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2002 L’ANNÉE de BILAN Résoudre LES CRISES QUI S’ENLISENT V O L U M E 4 N U M É R O 1 2 9 2 0 0 2

’ENLISENT QUI VOLUME 4 • NUMÉRO 129 • 2002 · bilan de 2002,année durant laquelle le HCR a commencé à s’imposer comme faisant partie intégrante de la solution au problème

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2002L’ANNÉEdeBILAN

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2 R É F U G I É S

L’’Angola a tout pour être prospère : du pétro-

le et des minéraux, des terres fertiles en

abondance. Mais plus d’un quart de siècle de

conflit ont dévasté et ruiné le pays. Des centaines de

milliers d’Angolais ont perdu la vie, des centaines de

milliers d’autres ont été mutilés par les mines et

quatre millions de civils ont été déracinés.

Au début, le conflit

angolais, au cœur des

intrigues des grandes

puissances, a impliqué

les Etats-Unis, l’Union

soviétique, l’Europe,

l’Afrique du Sud et

même Cuba. Mais à la

fin de la guerre froide,

l’Angola ayant perdu

son importance straté-

gique, les diplomates

et les médias ont plié

bagages, laissant der-

rière eux un peuple

traumatisé, pris au

piège de ce que l’on

appelle “une crise

humanitaire prolongée”.

En effet, de telles crises peuvent persister des

années, voire des décennies durant, et semblent

sans dénouement possible.

C’est en quelque sorte un cercle vicieux : parce

que ces crises durent depuis si longtemps, les dona-

teurs sont lassés, le reste du monde ne veut plus en

entendre parler et les efforts déployés pour s’atta-

quer à leurs causes profondes s’amenuisent. Elles

deviennent donc de plus en plus difficiles à

résoudre et s’éternisent.

Des situations d’urgence comme les Balkans, le

Rwanda et le Timor ont fait la une des médias pen-

dant des années. Il est donc peu surprenant de

constater qu’elles ont éclipsé le drame des deux

tiers des réfugiés sous la protection du HCR, pris

au piège dans des crises presque oubliées, pour les-

quelles les fonds manquent cruellement et qui

frappent pourtant une vingtaine de pays en

Afrique, en Asie centrale et dans l’océan Indien.

Mais à présent, une plus grande attention est

accordée à l’identification de ces conflits et à la

recherche de solutions permettant d’y mettre

terme afin que les populations qui en sont victimes

puissent retourner chez elles.

Comme le montrent les deux principaux articles

de ce numéro, il y a aussi de bonnes nouvelles. Les

armes se sont enfin tues en Angola et ses habitants

commencent à regagner leurs foyers. Il en est de

même au Sri Lanka où déjà près d’un million de

déracinés ont commencé à reconstruire leur vie.

Mais c’est en Afghanistan que le revirement de

l’histoire a été le plus spectaculaire en 2002 : plus

de 2 millions de personnes contraintes à l’exil se

sont empressées de retourner dans leurs villes ou

villages d’origine au lendemain de la chute des

taliban et de la mise en place d’un nouveau gou-

vernement.

L’année qui vient de s’écouler a aussi été mar-

quée par des événements moins encourageants, en

particulier en Afrique, ainsi que par les retombées

des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

A l’aube de cette nouvelle année, nombreux sont les

Afghans, Sri-Lankais et Angolais prêts à donner

toutes ses chances à la paix. On peut alors espérer

que l’heureuse issue de ces conflits qui n’en finis-

saient plus de durer servira d’exemple et que cer-

taines régions du monde sortiront enfin de l’oubli

dans lequel elles ont sombré.

Une lueur d’espoir

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Après des années de guerre, la paix apeut-être enfin une chance en Angola.

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3R É F U G I É S

2 É D I T O R I A L

Quand les crises et la souffrance s’éternisent.

42002 a été une année particulièrement contrastée : au terme d’un long et douloureux exil, des milliers d’Afghans ont pu prendre le chemin du retour. S’il est aussi revenu au Sri Lanka et en Angola, l’espoir n’était toujours pas au rendez-vous dans d’autres régions du monde.

En brefLe premier annuaire de statistiques annuelles du HCR passe en revue la dernière décennie.

16 I N T E R V I E W

Le Haut Commissaire Ruud Lubbers se penche sur l’année écoulée et fait part de sesprojets pour 2003.

20 À L A R E C H E R C H E D E S O L U T I O N S

Environ deux tiers des réfugiés sous la protection du HCR sont pris au piège de crisesqui s’enlisent dans le temps. Aujourd’hui, une plus grande attention est accordée aux solutions qui permettraient leur dénouement.

par Jeff Crisp et Ray Wilkinson

A vue d’œilLes conflits les plus tenaces.

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4 2002 a été un amalgamede bonnes et demauvaises nouvelles.

Plus de deux millionsd’Afghans ont pu prendrele chemin du retour dans lecourant de l’année et descentaines de milliersd’autres feront de mêmeen 2003.

20Une plus grandeattention estaccordée à la

recherche de solutions auxcrises de réfugiés quis’éternisent et qui sombrentdans l’oubli.

16 Le Haut CommissaireRuud Lubbers fait lebilan de 2002, année

durant laquelle le HCR acommencé à s’imposercomme faisant partieintégrante de la solution auproblème des réfugiés.

N ° 1 2 9 - 2 0 0 2

RRééddaacctteeuurr ::Ray Wilkinson

EEddiittiioonn ffrraannççaaiissee ::Mounira Skandrani

OOnntt ccoollllaabboorréé ::Le personnel du HCR dans lemonde

SSeeccrrééttaarriiaatt ddee rrééddaaccttiioonn ::Virginia Zekrya

IIccoonnooggrraapphhiiee ::Suzy Hopper, Anne Kellner

DDeessiiggnn ::Vincent Winter Associés

PPrroodduuccttiioonn ::Françoise Peyroux

DDiissttrriibbuuttiioonn ::John O’Connor, Frédéric Tissot

CCaarrttee ::

Unité de cartographie du HCR

DDooccuummeennttss hhiissttoorriiqquueess ::Archives du HCR

RRééffuuggiiééss est publié par le Service del’information du Haut Commissariatdes Nations Unies pour les réfugiés.Les opinions exprimées par les auteursne sont pas nécessairement partagéespar le HCR. La terminologie et lescartes utilisées n’impliquent en aucunefaçon une quelconque prise de positionou reconnaissance du HCR quant austatut juridique d’un territoire ou de sesautorités.

La rédaction se réserve le droitd’apporter des modifications à tous lesarticles avant publication. Les textes etles photos sans copyright © peuventêtre librement reproduits, à conditiond’en mentionner la source. Lesdemandes justifiées de photos sanscopyright © peuvent être prises enconsidération, exclusivement pourusage professionnel.

Les versions française et anglaisesont imprimées en Italie par AMILCARE PIZZI S.p.A., Milan.Tirage : 224 000 exemplaires enfrançais, anglais, allemand, espagnol,italien, russe, arabe et chinois.

IISSSSNN 11001144--00990055

CCoouuvveerrttuurree :: Retour en Afghanistan.UNHCR/P. BENATAR/CS/PAK•2002

HCRCase postale 25001211 Genève 2, Suissewww.unhcr.org

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A pied, à cheval, entassésdans des autocars, hissés àplusieurs sur des scooters,ils sont revenus. Ils sontarrivés par familles en-

tières, au milieu d’un fatras de valises, d’an-tennes paraboliques, d’énormes poutres res-capées de leur ancienne maison, tout un barda

multicolore perché en équilibre précaire surdes kyrielles de camions chargés comme desgondoles de fête foraine.

Il leur a fallu des jours, voire dessemaines, pour rentrer chez eux. Ceux quisont arrivés par l’ouest ont traversé un vaste

désert de sable balayé par les vents. Lesautres, venus de l’est, ont dû affronter uneinterminable route criblée de trous. Desenfants sont nés dans les centres de halte oùse pressaient certains jours jusqu’à 10 000personnes. Des gens sont morts en tombantaccidentellement d’un camion. Et les chefsde guerre et les bandits n’étaient jamais

bien loin...Et quand ils arrivent enfin chez eux, les

voyageurs découvrent les paysages dan-tesques laissés par 23 années de guerre et lapire sécheresse de mémoire d’homme. “Mescheveux ont blanchi d’un coup quand j’ai

vu ça”, se lamente un paysan au visage buri-né en désignant le village qu’il vient deretrouver après 10 ans d’exil. “Commentest-ce que je peux vivre ici ? Comment vais-je nourrir ma famille ?” Un autre pleure lebon vieux temps : “Mon jardin était si beauqu’il aurait ressuscité les morts. Je vivaiscomme un roi. Mais regardez-le mainte-

nant. Il ne reste rien, riendu tout.”

Mais malgré leshoquets de l’histoire, ledanger, les difficultésmatérielles et les destruc-tions massives, les huma-nitaires constatent, nonsans étonnement, quecette opération gigan-tesque et parfois apparem-ment brouillonne a été enfin de compte plutôt bienorganisée, efficace et“étonnamment réussie”.

Car après tout, sil’Afghanistan reste encoreun pays dangereux etdévasté, ce sont plus dedeux millions de réfugiésqui sont rentrés d’exil en2002 – le double de ce quiétait prévu.

Le plus grand retour

La fin de l’exode af-ghan a bel et bien été leplus grand rapatriementde réfugiés des 30 der-nières années, le premierd’une telle ampleurdepuis que les quelque 10millions de civils chassés

par le drame du Pakistan oriental audébut des années 70 sont rentrés d’Indedans leur nouveau pays, le Bangladesh.Un retour beaucoup plus massif que celuides habitants au Kosovo et dans la régiondes Grands Lacs africains au cours des

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Afghanistan 2002 : retour à la patrie .

Des avancées majeures en Afghanistan, en Angola etau Sri Lanka… mais encore bien des défis à l’horizon.

2002: de bonnes et de mauvaises nouvelles

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années 90.“C’était un pari colossal”, confie

Filippo Grandi, chef des opérations duHCR en Afghanistan à propos desincertitudes de ce début d’année 2002.“Mais le changement est déjà énorme.Il suffit de voir les embouteillages dansles rues de Kaboul. Au-delà de l’utopie,le nouvel Afghanistan commence àdevenir une réalité.”

L’accélération de l’histoire en Asiecentrale après les attentats terroristesdu 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis – intervention militaire enAfghanistan puis déroute du régimetaliban – a incontestablement dominél’actualité. Mais il y a eu bien d’autresévénements marquants – heureux outragiques – au cours d’une année quali-fiée de “contrastée” par le HautCommissaire Ruud Lubbers.

Le nombre de bénéficiaires de l’aidedu HCR a été légèrement inférieur à20 millions de personnes, soit 2 mil-lions de moins que l’année précédente.Cette baisse s’est accentuée en 2002,grâce en grande partie au rapatrie-ment des réfugiés afghans, et devrait, selonRuud Lubbers, se poursuivre en 2003 (voirpage 16). Il y a huit ans à peine, le HCRvenait en aide à plus de 27 millions de per-sonnes dans le monde. Cette évolution glo-bale à la baisse est d’autant plus encoura-geante qu’elle s’est surtout produite dansdes régions particulièrement troublées, oùsévissent ce qu’on appelle dans le jargonofficiel des “crises chroniques”.

Actuellement, le HCR aide et protègeplus de 10 millions de réfugiés (et autantd’autres civils confrontés à des situationslégèrement différentes), dont les deux tierssont pris au piège dans des crises sianciennes et si complexes qu’elles semblentsans issue (voir page 20).

