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Activite ´ manuelle pe ´nible, exposition aux vibrations et maladie de Dupuytren ? Re ´sultats du programme de surveillance des troubles musculosquelettiques Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Re ´fe ´rence de l’article princeps & Descatha A, Bodin J, Ha C, Goubault P, Lebreton M, Chastang JF, Imbernon E, Leclerc A, Goldberg M, Roquelaure Y. Heavy manual work, exposure to vibration and Dupuytren’s disease? Results of a surveillance program for musculoskeletal disorders. Occup Environ Med. 2012. [Epub ahead of print]. Introduction De `s qu’il a de ´crit la maladie qui porte son nom, en 1831, le Baron Guillaume Dupuytren l’a associe ´e a ` l’exercice de certains gestes. Ainsi, disait-il lors de lec ¸ons orales de chirurgie en 1932 : « La plupart des individus que cette maladie affecte, ont e ´te ´ oblige ´s de faire des efforts de la main et de manier des corps dur. C’est ainsi que le marchand de vin et le cocher dont nous rapporte- rons les observations, avaient l’habi- tude, l’un de percer des barriques avec un poinc ¸on ou de gerber des pie `- ces, l’autre de faire jouer sans cesse son fouet sur le dos de ses haridelle » [1]. Ne ´anmoins, selon les auteurs, les e ´tu- des fournissent des re ´sultats contradic- toires sur une e ´ventuelle origine professionnelle de la maladie de Dupuytren. Le de ´bat sur l’implication d’un traumatisme aigu ou d’une expo- sition biome ´canique cumulative dans sa survenue a e ´te ´ alimente ´ par plu- sieurs e ´tudes. Une revue de la litte ´ra- ture mene ´e en 1996 [2] avait montre ´ une association certaine entre maladie de Dupuytren et exposition a ` des vibra- tions mais une association plus faible avec des activite ´s manuelle en force. Des articles re ´cents ne retrouvent pas ces facteurs de risques professionnels. Or, dans ces dernie `res e ´tudes me ˆme mene ´es sur une large population, l’appre ´ciation de l’exposition e ´tait faite seulement sur le nom du me ´tier ou la cate ´gorie socioprofessionnelle pluto ˆt que sur l’estimation de l’exposition aux vibrations ou une population spe ´- cifique de travailleurs [3,4]. Le but de cette e ´tude e ´tait d’appre ´cier la pre ´valence de la maladie de Dupuy- tren en milieu de travail et d’estimer s’il existe une association avec une exposi- tion professionnelle, en particulier a ` un travail manuel pe ´nible avec ou sans utilisation d’outils produisant des vibrations. Me ´thodes et re ´sultats Cette e ´tude observationnelle transver- sale a e ´te ´ mene ´e d’avril 2002 a ` avril 2005 par 83 me ´decins du travail de la re ´gion des Pays de Loire, repre ´sentant 18 % de l’effectif des me ´decins du tra- vail de la re ´gion. Les sujets inclus dans l’e ´tude e ´taient se ´lectionne ´s de fac ¸on randomise ´e parmi les salarie ´s passant une visite pe ´riodique. Du fait de la pre ´valence tre `s faible de cette affection chez les femmes, seuls les hommes travaillant dans le secteur prive ´ ont e ´te ´ retenus. Au total, 2161 hommes ont e ´te ´ inclus dans l’e ´tude. Le diagnostic de maladie de Dupuytren e ´tait fait cliniquement par les me ´decins qui avaient suivi une formation afin de re ´aliser un examen physique standar- dise ´. Un salarie ´ avec pre ´sence d’une maladie de Dupuytren bilate ´rale e ´tait conside ´re ´ comme un seul cas. Les variables sur lesquelles ont porte ´ les tests sont l’a ˆge, le poids, la taille, la pre ´sence d’un diabe `te et l’exercice de la me ˆme activite ´ professionnelle d’une dure ´e infe ´rieure ou supe ´rieure a ` 10 ans. Le statut professionnel et les facteurs de risques professionnels ont e ´te ´ appre ´cie ´s par un auto-question- naire portant sur le type d’activite ´ et les ta ˆches effectue ´es durant une jour- ne ´e de travail typique durant les 12 der- niers mois. L’exposition aux vibrations a e ´te ´ classe ´e, de me ˆme que l’activite ´ manuelle avec utilisation d’outils pro- duisant ou non des vibrations, en deux groupes ; peu fre ´quente, infe ´rieure a ` deux heures par jour et fre ´quente ou constante, de plus de deux heures par jour. De plus, les auteurs de l’e ´tude ont utilise ´ l’e ´chelle de Borg de perception de l’exercice physique, allant de 6 a ` 20 (the Borg Rating of Perceived Exertion Scale), ce qui a permis de classer l’acti- vite ´ en trois groupes : activite ´ le ´ge `re avec score infe ´rieur a ` 12, un peu diffi- cile avec score de 12 a ` 14 et difficile a ` extre ˆmement difficile a ` partir d’un score de 15. Trois groupes ont e ´te ´ constitue ´s en fonction de a ` l’exposition aux vibra- tions et au travail manuel lourd : sujets non expose ´s aux vibrations et au travail manuel pe ´nible ; sujets expose ´s au travail manuel pe ´nible sans vibrations (utilisation d’outils plus de deux heures Revue de presse 171 1775-8785X/$ - see front matter 10.1016/j.admp.2012.03.003 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2012;73:171-173

