charrue avant Ces Boeufs; je crois que ta question du 'timing', de l’oppor-tunité temporelle, chronologique est quelque chose d'extrê-mement important à respecter.

Anne CLANCIER: La troisième question que je voudrais vous poser porte sur l’interdit du toucher. J'ai peur de n'avoir pas Bien compris, alors je vais vous demander de m éclairer. Tourquoi dou-Ble interdit du toucher? 'Est-ce que vous voulez dire douBle, du côté de la mère et du côté de Cenfant?

Didier ANZIEU: 'En effet j'ai été elliptique, Je dis 'douBle interdit", parce qu'il procède d'un premier niveau, qui est l’inter-dit de s'accoter corps à corps, peau à peau contre la peau de l’a mère ou la peau d'un autre membre de lenvironnement. C'est l’il au fantasme d'une peau commune et ça conduit à l’arrachement de cette peau commune pour pouvoir se constituer une propre peau. Et l’e second interdit, manuel alors, 'tu ne toucheras pas', de façon qui pourrait produire une violence sur les autres ou déclencher la violence des autres ou la violence de la pulsion sur toi, que ce soit la pulsion agressive ou la pulsion sexuelle, qui ne me semble pas encore différenciée et dont la différenciation n'intervient qu'avec le complexe dOedipe. 'DouBle, parce qu'en général on limite l'interdit du toucher au toucher manuel; or, s'accoler complètement, cet interdit va être rendu nécessaire par l’acquisition de la marche, c'est-à-dire de l’indépendance, de l’éloignement, c'est ce qui correspond à l'identification adhésive qu'on évoquait tout à l’heure.

Anne CLANCIER: Je vous remercie de cet éclaircissement.

Michel TOZZI (professeur de philosophie): J'aimerais vous poser une question dordre épistémotogique. J'ai été très intéressé par la naissance et (évolution de l’hypothèse du 'Moi-peau dont vous avez parlé. Et vous avez parlé notamment du passage de l’image à l’idée à partir de la séparation de l'enfant davec sa mère. Il y avait cette espèce dimage de l'arrachage de l’a peau, on en était au niveau de l’image et ensuite progressivement naît l’idée, mais à un moment donné vous ajoutez: 'mais je ne vewe pas passer de l’idée au concept', pour maintenir finalement une fécondité heuristique au niveau de la métaphore. J'aimerais alors que vous précisiez un peu ce que serait alors un concept du Moi-peau et pourquoi finalement cette résistance à la concep-tualisation.

Didier ANZIEU: Mon premier travail important a concerné l’auto-analyse des rêves de Freud et la découverte de la psycha-nalyse; car nous avons l'avantage de posséder de nombreux -cinquante-cinq - rêves nocturnes de Freud entre 1895 et 1902. "Et un des résultats de ce travail que j'ai fait a été de me faire découvrir que toutes les idées que Freud forge à cette période-là et qui vont constituer le corpus dorigine de la psychanalyse, toutes ces idées se présentent daBord sous forme figurative dans ses rêves et anticipent leur concep tualisation ultérieure, ultérieure de quelques jours ou de quelques semaines dans cer-tains cas, ultérieure de vingt ans dans le cas didées qui ne seront reprises que dans "S\u-detà du principe de plaisir' ou dans 'Le Moi et le Ça' ou dans les testes terminaux. 'Donc, j'avais, si j'ose dire, un modèle, freudien, un modèle de l'homme Freud; dans quelle mesure est-ilgénéralisable à tous les individus, c'est une

autre affaire. 'Donc, j'ai fonctionné pour des raisons aussi Bien personnelles qu'idéologiques, sur ce modèle freudien au sens strict du terme. Il m'a semblé dans mon expérience aussi Bien d'analyste que des groupes, que les concepts servaient à prouver, à dominer, entraient très vite dans une organisation aussi Bien idéologique que dogmatique, tandis que la métaphore, à mi-chemin du corps et du code, garde un versant de rigueur et de vérification, de cohérence, mais un autre versant des origines sensorielles de la vie psychique, y-compris de la vie intellectuelle, de la vie mentale, desquelles il faut éviter de se couper. On pourrait décrire l’hystérie dans laquelle le contact avec le corps n'arrive jamais à être dépassé du côté du code, et une pensée obsessionnelle ou schizophrénisante dans laquelle tout s'organise en relation avec le code, en coupant complètement le contact avec les origines corporelles des sensations. Tour moi, surtout à une période structuraliste durant laqueUe l'accent était mis sur les codes, l'ensemble des systèmes de codes, il m'a semblé extrê-mement important par contre-coup d'essayer de m'en Unir le plus possible au niveau de la métaphore sans mïnterdire les excursions du côté du concept, mais en excluant toute forma-lisation. Cette formalisation, elle est déjà donnée en partie ;j'ai cité l’exemple des géomètres ou l’exemple que signalait Monsieur le Maire tout à l’heure des mathématiciens plus généralement.

Jean GIRARD: J'aimerais que vous précisiez ce que vous disiez sur peau et mémoire et j'aimerais que vous parliez du tatouage.

Didier ANZIEU: Dans le texte de Michel Serres que j'ai lu tout à l’heure, c'était de ça dont il s'agissait; la peau comme tatouage ¦ c'est un usage métaphorique de la notion de tatouage -, notre peau à chacun de nous inscrit les traces, les cicatrices, les mar-ques de notre histoire personnelle; l’ensemble de la peau, pas seulement la peau du visage, la totalité de notre peau. 'Donc, la peau ne joue pas simplement un rôle dans notre perception du monde extérieur et du monde interne, mais l’a peau est une surface d'inscription ¦ c'est l’expression que j'aime utiliser -non seulement actuelle, mais une surface d'inscription qui garde des traces anciennes. C'est le, premier parchemin, le parchemin est dailleurs une peau de Bête ; et comme c'était rappelé tout à l'heure par Christian Quérin, il me semble que l’opposition entre les dewegrandes fonctions de la peau comme lieu de réception des excitations, aussi Bien internes qu'externes, et comme surface d'inscription, est quelque chose de fondamental, car la dynamique de l’excitation et la dynamique de l'inscription sont deux choses tout à fait différentes. J'ai éBauché une classi-fication de la nosologie psychanalytique selon l’es altérations ou l’es sur-investissements relatifs du fonctionnement de l’excita-tion et du fonctionnement de l’inscription, se traduisant donc au niveau de l’organisation du Moi-peau.

Elisabeth PONTIER (psychomotricienne): Ce qui m'a parti-culièrement intéressée, c'est ce douBle interdit du toucher. Dans votre livre U me semble que vous retracez ça aussi à travers la cure analytique, disant que c'est un interdit qui fait partie des lois implicites de la cure analytique. Vous dites en quelque sorte que quelquefois toucher ça peut être une indication, mais qu'il peut y avoir aussi des contre-indications ; vous partez du packing, des grottes -je ne sais pas du tout ce que c'est ¦ mais j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur: quand et comment une indication de toucher peut être envisagée?

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L'Œuvre ouverte

Didier ANZIEU: 'Vaste question (rires) ; en ce qui concerne la cure analytique, elle est de pure parole - parole et silence, Bien sûr ¦ ou d'expression sémiotique qui ne passe pas forcément par la parole mais par d'autres systèmes de signes, mais dans lesquels l'interdit du toucher est fondamental pour que Ces choses puis-sent se jouer sur le plan de la parole. L'analyse essaye de tra-vailler par ce que j'ai appelé 'la peau de mots' pour pouvoir retisser ce qui, de la peau originaire fondamentale, peut être manquant. Mais si trop a manqué trop longtemps, la parole n'est pas suffisante et il est nécessaire, donc, de revenir à ce qui a manqué et dessayer d'en proposer Cexpérience au patient par des démarches qui ne sont plus analytiques, qui sont à la limite des aménagements de l'analyse, mais qui relèvent par exemple du toucher en relaxation, qui relèvent, si vous êtes psychomotri-cienne, de contacts éventuellement corps à corps ou de contact avec la main; dans le cas de l'enveloppement, donner le senti-ment de l'ensemble, la surface du corps par la différence Brusque entre le froid et le chaud; cm dans le cas de Madame de Loisy des enfants sourds-aveugles de naissance, par l’exploration des grottes, leur donner l'expérience de limites corporelles de l'envi-ronnement, leur permettant d'acquérir une notion élémentaire

des limites de leur propre corps et de jouer le développement psychique sur le plan du tactile puisqu'il ne doit pas jouer sur le plan du sonore ni sur le plan du visuel, je ne peux, pas entrer dans le détail des indications ; £ abord c'est une recherche en cours et c'est un domaine extrêmement vaste; moi, je proposerais une hypothèse de Base: ce qu'on a reçu, on peut y renoncer Beau-coup plus facilement qu'à ce qu'on n'apas eu;si on ne tapas eu, il est nécessaire de trouver des réparations, des reconstructions; il ne s'agit pas d'être analyste pour être analyste; l'analyste peut faire certaines choses; mais ily a des moments où il faut recourir à d'autres méthodes que Canalyse pour être efficace.

Christian GUERIN: (Marcel lhaon a introduit cette discussion en revenant sur le mythe de Marsyas; on peut, pour la clore, Brièvement y revenir sous une forme hypothétique. Teut-être aussi le conflit entre Apollon et Marsyas figurt-t-il le conflit qui s'instaure entre le Moi et le Moi-peau médiatisé par la question de Cinterdit dont on vient de parler?

Didier ANZIEU: "Tout à fait d'accord.

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'ai la responsablité de présenter les Interventions Thématiques Brèves ; ce que je vais faire en suivant le plan qui consistera d'abord à en dire la méthodologie, puis à en présenter le déroulement.

Je commence par quelques mots sur la métho-dologie employée pour les recherches qui suivent. Nous avons imaginé, pour cette occasion où nous recevons Didier Anzieu et où nous voulons essayer d'ouvrir son œuvre de manière féconde, de fonctionner sur une démarche un peu différente de la coutume. D'habitude, dans les colloques, nous assistons à des séries d'inter-ventions segmentées telles que la métaphore corporelle de ces contributions pourrait être la colonne vertébrale, pour reprendre l'idée de Didier Anzieu que toute métho-dologie est appuyée sur un support corporel. Nous avons imaginé de faire fonctionner ces contributions autrement, en tentant de les penser à partir de l'enve-loppe. Nous allons donc essayer de construire une enveloppe à la fois souple mais structurée qui s'orga-nisera de la manière suivante : par des séries d'Inter-ventions Thématiques Brèves (5mn) qui amèneront des vignettes cliniques et des questions à Didier Anzieu, puis ensuite l'écho de ces interventions chez Didier Anzieu, mais aussi en chacun de nous puisque je ne crois pas trahir sa pensée en disant qu'il ne souhaite pas être seul à réagir aux questions et désire que s'ins-taure un échange entre nous.

Pour que ces interventions thématiques soient tout de même structurées les une par rapport aux autres et ne se révèlent pas une enveloppe trouée, nous les organiserons en trois grandes unités: ce qui concerne le rapport entre le Moi-peau et l'individu; puis, ce qui concerne le Moi-peau et le groupe; enfin, ce qui concer-ne le Moi-peau et l'investissement psychique de la culture. Pourquoi ces trois thèmes? Parce qu'ils

correspondent aux trois champs de travail que nous avons essayé de dégager dans un texte écrit l'an dernier pour inaugurer notre Association de recherche le C.O.R. (Clinique des Objets de Relations) et que l'on trouve résumé dans les Actes de l'an dernier, Rencon-tres Cliniques ; pour essayer de faire dialoguer une démarche de pensée qui est celle de notre association avec le texte d'Anzieu. Et vous ne serez pas sans remar-quer que le texte de Didier Anzieu ne correspond pas exactement à la découpe que nous avons proposée. Au sens où, par exemple, la part du groupe dans le texte -non dans son œuvre globale - est relativement faible, alors que nous lui consacrons un tiers de notre temps. C'est une manière de ne pas faire se confondre toutes les enveloppes et d'essayer de mettre en question ce qui se passe entre nous.

Du point de vue du déroulement de ces débats, chacun de ces grands thèmes sera animé par une personne: le premier par moi-même; la partie sur le groupe par Jean-Pierre Vidal; les interventions concer-nant la culture par Joël de Martino.

La première partie des interventions thématiques brèves concerne le rapport entre Moi-peau et individu: l'investissement de la peau lorsque celle-ci vient à se dérober, lorsqu'elle tombe; l'enveloppe sonore; les répercussions psychiques de la chirurgie esthétique; l'interdit du toucher dans les techniques de relaxation; l'investissement de cette autre peau qu'est le vêtement dans la vie quotidienne et dans la clinique de certains patients... Voilà une ouverture, mon rôle est de donner la parole aux diverses personnes prévues mais en essayant de sentir le poûl de notre travail pour moduler la discussion. L'entrée de ce travail est pourtant déjà trouvée c'est Claude Seys qui l'assure. Je lui laisse la parole.

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Rencontre avec la peau

de l'autre

par Claude SEYS

e vais vous parler d 'un peti t garçon, Aurélien, qui m'a particulièrement touchée et qui est un enfant avec qui le travail s'est organisé à partir de la rencontre avec la peau

de l'autre. C'est un enfant de neuf ans, que sa maman a amené en consultation pour la deuxième fois. Un premier contact avait été pris et la maman avait décidé de ne pas donner suite au travail, en disant que l'enfant insistait beaucoup pour revenir, mais qu'elle ne pouvait pas. Donc une deuxième rencontre a lieu, motivée surtout par le rejet de l'école. L'école avait toléré des comportements assez marginaux et d'un coup n'a plus pu accepter ce que faisait cet enfant. On l'avait déjà mis hors du cadre, dans la mesure où on lui avait installé un bureau dans le couloir, d'où il pouvait voir et entendre sa maîtresse mais pas ses camarades. Ce qui a vraiment préoccupé les enseignants et provoqué l'exclusion, c'est qu'un jour on l'a trouvé dans les toilettes en train de s'enrouler de papier hygiénique, "comme une momie". Là l'école a réagi en disant qu'il fallait envoyer Aurélien dans un endroit où l'on soigne les troubles du comportement et qu'il n'était plus possible de le garder. C'est dans ce contexte-là qu'il a été admis à l'hôpital de jour.

Pendant le temps d'observation dans l'hôpital, Auré-lien a rencontré un autre enfant, Pierre, qui a une ichtyose, c'est-à-dire une maladie de la peau qui produit des craque-lures dans l'épiderme. On voit, dessous, une peau qui est presque douce, une peau de bébé, et dessus, énormément de desquamations, de peau pelée qui s'en va. Cette rencontre avec cet enfant, a été pour Aurélien quelque chose de très fort et il en a beaucoup parlé en disant: "Tu sais, il a une peau comme quand on se met de la colle sur les doigts et qu'après on essaie de l'enlever et que ça pèle." Il a essayé de contenir cette image qui était très perturbante pour lui, et cherchait des réassurances sur la possibilité de grandir de Pierre.

Peu de temps après, il a fait une importante crise d'an-goisse qui a été liée au fait que Pierre, qui jusqu'alors avait maintenu une distance avec lui, d'un coup, s'est mis à le tou-cher. La scène s'est passée ainsi d'après ce qu'il en a dit: il était assis sur un banc et il a senti, venant par derrière, une main qui le touchait, une main toute rugueuse. Il a eu très peur, il n'a rien pu faire, il n'a pas pu parler, il a attendu que ce contact cesse. Et après, ça a déclenché toute une série de comportements d'anxiété. La mère a téléphoné à l'institution en disant que toute la nuit il avait fait des cauchemars, qu'il parlait sans cesse de Pierre et qu'il semblait très perturbé. Dans la séance qui a suivi, il associe sur un feuilleton de science-fiction qu'il a vu à la télévision: Les visiteurs , où des extra-terrestres à apparence humaine se révèlent être des lézards, après qu'on a déchiré leur peau. Il évoque sa répul-sion quand il a vu ces images, puis prend un feutre marron, et le frotte rageusement sur le papier jusqu'à le trouer. Il regarde

les bords du trou, touche les particules de papier qui s'y sont accumulées et qui ressemblent à des desquamations en disant: "On dirait que ça a cramé."

S'ensuit une période très difficile d'une quinzaine de jours où les adultes avaient l'impression de ne rien compren-dre, de ne pas savoir contenir Aurélien, ni dans les séances de thérapie, ni à l'extérieur. Il mettait les autres enfants à distan-ce par son agressivité, comme s'il créait une espèce d'autre peau autour de lui qu'ils ne devaient pas franchir. Par contre, il recherchait une contention physique de la part des adultes, pour le conduire d'un endroit à l'autre, quand il s'agissait d'aller manger par exemple. Nous avons beaucoup parlé à ce moment-là d'Aurélien, des "trous" dans notre compréhension et du travail de contention qu'il nous demandait. Ce travail, chacun l'a fait comme il a pu, y-compris son infirmière de référence, excédée, qui a eu l'intuition, un jour, de lui donner une douche froide pour l'aider à se retrouver.

Dans les séances de thérapie, Aurélien mettait en scène des batailles très violentes, et en même temps, il me parlait de la préhistoire et là, cela devenait beaucoup plus cohérent. Alors, je me suis mise à penser qu'il y avait des trous certainement dans son histoire parce qu'à un moment, il avait des jeux avec des blessés, des morts et des bruitages d'ambulance, de panique qui me donnaient l'impression d'être des souvenirs auditifs particulièrement chargés pour lui. Je le lui dis, en lui précisant que nous pourrions en parler avec sa mère dans la prochaine séance. (Dans le contrat thérapeu-tique, une séance mère-enfant était prévue tous les quinze jours). Aussitôt, il devient plus calme et me parle d'une cica-trice, d'une coupure qu'il s'est fait à la mer, peu de temps avant, et il insiste: "Mais tu sais, ça s'est refermé", ce qui a été très réparateur et très rassurant pour lui.

Je pressentais que l'entretien suivant qui aurait lieu en présence de la mère serait important. Je lui ai demandé si elle pouvait reprendre l'histoire d'Aurélien, surtout ce qui s'était passé quand il était petit, parce qu'il y avait des choses dont on n'avait pas parlé et qui étaient importantes. La maman, à ce moment-là, m'a dit: "Mais vous savez, c'est très drôle, moi, j'ai des trous de mémoire. Alors, il ne faut pas m'en vouloir, mais j'ai vraiment des trous de mémoire." Je lui ai répondu que, bien sûr, on ferait avec ses trous de mémoire mais que nous allions, quand même, essayer de reconstruire l'histoire de cet enfant. A un moment donné, elle a fait un lapsus en parlant d'Aurélien, en disant "lui aussi" et nous avons pu parler - difficilement - de cet enfant "aussi". C'était un bébé que la mère avait beaucoup désiré et qui était décédé à quelques jours. Aurélien était né deux ans après, et nous vivions au moment de l'entretien la période anniversaire, à la fois du décès du bébé et de la naissance d'Aurélien. Aurélien

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J

Moi-peau et Individu

a pu aider sa mère à parler de ce bébé dont il partage une partie du prénom. Il lui a fait préciser les raisons de santé qui avaient entraîné le décès et a demandé s'il avait "lui aussi" les mêmes problèmes. Nous l'avons rassuré et Aurélien a com-mencé, au cours de cet entretien, à quitter la peau de l'autre, celle de l'enfant de remplacement qu'il était pour sa mère.

A partir de là, beaucoup de choses ont évidemment pris sens. Mais le travail que vous avez fait sur le Moi-peau, m'a beaucoup aidée. Surtout à construire des hypothèses pour avancer dans la compréhension de ce qui se jouait pour cet enfant.

Je voulais simplement apporter ici une vignette clinique et donner peut-être des éléments pour qu'on puisse réagir ensemble.

Christian GUERIN: I(y a au moins cette question que Cappui que Claude Seys trouve sur Ces travaux de 'Didier Slnzieu fonc tionne aussi sans doute pour elle comme une véritable enveloppe culturelle théorique, qui va lui permettre non pas de 'boucher le trou, mais peut-être d'aller à la rencontre de ces trous et de (es penser au. double sens du terme. On peut aussi penser donc qu'un travail de recherche a véritablement une fonction d'enveloppes d'excitation et de signification; et l'on peut rendre là hommage à ce travail du 'Moi-peau qui rend compte à la fois de la fonction de la peau et qui, aussi, s'instaure comme peau psychique pour les personnes qui sont en situation de gérer des moments difficiles. -

Christine LEGER (psychologue): Lorsque le Maire d'Arles a parlé de l’attitude qu'il conseillait aux mères davoir avec les enfants qui sont eczémateux, comme pendant votre exposé, la question qui me venait, c'est d'abord qu'on demandait beaucoup à ces mères défaire dans tinter-relation mire/enfant, alors que, justement, elles n'y arrivaient pas; et que, peut-être, vous, vous montrez que vous arrivez à comprendre l’enfant parce que la mère est là, dans une enveloppe que vous reconstituez à partir d'une enveloppe mère/enfant. J'ai un exemple comme cela avec une patiente psychotique avec laquelle j'avais beaucoup de mal à rentrer en contact. La possibilité que j'ai eue à un moment donné de le faire, m'a été donnée à partir de la rencontre avec les parents qui a été fortuite et qui m'a permis de comprendre quelque chose dans l’histoire de cette patiente. Comme pour vous, au niveau de l’enveloppe et du Moi-peau, c'est une person-ne qui fumait énormément, comme un enfant qui tête; le pire disant qu'il ne supportait pas sa fille parce quelle fumait beau-coup. Ma seule possibilité de contact à un moment donné a été à travers la cigarette et la fumée qu'elle envoyait. Mais cette entrée en contact avec elle n'a été possible qu'à partir du discours des parents. Toute la question est alors: comment restituer la peau à ces personnes, à ces enfants? Veut-être comme une enveloppe groupale qui se reconstitue.

Didier ANZIEU: Le problème de l’intoxication tabagique est immense, mais par rapport à la question du Moi-peau, il semble que la question que vous évoquez, l’émission de fumée soit destinée à remplacer un pare-e^çitation insuffisant, en créant une espèce de champ de brume, de brouillard qui brouille ¦ c'est la définition du brouillard ¦ la communication et qui mette à

l’abri le sujet. Ce thème de la fumée, de la ceinture de brouillard est typique des failles narcissiques, c'est-à-dire que le Moi-peau n'a plus des contours bien délimités, mais des (imites qui s'estom-pent, deviennent vagues, floues, et qui sont une transcription du flou fondamental de lapsychi, d'une inconsistance duSoi extrê-mement importante. C'est donc un des éléments qui peut aider dans la représentation métaphorique que le sujet a de son appa-reil psychique et que le thérapeute peut lui communiquer pour permettre de travailler dessus.

Monsieur INREP (Arles): Ce que Claude a dit tout à l’heure m'a fait penser à un cas que j'ai actuellement. (Pour situer le cadre, c'est quelqu'un que je vois en thérapie, en privé, en face à face. Ce Monsieur, on pourrait, s'il le fallait, l’appeler un grand paranoïaque. Jusqu'à voilà six. inois environ, il venait et s'épan-chait, j'avais vraiment l’impression de voir de l’eau, une rivière, et que (e thérapeute courait derrière sans jamais la rattraper. C'était assez angoissant pour moi, parce qu'il était très menaçant par moments, lin jour, certainement, quelque chose s'est déclenché par rapport au. Moi-peau et sûrement aussi au niveau de mon inconscient, parce que, bien sûr, j'avais peur parfois. Il y avait comme un blanc dans son histoire: il ne se rappelait de rien. Il me dit un jour d'avant les vacances: 'quelque chose qui m'aiderait peut-être, ce serait de rencontrer une de mes sœurs que j'aime bien', et moi je lui réponds: 'Oui, ce serait peut-être bien, parce que vous pourriez parler de votre histoire à ce moment-là avec elle.' Depuis qu'il est revenu de vacances, on fait un travail qui me semble être la construction d'une peau. Il y avait comme un blanc entre la naissance et deux, ans environ, pour lui cette période était blanche. "Et le fait est que sa sœur a pu dire des choses sur ce blanc qui n'avait été jamais parlé, ni par sa mère, ni par son père. Quel lien peut-on éventuellement faire entre votre concept du Moi-peau et ce blanc, ce trou que ('on retrouve chez certains psychotiques?

Didier ANZIEU: Je ne peux, répondre que partiellement et sommairement. La mémoire n'est pas développée dans mon (ivre, car je ne peuxpas traiter de tout. La mémoire est une enveloppe: la notion de surface d'inscription en est la base, le fondement . j'évoque ce cas d'une fillette qui avait une tête passoire, donc des trous de mémoire ; elle comprenait parfaitement les leçons en classe, mais (es avait oubliées immédiatement en sortant, et oubliait les séances de thérapie, d'une fois à (autre. La théra-peute, donc, désespérait jusqu'à ce qu'on mette en évidence toute (a haine qui venait trouer (e fonctionnement intellectuel de cette petite fille et sa relation aux autres. L'enveloppe de mémoire est un sujet à soi tout seul; je ne veuxpas l’aborder, ni (e traiter ici avec (es blancs qui sont tus, (es secrets de famille, (es cadavres dans (e placard, les survivants, les morts, les revenants, les enfants de remplacement, les bâtards, les enfants adoptés etc.. tout ce que 'Nicolas Abraham et Maria Torolç. ont mis en évidence sur la fonction de la crypte, du fantôme, tout cela est à prendre en considération dans la consti-tution des enveloppes et dans leurs avatars.

'En ce qui concerne la paranoïa, je crois que là vous tou-chez du doigt un élément sur lequel je n'ai pas réfléchi; je vais simplement vous dire mon idée vague, sur les particularités de l’enveloppe paranoïaque, plus exactement de ('absence de l’enve-(oppe, des trous de l’enveloppe qui vont servir d'organisation au système de persécution et d'accusation; c'est une façon d'utiliser (es trous pour empêcher que par ces trous, il y ait d'une part une

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¦ Interventions Thématiques Brèves

hémorragie narcissique, et d'autre, part une intrusion cCautrui, un mode de défense paranoïaque contre ces trous de mémoire. (Repenser (a psychopathologie analytique en s appuyant davan-tage sur l’es concepts de contenant psychique pourrait permettre d'éclairer autrement les choses et de donner des instruments d'action dans la technique thérapeutique, qui peuvent être des modes d'approche utiles, comme l'exposé de Claude Seys l'a bien montré. Je n'ai pas de commentaire à en faire; ce que vous en avez dit est suffisamment parlant.

Anne CLANCIER: Vous m'avez fait associer, Claude, sur dewe points: vous avez évoqué les animaux préhistoriques dont votre patient parlait; moi, j'ai associé avec Cichtyose; vous savez que beaucoup denfants dessinent des monstres préhistoriques; ils représentent leurs pulsions ou les imagos archaïques. Je me demande s'il n'y a pas un rapport avec lichtyose. 'Deuxième-ment, quand vous avez parlé de ce comportement qui avait effrayé tout le monde où il s'enveloppait de papier hygiénique comme une momie: si cela a déclenché une peur, c'est qu'ils ont senti quelque chose là-dessous qui les a angoissés; vous m'avez fait associer sur deux, éléments: un peintre que je connais bien qui était architecte au départ, il s'est mis à faire des tableaux très beauxj très délicats, avec une matière beige, très fine. On ne voyait pas ce que citait, cette matière, or c'était du papier hygié-nique qu'il trempait dans de la colle, dans de la couleur. Avec cela il faisait des œuvres très belles, des constructions, des maisons imaginaires. Après quoi, il est passé à des dessins, il faisait des monstres. On ne savait pas si c'était des monstres en train de devenir humains ou des humains en train de devenir monstres. Ces monstres étaient un peu angoissants mais beaux, maintenant ils sont devenus humains. Il ya une grande force dans ces œuvres.

"Voici un cas clinique. C'était un enfant qui avait besoin dître contenu. Je Cai eu en analyse à douze ans, sa mère l’éloi-gnait de tout contact. "Elle Pavait même séparé de son pire parce que celui-ci était tuberculeux- L& père était mort lorsque je vis l'enfant qui parlait avec nostalgie de son père.

Le symptôme qui a motivé la consultation au C-M.T.T. était que ce garçon ne pouvait aller à la selle, ni dans les 'W.C-, ni seul. On mettait un seau dans une pièce et une infirmière venait tous les jours s'assoir à côté de lui jusqu'à ce qu'Hait été à la selle. Comme on ne savait pas à quelle heure la selle arriverait le garçon n'allait plus à Cécole. Il était très intelligent mais du fait de ses absences scolaires n'avait pas encore son certificat détude. L'analyse a duré longtemps; le garçon n'a pas dessiné, il parlait aisément et j'ai dû lui parler souvent car mes paroles lui ont servi d'enveloppe sonore, de contenant. (Peu à peu, ce garçon

a pu reprendre des études et il est arrivé à obtenir un diplôme de haut niveau. Après quelques années d'analyse, il a fait quelque chose de très important pour lui: vers dix-sept ans, il s'est préoccupé de la tombe de son père que sa mère ne lui avait pas montrée. lia interrogé sa mère qui lui a dit:"Je n'avais pas assez d'argent et je lai fait mettre à la fosse commune." Or sa mère était d'une famille bourgeoise et non dénuée de toute ressource.. Le garçon s'est rendu au cimetière en se disant: "(Pourvu que le cadavre de mon père existe encore et que je puisse le conserver." Il avait fait des économies sur son argent de poche et voulait payer un tombeau à son père, en somme il voulait mettre le corps du père dans un contenant. Malheureusement, il a appris que le délai était passé, on avait jeté les restes de son père deux mois plus tôt, il a été très triste. L'analyse l'a aidé à faire le deuil du père qui n'avait jamais été fait. IL est important de noter que c'est au moment où legarçon a été mieuxqu'ila eu cette idée.

Didier ANZIEU: J'ai évoqué également dans mon livre le cas de ce petit garçon qui s'était déshabillé, qui avait découpé en petits morceaux le papier lavable sur lequel il dessinait, et qui avait demandé à la thérapeute de coller sur la totalité de son corps, les yeuxexceptés, ces morceaux de façon à les utiliser tous et recou-vrir intégralement le corps. Je me demande si les bandelettes, les rouleaux de papier hygiénique, il n'y a pas lieu simplement de les entendre comme formation réactionnelle contre Canalité, mais aussi, en terme de contenant psychique, comme étant une tenta-tive, telle une momie entourée de bandelettes destinée à être conservée et préservée, de se constituer le 'Moi-peau par une technique analogue à celle de l'enveloppement humide, du packj. mais déjà un petit peu plus développée, puisqu'il y a le recours au papier qui est une surface correspondant à ce que j'ai appelé la dimension de surface d'inscription de la peau et du Moi-peau. Je trouve cela très intéressant et très significatif dans votre exposé.

Marcel THAON: 9{ous avons abordé divers points concernant les enveloppes. (Hffus avons parlé de ce petit garçon qui avait peur que son trou dans l'eau ne se referme; nous avons parlé de l’enveloppe de brouillard qui est typique de certains types d'orga-nisations comme la toxicomanie. Tour continuer à associer sur la cigarette, nous avons abordé quelque chose qui serait un manque denveloppe; je pense à l’importance de la cendre dans les prises en charge de paranoïaques. 9{ous allons peut-être continuer dans cette voie en nous intéressant à un autre type d'enveloppe qui est le vêtement, à la manière dont le vêtement va pouvoir être investipsychiquement ou non.

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Réflexions sur le vêtement

par Patricia THAON

e riche travail de Didier Anzieu sur les fonctions et figurations psychiques de la peau m'a incitée à repenser

à une recherche que j'avais menée il y a quelques années avec deux collègues à propos des modalités d'investissement psychique du vêtement. Je vais présenter quelques réflexions théoriques rapides, une vignette clinique et demander à Didier Anzieu l'état de ses idées sur la question.

Je ferai l'hypothèse que l'investissement psychique du vêtement s'étaye sur l'expérience primitive vécue du corps de la mère dans ses qualités de surface sensorielle et de conte-nant : il est ainsi permis de penser que la relation au vête-ment conserve la trace de ces toutes premières expériences tactiles et sensuelles du corps de la mère, qui reste inscrite en creux, hors les mots, sous la réélaboration ultérieure, sexuelle, que lui fera subir le complexe d'œdipe. Et c'est peut être sur cette couche substitutive, cette seconde peau que se révèle le mieux ce qu'il en est de ces expériences "oubliées".

Schématiquement, il me semble que le vêtement four-nit le "reste diurne" de deux modalités de fantasme :

- L'une que je n'examinerai pas, qui dramatise l'an goisse de perdre ses objets psychiques, ceux-là même qui étayent le sujet, par les trous d'un contenant défaillant, partiel lement détruit ou intermittent.

- L'autre fantasme concerne davantage le rapport à une imago maternelle idéalisée à laquelle le sujet est collé désespérément dans un mouvement adhésif qui contrecarre le processus d'individuation, jusqu'à le mettre parfois en pé ril. Le cas clinique qui va suivre nous permettra d'évoquer la place centrale des expériences excitantes, voire intrusives, provoquées par la mère de la patiente dans la genèse de la pathologie.

J'illustrerai cette dernière problématique à l'aide de deux exemples, un littéraire, l'autre clinique.

Le roman est une œuvre de science-fiction de Stéphan Wul - dont je dois la découverte à Marcel Thaon - Piège sur Zarkass, dans laquelle on voit le héros du récit, poursuivi par des ennemis sans pitié, chercher refuge à l'intérieur de la peau momifiée d'un roi mythique exposé dans un musée. Il va donc revêtir la dépouille extra-terrestre comme s'il s'agis -sait d'un ample vêtement qui lui envelopperait le corps entier. Mais cette peau-vêtement, loin de se détacher de son corps lorsqu'il n'en a plus1 usage, ainsi que le ferait toute bonne vêture, adhère fermement à son épidémie, s'accroche à lui pour y prendre racine et vie. Lorsqu'il tente d'enlever son manteau-refuge, c'est des lambeaux de sa propre chair qu'il arrache en vain. Jusqu'au jour où la transformation devient irréversible : Obligé de porter sans cesse sa défroque devenue persécutrice, le héros verra l'intérieur même de son corps se

transformer, jusqu'à l'ultime métamorphose qui verra l'esprit du Roi antique faire retour en son lieu corporel longtemps abandonné. Dans ce roman, le vêtement fait disparaître les limites propres de l'image du corps du sujet et dissout l'iden-tité qu'il devrait protéger. Le vêtement est bien ici cette peau/ contenant maternelle idéalement persécutrice dont l'enfant craint la disparition et à la surface de laquelle il se perd. Les lambeaux de chair que le héros arrache en même temps que sa peau vêtement me semble d'ailleurs illustrer l'hypothèse de D. Anzieu à propos du masochisme comme l'élaboration entre la mère et l'enfant d'une peau commune qui ne peut qu'être arrachée, déchirée dans une érotisation de la souf-france.

Le second exemple est une illustration clinique: il s'agit d'une patiente que je suivais, qui, lors d'un épisode déli-rant, avait arraché tous ses vêtements jusqu'à apparaître nue dans une église à insulter sa mère. Au cours de sa thérapie ultérieure, il est apparu que cette jeune femme vivait sa mère comme s'étant appropriée son corps et sa pensée grâce à des stratégies infiniment répétées tout au long de l'enfance : la mère lui imposait de partager son lit, reléguant le père sur un matelas ; elle la privait d 'un espace privé par une surveillance sans faille; elle lui interdisait toute relation avec son père ; l'exhortait à révéler ses pensées et à avouer ses secrets. A l'adolescence, elle l'obligeait même à porter les vêtements de son choix: elle craignait sans doute que cette barrière de tissu ne l'éloigné d'elle, le vêtement figurant ici par extension la peau de la mère qui ne pouvait être pensée comme séparée. On peut d'ailleurs se demander ce qui, dans la problématique personnelle de cette mère, la poussait à uti-liser ainsi sa fille pour combler les failles narcissiques de son propre Moi-peau, à défaut de pouvoir satisfaire les besoins du Moi de celle-ci. A son tour, cette patiente avait besoin de se vivre comme emboitée dans le corps et la psyché mater-nelle pour réparer la fragilité de son enveloppe narcissique. Elle apparaissait dans les entretiens figée, raide et enveloppée dans son manteau qu'elle ne quittait jamais.

Dans des rêves répétitifs, cette patiente se voyait em-prisonnée par une araignée monstrueuse qui lui dévorait le cerveau. Elle se sentait encore sous l'emprise de la volonté de sa mère dans ses actes et jusque dans ses pensées ("ma mère pense et agit à ma place"); elle hallucinait souvent la présence maternelle derrière elle et dans la rue confondait alors les femmes rencontrées avec celle-ci. En retour, sa propre fille de sept ans devenait une persécutrice potentielle, dans un redoublement en miroir de sa problématique maternelle, qu'elle devait éloigner en la confiant à son ex-mari : elle avait quitté son deux pièces pour, un studio afin de ne pas pouvoir

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garder sa fille, mais - c'est le destin de la véritable répétition -elle se sentait dans "l'obligation" de la recevoir dans son lit lors des visites... Les draps devenaient alors cette peau commune, où la différence s'abolit et où la distinction entre l'amour et la haine cesse d'avoir un sens.

Ces quelques remarques pour pouvoir si tuer la question du vêtement dans ses investissements psychiques archaïques et demander à Didier Anzieu ce qu'il pense de cela.

Didier ANZIEU: Vous rappelez judicieusement un point d'épistémologie psychanalytique qui est très important. L'exis-tence et tes fonctions des enveloppes psychiques ont été long-temps méconnues ou sous-estimées parce qu'on dispose rarement d'un matériel à l’ 'état pur; c'est un matériel, comme vous le rappelez, qui subit lors de la période œdipienne une réélabo-ration et, d'autre part, pour que la douleur qui y est liée soit rendue supportable., un des mécanismes possibles, est Cérotisa-tion de cette- douleur ; nous entrons là alors dans le masochisme sexuel proprement dit. Le thème de 'La 'Vénus à la fourrure' pourrait être développé; le- thème de la femme en vêtements de cuir, c'est-à-dire en 'peau de vache.' pour traduire ce que le bon sens populaire a depuis très longtemps évoqué, donc vêtue de cuir ou nue sous son manteau de fourrure -je renvoie chacun à ses fantasmes privés pour plus ample développement -, montre Sien les formes que cela peut prendre.

Ce sur quoi vous avez mis l'accent, la première peau c'est la peau de la mère. On peut, au lieu de la déchirer pour avoir sa propre peau, s'en revêtir comme dune dépouille, une dépouille.

qui peut être un signe, qui peut être une relique comme dans la nouvelle de science-fiction que vous évoquez. J'aimerais étendre ce que je disais de la mythologie grecque qui a tout connu de l’inconscient ; ce qu'elle n'en a pas connu, c'est la science-fiction qui le connaît ou qui en donne la traduction contemporaine, et que la mythologie grecque faisait, il y a deux, millénaires et demi. Le thème que vous évoquez là, c'est celui que j'ai abordé dans un article et que je n'ai pas repris dans Le Moi-peau sur 'Les figures du destin, c'est le thème, de la tunique empoisonnée; la tunique empoisonnée qui finit par coller à la peau de telle façon que, si on veut la retirer, on arrache des morceawcde peau ensemble. C'est ce qui est arrivé à Héraclès, s'être vêtu de cette tunique empoisonnée que lui avait remis 'Déjanire, empoisonnée par le sang et le sperme du Centaure qu'Héraclès avait tué; et c'est seulement en se soumettant au bûcher qu'Jléraclès arrive à se débarrasser de cette tunique, en une mort par brûlure; mais comme ce héros avait fait des exploits, il a été, in fine, admis au rang des dieux.tt sauvé. Voilà encore une figure du masochisme, si Ion va jusqu'au bout de l’a souffrance et de l’a déperdition de l’a peau, non phis seulement de son érotisation, mais de sa déper-dition, de sa destruction, de ce que j'ai appelé la fonction tonique du Moi-peau, alors on peut être glorieux/ alors on devient divin; c'est là un des fantasmes, une des illusions parti-culièrement dangereuses, un des fantasmes compensatoires par-ticulièrement puissants du fonctionnement masochiste; et je crois que votre observation, vos références le montrent bien. (Peut-être pour faire un jeu de mots, disons qu'en quelque sorte vous décrivez-là non pas le Moi-peau, mais le. Moi-Oripeaux!

Marcel THAON: La question suivante, exposée par 'Yvette 'Basset, va porter ¦ puisquici nous nous intéressons à une enveloppe impossible à enlever ¦ sur une certaine possibilité dérotiser l'immobdité à tel point que Cimmobile puisse fonc-tionner comme une enveloppe de remplacement.

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Thérapie de couple et problématique de l'enveloppe

par Yvette BASSET

e voudrais parler d'un couple que je reçois depuis un an et demi à cause d'un problème de communication. Il y a un mur, un

rideau de fer entre eux, dit Monsieur P.. Au moment où je les vois pour la première fois, ils sont mariés depuis quatorze ans et ils ont deux filles, de un an et sept ans. J'apprends que Monsieur P. n'est pas le père biologique. Après quelques années de mariage, des examens médicaux ont révélé chez lui une stérilité et il a dû subir une opération d'un testiculaire atrophié. Il était d'accord pour que sa femme trouve un géniteur par ailleurs, ce qu'elle a fait; ils ont donc deux enfants, de deux pères biologiques différents, et ceci est gardé secret. Mais à partir de la deuxième naissance, Madame P. se refuse à tout rapport sexuel avec son mari, de peur, dit-elle, de perdre son intégrité. Ceci s'étend à tout refus de contact et, bien sûr, les liens se distendent entre eux. Ils viennent me voir à ce moment-là.

Dès le départ, le cadre que je leur propose semble un lieu de rencontre pour eux, parce que Monsieur P. est absent pendant cinq jours durant de la semaine - il travaille à Paris -et, à son arrivée, vient directement chez moi où il retrouve sa femme. Je me centrerai ici uniquement sur la problématique de Madame P., chez qui un interdit du toucher se découvre assez vite. Elle n'embrasse jamais sa sœur, ni son père et pres-que jamais ses deux filles. Elle redoute le contact de peau à . peau avec elles; elle s'est même rendu compte qu'elle chan-geait, soignait la plus petite sans lui parler, et elle dit, bien sûr, qu'elle fait tout cela par devoir et sans plaisir. De même que sa mère ne jouait jamais avec elle, elle ne joue pas avec ses filles. De plus elle s'occupe de ses deux enfants toujours séparément. Et elle les fait garder par une femme du voisinage qu'elle appelle leur nourrice ou Maman deux, se réservant uniquement le rôle éducatif. Elle dit à son propos qu'elle est obligée de construire un tonneau autour d'elle à l'intérieur duquel elle peut bouger.

