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Du Luxembourg à l’Europe HOMMAGES à GILBERT TRAUSCH à L’OCCASION DE SON 80 e ANNIVERSAIRE

aleH à l’Europe · tés du Grand-Duché au lendemain de la Libération.3 Abstraction faite du retard accumulé sur le plan de la rénovation et de la modernisation des équipements

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Du Luxembourg à l’Europe

Hommages à g ilbert tr auscH à l’occasion de son 80 e anniversa ire

Du L

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H

ce livre recèle un florilège de travaux de recherche historiques rédigés

en hommage – à l’occasion de son 80e anniversaire – à l’historien

luxembourgeois le plus éminent de la deuxième moitié du XXe siècle :

gilbert trausch.

c’est plus précisément à l’enseignant qui a contribué à les former

et à l’historien innovateur qui leur inspira des voies à suivre que les

auteurs – historiens et enseignants d’histoire renommés – ont voulu

rendre hommage.

le lecteur décèlera rapidement dans les titres certains des grands

thèmes de gilbert trausch : le devenir historique du luxembourg, la

prise de conscience de leur identité par ses citoyens, l’interrogation par

l’historien des mythes et des partis-pris dans lesquels s’enracinèrent

les identités évolutives, enfin le cheminement du luxembourg contem-

porain dans le mouvement vers l’union européenne.

c’est finalement le métier passionnant de l’historien que

célèbre cette publication semée de synthèses, de réflexions,

d’approfondissements et de trouvailles.

editeurs :

Jacques P. leider, Jean-marie majerus, marc schoentgen, michel Polfer

ISBN 978-2-87963-836-2

www.editions.lu 59 €

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Du Luxembourg à l’EuropeHommages à Gilbert Trausch à l’occasion

de son 80e anniversaire

Ouvrage édité par Jacques P. Leider, Jean-Marie Majerus,

Michel Polfer et Marc Schoentgen

Publié par l’Association Luxembourgeoise

des Enseignants d’Histoire (ALEH)

avec le soutien de

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© Editions Saint-Paul, Luxembourg 2011ISBN 978-2-87963-836-2

Inhaltsverzeichnis

Préface des éditeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Monique Kieffer Gilbert Trausch : un historien dans son siècle . . . . . . . . . . . . . . . 13

Histoire du Luxembourg avant la IIe Guerre mondiale Moyen-Age

Michel Margue Peter „von Aspelt“, Erzbischof von Mainz († 1320),David Kirt in Geschichte und Rezeption. Von der schwierigen

Zuordnung der Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Jean Schroeder A propos des origines de la procession dansante d’Echternach : Les faits historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Henri Trauffler Herrschaftsbildung und Grenzräume am Beispiel der Grafschaft Chiny. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Tempsmodernes

Pol Schiltz Die Quellen der Benediktinerabtei in Echternach unter Roprecht van Monreall . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

Guy Thewes De la représentation à la participation. Les relations entre les

États provinciaux et le gouvernement central dans le Luxembourg

au XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Révolutionfrançaise

Paul Margue Institutions nouvelles créées par la Révolution française et leur survie dans l’histoire du Grand-Duché. . . . . . . . . . . . . . . 143

19esiècle

Christiane Huberty Les élections au Parlement de Francfort (1848) – un moment particulier dans la vie politique luxembourgeoise du XIXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

Georges Hellinghausen Sabotage der Volksmission in Siebenbrunnen. Wie 1852

Religiöses, Soziales und Politisches miteinander verquickt

wurden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Denis Scuto Paul Eyschen entre État libéral et État-nation . . . . . . . . . . . . . . . 193

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Entre-deux-guerres

Paul Feltes La stratégie de l’Arbed dans l’entre-deux-guerres . . . . . . . . . 219

Norbert Franz Nationsbildung in Luxemburg von der Französischen Jean-Paul Lehners Revolution bis zum Beginn des Zweiten Weltkriegs: Konzepte, Debatten, Forschungserträge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

Paul Lesch Triomphes, polémiques et censure. La réception au

Luxembourg des films consacrés à la Première Guerre mondiale au

cours des années 1930 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

Histoire du Luxembourg pendant la IIe Guerre mondiale

Paul Dostert Les finances du gouvernement luxembourgeois en exil (1940–45) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Serge Hoffmann Le départ en exil de la Grande-Duchesse Charlotte : une autre alternative ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

Marc Schoentgen Das Einsatzkommando der Sicherheitspolizei und des Sicherheitsdienstes in Luxemburg und die Judenverfolgung im Jahre 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301

Michel Polfer Nationalsozialistische Kulturpolitik oder Herrschaftsstabilisierung? Zum Ankauf der Kunstsammlung

des Luxemburger Notars Edmond Reiffers durch die deutsche

Zivilverwaltung. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327

Histoire du Luxembourg après la IIe Guerre mondiale

Stéphanie Kovacs Les relations entre le Parti Communiste Luxembourgeois (PCL) et le SED (« Sozialistische Einheitspartei Deutschlands ») de 1948 à 1983, vues à travers les rapports internes des Archives fédérales d’Allemagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

Steve Kayser Die Nachkriegs-„Schueberfouer“ Rückkehr und Einkehr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381

Jean-Marie Majerus Gaston Thorn et la perception de la politique étrangère luxembourgeoise de 1969 à 1981. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403

Michel Pauly « Créer des Européens » ? Les gouvernements luxembourgeois

face à la libre circulation des personnes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 425

Histoire de la Construction européenne

Charles Barthel La formation du Benelux et la conquête du marché néerlandais par les maîtres de forges luxembourgeois (1944–1949) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445

Marie-Thérèse Bitsch Robert Schuman après l’ère Schuman. Quel rôle européen

pour l’ancien ministre des Affaires étrangères entre 1953 et 1963 ? 475

Anne Boerger-De Smedt Le Luxembourg et les institutions de la Communauté Européenne de Défense. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497

Gérard Bossuat Émile Noël, secrétaire général de la Commission européenne, et le Luxembourg. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515

Wolfram Kaiser Luxemburger christlich-soziale Politiker in der europäischen Parteienkooperation. Von Locarno bis zur

Direktwahl des Europäischen Parlaments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 535

Wilfried Loth European identity: Traditions, constructions, and beliefs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549

Divers

Anne Deighton Berlin in Moscow. Isaiah Berlin : Academia, Diplomacy and Britain’s Cultural Cold War. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 559

Fernand Fehlen „Letzebourger Deutsch“. Aus der Vorgeschichte der

Luxemburger Sprache (1815-1830) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571

André Grosbusch Aux prises avec l’histoire… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593

Jemp Kunnert „Clais Bildhauwer“, ein Luxemburger Künstler der Spätgotik (um 1500) oder ein Plädoyer für die

Kunstgeschichtsforschung in Luxemburg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605

Jacques P . Leider Alaungmintaya, König von Birma (1752–60). Darstellung

und Interpretationen in der westlichen Geschichtsschreibung 627

Gérard Thill Le peintre-dessinateur Auguste Migette (1802–1884) – un Enfant du siècle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 655

Marion Rockenbrod Bibliographie Gilbert Trausch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 683

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La formation du Benelux et la conquête du marché néerlandais par les maîtres de forges luxembourgeois (1944–1949)•CharlesBarthel

Tous les auteurs qui se sont penchés sur l’avènement de l’union doua-nière entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg conviennent d’attribuer le triomphe initial de la nouvelle « communauté » fondée en septembre 1944 essen-tiellement, sinon exclusivement à sa vocation politique. Certes, cette dimension particulière n’est pas mentionnée d’une syllabe dans la convention signée huit mois avant la fin du second conflit mondial, pas plus d’ailleurs qu’elle ne trans-paraît à travers les prérogatives des organes prévus par le traité. Toujours est-il que la volonté de faire bloc dans le but de s’assurer une meilleure défense de leurs intérêts au sein des importantes conférences internationales de l’après-guerre a dominé de bout en bout la stratégie des trois gouvernements signataires. L’histoire s’est chargée du reste, car – pour employer l’expression de Gilbert Trausch – le Benelux fait durant la seconde moitié des années quarante « à la fois impression et illusion […] dans une Europe occidentale qui cherche désespérément, mais sans grand succès, à s’unir ».1 Or, tandis que les circonstances du moment érigent ainsi la démarche collective de Bruxelles, de La Haye et de Luxembourg en une action phare du processus d’intégration en procurant par la même occasion au trio un certain poids sur la scène diplomatique occidentale, la collaboration économique sur le terrain fait long feu. Quoique inscrite au centre du programme commun, sa mise en branle est plusieurs fois ajournée, tantôt à cause des retards nés d’une éli-mination laborieuse des séquelles de la guerre, tantôt en raison du fait que les États membres n’ont en vérité « nullement l’intention de réaliser une union économique complète ». Leur « souci constant […] de protéger certains secteurs dans une cer-taine mesure contre le mécanisme du marché » engendre très vite de solides fric-

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tions.2 Elles concernent notamment le domaine de la métallurgie. Depuis que les chefs d’entreprises au Grand-Duché et en Wallonie caressent le dessein de profiter de la chute des barrières tarifaires intérieures pour s’emparer d’un quasi monopole de vente en territoire batave, la branche devient l’objet d’un rude combat avec les promoteurs d’une industrie du fer nationale aux Pays-Bas.

