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Agir par la Culture N°30

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Cultures Ouvrières, Culture de Lutte. Portrait : Rudy Demotte. Réflexions : La frontière homme / animal. Débat : Le statut de l'artiste. Côté Nord : Sioen, songwriter gantois.

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  • 1er mai 2012 Bruxelles : La pche aux Canards , animation ludique propose par PAC.1- Tirez les fils2- Obtenez des citations trs douteuses de personnes quelque peu ennemies du progrs social3- Trouvez une rplique ces canards et lafficher...temps fort

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  • 2 TEMPS FORT

    3 DITO

    PORTRAIT POLIT IqUE :4 Rudy Demotte :

    De Spartacus Tournai

    PROPOS INTEMPEST IFS :7 Penser ailleurs

    Par Jean Cor n i l

    CT NORD :8 Sioen : Songwriter et pianiste gantois

    DOSSIER : CULTURES OUVRIERES, CULTURE EN LUTTE

    10 quand la culture sinvite dans des conflits sociauxPar Ludo Bet tens

    13 Groupe Medvedkine : le cinma pour prendre en main son imagePar Aur l ien Ber th ier

    14 Dernire Dfaence :raconter le conflit social par le thtrePar Aur lien Ber th ie r et Benjamin Lariv ire

    17 Adieux au proltariat :la littrature ouvrire de Grard MordillatPar Jean Cor n i l

    BAS LA CULTURE : 18 Starsky & Hutch dans lvier infernal

    Par Denis Dargent

    ART-ACT ION: 19 Emmanue l Bayon : Les villes rendues visibles

    RFLEXIONS: 20 Tris tan Garc ia : Nous autre, animaux

    EN DBAT : 22 Les spcificits des mtiers de la cration

    Par Marc Mour a

    CULTURE(S) 24 Nos vieux, nos dfis

    Par Sabine Panet

    LA IR DU TEMPS26 Cest lgal doccuper une usine ?

    Par Daniel Adam

    27 DCOUVERTES

    sommaire

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    DITOLe rsultat des lections de nos voisins franais, mettant un prsident socialiste aupouvoir pour la premire fois depuis 31 ans, nous fait esprer un changement desrapports de force au sein de lUnion Europenne, les Allemands, Hollandais, et Italienssapprtant galement voter dans les semaines qui viennent. Mais la situation grecquetrs proccupante nous rappelle que nous devons rester vigilants face aux discours do-minants du libralisme, qui, sappropriant et dtournent leur profit des termes sichers nos valeurs, comme la relance et la croissance au profit de quelques uns. Cette vigilance, nous aurons la maintenir lors des prochaines lections communaleset provinciales chez nous.

    Cette vigilance, le PAC la nourrit et lillustre dans bon nombre dactions. Entre autresdans le cadre de cette fin de saison culturelle:Deux cahiers de lEducation permanente, lun consacr au journalisme citoyen et lesecond qui concerne les nouvelles politiques de lecture publique sont toujours dispo-nible auprs de notre service Edition.

    Dbut juillet, sortira louvrage Thtre des Doms, voyage dune dcennie dans notrecollection Les Voies de la cration culturelle, il retrace laventure audacieuse dunthtre belge de cration en Avignon.

    LEnvol des Cits 2012, lance le 7 avril Charleroi, verra son apothose le 9 juin La Louvire avec notamment Machiavel et Romano Nervoso qui viennent se produireaux cts des participants de ce concours de talents, compositeurs et musiciens ama-teurs issus des quartiers populaires.

    La pice Royal Boch: dernire dfaence mise en scne par la Compagnie Maritime,raconte avec beaucoup de justesse et dmotions sincres, la vie et aussi la mort desusines Boch. Le spectacle jou par quelques-uns de ses ouvriers, fait salle comble chaque reprsentation. Un rendez-vous soutenu par PAC ne pas manquer.

    Cest dailleurs lun des sujets traits dans le dossier de ce numro qui consacre lesproductions culturelles ouvrires. Loccasion ici de rappeler le rle primordial de la cul-ture dans lexpression populaire et les luttes sociales que soutient notre mouvement.Littrature, Cinma, Thtre en construction collective sont autant doutils pour sap-proprier, se rapproprier son image, son identit, tmoigner, exister, crer, et rsister!

    Les quipes de PAC saffairent prparer la rentre prochaine qui savrera char-ge avec un spectacle animation autour des lections, une exposition sur la sid-rurgie, lexposition Anne Frank, la Campagne Roms avec pour terminer en dcembre,une nouvelle tourne de lEcole Palestinienne de Cirque.

    Enfin, tout le PAC sassocie moi pour souhaiter une bonne route au nouveau direc-teur de lEden Charleroi, Fabrice Laurent, qui a fait ses classes au sein du PAC en tantquanimateur coordinateur de talent!

    Yanic SamzunDirecteur de la publ ica t ion

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  • Est-ce qu i l ex is te une spc i f i c i t de lacu l tu r e Wa l lon i e -Br uxe l les ct de lapuissance de la Fr ance e t au-de l de lapuissance de la cu l ture anglo -saxonne?

    Tout dabord, cest toute lambigut du mot cul-ture, est-ce quil existe une culture? Au quel cassi on rpond oui, il existe une culture cest quonlui donne un sens universel. Et donc il est difficilede la contingenter sous langle dun territoire oudune institution. Et jai tendance dire quil existeune culture universelle mais qui est dtache duterritoire et qui est difficilement dfinissable parceque luniversalit est par nature quelque chose quise construit dans le lien commun qui est lui-mmetrs volutif. Cest compliqu expliquer mais, pourmoi, la culture universelle existe, mais ce nest pasla culture wallonne.

    Est-ce quil existe une culture wallonne? Je pensequil existe des cultures wallonnes. La Wallonie estun espace gographique qui est en construction,lidentit est lie au territoire et il est courant de la

    dcliner selon les saveurs du terroir. Je dis le motsaveur volontairement car souvent on a rduit laculture wallonne son folklore, ses dialectes, ses produits de bouche. Cest une culture multipleau sens de la dclinaison du terme comme les d-clinaisons que lon a apprises dans les langues an-ciennes. Et donc, la culture est la fois multiple maisoccupe trouver ses repres didentification. Laculture francophone, entre les francophones deBruxelles et les Wallons, existe aussi et elle est, elle-mme, bigarre, mtisse. Elle est elle-mme assezquivoque et se nourrit de ce caractre. Ce sonttous ceux qui lors de leurs tudes, se sont confron-ts la multiplicit des cultures Bruxelles.

    Ils viennent dun terreau o ils ont effectivement vuune coloration particulire. Si on se rend ou habite Bruxelles, on rencontre des populations beaucoupplus mtisses. Donc lapproche du Wallon aucontact de la culture ou des cultures bruxelloisesest teinte de ces mouvements migratoires estu-diantins dabord, des navetteurs qui vont surBruxelles ensuite.

    Maintenant, est-ce que la culture francophonebruxelloise au contact des Wallons en est, elle-mme, imprgne, je pense que oui, car il y existede plus en plus une mobilit des Bruxellois vers lapriphrie bruxelloise. Comme Bruxelles a toujoursexist avec son hinterland brabanon flamand ouwallon, aujourdhui, il y a de nouveaux territoires surlesquels des Bruxellois vont planter leurs racines.Cest notamment le cas de la Wallonie picarde.quand on voit que Charles Picqu a choisi de met-tre sa seconde rsidence sur une des communesqui fait partie de lentit dAth. quand je vois la com-position dune commune comme Enghien qui est v-ritablement devenue la porte de Bruxelles, Silly dont40 % de la population est aujourdhui bruxelloise,ou encore Lessines le Pays des Collines, partout lesBruxellois ont trouv un lieu o ils peuvent vivre,svader en dehors de la priphrie stricto sensude Bruxelles. Oui, ce mouvement de friction de laculture francophone bruxelloise aux cultures de ter-roirs wallons est en train de se produire. Et il y adailleurs un concept qui en est vraisemblablementn, cest la rurbanit.

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    RUDY DEMOTTE :DE SPARTACUS A TOURNAI

    Rencont re avec Rudy Demotte , M in i s tr e -Prs iden t de la Wa l lon ie e t de l a Fdra t ion Wa l l on ie -Br uxel les qu i nous aaccue i l l i s dans sa ma ison tour na isienne, on y aperoi t le cent re v i l le au loin , les c inq c locher s. Ce tte maison qui l avoulue min ima l is te, la isse entrer un f aisceau de lumire max ima l . On y a par l de pro jet de v i l le, de la place et du sensdu mot cu l ture , de fo lklo re, de rurbani t , de nature , d engagement pol i t ique

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  • 5portrait culturel

    Ce sont la fois des urbains car ils possdent uneculture urbaine la base mais ancre dans la rura-lit. Et la ruralit devient un rcipient dexigencesqualitatives suprieures, les services par exemple.On ne se contente plus de la bibliothque de village,cest lvnementiel que lon veut attirer sur le terri-toire. Prcisment lvnementiel est apport parces populations. On a aujourdhui des groupes ma-ghrbins qui, viennent se produire dans la rgion etqui, au contact des populations des campagnes,senrichissent mutuellement.

    S i tu devais c lasser les t rois uvres de lacul ture wa llonne e t br uxe lloise qui ont tdter minantes dans tes choix poli t iques etestht iques, que l les sera ient-el les ?

    Dabord, je suis trs inspir par le patrimoine archi-tectural. Je sais que cest un peu rducteur mais ceque mes sens retiennent pour la Wallonie, cest leGrand Hornu. Sa conception architecturale, le ctrotondinal de lensemble qui est en commun, la co-

    habitation de la culture et de lconomie qui se faitaujourdhui par le redimensionnement musal de celieu qui fut jadis un charbonnage minspirent. Lecontemporain dans un site qui semble appartenir un autre sicle mintresse.

    Le deuxime lment que jaimerais prsenter sijtais amen capitaliser nos points saillants cultu-rels mais pour Bruxelles cette fois, ce serait le Th-tre de Toone. En disant cela, cest presque limagedu pige touristes. Mais en mme temps, jai enviedtre provoquant parce que le Thtre de Toone,cest le mtissage linguistique parfait qui montre quecette terre bruxelloise dont le Zinneke est la languede rfrence nous rappelle une grande modestie.Cette friction culturelle a un ct extrmement per-tinent dans le Thtre de Toone. Vous savez com-bien je suis attach la ville de Tournai, on considrele Thtre de marionnettes comme une facult dex-primer une ralit, mais, dun autre ct, les mes-sages qui passent sont eux-mmes porteurs de sensau-del de ce ct un peu folklorique.

    Et le troisime point saillant que je ferais dcouvrirsur la Wallonie, ce sont les dimensions culturellesinvisibles qui font partie du patrimoine immatrielde lhumanit. Parmi elles, je ne prendrai pas lesgrands carnavals mais davantage un moment qui aexist dans de nombreux villages, qui a tendance disparaitre de plus en plus : ctait ces boursesdchanges motionnelles de ce que lon vivait pen-dant la journe. Jai vcu cela non seulement enWallonie picarde, mais aussi en Flandre. Les gensdposaient la chaise sur le trottoir ou invitaient chezeux leurs voisins. Cest un des points qui memanque dailleurs le plus dans la vie contemporaine.