Concernant le transfert, dès le troisième entretien, elle change de fauteuil avec son mari pour s'éloigner de moi et ne bougera plus de cette position jusqu'à l'entretien récent que je relaterai plus tard. Je résume énormément: des éléments de son histoire et de sa généalogie renvoient d'une part à une série de morts et d'autre part à des détails évoquant l'immo -bilité. Madame P. est l'aînée d'une fratrie de trois enfants; mais quand elle avait trois ans, un petit frère est mort à trois mois et l'année suivante une petite sœur à trois mois aussi, de microbes inconnus, dit-elle, ou "du mauvais œil", dit sa mère. Aux deux enfants qui sont nés ensuite, on a donné les prénoms des deux enfants morts. Elle est donc la seule à ne pas avoir de double de ce genre, du moins apparemment. Car une semaine après la mort du deuxième enfant, c'est au tour de la grand-mère paternelle, infirme, à disparaître, grand-

mère dont elle porte le prénom en second. Je dois signaler aussi, qu'à partir de trois ans, donc à partir de ces morts, elle refuse de manger avec sa mère jusqu'à la naissance de l'enfant qui, lui, reste vivant. Elle dit de sa mère que c'est comme si elle n'existait pas pour elle; elle n'a jamais pensé à elle comme à quelqu'un qui se tient debout.

Du côté immobilité, Madame P. fait le parallèle entre la présence de sa grand-mère infirme au foyer, dont son père s'occupait beaucoup, la portant dans ses bras, cette mère qui allait mourir, dit-elle, et elle qui naissait et qu'on portait aussi dans les bras. Madame P. évoque aussi son père, opéré à cinq ans de la hanche et immo bilisé durant trois ans à l'hôpital dans un corset de plâtre. Du côté de sa mère, un culte parti-culier est porté à Saint-Joseph dont une grande statue en bois circule dans la famille. Elle-même est née le jour de la Saint-Joseph et a un prénom qu'elle trouve lourd à porter, Josépha. Enfin, Madame P. est fascinée par l'histoire de Don Juan, la statue du Commandeur évoquant pour elle la rencontre de la Mort. Voilà donc tous les éléments statiques que je relate très rapidement bien sûr, ne retenant que les plus significatifs, mais il faudra tout de même que j'ajoute des éléments dyna-miques du processus, avec ce changement pour elle dans le temps au cours de la thérapie. Donc, au début elle parlait de tonneau qu'elle aurait dû construire autour d'elle. Puis elle me dit n'être qu'un instrument de verre, une sorte longue vue, qu'on met à un œil, qu'on adapte à l'objectif et les choses de son passé s'inscriraient seules derrière elle; ou bien elle se voit comme une souris que des personnes viendraient dissé-quer. Elle parle ensuite de l'écran de vitre derrière lequel elle regarde les autres. Enfin, dernièrement, elle dit être dans la vie comme accoudée à une fenêtre.

Dans le transfert, mon image évolue également. Au début, elle me voit comme une machine; elle me soupçonne même d'enregistrer toutes ses paroles au magnétophone. Certains jours, elle s'étonne de mon agilité à monter l'escalier car elle imagine que je suis lente; elle me voit pâle comme une statue. A mon propos, elle évoque plus tard le tableau de la Joconde; et dernièrement, il y a quinze jours, elle admire un bouquet de fleurs dans mon bureau qu'elle trouve très belles, mais qu'elle voit tout de suite comme artificielles et elle m'inclut moi-même dans ce tableau. Entre deux entre-tiens, quand elle pense à moi, elle voit uniquement mon nom. Je lui dis: "Une sorte d'épitaphe." Elle est toute étonnée quand je parle d'amour entre sa mère et elle, car cela équi-vaut pour elle seulement à une excitation sexuelle et elle évoque l'homosexualité. Toucher / se laisser toucher la placerait dans une situation de danger impossible; elle s'est donc statufiée, d'une part pour correspondre à la statue du commandeur, d'autre part, pour ne plus pouvoir être touchée

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parce qu'en corrolaire, si elle l'était, elle subirait le même châtiment que celui de Don Juan. D'ailleurs, quand elle me parle de ce mythe, elle trouve que Don Juan a eu tout à fait le châtiment qu'il méritait.

Elle a réussi aussi à immobiliser son mari; et malgré les progrès dans leur communication, pendant longtemps, rien ne bouge vraiment. Progrès qui se traduisent par une évolution des métaphores, c'est-à-dire qu'au début il parle de "mur, de rideau de fer" puis d'une feuille de papier qui le séparerait d'elle mais qu'il n'ose pas percer, ou de l'échelle de corde qu'il n'ose pas emprunter pour aller la chercher à sa fenêtre, ou de l'outil qu'il réclame, mais qu'il n'a pas, pour pouvoir couper les taillis autour de sa Belle au Bois Dormant. Donc, rien ne bouge vraiment. Moi-même, dans le contre-transfert, je me suis sentie paralysée pendant quelque temps, comme rendue impuissante et immobile, et un peu angoissée. Jusqu'à la prise de conscience d'un fantasme, un jour où, après les avoir quittés j'ai dit: "Oh! Ils ont eu ma peau, ce soir!" ; fantasme, d'être dépiautée et ma dépouille partagée entre eux. Ceci m'a permis de me dégager de cette place où ils me mettaient, sorte de peau commune, de vitre peut-être, qui les séparerait et les unifierait à la fois.

Il y a trois semaines, j'ai été amenée à faire quelque chose qui peut être vu soit comme un passage à l'acte, soit comme une innovation technique; je demanderai à Monsieur Anzieu ce qu'il en pense. C'était leur seizième anniversaire de mariage; Monsieur P. dit qu'il a pensé emmener sa femme au restaurant et il était prêt à demander à la nourrice de garder les enfants durant la nuit. Mais il n'a pas osé de peur d'une réaction violente de sa femme. J'interroge celle-ci; elle a eu cette même idée, mais elle était sûre que son mari avait oublié et elle s'est donc persuadée qu'il ne s'agissait pas d'un véritable désir. Je dis alors à Monsieur P. qu'il peut se servir de mon téléphone là, sur le bureau, s'il le désire, pour avertir la gardienne. Ce qu'il fait, très troublé, s'y reprenant à trois fois pour arriver au bon numéro que sa femme lui dicte. Et pour la première fois depuis fort longtemps, ils ont donc passé la soirée ensemble, eu du plaisir, en couple.

A l'entretien suivant, Madame P. change de place et se rapproche de moi; elle reprend la place qu'elle avait donc eue initialement et ils me disent avoir décidé de révéler le secret de leur naissance à leurs enfants. C'était un thème abordé par eux il y a un an, mais abandonné par la suite car ils ne se sentaient pas prêts. Ma question porte donc sur cette position active que j'ai eue, qui a été de donner une partie du cadre, le téléphone, et leur permettre de s'en servir, au lieu de garder la position classique du psychothérapeute, d'analyser sans tou-cher au cadre. N'y a-t-il pas un risque dans cet agir?

Didier ANZIEU: Je ne vais pas jouer tes Sur-Moi et vous décerner une note en bien ou en mal. 'Hgus sommes ici pour échanger nos expériences et nos réflexions et tes étaBorer ensemble. 'Vous mettez donc votre téléphone à la disposition du pire pour qu'il puisse réaliser un désir, qu'il n'osait pas réaliser de crainte que sa femme ne le partage pas, la femme l’attendant mais ne pensant pas que son mari puisse avoir ce désir. Vous avez fait ce que 'Diogine dans l'antiquité faisait: on lui démontre longuement que le mouvement n'existait pas; THogene ne répond rien, se lève et marche. On vous disait que la commu-nication n'était pas possible; on vous Ca dit sur tous les tons, sur toutes les formes, et vous tendez le téléphone. C'est une interprétation que vous avez donnée là, une. interprétation qui semble avoir été bien entendue comme telle, avec le dévelop-pement ultérieur, ne serait-ce que celui portant sur la possible mise en circulation du secret. (Par tout le travail antérieur, vous les avez mis en état; vous avez rempli le rôle de la peau commune qui permet de faire passer les sensations et les informations de part et d'autre des deux, corps qui sont de chaque côté de la peau commune, vous avez rempli ce rôle de peau commune. "Et puis, en recourant au téléphone, vous avez montré qu'ils peuvent maintenant communiquer directement, la ligne est branchée, ils peuvent communiquer directement entre eux zn pouvant se passer de cette peau commune. C'est comme cela que j'entends la séquence des choses; évidemment, il est toujours délicat dans une cure de toucher le corps, de toucher les objets matériels, dagir, c'est toujours délicat de le faire, parce qu'on risque d'être entraîné dans un système qui va basculer dans les relations corporelles et dans l’agir. Mais d'autre part, si Ion reste indéfiniment sur un plan verbal qui tourne en rond, si ton ne fait pas comme 'Diogène, qu'on n'introduise pas une rupture, cela risque de se répéter indéfiniment. Je crois qu'il y a des moments où il faut introduire la rupture, il faut arracher la peau commune; ce n'est pas seulement une question de le dire; il faut le faire, et le faire dans une action dont on est conscient, dont on contrôle les effets. "En ce sens-là, je crois que c'est quelque chose devant quoi on se trouve confronté un jour ou l'autre dans certaines cures.

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A propos de l'enveloppe sonore

par Madeleine du LAC

e dirai mes réflexions. Plusieurs points sont apparus, convergeant vers l'enveloppe sonore. En premier lieu, le passage d'un état à un autre, de la communication tactile à la communication linguistique avec deux corrolaires:

- interdit de toucher: castration. - accès au langage, au symbolique: sublimation

Deuxième point, l'investissement du langage par l'in-fans, l'investissement de la parole pendant la cure et l'inter-prétation, ceci dans la question du rapport du "Je" et du "Moi".

Troisième point, qu'en est-il du délire en héritage, c'est-à-dire qu'en est-il lorsque l'enfant est pris dans le délire du parent, soit du père, soit de la mère? Ceci soulevant pour moi, en dernier lieu le problème de la mémoire, de la trace, ouvrant sur le problème neurologique et anatomique depuis la vie fœtale jusqu'à la venue au monde, avec l'oreille, avec la bouche, avec cette cavité sous la voûte crânienne, où se croisent dans notre corps la nourriture et l'air, là où s'entre-croisent la chair et la parole.

Je soumets à votre attention le cas de Monsieur X, 67 ans, un malade hospitalisé à partir d'avril 85 pour bronchite à répétitions, accès de tachycardie, une perte de poids depuis plusieurs mois, un mauvais état général. Dans les antécédents:

- un début de cirrhose, un ulcère gastro-duodénal opéré en 70 ayant entraîné une gastrectomie, - un épithelioma des cordes vocales ayant entraîné une cordectomie en 1970, - usage d'alcool et de tabac mais pas de façon immodérée. Cette hospitalisation dure un mois.

Monsieur X est à nouveau hospitalisé, fin mars 86, un an après. Entre-temps sa fille a divorcé en juillet 85. En mars 86, Monsieur X présente un problème de sur-infection bronchique, avec des épisodes de tachycardie: malade très faible qui ne sort plus de chez lui et se plaint d'une scia-talgie du côté droit. On notera, au cours de cette hospitalisation, une lente dégra-dation de l'état général avec apparition de fausses routes ali-mentaires. Le médecin sera amené à placer une sonde œsophagienne pour l'alimenter. Malgré cela, la dégradation de l'état général se poursuit. Or, l'examen O.R.L. montre un larynx sain: un hémi-larynx est fixé du côté gauche. Séquelle de l'interven-tion de 70 ou apparition d'une paralysie d'un hémi-larynx? Neurologiquement, rien ne paraît motiver cette paralysie. Au bout de quelques mois, on essaie d'enlever la sonde œsopha-gienne: l'état général du malade se dégrade beaucoup plus

vite, avec apparition d'un abcès pulmonaire. C'est alors qu'afin de sauver la vie de ce malade, est prise la décision de séparer les voies digestives et aériennes en pratiquant une exclusion laryngée, le 28 juillet 86. Compte-tenu de l 'état général de ce malade, il est décidé de faire l'intervention la plus minime soit-elle: on ferme le barillet laryngée par deux lambeaux sus-glottiques qui se croisent.

Mais ce malade est complètement en retrait. Il m'est demandé, le premier octobre 86, de le voir pour "l'ama-douer". Tels sont les mots du chirurgien chef-de-service. Accepte-t-il de me rencontrer? J'invite un des chirurgiens O.R.L. avec lequel le malade paraît très en confiance à poser la question. Monsieur X accepte. Je lui fais, le soir-même, une visite de courtoisie et lui indique le rythme de nos ren-contres à venir: une à quinze heures; deux en fin de journée, à vingt heures, chaque semaine, à un jour, deux jours d'intervalle.

Dans les jours qui suivent, on note une nette amélio-ration de l'état général. Il persiste une minime fistule. Il faut réintervenir le 16 octobre, intervention qui conduit à une laryngectomie totale. Celle-ci est pratiquée sur un malade en meilleur état. Huit jours après l'intervention, la sonorisation était acquise; l'alimentation par voie orale a repris au quinzième jour. Le malade sort du service au dix-huitième jour après l'inter-vention.

Mon accompagnement s 'est déroulé du 4 au 31 octobre inclus. Son jour de sortie avait été fixé le 1er jour de novem-bre. Nous nous sommes dit "au revoir " le 31 octobre.

Voici les moments thérapeutiques de ce travail qui a duré douze séances.

1° Ce qui m'avait frappée:

- le dilemme nez/bouche, respirer ou manger, ne pas parler-parler. - le bruit dont Monsieur X s'entourait, la télévision était toujours en marche. Il demanda de l'éteindre ou l'étei- gnit lui-même, à la moitié de nos rencontres. Elle était là le dernier jour et ses yeux le plus souvent fixés sur l'écran - effets sonores- - le sourire d'accueil, réaction de prestance - le code du regard, coup d'œil furtif et oreille parasitée - l'attitude: allongé sur son lit le plus souvent. C'est la position qu'il prenait. Par contre, dès la deuxième se maine, il faisait de grandes promenades dans le jardin et les couloirs de l'hôpital. Une fois, il m'a reçue assis, puis s'est allongé, la troisième semaine. Les derniers jours, il jouait aux cartes, prenait les repas assis à sa

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table, recevait et rendait les visites.

2° Ce dont je me suis servie:

- des mots simplement - ne jamais toucher - - de la distance - jamais à moins de cinquante centi mètres de son lit. - d'une hypothèse temporelle: sa régression me renvo yait à l'infans de zéro à deux ans.

Le nourrisson a un larynx localisé haut dans le cou. Il peut respirer et avaler le lait maternel en même temps, le trajet du lait et le trajet de la respiration ne se croisent pas. Ensuite, la descente du larynx va considérablement modifier la manière dont l'enfant respire, avale et émet des sons. Autour de deux ans, commence la descente du larynx. Comment? Mystère. Après cette descente, l'homme ne peut plus boire et respirer en même temps. Dans le cas de position basse du larynx, l'épiglotte ne peut pas atteindre le voile du palais et ne peut donc pas s'engager dans la cavité nasale pour séparer les voies de la déglutition des voies de la respiration. Passées les premières années de l'existence, les voies digestives et respiratoires se croisent au-dessus du larynx et ce croisement peut avoir des conséquences malheureuses. Le bol alimen-taire peut se loger à l'entrée du larynx, bloquant la circulation d'air. Il a un côté positif: une chambre pharyngale très déve-loppée. Les sons émis par le larynx peuvent être modifiés bien plus que chez le nouveau-né. De là notre capacité à produire toute la richesse sonore du langage articulé.

3° Les étapes thérapeutiques : - Je vous lis ce dont je lui ai parlé -

- les épreuves - le corps souffrant - se retrouver -respirer "de la bouche à l'anus", se centrer, et cela a occasionné un mieux être. - à forces égales, instinct de vie-instinct de mort, - mourir veut dire qu'on a vécu; j'ai noté, en conséquence, sa dépression, l'émoi des infirmières. - agripper - s'agripper à la vie "dur comme un fil de fer", "mou comme une poupée de son" tension et repos. Sur mes notes je lis "dans son corps, peu à peu". - les événements traumatiques - les temps forts de son historicité: prisonnier, quitter son pays, c'était l'Algérie en 57; son métier difficile, son acclimatation difficile en France. - habiter son corps - du "je" au "je-corps" - - histoire des deux tuyaux. Quand bébé, il a voulu vivre, décidé de respirer et manger et le clapet s'est mis à fonctionner - nourrir/ respirer, parler - les fausses routes jusqu'à la paralysie du larynx au point de risquer sa vie; maintenant, comme s'il avait un cordon ombilical, un tuyau nourricier.

- la bouche, pour parler, pour manger - découper les mots en syllabes, mâcher, articuler - maintenant, il parle mais il n'est pas sonore. Mettre dedans, avaler. Mourir ou s'arrêter de respirer, de parler: ou s'arrêter de raison ner comme la maison inhabitée ne bruit pas. Le silence et l'immobilité. - la méfiance et l'incorporation: son épouse me demandait de partager les goûters à la séance de quinze heures. Suis -je parente avec la Géné-rale du Lac qu'il connaissait bien? Je ne la connais pas. - J"explique l'intervention quand la fistule se produit. D'autres cas, dont celui d'un enfant de quatre ans qui a subi dix-huit interventions. - Je note: souci de sa toilette - ses projets -

- syllabes et petits mots; j'ai apporté des liste de mots simples, le faire du langage, le faire des mains: je sug gère les puzzles et les maquettes à son épouse. - Dans mes notes, je lis: "Le 24 octobre, ce soir, venue tard après vingt heures, "il attendait votre visite" m'a dit l'infirmière ; 27 octobre, la sonde est enlevée, tout passe bien! (la nourriture, j'entends). 29 octobre -j'apprends sa sortie prochaine - la sonorité syllabique est récupérée - énergie - occupations. Il sort beaucoup, rencontre les autres". Mots, syllabes, c'était l'accès au symbolique. Corps réel, corps imaginaire, corps symbolique pour faire un corps vivant Pour moi, le début de son parcours régressif commence en 70. Je demande quand il a perdu sa mère; "II y a vingt ans", me dit-il. Son père? "Plus avant".

30 octobre, j'apporte un livre de l'école d'orthophonie sur la rééducation de laryngectomisé. Il pourra poursui vre seul ses exercices; il me rendra le livre quand il aura fini. Il en achètera un, me dit-il. Quand j'ai quitté sa chambre, une sensation d'évidement: je vois là, dans l'empathie cœnesthésique le degré de régression dans le quel j'avais œuvré.

Monsieur X est venu, il y a quinze jours, en visite de contrôle. Tout va bien. Il a rendu le livre à la secrétaire. Il était arrivé bien avant l'heure de son rendez-vous. Or, ce jour-là, je commençais un peu plus tard la consultation, parallèle à la consultation O.R.L. J'avais un mot de sa part.

La question que je pose: enveloppe cœnesthésique, enveloppe tactile, enveloppe sonore, en réparation de quelles traces? Compromis identificatoire en réparation de quel compromis identificatoire? Ceci par l'investissement de paroles jusqu'à se sentir corps vivant. Est-ce que le "je-psyché" doit investir le "je-soma" pour que le Moi-peau soit là?

Au terme de ce travail, je remercie l'équipe O.R.L. qui m'a permis cette réflexion, ainsi que vous, Monsieur Anzieu, qui en avez soutenu l'étayage.

Didier ANZIEU: Je suis incertain lorsque vous dites: "se retrouver, respirer, se centrer, s'agripper à ta vie"; ce sont des pensées que vous avez eues; ce sont des paroles que vous avez prononcées avec lui?

Madeleine du LAC: Oui, Bien sûr; j'ai dit fidèlement tous les mots dont je m'étais servie; c'est une cure qui a été faite, dans l'étonnement, aussi Bien l'étonnement de l'équipe soignante, que le mien. Ce qui ni a fait Beaucoup réfléchir: la preuve.

Didier ANZIEU: C'était engagé comme, une thérapie ou comme une relaxation?

Madeleine du LAC: Ce n'était pas du tout engagé comme une thérapie; on me demandait d 'amadouer' ce malade. C'est-à-dire, l'amadou, c'est un onguent en provençal; "amadou", ça veut dire aussi être aimé; 'amadou, ça veut dire ce qui Brûle Bien; amadouer. "Et je me suis servie de ce que j'avais, c'est-à-dire les mots; et ces mots Bien entendu traduisant mes pensées, mais au

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Moi-peau et Individu

vif du malade, à la vue de son corps, des tressaillements de sa peau, la couleur de sa peau, de son corps.

Didier ANZIEU: Quefle a été (a part de suggestion et quelle a été la part de verbalisation de l’empathie sensorielle avec lui?

Madeleine du LAC: 'Vous voulez dire: est-ce que ce malade a été hynoptisé par mes paroles? 9{gn, en aucun moment; il a mis un certain temps. Vous savez, quand on demande à quelqu'un de respirer avant qu'Une ferme les yeux, il y a un temps. Là, c'est quand il a senti, je crois, la respiration dans son corps comme une chose nouvelle, c'est le sentiment qu'il m'a donné, de décou-vrir.

Didier ANZIEU: Oui, j'évoquais la suggestion, parce que dans la relaxation, on est amené à induire des états sensoriels et cœ-nesthésiques chez le patient ; certaines séquences que vous avez prononcées - il y en avait trop pour que je puisse les noter au fur et à mesure - me faisaient penser à des inductions, comme disent les relaxateurs, mais sans qu'il y ait de toucher comme vous l'avez prévu, et peut-être en vous adressant à des fonctions du corps beaucoup plus vastes et beaucoup plus librement que ne le font les relaxateurs.

Madeleine du LAC: Je n'ai jamais donné un ordre; je n'ai jamais dit: 'Vous allez respirer'; j'ai dit tout simplement: 'La respiration; respirer de la bouche à Canus.' C'est-à-dire qu'il pouvait en faire ce qu'il en voulait. J'ai veillé à ne jamais donner un ordre.

Didier ANZIEU: C'est pour ça que ça a marché.

Madeleine du LAC: Sûrement.

Didier ANZIEU: Alors, le problème de départ, c'est celui de la confusion du conduit respiratoire et du conduit digestif, qui a été résolu par une opération chirurgicale, en même temps que par une remise en place psychique. Cette confusion, Un est pas néces-saire d'attendre 67 ans et des troubles physiologiques pour la trouver. J'ai publié l’observation d'un patient qui avait une into-xication tabagique, et chez qui subsistait cette image du corps inconscient qui correspond à la réalité du bébé comme vous le rappelez, qui est la confusion, l’incertitude sur la distinction de ces deux conduits. Jumer en avalant la fumée, ce qui est le propre du grand fumeur, du vrai fumeur, était l’équivalent pour lui d'absorber de la nourriture, quelque chose de chaud, comme un lait chaud qui passait. £t cette confusion se trouvait assorti d'un Moi-peau bi-dimensionnel et non pas tri-dimensionnel, d'un Moi-peau aplati et non pas volumineux, l’aplatissement ayant pour conséquence la confusion des deux, tuyaux, Ç& me

semblait aller de pair. Je ne sais pas si chez votre malade, vous avez observé une configuration analogue.

Madeleine du LAC: 'Mgn, U ne me semble pas. Il était très maigre, mais... un Çiacometti, (en situation vécue. Qeste des mains en position verticale).

Didier ANZIEU: Ça, c'est la réalité.

Madeleine du LAC: Vous voulez dire la confusion des deux, voies?

Didier ANZIEU: Oui, la confusion des deux, voies comme liée à une perte de la représentation du corps propre comme un volu-me, une sphère ou cube, mais comme quelque chose d'aplati, d'écrasé.

Madeleine du LAC: Je crois que je ne suis pas allée assez loin dans l’observation de mon malade. Ce qui me vient à l'idée, c'est: qu'est-ce qu'Ua en été de son tuyau nourricier? Qu'est-ce qu'Uen a été des premiers mois de sa vie? C'est ce que j'ai essayé de sug-gérer avec cette empathie cœnesthésique et ce sentiment d'évi-dément dans lequel je me suis trouvée. C'est la deuxième fois que cela m'arrive avec des patients et cette nourriture par sonde; on observe une régression qui va au-delà des premiers mois.

Didier ANZIEU: C'est le retour à la vie fœtale.

Madeleine du LAC: Oui, le retour à la vie fœtale. T,t ça m'a ramenée à une réflexion sur ces bébés qui ne veulent pas téter ou qui ne savent pas téter. "Et ensuite ces bébés que l’on voit pendant les premiers jours, Us sont là; on ne sait pas ce qu'Us vont choisir de faire. Voilà; U m'est arrivé d'avoir des petits enfants comme ça.

Didier ANZIEU: Là, vous ne leur parlez pas.

Madeleine du LAC: A l’époque, quand je m'occupais de ces petits bébés-là; je ne pensais pas qu'on pouvait leur parler; alors peut-être... je leur disais dedans.

Marcel THAON: Je vais moi-même rêver à partir de l’exposé de Madeleine (Du Lac pour dire qu'U commence à nous parler de maladie psychosomatique, de (a place du corps dans l'appareU psychique et des techniques particulières qui lui sont appariées. 'Didier !Anzieu a évoqué à ce propos la relaxation. 9{ous avons parmi nous une personne qui est thérapeute en relaxation psycha-nalytique et qui va nous parler de la maladie psychosomatique et de l’interdit du toucher.

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A propos de l'interdit du

toucher

par Evelyne ESTIENNE

‘ai apprécié le livre de Didier Anzieu dans la mesure où il est un ouvrage psychanalytique qui me permet de confronter

et de concilier deux démarches que je ne parviens pas toujours à articuler: d'une part, un travail corporel avec pour base la relaxation; d'autre part, l'expérience d'une démarche analytique classique. Dans mon travail de thérapeute en relaxation analytique qui a évolué au fil des années, j'étais, je suis toujours, en quête d'éléments qui me permettent d'articuler l 'expérience vécue en pratiquant la relaxation avec les apports de la psychanalyse, notamment sur ce qui peut se passer dans la relaxation du tout petit enfant avec sa mère.

Si l'on considère les deux mots suivants: d'une part, le mot "tact", dans l'expression "avoir du tact", et le mot "sens", ces deux mots, dans la multiplicité de leurs sens, évoquent bien le passage du sensible à la pensée, et surtout comment le sensible est le fondement même de la pensée; ou comment la pensée s'origine dans le sensible. Avoir du tact, c'est à la fois savoir écouter, sentir l'autre, être perspicace vis -à-vis de ses pensées, pénétrer jusqu'à son esprit Le sens, c'est à la fois les facultés sensorielles, mais aussi les sentiments et les juge-ments, la direction et finalement la raison et la conscience; on dit: "C'est plein de sens".

L'expérience de la relaxation qui consiste à penser le sensible peut-elle s'appréhender à partir de la métaphore du Moi-peau? Peut-elle, comme le rêve, participer à l'élabora-tion et la restauration du Moi-peau par reconstitution des différentes enveloppes sensorielles? Peut-elle être aussi un moyen d'investigation pour mieux appréhender les diffé-rentes étapes et leurs emboîtements qui permettent de passer d'un fonctionnement du Moi-peau à un fonctionnement du Moi: Moi corporel et Moi psychique différencié. Permet-elle aussi de mieux saisir la nature de l'articulation entre le Moi psychique et le Moi corporel, et notamment dans les symp -tômes dits psycho-somatiques?

"Tout comme un conf l i t psychique inconscient se déploie non seulement par rapport à un axe œdipien, mais en même temps par rapport à un axe narcissique" - je cite un passage du livre de Didier Anzieu -, l'interdit du toucher est structurant et ne permet le passage du sensible au psychique que si celui-ci est présent au moment du Moi-peau sous la forme de ce que j'ai envie d'appeler le toucher symbolique qui permet un corps à corps avec la mère moins terrifiant, et pour l'enfant et pour la mère, qui correspond à ce qu'on appelle la capacité de rêverie de la mère et qui me semble être l'essence même de l'expérience de la relaxation et de ce qui se vit entre le relaxant et le relaxé.

Lorsqu'un enfant s'exprime à travers un symptôme corporel, tel que l'eczéma, ce qu'il dit n'est pas qu'il souhaite être plus ou moins touché, mais touché autrement. C'est ce toucher autre ou toucher symbolique qui porte en puissance les germes, les prémisses de l'interdit du toucher et qui va permettre de grandir.

Didier ANZIEU: On attendait un cas; c'est pourquoi votre conclusion intéressante nous prend de cours. La distinction ¦ car rendons à César ce qui appartient à César ¦ de l’axe œdipien et de l'axe narcissique, je l’'emprunte à 'Bêla Qrunberger et à son excel-lent livre sur Le narcissisme. Je suis d'accord avec vous sur la possiBiCité, notamment grâce à la relaxation analytique, dard-ver à penser le sensible. Mais le toucher symbolique, comment le définissez-vous? Q}ie voulez-vous dire exactement par 'toucher symbolique?

Evelyne ESTIENNE: Qu'est-ce que j'entends par 'toucher sym-bolique'? Tour vous répondre, je reprends un de mes fiù associatifs à partir de votre livre. J'ai réagi au fait que dans le début du livre, vous insistez sur l’importance de toucher l'enfant, du moment de l'attachement et qu'ensuite vient l'inter-dit du toucher chronologiquement bien après et comme une rupture. Il me semble qu'au travers de la pratique de la relaxa-tion, ce qui se vit est le désir dune mise en contact de deux corps, de deux psychés dans une tranquillité, dans un corps à corps non-conflictualisé où on va faire 'peau commune', mais une peau commune qui va accepter de se partager, de commu-niquer. Ce qui peut se passer entre la mère et l'enfant risque d'être dune tout autre nature, liée à Carchaïsme et au pulsionnel de la relation: relation qui met alors en danger l’enfant comme la mère. C'est à ce moment-là qu'il est important que l'interdit du toucher soit potentiellement là et ne surgisse pas soudainement beaucoup plus tard. L'interdit est à vivre même lorsque la mère touche lenfant. Je peux, aussi donner le nom à ce toucher de 'toucher subtiC. J'entends par 'toucher' tout ce qui est cette enveloppe sensorielle autour de l’enfant: la voix, de la mère, le contact, la manière de le porter. "Et que c'est là que ça commence.

Didier ANZIEU: Le problème qui se pose alors si vous rendez plus précoce l’interdit du toucher, que je signale déjà comme

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J

Moi-peau et Individu

assez précoce d'ailleurs, on rejoindrait là une. vue. psychana-lytique plus classique., pCus traditionnelle, qui montrerait comme première forme de l’'interdit de dnceste, l’interdit de manger, de mordre le sein maternel, Cinterdit cannibalique, qui est co-extensif de l’expérience de Callaitement et de la tétée, tout ce qui est structurant à partir de là. Si vous élargissez le sens du tact avec un corps à corps, avec un enveloppement sensoriel, l'interdit du toucher est quand même spécifique d'abord de l’accole-mnt et ensuite, du toucher manuel; et cet interdit du toucher n'est pas un interdit général ¦ l’interdit œdipien interdit l’inceste mais n'interdit pas les relations sexuelles avec des personnes qui ne sont pas parentes, au contraire, c'est pour les rendre possibles que l’interdit a lieu, donc l’accotement n'est pas interdit du tout, sinon on ne voit pas comment on pourrait faire la mêlée au rugby par exemple, comment les relations amoureuses pourrait s'accomplir et déboucher sur la reproduction de l’espèce, le cas échéant, s'il n'y avait pas cette accolade. Mais l’interdit du toucher est sélectif; en dehors de certaines circonstances, utiles socialement ou recommandées moralement, c'est interdit. Or, for-mulé ainsi, je pense que cela ne peut survenir qu'au moment de l'apprentissage conjoint de la marche et delà parole et de toute la restructuration de la psyché qui s'effectue à ce moment-là; cela ne peut être valable que s'il y a eu des satisfactions tactiles très importantes auparavant; mais cet interdit s'avère struc-turant le moment venu, que je ne situe pas dans une chronologie absolument ferme, qui peut être variable suivant les milieux/ les individus, mais qui me semble rendre possible et nécessaire le pas-sage à un autre type de relation avec la médiation de la parole et tous les systèmes sémiotiques. Tar toucher symbolique, je pensais que vous vouliez dire que les mots ou les inductions pouvaient se substituer au toucher et vous ne nous avez pas précisé si, dans votre technique de relaxation analytique, vous touchez réelle-ment le patient, sa main par exemple, dautres partie du corps et lesquelles, si vous ne le faites pas?

Evelyne ESTIENNE: Ce n'est pas systématique. 3e fais une différence entre 'toucher symbolique' et "interdit du toucher'. "En effet, en relaxation, en lien avec un bain de paroles apaisant, il arrive qu'effectivement je touche le patient, le plus souvent dans un souci de lui permettre de délimiter son corps.

Didier ANZIEU: Cela me semble personnellement fondamental en effet; les limites ne peuvent guère être acquises, si elles sont perturbées, que dans une expérience tactile concrète.

Christian GUERJN: 'Votre idée de 'touchersubtiT ¦ c'est le mot 'subtiC qui m'y fait penser ¦ me renvoie à la relation amoureuse et à quelque chose qui pourrait être de l’ordre du paradoxe dans la manière dont les amants se touchent où là, effectivement, il y a un contact direct et en même temps, peut-être ce qui fait la qualité de la relation à ce moment-là, c'est que le toucher de l'autre se fait dans un respect de l’autre. C'est pour cela que je parle d'un toucher paradoxal qui est à (a fois entre l’interdit et la transgression de l’interdit dans le respect mutuel du couple.

Georges ROQUEFORT: "Est-ce qu'il vous serait possible de dire quelques mots sur l’interdit du toucher dans les institutions que l’enfant rencontre immédiatement après la famille, en particulier l’interdit du toucher à l’école?

Didier ANZIEU: Je pense que c'est déjà dans la famille que les interdictions du toucher sont proférées et constituent donc la base d'autres interdictions de toucher qui vont pouvoir être reprises par les institutions comme conditions de la vie institu-tionnelle. Mais je n'ai pas spécialement étudié le développement de l’interdit du toucher et sa reprise dans les institutions, dans les organisations sociales. Je ne sais pas si vous-même, votre expérience vous conduit à des observations particulières?

Georges ROQUEFORT: C'est dans la mesure où à l’école actuellement, tout toucher relève soit de la violence physique et est réprimée comme violence exercée par le maître sur l'élève, soit de la séduction sexuelle qui va jusqu'aux, tribunaux.-

Didier ANZIEU: Oui, et c'est toujours ta violence d'ailleurs, la violence agressive ou la violence sexuelle, ce qui fait violence à l'autre. C'est pourquoi je disais que l’interdit du toucher ne diffé-rencie pas ta sexualité de l’agressivité, alors que l’interdit œdipien les différencie. L'interdit du toucher reste mono-pulsion-nel, c'est ta violence comme telle, la violence ¦pulsionnelle, quelle que soit ta nature de la pulsion, qui se trouve interdite. Je pense que l’interdit du toucher est une base préalable à l’interdit œdipien, car il faut d'abord que la violence pulsionnelle, la vio-lence en tant que telle soit contenue et limitée, pour qu'ensuite cette violence pulsionnelle soit différenciée en pulsions distinctes.

Evelyne ESTIENNE: Ce qui me semble important, c'est que, dans le toucher, le fantasme sousjacent est toujours là; cela peut être la violence comme cela peut être aussi ta rencontre de l’'autre. (Donc, toucher et interdit de toucher, ce qui est impor-tant, c'est aussù quel est te fantasme sous-jacent?Et quandje partais de 'toucher symbolique", c'était dans ta manière qu'a ta mère de toucher son enfant, que lui exprime-t-etle à travers ce toucher? "Par exemple par rapport au fantasme de la peau com-mune, 'je la prends toute pour moi ou je te ta laisse", qu'est-ce qui, par ce toucher, est véhiculé?

Marcel THAON: II y a très certainement une part identifi-cataire très précoce dans l’interdit du toucher, au sens où te premier interdit du toucher que l ’on profère à l’enfant, c'est de lui interdire de toucher à tout ce qui pourrait être dangereux pour lui; quelque chose qui le renvoie, à ce moment-là, pas encore auxparents mais à des objets de l’environnement. A ce moment-là, se développe, il me semble, une sorte de fonctionnement précoce de l’identification - on pourrait dire aussi fonctionnement précoce du Sur-Moi ¦ dans lequel l’enfant va se couper en deux-Je me souviens du comportement de mon propre garçon qui, avant deux onsi avançait ta main vers le four brûlant, désirable et interdit, et de l’autre main, se frappait la première pour s empêcher d'avancer. "Tout se passe donc comme si, à ce moment-là, quelque chose s'organisait dans une sorte de clivage interne où la moitié du corps répondrait à l’autre moitié en une sorte d'organisation très précoce du Sur-Moi. Ce qui, il me semble, renvoie à un autre type de problématique, plus archaïque encore, que celle évoquée par 'D. Rnzieu. 9{pus allons parler maintenant d'une autre manière de toucher au corps, dy toucher radi-calement, puisque nous allons nous intéresser à la chirurgie esthétique, à cette manière de transformer son corps. C'est Madame Martine 'Raulet qui va nous en dire un mot.

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Moi-peau et chirurgie esthétique

par Martine RAULET

partir de deux entretiens très résumés que j'ai eus avec des candidates à l'intervention chirurgicale esthétique,

je vais essayer de formuler deux questions.

Le premier entretien: II s'agit de Sabine, vingt ans; elle a une demande de rhi-

noplastie; elle a pris sa décision d'intervention à l'âge de seize ans; elle a attendu sa majorité pour adresser sa de-mande. Son père et son fiancé sont contre l'intervention. Le malaise de Sabine est d'avoir un "nez arménien", celui de son père, profil qu'elle refuse de voir sur les photos requises pour l'intervention. Sabine est mal dans sa peau; elle escompte, par le biais de l'intervention, changer de caractère: être plus douce, plus détendue, "plus" quelque chose. Sabine a souffert de la mésentente de ses parents. Elle a tout eu sauf l'affection de son père. Il y a eu pour Sabine une identification physique au père mais un rejet de toute sa culture, ses principes, un désir d'intégration à un nouveau milieu qui serait celui de sa mère qui est Française. Elle dira d'ailleurs que sa mère a toujours été plus une sœur qu'une mère pour elle.

Didier ANZIEU: !A-t-elle été opérée?

Martine RAULET: On l'a opérée; c'est un entretien que j'ai eu avec cette personne la veille de l'intervention.

Le deuxième entretien: II s'agit de Simone qui a une demande de rhinoplastie

également. Elle pense que l'intervention au niveau de son nez ne va pas changer son visage; elle ne veut pas changer du tout; elle affirme qu'après l'intervention, rien ne sera changé. Pendant l'enfance et l'adolescence, le visage n'était pas impor-tant pour la mère. Simone est issue d'une famille nombreuse; il y avait beaucoup d'enfants; et selon elle, il y avait un "pa-quet d'enfants sans visage". Simone travaille dans le milieu médical et dira lors de l'entretien: "Dans le milieu médical, les gens sont manipulés; ils sont dans les mains des autres et n'existent plus; de ne plus exister, je le vis très mal; devenir la chose de quelqu'un, ça me rend malade."

Didier ANZIEU: Quelle raison avance-t-elle pour faire cette intervention?

Martine RAULET: Justement. Ma-première question concer-ne Simone. A quelle problématique renvoie la contradiction à l'œuvre dans sa demande "désir de changer sans changer"; et quels risques au niveau de l'organisation psychique encourt Simone, candidate au changement physique?

Ma deuxième question concerne Sabine et d'une façon générale toutes les demandes clairement exprimées de chi-rurgie esthétique pour lesquelles "l'objet implicite" de la demande est bien perçu, et par le chirurgien et par les can-didats:

Peut-on envisager que l'acte chirurgical, modifiant le corps et entraînant une relation différente à celui-ci, puisse avoir un effet positif sur l'organisation du Moi? Sur le modèle du double feed-back dans le système dyadique mère/ enfant, la relation chirurgien/patient soutenue par la réalité des soins corporels et l'attitude maternante de l'ensemble du corps médical participerait-elle à une réorganisation du Moi dans les cas d'interventions satisfaisantes pour les personnes?

Didier ANZIEU: Je ne pense pas que le 9Aoi, qui met tellement de temps à se structurer, puisse être modifié radicalement par une intervention de type chirurgical, par une prothèse ou par toute autre activité de ce genre. Que les modifications du corps, du visage ¦ la chirurgie esthétique ne se limite pas qu'au visage ¦ entraînent une relation au corps un peu différente, ça peut arriver, encore que Cespoir est souvent déçu. "Moi, j'ai eu deu% cas, chez des patientes, d'intervention de chirurgie esthétique: pour l'une, il s agissait de remonter les joues qui étaient un peu pendantes et de resserrer le visage. La série des chirurgiens consultés - une dizaine à peu près - aurait suffi à écrire à soi seul un roman sur la relation (que vous évoquez) de la malade à son futur chirurgien éventuel, de ceux, qui se précipitent sur le client sans s'occuper de sa psychologie ou du sens de sa demande pour s'engager tout de suite dans une promesse opératoire. Le résultat a été que nous avons frôlé la dépersonnalisation et la décompensation, une fois l'opération effectuée; parce que le visage avait suffisamment changé pour qu'elle ne se reconnaisse plus et donc soit au Bord de perdre son identité, et n'avait pas assez changé pour que les défauts antérieurs ¦ parce qu'ils ne tenaient pas à son visage, mais qu'ils tenaient à la projection du mauvais objet qu'eUefaisait sur sa personne et sur elle-même ¦ ne soient pas modifies. La perception du mauvais objet ne sera jamais modifiée par une intervention chirurgicale ou de type chirurgical. Cela a donc compliqué Beaucoup le travail analy-tique; il a fallu un an à peu près pour digérer les effets pervers de cette intervention.

Tour une autre patiente, qui se plaignait d'avoir de gros seins et qui pensait qu'elle n'était pas suffisamment séduisante à

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A

L'Œuvre ouverte

Cegarddes Hommes, en même temps que le désir sexuel s'est affir-mé au cours de la cure, la demande, d'une intervention chirurgi-cale est devenue de plus en plus pressante. J'ai essayé de freiner la chose en pensant qu'il fallait creuser un peu plus la problé-matique de ^inhibition sexuelle; et puis par un tour habituel chez cette patiente, elle est passée, à l'acte; elîe a téléphoné un jour qu'elle venait de passer sur le Billard et qu'elle prenait huit jours de congé et qu'elle reprendrait ses séances un peu plus tard. "Elle a été modérément satisfaite de l'opération qui a réussi sur le plan technique en laissant une cicatrice qui n'a disparu que très progressivement et qui a été l'occasion de bien des angoisses. 'Elle s'est sentie soulagée; elle ressemblait moins à des personnages qui avaient été pesants sur elle pendant son enfance, pesants par toute leur grosse poitrine. Mais quant à ce qui est de son inhi-bition sexuelle et de sa relation au désir, rien n'a été changé par l'opération. 'Elle n'a pas été nocive comme la précédente, mais elîe a été inefficace quant awc processus psychologiques sous-jacents qu'on aurait pu penser liés à cela. Alors, je ne sais pas si c'est ça que vous étiez chargée d'étudier ou quel était le but de ces entretiens préalables que vous faisiez?

Martine RAULET: Ces entretiens entrent dans le cadre d'un travail de Maîtrise qui était "L'analyse, de la demande en chirurgie esthétique'; au cours de ce travail sur la notion de Moi-peau, j'y ai fait référence en posant cette question.

Didier ANZIEV: "Peut-être ramasserez-vous un matériel plus complexe que celui que je viens d'indiquer qui ne suffit pas évi-demment pour poser des conclusions.