Ruud Lubbers estime qu’au lieu de sefocaliser sur les urgences les plus médiati-sées et de “courir après les événements”, lacommunauté internationale devrait s’occu-per davantage de ces crises tenaces etoubliées. C’est seulement à ce moment-là

que les efforts déployés pour aider tous lesdéracinés du globe porteraient enfin leursfruits.

Le silence des armes

Si l’Afghanistan a longtemps été unesituation de crise qui s’éternise, d’autrespays plongés dans des conflits apparem-ment interminables ont retrouvé un sem-blant de paix.

Ainsi l’Angola, déchiré pendant unquart de siècle par une guerre civile qui afait des centaines de milliers de morts etplus de quatre millions de déplacés, peut-ilreprendre espoir après la signature durécent accord de paix entre le gouverne-ment et les rebelles de l’UNITA. Tous lesaccords de cessez-le-feu précédents avaientété violés, mais celui-ci, conclu par lesrebelles après la mort de leur chef JonasSavimbi, semble tenir, et le pays commenceà panser ses plaies.

Les restes de centaines de villages calci-

nés roussissent des paysages d’une envoû-tante beauté. Les champs sont truffés demillions de mines. Les civils sont revenus,seuls ou en hordes dépenaillées, à larecherche de maisons qui n’existent peut-être plus. Le spectre de la malnutrition et dela famine rôde partout. Des milliers de mal-heureux ayant perdu mari ou femme,parents ou enfants, défilent à la télévisiondans une émission hebdomadaire qui tentecomme elle peut de réunifier les peuplesd’une nation meurtrie.

En Sierra Leone, la population porteencore – littéralement – les cicatrices d’unedécennie d’horreur absolue. Des dizaines demilliers de civils ont été mutilés par lesrebelles – le plus souvent des soldats de for-tune à peine sortis de l’enfance. Mais le paysémerge peu à peu de son cauchemar, et plusde 200 000 réfugiés sont rentrés chez eux.“Avant, j’aurais voté avec mes mains.Aujourd’hui, j’ai voté avec mes orteils”, aconfié un jeune électeur amputé des deux

R É F U G I É S

MALGRÉ LES HOQUETS DE L’HISTOIRE, LE DANGER, LES DIFFICULTÉS MATÉRIELLES ET LESDESTRUCTIONS MASSIVES, CETTE OPÉRATION GIGANTESQUE ET PARFOIS

APPAREMMENT BROUILLONNE A ÉTÉ EN FIN DE COMPTE PLUTÔT BIEN ORGANISÉE,EFFICACE ET “ÉTONNAMMENT RÉUSSIE”.

Au Sri Lanka, les négociations de paix ont commencé à porter leurs fruits et desdizaines de milliers de personnes se sont empressées de regagner leur foyer.

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bras, résumant ainsi de manière saisis-sante la brutalité du passé et les pro-messes de l’avenir.

Le Sri Lanka, autrefois appelée “laperle de l’océan Indien”, a été pendantvingt ans le théâtre d’une guerre qui afait quelque 65 000 morts et lui a valule surnom de “larme de Bouddha”. En2002, les belligérants ont enfin décidéd’arrêter le carnage et de négocier lapaix, avec les bons offices de laNorvège. La guerre avait chassé dechez eux près d’un million de civils.D’antiques autocars Chevrolet datantde la Seconde Guerre mondiale etautres pièces de musée soigneusementconservées ont été remises en servicepour ramener les premiers des prèsd’un million de déracinés de l’autrecôté de l’ancienne ligne de front.

Le Timor oriental, quant à lui, aenfin accédé à l’indépendance. Quel-que 250 000 civils sont rentrés chezeux. La situation dans le pays s’est tel-lement améliorée que le HCR a pu, envertu de la clause de cessation de laConvention de 1951, décréter que le sta-tut de réfugié ne s’appliquerait plusaux Timorais qui avaient été chasséspar le conflit et qui pouvaient à présentrentrer chez eux. Cette même clause aété invoquée pour les Erythréens réfu-giés au Soudan. Les deux mesures ont priseffet à la fin de 2002.

Après plus d’une décennie de présencedans les Balkans, le HCR a poursuivi sondésengagement progressif et pourrait trèsbientôt retirer l’essentiel de son personnelde la région car, comme l’explique RuudLubbers, l’heure n’est plus à l’aide d’urgenceaux réfugiés mais à la réintégration et à lareconstruction. Plus de 2,2 millions de civilsont pris le chemin du retour ces dernièresannées. Paddy Ashdown, l’actuel Hautreprésentant en Bosnie-Herzégovine, adéclaré que l’intervention de l’ONU dans larégion était “l’une des réussites méconnues

de l’après-guerre froide”.

Une protection accrue

A la fin de 2001, à l’issue de la plusimportante réunion sur les réfugiés depuisun demi-siècle, quelque 127 pays ont adopté,à Genève, une déclaration capitale réaffir-mant que la Convention de 1951 relative austatut des réfugiés, décrite par le HautCommissaire Lubbers comme un traiténous permettant avant tout “de ne plusvivre dans la peur”, était plus que jamaisnécessaire et d’actualité. Fort de cet appui, leHCR a élaboré un Ordre du jour pour laprotection qui devrait aider les gouverne-

ments et les organisations humanitaires àrenforcer l’aide et la protection en faveurdes réfugiés.

Erika Feller, chef du département de laprotection internationale au HCR, décritl’Ordre du jour comme “une plate-formepour l’élaboration de nos stratégies de pro-tection. Non pas un modèle rigide, maisplutôt un outil concret indiquant les prin-cipaux paramètres, les orientations géné-rales et les activités de référence, qu’ilappartiendra à chaque bureau du HCRd’adapter en fonction des exigences sur leterrain”.

Au début de 2002, l’Ordre du jour sem-

R É F U G I É S

LES RETOMBÉES DES ATTENTATS TERRORISTES DU 11 SEPTEMBRE ONT ASSOMBRI TOUTESLES PERSPECTIVES. EN DÉFINITIVE, L’EFFET BOOMERANG A ÉTÉ MOINS GRAVEQU’ON NE L’AVAIT CRAINT, MAIS CELA NE VEUT PAS DIRE QU’IL N’Y A PAS EU DE DÉRAPAGES.

Des enfants angolais jouent au beau milieu des vestiges de la guerre. Mais l’espoir se profile conflit qui semblait sans issue.

2002: de bonnes et de mauvaises nouvelles

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blait mal parti. Le monde n’était pas remisde l’onde de choc du 11 septembre. Un ventde panique soufflait sur l’Europe et surl’Asie. Et les immigrants, demandeurs d’asi-le et les réfugiés – bref les “étrangers”, car onne faisait pas dans le détail – n’avaient pasbonne presse.

Dans un tel climat, “le fait que nousayons à ce point avancé est en soi unmiracle”, reconnaît Volker Turk, chef del’équipe du HCR chargée des politiques deprotection et du conseil juridique, “d’autantque, pour les pessimistes, le processus étaitvoué à l’échec. Plus personne ne dit celamaintenant”.

Ruud Lubbers explique que trois préoc-cupations majeures ont régulièrementponctué 2002 : la nécessité d’une meilleureprotection des réfugiés dans le nouveaucontexte migratoire, la recherche accrue desolutions durables pour l’ensemble desdéracinés, et une répartition plus équitabledes responsabilités entre les donateurs, les

pays d’asile, les Etats plus pauvres quiaccueillent le plus grand nombre deréfugiés, et les régions de conflits d’oùils viennent.

Dans la foulée de l’Ordre du jourpour la protection, tout en réitérant lerôle central de la Convention de 1951, leHaut Commissaire a proposé uneapproche appelée “Convention Plus”,destinée à compléter le texte de laConvention dans les trois secteursmentionnés ci-dessus et à davantageassocier le HCR à la recherche de solu-tions. “2002 a été l’année où le HCR afait partie intégrante de la solution”,résume-t-il.

M. Lubbers réunira un forum d’ex-perts pour aider à développer ces ini-tiatives et a déjà lancé le processus ditde 2004, dont la finalité est d’évaluer lacapacité du HCR à s’acquitter de samission, et dont les résultats serontintégrés au prochain mandat de cinqans de l’organisation.

La Convention a bénéficié denouveaux renforts : elle a étésignée par trois nouveaux pays(Saint-Kitts-et-Nevis, Moldova etUkraine) et compte désormais 144Etats parties.

Le premier annuaire statis-tique annuel du HCR, paru à lafin de 2002, fournit des donnéesprécises sur les flux migratoiresforcés de la dernière décennie, ets’avèrera sans doute très utile lorsdes débats à venir sur l’aide

humanitaire. On y apprend, entreautres, que si les pays en développe-ment ont généré 86% des réfugiés deces dix dernières années, ils ont égale-ment accueilli 72% des déracinés, d’oùla responsabilité qui incombe aux paysindustrialisés de contribuer à la pro-tection internationale des réfugiés.

Ainsi, les pays en développementont ouvert leurs portes à 10,7 millions d’exi-lés entre 1992 et 2001 et quelque 14,1 mil-lions de réfugiés sont retournés chez eux aucours de la même période. En 2002, environ40 % des personnes recevant l’aide du HCRvivaient dans des camps.

Echecs et déceptions

Les échecs et les déceptions n’ont assuré-ment pas manqué en 2002. Le brasier afri-cain a continué de flamber ou du moins decouver, tout cela parce que bien des conflitssemblent toujours sans issue. Au Libéria, laguerre n’en finit pas de se rallumer sporadi-

quement. La Côte d’Ivoire, hier encore l’undes pays les plus stables d’Afrique del’Ouest, a plongé dans la guerre civile, aurisque parfois de déstabiliser toute larégion.

Malgré les efforts de paix déployés sansrépit à l’échelle régionale et internationale,de vastes régions de l’Afrique centrale, dontle bassin du Congo et le Burundi, ont oscil-lé entre nouvel espoir de paix et anarchiepersistante. La Tanzanie, l’un des pays lesplus pauvres de la planète, a continué d’ac-cueillir un nombre impressionnant deréfugiés – un million de personnes, le plussouvent depuis des dizaines d’années. Maisface à cette présence qui s’éternise, la classepolitique et les chefs de communautésréclament avec de plus en plus d’insistancele départ des réfugiés – le jour même ou sipossible hier…

Dans un chassé-croisé un peu surréalis-te, des Burundais et des Congolais sont ren-trés chez eux à la faveur d’accalmies locales

plus ou moins brèves, tandis que d’autres,vivant dans des zones de combat, se diri-geaient vers la frontière.

Des mouvements migratoires tout aussiconfus ont été enregistrés dans la corne del’Afrique et les régions adjacentes. Ainsi,quelque 25 000 réfugiés somaliens exilés enEthiopie ont regagné leur pays, pourtantconsidéré encore comme l’un des plus dan-gereux du globe. Les Erythréens réfugiés auSoudan ont pris le chemin du retour. Mais,pendant ce temps, l’avenir de centaines demilliers de Soudanais déracinés était tou-jours suspendu à l’issue des difficiles pour-

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enfin à l’horizon de ce pays ravagé par un

Des réfugiés soudanais fuient lesattaques de rebelles dans le nord del’Ouganda.

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parlers de paix entre Khartoum et lesrebelles. Et des bandes armées ont semé laterreur dans les camps de réfugiés et lesautres communautés du nord de l’Ougandaà partir du Sud-Soudan.