    Est-ce que tu as une express ion p icardequi te t ient par t icu l i rement cur?

    Le bac finit toujours par se retourner sur le pour-chau. Une auge finit toujours par se retournersur le cochon. Donc on devine intuitivement ce quecela veut dire et cest la mme chose avec lex-pression on est toujours noirci par un noir pot .Cela se traduit par on est toujours noirci parquelquun qui est plus sale que soi . En politique,ceci sous-tend comme rflexion: on doit sabstenirdavoir une attitude, un comportement qui se sertdes dfauts des autres et qui soutient le ngatif desautres. Cest quand mme une des raisons pour la-quelle dans mon engagement politique, on ne men-tend jamais me positionner en termes doppositionad hominem.

    S i tu dev iens Bour gmestr e de Tour nai enoctobre 2012, quel le ser ai t la place quetu accorder ais la cu l ture ?

    Dabord, pour moi un projet de ville, cest un projetqui organise la relation de lhomme et de la femme lenvironnement urbain, et Tournai est un envi-ronnement urbain atypique parce que cest une villede 35.000 habitants fusionns avec 29 villages qui font eux-mmes au total 35.000habitants. Elle est donc dans un rapport parfaitdquilibre entre la campagne et la ville. Cette si-tuation oblige une rflexion sur la culture qui nestpas une rflexion lie des murs. Ce nest pas laculture institutionnelle. Donc la relation des hommeset des femmes, dans une ville de ce type, la cul-ture est forcment une relation qui est empreintede dcentralisation constante.

    quelle est dans les villages de Tournai la manirede faire en sorte que chacun prenne part au pro-jet? Ce nest pas simple. Cest dailleurs la plusgrande commune en termes de superficie deBelgique avant Anvers. Dans ce contexte-l, la cul-ture est un enjeu extrmement compliqu. Cestaussi compliqu Tournai que la rparation des

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    routes. Cela fait rire parce quon comprend trs bience que cela veut dire. Cela veut dire que lessaimagedes moyens dans une ville comme celle-ci par rap-port un projet culturel est un danger et une op-portunit. Linscription dans un plan communal dedveloppement rural de Tournai est un des l-ments de rponse cela. Il ne suffit pas dembellirdes places publiques, il faut que, quand on a lop-portunit de le faire, il y ait des salles, des maisonsde villages qui sont comme des maisons dassocia-tions, des endroits o la vie culturelle vient lcher auplus bas niveau de citoyennet possible les basescommunales. Et puis ct de cela, il y a toute lapolitique de lvnementiel.

    que l est le g rand per sonnage h is tor iqueet le gr and intel lectuel qui aujourd hu i im-prgnent ton engagement pol i t ique?

    Le grand personnage historique, cest Spartacus.Je trouve que cest un des plus beaux moments dervolte de lhumanit. Ce sont ceux-l mmes quisont placs dans la mme position que les Kaposdans les camps de concentration et dexterminationallemands qui doivent surveiller les leurs dans desconditions de dgradation o ils sont annihils psy-chologiquement. Ces esclaves qui sont des gladia-teurs sont ceux qui doivent faire verser le sang desleurs pour survivre un petit peu plus longtemps. Jetrouve quil y a l une filiation et que ce sont ceux-l qui se sont rvolts un moment donn contreleurs oppresseurs auxquels ils offraient un specta-cle. Ils se sont transforms en forces armes orga-nises, ont rsist, et pour finir aussi, comme dansle Germinal de Zola avec leurs martyrs, ils ont tcrucifis sur une voie longue qui menait Rome.Ctaient les premires bases de la rvolte humaine,en tout cas dans notre histoire, contre loppression.Ce qui explique que des mouvements de gauche, lesspartakistes, Rosa Luxembourg, sen sont inspirspar la suite. Je reste attach ce personnage. Pri-

    vilgier un intellectuel, cest extrmement difficileparce quil y en a des myriades. Si je devais en choi-sir un, trs modestement, je choisirais quelquun quinest peut-tre pas un intellectuel la hauteur dessphres internationales mais qui ma touch per-sonnellement. Cest Marcel Liebman.

    q ue l es t le f i lm que t u as r e gardder n ir ement ?

    The Man from Earth, LHomme de la Terre. Cestun film, une coproduction canadienne, je pense, quiraconte lhistoire dun homme dune quarantainedannes, qui runit ses amis, profs dunif dans dif-frents domaines sciences, psychiatrie,, et quileur avoue avoir plus de 40.000 ans. Cest unhomme qui narrive pas mourir et qui a vcu lenolithique. La question est: est-ce que ce type estun fou ou est-ce que son histoire est vraie?

    Sur le plan intellectuel, cest un des plus grands mo-ments de plaisir que jai eu depuis trs longtemps partager.

    que l est ton r appor t la mus ique?

    Je pourrais parler de ce que je ncoute pas, je d-teste la musique agressive et je suis assez irrit parla musique lectronique. Cest peut-tre une formedhermtisme une volution trs rcente de la mu-sique. Je suis sensible aux musiques douces. Cesttellement classique pour un lac de se rfrer Mo-zart Je suis plus marqu par les voix et les chantsitaliens, par un artiste comme Zucchero ou le russeVyssotski qui sont un petit peu dans le mme re-gistre, qui me touche. Brel, bien sr.

    Le rappor t la nature , cela t inspir e?

    Oui, jaime le vlo et singulirement le VTT. Jai pra-tiqu longtemps le vlo sur route et jaimais

    dailleurs le faire titre presque de comptition.quand jtais jeune, jtais sur la route tout le temps.Jai fait des rallyes vlo, des comptitions maismaintenant, je fais du VTT. Pour moi, cest le moyende rejoindre le plus directement la fort, la nature,et de sentir lodeur de la terre. Jai un rapport sen-suel lodeur de la terre. Jaime lodeur de lhumus.Je ne sais pas si vous tes comme moi mais cest cequi me reconstruit le plus.

    Pour toi , le l ieu enchanteur sur la plante, par t Tour na i , ce ser ai t o?

    En dehors de ma terre tournaisienne et du pays desCollines que jaime beaucoup, ce serait une ville quiest un ancien comptoir grec, une pninsule au-jourdhui en Bulgarie, o je vais quasiment chaqueanne, construite encore de vielles maisons en moel-lons de pierre et un encorbellement avec des picesde chne. Cest la ville de Sozopol, Sozopolis. Cestune ville dans laquelle nous avons des amis qui ontune maison un peu isole de tout. Cest comme si onretournait au moins deux sicles en arrire. L, cestla Mer Noire qui est une mer dencre certains mo-ments. Elle peut tre parfaitement opaque. Cest uncontexte climatique qui ressemble trs for t aucontexte mditerranen. On a souvent de la Bulga-rie une vision dun pays de lest ex-bloc communiste.Cest faux. Si lon regarde bien une carte, le nord dela Bulgarie commence la latitude de Rome. On estl-bas dans un climat qui est trs agrable lt, plusdur lhiver car il ne bnficie pas du Gulf Streamcomme nous lavons ici dans notre partie delEurope. Mais cest vraiment un coin de paradis.

    Propos recue i l l i s par Sab ine Beaucampet Jean Cor n i l

    Retrouvez cette interview en version longuesur www.agirparlaculture.be

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  • 7propos intempestifs

    Ce qui est par compte rarement voqu, cest lar-rire-fond thologique de limaginaire politique mo-derne. la diffrence de la hirarchie de la Grceantique, il y a une parent de signification entre ladoctrine chrtienne et nos conceptions du politique.Lthique communautaire chrtienne a profondmentimprgn notre rapport au pouvoir, la lgitimit, la hirarchie, lautorit. Toutes nos approches mo-dernes de la dmocratie, de lanarchisme ou du com-munisme, de Rousseau Marx, sont baignes parles valeurs de libert, dgalit, de fraternit, de paixuniverselle ou de lautonomie de la conscience cri-tique. De Jean-Marc Ferry Michel Onfray, les d-monstrations comme les dnonciations ne secomptent plus. Des notion de souverainet et de re-prsentation aux exigences dunit et dautonomie, laprgnance du message divin sur notre organisationpolitique confirme le principe selon lequel le mondescularis daujourdhui est la tradition profane dumonde religieux dhier.

    Affinons le trait propos de la crise conomique ac-tuelle. Sappuyant sur les fameuses thses de Max

    Weber sur lthique protestante et lesprit du capi-talisme, Mona Chollet remonte aux sources moralesde laustrit, trs en vogue dans lespace euro-pen. Car, sous le couvert de la rationalit cono-mique, cest en fait un substrat culturel et religieuxqui dtermine les choix poss. La rigueur fleure bonlinfluence de lascse calviniste et le pch de pa-resse tant honni par Luther innerve nos plans dac-compagnement des chmeurs ou lallongement delge de la retraite. Dans loptique puritaine, pren-dre du bon temps, se reposer ou profiter de la viedevient moralement condamnable. On ne peut plussouffler sans mauvaise conscience. Aprs la la-cisation des tats, la tche sera la dmonothi-sation des esprits. Lobstination de la rigueurflir terait-elle avec les vertus de la mortification? Lacertitude thique expliquerait bien plus le choix desmesures que lapparente raison conomique.

    Walter Benjamin crit que le capitalisme est pro-bablement le premier culte qui nest pas expiatoiremais culpabilisant. Prenez la dette. De sa limitation la rgle dor, elle aspire tout le dbat politique.

    Car, comme le raconte Alexandre Lacroix, la detteest la structure morale et mtaphysique premirede notre culture. Elle implique une vision linairede lhistoire qui va en samliorant. La conceptionjudo-chrtienne du temps est en quelque sorte lacondition mentale dune action conomique pariantsur la croissance crit-il.

    Aujourdhui plus de Jsus venu racheter les dettesdes hommes envers Dieu lors du pch originel.Mais des tats qui sauvent avec largent public lesconduites imprvoyantes. Plus de Bible ou de Pro-vidence qui garantissent les promesses clestesmais une Banque centrale qui assurera lavenir deshommes et des gouvernements pour autant quilsexpient dans la souffrance et la culpabilit les forcespromthennes qui les ont conduits croire quilspouvaient sans cesse se dpasser. Il sagit bien decommencer penser ailleurs.

    Jean Cor n i l

    PENSER AILLEURS l i r e les commentai r es mdia t iques des temps prsents, la pol i t ique moder ne se ser ai t manc ipe de la t r ad i t ion r e-l ig ieuse e t des dogmes tr anscendants. Les quere l les du sacr e t du pro fane appar t iendr aient dsor ma is no tre pass .La scular isat ion ayant ral is son uvre h is tor ique , i l conviendra i t , comme nous le r appel le sans cesse l actua l i t , deb ien d fendre les f r ont ires de la la c i t e t de lutte r p ied pied contre tout empi tement sp i r i tuel au se in de l espacepubl ic . Les bal ises du dbat, en volut ion constante , sont b ien connues e t a l imentent souvent la r aison pr ima ir e dupol i t ique, en ter mes de communaut, d ident i t , dappar tenance ou de na t ion.

    CC B

    Y-SA

    2.0

    par

    Jon

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  • 8Tu v iens de sor t i r ton quatrime a lbum e tpour tant i l me semb le que tu r estes peuconnu dans la par t ie f r ancophone dupays. Peux-tu nous r aconter ton parcour smusica l ?