Activité manuelle pénible, exposition aux vibrations et maladie de Dupuytren ? Résultats du programme de surveillance des troubles musculosquelettiques

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Page 1: Activité manuelle pénible, exposition aux vibrations et maladie de Dupuytren ? Résultats du programme de surveillance des troubles musculosquelettiques

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Activite manuelle penible, exposition auxvibrations et maladie de Dupuytren ?Resultats du programme de surveillance destroubles musculosquelettiques

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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Reference de l’article princeps& Descatha A, Bodin J, Ha C, Goubault

P, Lebreton M, Chastang JF,Imbernon E, Leclerc A, Goldberg M,Roquelaure Y. Heavy manual work,exposure to vibration andDupuytren’s disease? Results of asurveillance program formusculoskeletal disorders. OccupEnviron Med. 2012. [Epub ahead ofprint].

IntroductionDes qu’il a decrit la maladie qui porteson nom, en 1831, le Baron GuillaumeDupuytren l’a associee a l’exercice decertains gestes. Ainsi, disait-il lors delecons orales de chirurgie en 1932 : « Laplupart des individus que cette maladieaffecte, ont ete obliges de faire desefforts de la main et de manier descorps dur. C’est ainsi que le marchandde vin et le cocher dont nous rapporte-rons les observations, avaient l’habi-tude, l’un de percer des barriquesavec un poincon ou de gerber des pie-ces, l’autre de faire jouer sans cesse sonfouet sur le dos de ses haridelle » [1].Neanmoins, selon les auteurs, les etu-des fournissent des resultats contradic-toires sur une eventuelle origineprofessionnelle de la maladie deDupuytren. Le debat sur l’implicationd’un traumatisme aigu ou d’une expo-sition biomecanique cumulative danssa survenue a ete alimente par plu-sieurs etudes. Une revue de la littera-ture menee en 1996 [2] avait montreune association certaine entre maladie

de Dupuytren et exposition a des vibra-tions mais une association plus faibleavec des activites manuelle en force.Des articles recents ne retrouvent pasces facteurs de risques professionnels.Or, dans ces dernieres etudes mememenees sur une large population,l’appreciation de l’exposition etait faiteseulement sur le nom du metier ou lacategorie socioprofessionnelle plutotque sur l’estimation de l’expositionaux vibrations ou une population spe-cifique de travailleurs [3,4].Le but de cette etude etait d’apprecierla prevalence de la maladie de Dupuy-tren en milieu de travail et d’estimer s’ilexiste une association avec une exposi-tion professionnelle, en particulier a untravail manuel penible avec ou sansutilisation d’outils produisant desvibrations.Methodes et resultatsCette etude observationnelle transver-sale a ete menee d’avril 2002 a avril2005 par 83 medecins du travail de laregion des Pays de Loire, representant18 % de l’effectif des medecins du tra-vail de la region. Les sujets inclus dansl’etude etaient selectionnes de faconrandomisee parmi les salaries passantune visite periodique. Du fait de laprevalence tres faible de cette affectionchez les femmes, seuls les hommestravaillant dans le secteur prive ontete retenus. Au total, 2161 hommesont ete inclus dans l’etude.Le diagnostic de maladie de Dupuytrenetait fait cliniquement par les medecinsqui avaient suivi une formation afin de