Lescontraintesdel’immédiataprès-guerreetlaprimautédelaproductionsurlavente

Afin de comprendre les enjeux du démêlé entre les sidérurgistes luxembour-geois (et belges) d’une part, leurs confrères néerlandais et les autorités de La Haye d’autre part, il s’avère utile de commencer par jeter un coup d’œil sur la précarité qui caractérise la situation dans laquelle se retrouve la principale branche d’activi-tés du Grand-Duché au lendemain de la Libération.3

Abstraction faite du retard accumulé sur le plan de la rénovation et de la modernisation des équipements techniques (nous en parlerons plus loin), l’indus-trie lourde n’a presque pas souffert des opérations de combat.4 Ses usines plus ou moins intactes restent néanmoins à l’arrêt pendant une année entière. Seules les installations des Hauts-fourneaux et Aciéries de Differdange-St.Ingbert-Rumelange (Hadir) fonctionnent temporairement au ralenti pour laminer des meter beams commandés par les armées alliées.5 Dans tous les autres sites, les ouvriers et les employés s’affairent soit à effectuer « des travaux d’entretien, de mise en état et de nettoyage », soit à réparer des véhicules militaires américains, à moins d’être mutés par leurs patrons dans la reconstruction des infrastructures et des villages détruits au cours de la bataille des Ardennes dans le Nord du pays. Peu importe du reste la nature des occupations de fortune poursuivies par le personnel ; ses acti-vités se réduisent à des mesures destinées en première ligne à éviter le chômage et les licenciements massifs. Elles ne rapportent point d’argent aux entreprises qui, au contraire, supportent à elles seules le versement des salaires et des traitements sans toucher une indemnité du gouvernement, comme c’est le cas en Belgique ou en France. La société des Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange (Arbed) dé-bourse de cette manière chaque mois environ 40 millions de francs. À force d’être répété le long d’une période prolongée, le débours en pure perte finit rapidement par écorner la trésorerie de l’entreprise. Autant dire que le ré-allumage des pre-miers hauts-fourneaux à partir de l’automne 1945 provoque un profond soupir de soulagement dans les étages de direction de la forge.6

Il convient toutefois de ne pas exagérer les résultats de la reprise progressive du travail. Le retour à une allure de production tant soit peu « normale » se fait en réalité attendre jusqu’en été 1948, quand les coulées égalent enfin un volume

comparable à celui atteint avant le commencement des hostilités en 1939. La len-teur avec laquelle s’opère la convalescence des forges doit avant tout être imputée au problème par excellence de l’époque, c’est-à-dire les insuffisances de l’approvi-sionnement en combustibles. Sans vouloir entrer ici dans le détail des multiples facettes d’une thématique extrêmement ardue, soulignons simplement que depuis le tarissement des livraisons en provenance des houillères de la Ruhr et d’Aix-la-Chapelle dans la foulée de l’effondrement du IIIe Reich, les usines éprouvent le plus grand mal à se procurer du coke métallurgique et des charbons à la fois en quanti-tés suffisantes, à des prix raisonnables et avec la nécessaire garantie de régularité des arrivages sans laquelle le lancement d’une fabrication de fonte, même réduite, ne peut être entamé sous peine de risquer de gros dégâts à la suite d’un éventuel arrêt abrupt des installations techniques.

Faut-il dès lors s’étonner de voir le Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises (GISL) saluer le projet Benelux qui, compte tenu de l’existence de gisements houillers au Limbourg du Sud, pourrait donner une solution valable pour désamorcer le goulot d’étranglement actuel  ? En juillet 1945 déjà, aussitôt après l’évacuation des Pays-Bas par la Wehrmacht, la chambre syndicale des maîtres de forges du Grand-Duché dépêche à La Haye Jean-Baptiste Henckes. L’envoyé a rendez-vous là-bas avec Jean-Pierre Kremer, un haut fonctionnaire du ministère luxembourgeois des Affaires étrangères, qui doit l’assister dans ses entretiens avec les responsables des mines hollandaises d’État en vue d’obtenir un contrat de fourniture pour des fines à coke.7 La transaction – elle aurait été d’autant plus attrayante que le combustible fabriqué avec la houille de la région possède des qualités supérieures au coke belge et serait mieux approprié pour réduire des minerais de fer de la composition chimique des minettes lorraines-luxembourgeoises – échoue cependant parce que les maigres tonnages extraits des puits ne suffisent apparemment même pas pour chauffer la population autoch-tone pendant l’hiver prochain. C’est du moins l’argument avancé par les agents du Rijksbureau surveillant le rationnement des produits de base. Quant à Henckes et ses compatriotes, ils n’y croient pas. Ils suspectent les Néerlandais de veiller jalou-sement à conserver un maximum de réserves dans l’intention d’accélérer le redé-marrage économique chez eux, sans se soucier le moins du monde du sort de leurs nouveaux partenaires. La façon peu correcte dont les mines d’État s’exécutent plus tard des obligations consignées dans les accords commerciaux successifs passés entre l’Union Économique Belgo-Luxembourgeoise (UEBL) et le gouvernement de la reine est au demeurant très éloquente à cet égard : les fournisseurs ne tiennent presque jamais parole en livrant systématiquement des contingents inférieurs aux quanta convenus. Bref, sous l’angle des ressources énergétiques, les espoirs mis par les Grand-Ducaux dans l’éclosion du Benelux sont très tôt détrompés. Outre des

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prix exorbitants « qui ne se justifient pas », les quantités par trop insignifiantes expédiées sporadiquement des carreaux de mine de Heerlen, Kerkrade ou Roer-mond ne sont à proprement parler d’aucun secours réel. Surtout durant la phase cruciale de la remise en route des usines, les envois en partance des charbonnages limbourgeois forment tout au plus un appoint qui permet le cas échéant de forcer quelque peu la marche des hauts-fourneaux, mais qui ne sauraient en aucun cas être confondus avec une alternative valable permettant à l’Arbed, à la Hadir ou à la Minière et Métallurgique de Rodange (MMR) de réorienter durablement l’organisa-tion de leur alimentation en matières premières.8

À défaut d’un rapprochement avec les Néerlandais, les chefs d’entreprises du Grand-Duché continuent par conséquent à s’en remettre entièrement aux au-torités bruxelloises et à l’accord du 24 avril 1945 conclu entre Jean-Pierre Kremer, que nous connaissons déjà, et le ministre belge des Affaires économiques Albert De Smaele. Cette convention gouvernementale table sur le principe du « donnant, donnant ». Elle ne cherche au fond rien d’autre qu’à pérenniser les anciens rap-ports de force entre les sidérurgies wallonne et luxembourgeoise. À cette fin, les deux parties ont résolu d’harmoniser la cadence des coulées de fonte brute dans la proportion de 60 : 40 qui correspond grosso modo aux ordres de grandeur de la production d’avant-guerre. L’objectif déclaré est atteint moyennant l’introduc-tion d’une péréquation des combustibles de telle sorte que tous les charbons at-tribués à la branche métallurgique en territoire de l’UEBL – quelle que soit leur provenance (extraction belge et importations) – sont alloués dans exactement la même relation, soit 60 % aux barons du fer du Groupement des Hauts-Fourneaux et Aciéries Belges (GHFAB) et 40 % à leurs homologues du GISL. Vu l’absence de houillères au Grand-Duché, et étant donné les énormes difficultés pour se procu-rer à l’époque du coke allemand, britannique ou américain, le partage représente visiblement un sacrifice essuyé par la Belgique qui renonce volontairement à une partie de ses propres ressources cédées au petit frère de l’union économique. En retour, celui-ci doit – premièrement – mettre ses minerais de fer à la disposition des forges du Liégeois et du Hainaut et – deuxièmement – réserver au marché intérieur de l’UEBL la moitié de ses fontes brutes sous forme de fabrications la-minées. Cette part est, il est vrai, réduite à 40 % à partir du mois de février 1946.9 Il n’empêche qu’elle équivaut à un lourd fardeau supporté par les forges natio-nales parce que les prix touchés pour ce genre d’affaires « sont très peu intéres-sants ».10 Et pour cause ! Les conditions de vente faites à la clientèle belge ne sont pas déterminées par le libre jeu de l’offre et de la demande mais dictées par les pouvoirs publics soucieux avant toute autre chose d’accélérer l’élimination des dommages de guerre au moindre coût. Inutile de préciser qu’en vertu d’une multi-tude de variables, comme la plus grande superficie de la Belgique ou sa population

plus nombreuse, et donc, ses besoins sensiblement supérieurs en valeur absolue, la part relative assumée par la sidérurgie luxembourgeoise dans l’effort de recons-truction du Royaume est plus élevée que la contribution versée par les collègues d’outre-Ardennes.

Hélas, les patrons du GISL n’ont pas le choix : l’obtention des indispensables combustibles belges est à ce prix. Aussi Félix Chomé, le directeur général de l’Ar-bed, ne cesse-t-il d’exhorter ses subordonnés à respecter « intégralement et avec loyauté tous les engagements » de l’accord avec Bruxelles.11 Il faut d’ailleurs recon-naître que la question des marges bénéficiaires réalisées sur la vente des marchan-dises métalliques joue dans l’immédiat après-guerre un rôle plutôt effacé. Pendant près de deux années, le double but primordial consiste à produire afin de rentrer au moins une partie des frais fixes exorbitants d’une part, et d’autre part à éviter de se faire dépasser par les concurrents étrangers qui pourraient exploiter la mau-vaise passe que traversent certaines aciéries pour s’arroger à terme une position privilégiée sur le marché. La parité introduite grâce à la convention De Smaele-Kremer donne toutes les garanties en la matière. Il n’en reste pas moins que les atouts originels du contrat bilatéral finissent peu à peu par s’émousser au fur et à mesure que la production sidérurgique s’intensifie par suite de l’amélioration progressive de l’offre de coke en Europe. Dès lors la contrainte d’exécuter en prio-rité des commandes peu lucratives pour le marché intérieur se transforme en un véritable handicap, car elle interdit aux Luxembourgeois de multiplier le nombre des clients hors UEBL enclins à verser des prix supérieurs. Il s’ensuit un manque à gagner croissant contre lequel les forges ont beau s’insurger, mais qu’elles sont impuissantes à combattre si ce n’est avec des actions ponctuelles aux retombées pécuniaires modestes, à l’exemple du refus d’appliquer une baisse de 100 francs/t. imposée par le cabinet de Paul-Henri Spaak aux producteurs wallons, ou de la substitution, au cours du second semestre de l’année 1947, des prix franco frontière aux anciens prix franco destination, ce qui revient à se décharger de la majeure partie des frais de transport sur les clients belges.12

Parallèlement à la lente disparition du manque de charbon on assiste donc à partir du milieu de l’année 1947 au réveil timide de la logique commerciale pra-tiquement absente jusque-là. Le changement d’orientation se manifeste en par-ticulier à travers la convocation, le 6 juin, de la première réunion des directeurs d’agences de la Columeta. Les chefs de la société filiale dotée du monopole de vente des produits du groupe Arbed ne s’étaient plus rencontrés pendant « près de huit ans » !13 Leurs retrouvailles sont une aubaine en ce sens que les procès-verbaux des conférences mensuelles du personnel en charge de l’écoulement des fabrications nous révèlent l’importance variable que revêtent les trois types de marchés inté-rieur, organisé et libre sous l’influence du climat économique changeant.

