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Addictions et médecine [TD$FIRSTNAME]Didier[TD$FIRSTNAME.E] Touzeau Groupe hospitalier Paul-Guiraud, pôle addictions clinique liberté, 92220 Bagneux, France Correspondance : Didier Touzeau, Groupe hospitalier Paul-Guiraud, pôle addictions clinique liberté, 10, rue de la Liberté, 92220 Bagneux, France. [email protected], [email protected] Disponible sur internet le : 12 octobre 2012 Presse Med. 2012; 41: 12011208 ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Addictions Dossier thématique 1201 Mise au point Key points Addictions and medicine The qualifiers of alcoholic, drug addict have been abandoned because marked by the image of a person who uses toxic and violates the social prohibition to gradually give way to the representation of a sick person in a state of psychological distress, medical and social. Control systems of drug regulation should consider the damage to the individual, their potential to induce drug dependence and the effects on the family environment or society. Some emerging substances are excluded, others are demonized, thus limiting the scope of prevention messages. The theoretical model of addictions is much more complex for 20 years, while psychopathological references remained identical. There has been a proliferation of work neurobiolo- gical, cognitive-behavioral and sociological observations. Medical and psychosocial approaches are complementary to the understanding of a complex multifactorial phenomenon but also of its treatment whose goal is to enable the person to rebuild his life and not simply to be supported for curbing its substance use. Points essentiels Les qualificatifs d’alcoolique, toxicomane ont été délaissés, car marqués par l’image d’une personne qui utilise des produits toxiques et bafoue l’interdit social pour progressivement laisser place à la représentation d’une personne malade, en état de souffrance psychologique, médicale et sociale. Les systèmes de contrôle réglementaires des drogues devraient prendre en considération les dommages causés à l’individu, leur potentiel d’induire une pharmacodépendance et les effets sur l’environnement familial ou sociétal. Certaines substances émergentes sont exclues, d’autres sont diabo- lisées, limitant ainsi la portée des messages de prévention. Le modèle théorique des addictions s’est beaucoup complexifié depuis 20 ans alors que les références psychopathologiques demeuraient identiques on a assisté à un foisonnement de travaux neurobiologiques, cognitivo-comportementaux et de constats sociologiques. Les approches médicale et psychosociale sont complémen- taires pour appréhender un phénomène complexe multifacto- riel mais aussi son traitement dont l’objectif est de permettre à la personne de reconstruire sa vie et non simplement d’être prise en charge pour l’arrêt de sa consommation de substances. tome 41 > n812 > décembre 2012 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.07.027

Addictions et médecine

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Presse Med. 2012; 41: 1201–1208� 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com Addictions

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Key points

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The qualifiers of alcoholic, drugbecause marked by the image oviolates the social prohibition trepresentation of a sick persondistress, medical and social.Control systems of drug regdamage to the individual, thedependence and the effects onsociety. Some emerging substandemonized, thus limiting the scThe theoretical model of addicfor 20 years, while psychopathoidentical. There has been a progical, cognitive-behavioral andMedical and psychosocial approthe understanding of a complexbut also of its treatment whose grebuild his life and not simply tosubstance use.

tome 41 > n812 > décembre 2012http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.07.027

Addictions et médecine

[TD$FIRSTNAME]Didier [TD$FIRSTNAME.E] Touzeau

Groupe hospitalier Paul-Guiraud, pôle addictions clinique liberté, 92220 Bagneux,France

Correspondance :Didier Touzeau, Groupe hospitalier Paul-Guiraud, pôle addictions clinique liberté,10, rue de la Liberté, 92220 Bagneux, [email protected], [email protected]

Disponible sur internet le :12 octobre 2012

addict have been abandonedf a person who uses toxic ando gradually give way to the

in a state of psychological

ulation should consider their potential to induce drug

the family environment orces are excluded, others are

ope of prevention messages.tions is much more complexlogical references remained

liferation of work neurobiolo-sociological observations.aches are complementary tomultifactorial phenomenon

oal is to enable the person tobe supported for curbing its

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Points essentiels

Les qualificatifs d’alcoolique, toxicomane ont été délaissés,car marqués par l’image d’une personne qui utilise des produitstoxiques et bafoue l’interdit social pour progressivement laisserplace à la représentation d’une personne malade, en état desouffrance psychologique, médicale et sociale.Les systèmes de contrôle réglementaires des droguesdevraient prendre en considération les dommages causés àl’individu, leur potentiel d’induire une pharmacodépendance etles effets sur l’environnement familial ou sociétal. Certainessubstances émergentes sont exclues, d’autres sont diabo-lisées, limitant ainsi la portée des messages de prévention.Le modèle théorique des addictions s’est beaucoup complexifiédepuis 20 ans alors que les références psychopathologiquesdemeuraient identiques on a assisté à un foisonnement detravaux neurobiologiques, cognitivo-comportementaux et deconstats sociologiques.Les approches médicale et psychosociale sont complémen-taires pour appréhender un phénomène complexe multifacto-riel mais aussi son traitement dont l’objectif est de permettre àla personne de reconstruire sa vie et non simplement d’êtreprise en charge pour l’arrêt de sa consommation de substances.

