Albert Failler. Le roseau, le papyrus et le papier. Revue des études byzantines, tome 63, 2005. pp. 207-216

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    Albert Failler

    Le roseau, le papyrus et le papierIn: Revue des tudes byzantines, tome 63, 2005. pp. 207-216.

    Rsum

    REB 63, 2005, p. 207-216.

    Albert Failler, Le roseau, le papyrus et le papier. - Le mot grec papyros peut dsigner soit la plante aquatique qui pousse en

    particulier au bord du Nil soit le support d'criture qui en a tir son nom, qu'il s'agisse de la feuille de papyrus ou, surtout, du

    papier fabriqu grce aux fibres de la tige. Dans les chapitres 32 et 33 du livre VI des Relations historiques de Georges

    Pachymrs, les diteurs du texte ont, tort, retenu le second sens ( papier ) au lieu du premier ( papyrus ).

    Abstract

    The Greek word "papyros" is used to describe either the plant that grows on the Nile's banks, or the writing material that has

    taken its name from this plant, whether this be the papyrus leaf or the paper made from the fibres of the plant's stalk. In chapters

    32 and 33 of Book VI of George Pachymeres' Historical, the editors of the text wrongly understood the word in its second sense

    ("paper") rather than in the first ("'papyrus").

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    Failler Albert. Le roseau, le papyrus et le papier. In: Revue des tudes byzantines, tome 63, 2005. pp. 207-216.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2005_num_63_1_2313

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_243http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2005_num_63_1_2313http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2005_num_63_1_2313http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_243
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    LE ROSEAU, LE PAPYRUS ET LE PAPIER

    Albert FAILLER

    Le substantif est d'un emploi frquent et commun dans la languegrecque. Il indique la plante aquatique tige trigone qui pousse particulirementsur les bords du Nil et qui a t abondamment mentionne ou dcrite par les savantset les naturalistes anciens : Hrodote1, Thophraste2, Strabon3, Pline l'Ancien4. Demme, la tradition hippocratique a retenu la plante pour les divers usages qu'enfaisait la mdecine. Dans les textes de l'Ancien Testament, on voit apparatre lepapyrus chez Isae et chez Job, qui mentionne ainsi la triade des plantes aquatiquesoffrant l'homme leur ombre : , , (le papyrus,le roseau, le jonc)5. Les Pres de l'glise ont maintes fois repris l'image du reposqu'voquent ces mots, mais le Nouveau Testament connat un seul des trois substantifs .Le substantif dsigne aussi bien la plante aquatique de la familledes cypraces que les matires qu'on en extrait : les racines sont utilises commecombustible ; les tiges sont employes en vannerie et servent confectionnernattes, vtements, couvertures, paniers, cordages, et mme constituer des toits demaisons ou fabriquer des voiles et des barques ; la tige une fois apprte sert denourriture aux animaux et mme aux humains, ou bien elle est simplement mchepour le jus qu'elle fournit ; une fois broye, elle entre largement dans les compositionsdicinales ; enfin, dcoupe en fines lamelles, elle fournit le matriau donton tire le papier, sans compter que la feuille du papyrus a servi aussi de support l'criture. Thophraste et Pline l'Ancien ont largement expos le mode de fabrication du papier. Des usages diversifis qui sont faits de la plante dcoule unepolysmie du substantif . Celle-ci a entran des confusions et des malentendus, dont la traduction du Livre VI des Relations historiques de GeorgesPachymrs offre une bonne illustration.

    1. Hlrodoti:. Histoires, II. 36. 38. 92 ; etc.2. Thkophraste-:. Recherches sitr les plantes. V. 8. I -5 : 10. 1 et 6 : 1 1 . 1.3. SiRVBo.N. Gographie. V. 2. 9 ; 16. 4. 14.4. Pi.inf . Histoire naturelle. XIII. 21-27 : XXIV. 51 .5. Voir, par exemple. Job. 40 . 21 : \ . Voir aussi Job. 8. 1 1 : Isae. 19. 6. Chacune des trois familles auxquelles appartiennentces plantes (cypraces. graminaces, joncaces) est assez bien identifie pour qu'on puisse excluretoute contusion, entre papyrus et roseau par exemple.Revue des tudes Byzantines 63 . 2005. p. 207-216.