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Laplacedumarchénéerlandaisdanslaperspectivedesconsidérationscommercialesrenaissantes

Pendant la période qui nous occupe, on distingue nettement deux cycles conjoncturels marqués par une croissance contraire. La première phase de ten-dance positive dure du retour à la paix jusqu’à la fin de l’année 1948. Elle est ca-ractérisée simultanément par les besoins inouïs de la reconstruction à travers le monde entier et une offre assez restreinte. Une constellation de l’espèce suscite for-cément sur les marchés libres une pression formidable. Elle trouve son reflet dans des gains mirifiques à empocher par tonne vendue. Et pourtant les sociétés métal-lurgiques du Grand-Duché en profitent peu parce qu’elles décrochent seulement la portion congrue de ces commandes qui valent leur pesant d’or. Le quantum sous rubrique correspond effectivement tout juste à 10 % ou à 15 % des ventes totales en 1946, et à environ 20 % en moyenne en 1947 (cf. infra figure I). Cette situation déplorable n’a rien à voir avec un manque de sagacité des experts en négoce. Elle est fatalement conditionnée par la combinaison entre une production demeurée trop faible pour autoriser les usines à réagir aux demandes pressantes de la clien-tèle internationale et l’impératif d’affecter la part du lion de la fabrication au mar-ché intérieur et aux marchés organisés. Ces derniers concernent l’ensemble des fournitures consignées dans les traités commerciaux contractés par Bruxelles au nom de l’UEBL avec des pays situés aux quatre coins du globe. Leur «  liste déjà longue » se rallonge en permanence. À cause de la pénurie persistante de dollars américains, de livres sterling ou d’autres devises « fortes », beaucoup d’États sont en effet amenés à renoncer au libre commerce et à instaurer un contrôle rigoureux des flux de marchandises au moyen du contingentement des achats extérieurs et/ou de l’octroi de licences d’importation. Souvent aussi, faute de mieux, ils recou-rent au troc, à l’exemple de cette « compensation d’oranges contre aciers de l’Ar-bed [jusqu’] à concurrence de 200 millions de francs ».14 Les ordres enregistrés par l’entremise des gouvernements dans le cadre d’accords inter-étatiques – ils sont de facto obligatoires pour les usines qui ne peuvent pas se soustraire à leur exécution – sont encore autrement contraignants. Souvent ils portent sur des spécifications peu compatibles avec les programmes actuels de laminage des usines ou prévoient des délais de livraison rigides qui anéantissent les efforts entrepris par les maîtres de forges pour aboutir à une occupation rationnelle des outils de production. Il en découle un accroissement des prix de revient d’autant plus dur à supporter que ces commandes sont d’ordinaire tout aussi inattractives du point de vue bénéfice que celles du débouché belgo-luxembourgeois. Sans parler des échéances de payement éloignées, elles représentent bien des fois des « affaires de sacrifice » sur lesquelles il n’y a que peu ou rien à gagner.

La représentation graphique illustre d’une manière saisissante combien la « norma-lisation » économique à partir de 1948 entraîne la stabilisation des ventes sur le mar-ché intérieur à un niveau comparable à celui atteint pendant l’entre-deux-guerres. La hausse substantielle notée à partir de décembre 1949 est due à l’entrée en vigueur de la pré-union Benelux et au fait que les exportations à destination du marché néerlan-dais sont désormais traitées dans les statistiques comme des affaires « intérieures ». Source : ANL, Arbed-02-331 à 02-334

Les livraisons à destination des Pays-Bas figurent précisément dans cette catégorie. Leur volume n’avait cessé d’augmenter depuis la signature, au début des années trente, de la convention d’Ouchy et d’un traité commercial par lesquels les trois ministres des Relations extérieures belge, luxembourgeois et néerlandais avaient voulu contrecarrer les courants protectionnistes suscités par la grande crise économique mondiale.15 Le rapprochement avait alors inauguré une expan-sion soutenue des envois de produits laminés made in Luxembourg à tel point qu’un volume de 88.000 tonnes annuelles avait été atteint à la veille de la guerre. Du coup, la Hollande s’était élevée au rang du troisième client des usines du Grand-Duché, derrière la Belgique (25-28 % des ventes) et l’Allemagne (300.000 tonnes par an), mais devant les traditionnels pays destinataires des exportations luxembour-geoises avec, en tête, la Grande-Bretagne (83.000 tonnes), les États scandinaves et les pays dits « de la Plata » (Argentine, Chili, etc.).

On imagine dès lors facilement un possible scénario d’après-guerre. La consommation néerlandaise ne pourrait-elle pas servir à la sidérurgie luxembour-geoise d’ersatz pour compenser la perte de la clientèle allemande après la capitu-lation nazie ? Le bien-fondé de la réflexion saute aux yeux si l’on sait par ailleurs

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que les Pays-Bas absorbaient avant le conflit mondial un peu plus d’un million de tonnes d’aciers bruts, de demi-produits et de produits finis dont la moitié était importée de la Ruhr. Comme une reprise des livraisons par les konzern rhénans condamnés à être démantelés par les Alliés paraît néanmoins improbable avant longtemps, la suite coule de source. Bien sûr, outre les fabricants du GISL et leurs homologues du GHFAB, il y a d’autres candidats tentés de récupérer la part de marché autrefois allemande. Des usines polonaises et tchécoslovaques en l’occur-rence « commencent à montrer beaucoup d’activité » en disputant l’une ou l’autre commande à leurs rivaux belgo-luxembourgeois. Pourtant elles ne représentent à aucun moment une menace réelle parce qu’elles pratiquent la plupart du temps des prix trop élevés. La même remarque est valable en relation avec le danger potentiel émanant des compétiteurs britanniques ou américains. Ils affichent des condi-tions de vente « fantaisistes » de sorte qu’ils ne font vraiment peur à personne.16 Quant à la métallurgie française, elle « n’est pas à craindre ; son organisation de vente, trop lourde, ne fonctionne qu’avec lenteur ».17 De toute manière la proximité géographique et la grande facilité des transports par voie de canaux donnent une longueur d’avance aux entreprises de Wallonie et du Grand-Duché. Combiné avec le projet Benelux, l’avantage des trajets courts et bon marché les prédestine littéra-lement à devenir les principaux sinon les uniques héritiers du Stahlwerks-Verband aux Pays-Bas.

Pour convainquant et tentant qu’il puisse paraître, le raisonnement originel des experts est d’office contrarié par les circonstances détestables qui entourent le réagencement des circuits commerciaux, car quoiqu’une prise en charge prompte et complète de l’ensemble de la demande néerlandaise ait présenté dans la pers-pective d’une intelligente planification à long terme « le plus grand intérêt » pour les Luxembourgeois, « notre misère » – explique le secrétaire général du GISL, Éric Conrot – « ne nous a pas permis de prendre immédiatement la part que nous au-rions désiré nous assurer ».18 Les causes du mauvais départ nous sont entre-temps familières. D’abord le déficit chronique de la balance des payements aux Pays-Bas freine l’envie d’acheter des Néerlandais. Johannes Cornelis van Baggum s’en plaint constamment. Le directeur de l’agence Columeta à Rotterdam reçoit chaque jour des appels téléphoniques de clients virtuels qui aimeraient volontiers acheter de grosses quantités de matériel à Luxembourg, mais qui « ne peuvent obtenir de li-cences » parce que Bruxelles exige pour toutes les livraisons hors UEBL une « cou-verture en or ou en hard currency ».19 Même le nouvel accord commercial conclu en été 1947 entre l’union douanière belgo-luxembourgeoise et La Haye n’y change rien. Les termes de la convention relèvent certes à un demi-million de tonnes par an le quantum des laminés théoriquement destinés au marché hollandais, mais, faute de réserves d’argent en quantités suffisantes, les instances compétentes aux

Pays-Bas continuent comme par le passé à lésiner sur l’octroi des certificats d’im-portation afférents. Il subsiste donc longtemps un écart béant entre les tonnages autorisés et les échanges effectifs enregistrés au passage des frontières.

Un baromètre de la conjoncture qui ne trompe pas  : tout comme le léger recul des commandes nouvellement enregistrées après décembre 1947 inaugure la lente trans-formation des marchés dominés par les producteurs en marchés maîtrisés par les acheteurs, la chute brutale de la rentrée des ordres à partir de décembre 1948 ouvre la marque à la grave crise de méventes qui prend fin seulement avec le boom de Corée. Source : ANL, Arbed-02-331 à 02-334

Qu’on ne s’y trompe toutefois pas. Le fait que les contingents inscrits dans les traités officiels ne soient pas épuisés ne s’explique pas seulement par le manque de devises chez les consommateurs. Il est aussi le résultat du « refus » délibéré des fabricants de respecter les engagements pris par leurs gouvernements respectifs. Ainsi, au moment même où Bruxelles, Luxembourg et La Haye arrêtent les 500.000 tonnes annuelles susmentionnées, les industriels en Wallonie et au Grand-Duché décident de leur propre gré de n’« accorder provisoirement plus que 90.000 tonnes par trimestre », soit au total même pas la moitié des quantités souhaitées par les pouvoirs publics.20 C’est que les sidérurgistes de part et d’autre des Ardennes, faute d’une production suffisante pour combler la demande, ne sauraient laminer un complément de commandes peu profitables pour les Pays-Bas qu’à condition de

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comprimer davantage encore leurs affaires exceptionnellement rémunératrices sur les marchés libres ! De ce point de vue, les difficultés de payement des Néer-landais arrivent à point nommé. Elles servent d’excellent prétexte aux industriels du Grand-Duché pour se dérober à des obligations gênantes. Il en est de même de l’ajournement du Benelux. Le report réitéré de l’instauration du marché intérieur unique arrange les patrons parce qu’il leur évite d’octroyer aux clients néerlandais des conditions identiques à celles réservées aux ressortissants belges et partant, d’esquiver une baisse de leurs recettes, étant entendu que les prix facturés aux Hollandais, loin d’être très profitables, sont quand même de 20 % à 25 % supérieurs à ceux mis en compte sur les opérations à perte réalisées en Belgique.21 Une intro-duction immédiate de la parité des prix reviendrait à l’inverse « tout simplement à […] subventionner l’économie néerlandaise. C’est absolument impossible » affir-ment les patrons luxembourgeois.22

Leur calcul fonctionne à merveille tant que la demande subit la loi de l’offre. Mais voilà que tout change avec le renversement de la conjoncture.