Yannick GEOFFROY: Ily a une chose qui me semblait impor-tante, c'était de suivre le destin de cette demande; je dispose d'un certain nombre de travaux, qui ont été faits dans le cadre universitaire là-dessus et ily a une chose qui est certaine, c'est que dans la plupart des cas, et en ce qui concerne les rhino-plastics pour les femmes, toute opération chirurgicale est suizne dune période de dépression. Ily a un processus de deuil à faire qui n'est pas du tout évident et devant lequel chacune de ces patientes, quelque soit son âge, se trouve complètement démunie

avec souvent aucun recours par ailleurs. "Et aussi une chose im-portante, ces rhinoplasties se font très souvent en réaction au père. Je me rappelle en particulier une des patientes qui avait été suivie, dont le père était totalement opposé à la chirurgie esthé-tique, à la rhinoplastie, et qui avait eu lhabitude, dès que la gamine avait eu quatre ou cinq ans, de l'appeler 'mon petit César'. Que devient 'mon petit César' quand il s'agit £elle et quand elle se retrouve un jour avec un nouveau nez?

Anne CLANCIER: Je ne vais pas vous donner un exemple de rhinoplastie mais de non-demande de rhinoplastie. J'ai été ame-née à suivre une très jolie jeune fille de dix-neuf ans: à l'occasion de son 9{çël, ses parents lui ont offert en "cadeau' une rhino-plastie pour qu'elle soit encore plus belle; son père était pressant, et pour plaire à papa, elle a accepté à contre-cœur, sans rencon-trer de psychologue au préalable. Dans la nuit même de l'inter-vention, elle a commencé un délire. Sa mère avait demandé à coucher dans sa chambre et au lieu de dormir elle a dit à sa mère: 'Ah, que je suis contente; ça y est, ça y est, il me pousse un pénis'.''Et le délire a démarré pour des années.

Marcel THAON: Je crois que vous faites Bien d'insister sur les étayages psychotiques de cette question. 'Xanniclç. Çeqffroy parlait de deuil; je pense que Con est plus près, dans ces problématiques, de la mélancolie que du. deuil. "Et donc, tout le matériel qui est amené méfait penser à une personne avec laquelle je travaillais qui était toxicomane, mais aussi en lutte contre la psychose, qui me disait souvent, en même temps qu'elle prenait ses doses massives d'amphétamines, qu'elle n'avait rien à craindre puisque les amphétamines entraient dans son corps mais que-son foie les détruisaient immédiatement avant d'arriver au cerveau. Il pouvait donc faire ce qu'il voulait avec son corps, puisque rien ne se passait dans l'objectivité des faits. 'Votre matériel de cette femme qui disait que son nez serait exactement le même après l'opération m'évoquait ce type d'organisation défensive, à la fois toute-puissante et tout-puissamment fondée sur la négation, parce que peut-être que si elles étaient organisées autre-ment, ce serait quelque chose de l'ordre du délire qui apparaî-trait.

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Moi-peau et pulsions partielles

par Jean CHABERT

Il n'y aura pas de cas mais quelques éléments cliniques cepen-dant. Monsieur Anzieu faisait allusion ce matin à l'antago-nisme que pouvait mettre en place l'invention de nouveaux concepts, ou plutôt de nouvelles métaphores. Plus prosaï-quement, j'ai souvent l'impression d'un double système de référence, à propos en particulier de ces premiers âges de la vie; double système de référence qui fonctionne souvent en parallèle, en superposition, parfois en antagonisme, et dont on a du mal à parler et donc à penser l'articulation. D'abord, un point de vue plus traditionnel autour des notions de stades, de pulsions partielles, attribue à la sexualité un rôle détermi-nant dans la constitution de la personnalité. D'autre part, une approche qui me semble être davantage la vôtre, qui intègre les approches éthologique, interactionnelle et privilégiant par exemple la pulsion d'attachement qui me semble à voir avec le narcissisme. J'ai eu envie, ce matin, de faire une associa-tion à ce propos entre le fantasme d'une peau/enveloppe homogène et ce qu'on pourrait dire du vêtement qui, sûre-ment a à voir avec l'enveloppe, mais aussi a peut-être à voir avec une fascination des orifices à camoufler ou à exhiber.

Ma question pourrait se résumer ainsi: quelle est l'arti-culation et comment dire l'articulation entre l'investissement à dominance narcissique de l'expérience de la peau et l'inves-tissement à dominance libidinale des orifices et quelles est leur fonction respective dans les confusions du Moi psy-chique? Votre ouvrage m'a ouvert à ce propos deux pistes de réflexions: une première piste, quand vous dites que le Moi-peau s'étaye sur ces expériences de la peau comme enve-loppe, mais également lui emprunte ses figurations. Le dessin du bonhomme, plus largement du personnage humain chez l'enfant, son évolution, ses avatars en tant qu'extériorisation graphique des représentations de l'enve-loppe corporelle doit donc nous dire quelque chose de ce Moi psychique et de son évolut ion. Pour prendre quelques exemples - je n'ai pas fait d'étude approfondie - le bonhomme têtard qui semble être une des premières expressions du personnage humain, bien qu'auparavant il y ait une masse beaucoup plus informe, m'évoque l'idée d'une enveloppe orale, d'une poche à remplir, ouverte sur l'extérieur à incor-porer. Sur cette expérience, pourrait s'étayer la constitution d'un Moi-psychique, enveloppe en recherche d'un contenu et orientée dans un rapport spécifique avec l'extériorité qui deviendrait plus tard l'identification. Pourquoi pas un Moi-peau oral? Le bonhomme-sac évoque l'idée d'une différen-ciation de cette enveloppe, une drfférenciation au niveau du volume, une différenciation aussi au niveau du haut-bas, avec l'émergence d'une nouvelle polarité autour de l'orifice anal. N'y a-t-il pas là aussi un indice d'un étayage possible d'un Moi psychique, que l'enveloppe psychique a à remplir, et

négociant les sorties comme les entrées et mettant en place un nouveau type de rapport avec l'extériorité sous forme de la projection? Il y aurait peut-être aussi à examiner de plus près la figuration des liaisons du cou par exemple, qui pourrait nous donner des indications sur les représentations et sur la maturation des frontières, de séparation entre les différentes instances.

Ce premier type de réflexion a été lié à un autre de type plus théorique, car je ne crois pas que la recherche avance uniquement de façon empirique, à partir de cas cliniques mais aussi à partir de modèles qu'on éprouve. Il portait sur le concept de "présupposé" qui, je crois, est un des concepts fon-damentaux utilisés par Didier Anzieu pour exprimer le statut de cette expérience de l'enveloppe par rapport aux autres types d'expériences, en particulier liées aux orifices. Il l'uti-lise tel quel, présupposé, mais sous forme métaphorique aussi; sous la forme par exemple, de "toile de fond", de "sur-face de soutien"; c'est un concept très utilisé ces dernières années qui avance que toute réalité présuppose une méta-réalité, la plupart du temps non pensée, non interrogée, parce qu'ayant un statut d'évidence. C'est un peu, je crois, comme cela qu'il présentait aujourd'hui l'expérience de la peau, quel-que chose qui a été une espèce de présupposé jamais pensé pour lui-même et qui pourtant est la base de l'expérience psychique. J'oserais avancer que ce rapport de présupposés opposés ne peut être assimilable à un rapport de causalité linéaire et encore moins de succession temporelle entre le pré-supposé, l'opposé, mais qu'il doit y avoir un rapport dialec-tique entre les deux. C'est-à-dire que, bien sûr, la photo présuppose la pellicule, mais la pellicule est, déjà dans sa structure, marquée par les photos à venir.

Ces deux types de réflexion m'amènent à formaliser quelques hypothèses, quelques pistes de réflexions à étayer, bien entendu. Il existe un rapport dialectique entre l'expé-rience de la peau et celle des orifices. Le Moi psychique s'étaye sur cette double expérience articulée; plus précisé-ment, l'investissement à dominance narcissique de la peau dans ses échanges avec l'environnement la constitue comme enveloppe-support et de liaison des orifices et des expérien-ces qui y sont liées; mais l'investissement à prédominance libidinale des orifices les constitue en pôles structurants de cette enveloppe en lui donnant son orientation par rapport à l'environnement. Et le Moi psychique s'étaye sur cette double expérience articulée et, en particulier comme enveloppe psy-chique, est structuré par le type de processus qu'il engage avec l'environnement et qui évolue avec la maturation.

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L'Œuvre ouverte

Didier ANZIEU: (Pour moi, il y a une distinction importante entre limage du corps et ce que j'appelle le Moi-peau.. L'image du corps est un concept intermédiaire certainement, qui m'a permis et qui permet de s'acHeminer vers la notion de Moi-peau; mais si l'image du corps est étroitement dépendante, comme vous lavez rappelé, des stades du développement psycho-sexuel et des inves-tissements d'organes et plus spécialement d'orifices - orifices à fonctions non sensorielles par distinction des orifices où sont logés les organes des sens - le. Moi-peau me semble, avoir affaire avec la structuration du Moi et avec l'étayage des fonctions naissantes du Moi sur les principales fonctions de la peau. Ceci laisse donc de côté, ou comme facteurs secondaires, la figure particulière que l'on va donner de son propre corps, limage de son propre corps telle que le dessin du Bonhomme, ou telle que d'autres modes d'approche peuvent le mettre en évidence. "Bien sûr, il y a certains points de rencontre: l'homme-sac par exemple et l'acquisition du contenant. Mais pour moi, le développement des enveloppes psychiques qui s'inscrit Bien dans (investissement de la pulsion d'attachement est différent, comme vous Cavez noté, de l'investissement des orifices qui, lui, est essentiellement marqué de pulsions UBidinales ; c'est un axe, avec une abscisse et une ordonnée, qui ont des interactions entre elles mais qui ont leurs développements autonomes.

Jean CHABERT: Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon que ça me semble confirmer la discussion. Une question pourtant: est-ce que vous pensez que l'investissement des orifices a, dès l'ori-gine de type libidinal, une fonction d'étayage dans la mise en place du Moi psychique?

Didier ANZIEU: Je crois qu'il faut distinguer les orifices sen-soriels comme le nez, la Bouche, CorBite de l’ail, Coreille, des ori-fices qui seront sexualisés, comme l'anus, les orifices génitaux, dont l’investissement en tant que tel sera plus tardif. Ru niveau du Moi-peau en train de se constituer, l'orifice est vécu comme un trou par lequel peuvent s'introduire des dangers extérieurs ou par lequel peut se vider la substance interne. Ceci est lié, donc, à des angoisses très primitives que 'Bion a Bien décrites, angoisses de vidage ou angoisses de vidange, qui peuvent ensuite être repri-ses et être investies de pulsions libidinales dans l’expérience de l’apprentissage de la propreté par exemple. Il peut donc y avoir occultation d'une angoisse primaire par une anxiété ou culpa-Bilité de type secondaire, mais il semble nécessaire - du point de-vue de la rigueur conceptuelle ¦ de maintenir cette distinction.

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Moi-peau et liens group(e)aux

par Jean-Pierre VIDAL

ous voici parvenus à la deuxième partie de ce travail et pour introduire cette réflexion sur le Moi-peau et le groupe, je souhaiterais vous faire part d'une expérience propre à un groupement de psychistes, le G.A.I.R.P.S., auquel j'appar-tiens depuis seize ans.

Ce groupe a organisé à Perpignan en avril dernier un colloque sur l'Histoire de la psychanalyse dans les pays catalans. A l'occasion de ces rencontres et comme contri-bution / participation à cette histoire, j'ai cherché à faire celle de cette association de psychistes dont je parlais à l'instant. Dans cette entreprise, les outils conceptuels et théoriques empruntés aux travaux de René Kaës et aux vôtres, Didier Anzieu, m'ont permis de penser cette histoire. Mon objectif dans ce projet historique ne consistait pas tant à rendre compte des événements anecdotiques qui avaient présidé à notre fondation, marqué ou ponctué notre aventure jusqu'à ce jour, qu'à tenter à leur propos de cerner et de comprendre l'originalité et les fondements de cette association.

A la fois psychanalystes et de groupe, psychanalystes en groupe pour faire de la psychanalyse en groupe - de la groupanalyse disent certains - je me suis attaché, partant du constat de cette groupalité originelle et originaire, à établir comment et pourquoi on devient psychanalyste de groupe; où s'origine et se fonde ce mouvement qui conduit des individus à se rassembler pour faire en groupe, entre eux et avec d'autres, un travail psychanalytique groupai, pour penser ce travail en vue de l'élaboration théorique de leur pratique?

Pourquoi fut-il nécessaire de se réunir, de constituer un groupe pour oser s'affranchir de certains interdits, outre-passer certaines limites, s'aventurer ou toucher à des terres étrangères et proscrites au risque de perdre son identité, voire les gages de reconnaissance? Autrement dit, au-delà des déterminations personnelles inscrites dans l'histoire singu-lière de chacun et qui peuvent pousser tel ou tel à investir le groupe, à s'investir dans le groupe et dans un travail psy-chanalytique à son sujet, je me suis demandé s'il n'y avait pas, du moins en ce qui nous concerne, des situations, des expériences communes, ou simplement équivalentes, dont le vécu profond ait pu mobiliser ou induire un identique processus de recherche du groupe, un même souci d'appartenance à un groupe.

Et sur ce point, j'ai émis l'hypothèse que la frontière, ce qu'il en est de la frontière pour chacun d'entre nous, en cha-cun de nous, avait pu jouer un rôle déterminant dans nos choix et nos intérêts pour la groupalité. Quand on habite Perpignan, qui est le lieu le plus méridional de France, on se situe littéralement à la frontière, celle qui sépare l'Espagne de la France, qui sépare arbitrairement les catalans en catalans

du Sud et catalans du Nord; mais aussi, on se situe à la limite ou en bordure de la terre et de la mer.

Au sein même de cette ancienne province du Roussillon qui coïncide à peu près avec le département des Pyrénées-Orientales, nous sommes traversés et marqués, du moins pour les autochtones, par une double origine, une double nationalité, une double culture, parfois partagés entre deux langues. Sur la frontière, limite et barrière, mais aussi lieu de passage, d'échange entre le dedans et le dehors, on ne sait pas toujours avec certitude où l'on est*: sur les bords, en ces lieux de la marge ou des confins2, on se sent toujours un peu déplacé, ni tout à fait d'ici, ni tout à fait d'ailleurs, en transit, entre-deux?

Peut-être en ces lieux plus qu'ailleurs, chacun se vit-il comme un être-frontière dans ses appartenances multiples, ses références plurielles, entre deux mondes, deux origines, dès lors qu'il n'entend pas choisir entre les deux, mais vivre et explorer conjointement les deux comme une spécificité, une originalité et un destin. A n'en pas douter, cette position nous place dans une situation inconfortable, intermédiaire, entre-deux; avivant pour chacun, et plus qu'il ne s'y attend, ses propres expériences frontalières internes, voire ses propres états-limite.

J'ai émis l'hypothèse que l'intérêt manifesté, partagé pour la psychanalyse groupale, ne devait pas de ce fait constituer un hasard pour autant que les implications de celle-ci pouvaient entrer en résonance avec nos groupalités inter-nes, nos identités composites et plurielles ou nos appar-tenances multiples. Par ailleurs, ce n'est peut-être pas non plus un hasard si nous nous situons, du fait de cet intérêt, entre deux cultures psychanalytiques et en porte-à-faux par rapport à une stricte orthodoxie qui tend à rejeter, à ignorer cette dimension groupale.

Ce n'est peut-être pas un hasard enfin si nous tentons avec autant de scrupules de penser analytiquement la groupalité, de travailler la théorie psychanalytique des groupes, et je veux dire par là, de définir où passent les limites, où se repèrent les seuils, d'aborder et d'approfondir les questions de fondement, de légitimité et de passage d'un domaine à un autre, tant nous nous sentons déplacés, mal assignés, culpabilisés d'outre-passer les limites, voire de faire de la contre-bande, tant nous sommes soucieux d'éviter les dérives ou les confusions.

Sur les frontières, à nos frontières, nous ne sommes guère assurés, ni rassurés: on y fait d'étranges et d'inquié-tantes rencontres; à plus forte raison, si ces frontières, ces limites sont celles qui touchent à cet espace ouvert par la psychanalyse, celui de l'inconscient par où nous touchons à

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Moi-peau et Groupe

nos limites, à l'étrange, à l'inconnu et au terrifiant, mais aussi par là même au plaisir, celui de découvrir, d'explorer, de conquérir, de transgresser et de le faire ensemble.

Ainsi la frontière est-elle pour nous une culture particulière, une manière de penser, de rêver, d'être, qui s'origine autant dans l'expérience que nous faisons de l'espace et de la géographie, que dans les retentissements, répercus-sions issues des événements, du temps et de l'histoire (dans laquelle la nôtre vient inévitablement s'inscrire). Peut-être que pour faire un groupe, afin défaire en groupe et fabriquer une culture de groupe, est-il nécessaire d'être particuliè-rement travaillé par ce qu'il en est, en soi, de la frontière, de l'exil et de l'exode.

Sous l'effet consécutif de la mobilisation de nos propres groupes internes, nous sommes, plus que d'autres sans doute, amenés à vivre nos états-limite, nos propres frontières psychiques, celles qui nous traversent, nous divisent, nous soutiennent et nous contiennent aussi; celles qui appellent les déplacements, les transgressions, provoquent les errances, les divagations, les difficultés à occuper une place.

Ainsi ai-je été amené à supposer un rapport entre notre situation et notre destin de frontaliers; notre double origine, nos références multiples, nos identités plurielles et conjec-turales, nos appartenances composites et complexes, et la mentalité, la façon particulière de penser, qui constitue l'originalité et la spécificité de notre identité de catalans du Nord, de roussillonnais d'une part, et par voie de consé-quence je suppose, d'autre part, l'existence d'une relation entre cette façon d'être confrontés et affrontés à la frontière, à nos propres confins (le type de pensée, d'intérêt, de rêverie qui en résulte) et les liens groupaux que nous établissons. Le groupe, issu de notre expérience frontalière, effet de notre frontalité, ne serait-il pas la protection, l'enveloppe à laquelle nous ne pouvons manquer d'avoir recours pour vivre cette condition et cette expérience?

J'en étais là de la rédaction de ce texte d'introduction, quand j'ai pris conscience, relisant mes dernières phrases, que je venais d'écrire groupaux avec un e intercalé entre le p et le a, établissant d'emblée le rapport entre le groupe et la peau. Ne peut-on considérer le groupe, la recherche d'un corps groupai, comme celle d'une peau commune dès lors que les identités deviennent conjecturales, les repères identificatoires flous ou indécis; les assignations incertaines ou contestables? Le groupe comme peau n'est-il pas susceptible de remplir les diverses fonctions du Moi-peau?

En outre, penser le groupe à partir du vécu en groupe ne constitue-t-il pas un support fondamental pour la pensée? De la même façon que la peau elle-même pourrait constituer, comme vous le dites, Didier Anzieu, la condition de la pensée3? Comme si celle-ci ne pouvait s'exercer qu'à prendre appui sur sa propre contenance; comme s'il était nécessaire aussi de se placer à sa propre périphérie, quasiment hors de soi, pour pouvoir penser les enveloppes externes au Moi, dans la mesure où la pensée est une fonction de liaison et de réflexion. Le groupe ne devient-il pas une conditon du pou-voir penser4?

Enfin, le groupe n'est-il pas comme le rêve^, une possi-bilité de restauration de l'enveloppe psychique, entamée, trouée, sous l'impact des stimuli exogènes et endogènes, comme par les effractions subies à ses frontières (internes ou externes)6?

Vous écriviez en 1985, au moment de la publication du Moi-peau (il y a donc plus d'un an aujourd'hui) et dans la

dernière partie de cet ouvrage qui évoque ses prolongements ou ses compléments: . . ."j 'envisage de montrer un jour comment chacune des 9 fonctions du Moi-peau fournit un des cadres ou un des processus de la pensée". Ce jour là est-il proche? Ou est-il venu? Pouvez-vous déjà nous donner quelques indications susceptibles d'illustrer ce que vous annonciez alors sur ce point?

Notes:

1) Cf le Perthus. Ce village sur la frontière, où un côté de la rue est en France, et l'autre côté, appelé Los limites, en Espagne. 2) Un autre village frontière ne s'appelle-t-il pas : Cerbère? 3) Le Moi-peau, p°9, 40-59 (+note), 60-61 - "... et si la pensée était autant une affaire de peau que de cerveau?" id. p°233. 4) "Le Moi-peau fonde la possibilité même de la pensée" p°4O. 5) Idem p°214-219. 6) Cf la citation de Paul Valéry: "... sentir, pâlir, penser ... ce sont des inventions de la peau" (p°39, note 1).

Didier ANZIEU: 'Vous nous avez gâtés, parce que vous avez conjoint la pensée, félégance et la beauté de la forme, et nous sommes donc là, je crois, à la jonction des deux thèmes de cet après-midi, le groupe d'une part, mais aussi la création d'autre part. 'Hffus vous remercions de. cette heureuse conjonction. Les diverses questions que vous évoquez, du débat du groupe avec les interdits, les limites, avec sa façon de se défendre contre le risque frontalier, décrivent ce qui est essentiel dans le groupe dont vous faites partie, mais est-ce un prototype généralisable, ou bien plutôt un type de constitution dégroupe dontM peut se trouver dautres exemples, mais un type particulier? On dirait sinon que s'intéressent à des activités dégroupe seulement ceux qui ont un problème de marginalité, de malaise avec les inter-dits, de problème avec les limites, ce qui peut s'envisager si on dépasse uniquement le point de vue géographique et socio-cultu-rel, mais j'aurais peur que ce soit un peu tiré par les cheveux de généraliser cette perspective. Je vous demanderai là quelle est votre opinion.

"En ce qui concerne votre conclusion, je suis beaucoup plus proche de vous lorsque vous dites que le groupe a une fonction de relais, quant à l'acquisition et Cassise des fonctions du 'Moi-peau, mais je serais plus radical que vous encore, car si on insiste Beaucoup sur la relation du nourrisson à sa mère, j'ai veillé dans mon livre à parler toujours de Cenvironnement maternel, d'un environnement maternant plus exactement, qui est généralement la mère mais aussi le pire, la fratrie, le reste de la famille; un enfant n'existe jamais seul, non seulement, comme dit Winnkott, car il a besoin de sa mère, mais la mère elle-même a besoin de tout un environnement familial, culturel, social, local. C'est déjà un groupe - 1{ené "Kaës a bien insisté sur ce fait -j'ai surtout mis Caccent sur le versant de l'étayage biologique, Cétayage sur le corps; mais il y a l'étayage sociologique, l'étayage social qui est tout aussi important, et c'est par un double étaya-ge que se constituent les fonctions du Moi-peau. Comme j'avais déjà beaucoup traité des questions dégroupe, je n'ai pas voulu y revenir dans ce livre pour développer l'aspect qui était le plus neuf, mais dans une stricte perspective scientifique je crois qu'il faut maintenir à égalité d'importance ce double étayage, et Céta-yage d'un type, je vewc. dire l'étayage biologique, rend possible l’étayage socio-culturel qui rend possible dialectiquement Cétayage biologique, j/e pense qu'il existe une intrication

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Interventions Thématiques Brèves

dialectique extrêmement importante entre les deux- Ceci, pour aller dans votre sens, et plus radicalement encore que vous ne l’avez osé, Ce. groupe non-familial peut prendre en effet le relais du groupe familial pour développer ces fonctions du 'M.oi-peau; ceci a déjà été observé dans Us sociétés de singes, aussi dans les sociétés qui ont une culture différente, de la nôtre, là où la contraception n'a pas encore gagné la société et où la fécondité est naturelle ¦ où donc il y a des groupes de frères, classes d'âge -où on a Bien décrit les fonction de ce groupe de frires/pairs qui vit avec ses régies particulières, aussi bien la restauration que l’'acquisition de la pensée, que l'acquisition de ces fonctions. Je suis ainsi pleinement d'accord avec vos conclusions; c'est sur le premier point que je mettrais une limite à votre théorie des l’imites.

Jean-Pierre VIDAL: "Effectivement, c'est le début d'une interrogation pour moi. fMon hypothèse pour l’instant serait que peut-être quelque chose de lagroupalité interne de chacun se trouve avivé par certaines situations extérieures qu'il est amené à vivre parfois dramatiquement à tel ou tel moment de sa vie; et c'est peut-être là que je situerai l'origine de cette passion - ou presque - pour ce qu'il en est de lagroupalité, comme si cette groupalité interne qui était ainsi avivée avait besoin de se projeter dans une groupalité externe pour arriver parfois à l’a contenir.

Didier ANZIEU: II nous manque - et c'est la raison pour l’aqueile votre apport est précieux. - des observations cliniques, non pas sur Cespace du groupe, ni même sur le rythme temporel du groupe, mais sur les origines historiques et la fondation des groupes; ce qui est intéressant, c'est que vous avez essayé de répondre à cette question; mais il nous faudrait des mono-graphies nombreuses et variées pour pouvoir ébaucher là quelque chose de plus général et de plus assuré. Un exemple: pendant que j'étais professeur à Strasbourg j'ai introduit là-bas la notion de l’a dynamique des groupes et les collègues locaux ont donc désiré faire une expérience dégroupe. Ils ont refusé de la faire avec moi parce que j'étais dans une relation d'autorité par rapport aux étudiants et par rapport à certains professionnels, et curieusement, ça a marché quand une Anglaise, Lily Erbert, est venue s'installer en France, à Taris, et que c'est à elle que Us collègues stras bourgeois se sont adressés pour faire une expérience de groupe qui a débouché sur la constitution d'un groupe réel, qui est devenu aujourd'hui le groupe des

psychologues de t'Est. 'Donc, dans ce pays d'influence germa-nique où je représentais une certaine fascination, un certain danger ¦ c'est-à-dire que j'étais de l'intérieur ¦ il a fallu, que ce soit un neutre, une Anglaise bilingue, qui puisse être acceptée comme la mère fondatrice de ce groupe. On retrouve là sans doute - avec une autre pondération des ingrédients -quelques-uns de facteurs que vous avez décrits: l’exil, (a frontière etc...

Anne CLANCIER: Je vous remercie de cette intervention qui m'a tout spécialement intéressée, puisque je connais bien la Catalogne, les deux Catalognes, et que je suis un peu bilingue par lOccitanie. "Et en vous écoutant, j'ai pensé surtout à un problème qui m'intéresse, celui du bilinguisme. Justement THdier !Anzieu a introduit ce probl’ème-l’à. Cela m'intéresse que l’es Alsaciens, partagés entre deux langues, aient été chercher quelqu'un d'une autre langue finalement. Je travaille souvent avec des enfants bilingues et mêmes trilingues en me demandant comment leurs identifications se font. Un problème qui m'intéresse actuellement -je ne sais pas si certains d'entre vous ont pu travailler cette question, parce qu'on n'en a pas beaucoup l’occasions en fronce -, c'est celui d'un enfant qui est élevé suivant une méthode inventée par un professeur Australien pour l’apprentissage des langues, méthode qui dit que, pour que les enfants soient parfaitement bilingues et que ce soit bien intégré lorsqu'ils ont des parents de langues différentes, il faut que la mère parle constamment dans sa langue à elle à l’enfant, et le pire constamment dans sa iangue à l’ui. Tar exemple dans une famille que je connais, la mère étant anglophone ne doit parler qu'anglais à son enfant qui ne doit répondre qu'en anglais à sa mère, et le pire ne doit parler que français à l’enfant qui ne doit répondre qu'en français à son pire. Quandils sont trois, l’enfant fait une gymnastique extraordinaire puisqu'il doit parler à l’un et à l’autre dans leur langue respective. "Et quand, moi, je suis dans cette famille, je perds la tête; je me pose des questions, je ne sais plus quelle langue je dois parler; je me mets à parler anglais, puis je m'embrouille; or cet enfant a l’air apparemment bien. Je me demande si d'autres personnes ont des notions sur ce que cela peut produire, parce que c 'est tris controversé en Australie, ily a des gens qui sont absolument enthousiastes et d'autres qui sont inquiets?

Christian Guérin: (Peut-être qu'Itziar Çambini, qui pourrait nous parler maintenant des 'peaux du groupe", nous amènera-t-elle par dautres voies à réfélchirsur cette importante question?

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Les peaux du groupe

A partir d'une expérience avec des enfants autistes

par Itziar GAMBINI

' aimerais essayer d'articuler notre expérience d'un groupe d'enfants

autistes et certains concepts qui m'ont fait penser à partir de votre livre: Le Moi-peau.

Il s'agit plus précisément de la structure en double feuillet du Moi, avec un feuillet superficiel de pare-exci-tation, surface de réception (consciente) mais qui ne conserve pas et le feuillet du dessous figurant la réception sensorielle des excitations exogènes et l'inscription de leurs traces.

Ceci me sert: 1- Comme compréhension du fonctionnement et

de l'évolution des enfants. 2- Comme métaphore de la technique du groupe.

Depuis maintenant un an et demi, nous avons mis en place au CAMSP d'Aix-en-Provence, un groupe thérapeu-tique d'enfants très jeunes (entre un an et demi et deux ans), avec un fonctionnement particulier.

Ce groupe est constitué de quatre enfants, pour lesquels le diagnostic d'autisme a été porté, et de trois adultes: une puéricultrice, une éducatrice et une psychologue, moi-même. Ce premier groupe se double d'un second constitué par les trois adultes et un thérapeute extérieur.

Nous étions parties dans ce projet en faisant l'hypothèse que la problématique des enfants autistes est en relation avec la déficience de certains aspects de leur Moi-peau.

L'enfant autiste en thérapie individuelle peut ressentir les sollicitations de l'adulte comme trop intrusives et angois -santes, alors que dans le groupe, les interventions étant plus diluées, il se sentirait moins angoissé par les stimulations exo -gènes et pourrait aller plus à son rythme, s'isolant ou revenant parmi les autres selon les moments.

C'est en ce sens que le groupe nous semble jouer un rôle de pare-excitation et aussi par le cadre très rigoureux qui joue un rôle de holding, de maintien, de contenant.

Le second groupe, que nous appelons "groupe de réflexion", nous sert à métaboliser, dans un deuxième temps, le vécu émotionnel du premier, les objets bruts (selon la terminologie dEvelyn Granjon), les particules béta. La dis -tinction entre les deux groupes, distinction temporelle et de structure, serait la matérialisation de l'écart entre les deux feuillets.

Ce groupe a fonction de lien entre nos pensées, de circulation de nos fantasmes, de relance des associations, d'élaboration de sens.

Quelques mots maintenant sur l'évolution des enfants. J'aimerais donner des éléments cliniques, toujours en relation avec cette structure en double feuillet du psychisme, chez les enfants cette fois -ci.

Quand nous les avons connus, ils étaient enfermés en eux-mêmes, atones, ne bougeant pas. Ils ne communiquaient pas du tout et semblaient ne s'intéresser à rien.

Grâce au holding du groupe, leur armure autistique a sauté. Le dégagement de cette armure les laisse sans défense contre leurs pulsions et les excitations venant de l'entourage. Ainsi, ils sont dans une agitation constante, passant d'une activité à l'autre sans arrêt. C'est comme si l'enfant s'auto-risait à laisser son enveloppe autiste, et se trouvait dans le même état que le nouveau-né, sans avoir encore construit l'enveloppe "pare-excitation".

L'inscription de traces dans le feuillet de dessous, le feuillet de cire du bloc magique (S. Freud, 19251), semble ainsi très problématique. Certaines ébauches apparaissent cependant maintenant, témoignant d'une construction progres-sive du système en "double feuillet".

Je donnerai quelques exemples: D'abord celui d'un enfant, dont l'ouverture au monde

relationnel a coïncidé avec l'apparition de sursauts très vio-lents dès qu'on le touche, ce qui nous semble témoigner de la fragilité de son enveloppe "pare-excitation"

Et comme exemple d'apparition de traces, je pense à cette autre enfant qui, s'étant beaucoup amusée avec moi à taper des pieds alternativement dans un jeu "à toi, à moi", m'accueille au groupe suivant, dès mon entrée dans la salle, en tapant des pieds en signe de reconnaissance et bonjour, reprenant exactement le jeu que nous avions partagé.

Nous observons aussi, de plus en plus souvent, des com-portements d'imitation des enfants les uns les autres, en différé. C'est-à-dire que, quand un enfant nous surprend par un nouveau comportement, nous nous rendons compte qu'il est en train de refaire l'attitude que nous avions remarquée chez un autre enfant

Je voudrais rapporter aussi un exemple des effets du groupe de réflexion sur le groupe avec les enfants. Alors que nous avions beaucoup parlé de peau, d'enveloppe, de conte-nants, etc., une petite séquence a eu lieu dans le groupe sui-vant que j'ai trouvée après-coup directement branchée sur cette interrogation.

Un enfant jouait à côté de moi avec un seau et il m'est venu à l'idée de lui parler à l'intérieur de ce seau et de le lui tendre. Cet enfant s'est alors mis à jargonner dans le seau avec une mimique de grande jubilation. Je disais "Antoine" dans le seau avec une voix rendue caverneuse par les circons-tances, et lui reprenait son babillage à l'intérieur du seau. Je signale qu'il ne parle jamais et n'émet que très rarement un son

Qu'est-ce qui était agissant là?

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J

Moi-peau et Groupe

Le filtrage de la voix? Le fait d'utiliser un contenant qui rendait les mots moins intrusifs? Ou que les sons ne se perdaient pas dans la pièce mais qu'ils faisaient partie d'une enveloppe rendue commune par la proximité?

Toujours est-il que cette idée de parler dans le seau m'est venue à mon insu; c'est après-coup que j'ai pu la rattacher à ce dont il avait été question dans le groupe de réflexion.

Est-ce qu'on peut faire une transposition entre cette technique type "poupées russes" de deux groupes qui seraient en fait les deux peaux du groupe, et ces deux feuillets du Moi: le groupe des enfants étant le feuillet "pare-excitation" et le groupe de réflexion constituant la surface d'inscription des traces?

1. FREUD, S., 1925. Notice sur le bloc-notes magique. Revue Française de Psychanalyse, 1981,n°5,1107-1110.

Didier ANZIEU: Un petit rectificatif là encore, ta distinction des dewtfeuittets n'est pas de moi, mais de SigmundJreud; vous avez d'aitteurs cité l’article sur 'Le bloc magique' tout à fait judi-cieusement. Je pourrais difficilement argumenter vos propos très intéressants, n'ayant pas d'expérience directe des enfants autis-tiques; j'ai une expérience des soignants d'enfants autistiques, mais pas des autistes eux-mêmes. !Avec une expérience de ce que vous appelez kgroupe de réflexion - dans lequel il m'est arrivé d'intervenir sous forme de psychodrame, visant à aider la réfle-xion des soignants s'occupant par ailleurs dégroupes d'enfants autistiques - c'est donc au second ou au troisième degré que j'ai pu rencontrer cette pratique-la. Alors, ce qui m'est venu immé-diatement à l'esprit en vous écoutant parler du seau, c'est non plus alors la théorie du Moi-peau, mais la théorie psychana-lytique traditionnelle, le rapport du sein, et plus spécialement du mamelon, à la bouche, qui m'a amené à faire la distinction entre le sein-bouche et le sein-peau; et vous, vous nous présentez un seau-bouche. Le seau est une bouche dans laquelle les paroles peuvent être enregistrées, non pas simplement une bouche qui émet, mais une bouche qui conserve la parole et la transmet, la véhicule de Cun à l'autre. Je crois alors qu'il ne s'agit plus là du fantasme d'une peau commune, mais de la réalisation du fantas-me d'une bouche commune aux. deuxj et qui leur permet donc de parler de Cun à l’autre. Mais bien sûr c'est une conjecture, il faudrait l’étayer par d'autres observations et voir la cohérence avec te reste de ce que vous avez observé.

Criant à ce qui est de la nécessité du- double feuillet, je crois qu'elle est fondamentale, non seulement parce que notre père à tous, Sigmund Treud, l'a dit mais parce qu'il a eu raison de te dire, l’expérience n'arrête pas de nous le confirmer - ce que vous venez de nous apporter en est une très élégante démons-tration -,je dirais qu'il n'y a pas qu'avec les enfants autistes que ça se passe comme cela, mais que les soignants d'une façon géné-rale, tes analystes dégroupe, les psychodramatistes, les anima-teurs dégroupe ont eux-mêmes besoin à leur tour défaire partie d'un groupe, qui peut être informel ou qui peut être officiel, dans

lequel le deuxième feuillet va pouvoir se mettre à fonctionner; et peut-être même y a-t-Udes systèmes d'emboîtement tels qu'il faut bisser le deuxième feuillet en le réduplicant avec un autre niveau dégroupe et d'intervention. Mais sur le schéma général, je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce que vous observez donc, c'est que mettre ces enfants en situation dégroupe est la condition £ enclenchement de certaines modifications.

l’tzar GAMBINI: Oui, ça se passe ainsi: je ne sais pas si c'est le fait de les mettre dans un groupe. "En tout cas, il y a une évolu-tion des enfants, et il me semble que dans ce sens, il y a cette espèce d'armure qui saute et après une période dans laquelle -c'est encore la période actuelle - ils sont vraiment non protégés, je dirais, des excitations ¦ parfois quand même ils le sont ¦ mais je veuxdire qu'ily a une période intermédiaire où ils sont comme le nouveau-né, absolument sans protection, il me semble; il y a une évolution dans ce sens, et puis la constitution de traces se fait, qui témoigne de la construction de ce double feuillet, je crois.

Didier ANZIEU: "En somme, il faut démolir un faux, pare-exci-tation qui est cette armure autistique pour - prenant le risque du passage par la nudité du nouveau-né, son dénuement face aux. excitations internes et externes ¦ que soit ouverte la possibilité de se constituer ce qui n'a pas eu lieu, ou pas suffisamment: la fonction pare-excitation du Moi-peau. Je suis tout à fait d'accord sur le schéma général; reste à le faire fonctionner dans la pratique, ce qui n'est pas une mince affaire. (Par contre, lorsque vous dites qu'il y a une perturbation des fonctions du Moi-peau chez l’enfant autiste, j'ai envie d'être plus radical que vous, il y a une absence quasi-totale ou en tout cas extrêmement large des fonctions du Moi-peau, et vous montrez que la première à acquérir, c'est cette fonction de pare-excitation, moi je maintiens que c'est la fonction de verticalité; et que la fonction de pare-excitation ne peut que s'articuler à celle-ci; mais là encore, c'est une vue théorique, issue d'expériences; il serait intéressant de voir si elle est opératoire dans votre secteur.

ItTjar GAMBINI: Oui, tout à fait; je me suis centrée là-dessus; mais c'est vrai que cette fonction de verticalité est assez extraor-dinaire; voilà des enfants qui nous sont arrivés, d'abord ne mar-chant pas bien sûr, qui restaient posés au milieu de lapièce sans bouger et sans toucher aux objets, et actuellement ils marchent, ils marchent tous, par exemple, je veux, dire, dans un premier niveau. 'Et puis cette notion de verticalité, je la trouve aussi liée à la fonction de maintien, de holding; nous avons une enfant qui a commencé à faire des progrès dès l’instant où elle a pu venir se recharger' contre nous, se maintenir la colonne vertébrale contre nous: c'est-à-dire qu'elle s'asseyait sur nous, elle s'adossait sur nous, on avait l’impression qu'elle se rechargeait et puis qu'après elle pouvait aller etc... Ou alors elle s'allonge par terre sur le dos...

Didier ANZIEU: Tour sentir sa colonne vertébrale comme arête, constituante du corps et de la psyché. Je suis ravi de cette confirmation de la théorie.

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Moi-peau et assignation sociale

par José-Manuel MARTINEZ

on intérêt s'est plus particulièrement centré sur la question de savoir ce que signifie qu'être demandeur d'une place de participant au sein d'un séminaire de

formation. Donc la quest ion plus large de l 'assignation sociale se réduit au niveau d'un investissement particulier, celui qui concerne le séminaire de formation; séminaire de formation, au sens où Didier Anzieu, René Kaës et d'autres membres du C.E.F.-F.R.A.P. en parlent. Je vais tenter de mettre cet aspect en relation avec le Moi-peau en passant par l'intermédiaire du groupe; et pour faire l'articulation, je voudrais citer Didier Anzieu, qui, en 1975, dans son livre Le groupe et l'inconscient met en avant "la nécessité pour l'appareil psychique, qu'il soit individuel ou groupai, de se constituer une enveloppe qui le contienne, qui le délimite, qui le protège et qui permette des échanges avec l'extérieur, ce que j'ai appelé un Moi-peau." Je vais donc, avant de poser ma question, essayer de l'illustrer par des exemples.

Le premier est tiré d'une séance de séminaire de for-mation où les participants, dès le départ, ont marqué une opposition très forte, très violente par rapport au cadre propo-sé par les intervenants du groupe auquel j'appartenais. Cette opposition très forte, je crois qu'on peut la qualifier de rejet; certains membres du groupe voulaient participer activement, essayer de travailler avec les règles qui étaient proposées; d'autres voulaient partir ou bien s'exclure et ne pas participer. Il s'agissait d'un groupe qui était en formation dans le cadre de la formation continue. Ils souhaitaient s'exclure, mais ne pas partir, en prétextant qu'ils tenaient par rapport à leur employeur à être présents. Juste après un moment de discus-sion autour de ce thème, un certain nombre de participants -ceux qui voulaient participer, être actifs et qui disaient pouvoir tirer quelque chose du séminaire - s'avancent, sortent du cercle, - puisqu'il s'agit d'un cercle où tous les participants sont assis sur des chaises -, pour former un second cercle, plus interne. Nous nous retrouvons donc avec deux cercles, deux enveloppes peut-être, l'une formée par des personnes qui se veulent présentes au séminaire, l'autre par des person-nes qui se veulent absentes, ou en tout cas refusent de participer et le disent J'avais le sentiment que l'enveloppe intérieure, que construisaient les membres "participants" les assignaient à une place de participant et cela ouvre sur la question: en quoi l'enveloppe du groupe, et notamment l'enve-loppe du groupe institutionnel, permet-elle une assignation?

Je voudrais donner une illustration moins orthodoxe. C'est la figuration proposée par -un feuilleton télévisé qui s'intitule Le prisonnier. Je résume très brièvement la situation en jeu: le héros, ainsi que d'autres membres d'un village créé de toutes pièces, y sont prisonniers. Ils ne peuvent sortir des limites de ce village sans qu'une sphère, une sorte de boule

élastique, translucide, un peu molle, ne vienne se coller à eux, comme une seconde peau, pour les empêcher de s'échap-per. Cette boule élastique semble marquer les limites du village et assigner chacun à une place "sociale", ici celle d'être un membre du village, sans plus; les membres du vil-lage sont tous indifférenciés; ils ne portent pas de nom; ils ont seulement un numéro. Donc, là aussi, la question se pose: est-ce que l'enveloppe assigne à une place?

Pour résumer, je crois que la question que je voudrais poser est déjà assez présente à travers ces exemples. Est-ce que dans les groupes, cette enveloppe imaginaire du groupe, que celui-ci se constitue, une sorte de Moi-peau groupai, a une fonction d'assignation, un rapport d'assignation sociale et son dérivé psychique, les enjeux psychiques qu'elle mobilise, et comment l'enveloppe, ce Moi-peau groupai remplit cette fonction d'assignation?

