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Éditions OPHRYS et Association Revue Française de Sociologie Adolphe Landry et la démographie Author(s): Alain Girard Source: Revue française de sociologie, Vol. 23, No. 1 (Jan. - Mar., 1982), pp. 111-126 Published by: Éditions OPHRYS et Association Revue Française de Sociologie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3320853 . Accessed: 19/09/2013 11:43 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Éditions OPHRYS et Association Revue Française de Sociologie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue française de sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 130.240.43.43 on Thu, 19 Sep 2013 11:43:07 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Adolphe Landry et la démographie

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Adolphe Landry et la démographieAuthor(s): Alain GirardSource: Revue française de sociologie, Vol. 23, No. 1 (Jan. - Mar., 1982), pp. 111-126Published by: Éditions OPHRYS et Association Revue Française de SociologieStable URL: http://www.jstor.org/stable/3320853 .

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R. franC. sociol., XXIII, 1982, 111-126

Alain GIRARD

Adolphe Landry et la dEmographie *

La Revolution demographique d'Adolphe Landry, que l'Institut national d'etudes demographiques reedite aujourd'hui, a paru en 1934. Bien des evene- ments se sont produits depuis lors, qui sembleraient devoir releguer ce livre et les craintes qu'il exprime dans un lointain passe. En dehors des guerres et des bouleversements politiques, aucun depeuplement en effet, annonciateur de deca- dence, ne s'est manifest6 nulle part. Au contraire, loin de diminuer, la population des pays d'Europe occidentale a continue de s'accroitre. La population humaine, dans son ensemble, et durant ce demi-siecle, a plus que double. Dans le m6me temps la demographie s'est affirmee comme science autonome, et ses progres ont ete remarquables.

Ce livre n'en merite pas moins d'6tre repris et medite a nouveau. En premier lieu, il constitue un maillon important dans l'histoire de la science et de la pensee en matiere de population. En outre, l'6volution demographique passee y est decrite en toute clarte et il en fournit une explication qui reste decisive. Enfin, l'histoire etant fertile en retournements, la situation presente de l'Europe, et de la France, notamment, a laquelle il s'interesse particulierement, rejoint a bien des egards celle de l'entre-deux guerres. Conqu et redige dans des circonstances qui l'expliquent, et dont il demeure tributaire dans une large mesure, ce livre comporte un enseignement toujours valable, et conserve une saisissante actualite.

Pour prendre conscience de son importance, il convient de le replacer a son moment, a la fois dans l'activite et la pensee de son auteur, et dans le mouvement des faits et des idees de l'epoque. Les ceuvres durables et de portee generale sont les plus individualisees, expression de la personnalite d'un homme, ancre dans la culture de son pays et de son temps (1).

* Cet article doit paraitre comme preface a la 1957: 265-304. reedition de La Revolution demographique LAMY (Maurice). - o Adolphe Landry d'Adolphe Landry par l'lnstitut national d'etudes (1874-1956), createur de la science demographi- demographiques. que >. Academie nationale de medecine, seance du

(1) Pour plus de precisions sur la vie et 17 juin 1975, pp. 515-520. I'oeuvre d'Adolphe Landry, le lecteur pourra se D'autre part, une etude sur la pensee demo- reporter notamment a: graphique de Landry, se trouve dans:

SAUVY (Alfred). - < Adolphe Landry >. VIALATOUX (Jean). - < Adolphe Population, (4), 1956 : 609-620. (Cet article cor- Landry >, in Le peuplement humain.... t. II. Doc- porte une bibliographie des oeuvres de Landry) trines et theories. Paris, Editions ouvrieres, 1959,

HAURY (Paul). - <<L'oeuvre legislative pp. 543-574. d'Adolphe Landry >. Pour la vie, (70), septembre

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Revue francaise de sociologie

La carrire d'Adolphe Landry

Issu d'une vieille famille corse, ne a Ajaccio, Adolphe Landry, 1874-1956, poursuit a Nimes, ou son pere est president du Tribunal, des etudes secondaires classiques, couronnees par un premier prix de vers latins au concours general. Normalien, agrege de philosophie, professeur de lycee, docteur es-lettres des 1901, il obtient en 1907 une chaire a l'Ecole pratique des hautes etudes. Articles et ouvrages se succedent a un rythme rapide jusqu'a l'entree en politique.

Membre du Conseil general de la Corse, qu'il preside a plusieurs reprises, il represente en effet son departement au Parlement, de 1910 a sa mort, comme depute puis comme senateur. II a ete ministre de la Marine en 1920, de l'Instruction publique un court moment en 1924, du Travail en 1931-1932. Dans ses differentes fonctions, il a contribue a la creation et au developpement des assurances sociales, et, tres inquiet de la denatalit6 franqaise, n'a cesse d'oeuvrer en faveur de la famille. On le trouve a l'origine des trois lois, que lui-m6me a qualifiees de << salvatrices ) : 1932, extension du principe des allocations familiales a l'ensemble des salaries et aussi aux employeurs et travailleurs independants; 1939, a quelques semaines de la guerre, << code de la famille ?; 1946, ensemble coherent en matiere de protection de la famille qui demeure la base de notre systeme d'allocations. II a eu la satisfaction, apres avoir tant d6nonce le peril, et apres les 6preuves des deux guerres, de voir se produire une renaissance d6mographique.

L'intense activite politique et legislative ralentit, mais ne tarit pas le travail scientifique. II profite d'une interruption de mandat en 1932 pour preparer et rediger le texte de La Revolution demographique, auquel il joint quelques articles anterieurs. Les loisirs forces de l'occupation lui permettent de mettre au point avec l'aide de quelques collaborateurs le Traite de demographie, publie en 1945 et reedite en 1949. L'oeuvre a des resonances a l'etranger. II preside en 1937 le congres de l'Union internationale pour l'etude scientifique de la population, et en publie les Actes. Ii veille au lendemain de la guerre au r6veil de cette Union, dont il est elu president. Enfin, il apporte l'appui de son autorit6, des sa creation en 1945, a l'Institut national d'etudes d6mographiques, comme membre du Comite techni- que et president du Conseil d'administration.