Les signes avant-coureurs de l’affaiblissement des marchés apparaissent vers le tournant de 1947/48. À l’époque, des « restrictions financières » renforcées provoquent dans la plupart des pays une contraction du volume des affaires né-gociées tandis que la production d’acier continue à progresser inlassablement au rythme des quantités accrues de combustibles mis à la disposition des usines. L’évolution en paire de ciseaux se traduit au niveau des ventes par une hausse bru-tale des transactions réalisées sur les débouchés libres. Leur part par rapport à la totalité des livraisons passe de 20 % au début de l’année 1948 à près de 50 % douze mois plus tard (cf. figure I). Malheureusement le mouvement des prix s’inverse à son tour pendant la même période. Les gains superbes enregistrés auparavant sur les commandes échappant aux régimes réglementés fondent désormais comme la neige au soleil à cause du nombre croissant de sociétés métallurgiques qui se ruent sur des clients de plus en plus réticents à payer des prix surfaits à mesure qu’ils prennent conscience de leur position de force. Le phénomène est au fond unique-ment estompé, voire différé par la nouvelle psychose des privations déclenchée par le réarmement dans les pays occidentaux après le coup de Prague et le blocus de Berlin. Tout comme l’éphémère euphorie née dans la foulée du versement des pre-miers crédits du Plan Marshall, les retombées psychologiques de la Guerre froide ne parviennent pourtant pas à enrayer la lente transformation du sellers’ market en buyers’ market.23 L’évolution est close vers la fin de l’année. Elle débouche sur une véritable catastrophe pour le secteur. À l’instar de l’Arbed (cf. figure II), l’ensemble des aciéries en territoire de l’UEBL notent à l’époque un formidable trou dans leurs carnets de commandes. Le taux d’occupation des installations s’en ressent aussi-tôt. Plusieurs trains sont directement menacés d’arrêt. Il n’est par conséquent pas

surprenant de constater que les barons du fer belgo-luxembourgeois se lancent maintenant dans une folle course aux tonnages dans laquelle les prix sont à nou-veau ravalés au rang d’élément accessoire et qui – exactement à l’inverse de ce qui s’était passé il y a quelque temps encore – les pousse maintenant à « interve-nir auprès de leurs gouvernements respectifs pour que les [quanta] à livrer sur les marchés organisés soient maintenus et, si possible, augmentés dans les accords commerciaux » !24 Il va sans dire aussi que le changement de paradigmes soudain remémore aux chefs du GISL les atouts d’une consolidation de leur position aux Pays-Bas.

Leslenteursdelamobilisationbelgo-luxembourgeoise

Le hasard veut que l’apparition des premiers symptômes annonciateurs d’un affaiblissement de la conjoncture concorde avec la suppression, le 1er janvier 1948, des taxes perçues sur le mouvement transfrontalier des marchandises entre l’espace UEBL et le territoire néerlandais. Cette étape initiale vers la matérialisa-tion de la soi-disant « pré-union » (entrée en vigueur définitive, le 15 octobre 1949)25 avait constamment été différée par le gouvernement de La Haye qui, hanté par l’« asymétrie des positions économiques de départ »26 entre les États partenaires, invoqua régulièrement la libération tardive et les destructions massives laissées par la guerre pour retarder autant que possible le jour où la chute des barrières tarifaires exposerait les jeunes industries naissantes des Pays-Bas à la concur-rence des entreprises belges souvent solidement établies sur le marché depuis longtemps. La mise en œuvre du plan Marshall vint chambouler cette tactique du sursis sans cesse renouvelé. Elle obligea le cabinet de Louis Beel, puis de Willem Drees à prendre les devants, non pas par conviction que le Benelux en soi serait porteur d’avenir, mais plutôt dans l’intention « cynique »27 d’exploiter à fond le réel crédit de sympathie accordé par Washington au projet d’intégration à trois pour rafler un maximum d’aide financière américaine.

La manne des dollars du European Recovery Programm constitue à propre-ment parler la pierre angulaire de l’ambitieux dessein de modernisation des Pays-Bas à l’agenda duquel se trouve aussi inscrit la non moins prétentieuse extension à donner aux Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken à IJmuiden. Ensemble avec les deux petites usines transformatrices de la Demka (De Muinck Keizer) à Zuilen28 et de la NV Nederlansche Kabelfabriek à Delft, la forge maritime réalise pendant l’année 1947 une fabrication totale d’un peu moins de deux cent mille tonnes d’acier brut qui donnent 154.000 t. de produits œuvrés.29 Au regard de la consommation nationale qui – rappelons-le – avait franchi le seuil d’un million de tonnes annuelles avant le conflit mondial, il n’est nul besoin d’être prophète

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pour se faire une idée de l’extraordinaire potentiel de croissance que le Centraal Instituut voor Industrieontwikkeling avait auguré à cette branche d’activité dès la mise au point des premières ébauches d’une politique de reconstruction axée sur l’élimination de l’ancien déséquilibre entre des exportations néerlandaises, com-posées pour la plupart de produits agraires bon marché, et des importations de pro-duits manufacturés à haute valeur ajoutée.30 Or, comme « dans les milieux officiels on est donc arrivé à la conclusion que la sidérurgie devra occuper une position-clé dans le développement industriel des Pays-Bas », les premiers chiffres relatifs aux capacités à atteindre commencent à s’ébruiter. Les membres d’une commission spéciale créée au ministère du Commerce et de l’industrie se serait apparemment prononcés en faveur d’une augmentation des coulées d’acier à 450.000 t. Quant aux coryphées de l’institut central susmentionné, ils verraient nettement plus grand. Ils aspireraient à « doubler encore cette production dans [sic] l’avenir ».31

Ces chiffres sont-ils connus au Grand-Duché ? La réponse est OUI, et il faut même ajouter que les cadres dirigeants des sociétés métallurgiques nationales sont au courant des projections d’avenir néerlandaises depuis le mois de novembre 1946 au plus tard. Tony Rollman, un employé de la Columéta qui avait été chargé par le gouvernement luxembourgeois de maintes missions à l’étranger,32 s’était ja-dis rendu aux Pays-Bas en compagnie d’un proche collaborateur du ministre belge de l’Économie, afin d’élucider avec les services compétents à La Haye la coordi-nation des grands projets d’investissements au Benelux. L’expert à la solde du comptoir de vente de l’Arbed avait à l’occasion recueilli un tas de précisions sur les plans d’agrandissement de Hoogovens. Dès son retour au pays, il en fit le rapport détaillé devant le comité directeur du GISL qui veut aussitôt se « mettr[e] en rap-port avec le Groupement des Hauts-Fourneaux et Aciéries Belges, en insistant sur l’importance capitale que nous attachons au problème et en lui demandant quelle attitude il compte prendre et comment il envisage la procédure à suivre […]. Les deux sidérurgies et les deux pays [lisez : les autorités publiques belgo-luxembour-geoises] doivent évidemment harmoniser complètement leur politique dans cette question ».33

Tandis que les industriels optent donc clairement en faveur d’une alliance avec les voisins d’outre-Ardennes en vue de préparer une intervention commune, les hauts fonctionnaires des Relations extérieures et des Affaires économiques à Luxembourg ont l’air peu convaincus des chances de réussite de la démarche pa-tronale. Ils sont bien entendu à leur tour persuadés de la nécessité de stopper les plans sidérurgiques néerlandais ; ils sont conscients également de l’urgence d’une «  initiative pour l’empêchement d’une pareille mésaventure économique  ». Les mauvaises expériences vécues avec les Belges pendant les années vingt et trente34 leur font toutefois prôner une tactique différente. « Nos sidérurgistes » – suggère

Alphonse Schummer, le bras droit du ministre de l’Économie Lambert Schaus – « devraient prendre contact au préalable avec la sidérurgie hollandaise pour pré-parer le terrain avant que les fonctionnaires ne se mettent à arranger ou éventuel-lement à brouiller les cartes. Il est un fait […] qu’il est de l’intérêt de notre sidérur-gie que les premiers contacts, devant amener une solution de principe, pourraient utilement avoir lieu entre les seules sidérurgies luxembourgeoise et hollandaise. Des contacts entre fonctionnaires pourront avoir lieu après que les essais d’arran-gement sur le terrain privé auront produit les premiers résultats. S’il était impos-sible d’arriver à des résultats positifs par des négociations privées, les gouverne-ments intéressés pourraient utilement se concerter ».35

La volonté déclarée de garder à distance les Belges paraît avoir provoqué au GISL une certaine confusion responsable, au moins partiellement, du retard consi-dérable accumulé dans l’ouverture des conversations avec les chefs d’IJmuiden. Pour autant que les archives industrielles permettent de juger, la poursuite du dos-sier reste effectivement en suspens tout le long de l’année 1947. D’un côté, l’absence de la moindre référence à la problématique néerlandaise dans les comptes rendus des nombreux rendez-vous entre les émissaires de la chambre professionnelle luxembourgeoise et les représentants du GHFAB semble confirmer que Chomé et les siens ont bel et bien renoncé à leur résolution primitive de solliciter le concours des aciéries wallonnes. D’un autre côté, abstraction faite d’une courte visite du président directeur Arnold Ingen Housz de Hoogovens à l’Arbed (l’épisode nous est connu à travers une vague allusion faite ultérieurement), il ne se passe rien qui permette d’induire l’existence de pourparlers bilatéraux directement entamés avec les confrères des Pays-Bas.