    Mon parcours a dbut trs tt, mon pre tait pro-fesseur de musique. Il ma pouss dans cette di-rection. Jai jou de la flte traversire, puis de laflte classique pendant 11 ans. lge de 16 ans,jai commenc couter de grands artistes, jai en-suite rejoint un groupe de rock dans lequel jaichant et compos des mlodies sur mon piano. Jeme suis produit en concert pour la premire fois en2000, aujourdhui voil dj 12 ans que Sioen lar-tiste existe. linstar de beaucoup dartistes, jai eula chance de jouer dans des festivals comme lesRockalies au Havre et jai fait normment dautresconcerts avant la parution de mon 1er album.

    Essent iel lement au nord du pays?

    Oui. Et simplement en piano voix. Jai commenc jouer partout o je pouvais, surtout Gand o jha-bite. Dans les bars, javais mon jour qui tait pro-gramm afin de me produire en live. Cela mapermis de rencontrer mes premiers fans. Au dbut,on ma dit de me produire au maximum et en prio-rit Gand ou Louvain car cest l que la popula-tion estudiantine est la plus for te. Ce qui estencourageant avec un public comme les jeunes,cest quils achtent ta dmo et lcoute directementen rentrant chez eux. quand jai sorti lalbum en2003, il tait dj trs attendu par le public, donc sije peux donner un conseil aux jeunes musiciens, ceserait de multiplier le plus possible le nombre depetits concerts afin dacqurir de lexprience et voir

    comment les gens accueillent votre musique. Pourmoi, la musique doit avant tout toucher les gens. Jeprfre tre proche du public. Cest comme un artqui unit le public et la musique. Je ne veux pas crerdes choses artificielles, mais de vraies motions.

    Tu semb les un ar t is te engag cont re ler ac i sme not ammen t avec Ar no e t TomBar man le chanteur de Deus e t tu t in-vest is auss i dans des campagnes commecel les dOxfam inter nat ional . quel type demessage veux -tu f ai r e passer ?

    Cest pour moi quelque chose qui va de pair avec lepublic, je midentifie dailleurs mes idoles de lamusique comme Bob Dylan ou Bob Marley, desgroupes et des artistes aux textes engags. Per-sonnellement, jai aussi eu une ducation trs ou-verte socialement parlant. Ainsi quand nous jouionsen concerts, nous donnions une partie de nos b-nfices pour ce type de causes. Jai dautres projetsavec Oxfam ou Belgavox dans lesquels nous allonscollaborer avec des musiciens africains. Cest l unebelle occasion de dcouvrir une nouvelle culture. Lamusique na pas de frontires et cest ce qui meplat. La musique me donne lalibi pour tre un chan-teur engag. Entendre simplement mes morceauxdiffuss sur les ondes, cela ne me suffit pas mesentir utile.

    As-tu des contacts avec des ar tis tes f ran-cophones?

    Jai fait la premire partie de Girls in Hawaii. Jai jougalement avec Sharko Paris et fait une tourneavec Puggy. Je connais ces artistes et jessaie aumaximum de les suivre mais ce nest pas vident car

    les mdias sont diviss. On ressent toujours cettecassure linguistique. Je trouve que nous devons sti-muler des changes. Faire le contraire est stupide.Nous devrions bien au contraire nous soutenir da-vantage les uns les autres. Cest une faon de pen-ser qui doit dbuter trs jeune, il faut favoriser lesrapports mais je ne me fais pas de soucis car lesjeunes daujourdhui ont beaucoup dnergie posi-tive.

    Ton nouve l a l bum s i nt i tu l e S ioen .Cons idr es- tu que c est ton a lbum le p lusabout i ?

    Cest lalbum le plus reprsentatif de ce que je suis.Aprs ma collaboration avec les musiciens africains,jai eu une longue pause lors de laquelle jai pu r-flchir ce que je voulais faire et dire. Je voulaisparler de mon passage la trentaine, de faire d-couvrir qui est vraiment Sioen. Jai travaill gale-ment avec dautres artistes, ctait comme si je meregardais dans un miroir et je me suis compar eux pour mettre en avant mes faiblesses, mes qua-lits... Comme jcris mes textes, jai voulu parler demoi sans me fourvoyer, je suis heureux car mes amisestiment que cet album est celui qui me ressemblele plus.

    Pr opos r ecuei l l i s par Sabine Beaucamp

    Sioen sera en concert le 24/06/2012 auEupen Musik Marathon (Eupen) et le20/07/2012 au Boomtown (Gand)www.sioen.net

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    S IOEN.SONGWRITER ET PIANISTE GANTOIS

    Freder ik S ioen est un jeune chanteur gantois, compos i teur- inte r pr te de 32 ans. En fvr ie r der n ier, i l sor tai t son qua-t r ime a lbum S ioen. . Un a lbum trs russ i qu i r isque fo r t de le p ropulser sur le devant de la scne belge no tam-ment dans la par t ie sud de notre pays o i l r es te encore peu connu. Rencontre avec un garon trs sympath ique e touver t despr i t .

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  • que ce soi t dans les annes 1970 ou le prsent , la cul turea par t ie l ie avec l es lu t tes soc i a les comme l e brossel h is tor ien Ludo Bettens que l le les ser ve ou quel le senser ve . Pe t i t r e tou r en ar r i r e , au se in des c lbr esgroupes Medvedk ine , une expr ience d ducat ion popu-l a i r e o des c inas tes on t appr i s aux ouv r ie r s f a i r eleur s pr opr es f i lms. Aut r e exemp le p lus ac tuel de ce ttecu l ture par , pour e t avec les tr ava i l leur s en lutte avec lap ice de la Compagnie mari t ime, Roya l Boch : Der n i redfa ence , dont le spectac le per met tant le souvenir quela v igi lance e t l a le r te soc ia le . Enf in , la l i t t ra ture dunau teur ouvr i e r comme Gr ard Mor d i l la t per met e l leauss i de passer le message du mouvement soc ia l .

    CULTURES OUVRIERESCULTURE EN LUTTE

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  • Les annes 1970 se caractrisent en Belgique parune augmentation importante des conflits sociauxet une modification de leur typologie. Les moyensde pression des travailleurs sur le patronat pren-nent de nouvelles formes, plus radicales: sques-trations, actes de sabotage, dprdations demachines ou de locaux, grves de la faim et surtoutoccupations dusine (elles atteignent le nombre de64 en 1977-1978!). Souvent lies aux conflits dor-dre dfensif, celles-ci sinspirent du conflit mythiquemen, en 1973, aux usines horlogres de Lip Be-sanon. Elles saccompagnent dailleurs parfois,comme leur modle franais, de pratiques autoges-tionnaires, visant prouver la viabilit de lentre-prise (Daphica-Ere en 1974, Val-Saint-Lambert en1975, Fonderies Mang en 1976-1977, Salik en1978, etc.).

    LUTTES SOC IALES ET CULTURE : LGEDOR DES ANNES 1970

    Ces conflits atypiques innovent galement par leurconnexion avec la culture. Dans la foule de Mai 68,le monde ouvrier exerce sur les intellectuels enga-gs une fascination qui conduit nombre dentre eux faire lexprience du travail en usine. Dans lemme esprit, une srie dartistes prennent linitiativedaller la rencontre de la classe ouvrire. Ds1969, le Thtre de la Communaut de Seraing pr-sente de courts spectacles de thtre-tract lorsdes pauses des ouvriers aux abords des entreprisesde la rgion ligeoise. Plusieurs autres troupes(Thtre des Rues, Atelier du Zoning, etc.) adop-tent la mme dmarche et crent des sketchs oudes spectacles avec la participation de grvistes(chez Farah, Salik, Siemens-Baudour). Sur le

    plan musical, le GAM, cr au dbut des annes1970, entend mettre la lutte de classes dans lachanson et la chanson dans la lutte de classes. Cesouhait sincarne en 1974 dans un premier disquede chansons de lutte ralis en collaboration avecles travailleurs en grve des Grs de Bouffioulx.Dautres groupes musicaux, tels Expression ouCigal, suivront lexemple, entranant la productionde nombreuses chansons (Sherwood Medical, leBalai Libr, Martin-Frre, etc.) et de disques delutte au sein dusines en conflit (Siemens-Baudour,Glaverbel, Fonderies Mang et Capsuleries deChaudfontaine, etc.). Cette participation active destravailleurs la cration artistique est particulire-ment intressante en ce quelle les rend porteursde culture. Ces collaborations ont parfois dbou-ch sur la cration de groupes musicaux ou detroupes de thtre autonomes qui ont, leur tour,

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    QUAND LA CULTURE SINVITE DANS DES CONFLITS SOCIAUXUNE INNOVATION DES ANNES 1970. ET AUJOURDHUI?

    Dans une tude que nous avons consacre avec r ic Geer kens la conf l ic tua l i t soc iale en rgion l igeo ise dans lesannes 1970, nous mett ions en v idence un r enouve l lement de cel le -c i marqu par l mergence de for mes indi tes delut tes socia les et par le r ecour s f rquent des inte r vent ions cu l t ure l les. Au jourdhu i , a lor s que la Be lgique est nou-veau confronte une c r ise conomique a igu , i l nous semble intressant, sur base de quelques conf l i ts rcents, der appe ler la place que la cu l t ure peut p rendre dans les conf l i ts sociaux e t de mettr e en r e l ief cer ta ines constantes ouvo lut ions depuis quarante ans.

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    particip aux innombrables ftes de solidarit auxentreprises en lutte mais qui ont rarement survculongtemps au conflit dont ils manaient.

    partir du milieu des annes 1970, il est de plus enplus courant dassocier pratique culturelle et luttesociale. Dautres animations artistiques viennentpeu peu appuyer les revendications des travail-leurs: cin-clubs, tournage de reportages sur lesconflits, expositions, etc. Les occupations dusinesse prtent particulirement bien ces rencontresentre le monde du travail et celui de la culture. Ellessinstallent en effet dans la dure et offrent aux ar-tistes un lieu idal pour venir la rencontre des tra-vailleurs momentanment dgags des loiscontraignantes du travail (horaires, cadences).Ces activits culturelles regroupent cependant desralits fort diffrentes selon quelles soient menespar des artistes destination des travailleurs oumises en place par les grvistes eux-mmes; selonquelles soient envisages dans un but de distrac-tion passive ou quelles participent activement lalutte. Nanmoins, elles tmoignent toutes dun en-gagement des artistes dans les mouvements so-ciaux et constituent un extraordinaire vecteur demdiatisation des conflits.

    Le monde syndical intgre peu peu certaines pra-tiques artistiques aux formations de dlgus.Endcoulent, par exemple, un atelier cratif anim Lige par lartiste Gibbon en vue de sensibiliser lesdlgus FGTB lexpression graphique ou un ate-lier-thtre mis en place par le Thtre de la Com-

    munaut pour le syndicat chrtien. Ce dernier d-bouche en 1977 sur le thtre des jeunes CSC (fu-ture Compagnie du Rfectoire) qui se produirargulirement lors de manifestations syndicales oudans les entreprises en lutte.