Telle fut a grands traits la carriere de Landry. Penetrer dans sa pensee permet de decouvrir son inspiration constante, et en meme temps, de mieux comprendre la genese de La Revolution demographique. II ne s'agit pas en effet d'un travail de circonstance, mais d'une oeuvre longuement murie.

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Alain Girard

Regime 6conomique et prEoccupations sociales

Le premier ouvrage qui a attire l'attention sur Landry est sa these de doctorat de 1901, L 'utilite sociale de la propriete individuelle (2). << On a dessein d'etudier dans ce livre, est-il dit a la premiere page, les deperditions de richesse qui resultent necessairement, pour la soci6te, du regime present de la propri6te, en d'autres termes, de montrer par ou et dans quelle mesure ce regime est contraire a l'interet general ?>. La demonstration s'articule autour de deux grands p6les, la production et la distribution des richesses. S'appuyant sur des distinctions proposees par Sismondi, Cournot ou Otto Effertz, entre productivite et rentabilite d'une part, et entre produit brut et produit net d'autre part, il s'attache a montrer comment le proprietaire d'une terre ou d'une entreprise peut avoir inter6t a reduire le produit brut, c'est-a-dire la quantite de biens profitables a tous, pour accroitre le produit net, c'est-a-dire son profit. L'in6galit6 des revenus entre la classe dirigeante et la classe la plus nombreuse est prejudiciable a la richesse totale et ne permet pas d'1lever le niveau de vie general. Mais elle a aussi une autre consequence qu'il importe de souligner, c'est de diminuer la population.

Un chapitre, entierement consacre a cette question, I'avant-dernier du livre vers lequel semblent tendre tous les developpements pr6cedents, < L'in6galite et la population > (pp. 344-389) s'ouvre ainsi: < II n'est pas de probleme que les economistes aient aborde plus souvent, ni discute avec plus de passion que le probleme de la population. Ce probleme est en effet parmi les plus graves de ceux que l'economie politique souleve; celui qui s'interesse aux destinees d'une nation attachera une tres grande importance au nombre des individus dont elle sera composee; celui qui s'interesse aux destinees de l'humanite donnera son attention, de m6me, aux variations numeriques auxquelles elle est sujette, a la fois parce que ces variations ont un prix en elles-m6mes, et parce qu'a premiere vue il apparait comme fort probable qu'elles exercent une influence sur la condition de ceux qui vivent >.

Ainsi, des ses premieres reflexions sur le regime economique et social, Landry attache une importance primordiale a la population. Or, le vice essentiel du regime capitalistique, selon son expression, ou encore individualiste et liberal, est qu'il ne favorise pas l'augmentation du nombre des hommes, mais exerce au contraire une action deprimante sur le peuplement. Le proprietaire fait des economies de main-d'oeuvre qui reduisent la production au detriment des consommateurs, < et souvent en m6me temps 6tent a des travailleurs la possibilite de vivre >> (p. 405). << La direction de l'interet general ne coincide pas necessairement avec celle de la resultante des inter6ts particuliers > (p. X). Ainsi, va jusqu'a ecrire Landry, << aujourd'hui, si la liberte est reconnue comme un droit naturel imprescriptible, on ne reconnait pas encore le droit a la vie > (p. 358). Neanmoins, les avancees

(2) Paris. Societe nouvelle de librairie et d'edition, 1901, XII-512 p.

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realisees grace aux progres techniques, qui ne sauraient 6tre niees, contribuent d'une autre maniere encore a limiter la population. Si difficile que demeure sa condition, l'ouvrier ne se contente plus du strict n6cessaire, et il sera encore < plus exigeant quand il sera persuade qu'il a droit a autant de bien-etre que son employeur >>. On trouve deja dans les lignes suivantes un des themes centraux de La Revolution demographique : ( 11 est tres certain que l'affaiblissement du sentiment religieux, lequel commande a chacun l'acceptation du sort que la naissance lui a fait dans ce bas monde, que la diffusion des idees politiques dont procede la Revolution, que les progres du socialisme, que l'instruction publique et le suffrage universel sont pour beaucoup dans l'amelioration qu'ont obtenue pour leur condition les ouvriers de France, au cours du XIX e siecle; et qu'ainsi ces faits ont ralenti la croissance de la population dans notre pays... D'une maniere gen6rale, tout ce qui augmente, comme on dit, les besoins des ouvriers tend a elever les salaires, et a diminuer la population >> (p. 383).

Le probleme est alors de definir les moyens susceptibles d'empecher la baisse de la natalite. Landry admet que << sans bouleverser le regime de la propriete, on peut par de certaines mesures legislatives determiner une augmentation de la population... Les mesures cependant que l'on pourrait pr6coniser n'auraient jamais des r6sultats tres considerables ). Au contraire, et l'on dirait ici quelque echo lointain des anticipations de Godwin ou de Condorcet qui declencherent, comme on sait, la passion inverse de Malthus, << dans la societe socialiste, il sera possible d'accelerer ou de ralentir l'accroissement ou la diminution de la population: il suffira de decharger les parents de l'entretien de leurs enfants, ou au contraire de leur en laisser le soin; et si cela ne devait pas suffire pour donner les resultats cherches, on pourrait faire dependre la remuneration du travail de chaque individu du nombre d'enfants qu'il aurait donn6 a la societe ? (pp. 388-389).

Il ajoute en note a ces derniers mots : 11I pourrait se faire aussi, contrairement a ce que pensent MM. Effertz et Hertzka (et que nous inclinons nous-m6mes a croire), que l'amelioration de la condition des travailleurs diminuat la natalite, au lieu de l'accroitre >.

N'y a-t-il pas ici un pressentiment de ce qui se poursuit encore aujourd'hui meme, a la fin du xxe siecle, et n'assistons-nous pas a un debat toujours ouvert et toujours actuel sur les avantages et les inconvenients de la croissance demographi- que ? En tout cas, l'interet general doit servir de guide, et c'est pourquoi Landry cherche a definir le regime susceptible de le mieux assurer. II croit l'apercevoir dans le socialisme et la suppression de la propriete privee, mais l'orientation tres concrete de son esprit le detourne de croire possible l'6galit6 totale a laquelle il aspire. Aussi bien s'efforcera-t-il pendant toute sa vie politique, de promouvoir des mesures qui, sans bouleverser l'ordre social, ni supprimer la propriet6 privee, peuvent permettre de maintenir la population au niveau desirable, en assurant a ceux qui les assument, c'est-a-dire aux families nombreuses, une compensation de leurs charges.