Cette étrange passivité des chefs d’entreprises au Grand-Duché dure jusqu’à l’adoption, fin janvier 1948, de la liste des branches d’activités soumises d’office à la soi-disant « procédure de consultation préalable ». Âprement débattue pendant plus d’un an et demi entre les ministres du Benelux, la procédure fina-lisée dans la foulée de la récente suppression des barrières douanières cherche à « assurer un développement harmonieux des activités industrielles »36 au sein de l’union moyennant l’obligation, pour chacun des trois États membres, de porter à la connaissance de ses partenaires tous les nouveaux « projet[s] de création ou d’extension (au sens d’un accroissement des moyens de production) d’une entre-prise  ». Le devoir d’information implique logiquement un droit de formuler des objections. L’opposition qu’un gouvernement peut faire valoir contre les investisse-ments durables de son/ses voisin(s) doit être, cela va de soi, dûment justifiée. Elle déclenche alors une instruction laborieuse décrite à l’annexe III du protocole de la conférence ministérielle tenue à Luxembourg du 29 au 31 janvier 1948. L’énoncé prévoit qu’il sera d’abord procédé à « l’organisation de contacts entre milieux éco-

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nomiques intéressés des trois pays. Les milieux économiques intéressés remettent à leurs gouvernements respectifs un procès-verbal de leurs délibérations ». Si ces entretiens privés se sont soldés par un arrangement à l’amiable entre parties, et pourvu que le gouvernement requérant soit d’accord, le dossier sera clos. « Dans le cas contraire, le problème sera déféré à l’avis du Conseil de l’union économique de la Convention douanière. Son avis motivé sera communiqué aux gouvernements intéressés ». Sur ce, il se dégage deux issues possibles qui ne changent d’ailleurs pas grand-chose à l’ultime résultat de la procédure : soit le gouvernement deman-deur renonce à ses critiques et se plie audit jugement du Conseil, soit il maintient son opposition, auquel cas « le problème pourra être porté, pour solution, à l’ordre du jour de la réunion trimestrielle des ministres compétents » qui, à défaut d’une entente, constateront l’échec de la conciliation. « La procédure esquissée ci-des-sus étant épuisée », retient l’article final, le pays qui aura averti les autres de la fondation ou du renforcement substantiel d’une activité importante « prendra sa décision en connaissance de cause  », quitte à bafouer éventuellement par là les contestations légitimes d’autrui.37

Est-ce la formulation fumeuse de l’ordonnance ministérielle entérinée dans la capitale du Grand-Duché qui appelle sur le plan les compagnies métallurgiques ? Leurs dirigeants se seraient-ils alarmés de l’absence d’un réel garde-fou contre les ambitions à leurs yeux insensées des Néerlandais  ? Se sentiraient-ils à la limite blessés dans leur amour-propre puisque le dernier mot dans cette matière qu’ils estiment être « leur » affaire revient tout compte fait à la classe politique ? Pendant l’entre-deux-guerres, face à l’incapacité des gouvernements de résoudre la ques-tion sidérurgique européenne, ils avaient pris goût à régler les problèmes à leur guise par le truchement de gentlemen’s agreements dont les pouvoirs constitués n’avaient pas à se mêler.38 Pourquoi toléreraient-ils dorénavant de subir la tutelle des ministères, à plus forte raison que l’administration – souvenons-nous – leur avait expressément recommandé de se débrouiller eux-mêmes. Le caractère vexa-toire des nouvelles prescriptions beneluxiennes est encore renforcé par la circons-tance que la « consultation préalable » a été mise au point sans que les maîtres de forges aient pu s’exprimer ni sur le contenu en soi des modalités arrêtées ni sur la question de savoir si l’industrie lourde voudrait figurer ou non sur la fameuse liste des branches soumises à la règle fraîchement introduite. N’est-il pas symptoma-tique que la première réaction du GISL, tout comme celle du GHFAB, consiste à protester énergiquement contre une mesure « d’autorité » ?39 Et ne serait-ce que par pur esprit « doctrinaire », ceux-là mêmes qui jusqu’ici s’étaient enfermés dans un mutisme quasi complet, se dressent maintenant contre l’immixtion étatique en privilégiant une « formule privée » qui, soulignent-ils, serait assurément « moins rigide, plus libérale, plus souple ».40 Chomé agit en conséquence. En sa qualité de

président du GISL, il écrit à Schaus et à Joseph Bech, le chef de la diplomatie luxem-bourgeoise, pour exiger que la sidérurgie soit immédiatement rayée de la liste en question.41

Quoique les deux ministres se retranchent derrière la nature internationale du protocole de Luxembourg pour opposer une fin de non-recevoir à la requête des patrons, les implications pratiques des toutes premières concrétisations du Benelux, que le GISL avait encore taxées de « projet lointain »42 il y a peu de temps, donnent subrepticement des ailes au désir de forcer dans les plus brefs délais une solution au sujet des capacités nouvelles aux Pays-Bas. L’empressement du grand capital à échanger son inertie contre un activisme tous azimuts est amplifié par l’avancement des travaux à la conférence du Plan Marshall à Paris. Son Comité de l’acier réclame aux États bénéficiaires de l’aide américaine un rapport circonstan-cié sur leurs programmes d’équipements à long terme (jusqu’en 1952/53). Le topo est à remettre par les gouvernements pour le mois de novembre 1948 au plus tard, et il y a fort à craindre que La Haye, en suggérant à ses partenaires de compiler un document unique qui rassemblera les prévisions du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas, n’abuse de la volonté unanime des trois pays à jouer la comédie « d’une politique coordonnée de Benelux » pour tirer son épingle du jeu. Partant, « si nous n’avons pas préalablement un contact avec nos collègues néerlandais » – s’inquiètent les dirigeants d’usines tant au Grand-Duché qu’en Wallonie – « la réponse qui sera donnée par les Pays-Bas risque de nous placer devant le fait ac-compli en ce qui concerne l’extension de l’industrie sidérurgique dans ce pays ».43 La menace grandissante d’être pris dans l’engrenage d’un processus décisionnel qui échappe de plus en plus à leur emprise met de la sorte la métallurgie de l’UEBL au pied du mur : à moins de vouloir rester sur la touche, ses élites se doivent main-tenant de prendre le taureau par les cornes. Le 3 février, soit trois jours seulement après la conférence ministérielle de Luxembourg, elles se rencontrent dans une réunion préliminaire convoquée au siège de l’Arbed. À l’ordre du jour figure un seul point. Il y va de peaufiner la stratégie commune grâce à laquelle on escompte parvenir à « rééquilibrer » la production des émules néerlandais.44

Reste à savoir pourquoi les syndicats patronaux des fabricants de fer luxem-bourgeois et belges ont attendu pour ainsi dire jusqu’à la dernière minute avant d’attaquer une besogne dont ils savent pertinemment que, plus son évacuation sera différée, plus elle s’avérera compliquée et hasardeuse ? Vraisemblablement le motif profond de la réaction tardive et peu cohérente des maîtres de forges est à chercher dans le climat d’insécurité ambiante qui règne dans la branche durant les deux à trois premières années consécutives à la guerre. Le rétablissement des installa-tions techniques, la pénurie persistante des matières premières, la dérégulation totale des anciens circuits commerciaux, la précarité de la trésorerie des usines,

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etc. absorbent les cadres dirigeants à tel point qu’ils sont condamnés à vivre au jour le jour. Philippe Mioche résume merveilleusement cette absence d’une vision d’ensemble en notant qu’ « on fait du tonnage d’abord, on pense l’avenir après » ! Au bout de son enquête sur la remise en marche de la sidérurgie européenne après 1945, l’historien dégage encore une autre caractéristique universelle ô combien symptomatique du comportement des chefs belgo-luxembourgeois de l’époque  : « le moment de la reconstruction est un moment du chacun-pour-soi ».45 Conju-guée au fait qu’un dialogue précoce avec les Néerlandais les aurait inéluctablement contraints à jouer cartes sur table en déballant leurs propres projets d’extension, l’égoïsme national et la rivalité jalouse entre entrepreneurs constituent sans aucun doute les causes majeures d’une concertation trop longtemps en panne pour éviter aux protagonistes de l’industrie lourde beneluxienne une mauvaise surprise.

Versunpartageàtroisdumarchénéerlandais ?

En dépit de leur hâte soudaine de précipiter une réunion à trois, le GISL et le GHFAB doivent patienter jusqu’au 12 avril 1948 avant de pouvoir saluer à Bruxelles Ingen Housz et ses collègues néerlandais. La rencontre est la première d’un cycle de quatre entrevues dont la deuxième a également lieu dans la capitale belge (29 octobre), tandis que la troisième, le 5 avril 1949, est convoquée à Ulvenhout près de Breda,46 et la dernière se tient à Luxembourg un mois plus tard, le 3 mai. En géné-ral, à l’exception peut-être du rendez-vous initial, ces entretiens se déroulent dans une atmosphère plutôt crispée. Cela est dû en partie au comportement hautain de certains chefs mandataires des grandes forges bien implantées de l’UEBL. Ils ne peuvent des fois s’empêcher de traiter comme des écoliers les new comers hollan-dais dont la modique production d’acier a démarré en 1918 seulement.47 À l’exemple de David face à Goliath, le président-directeur de Hoogovens et ses compatriotes de la Kabelfabriek et de la Demka ne se laissent pourtant pas intimider. Munis d’un incontestable talent de négociateurs et d’une bonne dose d’aplomb, ils relè-vent le défi en plaidant opiniâtrement leur cause. Au grand dam des barons du fer belgo-luxembourgeois qui, à force de renouveler leurs cris d’alarme à propos de la disproportion des projets d’expansion hollandais, désespèrent du refus obstiné de leurs interlocuteurs à se laisser corriger. Les tensions qui en résultent sont encore aiguisées par l’énervement et l’épuisement engendrés par l’emploi de la tactique classique qui consiste à tourner autour du pot. Cette approche est surtout pra-tiquée avec méthode par Ingen Housz. Le Hollandais se laisse arracher chaque mot en relation avec le premier des deux grands objectifs auxquels prétendent les industriels luxembourgeois et wallons, à savoir la fixation d’un seuil plafonnant les futures productions aux Pays-Bas.

Le patron de Hoogovens s’évertue évidemment d’emblée à contrecarrer les aspirations de ses antagonistes avec des assertions comme quoi «  le développe-ment que les 3 usines néerlandaises comptent réaliser laissera de la place […] à la sidérurgie des autres pays ».48 Dans une conversation avec François Perot, l’admi-nistrateur délégué de la SA d’Ougrée-Marihaye, il affirme même qu’il « ne pensait pas produire plus [de] 50 % des besoins du marché hollandais ».49 Quoiqu’il précise tout de suite qu’il parle uniquement au nom de son entreprise et de la Demka, à l’exclusion de la Kabelfabriek qui a renoncé à envoyer un émissaire à la première rencontre de Bruxelles, Ingen Housz réussit à embobiner ses rivaux avec son ap-parente modération. Puisque la proportion avancée paraît raisonnable à tout le monde, le principe d’un partage moitié moitié s’est introduit à pas de loup dans le débat sans qu’une vraie discussion ait eu lieu à son sujet, et surtout sans qu’une répartition dans cet ordre de grandeur soit plus jamais remise en question par après. Doit-on en déduire que le pourcentage suggéré par le Néerlandais corres-pond grosso modo à l’idée que s’en étaient faite le GISL et le GHFAB ? Serait-ce là aussi la raison pour laquelle les représentants des deux associations profession-nelles, apparemment rassurés, sont moins pressés de continuer les entretiens dans des délais raisonnables après l’entrevue de la mi-avril 1948 ?