Didier ANZIEU: Je n'ai eu que peu l’occasion de développer du côté du groupe les réflexions que j'ai faites dans l’ouvrage 'Le Moi-peau' en ce qui concerne la psychologie clinique et psycha-nalytique individuelle. ?Mon livre sur 'Legroupe et l'inconscient' est bien paru en 1975, mais ne. comportait aucune mention con-cernant les enveloppes, tout juste une référence à l'image du corps, à l’imago du corps propre comme étant un des organi-sateurs inconscients du groupe. C'est dans la réédition refondue de 1982, avec la modification du sous-titre de l’ouvrage: "'Essai sur l’imaginaire groupal] que j'ai été amené à ébaucher ce que peuvent être les enveloppes, les limites ou Ces frontières du groupe. Mais c'est prospectif et je n'ai pas développé moi-même les choses, f attends d'observations comme celles que vous avez présentées aujourd'hui, le mûrissement, la vérification, l’élar-gissement ou la remise en question de cette ébauche.

"En ce qui concerne votre premier exemple-, j'ai assez l’habi-tude de travailler en cercles concentriques dans les situations de groupe déformation; et je ne dirais pas 'présents' ou 'absents' comme vous l’avez dit, mais 'participants actifs' pour ce qui concerne le cercle intérieur et "observateurs non participants' ¦ l’observation est une façon de participer ¦ dans le groupe extérieur; et ça peut mime, être une méthode de travail que d'alterner les positions, ce que vous appelez, les assignations sociales, c'est-à-dire que les participants qui sont une fois en position de présence active, soient à la séance suivante en posi-tion d'observateurs passifs et ainsi de suite, et que la permu-tation des places puisse apprendre à chacun quelque chose

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Interventions Thématiques Brèves

sur ce qui se passe selon l’assignation sociale dans laquelle on se trouve placé. Je veux dire que les participants du petit cercle interne qui sont présents et actifs apprennent, s'entraînent à comment se faire entendre d'autrui; tandis que ceux qui sont dans la position d'observateurs passifs apprennent comment écouter autrui; et finalement on s'aperçoit, dans les expériences que j'ai eues, que c'est beaucoup plus difficile d'occuper la posi-tion passive d'observateur que la position active d'intervenant. C'est beaucoup plus difficile, car on a beaucoup plus de facilité, du moins dans le domaine de la psychologie et de la formation, à s exprimer qu'à écouter autrui; et ces deuxpositions sont extrême-ment importantes, complémentaires et antagonistes; et c 'est pour-quoi, l'alternance des participants dans un dispositif spatial tel que celui que je viens d'évoquer, qui peut être plus compliqué selon les buts visés et l'organisation qu'on se donne, permet un changement de perspective qui, lui, est véritablement formateur, car je crois être formés ceuxquisont capables de changer de pers-pective selon les circonstances, selon les conditions, selon le moment opportun.

'En ce qui concerne votre feuilleton du 'prisonnier, que je n'ai jamais vu, -je ne peux donc en parler qu'à partir de ce que vous citez ¦ cette espèce de boule molle qui vient coller adhési-vement à ceuxqui essaient de sortir de. ce ghetto, de cette, ville-prison, vous le définissez comme une enveloppe; je voudrais que vous me donniez des arguments convaincants pour considérer cela comme une enveloppe; je le vois plutôt comme des signes matérialisés d'un interdit de sortir dune certaine zone et déchap-per au statut de numéros interchangeables que vous avez évoqué pour ceux qui sont assignés à cette zone. (Mais ce serait plutôt

donc un problème de frontière et dun interdit qui se manifes-terait par la méthode que vous avez indiquée; c'est cela que j'ai entendu, plutôt qu'une véritable enveloppe.

José-Manuel MARTINEZ: J7e voulais parler de l’enveloppe marquant la limite du village, alors que la sphère marque une limite, elle joue le rôle d'un gardien, garant de la limite du vil-lage, limite par rapport à laquelle il est interdit de sortir. L'aspect qui m'intéressait c'est: comment penser le rapport entre la limite et l'assignation, ici l’assignation étant réduite à un seul de ses termes, dans la mesure où le personnage est assigné à résidence, assigné à être un membre du village, à garder sa place, alors qu'on pourrait concevoir aussi l’autre versant: s'assigner, soi-même, à une place par rapport à laquelle on peut aussi nous assigner.

Didier ANZIEU: J'ai du mal à vous suivre, parce que je pense à des groupes qui conservent leur âmite, leur barrière, leur frontière, leur enveloppe, et à l'intérieur desquels il y a une réorganisation et une redistribution des statuts et des rôles afférents à ces statuts. Je suis d'accord avec vous qu'il arrive qu'une modification des enveloppes entraîne une modification des statuts, c'est bien évident, mais la réciproque ne me semble pas vraie; la modification des statuts ne s'accompagnent pas nécessairement dune modification des limites; ça me semble obéir à des paramètres relativement indépendants et à deux modes de pensée. (Penser le groupe en termes de statuts et de rôles et penser le groupe en termes d'enveloppes, c'est vraiment deux modes d'approche extrêmement différents et épistémologi-quement,je les vois, à première vue, mal compatibles.

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Moi-peau et Institution

par Gérard ABBASSI

î ai lu votre livre sur le Moi-peau juste après avoir fait une intervention dans le cadre d'un séminaire de formation analogue à ce que vient de décrire José-Manuel Martinez,

séminaire de formation que j'avais organisé avec un collègue et qui s'adressait à des directeurs de centres culturels régionaux qui, de façon trimestrielle, se réunissent pour avoir un endroit où parler de leur pratique, où élaborer, et aussi pour s'assurer une formation continue: il y a des intervenants qui viennent faire des exposés théoriques, d'information, et puis ils ont fait appel à nous dans le cadre de leur formation continue, de leur formation personnelle, mais aussi, nous allons le voir, pour une autre raison.

J'ai lu votre livre juste après cette intervention et je ne pouvais m'empêcher, en le lisant, de faire des liens avec ce que j'avais vécu pendant ce séminaire. Je vais le rapporter en quelques mots: une personne nous contacte pour faire une demande d'intervention sous forme de séminaire de forma-tion; ils font appel à nous en fait parce que, depuis quelque temps, ils se rendent compte que leurs réunions sont impro-ductives, que plus rien ne se passe, ils repartent de ces journées plus angoissés qu'avant d'y être arrvés; ils ont le sent iment que plus r ien ne se di t , que plus r ien ne se construit; pour eux, tout ceci correspond à une loi qui est passée, une loi sur la décentralisation, une loi qui donne de nouveaux pouvoirs aux élus locaux et qui, selon leurs propres mots, amputent l'autonomie de gestion de leur centre. Jusqu'à présent, c'était eux qui étaient chargés de gérer leur centre, personne ne venait voir ce qui s'y passait, et depuis cette loi de décentralisation, le pouvoir a un droit de regard sur ce qui se passe dans le centre et en plus, introduit dans le conseil d'administration un élu local. Pour eux, cette loi de décen-tralisation bouleverse leurs repères institutionnels et ils considèrent comme une ingérence extérieure cette personne qui arrive là, un changement persécuteur par rapport à leur mission initiale, et c'est leur identité qui s'en trouve menacée, qui se trouve contrôlée. De plus, ce pouvoir confié à la droite, arrivée en mars dernier, devenait pour eux encore plus menaçant. Ce caractère persécuteur de l'extérieur a pu se rejouer dans le transfert sur les moniteurs, dans le cadre du séminaire, et nous avons pu le travailler.

En lisant Le Moi-peau, je ne pouvais m'empêcher de faire le lien entre ce qui me semblait les fonctions de celui-ci que vous décrivez - les fonct ions du Moi-peau - e t les fonctions que semble remplir l'institution, c'est-à-dire les fondements institutionnels d'une organisation; j'entends institution comme institution psychique, comme l'investis -sement de l'institution, l'investissement psychique de l'institution, l'institution signifiant établir officiellement en fonction et donc collect ivement. Tout ce passe un peu

comme si l'institution psychique telle que je la définis là, assurait au niveau du groupe institutionnel un certain nombre de fonctions psychiques dont certaines dériveraient par étayage du Moi-peau, une sorte de Moi-peau collectif, une institution-peau qui remplirait au niveau du groupe institu-tionnel des fonctions similaires à celles du Moi-peau que vous décrivez: pare-excitation, contenance, inscription de traces, individuation au sens de l'identité, et peut-être aussi auto-destruction; là il faudrait du matériel un peu plus travaillé pour en parler.

Didier ANZIEU: Ça ne manque pas.

Gérard ABBASSI: En effet, dans l'exemple que je viens de donner, c'est bien le fondement institutionnel qui est remis en cause, une des fonctions de l'institution ou plusieurs d'entre elles sont défaillantes et le groupe est en détresse, le mot utilisé par eux-mêmes; les individus qui le constituent cher-chent à panser, dans le double sens du terme, cette blessure. Le groupe existe toujours, mais quelque chose ne fonctionne plus, ne le contient plus, un peu comme si la décentralisation, en introduisant un représentant du pouvoir dans leur conseil d'administration, faisait effraction dans leur Moi, provoquant angoisse et crise de l'identité. La question que je voudrais vous poser à partir de cela, tout simplement, c'est: qu'est-ce que vous pensez de l'idée de pouvoir envisager des fonctions de l'institution psychique qui seraient là pour tenir à son niveau celles qu'au niveau individuel assure le Moi-peau?

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Interventions Thématiques Brèves

Didier ANZIEU: Je crois qu'il faut être plus précis encore, dans votre question: l’institution réenclenche-t-eiïe des fonctions du Moi-peau tettes que j'en ai tenté l’inventaire dans mon ouvrage? J'ai proposé cette grille des neuf fonctions du 'Moi-peau, comme pouvant lire utile au diagnostic et à l’a technique d'intervention dans l’es thérapies individuelles/ spécialement en psychanalyse, en analyse traditionnelle, mais évidemment ¦ c'est implicite dans mon esprit et ça m'intéresse beaucoup que vous ayez tenté le rapprochement - dans les situations de groupe et même dans les situations institutionnelles. On avait d'ailleurs évoqué la chose ce matin où, à propos des rapports mère-enfant, la mère remplit des fonctions à Cégard de l'enfant mais a Besoin d'un groupe familial et dun environnement local qui remplit les mêmes fonctions à son égard pour que, dans un emboîtement réciproque, elle puisse les remplir à Cégard de Cenfant. Une. des fonctions, en effet de l'institution psychique, telle que vous venez de nous proposer cette dénomination, me semble Bien être de tenter de penser, aux deux sens du terme, de panser les fonctions défaillantes et d'en rétablir l’exercice. Toutes les fonctions ne sont pas défaillantes en même temps, même le cas de l'autisme évoqué tout à Iheure montrait qu'il y en avait une ou deux, qui subsistaient; vous avez vous-même à l’instant

ébauché dans ce groupe-là quelles étaient les trois ou quatre fonctions qui étaient problématiques; et certainement que le rôle de ce séminaire auquel vous avez fait allusion, était, a été ou aurait été de rétablir l'exercice de ces fonctions, au moins de pointer dune façon précise et de localiser celles qui ne fonctionnent pas. Je crois que dans les groupes comme dans la thérapie individuelle, il est déjà important de définir ce qui ne fonctionne pas, de ne pas se contenter de dire: c'est le 9rfoi en général, c'est la (Perception, c'est la Connaissance d'autrui, des choses beaucoup trop générales qui ne permettent pas une pensée et une action spécifique et précise.

'Est-ce que cette liste des neuf fonctions du. Moi-peau est bonne, je n'en sais rien; elle semble pour moi correspondre à lexpérience analytique, mais c'est la première fois où il en est proposé une de ce genre; elle est à mettre à l’expérience pour voir si elle est opératoire déjà dans le domaine d'où je l'ai extraite qui est le domaine psychanalytique et dans le domaine para-ana-lytique comme celui des sessions déformation. Quelles sont les fonctions qu'il faut retirer de la liste? Quelles sont celles dont il faut modifier l'intitulé? "Et quelles sont celles qui ont été oubliées, qui ont été omises, et qu'il serait nécessaire dajouter?

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Problèmes épistémologiques à propos du Moi-peau

par Joël de MARTINO

e voudrais vous parler dans le registre du "Moi-peau et culture"

des problèmes épistémologiques que peut soulever le concept de Moi-peau de Didier Anzieu. Tout d'abord remercier Didier Anzieu du travail qu'il a fait sur ce Moi-peau, et je crois que je vais vous parler des associations qui ont été les miennes et qui ont fait que pour moi ce concept a été particulièrement riche.

Lorsqu'un nouveau concept arrive dans une théorie, c'est un moment qui revient à un changement d'enveloppe; par projection, je pensais que Didier Anzieu n'avait pas dû faire ce changement très facilement par rapport à tous les ca-dres épistémologiques qui régissent la psychanalyse. Ce qui m'a frappé, c'est qu'il dit que le Moi-peau est une métaphore; et quand on lit l'arrière du livre du Moi-peau, où il y a la pré-sentation résumée de ce que l'on trouve dans le texte, on trouve une formule où l'on dit que ce travail permettra, par des analogies, à d'autres chercheurs d'avoir des ouvertures. Et c'est ce processus d'ouvertures que j'ai trouvé à la fois pas-sionnant et en même temps irritant dans ce concept de Moi-peau.

Quand je l 'ai entendu pour la première fois et puis quand je l'ai lu surtout - parce que c'est à propos du décalage entre la lecture et l'audition que je poserai ma question tout à l'heure à Didier Anzieu -, j'ai été pris dans une sorte de balan-cement: de temps en temps, j'étais du côté du Moi; de temps en temps, j'étais du côté de la peau. Pour le Moi, je peux comprendre cela d'une façon isolée comme étant une partie de l'appareil psychique, un centre de la volition, un lieu du souvenir etc.. et puis de l'autre côté, quand je pensais à la peau, je me disais: "Mais comment la peau peut-elle penser, puisqu'on parle d'un Moi-peau?" Et j'ai été pris dans ce balan-cement et je crois que ça a été pour moi la richesse de ce travail. Ce "Moi-peau" fait partie de ces mots éclat, de ces mots tension, de ces mots déchirure, de ces mots lien, de ces mots tissage, de ces mots treillis, graphes et trous, pleins et vides, les mots doux, les mots à mots, les mots-à-peau; des mots qui sont inducteurs, des mots qui, lorsque nous les entendons, ne nous permettent pas d'échapper à nous-même, car soudain on s'aperçoit qu'on a fait une trajectoire du de-hors au dedans et que dans cette trajectoire-là, apparaît avec une plénitude extrême quelque chose de l'ordre de l'affect et de l'émotion, le tremblement, la rougeur de la peau, la chair de poule, les poils hérissés, qui sont la concrétion, l'émotion concrète, qui peut se visualiser quand nous écoutons de la musique, par exemple.

Et tous ces mots me renvoient à une mise en mou-vement qui est très forte où on est malgré nous balancé, un peu comme un bateau sur les vagues; ou un peu comme

quand on est bébé et qu'on est bercé dans les bras de sa maman; ou bien quand on farniente l'été et qu'on se balance dans un hamac; c'est-à-dire une prise de mouvement et un mouvement qui, quand on veut l'arrêter, continue malgré lui et fait trace, fait frayage, crée le dedans et le dehors, amène les problèmes de contenant, de contenu, et où suis -je là: dedans, dehors? A la limite? Au seuil? A la frontière? - Pour reprendre des mots que j'ai pris au passage dans l'exposé de Jean-Pierre Vidal tout à l'heure - Aux confins? A la marge? A la bordure?

Et nous sommes là devant un problème qui est fondamental. C'est ce problème de l'interface et on peut être envoyé du côté de Spinoza qui se posait la question par exemple, dans une lettre qu'il avait avec un mathématicien de l'époque, de dire: mais comment est-il possible que dans un cercle inscrit sur une feuille avec un diamètre donné, on puisse entrer dans cet espace fini, une infinité de cercles? On peut aussi penser à la note de Hegel dans la science de la logi-que sur l'infini mathématique, lorsque, faisant une comparai-son entre le segment de droite et la droite qui, par définition, est infinie en mathématique, se met tout d'un coup à s'interro-ger que lorsqu'on trace sur un tableau le segment A-B, il se demande si le petit trait vertical que l'on met pour désigner le début du segment A ou le B qui signifie la fin du segment, appartient au segment ou à l'infini. Et nous arrivons dans ce type de démarche à entrer dans le concept de l'interface. C'est-à-dire que on peut se demander du point de vue épistémologi-que pourquoi un concept comme celui de Moi-peau provoque tout d'un coup des ouvertures faramineuses et amène un champ de réflexion tout à fait étonnant

La question que je me posais, c'est: comment le sujet est-il interpelé dans la création de ces concepts épistémolo-giques, celui du créateur, et j'ai apprécié la façon dont Didier Anzieu a rappelé ce matin son itinéraire, en disant comment déjà, depuis très longtemps peut-être, on aurait pu penser qu'il allait terminer un jour à arriver à rédiger quelque chose sur le Moi-peau, et je vous renvoie à la conclusion de son livre. Donc il y a des concepts qui font ouverture et où le su-jet est interpelé. Je vais vous en donner en vrac: par exemple, contenant-contenu chez Bion, par exemple, la théorie des catastrophes chez Thom; par exemple la théorie des ensem-bles; ou bien encore la théorie de l'énergie vitale; ou bien encore l'anti-matière; ou bien encore la théorie de la relati-vité; ou bien encore "pour une crisologie"; ou bien encore "crise, rupture et dépassement".

Ce qui m'interroge du point de vue épistémologique, c'est en quoi la métaphore joue et fonctionne en tant qu'ouver-ture, mais aussi quelles sont les limites de la métaphore dans la mesure où, comme dans une axiomatique, une fois que les

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Moi-peau et culture

postulats ont été posés, après le développement ne peut se faire qu'à l'intérieur même de ces postulats et que pour sortir de ces postulats il faut inventer un autre modèle épistémo -logique. C'est-à-dire que contenant/contenu, limite, seuil, frontière, on est à un moment donné à devoir s'interroger sur ce qui fait la séparation entre les deux et tout à l'heure Didier Anzieu parlait du Moi-peau comme d'un concept intermédiaire. Ce matin, il disait que ce n'était pas un concept; on est en transit entre deux; on est dans le passage, on est dans le relai; pour reprendre une formule de Lévinas qu'il applique au visage, il dit que "le visage, c'est le ruissel-lement de l'infini" et que c'est dans le visage, en tant que la peau se montre, qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'épipha-nie qu'il prend au sens étymologique; Moi-peau, Didier Anzieu ce matin disait: c'est une métaphore à mi-chemin du corps et du code. Alors où est-il, ce Moi-peau? De quel corps s'agit-il? Quand on réfléchit à tous ces concepts que j'évo-quais tout à l'heure et qui ont été très importants dans le champ de la recherche, on peut se poser la question de dire pourquoi à un moment donné un concept émerge dans le champ scientifique qui correspond à une problématique inconsciente vécue par les individus ou au niveau groupai ou au niveau collectif. Et c'est je crois en ce sens important dans ce qu'on rappelait tout à l'heure de la différence entre le côté que Didier Anzieu appelait structuralisme ce matin et celui des éléments du travail sur le corps, c'est-à-dire ce retour à la réalité du corps, avec tous ces concepts qui finalement ren-voient pour nous au problème de l'origine, au problème du corps, au problème de la mort, au problème du devenir, au problème de l'espoir, au problème de la foi, de l'illusion, à la notion de l'après-coup.

C'est pourquoi la question que je poserai à Didier Anzieu est double: est-ce que sa formulation du Moi-peau est quelque chose qui est une nouvelle formulation de ce qu'on appelait autrefois le parallélisme psycho-physiologique? et que j'aurais envie de présenter aujourd'hui en disant que Didier Anzieu rompt ce parallélisme psycho-physiologique puisqu'on est passé du parallélisme psycho-physiologique à l'orthogonalité du psycho-somatique dans une interaction, comme il disait tout à l'heure, d'abscisse et d'ordonnée? Et la question que je vais poser à Didier Anzieu est donc la sui-vante: finalement quand on réfléchit à tous ces passages du dedans, du dehors et de l'enveloppe, pourquoi a-t-il écrit son Moi-peau avec un trait d'union entre le "Moi" et le "peau"? J'aurais envie de lui demander quelle est la valeur de ce trait d'union et j'attends avec beaucoup d'impatience le second tome du Moi-peau qui va paraître où Didier Anzieu dit qu'ac-tuellement il travaille sur: comment peut-on penser les différentes formes de pensée à partir des neuf fonctions du Moi-peau?^)

(1) p. 233, Le Moi-peau: "A son tour, la différenciation topographique de l'espace psychique entraîne des transformations des qualités sensibles en éléments de fantasmes, de symboles, de pensées. Je n'ai pu que laisser entrevoir ce qui initie ces transformations: les étudier en détail relèverait d'un autre livre. Divers auteurs, d'ailleurs, ont proposé des théories concernant les étapes de ces transformations: Winnicott, Hanna Segal (1957) avec 1' "équation symbolique", Bion avec les huit niveaux de sa "grille" jusqu'à la pensée abstraite, formalisée, etc. Pour ma part, J'envisage de montrer un jour comment chacune des neuf fonctions du Moi-peau fournit un des cadres ou un des processus de la pensée." (souligné par nous).

Didier Anzieu: % n'ai jamais promis quelque chose- comme- ce que vous êtes en train de dire; je travaille à préparer un ouvrage collectif dans lequel j'aurai ma contribution sur 'les enveloppes psychiques' et dans lequel seront reprises des études qui ne figu-raient pas dans 'Le 'Moi-peau par exemple sur l'enveloppe musicale, l'enveloppe chromatique, l’enveloppe du psychanalyste, etc...

Je vais être, dune façon inattendue, résolument cartésien. 'Vous m'y autorisez puisque vous citez Spinoza. (Pour 'Descartes, il y a trois substances: l'espace qui caractérise le corps, la pensée qui caractérise l'âme et il y a une troisième substance, l’union de l'âme et du corps, par la glande épiphyse. Mon trait d’union est là. Le Moi, c'est Came; le corps, c'est la peau, et l'union de l'âme et du corps, le trait d’union entre le Moi et la peau est une nécessité épistémologique fondamentale, si nous voulons dire quelque chose de cohérent en matière de psychologie. TLt vous avez tout à fait raison de dire que je m'inscris contre le paral-lélisme psycho-physiologique, puisque j'introduis là un troisième terme qui est un terme d’union de choses dissemblables et cependant homothétiques. C'est pourquoi le concept dobjet intermédiaire ou d’objet transitionnel me semble extrêmement important, puisqu'on peut aussi bien dire que c'est du biologique ou du symbolique, mais c'est vrai à condition que cela n'exclut pas l’autre vérité, l'autre énoncé. "Disons de même que la théorie des quantas montre qu'il est nécessaire de raisonner à la fois en terme d’ondes et en terme de corpuscules, que le difficile, c'est de trouver le trait d'union, je dirais que vous posez la question fondamentale; ce trait d'union est une nécessité épistémologique absolue; en quoi consiste-t-il, that is the question' qui reste posée.

Vous vous étonnez que je fasse un lien entre la peau et la pensée; sûrement, parce que (à, il y a un trait dunion qui man-que; celui-là, je crois pouvoir le préciser. Avant de penser, avant que nous puissions penser grâce à un appareil à penser les pen-sées, notre peau sent; elle a le sentir; elle a même cinq façons de sentir, sans compter les autres: la cénesthésie, la proprioceptivité etc... et deuxièmement, notre peau organise l'espace proche et nous rend possible de commencer de l’habiter avant même que nous puissions nous y mouvoir, ce qui suppose d’autres fonctions que celles du Moi-peau. Et c'est parce que la peau organise l'espace, accueille les sensations, permet d’organi-ser les rapports des sensations entre elles grâce à cette organi-sation de l’espace, que les conditions de possibilité de la pensée se trouvent présentes. 'Voilà en tout cas quelle est ma réponse limitée à la question très judicieuse du trait d’union.

Christian Guérin: T^pus pourrions poursuivre la discussion avec l’intervention d’Albert Ciccone concernant plus parti-culièrement des problèmes terminologiques.

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Questions terminologiques à la notion de Moi-peau

par Albert CICCONE

e voudrais poser deux questions à Didier Anzieu sous forme de deux remarques sur des points qui peuvent être considérés

comme des détails, mais qui ont suscité mon intérêt et m'ont posé des problèmes de compréhension. Ces points, en admettant que j'ai compris sa pensée sans trop la déformer, concernent d'une part la similitude que vous présentez entre l'idée de Moi-peau et l'idée de peau psychique telle que l'a développée Esther Bick, et d'autre part le parallèle que vous établissez entre le développement onto et psychogénétique du Moi-peau et la structuration des différentes dimensions de l'espace mental telle que l'ont présentée Donald Meltzer puis Didier Houzel.

J'interrogerai tout d'abord cette similitude entre la notion de Moi-peau et celle de peau psychique. Si, malgré les réductions que l'on opère en résumant une idée, une pensée, une phrase, on peut dire que le Moi-peau es t i s su du sentiment d'intégrité, de continuité de la surface corporelle tactile, dans une relation sécurisante d'attachement, il me semble que la notion de peau psychique donne un point de vue (au sens d'angle optique) différent sur les processus de genèse et d'intégration de l'appareil psychique. Si j'ai compris ce qu'explique Esther Bick, la peau psychique naît de lintro-jection d'un objet externe (externe du point de vue de l'obser-vateur) donnant une force liante et contenante aux éléments épars de la psyché infantile.

Si cet objet externe semble du même ordre que celui dont il est question dans l'intégration du Moi-peau, et que vous appelez l'environnement maternant, l'accent est mis, dans la notion de peau psychique, sur le sentiment d'être tenu, porté, nourri physiquement, mais surtout psychique-ment (ce clivage étant opéré toujours du point de vue de l'observateur). Ce sentiment d'être tenu rassemblé, contenu dans sa vie mentale, un peu comme ce que vous décrivez dans les fonctions de maintenance et de contenance du Moi-peau, est nommé comme "initial" par Esther Bick, c'est-à-dire que s'il naît de l'expérience sensorielle, plurisensorielle, émotionnelle, psychique de la situation de nourrissage, il va permettre à la peau d'être investie de sa fonction de contenir les parties du Soi.

Autrement dit, lorsque vous dites que les fonctions du Moi-peau s'étayent sur les fonctions de la peau, ne pourrait-on dire que les fonctions de la peau, aussi, s'étayent sur les fonctions du Moi-peau, dans une dynamique inter-dépen-dante? Si cette reconstruction vous semble justifiée, peut-on alors ré-interroger cette identité entre les notions de Moi-peau et de peau psychique?

La deuxième question porte sur le parallèle que vous établissez entre la psychogénèse du Moi-peau et la structura-tion de l'espace mental dans ses différentes dimensions. Vous décrivez les trois étapes de l'intégration du Moi-peau,

caractérisées pour la première par le fantasme intra-utérin, pour la seconde par le fantasme de peau commune, et pour la troisième par la constitution du Moi-peau. D'autre part, vous décrivez les enveloppes autistiques et les situez comme révé-lant une fixation au fantasme intra-utérin et un échec dans l'accession au fantasme de peau commune, lequel est lié à une dépendance symbiotique entre les deux partenaires.

Ma question porte sur le fait que, si j'ai bien compris votre pensée, vous semblez situer le second fantasme, le fantasme de peau commune, dans la bi-dimentionnalité, là où la relation d'objet repose sur l'identification adhésive. Or, ceci me semble en contradiction d'une part avec vous-même, d'autre part avec les énoncés des auteurs ayant pensé la position autistique. En effet, ceux-ci la décrivent comme caractérisée par l'identification adhésive, la bi-dimention-nalité etc..., et cette position autistique me semblerait plutôt liée à ce que vous définissez comme le fantasme intra-utérin organisateur des enveloppes autistiques et non pas au fantas-me de peau commune, dont vous dites d'ailleurs que la psyché organisée sur le mode de l'enveloppe autistique n'y a pas accès.

Je crois en fait, et ce matin encore vous parliez d'identi-fication adhésive au sujet d'exemples illustrant le fantasme de peau commune, qu'il y a une confusion entre l'identification adhésive, en tant que processus mental, et l'effet adhésif de l'identification projective.

En effet, le fantasme de peau commune me semblerait déjà lié à la tri-dimentionnalité de l'espace psychique. Ne peut-on dire que si la peau est commune, elle n'en est pas moins une peau, une frontière donnant accès et représentation à un au-delà de la frontière, c'est-à-dire à un intérieur de l'objet, lequel accueillerait non les identifications adhésives, mais les identifications projectives, dans un contexte de dépendance symbiotique tel que vous le décrivez d'ailleurs.

Dans l'identification adhésive, non seulement le sujet est collé à la surface de l'objet, mais l'objet est réduit à sa superficie, c'est un objet sans intérieur et la plupart du temps un objet inanimé, ceci ne me semble pas être le cas dans ce que vous décrivez du fantasme de peau commune

On peut donner des exemples phénoménologiques de l'identification adhésive, telle qu'on l'observe chez les enfants autistes, comme le mimétisme, l'écholalie, l'échopraxie où l'enfant se colle à la musicalité de la parole ou des actes, et pas au sens ou au contenu. Une des conséquences de l'identifi-cation adhésive est une opération de réduction unisensoriel-le où l'objet est totalement identifié à sa surface ou à un aspect qui sert de surface. Ceci ne me semble pas fonctionner ainsi dans le fantasme de peau commune où l'intérieur de l'objet auquel le sujet est collé peut être investi. Intérieur dans lequel le sujet peut s'installer, qu'il peut s'approprier, atta-quer, convoiter dans des identifications projectives.

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J

Moi-peau et Culture

Enfin la troisième étape, celle de la constitution du Moi-peau, correspondrait, si ma représentation est cohérente, à l'accès à la quatrième dimension de l'espace psychique.

Voilà les deux remarques dont je voulais vous faire part. Peut-être pourrez-vous éclairer les zones d'ombre de ma compréhension concernant ces points, et me mettre en contact avec ce qui m'a échappé ou ce que j'ai déformé dans votre conceptualisation. Merci.

N.B.: Ce questionnement fait suite à un travail réalisé par Albert Ciccone et Marc Lhopital dans le cadre de la formation à partir de la pratique (F.P.P.) à l'Université LYON H, et présenté pour l'obtention de la maîtrise de psychologie clinique en juin 1986. Ce travail est intitulé: Essai de reconstruction de la genèse et des altérations précoces de l'appareil psychique, à partir d'une épistémologie psychanalytique.

Didier Anzxeu: C'est moi qui vous remercie très inventent. 'Vous venez de donner un exempte de- ce que peut apporter un travail rigoureux danalyse des testes, de comparaison, de décons-truction des théories et des modèles, de mise à jour des modèles sousjacents, tes uns implicites et tes autres explicites; et je suis très touché intellectuellement par ce travail dont vous venez, non pas de donner Cintégralité sans doute, mais dont vous venez de dégager deux points extrêmement importants. "En ce qui concerne votre premier point et une divergence éventuelle avec "Estherliiclç 'Esther'Bickja tout à fait raison, je veux dire l’expé-rience le montre et je ne l'ai sans doute pas assez souligné dans mon livre, que le contenant psychique ne peut être introjectê par l'enfant que dans son rapport à un objet primordial, la mère en général ou un objet de type maternel. (Plus exactement comme le dit fBion, ça n'est pas l’intrqjection de la mère comme contenant, mais l’intrqjection de la relation mère/enfant comme relation contenant/contenu qui constitue là l’aspect essentiel. J'ai toujours mis cela en rapport avec l’objet mais je Coi dit très vite et en passant puisque la théorie psychanalytique de l’objet et de la relation d'objet est quelque chose supposé connu et familier, tandis qu'il me semblait nécessaire de mettre l’accent sur ce que j'apportais de singulier et d’original; mais vous avez tout à fait raison; ça risque de biaiser les choses si Con ne met pas à égalité ^importance de la relation avecl’onjet avec l’ expérimentation des enveloppes. Ce qu'Esther Bick souligne, c'est ce que j'ai appelé, moi, la consensualité, c'est-à-dire C établissement de correspondances entre des données sensorielles de type différents: entre des données visuelles et des données auditives, des données olfactives et des données tactiles etc..., qui vont permettre de constituer l’objet extérieur et l’objet au sens analytique du terme comme étant un point de convergence de sensations d'origine différente, de nature différente. "Et à ce moment-là, nous sommes déjà au point d'articulation, au point d'inflexion, où le sentir est en passe de devenir du penser. 'Donc, si vous voulez, je ne vois pas d'opposition fondamentale entre le point de vue dEsther 'Bick^et le mien. Je comprends que vous en ayez vu un, car je neisuis pas suffisamment explicite dans mon l’ivre sur ce point de la relation à l’objet et je compte bien, dans le nouveau livre que j'ai annoncé, dans les exemples cliniques que je donnerai, montrer d'une façon plus précise comment s'articule la relation à Cobjet, tes ratés de ta relation à l’’objet avec les ratés de la constitution de l'enveloppe, et réciproquement.

En ce qui concerne votre second point, il est sûr que là, mes modèles épistémologiques ont flotté et je vous remercie d'avoir bien noté cette fluctuation, enfin, comme dit le (Parisien, fluc-tuât nec mergitur, il flotte mais j'espère qu'il ne sombre pas. 'En effet, au fur et à mesure que (feltzer travaillait et que je travail-lais de mon côté, nous avons fonctionné en parallèle, j'ai donc essayé d'une façon hâtive de voir ce que je pouvais intégrer des apports de Ovteltzer dans ma propre élaboration de ma théorie; ce qui fait que je n'ai pas suivi la ligne qui était ta mienne seule du Moi-peau et que je n'ai pas suivi une ligne purement neltzé-tienne, puisque j'y apportais la considération de ta peau; donc, je vous donne tout à fait raison lorsque vous dites qu'il s'agit pour le fantasme d'une peau commune, non pas de l’identification adhésive, mais des effets adhésifs de l’identification projective, vous avez tout à fait raison sur ce plan-là et c'est bien ta l’utilité d'une réflexion épistémotogique de remettre tes concepts sur leurs pieds, mime quand on prétend ne faire que de la métaphore mais qu'on s'aperçoit qu'il y a des concepts sous-jacents implicites qu'il faut quand même tirer au clair.

Cela dit, je ne voudrais pas que ces deux concessions que je vous fais, justifiées, soient entendues comme des concessions à perpétuité; je ne voudrais pas qu'elles altèrent ce qui, je crois, fait du (Moi-peau - vos réactions aux uns et aux autres semblent le. montrer ¦ une idée-force; un jour, sa force, comme toutes les idées de ce type, sera affaiblie; il faudra alors passer à autre chose et inventer une autre métaphore. Tant que c'est une idée-force, il faut ta lui laisser; pour que cette force soit, comme te fleuve 'Marsyas, féconde, irrigante, productrice et raisonnante, lin aspect de cette idée-force, c'est que le parallélisme psycho-physiologique a surtout montré un parallélisme entre ta pensée et te cerveau; or, j'essaie de montrer, non pas un parallélisme, comme on Ca très bien dit en coordonnée cartésienne d'abscisse et d'ordonnée, entre la peau et ta psyché; ta peau qui d'ailleurs a, du point de vue embryologique, ta même origine que le cerveau; il est évidemment hors de question de nier Cimportance du cerveau; mais je ne crois pas que pour tes questions dont nous nous occu-pons de la structuration du (Moi, te cerveau ait un rôle capital à jouer; en tout cas, il n'est jamais ta que comme celui qui va recevoir les excitations transmises par ta peau et tes autres orga-nes des sens et qui va les organiser, les rendre conscients. Le matériel est fourni par te récepteur qui est à l’interface et qui est la peau. "Et je crois que dans notre pratique psychologique, d'un point de vue pragmatique, un concept est vrai dans la mesure où il réussit. Il cessera d'être vrai quand il ne réussira plus ou qu'il aura fini d'épuiser ses réussites possibles. Il me semble, dans notre pratique psychologique, que nous pouvons repenser certains pans de ta théorie psychanalytique qui commencent à être un peu usés et vétustés, leur redonner une nouvelle, vigueur avec ta perspective des enveloppes et que nous pouvons - dans des domaines para-analytiques ¦ avoir une grille qui, sous réserve des remaniements requis, permet d'éclairer, de balayer te champ dune façon plus opératoire que cela n'a été fait auparavant. 'Voilà ce que je voulais dire en réponse à vos remarques dont je vous remercie beaucoup.

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Moi-peau et corps féminin

par Danielle DRAVET

es enfants psychotiques avec lesquels je suis en travail me mènent à l'endroit de la précarité de leur enveloppe là où le psychique est pris dans le corporel.

Leur contenance est sans cesse menacée par l'émergence de la pulsion. Celle-ci les traverse comme un éclair projeté sur la toile de fond qui se tisse entre nous. Son impact est celui d'une balle laissant un trou. Trou par lequel file le mouvement pulsionnel et l'enfant effrayé avec. Mais aussi trou tanière dans lequel se blottir et raconter entre nous l'histoire de l'objet menacé. J'ai vraiment une grande reconnaissance pour cette métaphore du Moi-peau, parce que j'ai le sentiment que dans ce travail, elle m'accompagne, c 'est un peu une peau pour moi qui me permet de travailler sur cette contenance qui est sans cesse menacée en séance.

Comme il m'est arrivé à plusieurs reprises d'être en si-tuation de ne pas pouvoir penser, comme si les attaques sur le travail de pensée que je faisais m'empêchaient de penser, disons que j'ai eu à faire un travail en moi-même. Du coup, ayant à penser ces trous, j'en passai par ma propre maison corporelle et psychique pour essayer de penser ces conte-nants et ces trous et mon rapport à ces trous C'est à partir d'elle que j'en vins à me poser les questions que je désire vous communiquer: les processus par lesquels s'élabore le Moi-peau ne sont-ils pas aussi à penser en rapport avec le corps sexué dans lequel ils s'étayent à l'origine? N'y a-t-il pas un rapport étroit entre le Réel qui advient au corps au cours de ses métamorphoses, la vie fantasmatique qui lui est asso-ciée et les représentations qui permettent de la penser, ceci à l'intérieur de la dynamique identificatoire?

Il est un conte qui raconte l'histoire d'un enfant dont la vache familiale lui aurait généreusement prêté sa peau pour partir à l'aventure de la mauvaise mère-forteresse, celle qui est associée aux sensations de morcellement, de rétention, de feu dévorateur, de disparition. C'est en passant par la peau de cette bonne vache, que l'enfant se met en contact avec son monde intérieur, s'expérimente à le contenir, dedans lui, afin de parvenir comme dans ce conte-là à rentrer de cette odys-sée dans sa propre barque. Mais, si dans ce conte, la fantas-matique du corps féminin prend forme de barque, étanche, robuste, protectrice, celle-ci n'est que le port atteint d'une tra-versée de fantasmes bien inquiétants.

Femme percée, femme enveloppe creuse sont des fan-tasmes qui hantent certaines représentations culturelles; la panse matricielle, la matrice à penser sont mises en rapport dans plusieurs des sculptures de Picasso. Ainsi, La femme à la poussette représente un corps de mère creux dont l'enve-loppe n'est qu'apparence illusoire derrière laquelle s'ouvre le vide. Le plein des seins est en creux de moule à gâteau dont la promesse n'est même plus à rêver. A l 'endroit du cœur

puisant, la grille d'un poêle sans feu. La tête comme un pois chiche, sur un cou dressé de serpent, est lointaine, absente. Du bout de ses doigts, sans contact, elle pousse une poussette en ferraille d'angles droits, dans laquelle glisse, sans que rien ne puisse le retenir, un bébé de caoutchouc. Dans une autre de ses sculptures, une tête de femme en masque plat à l'avant, en passoire ronde à l'arrière. Rodin dans une de ses sculptures qui s'appelle Persée et Méduse représente cette dernière com-me une enveloppe creuse, décapitée. Son bassin n'est plus que la coque d'un tronc desséché, ouvert sur le vide.

Le mythe du tonneau percé des Danaïdes est un excel-lent objet à penser la fantasmatique du corps de la femme qui, selon la même image, peut représenter le lieu du flux incessant de la vie mais aussi en sens inverse le lieu de la perte, de l'irréparable, de l'incontenable, le lieu de l'impen-sable. Ainsi, avant d'être éprouvé comme une maison inté-rieure dans une invagination de la peau, le corps de la femme n'est-il pas le lieu d'une fantasmatisation de sac déchiré ou percé d'un trou?

Quelle est l'incidence de ce qu'il advient de réel dans son corps sur la dynamique de sa vie psychique, et tout parti-culièrement sur l'élaboration d'une peau continue et conte-nante? Ne peut-on penser que ce qui lui arrive là, réellement dans son corps, risque fort dans un premier temps d'être éprouvé comme une réalisation de sa fantasmatique de la perte.

En effet, n'est-ce pas sur fond des angoisses de castra-tion, au moment où la question est d'avoir ou de ne pas avoir, de ce qui se voit et de ce qui ne se voit pas, que lui arrive cette chose tout d'abord impensée, du sang coule d'un lieu qu'elle avait plus ou moins évité de penser comme un trou. Elle perd du sang, on lui parle de ses pertes, elle est réglée. Règle terrible d'une loi qui l'inscrit, comme les taches sur sa petite jupe d'enfant, au registre des femmes, des mères, des grand-mères. Et même si elle sait, parce qu'on lui a dit, n'est-ce pas à ses égratignures d'enfant qu'elle pense? N'éprouve-t-elle pas ce qui lui arrive là comme un accroc dans la toile encore précairement tissée juste à l'endroit où elle n'a pas ce qui se voit? N'y a-t-il pas là à penser ce que cela représente comme traversée d'angoisses et de fantasmes bien spécifiques que d'avoir à s'identifier à l'objet originel dont elle a eu à faire le deuil? Et de retrouver à l'intérieur d'elle-même cet espace d'elle-même dont elle a eu à gérer le mandat d'expul-sion? N'y a-t-il pas à penser des histoires de peau, différentes, de la différence des sexes?

Peau d'âne pourrait nous aider à penser les processus d'identification chez la femme comme se déroulant entre ces deux peaux, la peau du dehors et la peau du dedans. La peau du dehors, c'est la peau toute scintillante sous le plein feu de

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Moi-peau et Culture

l'investissement œdipien; la peau du dedans, animale, toute irriguée du sang des relations tripales avec la mère. Robe d'étoiles de la princesse, peau de bête, sale, repoussante. Les angoisses de castration ne viennent-elles pas organis er les rapports entre ces deux peaux selon des modalités qui font du trou à l'endroit du manque soit un passage de continuité où s'articulent ces deux peaux de soi en une maison de dedans, soit une mauvaise passe menaçant de perdition les navi-gateurs?