Un regime economique, si parfait qu'il puisse paraitre, n'est pas forcement apte a resoudre le grave probleme de la population. Tout ne se joue pas pour l'homme sur le plan du bien-etre. Voici les derniers mots du livre: < A c6te des fins

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Alain Girard

purement economiques, il y a pour l'humanite des fins esthetiques, intellectuelles, morales, dont l'utilitaire lui-m6me ne doit pas se d6sint6resser; et il se pourrait que le regime individualiste, mieux que l'autre, permit a l'humanite de realiser ces fins. Et puis, enfin, est-il bien sur que la justice ne viendra pas opposer son veto a ce que l'utilit6 sociale aura ordonne ? ) (p. 408-409).

Landry n'est pas un esprit dogmatique, pour qui il y a une verit6 intangible et sans nuance. Dans un livre posterieur (3), il fait part de ses hesitations, et declare avoir modifie ses premieres vues sur certains points. I1 etait tombe dans << l'erreur a propos des << operations capitalistiques >, parce qu'il les consid6rait << d'un point de vue exclusivement objectif > sans tenir compte des ( conditions d'ordre subjec- tif (p. 341) dans lesquelles elles sont conduites. << Un premier conflit de l'interet particulier et de l'interet social... resulte de ce fait que l'individu est perissable, tandis que la societe peut 6tre regardee comme imperissable ? (p. 347). Si cette remarque est exacte en ce qui concerne la capitalisation, combien ne l'est-elle pas davantage lorsqu'il s'agit de l'avenir de la population ? C'est la part imperissable du groupe social sur laquelle il importe de veiller. II peut etre de l'interet bien entendu des individus, ne considerant que leur seul avantage immediat, de limiter leur descendance, il est vital pour la soci6te d'assurer au moins son renouvelle- ment, sinon sa croissance..

La reflexion et l'action demographiques ne sauraient etre s6parees pour Landry de l'exigence d'une moralite superieure. II s'en est explique et a consacr6e la morale un troisieme ouvrage, Principes de morale rationnelle (4), < sorti de meditations laborieuses et perseverantes >. < Le probleme moral, ecrit-il, m'a obsede depuis mon initiation a la philosophie. I1 est le probleme auquel toute recherche philosophique doit aboutir, sous peine de demeurer incomplete >> (p. V).

Au point de vue moral, comme dans le domaine institutionnel, se retrouve l'opposition entre < utilite individuelle > et < utilit6 generale ?, autour de laquelle s'articule l'analyse de Landry. La raison est le guide souverain de la conduite. Elle fixe a l'individu comme fins parfaitement legitimes, avec la maitrise de soi, la recherche des satisfactions et du bonheur personnels. Mais l'individu n'est pas seul; il faut prendre en consideration les rapports qu'il entretient avec les autres, et qui doivent etre organises de maniere a sauvegarder sa liberte, mais en meme temps a assurer sa protection. Le principe de l'utilite generale doit etre substitue a celui de l'utilite individuelle, transposition sur le plan moral des resultats de l'analyse economique. Encore, dans le calcul de l'utilit6 generale, < il faut conside- rer non seulement le present et l'avenir prochain, mais l'avenir eloigne.. La vie d'un individu est courte, ... la destinee de l'espece humaine, au contraire... peut etre regardee comme indefinie... L'incertitude des previsions empechera de sacrifier trop le present, I'avenir prochain aux perspectives lointaines. 11 n'empeche que nous devons avoir l'oeil fixe sur celles-ci, que la question du progres de la race, de sa marche vers un etat plus heureux... doit etre pour le moins une des preoccupa- tions principales de l'homme de bien > (p. 184).

(3) L'interet du capital. Paris, Giard et Briere, (4) Paris, Alcan, 1906, 278 p. 1904, 368 p.

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Revue francaise de sociologie

Hedonisme et utilitarisme, pour employer le langage de l'ecole, conduisent a << proclamer comme principe moral supreme le principe de l'utilit6 gen6rale > (p. 186). Cette morale ne conduit pas dans des voies de facilite. L'individu, preoccupe legitimement de sa propre situation et de son 6panouissement, n'est pas toujours a m6me de discerner ou se trouve et en quoi consiste l'utilite g6nerale. 11 appartient a la politique de la definir et de mettre en oeuvre les moyens de realiser ce qu'elle commande, fiut-ce par la contrainte. < La politique - la politique rationnelle - travaille au bien g6enral en usant de la contrainte: son domaine sera constitu6 par toutes ces matieres dans lesquelles il y a lieu d'employer la contrainte pour servir les interets gen6raux des hommes > (p. 261). I1 va sans dire que la seule contrainte dont il est ici question est celle de la loi.

Ce resume tres sommaire des conceptions economiques et de la doctrine morale de Landry, forgees dans sa jeunesse et qui ne peuvent etre separees, suffisent a indiquer ce qui fut tout au long de sa carriere le ressort m6me de sa pensee et de son action. La preoccupation primordiale de l'interet g6enral, du bien collectif, le regard toujours fixe sur les perspectives lointaines, placaient en quelque sorte par necessite la question de la population au premier rang de ses recherches et de son effort. Pour que cette morale, qui ne confond en aucune maniere hedonisme et egoisme, ne restat pas lettre morte et comme suspendue dans le vide, il fallait l'appliquer au reel. L'action politique n'6tait pas pour lui la recherche du pouvoir pour le pouvoir, mais le moyen naturel pour oeuvrer en faveur de la collectivite, dans le moment present, en vue d'assurer son avenir.

Les trois rggimes d6mographiques

La Revolution demographique comporte deux parties. La deuxieme reproduit quatre articles parus dans la revue Scientia, en 1909, puis entre 1924 et 1933, constituant comme autant d'etapes dans la reflexion de Landry depuis le premier ouvrage sur la propriete individuelle (5).