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    208 ALBERT FAILLERDans l'pisode de la bataille de Bellagrada (Berat, en Albanie)6, qui opposa, en1281, les troupes byzantines l'arme du roi de Sicile, le mot est employ cinq reprises, avec la mme signification, mme si les connotations sont diffrent

    es.vant la bataille, le papyrus est prsent comme support de l'huile bnite qu'onva remettre aux soldats en gage de la protection divine. Aprs la bataille, le papyrusfournit le matriau de l'arme factice dont on va affubler les vaincus en manirede drision lors du triomphe organis Constantinople aprs le retour de l'armevictorieuse. Le mot revt ainsi deux fonctions diffrentes : dans le premier cas, ilindique la matire dont est fait l'objet imbib d'huile qui doit servir de talisman auxsoldats partant au combat ; dans le second cas, il indique le matriau dont est fait lesimulacre d'arme remis aux vaincus qu'on fait dfiler lors du triomphe. L'historienemploie le substantif au masculin7, mais les auteurs qui utilisent le fminin sonttout aussi nombreux.

    ** *

    Commenons par relever et analyser les occurrences du mot dans l'Histoire deGeorges Pachymrs. Les quatre premires sont lies et se font cho : il s'agit desprparatifs de l'huile sainte Constantinople et de son utilisation Bellagrada parles combattants. L'extrait qui suit est limit aux deux seuls passages qui dcriventla confection et l'utilisation du papyrus enduit d'huile bnite, le texte intermdiairetant consacr la composition de l'arme qui va tre envoye de Constantinople Bellagrada, munie prcisment de ce viatique. Voici le texte grec : ' , ' , , , , , ' , ' ' , ' . ' , , , ' , ' . " , , , 8.6. Georges Pachymrs, Relations historiques, VI, 32-33 : V. Laurent - A. Failler, II, Paris 1984,p. 640-653.7. Le genre du substantif apparat clairement dans l'une des occurrences du mot : ... (Pachymrs, VI, 32 : II, p. 64724"25).8. Voici la rfrence aux deux passages du chapitre 32 qu i sont cits ici : Pachymrs, VI, 32 :II, p. 64327-6459 et 64724 26. Pour permettre de les reprer aisment dans le texte, les occurrences du

    substantif et de son quivalent dans les deux traductions sont imprimes en italique. D'autrepart, le texte de l'dition doit tre corrig sur un point : la ligne 5 de la page 645, il faut lire ', et non , comme le porte l'dition qu i vient d'tre cite, ou , comme

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    LE ROSEAU, LE PAPYRUS ET LE PAPIER 209Voici la traduction qui a t donne du passage dans la nouvelle dition del'Histoire : Le recours Dieu fut donc prpar de la manire suivante, comme l'ordre en avaitt donn : le patriarche, les vques, ainsi que tout le clerg, feraient d'abord uneveille de supplication Dieu contre ces gens ; ensuite, l'aube, le patriarche et aveclu i six autres vques parmi les plus importants endosseraient les ornements sacrset, tandis que les autres adresseraient l leurs invocations Dieu, ils bniraientl'huile sainte ; aprs avoir fait des cornets de papier, ils les plongeraient dans l'huilenite et ils les remettraient ainsi aux gens chargs de porter ces objets l'arme,de manire qu'il y en e t en suffisance pour la masse des soldats, afin qu'un chacuntnt un de ces papiers pour marcher contre les ennemis. Cela avait t prescrit etexcut au plus vite, et les divins cornets de papier, placs dans des rcipients deverre, furent expdis avec des prires et en sret tout la fois. Ds l'aubedonc, les hommes de la Ville qui taient venus porter secours et qui tenaient chacunle divin papier garni d'huile traversent le fleuve, tombent sur des gens dconcertset les mettent aussitt en fuite 9.Une telle interprtation concorde avec la traduction latine qu'avait donnePierre Poussines dans son dition du 17e sicle, et on peut penser qu'elle s'eninspire directement. La voici : Porro quae ad Dei propitiationem attinebant, in hune modum praeparata sunt.Denuntiatum patriarchae, episcopis, universo clero est, primum quidem ut noctemsimul totam implorando contra hostes Dei auxilio pervigilem ducerent, su b auroramvero diei insequentis patriarcha, sex aliis e praecipuis episcoporum secum assumptiset sacris omnes stolis induti, cunctis interim aliis Deum invocantibus, benedictionemsacri olei solemnem rite peragerent ; turn paratos ad id fasciculos segmentorumpapyri consecrato tingerent oleo, mox darent expeditis cursoribus, qui hos ad exer-

