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Alain Grousset

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Alain Grousset

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© Éditions Gallimard Jeunesse, 2005, pour le texte et les illustrations© Éditions Gallimard Jeunesse, 2012, pour la présente édition

Couverture : Illustration : Manchu

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GALLIMARD JEUNESSE

Illustrations de Manchu

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Nuit noire, les pigeons n’avaient toujours pasquitté leur nid, situé tout en haut du donjon,coincé entre les murs du château et les tuiles enchâtaignier. D’ordinaire, le ciel appartenait, pourdeux bonnes heures encore, aux chauves-sourisqui frôlaient les remparts, à la recherche d’in-sectes bravant l’obscurité. Mais aujourd’hui, uneagitation inaccoutumée et bruyante les avait faitfuir vers des lieux plus calmes.

Inclinant leur tête, tantôt à gauche, tantôt àdroite, les pigeons observaient, entre deux roucou-lements inquiets, le ballet incessant des torchesqui traversaient la cour intérieure du château.

Réveillé par la poigne énergique d’un palefre-nier, Jaad émergea difficilement du tas de paillequi lui servait de couche.

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La fraîcheur le surprit lorsqu’il quitta la bonnechaleur de l’écurie, et il frissonna à plusieursreprises. Sa jambe gauche le fit immédiatementsouffrir, et ce fut en boitillant plus que de cou-tume qu’il fit son entrée aux cuisines qui bour-donnaient déjà comme une ruche en colère.

– Jaad ! Te voilà enfin, fainéant ! hurla le chefcuisinier, le visage congestionné par le feu desfourneaux. Va chercher des seaux d’eau au puits !Allez cours, boiteux de malheur !

Les aides-cuisiniers le regardèrent, le sourireméchant. Jaad contempla toute la nourriture qui s’étalait à profusion sur les grandes tables del’office. La faim fit gargouiller son ventre, habi -tué aux restes de soupe, qu’on voulait bien luidonner.

– Allez file, lui murmura la vieille Hortense, enlui flanquant un seau dans les bras. Ne reste pas dans nos jambes et va faire ce que le chef t’aordonné, sinon gare à la raclée !

En arrivant au puits, Jaad aperçut quelquechose au fond du récipient. En cachette, la braveHortense, une des rares à lui faire preuve d’un peud’attention, avait glissé un quignon de pain qu’ildévora avec appétit. Mais il dut faire vite et reve-nir en hâte à la cuisine, le seau plein d’eau. Il netenait pas à attiser la colère du chef cuisinier quiavait la main leste et le coup de pied rageur.

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Après avoir effectué plusieurs voyages vers l’of-fice, il dut ensuite remplir l’abreuvoir pour que leschevaux boivent jusqu’à plus soif, tandis que lespalefreniers les sellaient avec soin.

Aujourd’hui était venu le temps de la « grandechasse ». Tous les hommes valides des environs sedevaient d’être présents afin de servir de rabat-teurs. Jaad avait déjà participé à une grandechasse, il n’aimait guère cela. C’était très fati-guant pour lui. Il s’empressa pourtant de rejoindrela troupe car il appréciait de recevoir, pour unefois, de la bonne nourriture, ce qui le changeaitde l’ordinaire. Quelques minutes plus tard, il mitdans sa besace en cuir son précieux butin. Unebelle tranche de pain blanc, trois oignons sucrés,et un morceau de lard fumé.

L’aube colora enfin le ciel de ses premièresstriures orangées. Les serviteurs et les bêtes étaientprêts, attendant dans la cour du château. Les che-vaux piaffaient d’impatience en raclant le pavéde leurs sabots ferrés d’où jaillissaient parfois desétincelles. Les piqueurs jouaient du fouet pour ten-ter de contenir l’ardeur de la centaine de chiensrassemblés pour l’occasion.