Le plus ancien, de 1909, << Les trois theories principales de la population >, montre a quel point la familiarite avec les oeuvres des economistes, et l'observation aigue du passe et du present, ont revele tres vite a Landry la portee considerable d'un changement in6dit dans l'histoire humaine, survenu a l'6poque moderne dans les pays occidentaux: I'apparition d'un regime demographique nouveau.

Dans le regime ancien, ou encore primitif, sous lequel l'humanit6 a vecu jusqu'a une periode tres recente, une liaison rigoureuse, pour l'espece humaine comme pour les especes animales, s'etablit entre le nombre des individus et la quantit6 des subsistances. Si la nourriture vient a manquer, la mort se charge de

(5) Un article important de 1909, (< Les idees Quesnay et la physiocratie. T. I: Preface, etudes, de Quesnay sur la population >, (Revue d'histoire biographie, bibliographie. Paris, INED, 1958, des doctrines economiques et sociale) n'a pas ete pp. 11-50. repris par Landry. II a et reedit6 dans Francois

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A lain Girard

ramener le peuplement a un point d'equilibre. C'est tres schematiquement le postulat sur lequel se fonde la theorie de Malthus, exprime plus brutalement encore par un de ses pr6curseurs, Townsend.

Cette relation etroite a ete rompue. La production de produits alimentaires et de biens de toute nature a connu une progression extraordinaire. En outre, les chances de survie individuelle n'etant plus strictement limitees, plus n'est besoin de mettre au monde autant d'enfants pour assurer la perpetuation du groupe. La natalite echappe aux seuls imperatifs vitaux pour 6tre soumise a des facteurs psychologiques. Les couples fixent eux-memes la dimension de leur progeniture en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations personnelles, pour eux-memes et pour leurs enfants. Tel est le regime contemporain.

Ces deux regimes sont si radicalement differents que les hommes n'ont pas pu passer de l'un a l'autre sans transition. II a fallu une phase intermediaire, pendant laquelle subsiste quelque chose du regime initial, tandis que le nouveau se met en place. Production et consommation, loin d'6tre des donnees immuables, sont sous la dependance d'un facteur commun de caractere social, et qui retentit sur toute l'economie, l'orientation de la demande. Certes, ?< les hommes se multiplient comme des souris dans une grange, s'ils ont les moyens de subsister sans limitation )?, mais << pour connaitre le rapport de la population aux subsistances, il faut prendre en consideration les facons de vivre des peuples >>, aussi bien les gouts des proprietaires ou de la classe riche, que de la partie la plus nombreuse de la population. C'est la theorie de Cantillon, et Landry s'etonne qu'elle n'ait pas davantage retenu l'attention. En tout cas, pendant la periode intermediaire, l'adaptation de la population aux subsistances s'effectue non pas encore par la limitation des naissances dans la famille, mais par les tendances de la nuptialite, les couples ne se formant qu'avec l'assentiment du groupe et l'assurance qu'ils pourront elever leur descendance comme ils le souhaitent.

Quoi qu'il en soit de ce passage du regime demographique ancien au nouveau, du moment ou il se produit et de sa dur6e variable selon les pays, l'opposition entre eux est si fondamentale qu'elle constitue une veritable revolution. Les consequen- ces de cette revolution peuvent 6tre d'une extreme gravite, si elle debouche a terme sur une diminution de la population. << Il y a la un de ces sujets de meditation dont il est difficile de se detacher, quand on y a arr6te une fois son attention >. Landry n'en detachera pas son attention, et ces derniers mots de l'article de 1909 justifient l'action politique comme ils annoncent l'ecrit de 1934.

Le mouvement naturel de la population

Un phenomene d'une telle ampleur requiert des etudes approfondies. Il ne suffit pas de l'6noncer, il faut tenter de le comprendre. Force est de connaitre le mecanisme presidant au renouvellement de la population, de perfectionner les moyens d'investigation, d'ameliorer les methodes.

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Revue francaise de sociologie

Suivant de pres les discussions des economistes vers les annees 30, Landry insiste sur le r6le essentiel joue par les deux idees du maximum et de l'optimum de population. Sa reflexion anterieure le portait naturellement de ce c6te. Il fait abstraction des visees nationales, frequentes a ce moment ou plusieurs pays en mal d'expansion identifient la puissance et le nombre des hommes, et exaltent la fecondite. Independamment de considerations de cette nature, on s'en est tenu trop longtemps a envisager le probleme d'une maniere pour ainsi dire statique. Or, << le maximum de la population n'est pas un point fixe ?, mais peut varier dans des proportions considerables, selon le volume de la production que permet l'etat des techniques. II n'y a pas lieu de rechercher la population pour la population, mais de tendre a un equilibre entre richesse et population, qui garantisse a tous les hommes dans un territoire donne < la plus grande somme de bonheur ?, selon l'expression de Sismondi, ou en un langage qui convient mieux, le plus de < bien-etre >). En cela consiste l'optimum de population, difficile a chiffrer, mais qui n'est pas non plus un point fixe. Dans bien des domaines, les progres de la technique augmentent le nombre des emplois, et, par suite, tendent a accroitre la population. Cependant, tous les progres de la technique ne favorisent pas l'accrois- sement de la population. L'optimum, par sa nature meme, varie au cours du temps. De telles considerations ouvrent la voie a des recherches futures et a des discussions qui sont encore en cours.

Une science progresse par les progres de ses methodes. Non statisticien lui-meme, Landry se tient tres au courant des travaux des specialistes, et en discerne la portee. Sa pensee integre les resultats de leurs recherches. C'est dans cette optique qu'il convient de relire aujourd'hui l'article de 1933, < Methodes nouvelles pour etudier le mouvement de la population >.

Ces methodes sont trop connues pour qu'il soit utile d'insister. Outre celle de la (< population-type >, il s'agit essentiellement des notions de duree moyenne de vie, de reproduction, reproduction brute et reproduction nette, de population stable. On pourrait s'etonner qu'il ait fallu attendre les travaux < particulierement remarquables )? de Lotka et de Kuczynski pour s'aviser que la seule consideration des taux bruts de mortalite et de natalite < ne permettaient pas d'apprecier justement les situations demographiques, ni de faire de justes comparaisons entre ces situations >. Les methodes (( nouvelles > en tout cas reposent sur les donnees fondamentales de repartition par ages de la mortalite et de la fecondite, que les premiers recensements ne precisaient pas, et qui permettent seules de mesurer l'aptitude au renouvellement, le dynamisme des populations, ou leur degre de vieillissement.