    l'a transcrit Pierre Poussines. En fait, les deux Barberiniani (sigles et C dans l'dition), qui sont lesmodles du premier diteur, ont la bonne leon. C'est donc tort que celui-ci a retenu une leon que neprsente aucun manuscrit : \ . Quant au dernier diteur, il a retenu la leon ,qu i se li t effectivement dans le manuscrit A, mais non dans et C, qui ont bien ' (avec l'accent aiguet le signe de l'lision tout fait clairs), et non . Ajoutons que la locution pronominale est atteste ds l'poque classique. La locution pronominale franaise un chacun en offre un calqueparfait. L'expression est atteste en trois autres endroits de l'Histoire (I, p. 171 l(1 ; IV. p. 53928717|). Letroisime emploi ne provient d'ailleurs pas de la plume de l'historien, car il se trouve dans la lettre quel'historien s'est content de transcrire et qu i est adresse par les archontes de l'glise au patriarche. Lerdacteur de la Version brve, qu i reprend l'un de ce s trois emplois (II, p. 12719). utilise plus courammenta locution pronominale (I, p. 1527 222" 6028 61 1(U7 626 79W 1425 14928 15019 15314 II. p. 6917 1693417026) ; on peut en dduire qu'il s'agit l d'une expression courante de la langue commune.9. Ajoutons que la Version brve, loin d'clairer le passage, n'en offre qu'un ple rsum (I,p. 186 "-187' et 18722 24) : , , , , . \ ) . . . ", .

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    210 ALBERT FAILLERcitum portaturi in procinctu stabant. Erat autem numerus chartularum oleo tincta-rum quantus sufficeret, ut unicuique militi contra hostem ituro sua tribueretur, quamsecum in praelio gestaret. Haec ut imperata, sic executioni mandata confestim sunt.Et sacri fasciculi chartarum in vasa vitrea injecti, simul religione congrua, simulvelocitate summa mittuntur in castra. Ergo sub auroram nostri omnes armissumptis, correptaque quisque in manum tincta oleo sacro chartula, trajecto amne inturbatos clade ducis hostes ruunt. Hi statim funduntur fuganturque l0.Avantde passer l'examen de ce passage, mentionnons, selon la mme disposition, la cinquime et dernire occurrence du substantif, dans le chapitre suivantde l'Histoire cette fois et propos du triomphe organis Constantinople au lendemain de la bataille. Il n'est plus question d'huile sainte, mais du simulacre d'armeremis aux vaincus pour les ridiculiser lorsqu'ils marchent dans le dfil avec lesvainqueurs, dans la tradition romaine du triomphe, o les vaincus figurent dans une

    posture d'humiliation. Le narrateur donne une grande place ce triomphe, dontl'ordonnancement est dcrit de manire pittoresque dans son rcit, et il souligne loisir la pitoyable allure et posture des vaincus, plus que la fiert des vainqueurs.Seul sera cit le passage o les prisonniers apparaissent avec leur arme factice.Voici le texte :" ' , ' . ' ' , . " ' , ' , \ , - ' , , , , ".Voici la traduction qui a t donne de ce passage dans la nouvelle dition : Les prisonniers taient conduits en rang par un , chacun se tenant assis comme ilpouvait sur l'un des flancs du cheval. chacun on donna aussi tenir un javeloten papier ou en quelque autre matire vile, comme trophe clatant de leur revers.Une foule trs dense se tenait de chaque ct : les uns s'apitoyaient sur les capricesdu sort et prenaient en piti les seigneurs ainsi conduits de manire vile ; les autresse moquaient, en signifiant avec force jusqu'o mne la tmrit jointe la sottise :elle fait de petites caresses, mais elle apporte de grands maux ; d'autres, en sifflantcomme fait la foule, raillaient l2.

