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Ann Urol 2002 ; 36 : 269-71 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-4401(02)00108-0/FLA Prostate Adénocarcinome prostatique révélé par une coagulation intravasculaire disséminée et fibrinolyse R. Rabii , L. Salomon, A. Hodznek, F. Saint, A. Cicco, D.K. Chopin, C.C. Abbou Service d’urologie, hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil cedex, France RÉSUMÉ La coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) révélant un adénocarcinome prostatique est une éventualité rare. Dans la plupart des cas, la CIVD se limite à des anomalies biologiques. Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 73 ans présentant une CIVD avec un cancer de prostate métastatique. Le patient a consulté pour des épistaxis et des ecchymoses. Le bilan biologique retrouve une thrombopénie, un bilan d’hémostase très perturbé et des antigènes spécifiques de prostate très élevés à 2 200 ng/ml. Une ponction biopsie sternale a confirmé la présence de cellules cancéreuses métastatiques. Le patient a été mis en urgence sous héparinothérapie et antithrombine III associée à une hormonothérapie avec une bonne évolution. À propos de cette observation, nous discutons la prise en charge des patients présentant un cancer de prostate métastatique associé à une CIVD. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS cancer / coagulation intravasculaire disséminée / fibrinolyse / prostate ABSTRACT Prostatic adenocarcinoma revealed by disseminated intravascular coagulation (DIC) and fibrinolysis. Disseminated intravascular coagulation (DIC) revealing a prostatic adenocarcinoma is rare. Most of the case are limited to biological abnormalities. We report a case of a 73 year old man with metastatic prostatic carcinoma and CIVD. The patient consulted for epistaxis and ecchymosis with thrombocytopenia and low coagulate factors. The prostatic specific antigen was 2200 ng/ml and fine needle aspiration of bone marrow biopsy detected metastatic cells. The patients received hormonotherapy, heparine Correspondance et tirés à part : R. Rabii, 26, rue de Rome, angle Rue d’Amsterdam, Résidence Rime, Casablanca, Maroc. Adresse e-mail : [email protected] (R. Rabii). and antithrombine III with a good follow up. About this case, we discuss the management of the patient with metastatic prostatic cancer and CIVD. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS cancer / disseminated intravascular coagulation / fibrinolysis / prostatic 1. INTRODUCTION La coagulation intravasculaire disséminée révélant un adénocarcinome prostatique est une circonstance rare, souvent elle est infraclinique [1]. Cette asso- ciation pose un problème de diagnostic et surtout de prise en charge thérapeutique [2]. À travers une ob- servation, nous discuterons ses difficultés de prise en charge. 2. OBSERVATION Monsieur M.R., âgé de 73 ans, sans antécédents pa- thologiques connus, consulte en urgence dans un tableau d’hématurie avec des ecchymoses cutanées diffuses. Le toucher rectal trouve une prostate dure, suspecte de cancer prostatique. Un bilan biologique réalisé en urgence trouve une thrombopénie majeure (20 000 élts/mm 3 ) avec une hypofibrinémie 0,9 g/l et une diminution du facteur de coagulation (Ta- bleau I). Les antigènes spécifiques prostatiques se sont révélés très élevés (2 200 ng/ml). Une ponction

Adénocarcinome prostatique révélé par une coagulation intravasculaire disséminée et fibrinolyse

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Page 1: Adénocarcinome prostatique révélé par une coagulation intravasculaire disséminée et fibrinolyse

Ann Urol 2002 ; 36 : 269-71 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003-4401(02)00108-0/FLA

Prostate

Adénocarcinome prostatique révélé par une coagulation intravasculairedisséminée et fibrinolyse

R. Rabii∗, L. Salomon, A. Hodznek, F. Saint, A. Cicco, D.K. Chopin, C.C. Abbou

Service d’urologie, hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil cedex, France

RÉSUMÉLa coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) révélantun adénocarcinome prostatique est une éventualité rare.Dans la plupart des cas, la CIVD se limite à des anomaliesbiologiques. Nous rapportons le cas d’un patient âgéde 73 ans présentant une CIVD avec un cancer deprostate métastatique. Le patient a consulté pour desépistaxis et des ecchymoses. Le bilan biologique retrouveune thrombopénie, un bilan d’hémostase très perturbéet des antigènes spécifiques de prostate très élevés à2 200 ng/ml. Une ponction biopsie sternale a confirméla présence de cellules cancéreuses métastatiques. Lepatient a été mis en urgence sous héparinothérapie etantithrombine III associée à une hormonothérapie avecune bonne évolution. À propos de cette observation, nousdiscutons la prise en charge des patients présentant uncancer de prostate métastatique associé à une CIVD. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

cancer / coagulation intravasculaire disséminée /fibrinolyse / prostate

ABSTRACTProstatic adenocarcinoma revealed by disseminatedintravascular coagulation (DIC) and fibrinolysis.Disseminated intravascular coagulation (DIC) revealing aprostatic adenocarcinoma is rare. Most of the case arelimited to biological abnormalities. We report a case of a73 year old man with metastatic prostatic carcinoma andCIVD. The patient consulted for epistaxis and ecchymosiswith thrombocytopenia and low coagulate factors. Theprostatic specific antigen was 2200 ng/ml and fine needleaspiration of bone marrow biopsy detected metastaticcells. The patients received hormonotherapy, heparine