Enfin, je laisse la parole à cette jeune femme prostituée et alcoolique dont m'a parlé tout récemment son éducatrice. Celle-ci s'étonnait de la voir enregistrer dans un journal personnel tous les événements de sa vie, comme si elle met-tait en mémoire à l'ext érieur d'elle les moindres faits, les moindres gestes, tout ce qui lui arrivait dans sa vie. Elle en était étonnée et voyant que ce journal était toujours fermé, encourageante, elle lui suggère de publier ses écrits et elle lui dit: "Tu pourrais peut-être demander à la revue Femme et monde." Et à son grand étonnement, elle voit la jeune femme scandalisée lui dire: "Mais que me dis-tu là, malheureuse! Femme immonde! Qu'est-ce que tu vas penser!" Très inquiète tout d'un coup. Et puis c'est toujours cette jeune femme qui, une autre fois, rentre au foyer et lui dit toute retournée: "Tu te rends compte, il m'a offert six rosés, à moi... six rosés (cir-rhose)... mais tu entends ça, il l'a fait exprès!"

Didier Anzieu: Je vous remercie, d'apporter là un très bel exemple, illustratif de mes propres pensées, en étendant à la peinture ce que j'ai pu dire sur les enveloppes psychiques. "Et vous nous proposez comme idée – qui me sémite très intéressante ¦ de penser la peinture et la sculpture modernes, en mettant l’ac-cent sur la représentation des contenants. On sent en effet, spécialement dans la peinture de Ticasso, des transformations et des altérations des contenants qu'il essaye de fixer sur la toile. Ce que vous avez dit de la sculpture va même plus loin, puisque beaucoup des thèmes qui nous sont familiers, la mère fil de fer, la mire indifférente, la coque vide... se trouvent figurés par l’œu-vre dort. Les historiens de l’art ont beaucoup remarqué qu'une des caractéristiques de la peinture moderne depuis Ticasso, c'est de mettre l’accent sur des représentations de surface, des représen-tations de membrane, des représentations de fumée, de volute, qui me semblent être des tentatives d'inventorier Us divers signi-fiants formels, les diverses configurations des enveloppes psy-chiques; alors que l’art classique s'intéressait beaucoup plus à ce que j'appellerai 'les scénarios fantasmatiques'. "Et donc l’interpré-tation psychanalytique traditionnelle de l’œuvre d’art comme organisée par un fantasme ne correspond plus à l’œuvre d'art mo-derne, ou alors il faut dire que c'est des représentations fantas-matiques des enveloppes, Je crois que vous ébauchez là une recherche sur (Picasso par exemple qui serait tout à fait complé-mentaire, tout à fait enrichissante.

"En ce qui concerne ia représentation féminine de l’en-veloppe, vous avez tout à fait raison d'évoquer ce que j'ai très peu abordé dans mes travaux; les différences qu'il peut y avoir entre la représentation des enveloppes chez l’homme et chez la femme. "Et vos remarques sont particulièrement importantes, car la femme devenant mère, va proposer inconsciemment à l’enfant certaines représentations inconscientes de l'enveloppe qui vont pouvoir altérer ou au contraire renforcer l’acquisition de ces fonctions du Moi-peau que j'ai signalées.

Joël de Martino: 'Dans ta lignée de ce qu'a ouvert "Daniel et que vous reprenez, Userait intéressant que Germaine Tarrou, qui est institutrice détachée au musée d'Arles, puisse parler de son travail avec tes enfants pour tes introduire à l’œuvre d'art et par l’intermédiaire d'objets; travail dont vous pouvez voir des extraits exposés dehors.

Germaine Tarrou: Dans le hall de l’hôpital Joseph Imbert, quelques photos et quelques échantillons du contenu des malles pédagogiques que j'ai créées avec les conservateurs des musées d'Arles. Ce service éducatif existe depuis huit ans et nous avons réalisé pleinement qu'accueillir des enfants dans un musée pour les mettre en contact avec des œuvres d'art était insuffisant, qu'il fallait les préparer. Nous avons donc créé un certain nom-bre de malles: les trois que j'ai mises en exposition sont des malles sensorielles. A écouter tous ces travaux, j'ai réalisé avec étonnement que finalement j'avais d'abord porté mon intérêt sur le sens du toucher: l’a première malle qui a été créée, c'est une plasticienne ¦ (Marie-Josée Tillet - qui m'a aidée à la faire, sur le toucher. "Ensuite, ta malle suivante a été une éducation de l’œil, avec une malle de la couleur, et la dernière née est une malle sonore. Je dois dire que jusqu'à présent, j'ai un peu buté sur le problème de l’odorat et du goût; je n'ai encore rien créé dans ce domaine-là, et cela ne doit pas être tout à fait innocent. 'D'autre part, Monsieur Guérin m'avait demandé, en montrant ce travail de manière très succincte, de mettre tout cela en relation avec le travail d'un artiste. J'ai donc choisi avec lui de présenter le travail de Gabriel Delprat qui, je crois, est une bonne traduction par un artiste très confirmé de ce que peut être l’approche sensorielle. Il y a quelques œuvres-là qui donnent envie de tou-cher et je crois que tout le monde a tendu ia main vers ia toiie, les enfants les premiers, et c'est tout à fait normal. Je crois que Gabriel Delprat fait son papier et qu'il crée une matière proche de la peau dans laquelle son vrai jeu, c'est celui de la couleur. Il ne serait donc pas du tout opposé à cette manifestation d'intérêt par le tactile.

Joël de Martino: Nous restons dans la problématique de l’art plastique et du travail créateur avec ia contribution de Bernard Chouvier qui va nous parler de 'Moi-peau et création.

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Moi-peau et création

par Bernard CHOUVIER

e voudrais simplement introduire la question des rapports du Moi-peau et de la création par deux exemples, deux questionnements qui s'articuleront avec la présentation

que fera, de façon plus précise, Marcel Thaon à propos du travail de la création dans l'écriture.

La première question concerne ce que j'appellerais la création blanche. Didier Anzieu, vous avez présenté l'impor-tance des sur-stimulations précoces dans la formation d'un Moi-peau précoce chez le créateur. Il me semble qu'à ce propos, à partir des analyses faites sur Moby Dick et que vous reprenez dans votre ouvrage Le corps de l'œuvre (la quête de la baleine blanche en relation avec le corps de la mère), on puisse parler de l'importance du blanc dans le travail créateur. J'ai rencontré chez un peintre, Maurice Matieu, quelque chose de cet ordre-là. Le catalogue de sa der-nière exposition est introduit par un texte de Melville extrait de Moby Dick, mettant en évidence son extrême fascination pour le blanc. Une des tâches implicites que s'est en quelque sorte fixée Matieu - et qui me paraît essentielle dans sa démar-che - est de constituer le blanc en couleur décisive. Et cette exposition qui était centrée sur des chaises - "'est un de ses thèmes favoris -, le blanc intervenait, non pas comme fond, mais intervenait comme couleur à l'intérieur même des élé-ments et des thèmes présentés dans l 'œuvre. Pour avoir ensuite parlé avec lui et m'être entretenu sur le fonction-nement de son travail créateur en peinture, j'en suis venu à me demander si la logique de ses systèmes n'était pas au fond de parvenir à recréer la toile blanche, non pas comme point de départ mais bien comme point d'arrivée. Comme si cette quête de la toile blanche pouvait s'apparenter quelque part avec la quête de la baleine blanche, cet animal fabuleux, ou du bison blanc tel qu'il apparaît aussi dans les mythes des Indiens d'Amérique du Nord. C'est une question qui pose cette idée du blanc comme étant idéalisation dans la création et je crois que c'est un problème qui se pose également à propos de l'art contemporain. Et vous avez ce matin, Didier Anzieu, présenté une analyse du rêve blanc qui, je crois, répond en partie à l'une des fonctions, la fonction d'auto-destruction du Moi-peau, qui pourrait être à l'œuvre à partir de cet exemple. J'aimerais que vous puissiez peut-être m'en dire plus.

Le deuxième point qui me préoccupe, et c'est à partir de l'exemple d'un écrivain que je voudrais l'amorcer, c'est la question de la place de la pulsion de mort, c'est une question complémentaire à la première, dans le travail créateur. Peut-on dire, sans exagération, que dans le travail créateur il y va, en quelque sorte, de la peau de l'auteur? Est-ce que, d'une façon ou d'une autre, l'enjeu essentiel n'est pas de mettre sa peau en jeu? Si cela réussit, on y gagne en quelque sorte

l'immortalité; si cela échoue, on y perd la peau. D'une façon ou d'une autre, est-ce que ce dilemme, sous cette forme peut-être très caractéristique d'un type de création en tout ou rien, est-ce une dimension essentielle? Pour ma part, en travaillant les textes de George Orwell, je me suis demandé s'il n'y avait pas dans sa création, et en particulier dans son dernier ouvrage 1984, quelque chose de ce type qui était en jeu, com-me si Orwell avait mis en scène sa propre insatisfaction par rapport à son écriture dans ce dernier ouvrage qu'il a essayé de peaufiner jusqu'au dernier moment, sans arriver à lui donner la forme idéale qu'il lui souhaitait, trouvant que d'une part, la partie romancée ne le satisfaisait pas, d'autre part, la partie théorique qui était à l'intérieur du roman où il raconte comme un essai politique l'histoire de l'affrontement des blocs tel qu'il l'imaginait dans le futur, ne le satisfaisait pas. Et en quelque sorte il s'est tué à la tâche en tapant le manus-crit lui-même, en révisant sans cesse ce travail de l'ouvrage et il est mort, je crois, un an après la parution du texte. Il y a eu dans toute la quête d 'Orwell quelque chose qui était de l'ordre de cette insatisfaction, aussi, quant à la réalisation du travail créateur. C'est une question que je pose, je la laisserai en suspens, que le cas d'Orwell montre bien une des possibilités de cette mise en œuvre de la pulsion de mort dans le travail créateur.

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L'Œuvre ouverte

Didier Anzieu: En ce qui concerne la fascination du blanc, il y a deux interprétations analytiques possibles. (B. Lewin est le premier qui a attiré l'attention sur les rêves blancs; 'les rêves blancs, ça pose un problème de traduction, parce que- ce n'est pas white mais blank, blank screen, c'est-à-dire l'écran vide, donc qui reste blanc, blanc-gris du rive, c'est-à-dire que ces rêves ne sont pas des rêves défigure mais des rêves de fond; la figure d’abord n'apparaît que. sur un fond; là il y a U fond sans la figu-re. L'hypothèse de S. Lewin est qu'il s'agit du sein maternel qui est le fond de toute perception et de toute sensation. Mais le sein maternel vu par l’ enfant repu qui est en train de s'endormir dont les sensations, les contours des sensations s'émoussent, qui ne voit donc plus que dans une sorte de brouillard blanc qui est le sein de la mire tel qu'il le voit au moment où il a tété et où-son attention se relâche et où il aie nez sur la peau et donc ce serait le granité de la peau blanche du sein maternel qui serait traduit dans ce rêve.

Il y a une autre interprétation que vous avez vous-même évoquée en parlant d’interprétation créatrice et d’interprétation destructrice, c'est la destruction de la toile que de ramener la toile à la toile, sans rien y inscrire dessus. Ça serait l’aboutis-sement de la pulsion de mort, plus exactement du principe de nirvana, la réalisation du principe de nirvana, le blanc n'étant pas une couleur mais l'absence des couleurs, la suppression des oppositions pertinentes, chromatiques et lumineuses, c'est-à-dire le retour à l'indifférenciation. Et il semble dans les travaux, de thanatologie, je pense à l'enquête anglo-saxonne sur les gens atteints de morts cliniques, qui en sont revenus et qu'on a interviewés sur ce qu'ils ont vécu comme expérience de la mort,

Us signalent justement Centrée dans une lumière blanche éblouissante; c'est l’accueil de la mort, l’accueil qui rend la mort douce à supporter; mais c'est la mort quand même. C'est à ça que ça méfait penser; peut-être que la mort, c'est jus tentent le retour au sein maternel, comme ça a été dit depuis très longtemps.

"En ce qui concerne votre seconde question, je ne peux qu'être d'accord avec vous sur le travail créateur; il y va de la peau de l’auteur. Il propose sa peau, comme enveloppe possible de l'œuvre; j'ai moi-même commenté dans Machine à décroire le remarquable roman de "Bioy Casarès 'L'Invention de Morel, l'invention de cette machine qui enregistre non seulement la vue et le son mais qui enregistre la totalité des sensations d'un indivi-du et qui le rend donc immortel puisqu'on peut projeter indéfini-ment l’image complète de cet individu; l’ennui, c'est que l'enre-gistrement de cet individu mange la peau, mange l’enveloppe pour faire cet espèce de transfert de contenant de l’individu dans la bobine, dans la pellicule, que le héros est donc atteint d'une maladie de la peau, qui le conduit à une mort réelle pour une immortalité d'enregistrement sensoriel. Je crois que ça illustre bien la conjonction de la pulsion dévie et delà pulsion de mort dans la création; que le créateur se tue à la tâche, ça arrive, mais vous avez quand mime signalé l’exempte d'un créateur qui a accompli sa tâche avant de mourir; et je pensais à (Proust qui diffère sa mort jus qu'à ce qu'Hait terminé La recherche, une fois la recherche terminée, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre, une fois que chacun a terminé sa recherche, il ne lui reste plus qu'à mourir, bien sûr. 'Voilà les associations immédiates que j'aies sur vos propositions de questions.

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Les signifiants formels et le Moi-peau

par Didier ANZIEU

' entends "forme" au sens premier du terme c'est à dire l'ensemble des contours d'un objet résultant de l'organisation de ses

parties. C'est-à-dire au fond, "configuration", "figure". L'ad-jectif "formel" se rapporte à la forme ainsi définie, par exemple la logique formelle étudie la forme des raison-nements sans considérer le contenu sur lesquels ils opèrent. Signifiants formels pourraient donc se dire aussi "signifiants de configuration". Mais seulement, si on dit configuration, c'est là une vue qui reste statique, or les configurations dont je vais traiter subissent des déformations, ou opèrent des transformations qui résultent de leurs structures et des actions exercées sur celles-ci. Il s'agit ainsi de signifiants concernant les changements de forme. Ces signifiants sont des représen-tants psychiques non seulement de pulsions, mais des formes d'organisation du Soi et du Moi. A ce titre, on pourrait donc les inscrire dans une catégorie générale qui a été formulée par Freud, celle des représentants de chose, ou plus exac-tement des représentations de l'espace et des états des corps en général. Mais question immédiate, l'espace est-il une chose, n'est-il pas plutôt le contenant de toute chose? En ce sens les signifiants formels sont principalement, - et c'est pourquoi j'en parle aujourd'hui-, des représentations, des contenants psychiques. Ils possèdent chacun une propriété, ou une opérativité, qui génère en eux une transformation dont les ra tés produisent seulement des déformations. Ils constituent donc les éléments d'une logique formelle qui serait appropriée aux processus psychiques primaires et à la topique psychique archaïque. Ceci les rapproche donc de ce que Bernard Gibello a appelé les représentants de transfor-mation, relatifs aux opérations mentales cognitives. Mais il ne se limite pas aux opérations cognitives; les angoisses violentes et spécifiques qu'il dénote en font tantôt des freins à l'acquisition des premiers systèmes sémiotiques qui sont eux-mêmes la condition d'accès au langage et aux représentants de mots, tantôt des sources d'altération dans l'exercice de ces systèmes.

L'observation de Nathalie va me permettre de préciser un principe qui fonde l'importance des signifiants formels, à savoir: l'espace a des propriétés psychiques. Ceci n'a rien d'étonnant puisque que l'espace est créé par notre propre psy-chisme. Et nous ne faisons que retrouver ce que nous y avons mis. Autrement dit, pour reprendre une expression de Sami-Ali, l'espace est une réalité imaginaire. Avant de devenir un cadre contenant des objets, l'espace est indissocié des objets qui l'occupent. L'expression même d' "objets qui l'occupent" n'a, à l'origine aucun sens, cette indifférenciation d'objets, et de la place occupée par lui dans l'espace, est cause d'une des angoisses les plus archaïques auxquelles le psychisme va avoir à faire face. L'angoisse de voir un objet qui se déplace, arracher dans son mouvement la portion de l 'espace dans

laquelle il se trouve, l'entraîner avec lui, traverser d'autres objets auxquels il se heurte en détruisant leur place dans l'espace.

Nathalie, institutrice, quarante ans, s'adresse à moi pour une troisième psychothérapie psychanalytique parce qu'elle a lu mes travaux sur le Moi-peau et qu'elle pense que je peux lui être utile. Nous avons quelques séances préliminaires, où elle m'apporte beaucoup de matériel, où elle me décrit avec une froideur lucide quelles angoisses intenses et archaïques sont les siennes, une terreur sans nom, pour reprendre l'ex-pression de Bion, une terreur d'avant les mots, qui la laisse prostrée, mutique, la douleur d'une peau étrillée, meurtrie, la souffrance de l'arrachement, de l'abandon, de la chute dans l'abîme et un désir lancinant de mort, comme régression à un nirvana où toute souffrance serait exclue. Désir de se retrouver au fond de l'eau, où elle ne pourrait pas tomber plus bas, où elle se dissoudrait dans l'espace infini de la mer, peur de devenir un tourbillon de sable, ce qui m'évoquait en l'écou-tant, cet admirable roman japonais d'Abé Kobo La femme des sables.

En même temps qu'elle me décrit d'une façon froide et intellectuelle ses angoisses, je m'étonne que le vécu même de l'angoisse ne soit pas actualisé dans les séances. Ce transfert du symptôme dans la cure finit par se produire. Nathalie extériorise d'abord, non pas les angoisses, mais les mécanis -mes de défense habituels contre ses angoisses, c'est-à-dire le retrait. J'ai affaire à une séance à peu près muette de sa part dans laquelle toute les interprétations que j'essaie de donner n'ont aucun effet. Le moment de la séparation est difficile, elle refuse de se lever, et je vois, non sans inquiétude, le moment où je vais avoir affaire, comme ça m'est arrivé deux ou trois fois dans ma carrière d'analyste, à une grève avec occupation des locaux. Elle me demande un verre d'eau que je lui apporte, ce qui lui permet de partir. Elle me téléphone le lendemain, pour me demander s'il est utile qu'elle continue sa cure; je lui répond "bien sûr que oui", puisque qu'elle a enfin transféré dans celle-ci sa difficulté fondamentale de communiquer et nous allons pouvoir travailler sur ce problème dès la prochaine séance. Je me prépare intérieu-rement très à l'avance à cette séance suivante. Je laisse ma réflexion errer dans l'espace - l'espace au sens astronautique, à ce que les astronomes peuvent projeter dans l'espace au sens le plus vaste du terme. Je pense à ces trous noirs par exemple, analogues aux trous noirs de l'esprit de ma patientequi l'angoissent, ou encore, je pense au thème einsteinien de la courbure de la lumière, qui au lieu de se propager en ligne droite, s'incurve soit de ces trous noirs dans lesquels elle ris -que de sombrer, soit des gros amas d'étoiles et de galaxies qui exercent sur elle leur attraction. Nathalie arrive à sa séan-ce, elle a lu une biographie d'Einstein pendant l'intervalle.

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J

L'Œuvre ouverte

Elle m'explique qu'elle a beaucoup pensé à la séance précé-dente et elle me dit: "au fond, quand je communique avec vous, je vous vise par ma communication, mais ma communication en cours de route s'incurve, se perd dans l'espace, et ne vous atteint pas." Donc l'un et l'autre, nous avions eu recours, simultanément et sans nous concerter, à la considération de l'infléchissement de la communication, qui empêche celle-ci d'atteindre son destinataire.

Le signifiant formel ici, peut se formuler de la façon suivante: "une ligne droite s'incurve". La pris e de conscience du signifiant formel a permis à Nathalie et à moi-même d'être sensibles aux distorsions de la communication entre nous, et à la nécessité fréquente d'opérer des vérifications et des re-dressements correcteurs.

Gérard. Gérard est un travailleur social d'une trentaine d'an-

nées. Il est en cure analytique à trois séances par semaine en position allongée. Dans la première partie de sa cure, il transfère sur moi l'image d'un père bon technicien, mais taciturne. Puis, le transfert bascule à la suite d'un rêve, dans le registre maternel. Deux éléments sont alors mis en évidence, d'abord, sa mère l'a nourri au sein généreusement, au risque pour le bébé d'être étouffé par sa propre avidité, le rêve d'un torrent qui l'emporte, et il s'accroche au passage aux arches d'un pont. Puis l'enfant grandissant, cette mère lui parlait mais lui parlait d'une façon imprécise, vague, générale, et quand elle l'habillait, elle lui achetait des vête-ments toujours trop larges et trop grands pour qu'ils puissent faire l'affaire encore un ou deux ans par la suite: que ce soit l'habit de paroles ou l'habit de vêtements, cet habillage était approximatif, vague. Plus Gérard explorait ce registre dans les séances, plus il éprouvait un besoin d'activités physiques intenses à l'extérieur, pour cultiver son souffle; il faisait dix kilomètres de jogging avant de venir à sa séance, ce qui me plongeait dans des abîmes de perplexité. Le contre-transfert se loge où il peut. Donc, il cultivait son souffle, menacé par une tétée trop rapide ou bien il resserrait sa ceinture mus-culaire au lieu de flotter dans des habits trop grands. Cessant le jogging, il en vint à s'entraîner sur le dos à soulever des haltères de plus en plus pesantes, toujours avant sa séance. Je restais assez longtemps à me demander ce qu'il voulait me dire, à propos de sa position allongée sur mon divan. Nous finîmes par faire le lien avec le plus ancien souvenir angois -sant qu'il lui était resté de sa petite enfance, et dont il avait parlé jusque-là de façon trop vague et trop floue pour que nous puissions en faire quelque chose. Allongé dans son petit lit d'enfant, il mettait un temps interminable à s'endormir car il voyait sur le guéridon en face de lui une pomme qu'il vou-lait qu'on lui donne, mais sans pouvoir ni savoir dire qu'il la voulait. Sa mère qui recevait les messages aussi mal qu'elle les émettait, ne réagissait pas, faute de comprendre le sens des pleurs du bébé qu'elle laissait persister jusqu'à ce que Gérard tombe dans le sommeil, de fatigue.

Bel exemple au passage d'un interdit du toucher resté trop confus et d'une fonction contenante de la mère restée trop imprécise, pour que le psychisme de l'enfant se sentant assuré dans son Moi-peau, renonce à la communication tactile originaire, pour un échange langagier support d'une com-préhension mutuelle. S'exercer aux haltères, c'était fortifier et faire grandir suffisamment un de ses bras pour qu'il arrive à prendre par lui même la pomme. Tel était le scénario incons-cient sous-jacent à cet effort de développement d'une seconde peau musculaire. Je peux donc formuler ainsi le signifiant formel qui est à l'œuvre dans ce cas: "un bras s'allonge".

Ces deux exemples sont évidemment dissemblables car extraits d'organisations psychologiques différentes. Nathalie a traversé dans sa vie plusieurs épisodes autistiques, Gérard est normalement névrosé. "Une ligne droite s'incurve" expri-me toute l'angoisse de perte du contact avec l'objet primor-dial et la déformation de l'espace psychique ainsi que des communications qui y prennent place. C'est la pulsion d'attachement qui s'y trouve frustrée. "Un bras s'allonge" s ' inscrit dans la dialectique du sevrage et du complexe d'Œdipe précoce, la pomme désirable symbolise le sein nour-ricier, le bras qui s'allonge, l'érection, la pulsion en jeu ici est évidemment libidinale.

Signifiants formels et signifiants de démarcation. Malgré ma réticence initiale concernant l'emploi du ter-

me "signifiant", en dehors du champ du langage, j'ai finale-ment été convaincu par les arguments de Guy Rosolato dans son article Destin du signifiant publié dans la NJÏ.P. en 1984, et repris en tête de son dernier ouvrage, Eléments de l'interprétation paru chez Gallimard en 1985. Assimilant le signifiant à l 'élément alpha selon Bion et élargissant la notion, Rosolato distingue les signifiants proprement linguis -tiques c'est-à-dire articulés à un signifié et renvoyant à un référant et ainsi constitutifs des signes, il les distingue des signifiants de démarcation qu'il rapproche des représen-tations de chose selon Freud. Ces signifiants de démarcation s'originent dans la petite enfance et peuvent être antérieurs à l'acquisition du langage. Leur poids d'imprégnation est consi-dérable sur le fonctionnement psychique. Ils permettent la mise en mémoire d'impressions, de sensations, d'épreuves trop précoces ou trop intenses pour être mises en mots par le petit enfant. Pour reprendre la distinction familière aux sémioticiens du sens et de la signification, ce sont les signi-fiants de démarcation qui donnent sens à la communication non verbale. Ils s'imposent donc au psychisme comme inef-fables. Après-coup, ils peuvent prendre valeur de signe par fixation à un signifié donné, et acquérir ainsi des significa-tions proprement dites.

Le but de la cure analytique, - et je suis là pleinement d'accord avec Rosolato -, c'est la traduction des signifiants de démarcation énigmatiques, grâce à la parole, par des signi-fiants l inguistiques; c 'est la fonction majeure de la psychanalyse. Les signifiants linguistiques, c'est-à-dire les phonèmes, sont en nombre fixe, limité, tandis que leur combi-naison est en nombre indéfini. Et l'articulation de ces combinaisons de signifiants à la diversité des sémantèmes, c'est-à-dire des signifiés, s'effectue selon des liens à peu près purement conventionnels. A toutes ces caractéristiques s'opposent les signifiants de démarcation. Les signifiants de démarcation sont en nombre illimité, mais chez une même personne, ces signifiants, importants pour la compréhension de sa psychopathologie, sont en nombre restreint; ils consti-tuent le matériel proprement analytique et l'objet de l'inves-tigation analytique.

Troisièmement, l'articulation du signifiant de démarca-tion aux sensations, images, affects, qui ont fait problème à la psyché infantile, relève non pas de ce qu'on pourrait appeler une convention collective, mais d'un lien singulier dont la spécificité individuelle devrait être reconnue et mise à jour par le travail de l'interprétation.

Quatrième différence entre les signifiants de démarca-tion et les signifiants linguistiques, le signifiant, qu'il soit linguistique ou de démarcation, se développe sous forme d'oppositions distinctives, marquées par la présence ou l'absence d'un trait distinctif pertinent. Ainsi Rosolato pro-pose-t-il pour les signifiants de démarcation, en commentant

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A partir du Moi-peau

l'article de Freud sur la négation, la liste suivante de paires d'oppositions, vraisemblablement chronologique si ce n'est logique: plaisir-déplaisir, puis bon-mauvais, puis absence-présence, puis dedans-dehors, puis passivité-activité, enfin soi-même-autre. Le signifiant de démarcation selon Guy Rosolato, est délimité, c'est-à-dire démarqué, comme figure sur un fond. Là où ma position se nuance par rapport à celle de Rosolato, c'est qu'il me semble que le schéma figure-fond, qui est d'une extrême importance, n'épuise pas à lui seul, la richesse et la diversité de ces signifiants. Il n'est, à mon sens, qu'un cas particulier d'un fonctionnement plus général, d'un signe d'une fragilité, fragilité de la différenciation entre l'espa-ce bi-dimensionnel et l'espace tri-dimensionnel que nous commencions d'évoquer hier. D'autres effets de cette indif-férenciation peuvent être repérés parmi les signifiants que j'appelle formels et d'autres types d'indifférenciation sont à prendre en compte. Dans l'exemple de Nathalie, que je citais tout à l'heure, c'est l'indifférenciation ligne droite-ligne courbe qui est en jeu. Je me retrouve d'accord avec Rosolato lorsqu'il précise: "ce sont les signifiants qui sont pour nous les objets dans une interraction continuelle entre les sensa-tions, qui prennent leur impact perceptuel, les réponses ini-tiales innées de l'enfant, et l'attention anticipatrice de la mère sur les signifiants de démarcation." Mais je suis moins convaincu par Rosolato lorsqu'il se contente d'ébaucher une liste très classique de ces objets qui seraient donc des signi-fiants primaires, le sein, l'objet anal, le regard, la voix, et enfin le phallus. En effet, les signifiants que j'appelle for-mels, sont constitutifs non pas tant des objets qui forment les contenus psychiques inconscients fondamentaux, que des contenants psychiques. Or justement la pensée de Rosolato reste très discrète et évasive sur le rôle et les avatars de cette opposition distinctive, pour moi fondamentale, depuis que j'ai pris connaissance des travaux de Bion, à savoir l'oppo-sition contenant-contenu.

Par contre, je me retrouve d'accord avec Rosolato lors-qu'il souligne la dimension spatiale caractéristique du registre du signifiant de démarcation. Je le cite: "souvenir d'expé-rience de type analogique vécu dans l'enfance, image restée à l'abri du langage, relation entre les différents stimuli sensoriels incarnant des relations précises avec autrui, avec la mère de la petite enfance, dans un contact corporel, dans une position spatiale, une manière de porter, une proxé-mique." Et Rosolato de souligner ajuste titre l'importance de la gestualité analogique qui permet de se comprendre sans mot, qui assure une communauté avec d'autres par le jeu des sympathies et des adhésions. Il y a donc bien là un terrain d'identification réciproque proprement somatique et tactile. J'ajoute pour ma part que pour que cette communication sans mot puisse fonctionner, il convient d'y ajouter la constitution d'un fantasme d'une peau commune entre la mère et l'enfant par laquelle justement cette compréhension sans mot, cette gestualité analogique peut faire circuler du sens mais non pas encore des significations.

Les signifiants que j'appelle formels s'apparentent égale-ment aux pictogrammes que Piera Aulagnier, dans La violen-ce de l'interprétation, considère comme typiques du niveau originaire de la psyché, ou plutôt constituent à mon sens une première étape dans la symbolisation de ces pictogrammes. Ils relèvent donc de ce que Joyce Mac Dougall appelle l'hystérie archaïque qu'elle a étudiée particulièrement chez les patients présentant des maladies psychosomatiques variées, c'est-à-dire que le même patient a des manifestations psychosomatiques, mais sur des organes différents pour des fonctions différentes, non pas un trouble psychosomatique localisé à un organe spécifique. Joyce Mac Dougall

précise l'enjeu de ces signifiants: ils représentent une lutte pour la survie psychique, ce qu'elle illustre par le cas d'une patiente qui écartait de son moi psychique toute pensée hos-tile envers une mère intrusive et un père effacé, afin de gar-der avec l'un et l'autre des liens épurés a-corporels, sa détresse - je cite Mac Dougall - "ne s'exprimant que de façon archaïque et non symbolique par le dysfonctionnement somatique". Et elle ajoute: "nous ne rencontrons pas dans ces cas des solutions de compromis aux problèmes sexuels et œdipiens propres à la névrose, mais nous rencontrons une sexualisation primitive impliquant le corps tout entier qui s'offre comme lieu pour le conflit". Le signifiant formel s'inscrirait donc dans le cadre d'une exigence fantasmatique originaire que J. Mac Dougall traduit ainsi: "un corps pour deux, une psyché pour deux", d'où le titre de son article: L'être manquant de sa moitié. Ce qui est une autre façon de désigner ce que j'entends par Moi-peau, mais un Moi-peau confronté alors à une Imago maternelle gravement conflictuelle mélangeant promesses de vie et menaces de mort. Et le clivage de cette Imago va de pair avec le clivage chez le patient du Moi psychique et du Moi corporel. Ainsi, plus redoutable encore que le fantasme décrit par Mélanie Klein d'une mère au pénis, dans ce cas là, la représentation que la mère a de son propre sexe et qu'elle transmet à son enfant serait l'image d'un vide illimité; d'où on rejoint l'hypothèse de Bion selon laquelle l'angoisse de vidage, l'angoisse de vidange est anté-rieure aux angoisses de morcellement et de dévoration et signe justement la perturbation du contenant psychique origi-naire. Le signifiant formel serait une tentative pour border ce vide en même temps qu'une réalisation imaginaire des diver-ses façons dont le Moi corporel de l'enfant peut se sentir aspiré par ce vide.

Une autre conséquence de la perturbation du Moi qui sous-tend le signifiant formel est que celui-ci n'est pas refou-lable, car le Moi ne disposait pas encore du refoulement. Il tend donc à s'imposer sous forme d'un vécu hallucinatoire. Et ce que Freud décrivait du rêve en 1900 dans le dernier chapitre de Die Traumdeutung s'applique aux signifiants formels: non seulement se produit dans l'appareil psychique un mouvement régrédiant du pôle moteur vers le pôle perceptif, mais encore, cette régression topique s'accompagne d'un état crépusculaire intermédiaire entre la veille et le sommeil. Aussi le signifiant formel est-il souvent vécu par le patient comme un rêve particulièrement angoissant, comme un cauchemar éveillé.

Caractéristiques des signifiants formels. Le signifiant formel a une structure différente de celle

du fantasme. Je rappelle les traits fondamentaux des scéna rios fantasmatiques, du moins tels que les conçoit Freud, car chez Mélanie Klein il y a de petites variantes. Le scénario fantasmatique caractérise la névrose et il est construit, sans doute autour de la deuxième année d'existence, sur le modèle de la phrase qu'il met en image visuelle et il est donc posté rieur à l'acquisition du langage. Le scénario fantasmatique comporte un sujet, un verbe, un complément d'objet. Le sujet et le complément d'objet sont des personnes ou des animaux représentatifs de personnes, et il s'ajoute en général un specta teur de l'action qui représente le sujet de renonciation distinct du sujet de l'énoncé. Et l'action se déroule dans un espace à trois dimensions. L'investissement pulsionnel du fantasme est un mixte de sexualité et d'agressivité et l'exemple canonique analysé par Freud c'est: un enfant est battu sous-entendu, par son père. , .

Les signifiants formels présentent des caractéristiques sur chacun des ces points opposés. Ils sont constitués non pas

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L'Œuvre ouverte

tellement d'images visuelles et relativement peu d'images sonores, donc ils ne font pas appel aux organes des sens distaux, mais aux organes des sens proximaux. C'est-à-dire, sensations proprioceptives, tactiles, cénesthésiques, kinesthé-siques, posturales, d'équilibration. Leur mise en mots n'aboutit pas à une phrase mais au syntagme verbal, c'est-à-dire au groupe sujet-verbe. La phrase qui les traduit n'a pas de com-plément. Le verbe échappe à la voix active comme à la voix passive et il est généralement réfléchi: "un bras s'allonge", "une ligne s'incurve". Le sujet est grammatical, ce n'est pas une personne, c'est une forme physique isolée, une forme ou une force physique ou un morceau de corps vivant, mais pas un corps entier. Il est incertain, si ce sujet du syntagme est affecté d'un adjectif possessif - "mon", "ma" - ou d'un article impersonnel - "le", "la", "un", "une" : "mon bras s'allonge" ou "un bras s'allonge". Il ne s'agit pas d'une scène au sens théâtral ou architectural mais, comme je l'annonçais au début, d'une transformation d'une caractéristique géométrique ou physique d'un corps, transformation qui entraîne une dé-formation, voire une destruction de la forme. Cette transfor-mation se déroule sans spectateur, elle est souvent ressentie par le patient comme étrangère à lui-même, elle se déroule dans un espace bi-dimensionnel et ces transformations relè-vent principalement des divers types de confusion dedans-dehors, alors que dans les scénarios fantasmatiques, les ac-tions relèvent de la confusion imaginaire-réel. Les signifiants formels sont monotones, répétitifs, identiques chez un pa-tient donné et il ne suscitent pas ces variantes comme le cas du fantasme avec ses permutations de place et de personne. Enfin, pour conclure cette longue liste de différences, le signi-fiant formel dans sa déformation pathologique subit une déformation qui est ressentie comme irréversible alors qu'il y a réversibilité des places et des actions dans le fantasme; déformation ressentie comme irréversible qui alimente la réaction thérapeutique négative.

Voici d'autres exemples de signifiants formels : "un axe vertical s'inverse", nous l'avons évoqué hier à propos du mythe de Marsyas et du problème de l'accès à la verticalité, "un appui s'effondre", "une surface se fronce", "une bande se tord", je fais allusion ici à l'analogie avec l'anneau de Moebius, "une surface plane tourbillonne" (ce dont Didier Houzel a fait la caractéristique de l'espace psychique de l'au-tisme), "une surface plate ondule" (nous l'observons dans de nombreux cauchemars d'enfants, voire de grandes personnes, dans la mesure où un enfant sommeille toujours au sein de nous), quand l'enfant se réveille en désignant sur sa cou-verture un espace de creux et de bosses qui est absolument épouvantable pour lui. "Une bulle se clôt sur elle-même", "un volume s'aplatit", "un sac percé fuit", "un trou aspire", ou en-core, pour quitter les configurations spatiales et entrer dans les états de base de la matière, "un corps solide est traversé", "un corps gazeux explose", "un corps liquide s'écoule ou est pris d'une agitation incoercible".

Signifiants formels et fonctions du Moi-peau. La grille que j'ai proposée dans mon ouvrage des neuf

fonctions du Moi-peau me semble permettre une interpré-tation des signifiants formels. Pour reprendre l'exemple de Nathalie, la fonction de maintenance ou de soutènement est la première à se rétablir chez cette patiente après trois mois d'une lutte intérieur; constante de sa part. J'ai évoqué son image du corps sous forme d'algue et son passage à la représentation cette fois -ci plus solide, l'accès à une relative verticalité par l'image du cèdre. Toujours emprunté à Natha-lie, un exemple de la fonction contenante du Moi-peau appa-raît dans le rêve qu'elle fait préalablement à son premier rendez-vous avec moi. Elle m'a écrit pour demander rendez-

vous, je lui réponds pour lui proposer un rendez-vous, elle ne savait pas si j'accepterais de la voir, et dans l'intervalle entre le reçu de ma lettre et sa visite, elle fait le rêve que je la reçois dans ma salle à manger sur la table de laquelle il y a une nappe, et je lui remets un foulard de soie bleue, qu'elle interprète elle-même, puisqu'elle a déjà fait deux psycha-nalyses antérieurement, comme le besoin d'être nappée, c'est- I à-dire enveloppée, contenue, que je lui donne de la soie, c'est-à-dire en le mettant au masculin que je lui donne "un Soi" cohérent, et de couleur bleue, couleur de l'azur, couleur du soleil, couleur de la vie, couleur de l'espérance. Cette même patiente fournira après quelques mois d'analyse le rêve blanc, c'est à dire qu'on va y retrouver cette angoisse que j'évoquais au début de la confusion entre l'objet et l'espace et de leur dissolution dans les trous noirs, il n'y a que des formes vagues et changeantes dans son rêve, qui n'émergent plus comme figures sur un fond, donc destruction de l'opposition figure-fond, les formes se déforment, se mélangent, s'intri-quent et s'interpénétrent, elles disparaissent comme aspirées par le fond, la figure est aspirée par le fond, les formes se déforment, se mélangent, se disséminent, et il n'y a plus rien qu'une surface vaguement blanchâtre. Ce que je traduis comme une manifestation de cette neuvième fonction que j'ai essayé de décrire, fonction toxique du Moi-peau, fonction d'auto-destruction de l'enveloppe par elle-même, la rappro-chant des phénomènes auto-immunes en biologie.

La fonction de pare-excitation donne lieu à des signi-fiants formels autour du thème d'un Moi-peau coque ou coquille ou d'un Moi-peau carapace ou crustacé pour faire allusion aux travaux de F. Tustin sur l'autisme, d'un Moi-peau cuir, d'un Moi-peau musculaire pour reprendre l'expres-sion d'Esther Bick. J'emprunterai l'exemple au travail récent de Didier Houzel sur le monde tourbillonnaire de l'autis-me. La fascination des enfants autistes, dit-il, pour certains phénomènes naturels, le vent, les feuilles tourbillonnantes, l'agitation des branches d'arbre, leur intérêt compulsif pour les machines dotées de mouvement continu, machine à laver, ventilateur, ou pour les dispositifs qui actionnent des élé-ments liquides ou gazeux, séchoir à cheveux, aspirateur, chasse d'eau, leur stéréotypie de giration, type derviche, rotation des roues de petites voitures, transformation en toupie de nombreux objets. Tout cela, écrit Didier Houzel, évoque un monde fluide et circulaire en même temps qu'une tentative désespérée pour maîtriser ce monde dans lequel l'enfant semble se sentir emporté. Tout se passe comme si l'enfant était emporté dans un monde infernal, créé par ses propres mouvements pulsionnels et émotionnels faute d'avoir pu se constituer une enveloppe psychique adéquate qui lui serve de repère, qui marque ses limites et celles de l'autre. L'anneau de Moebius est au sens mathématique une variété à deux dimen-sions, c'est-à-dire qui se développe dans un espace bi-dimen-sionnel. Comme modèle du monde tourbillonnaire de l'au-tisme, Houzel propose le tore à trois dimensions plongé dans un espace à quatre dimensions. Par exemple, un cube dont on collerait ensemble la face supérieure et la face inférieure, la face droite et gauche. Essayons d'imaginer un voyageur qui parcourt le tore de niveau trois. S'il sort par la face supé-rieure, il entre aussitôt par la face inférieure, s'il sort par la face droite, il entre aussitôt par la face gauche, le monde de ce voyageur n'a ni extérieur, ni intérieur, il lui est impossible d'en sortir, et en même temps, il n'est pas illimité, il n'est pas dépourvu d'enveloppe. Voici comment les mathématiciens Thorton et Dwight décrivent la vie dans un tore de dimension trois: dans une telle variété, la lumière émise par la partie postérieure de votre corps traverse le mur qui se trouve derrière vous et réapparaît par le mur qui se trouve devant

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A partir du Moi-peau

vous. En regardant devant vous, vous pouvez donc observer votre dos, regardez vers la droite et vous verrez votre profil gauche, regardez par terre et vous verrez le sommet de votre tête, mais en fait, comme la lumière se propage dans la pièce dans toutes les directions, vous observez une infinité d'ima-ges de vous-même et de la pièce, toutes disposées selon un réseau rectangulaire.

D'où l'hypothèse de Houzel d'un fantasme autistique d'auto-engloutissement par courbure de la pulsion sur elle-même. Donc cette fois -ci ce n'est plus "une ligne droite s'in-curve" mais c'est "le mouvement de la pulsion s'incurve sur lui-même" ; mouvement semblable à la torsion de l'anneau de Moebius qui fait confondre à l'enfant la source de la pulsion avec l'objet de la pulsion, d'où un monde cauchemardesque, où on ne peut se débarrasser des éléments destructeurs où étrangers puisqu'ils reviennent à leur point d'origine, c'est-à-dire que la projection est même impossible. Meltzer - c'est un exemple que reprend Didier Houzel - décrit comment un enfant autiste vit un moment de triomphe en regardant par la fenêtre les oiseaux du jardin qu'il vit comme des bébés exclus à l'extérieurs: 'Enfin les bébés sont sortis du ventre de la mère!'. Et aussitôt, il se tape la tête contre la fenêtre car les bébés extérieurs se sont transformés en bébés intérieurs triom-phants et son triomphe se retourne en rage incompréhen-sible.

Concernant la fonction d'individuation du Moi-peau, on peut citer ce symptôme fréquent du patient qui a peur de se regarder dans la glace de crainte de ne pas se trouver lui-même et de trouver quelqu'un d'autre, de trouver par exemple la tête de la mauvaise mère.