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D Touzeau,

Quel que soit son mode d’exercice, le praticien est main-tenant confronté aux addictions. Cet ensemble de conduites dedépendance avec ou sans substance (trouble des conduitesalimentaires, jeu pathologique . . .) semble être devenu lanouvelle maladie du siècle !Alcoolisme, tabagisme et toxicomanie qui relevaient dechamps cliniques et scientifiques distincts ont été progressive-ment réunis au sein des conduites addictives. Ce regroupementconceptuel et nosographique a donné naissance à une nouvellediscipline, l’addictologie médicale qui bénéficie d’une conver-gence des approches thérapeutiques et a permis de mettre finau cloisonnement administratif [1]. Pour faire avancer diag-nostics et traitements, la médecine de l’addiction comptebeaucoup sur la neurobiologie qui fait appel à des connais-sances pointues souvent maîtrisées par les seuls spécialistes.Elle s’enracine dans des savoirs multidiciplinaires et de nom-breuses professions et spécialités jouent un rôle important. Demême, les drogues sont des objets complexes qui appartien-nent aussi à des univers aussi divers que le droit, la justice, lapsychologie, l’économie . . .

Comment considérer l’usage d’un même produit qui appartientsimultanément au monde du médicament, du loisir et/ou dutoxique ?À l’heure de la mondialisation et des échanges faciles, le statutlégal des plantes, est-il à penser de manière économique,agricole, écologique, esthétique, médicale, législative ?Les limites entre usage normal, déviance et délinquance sontdevenues floues : quelles frontières faut-il proposer ?Les phénomènes de dépendance ont de tout temps engendrédes débats empreints de passion où il n’est pas toujours aisé dedifférencier les connaissances validées des idées préconçues.La question de la morale est présente dans tous les débats etdans toutes les argumentations en matière de définition desproduits et de comportements des usagers [2].

Dépendance, aliénation et libertéNotre perception immédiate de la dépendance s’enracine dansles atteintes à la liberté individuelle et les frustrations nées del’aliénation sociale. Le toxicomane à l’image de la personneemprisonnée dans une secte, apparaît comme une victime,pour laquelle on éprouve de la compassion et que l’on veutsoulager, voire « déprogrammer » ou sevrer, afin qu’il recouvreson libre-arbitre.La dépendance heurte profondément les principes fondateursde notre société qui repose sur la Déclaration des Droits del’Homme et du Citoyen. L’article 4 précise : « La liberte consiste

a pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas a autrui.. ». Toutefois, lasociété impose certaines limites à l’utilisation que l’individupeut faire lui-même de son propre corps puisqu’il a le devoir,non seulement de ne pas nuire à autrui, mais à lui-même

(l’usage personnel de stupéfiants est interdit et sanctionné).Dans sa rédaction de 1804, le Code Civil précise, en effet, àl’article 1780, « qu’on ne peut engager ses services que pour un

temps ou une entreprise determinee » (pour prévenir desformes d’esclavage, et d’aliénation). Le droit imprescriptiblede liberté est devenu progressivement, un devoir implicite deliberté. Notre utopie de liberté nous interdit donc d’admettre ledroit à la liberté pour ceux qui aliènent leur liberté en étantasservi à l’usage de drogues, de même que le droit français nereconnaît pas la possibilité d’attenter à l’intégrité corporelle dequelqu’un, même si celui-ci est consentant ou d’inciter à le faire(voir la condamnation du livre « Suicide, mode d’emploi . . . »).Le corps appartient à celui qui le possède, certes, à conditionqu’il soit « libre » d’esprit, c’est-à-dire non aliéné, (d’où lanotion d’exigence de « consentement éclairé » pour lesessais thérapeutiques), qu’il respecte les limites que lamorale commune admet et à condition qu’il ne lui fassepas subir de « dommages » volontairement qui imposeraientà la société et sa protection sociale d’intervenir, de payer. Lespremières grandes lois sur les drogues sont résolumentprohibitionnistes : 1915, interdiction de l‘absinthe, 1916interdiction des stupéfiants et entendent protéger la sociétédes fléaux que représentent l’alcool et les drogues. Larépression s’appuie en outre sur la métaphore d’un corpssocial malade et la théorie de l’épidémie. Les drogués sontsoupçonnés d’être prosélytes et la contagion de se répandredans la société de proche en proche [3]. L’usage personnel destupéfiants reste un délit lourdement sanctionné (délit pas-sible, au maximum, d’un an de prison et d’une amende de3750 euros). La loi de référence, loi du 31 décembre 1970,réprime la production, la vente, la consommation de toutesubstance classée comme stupéfiant et est inscrite au codepénal (CP) et au code de santé publique (CSP). En 1970, dansun contexte d’extension des usages de drogues illicites, plusspécifiquement d’héroïne, cette loi permet aux parquetsde considérer l’usager comme un malade et de lui proposerune mesure alternative aux poursuites, l’injonction thérapeu-tique ou une mesure complémentaire d’obligation de soin,en garantissant l’anonymat et la gratuité des prises encharge.Les comportements de dépendance (à des produits licites ouillicites, à des personnes dans le cas de la prostitution ou« d’esclavage », à des conduites aliénantes, etc.) viennentheurter de plein fouet la notion fondatrice de la liberté. Celui quiest « dépendant » est « sous influence ». Il a renoncé à son droitde l’homme et du citoyen d’être libre. Il a donc bafoué les règlesde la vie en société. Albert Memmi définit la dépendancecomme « une relation contraignante, plus ou moins acceptee,