∗ Correspondance et tirés à part : R. Rabii, 26, rue de Rome, angle Rue d’Amsterdam, Résidence Rime, Casablanca, Maroc.Adresse e-mail : [email protected] (R. Rabii).

and antithrombine III with a good follow up. About thiscase, we discuss the management of the patient withmetastatic prostatic cancer and CIVD. 2002 Éditionsscientifiques et médicales Elsevier SAS

cancer / disseminated intravascular coagulation /fibrinolysis / prostatic

1. INTRODUCTION

La coagulation intravasculaire disséminée révélantun adénocarcinome prostatique est une circonstancerare, souvent elle est infraclinique [1]. Cette asso-ciation pose un problème de diagnostic et surtout deprise en charge thérapeutique [2]. À travers une ob-servation, nous discuterons ses difficultés de prise encharge.

2. OBSERVATION

Monsieur M.R., âgé de 73 ans, sans antécédents pa-thologiques connus, consulte en urgence dans untableau d’hématurie avec des ecchymoses cutanéesdiffuses. Le toucher rectal trouve une prostate dure,suspecte de cancer prostatique. Un bilan biologiqueréalisé en urgence trouve une thrombopénie majeure(20 000 élts/mm3) avec une hypofibrinémie 0,9 g/let une diminution du facteur de coagulation (Ta-bleau I). Les antigènes spécifiques prostatiques sesont révélés très élevés (2 200 ng/ml). Une ponction

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270 R. Rabii et al.

Tableau I. Bilan sanguin

Valeur Normale

Fibrinogène (g/l) 0,9 2–4D-dimères (ng/ml) 5 000 <500Antithrombine III (%) 61 80–120Facteur V (%) 34 >70Plaquettes 25 000 150–500Hémoglobine 12,8 13–17,7

biopsie sternale a trouvé des cellules tumorales mé-tastatiques. Ce contexte était évocateur d’un cancerprostatique, révélé par une CIVD (Coagulation in-travasculaire disséminée). Le patient a été mis soushéparine par seringue autopousseuse à la dose de100 UI/Kg/j et sous antithrombine III à la dose de20 UI/Kg/j pendant une durée de dix jours. Parallèle-ment, un traitement hormonal était instauré compor-tant un analogue LHRH : Leuproreline (Fenathone®)une injection trimestrielle en sous-cutané et un anti-androgène : Bicamutamide (Casden® 50 mg).

L’évolution a été marquée par la correction dutaux de plaquettes et de la CIVD à J10. Le contrôleà trois semaines trouve un taux de plaquettes stableà 150 000 élts/mm3 et une normalisation de l’an-tithrombine III. Le complément du bilan confirmel’adénocarcinome prostatique et l’existence de mé-tastases osseuses.

3. DISCUSSION

Le cancer de prostate au stade avancé peut être ré-vélé par diverses circonstances de complication : soitdouleurs osseuses, fractures osseuses, rétention uri-naire, compression médullaire, infection rénale outrouble d’hémostase [3]. Dans cette dernière circons-tance, la CIVD infraclinique est présentée chez 10à 30 % des patients ayant un adénocarcinome pros-tatique au stade avancé [4]. Mais la CIVD cliniquereste rare, soit 0,4 à 1,65 % et constitue un élémentde mauvais pronostic [5].

Le diagnostic de CIVD est souvent confirmé aubilan biologique (numération formule sanguine etbilan d’hémostase complet). Dans le cas de can-cer prostatique connu, le diagnostic étiologique nese pose guère. Mais en l’absence de cancer prosta-tique connu, l’examen clinique comportant un tou-cher rectal reste essentiel, car souvent la prostate

est très dure et suspecte. Le toucher rectal très sus-pect avec un tableau de CIVD doit faire pratiquerun dosage d’antigène spécifique de prostate (PSA).La biopsie prostatique est à éviter dans ce contextede trouble d’hémostase car peut se compliquer d’hé-morragie [1, 6, 7]. Un bilan radiologique surtout os-seux peut révéler des localisations osseuses méta-statiques [3, 6]. Une ponction-biopsie sternale dansnotre cas a pu révéler l’existence de cellules cancé-reuses métastatiques, le taux de PSA très élevé nelaisse aucun doute diagnostique, et permet de ciblerla thérapeutique en urgence.

La CIVD infraclinique peut être suspecte parla pratique d’un bilan d’hémostase avec dosagede D-dimère et du fibrinopeptide A en cas decancer prostatique métastatique comportant surtoutdes localisations osseuses [8]. Aussi, l’élévation desPSA associée à une élévation des D-dimères permetde prédire des localisations osseuses avec une valeurprédictive positive de 91 % [8].

Si le traitement du cancer prostatique métastatiqueen l’absence de trouble d’hémostase repose sur unblocage androgénique et/ou radiothérapie, en casde trouble d’hémostase CIVD il se pose un doubleproblème : d’abord la correction de la CIVD et untraitement étiologique par un traitement hormonalqui doit être efficace et de délai d’action rapide.