Enfin, le seigneur Tynar sortit du donjon encompagnie de ses invités, des soldats de sa garderapprochée et de quelques jeunes dames, plus

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intrépides que les autres, désireuses, elles aussi, dese mêler à la fête. D’un regard noir et perçant,renforcé par une chevelure et une barbe char-bonnées, Tynar contempla ses troupes, soudainsilencieuses, car l’homme était craint. Il portaitde magnifiques atours pour bien montrer qu’ilétait le maître d’un des fiefs les plus puissants de tout le royaume. Il avait endossé un surcot àlarges manches brodées d’or, très serré à la taille.Ses jambes étaient armées de cuissards d’acierafin de se protéger des éventuels coups du gibier.

Derrière lui, l’humeur était joyeuse. Les femmesriaient au milieu des beaux messieurs qui avaienthâte de se mettre en chasse.

Jaad reconnut la princesse Sheel, femme du seigneur Tynar, qui passa devant lui, ignorantcomme toujours le petit peuple. Un palefrenierjoignit ses mains, se pencha en avant pour que ladame puisse mieux y mettre son pied, puis il l’aidaà grimper sur sa belle jument à la robe grise. Elleposa son pied droit sur l’étrier le plus court et sonpied gauche dans le plus long afin de laisser pendresa jambe sur le flanc du cheval. Une servante s’em-pressa d’arranger sa longue robe rouge qui recou-vrit bientôt une bonne partie du dos de la mon-ture. La princesse vérifia d’un geste de la mainque sa calotte bleu et or n’avait pas glissé de sonvoile blanc.

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Le seigneur Tynar, maintenant juché sur sondestrier, paradait au milieu de ses invités. Il avaitconvié les autres seigneurs et leurs cours à la traquedes « longs bois », les vieux cerfs mâles ; chassequ’il organisait sur ses terres, une fois l’an. Sonroyaume avait la particularité de s’étendre, sur deskilomètres, le long de la Grande Faille. Il possé-dait en outre de bonnes terres ainsi que des boisimmenses et touffus où le gibier pullulait.

Le haut prélat, chef spirituel de la religion dudieu du Vent fou, prononça la sainte prière deschasseurs et bénit la foule recueillie, chapeauxbas.

Les gentilshommes désormais à cheval, le corsonna le début de la chasse. Les chiens aboyèrentde concert, hurlèrent à qui mieux mieux, déjàexcités à l’idée de la traque qu’ils allaient menerpendant des heures dans la forêt. Les cavaliers semirent en marche, suivis par la piétaille.

Jaad se répéta qu’il n’aimait pas la chasse auxlongs bois. Il trouvait les cerfs majestueux, fiers deleur liberté, et il détestait les voir encerclés par lameute de chiens avides de sang. Cela se terminaità chaque fois par la mort horrible de la bête sousles crocs de ses assaillants. Mais on ne lui avaitpas demandé son avis. Il faisait partie, comme lesautres, de l’équipe des rabatteurs qui devaient

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pousser le gibier devant eux afin que le seigneuret ses invités n’en manquent point.

Dès la sortie du château, les chasseurs partirentd’un côté en compagnie des chiens, tandis que lapiétaille prenait un autre chemin, en direction dela Grande Faille.

*

Après une bonne demi-heure de marche, lesrabatteurs arrivèrent à l’orée du bois qui bordaitla Grande Faille. Jaad ne put s’empêcher d’y jeterun œil. Le bout du monde était là devant lui,bruyant et menaçant. Au-delà, nul horizon ! Iln’y avait plus rien, sinon un éther blanchâtre à perte de vue. À ses pieds s’ouvrait un gouffreimmense, de plusieurs centaines de mètres deprofondeur. Tout au fond tourbillonnaient lesflots en furie d’une mer déchaînée. Pour complé-ter le décor, un immense courant d’air tournoyaitsans fin, à l’intérieur de la Grande Faille, à unevitesse inimaginable, rugissant en permanence.Jaad était fasciné par ce spectacle visuel et sonore,extraordinaire. Il ne comprenait pas comment les autres parvenaient à l’ignorer ; la chose leurparaissait simplement naturelle. Lui n’arrivait pasà croire que seul le néant les entourait !