avec un etre, un objet, un groupe ou une institution, reels ou

irreels, qui releve de la satisfaction d’un besoin ».Reste que le lien social lui-même est fait de dépendanceréciproque, que la relation thérapeutique y fait appel, qu’une

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vie « normale » est faite, en principe et dans toutes les sociétés,d’une succession de « ruptures de dépendance aussi inévitablesque leur installation » et de rites de passage vers d’autresdépendances : Ainsi, les rites de l’adolescence marquent autantla fin de l’enfance que l’entrée dans la vie adulte . . .

Cette approche a le mérite de souligner l’intrication des acti-vités humaines avec la dépendance et ouvre une voie expli-cative commode. Les conduites addictives ne seraient-elles pasl’une des conséquences de la disparition de la plus grandepartie de ces « rites de rupture » contrôlés que représentaientles cérémonies religieuses, le service militaire . . . ? Comme si,incapables de sortir d’un état de dépendance transitoire, pourfranchir une « nouvelle étape » dans la vie, certains jeunescherchaient à se maintenir dans un état de dépendance. Lesrituels constituent des contrôles informels qui s’ajoutent auxsanctions sociales (interdits).Zinberg [4] affirme que pour comprendre ce qui pousse unepersonne à consommer un produit et comment sont ressentisles effets de la drogue, il faut tenir compte de trois variables :la drogue (les propriétés pharmacologiques de la substance),l’individu (les attitudes de la personne au moment de laconsommation, y compris sa personnalité et sa conditionphysique ou corporalité) et le milieu (l’influence de l’envi-ronnement physique et social où a lieu la consommation). Deces trois variables, le milieu (setting) est d’autant plusdifficilement compris que la substance est illicite et laconsommation clandestine. le contexte social est un facteuressentiel de l’usage incontrôlé des substances psychoactivesen diffusant de l’information selon plusieurs mécanismesinformels. Contrairement à ce qui se passe avec les sub-stances licites, les occasions d’apprendre à contrôler l’usagede drogues illicites sont extrêmement limitées ce qui facili-terait alors l’engagement des personnes dans les dépen-dances.La réduction des risques ou des dommages liés à l’usage dedrogues (Reduction of drug related harm) a été conceptualiséeen 1987 en Grande Bretagne (dans tous les pays, à l’exceptiondes Pays-Bas, les changements des politiques de droguesse sont imposés sous la menace du sida). Cette démarchede santé collective tourne le dos au projet d’élimination del’usage de substances psychoactives et vise à développer chezles addicts des moyens de réduire les conséquences négativesde leurs comportements individuelles et sociales. La RDRadmet que l’abstinence est un objectif idéal mais privilégiedes solutions alternatives pour diminuer les dommagesconsécutifs à l’usage de drogues. Elle est issue d’un courantd’acteurs de terrain à l’écoute des personnes concernées,plutôt que d’intervenants relayant les objectifs des politiquesdéfinis au sommet. Elle s’est développée dans tous les pays ets’est intéressée aux différentes substances psychoactives,alimentée par le pragmatisme et l’empathie et s’opposant àl’idéalisme moralisateur [5].