Dans le nord-ouest du continent afri-

cain, 150 000 réfugiés de l’ex-territoire espa-gnol du Sahara occidental sont restés cloî-trés dans leurs tentes et leurs huttes, se sen-tant abandonnés, oubliés du monde exté-rieur, utilisés comme autant de pions parles puissances régionales.

David Lambo, chef du bureau Afriqueau HCR, explique que “en Afrique, noussommes à la croisée des chemins, dans unesorte d’entre-deux” et que, si le présent etl’avenir restent incertains, il faut prendreun peu de recul pour juger des progrèsaccomplis. “Après tout, le continent africainaccueillait plus de six millions de réfugiésau début des années 90”, rappelle ce natif duNigéria, “contre environ 3,3 millionsaujourd’hui. C’est encore beaucoup trop,

mais il ne faut pas mésestimer ces petitesvictoires.”

En Colombie, la crise humanitaire laplus grave de l’hémisphère occidental s’estencore détériorée au début de l’année aprèsla rupture du fragile processus de paix entreBogota et les forces d’opposition. Depuis1985, le conflit a déraciné quelque deux mil-lions de civils, dont environ 200 000 l’annéedernière. Beaucoup n’ont pas franchi les

frontières, mais l’exode vers l’Equateur, leVenezuela, le Panama et les autres payslimitrophes s’amplifie chaque jour.

Comme certains pays exigent désormaisdes visas pour les ressortissants colombiens,le HCR a émis à l’intention des gouverne-ments et des défenseurs des réfugiés unenouvelle série de directives sur l’admissibi-lité des demandeurs d’asile colombiens, eninsistant sur le fait que, compte tenu de l’in-sécurité qui règne en Colombie, de nom-breux civils n’ont pas d’autre solution quede chercher refuge à l’étranger.

Ailleurs dans le monde, les 269 000 réfu-giés d’Azerbaïdjan et les 110 800 réfugiés duBhoutan ne semblent pas au bout de leurcalvaire. Et le conflit tchétchène a repris le

devant de la scène avec la prise d’otages duthéâtre de Moscou et l’assaut donné par lesforces spéciales russes, qui se sont soldés parla mort de plus d’une centaine d’otages etdes activistes tchétchènes qui les rete-naient.

Il reste environ un million de déplacésdans les Balkans, essentiellement desSerbes de Croatie et du Kosovo repliés enSerbie et au Monténégro. Malgré tous les

efforts déployés pour encourager quelque250 000 Serbes à rentrer au Kovoso, per-sonne ou presque ne veut prendre lerisque. On leur dit qu’ils ne courent aucundanger mais une religieuse de la petiteville de Pec ironise : “Comment peut-ondire que les Serbes sont en sécurité ? Il n’yen a pratiquement pas un seul ici, et lesquelques-uns qui sont revenus se terrentcomme des rats.”

Il y aurait dans le monde environ 25millions de personnes déplacées à l’inté-rieur de leur pays à cause d’un conflit, soitle double du nombre de réfugiés. Bienqu’elles ne relèvent pas directement de sonmandat, le HCR assiste quelque 5,3 mil-lions d’entre elles. Les autres doivent se

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LE HCR A ÉLABORÉ UN ORDRE DU JOUR POUR LA PROTECTION AFIN D’AIDER LES GOUVERNEMENTS ET LES AGENCES HUMANITAIRES À

RENFORCER L’AIDE AUX RÉFUGIÉS.

2002: de bonnes et de mauvaises nouvelles

Un Ordre du jour pour la protection des réfugiés a étéélaboré lors d’une réunion internationale, à Genève, entregouvernements et agences humanitaires.

Le HCR cesse d’accorder le statut de réfugié aux Erythréens,en raison de l’amélioration de la situation dans leur pays.

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débrouiller sans aide et sans reconnaissan-ce internationale, et sont souvent victimesde mesures ouvertement discriminatoiresde la part de leur propre gouvernement.Depuis le début du nouveau millénaire, laquestion de savoir à qui incombe la respon-sabilité de protéger ces populations faitl’objet d’un débat de plus en plus animé.

Le 11 septembre

Les retombées des atten-tats terroristes du 11 sep-tembre ont assombri toutel’année 2002. Au lendemaindes événements, et alors quedans le monde entier les paysrenforçaient en toute hâteleur arsenal juridique et leursmoyens de défense, on a pucraindre que les réfugiés etdemandeurs d’asile de bonnefoi ne fassent les frais d’unepsychose généralisée.

Avant même le 11 sep-tembre, certains médias etpoliticiens accusaient laConvention de 1951 d’êtredépassée, voire d’offrir unécran commode aux terro-ristes comme ceux quiallaient plus tard précipiterles avions détournés sur lestours du World Trade Centeret sur le Pentagone.

Le HCR a publié une listede dix principales préoccupa-tions, notamment le risquede voir les demandeurs d’asilede bonne foi être victimes depréjugés et de législationsextrêmement restrictives, etdes normes de protection soigneusementélaborées depuis des années, se dégrader.

En l’occurrence, l’effet boomerang a étémoins grave qu’on ne l’avait craint. “Lesgouvernements se sont en général abste-nus de toute réaction excessive”, s’est félici-té Ruud Lubbers. Volker Turk expliqueque “le HCR a fait savoir d’emblée que cer-taines dispositions de la Convention per-mettaient déjà d’exclure ou de punir les

terroristes, et que par conséquent le texten’appelait pas de changement fondamentalmais plutôt un renforcement ciblé. Lemessage est passé, ce qui nous a agréable-ment surpris. De nombreux pays refusentd’associer droit d’asile et terrorisme”.

Mais, ajoute aussitôt Ruud Lubbers,“cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de

dérapages”.Ainsi, l’intervention internationale

menée sous conduite américaine enAfghanistan pour venir à bout desréseaux terroristes d’Al Qaïda puis durégime taliban qui les hébergeait, a fait unnombre indéterminé de victimes civiles etchassé des centaines de milliers d’Afghansde chez eux.

Au nom de la sécurité, certains pays ont

adopté des mesures qui ont entraîné lerefoulement, voire l’expulsion, de deman-deurs d’asile de bonne foi, une augmenta-tion des demandes d’extradition et l’adop-tion de lois extrêmement restrictives.

Les politiques de l’Australie envers lesdemandeurs d’asile – la solution dite “duPacifique” et la détention – que Canberra

défend pourtant comme appropriées etmodérées – ont été un grave sujet d’inquié-tude pour les organisations humanitaires.

La réinstallation permanente des réfu-giés aux Etats-Unis, pays qui accueille leplus grand nombre de réfugiés particuliè-rement vulnérables, a durement souffertde “l’effet 11 septembre” : sur les 70 000 per-sonnes prévues, Washington n’en a acceptéque quelque 27 100, son quota le plus faible

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APRÈS PLUS D’UNE DÉCENNIE DE PRÉSENCE DANS LES BALKANS, LE HCRA POURSUIVI SON DÉSENGAGEMENT PROGRESSIF ET POURRAIT TRÈS BIENTÔT RETIRER

L’ESSENTIEL DE SON PERSONNEL DE LA RÉGION.

De jeunes danseurs colombiens donnent un spectacle de rue pour rappeler le drame despersonnes déplacées ou disparues durant le conflit qui continue de faire rage en Colombie.

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depuis un quart de siècle.Le climat de tension de l’après-11 sep-

tembre a exacerbé les craintes desAméricains. Les magistrats de la petiteville d’Holyoke, en Nouvelle-Angleterre,choisie pour accueillir une partie desquelque 12 000 Bantous somaliens qui doi-vent être réinstallés aux Etats-Unis en2003, ont demandé au gouvernementfédéral de reprendre les subventionsaccordées à cet effet, car “notre ville n’a pasles moyens de soigner, éduquer, former,loger et protéger ces personnes”. Un porte-

parole de l’administration fédérale améri-caine affirme n’avoir encore jamais vu,dans son pays, une communauté rejeterdes réfugiés.

L’onde de choc a été ressentie plus loinencore. En Egypte, 1600 réfugiés dont lademande de réinstallation aux Etats-Unisa déjà été approuvée ont été mis “en atten-te”. Au-delà de l’angoisse qu’il a engendréparmi les intéressés, ce retard a contraintle bureau du HCR au Caire à diminuer,voire supprimer, son aide aux autres réfu-giés placés sous sa protection afin de conti-

nuer, avec un budget extrêmement limité,à fournir une assistance à ces réfugiés.

Les dérapages

Alors que l’Europe cherche depuislongtemps à harmoniser ses politiques enmatière d’immigration et d’asile, cettebonne volonté s’est trouvée compromisepar les répercussions du 11 septembre ainsique par des élections nationales et desdébats qui ont parfois versé dans la xéno-phobie et l’amalgame, peut-être délibéré,entre demandeurs d’asile et migrants éco-nomiques.

Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas,Italie, France, Belgique, Allemagne – tousont annoncé et adopté des lois sur l’immi-gration et l’asile le plus souvent destinées àdécourager les demandeurs d’asile et àréduire les avantages sociaux qui leur sontaccordés.

Dans certains pays, ces mesures sem-blent avoir eu les effets escomptés. Dansles premiers mois de 2002, le nombre dedemandes d’asile a chuté dans les paysréputés “durs” que sont le Danemark, lesPays-Bas et la Belgique. En revanche, il aexplosé en Norvège, en Suède et enFinlande, ce qui démontre, aux yeux decertains, l’effet de vases communicants dudurcissement des conditions d’entrée dansles pays plus “sévères” de la région.

Le débat est particulièrement houleuxen Grande-Bretagne, premier pays choisipar les demandeurs d’asile en 2001 avec92 000 demandes, malgré les propos rassu-rants du Premier ministre Tony Blair :“Nous ne voulons pas transformerl’Europe en forteresse. Mais il faut instau-rer un minimum d’ordre et de règles dansle dispositif…”

Certains journaux britanniques n’onteu de cesse d’encourager le sentiment anti-immigrant avec des titres comme “Lapoule aux œufs d’or du droit d’asile” ou“200 000 demandeurs d’asile s’évaporentdans la nature”. Et quand le gouverne-ment a introduit des propositions visant àscolariser les enfants des réfugiés dans des

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TROIS PRÉOCCUPATIONS MAJEURES ONT RÉGULIÈREMENT PONCTUÉ 2002 : LA NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LA PROTECTION, LA RECHERCHE ACCRUE DE

SOLUTIONS DURABLES POUR L’ENSEMBLE DES DÉRACINÉS, ET UN SYSTÈME PLUS ÉQUITABLE DE PARTAGE DES RESPONSABILITÉS.

Titres alarmants de la presse britannique.

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Au début de 2002, le nombre de personnesrelevant du mandat du HCR a diminué de9% par rapport à l’année précédente, passantà 19,8 millions de personnes. Ce chiffre com-prend 12 millions de réfugiés, 6,3 millions depersonnes déplacées à l’intérieur de leur payset d’autres groupes bénéficiant de l’aide duHCR, 940 800 demandeurs d’asile et 462 700rapatriés. (Près de deux millions de réfugiésafghans sont rentrés chez eux dans le courantde 2002, mais beaucoup ont continué à recevoirl’aide du HCR).

L’Asie comptait le plus grand nombre depersonnes relevant de la compétence duHCR, avec 8,8 millions de personnes, suiviede l’Europe (4,8 millions), de l’Afrique (4,2 mil-lions), de l’Amérique du Nord (1,1 million),de l’Amérique latine et Caraïbes (765 400), etde l’Océanie (81 300).