    10. dition de Pierre Poussines, I, Rome 1666, p. 34 8 et 35 0 (reprise dans l'dition de Bonn : I,Bonn 1835, p. 51 1-512 et 514).1 1 . Pachymrs, VI, 33 : II, p. 65 1 '"8.12. La Version brve a rduit le chapitre 33 quelques phrases (I, p. 18728-1886) et ne retient riende ce qui est rapport dans ce passage de son modle.

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    LE ROSEAU, LE PAPYRUS ET LE PAPIER 21 1Comme pour l'extrait prcdent, la version franaise est fidle l'interprtationde Pierre Poussines, dont voici la traduction latine : Ducebantur continua srie captivi singillatim, idoneo intervalio invicem discreti.Equo quisque proprio vehebat, non libratus in dorso cruribus hinc inde pendentibus,sed sedens pedes compede vinctos in alterum equi latus demittebat. Inditus eratmanui cujusque contus ex papyro au t vili alia materia, insigne videlicet offensio-nis belli qua erant in istam redacti sortem. Turba constipabatur utrinque densa,quorumdam miserantium fortunae casus infestos, praesertim ubi in principes acprimarios viros tali traductos ignominia incurrebant oculi, aliorum contra irridentiuminsultantiumque ultro increpando, meritum eos ferre vaesaniae suae fructum, serampoenitentiam. quae proies esse solet inconsultae amentiae, modicum quidem initioquos abripit mulcentis, ad extremum gravissime multantis l3.Dans la traduction franaise, le substantif est donc traduit de manireniforme par le mot papier. La traduction latine de Pierre Poussines semble premire vue moins explicite, mais, en confrontant les occurrences, on se rendcompte que, au moins pour la prparation de l'huile sainte avant la bataille etmalgr la traduction de la premire occurrence qui semblait emprunter la bonnevoie, le traducteur entend bien qualifier de papier le matriau utilis. Voici lesexpressions successives qui sont employes : fasciculos segmentorum papyri,numerus chartularum oleo tinctarum, sacri fasciculi chartarum, tincta oleo sacrachartula. Mais, dans le dernier cas, l'interprtation de Pierre Poussines pourrait

    tre correcte, mme si la traduction (contus ex papyro) garde une certaine ambivalence.Mais ces traductions sont certainement errones. Il s'agit, dans tous les cas, dupapyrus, plus exactement de la tige du papyrus. Cette rectification n'indique paspour autant comment la tige devient le support de l'huile bnite. Selon l'historien,les tiges de papyrus sont lies en faisceaux ou en bottes ( )14 ; rien n'est dit de la longueur de ces segments, mais il doit s'agir d'un courtfragment de tige plutt que d'une tige entire, ft-elle courte15. Les papyrus sontalors plongs -et mme immergs ()- dans l'huile que le patriarche,assist de six mtropolites, vient de bnir. Puis ces faisceaux ou bottes de tiges sontplacs dans des rcipients ou des vases de verre, sans doute pour empcher quel'huile ne s'coule de manire incontrle et pour faciliter le transport. Le nombredes tiges devait tre important, puisqu'on prvoyait de fournir chacun des soldats1 3. dition de Pierre Poussines. I. p. 35 2 (reprise dans l'dition de Bonn : p. 5 1 7-5 18).14. Pachymrs, VI, 32 : II, p. 645". Ces tiges de papyrus lies en bottes sont mentionnes ailleurs.Dans un passage d'lien, cit par la Souda, on trouve l'expression suivante : ( 587 :A. Adler. I. p. 5004). Or et sont synonymes : voir, par exemple. Eustathh dhThessalonique, Commentaire de l'Odysse (G. Stallbaum, II. p. 264:) : , . Pour indiquer les faisceaux ou bottes >> de papyrus, l'historien emploie le substantif. qui indique ailleurs, selon la mme image, des liasses de feuilles, sur lesquelles sontconsignes les dolances de la population (111. p. 27 lr ; IV . p. 405'" 5492").15. Le papyrus qui est connu aujourd'hui comme plante d'appartement atteint 1.50 m 2 m. Maisle papyrus naturel peut pousser jusqu' 3 ou 4 m.