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Pharmacodépendance (drug dependence)La consommation régulière engendre un déséquilibre du fonc-tionnement neurobiologique de l’individu qui génère unmalaise physique et psychique, et pousse l’individu à continuerla consommation, non plus pour éprouver les sensations plai-santes du psychotrope, mais pour éviter de ressentir les sensa-tions désagréables engendrées par l’arrêt de la consommation.Il a fallu attendre la fin des années 1960 pour que l’OrganisationMondiale de la Santé définisse la pharmacodépendance.« État psychique et quelquefois également physique résultantde l’interaction entre un organisme vivant et une drogue secaractérisant par des modifications du comportement et pard’autres réactions qui comprennent toujours une pulsion àprendre la drogue de façon continue ou périodique afin deretrouver ses effets psychiques et quelquefois d’éviter lemalaise de sa privation. Cet état peut ou non s’accompagnerde tolérance. Un même individu peut être dépendant deplusieurs drogues ».Le champ sémantique des dépendances est occupé par unemultiplicité de mots qui n’ont pas le même sens pour tout lemonde (encadre 1).Les idées, donc la sémantique, ne cessent, depuis, d’évoluer :en France, la différence faite entre consommation de drogueslicites et illicites a été remise en cause, ce qui conduit àenvisager globalement les pratiques addictives, et non plusseulement la consommation de tel ou tel produit. Les systèmesde contrôle réglementaires des drogues reposent sur uneapproche des risques des substances qui n’est ni transparenteni objective. Ils devraient prendre en considération les dom-mages causés à l’individu, leur potentiel d’induire une phar-macodépendance et les effets sur l’environnement familial ousociétal. Les critères ne sont pas consensuels. Ils diffèrent d’unpays à l’autre, dans un même pays entre les différents inter-venants (police, justice et soins). Certaines substances émer-gentes sont exclues, d’autres sont diabolisées, limitant ainsi laportée des messages de prévention [6]. Le rapport Roques [7] aréévalué la dangerosité relative des différentes substancespsychoactives, quel que soit leur statut par rapport à la loi eta conduit à revoir la notion de produit toxicomanogène, nonplus seulement à travers l’illégalité de celui-ci (cannabis) oul’intensité du syndrome de sevrage qu’il provoque (héroïne),mais encore à travers leur caractère addictogène (tabac) ou leurdangerosité à court (stimulants) ou à long terme (alcool, tabac).

Types de comportements de consommationet émergence du concept d’addiction dansles classifications internationalesIl existe trois grands types de comportements de consomma-tion.Si l’« usage » est caractérisé par la consommation desubstances psychoactives n’entraînant ni complications

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Encadre 1

Un champ sémantique trop riche

Accoutumance : En supportant des doses croissantes sans effetssecondaires majeurs d’un psychotrope (généralement une drogue« douce »), l’organisme acquiert progressivement une tolérance.L’atténuation des effets et surtout le plaisir procuré pousse à unerépétition des prises associée généralement à l’accoutumance.Assuétude : Contrainte psychologique et physique se traduisant parle désir de répéter la consommation du produit indépendammentde ses conséquences néfastes.Compulsion : Tendance intérieure impérative poussant l’individu àaccomplir une certaine action ou à penser à une certaine idée alorsqu’il la réprouve et se l’interdit sur un plan conscient. Dansl’impulsion l’agir l’emporte et court-circuite l’angoisse qui naît chezle sujet en proie à une lutte compulsive.Craving : Terme à rapprocher de la dépendance psychique quiemployé à propos des psychostimulants désigne le caractèreirrépressible et violent de l’envie de drogue.Pharmacomanie : Désigne à la fois la toxicomanie auxmédicaments et leur abus dans un but thérapeutique (faire cesserune douleur, améliorer une fonction organique).Plaisir : Quand on demande pourquoi on consomme des drogues àun échantillon de personnes composé de professionnels (psy,sociologues.) et d’usager de drogue, les premiers sont bien enpeine de donner une réponse simple, qui vient spontanément auxusagers : la drogue procure beaucoup de plaisir mais celui-ci nedure pas et l’usager souffrira ensuite de la dépendance qui s’estprogressivement installée.Tolérance : Propriété d’une drogue dont l’usage répété entraîneune diminution des effets initiaux. L’euphorie diminuant, il fautaugmenter les doses pour atteindre l’effet désiré. Cetteaugmentation est souvent associée au développement d’unedépendance physique, qui se manifeste par un syndrome desevrage lors de l’arrêt.Syndrome de sevrage : Ensemble des troubles somatiquesconsécutifs à la suppression brusque de drogue chez un sujetdépendant (alcool, héroïne). L’arrêt brutal de drogue n’entraînantpas de syndrome physique à proprement parler se traduit par unétat de manque, sensation intense et obsédante de manqueconduisant à une recherche impérieuse de drogue.État d’abstinence : État de longue durée sans drogue sedifférenciant du sevrage dont la durée est limitée. (quelques joursà quelques semaines selon les drogues).

Dictionnaire des drogues et des dépendances Richard Denis, SenonJean-Louis, Valleur Marc. Paris : Larousse/SEGER, 2004, 626 p. (Coll. Inextenso)

D Touzeau,

somatiques ni dommages (on parle d’usage socialement réglé etde consommation à risque lorsque la conduite automobile pro-voque des accidents ou lors de passages à l’acte agressifs.),l’« abus » (ou usage nocif) est caractérisé par une consommationrépétée qui provoque des dommages dans les domaines soma-tiques,psychoaffectifsousociaux, soitpour l’individu lui-même