realiser un examen physique standar-dise. Un salarie avec presence d’unemaladie de Dupuytren bilaterale etaitconsidere comme un seul cas.Les variables sur lesquelles ont porteles tests sont l’age, le poids, la taille, lapresence d’un diabete et l’exercice dela meme activite professionnelle d’uneduree inferieure ou superieure a10 ans. Le statut professionnel et lesfacteurs de risques professionnels ontete apprecies par un auto-question-naire portant sur le type d’activite etles taches effectuees durant une jour-nee de travail typique durant les 12 der-niers mois. L’exposition aux vibrationsa ete classee, de meme que l’activitemanuelle avec utilisation d’outils pro-duisant ou non des vibrations, en deuxgroupes ; peu frequente, inferieure adeux heures par jour et frequente ouconstante, de plus de deux heures parjour. De plus, les auteurs de l’etude ontutilise l’echelle de Borg de perceptionde l’exercice physique, allant de 6 a 20(the Borg Rating of Perceived ExertionScale), ce qui a permis de classer l’acti-vite en trois groupes : activite legereavec score inferieur a 12, un peu diffi-cile avec score de 12 a 14 et difficile aextremement difficile a partir d’unscore de 15.Trois groupes ont ete constitues enfonction de a l’exposition aux vibra-tions et au travail manuel lourd : sujetsnon exposes aux vibrations et au travailmanuel penible ; sujets exposes autravail manuel penible sans vibrations(utilisation d’outils plus de deux heures

Revue de presse

1775-8785X/$ - see front matter10.1016/j.admp.2012.03.003 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2012;73:171-173

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par jour et resultat de l’echelle de Borgcompris entre 15 et 20) ; et sujets expo-ses aux vibrations (utilisation d’outilsvibrants plus de deux heures par jour).L’analyse statistique a utilise une regres-sion logistique permettant de controlerles effets de l’age et du diabete (dont onsait qu’il est associe assez frequemmenta la maladie de Dupuytren) avec impu-tation multiple pour tenir compte desdonnees manquantes (MICE–multipleimputation by chained equations). Lesassociations ont ete considerees commesignificatives pour une valeur de p infe-rieure a 0,05.Sur les 2161 hommes ages de 20 a59 ans (moyenne de 38,5 ans) de lapopulation etudiee, 27, soit 1,3 %, ontpresente une maladie de Dupuytren. Ilsetaient d’un age moyen plus eleve queceux qui ne presentaient pas la maladie(47,1 � 6,7 ans vs. 38,4 � 10,4 ans).Lorsque l’on prend en compte les resul-tats ajustes sur l’age, les salariesatteints d’un diabete ont un risque demaladie statistiquement augmente(Odds ratio (OR) = 4,4 [95 %IC 1,01–19,3]) et ainsi que ceux exercant lameme activite plus de dix ans(OR = 4,0 [1,7–9,1], par rapport aux sala-ries qui ont exerce la meme activitemoins de dix ans. On retrouve un gra-dient selon la categorie socioprofes-sionnelle, les cadres, professionsliberales et techniciens servant de refe-rence, l’OR est augmente de facon nonsignificative pour les employes faible-ment qualifies (2,1 [0,4–11,3]) mais defacon significative pour les ouvriers (3,4[1,1–9,8]).L’ajustement sur l’age et la presenced’un diabete a permis d’apprecier defacon plus pertinente les effets desexpositions professionnelles. Les resul-tats confirment une atteinte statisti-quement plus importante desouvriers (OR = 4,0 [1,4–11,7]) avec lescadres, professions liberales et techni-ciens pris comme reference (l’OR de2,6 pour les employes n’est pas statis-tiquement significatif). Le risque de sur-venue de maladie de Dupuytren estcorrele au gradient croissant de l’appre-ciation par les salaries de la difficulte de