    Au cours des dcennies1980-2000, on assiste une relative pacification des relations sociales:le nombre moyen annuel de jours de grve est, dansles annes 2000, divis par trois par rapport auxannes 1970 et est historiquement bas dans le sec-teur priv. Outre sans doute lamlioration globalede la situation conomique et laugmentationmoyenne du niveau de vie, plusieurs facteurs expli-quent cette volution. Parmi eux, la tertiarisationcroissante du monde du travail, le secteur des ser-vices tant plutt caractris par des conflits decourte dure. De plus, la concertation sociale a vo-lu depuis les annes 1970 vers un modle de plusen plus cadenass dans lequel ltat intervient demanire rcurrente et o organisations patronaleset syndicales sont invites privilgier au maxi-mum la concertation. Enfin, partir des annes1980, on assiste la judiciarisation croissante desconflits collectifs, le patronat recourant de plus enplus rgulirement la justice pour faire cesser lesmouvements sociaux. Cette volution de la conflic-tualit semble saccompagner dune perte dintrtdu monde culturel pour le monde du travail et dudplacement de la militance vers de nouvellescauses juges plus urgentes ou plus fondamentales(droits de lhomme, quilibre Nord-Sud, questionsenvironnementales).

    LA RSURGENCE DE LA CULTURE COMMEMOYEN DE LUTTE?

    La rcente crise des subprimes a visiblementchang la donne et entran un durcissement desrelations sociales et le retour une conflictualitplus muscle: squestrations de membres de la di-rection par les travailleurs notamment chez Car-tomills, Cytecet Arcelor-Mittal ou occupations,comme chez Fiat-IAC et Royal Boch. Lanalyse dequelques conflits rcents semble indiquer par ail-leurs une solidarit retrouve du monde culturelavec celui du travail. Ainsi, loccupation de RoyalBoch (fvrier-mai 2009) voque bien des gardsles avatars des annes 1970. Trs rapidement eneffet, des artistes (dont la photographe VroniqueVercheval et le metteur en scne Daniel Adam) ap-portent leur soutien ce combat (voir pages14 16 de ce numro).

    Le thtre constitue toujours, en rgion wallonne,lun des secteurs culturels les plus proches dumonde des travailleurs. Cela sexplique notammentpar la place importante du thtre-action qui en-tend donner la parole ceux qui se la voient habi-tuellement refuser, au travers de spectacles conuspar et/ou pour eux. Cest donc naturellement quilsinscrit dans le champ des revendications, commeen tmoignent le spectacle SVP Facteur de la CieAlvole et la Cie Buissonnire dnonant la ds-agrgation progressive des services publics ou Ca-deau dentreprise du Collectif 1984 qui prend laforme du murga, une pratique de contestation po-

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  • pulaire originaire dArgentine qui mle carnaval etcritique sociale, pour dnoncer les restructurationsdentreprise ralises sur le dos des travailleurs.

    Dans un monde de plus en plus domin par limage,les syndicats choisissent dinvestir le champ audio-visuel. En 2008, la FGTB et les mtallurgistes deLige produisent ainsi le documentaire HF6. Rcitdune victoire syndicale, il mdiatise la dterminationdes travailleurs pour la relance du haut-fourneau6de Seraing et offre alors un message de fiert etdespoir, malheureusement contredit par lactualit.

    Le cinma implique un long processus de crationqui ne saccorde pas toujours avec lurgence desconflits. LInternet, au contraire, par la visibilit im-mdiate quil confre, constitue un outil plus adapt.Les organisations syndicales nont pas tard lemettre profit: leurs sites proposent des clips re-latifs lactualit syndicale (manifestations, prisesde paroles de responsables) ou certaines reven-dications. Les Mtallos de la FGTB sont particuli-rement actifs dans ce domaine. Ces reportages,proches, dans lesprit, des courts mtrages rali-ss jadis par Canal Emploi dans les usines occupes,sen distinguent par une diffusion sans communemesure avec celle de lancienne tlvision commu-nautaire. Posts sur YouTube, ces vido-tracts tou-chent un public trs large et constituent un desmoyens de communication essentiels desconflits.Carrefour dangereux1, illustrant la luttecontre le gant franais de la grande distribution en2009, a ainsi t visionn par plus de 9000 inter-nautes en peine quelques semaines!

    Le combat men contre Arcelor Mittal en faveur dumaintien de la sidrurgie en rgion ligeoise adonn lieu, au cours des derniers mois, quatre vi-dos produites par la FGTB2 et des marques desoutien de divers acteurs culturels. Ainsi par exem-ple, un groupe dartistes proches de travailleurs delentreprise sidrurgique a cr un autocollant FullMittal Racket en clin dil au clbre film de Stan-ley Kubrick. Paralllement, lquipe du Centre cultu-rel Les Grignoux produisait une affiche sur la mme

    ide. Plusieurs chorales (Les Canailles, le Conser-vatoire de Lige et la troupe du Grandgousier, lesCallasroles, les Voix du Leonardo, etc.) ont fait en-tendre leur voix aux ct des travailleurs en inter-prtant des chants de luttes lors de manifestationsou de piquets de grve. Par ailleurs, le Collectif LeMensuel, travaille actuellement ladaptation th-trale de LHomme qui valait 35 milliards, uvre desyndicalisme-fiction o Nicolas Ancion imagine lekidnapping du patron Lakshmi Mittal par des ou-vriers licencis! Plus fondamentalement, le conflitArcelor Mittal pourrait constituer terme une datecl en termes de redfinition de la stratgie de luttesyndicale. En effet, la FGTB Lige-Huy-Waremmelance au cours du mois de mai, une initiative origi-nale avec la plateforme collaborative Harcelez Mit-tal3 qui entend fdrer les jeunes, les artistes, lesintellectuels, les travailleurs et le syndicat dans lalutte commune contre le systme capitaliste. Unappel sera prochainement lanc auprs des artisteset cratifs de tous secteurs visant susciter desprojets vocation sociale, cologique, artistique ouculturelle.

    CONCLUSION

    la veille de la fte des travailleurs, lUnion wal-lonne des entreprises publiait une enqute qui d-nonait le caractre illgal de 60 70% desgrves dans le secteur priv en Wallonie (parcequelles se droulent sans pravis pralable) et qua-lifiait la squestration de mal wallon (La Libre En-treprise, 28 avril 2012, p. 2-3). Cest oublier un peuvite que la violence nest pas lapanage syndicalcomme la montr encore rcemment laction mus-cle dune milice prive envoye par le patron deMeister Benelux Sprimont pour saisir le matriel delentreprise. On peut dailleurs sinterroger sur cetteconception de la justice qui estime lgales les re-structurations -mme lorsquelles sont motivespar la seule loi du profit- et taxe dillgale la ripostedes travailleurs pour la dfense de leur emploi etde conditions de vie dcentes. Face une conomiemondialise qui permet toutes les drives patro-nales et prive les travailleurs dinterlocuteurs lo-

    caux, faut-il stonner que le recours ces moyensde lutte plus radicaux apparaissent aux travailleurscomme une des dernires manires de faire enten-dre leurs revendications?

    Paralllement, la crise que connat lEurope a en-tran un regain de la militance dnonant linjus-tice de plus en plus flagrante de nos socits et latoute-puissance arrogante de la finance. Les ar-tistes et acteurs culturels y trouvent naturellementleur place, entranant une rsurgence des pratiquesartistiques dans les conflits sociaux. Les mouve-ments des annes 1970 nous ont montr quelpoint le dcloisonnement des mondes du travail etde la culture a nourri la combativit. Sommes-nousen train dassister une nouvelle alliance de cesdeux mondes et aux prmices dune riposte gn-rale contre le capitalisme triomphant? Les initia-tives voques dans cette analyse prouvent en toutcas que certains sont dcids relever le dfi!

    Ludo Bet tens

    1 www.youtube.com/watch?v=m3TSdPAkJnk2 www.far.be/vitrinevideo/index.html3 Pour plus dinformations voir:

    www.harcelezmittal.be

    Cet article est une version rsume et actuali-se de lanalyse de Ludo Bettens quand laculture sinvite dans des conflits sociaux : uneinnovation des annes 1970. Et aujourdhui ?disponible sur www.ihoes.be/PDF/Ludo_Bettens-Annees_1970.pdf

    En savoir plus:

    ric Geerkens et Ludo Bettens, Des occupa-tions dusine la mdiatisation culturelle inNancy Delhalle et Jacques Dubois (dir.), Letournant des annes 1970. Lige en efferves-cence, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles,2010, p. 62-82 & 303-312.

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  • Les groupes Medvedkine ont t le fruit dune ren-contre entre des cinastes (comptant notammentdans leur rang Chris Marker, auteur dune cinquan-taine de documentaires politiques et potiques) etdes ouvriers. Dabord au sein de lUsine Rhodia (Be-sanon) de 1967 1970 puis dans lUsine Peugeot(Sochaux), de 1970 1974. Ils ont t mis encontact par Paul Cbe, militant syndical, responsa-ble de la bibliothque du personnel dans ces deuxentreprises, mais aussi ducateur populaire.

    Le nom des groupes rend hommage AlexandreMedvedkine, ralisateur sovitique, connu pour sesreportages sur le front et ses chroniques de la vieordinaire. En 1932, celui-ci traverse la Russie dansson cin-train, tournant le jour, montant la nuit pourfinalement projeter le rsultat aux personnes filmesle jour suivant. Lhistoire du cinma retiendra de luiquil a invent le rythme moderne de la tlvision etde lactualit filme tout en ayant le souci constantdinclure les sujets de ses films dans leurs produc-tions, de permettre aux ouvriers de se voir au tra-vail et de mettre le cinma entre les mains dupeuple.

    PASSER DERRIRE LA CAMRA

    En 1967, suite un conflit violent se droulant lUsine Rhodia, trois cinastes viennent y raliser undocumentaire. Cela donnera bientt jesprequi fait apparaitre lcran les travailleurs, leursangoisses, leur action.

    Mais, projet aux ouvriers, le film frustre, insuffisant rendre compte de la situation ouvrire et syndi-cale. Au fil de la conversation, houleuse, entre ci-nastes parisiens et travailleurs bisontins, un moyense dgage pour remdier cette vision bourgeoiseet romantique du monde ouvrier : les cinastes ap-prendront aux ouvriers filmer et les ouvriers fe-ront eux-mmes des films. Des films douvriers etnon plus des films sur les ouvriers.

    quatorze films seront produits tout au long de cetteexprience hors norme. On y voit le travail cinma-

    tographique de ceux qui ne sont pas censs faire ducinma. Un cinma de terrain, une expriencedmancipation autant quun outil de lutte.Il sagittout autant de prendre la parole que de produirede lart, chercher des formes diffrentes et dve-lopper une esthtique.