ou son environnement sans tenir compte du caractère licite ouillicite.La « dependance » est, pour sa part, une entité psychopatho-logique et comportementale, qui marque la rupture avec lefonctionnement habituel et banal du sujet. Elle peut alors sedéfinir par un assujettissement de l’individu à la prise d’unedrogue dont l’interruption provoque un malaise psychique voirephysique, entraînant un syndrome de sevrage (pas toujours) telqu’il le conduit à en pérenniser la consommation, malgré lesinconvénients majeurs qui handicapent sa vie (définition deGoodman, 1990 elle concerne l’addiction, pas la dépendance,comme comportement de « production » de plaisir et d’évite-ment ou d’atténuation du malaise interne, débouchant surl’impossibilité de contrôler ce comportement et sa poursuiteen dépit de la connaissance de ses conséquences).Les critères du DSM4 ont servi pour caractériser « ce moded’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une al-tération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquementsignificative » repris dans la classification internationale desmaladies (CIM 10). L’encadre 2 précise l’ « Abus de substancespsychoactives » pour le DSM IV, l’encadre 3 la « Dépendance »

pour le DSM IV.La dépendance a été reliée à un style d’existence et à certainesconduites dont le pivot est l’addiction à un produit et/ou à uncomportement dont le sujet néglige les conséquencesdélétères. On élargit par là même la notion de dépendanceà celle, anglo-saxone, d’« addiction » qui remonte au début dusiècle et a son origine dans un mot latin qui désigne « ceux qui

sont devenus les esclaves de leurs creanciers » (et doncdonnent leur corps en gage).Bergeret [8] a proposé de revenir au terme « addiction ». C’estlui le premier qui, après Fénichel et ses « toxicomanies sanstoxique » (1945), a renouvelé la notion en subsumant descomportements disparates dont l’approche thérapeutique etadministrative était cloisonnée : l’alcoolisme, le tabagisme, lestoxicomanies et les addictions sans substance ; il a dans lemême temps souligné la richesse métaphorique du mot addic-tion, juridiquement contrainte par un corps qui envahi par lemanque exige son dû, il a mis l’accent sur la perte de libertéface à la répétition du comportement, sur la contrainte et lalutte compulsive, sur le don de soi « dictus ad » : adjugé à,donné à, adonné à, il s’adonne à l’alcool, sur la culpabilité(dette non payée), sur le prix à payer (la contrainte par corps)en conséquences somatiques, psychiques, familiales, profes-sionnelles, sociales, sur le renoncement à son identité de sujet :il est devenu objet, à la merci de la drogue qui désormaiscommande, il est devenu l’esclave (addictus) de la drogue etcertains comportements s’en rapprochant, dits « toxicomanies

sans drogues » (jeu, travail, sexe, achats compulsifs . . .). Unpont est ainsi jeté entre ces dernières et les différentes autresaddictions (alcoolisme, tabagisme et toxicomanie), sociale-ment et légalement connotées.

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Encadre 2

Abus de substances psychoactives DSM IV (1994)

A - Mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à

une altération du fonctionnement ou à une souffrance

cliniquement significative, caractérisée par la présence d’au

moins une des manifestations suivantes au cours d’une

période de 12 mois :

1. Utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité

de remplir des obligations majeures, au travail, à l’école ou à

la maison (par exemple, absences répétées ou mauvaises

performances au travail du fait de l’utilisation de la substance,

absences, exclusions temporaires ou définitives de l’école,

négligence des enfants ou des tâches ménagères).

2. Utilisation répétée d’une substance dans des situations où

cela peut être physiquement dangereux (par exemple, lors

de la conduite d’une voiture ou en faisant fonctionner une

machine alors qu’on est sous l’influence d’une substance).

3. Problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une

substance (par exemple, arrestations pour comportement

anormal en rapport avec l’utilisation de la substance).

4. Utilisation de la substance malgré des problèmes

interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents, causés

ou exacerbés par les effets de la substance (par exemple

disputes avec le conjoint à propos des conséquences de

l’intoxication, bagarres).

B - Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette classe de

substance, les critères de la dépendance à une substance

Encadre 3

Dépendance DSM IV (1994)

Mode d’utilisation inapproprié d’une substance, entraînant unedétresse ou un dysfonctionnement cliniquement significatif,comme en témoignent trois (ou plus) des manifestationssuivantes, survenant à n’importe quel moment sur la mêmepériode de 12 mois :

1. Existence d’une tolérance, définie par l’une ou l’autre des

manifestations suivantes :

a. besoin de quantités nettement majorées de la substance

pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré

b. effet nettement diminué en cas d’usage continu de la même

quantité de substance

2. Existence d’un syndrome de sevrage, comme en témoigne

l’une ou l’autre des manifestations suivantes :

c. syndrome de sevrage caractéristique de la substance

d. la même substance (ou une substance apparentée) est prise

dans le but de soulager ou d’éviter les symptômes de

sevrage

3. La substance est souvent prise en quantité supérieure ou sur

un laps de temps plus long que prévu.

4. Un désir persistant ou des efforts infructueux sont faits pour

réduire ou contrôler l’utilisation de la substance.

5. Un temps considérable est passé à faire le nécessaire pour se

procurer la substance, la consommer ou récupérer de ses

effets.

6. D’importantes activités sociales, occupationnelles ou de

loisirs sont abandonnées ou réduites en raison de

l’utilisation de la substance.

7. L’utilisation de la substance est poursuivie malgré l’existence

d’un problème physique ou psychologique persistant ou

récurrent déterminé ou exacerbé par la substance.