La periode de 1'entre-deux guerres apparait comme un moment privilegie dans l'histoire de la demographie. Elle est aussi l'6poque ofu furent calculees, pour la premiere fois avec quelque rigueur, des perspectives de population (6). Longtemps contestees, eu egard a leur caractere hypothetique, elles n'en ont pas moins acquis droit universel de cite, et Landry en con9oit la signification et toute l'importance,

(6) Voir GLASS (D.V.). - Population Poll- Estimates of Future Populations or Discussions of cies and Movements in Europe. London, 1940 such Estimates, pp. 468-472). (Selected List of Articles and Books containing

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Alain Girard

comme signal pour guider la politique. ( Ce qu'il faut voir, note-t-il, c'est que la methode nouvelle ecarte du present l'adventice, constitue par ce qui resulte des contingences du passe, pour d6gager le fondamental. N'est-on pas, en effet, en droit de penser que le present est moins bien exprim6 par la realit6 qu'il montre que par les virtualites qu'il contient ? >>

Les recherches patientes de demographes de plus en plus nombreux et qualifies ont certes affine l'analyse et demultiplie les moyens d'investigation. L'informatique permet de prendre en compte une multitude de variables et de realiser des calculs impensables autrement, mais les principes de base ont 6et poses et les notions essentielles decouvertes et pr6cisees pendant la periode de l'entre-deux guerres. En tout etat de cause, l'examen de la situation presente, resultat de l'evolution passee, l'observation des tendances de la mortalite et de la fecondite, et les projections pour l'avenir issues des << methodes nouvelles >> ont fourni a Landry les donnees positives qui forment le substrat de l'essai sur la revolution demographique.

,< La rationalisation de la vie ,

La premiere partie, qui porte seule le titre general du livre, s'ouvre sur une description de l'evolution du regime demographique depuis deux siecles. Notre connaissance actuelle, appuyee sur des recherches recentes d'historiens et de demographes conjuguant leurs efforts, est d6ej la tout entiere. II n'y a pratiquement rien a changer au tableau pr6sente pour la France et pour les autres pays : baisse de la mortalite, suivie d'une baisse encore plus accusee de la natalite; caractere general du declin de la natalite, partout en Europe; rapidite et acceleration de la baisse la ou elle est plus r6cente.

La disparition des mortalites extraordinaires, les << magnifiques progres qu'ont realises la m6decine et l'hygiene >>, << un accroissement du bien-etre veritablement enorme >>, parallele a l'accroissement de la population, expliquent suffisamment la baisse de la mortalite. La misere a disparu, << m6me dans les pays qui comptent des millions de chomeurs >>. Des in6galites subsistent, l'une d'entre elles particuliere- ment choquante, < I'inegalit6 devant la mort >>, denoncee notamment par Hersch, qui, lui aussi, appartient au courant de pensee socialiste (7). Landry voit bien que ces inegalites ont ete creusees au XIX e siecle, parce que les progres realises ont profite d'abord aux << gens riches ou aises >. Depuis, dit-il, < fl'ecart a du sensible- ment diminuer >>. Sans doute, << il ne pourra jamais 6tre supprime totalement >>, mais << le nivellement de la mortalite entre les classes sociales pourra aller assez loin >>. La situation d'aujourd'hui semble bien confirmer cette vue des choses.

(7) HERSCH (L.). - L'inegalite devant la 109 p. Dans cette deuxieme etude, Hersch mort, d'apres les statistiques de la ville de Paris. constate un recul de 1'in6galite devant la mort, la Effets de la situation sociale sur la mortalite. mortalite ayant baisse plus vite dans les quartiers Paris, 1920, 54 p. (extrait de la Revue d'economie pauvres que dans les quartiers riches. < Je me politique, 1920, n? 3 et 4); et Pauvrete et mortalite trompe peut-etre, ecrit-il; mais a moi, un tel fait selon les principales causes de deces d'apres les m'annonce I'avenement d'une ere nouvelle >. statistiques de la ville de Paris. Roma, 1932,

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< L'explication de la baisse de la natalite est plus difficile a donner que celle de la baisse de la mortalite >. Bien des auteurs se sont exerces sur ce sujet (8), chacun apportant une nuance, ou un aperqu conforme a sa tournure d'esprit, mais aucun, en definitive, n'ajoute rien d'essentiel a l'analyse de Landry.

Diverses explications ne resistent pas a un examen serieux, par exemple, le deperissement biologique du corps social comme de tout organisme vivant ou encore la baisse de la mortalite infantile entrainent par reaction le sentiment que point n'est besoin de mettre au monde autant d'enfants. Cette baisse, en effet, n'est intervenue qu'apres celle de la natalite. II faut chercher ailleurs. Le fait inconte- stable est < la restriction volontaire des naissances >. II fallait, pour qu'apparaisse une telle volonte, un veritable renversement des perspectives, < une conception nouvelle de la vie > ayant < pour consequence d'engager les hommes a restreindre leur progeniture >. La limitation des naissances, a l'echelle collective, est apparue d'abord en France, a l'epoque ou un vaste mouvement affranchissant les esprits d'une soumission seculaire tendait a << reformer la societe, a la reconstruire d'apres des vues rationnelles >. Applique d'abord a la politique, et etendu a ce qui concerne l'individu et la famille, < le principe fondamental est celui, si l'on peut ainsi parler, de la rationalisation de la vie >.