    MONTRER LA VIS ION OUVRIRE

    En 1968 est ralis Classe de lutte. Il dbute cerenversement des points de vue: cest depuis lin-trieur du monde ouvrier que sexpriment les voixde ceux qui nen avaient pas, o sautorise la prisede parole et ce faisant, lmancipation. Les destinsindividuels et collectifs sont runis dans la lutte travers le portrait dune ouvrire simpliquant peu peu dans le syndicat, smancipant par le savoir etla militance. Cest lusine, Besanon, lexploitation, lacritique de la vie quotidienne qui y sont montreset lies, replaces aussi dans un contexte interna-tional plus large comme lEspagne franquiste ou leVietnam

    Suivent dautres productions, portant sur les condi-tions de vie et dpanouissement des ouvriers.Dure du temps de travail excessive qui vole lavie, cadences infernales, bruits, accidents du tra-vail, petits chefs, la fatigue, labrutissement face la Nouvelle socit propose par la classe di-rigeante pompidolienne qui justifie toute cette pr-carit et en appelle dj la sainteconcurrence mondiale et la ncessaire amliorationde la productivit. Les dernires productions deRhodia sont plus potiques et libres, moins centressur lide de faire dcouvrir le monde cach desouvriers et rendent ainsi compte de cette crativit/ rsistance culturelle au sein du groupe ouvrier.

    Sochaux, le cinma Medvedkine se fait plus pes-simiste, plus amer. On sloigne peu peu de luto-pie68 pour rentrer dans une nouvelle phase delexploitation quon appelle aujourdhui le nolib-ralisme. Leur dernire production en 1974, Avecle sang des autres, implacable, pointe le dses-poir et un crasement par le travail, lalination de

    la Socit de consommation et de contrle alors quesinsinue peu peu le chmage de masse.

    Le cinma est une arme, une arme politique et ar-tistique, pour pouvoir prendre en main les imagesqui sont produites de soi et de son groupe, recon-qurir son identit, ses reprsentations et, ensomme, de faire culture.

    Aur l ien Ber th ier

    Lintgralit des films Medvedkine est dite dansun double DVD Editions Montparnasse, 2006.

    Certains de ces films sont visionnables surwww.ubuweb.com

    En savoir plus:http://remue.net/spip.php?article1726

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    GROUPES MEDVEDKINE LE CINMA POUR PRENDRE EN MAIN SON IMAGE

    Ac t i fs en Fr ance de 1967 1974, les groupes Medvedkine ont produi t une quinzaine de f i lms de cra t ion ouvr i re auton novateur, en al l iant es th t ique avant-gardis te e t l ibrat ion de la parole populai r e . Et des ouvr ier s de r eprendrele contr le de leur s images tout en posant une cr i t ique pro fonde de la v ie quot idienne. Retour sur ce tte aventure quia l i c inastes mi l i t ants et mi l i t ants ouv r ier s.

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    Le projet est ancien rappelle Daniel Adam, metteuren scne: On ne peut pas parler du spectacle sansparler de ce quil sy est pass avant, lors de loc-cupation de Royal Boch. Je my rends dabordcomme voisin. On venait de terminer un spectacle,en partenariat avec PAC, dans la rgion de Couvinavec danciens fondeurs, Tu vas encore nous fairepleurer, quon a jou dans lusine dans les pre-miers jours de son occupation. Suivent dautresspectacles et actions dont la publication dun livrede photos de Vronique Vercheval et de texte quejai cris, Usine occupe. Lide tait de rendrecompte de comment se passe une occupation delintrieur pendant 5 mois. Aprs plus de quatremois doccupation, un repreneur rachte, et onsaperoit en fin de compte que cest un escroc.Lusine est dmolie. Les travailleurs sont licencisde faon scandaleuse, sans droit, sans couverturesociale. Et avant que ce soit la fin, je vais leur pro-poser de monter un spectacle qui tmoignerait deleur aventure.

    La construction du spectacle sest faite avec unevise collective. Les ouvriers faisaient des pices,nous-aussi, a tombe bien! Donc, on a essay detrouver la mme.Dentre de jeu, nous sommestombs daccord de travailler sur la priode doc-cupation. Puisque sa dure de presque 5 mois larend exceptionnelle, il tait important pour nousden parler. Nous avons, au travers de leurs his-toires personnelles, retrac toute lvolution de len-treprise Royal Boch. Jai donc repris leurs ides, jecrais les scnes puis je leur prsentais pour quenous en discutions. On ne peut pas appeler cela unecriture collective mais plutt un propos collectif.

    Pour autant, Daniel Adam rfute le terme de piceouvrire: Je ne me suis pas dit au dpart je vaisvenir faire du travail thtral en milieu ouvrier. Jevoulais monter ce spectacle parce que cette occu-pation est exceptionnelle et que crer cette piceest la meilleure chose que je puisse faire pour lesaider. Finalement, ils mont srement apport plusque moi eux. Lingrdient qui a fait la russite de

    DERNIERE DEFAENCE

    Raconter le conflit social par le thtre

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    Royal Boch, La der n ire df aence est la der n i re crat ion de la compagnie Mar i t ime . E l le dvoi le le rc i t , t r ois ansa prs son occupat ion par une quar anta ine d ouv r i e r s, de la v i e e t de l a mor t de l a manu fac tu re Roya l Boch LaLouvi re, de ses tr avai l leur s, de leur s combats, leur s dboir es face aux escrocs de tout poi ls. Cette p ice a t creavec le concour s d anciens t r ava i l leur s de Boch, qu i ont non seulement par t ic ip l cr i ture mais qu i y jouent auss ileur p ropre si tuat ion sur scne. La premire sest droule le 1er mar s 2012 et la tour ne se poursu it devant des sal lescombles en Belg ique et en France. Rc i t de ce tte aventure de tht re-act ion.

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  • notre travail cest notre complicit et jespre que celle-ci va perdurer durant toutes les reprsentations

    EXPL IqUER, REVENDIqUER ET FA IRE DUTHTRE

    La mise en scne regorge de nombreuses trou-vailles scnographiques qui permettent de camperle rythme quotidien de lusine dans toute sa com-plexit: la fois chane de production et lieu dex-ploitation, mais aussi lieu de vie, dhistoire, derapports de force, de rsistance, dexpression dedignit et de conflit.

    Les cultures ouvrires, ses sociabilits, son humour,y sont dpeints sans folklorisme. Linsuffisance dessoutiens politiques ou syndicaux nest pas nie. Ledfil des intervenants, et autres curieux qui peu-vent agacer par leurs intrusions ou leur opportu-nisme y est reprsent avec humour.

    Des passages entiers sont jous en Wallon ou enItalien mais pourtant on comprend absolument toutde ce qui se noue et se joue sur scne, alors que lescomdiens-faenciers, dans leur propre rle, nousrelatent leurs msaventures. Par le rcit, on com-prend le surpoids des commerciaux au dtrimentdes productifs, les effets pervers des dlocalisationssur le produit fini, les stratgies et magouilles pa-tronales qui font fi de la bonne foi des travailleurs,les effets de la recherche du profit dabord, au d-triment de lhumain.

    Les diffusions vido figurent merveilleusement lam-biance industrielle et humaine tels ces mouvementsde vaisselle en stop-motion dans lespace dsaf-fect. Les machines sur lesquelles travaillaient lesouvriers directement projets sur leurs blousesblanches. Ou encore le travail de dcoration de lavaisselle qui envahit lespace et laisse deviner tantla minutie requise que lextrme rptitivit desgestes.

    Mais la pice nest pas quimpressionniste, elle seveut aussi efficacement explicative. Par exemple autravers dune vido de quelques minutes, on saisitrapidement le schma de production de la vaisselle,le rle de chacun. Au travers dun calcul de la vais-selle produite par chaque travailleur sur une car-rire, on rend compte des cadences infernales.

    Les contradictions peuplent le rcit. Au plaisir dtreensemble rpond la duret des conditions de travailet lexploitation. Au dsir de conserver son emploirpond la prcarit dune usine dlabre ne tenantplus que par la peinture. Le conflit qui, sil est richede liens, damitis et de possibles, nest jamais unepartie de plaisir et engage nergie, stress et argent. la libration de la parole quautorise le conflit so-cial rpond le dsir de reprendre le travail dans debonnes conditions. Aux calculs froids et gostes durepreneur rpondent la solidarit et la dtermi-nation dun collectif de travailleur. la peur de lave-nir rpond lespoir dun autre futur.

    LH ISTOIR E D UNE ESCR OqUERIE DANSLES RGLES

    Petit rappel des faits: 2009, Royal Boch est en fail-lite. Lhomme daffaires Patrick De Meyer surgit avecune offre en avril. Il est accueilli en hros par lapresse. Il reprend la faencerie avec laide de prtset subsides publics (lentement rcuprs ce jour).Mais, il savre rapidement tre plus un liquidateur la recherche dun bon coup commercial quun re-dresseur. Il viserait plutt la dlocalisation que lesauvetage de la structure.

    Mais ce nest pas tout. Le deal qui stablit lors decette reprise invitait les ouvriers laisser lentre-prise leur prime de licenciement, afin den faciliter larelance. De toute manire, il ny avait pas trop lechoix: les ouvriers au chmage peuvent-ils refuserun emploi identique celui quils ont perdu ? Mais,sinterrogent-ils, que se passerait-il si lONEm, qui avers cet argent, vient nous rclamer ces indem-nits? Pas de panique, la direction prendrait lesventuelles demandes de lONEm sa charge. Pro-messe en lair? Oui, malheureusement. Aprs la fer-meture, lONEm vient rclamer ces dizaines demilliers deuros des travailleurs dj essors. LaDirection, contrairement ses promesses, fait savoirquelle ne prendra rien sa charge.

    la premire, le 1er mars 2012, au Palace de LaLouvire, pour les spectateurs venus nombreux,lmotion est for te. Dans cette ville, chacun a un

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    parent ou un ami qui est pass par lusine Boch.Mieux, bon nombre dentre eux sont danciens tra-vailleurs Boch comme Isabelle Lefrant, anciennepongeuse au faonnage eau. Venue voir le spec-tacle qui raconte son parcours, elle voit dans lapice le rcit du combat men, notre beau combatqui sest sold malheureusement par un chec. Ilest scandaleux que nous nayons encore rien touchet que des institutions comme lONEm nous rcla-ment des indemnits de chmage en sachant quedepuis la faillite davril 2011 nous navons rien tou-ch: ni notre pravis, ni les 3 mois de salaire quinous sont dus. En dernier espoir, nous nous tour-nons vers les curateurs quils vendent suffisammentpour nous payer mais malheureusement cest trslong.

    Larnaque, qui reste avec raison en travers de lagorge des travailleurs, donne galement la rage auxspectateurs. Mais la pice ne communique pas seu-lement un sentiment de colre, elle donne aussidenombreux lments dexplications sur la socit quirend ces phnomnes possibles. la sortie de lapice, des spectateurs donnent leurs impressions.Ils ont donn leur vie cette entreprise et quont-ils en retour ? Absolument rien et cela reflte exac-tement notre socit actuelle: tout pour le profit etles patrons rien pour les travailleurs... indique unpremier spectateur. Ce sont toujours les plus fai-bles quon tacle et encore une fois cest le boss quisen sort le mieux ! enrage un second tandis quundernier rappelle que: Si personne ne pousse decri, aucun espoir de changement nest permis.