Concernant la fonction d'inter-sensorialité ou de consensualité, c'est-à-dire de constitution de la constance de l'objet, par la mise en correspondance de données sensorielles provenant d'organes des sens différents. J'évoquerai un psy-chodrame particulièrement angoissant sur le thème "les orga-nes du corps font sécession et veulent fonctionner chacun de leur côté, chacun pour soi" dans une anarchie dramatique qui concrétise le mécanisme de démantèlement décrit par Meltzer. Si dramatique que l'animateur de ce groupe qui connaissait l 'existence du Moi-peau s 'est cru obl igé de prendre le rôle de la peau qui réunit et enveloppe le tout car il ne pouvait pas supporter cette dissociation des organes. Le dernier vers du vingt-troisième sonnet de Shakespeare, - c'est Masud Khan qui le cite -, fournit un signifiant formel typique de ces concordances inter-sensorielles chères aux écrivains, l'œil entend. Le soutien de la peau de l'excitation sexuelle, est évident dans le signifiant formel cité à propos du cas de Gérard, "un bras s'allonge". Il s'agit là d'un signifiant mascu-lin, le signifiant féminin serait "l'hymen se troue". Je dois à Annie Anzieu l'hypothèse que la peau commune à la mère et à la fillette serait d'abord investie de libido narcissique avant de l'être de libido sexuelle objectale dans l'accès de la fillette au complexe d'Œdipe, afin de permettre à celle-ci d'avoir une enveloppe à elle apte à contenir ses désirs naissants pour le père. Ces trous psychiques apportent le pressentiment de la défloration, l'hymen étant alors investi du désir de pénétra-tion par le père. La peau commune à la mère et à la fillette se réduirait donc à une partie érotisée, l'hymen, membrane commune à elles deux par où passe le père, objet commun de leur désir. A la peau comme surface de stimulation perma-nente du tonus sensori-moteur par les excitations externes, répond la fonction propre au Moi-peau de recharge libidinale du fonctionnement psychique, de maintien de la tension énergétique interne et de sa répartition inégale entre les sous-systèmes psychiques. Dans mon ouvrage, j'ai signalé les deux principaux ratés de cette fonction. L'angoisse de l'explosion

de l'appareil psychique sous l'effet de la surcharge de l'excita-tion, par exemple la crise épileptique, et l'angoisse du Nirva-na devant ce qui serait l'accomplissement du désir de réduc-tion de toutes les tensions à zéro.

Dans le premier roman de Samuel Beckett, écrit en anglais à Londres, pendant sa psychanalyse avec Bion, en 1935-36, le personnage de Murphy, qui donne son nom à l'ou-vrage, oscille entre ces deux positions extrêmes, tantôt le retrait initial du monde extérieur, physique et social, dans la béatitude de l'auto-bercement dans un rocking-chair et tantôt l'explosion finale suicidaire en branchant un tuyau de gaz dans les chasses d'eau des cabinets.

Enfin, la fonction d'inscription des traces oscille elle aussi entre deux extrêmes, traces si profondément gravées qu'elles deviennent indélébiles et mortifères, par exemple le condamné à mort de la colonie pénitentiaire de Kafka qui ignore pourquoi il est condamné à mort: le supplice consiste à l'introduire dans une machine qui inscrit par l'intermédiaire d'un stylet qui lui déchire la peau, en caractères gothiques, pour que le supplice soit plus intéressant, l'article du code qu'il a transgressé, et quand il a pu lire sur sa peau cet article du code complet, la punition a lieu, à savoir qu'il meurt. La malédiction maternelle inscrite sur la peau et qu'il faut cher-cher à effacer. Donc, soit la trace est si fragile qu'elle peut s'effacer et être définitivement perdue, soit la trace est si profondément gravée qu'elle devient indélébile et mortifère.

Les signifiants formels, je l'ai annoncé dès le départ, ne sont pas statiques, mais sont le signe d'une transformation ou d'une altération de l'enveloppe psychique, rétrécissement, courbure, aplatissement, ondulation, aspiration, tourbillon, chute, vidage, arrachage, transpercement, explosion. On peut les considérer comme des variantes ou des spécifications de mécanismes de défenses archaïques qui sont actifs autant - et même plus - contre les contenants psychiques que contre les contenus. Fragmentations, déchirure, pulvérisation. Il con-vient d'évoquer, comme je le faisais en commençant très rapi-dement, les représentants de transformation chez Gibello; ces représentants de transformation sont plus universels, plus "normaux", plus discrets dans le matériel des séances: c'est la superposition, l'emboîtement, le décollement, le dédouble-ment, l'inversion de sens, la trace, l'ouverture-fermeture, la convergence, la mise à distance, la mise en perspective, la mise à l'écart. Deux de ces transformations sont particuliè-rement importantes pour le développement du psychisme et demanderaient une étude spécifique, la symétrie, ou plutôt les trois symétries sur les trois plans de l'espace euclidien, vertical, horizontal, sagittal, et la réflexivité dont je rappelais hier que, selon ma théorie, elle est d'abord tactile, olfactive, auditive, puis visuelle, et enfin intellectuelle.

L'interprétation des signifiants formels s'intègre dans un travail plus général d'interprétation des contenus psychiques. Je serai bref ici sur des questions qui nous font entrer dans des détails de la technique analytique, je dirai qu'il convient d'amener le patient à décrire la configuration particulière de ses enveloppes en l'aidant à nommer cette configuration si elle est inconsciente. Il convient de rattacher les altérations des enveloppes et les failles qu'elles entraînent dans le fonctionnement du Moi, aux traumatis mes et aux expériences qui étaient faites dans la petite enfance, notam-ment avant l'acquisition de la parole, ou même si la parole était acquise, des circonstances telles que la mise en parole n'a pas pu être possible. D'où tout un travail de construction des traumatismes survenus dans cette période de relation pré-coce, qui non seulement produisent des distorsions des enveloppes, mais qui empêchent le développement de la

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L'Œuvre ouverte

fomentation fantasmatique et l'accès à l'organisation défen-sive des scénarios fantasmatiques: nécessité de repérer comment ces traumatismes originaires ont concerné surtout l'altération des oppositions distinctives primaires sensorielles, kinesthésiques et rythmiques, d'entendre, - pour reprendre une expression de Christian Guérin -, la distorsion des com-munications émises et reçues par le patient pendant les séan-ces comme des transferts de contenants. L'interprétation des altérations des contenants psychiques relève surtout de la perspective topique et non pas tellement dynamique ou écono-mique, l'interprétation se parle en terme d'espace psychique, de confusion des objets et de leur place, de déformation de l'espace au voisinage des objets, de difficulté à réunir sur le même objet, le psychanalyste, des sensations d'espace diffé-rentes, etc.

L'implication personnelle de l'analyste est sollicitée par le patient, elle est nécessaire jusqu'à un certain degré à la bonne marche du travail analytique sur les signifiants for-mels. Le contre-transfert est intensifié dans sa double polarité de l'attachement au patient, du rejet du patient, de l'amour et de la haine. L'interprétation en première personne, "voici comment je ressens personnellement la situation avec vous", utilise le vécu du contre-transfert comme moyen de commu -niquer la compréhension qu'on a au patient. Avec ces patients qui souffrent de l'altération profonde des signifiants formels, il s'agit non pas tant d'analyser que de les aider à faire des synthèses. Pour cela la situation analytique, si l'analyste s'y implique suffisamment d'une façon suffisamment contrôlée, permet au patient de vivre - non pas de réfléchir et de penser -mais d'abord de vivre les exp ériences structurantes qu'il n'a pas faites dans la petite enfance, l'aire transitionnelle par exemple dans le cas de Nathalie - la solitude en présence de quelqu'un pour reprendre l'expression de Winnicott, l'acces-sion à un parler vrai, l'effort pour se mettre sur la même longueur d'onde, etc.

Pour conclure, je souhaite souligner les points suivants: les signifiants formels sont pertinents pour décrire la cons-truction du Moi et du Soi, ils sont aisément métaphorisables, ils introduisent au repérage des enveloppes psychiques et de leurs altérations, ils sont investis surtout par la pulsion d'atta-chement et par la pulsion d'auto-destruction. Leur reconnais -sance et leur compréhension est utile, voire nécessaire à l'analyste, pour interpréter, avant de travailler sur le conflit pulsionnel, pour interpréter les altérations de l'espace psy-chique et des fonctions du Moi correspondantes. Je vous remercie pour votre attention.

Christian Guérin: Merci, (Didier ftnzieu, de ce travail nouveau pour plus d'un et plus que stimulant. Un élément de réflexion: l’appréhension dune hypothèse peut se faire, de deux manières, soit de L'intérieur par (a liste que vous avez proposée dans la deuxième partie de votre intervention, des caractéristiques des signifiants formels qui permet de les situer de l’intérieur; et ils peuvent être aussi repérés de l'extérieur, au moins pour ceuxqui essaient de les saisir, de Bien les appréhender, en comparaison par exemple à un certain nombre dhypothèses déjà émises. Les 'objets bizarres' de 'Biomje pense aussi à ce qu'Evelyn Qranjon essaie de mettre en forme lorsqu'elle parle £ 'objets bruts'. Il y aurait peut-être une autre caractéristique des signifiants for-mels; ils se manifestent, au moins dans les exemples que vous avez donnés, aussi bien dans le rêve que dans les mouvements contre-transférentiels et dans l’éprouvé, en séance, de la personne. J'imagine qu'ils se manifestent de la même manière

dans ces modalités différentes dexpression, sans transformation. C'est aussi une question. Vous avez parlé hier de la nécessité de réfléchir sur ce que pourrait être un élément de travail propre-ment psychanalytique; je crois que vous offrez, avec les signi-fiants formels, à la fois un élément et la manière d'en faire émerger sa spécificité dans le champ psychanalytique.

Jean Chabert: II me semble que, dès l’origine, la parole, de la mère, signifiant linguistique, ne soit pas indifférente. Quel est le rapport entre cette parole de la mère et le signifiant formel?

Didier Anzieu: La parole de la mère est importante par son intonation, beaucoup plus que par ses signifiants linguistiques qui ne sont pas encore perçus comme tels par l'enfant et donc cela relève de la communication non verbale. La communication non verbale comprend les aspects non linguistiques de la commu-nication verbale, aussi bien que les aspects de communication motrice,gestuelle etc... Le rapport avec l’interprétation analyti-que est évident, à savoir que pendant très longtemps, pourlaplu-part des patients, ce qu'ils entendent, c'est l'intonation de la voix de l’analyste et pas du tout le contenu des propos qu'il tient.

Christian Guérin: On pourrait peut-être réfléchir sur l’inter-vention de Madeleine du Lac, qui, dans sa manière d'évoquer le travail, ¦ presque au diapason de ce qui avait été enjeu avec ce patient -, m'a fait penser à votre description des signifiants formels. C'est aussi une question qui est adressée à Madeleine du Lac, bien sûr.

Didier Anzieu: Là, je suis d'accord avec vous; ce qu'elle a décrit est une série de signifiants formels; elle me semble avoir montré le repérage de ces signifiants formels et la façon de les énoncer; donc il n'y avait pas le syntagme sujet/verbe; mais verbe/complé-ment; mais il n'y avait pas la structure de la phrase complète.

Madeleine du Lac: Tour ne pas faire plus ample dans ce que j'allais dire; j'ai dit tout simplement, je crois: 'Thir comme un fil de fer; mou comme une poupée de son.' mais ceci venait dans une phrase avec un verbe et un complément. "On respire"; 'le malade respire'; c'était des mots de tous les jours.

Didier Anzieu: Oui, je suis bien daccord, ces mots sont de tous tes jours, mais tantôt l’accent était mis sur le verbe, 'je respire', tantôt l’accent était mis sur des qualités sensorielles, 'mou comme ceci' ou 'dur comme cela'.

Madeleine du Lac: Je ne crois même pas l’avoir dit. J'ai parlé à ce patient exactement comme je parle aux enfants autistiques. Mais je suis dans toutes les pensées de votre communication et incapable, de répondre clairement à une question à brûle-pourpoint.

Madame Borionne: Monsieur Çuérin disait que les carac-téristiques des signifiants formels se manifestent dans les différentes modalités d'expression. Je voudrais demander à Monsieur Anzieu s'il a étudié comme moyen d'expression le dessin, et en particulier le dessin d'enfant. Je travaille actuel-lement avec des jeunes enfants et je suis frappée par un certain type de dessins, par exemple des visages où il n'y a pas le contour du visage, chez des enfants qui par ailleurs ne semblent pas de structure psychotique.

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A partir du Moi-peau

Didier Anzieu: Je n'ai pas travaillé spécialement avec des enfants, ni avec (e dessin des enfants; mais je suis au courant, te dessin est une de ces formes de communication intermédiaire, entre la communication non verbale., strictement non verbale, et la communication linguistique proprement dite. C'est un système intermédiaire, c'est pourquoi il est si précieuxavec les enfants et même quelquefois au-delà. Ce que vous donnez comme exemple va tout à fait dans le sens de ce que j'indique; le repérage des trous dans les limites, des effacements des limites du corps, du visage, de l’ensemble de ce qui est dessiné, peut nous donner des renseignements extrêmement intéressants sur les problèmes du niveau d'organisation du Soi, des frontières du Soi et du (Moi, du (Moi psychique et du (Moi corporel, du (Moi propre et du (Moi £ autrui; la lecture des dessins d'enfants, il est intéressant de la faire aussi bien en terme d'enveloppe, de contenant, qu'en terme de contenu et de révélation des complexes inconscients. Les deux axes sont à prendre en considération. Cela vaut aussi bien pour l’interprétation des rêves, l'interprétation des dessins, l'interpré-tation du matériel en général.

Joël De Martino: L'idée dun signifiant, dans la manière dont vous en parlez, si Con s'en réfère à ce que dit Lacan, du signi-fiant qui représente le sujet pour un autre signifiant, c'est une structure à deuxfaces qui sont Uées entre elles par un processus de métaphore, et dans cette métaphore, un lien métonymique, dont Lacan dit qu'il est absent mais présent au reste de la chaîne, qui permet, quand on Ca trouvé, de pouvoir interpréter la métaphore, c'est-à-dire de faire la passation d'un contenu qui est évoqué dans une séance à un contenu qui est refoulé mais qui est là. La question que je me posais par rapport à votre concept de signifiant formel, c'est: comment apparaît la structure à deux faces et quel est CéCément qui permet le passage de Cun à l'autre pour Cinterprétation et pour quel sujet?

Didier Anzieu: Je dirais qu'il ne s'agit pas du tout de refou-lement, que nous sommes dans quelque chose de beaucoup plus archaïque que le. refoulement; que notre but, avec de pareils patients, est non pas de lever des refoulements, mais de permettre de constituer des refoulements, à la place des méca-nismes de projection, d'intrqjection prqjective pathologique, de clivage, de dissémination, defragmentation qui sont les leurs. Je dirais que pour moi, la métonymie, je la place dans ce que je décris comme étant le fantasme dune peau commune, qui fait de la contiguïté une continuité de la communication; on ne peut mime pas parler de communication; une transmission directe par la peau commune des vécus sensoriels, émotionnels et fantasma-tiques entre la mère et Cenfant, et que cette relation métony-mique a à être dépassée, arrachée, et que c'est un des buts et des effets de l'interprétation. Quant au rôle de la métaphore, je suis bien évidemment d'accord sur son caractère fondamental. La métaphore nous montre que les mécanismes de pensée dérivent tous détats ou de processus corporels; et la richesse de sens de la métaphore, c'est justement de nous redonner toute la vivacité, la charge sensorielle initiale qui se perd au fur et à mesure des degrés d'abstraction et de conceptualisation. L'interprétation se promène selon les divers degrés de la métaphore.

Evelyn Granjon: Je voulais associer tout simplement avec quelque chose qui m'importe, puisqu'il s'agit dessayer de transpo-ser ou de comprendre ce que vous venez de dire dans le cadre des Thérapies ^Familiales (Psychanalytiques. Et je pensais plus par-ticulièrement à des thérapies avec des enfants autistes, on en a

beaucoup parlé et ce n'est peut-être pas par hasard. Avec des enfants autistes et à ces séances dans lesquelles on est très mal à Caise, parce qu'il y a dune part les parents qui ont un certain discours et d'autre part, les enfants qui poursuivent leur jeu stéréotypé, leurs attouchements et différents comportements qui sont difficilement liables avec ce qui est en train de se dire par ailleurs; le travail étant d'essayer de construire cette chaîne associativegroupale qui permettra qu'un sens puisse apparaître. Il m'est apparu dans ce genre de séance qu'il était plus impor-tant de dire simplement ce que faisait l'enfant, c'est-à-dire par exemple Cenfant qui allume la lumière, plutôt que de dire, comme on est amené à le penser, qu'il fait la lumière sur,' ce qui est évidemment une interprétation de sens, mais simplement dentrecouper le discours des parents en disant: Tu allumes, tu éteins, tu touches, tu ouvres la porte', ou bien 'on, tout simple-ment, si le 'tu est un peu persécutif. "Et à partir de cette façon de travailler, ilm'est apparu qu'onpouvait beaucoup plus facile-ment rétablir cette chaîne associative groupale et permettre qu'un sens ultérieur, pas forcément dans la même séance du reste, mais qu'un sens ultérieur puisse émerger, dans nos pensées premièrement, ensuite que ce sens puisse être dit. Je me deman-dais si je ne pouvais pas penser aujourdhui ce type de travail avec les termes que vous nous proposez.

Didier Anzieu: Vous mettez en paroles les actions qui se pro duisent dans le cadre, hic et nunc, de la séance. Cela suppose donc une définition du matériel analytique -je posais la ques tion hier: qu'est-ce que c'est qu'un matériel analytique, c'est tout ce qui se produit en pensées, en paroles et en actions dans le hic et nunc de la séance, dans le volume de Cespace et dans la durée de la séance. Mais pour que ça soit repris, pensé et mis en circula tion, il faut le dénommer, il faut le formuler et passer directe ment à une interprétation de niveau névrotique: 'II veut faire la lumière, en allumant la lumière' - ce qui est peut-être vrai ¦ c'est demander à un infirme en cours de rééducation de sa jambe de prendre le départ du cent mètres plat aux. J&PC Olympiques. (Donc, le matériel analytique est constitué aussi bien des sensations, des actions, des expressions, pour qu'il devienne analytique, il faut qu'il soit réinséré dans la chaîne des paroles, c'est évident, mais dans la chaîne immédiate, pas dans une chaî ne qui suppose déjà tout un parcours qui n'est pas encore effec tué. Là, je suis tout à fait d accord avec vous. Je crois qu'en effet on peut tout à fait penser cela en terme de signifiants formels. 'Et puisque vous êtes là dans le cadre d'une famille, en signalant, 'il ouvre la lumière, il éteint la lumière', vous trans mettez aux parents te message qu'il y a là un message, ce que, justement, ils ne savaient pas. Avant de savoir le sens du messa ge, il faut savoir que c'est un message. :

Evelyn Granjon: C'est ça. "Et je crois que c'est là que Cm retrouve ce dont on parlait hier, c'est le problème des distorsions entre les différentes fonctions du (Moi-peau, parce qu'en fait les parents en général et nous-mêmes aussi, si Con n'est pas attentif au travail qu'il y a à faire à ce moment-là, nous sommes tentés de projeter du sens sur les comportements des enfants, et les parents hyper-interprètent très souvent lorsqu'ils ont un tout petit peu compris le processus thérapeutique et sont tentés d'hyper-interpréter, chaque fois que Cenfant fait quelque chose. Je crois que là on retrouve justement une des problématiques originelles de l'autisme, c'est-à-dire cette problématique dabsence de fonc-tions de maintenance et de contenance qui existe au départ de la pathologie autiste, et c'est un peu un travail véritablement théra-peutique que Con a à reprendre dans ce type de séance.

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L'Œuvre ouverte

Christian Guérin: Je vais très Brièvement donner une séquence clinique d'un entretien, que j'ai eue avec des parents et un enfant. J'invite l’e père à parler l'histoire d'une maladie qui a affecté son visage et ses organes génitaux et qui avait comme effet spectaculaire de grosses excroissances rouges et très doulou-reuses pour lui. Ils ont craint pendant un certain temps un cancer; ça n'a pas été ça; le père a été hospitalisé; toute la famille était affolée. Tendant que le père raconte l'histoire de sa maladie passée, ¦ il n'en a plus qu'un stigmate qu'il m'a montré du doigt parce que je ne le voyais pas, mais lui savait qu'il en restait encore un peu -, l'enfant qui est assis entre son père et sa mère, contorsionne son tricot, ce qui provoque chez la mère une irritation qu'elle ne peut pas contenir. 'Elle le réprimande, elle lui demande darrêter. A ce moment-là, compte-tenu de ce que j'en-tendais du père et de ce à quoi (Didier Anzieu nous a sensibilisés à propos de la peau, il me semblait que lenfant faisait quelque chose avec sa peau et je me permets de dire qu'en tournant son pull-over dans tous les sens, il exprimait à sa manière ce qu il n'avait pas pu encore dire, son inquiétude de voir la peau de son père se transformer et ce que cela a pu susciter chez lui. Ça a eu un effet assez surprenant la mère s'est calmée; l'enfant s'est arrêté, ila écouté son père continuer; ilest entré ensuite dans la discussion en parlant d'une séquence dun film fantastique dans lequel un monstre perd sa peau. Il raconte ensuite comment le moment le plus important pour lui a été le moment où il est allé se coucher - il a vu ce film avec son père ¦ , son père le portant dans les Bras. "Et il évoque alors l'échange tactile avec son père qui le mène jusque dans sa chambre. Il y a eu là une transfor-mation dans le mode d'expression de l’angoisse, dune manière très corporelle et pleine d'émotion, et qui a suscité l'excitation de la mère, avec un autre mode de communication plus symbolisé, plus partageable et plus supportable par les uns et par les autres.

Didier Anzieu: Vous oubliez dajouter quelque chose qui vous est cher, c'est sans doute pour ça que vous oubliez de l’ajouter; le recours au film et à l’expérience culturelle.

Christian Guérin: Oui, tout à fait.

Didier Anzieu: Là, j'ai fait mon Moi-peau de remplacement, (rires)

Olivier Borionne: Je voudrais vous demander, 'Monsieur Anzieu, quelque chose pour alimenter ma réflexion autour des signifiants formels; cette idée déforme des raisonnements plus que leur contenu, ça méfait penser un petit peu à ce qu'on peut entendre autour des pratiques systémiques. "Est-ce que vous pourriez m'en dire quelques mots; est-ce que c'est quelque chose de purement analogique dans mon esprit?

Didier Anzieu: Les théories et les pratiques systémiques, comme la Bio-énergie par exemple, ont l’immense intérêt dattirer l'attention sur du matériel inconscient qui n'a pas été pris en considération par les analystes, par la théorie et la pratique ana-lytiques; toujours à cause dune définition restrictive, réductrice du matériel analytique. Or c'est un grand principe que ce qui n'est pas pris en considération dans un domaine fait retour, est repris dans un autre domaine, mais alors qui tend à être unique, par exemple Otto %anl(_ découvrant le traumatisme de la naissance, ce qui est vrai et très important, mais réduisant

toute la cure et toute la théorie analytiques à l’élaboration du traumatisme de la naissance, ce qui est mono-idéïque, dogma-tique et finalement erroné; ou bien ftdler découvrant l’existence du complexe d'infériorité, quelque chose décrémentent impor-tant, mais réduisant tout le travail analytique à cela. Alors, je dirais la même chose pour le systémisme, découvrant l’impor-tance du groupe et des relations à l’intérieur du groupe dans la constitution de la pathologie mentale, et la nécessité de traiter le groupe familial comme tel et pas simplement l’individu isolé sorti de ce groupe; découvrant également l'importance de la communication paradoxale dans les origines de certains troubles mentaux} je crois que le systémisme est là d'un apport extrê-mement important. Mon désaccord vient d'une part de ce que je viens d'énoncer à l'instant; c'est que tout est organisé autour dun élément qui a été négligé par ailleurs, mais du coup au prix de négliger tout le reste qui est déjà acquis; deuxièmement, que la technique que cela entraîne est une technique de suggestion, une technique dinjonction elle-même paradoxale et non pas une technique danalyse proprement dite. 'Donc là, je me sépare du point de vue. des systémistes, mais je pense, par le travail que je viens de vous proposer, ce que j'ai déjà fait antérieurement, essayer d'intégrer dans la théorie et la technique analytiques des données auxquelles les analystes n'ont pas été sensibles jusqu'à présent ou sur lesquelles ils ont jeté des tabous, des interdits, des scotomes, et qui ont été reprises ajuste titre par ailleurs, mais dune façon Beaucoup trop séparée de tout le reste.

Marc Lhopital: Je me permets dintervenir maintenant; ce n'est pas en ligne directe avec les propos que vous venez de tenir. Je voulais vous poser une question qui se veut sérieuse et une suggestion qui ne l’est pas du tout, mais comme on a été studieuxj je me permets dêtre un enfant un tout petit peu indiscipliné. Ces journées de travail avec vous s'intitulent: L'œu-vre ouverte. Alors vous avez fait de votre recherche une démarche non achevée que la clinique et la réflexion ont encore à étayer, à compléter et à affiner. Mais ne croyez-vous pas que votre cadre de recherche pourrait venir à manquer de capacité contenante, non pas chez vous ¦ certainement pas -, mais peut-être chez ceux qui se serviraient de votre travail. "En effet, un contenant efficace ne doit être ni trop rigide, mais ni trop lâche; or, nous pouvons avoir l'impression depuis quelque temps qu'Use met à pousser du 'Moi-peau' de partout. Alors je vous demande votre avis sur cette question, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut faire de votre travail pour ne pas le déformer. "Et puis je vais vous faire une suggestion qui alors là est beaucoup plus légère et qui est la suivante: en cette région des côtes du 'Rfiône, à quelques dizaines de kilomètres de Château.-'Heuf du Tape par exemple, j'ai repensé au moyen de protéger les grands crus que se donnent les viticulteurs. Alors il y a les V.Tt.QJ,., les vins de qualité supérieure, et les A.O.C., les appellations d'origine contrôlée. Alors le Moi-peau étant un cru classé, millésime 1974 pour l’article dans la 'ÂC'RJP. et millésime 85 pour le. livre, ne pourriez-vous pas vous inspirer de cette réglementation et proposer le label de 'Moi-peau de Qualité Supérieure' ou de "Moi-peau d'Appellation et dOrigine Contrôlée' aux. travaux que vous jugeriez dignes d entrer dans la lignée.

Didier Anzieu: "En somme, vous voulez m'obliger à mettre de l’eau dans mon vin.

Marc Lhopital: Je me permets dajouter que j'avais remarqué que la couverture de votre livre est presque de couleur lie-de-vin (rires).

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A partir du Moi-peau

Didier Anzieu: Moi qui suis plutôt du côté de l’Aquitaine et des vins de 'Bordeaux, plutôt que de ceux des Côtes du Rhône et des Château-Neuf du Pape, nous avons depuis Napoléon III, en plus des catégories que vous venez d’indiquer, des vins hors clas-sement (rires). Que voulez-vous! Les graines qu'on a semées, on ne peut pas les empêcher de pousser.

Christian Guérin: II y a un problème épistémologique qui est important. Nous connaissons les avatars de l'objet transitionnel il y en avait partout; les gens en mettaient partout; cela a permis à (Donald Winnicott, quinze ou vingt ans après ¦ peut-être parce qu'il a pu voir revenir de l'extérieur l'effet de son concept mis à l'épreuve par d'autres - d effectuer ce passage extrêmement important de l'objet transitionnel à l’expérience transitionnelle. ^Peut-être a-t-il fallu cette mise à l'épreuve pour que les choses se précisent.

(La question qui suit a été posée après-coup à Didier Anzieu qui nous a proposé de ta joindre aux Actes)

Christian Guérin: Une autre question à Didier Anzieu: à propos des signifiants formels, Laurence Kahn, dans le dernier numéro de la Revue, Revue de Psychanalyse sur L'attente, donne en exergue de son article un extrait de l’innommable de S. Beckett:

'Aller de l’avant, j'appelle ça de l’avant je suis toujours allé de l’avant sinon en ligne droite, tout au moins selon la figure qui m'avait été assignée.

J'ai h cela comme étant l’expression écrite et décrite par (Beckett de ce que vous appelez le signifiant formel, ici: aller de l'avant! Les derniers mots amènent à s'interroger sur la genèse de ce signifiant formel et l'injonction ainsi que sa contre-partie psychi-que avec l'incorporation de l’injonction à laquelle il semble répondre: la figure assignée. Le signifiant formel serait-il alors une figure assignée? 'En quoi on repérerait la part externe au sujet qui est à l'œuvre malgré lui dans un tel signifiant particulièrement pour Beckett que vous connaissez Bien. C'est là un aspect que vous n'avez pas abordé dans votre communica-tion. Serait-ce alors un élément caractéristique des signifiants formels? L'importance du mécanisme psychique de l’incorpora-tion nous amène de plus à faire un lien entre la théorie du fantôme de 9{. ABraham et les signifiants formels. Il semble que, dans le cas de Beckett, il s'agirait moins d'un oBjet incorporé (le fantôme) que d'un processus incorporé dont le signifiant formel pourrait être l’expression psychique. Ainsi, l’hypothèse générale: les signifiants formels lits, comme vous le dites, à des probléma-tiques de contenant seraient l’expression de processus plus que d’objet?

Didier Anzieu: Merci Beaucoup pour votre citation delBeckett (le signifiant formel est Bien 'aller de l’avant', mais pas en ligne droite , et pour vos excellentes remarques consécutives: 'la figure assignée' est Bien un trait du signifiant formel; les signifiants formels, liés à des proBlématiques de contenant, expriment des processus plus que des oBjets.

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L’enveloppe de l'écriture

par Marcel THAON

e me référerai pour commencer à l'interrogation de Bernard Chou- vier portant sur la place du blanc chez l'écrivain, ainsi qu'à

la réponse de Didier Anzieu associant 'blanc' à blank qui serait l'absence, le vide. Je proposerai qu'en fait l'idée de vide est une des deux faces d'un processus de dramatisation d'un scénario latent qui appelle son complément, au sens où le blanc peut tout aussi bien être caractérisé comme l'association de toutes les couleurs entre elles et où, si à un bout du chemin il y aurait le vide, à l'autre bout il y aurait le complètement plein ou le sur-excité, le tout.

Je crois en effet que l'écrivain est chaque fois pris - lors de la situation de préparation de son œuvre prochaine - entre ces deux pôles du rien, du plus de pensée, plus d'écriture, plus de roman à produire, et du tout, - cet autre sens du plus ou le s fait son apparition audible - le rêve d'un objet-livre idéalement totalisant qui serait tellement satisfaisant qu'il ne resterait plus rien à écrire ensuite, ni raison subjective de le faire. J'associe alors sur une nouvelle de science-fiction de l'écrivain Philip K. Dick, La fourmi électronique (1969), qui me semble fournir une représentation métaphorique de ce que je viens d'esquisser :

Un homme se réveille un jour dans un lit d'hôpital après une opération pour apprendre de la bouche des médecins qu'il est une mécanique, un robot tellement perfectionné qu'il croit avoir une vie psychique. Au lieu de sortir de l'expérience déprimé, il va au contraire s'en trouver excité, au point d'essa-yer de trouver, puis de se servir de l'appareil étrange, tapi à l'intérieur de son corps, qui sert à lui fournir un flot ininter-rompu de sensations 'internes' camoufflées en perceptions externes. Une bande se déroule donc à l'intérieur de sa poi-tr ine et passe devant ce qui a l 'apparence d 'une tête de lecture: elle se révèle faite comme les vieilles cartes perfo-rées qui servaient à commander les premiers ordinateurs, une constellation de trous sur une surface plate. De manière tout à fait étrange, ces trous sont justement le signe du plein, parce qu'à chaque trou correspond un objet perçu dans l'environnement. Lorsqu'une de ces ouvertures passe devant la tête de lecture / appareil de perception, apparaît dans la pièce un objet qui n'existait pas quelques instants aupa-ravant. Fort de cette découverte, le héros du récit est pris alors d'une tentation extraordinaire: "Et s i je coupais la bande qui entoure les trous? Si je devenais un trou complet; en fait un objet qui serait parfaitement total, conglomérat de toutes les sensations de l'existence?" A cet effet, il tranche la bande magnétique qui contrôle sa vie et il est alors extraordinai-rement libre, extraordinairement excité par le bombardement perceptif soudain qui le sature et le brûle. Il s'effondre bientôt sur le sol mais, autour de lui, - c'est la petite pirouette que

s'accorde l'écrivain pour atteindre ses lecteurs - le monde dis -paraît avec lui. Parce que l'écrivain ne peut imaginer l'œuvre après la fin de la dernière ligne, lorsqu'il sera amené à s'absen-ter; il ne peut représenter sa mort sans entraîner l'univers fictif avec lui: après tout le monde externe du texte, c'est lui. Comme le disait Tweedledum à Alice: "Si le Roi ici présent venait à se réveiller, vous vous trouveriez soufflée - pfutt! -tout comme une chandelle!" (L. Carroll, 1871, p°119), mais Alice savait bien que si, elle, se réveillait, lui, disparaîtrait.

Voilà bien, je crois, le problème de l'écrivain, ce para-doxe qui fait qu'il est à la fois un contenant et un contenu, contenant et contenu qui inversent constamment leurs fonc-tions. Je vous cite à ce propos une phrase d'un écrivain, Samuel Delany, qui écrit à propos de son processus d'écri-ture: "Quel travail énorme de contrôler la forme de mon matériel littéraire! Vu de l'extérieur, alors que je me tiens au plus profond de ma substance, c'est comme si on essayait de maintenir un ballon de l'intérieur" (S. Delany, 1974, p°35).Vous repérez dans cette association, comment l'écri-vain qui essaie de penser quelque chose qui est inimaginable pour lui, place côte à côte deux opposés: l'idée qu'il est dehors en train de regarder son œuvre comme un lecteur regarde un livre qu'il vient d'acheter, et l'idée qu'il est en même temps à l'intérieur de cet objet externe, en train d'essa-yer de lui faire tenir un espace, c'est-à-dire de pousser les murs de sa création pour que l'objet puisse occuper une place à la fois subjective et objective. Je pointe une piste possible qui serait de travailler cette question à partir de la problé-matique qu'essaye de développer Donald Meltzer sur ce qu'il appelle l'objet esthétique (1986, par exemple) et la façon dont il y a deux manières de voir l'objet, absolument oppo-sées l'une à l'autre: l'une dans laquelle l'objet va être vu de l'extérieur comme une surface extraordinairement éclairante, brillante comme pourraient le ressentir certains enfants autistes; et l'autre qui est l'exploration de l'interne de l'objet, la tâche du sujet étant d'essayer, sans jamais y parvenir, de faire coïncider ces deux aspects toujours en écart.

Je voudrais montrer ici comment, pour que l'écrivain puisse écrire, il faut à la fois qu'il soit pris dans cette problé-matique paradoxale qui fait que son intérieur va devenir un extérieur - J. Guillaumin le disait bien avant moi dans son article sur La peau du Centaure (1980) - mais aussi com-ment il doit toujours maintenir un écart entre ces deux versants du paradoxe. Pour cela, je vais m'aider de la théorie de W. Bion (1962) qui me permettra de repenser la question à partir d'un point d'appui. Mon autre point d'appui sera bien sûr le texte de Didier Anzieu sur Le Moi-peau (1985). Bion nous suggère, parlant de la fonction alpha, qu'elle est le pro-duit de deux processus qui doivent être séparés pour être compris, mais en même temps doivent s'associer parce qu'ils

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J

L'Œuvre ouverte

se transforment constamment l'un l'autre dans la relation active contenant/contenu (mais aussi masculin/féminin, Para-noïde-Schizoïde/Dépression). Le premier pourrait s'appeler le processus de contenance où l'angoisse sans nom (éléments 6) du bébé doit être recueillie à l'intérieur d'un contenant, pour pouvoir ne serait-ce qu'exister; l'autre processus complémen-taire, est celui de la transformation, qui implique que la mère puisse traiter - grâce à ce que Bion appelle sa capacité de rêverie - ce qu'elle vient de recevoir pour transformer cet objet émotionnel en sens véhiculé par une représentation, une pensée. Tout ce passe comme si Bion disait qu'une excitation devait se transformer en signification grâce à cet écart que produit la rêverie de la mère. Il précise ensuite encore quel-que chose qui n'a pas suffisamment été repris par ses com-mentateurs, c'est qu'une fois le processus alpha opéré, l'angoisse dite sans nom transformée en élément alpha, cet élément alpha peut devenir lui-même un contenant d'un autre élément alpha qui lui succédera, au sens où cet élément alpha nouveau pourra se retourner en forme, alors qu'il était une signification, pour accueillir plus tard, en tant que contenant lui-même, une nouvelle signification.

C'est sur ce point que je vais insister en montrant com-ment le processus d'écriture implique à la fois de trouver des enveloppes à l'intérieures desquelles le contenu-livre pourra se développer, mais aussi de pouvoir ensuite se servir de ces contenus signes pour les transformer en contenant, qui lui-même accueillera d'autres significations ultérieures. Pour cela, à partir de la dichotomie déjà énoncée entre les parties de la fonction Alpha de Bion, je vais procéder à une simpli-fication outrancière de la question de l'acte d'écriture en séparant le problème en deux entités:

Une première entité concernerait le pare-excitation que doit construire l'auteur pour pouvoir construire son œuvre; le fait que pour qu'une œuvre puisse advenir au jour, il faut qu'elle puisse occuper un espace et que pour que cet espace soit ouvert, il faut qu'un système pare-excitatif soit construit autour de lui. Si je voulais encore appeler l'œuvre de Bion à la rescousse, je dirais qu'on pourrait aussi reprendre le problème du point de vue des émotions et dire qu'à l'endroit où se trouvait une émotion de dépression à propos d'un objet perdu, à cet endroit laissé ouvert dans l'appareil psychique pourra advenir un objet qui la représente (cf. 1970, p°38). Pour cela, il faut déjà que cet endroit existe.

La première tentative de l'auteur sera bien d'ouvrir un espace à l'endroit où il n'y encore rien, sauf comme affect dans son propre appareil psychique; et c'est tout le problème de l'auteur de devoir accueillir un objet qui n'est pas encore là; parce qu'au sens plein du terme, le livre n'est pas encore écrit avant d'avoir été écrit et donc il faut que son auteur ouvre en lui et hors de lui un espace qui puisse accueillir le vide. Pour cela et pour opérer le retournement de l'interne à l'externe qui identifiera une partie de l'environnement proche avec l'espace subjectif du sujet, celui-ci doit d'abord se protéger des excitations externes; c'est ainsi que l'écrivain va se construire toute une série de procédés pare-excitatifs destinés à minorer l'action de l'environnement objectif et affectif sur lui, qui consisteront par exemple à ne pouvoir écrire que la nuit, à ce moment où le monde extérieur se retire, où la lumière baisse sauf à l'endroit où l'on écrit, lorsque la lumière de la lampe trace un espace au-delà duquel le monde disparaît. D'autres écrivains encore ne pourront créer que dans le train, c'est-à-dire en se délimitant un espace qui serait à la fois infiniment circonscrit puisque extrêmement restreint, mais en même temps infiniment mouvant au sens où cet espace pourrait échapper aux excitations externes, échapper au monde extérieur même en un procédé qui n'est

pas sans rappeler certains scénarios maniaques. Fermer la porte du bureau à heures fixes pour construire dans le rythme de sa vie le métronome qui scandera la mélodie du texte, se recueillir en un lieu isolé, apprécier pour écrire les hôtels et leur totale prise en charge du handling quotidien, tout cela organise le filtre pare-excitatif qui prépare le holding de l'œuvre par son géniteur. Certains mêmes prendront le contre-pied de ce mouvement en recherchant les lieux les plus bruyants et excitateurs pour composer ou la compagnie de la musique, mais ce sera - il me semble - pour se vêtir d'une enveloppe d'excitations à l'intérieur de laquelle ils pourront se cacher.

A contrario des exemples précédents qui centraient l'at-tention sur la protection contre les excitations externes, le pare-excitation concerne aussi le filtrage du trop-plein d'exci-tations internes qui pourraient venir rendre impossible l'émer-gence d'une forme stable à partir de ce "fond qui vient à la surface" (Jacques Meugnier, in André Rollin, 1986, p°231). La fonction de relecture et de correction transforme la propre pensée vigile du créateur en un analogon d 'un lecteur - étrange soi-même - qui viendrait questionner l'équilibre et la cohérence du travail, permettant ainsi de freiner le cours d'un récit qui s'emballe.

Si l'écrivain doit donc dans un premier mouvement construire un système pare-excitatif qui lui permet de se protéger de sa vie quotidienne, il est, en même temps, devant l'obligation tout aussi grave de devoir se servir de sa vie quotidienne et de l'effet qu'elle produit sur lui pour pouvoir écrire. L'écrivain va donc dans cette seconde phase com-penser un système pare-excitatif contenant par un système de significations internes qui retourne la fonction de l'envi-ronnement en série de contenus sur lesquels il pourra ensuite s'étayer.

L'étayage sur l'œuvre des autres auteurs est l'exemple le plus courant et le plus direct de ce processus qui fournit une série d'étayages stables à travers les représentations données par des pairs. Par le fait qu'il a apprécié (investi de repré-sentations personnelles et d'affects) le travail d'autres auteurs, l'écrivain trouve dans cet inteme/exteme des modèles à partir desquels il pourra développer son propre travail. Nous donnons des exemples de cela dans un ouvrage récent (1986b). Plus tard, lorsque le créateur affirmé a la chance d'avoir déjà écrit une œuvre sur laquelle se retourner, il peut alors s 'étayer sur ses propres textes antérieurs (ou même les personnages de ceux-ci) qui fournissent des modèles de significations internes au processus qu'il commence à nou-veau sans l'assurance de pouvoir le mener à bien. Freud semble pouvoir commencer l'identification entre lui, son œuvre et la Psychanalyse dès 1905; Conan Doyle se constitue une pérénité à partir du personnage de Sherlock Holmes; Agatha Christie par le biais d'Hercule Poirot et plus encore d'une certaine méthodologie du récit d'enquête policière établie dès 1945; Balzac ajoute les livres comme les éléments d'un univers qu'il construit peu à peu. Ce dernier exemple montre comment la technique d'écriture fournit par elle même les étayages minimums à La création, au sens que pointe bien l'écrivain et critique littéraire Brian Aldiss (1980, p°45) lors-qu'il écrit : "l'auteur n'a que sa technique entre lui et le silence".

D'autres signes encore pourront venir du dedans: Didier Anzieu (1981) parle par exemple de l'importance de la mala-die dans les premières étapes de l'œuvre, ce moment ambigu où quelque signal vient du dehors, par le biais d'un canal interne, signifier à l'auteur qu'il ne doit pas écrire, qu'il est malade et ferait peut-être bien de se reposer; mais tout aussi

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À partir du Moi-peau

bien que s'il veut écrire, il doit s'appuyer sur sa maladie pour pouvoir produire, sur ce qu'elle lui révèle d'émotions informes - en l'état psycho-somatiques - à transformer en pensées/représentations. Didier Anzieu parle encore dans le même travail des étayages externes sur les amis et il prend d'ailleurs l'œuvre de Freud comme exemple de ce processus. Une des premières étapes de l'écriture implique de pouvoir prendre un tiers comme intermédiaire du support créatif, de passer par un ami comme contenant de sa propre détresse psychique pour pouvoir l'exprimer, la transformer en signi-fications. Dans l'association, le C.O.R., qui préside à ces rencontres, nous tentons de repérer les fonctions de ces Objets de Relations qui émergent comme tiers dans le cadre de la rencontre inter-subjective et permettent le développe-ment et la maturation des processus psychiques qui débou-chent sur la symbolis ation (voir les Actes des colloques précédents).