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    2 1 2 ALBERT FAILLERun de ces papyrus ( )16. Le rcit de l'historien'est donc pas sans imprcisions. Quant au rdacteur de la Version brve, dontl'interprtation est souvent prcieuse pour la comprhension du texte, il rsume grands traits le passage, ne reprend jamais le substantif , ni d'ailleurs lesubstantif , et se contente de faire mention de l'huile bnite, qui est expdiedirectement dans les rcipients de verre, sans autre support ou intermdiaire17.De mme, il omet purement et simplement la mention de la tige de papyrus quitient lieu de javelot aux prisonniers latins dans le cortge triomphal18.

    ** *II apparat ainsi que le papyrus ne joue pas le mme rle dans chacun des deuxextraits transcrits plus haut : si le papyrus faisant fonction de javelot ne fait pasdifficult, on voit mal comment se prsentaient les tiges de papyrus qui portaient la

    prcieuse huile bnite et comment les soldats pouvaient les garder et les tenir enmontant au combat. Mais la confection de tels objets tait sans doute une pratiqueplus commune qu'on ne l'imaginerait, mme si peu de cas sont signals. Les deuxexemples qui suivent vont fournir des lieux parallles et montrer que la mesureprise par Michel VIII ne tmoignait pas de l'imagination qu'on serait tent d'yvoir ; le procd tait connu. De fait, on retrouve le mot employ dans lemme contexte de confection d'un cierge.Le premier texte date du 1e r sicle avant notre re. Il provient d'Antipater deThessalonique et il est conserv dans Anthologie palatine. Voici les deux vers enquestion : , , ] ...19.

    Comme dans la description de ces papyrus enduits d'huile bnite que donneGeorges Pachymrs, la formule prsente reste laconique sur cette lampe faite dejonc tress et de lger papyrus . Il doit s'agir d'un flambeau ou d'une torche dont

    16. Pachymrs, VI, 32 : II, p. 64724"26 (avec la correction signale la note 8). En fait, seules lestroupes envoyes au secours ont t munies de papyrus, puisque la jonction avec les soldats assigsdans la forteresse n'a eu lieu qu'aprs la bataille.17. Le texte de la Version brve est transcrit dans la note 9.18. L'historien emploie le substantif . Il est difficile de dterminer exactement l'ventaildes sens que le mot peut avoir dans l'Histoire. On aurait pu le traduire indiffremment par javelot ,au lieu de lui donner parfois comme quivalents lance ou encore, avec un sens plus indtermin, bton . Ajoutons que le mot convient parfaitement au rdacteur de la Version brve, qu i le donne l'occasion comme un quivalent plus simple du substantif de l'original (II, p. 1 43 '9) .19. Anthologie palatine, VI, n 249. Le texte est retenu par la Souda ( 268 : A. Adler, IV , p. 26 ' 3"14).L'diteur de l'Anthologie (P. Waltz, Paris 1960) donne de ce s deux vers la traduction suivante : Cecierge, revtu d'une tunique de cire, ce flambeau fumeux de Cronos, fait de jonc tress et de lger papyrus... . L'diteur cite en note un passage clairant de Pline l'Ancien (Histoire naturelle, XVI, 70), qu ise rfre un mme cierge, fait, cette fois, non de papyrus, mais d'une autre plante de mme texture,le jonc ( scirpus ) : scirpi fragiles palustresque... e quibus detecto cortice candelae luminibusserviunt .

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    LE ROSEAU, LE PAPYRUS ET LE PAPIER 2 1 3la hampe est constitue de jonc et de papyrus, sans qu'on distingue comment ils secombinent ensemble, ces matires tant leur tour enduites d'une couche de cire.Muni de ces interrogations, on peut voquer un second tmoignage, qui dcritgalement, en des termes proches, un autre flambeau. Rcemment dit, le texte estd un crivain du 1 2e sicle, Nicolas Msarits :