Addictions et médecineAddictions

Dans le processus de révision du DSM (manuel diagnostique etstatistique des troubles mentaux), le terme « dépendance » aété considéré comme une source de confusion majeure avec la« dépendance physique » qui renvoie aux symptômes desevrage et tolérance. En effet, tolérance et sevrage ne sontpas spécifiques de l’addiction. Comme le précise déjà le DSM IV,ils ne sont « ni nécessaires ni suffisants » pour porter lediagnostic de « dépendance ». Ils s’observent pour des sub-stances n’ayant pas de propriétés addictives, mais égalementchez des patients non dépendants faisant usage de substancesaddictives. Les manifestations de sevrage et la tolérance, enlien avec la consommation et l’exposition chronique, apparais-sent comme non spécifiques du processus d’addiction.Dans le DSM-V, l’abus et la dépendance sont regroupés en uneseule catégorie (troubles liés à l’usage des substances psy-choactives. L’ajout des « addictions sans substances » permetd’inclure le jeu pathologique et d’autres « addictionscomportementales » (sexe, achats compulsifs) et place au

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centre du concept d’addiction les phénomènes de craving

(envie irrépressible de consommer) et de perte de contrôle.Il n’y a pas en français de terme aussi ramassé et précis que lecraving pour qualifier ce désir impérieux de drogue, fortementconditionné par une envie quasi instinctuelle d’en profiter sansdélai . . . [9]. Une impulsion tenace qui peut ressurgir desannées après un traitement réussi. Sur le plan neurobiologique,il met en jeu les systèmes de récompense cérébraux,représentés par la voie méso-cortico-limbique. En particulier,de nombreuses études ont montré le rôle du cortex dorsolatéralpréfrontal dans ces connexions méso-fronto-limbique. Ondistingue le craving de récompense qui aurait pourfonction de stimuler les aires du plaisir et qui correspond àl’alcoolisme familial. Le binge drinking, dépendrait du système

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D Touzeau,

dopaminergique/opioïdergique et serait sensible aux stimuliappétitifs et servirait à compenser un déficit hédonique etd’éveil. Le craving de soulagement correspond plutôt à unbesoin de réduction du stress et de soulagement d’une tensionanxieuse comme dans une sorte d’automédication. L’alcoolréactionnel est sous la dépendance des neurones gabaergiqueset glutamatergiques inhibant la prise de décision d’arrêterl’intoxication.Le craving obsédant de certaines conduites addictives (Internet,jeux vidéo, sexualité addictive ou alcoolisme compulsif) résul-terait d’un dysfonctionnement sérotoninergique proche de ceque l’on trouve dans les TOC Il représente un type de penséesobsédantes envahissant le sujet, nécessitant la mise en actepour apporter un soulagement, la prise de drogues ici venantcalmer les obsessions.Les travaux de recherche sur les mécanismes psychologiques etneurobiologiques communs permettent maintenant de penserque l’addiction se développe avec le glissement de comporte-ments sous le contrôle de décisions conscientes vers descomportements automatisés et compulsif et qu’elle pourraitdonc être considérée comme une maladie liée à la mise enplace de processus d’apprentissage pathologiques.

Comorbidité psychiatrique, risques liés àl’adolescence et vulnérabilité génétiqueLa comorbidité psychiatrique, « double diagnostic » ou cooc-currence de troubles mentaux et des troubles liés aux sub-stances n’est pas la juxtaposition de plusieurs maladiesmentales, mais bien une intégration de plusieurs troubles[10]. L’association de troubles psychopathologiques auxconduites addictives, notamment chez les enfants et les ado-lescents qui ont un usage abusif d’alcool et de drogues estsoulignée par de nombreuses études et les liens qui les unissentrestent complexes (facteurs favorisants, conséquences, simplescooccurrences). Par exemple, certains enfants hyperactifs (etpas d’autres) suivis jusqu’à l’âge adulte sont à haut risque dedévelopper des troubles liés à l’utilisation de substances.La recherche de sensations et la prise de risques sont fréquentesau moment de l’adolescence. L’impulsivité est une caractéris-tique que l’on trouve aussi dans les conduites addictives et elleest favorisée par la prise de psychotropes expérimentés de plusen plus précocement par les adolescents [11]. Leur cerveau estplus sensible aux effets toxiques et addictifs des substancespsychoactives que le cerveau adulte et une exposition précoce àune SPA pourrait augmenter la susceptibilité aux conduitesaddictives à l’âge adulte.La recherche fondamentale s’est intéressée à la compréhensiondes modifications cellulaires et moléculaires mises en placedans les dépendances, mais aussi aux mécanismes qui permet-traient d’expliquer que certains de ces effets persistent, mêmeaprès l’arrêt de la drogue. Il est maintenant établi que la prisede drogues (psychostimulants, opiacés, alcool, cannabis . . .)