Je voudrais compléter cette description par des remar-ques portant sur la manière dont le pare-excitation déployé par l'auteur et les contenus signifiants fournis par les étayages de celui-ci, sont articulés à un second système qui va concerner l'objet-livre lui-même et préconcevoir son exis -tence. Pour que l'objet-livre puisse exister, il faut d'abord qu'il puisse s'inscrire sur une surface, c'est à dire que, par des signes le plus souvent spatiaux, l'auteur puisse faire comme si le livre était déjà écrit, avant même d'avoir été produit. A ce moment-là, l'écrivain va chercher une surface d'inscrip-tion toute prête pour pouvoir y déployer son ouvrage. Je pense en cela par exemple au travail que faisait Giono qui prenait des cartes géographiques sur lesquelles il inscrivait le trajet de ses personnages, tel qu'il puisse se représenter l'espace de son œuvre sur un objet étalé. Je pense aussi à l'œuvre d'un auteur, Roger Zelazny, sur lequel j'ai réfléchi (voir à ce sujet notre article 'Roger Zelazny, entre Franken-stein et Pygmalion', 1986a) qui, lors des premières étapes de l'écriture, prend une carte Michelin de la ville où se déroule son livre, sur laquelle il place des points d'ancrages corres-pondant à des événements marquants du futur texte. Ainsi une représentation intermédiaire capte une angoisse et aide à penser le texte comme un objet total: la question de la longueur du récit y trouve une première réponse, dont le jeune écrivain à besoin. Comme l'écrit Zelazny: "Au moment de la conception de mon premier livre, tout ce qui avait plus de 25000 mots me semblai t à peu près inf ini" . Je pense encore tout simplement au fait que l'espace de la pièce se transforme bien souvent en l'espace du roman. Un autre écrivain, qui écrit plusieurs de ses chapitres en même temps sur plusieurs machines à écrire, les place dans divers endroits de la pièce, tel qu'il décrit un trajet entre ses machines à écrire qui est tout à fait significatif de la tentative d'investir un espace physique à l'endroit où doit se construire l'espace de l'objet psychique.

Si es t jus te le processus que nous décr ivons, qui consiste à chercher des pare-excitations pour pouvoir les transformer en système de représentations qui eux-mêmes pourront plus tard fournir des étayages pare-excitatifs à d'autres représentations, nous devons pouvoir décrire aussi la pathologie de ce processus, au sens où, lorsque l'écriture achoppe, elle va le faire à l'endroit même où elle a essayé de se déployer. Je vous citerai simplement deux formes de défenses qui me semblent tous à fait typiques d'achoppement dans l'écriture.

La première concerne les contenus; par exemple la peur de perdre ses livres identifiés à des contenus psychi-ques, sur le mode de l'organisation anale. C'est ce fantasme

qu'a parfois l'écrivain que sa tête est le contenant de tous les livres qu'il a à écrire mais que ceux-ci sont déjà écrits à l'avance, à tel point qu'à chaque fois qu'il en produit un, il y en a un de moins à sa disposition pour de prochaines créa-tions. L'auteur fonctionne à ce moment-là comme une sorte de sac dans lequel seraient déjà empilés tous ses livres futurs, livres qu'il sortirait les uns après les autres et qu'il donnerait à cette Imago terrible du lecteur identifié au Moi-Idéal. A chaque fois donc que nait un livre, il en reste un de moins dans la réserve, si bien qu'arrivera certainement le jour où il n'y aura plus rien à l'intérieur du sac. Le sac sera vide, poche flasque sans le moindre objet à donner. Un texte de Damon Knight, A thing of beauty (1958), métaphorise bien ces craintes chez un auteur qui cessera d'écrire peu après:

Un homme reçoit un jour un colis postal qui se révélera plus loin venir du futur. A l'intérieur du paquet une machine, vite reconnue comme machine à dessiner malgré les inscrip-tions incompréhensibles qui couvrent ses parois. En expéri-mentant, l'homme va donc tai.t bien que mal apprendre à se servir de l'appareil qui lui apportera bientôt la gloire par ses merveilleuses 'créations' picturales universellemnt appré-ciées, mais la merveille porte avec elle l'angoisse du vide, car peu à peu ses dessins deviennent moins complexes, pour devenirs rudimentaires, puis s'arrêter un jour sur un point au centre d'une feuille blanche. La machine s'est peu à peu vidée de ses motifs jamais répétés, car - sans le savoir - son maitre/apprenti sorcier avait pressé le bouton d'effacement de la mémoire au cours de ses expérimentations incertaines...

A l'opposé de ce processus, on aurait une pathologie qui concernerait le contenant. L'idée que le livre est une enve-loppe qui ne contient aucun contenu et une enveloppe abso-lument pleine. L'auteur aura donc pour tâche de produire un contenant parfait, mais aussi impossible à dépasser. Il sera l'auteur d'une seule œuvre, d'un seul livre, puisque son livre premier sera son contenant à jamais. Pour vous donner un exemple de ce type de processus, je pense à l'œuvre d'un écrivain quelquefois cité par Didier Anzieu dans ses textes, Robert Sheckley, qui a produit toute une série de petites nouvelles absolument délicieuses, mais qui, dans une certaine mesure, s'est pris dans un piège où il a produit toute sa vie le même récit. Un texte toujours reproduit au sens de la répétition, mais aussi au sens plein de la pulsion de mort, - celle dont parle Freud, toujours muette - en se simplifiant Peut à petit, ses textes, qui explorent toujours le même thème, se sont appauvris, simplifiés; leur dimension méta-phorique a disparu; la polysémie, qui est absolument centrale à la métaphore, s'est dissipée, si bien qu'au bout du chemin, l'auteur a été obligé de cesser d'écrire et que pendant dix longues années, il n'a pu plus produire le moindre récit. Dans un même ordre d'idées, rappelons le livre de H. Troyat (1942), Le mort saisit le vif, dans lequel un homme qui a volé le manuscrit inédit d'un de ses amis récemment décédé le publie à son nom, pour rencontrer la gloire littéraire mais aussi l'impossibilité d'écrire une 'deuxième' œuvre. Il va alors tenter de trouver le talent en s'identifiant totalement au mort et surtout par l'enveloppe - il s'habille comme lui, marche comme lui - bien qu'il tente aussi de s'approprier la femme du défunt.

Ainsi serait-on fondé à commencer une étude psycha-nalytique des blocages d'écriture à partir des pistes théo-riques que nous venons d'esquisser.

Quelques réflexions et exemples, il y en aurait bien d'autres à apporter, pour essayer de soutenir cette idée que le travail créatif exige un va-et-vient constant entre deux opposés qui se complètent, une fonction de contenance d'un

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L'Œuvre ouverte

côté et une fonction de représentation de l'autre, tel que ces deux fonctions gui doivent toujours être séparées, doivent pouvoir aussi jouer l'une avec l'autre pour produire des œuvres.

BIBLIOGRAPHIE: ALDISS, B., 1980. Interview. Future Life, Septembre. ANZIEU, D., 1981. Le corps de l'œuvre. Paris, Gallimard. BION, W. 1962. Aux sources de l'expérience. Paris, P.U.F., 1979. BION, W. 1970. L'attention et l'interprétation. Paris, Payot, 1974. CARROLL, L, 1871. De l'autre côté du miroir. Paris, Aubier-Flammarion, 1971. DELANY, S., 1974. Shadows. Foundation, n°6, 31-60. DICK, P.K., 1969. La fourmi électronique. Fiction, n° 198, juin 1970, 34-55. GUDLLAUMIN, J., 1980. La peau du Centaure, ou le retournement projectif de l'intérieur du corps dans la création littéraire. In: J. Guillaumin (et ai), Corps création, Lyon, P.U.L., 227-269. KNIGHT, D., 1958. A thing of beauty. In: The best ofD. Knight, New-York, Pocket Books. MELTZER, D, 1986. Le conflit esthétique: son rôle dans le proces-sus de développement psychique. Bulletin du G.E.R.P.EN., n°6, 1-15. ROLLIN, A., 1986. Ils écrivent (entretiens). Paris, Mazarine. THAON, M., 1986a. Roger Zelazny, entre Frankenstein et Pygma-lion. In: M. Thaon (Ed.), Le livre d'Or de Roger Zelazny, Paris, Presses Pocket, 7-49. THAON, M., G. KLEIN, et al.,1986b. Science-fiction et psychana-yse, l'imaginaire social de la SF. Paris, Dunod. TROYAT, H., 1942. Le mort saisit le vif. Paris, Pion.

Didier Anzieu: Tour rester dans le paradoxe, j'ai peu à vous dire, tellement est complet et précis ce que vous avez apporté; et Beaucoup à vous dire, parce que chacun des points mériterait reprise, exemples, discussion. Je vais juste passer en revue quel-ques-unes des réactions que j'ai eues en vous écoutant. 'Premier point: nous allons dans le même sens, lorsque vous mettez en évidence dans votre propos la distinction intérieur/extérieur, la mise en question de cette distinction, son rétablissement perpétuel et sa mise en question perpétuelle. Je crois que là, nous sommes bien dans la dialectique du Moi-peau et dans la dialectique de la création. 9{pus ne sommes pas dans celle du fantasme.

Qu'il y ait nécessité de maintenir un écart entre les deux, je pensais à ce merveilleux conte de 'Borges sur le géographe qui cherchait à dessiner des cartes qui soient le plus près possible de la réalité physique et qui avait fini par recouvrir le monde avec un papier souple qui donnait exactement le contour des objets; la carte était donc pour lui la forme des choses, plus une réduc-tion, une représentation en miniature, le paradoxe àe la repré-sentation qui viendrait coïncider avec l’objet représenté, la perte de l'écart. Et en même temps qu'il y a nécessité de maintenir l'écart, il y a la volonté de le détruire, car l'écart, c'est la séparation, c'est la différenciation.

Lorsque vous évoquez le fait décrire la nuit par exemple, je ne pouvais pas ne pas penser à faulkner qui était gardien de nuit dans une centrale électrique à charbon et à vapeur, qui avait donc comme fonction toutes les quatre heures de remplir de charbon la chaudière et qui disposait donc de trois heures et cinquante-cinq minutes tout à fait tranquilles, et qui, près de sa

lampe à pétrole, assis sur son tabouret, le dos contre la chaudière ¦ il était bien au. chaud - la bouteille de whisky à portée de la main, écrivait ses romans dans des conditions merveilleuses... pour lui.

'Vous avez encore cité le fait décrire dans le train par exemple: la nécessité davoir un espace d'échappement et en même temps d'un espace localisé éventuellement sur des cartes réelles ou accompagné de cartes imaginaires -je pense àL'astrée dTlonoré 'D'Urfé -, je pense aussi à un roman qui représente ce processus: c'est Ulysses de James Joyce, où le roman s'organise autour de l’investigation du plan de 'Dublin, et la construction du plan de cette ville est en même temps la construction du roman, puisque ce qui s'y passe a relativement peu dimportance, si ce n'est cette errance et en même temps cette découverte d'une structure.

Tour la question qui concerne l'écrivain contenant de tous les livres, c'est un des thèmes que la critique contemporaine a beaucoup développé, qui avait été repris dauteurs scholastiques, et qu'on voit bien dans l’ouvrage de Schneider sur Les voleurs de mots, c'est-à-dire sur le plagiat, la dépression de l’écrivain: '% quoi bon écrirais je quelque chose de nouveau puisque tout a été dit, et non seulement tout a été dit, mais je ne suis même pas le premier à avoir dit que tout a été dit, puisque ça a été beaucoup dit avant moi. "Et il faut aller jusqu'au bout de ce tout a été dit' pour que je me décide à dire ce que j'ai à dire qui est déjà dans la bibliothèque de 'Babel' Mais, qu'en effet, comme vous le dites bien, il faut se représenter déjà un 'tout fait' du livre, le repré-senter comme ayant sa place dans la bibliothèque, ce qui peut empêcher de l’écrire ou ce qui peut rendre possible, de l’écrire. Lorsque vous dites qu'une des craintes est de garder tous les (ivres dans sa tête car s'il y en a un que l’on met à l'extérieur, il n'est plus dedans et on l’a perdu, alors je crois que là l'idée kleinienne de l’identification projective peut fournir une bonne grille d’explication: Si ce que j'ai en moi est bon et si je le mets au dehors, je ne l'ai plus, je l’ai perdu. "Et même si les autres trouvent que c'est bon, ils vont se jeter dessus et le dévorer et ça n'existera même plus. (Par contre, si ce que j'ai au dedans de moi est mauvais et que je l'expulse au dehors, les autres vont trouver que c'est mauvais; ils vont le reprendre et le renvoyer à l’expéditeur et je vais être détruit.' Donc, toutes les variétés de l’identification projective du bon et du mauvais, du 'accueilli par l’autre' ou du 'renvoyé par l’autre' sont présentes, et de toutes façons c'est mal.

Je pense que cela définit une matrice de quatre types d’angoisse pour lesquels on pourrait trouver des exemples spéci-fiques assez différents. Je pense donc là, si vous voulez, généraliser le processus que vous avez fort bien décrit. Pour Robert Sheckley, vous êtes très gentil de m attribuer la paternité de quelque chose qui est votre fruit, puisque, si je connais Hubert Sheckley, c'est grâce aux travaux que vous avez faits avec Roland Gori et aux, résumés que vous m'en avez fait découvrir. Par conséquent, rendons à Thaon ce qui revient à Thaon. Je vais même vous faire la confidence que, spontanément, je n'aime pas la science-fiction, mais que vous me l’avez rendue aimable, au point que, quand je l’is les résumés que vous en avez faits, ça me satisfait tellement que je n'ai plus envie de lire le roman lui-même. 'Et ça va bien dans le sens de ce que vous avez dit tout à l’heure: condenser l’œuvre de façon à l’a réduire à sa quin-tessence, à une seule phrase ou un seul moi, ou une seule lettre, l'aleph, l’alpha ou l’oméga, le 'tigre' - pour reprendre encore là la figure de Borges, 'Le tigre et la rosé - qui condenserait en un

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À partir du Moi-peau

seul mot, en une seule formule, tout le développement du (ivre, tout celui de l’œuvre.

Mais dans cette simplification, on a affaire à un processus que j'appellerai 'anti-barthésien, par allusion à Roland Barthes. Roland Barthes disait en effet ¦ et ceux qui ont fait la satire de son style l’ont bien mis en évidence -: 'On a peu de choses à dire, on a quelque chose d'essentiel à dire, mais il faut mettre du gras autour de la phrase si on veut que ce soit entendu et commu-nicable, si on veut en faire une oeuvre. ' 'En même temps que le but de la critique est de dégraisser l’œuvre. Alors, de cette évolution de Sheckley qui fait des thèmes de plus en plus sim-plifiés et réducteurs, je dirai- 'II conserve la peau, mais il enlève peu à peu la chair', et peut-être n'ai-je pas, dans mon livre, suffisamment articulé la peau et la chair, la peau décharnée et la chair à vif, mais la chair aussi qui est nourricière de la peau et non seulement contenante de la peau. Je pense que dans une perspective de psychopathologie, il serait intéressant, je dirais même indispensable, de mettre en corrélation les troubles de la chair et les troubles de la peau et de voir comment s'organisent ces troubles et ces relations. 'Et je pense que là, l’expérience de la création peut être une voie introductive à cette question. 'Vous voyez que ce que vous m'avez dit m'a donné beaucoup à penser.

Marcel Thaon: Un mot à propos de ce que vous venez de dire. Si on cherchait une articulation possible entre la chair et le mot, entre la chair et la peau, je pense qu'il faudrait passer obligatoirement par le concept d’objet intermédiaire au sens où par exemple, chez tous les écrivains sur l’œuvre desquels j'ai pu travailler, chez tous ces écrivains, lorsque leur œuvre fonctionne, elle fonctionne à travers l’adresse de leurs testes à un contenant qui peut les recevoir. Je pense qu'il n'est pas du tout innocent que Robert Sheckley se soit arrêté décrire au moment où il n'a plus pu adresser ses œuvres au rédacteur-en-chef de la revue pour laquelle il écrivait le. plus souvent. Tas du tout innocent non plus si l’œuvre de Sheckley a commencé à se simplifier au moment où, bien avant cette époque, le rédacteur-en-chef de cette mime revue, H.L. Gold, a refusé de continuer à accepter les textes de l'auteur écrits sous des pseudonymes, alors que pendant longtemps, il avait publié plusieurs testes de Sheckley sous plusieurs pseudonymes en même temps dans le même numéro de sa revue Galaxy- "Et à ce moment-là, l’œuvre de Sheckley était extraordinairement vivace, multiple. 'Dès que HL. Gold a commencé à lui dire de garder son identité, et a donc contribué à faire revenir sur l’auteur quelque chose qu'il projetait dans des doubles étrangers, eh bien, à ce moment-là, l’œuvre a commencé à se simplifier puis à disparaître.

Didier Anzieu: Ceci nous amène à prendre en considération quelque chose que la nouvelle critique issue de l'école de Constance, la théorie de la lecture, met bien en évidence; il faut qu'on distingue Ce lecteur dune œuvre, du destinataire de Cœuvre. 'Et si le destinataire, c'est le rédacteur-en-chef, le destinataire peut être son père, son propre pire à soi, peut-être une femme, peut-être ses enfants réels ou imaginaires, mais le lecteur est différent du destinataire. Mais dans Cœuvre, se joue un rapport au public et un rapport au destinataire privilégié qui peut être cet ami que cite Masud Khan, l’importance de l’ami, de La Boëtie pour Montaigne, de "W. Fliess par rapport à Freud, qui est le destinataire de l’œuvre; et selon la façon où il va l'accueillir ou pas, l’œuvre pourra exister ou sera détruite, ou bien laissée dans un tiroir. 9&us analystes, nous avons à

prendre cette distinction que la critique littéraire fait main-tenant pour voir quelles correspondances avec les processus inconscients que nous connaissons il y a lieu d’établir.

Yannick Geoffroy: La première chose qui m'est venue à l’esprit, très vite, c'est la phrase de Jédida: 'L'intervalle donne du jeu et la nécessité de l’écart et de: "Qu 'est-ce qui se passe quand on perd l’écart" La deuxième chose à laquelle j'ai pensé entre autres, ça a été toute cette problématique face à un domaine que je creuse -c'est le cas de le dire ¦ non sans difficultés et qui est le domaine du masque et de l'utilisation du masque, en formation et en thérapie. Il m'est venue une image en particulier de certaines séances au cours d’un stage de masques où les stagiaires sont amenés à vivre l’expérience de la propre empreinte de leur visage et de ce moment, nécessaire, qui est toujours mobilisateur d'angoisse où le sujet décolle de sa propre peau; l’empreinte qui, elle aussi, est sous forme de pansements puisque ce sont des bandes plâtrées et où la première image qui lui vient à la face, c'est l’ 'en-creux', c'est le visage du dedans et le moment qui est à la fois moment de jouissance, de surprise - tout est mêlé -, où il retourne cet objet et où il y a l’autre face. "Et cette autre face, c'est celle que ton va voir, puisque c'est celle qui sera apparente, et la seule, quand le masque sera porté. J'ai pensé aussi en troisième lieu, et ce n'est pas loin si on veut bien y voir les rami-fications, j'ai pensé au travail de création et j'ai pensé à quelqu'un comme André 'Breton et à l’ami intérieur de Breton qu'il disait surréaliste en lui et qui était Jacques Vaché. Et j'ai eu l'occasion récemment de travailler sur Nadja, ce serait trop long d essayer de résumer ici; j'ai essayé de montrer que Nadja, est un autre masque de Jacques Vaché.

Anne Clancier: Je vous remercie de ce que vous nous avez apporté. C'est une expérience de grand nombre décrivains et vous avez bien formalisé beaucoup de leur problématique. Je veux juste apporter quelques petits exemples à propos de ce que vous avez dit. %. propos des écrivains qui font des plans, qui tracent quelque chose à C avance qui les stimule, je pense à "Raymond Queneau qui faisait pour ses romans des tracés de voyages, d'itinéraires dans Taris, mais surtout, point particulier chez lui, des généalogies. Il écrivait les généalogies des familles des personnages de ses romans. Pour Pierrot mon ami, dont on a trouvé le dossier préparatoire, il a tracé la généalogie du prince Toldève mort d'un accident (qui, en réalité, était le fils du roi Louis-philippe). "Et puis en écrivant son roman, il a gommé tout cela , il reste juste l’accident survenu à ce prince. J'ai fait un travail montrant pourquoi cette généalogie était importante et en rapport avec des problèmes d’identité de Queneau. J'ai pensé aussi, quand vous avez parlé du géographe de Borges et à nou-veau quand 'Y- Geoffroy a parlé des masques, à cet artiste qui a empaqueté le Pont Neuf et qui empaqueté des monuments. Essaie-t-il de voir un masque en creux quand il désempaquète? Il y a un phénomène intéressant à étudier là.

Et puis alors quand vous avez parlé de l’espace déchap-pement, j'ai associé avec quelque chose qui nia toujours paru curieux, il s'agit du facteur Cheval que vous connaissez bien dans la région; un jour, il a fait une erreur sur un mot et c'est cette erreur qui Ca amené à créer. Il a raconté qu'un jour, il a heurté à bicyclette en faisant sa tournée, une pierre sur la route et il a dit: 'J'ai trouvé ma pierre d échappement'. Il s'est mis à construire, à projeter à l'extérieur, à laisser échapper de lui-même cette construction extraordinaire qui représentait probablement

71

L'Œuvre ouverte

son Soi. A propos de l’épuration de l’œuvre, l’appauvrissement de l’ouvre, l’idéal d'ascèse, on peut penser également à Mallarmé avec son fameux livre qu'il n'a jamais pu écrire. La question de l’ami, de l’étayage sur un ami, de la communication avec un ami est très importante aussi.

J'ai noté une différence entre les peintres et les écrivains. Les peintres ont souvent Besoin d’avoir plusieurs toiles en train dans leur atelier ou de passer dune technique à une autre. Ils

disent: j’arrête de faire une toile avant qu'elle soit achevée, pour me mettre à la gravure, pour me mettre au dessin, puis je reviens à la peinture, chaque technique enrichit Couvre que je fais ensuite. ' Les écrivains, au contraire, pour la plupart du moins, n'aiment guère interrompre leur œuvre en cours, un ro-man par exemple, pour travailler à une œuvre d'un autre genre (essai ou autre). On devrait se demander d'où vient cette différence.

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L'enveloppe généalogique

de la famille

par Evelyn GRANJON

n proposant cette vaste métaphore que constituent ses travaux sur le Moi-peau, Didier Anzieu stimule nos

pensées, suscite nos recherches, étaye nos hypothèses. Le travail clinique avec des familles, et particulièrement

les cures de Thérapie Familiales Analytiques (T.F.A.) m'ont amenée à interroger et prolonger les propositions de Didier Anzieu. Préoccupée par la question complexe de la transmis -sion psychique, dans le cadre notamment d'un travail avec d'autres (Christian Guérin, en particulier) sous la direction de René Kaës, se pose à moi la question du passage de l'inter-générationnel à l ' intra -groupal.

Vos travaux sur le Moi-peau, Didier Anzieu, m'ont fait penser, rêver et m'amènent à poser beaucoup de questions. Je sais bien que ces questions resteront, pour la plupart, ou-vertes, mais c'est peut-être ce qui nous permettra de mieux nous séparer, au décours de ces journées si riches.

/ - Quelques hypothèses : Si tout espace psychique implique son rapport à

l'enveloppe qui le détermine, qu'en est-il de l'enveloppe psychique familiale? Qu'elle en est son origine, sa formation, sa structure, ses fonctions? Qu'elle est sa spécificité par rapport aux autres groupes? Quels sont ses rapports avec l'espace psychique familial, avec les psychés individuelles et le Moi-peau? Quelles pathologies, enfin, mais aussi quels abords spécifiques peut-on rapporter à l'enveloppe psychique familiale? Loin de pouvoir répondre à toutes ces questions, je voudrais cependant, m'appuyant sur la clinique, tenter de faire avancer ce questionnement et apporter quelques hypo-thèses sur ce que j'appelle l'enveloppe généalogique fami-liale qui pourrait constituer un des aspects de l'enveloppe psychique familiale.

Très rapidement, compte-tenu du temps qui m'est imparti, je vous propose d'ouvrir le débat sur quelques points concernant l'enveloppe généalogique familiale:

Je préciserai tout d'abord, sans le développer, que je considère le groupe familial, spécifique par ses liens d'allian-ce et de filiation, et par les interdits qui les régissent, comme un proto-groupe, premier et "modèle" de tout groupe humain.

- Les différents travaux sur les groupes, et parti-culièrement ceux de Didier Anzieu et René Kaës, nous permettent de penser le groupe comme un espace psychique, espace spécifique où se déposent, se nouent, s'articulent, se transforment des éléments psychiques. Cet espace, comme tout espace psychique, est contenu, délimité, protégé par une enveloppe qui le fonde.

Quel en est l'étayage? A quelles représentations de contenants correspond cette enveloppe? L'étayage biologique

(notamment) du psychisme individuel et pour ce qui nous intéresse l'étayage des prémices du Moi sur la peau m'amè-nent à m'interroger sur les bases où se construisent les représentations psychiques qui fondent l'espace groupai.

Quelles structures biologiques - ou génétiques, peut-être? - servent d'étais à l'enveloppe familiale? A l'image de quelle structure et de quel fonctionnement se forme l'espace psychique familial?

Le groupe familial n'a pas de peau, ni de corps, mais il a ce qu'on pourrait appeler un "corps génétique" (corpus génétique) commun.

- Ce qui fonde le groupe familial, c'est la rencontre des conjoints et la constitution de Vanité duelle" du couple. Cette alliance, fondatrice du couple puis du groupe familial, est basée sur des liens libidinaux et narcissiques, certes, mais je dirais aussi sur des liens généalogiques. C'est la rencontre de deux lignées, dans leur complémentarité et leurs échos; le choix inconscient de la famille conjointe est, à mes yeux, très important. Héritier d'une histoire, fondée sur quelques mythes, chacun d'entre nous a tissé son roman familial sur la base de ce qui lui a été transmis par ses parents, sur des don-nées assimilables (représentations d'objets, fantasmes...).

Mais quel destin pousse tel homme ou tel femme à choisir cette autre famille (et bien sûr aussi cette autre personne) si ce n'est quelque compte à régler avec sa propre famille? Comptes inconscients, séquelles de ratés de la trans-mission psychique, dont tout individu se trouve porteur de traces à son insu et ayant à charge de transformer et de transmettre cet héritage, tâche qu'à lui tout seul il ne peut assurer. Je reprends ici l'hypothèse que fait René KaSs que "toute affiliation (et toute alliance) se fait sur les failles de la filiation."

Ainsi, le généalogique est à l'œuvre dès la fondation du groupe familial, dans les prémices de l'Appareil Psychique Familial (A.P.F.).

C'est donc cette idée, largement éclairée par la clinique, qui m'a amenée à envisager l'hypothèse d'une enveloppe généalogique familiale. Constituée à partir de la "rencontre généalogique" - elle serait un élément princeps, fondateur de l'espace psychique familial.

Base et contenant de l'A.P.F., cette enveloppe permet l'unicité, je dirais l'individualité du groupe familial. Déli-mitant l'intérieur et l'extérieur du groupe, elle sert de filtre, de frontière, de protection.

Cette enveloppe signe l'insertion du groupe familial dans la généalogie et permet sa différenciation par rapport aux générations précédentes, dans la mesure où elle assure un lien où s'élabore l'écart inter-générationnel, grâce à la scène primitive.

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E

L'Œuvre ouverte

- Mais c'est aussi une surface où s'inscrivent les traces des liens généalogiques fondateurs du couple, c'est-à-dire en rapport avec la filiation. Par traces, j'entends tous les élé ments parcellisés, non métabolisés et non assimilables par les sujets, en rapport avec une histoire familiale non dite, non sue, un secret, un fantôme, un deuil non fait.

Tous ces éléments pictogrammiques s'inscrivent tels quels sur l'enveloppe généalogique familiale, véritable cible de transmission, dont la fonction sera alors de permettre leur transformation grâce aux capacités de contenance et d'échan-ge avec le groupe social environnant, grâce à un étayage sur les mythes fondateurs de cet environnement (mythes sociaux ou religieux), qui deviennent les "supports-révélateurs" de ces éléments psychiques. Ainsi ces traces des ratés de la trans-mission psychique pourront prendre sens.

De cette fonction dépend la possibilité de la constitution du roman groupai de la famille, qui correspond à la fonction mythopoïétique du groupe familial, que permet la construc-tion de l'A.P.F.

- L'expérience de travail avec des familles et particulièrement dans le cadre de T.F.A. m'ont amenée à repérer certains défauts ou déficits dans la constitution ou les fonctions de l'enveloppe généalogique familiale en rapport avec différentes pathologies du groupe familial dont la souf france s'exprime par le groupe lui-même ou par certains de ses membres.

Je ne suis pas en mesure de dresser actuellement avec certitude les rapports entre ces pathologies et les dysfonctionnements de cette enveloppe. Cependant, l'expé-rience clinique m'a permis de constater avec une fréquence certaine que les relations de type fusionnel au sein d'une famille, avec leur cortège de non-différenciation, d'incom-municabilité et d'absence d'échanges sont en rapport avec des "trous" dans l'enveloppe généalogique familiale, traces de blancs dans l'histoire familiale, en écho dans chaque lignée parentale. La symptômatologie manifeste correspond alors souvent à la reprise telle quelle d'éléments, parcellisés et diffractés au niveau du groupe, issus des événements de cette histoire non-sue.

Les fonctions déficientes de l'enveloppe psychique familiale empêchent la constitution d'un espace d'élaboration; les différents sujets sont alors englués dans ce qui constitue leur noyau de base, toute élaboration et circulation fantasma-tique, indispensable à l'autonomie des psychismes indivi-duels, est impossible.

Les symptômes des individus apparaissent alors comme les seuls compromis possibles pour tenter de maintenir un équilibre entre la cohésion du groupe et l'obligation de résou-dre les énigmes d'un destin qui ne les concerne pas.

- Comme pour les dysfonctionnements du Moi-peau, ce type de pathologies de l'enveloppe psychique familiale s'exprime par les distorsions du cadre thérapeutique pro posé, correspondant au transfert sur le cadre.

La T.F.A. correspond à un processus de ré-étayage groupai des éléments constitutifs et non-élaborés du groupe familial sur un néo-groupe, le groupe TP.A. Il s'agit donc d'un processus d'affiliation engageant chaque participant dans ses liens de filiation. Le pacte thérapeutique est le socle d'alliance de ce néo-groupe.

Le cadre thérapeutique correspond à l'enveloppe contenante de ce groupe. En tant que rituel en rapport avec nos mythes (ceux de la psychanalyse), ce cadre thérapeutique aura pour fonction de permettre que prennent sens les traces dont il est porteur: c'est ce que traduit le transfert sur le cadre dont l'interprétation permettra qu'il serve d'étai à la consti-tution d'une enveloppé généalogique familiale correcte.

// - Séquence clinique :

Je vous propose de tenter d'éclairer ces quelques hypothèses par une séquence clinique, concernant partiel-lement deux séances de T.F.A.

Une femme apprend le même jour qu'elle est enceinte et qu'elle a un cancer. L'enjeu de cette problématique est la mort de la mère ou celle de l'enfant. Cette femme décide de garder l'enfant. Cinq ans plus tard, je reçois le petit Frédéric, né de ce dilemme, avec ses parents. Cet enfant présente une pathologie complexe dont je retiens:

- Une agitation psychomotrice intense avec incoordi nation,

- aucune acquisition logique ni graphique, - une logorrhée permanente, que je qualifierai de "déli

rante", sorte de discours l ibrement associatif, concernant toutes sortes de catastrophes, à partir de mots entendus ou d'onomatopées, donnant l'impression d'une absence totale de limite entre l'intérieur et l'extérieur;

- les capacités intellectuelles de cet enfant me paraissent excellentes et il bénéficie d'une bonne mémoire.

Les parents de Frédéric sont très angoissés par sa symptômatologie, d'autant plus qu'ils appartiennent tous les deux à un milieu socio-culturel où la scolarité prend une grande place. Au niveau familial, je préciserai une seule chose: il s 'agit d'une famille comprenant trois enfants (Frédéric est le dernier) qui vit sur le mode fusionnel et c'est ce qui m'amène à poser une indication de T.F.A. que j'entre-prends avec un co-thérapeute.

Nous sommes à la sixième séance de ce travail. Seuls les parents et Frédéric sont présents. C'est la première fois que cette famille ne vient pas au complet.

Il est question de la naissance de Frédéric, par césa-rienne. Peu après, Frédéric a présenté un eczéma généralisé grave du nourrisson. Les parents nous disent "... toute notre angoisse (celle de la grossesse) s'est transférée sur lui." Inquiétude, soins rendus presque impossibles par la difficulté de toucher cet enfant La mère ajoute: "Après ma maladie et les lourds traitements, j'étais complètement épuisée, incapa-ble de me tenir debout et de m'occuper de Frédéric... Je pensais que j'avais une généralisation de mon cancer." Elle fait alors un lapsus: au lieu de parler de cancer génital, elle dit: "cancer génétique."

Pendant ce temps, Frédéric est très agité. Debout, au centre de notre groupe, comme à son habitude, il est excité, "délirant", et nous recueillons, au hasard de son "hémorragie verbale", quelques bribes de phrases qu'il hurle:

"... Le soldat mort!... La peau du soldat mort. Je l'arrache, je la brûle, je l'enterre (il mime). C'est une peau de serpent, c'est la peau de maman. Il faut que je l'arrache, ça me brûle, c'est pas ma peau, je dois l'arracher."

Les parents le soutiennent à ce moment-là, affectueu-sement: "Oui, ça te brûlait; on n'arrivait pas à te soigner." Le père, lorsque Frédéric dit: "... la peau de maman...", mur-mure de façon à peine perceptible: "Oui, tu auras sa peau."

Nous avions, mon co-thérapeute et moi-même, la chair de poule, nous étions sidérés et nous nous sentions menacés d'implosion!

Sans intervenir ou presque, si ce n'est par un "tissage verbal", nous tentions de contenir tout ce qui se disait là et il est difficile de transcrire l'extraordinaire complexité plurielle des associations, l'intrication des discours et des scènes, et ce

74

A partir du Moi-peau

que j'appellerais l'épaisseur du contenu des séances de thé-rapie familiale, qui requièrent une attention tout à fait parti-culière, une écoute groupale.

A la séance suivante, toute la famille est présente. Nous sommes frappés par quelques points:

- Frédéric porte des habits à l'évidence trop petits pour lui, laissant apparaître la peau du ventre et du dos;

- un des frères arrive avec un pied dans le plâtre "... à cause de Frédéric...", nous précise-t-on immédiatement. Il a une canne. On nous raconte l'accident survenu pour empê cher Frédéric de traverser une route dangereuse. "// a déjà failli mourir plusieurs fois, il faut le retenir tout le temps."

Frédéric, toujours au centre du groupe, joue avec la can-ne de son frère, monologant. Je relève:

"... la canne de grand-père... ... la guerre de 40..." (thème qui revient

fréquemment). Cela déclenche alors en moi une série d'associations: - la remarque, qu'avec cette famille, un siège reste tou

jours vide pendant les séances, un des enfants (en général Frédéric) s'arrangeant pour le laisser inoccupé;

- la remémoration des séances préliminaires où pratique ment aucun souvenir concernant l'histoire du père et de sa famille n'avait pu être évoqué, alors que ceux de la branche maternelle affluaient, permettant de remonter jusqu'à quatre générations. Un silence quasi-total enveloppait la lignée pater nelle, pour des raisons que je dirais liées à l'Histoire;

- des éléments de la dernière séance (absences, conte nu...) me reviennent en mémoire.

Je rassemble et je relie tout cela: la canne du grand-père, la guerre de 40, ce qui vient de se dire, mes propres pensées, et je dis: "La guerre de 40, c'est une histoire de grand-père."

La famille se met alors à restituer , reconstruire par mail-lons, avec notre aide (et celle de l'Histoire), certains éléments connus des uns ou des autres de l'histoire paternelle, notam-ment concernant l'histoire de Monsieur. La méconnaissance de certains événements est mentionnée, d'autres sont inven-tés. Frédéric peut se calmer et venir s'asseoir, sur mes genoux tout d'abord, puis à sa place.

Cet exemple me paraît intéressant à plus d'un titre: - Par les rapports qui existent entre la symptômatologie

de l'enfant, les manifestations d'irritation et d'absence de limite et la carence de la fonction pare-excitation parentale d'une part;

- par ceux que l'on peut faire entre la symptômatologie familiale (relation fusionnelle) et les "trous" de l'enveloppe généalogique familiale d'autre part (notons que certains symp tômes de l'enfant semblaient reprendre telle quelle la problé matique centrale de la famille);

- par la relation qui s'établit entre l'absence de certains membres de la famille et le contenu des séances rapportées;

- par la double fonction thérapeutique: celle de contenir et de protéger, et celle de relier entre eux tous les éléments présents et épars, dévoilant ainsi le sens caché. Ce travail permit la reconstitution de l'enveloppe généalogique familiale.

Didier Anzieu: Que puis-je vous dire d’autres, si ce n'est que vous avez répondu à la question que vous posez, à savoir: y a-t-il une enveloppe familiale? "En quoi consiste-t-elle?"Et que vous mettez bien en évidence ¦ si l'on veut étudier la famille ¦ le carac-tère généalogique que ça comporte, et qui introduit donc une dimension nouvelle dans les concepts d’enveloppe, de "Moi-peau, une extension. Le problème que je poserais alors en retour, qui n'appelle pas de réponse immédiate, est: 'Quelles sont les inci-dences, sur la fonction du Moi-peau chez l'enfant, de l’existence et des particularités de cette enveloppe familiale qu'il trouve en naissant et même qu'il trouve déjà dès la conception? Ce sera pour un prochain colloque...

Evelyn Granjon: (Puis je ébaucher une réponse immédiate? Une simple association: L'expérience des cures de 1.7.91. m'amène à constater que la reconstitution du Moi-peau de l’enfant se fait simultanément à la reconstruction de l’enveloppe généalogique familiale, grâce au maintien et à l’analyse du cadre thérapeu-tique.

Didier Anzieu: 'Donc, il n'y aurait pas enchaînement mais simul-tanéité, inter-action.

Evelyn Granjon: Cest mon hypothèse.

Didier Anzieu: 'Emboîtement, déboîtement, réemboîtement.

Christian Guérin: Je ne sais pas si tu as fait un lapsus; tu as parlé de 'corps génétique" à l’endroit où j'attendais 'code géné-tique'.

Evelyn Granjon: Cest plus qu'un lapsus! J'ai ainsi voulu exprimer non seulement la notion d’inscription et de sens, mais aussi celle de contenant, de la métaphore corporelle contenante et étayante.

Danielle Dravet: 91 ce propos, je me disais que les travaux, que tu nous transmets sont certainement un étayage pour penser ce qu'on est en train de vivre aujourd'hui, qui est la "fabrication' d enfants dont la moitié deux-mêmes sera définitivement perdue puisque venant de sperme anonyme et volontairement anonyme.

Evelyn Granjon: Je crois que c'est une question très importante qui est posée là, à laquelle je suis totalement incapable de répon-dre, mais à laquelle nous avons tous à réfléchir. Sans oublier cependant que nous travaillons à élaborer une métaphore pour penser la question de la généalogie et de la transmission et leur impact sur le processus d’élaboration psychique ¦ ce qui est dif-férent de la réalité génétique.

75

L'Œuvre ouverte

Joël De Martino: C'est-à-dire que lorsqu'on ouvre la question de l’Histoire de la famille, s'agit-il dune, histoire héritée au niveau, d'un code biologique, c'est-à-dire, du côté des chro-mosomes ou bien s'agit-il d'une histoire qui correspond à un vécu entre deux personnes, dans un couple familial? Je ressens ici comme une sorte de glissement entre l'hérédité génétique et l'héré-dité historique. On peut parler de symbolique et d’imaginaire de ta famille, même dans Ce cas dune insémination artificielle par donneur anonyme, car il reste qu'à l'enfant qui sera là on pourra

malgré tout lui verbaliser les 'trous' de son histoire. T,t en ce sens, il n'y aura pas de trou du côté du génétique.

Evelyn Granjon: héritage génétique et héritage généalogique recouvrent deux_ choses dont la différence est peut-être du même ordre que celle entre Moi-peau et peau. Tour revenir à l'exemple proposé de nombreux 'trous' restaient dans cette histoire fami liale très complexe, lin des aspects du travail fut de les cerner, de les nommer. ^ ,

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par Christian GUERIN

n peut considérer comme une évidence le fait qu'il existe des enveloppes externes du Moi. Tout être humain n'a d'existence que par rapport à un

environnement qui lui pré-existe et avec lequel il co-existera tant bien que mal toute s a vie. L'évolution de la dépendance à cet environnement et l'intériorisation de certaines de ces fonctions par le sujet ne supprime pas pour autant son importance psychique. Le Moi qui s'est constitué de l'expérience que le sujet fait avec son environnement porte en lui-même ce lien que l'on peut qualifier de constitutionnel. La famille, le groupe, l'institution et la culture en sont des expressions constantes.

A partir des travaux de Didier Anzieu sur les enveloppes psychiques et particulièrement son ouvrage sur Le Moi-peau (1985), je présenterai certaines idées sur la problématique des enveloppes externes du Moi, en essayant de les mettre en évidence et de définir certaines de leurs particularités et des conditions psychiques dans lesquelles elles sont en jeu.

L'enveloppe externe et son destin La notion d'enveloppe externe est présente dans Le Moi-

peau. Nous allons en suivre la trace et les transformations à partir du chapitre consacré à la psychogénèse du Moi-peau, au moment où Didier Anzieu précise sa conception. "L'entou-rage maternant est appelé ainsi parce qu'il "entoure" le bébé d'une enveloppe externe faite de messages et qui s'ajuste avec une certaine souplesse en laissant un écart disponible à l'enveloppe interne, à la surface du corps du bébé, lieu et instrument d'émission du message" (op. cit., p. 61).