    \ , , , ' ' , , 20.Le vocabulaire est tellement proche qu'on pourrait se demander si NicolasMsarits ne s'inspire pas de son anctre du 1e r sicle avant notre re. Mais il

    faut plutt considrer que l'objet est assez commun pour qu'il n'y ait pas besoinde chercher une origine particulire. Un autre texte du mme Nicolas Msaritssuggre que le papyrus est d'un usage commun dans la rgion et qu'il est utiliscouramment dans la construction de simples cabanes dans la rgion de Nakmis,lieudit situ sur la rive mridionale du golfe de Nicomdie, lgrement l'ouestd'Hlnopolis : ' \ , -, .La confection des tiges de papyrus enduites d'huile bnite suit donc une tradition. Aussi Georges Pachymrs n'insiste-t-il pas, car l'objet n'est pas nouveau ouoriginal. Il reste qu'une description prcise est difficile : il s'agit de tiges depapyrus qui sont rassembles en bottes et trempes dans l'huile, puis expdiesdans des vases en verre.

    20 . B. Flusin. Nicolas Msarits. thope d'un astrologue qui ne put devenir patriarche, TM 14{Mlanges Gilbert Dagron), 2002, p. 241 "2 "\ Voici la traduction que l'diteur a donne de ce passage Et le cierge, compos de cire et de papyrus - le papyrus ayant t divis en menues sections,jusqu' ce que la quantit atteigne la hauteur d'un homme, puis entour de lin ; enfin on a vers sur cecierge de la cire liqufie par le feu, d'un bout l'autre, avant de le mettre en contact avec de l'airfroid -, qu'en ferons-nous ? . Le cierge est ensuite jet au feu pour tre consum comme est consumcelui qu i esprait sa promotion. Il s'agit de la description ironique du chandelier patriarcal ( - ou ), qu i est le second insigne, aprs le bton pastoral ( ou, demanire plus prcise, ), de la juridiction patriarcale.2 1 . A. Heisenberg, Neue Quellen zur Geschichte des lateinischen Kaisertums und der Kirchenunion,II. Munich 1923, p. 45R~". On peut donner de ce texte la traduction suivante : Dans cette Nakmis.les maisons ne sont pas leves avec des murs, ni avec des matriaux qu i ne brlent pas et des pierreset couronnes de poutres, mais elles sont fabriques avec des baguettes d'osier entrelaces, enduitesd'argile et couvertes de papyrus et de jonc . Achille Tatios (Leucippe et Clitophon), Alexandrin luiaussi, voit dans les papyrus le matriau des murs eux-mmes : . Unauteur contemporain. Hrennios ( '-2'; s.), dont le texte concerne cette fois la Syrie, dcrit ainsi lesmatriaux utiliss pour la construction de cabanes : \ (F. Jacob . Die Fragmente der griechischen Historiker. III. Leiden 1958. p. 790).

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    2 1 4 ALBERT FAILLERL'emploi du mot dans le rcit de la parade triomphale organise enl'honneur de la victoire de Bellagrada est d'un intrt identique, mais d'une interprtation plus aise. chacun des prisonniers, qui se tenaient cheval en amazone,on remit un simulacre d'arme, un javelot en bois en somme. Il s'agit donc d'unetige de papyrus, dont la longueur n'est pas indique. Une fois not que cette armefactice ne pose aucun problme dans le contexte et qu'un javelot en papier taiten effet difficile imaginer, il convient d'observer que cette information prsenteun grand intrt pour le droulement des triomphes qui sont organiss dans la capitalepour fter la victoire. L'information n'a jamais t releve, sans doute causede l'erreur d'interprtation des diteurs du texte, qui ont empch qu'apparaisse levrai sens du mot et de tout le passage. Il existe pourtant de nombreuses tudes surles triomphes Byzance. L'emploi de ces lances de bois rappelle le thtre, et lestextes offrent des parallles. Ainsi, lors de son procs, Jsus fut affubl d'un roseauen guise de sceptre : les soldats qui le conduisent au Golgotha mettent un roseau