    Ce cri, cest ce spectacle. Un spectacle qui donnecorps un rcit et qui permet beaucoup didenti-fier sa situation en ces temps troubls et dominspar le nolibralisme. Nombreux sont les specta-teurs qui ont cru y reconnatre leur propre situationou celle de travailleurs quils connaissent, quils ha-bitent en Sude, en Italie ou en France. Commentpourrait-il en tre autrement tant donn que par-tout la finance, lappt du gain et le capitalisme ef-frn provoquent fermetures dusines,dlocalisations, escroqueries et mauvais calculs despouvoirs publics? Paris, on la jou pour un pu-blic parisien compos de Franais, dAnglais, deBelges, dItaliens et a a touch les gens de lamme manire. Loppression, stre fait escroquer,stre fait voler son travail, a a une porte univer-selle. prcise Daniel Adam.

    Cette exemplarit doit mme servir. Il sagit dunepart de faire uvre de tmoignage dune lutte etde dire linjustice vcue. Une volont partage parBrigitte Roland qui a t Chef de secteur dcora-tion et du tri-biscuit pendant 35 ans, prsent surles planches : Nous nous sommes fait arnaquerpar des gens qui on un pouvoir et qui ont abus denotre confiance et nous sommes sans salaire pen-dant plus de trois mois. Notre volont est de, grce cette pice, faire comprendre notre histoire auxgens, ne pas tre oubliet que dautres usines nesoient pas dlaisses comme la ntre. Car dautrepart, il sagit galement aussi de prvenir, de trans-mettre cette exprience et dviter quelle ne se re-produise. Pour Michel Therasse, ancienContremaitre qui joue dans la pice, il sagit bien derendre les travailleurs plus vigilants : Faire ensorte que les personnes ne soient pas aussi navesque nous lavons t. Les escrocs sont nombreux,il faut vraiment faire attention aux nouveaux patrons! Une pice comme celle-ci est trs importante: lesLouvirois qualifiaient le repreneur de hros... alorsmme que nous tions les victimes de ses escro-queries! Nous avons t berns, avec personnepour nous dfendre malheureusement. Pour MariaRusso, finisseuse pongeuse et galement com-dienne dans le spectacle, cette pice, cest avanttout un cri de colre : Nous nous sommes fait avoirpar tout le monde ! Les syndicats, les ministres, lepatron... Une usine qui a fait natre La Louvire nedevrait pas tre lche comme a cause dinca-pables. Jai donn ma vie, ma jeunesse cette en-treprise et avec la fermeture de Boch, cest le curde la ville qui meurt. Merci aux frres Boch et undgot pour le reste des patrons et surtout laRgion Wallonne qui na jamais vrifi o partaitNOTRE argent ! Cette pice, cest notre coup degueule face linjustice.

    Pour Daniel Adam, la particularitde ce projet estquil devienne exemplaire grce aux circonstancesvcues dans cette entreprise car les spectacles lis des occupations dusine se font rares. Danciensmilitants sont venus me dire que notre spectacleleur rappelait leurs luttes ouvrires de lpoque etleur peine lgard de toutes ces usines qui fer-ment ainsi que leurs faibles espoirs. Je leur ai im-mdiatement rtorqu quil fallait toujours continuerle combat car dautres entreprises comme Helio Charleroi sont dans la mme posture que Boch[40% du personnel de cette imprimerie vient dail-leurs dtre licenci NDLR]. Il faut intervenir. Il faut

    faire un travail socio-politique, partager ces optionset opinions politiques.

    Aur l ien Ber th ier(Propos recueill is par Benjamin Lariv ire)

    Royal Boch, la dernire dfaenceDu 18 et 27 octobre 2012 Lige - Petit chapiteau dArsenic (en cours)28 novembre au 2 dcembre 2012 Grenoble (France) FITA15 fvrier 2013 (20h) Tubize5 mars 2013 (14h) - NamurDautres dates venir seront annoncessur www.lacompagniemaritime.beRenseignements et demande pour le specta-cle: [email protected] - 064/677 720

    Toutes les photos de la pice Royal Boch : dernire dfaence qui illustrent ce dossier ont t prises par Vincenzo Chiavetta. www.everyoneweb.com/vincenzochiavetta/

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  • Sommes-nous entrs dans la nuit des proltaires, limage du fameux livre de Jacques Rancire?Avec lextinction de certains fleurons de la socitindustrielle, tout le moins la dlocalisation de lamtallurgie et du textile de lEurope occidentale, unmonde de luttes et dusines, de camaraderie et devive conscience politique, svanouit peu peu.Aprs les agriculteurs qui ont fondu en quelques d-cennies, voil les ouvriers comme espce en voiede disparition sous nos latitudes? Un adieu au pro-ltariat selon la formule dAndr Gorz. Et une avan-ce vers la troisime rvolution industrielle qui, autravers des analyses de Jeremy Rifkin, nous conduitvers un avenir combinant nergies dcarbones etmise en rseau sur la toile? Une tertiarisation g-nralise ? Les services aprs les rcoltes deschamps et lacier des hauts-fourneaux? Lavne-ment dune petite bourgeoisie tentaculaire, victoiredes classes moyennes et de la socit salariale?Ces mtamorphoses suscitent moult questions etles essais visant dcrypter ces mutations saccu-mulent. Comme le regard de lartiste.

    Grard Mordillat, depuis son film Vive la sociale!et plus encore par ses romans, dcrit avec empathiela fin dun monde. Certes ce nest plus lheure de labrutale exploitation des travailleurs, de lalinationet des violences physiques comme symboliquesdont Marx et Engels ont mis en lumire les fonde-ments par lextraction de la plus-value et le triomphede la proprit prive des moyens de production.Ni la souffrance indicible qui traverse luvre ro-manesque dmile Zola, les sculptures de Constan-tin Meunier ou les toiles dEugne Laermans. Pourretrouver un tel degr dasservissement, il faut au-jourdhui enjamber les ocans. Les victoires du mou-

    vement ouvrier, du droit du travail aux rgimes descurit sociale, de la concertation la progressi-vit fiscale, ont considrablement attnu la domi-nation, du moins en regard de la misre des siclesqui nous ont prcds. Ce qui ne signifie en rien quene perdure plus, singulirement depuis septembre2008, la dsesprance du chmage et les ravagesde la pauvret.

    Dans Rouge dans la brume, aprs Les vivantset les morts et Notre part des tnbres, Mor-dillat mobilise tout son talent de romancier pournous plonger avec une exceptionnelle humanit aucur dune usine en grve dont les travailleurs re-fusent la dlocalisation en Europe centrale. Le lec-teur suit les tats dme successifs de Carvin,profondment perturb par ses difficults familialescomme par son drame professionnel, victime descalculs glacs de la rentabilit dune multinationaleo chaque dcision se prend Dtroit. Le livre estde plus maill de citations relles de syndicalistes,de patrons ou de responsables politiques, ce quirend par un effet littraire saisissant, lextrme ra-lisme de la narration. Il faut dvorer ce texte commele symbole esthtique de la dignit ouvrire, minepar les petites trahisons et les jeux dintrts, maisgrandie par le souffle collectif de la fraternit danslusine occupe. Le signe aussi dun monde qui semeurt et qui abandonne peu peu tout aux dsirsimmdiats et un individualisme sans limites. Car-vin comme poing lev qui doucement senfoncedans les eaux glaces de calcul goste . Leroman des frres en perdition.

    loge de la dcence ordinaire des gens modestes,chre Georges Orwell, o lentraide et la coop-

    ration au quotidien sont les valeurs de solidarit quidisparaissent lentement dans la grisaille de notrepoque clate. Les gos aprs les gaux. Avant larenaissance. Si daventure, votre flamme de la fra-ternit se doit dtre revigore, lisez ce beauroman vrai.

    Jean Cor n i l

    Grard MordillatRouge dans la brumeCalmann-Lvy, 2011

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    ADIEUX AU PROLTARIAT?La littrature ouvrire de Grard Mordillat

    dossier

    Alor s quon ne cesse d obser ver une ds industr ia l isat ion en Europe, malgr la mul t ip l icat ion des dbats autour de lare loca l isat ion de l conomie , i l es t un auteur qu i a dpe int de la p lus be l le manire l es mondes du tr av ai l . GrardMordi l la t es t fr ana is e t f i l s de cheminot e t r este 63 ans, un ar t is te r adica lement engag et qu i s es t tou jour s ins-c r i t dans le mouvement soc ial . Romanc ier, pote e t ral isateur, i l a publ i p lus dune v ing ta ine de l i vr es et ra l is toutautant de f i lms e t documenta i res qui tous, tour nent autour de la quest ion soc iale . Rf lex ions autour de son der n ie rroman Rouge dans la br ume.

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    On tait loin, bien loin des versions instrumentalesoriginales confies limmense Lalo Schifrin (Bul-litt, Mannix, Inspecteur Harry, Mission : Impossi-ble), puis Tom Scott et Mark Snow.

    Flinguons aussi, tant quon y est, les voix VF deJacques Balutin et Francis Lax, dont lhumour fran-chouillard avait surtout pour objectif de renforcerles aspects comiques des dialogues originaux, audtriment dchanges verbaux quelquefois plusdrangeants.

    Vous me direz : pourquoi tant dardeur sur lagchette?

    Eh bien en ces temps de nouvel ge dor des sriesTV, il nous a sembl important de rhabiliter LAgrande srie des annes70, Starsky & Hutch, etses 89 pisodes produits entre 1975 et 1979. Carla sympathie dont bnficient nos deux comparsesest trop souvent le fait damateurs peu scrupuleuxet potaches, se plaisant moquer leur look

    seventies (alors quil sagit de ltalon du vintagecool actuellement) ou la Ford Gran Torino rouge to-mate aux deux lignes (de coke ?) latralesStarsky & Hutch ne suscitent bien souvent que riresdplacs et, de la part des gens sans relle imagi-nation, quun emploi immodr du terme le plus st-rotyp qui soit : kitsch.

    Non, mille fois non! Starsky & Hutch mritent mieuxque cette condescendance de philistin. Noussommes en effet en prsence dune des rares sriesde cette poque qui oscille aussi subtilement entreesprit goguenard et pessimisme exacerb. Seuls lesEnvahisseurs, dix ans plus tt, allrent aussi loindans le nihilisme social.

    y regarder de plus prs que voyons-nous: deuxflics sympas mais bien arms qui arpentent jour etnuit les quartiers les plus sordides de Los Angeles,un microcosme sans aucune sophistication, peuplde clodos et de tenanciers de bars louches, depetites frappes cocanes et de truands aux

    manires douteuses. Tout dans Starsky & Hutch an-nonce ce monde dual o, dans les zones de non-droit,des insectes humains survivent cote que cote.

    Comme le dit Starsky lui-mme ds lpisode pilote:On nest pas en enfer, on est dans un vier Cequon fait, l o on le fait. On est comme des ca-fards, on essaye den sortir, chaque fois quon arriveau bord, ils ouvrent la flotte.

    videmment, comme dirait ma femme, toutes cesconsidrations de puristes finalement trs mascu-lines on sen tape un peu! Parce que dans leurjeans particulirement moulants, et avec leur faonsi particulire de tenir leurs flingues (annonantTarantino), Starsky & Hutch taient aussi deux mecshyper sexy ! Cest aussi pour a quon les aime,non?