Quelque 500 000 personnes ont dû fuirleur pays au cours de 2001, généralementdans des exodes massifs en Afrique et en Asie,mais plutôt par groupes de familles en Eu-rope, en Amérique latine et Caraïbes, soit31% de moins qu’en 2000. D’autre part, 463 000réfugiés sont rentrés chez eux, essentielle-ment en Sierra Leone, dans l’ex-Républiqueyougoslave de Macédoine et en Somalie. Lenombre de rapatriements a diminué de 40%par rapport à l’année précédente.

Quelque 92 000 réfugiés ont été réins-tallés de manière permanentedans un nou-veau pays au cours de 2001, car ils ne pouvaientni retourner chez eux ni rester dans le paysd’asile, dont environ un tiers avec l’aide duHCR.

Depuis 1992, les Etats-Unis ont accueilli77% des quelque 1,2 million de réfugiés ré-installés de manière permanente dans les paysindustrialisés. Le Canada en a accueilli 10% et

l’Australie 8%. Environ 49% des réfugiés ré-installés venaient d’Europe, 34% d’Asie et10% d’Afrique. Les principaux pays d’originede ces réfugiés réinstallés étaient la Fédéra-tion de Russie (24%), le Viet Nam (19%) et la Bos-nie (17%).

Au cours de la dernière décennie, 86% des ré-fugiés étaient originaires des pays en dé-veloppement qui ont par ailleurs accueillisept réfugiés sur dix, ce qui, souligne l’an-nuaire statistique, met en exergue la part deresponsabilité que doivent prendre les paysindustrialisés en matière de protection in-ternationale des réfugiés.

40 % des personnes dont s’occupe le HCRvivent dans des camps, 13% dans des zonesurbaines et 47% sont disséminées dans deszones rurales ou autres. La situation varie lar-gement d’une région à l’autre : en Afrique eten Asie 50% des réfugiés se trouvent dans descamps, tandis qu’ils sont moins de 10% enEurope, sur l’ensemble du continent améri-cain et en Océanie.

Les femmes constituent environ 48% despersonnes déracinées assistées par le HCR. Laproportion de femmes vivant dans des campsde réfugiés est de 51%.

Quelque 915 000 personnes ont demandél’asile dans 144 pays en 2001. Plus de la moi-tié des demandes, soit 595 700, ont été dépo-sées dans des pays industrialisés. Durant lamême période, 932 000 dossiers en attente ontété examinés : 445 000 demandeurs ont étédéboutés, 168 000 ont obtenu le statut de ré-fugié, et 78 000 ont été autorisées à rester pourdes motifs humanitaires.

Le Royaume-Uni a reçu le plus grandnombre de demandes d’asile parmi les paysindustrialisés, avec 92 000 dossiers, suivi de

l’Allemagne (88 300) et des Etats-Unis (83 200).La courbe des demandes a été très contrastéeselon les pays, avec des augmentations trèsnettes en Autriche (+ 65%), aux Etats-Unis(+ 45%), en Suède (+ 44%), en Norvège (+ 36%) etau Canada (+ 29%), et des baisses du même ordreen Belgique (- 42%), en Italie (- 38%) et aux Pays-Bas (- 26%). Les demandeurs d’asile étaienten majorité Afghans, Iraquiens et Turcs.

Depuis 1982, les pays industrialisés ont reçu8,7 millions de demandes d’asile, dont858 000 pour la seule année 1992. Ils ont ac-cepté près de 2 millions d’entre elles. La trèsgrande majorité, soit 1,6 million de personnes,ont été autorisées à rester en Europe.

Sept demandeurs d’asile sur dix étaientdes hommes.Une étude menée dans 32 paysa toutefois démontré que le taux d’obtentiondu statut de réfugié était de 76% pour lesfemmes, contre 68% pour les hommes.

La Suisse est le pays industrialisé qui aaccueilli le plus grand nombre de réfugiésproportionnellement au nombre d’habitants(23,4 % pour 1000 habitants), suivie de la Suède(16,6% pour 1000) et du Danemark (13,8% pour1000).

Les dépenses du HCR pour ses opérationssur le terrain se sont élevées à 19 dollarspar personne en moyenne, avec des coûtsallant de plus de 100 dollars en Amérique cen-trale, en Europe centrale et dans les Etatsbaltes, à moins de 10 dollars en Europe de l’Est,en Asie du Sud-Ouest, en Amérique du Sud,en Europe occidentale, en Amérique du Nordet dans les Caraïbes.

Le monde des réfugiés enquelques chiffres

Le HCR a récemment publié son premier annuaire statistiqueannuel. Il y présente un bilan en chiffres de ses activités et de lasituation des réfugiés dans le monde jusqu’au début de 2002.* Voiciquelques-unes de ses principales conclusions :

* Sauf mention contraire, tous les chiffres indiqués correspondentà l’année civile 2001.

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établissements spéciauxau motif qu’ils “envahis-saient” les écoles, lesdéfenseurs des réfugiésont dénoncé ce qu’ils ontcomparé au défunt sys-tème d’apartheid sud-africain.

L’Espagne a annoncéun contrôle plus strictdes visas, la Grèce a signéun accord de réadmis-sion avec la Turquie etl’Italie a adopté une loisur l’immigration etl’asile qui, s’inquiète leHCR, n’offre peut-êtrepas de garanties suffi-santes aux demandeursd’asile.

Les pays du sud del’Europe s’estiment par-ticulièrement exposés àl’arrivée d’armadas en-tières de navires rouillés,de vieux hors bords et debarques chargés de mal-heureux chassés d’Af-rique, du Moyen-Orientvoire de pays plus loin-tains, par les dangers etles persécutions ou, toutsimplement, la misère.

Les pertes

humaines

La Grèce a fait savoirque plusieurs dizainesde personnes, dont desjeunes enfants, avaientpéri près de ses côtes dans les premiersmois de 2002. En réalité, les chiffres sontsans doute beaucoup plus élevés. C’estainsi qu’en mars un bateau transportant65 Kurdes s’est abîmé au large des côtes ita-liennes dans une tempête, et que quelquesjours plus tard la marine a intercepté uneembarcation à bord de laquelle se trou-vaient 22 personnes, et les cadavres de sixpassagers morts en cours de route. Peuaprès, un navire turc chargé d’un millierde passagers accostait en Sicile.

De tels titres à la une des médias ontquelque peu éclipsé les bonnes nouvelles.L’Allemagne, par la voie législative, et laFrance, grâce à un changement de poli-tique, ont convenu, comme la plupart desautres pays européens, que le statut deréfugié pouvait être accordé à un individu

ayant fui les persécutions d’agents “nonétatiques” et non reconnus internationale-ment, par exemple des factions rebelles oule précédent régime taliban enAfghanistan. Bonn et Paris avaient jus-qu’alors considéré que les persécutionsdevaient être le fait d’un Etat “reconnu”.

“Ce point nous tracassait depuis trèslongtemps”, explique Volker Turk. “Pournous, c’est donc une avancée majeure.”

L’Autriche a accordé le statut de réfugiéà une jeune Camerounaise qui risquaitd’être excisée dans son pays – c’est la pre-mière fois dans l’histoire autrichiennequ’un réfugié est admis pour cause de per-sécution fondée sur le sexe. Deux moisplus tard, une fillette éthiopienne de 14mois a bénéficié de la même mesure.

La Grande-Bretagne a pris de nouvelles

mesures pour accélérerl’intégration des réfugiés,et le gouvernement a an-noncé son intention departiciper au program-me annuel du HCR pourla réinstallation des réfu-giés les plus vulnérablesdans des pays tiers.

Enfin, les paysmembres de l’Unioneuropéenne se sontentendus sur une législa-tion commune, qui devraencore être adoptée,concernant les condi-tions d’accueil desdemandeurs d’asile. Troisautres volets du dispositifsont encore en cours denégociation : les procé-dures communes enmatière d’asile, la révi-sion de la Convention deDublin relative aux cri-tères et aux mécanismespermettant de détermi-ner l’Etat responsabled’une demande d’asile, etla définition de base duterme “réfugié”.

Un travail quotidien

Loin des feux de larampe, le HCR a accom-pli ses mille petitestâches quotidiennes auplus près du terrain, etson personnel a poursui-vi sa mission : plaider enfaveur d’un assouplisse-

ment des législations nationales en matiè-re d’asile, conseiller les gouvernements etles réfugiés, lancer des programmes spé-ciaux au profit des plus vulnérables.

Un projet pilote vient d’être lancé dansla République tchèque à l’intention de laminorité rom, qui va recevoir des alloca-tions financières pour pouvoir mieux s’in-tégrer socialement. A Moscou, ville assezpeu accueillante pour tout demandeurd’asile potentiel, un modeste programmeva tenter de scolariser les enfants de réfu-giés dans les écoles publiques.

En Europe centrale, le HCR a poursui-vi le “processus d’Uzghorod” de coopéra-tion transfrontalière entre la Slovaquie, laHongrie et l’Ukraine.

En Croatie, il a très activement partici-pé à la formation de la police des frontières

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Au Libéria, le conflit a continué de faire rage et des milliers depersonnes ont dû chercher refuge dans les pays voisins.

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et du personnel de la justice et des ONGlocales, et a prêté son concours à l’opéra-tion de rapatriement des minorités eth-niques.

En Afrique, le personnel du HCR a prispart à l’Initiative de la Zambie, qui per-mettra d’intégrer, localement au moins,une partie des 285 000 réfugiés se trouvanten Zambie. L’intégration locale des réfu-giés, la solution privilégiée au lendemainde la Seconde Guerre mondiale, a été qua-siment abandonnée face à l’augmentationdu nombre de personnes déracinées et à lapolitisation accrue du problème.L’Initiative de la Zambie est actuellementl’un des rares projets de ce type.

Au Mexique, 6000 des réfugiés guaté-maltèques arrivés dans les années 80 sesont parfaitement bien intégrés. Et leHCR, qui était auparavant en charge de ladétermination du statutdes demandeurs d’asile, amaintenant confié cettetâche aux autorités mexi-caines.

En Amérique latine, ladégradation de la situationhumanitaire en Colombiea accéléré le renforcementde la législation sur lesréfugiés et l’élaboration deplans de prévention.

Enfin, le HCR a étéextrêmement actif auniveau de projets environ-nementaux visant àremettre en état des sitesaprès la fermeture descamps de réfugiés ainsique les zones de rapatrie-ment (voir Réfugiés n° 127).

Dans son étude sur lesnouvelles législationsnationales en matièred’asile et d’immigration, leHCR a fait savoir que l’ac-cord américano-canadienvisant à contrôler plusstrictement les flux dedemandeurs d’asile à lafrontière des deux pays ris-

quait de dénier à certains individus l’exa-men détaillé et équitable de leur dossier.

Dans le même document, le HCR adéploré le durcissement de la réglementa-tion autrichienne, qui revient à jeter lesdemandeurs d’asile à la rue et est contraireaux directives de l’Union européenne.

L’avenir

Si les résultats obtenus en Afghanistanen 2002 ont été impressionnants, “la tâcheà accomplir reste néanmoins gigan-tesque”, a déclaré le Haut CommissaireLubbers.

Quelque 4 millions d’Afghans sontencore exilés. Avec un budget prévisionneld’environ 200 millions de dollars pour2003, le HCR compte faciliter le rapatrie-ment de 1,5 million de personnes dans lesdouze prochains mois.

Mais comme ceux qui les ont précé-dés, les rapatriés trouveront un paysexsangue : l’effort de reconstruction estresté très modeste, les chefs de guerrefont encore la loi dans certaines régions,les soins de santé n’existent pratique-ment pas, et l’éducation des filles – l’undes acquis les plus prometteurs depuis lachute des taliban – commence à êtreremise en cause.