Mal leur en prend, car lorsque la confection du mémorandum commun à remettre sous peu au Comité de l’acier de l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE) oblige à la fin d’octobre les trois groupes nationaux à quantifier leurs programmes d’investissements en termes de valeurs absolues, Ingen Housz, en annonçant la couleur, choque ses confrères étrangers. Vu que, « pour 1952/53, la consommation en produits finis est supputée à 1.450.000 tonnes » aux Pays-Bas, il réclame en fonction de la clé de partage tacitement entérinée six mois auparavant un quantum de 725.000 t. de produits finis, soit, compte tenu des « pertes » sur-venues au moment de la transformation des coulées brutes en laminés, 825.000 t. d’acier-lingots. Le chiffre avancé provoque la stupeur des confrères étrangers. Abs-traction faite que la mise au mille50 évaluée globalement à cent mille tonnes « est beaucoup trop élevée », Chomé « fait observer que les groupes belge et luxembour-geois avaient l’impression que la sidérurgie hollandaise irait jusqu’à 500.000 t., mais pas au-delà ». Henckes se dépêche de confirmer la pertinence des plaintes de son maître  : « précédemment », lors des conférences du Plan Marshall à Paris – allè-gue-t-il –, les Pays-Bas auraient toujours indiqué un tonnage d’acier brut n’excédant guère un demi-million de tonnes d’acier brut. Perot et Albert Neef de Sainval de la SA John Cockerill abondent dans le même sens. Unanimes, ils reprochent aux Néer-landais de confondre leurs prospections avec un vœux pieux qui, loin de concorder avec les besoins réels du pays, servirait en dernier examen de banal prétexte à Hoo-govens pour augmenter inconsidérément ses capacités de production.51

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Les critiques demeurent sans écho. Dans le mémorandum commun remis par les trois gouvernements du Benelux aux instances du ERP, La Haye maintient l’objectif précité des 825.000 tonnes.52 Pire ! Ses plénipotentiaires à Paris, le directeur du Rijksbureau Rijco van Glinstra Bleeker, de connivence avec Pieter Bentz van den Berg, le directeur technique d’IJmuiden et adjoint d’Ingen Housz, provoquent devant l’assemblée des États membres de l’OECE un accroc ressenti par les délégués belgo-luxembourgeois comme un véritable coup de poignard. Dès l’ouverture de la session de novembre, le GISL et le GHFAB s’étaient en effet profilés en leaders de la phalange des opposants à la construction, par la Société Lorraine de Laminage Continu (Sollac), d’un second train à larges bandes hyperperformant qui engendrerait un suréquipe-ment en Europe et partant, une déstabilisation de la situation commerciale liée à la contrainte de multiplier les ventes en-dehors du continent. « Tous les pays représen-tés » au sein du Comité de l’acier s’étaient alors ralliés au point de vue des maîtres de forges de l’UEBL, sauf la France – ce qui ne surprend point – et les Pays-Bas – ce qui « a causé un vif étonnement » parce que leur thèse selon laquelle il « ne faut pas s’inquiéter du surplus exportable » dément coram publico l’argumentation des deux autres partenaires du Benelux. Ceux-ci sont à franc parler outrés. Leur rage ne s’explique pas seulement du fait qu’en apportant de l’eau au moulin des sidérurgistes de l’Hexagone, Glinstra Bleeker et Bentz van den Berg ont démantelé la défense commune dressée contre l’expansionnisme français. Ils sont en outre ulcérés par le caractère perfide de la manœuvre néerlandaise, car tandis que les extensions de production briguées par Hoogovens sont au fond destinées à exaucer une demande purement locale assez soutenue pour être entièrement absorbée par des preneurs solvables, les risques de l’opération sont pour ainsi dire endossés par les seules usines du Grand-Duché et de la Belgique étant entendu que, plus les Pays-Bas augmentent leur taux d’autoconsommation, plus les forges wallonnes et luxembourgeoises, à défaut de l’exutoire néerlandais, deviendront tributaires des livraisons de moins en moins attrayantes vers les débouchés extra-continentaux.

L’incident devant l’assemblée du Plan Marshall a au moins ceci de béné-fique qu’il pointe du doigt le fin fond de la controverse entre les trois industries du Benelux. Les vrais enjeux du litige sont moins la hausse des coulées d’acier brut que le type des produits finis que chaque groupement se propose de réaliser avec les tonnages supplémentaires.53 Dans les trois camps on s’en doute au fond dès le départ  ; et pourtant, les patrons doivent attendre l’issue de leur troisième rencontre à Ulvenhout jusqu’à ce que la levée du voile sur les données techniques détaillées des programmes de Hoogovens et de Muinck Keizer leur donne enfin la certitude : en se spécialisant dans les tôles fortes, moyennes et fines, le fer blanc et les feuillards, les Néerlandais ont porté leur choix sur exactement la même palette de marchandises que les Belges et les Grand-Ducaux !

Depuis le grand remue-ménage consécutif à la mise en réseau des quatre usines du bassin d’Esch en 1925/26, le groupe Arbed s’était adonné à la transfor-mation du site de Dudelange en un centre pour produits plats. Nonobstant sa performance, l’outil technique de la tôlerie jadis érigée au Greisendahl avait assez vite été dépassé par les progrès spectaculaires accomplis entre-temps aux États-Unis dans les domaines du laminage continu et du laminage à froid. Il s’ensuivit qu’au lendemain de la Libération, les ingénieurs de la plus puissante forge luxem-bourgeoise s’étaient vus confrontés à « un dilemme : moderniser, ou renoncer à la fabrication de tôles ».54 Après avoir momentanément songé à revendiquer, à titre de réparations, le transfert du laminoir de la August Thyssen Hütte à Duisburg – le seul de type américain qui existait à l’époque sur le continent européen –, ils avaient fini par changer d’avis parce que l’implantation d’une aussi « énorme machinerie » aurait préalablement exigé l’érection de nouveaux hauts-fourneaux et de nouveaux convertisseurs afin d’assurer l’alimentation de la chaîne de fabri-cation en aval de l’aciérie. En plus, l’étroitesse du marché intérieur faisait planer le doute sur une utilisation rentable des capacités de l’engin qu’on se proposait de monter. À l’encontre de la Grande-Bretagne et de la France, qui « disposent d’ate-liers importants de transformation de la tôle, d’une industrie automobile et d’ar-mement, de chantiers navals, etc. », les sociétés métallurgiques du pays n’avaient en vérité « aucun intérêt à ‹américaniser› [leurs] usines, ce qui leur enlèverait de leur souplesse commerciale et aggraverait, en période de dépression, les frais fixes dans une mesure dangereuse ».55 Chomé et ses collaborateurs avaient par consé-quent retenu une solution intermédiaire « valable », mais « moins puissante ». Au lieu d’un train continu, ils optèrent en faveur du système Steckel pour la fabrication à chaud de bandes enroulées en coils, le tout complété par une modernisation des laminoirs de finissage à froid avec du matériel acheté auprès de la United Enginee-ring and Foudry Co à Pittsburgh.56 Les premières commandes financées en partie avec les réserves d’or bloquées aux USA avaient été passées dès l’été 1947. Globale-ment, elles représentaient un « effort financier gigantesque » évalué au bas mot à un milliard et demi de francs.

Tandis que la réfection du Greisendahl est donc déjà en cours de réalisation à l’heure des premiers contacts avec les sidérurgistes néerlandais, la Hadir n’en est qu’à la planification. Apparemment menacée de perdre son monopole de vente des poutrelles Grey, l’entreprise de Differdange aspire à se doter d’une production de rechange en entrant « dans une voie similaire » à celle de l’Arbed. Elle voudrait se lancer dans les feuillards larges et les bandes à tubes.57 Quant à la MMR, elle a décidé à son tour « de se monter pour la fabrication de tubes soudés de dimen-sions inférieures. […] Pour cette dernière société, la réalisation n’est pas commen-cée, mais les projets sont fort avancés ».58 Il n’en est pas autrement pour la plupart

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des aciéries wallonnes. Après concertation, elles ont retenu quatre sites destinés à recevoir des développements au niveau de la production des produits plats. La Mé-tallurgique d’Espérance-Longdoz, qui bénéficie de longue date d’une grande expé-rience en la matière, avait dès avant la guerre entrepris des études visant à adapter les nouveaux procédés américains à la fois aux capacités réduites de ses coulées d’acier et aux possibilités limitées de la diffusion des tôles en Belgique. En 1947, soit à la même époque que l’Arbed, l’entreprise a démarré la construction d’une nou-velle usine à Jemeppe-Kessales, en face de ses hauts-fourneaux de Seraing. Ougrée aussi a sorti du tiroir des plans datant de 1939. Ils prévoient également l’installa-tion d’un train semi-continu à bandes larges composé de six cages en tandem et d’une bobineuse.59 Là encore, les travaux préliminaires sont pratiquement achevés et les chantiers doivent commencer prochainement. Seules la SA Sambre et Moselle et Cockerill sont toujours en phase préparatoire, quoique, du moins pour cette der-nière, les projets approuvés par le conseil d’administration ont déjà pris des formes très concrètes pour ce qui est de la production de coils et de fer blanc.60

Et les Néerlandais ? Leur programme d’équipement – avoue Ingen Housz – annonce un certain retard dû, entre autres, à un manque d’experts et de main-d’œuvre qualifiée. Le président-directeur de Hoogovens reconnaît aussi qu’il s’est mépris sur l’ampleur et l’état d’avancement de plusieurs projets belges, en l’occur-rence du laminoir semi-continu de Cockerill. Malgré les avertissements réitérés de Neef de Sainval, « il n’avait pas aussi clairement compris que la décision était formelle. Il croyait que certains éléments devaient encore être examinés avant que la décision de principe soit mise en réalisation ».61 Le malentendu est gros de conséquences, car les extensions prévues à IJmuiden consistent précisément en des outils qui font double, voire triple ou quadruple emploi avec les installations en voie de réalisation ou sur le point de l’être en Belgique et au Grand-Duché, à savoir, « un laminoir à chaud semi-continu pour bandes d’une construction aussi simple que possible » et, pour le finissage des coils à chaud, « un laminoir à froid pour la fabrication de tôles […] et de fer blanc »  !62 Du coup, en comparant les capacités présumées des nouveaux trains, on constate que, loin de se contenter de 50 % du marché intérieur, les Pays-Bas atteindront 100 % dans certains produits. En fer blanc par exemple, la production montera à 75.000 t. alors qu’en 1937, l’année de la plus forte consommation, la demande avait été de 72.918 t. En feuillards, la situa-tion sera analogue avec un output équivalant à peu près aux besoins de l’instant. En tôles fines par contre la fabrication de 135.000 t. excédera carrément du double les meilleurs chiffres d’avant la guerre.