    Largument tient la route

    Denis Dargent

    STARSKy & HUTCH DANS LVIERINFERNAL

    bas la Culture

    Des nouveaux che va l ie r s au grandcur, mai s qu i nont jama is peur der ien Dentre de jeu, f l inguons cetins ip ide gnr ique f r ana isacco l defor ce no tr e sr ie US pr fre ds1982, vr i ta ble sc ie db i l i t ante s i -gne Ha im Saban, p roduc teur spcia -l is dans les adapta t i ons degnr i ques amr ica ins : Da l las ,L agence tous r isques, Lhomme qu itombe p ic Ce genre. Na

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  • Manu Tent ion al ias Emmanue l Bayon a23 ans tout au pl us , i l a que lquec hose d a t tachant , que lque c hosed un jeune entreprenant, jov ia l , sansprtent ion. Et pour tant , i l f a i t du bienaux v i l les et aux gens, i l rpare de samar que de f abr ique , la cou leu rrouge , les bobos des v i l l es. I l al i l , l a t tent ion et le talent . Ce jeunedu nord de la France , la casquette surl a t te e t l e sweat assor t i , s es t vudcer ner en mar s dern ie r le pr ix desar ts plas t iques de la Province du Ha i-nau t. Rencont re avec ce panseur dep laies urbaines.

    Comment t es venue l ide de ces inter -vent ions urba ines e t en quoi cons is tent-e l les?

    Je me balade souvent en rue, je marche, je rfl-chis, je pense et cest au fil de ces balades que jairemarqu pas mal de pavs manquants, enlevs de-puis longtemps. Cest alors que Jai eu lide de tra-vailler avec le bois, den faire mon matriauftiche. Il y a deux ans, au cours de mes tudes lAcadmie des Beaux-Arts de Tournai, javais ra-lis une installation qui tait une rampe daccs pourpersonnes handicapes, elle avait t fabriqueavec des matriaux de rcupration, des palettes,des portes, etc.

    Et il me restait encore toutes ces palettes, je dci-dais alors de ne rien jeter, il fallait ncessairementque jen fasse quelque chose. Il mest donc venulide de rutiliser les cubes que lon trouve sur lespalettes et les faire vivre, prendre forme en tant quepavs avec une signaltique qui est le rouge: celledu danger, de la Croix-Rouge, de la demande

    dattention, de vigilance etc. Le rouge na rien voiravec une quelconque coloration politique.

    O as-tu exerc ton act ion de soigneurdes vi l les ?

    Jai fait beaucoup dinterventions sur Tournai, mespremires bauches ont pris naissance danscette ville. Maintenant, mes actions environnemen-tales ont commenc se dvelopper hors de Tour-nai, dans le Nord de la France ainsi qu Bruxelles.Notamment en face du Palais des Beaux-Arts, lar-rt de tram Koning, dans la rue Haute, le quartierdes Marolles, des pavs et des dossiers de bancspublics remplacs, toujours en bois videmment. Pques je suis parti excuter quelques rparationsdans une petite ville espagnole prs de Valence. Etje ne compte pas en rester lEn compagnie deGatan Koch et Priscillia Beccari, pour le 2 juilletnous allons nous atteler la ralisation dune uvremonumentale, en accord avec la Ville de Tournai etde quelques agriculteurs. Nous avons aussi pourprojet dchafauder une installation imposante surle toit de la Maison de la culture.

    Tu es o r ig ina i r e du Nord-Pas-de-Ca lais ?

    De Nux-les-Mines plus prcisment ct de B-thune o jai commenc faire des rparations lagare, l o les portes des cabines tlphoniquestaient casses puis en chemin je me suis arrt lo les quais de gares, les abris de train taient dansun grave tat de dlabrement. Bully-les-Minesaussi. On peut suivre facilement mes interventionsen prenant le train de ce ct, le rouge y domine!

    Au fur et mesure, le temps joue en ma faveur: jemedplace un peu partout, jlargis mes trajec-toires. Lide tant quau volant de ma camionnette,lorsque je me retrouve en tous lieux, jai toujours

    quelques matriaux avec moi, quelques pavs,quelques bouts de bois dj peints, et mme parfoisil marrive de fabriquer directement sur place. Je r-pare alors en temps rel les choses qui peuventltre.

    As- tu d j r encontr des d i f f i cu l ts avecles autor i ts locales ou avec la po l ice ?

    Non, jusqu prsent pas la moindre. En ce quiconcerne la police tournaisienne, elle connat un peumon travail car la presse locale commence en par-ler. Ils voient plutt en mes interventions un gestesalutaire et citoyen. En tout cas, ils ne sont jamaisvenus minterpeller. quant aux gens, ils sont assezsduits par le ct esthtique, artistique que peutprendre lart urbain que je dveloppe.

    S i tu devais mettr e un qual i f i ca t i f sur tesinter vent ions, que d i ra is-tu ?

    Je dirais que ce sont en priorit des interventionsdutilit publique, qui dnoncent aussi, tout au moinsen partie linaction des autorits publiques. Mes in-terventions mettent en avant les choses qui de-mandent un entretien. Mais ce nest pas l mon idepremire, ce nest pas du tout daller pointer lesvilles en disant Si vous navez pas fait cela, ce nestpas bien . Mais forcment les choses parlentdelles-mmes. La conception et la poursuite demon projet sont bien celles de scuriser un mo-ment donn lendroit et de le rparer.

    Propos recue i l l i s par Sab ine Beaucamp

    Emmanuel Bayon participera au VisueelFestival Visuel de Berchem Ste-Agathe les 2 et3 juin 2012

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    art-action

    EMMANUEL BAyON: LES VILLES RENDUES VISIBLES

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    Est-ce que la f ronti re entre l homme e tl an ima l a encore un sens au jourdhu i ?

    Dans la recherche, on essaye de moins en moinsde penser la diffrence entre lhomme et lanimalmais dj entre lhomme et les autres animaux. Cequi est une autre manire de poser le problme:on admet que lhomme est un animal et on va es-sayer de rechercher un certain nombre de critrespermettant de spcifier lhumanit au sein des au-tres espces animales.

    Dune manire gnrale, sur un sicle et demi peuprs, on a connu une mise en crise de ce quon ap-pelait jadis le propre de lhomme. Cette crise estdue essentiellement la victoire progressive duschma volutionniste qui permet de penser lhu-manit dans la continuit du rgne animal, un r-sultat parmi dautres de processus de lvolutionnaturelle et non pas comme tant un cas partdans la nature.

    T heodor Ador no c r i va i t : Aus chw i tzcommence quand que l quun r eg arde una bat to i r e t pense ce ne son t que desanimaux . Est-ce que l exp loi ta t ion del an ima l par l homme est une cond it ion del exp loi ta t ion de l homme par l homme?

    Historiquement, on est devenu sensible la souf-france animale chaque fois quon a trait une par-tie de lHumanit comme si elle tait animale,comme si les hommes taient des btes. Par exem-ple, lorigine de toute la rflexion sur des droits pos-sibles des animaux vient de penseurs qui taientanticolonialistes et qui se sont dit: partir du mo-ment o on a trait une certaine partie de lHuma-nit en raison de sa couleur de peau ou de son

    origine ethnique, comme si on pouvait la rduire des animaux, est-ce quil ne faut pas penser lin-verse quon produit aussi une injustice en ne don-nant pas une part de notre dignit humaine desanimaux, dautres tres sensibles qui sont capablesde souffrir mme sils ne sont pas capables de par-ler ou de raisonner?

    Ce qui fonde la rflexion moderne sur le droit desanimaux et la souffrance animale, cest effective-ment la Shoah. De manire vidente dans les an-nes 1960 et 70, la majorit de ceux qui vont fonderles mouvements de libration animale aux tats-Unisou en Angleterre sont des survivants ou des en-fants de survivants de lHolocauste. Ils vont prendreconscience dun fait historique bien connu : lescamps dextermination nazis ont frquemment tbtis sur le modle des usines Ford. Elles-mmestaient bties sur le modle des abattoirs de Chi-cago. On rejoint donc la phrase dAdorno: il y a unrapport compliqu penser entre labattage indus-triel des animaux et au fait que lon puisse tre in-sensible au fait dabattre industriellement des tressensibles et des tres qui souffrent- et lextermina-tion systmatique dtres humains dans des condi-tions semblables celles dun abattoir.

    Par rappor t ce tte quest ion du dro it an i -mal , peu, voi re pas, de par tis pol i t iques l heur e ac tue l le s en empar e . Concr te-ment , en quel les revendicat ions pol i t iquescela pour ra i t - i l s incar ner ?

    La question du droit est un faux problme. La ques-tion de notre rapport avec les animaux ne doit passe poser dabord en termes juridiques ( quelsdroits doit-on donner dautres espces?) maisen termes de coexistence avec dautres espces

    animales: de quelle manire pourrions-nous tre mme de retisser les liens concrets, quotidiens avecdautres espces animales? Tout ce qui tait li une association entre lhomme et lanimal jusqu lafin du 19e sicle est aujourdhui li une associationentre lhomme et la machine. Lutilisation de lner-gie, lnergie dveloppe par un cheval est mainte-nant dveloppe par une voiture de manirevidente ou par des moyens de transport qui sontmcaniques. Mais aussi lusage du flair qui est rem-plac par du guidage lectronique. mesure quil ya eu ce progrs technologique, ce que lon a perdu,cest une forme de coopration avec les animaux.On les mange, on les utilise comme des compa-gnons qui ne servent rien (on nutilise pas le flair,le talent, les capacits des chiens ou des chats decompagnie), on les observe ou on les prserve (onles met dans des parcs et on ny touche pas).

    Ce quon a perdu, cest le sens de ce Pline lAncienappelait une societa : une socit, une forme decommunaut dactions entre lhomme et dautresespces animales. Et la question qui se pose cest:comment inventer des modes de coexistence, decoopration avec les autres espces animales demanire quilibrer notre rapport avec les ma-chines.

    que l pour r a i t t re le c r i t re de d i f fr en-c i a t ion en tr e une a t t i tude huma ine e tl an imal i t ? Jusquo al le r, o sont les l i -m i tes ? Le dve loppement neur olog iquedu v ivant ?

    Je suis contre toute approche abstraite qui dduiraitun critre par un raisonnement scientifique en di-sant,par exemple, qu partir du moment o il y atel type de dveloppement du cortex, on va

    TRISTAN GARCIA: NOUS AUTRES, ANIMAUX

    Tr is tan Garc ia, phi losophe et r omancier, est l auteur de Nous, An imaux et Humains qu i in ter roge par t ir de JeremyBentham, lor igine du combat en faveur des droi ts an imaux, e t de penseur s contemporains de l ant ispcisme, notrerappor t l an imal it . La fr ont i re entr e l homme et l an imal sy avre de p lus en plus mouvante et mme en voie de dis-par i t ion. Serions-nous enf in r edevenus des an imaux ?

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    considrer quon peut attribuer tel type de droitdonc uniquement par exemple aux grands singes etpas aux singes queue, etc.

    Il me semble quil faut, dune certaine manire, faireconfiance lHumanit. Ce qui est humain, cest desavoir se comporter, non pas avec lanimal en g-nral, mais avec des espces animales de faon dif-frencie en sachant que lon ne va pas secomporter de la mme manire avec un mammifresuprieur, avec un insecte ou avec des poissons. Ef-fectivement, avec les poissons, on ne partage pasle mme milieu de vie. On va donc avoir une com-munaut daffects beaucoup moins grande avec euxquavec des mammifres suprieurs. Il ny a pasdinjustice cela. Au contraire, il me semble que cequon a perdu et qui est cras par la conception delanimal en gnral, le droit de lanimal en gnral,cest le sens de la diffrenciation. Lhomme est ca-pable de lier, de se rapporter des espces ani-males de manire plus proche, plus empathiqueparce quils partagent leur milieu de vie et est moinsproche quand les animaux le sont moins. Ce nestpas une question de droit, cest une question de vie.