Certains Afghans se demandent si,face à l’ampleur colossale du travail dereconstruction, la communauté interna-tionale ne risque pas d’abandonner lepays, comme elle l’a déjà fait dans le passé,même si Ruud Lubbers juge cette éven-tualité peu probable.

Si les perspectives de l’Afghanistan res-taient incertaines à la fin de l’année, celles

En Colombie, la détérioration de la situation humanitaire a contraint 200 000 personnes à fuir en2003. Les unités mobiles d’enregistrement du HCR aident les déplacés à obtenir des pièces d’identité.

“LE CONTINENT AFRICAIN ACCUEILLAIT PLUS DE SIX MILLIONS DE RÉFUGIÉS AU DÉBUT DES ANNÉES 90, CONTRE ENVIRON 3,3

MILLIONS AUJOURD’HUI. C’EST ENCORE BEAUCOUP TROP, MAIS IL NE FAUT PAS MÉSESTIMER CES PETITES VICTOIRES.”

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Quelles ont été les autres développe-ments majeurs de l’année ?Nous avançons dans l’application d’un Ordredu jour pour la protection et dans le renforce-ment de la Convention de 1951 sur les réfugiésdans des secteurs qu’elle ne couvre pas demanière adéquate, à travers une approche quej’appelle "Convention Plus". Ces démarches

permettront à la communauté humanitaireinternationale d’optimiser la protection desréfugiés grâce à l’amélioration des pro-grammes de réintégration dans le pays d’origi-ne, d’intégration locale dans le pays d’asile oude réinstallation permanente dans un paystiers. Des accords spéciaux devraient être éla-borés en vue d’aboutir à un partage plus équi-table des charges et des responsabilités entreles pays donateurs et ceux qui accueillent unnombre important de déracinés et de deman-deurs d’asile. Je vais réunir un forum d’expertspour nous aider à développer ces idées.

Il faudra peut-être des années pourconsolider les premiers succès obtenus enAfghanistan, et l’on craint déjà que lacommunauté internationale n’abandonnede nouveau le pays.Je ne pense pas. Nous devons à présent nousconcentrer sur la réintégration des rapatriés et

RÉFUGIÉS : Qu’a représenté 2002 pour lesréfugiés et pour le HCR ?Rudd Lubbers : Ce fut une année éprouvante,et surtout très contrastée. Un amalgame debonnes et de moins bonnes nouvelles. Près dedeux millions de réfugiés et de déplacés sontretournés chez eux en Afghanistan, au coursde la plus vaste opération de rapatriementorganisée depuis trente ans. La paix s’est profi-lée en Angola, au Sri Lanka et en Sierra Leone.Le Timor oriental a accédé à l’indépendance.Le nombre de personnes placées sous la pro-tection du HCR a diminué de deux millions en2001 et la tendance s’est poursuivie en 2002.Ce sont autant d’événements encourageants.

Et sur le plan des mauvaises nouvelles ?Quelques pays, dont le Libéria et la Côted’Ivoire, ont été à feu et à sang pendant unepartie de l’année. Les troubles perdurent auBurundi, au Soudan, en Somalie et enRépublique démocratique du Congo. Et desmillions de réfugiés sont toujours pris au piègede crises qui s’éternisent, comme au Saharaoccidental et au Bouthan.

Quelle est la situation dans les Balkans ?Plus de deux millions de civils sont retournéschez eux ces dernières années (il y a encore plusd’un million de déracinés), et 2002 a été pour leHCR une année particulièrement importante,qui a débuté avec une opération de grandeenvergure, résultant des événements passés,suivie de notre retrait progressif vers la fin del’année. Le principal problème à présent n’estplus l’aide d’urgence aux réfugiés, l’heure est àla reconstruction.

Combien de temps le HCR compte-t-ilrester dans la région ?Sans doute encore un an en Bosnie-Herzégovine et guère plus en Serbie. Maistout n’est pas gagné. Dans quelle mesure lescivils serbes déplacés (environ 700 000 per-sonnes) vont-ils accepter de ne pas tous pou-voir regagner leur région d’origine, notam-ment au Kosovo ?

L’AFGHANISTAN, l’Ordre du jour LE LIBÉRIA Le Haut Commissaire Ruud Lubbers

Le nombre de personnesplacées sous la protection du HCR a baissé de deuxmillions l’an dernier. Et latendance devrait sepoursuivre.

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Le drame de la Sierra Leone paraissait sans issue, mais aujourd’hui à Freetown, dejeunes rapatriées ont la possibilité d’apprendre un nouveau métier.

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faire en sorte qu’ils restent dans leur pays.

Mais avec le temps, toute opérationcesse d’être spectaculaire, et lesfonds cessent d’affluer...Nous verrons bien. Nous avons demandéprès de 200 millions de dollars pour 2003et j’espère que nous les obtiendrons. Lasituation est gérable. N’oublions pas queles pays industrialisés ont des difficultéscroissantes à faire face aux nombreuxréfugiés et demandeurs d’asile qui frap-pent à leur porte. Or si l’on veut réduirel’ampleur de ces afflux, il faut trouver dessolutions dans les régions en proie auxcrises et mettre en place des programmesde réintégration viables, comme parexemple en Afghanistan. Les pays indus-trialisés devraient allouer une partie dessommes qu’ils dépensent chez eux pourles réfugiés à la mise en place de solutionsqui s’attaquent aux racines du problème.L’Europe consacre des milliards de dollarspour gérer les problèmes relatifs à l’afflux

de réfugiés et de demandeurs d’asile. Avec seu-lement 10 à 20 % d’un tel budget, on pourraitrésoudre de nombreuses crises génératrices deréfugiés à travers le monde.

Il y a de grands espoirs de paix en Angola,mais les donateurs vont-ils se montrergénéreux avec un pays que l’on sait gan-grené par la corruption ?L’Angola sera un cas difficile. Ce pays possèdedes ressources minières, du pétrole, il estpotentiellement riche. Les donateurs ne selaissent pas convaincre aisément, mais peut-être comprendront-ils que le HCR doit appor-ter une assistance technique pour le rapatrie-ment des réfugiés. Il ne s’agit pas de centainesde millions de dollars, mais de quelquesdizaines de millions.

Les gouvernements sont-ils prêts à inves-tir dans la recherche de solutionsdurables, notamment pour les crises sansissue depuis des décennies ?

Ce n’est pas facile. L’économie mondiale tra-verse une mauvaise passe. On peut la compa-rer à une usine qui n’investit pas parce qu’elleenregistre des pertes. Pour inverser cette ten-dance, elle devrait acheter de nouvellesmachines, mais elle refuse de le faire sous pré-texte qu’elle perd déjà beaucoup d’argent. Orelle en perd justement parce que ses machinessont obsolètes. De la même manière, de nom-breux pays européens disent avoir déjà tropdépensé pour les réfugiés. Les ministres desfinances pensent toujours en termes dedépenses, et non d’investissement. Mais lesgouvernements commencent à penser au longterme et à la nécessité de programmes de suiviune fois que la crise humanitaire est passée.

Vous préconisez un concept, appelé les4R, en vertu duquel les agences interna-tionales œuvreraient conjointement aurapatriement, à la réintégration et laréhabilitation des réfugiés, ainsi qu’à lareconstruction de leur communauté.

L’expérience a déjà été tentée dans lepassé, sans franc succès.Nous nous y employons de manière plusrigoureuse qu’auparavant. Les pays compren-nent mieux la nécessité d’un suivi après laphase d’urgence d’une opération. Et il y a dunouveau du côté de la Banque mondiale et àNew York (à l’ONU), qui admettent à présentque les agences internationales doivent s’inté-resser davantage aux projets d’après-conflit.Nous avons déjà lancé quatre projets pilotes –en Sierra Leone, en Erythrée, au Sri Lanka eten Afghanistan.

Dans le passé les organisations avaienttendance à jalousement protéger leursecteur d’opération, bloquant ainsi toutecoopération.Ces mêmes acteurs sont sur le point de se ral-lier au concept des 4R. Avant, les réfugiésétaient souvent marginalisés, et le sentimentgénéral était : le HCR s’occupe des réfugiés,nous n’avons pas à les inclure dans nos pro-

pour la protection, L’EUROPE, revient sur les temps forts d’une année turbulente.

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Le HCR est de plus en plus impliqué dans la recherche de solutions à des problèmesspécifiques. Ce demandeur d’asile potentiel est interviewé dans le centre controverséde Sangatte, en France.

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grammes de reconstruction. Il reste du cheminà faire, mais cette mentalité s’est estompée.

Lorsque vous avez été nommé à la tête duHCR il y a deux ans, aviez-vous l’impres-sion que cet organisme n’apportait passuffisamment de solutions concrètes auxproblèmes des réfugiés ?Non. A l’époque, on nous reprochait de privilé-gier l’aide au détriment de la protection. J’aiensuite découvert que l’on pouvait aussi nousreprocher de trop parler de protection. Mais lemeilleur moyen d’assurer la protection d’unréfugié c’est de trouver une solution concrète àson problème. En 2002 le HCR a commencé às’imposer comme faisant partie de la solution.Prenez le cas de Sangatte (un centre de la Croix-Rouge très controversé, au nord de la France, oùsont hébergés des candidats à l’asile tentant depasser en Grande-Bretagne). Ce problème étaitvu comme étant celui des autorités françaiseset britanniques. Ce n’était pas notre problè-me. Cette attitude ne me paraissait pasbonne, et j’ai donc fait savoir aux deux gou-vernements que nous voulions contribuer àla recherche d’une solution. Cette démarchecrée un climat très différent. Elle est néces-saire car, à défaut, nous paraîtrons inutilesaux yeux des gouvernements.

Au lendemain des attentats terroristes àNew York et à Washington, on a pucraindre des réactions brutales vis-à-visdes demandeurs d’asile et des réfugiés.Qu’en est-il exactement ?Nous avons été très vigilants et avons ferme-ment exprimé nos inquiétudes. Ça s’est avéréefficace. D’une manière générale, les gouverne-ments se sont gardés de toute réaction excessi-ve à l’encontre de ces groupes. Ceci ne veut pasdire qu’il n’y ait pas eu de dérapages. Le nombrede réfugiés admis à la réinstallation a considé-rablement chuté au lendemain des attentats,surtout aux Etats-Unis. Des tensions xéno-phobes ont franchi un nouveau seuil enEurope, en particulier au Danemark et auxPays-Bas, deux pays qui traditionnellementsoutiennent le HCR et sont de généreux dona-teurs. Il est intéressant de noter que, même si lenombre de réfugiés en Europe a beaucoup bais-sé, beaucoup de gens et de personnalités poli-tiques continuent de s’insurger contre les réfu-

giés comme s’ils frôlaient la catastrophe natio-nale à cause d’eux. Il y a aussi le risque de voir lefossé se creuser entre le monde islamique et lereste du monde. Nous devons faire davantagedans les pays musulmans car la moitié des per-sonnes placées sous le mandat du HCR en sontoriginaires.

L’aide humanitaire est parfois décritecomme un cache-misère, une manièrepour les gouvernements de s’excuser deleur passivité politique et militaire. Est-ceencore le cas dans des régions comme leSahara occidental ?Il se peut que nous réduisions notre présencelà-bas. Nous avons proposé aux parties en pré-sence, le Maroc et le Front POLISARIO, unesérie de mesures destinées à établir un climatde confiance, et nous avons organisé descontacts entre les habitants du Sahara occiden-tal et les réfugiés dans les camps (en Algérie).L’aboutissement de ces efforts pourraitaccroître les chances d’une solution politique,mais tant que les protagonistes ne nous per-mettent pas d’œuvrer en ce sens, alors oui, nousne sommes qu’un cache-misère.