Les autres causes, evoquees depuis, transformation des techniques, changement des conditions de vie, generalisation de l'instruction, urbanisation, etc. constituent un faisceau complexe d'el6ments concomitants, qui tous peuvent 6tre rapportes a ce < principe fondamental >>. Le calcul ou la raison se substitue a l'instinct. < On veut donc regler la reproduction; et la regler, ce ne peut etre, logiquement, que la limiter >. L'auteur de Principes de morale rationnelle ne saurait trouver la limitation des naissances reprehensible ou condamnable en soi. D'ailleurs elle est << motivee souvent par des preoccupations qui n'ont rien d'immoral > et presentent meme un caractere altruiste, comme le souci de bien eduquer les enfants, et de leur permettre, par l'action d'un phenomene que l'on a appele la << capillarite sociale >>, d'obtenir une situation meilleure, et de s'elever dans la hierarchie sociale. Mais des sentiments egoistes, divers et multiples, agissant simultanement, paraissent comp- ter de plus en plus. Si legitimes que puissent etre certaines ambitions, elles dissimulent un danger. Peu d'enfants suffisent a satisfaire les besoins affectifs, et l'individu, songeant a soi seulement, risque de mettre en peril l'avenir de la collectivite, plus gravement encore que ne le faisaient les calamites d'autrefois. Une action s'impose pour conjurer ce danger vraiment mortel.

(8) Consulter notamment Causes et conse- ques, n? 17) 1re partie, chap. III, < Histoire des quences de l'evolution demographique. Nations theories demographiques >, pp. 22-50 et idem, Unies, New-York, 1953 (Etudes demographi- 1978, vol. 1, chap. III, pp. 37-68.

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Revolution... Transition dkmograph'ique

Apres un renversement aussi radical de mentalit6, l'homme d'hier se reconnai- trait-il dans l'homme d'aujourd'hui ? Entre l'un et l'autre, il y aurait un hiatus, ou un veritable changement de nature, si le passage s'6tait effectu6 de mani6re soudaine, sans le secours du temps. Landry reprend son schema des trois r6girnes, pour montrer ce qu'il appelle r6volution. < Tout changement de r6gime, dans le domaine d6mographique comme ailleurs, peut &tre regard6 comme constituant une revolution >).

L'id6e 6tait dans l'air, dira-t-on, et c'est en 1929 que l'amnericain W.S. Thompson etablit une classification des populations en trois types d'apr6s les niveaux et les tendances de la mortalite et de la natalit6 (9). Quelques annees plus tard, son compatriote F.W. Notestein consacre cette ide des trois types successifs de population en elaborant la theorie de la transition d6mographique (10). Bien des nuances seront apport6es A cette th6orie, certains iront jusqu'& la revoir a la lumiere de recherches localisees (11). MWme si l'on peut noter des diff6rences dans telle region a tel moment, sa generalit6 n'en est pas momns evidente. S'appuyant sur elle dans un livre qui a connu un tres large echo, un sociologue a defini pour chacun des r6gimes successifs un o caractere social >), c'est-a-dire un ensemble de valeurs interioris6es, inspirant les conduites des individus (12). MWme si cette construction parait arbitraire, d'autres crit6res pouvant aussi bien la justifier, le regime demographique n'en est pas momns par son trefonds charnel une des composantes les plus importantes des phenome~nes sociaux.

Il ne s'agit pas de soulever une querelle d'ant6riorite ou d'entreprendre une recherche en paternit6& Les decouvertes scientifiques ne sortent jamais tout arm6es du cerveau d'un seul homme. L'int6r6t des discussions, suscitees par la th6orie de la transition demographique, n'est en rien diminue si l'on admet que 1'essentiel en est dejdt formul6 dans le court essai de Landry, et si l'on estime en cons6quence qu'il est bon de le connaitre. Le terme de transition a acquis force de loi par l'usage: il est loisible cependant d'accorder une valeur particuliere a celui de revolution. Du regime ancien au regime nouveau, on est passe d'un monde a un autre. Certes, la chose ne fut pas soudaine, et il y eut precisement un regimne intermediaire, ou de transition. Mais, note Landry avec p6n6tration, une diff6rence radicale oppose le regimne contemporain aux deux autres :autrefois, ? on tendait vers une 6galisation de la morta1it6 et de la natalit6, vers un 6tat de la population destine & demeurer par la suite stationnaire. On ne voit plus rien de tel aujourd'hui ~.L'entr6e en sc6ne

(9) THOMPSON (W.S.). - (( Population)). pp. 36-57. American Journal of Sociology, XXXIV, may (1 1) COALE (AlJ.). -The demographic 1929, pp. 959-975; et Population Problems, New Transition. Congres international de la Popula- York. 1930. f st ed. tion, Li6ge. 1973. UIESP, 1974, vol. I., pp. 53-72.

(10) NOTESTEIN (F.W.). - oPopulation. (12) RIESMAN (D.). - La.foule solitaire. The Long View)). in SCHULTZ (Th.W.). - Food Anatomie de la socieie moderne. Paris, Arthaud, fior the World, University of Chicago Press, 1945, 1964.

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de facteurs psychologiques, et leur emprise sur les forces instinctives, peuvent provoquer des aleas, si bien que < le regime nouveau se definit comme un regime non d'equilibre, mais de mouvement >>.

Anticipant l'avenir a partir du present, la revolution demographique apparait << proprement formidable >, et les perspectives tres sombres. Si le taux net de reproduction reste inf6rieur a l'unit6, et s'il s'affaiblit encore comme on peut le craindre d'apres l'exemple des grandes agglomerations, il y a lieu de s'attendre, en France et en Europe, sauf forte immigration, non plus a une depopulation virtuelle, mais bien a une depopulation effective. Les perspectives etablies a la demande de la Societe des Nations concluaient dans le meme sens (13). II y a eu reprise apres la deuxieme guerre, mais on revient aujourd'hui a la situation precedente. Le regime nouveau est bien un regime de mouvement.

Ce que Landry n'a pas vu, et qui d'ailleurs n'aurait fait qu'aggraver ses alarmes, c'est l'etonnante croissance de la population des pays du Tiers Monde. Mais personne ne l'a vu a son epoque, pourtant si proche de nous, parce que personne n'imaginait alors avec quelle rapidite allait se propager la baisse de la mortalite. Combien faudra-t-il de temps pour que s'accomplissent dans ces pays les phases ulterieures de la revolution demographique, si elle doit y suivre le meme proces- sus ? Telle est la question, qui, aujourd'hui, domine les autres. Au moment ou ecrit Landry, la perspective est encore celle du XIX e siecle, ou les peuples d'Europe etendaient leur empire sur le monde, et y introduisaient leurs techniques. La civilisation qu'ils avaient construite n'etait-elle pas menacee par le meme mal qui provoqua la ruine de la Grece et de Rome, le manque d'hommes ?