La forêt l’impressionnait tout autant. Elle était

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immense, peuplée d’arbres gigantesques. Unedizaine d’hommes se tenant par la main auraienteu du mal à faire le tour de certains troncs quis’élançaient à l’assaut du ciel, sans jamais vouloirs’arrêter dans leur conquête aérienne. Sous lecouvert du bois, la pénombre régnait presque, àcause du feuillage qui cachait la lumière. Parendroits, les rayons de soleil parvenaient jusqu’ausol, telles des flèches enflammées, formaient descercles lumineux, éclairant les arbres par-dessous,ce qui accentuait l’étrangeté de cet endroit.

Le chef des rabatteurs plaça ses hommes enligne. Jaad se retrouva à une cinquantaine demètres du bord de la Grande Faille, ce qui luiconvenait parfaitement. La faim le tenaillant, ilne put s’empêcher de grignoter un morceau de latranche de pain qu’on lui avait distribuée pour le midi. Il espérait que la ligne des rabatteursn’avancerait pas trop vite, à cause de sa jambe quicontinuait à l’élancer.

Un coup de sifflet annonça le début du rabat-tage. Aussitôt les hommes se mirent à crier, hur-ler, cogner sur les troncs avec des bâtons. Le butétait de faire un maximum de bruit pour effrayerle gibier et le pousser en avant, à la rencontre deschasseurs et des chiens.

Jaad surveillait les autres marcheurs, de crainte dese laisser distancer. Il lui fallait souvent s’enfoncer

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dans les taillis, là, où les épines noires lui grif-faient le dos, les bras et les jambes.

Ne te bute pas sur les racines, ne te coince pas lespieds dans les terriers, pensait-il à chaque pas.

Au bout de deux heures, les rabatteurs aper -çurent les premiers animaux qui fuyaient à leurapproche. Jaad, qui ressentait des signes de fatigue,vit une troupe de sangliers sortir d’un épais tailliset courir droit devant eux. Il ne voyait aucunlapin, ceux-ci se cachaient dans leurs terriers. Enrevanche, nombre de lièvres détalaient en sau-tant haut par-dessus les herbes. Beaucoup de fai-sans s’échappaient, s’envolaient en piaillant versles cimes des arbres. Cela ferait le bonheur desarchers et des arbalétriers.

Au loin, les aboiements des chiens commen-çaient à se faire entendre, signe qu’ils étaient déjàsur la piste d’un long bois. La traque se resserraitet bientôt ce serait la curée.

En quelques minutes, la chasse prit un autretour. Les hurlements des chiens et le son des corsse rapprochèrent à vive allure.

– Attention ! cria le chef des rabatteurs, legibier est devant nous ! Il ne faut pas le laissers’échapper !

La tension monta alors d’un cran. Les hommestinrent leurs bâtons levés pour faire peur à l’ani-

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La Grande Faille est la frontière, un gouffre infranchissable entourant le royaume. Et, malgré la cruauté du seigneur Tynar, nul n’a jamais tenté de la traverser. Jusqu’au jour où le jeune Jaad s’évade en surfant sur les vents, en équilibre sur un disque de bois. Mais il ignore encore qu’au bout du voyage, c’est le secret de sa naissance qu’il va devoir affronter.

à partir de 10 ans

Un héros audacieux lutte contre l’oppression dans un monde fantastique vertigineux. Laissez-vous emporter par le souffle de l’aventure. Glisse et frissons garantis.

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Les Passe-Vents Alain Grousset

Cette édition électronique du livreLes Passe-Vents

d’Alain Grousset a été réalisée le 16 avril 2020 par Nord Compo

pour le compte des Éditions Gallimard Jeunesse.Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,

achevé d’imprimer en octobre 2019 par Novoprint(ISBN : 9782070646074 - Numéro d’édition : 363516).

Code Sodis : N52010 – ISBN : 9782075024327 Numéro d’édition : 240049.

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949

sur les publications destinées à la jeunesse.

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