    dans la main droite de celui qui se prtend le roi des Juifs22. De mme, Philonrapporte que, lors du passage Alexandrie du roi juif Agrippa, la populace organisadans le stade un spectacle destin tourner en drision l'illustre visiteur : onse saisit d'un vagabond qui passait par l et qui se nommait Karabas, et on en fit unroi, en lui dressant un diadme de papyrus et en lui mettant dans la main une tigedu mme papyrus en guise de sceptre23.Dans ses Relations historiques, Georges Pachymrs relate plusieurs triomphesinfamants, avec un luxe de dtails auquel peu d'historiens s'astreignent, mais, parmiles lments qu'il met en scne dans ces rcits, seule la mention des javelots depapyrus prsente une originalit vidente, qui ne semble atteste dans aucun autretexte. Voici, dans l'ordre chronologique, les pisodes qui font tat de tels triomphesinfamants. En 1264, les familiers de l'vque d'Ainos, qui tait intervenu pourtrouver un compromis entre le sultan Izz al-Dn et les troupes byzantines assiges Ainos, sont amens Constantinople pour tre torturs et exhibs en habitsde femme 24. En 1267, Georges Akropolits est charg de punir les moines duPantpopts pour leur opposition l'empereur ; le grand logothte leur fait subirla torture avant de les faire traner dans un triomphe dshonorant traversl'agora25 ; mais l'historien ne prcise pas dans quelle tenue les moines durent

    22 . Matthieu, 27, 29 : \ ... \ . Voir aussi Matthieu, 27, 48 ; Marc, 15, 19 ; 15, 36 .23. Philon, // ; Flaccum, 37, 5 : ... ' . Voici la traduction de A. Pelletier (Les uvres de Philon d'Alexandrie, n 3 1 , Paris 1 967,p. 71) : Ils aplanissent une feuille de papyrus qu'ils lui mettent sur la tte en guise de diadme...En guise de sceptre, l'un d'eux lui remet un petit bout de tige de papyrus du pays, qu'il avait aperu, jetau rebut, sur la route . Il est juste, comme on l'a vu plus haut, d'tablir une synonymie parfaite entre et . Il est douteux, par contre, qu' une simple feuille ait suffi pour constituer undiadme.24. Pachymrs, III, 25 : I, p. 31311'2.25 . Idem, IV , 28 : II, p. 40927 2K .

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    LE ROSEAU. LE PAPYRUS ET LE PAPIER 2 1 5dfiler. En 1273, c'est le tour de Manuel Holoblos, qui est tortur avec sesproches, avant d'tre tran dans un dfil dgradant, au cours duquel il est li sesco-accuss et frapp avec des viscres de mouton26. En 128 1 se droule le cortgetriomphal de Bellagrada, qui fait prcisment l'objet de cette tude et dans lequelfigurent donc les prisonniers de l'arme sicilienne avec leur javelot de papyrus27 . En 1292, Constantin Palaiologos, le frre cadet d'Andronic II, humilie uncertain Constantin Maurozms pour se venger du camouflet inflig sa proprefemme par Stratgopoulina, dont ce Constantin Maurozms tait rput trel'amant : il le fait dshabiller et porter ainsi en triomphe travers l'agora dansle plus simple appareil28. Les dtails rapports dans ces rcits sont pour l'essentielattests par d'autres descriptions de triomphes infamants. Seul se rvle original- et apparemment objet d'une mention unique - le port de javelots factices imposaux prisonniers faits dans l'arme du ro i de Sicile Bellagrada.

    Le relev des nombreux triomphes infamants qui figurent chez les divers historiens byzantins a t fait par N. G. Poltes, puis, de manire plus systmatique, parPh. Koukouls29. Mais on a nglig le passage singulier de l'Histoire de GeorgesPachymrs o est dcrit le dfil des vaincus de Bellagrada affubls de leurs javelotsde papyrus. juste titre, l'omission peut tre impute aux diteurs successifsde l'Histoire. Aucun autre texte ne semble prsenter de cas identique ou ressemblant. ans les divers triomphes rapports par les historiens, il est continuellementfait tat du butin et des prisonniers, et certains dtails sont donns sur les humiliationsmposes aux vaincus, mais ceux-ci ne sont jamais affubls comme ici d'unearme fictive, qui donne la scne une grande force parodique30.