Pour l’ensemble du Benelux, il s’en dégage des perspectives pour le moins préoccupantes. Après la modernisation de l’outil de production dans les trois pays, les quantités disponibles de tôles minces et de fer blanc atteindront 1.115.000 t.

pour les premières et 225.000 t. pour le second. En revanche, jusqu’en 1952/53, la consommation probable est estimée selon les prévisions les plus optimistes à res-pectivement 435.000 t. et 135.000 t. seulement. Autant dire que pour la tôle, il fau-dra exporter 680.000 t., soit 3 à 4 fois le volume vendu dix ans plus tôt.63 La perte quasi complète de la clientèle néerlandaise par suite de la finalisation des projets d’IJmuiden constituerait ainsi selon les chefs du GISL, une « menace réelle pour notre industrie ».64 Aussi, à l’instar de leurs homologues du GHFAB insistent-ils sur la revendication primaire que les Pays-Bas devraient impérieusement can-tonner leur production globale de laminés à 600.000 t. au maximum (au lieu des 725.000 t. avisées par Hoogovens) en s’efforçant au mieux à épuiser d’abord « les possibilités de production des outils existants avant d’en créer de nouveaux ».65 En outre, en s’appuyant sur le modèle de l’accord De Smaele-Kremer, Chomé voudrait synchroniser la marche des hauts-fourneaux dans les trois pays, c’est-à-dire qu’en cas d’affaissement de la demande, les Hollandais seraient tenus de compresser leurs coulées dans la même proportion que les usines belges et luxembourgeoises, et ce même si leur marché national demeurait ferme et que le recul des affaires soit le résultat exclusif d’une chute des exportations de l’UEBL. Solidarité entre barons du fer oblige.

Le second volet du marchandage que les maîtres de forges belgo-luxem-bourgeois auraient aimé imposer aux voisins du Nord représente en quelque sorte le complément indissociable de leur requête principale, tout en étant simultané-ment le pendant logique de la volonté d’Ingen Housz et de ses compatriotes d’obte-nir des garanties pour que la moitié des approvisionnements du débouché néerlan-dais provienne de la fabrication locale. Le lecteur averti l’aura deviné : selon le GISL et le GHFAB, la fourniture de la moitié restante devrait être réservée aux usines du Grand-Duché et de Wallonie. « C’est en réalité l’esprit Benelux »66 qui préside à cette exigence absolument justifiée dans l’optique de patrons profondément mar-qués par une longue tradition cartelliste. Comme l’union économique donnera naissance à un marché commun à trois qui dorénavant fera figure d’espace com-mercial homogène – affirment-ils –, il paraît normal de partager à trois les affaires, à plus forte raison que les ententes de l’entre-deux-guerres ont toujours considéré les marchés intérieurs comme des chasses gardées interdites aux vendeurs venus de l’extérieur. En suivant le raisonnement des deux chambres professionnelles, les industriels néerlandais devraient donc inciter le gouvernement de La Haye à octroyer aux usines belgo-luxembourgeoises une « priorité » pour la livraison du matériel dont les Pays-Bas auront besoin en-dehors des fournitures couvertes par la sidérurgie autochtone. Surtout les dirigeants d’Espérance et d’Ougrée se mon-trent intraitables sur ce point. Tourmentés par le ralentissement économique et la concurrence de plus en plus « mordante » exercée en Hollande par les fabriques

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de la Ruhr, ils radicalisent leur position. Dès le tournant de 1948/49, ils font du droit de préférence une condition sine qua non à l’arrangement tripartite. Les chefs des deux forges belges finiront même par donner une interprétation tellement res-trictive aux modalités d’application du privilège sous rubrique que les clauses y relatives deviennent synonymes d’un cloisonnement hermétique de l’espace néer-landais interdit à tout intrus venu d’un pays non membre de l’union à trois.

Le directeur général de l’Arbed se montre pour sa part beaucoup moins strict. Certes, Chomé est à son tour convaincu que l’union est faite « pour que les trois pays s’entr’aident » ; sinon il serait « inutile de réaliser Benelux ».67 D’un autre côté il consent cependant que « le terme [de] ‹priorité› n’est peut-être pas exact. Dans [s]on esprit cela veut dire que le gouvernement hollandais devrait s’engager à ne prendre aucune mesure, soit sous forme de traité de commerce, soit sous forme de disposition autre quelconque qui empêchât les Belges et les Luxembourgeois d’être handicapés dans leurs possibilités de fournitures ». Une autre solution se-rait du reste impraticable pour deux raisons. D’abord un relèvement des taxes de douane ou le recours à d’autres mécanismes protectionnistes – sans lesquels on voit mal comment on réussirait à écarter les compétiteurs non beneluxiens – se-raient à coup sûr prohibés par l’OECE entièrement pénétrée de la doctrine amé-ricaine de libéralisation des échanges. Ensuite, à moins de vouloir ruiner l’agri-culture néerlandaise, le GHFAB et le GISL ne sauraient pas sérieusement exiger de La Haye un arrêt complet des importations d’acier en provenance de la Ruhr parce que ces envois servent de « monnaie d’échange » aux achats de quantité de produits maraîchers et laitiers hollandais par les Allemands. Or, en dépit de l’im-possibilité d’appliquer un partage 50 : 50 avec la rigueur voulue, le Luxembourgeois attache à la poursuite du dialogue sur ce point une « certaine valeur ».68

Paul Henrard est par contre d’avis « que les négociations avec les Hollandais [se sont] engagées sur une mauvaise voie ». Depuis le coup fourré de Glinstra Blee-ker, le directeur général d’Espérance-Longdoz a abandonné l’espoir de parvenir à une entente. Et il n’est pas le seul dirigeant du GHFAB à commencer par se méfier de l’honnêteté des Néerlandais. Les éternelles dérobades d’Ingen Housz, qui systé-matiquement refuse de prendre le moindre engagement quant à la priorité belgo-luxembourgeoise en se retranchant derrière l’excuse « que ce n’est pas à lui d’en décider, mais bien au gouvernement néerlandais », ne sont-elles pas suspectes au plus haut degré ?69 Ne serait-on pas en train de devenir les victimes d’un marché de dupes ? « L’engagement que nous [GHFAB et GISL] prendrions de laisser aux Hol-landais le privilège de 50 % [de leur] marché intérieur serait une convention libre, consentie […] aux sidérurgistes hollandais, qui nous lierait sans aucune espèce de contre-partie » ! Henrard en déduit la seule conclusion valable à ses yeux : « dans ces conditions, je persiste à dire qu’il vaudrait mieux ne faire aucun accord que de

conclure une convention telle qu’elle semble s’orienter actuellement ».70 La rupture des entretiens avec Hoogovens, Demka et la Kabelfabriek rendrait dès lors loisible la poursuite de la lutte avec d’autres moyens. Les usines wallonnes et luxembour-geoises pourraient par exemple profiter de l’état avancé de leurs travaux de mo-dernisation pour livrer aux Pays-Bas une impitoyable guerre des prix. En outre, la récupération de la liberté d’action les affranchirait de la retenue qu’elles s’étaient imposée à Paris auprès de l’OECE. Les deux groupes pourraient ainsi ouvertement faire front contre le train semi-continu d’IJmuiden en exhortant une majorité des membres du Comité de l’acier à émettre un avis négatif sur la question de savoir s’il faut «  faire bénéficier ce projet de l’assistance financière de l’ECA [Economic Cooperation Administration] » à Washington.71

Dans l’immédiat, Chomé refuse d’écouter les radicaux en Belgique. Son tempérament complaisant lui fait accorder la préférence à une ultime tentative de conciliation au cours de laquelle il espère déterminer Ingen Housz à « réexaminer le problème […] extrêmement sérieux » des produits plats avant de « se faire une religion » sur les investissements programmés. En vain. Le 3 mai, les patrons néer-landais ne sont pas plus qu’auparavant enclins à renoncer à « la place qui leur re-vient ». Visiblement talonnés par les autorités publiques à La Haye qui entrevoient dans l’essor d’une puissante sidérurgie nationale un des piliers de leur politique économique censée transformer le pays encore largement agraire en une nation industrialisée moderne, ils profitent de la suspension de séance à midi pour signa-ler aux hôtes de l’Arbed « qu’il n’y a pas lieu de se rencontrer l’après-midi ».72 Le message est univoque. Il signifie la faillite d’une discussion que depuis longtemps tous savaient inéluctable, mais que personne n’avait pour autant voulu entamer à temps de crainte d’y apprendre des vérités qui dérangent.