Progr6s et d&cadence

Le livre aurait pu s'arreter sur cette question, mais Landry y ajoute des reflexions de philosphie morale inspirees par l'histoire, pour mieux saisir l'enchai- nement des faits et des causes, et montrer la pente fatale ou conduit la depopula- tion, car < la depopulation est une decadence ?.

Au temoignage des anciens, comme d'apres les reconstitutions des historiens, la Grece et Rome ont vu leur civilisation s'ecrouler, parce qu'a l'essor demograp- hique qui avait fait leur grandeur a succed6 une longue periode de flechissement des naissances et de d6peuplement. L'oliganthropie n'a pas ete le fruit du hasard, mais << la consequence d'un systeme de vie >, fonde dans les deux cas sur un meme etat d'esprit. Ce systeme de vie se retrouve dans le monde contemporain, et pourrait bien 6tre un signe precurseur de declin.

Le paradoxe apparent, mais aussi la grande difficulte, c'est que ses racines sont ancrees dans le succes des efforts ant6rieurs, et qu'il en est en quelque sorte une

(13) NOTESTEIN(F.) et al. - La population spectives demographiques 1940-1970. Geneve, future de l'Europe et de l'Union sovietique. Per- SDN, 1944.

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resultante. Le perfectionnement des techniques, l'accroissement de la production, et, couronnant le tout, l'intervention de l'Etat qui assure a tous minimum vital et protection sociale, dirait-on en langage du jour, en un mot 1'essor remarquable de la civilisation, delivre chacun de l'inquietude d'un lendemain qui a cessi d'etre redoutable, et l'incite a profiter de la situation qui lui est faite. Le bien-etre et la securite amollissent les energies. << L'individualisme se generalise et s'oriente vers les satisfactions materielles >. Les croyances anciennes, ou simplement les coutu- mes, les disciplines etablies s'affaiblissent et meme disparaissent. La caract6ristique fondamentale est < I'absence d'une foi, et meme d'une ame collective >.

II y a , ou il y a eu, dans le monde moderne un element qui le distingue de l'Antiquit6, la croyance en un progres indefini, sur laquelle Landry avait deja insist6 dans l'article sur l'idee de progres. L'accroissement des connaissances et l'extension des applications pratiques se pr6sentent aux yeux des hommes depuis le xvIIIe siecle comme devant se prolonger sans fin, et modifier les conditions d'existence et l'organisation politique et sociale dans le sens d'une amelioration continue, entrainant plus de justice et d'egalite. Les decouvertes de tous ordres ont ete vraiment < prodigieuses > et ne pouvaient que fortifier la foi dans la science et dans le progres. L'augmentation du nombre des hommes a ete de pair avec celle de la richesse, au point que certains ont vu dans la croissance de la population le ressort meme du progres. On se souvient de la these de Durkheim sur la division du travail. Dupreel, a qui Landry fait allusion, pousse l'idee a l'extreme. < L'augmentation du nombre des hommes, 6crit-il, est une des causes principales du developpement social, de la civilisation et du progres; elle en est meme la cause universelle et primitive >. Cette affirmation est de 1914, et Dupreel ne la publie que plus tard, temperee par un texte de 1925. Ce n'est pas la multiplication elle-meme des hommes qui provoque le progres, mais le fait qu'elle impose ce qu'il appelle un < desordre de croissance >, c'est-a-dire un effort d'accommodation, une tension des energies et une progression necessaire (14).

Entre ces deux moments avait eu lieu la premiere guerre qualifiee de mondiale, marquant profondement les hommes qui ont traverse l'ipreuve. Malgre l'elan ne de la force du sentiment patriotique, elle incitait au pessimisme, mettant en cause la confiance dans le progres. Depuis, une autre guerre mondiale est intervenue, et une croissance economique a un rythme encore jamais connu lui a succede. Les applications de la science, de la conquete de l'espace, par exemple, a la quasi- disparition de la mortalite infantile, ont ete encore plus <( prodigieuses >. Mais la fecondite atteint maintenant dans les pays occidentaux des niveaux inferieurs a ceux de l'entre-deux guerres, la diminution de la population est deja effective dans plusieurs pays. Les avertissements contenus dans La Revolution demographique ne retentissent-ils pas avec une singuliere actualite ?

La science est donc capable de maitriser, et d'amenager la nature. Mais, dit Landry, << s'il s'agit d'organiser la societe, il faudra tenir compte de ce que sont les hommes >. < Aux avantages qui accompagnent la vie, il ne faut pas sacrifier

(14) DUPREEL(Eugene). - Deuxessaissur Population et progres (1914). Bruxelles, M. La- le progres. I. La valeur du progres (1925). 11. mertin, 1928, 272 p.

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celle-ci >. C'est donc << devant un probleme moral que nous sommes places >. En meme temps qu'il est bon d'apporter une aide a ceux qui acceptent la charge d'elever des enfants, c'est sur les causes psychologiques et morales qu'il convient d'agir. D'une maniere tres g6enrale, c'est le sens de l'effort qu'il faut maintenir en faisant appel, s'il le faut, au mobile de l'interet personnel.

N'y a-t-il pas au moment present quelque profit a tirer d'une lecture de Landry, I'auteur de L'utilite sociale de la propriete individuelle, et qui fit tant pour promouvoir des lois sur les assurances sociales et les allocations familiales ?