Les enveloppes externes et internes représentées l'une par l'entourage maternant, l'autre par la peau du bébé, se trouvent être l'objet d'une intégration dans la psyché du nourrisson suivant des étapes différentes qui organisent les relations entre le bébé et son entourage. Elles sont à l'origine de fantas-mes typiques parmi lesquels le fantasme d'inclusion réciproque qui rend compte de la fusion des deux enve-loppes, de la réduction de leur différence en réaction à l'expérience de séparation de la naissance. Les deux enve-loppes se trouvent ensuite réunies autrement en une interface qui renvoie au fantasme d'une peau commune entre le bébé et la mère. D. Anzieu écrit: "Si les angoisses liées à ces fantasmes arrivent à être surmontées, l'enfant acquiert un Moi-peau qui lui est propre selon un processus de double intériorisation:

a) de l'interface qui devient une enveloppe psychique contenante des contenus psychiques (d'où la constitution, selon Bion, d'un appareil à penser les pensées);

b) de l'entourage maternant qui devient le monde intérieur des pensées, des images, des affects.Cette inté riorisation a pour condit ion ce que j 'ai appelé le double

interdit du toucher" (op. cit. p. 62). Dans un article de 1986 0-), D. Anzieu précise la parti-

cularité des deux enveloppes psychiques les plus impor-tantes, l'une étant l'enveloppe recevant l'excitation, l'autre la signification. Bien qu'il ne l'énonce pas explicitement, nous pouvons considérer qu'à l'origine l'enveloppe interne (la peau du bébé) correspond à l'enveloppe d'excitation et l'enveloppe externe (l'entourage maternant) à l'enveloppe de signification. D. Anzieu soulignera, ce qui est très important, que faisant suite à la phase du Moi-peau, "le développement de l'appareil psychique et du Moi passe par la différenciation progressive de ces deux enveloppes et par l'établissement entre elles d'articulations qui maintiennent en même temps un écart suffisant" (op. cit. p. 16).

Ce bref rappel des propositions de D. Anzieu nous permet de suivre le destin de l'enveloppe externe. Co-présente et dis -tincte de l'enveloppe interne (la peau du bébé), elle corres-pond à l'environnement maternant. L'avènement de l'activité fantasmatique est lié au lent travail d'intériorisation et de transformation de cette enveloppe. D'abord réduite dans sa particularité avec le fantasme d'inclusion, elle est ensuite représentée à travers le fantasme de peau commune (l'inter-face) qui permet à la fois de maintenir la différence entre les enveloppes tout en réunissant leurs propriétés. En effet, la peau commune est sans doute peau pour plusieurs, mais aussi peau qui a la double propriété de l'enveloppe interne et de l'enveloppe externe. Puis il y a le basculement à l'intérieur de la psyché du nourrisson avec la double intériorisation de l'interface et de l'enveloppe externe constitutive du Moi-peau. L'enveloppe externe devient alors le monde interne du bébé. Elle correspond aussi à l'enveloppe de signification. Plus tard, le Moi travaillera à maintenir l'écart entre l'enveloppe de signification et l'enveloppe d'excitation, ce qui revient à retrouver l'écart originaire entre les deux enveloppes, mais à un niveau interne cette fois -ci.

L'enveloppe externe du Moi Je ferai deux remarques complémentaires aux propo-

sitions de D. Anzieu: 1° II me semble d'une part, que la double intériorisation,

constitutive du Moi-peau, de l'interface et de l'entourage maternant, n'est jamais totale. Outre les problèmes patho-logiques soulignés par D. Anzieu (1985, 1986) liés aux étapes du développement topique des enveloppes psychiques (indifférenciation, décollement, emboîtement), le Moi se constitue aussi de cette intériorisation non terminée, sinon interminable. La conséquence est la suivante: une partie du Moi dont les éléments constitutifs appartiennent à l'en-veloppe externe et qui n'ont pas pu être intériorisés est en

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o

L'Œuvre ouverte

quelque sorte en demeure d'être. 2° D'autre part, la différenciation progressive que le Moi

opère entre l'enveloppe d'excitation et celle de signification est sous-tendue aussi par le retour que le sujet est en mesure d'assumer vers son enveloppe externe et partant vers les objets et le monde externe, investis comme des enveloppes de signification. Cette différenciation progressive est d'autant plus facilitée que l'enveloppe externe n'est jamais totalement intériorisée. Le Moi y trouve sa condition, sa source, ses souf-frances (narcissiques) et les éléments de son développement. Si le Moi maintient l'écart entre les deux enveloppes, il travaille aussi à poursuivre l'intériorisation de l'enveloppe maternante originaire.

D. Anzieu a montré l'importance considérable des enve-loppes psychiques pour l'avènement du Moi ainsi que les effets pathologiques dus à leurs altérations, je voudrais attirer l'attention sur ce qui du Moi est en demeure d'être et qui est en attente dans ce qui peut devenir les enveloppes externes du Moi.

Ainsi nous parlerons des enveloppes externes du Moi pour qualifier:

* Tout d'abord, les premières enveloppes signifiantes relatives à l'entourage maternant et qui sont au fondement du Moi-peau et du Moi,

* ensuite, présupposant l'existence du Moi, la fonction que peut remplir pour le sujet certains éléments (personnes, objets, œuvres culturelles...) externes à lui-même, investis des parts du Moi en attente de signification. Ces personnes ou objets peuvent dans certaines conditions remplir le rôle d'enveloppes de signification à partir desquelles va pouvoir se thématiser l'expérience d'excitation propre au sujet et sa rencontre avec le sens. Ce qui est en jeu, c'est la quête, dans ces enveloppes externes ainsi investies, des parts du Moi non intégrées. Elle rend compte de ce que le Moi du sujet est en travail, réouvert à ces "défauts" et au mouvement psychique de l'intégration.

Ceci est particulièrement repérable dans la situation clinique (aussi bien singulière que groupale) et dans le travail créateur, l'un et l'autre ayant affaire avec le Moi dans sa cons-titution ou dans son ouverture. Tout dispositif thérapeutique, à travers l'importante question du cadre, a pour fonction de rendre cliniquement possible et fécond un tel mouvement psychique. La possibilité d'un tel travail est fondée sur le postulat suivant: le cadre s'offre comme une enveloppe exter-ne du Moi durant le travail thérapeutique, le sujet peut y déposer une partie de son fonctionnement psychique et opérer cette différenciation capitale pour D. Anzieu entre l'enveloppe d'excitation et celle de signification.

Je peux maintenant revenir sur deux hypothèses que j'ai déjà eu l'occasion de présenter et qui, à travers la question des enveloppes externes du Moi, me paraissent complé-mentaires. L'une concerne le transfert de conteneur(2), l'autre la forclusion générative).

Avec le transfert de conteneur, j'essaie de rendre comp -te de ce mouvement de l'appareil psychique que le sujet opère hors de lui et qui permet de trouver à l'extérieur des fonctions psychiques mises en suspens chez lui en rapport à son état psychique. Il renvoie à la possibilité de trouver au dehors et de prendre appui sur ce qui devient alors des enveloppes externes constituées de ce que W.R. Bion a appelé la fonction contenant et la fonction alpha et que R. Kaës a rassemblé sous le terme de fonction conteneur. Dans le travail créateur comme dans la situation clinique, on peut considérer que c'est la différenciation entre les enveloppes qui est ainsi en jeu avec plus particulièrement une mise hors

de soi de l'enveloppe de signification. Le travail de la créa-tion requiert de faire aussi pleinement que possible l'expérien-ce de l'excitation sans le recours immédiat à la signification hâtive. Il met à l'épreuve l'écart originaire entre l'excitation et la signification, de même que la nécessité d'un sens tout autant que sa fugacité ainsi que les raisons de sa force. Le travail clinique, en ce point, a bien des équivalences.

La forclusion générative correspond à la suspension de la signification liée au défaut dans l'intériorisation de l'envelop-pe externe originaire, c'est-à-dire de l'environnement mater-nant. Elle tente de rendre compte de l'existence des parts du Moi non intégrées, non thématisées et dont la signification est en dépôt dans les enveloppes externes. La forclusion générative met en jeu la dimension familiale et groupale du sujet. Elle implique cette idée que les membres d'un groupe et en premier lieu d'une famille sont dépositaires de parties de significations qui ne pourront advenir au sens que d'être (re)constituées dans l'expérience du groupe. Autrement dit: une partie du sujet n'est pas accessible au sujet à lui tout seul, non parce qu'il ne le veut pas (nous aurions affaire à une figure du refoulement), mais parce qu'il ne le peut pas. C'est dans cette perspective que je comprends l'importance du con-cept de chaîne associative groupale proposé par R. Kaës et les incidences techniques que cela entraîne au niveau d'une écoute plurielle du groupe^.

Suivant les propositions que je viens d'exposer, les enve-loppes externes du Moi peuvent être mobilisées pour deux raisons:

1° Soit pour y déposer une part du Moi qui correspond à l'enveloppe de signification, le temps d'un travail créateur ou thérapeutique. Nous aurions affaire au transfert de conte-neur.

2° Soit pour y rechercher les parts du Moi en dépôt hors du sujet lui-même et dont il ne porte que des traces insensées parce que partielles. L'enveloppe d'excitation propre au sujet est en quête de l'enveloppe de signification nécessaire à l'inté-gration de l'éprouvé. Nous serions face à la forclusion géné-rative.

Le matériel que je vais présenter va me permettre succes-sivement d'illustrer et de préciser ces deux propositions.

Les enveloppes externes du Moi dans le travail créateur: le transfert de conteneur chez Paul Valéry En 1937, Paul Valéry écrit: La première leçon de

poétique), II présente et justifie le contenu d'un cours qu'il inaugure sur la poétique. I l y expose avec beaucoup de détails et de finesses certaines données se rapportant aux mou-vements psychiques internes qui habitent le créateur (lui-même) durant son travail. "Au cœur de la pensée du savant ou de l'artiste le plus absorbé dans sa recherche et qui semble le plus retranché dans sa sphère propre, en tête à tête avec ce qu'il a de plus soi et de plus impersonnel, existe je ne sais quel pressentiment des réactions extérieures que provoquera l'œuvre en formation: l'homme est difficilement seul(*). Cette action de présence doit toujours se supposer sans crainte d'erreur*); mais elle compose si subtilement avec les autres facteurs de l'ouvrage, parfois elle se déguise si bien, qu'il est presque impossible de l'isoler(*). Nous savons toutefois que le vrai sens d'un tel choix ou de tel effort d'un créateur est souvent hors(*) de la création elle-même et résulte d'un souci plus ou moins conscient de l'effet qui sera produit et de ses conséquences pour le producteur. Ainsi pendant son travail, l'esprit se reporte incessamment du Même à l'Autre (*); et modifie ce que produit son être le plus

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A partir du Moi-peau

intérieur, par cette sensation particulière du jugement des Tiers. Et donc dans nos réflexions sur une œuvre nous pouvons prendre l'une ou l'autre de ces attitudes qui s'excluent (*)" (op. cit. 1937, p. 1345).

Dans ce passage de P. Valéry, nous repérons certaines données intéressantes:

- l'homme n'est pas seul pendant le travail de recherche, de création,

- il existe une présence autre, subtile et difficilement isolable,

- cette présence a partie liée avec l'éprouvé de la crainte et de l'erreur,

- s'opère incessamment un va-et-vient entre le chercheur et cette présence, entre le Même et l'Autre,

- ces deux éléments s'excluent l'un et l'autre pendant le travail créatif, il en va d'une nécessaire distance.

On pourrait aisément repérer la dimension surmoïque de cette "action de présence" que l'auteur "doit toujours se suppo-ser sans crainte d'erreur". Mais je ne pense pas qu'il soit seulement question ici d'allégeance au Surmoi. La suite me permettra de préciser ma pensée. Le transfert de conteneur comme mouvement du psychisme pourrait se trouver dans cette expression: "pendant son travail l'esprit se porte et se reporte incessamment du Même à l'Autre."

La suite du texte de Paul Valéry va nous permettre d'avan-cer encore plus précisément. L'auteur écrit, s'agissant du sens du poème: "des divergences peuvent se manifester entre les interprétations poétiques d'un poème, entre les impressions et les significations ou plutôt entre les résonances^*) que provoque chez les uns et les autres l'action de l'ouvrage.

Mais voici que cette remarque banale doit prendre, à la réflexion une importance de première grandeur: cette diver-sité possible des effets légitimes d'une œuvre est la marque même de l'esprit. Elle correspond d'ailleurs à la pluralité des voies qui se sont offertes à l'auteur pendant son travail de production^*'. C'est que tout acte de l'esprit même est tou-jours comme accompagné d'une certaine atmosphère d'indé-termination^*) plus ou moins sensible." (op. cit. p. 1350). Cette indétermination résulte chez l'auteur de la contradic-tion; de l'éprouvé des modifications intérieures désordon-nées; d'un "bourdonnement autour de son propre point de repère". Il qualifiera un tel état de dispersion. Il poursuit en ces termes: "Mais voici une circonstance bien étonnante: cette dispersion, toujours imminente, importe et concourt à la production de l'ouvrage presque autant que la concen-tration elle-même (...) L'instabilité, l'incohérence, l'inconsé-quence dont je parlais, qui lui sont des gênes et des limites dans son entreprise de construction ou de composition bien suivie, lui sont tout aussi bien des trésors de possibilités dont il pressent la richesse au voisinage du moment même où il se consulte. Ce lui sont des réserves desquelles il peut tout attendre, des raisons d'espérer que la solution, le signal, l'image, le mot qui manque sont plus proches de lui qu'il ne le voit. Il peut toujours pressentir dans sa pénombre, la vérité ou la décision recherchée, qu'il sait être à la merci d'un rien, de ce même dérangement insignifiant qui parais-sait l'en distraire et l'en éloigner indéfiniment.

Parfois ce que nous souhaitons voir apparaître à notre pensée (et même, un simple souvenir(*)), nous est comme un objet précieux que nous tiendrions et palperions au travers d'une étoffe qui l'enveloppe et qui le cache à nos yeux. Il est, et il n'est pas à nous(*), et le moindre incident le dévoile."

Ainsi, comme on peut le voir, P. Valéry précise l'in-ventaire des éléments qui caractérisent l'état psychique du chercheur. A ceux déjà relevés s'ajoutent:

- la résonance de l'œuvre, qui provient - de la pluralité de voies offertes à l'auteur pendant son

travail de production - le bourdonnement autour du point de repère. Ces éléments cités rendent compte de deux états psychi-

ques antithétiques, la dispersion et la concentration, dans lesquels nous reconnaissons les travaux de W.R. Bion avant la lettre avec la fluctuation entre les pôles paranoïde-schi-zoïde et dépressif qu'il a couplés dans la relation SP<->D (dis -persion<->intégration)(6). Pendant cet état, même les objets les plus personnels (les souvenirs) sont éprouvés dans un rapport paradoxal de type winnicottien: "II est, et il n'est pas à nous."

Si nous revenons maintenant à la question de la crainte et de l'erreur qui faisait penser à un effet du Surmoi, nous voyons mieux qu'il y a bien un danger, un risque, mais pas tant celui de déplaire ou de faire mal et d'être sanctionné que celui de se déconstruire, de perdre son identité interne. Cette crainte/erreur concerne l'interne, le rapport du sujet à lui-même.

On comprend l'importance capitale des dépositaires (ces voies plurielles) qui peuvent aussi fonctionner défensivement comme Surmoi s'ils reçoivent en tant qu'objets externes l'éprouvé du sujet. Ces voies plurielles qui accueillent le sujet au moment de la dispersion, de la mise hors de lui et qui parti-cipent au travail de composition.

Nous disposons maintenant d'un certain nombre d'élé-ments qui constituent le transfert de conteneur. Le transfert résulte d'une dé-différenciation ("le bourdonnement", "l'indé-termination") au sein du psychisme et d'un déplacement de certaines de ces parties. Ce qui est dé-différencié et déplacé est une partie de l'appareil psychique du chercheur et notam-ment sa propre capacité d'accueil et de transformation de son propre éprouvé ainsi que des éléments externes. Il est lui-même dans la situation psychique d'être contenu et d'utiliser des données déjà élaborées. Cette double position simultanée est constitutive de l'état psychique et de sa situation para-doxale. Le conteneur, constitué d'un contenant et d'une fonc-tion alpha est repérable dans la périphérie du chercheur: ainsi la fonction alpha avec ce qui résulte de la pluralité des voies et de ce travail pluriel que nous pourrions nommer inter-prétation et qui rend compte de la circularité des éléments alpha d'un pôle à l'autre, dans le mouvement de va-et-vient dont parle P. Valéry. En ce qui concerne le contenant, nous en avons des expressions métaphoriques avec cette "étoffe" qui "enveloppe" un objet Moi/non Moi. Nous avons des éléments précis de ce qui constitue l'enveloppe externe du Moi corrélative au transfert de conteneur.

Ces mouvements du psychisme expliquent la précarité de la situation: "un moindre incident le dévoile". Le dévoile-ment peut être compris à la fois comme une défaillance de l'enveloppe externe du Moi, mais aussi comme la découverte trop tôt de ce qui peut se voir et qui fige le processus au niveau de la concentration, de l'ordre, au moment où cette précarité en elle-même est féconde.

Ce texte de P. Valéry nous renvoie au travail de Didier Anzieu sur Les cinq phases du travail créateur paru dans son ouvrage sur Le corps de l'œuvre (1981)*7). J'y ai trouvé pour ma part un certain nombre d'éléments constitutifs du transfert de conteneur et de la problématique des enveloppes externes du Moi. Pour D. Anzieu le travail créateur parcourt cinq phases: éprouver un état de saisissement; prendre conscience d'un représentant psychique inconscient; l'ériger en code organisateur de l'œuvre et choisir un matériau apte à doter ce code d'un corps; composer l'œuvre dans ses détails; la produi-re au dehors (cf. la deuxième partie de l'ouvrage).

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L'Œuvre ouverte

II me semble que la première phase, dans laquelle une partie du Moi régresse tandis qu'une autre partie reste cons-ciente, met en jeu la perte du conteneur interne, c'est-à-dire les fonctions qui le constituent: recevoir et traiter les données physiques et psychiques. Pour ma part, je pense que cette autre partie du Moi est déposée (c'est là l'idée de transfert comme déplacement) dans les objets (personnes ou choses) qui sont à la périphérie psychique et pas seulement géogra-phique, du créateur. C'est aussi dans ce déplacement d'une partie de l'appareil psychique que s'inaugure, parallèlement à la régression, la première phase du travail créateur. Là est le risque psychique: dans le transfert d'une partie de soi, il est question de décramponnement au sens de I. Hermann(8) et de N. AbrahamC9), et qui correspond chez D. Anzieu à l'écart entre les deux enveloppes. Dans ce premier temps, rien n'est d'abord acquis; la fiabilité des appuis cherchés n'est pas construite; il y a de l'incertitude. La deuxième phase carac-térisée par la saisie d'un représentant psychique est, me semble-t-il, directement liée à la présence qualitative de ce transfert de conteneur réussi, c'est-à-dire, à l'existence d'une enveloppe externe du Moi.

Cette présence qualitative est de nature paradoxale (c'est moi et ce n'est pas moi). Ceci tient à la proximité psychique de ces "objets" qui entourent le créateur et qui sont de véri-tables outils, prolongement de lui-même (je renvoie à la con-tribution de M. Thaon(10)). Il se peut ainsi que la capacité de mener à terme un travail créateur - le parcours des cinq phases - t ienne à la fois au sujet , mais aussi à ce qui a fonction de conteneur: les enveloppes externes du Moi, sorte de Parergon (**) de l'œuvre.

La nouvelle d'Henri James, Le coin plaisant, qui est ana-lysée par D. Anzieu, pourrait tout à fait illustrer cette problé-matique et être vraisemblablement pour H. James la symbo-lisation de son éprouvé à cet égard. De plus, D. Anzieu donne aux lecteurs un exemple des conditions internes et externes qui ont présidé à son travail créateur, notamment lorsqu'il évoque "le trio de bonnes fées" (1981, p. 97-98) avec l'infirmière, la secrétaire, Madame de Sévigné. Il s'agit bien de personnes qui remplissent les fonctions d'enveloppes externes du Moi: l'une qui soigne le corps et conforte l'enve-loppe, l'autre qui reçoit l'information puisée au puits de la régression, enfin la référence à un modèle littéraire, autant dire au code. Chez bien d'autres auteurs, de tels éléments apparaissent et je pense particulièrement à S. Freud et à ce que D. Anzieu a écrit à ce sujetf11), ainsi qu'à J.L. Borges. Ce processus extrêmement présent dans le travail créateur est aussi une composante de la vie quotidienne inaugurée par la relation entre le bébé et son entourage maternant.

La question des enveloppes externes du Moi dans la thérapie familiale: la forclusion générative Le matériel clinique qui va suivre devrait illustrer la pro-

blématique de la recherche des parts du Moi en dépôt hors du sujet et, dans ce cas, chez les membres d'une famille et chez le thérapeute.

Il s'agit d'une séance récente de thérapie familiale dont je donne un premier essai de compréhension. Elle restera d'être précisée. Seuls sont présents et pour la première fois, l'enfant porteur des symptômes (12 ans) et sa mère. La séance débute par un événement rapporté par la mère: l'enfant a mis dans une boîte à chaussures à demi transparente une paire de chaussettes vertes afin de faire croire à sa mère qu'il s'agit de la couleuvre qu'il a récemment trouvée avec un collègue et qu'il cherche à introduire dans la maison. La forme que la mère peut entrevoir et les mots que prononce son fi ls suffisent pour provoquer en elle la peur recherchée et obte-

nue par le fils. Il jubile mais reste désemparé. Elle est terri-fiée, mais aussi décontenancée par les chaussettes. Ce fils qui n'arrête pas de se mettre dans des situations dangereuses - il ne compte plus les accidents et les fractures -; ce fils qui n'a peur de rien, sauf des araignées et particulièrement d'une espèce qu'on ne trouve pas en France. Cette mère qui a peur de beaucoup de choses et surtout pour la vie de son fils.

Je délaisse volontairement le serpent pour la boîte, sou-lignant seulement sa demi-transparence et la manière dont finit par se construire dans la pensée, avec la certitude acquise de son contenu, la peur qu'il provoque.

L'ensemble de la séance est un chassé-croisé du fils à la mère dans lequel chacun, en voulant me prendre à témoin, appelle et excite l'autre, tout en essayant de se montrer indépendant, avec la crainte profonde de se perdre mutuel-lement. Jusqu'à ce moment où j'ai le sentiment d'avoir affaire à de véritables propriétaires solitaires de ce qu'ils ont en partage, c'est-à-dire à une forme de déni de la groupalité. C'est là pour moi une des caractéristiques de la forclusion générative. Il m'est alors possible de situer la peur comme n'appartenant pas seulement à l'un ou à l'autre, mais bien aux deux simultanément, et rendant compte d'une expérience relative à l'ensemble. Ce que je leur dis. J'ai aussi la convic-tion de quelque chose qui les concerne et dont chacun est l'écho muet pour l'autre.

L'enfant parle alors d'un accident de justesse évité qui aurait pu être grave. Il prend soin de le décrire avec plan à l'appui, ce qui met en évidence le fait que la "faute" n'est ni de son côté, ni du côté du conducteur de la voiture, mais résulte d'une incohérence dans les feux de signalisation en rapport avec la complexité du carrefour. Incohérence que je soulignerai avec force. La mère, à ce moment-là, se souvient de "quelque chose qui n'a pas été consigné dans le dossier" (je la cite). Il s'agit des conditions de la naissance de son fils. Une grossesse désirée et heureuse, mais un accouchement très difficile et traumatique, avec une césarienne imprévue et urgente; un chirurgien parti dans une autre ville et qui tarde à venir; un enfant dont le risque de mort par étouffement n'est pas écarté au moment où on endort la mère; une impossibilité de le voir dès son réveil. A cela s'ajoute une rupture dans les premiers contacts mère-bébé: elle trouvera son enfant laid; il lui sera impossible de l'allaiter; difficile ensuite de le prendre, de le "sentir" sous prétexte qu'elle doit se reposer, bref de le rencontrer autrement qu'en état de danger et de le recons-truire dans son expérience interne à partir de l'échange direct et prolongé. Il lui faudra pour cela attendre d'être enfin chez elle.

Commentaire Cette séquence montre comment le risque d'accident du

fils appelle et préfigure l'association complémentaire de la mère. Comment il l'amène à se souvenir de quelque chose qui le concerne aussi et dont il ne peut pas se souvenir, mais qu'il remet sans cesse en chantier. Jusqu'à cette similitude remarquable entre la séquence du carrefour dangereux et celle de l'accouchement de la mère. Dans les deux cas, ni l'un, ni l'autre ne sont "fautifs" mais subissent la pression incontenable des événements. Chacun semble être porteur d'un même schème, d'une même configuration interne, par exemple l'enfant et le conducteur de la voiture sont bien l'équivalent du bébé et de la mère sur le point de conduire à terme la naissance et pour laquelle le chirurgien prendra le relais dans des conditions difficiles. Après-coup, je pourrai me rendre compte de la particularité du plan dessiné par l'enfant: un carrefour en forme de "T" m'évoquant aussitôt les organes génitaux féminins au carrefour des trompes et de l'utérus. Peut-être que ce signifiant graphique a aussi suscité

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A partir du Moi-peau

chez la mère le souvenir non consigné de son accouchement. Il est relativement aisé dans cette perspective de com-

prendre un des sens possibles de la boîte à chaussures et du serpent. Boîte dans laquelle il est difficile de voir le vrai contenu et où cette incertitude, tout autant que celle de l'état du bébé, laisse le libre champ au débordement de l'angoisse et de la peur. Cette peur que l'enfant provoque et que sans doute il connaît trop bien sans avoir pu la mentaliser à lui tout seul, malgré la solution œdipienne utilisée de façon maniaque (la tentation du serpent comme cause rassurante -mythique de l'angoisse).

Il me semble que l'un et l'autre se sollicitent pour être des enveloppes externes de leur Moi, porteuses de sens non arti-culé avec une recherche compulsive du partage d'une émo -tion. Le mot de la mère, disant que quelque chose n'a pas été "consigné", semb le donner la mesure de l'urgence. Consigné renvoie à la fois à l'idée de déposer quelque chose qui se garde et se reprend le moment venu, et aussi celle de signer avec, de signer ensemble. Nous aurions ainsi un élément de compréhension de la problématique familiale. Ce qui a fait défaut au moment de son accouchement, c'est, pour cette mère au surcroît de sa douleur et de son angoisse, une enve-loppe maternante, une enveloppe externe du Moi, lieu de dépôt et de sens pour ses douleurs et que le bébé trop absent n'a pu remplir non plus.

La séance montre comment quelque chose peut se retrou-ver à travers le mouvement suivant: l'enfant symptôme met en scène ou en acte; je pressens un lien, une forme, sans, bien sûr, pouvoir la définir (la boîte à chaussures qui privilégie le contenant au contenu; la peur "ensemble" qui engage vers une groupalité de l'affect); l'enfant poursuit son travail psychique sur un autre mode qui est déjà une ébauche de pensée à l'égard de ce qui lui est arrivé; je prends parti face à une incohérence; la mère se souvient. Elle peut alors trans-former son interrogation et sa peur (enveloppe d'excitation) en souvenir (trace, partage de sens: enveloppe de significa-tion qui se reconstruit).

On peut aisément concevoir chez cet enfant des carences au niveau de la constitution de son Moi-peau et particuliè-rement ce qui concerne le fantasme de peau commune entre sa mère et lui. L'enfant fonctionne comme une mémoire muette, dont le lieu d'inscription est ailleurs. La qualité de l'interface doit permettre aussi à la mère de trouver et d'accep-ter chez son enfant les signifiants qui lui ont fait défaut

(*) C'est nous qui soulignons. (**) Ce terme est emprunté à E. Kant. Il a une place centrale dans l'ouvrage de J. Derrida "La vérité en peinture" (1978)(12-) Je ne retiendrai qu'un élément de définition générale se rapportant à mon propos. "Le parergon: mi-œuvre (ergon), mi-hors d'œuvre, ni dedans ni dehors, ni dessus ni dessous, il déconcerte toute opposition mais ne reste pas indéterminé et donne lieu à l'œuvre. Ce qu'il met en place - les instances du cadre, du titre, de la signature, de la légende, etc. - ne laisse plus de déranger l'ordre interne du discours sur la peinture, ses œuvres, son commerce, ses évaluations, ses plus-values, sa spéculation, son droit et ses hiérarchies" (op. cit., p°14). Le parergon est donc l'élément qui dans une œuvre est la trace, la représentation de ce qui a présidé à l'œuvre elle-même tout en y occupant une position nécessairement discrète. Le parergon pourrait être de ce point de vue la figure dans l'œuvre repérée par les phi-losophes de ce qui je propose comme enveloppe externe du Moi.

BIBLIOGRAPHIE (1) ANZIEU, D., 1986. Cadre psychanalytique et enveloppes

psychiques, Journal de la Psychanalyse de l'Enfant, n°2, p. 12- 21, Paris, Le Centurion.

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(3) GUERIN, Ch., 1984. L'obstacle et le lien, jn: Penser la famille. Journées d'Etudes de Psychologie Sociale Clinique, Hôpital Général d'Arles, C.O.R., p. 43-51.

(4) KAES, R., 1986. Chaîne associative groupale et subjectivité, Connexions, 47, p. 7-18.

(5) VALERY, P., 1937. Première leçon de poétique, m: L'œuvre 1, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1975, p. 1340-1358.

(6) BION, W.R., 1963. Eléments de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1979.

(7) ANZIEU, D., 1981. Le corps de l'œuvre, Paris, Gallimard. (8) HERMANN, I., 1943. L'instinct filial, Paris, Denoël, 1972. (9) ABRAHAM, N., 1981. Jonas, (Anasémies III), Paris, Aubier-

Flammarion.

(10) THAON, M., 1986. L'enveloppe de l'écriture. ]n.: L'Œuvre Ouverte, Journées d'Etudes de Psychologie Sociale Clinique, Hôpital Général d'Arles, C.O.R., 67-72.

(11) ANZIEU, D., 1975. L'auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse, Paris, P.U.F., tomes I et IL

(12) DERRIDA, J., 1978. La vérité en peinture. Paris, Flammarion.

Didier ANZIEU: J'ai lu avec plaisir votre texte sur 'les enve-loppes externes du Moi". Vous donnez à mes idées des dévelop-pements intéressants. J'approuve l’accent mis par vous sur 'ce qui du Moi est en demeure d'être et qui est en attente dans ce qui peut devenir les enveloppes externes du Moi", et sur 'la quête, dans ces enveloppes externes ainsi investies, des parts du Moi non intégrées'. J'ai retrouvé avec satisfaction votre 'transfert de conteneur', tris opérant dans l’exemple de Valéry.

J'ai moins compris votre forclusion générative' (ne vau-drait-il pas mieux dire 'générationnelle'?) Je suis d'accord sur l'idée que les membres d'un groupe ou d'une famille "sont déposi-taires de parties de significations qui ne pourront advenir au sens que d’être reconstituées dans l’expérience du groupe".

Votre exemple clinique de la boite à serpents n'est pas très... transparent, peut-être pourriez-vous l’expliciter mieux.

Christian GUERIN: 'En ce qui concerne le terme de forclusion générative", je préciserai dans un travail en cours le choix, du qualificatif génératif. Il renvoie pour moi à la double dimension qui est enjeu dans la forclusion générative: un aspect dynami-que (générateur) et un aspect historique, économique (généra-tion). La forclusion générérative implique une double rupture dans la production du sens, du sujet à lui-même (dimension dynamique) et du sujet dans le groupe (dimension de la géné-ration).

Marcel Thaon: Je crois que Didier Anzieu, pour clore ce colloque, souhaite nous faire un petit cadeau sous la forme d'un conte qu'il va nous dire à sa manière et nous donner envie de lire les autres, bientôt disponibles chez Clancier-Quénaud.

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Didier ANZIEU

Conte psychanalytique

cho étai t une jeune thérapeute que le gouvernement athénien avait envoyé outre-Atlantide pour se former aux techniques nouvelles. Elle exhortait les malades à lui confier tout ce qui se présentait à leur esprit, la philosophie sous-jacente étant que le patient, quand il s'entend dire tout haut les âneries qu'il pense tout bas, ne peut, sous le coup de cette révélation, que les abandonner. Au cas où un tel renoncement tarderait, Echo avait appris une technique plus active: afin de ouligner au patient l'absurdité de ses pensées, elle répétait

mécaniquement les dernières syllabes de ses phrases.

Son cas le plus difficile mais le plus intéressant fut un nommé Narcisse. Ce joli garçon souffrait d'un complexe mal connu des guérisseurs de l'époque; il se sentait menacé de mourir s'il se regardait. D'où sa fuite de la vie sociale et ur-baine, son goût pour la chasse et la forêt, son dédain des nym-phes séduites par sa beauté. Les sous-bois retentissaient de leurs pleurs déchirants. Plusieurs plaintes furent déposées auprès du juge des adolescents. Celui-ci ordonna au coupable d'entreprendre une cure de désintoxication de son indif-férence affective. Il l'adressa tout naturellement à Echo.

Elle aménagea pour Narcisse un cadre particulier, car elle comprit qu'il ne supporterait pas d'être placé dans une situation commune. Elle le fit s'allonger sur un épais lit de mousse en prenant la précaution de s'asseoir elle-même en retrait pour qu'il ne risque pas de voir le visage de la théra-peute lui renvoyer un reflet mortel de lui-même. Elle accro-cha au mur, contre lequel était adossée cette couche, une vaste tenture représentant un autre lit, celui d'un fleuve aux rives parsemées de petites fleurs blanches et dont le symbo-lisme héraclitéen apparaissait clairement. Narcisse était invité à ne plus tourner en rond sur lui-même, mais à descendre tranquillement le cours de la vie jusqu'à son embouchure.

Lors du premier de leurs rendez-vous quotidiens, Narcisse garda le silence par peur de porter sur lui un regard intérieur qui aurait pu s'avérer mortel. Enfin, avec courage et tremblement, il constata à haute voix: "Je n'aime que moi." Echo, impitoyable, aussitôt aboya: "Ouah!" Sa théorie rangeait cela dans la rubrique des interprétations mordantes. Au terme de la semaine, l 'ambivalence de Narcisse se précisa; il rapporta, hésitant, en cherchant ses mots, un rêve où quelqu'un urinait dans la rivière représentée sur la tenture. "L'inconnu compissa l'eau", finit-il par articuler. "Salaud", répéta Echo qui se piquait de bien supporter les attaques de ses patients.

Le transfert érotomaniaque qui s'installa vers la fin du mois lui donna plus de mal. C'en était, il est vrai, une forme sournoise. Narcisse restait toujours affectivement insensible,-"Cible", renvoyait Echo - mais imaginait Echo tombée

amoureuse de lui. Il lui en adressa le reproche, l'accusant d'être nymphomane; "Ane", répondit Echo. Narcisse se crut confirmé dans ses soupçons par de telles répliques. Echo, de son côté, luttait contre un malaise grandissant à l'idée que Narcisse attribuait à elle, en miroir, un transfert qui émanait de lui. Elle lui fit grief de rester à la surface des problèmes. Narcisse accusa Echo, telle une jumelle survivante en quête de son jumeau perdu, de s'intéresser à lui seulement pour y chercher une image d'elle-même. Le drame se précipita. Quand Narcisse se butait, Echo devenait encourageante, quand Narcisse répondait aux encouragements, Echo le rem-barrait.

Narcisse: "Je voudrais bien, mais comment aller au fondées choses?"

Echo: "Ose." Narcisse de risquer l'aveu du fantasme qui donnait sens

et but à sa vie: - "Je voudrais vous faire une fleur." - "Leurre", coupa Echo. - "Quel bataclan!", protesta Narcisse. - "Quel bat h Lacan", rectifia Echo. Un mécontentement mutuel s'installa. Echo, pour en

sortir, décida de s'écarter de sa technique de répétition syllabique. Elle proféra sa première phrase complète, mais sa parole fut d'autant plus malheureuse qu'elle était vraie.

- "Vous n'arrivez pas à vous jeter à l'eau!" Narcisse, surpris et incertain de ce qu'il avait entendu,

répéta, interrogatif: "Allô, allô!" Echo s'emmura dans son silence habituel; Narcisse la quitta, pensif et pâlissant. Ce fut leur dernière entrevue.

Une nymphe a relaté l'événement qui suivit. Cachée der-rière un arbre où elle attend le passage de Narcisse pour tenter, selon un rituel inutile, de le séduire, elle a l'éton-nement de le voir changer de chemin, se diriger vers une rivière proche, semblable au paysage de la tenture, s'y pencher, sourire un instant, expression qu'elle n'a jamais encore vue sur son visage, basculer en avant et disparaître, aspiré par son reflet. Elle a beau se précipiter, le corps s'est évanoui, Narcisse est bel et bien mort de s'être regardé.

Echo pensa aussitôt à l'exposé qu'elle présenterait l'automne prochain à Delphes devant le congrès annuel des thaumaturges de langues méditerranéennes. Elle expliquerait que ce dont Narcisse éprouvait la crainte, il en avait au fond un grand désir. Elle venait de découvrir le stade du mouroir et elle jubilait.

(Applaudissements)

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LE GROUPE

Perspectives psychanalytiques sur la dynamique des groupes:

1958-59 ; 1962a ; 1962b ; 1963 ; 1964 ; 1965b ; 1966a ; 1966c ; 1967d ; 1967f ; 1968b ; 1971a ; 1971d ; 1972b ; 1972c ; 1972d ; 1973-74 ; 1973c ; 1973e ; 1974d ; 1974f ; 1974g ; 1974h ; 1975-76 ; 1975a ; 1976c ; 1976e ; 1978d ; 1978g ; 1983-1984 ; 1983c ; 1984f ; 1985h.

Le psychodrame psychanalytique:

1956a ; 1962c ; 1966d ; 1969-70 ; 1978i ; 1979c ; 1982-1983 ; 1982a ; 1986h.

LA PSYCHANALYSE APPLIQUEE

Aux processus de création:

1959 ; 1967c ; 1971b ; 1972a ; 1973b ; 1974c ; 1975c ; 1977d ; 1977e ; 1978b ; 1979e ; 1981a ; 1982b ; 1984g ; 1984h ; 1986i ; 1987b ; 1987k ; 1987m.

Aux œuvres littéraires:

1965 ; 1971b ; 1971c ; 1983b ; 1986e.

95

L'Œuvre ouverte C.O.R.

A la mythologie:

1966b (repris 1978 & 1980) ; 1968c ; 1970b ; 1985e.

LE CORPS, LA PEAU, LES ENVELOPPES PSYCHIQUES

1968c ; 1971c ; 1974a ; 1974b ; 1976b ; 1977d ; 1978f ; 1980b ; 1981a ; 1981b ; 1982b ; 1982c ; 1983f ; 1984a ; 1984b ; 1984d ; 1984e ; 1985a ; 1985b ; 1985c ; 1985d ; 1986a ; 1986b ; 1986c ; 1986g ; 1986j ; 1986m ; 1987e ; 1987h.

LA PSYCHANALYSE

Métapsychologie psychanalytique:

1969b ; 1970a ; 1971e ; 1973a ; 1974e. ; 1986o ; 1987i 1987j.

Aménagements de la technique psychanalytique:

1975d ; 1979f ; 1983a ; 1987f.

Le psychanalyste dans la cité:

1967e ; 1968a ; 1969a ; 1969b ; 1975f ; 1976d ; 1979g.

Psychanalyse et langage:

1956c ; 1967a ; 1967b ; 1977c ; 1980a ; 1986f.

LA PSYCHOLOGIE

Les tests projectifs:

1952b ; 1958 ; 1960a ; 1979c ; 1983.

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Bibliographie de Didier Anzieu

Formation, enseignement, statuts:

1961 ; 1969-70 ; 1973-1974 ; 1974-1975 ; 1975g ; 1978h ; 1979d ; 1979g ; 1983d ; 1983e ; 1984f ; 1987h.

ŒUVRES LITTERAIRES

1975b ; 1976a ; 1976f ; 1976g ; 1982f ; 1987g ; 1987n.

DIVERS

Préfaces, commentaires, notices:

1953 ; 1968d ; 1973d ; 1975e ; 1976h ; 1977a ; 1977b ; 1977f ; 1978a ; 1978c ; 1978e ; 1979b ; 1980c ; 1982e ; 1984c ; 1985f ; 1985g ; 1986d ; 1987a ; 19871.

Traductions:

1952a ; 1955 ; 1967-69.

Edition critique:

1960b.

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SEMINAIRES DU C.O.R. 1987-1988

Séminaire 1 - Aix en Provence

Lieu: Université de Provence, Centre d'Aix, salle 510 bis Fréquence: Le deuxième lundi de chaque mois, de 20h45 à 22h45 Inscriptions: Contacter Marcel Thaon ou Christian Guérin Thème: Construction, fonctions et évolution des Objets de Relations Principes Travail: Mettre à l'épreuve, à partir d'un matériel clinique (étude de cas, commentaire et analyse de publications cliniques et théoriques), les hypothèses de départ de notre champ de recherche. La méthode de travail est appariée à son objet dans la circulation et le traitement des pensées où l'idée exprimée devient elle-même un Objet de Relation pour le groupe où elle s'exprime.

Séminaire 2 - Marseille

Lieu: 50, Bd des Alpes - 13012 Marseille - Tél. 91 34 04 91 - Chez Evelyn Granjon Fréquence: Un mercredi par mois, de 18h à 20h. Inscriptions: S'adresser à Evelyn Granjon Thème: Ecoute groupale de la Famille Rencontres cliniques avec les familles et Psychothérapies Familiales Psychanalytiques: l'écoute du groupe familial met en jeu dans la relation, de part et d'autre, des objets spécifiques (culturels, trans-générationnels, fantasmatiques...) dont l'expression dans la situation du groupe et l'analyse dans la relation thérapeutique sont des aspects du travail. Nous travaillerons à partir du matériel clinique amené par les participants et en référence aux notions apportées par les théories psychanalytiques groupalistes et de la TFA.

Séminaire 3 - Arles

Lieu: Hôpital Général d'Arles, 13637 ARLES Cedex Fréquence: Le deuxième vendredi de chaque mois, de 17h à 19h, à partir d'Octobre 1987. Inscriptions: S'adresser à Christian Guérinl2 Chemin de la Gare 30300 FOURQUES Tel: 90.96.88.75 Thème: Utilisation des objets dans le travail clinique Principe de travail: A partir de situations cliniques, il s'agira de penser les aspects de la relation thérapeutique qui interrogent le clinicien, s'agissant de la place des objets dans la situation clinique, tant au niveau de sa dynamique que de sa compréhension théorique.

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* Penser ta famille ................................................................ 60 fis *'Rencontres Cliques................................................................. 70 fis *L'Œuvre Ouverte................................................................. 80fis

Auprès de :

Christian GUERIN C.O.R.

12, Chemin de la Gare 30300 Fourques

Libeller les chèques à l'ordre du COR.

NOM: ..........................................................................................

PRENOM: ...................................................................................

ADRESSE:...................................................................................

commande ..........exemplaire(s) de :

Penser la Famille Rencontres Cliniques L'Œuvre Ouverte

Soit: ...................................................................... frs + Participation aux frais d'envoi ............................. 11 frs 70

TOTAL :................................................................................ frs

Signature:

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BON DE COMMANDE

ACTES DU C.O.R.

Pener la famille, (1984)................ 60frs

Rencontres Cliniques (1985)............. 7Ofrs

L'Œuvre Ouverte (1986) .................. 80frs

A -paraître: Après Winnicott (1987)

Clinique des Objets de Relations Association de Recherche

Hôpital Joseph Imbert 13637 ARLES Cedex