Ce conflit dure depuis plus de vingt ans.Pourquoi ne pas simplement se retirer ?Ce n’est pas ce que je recommande. Nous gar-derons une présence limitée. Si nous pouvonsréaliser le travail utile dont j’ai parlé, alorspeut-être pourrons-nous accroître de nouveaunos activités.

Vous prônez l’intégration locale des réfu-giés dans les pays d’accueil, mais hormisun programme en Zambie, que se passe-t-il dans ce domaine ?C’est encore limité. Mais récemment l’Arabiesaoudite a pour la première fois accepté d’inté-grer 2000 Iraquiens qui séjournaient dans uncamp. Au Yémen, les réfugiés somaliens sontautorisés à participer à l’économie locale. Cesont là de modestes exemples, des exceptions.Nous devons multiplier ce type d’initiatives.

Qu’en est-il de la réinstallation permanen-te dans un pays tiers ?L’idéal serait que les principaux pays de réins-tallation acceptent un réfugié pour 1000 deleurs habitants, ce qui donnerait environ

800 000 places par an. C’est un rêve, bien sûr.Mais faisons le calcul sur la base d’une placepour 4000 habitants : cela donnerait 65 000réfugiés réinstallés aux Etats-Unis, 90 000dans l’Union européenne et peut-être encore50 000 ailleurs, ce qui ferait 200 000 places. Lasolution réside probablement dans un chiffreintermédiaire qui permettrait de répondre auxbesoins les plus urgents des réfugiés.

Le nombre de personnes relevant de lacompétence du HCR a diminué depuisdeux ans. Cette tendance va-t-elle seconfirmer ?Oui, je crois, bien que ce ne soit pas gagné. Jesuis cependant très préoccupé par ce qui sepasse en Afrique, par ce perpétuel climat deguerres civiles créées et alimentées par cupidi-té. Avec la mondialisation, l’appât du gain s’estexacerbé.

Le HCR a récemment procédé à une dou-loureuse restructuration, avec réductiond’effectifs, or sa situation financièresemble encore précaire. Pourquoi ?En 2002 le total des contributions était plusélevé que ces dernières années, mais cela s’ex-plique par l’opération en Afghanistan. Les res-trictions budgétaires restent nécessaires, d’au-tant que l’ensemble de la communauté interna-tionale se fait avare de dons. Aujourd’hui, lesEtats comprennent mieux la nécessité de solu-tions durables, et cela nous apportera des fondssupplémentaires. Mais nous traversons en effetune période difficile.

Le HCR va-t-il poursuivre sa refonte ?Le processus n’en est qu’à ses débuts. J’ai récem-ment déclaré que le HCR n’est pas au service deson personnel mais que le personnel du HCRest là pour servir les réfugiés. Il y a encore beau-coup à faire. Nos opérations de 2002 ont étéplus importantes qu’en 2001. Nous devons êtreplus disciplinés, plus exigeants envers nous-mêmes.

D’une manière générale, les gouvernements se sont gardés detoute réaction excessive à l’encontre des réfugiés et deman-deurs d’asile après les attentats terroristes aux Etats-Unis.Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de dérapages.

En 2002 le HCR acommencé à s’imposercomme faisant partie de lasolution aux problèmes desréfugiés. Cette démarche estnécessaire car, à défaut, nousparaîtrons inutiles aux yeuxdes gouvernements.

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des deux autres pays où la paix a fini partriompher, le Sri Lanka et l’Angola, sem-blaient mieux assurées en raison de la dis-

parition des causes majeures des conflits.Des milliers de civils ont commencé à ren-trer chez eux en 2002, et le mouvementdevrait continuer en 2003.

Mais des pays comme le Libéria, leSahara occidental et le Burundi restentprofondément déstabilisés. David Lambo

considère que, par-delà le problèmehumanitaire immédiat, des millionsd’Africains doivent être plus justementtraités par le reste du monde et en particu-lier obtenir des prix convenables pour

leurs produits d’exportation (café ou cacaopar exemple) si l’on veut véritablements’attaquer aux causes profondes des dépla-cements de populations. “Le système éco-nomique mondial actuel est absurde”,déclare-il, “il lèse et dessert beaucoupd’Africains.”

D’autre part, le HCR a prévu d’entre-prendre, dans l’année qui vient, une vasteétude sur les alternatives à la détentiondes demandeurs d’asile.

Reste LA grande inconnue : y aura-t-il

une autre guerre en Iraq ? Dans l’affirma-tive, on assistera probablement à un nou-vel exode dans la région.

2002 a été une année particulièrement“contrastée”, un amalgame de bonnes et demoins bonnes nouvelles. Il est fort pro-bable que 2003 lui emboîte le pas… B

La reconstruction de l’Afghanistan commence…

LES RÉSULTATS OBTENUS EN AFGHANISTAN EN 2002 ONT ÉTÉ IMPRESSIONNANTS,MAIS “LA TÂCHE À ACCOMPLIR RESTE NÉANMOINS GIGANTESQUE”.

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2002: de bonnes et de mauvaises nouvelles

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Boniface Ntibazonkiza n’avaitque 12 ans quand les premiersmassacres ont commencé. “Unjour, les soldats sont arrivés. Ilsont arrêté tout le monde dans

mon village. Ils sont allés les chercher dansleur maison, leur magasin, leur champ”,se souvient-il. “Ils les ont embarqués dansdes camions. Personne n’est revenu.”Boniface a échappé à la rafle grâce au sang-froid de ses parents qui l’ont poussé dehorsavec sa sœur, alors âgée de 15 ans. “Ils nousont suppliés de filer vers la frontière ennous disant que si nous devions mourir, aumoins que ce ne soit pas tous au mêmeendroit et en même temps…”

Et c’est ainsi que les deux adolescentsont échappé au sort des dizaines des mil-liers de civils victimes des champs de lamort en 1972 au Burundi, et qu’ils sontarrivés, après avoir longtemps marché, enTanzanie où ils ont été accueillis par unetante à Tabora.

“La vie était redevenue belle”, raconteBoniface. “J’étais hors de danger. J’allais àl’école. Les Tanzaniens me traitaientcomme un des leurs. J’aurais pu rester. Onm’aurait donné de la terre à cultiver et j’au-rais même pu devenir Tanzanien.”

Mais il retourne au Burundi pendantl’une des rares périodes d’accalmie. En1996, de nouveau chassé par des affronte-ments meurtriers entre Tutsis et Hutus,les deux principaux groupes ethniques dupays, il se réfugie de nouveau en Tanzanie.

Cette fois, l’accueil est différent. LesNtibazonkiza (Boniface, ses deux femmes

par Jeff Crisp et Ray Wilkinson

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Pourquoi des millions de réfugiéssont pris au piège dans dessituations qui n’en finissent plusde durer.

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à et leurs treize enfants) vivent actuellement dans unimmense camp de réfugiés proche de la ville frontalièrede Kibondo. Ils sont certes à l’abri du conflit qui ravageleur pays. La communauté internationale les nourrit etles aide. Mais où sont passées la bienveillance, la solida-rité et les généreuses offres de terres et de citoyenneté ?

Boniface et plus d’un demi-million de ses compa-triotes réfugiés ont l’impression d’être des indésirablesdans ces camps. Les Tanzaniens qui les avaient autrefoisreçus avec tant de chaleur préfèreraient maintenant lesvoir partir au plus vite.

Un revirement dramatique

Que s’est-il passé pour que les rapports entre les deuxpeuples changent du tout au tout ?

L’explication tient en une phrase : des deux côtés, onse retrouve piégé dans ce qu’on appelle “une crise huma-nitaire prolongée”, une situation apparemment sans finet sans issue, dans laquelle chacun – réfugié, hôte etdonateur potentiel – se sent de plus en plus victime ouexploité.

A partir de quand considère-t-on une crise commeprolongée ? En général lorsque l’exil dure plus de cinq

ans, que les réfugiés ne peuvent ni retourner chez eux nirester dans le pays d’asile, et qu’ils ont peu de chancesd’être acceptés dans un pays tiers en vue d’une réinstal-lation permanente.

Le problème est peut-être plus étendu qu’on ne l’ad-

met. Les deux tiers des quelque 10 millions de réfugiésrecevant l’aide du HCR à la fin de 2002 (soit plus de sixmillions de personnes originaires aussi bien del’Afrique subsaharienne que du Sri Lanka), sont pris aupiège dans des crises qui durent parfois depuis trenteans ou plus.

S’y ajoutent les 3,9 millions de Palestiniens, dont cer-tains sont déplacés depuis un demi-siècle, qui relèventde l’Office de secours et de travaux des Nations Uniespour les réfugiés de Palestine (UNRWA).

Et c’est justement parce qu’elles s’éternisent etqu’elles sont souvent éclipsées par des urgences plusmédiatiques comme le Kosovo ou le Timor, que cescrises sombrent dans l’indifférence, voire l’oubli, d’unecommunauté internationale de plus en plus à courtd’argent.

Plus elles traînent en longueur, plus il est difficile deles dénouer et de fournir un soutien financier. Ellesfinissent par produire leur propre dynamique – parexemple, dans le cas de la Tanzanie, l’intolérance crois-sante d’un pays pourtant traditionnellement généreuxenvers les réfugiés.

Et pour la première fois peut-être, les humanitaires ont com-mencé à accorder une attentionparticulière à ces problèmestenaces, à leurs causes et aux solu-tions possibles, et à comprendrequ’ils nécessitent peut-être desapproches moins traditionnelles.

Le Haut Commissaire RuudLubbers a exhorté d’autres organi-sations internationales, notam-ment la Banque mondiale et leProgramme des Nations Uniespour le développement, à sejoindre au HCR pour élaborer desprojets communs sur la base duprincipe dit des 4R/DIL. Cetteapproche consiste à aider les réfu-giés à s’intégrer et à contribuer à lacommunauté dans laquelle ilsvivent – le développement par l’in-tégration locale ou DIL – ou à faci-liter leur retour dans leur paysd’origine dans le cadre d’une actioncoordonnée des donateurs au coursdes quatre principales phases deretour : le rapatriement, la réinté-gration, la réhabilitation et lareconstruction. Avec la contribu-

tion financière des Etats-Unis, l’unité d’évaluation etd’analyse des politiques du HCR a examiné les facteursqui transforment certaines situations d’urgence encrises prolongées, le coût humain de ces crises et lessolutions envisageables.

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Pourquoi l’enlisement ?

Les conflits de l’après-guerre froide, sont de plus enplus souvent à caractère ethnique ou intercommunau-taire, aux contours beaucoup plus flous et donc bien plusdifficiles à dénouer que les classiques guerres entre Etats.L’étude du HCR a révélé que les seigneurs de la guerre, les

militaires, les pouvoirs d’argent locaux ou internatio-naux, voire certains groupes de réfugiés, avaient toutintérêt à faire traîner ces conflits et qu’ils ne s’en privaientpas. Résultat : les réfugiés ne peuvent pas rentrer chezeux et cela crée une crise qui s’installe dans le temps.

Les grandes puissances jouent un rôle décisif, inten-tionnellement ou non, dans la tournure que prennentces crises. Lorsqu’elles réagissent avec fermeté, commedans le nord de l’Iraq après la guerre du Golfe, au Kosovoou au Timor oriental, des centaines de milliers de réfu-giés peuvent rentrer chez eux rapidement. Mais le plus

souvent, elles sont peu enclines à intervenir dans cesguerres lointaines et larvées.