Ayant rappele a quel point dans un pays comme la France, les programmes << dits avances > ben6ficient d'un prejuge favorable, il ajoute dans L 'idee de progres (p. 200): << I1 est d'une excellente intention de vouloir ameliorer les conditions de vie du travailleur; mais si l'on abrege trop la duree de la journee de travail, par exemple, ou si encore, en voulant introduire une organisation sociale qui ne fasse pas une part suffisante au mobile de l'interet personnel, on aboutit a reduire la production, ne risque-t-on pas de causer un dommage superieur au bien realise ? >

II faut revenir a La Revolution demographique, a sa conclusion. Evoquant une derniere fois la decadence d'Athenes et de Rome, et la menace qui pese sur le monde moderne, si << la perpetuation de l'espece > n'est plus assuree, Landry en voit le principe unique dans l'emancipation qui a d6barrasse les hommes des << lisieres anciennes >, < fondees sur la religion, ou simplement sur la tradition, la coutume >. C'est fort bien peut-etre. Mais aucun principe n'etant venu remplacer les croyances ou les coutumes d'hier, les hommes se trouvent en presence d'une sorte de vide que ni la raison ni la science ne sont a meme de combler. Le probleme << consiste a trouver un principe qui soit, dans le domaine moral, vraiment actif, et qui le soit par rapport a la masse des hommes. C'est, en somme, d'une foi nouvelle que l'on a besoin >.

II n'y a pas grand risque d'etre contredit, si l'on avance que cette foi nouvelle, un demi-siecle plus tard, n'a pas encore ete trouvee.

Sociologie et dEmographie

La periode de l'entre-deux guerres, avons-nous dit, a pose quelques principes et regles de methode qui ont permis l'essor actuel de la demographie. Cette discipline scientifique doit alors beaucoup en France a l'effort d'hommes qui n'etaient pas des specialistes, mais avaient requ une formation humaniste et philosophique. L'orientation prise par les travaux de Landry se retrouve en effet chez d'autres. II n'y a aucun artifice a rapprocher son nom, comme nous l'avons fait ailleurs (15), de celui de Maurice Halbwachs, son cadet de trois ans, egalement normalien et agr6eg de philosophie, et qui partage avec lui plus d'un trait commun.

(15) Voir notre presentation de la reedition de Paris, Colin, 1970. Maurice HALBWACHS. Morphologie sociale.

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Alain Girard

Nous avons rappele la carriere politique et l'activite scientifique de Landry. Dans l'oeuvre de Halbwachs, maints articles temoignent d'un interet constant pour les problemes de population. Ils portent par exemple sur la population des villes comme Paris, Istanbul ou Berlin, sur les facteurs biologiques de la population, sur le rapport des sexes a la naissance ou le peuplement de la terre et des continents. I1 y a davantage. De meme que Landry presente, apres des decennies de reflexion et d'action, la << synthese puissante > (16) de La Rdvolution demographique, de meme Halbwachs, au soir de sa vie, resume sa pensee dans un petit livre qui, lui aussi, conserve tout son prix, Morphologie sociale (1938).

Un groupe humain, famille, profession, religion, nation, se definit d'abord par la forme et le volume qu'il occupe dans l'espace, par sa morphologie. I1 dure, se renouvelle, croit ou deperit. Au sens strict, la morphologie sociale se confond avec la science de la population. Les relations qui s'etablissent entre les hommes, l'organisation de la societe dependent dans une large mesure de ce substrat materiel qui n'est pas fixe une fois pour toutes. Les faits de population s'expliquent d'abord par des faits de population, par tout ce qui tient en particulier a la structure par ages. Mais ce n'est pas suffisant. La morphologie agit sur les dispositions des hommes, qui determinent a leur tour le degre de dynamisme du groupe. < Tout se passe comme si la societe prenait conscience de son corps >. En en prenant ainsi conscience, elle acquiert son identite et assure son developpement. Des facteurs psychologiques sont donc aussi a l'origine des mouvements de la population.

Autre caractere commun. Un volume de l'Encyclopedie francaise, I'Espece humaine, paru en 1936, comporte une troisieme partie, << Le point de vue du nombre >>, due a Halbwachs avec le concours de statisticiens, tout particulierement de M. Alfred Sauvy. Ses 112 pages in folio, imprimees sur deux colonnes, constituent un ouvrage complet de demographie, symetrique en quelque sorte du Traite de demographie de Landry de 1945, auquel, est-il dit, Halbwachs avait d'ailleurs fourni << d'utiles contributions >>. La science ni les ev6nements ne se sont arretes, mais les etudiants et chercheurs d'aujourd'hui auraient interet a puiser dans ces deux ouvrages, en m6me temps que des references, des modeles de methode et de rigueur.

Enfin, Halbwachs et Landry ont etendu leur information et ont demande leur concours a des specialistes. L'un d'entre eux a collabore aux deux ouvrages, M. Alfred Sauvy.

<< La demographie n'est autre chose qu'une branche de la sociologie >>, a ecrit Landry (17). A un homme qui ne se disait pas sociologue, et qui a tant fait pour la demographie, et pour la population de son pays, on ne saurait imputer aucune intention imperialiste. D'ailleurs, dans de nombreuses universites etrangeres, les demographes les plus reputes occupent des chaires de sociologie.

(16) Le mot est de A. SAUVY, op. cit. op. cit., chap. XXI. < Demographie et sociologie, (17) LANDRY (A.). - < La statistique en la these de Durkheim, la sociologie formelle de demographie . 7e semaine internationale de Tonnies o. synthese. Paris, 1944. Cite par J. VIALATOUX,

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Revue francaise de sociologie

Dans l'avant-propos de La Revolution demographique, l'auteur remercie nommement deux personnes pour l'aide qu'elles lui ont apportee, un historien de l'Antiquite, et M. Sauvy. Lorsqu'il fonda l'Institut national d'etudes demographi- ques, l'annee m6me ou paraissait le Traite de Landry, M. Sauvy eut le projet de ne jamais isoler la demographie de toutes les disciplines auxquelles elle est apparentee. II n'a jamais considere non plus qu'une cloison etanche devait separer la recherche fondamentale, comme l'on dit, ou la science pure, des applications qui peuvent en etre faites, au service precisement des populations etudi6es. Le commerce qu'il a entretenu avec les savants qui l'ont precede n'a pu que l'engager et le confirmer dans cette voie, contribuant par la-m6me a assurer l'originalit6 et la continuite de l'6cole fran<aise.

Situe a un moment precis du temps, le livre d'Adolphe Landry, La Revolution demographique, demeure vivant, parce qu'il est une oeuvre de science, mais aussi de reflexion sociologique et de philosophie morale. La marche du temps n'a pas contredit les idees qu'il expose, mais semble bien plut6t les confirmer.

Alain GIRARD Institut national

d'etudes demographiques, Paris

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