L’hormonothérapie préférable dans le cas d’uneCIVD associe le plus rapidement possible une priva-tion androgénique [2]. Hormis l’orchidectomie quiest contre-indiquée dans ce contexte de troublesd’hémostase, l’oestrogénothérapie à haute dose agitrapidement quand elle est administrée en urgence àla dose de 500 mg le premier jour, puis 1 000 mg/jpendant 2–5 jours [1]. Cette hormonothérapie serarelayée par la suite par l’utilisation d’antiandrogèneset secondairement par des analogues LHRH [7]. LeKétocanazol semble aussi agir rapidement en moinsde quatre heures assurant le blocage de la synthèsedes stéroïdes. Il semble avoir une action cytotoxiquedirecte sur les cellules carcinomateuses [9]. Ce moded’action suggère son utilisation concomitante avecl’oestrogénothérapie pendant la phase initiale jus-qu’à ce que cette dernière commence à agir soit en-viron une semaine [9].

Parallèlement au traitement hormonal, un traite-ment visant la correction de la fibrinolyse est in-dispensable et doit être instauré le plus rapidementpossible permettant une privation androgénique [2].Ainsi, il est nécessaire d’associer au traitement

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CIVD et cancer prostatique 271

hormonal de l’héparine intraveineuse et aussi unagent antifibrinolytique : l’acide epsilon aminoca-proique, ce qui permet l’inhibition de l’activité del’ α2 plasmine [7]. La dose préconisée est de 5 g enbolus suivie de 1 g/h en perfusion continue jusqu’àcorrection de la fibrinolyse et qui sera relayée par laprise per os de l’acide tranexamic 1 500 ng/h [7, 10,11]. Cette association est inspirée d’après les résul-tats obtenus lors du traitements des CIVD au coursdes leucémies promyélocytaire [7].

L’évolution sera basée sur la clinique par l’arrêtdes hémorragies (ecchymose, épistaxis, hématurie,gingivorragie) et par le contrôle biologique (biland’hémostase, plaquettes, fibrinogène, D-dimère).

Après correction de ces troubles d’hémostase, letraitement hormonal sera poursuivi et contrôlé parla chute du taux de PSA. Un bilan d’extension seraréalisé comportant un bilan radiologique osseux etune scintigraphie osseuse afin d’agir sur des sitesmétastatiques par radiothérapie. Mais le pronosticdu cancer prostatique associé à une CIVD restemauvais [12].

4. CONCLUSION

La CIVD associée au cancer prostatique métasta-tique passe souvent inaperçue. Elle est souvent in-fraclinique et peut être ainsi dépistée précocementpar dosage de D-dimère afin d’âtre pris en chargetôt. Dans le cas où la CIVD représente un mode dedécouverte du cancer prostatique, la prise en chargethérapeutique doit assurer d’une part la correctionde la CIVD par l’adjonction d’agent antifibrinoly-tique, de l’héparine et d’autre part un blocage an-drogénique rapide et efficace. Malgré cette prise encharge, le pronostic reste réservé, d’où l’intérêt d’undépistage précoce de cancer prostatique au stade lo-calisé.

RÉFÉRENCES

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2 Cooper DL, Sandler AB, Wilson LD, Duffy TP. Dissemina-ted intravascular coagulation and excessive fibrinolysis in apatient with metastatic prostate cancer. Response to epsilon-aminocaproic acid.

3 Smith JA Jr, Soloway MS, Young MJ. Complications ofadvanced prostate cancer. Urology 1999 ; 54/6(Suppl 1) : 8-14.

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7 Cooper DL, Sandler AB, Wilson LD, Duffy TP. Dissemi-nated intravascular coagulation and excessive fibrinolysis ina patient with metastatic prostate cancer. Cancer 1992 ; 70 :656-8.

8 Adamson AS, Francis JL, Witherow RO, Snell ME. Coagu-lopathy in the prostate cancer patient: prevalence and clini-cal relevance. Ann R Coll Surg Engl 1993 ; 75 : 100-4.

9 Fleyfel M, Leroy B, Plouvier F, Balin C, Marecaux O,Scherpereel P. Évolution favorable d’une CIVD néopla-sique sous kétoconazole et dérivé oestrogénique. Ann FrAnesth Réanim 1991 ; 10 : 406-8.

10 Collins AJ, Bloomfield CD, Paterson BA, McKenna RW,Fidson JR. Acute ppromyelotic leukemia: management ofthe coagulopathy during daunorubicine–prednisone remis-sion induction. Arch Intern Med 1978 ; 138 : 1677-80.

11 Cunningham I, Geen TS, Reich LM, Kempin SJ, Noval AN,Clarkson BD. Acute promyelocytic leukemia: treatmentresults during a decade at memorial hospital. Blood 1989 ;73 : 1116-22.

12 Villavicencio H. Quality of life of patients with advan-ced and metastatic prostatic carcinoma. Eur Urol 1993 ;24(Suppl 2) : 118-21.