L’Afghanistan offre un parfait exemple de l’implica-tion des grandes puissances dans le déclenchement puisl’enlisement des crises mais aussi, on peut l’espérer, dansleur dénouement.

L’invasion du pays par l’armée rouge en 1979 a déclen-ché ce qui est devenu, vingt ans durant, une crise huma-nitaire d’une ampleur sans précédent. Après le retraitdes troupes soviétiques, Moscou et le camp occidentaladverse, avec à sa tête les Etats-Unis, ont laissé le payslivré à lui-même. Oubliés par la communauté interna-tionale, six millions d’Afghans semblaient voués à unexil permanent.

Mais après les attentats terroristes du 11 septembre2001 contre les Etats-Unis, tous les regards se sont de nou-veau tournés vers l’Afghanistan. L’opération militaire

AUSSI SURPRENANT QUE CELA PUISSE PARAÎTRE, UNE LUEUR D’ESPOIR EST REVENUE DANS CERTAINES RÉGIONS TROP LONGTEMPS OUBLIÉES DU MONDE.

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et les bouleversements politiques que l’on sait ont provo-qué un nouvel exode, puis la situation est progressive-ment revenue à la normale et près de deux millions deréfugiés sont finalement rentrés chez eux.

C’est peut-être une bonne nouvelle, mais les respon-sables humanitaires savent pertinemment que ce regaind’intérêt pour l’Afghanistan ne doit pas faiblir dans lesannées qui viennent, faute de quoi le pays risque à nou-veau de sombrer dans le chaos, synonyme d’une nouvel-le crise prolongée pour des millions d’Afghans.

L’intégration locale

Nul doute que les nouveaux visages de la guerre ontcontribué à la multiplication des crises qui perdurent.Mais les changements d’attitude et de politiques tant desgrandes puissances que des pays d’accueil, ont aussi jouéun rôle de premier plan.

Boniface Ntibazonkiza se rappelle avec émotion queles Tanzaniens l’ont accueilli comme un frère quand il a

quitté le Burundi dans les années 70. Julius Nyerere,alors président de la Tanzanie, s’était fait l’apôtre de lapolitique de la porte ouverte de l’Afrique. En 1999, peuavant sa mort, il avait confié, dans un entretien accordéà réfugiés : “Les Burundais étaient chez nous depuis desannées. Quand j’allais leur rendre visite, je voyais desgens qui nous ressemblaient et parlaient comme nous…je leur ai dit : pourquoi ne deviendriez-vous pas citoyensde ce pays si vous le souhaitez ? Pourquoi ne resteriez-vous pas ici ?”

Si Nyerere est resté pour les Tanzaniens le Maître, lemwalimu comme on le surnomme affectueusement, sesidées, notamment sur l’intégration locale des réfugiés,comme dans le cas de Boniface et de ses compatriotes,sont passées à la trappe.

“La Tanzanie aux Tanzaniens. Le Burundi auxBurundais” a récemment déclaré un ministre du gou-vernement, qui se faisait ainsi l’écho de craintes de plusen plus souvent entendues non seulement en Tanzanie

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Les crises qui perdurentPays d’origine des réfugiés et durée de leur exil

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en exil depuis 5 à 9 ansen exil depuis 10 à 19 ansen exil depuis 20 à 29 ansen exil depuis plus de 30 ans

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mais aussi dans d’autres pays d’asile : les réfugiés étaientdevenus un facteur d’insécurité, nuisaient à l’économieet détruisaient l’environnement.

A tort ou à raison, on considère souvent que les réfu-giés sont simplement trop nombreux et qu’ils restenttrop longtemps. Du coup, on abandonne tout effort envue de les intégrer.

La réinstallation permanente dans un pays tiers est ladeuxième grande victime de ce durcissement. Comme

l’intégration locale, elle a été la planche de salut de mil-lions de réfugiés fuyant la Hongrie dans les années 50,les pays du bloc soviétique dans les années 60,l’Indochine dans les années 70, qui ont reconstruit leurvie en Occident.

Mais la porte autrefois grande ouverte n’est plusqu’entrebâillée, surtout depuis septembre 2001. Chaqueannée, seuls quelque 100 000 réfugiés recevant l’aide duHCR peuvent espérer obtenir le précieux sésame qui

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DES DEUX CÔTÉS, ON SE RETROUVE PIÉGÉ DANS UNE SITUATION APPAREMMENT SANS FIN ET SANS ISSUE, ET CHACUN SE SENT

DE PLUS EN PLUS VICTIME OU EXPLOITÉ.

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CROATIEBOSNIE-HERZÉGOVINE

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leur permettra de se réinstaller dans un nouveau pays.A une certaine époque, ils étaient des millions...

Aujourd’hui, la solution privilégiée n’est plus laréinstallation permanente ou l’intégration locale, maisle rapatriement. Or, même quand les réfugiés peuventretourner dans leur pays, certains ne le veulent pas, etcela pour diverses raisons : ils craignent d’être victimesde persécutions, ils sont trop vieux, trop jeunes ou tropmalades pour voyager, ils n’ont pas d’argent et aucuneperspective de survie dans un pays exsangue, ils ont desattaches affectives et économiques dans leur paysd’adoption où sont nés la plupart de leurs enfants.

Et au bout du compte, une crise qui dure déjà depuislongtemps peut se prolonger indéfiniment.

Le coût humain

Toute personne contrainte d’abandonner sa maison,son pays et souvent des êtres chers, subit un traumatis-me profond. Et lorsque l’exil et la séparation durent delongues années, c’est une terrible épreuve physique etpsychologique.

La plupart des réfugiés arrivent avec peu de bagageset peu d’argent. Ils se retrouvent dans des camps inhos-pitaliers, souvent isolés, où l’aide internationale se taritpeu à peu et les stocks de nourriture s’amenuisent : c’estl’engrenage de la pauvreté et de l’exclusion.

Cette situation a aussi des répercussions dramatiquessur l’éducation. Le HCR s’emploie à financer l’accès àl’enseignement primaire, mais il n’y a pas beaucoup d’ar-gent pour le secondaire. Et c’est ainsi qu’une générationentière de jeunes est privée de toute forme d’instructionet que la rancœur et le désœuvrement s’installent au fildes ans.

Les femmes se tournent vers la prostitution, lestrafiquants d’êtres humains et les rabatteurs demilices locales abondent, sur fond de drogue, d’al-cool, de violences domestiques et de maladies, entreautres le VIH/sida. Les réfugiés sont exploités pourdes salaires de misère ou tombent, à leur tour, dansla délinquance.

Toutefois, l’évaluation du HCR a révélé que,contrairement à une idée reçue, les réfugiés essaient dene pas sombrer dans la dépendance, de ne pas devenirtributaires de l’aide humanitaire. Au contraire : ils ten-tent de subvenir à leurs besoins en ouvrant des petitscafés, des bars ou des échoppes, en fabriquant des tapisou de la poterie. Certains ont même installé des stationsde télévision par satellite ou créé des services de télépho-ne mobile dans les camps.

“Plus grand chose à attendre…”

A 52 ans, Nahimana Pascal est un cas typique de l’in-terminable affrontement interethnique qui déchire leBurundi. Il vit en exil depuis si longtemps qu’il fait par-tie de ce que certains humanitaires appellent un réfugiéprofessionnel.

Autrefois, c’était un prospère commerçant deBujumbura. Il possédait plusieurs bateaux de pêche surle lac Tanganyika, avait de l’argent à la banque et habi-tait dans les beaux quartiers de la capitale. Puis, en 1988,les raids et les massacres de civils hutus par les soldatstutsis ont repris.

“Ils ont tué mes voisins et j’ai compris que ça allaitêtre mon tour”, raconte-t-il. “Je suis parti en courant”. Iln’a même pas averti sa femme. Puis il est arrivé auRwanda. Son errance ne faisait que commencer.

Il s’est retrouvé dans un camp de réfugiés. Deux ansplus tard, Nahimana a eu l’un des rares moments debonheur de sa vie d’exilé. “J’étais assis tout seul, je regar-dais les passants”, confie-t-il, “quand tout à coup j’ai vuma femme et mon enfant, là, devant moi ! Je n’avais euaucun contact avec eux depuis mon départ deBujumbura. Ils venaient d’arriver dans le même camp,tout à fait par hasard.”

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Bibliothèque pour les réfugiés – Tanzanie

Containers recyclés en habitations – Azerbaïdjan

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La parenthèse s’est refermée en 1993 avec l’embrase-ment généralisé du Rwanda, après celui du Burundi. LesPascal se sont réfugiés au Zaïre. Mais, une fois de plus, laguerre les a rattrapés. En 1997, Nahimana a accepté unpetit travail qui l’a éloigné de chez lui pendant 15 jours. Ason retour, les combats faisaient rage autour de soncamp. Sa femme et ses enfants avaient disparu. Il ne luirestait plus qu’à partir pour la Tanzanie.

“A Bujumbura, nous étions 56 dans la famille”, dit-il.“J’ai perdu tout le monde, y compris ma femme et mesenfants. Je ne sais pas où ils sont. Ils sont sans doutemorts. Et moi, je suis vieux et usé. Maintenant, je n’aiplus qu’à mourir.”

Nahimana a vieilli avant l’âge. Il a peu d’espoir de

rentrer chez lui et n’a plus grand-chose à attendrede la vie. Encore que… il vient d’être recruté dansl’équipe de vigiles du camp, et maintenant qu’il aquelques responsabilités et un peu d’argent, il com-mence à jouer un rôle actif au sein de la commu-nauté. Une nouvelle raison de vivre, peut-être ?

Les solutions

De par leur nature, les crises qui perdurent sontpeut-être aujourd’hui le plus grand défi de la répon-

se humanitaire. Elles sont souvent négligées ou ignoréespar les acteurs internationaux qui pourraient peser dansla balance. Et à l’heure où l’argent des donateurs est sidifficile à trouver, elles font souvent les frais des crisesqui font la une de l’actualité.

Peut-être faudrait-il envisager des approches diffé-rentes et étudier les diverses mesures à prendre à diffé-rents niveaux. Par exemple, renforcer les droits fonda-mentaux des réfugiés, leur fournir des ressources debase supplémentaires, faire respecter le principe durapatriement volontaire, promouvoir, dans certainescirconstances, l’intégration locale ou la réinstallationdans un pays tiers, s’attaquer plus énergiquement auxcauses des guerres qui menacent d’éclater.

LES DEUX TIERS DES QUELQUE 10 MILLIONS DE RÉFUGIÉS SECOURUS PAR LE HCR, SOIT PLUS DE SIX MILLIONS DE PERSONNES CHASSÉES

D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE OU DU SRI LANKA, SONT PRIS AU PIÈGE DANS DES CRISES INTERMINABLES.

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Chez le coiffeur – Tanzanie

Le temps est long – Sahara occidental

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Si elles étaient toutes appliquées, ces mesures chan-geraient l’existence d’au moins une partie des réfugiésqui se trouvent piégés dans des situations de crises appa-remment sans issue.

Un seul exemple : en s’exilant, les réfugiés se mettentpeut-être à l’abri du chaos qui les a chassés de chez eux,mais ils doivent souvent renoncer à une partie de leursdroits fondamentaux, notamment la liberté de circula-tion et le droit de travailler. Ces restrictions compromet-tent leurs possibilités de devenir autosuffisants, les plon-gent dans la misère et épuisent les ressources des paysd’accueil et des organisations humanitaires.