induit des modifications transcriptionnelles de gènes impliquésdans des fonctions biologiques diverses (cytosquelette, apop-tose, transduction du signal . . .). Ces modifications, à l’originede changements fonctionnels au niveau des neurones, ont étémises en évidence dans des structures cérébrales importantespour la mise en place ou l’expression de la dépendance tellesque le noyau accumbens, le striatum dorsal, l’aire tegmentaleventrale ou le cortex préfrontal. La prise de drogue induit unensemble de modifications cellulaires et moléculaires qui con-tribuent à installer l’état de dépendance. Certaines droguescomme les amphétamines, la cocaïne, mais aussi l’alcool, sontcapables d’induire des modifications épigénétiques au niveaucérébral dans les modèles animaux de l’addiction. On peutproposer un schéma de l’évolution de la consommation : larencontre avec le produit est supposée être fonction desfacteurs de vulnérabilités hérités (mutations de certains gènes. . .), mais aussi de facteurs environnementaux (stress . . .) etsociaux. Dès la première prise de produit, des modificationsépigénétiques vont apparaître, elles vont se modifier avec lesprises répétées. Ceci va entraîner des modifications transcrip-tionnelles, d’expression de protéines mais aussi fonctionnellesdans certaines structures cérébrales. Dans le contexte d’exposi-tions répétées, de sevrages et de rechutes, ces modificationsvont sous-tendre l’état de dépendance ce qui permettrait demieux appréhender certains problèmes cliniques comme lavulnérabilité des patients, la variabilité des réponses auxtraitements mais aussi la complexité de la rémanence [12].

Compréhension psychopathologiqueLe modèle théorique des addictions s’est beaucoup complexifiédurant les vingt dernières années alors même que lesréférences psychopathologiques demeuraient identiques, quela référence à la théorie psychanalytique est devenue moinsfréquente voire « masquée » par le foisonnement de travauxneurobiologiques, cognitivo-comportementaux et d’interpréta-tions sociologiques.Une description psychiatrique associant trouble de la person-nalité et mode d’usage est classiquement formulée [13].Charles-Nicolas [14] propose une classification qui distingueà côté des toxicomanies conjoncturelles (pression des pairs),asociales (impulsive et instable), des toxicomanies symptoma-tiques, tentative d’automédication de troubles psychiatriqueset des toxicomanies biochimiques, placées sous le primat dubesoin où la recherche d’ivresses et sensations fortes est aupremier plan. Il fait ensuite remarquer que depuis les années1990, le point de vue psychopathologique a changé ; ons’intéresse moins à la problématique de la structure (étatlimite, psychoses) qu’à celui du fonctionnement mental encherchant des soubassements communs à toutes les dépen-dances. Il est tentant de rapprocher les phénomènes addictifsen leur cherchant un tronc commun mais le concept comportedes incertitudes et on peut mettre en doute la réalité du profil

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Addictions et médecineAddictions

commun et préférer s’intéresser surtout aux différences entreles conduites. Les psychanalystes [15,16] nous éclairent sur lesraisons qui poussent certains toxicomanes à rester dépendantsà une seule drogue d’élection, d’autres à se tourner versplusieurs. Plusieurs hypothèses d’orientation psychodynami-que impliquent des processus inconscients à l’oeuvre [13]. Unepremière hypothèse est que la dépendance pérenniserait larelation entre un sujet et un objet, en d’autres termes entreune « tension anxieuse » (Rado) et une substance thérapeu-tique dont le sujet espère qu’elle ne manquera jamais etqu’elle apaisera pour toujours la « tension anxieuse ». Ladépendance est posée d’emblée. Elle est présente commeun postulat psychique inconscient qui serait le propre del’être humain né immature (Lacan).Une seconde hypothèse lie la dépendance à l’absence d’éla-boration psychique secondaire. Cette dernière serait en relationavec les premiers investissements corporels et les procéduresde séparation/individuation (Bergeret). La conduite addictiveintroduirait une économie psychique « en creux »où « tout sejoue au niveau du corps en termes de besoins, d’action spéci-fique, d’évitement de la représentation et de l’affect » (Pédi-nielli). La dépendance serait un mode de fonctionnementpsychique, forme d’alexithymie primaire (Sifneos) ou « penséeopératoire » (Marty, de M’uzan) qui précèderait la rencontreavec un type de drogue.Une troisième hypothèse, plus complexe, évoquerait la« conduite ordalique » (Charles-Nicolas et Valleur) comme prisede risque ni suicidaire ni fortuite mais les deux à la fois. En s’enremettant à Dieu, ou au Hasard il tente de rompre la dépendanceet restitue son sentiment d’exister par la réponse positive (j’aivaincu la mort, Dieu est avec moi). Celui-ci représente ainsi unlieu de contrôle externe où le « fatum », « mektoub » est toutpuissant : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (Nietszche).Une quatrième hypothèse indique une piste qui permet demieux comprendre les transferts de dépendances et la multi-plication des polydépendances. Descombey [17], à partir destravaux de Joyce Mac Dougall sur le théâtre du transitionnel,montre que lorsque la mère ne s’est pas montrée « adéquatesans plus » l’objet transitionnel ne peut être abandonné. Il nedoit pas être confondu avec l’objet d’addiction avec lequel on leconfond parfois. Celui-ci mérite d’ailleurs plutôt le nom d’objettransitoire que son consommateur doit sans cesse retrouver,recréer continuellement, compulsivement et en quantité crois-sante . . .à travers la théorie de l’escalade des doses ou habi-tuation.L’addiction apparaît tiraillée entre plusieurs pôles [18] :impact des substances psychoactives, approche cognitivo-comportementale et champ pluridiciplinaire psychopathologi-que. La catégorie addiction ne peut se résumer aux deuxpremiers pôles et à leur pratique. « Toute nosologie est lereflet d’une théorie explicative et cette dernière est elle-même liée à une pratique thérapeutique ». Aux traitements