    Se pose enfin la question des caractristiques et de l'origine de ce papyrus quiest utilis dans l'un et l'autre cas. Les auteurs anciens n'en signalent pas l'existence en Asie Mineure ou sur le territoire de l'Empire byzantin, mais seulement enEgypte, d'o il a d'ailleurs reflu aujourd'hui vers le lac Tana d'Ethiopie, en Syrie,en Calabre et en Sicile, ou en Italie centrale. De mme, les encyclopdies grecquesle prsentent toujours comme une plante exotique. Mais l'Histoire de GeorgesPachymrs et les rcits de Nicolas Msarits semblent tmoigner de sa prsenceen Asie Mineure au 13e sicle, aussi bien aux environs de Constantinople que surles rives du golfe de Nicomdie, et mme en relative abondance, si l'on est mme

    26. Idem. V. 20 : . p. 50324-5054.27 . Idem, VI, 33 : II. p. 6515-653".28 . Idem, VIII, 19 : III. p. 175713.29 . N. G. Poltes, ' . 4. 1912-1913. p. 626-642 ; Ph. Koukouls, . III. Athnes 1949, . 184-208 (sous le titre' ).30. V oir Ph. Koukouls (H . , II. Athnes 1948, . 55-60), qui s'inspire presque exclusivement de Constantin VIIPoiphyrognte, et M. McCormick (Eternal victory. Triumphal rulership in Uite Antiquity, Byzantiumand the Early Medieval West, Cambridge-Paris 1986). qu i ne traite gure de la priode des Palaiologoi.Mais Philon, dans le texte qu i a dj t cit plus haut (n. 23), offre un parallle (Phii.on, In Flaccum.38 . avec la traduction de A. Pelletier) : le vagabond Karabas. dguis en roi. est entour d'une garded'honneur, constitue de jeunes gens qui. en guise de lanciers, bton sur l'paule, lu i firent la haie desdeux cts, en jouant les gardes du corps ( e.J )) -p(i)v ).

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    216 ALBERT FAILLERd'en quiper une troupe qui comprend des centaines de soldats, que ce soit commetalismans pour la victoire ou comme sabres de bois pour la drision. De plus,Nicolas Msarits voit le papyrus servir de matriau de construction commun aubord du dtroit de Nicomdie. S'il est vrai que le roseau, dont la tige est plus raideet les nuds cloisonnants aptes fournir une sorte de rcipient pour un liquide,ffrirait un meilleur profil pour les usages qui sont faits ici de la plante et que,surtout, sa prsence dans la rgion ne pose pas le mme problme, il est difficilecependant d'admettre, aussi bien chez Nicolas Msarits que chez GeorgesPachymrs, une mme confusion entre les deux plantes aussi bien individualiseset par leurs caractristiques botaniques et par leur utilisation. Il restera tout demme bien identifier cette plante que les deux crivains appellent papyrus.De toute manire, dans les chapitres 32 et 33 du Livre VI de l'Histoire deGeorges Pachymrs, le mot ne dsigne pas le papier, mais, plus simplementt plus littralement, le papyrus. S'il avait voulu dsigner le papier, l'historienaurait sans doute employ le mot commun : . Il a de fait recours cesubstantif31, mais il l'utilise de manire ambivalente, puisque le mot peut dsigneret le papier en tant que substance et le feuillet dment crit ou prt pour l'criture,feuillet qui sera le plus souvent en papier, mais l'occasion en parchemin. Lepassage suivant, qui paratra au premier abord surprenant, le prouve : , 32 ( on met le feu aux feuilles, qui taient desparchemins ). Quant au mot , il apparat bien dans le lexique grec del'Histoire de Georges Pachymrs, mais il n'appartient pas au vocabulaire proprede l'historien : on le trouve seulement dans un titre de chapitre33 ; or les titres dechapitres ne sont pas dus l'auteur, mais ont t inscrits plus tard, dans une langueplus ordinaire ou plus populaire.Albert FaillerInstitut Franais d'tudes Byzantines (IFEB)

    31. En voici les occurrences dans l'Histoire de Pachymrs : II, p. 399" m 44 "5 62121 ; III, p. 7331 1315 18727 1895 27714 27927 2812 12 .32 . Idem, VI, 25 : II, p. 62 12021.33 . Idem, IX , 24:111, p. 96 277 '.