L’Ordre du jour pour la protection, récemment adop-té par le HCR, pourrait aider à lutter contre ces pro-blèmes, s’il est appuyé par une amélioration des res-sources – par exemple des infrastructures médicales etde distribution de l’eau, des compétences humanitaires,et de la scolarisation.

Car l’éducation est la clé de l’avenir, non seulementparce qu’elle améliore la qualité de la vie dans les camps,mais aussi parce qu’elle prépare les réfugiés à la recons-truction de leurs pays. Les réfugiés sont parfaitementconscients de cette priorité, mais l’aide internationalen’est pas suffisante pour qu’ils bénéficient d’une éduca-tion digne de ce nom. Ainsi, pour des raisons strictementbudgétaires, le HCR n’est pas en mesure de soutenirl’instruction de millions d’enfants au-delà du primaire.

Des bénéfices inattendus

L’importance de l’éducation a été démontrée par unparadoxe de l’histoire dans le cas de l’Afghanistan : c’estparce qu’elles ont été contraintes à l’exil que les jeunesréfugiées afghanes ont eu accès, au Pakistan et en Iran, àune instruction qui leur était refusée dans leur proprepays alors entre les mains des taliban. Cela pourrait avoirdes retombées particulièrement bénéfiques à l’heure dela reconstruction de l’Afghanistan, et pourrait servir demodèle dans d’autres crises du même genre.

Comme on l’a vu plus haut, les crises qui perdurentsont souvent le résultat de l’enlisement progressif desconflits qui ont provoqué l’exode des populations. Maison sait aussi qu’une intervention musclée de la commu-nauté internationale pourrait mettre un terme à biendes guerres. De toute évidence, la mobilisation des diversacteurs – ONU, organisations régionales et grandes puis-sances – au service de la médiation, du rétablissementpuis du maintien de la paix, peut infléchir l’évolution den’importe quelle crise.

Bien que de nombreux pays se méfient davantagedes étrangers (dont les réfugiés) depuis les attentats du11 septembre, le programme de réinstallation perma-nente dans un plus grand nombre de pays n’a rien perdude son potentiel.

L’intégration locale peut redevenir d’actualité danscertaines circonstances, témoin le projet que prépare la

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POUR LA PREMIÈRE FOIS PEUT-ÊTRE, LES HUMANITAIRES ONT COMMENCÉ À ACCORDER UNE ATTENTION PARTICULIÈRE À CES PROBLÈMES TENACES, À LEURS

CAUSES ET AUX SOLUTIONS POSSIBLES.

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Télévison en plein air – Kenya

Ferme communautaire – Tanzanie

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Zambie sur la base de l’approche du développement parl’intégration locale proposée par le Haut CommissaireRuud Lubbers.

Les 4R – rapatriement, réintégration, réhabilitationet reconstruction – pourraient s’appliquer plus large-ment aux réfugiés, entre autres à ceux qui se retrouventprisonniers de crises apparemment sans issue.

Le problème, c’est que nombre d’approches ont déjàété testées, en général avec peu de résultats durables. Ilfaut donc à présent que toutes les parties concernéesrenouvellent leur engagement et qu’elles réaffirmentleur volonté de trouver les solutions qui s’imposent.

Un principe demeure immuable, celui du caractèrevolontaire de tout rapatriement, même si certains affir-ment que, lorsque la situation du pays semble sûre, lesréfugiés doivent rentrer chez eux, au besoin par la force.

Cette assertion est contraire au droit internationalhumanitaire et au principe de protection. En outre, ellene tient pas compte du fait que la Convention de 1951comporte une clause de cessation qui peut être invoquéelégalement si les circonstances qui ont acculé le réfugiéà l’exil cessent d’exister. Par ailleurs, les rapatriementsmassifs et forcés risquent d’exposer un certain nombrede réfugiés à de nouveaux dangers, voire de déstabiliserdes pays qui se relèvent à peine de la guerre.

Le paradoxe

Finalement, ces crises que l’on pourrait qualifier dechroniques tant elles durent, ont toutes quelque chosede paradoxal. Personne en effet ne niera que l’affluxmassif de réfugiés dans une région donnée peut être unlourd fardeau pour les habitants et solliciter jusqu’à larupture les capacités des organisations humanitairesnationales et internationales.

Mais parfois, ce n’est que lorsque les réfugiés rentrentchez eux que les avantages de leur présence deviennentévidents.

Ainsi, la petite localité de Kibondo, en Tanzanie, étaitavant les années 90 un village sans rue goudronnée, sanseau courante et pratiquement sans électricité, qui pou-vait rester coupé du monde des semaines entières pen-dant la saison des pluies.

Aujourd’hui, sa taille a quadruplé. Kibondo est deve-nue une bourgade rurale animée, reliée au monde exté-rieur par la route et par les airs. Ses magasins sont bienapprovisionnés, ses écoles fonctionnent bien, et il y aplusieurs dispensaires qui accueillent non seulementdes réfugiés mais aussi des locaux.

La main-d’œuvre réfugiée a contribué au développe-ment de l’agriculture. Et les commerçants n’ont pas étéparticulièrement ravis quand les Rwandais sont rentréschez eux dans les années 90. “Pourquoi est-ce qu’ils s’envont ? Qui va acheter nos bananes maintenant ?” sedésolaient-ils.

Au Soudan, le rapatriement des réfugiés est unequestion politiquement sensible car le gouvernementest conscient du fait que l’aide massive qui a été injectéedans les camps de réfugiés a également indirectementbénéficié aux villes et villages des environs.

Au Kenya, les élus de la région de Dadaab ont accuséavec véhémence les réfugiés d’avoir détruit l’environne-ment dans leur circonscription, oubliant un peu viteque le complexe de camps était le plus gros employeurlocal.

Enfin, une radio kényenne a récemment diffusé unreportage peu ordinaire : les habitants d’une ville de lacôte manifestaient contre la fermeture de leur camp deréfugiés, affirmant que leurs invités avaient stimulé Ã

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Préparation de semis – Tanzanie Intégration locale – Zambie

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l’économie locale et que leur départ serait une catas-trophe.

L’espoir

Aussi surprenant que cela puisse paraître, une lueurd’espoir est revenue dans certaines régions trop long-temps oubliées du monde.

L’Afghanistan a été au cœur de l’actualité en 2002.Quelque deux millions d’Afghans sont rentrés au paysaprès la chute des taliban et la mise en place du nouveaugouvernement. D’autres pourraient suivre si la situa-tion, certes encore fragile, continuait de s’améliorer.

Des progrès ont été enregistrés au Sri Lanka, théâtred’un des conflits les plus tenaces de l’Asie du Sud. Enfévrier, grâce à la Norvège, les forces gouvernementaleset les Tigres libérateurs de l’Elam tamoul ont conclu unetrêve qui a permis à des dizaines de milliers de déplacés derentrer chez eux après deux décennies de guerre.

En Afrique, l’accord de cessez-le-feu entre le gou-vernement angolais et les rebelles de l’UNITA aréveillé l’espoir d’une paix durable, et donc du retourdu demi-million de civils réfugiés dans les pays voisinset des millions de personnes déplacées à l’intérieur dupays.

Les Somaliens commencent à rentrer d’Ethiopie, etles Erythréens du Soudan. Le mouvement devrait nor-malement se poursuivre jusqu’en 2003. Et la situations’est tellement améliorée au Timor oriental que, dès lafin de 2002, le HCR, en vertu de la clause de cessation dela Convention de 1951, exhortera tous les réfugiés timo-rais encore à l’étranger à rentrer chez eux.

A l’aube d’une nouvelle année, certaines crises appa-remment sans issue semblent enfin se dénouer. Peut-être alors que les millions de réfugiés qui se sont sentisabandonnés, oubliés du monde entier, pourront, à leurtour, se permettre d’espérer.

L’AFGHANISTAN EST UN EXEMPLE DE L’IMPLICATION DES GRANDES PUISSANCESDANS LE DÉCLENCHEMENT PUIS L’ENLISEMENT DES CRISES CHRONIQUES,

MAIS AUSSI, ON PEUT L’ESPÉRER, DANS LEUR DÉNOUEMENT.

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Ecole – Népal

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“Les demandeurs d’asilesont des cibles de choixpour ceux qui cherchent àréveiller les vieux démonsde la xénophobie : ils nepeuvent pas se défendre.”Le Haut Commissaire RuudLubbers, à propos du risque tou-jours présent de réactions hos-tiles à l’encontre des réfugiés.

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“Retourner en Somalie, ceserait replonger en enfer.Aller en Amérique, c’est unrêve. Peut-on hésiter entrel’enfer et le paradis ?”L’un des quelque 12 000 réfugiésbantous somaliens qui devraientêtre réinstallés de manière per-manente aux Etats-Unis.

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“Notre ville n’a pas lesmoyens de soigner, éduquer,former, loger ou protégerces personnes.”Résolution adoptée par la petiteville américaine d’Holyoke, en ré-action à la proche arrivée desBantous somaliens admis à la ré-installation permanente. Ceciillustre la méfiance croissante en-vers “l’étranger” dans certainspays, au lendemain des attentatsterroristes du 11 septembre 2001.

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“Nous ne voulons pas trans-former l’Europe en forte-resse. Mais il faut instaurerun minimum d’ordre et derègles dans le dispositif quipermet aux gens de venir enEurope.”

Le Premier ministre britanniqueTony Blair, à propos des nouvellesmesures envisagées pour luttercontre l’immigration clandestineen Europe.

FFF

“Le rôle de l’ONU en Bosniea été l’une des réussites mé-connues de l’après-guerrefroide. L’intervention inter-nationale en Bosnie resteraun modèle exemplaire d’opé-ration engagée non pas pourservir des intérêts étroite-ment nationaux, mais pourprévenir un conflit, promou-voir les droits de l’homme etreconstruire une société dé-chirée par la guerre.”Paddy Ashdown, Haut représen-tant en Bosnie.

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“La probabilité de voir res-surgir une guerre commecelle qui a déchiré l’Angolaces dernières décennies estpratiquement nulle.”Ibrahim Gambari, conseiller spé-cial de l’ONU, à propos des pers-pectives de paix d’un pays toutjuste sorti de près de 30 ans d’uneguerre civile qui a fait des mil-lions de morts, de blessés, de mu-tilés et de déracinés.

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“Le sang doit cesser de couler.”Joseph Kabila, Président de laRépublique démocratique duCongo, lors de la signature d’unaccord de paix avec le Rwandacensé mettre un terme à ce qu’ona appelé “la guerre mondiale del’Afrique”.

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“Comme on m’a coupé lesmains, j’ai voté avec mes or-teils.”Un électeur sierra-léonais, am-puté au cours de la récenteguerre civile qui a ravagé sonpays, et qui espère maintenant leretour de la paix et de la démo-cratie.

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“Est-ce que j’ai encore unavenir ?”Un Libérien chassé pour la troi-sième fois en six mois par l’unedes plus graves crises humani-taires qui sévit actuellement enAfrique.

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“On est rentrés parce qu’onnous a dit que la paix et lasécurité étaient de retour.Mais nous sommes sans toitet sans travail. Oui, nousavons retrouvé la liberté,mais ce n’est pas cela quinous donnera à manger.”L’un des quelque deux millionsde rapatriés afghans, évoquantl’avenir incertain de son pays.

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“De même qu’il ne peut y avoir aucuneexcuse au terrorisme, aucune revendicationlégitime ne peut être ignorée.”

Le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan.

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