leur activite manuelle : si la referenceest 1 pour une echelle de Borg inferieurea 12, on passe a un OR de 3,2 [1,02–10,2]pour des resultats compris entre 12 et14 et a un OR de 5,3 [1,7–16,6] pour desresultats compris entre 15 et 20.Les utilisateurs d’outils manuels plus dedeux heures par jour ont un risque sta-tistiquement augmente de faire lamaladie (OR de 7,7 [1,8–32,9]) comparesa ceux qui n’en utilisent pas du toutalors qu’il est non significatif pour desutilisateurs d’outils de deux heures parjour ou moins (OR= 2,5 [0,3–17,8]). Lerisque de maladie, suite a une utilisa-tion d’outils vibrants, marque un gra-dient croissant en fonction de la dureed’exposition quotidienne par rapport al’absence d’exposition : OR de 4,8 [1,7–13,5] si l’exposition est inferieure adeux heures par jour et 6,2 [2,5–15,7]pour une exposition superieure ouegale a deux heures par jour.Enfin, l’absence d’exposition aux fac-teurs de risques servant de reference,il existe un risque significatif de mala-die lors de l’exposition a la seule acti-vite manuelle lourde (OR de 3,9 [1,3–11,5]) et un risque plus important lors-qu’elle est associee avec l’expositionaux vibrations (OR = 5,1 [2,1–12,2]).Les auteurs font part de certaines limi-tes de leur etude. Le principal risque estlie au caractere transversal de l’etudeavec une probable surestimation descontraintes professionnelles par lessalaries atteints de la maladie. Mais,ce biais a pu etre minimise par la pre-cision des questions. Le seuil d’uneduree de deux heures par jours retenupour classer l’exposition aux vibrationsaurait pu etre moindre, une heure parjour est souvent recommande. Unealternative aurait ete de ne prendreen compte que l’exposition au travailmanuel penible, en l’absence de touteexposition aux vibrations, mais le nom-bre de sujets aurait ete trop faible pourapprecier de facon fiable la frequencede la maladie de Dupuytren car moinsde 6 % de l’echantillon se trouvait dansce cas.Les analyses n’ont tenu compte que del’age et le diabete comme facteurs de

confusion. Or la consommationd’alcool, le tabagisme, les facteursgenetiques (histoire familiale de mala-die de Dupuytren), une epilepsie et laprise d’anticonvulsivants sont associesa la maladie de Dupuytren et devraientetre pris en compte. Cependant, uneetude anterieure a montre que la mala-die de Dupuytren etait associee a desfacteurs professionnels sans interac-tion avec des facteurs extraprofession-nels.La force principale de cette etude estl’estimation de la prevalence la maladiede Dupuytren dans un echantillonrepresentatif de travailleurs avec untaux de participation important.En conclusion, les auteurs confirmentl’association de la maladie de Dupuytrenavec des facteurs de risque profession-nels comme un travail manuel peniblememe en l’absence de toute expositiona des vibrations. Une possibilite dereconnaissance de l’origine profession-nelle de la maladie de Dupuytren devraitetre envisagee pour les salaries exposesa l’utilisation d’outils vibrants et/ou uneactivite manuelle penible. De meme,une amelioration des conditions de tra-vail devrait etre envisagee dans un butde prevention.CommentaireCette etude etablit une associationentre la maladie de Dupuytren etl’exposition a une activite manuellelourde avec et sans exposition a desvibrations. Cette association est signi-ficativement marquee en fonction dustatut professionnel pour les ouvrierset augmente avec la duree d’expositiona une meme activite durant plus dedix ans. Le risque de survenue de lamaladie de Dupuytren suit des gra-dients d’exposition en fonction del’absence de duree d’exposition oud’exposition plus ou moins importantequotidienne a des taches manuelleslourdes et aux vibrations, tout entenant compte de l’age et du diabete.Cette etude apporte donc des elementsindeniables en faveur de facteurs pro-fessionnels favorisant l’apparition de lamaladie de Dupuytren. Une meta-ana-lyse realisee, en 2010, sur des etudes

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epidemiologiques menees entre 1951 et2007 oriente vers une conclusion iden-tique de l’implication d’une expositioncumulative importante et dose-depen-dante au travail manuel et des vibra-tions [5]. Cela amene les auteurs arecommander la reconnaissance decette maladie a titre professionnel lors-qu’il y a une exposition importante auxvibrations et/ou a un travail manueldifficile.References[1] Dupuytren G. Lecons orales declinique chirurgicale, faites a l’hotel-

Dieu de Paris, Volume 1. Bruxelles: Odeet Wodon–Imprimeurs libraires ; 1832.[2] Liss GM, Stock SR. Can Dupuytren’scontracture be work-related? Reviewof the evidence. Am J Ind Med 1996;29:521-32.[3] Khan AA, Rider OJ, Jayadev CU,Heras-Palou C, Giele H, Goldacre M. Therole of manual occupation in theaetiology of Dupuytren’s disease inmen in England and Wales. J HandSurg Br 2004;29:12-4.[4] Hindocha S, McGrouther D, BayatA. Epidemiological Evaluation of

Dupuytren’s Disease Incidence andPrevalence Rates in Relation to Etiology.Hand (NY) 2009;4:256–269.[5] Descatha A, Jauffret P, ChastangJF, Roquelaure Y, Leclerc A. Should weconsider Dupuytren’s contracture aswork-related? A review and meta-analysis of an old debate. BMCMusculoskelet Disord. 2011; 12: 96.Published online 2011. doi: 10.1186/1471-2474-12-96.

J. DarmonMetranep, Paris, France

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