    S i l a f r ont i re homme / an ima l bouge ,quel les sont les consquences sur no trepropre df in i t ion?

    La dfinition de lhumanit a t affecte par latransformation de notre rapport aux autres ani-maux. Elle a t affecte par lvolutionnisme, lathorie de lvolution. Puis par la naissance delthologie, une tude comportementale fine

    dautres espces animales. Ensuite, par la naissancede la paloanthropologie, par la dcouverte du faitquil y avait plusieurs stades qui nivelaient lmer-gence de lespce humaine. Et plus dernirement,par la biologie molculaire, par la dcouverte du faitquon partageait beaucoup de notre patrimoine g-ntique avec dautres espces.

    Cest donc une vidence quil y a eu une transfor-mation radicale de ce que lon entendait par huma-nit au 19e et 20e sicle. Cest aussi une videnceque cela a produit non seulement une redfinitionde ce que lon suppose tre humain mais aussidune manire gnrale de ce que va valoir la pre-mire personne du pluriel, cest--dire de ce quelon est prt appeler nous.

    On sait que toute socit a une conception flottantede ce quelle appelle nous. Une culture humaineva gnralement se dsigner comme nous, leshommes civiliss par opposition un terme qui vasignifier les barbares, ceux de lextrieur. Doncdans la majorit des cultures humaines, nous neveut pas dire nous, les tres humains maisnous, la culture qui se dsigne elle-mme. Et aufond, dans la modernit, un des problmes cest quele sens du nous se dissout. On est tellement at-tentif par exemple la souffrance animale -et sansdoute juste titre- quon est en train dtendre pro-gressivement ce nous, de btir un nous, tousles tres capables de souffrir, capables de sentir.

    Le vrai problme, cest moins de redfinir lhumanitque de retrouver un quilibre de ce quon entend

    par la premire personne du pluriel. Pas trop r-duite, pas rtracter le mot sur une communaut,une ethnie, une identit compacte, religieuse, eth-nique, culturelle mais pas non plus dissoudre le nous progressivement dans la nature, danstoutes les entits. Il faut tre capable, et cest undes problmes du 21e sicle, de concevoir quenous ne veut pas dire strictement nous, les-pce humaine, que cela peut avoir un sens pluslarge. On peut parfois mettre les grands singes dansnotre nous parce quil faut reconnatre leur souf-france, leur capacit de sentir, leurs capacits cog-nitives. On peut parfois avoir un nous qui estlgrement en retrait de lespce humaine en di-sant nous pour dsigner telle ou telle commu-naut. Il faut donc tre assez souple pour avoir unnous variable et en mme temps ne pas le dis-soudre, ne pas le contracter trop sur une identitreplie sur elle-mme.

    Propos r ecuei l l i s pas Aur l ien Ber th ieret Jean Cor n i l

    Dernires parutions:Mmoires de la jungle, ditions Gallimard,2010 (Roman)Nous, Animaux et Humains. Actualit de Je-remy Bentham, Bourin Editeur, 2011Forme et objet. Un Trait des choses, PUF,2011

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    En particulier, on a observ ces trente dernires an-nes une volution trs tonnante et paradoxale: lem-ploi a beaucoup augment dans lensemble de cessecteurs, mais le sous-emploi a augment encore plusvite. Comment cela sexplique-t-il? Simplement parceque le nombre des candidats une carrire crative aaugment dans une plus grande proportion que le nom-bre demplois disponibles. De mme, les budgets sesont eux aussi fortement dvelopps (les secteurs de lacration connaissent dailleurs une croissance plus ra-pide que le reste de lconomie), mais moins que lenombre des prtendants ces budgets. Au bout ducompte, cela donne pour chacun moins demploi etmoins dargent.

    Corollairement cette volution, les types de contratont chang. Les contrats de courte, voire de trs courtedure, ajusts au plus prs une prestation spcifique,se sont multiplis, tandis que les contrats dure ind-termine, encore frquents autrefois (dans des troupesde thtre, des orchestres), se sont rarfis. Desorte que lintermittence est devenue aujourdhui largle dans les mtiers de la cration, ce qui amne lesprofessionnels diversifier leurs activits pour survivre.

    La multiactivit est une ncessit plus dun titre. Ense constituant un portefeuille dactivits multiples et di-versifies, lartiste tout la fois augmente ses possibi-lits de dvelopper des comptences nettementdiffrencies et limite sa prise de risques financiers. Endiversifiant ses activits, le professionnel de la crationest amen multiplier aussi les casquettes: un jour,promoteur de projet, un autre employ ou collabora-teur indpendant, il peut assumer des fonctions trsdiffrentes les unes des autres.

    La nature mme des activits peut changer. Celles-cipeuvent tre tantt totalement distinctes de lactivitcratrice, tantt en relation avec elle (production, diffu-sion, enseignement, etc.). En pratique, elles permettentaussi certains de rester dans leur secteur de prdi-lection en finanant eux-mmes la pratique de leur art.Elles rduisent cependant le temps disponible pour lacration. Il sagit ds lors pour lartiste ou le crateur detrouver le meilleur quilibre possible entre largent dontil a besoin pour subsister et le temps ncessaire au d-veloppement de sa production personnelle.

    quelle que soit la discipline, la ralisation dune uvrepeut en effet exiger un long temps de prparation,

    priode pendant laquelle le travail crateur ne gnreaucun revenu. Lactivit professionnelle cratrice pr-sente donc un caractre cyclique et discontinu, quicontribue au risque de prcarisation. Les priodes dechmage entre deux prestations rmunres sont par-fois lunique solution de compromis possible.

    Les conditions socioprofessionnelles auxquelles sontsoumis les artistes sont largement partages par dau-tres acteurs du champ de la cration, les techniciens etles intermdiaires notamment. Il arrive dailleurs rgu-lirement que les mmes personnes exercent diff-rentes fonctions complmentaires.

    Certains artistes connaissent trs vite une russite cla-tante, mais dans leur grande majorit, les professionnelsde la cration sont confronts des situations de tra-vail prcaires, surtout en dbut de carrire. Une situa-tion qui se traduit par de grandes disparits de revenus,comparables aux gains dune loterie: quelques-uns em-pochent le gros lot, dautres arrivent vivre correcte-ment de leur travail mais la plupart ne gagnent que trspeu. Les revenus peuvent aussi varier considrablementau cours dune mme carrire, ce qui nest pas sansconsquence pour le calcul des pensions de retraite.

    en dbat

    CC BY 2.0 par Bob Turner www.flickr.com/photos/treborrenrut/2389922123/

    LES SPCIFICITS DESMTIERS DE LA CRATIONDe nombreuses tudes ont m is en v idence les car actr is t iques propr es du march du t r av a i l dans l es sec teu r sar t is t iques et cra t i fs, qu i se di f f renc ient ne ttement de ce quon obser ve dans les autr es secteur s dact i v i t .

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  • Dans ce domaine comme dans beaucoup dautres, lesrgles devraient tre adaptes aux conditions profes-sionnelles des secteurs cratifs.

    PARCOURS PROFESSIONNELS BASS SURDES PROJETS

    Aujourdhui encore moins quhier, le rapport lemploides professionnels de la cration nest pas dterminpar des contrats de longue dure. Au contraire, leurscarrires voluent grce au dveloppement de projetssuccessifs.

    Une uvre que ce soit une reprsentation, un album,une exposition ou autre est par dfinition un projet.Travailler au projet implique la possibilit de mobiliseruniquement pour le temps ncessaire la ralisationdun projet, une force de travail susceptible dactiver sescomptences dans un processus coopratif chaquefois diffrent (Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato,Intermittents et prcaires, 2008). Un projet tant parnature ponctuel et dfini dans le temps, les travailleursdoivent tre capables de sadapter aux conditions deralisation de chacun des projets : la fois la variationdes quipes, des clients, des conditions de travail et desrmunrations. Ils grent eux-mmes les contrats decourte dure lis leur activit professionnelle, par na-ture irrgulire et incertaine, en passant dun projet lautre au gr des collaborations.

    Les travailleurs au projet apparaissent comme des fi-gures hybrides: ni tout fait des salaris ni rellementdes travailleurs indpendants.

    Les artistes ne sont gnralement pas lis leurs don-neurs dordre par un rapport de subordination. Aucontraire, ils sont amens le plus souvent dvelopperleurs projets comme des entrepreneurs, que ce soitpour rpondre des commandes ou un dsir per-sonnel.

    Cependant, cause de revenus trop alatoires, surtouten dbut de carrire, le statut dindpendant ne seraittout simplement pas viable pour la plupart dentre eux.Impossible de payer rgulirement ses cotisations si lonna que des rentres occasionnelles. Impossible de sim-plement survivre si lon ne touche pas un minimum dar-gent dans les priodes, parfois trs longues, degestation entre deux projets ou deux commandes.

    La faon dont sorganise le travail artistique est trs re-prsentative dune nouvelle forme dorganisation du tra-vail qui concerne une partie non ngligeable de la

    population. Il serait cependant abusif de croire quellepuisse pour autant devenir la forme dominante.

    LE STATUT SOCIAL DE LARTISTE

    Dintenses rflexions impliquant de multiples interve-nants (artistes, juristes, politiques, syndicalistes, res-ponsables institutionnels ou administratifs) ont tmenes durant les annes 1990 pour tenter de trouverdes solutions permettant de limiter le travail en noir etdoffrir aux professionnels de la cration de meilleuresconditions de vie. Ces travaux, auxquels SMartBe a ap-port sa contribution au sein de la Plateforme nationaledes Artistes, aux cts dautres organismes dfendantles crateurs, ont dbouch sur une importante avan-ce lgislative.

    La loi-programme de 2002 a modifi la loi de 1969concernant la scurit sociale des travailleurs, en y ajou-tant un article 1 bis qui instaure la prsomption das-sujettissement de lartiste la scurit sociale destravailleurs salaris. Cela signifie que lartiste engagcontre rmunration peut dsormais bnficier de lascurit sociale de nimporte quel travailleur salari,mme si, en labsence de lien de subordination, il nepeut prtendre un contrat de travail.

    qui dit scurit sociale dit aussi cotisation sociale et doncpossibilit dun surcot des prestations factures auxdonneurs dordre. Le lgislateur a voulu limiter le risqueque les artistes ne soient pousss opter pour le sta-tut dindpendant, et favoriser les engagements souscontrat. Cest la raison pour laquelle la loi prvoit une r-duction des cotisations patronales pour les contrats ar-tistiques, sous certaines conditions visant au maintien dermunrations dcentes. Elle a aussi rgl les condi-tions daccs de lartiste diffrents volets de la scu-rit sociale : allocations familiales, pcules de vacances.Ces dispositions lgales sont applicables tous les ar-tistes, crateurs comme interprtes.

    Depuis sa mise en application, larticle 1er bis a permis des dizaines de milliers de crateurs de t