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cognitivo-comportementaux et aux médicaments reviendrai-ent le traitement des symptômes et à la psychothérapie lestroubles de la personnalité.On ne peut ignorer cependant une évidence épidémiologique :des personnes souffrant d’une consommation problématiquede substances psychoactives (tabac, alcool . . .), n’utiliseaucune forme de traitement et une grande majorité d’usagersde produits psychoactifs font évoluer par eux-mêmes leurscomportements de consommation afin de les rendremoins problématiques.Ce changement par soi-même n’implique pas une abstinencede consommation mais plutôt une consommation à faiblerisque qui doit demeurer stable sur une période–seuil de cinqans au moins. Un des processus à l’oeuvre est l’évaluationcognitive, qui met en balance les avantages et les inconvé-nients de la consommation et agit comme un levier de change-ment. L’agent principal de maintien viendrait ensuite du réseausocial et/ou familial [19].Il y n’y a donc pas une mais des trajectoires de sortie de laconsommation, qui incluent traitements, consommationmodérée ou à faible risque et réduction des risques.

Complémentarité du modèle médical et del’approche psychosocialeLes cas de rémission spontanée constituent une part nonnégligeable de guérison relativisant la place de la « maladisa-tion des corps physiques et sociaux » qui constitue le noyau durdu modèle médical. La classification DSM est suspectée devaloriser à partir de symptômes les dysfonctions, d’avoirintégré des « symptômes » sociaux et de privilégier les troublesau détriment de déterminants sociaux et culturels. Dès 1989,Peele (Deasing of America) insiste sur les souffrances, le stresset l’utilisation des produits comme mode de résolution desconflits à l’origine de la dépendance. La phase 1 estcaractérisée par des sentiments négatifs, suivie de la phase2 où la personne décide de geler ses émotions en s’intoxiquant,elle retrouve le bien-être 3. La phase (4) confronte à nouveau lapersonne aux sentiments de base (1) et la phase (5) offrel’opportunité de briser ou continuer le cycle (figure 1).C’est parce que notre culture ajoute-t-il est si fortement axéesur la réalisation et la responsabilité individuelles que tant degens ont le sentiment de ne pas être à la hauteur. L’addictionpeut être appréhendée comme une manière de vivre, unefaçon de faire face au monde et à soi-même, un style de vie.Le problème de la dépendance n’est pas uniquement attachéà la personne mais est bien aussi un problème psychosocial[20].Les approches médicale et psychosociale sontcomplémentaires de la compréhension d’un phénomène com-plexe multifactoriel. Schématiquement ce processus constituéest de deux phases différentes maintenant bien individua-lisées. Les mécanismes présidant à la consommation de

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[(Figure_1)TD$FIG]

2Intoxication,La douleurdisparaît

1Angoisse

Faible estimede soi

AnxiétéEtc…

5Opportunité

De briser le cycle

4Effet ”down ”

CulpabilitéFaible estime

De soi

3Sentiment

De bien-être

Figure 1

Cycle de dépendance

Drogues, santé et société (décembre 2009).

D Touzeau,

drogues au début sont très différents de ceux qui sous-tendentl’addiction et leur approche en termes de prévention et de

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et émaillée de . . . rechutes. L’utilisation de médicament commela mobilisation des compétences personnelles, familiales sontutiles et complémentaires. La réduction des risques doit pre-ndre sa place dans la prise en charge et l’accès aux soins.L’existence de médicaments efficaces conduit à une réflexionsur l’intérêt des prises en charge séquentielles et des traite-ments combinés (maintenance agonistes, médicaments àaction anticraving . . .). Dans une perspective pragmatiqueassociant la réduction des risques, le modèle recovery [21]qui n’exclue ni le maintien de l’abstinence ni la maintenancemédicamenteuse, offre aujourd’hui une perspective« heuristique » : l’objectif est bien de permettre à la personnede reconstruire sa vie et non simplement d’être prise en chargepour l’arrêt de ses consommations de substance.

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Déclaration d’intérêts : l’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflitsd’intérêts.

ving n’est pas le998;1:1.est plus grand quela cooccurence deautres troubles

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