Conclusion

Il serait maintenant bien sûr stérile d’imiter l’exemple des industriels et de chercher un coupable. Croire que la faute incomberait à Ingen Housz, animé par le seul désir d’arracher aux rivaux belgo-luxembourgeois un blanc-seing pour aug-menter ses capacités jusqu’à concurrence de 50 % de la consommation des Pays-Bas, serait tout aussi simpliste et faux que de soupçonner Chomé, Neef de Sainval ou Perot d’avoir eu en tête une «  idée de brimade  » lorsqu’ils tentent d’amener Hoogovens à revoir à la baisse ses plans d’expansion.73 La responsabilité de l'avor-tement d'une vaine tentative de coordonner l'essor de la sidérurgie à l'intérieur du Benelux incombe en réalité d'abord aux gouvernements guidés par «  des consi-dérations nationales de politique commerciale » plutôt que par « des considéra-tions d'économie d'échelle ».74 Celui de La Haye ne veut à aucun moment tolérer la

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moindre atteinte portée aux objectifs qu’il s’est fixés en vue d’équilibrer la balance des payements et de résorber les inconvénients résultant d’un secteur secondaire insuffisamment développé pour suivre le rythme de la croissance démographique. Aussi consent-il en 1947/48 du bout des lèvres à une procédure de consultation préalable qui, deux ans plus tard, après le vote des crédits Marshall, est certes tou-jours considérée « souhaitable dans l’avenir »,75 mais qui, outre son maintien pour la forme, ne devrait en aucune manière priver les milieux d’affaires de « la liberté d’établir les entreprises pour lesquelles leur sens de responsabilité leur permettait de prendre certains risques ».76 À Luxembourg et à Bruxelles les responsables po-litiques ne raisonnent guère différemment. Ils n’ont aucune envie de laisser le cas de la sidérurgie se transformer en un précédent dont les Néerlandais pourraient s’emparer dans le but de réclamer l’ouverture des marchés agricoles de l’UEBL en contre-partie des envois massifs de produits métalliques belgo-luxembour-geois vers les Pays-Bas. Gilbert Trausch a suffisamment analysé la problématique agraire et ses enjeux politiques sur le plan local du Grand-Duché pour qu’il soit nécessaire de s’y attarder  : quoique certains ministres du cabinet de Pierre Du-pong figurent parmi les invités réguliers au casino de l’Arbed, ils opposent une fin de non-recevoir aux exigences de l’industrie lourde dès que la protection des paysans autochtones est menacée.77 Ainsi s’explique – avant et après l’introduction de la consultation préalable – la nette préférence de la classe politique pour des entretiens privés entre industriels et – au lendemain de la rupture des pourparlers patronaux – le refus du gouvernement de voler au secours du GISL qui était venu quémander une intervention de Bech à La Haye, mais auquel on avait répondu par retour du courrier « que, pratiquement, il n’y a rien à faire ».78

L’absence d’une vision économique globalisante marque également le dé-bat des maîtres de forges. L’Arbed avait, il est vrai, sondé le terrain des synergies transfrontalières dès le milieu des années vingt. Avant d’opter pour la construc-tion du Greisendahl, elle avait soumis aux dirigeants d’Espérance-Longdoz une offre de fusion fondée sur un partage optimal du travail : forte d’un grand savoir-faire dans les produits plats, la société belge aurait dû se spécialiser dans cette gamme de fabrications en abandonnant les profilés à l’entreprise luxembourgeoise qui, en retour, aurait renoncé à édifier une tôlerie au Grand-Duché. Mais la mise en commun du patrimoine industriel se heurta à l’individualisme indépendantiste des chefs liégeois.79 Leur refus catégorique de collaborer fait que les dirigeants à Luxembourg renoncent à revenir à charge quand, au lendemain de la Libération, il s’agit de moderniser le site de Dudelange. Leurs réticences expliquent encore pour-quoi, en l’absence d’une intervention étatique comme en France, où le Commissa-riat au Plan contraint les sidérurgistes lorrains à former la coopérative de la Sollac, les trois entreprises du bassin de Liège (Espérance, Ougrée et Cockerill) décident

chacune de monter avec ses propres moyens limités un train semi-continu plutôt que de s’accorder, éventuellement ensemble avec l’Arbed, la Hadir ou Rodange, sur la mobilisation commune de fonds d’investissement autrement importants qui au-raient été engloutis par l’acquisition d’un train continu beaucoup plus performant. Soit dit en passant, le « bricolage » pratiqué dans l’immédiat après-guerre revient cher, car une douzaine d’années plus tard, tout sera à refaire avec la construction des usines de Sidmar (Arbed) et de Chertal (Cockerill/Ougrée/Espérance).

Une franche coopération avec Ingen Housz et ses compatriotes est, dans ces circonstances, simplement inconcevable. Abstraction faite d’une proposition incidemment traitée en marge du premier tour de table à Bruxelles, et qui aurait consisté en la livraison de coils à chaud belges et luxembourgeois en échange d’un remaniement des projets d’IJmuiden réduits au seul finissage dans des laminoirs à froid, le GISL et le GHFAB affichent de bout en bout une attitude peu constructive focalisée exclusivement sur une limitation des capacités et un partage de mar-ché. Ce faisant, les deux chambres syndicales heurtent de front le dynamisme des patrons néerlandais qui ne partagent ni leur malthusianisme excessif ni leur culture des ententes industrielles appelées à régler les productions et les ventes jusque dans le moindre détail. En ce sens, le dialogue des sourds de 1948/49 donne un avant-goût amer des déboires que les forges « traditionnelles » de Belgique, de France, d’Allemagne et du Grand-Duché subiront dans les années cinquante et soixante lors des discussions autour d’un vaste cartel des producteurs de la CECA désireux de se prémunir contre la chute des prix sidérurgiques à l’exportation.80

Il reste que, malgré le désaccord complet à trois, les entreprises luxembour-geoises vont profiter des progrès de l’industrialisation aux Pays-Bas pour multi-plier progressivement leurs livraisons à destination d’un pays dont la demande se développe à une allure remarquable. Cette « conquête » d’une clientèle néerlan-daise de plus en plus nombreuse est toutefois essentiellement à voir en relation avec l’éclipse des compétiteurs allemands par suite de la guerre plutôt qu’avec l’union douanière du Benelux. Celle-ci – remarque Chomé avec sa lucidité coutu-mière – « n’a pas eu, comme telle, d’influence sur nos fournitures en Hollande ».81

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1 Gilbert TRAUSCH, « De l’UEBL au Benelux. Joseph Bech et l’émancipation du Luxembourg », in: [Col-lectif], Regards sur le Benelux. 50 ans de coopération, Éd. Racine, Tielt, 1994, pp. 341-348, ici : pp. 346-347.

2 Arend J. BOEKESTIJN, « Souveraineté et intégration : le Benelux 1945-1958 », in: [Collectif], Regards …, op. cit., pp. 99-123, ici : p. 100.

3 Gilbert TRAUSCH, L’Arbed dans la société luxembourgeoise, Imp. Buck, Luxembourg, 2000.4 Les destructions, le pillage de stocks et l’ajournement des gros travaux d’entretien sont estimés à envi-

ron cent millions de francs. GISL, Mémoire [d’Éric Conrot] sur la situation de la sidérurgie luxembour-geoise, 29.12.1945.

5 Poutrelles à larges ailes d’une hauteur d’un mètre. Ces profilés du type Grey étaient très prisés des in-génieurs du génie américain pour édifier des ponts autorisant le passage de convois militaires lourds.

6 Grâce à la mise en route d’un seul haut-fourneau à Dudelange, l’Arbed parvient à alléger le fardeau fi-nancier mensuel de 4 millions de francs. ARBED, [Présidence] P.IV (4), Chomé à Barbanson, 31.07.1945. Voir aussi ARBED, P.XXV (25), Note sur la situation de la trésorerie de l’Arbed […], 23.01.1945.

7 Houille qui se prête à être distillée dans un four à coke.8 GISL, Procès-verbaux des réunions du Comité directeur, 04.07 et 27.07.1945 et 02.01.1951.9 Attention: les proportions arrêtées par l’accord De Smaele-Kremer régularisent la marche des hauts-

fourneaux. Elles se réfèrent donc à la production de fonte brute. Comme il y a cependant toujours des pertes au moment de la transformation de la fonte en acier, et de l’acier en produits laminés (ex. : pour fabriquer une tonne de poutrelles, on a besoin d’au moins 1.200 à 1.300 kilos de fonte), les pourcentages concordants de la figure I relative à l’expédition des marchandises finies sont inférieurs à respective-ment 50 % et 40 %.

10 Mémoire [d’Éric Conrot] …, 29.12.1945, op. cit.11 ANLux [Archives Nationales de Luxembourg], Arbed-02-331 – Columeta. 199e conférence des direc-

teurs commerciaux, 06.06.1947.12 Voir entre autres ANLux, Arbed-02-331 – Columeta. 202e et 204e conférences des directeurs commer-

ciaux, 03.10.1947 et 05.12.1947.13 199e conférence des directeurs commerciaux, 06.06.1947, op. cit.14 ANLux, Arbed-02-332 – Columeta. 206e conférence des directeurs commerciaux, 06.02.1948.15 Gilbert TRAUSCH, Joseph Bech, un homme dans son siècle, ISP, Luxembourg, 1978, pp. 63 sqq. et Gilbert

TRAUSCH, « De l’UEBL au Benelux. Joseph Bech et l’émancipation du Luxembourg », in: [Collectif], Regards …, op. cit., pp. 341-347, ici : p. 343.

16 ARBED, P.20.A, Service de documentation sidérurgique, 14.01.1948 ; ANLux, Arbed-02-331 – Columeta. 200e et 203e conférences des directeurs commerciaux, 04.07.1947 et 07.11.1947.

17 ANLux, Arbed-02-334 – Columeta. 227e conférence des directeurs commerciaux, 06.01.1950.18 Mémoire [d’Éric Conrot] …, 29.12.1945, op. cit.19 ANLux, Arbed-02-332 – Columeta. 209e conférence des directeurs commerciaux, 07.05.1948.20 200e conférence des directeurs commerciaux, 04.07.1947, op. cit.21 ANLux, [Ministère des Finances] MFINDIV-0014j, Conférence [des ministres Benelux] du 29 et 30 juin

1948 à Luxembourg.22 ARBED, [Administration centrale] AC.22105, Compte-rendu [sic] de la réunion du Comité directeur du

Groupement, 27.01.1948.23 ANLux, Arbed-02-332 – Columeta. 208e conférence des directeurs commerciaux, 09.04.1948.24 206e conférence des directeurs commerciaux, 06.02.1948, op. cit.25 Max SUETENS, Histoire de la Politique commerciale de la Belgique depuis 1830 jusqu’à nos jours, Librai-

rie Encyclopédique, Bruxelles, 1955, pp. 351 sqq.26 «  Asymetrical economic starting positions  ». Arend J. BOEKESTIJN, « The Formulation of Dutch

Benelux Policy », in: Richard T. GRIFFITHS, The Netherlands and the Integration of Europe. 1945-1957, Neha, Amsterdam, 1990, pp. 27-48 , ici : p. 30.

Pendant l’entre-deux-guerres, le marché hollandais avait fini par devenir un des prin-cipaux débouchés de la sidérurgie luxembourgeoise. Faut-il dès lors s’étonner de voir la GISL défendre bec et ongles ce qu’ il considère être sa chasse gardée ? – L’agence Columeta à Rotterdam. Source : Archives Nationales de Luxembourg

Page 19: aleH à l’Europe · tés du Grand-Duché au lendemain de la Libération.3 Abstraction faite du retard accumulé sur le plan de la rénovation et de la modernisation des équipements

472 473

27 Ibid., p. 45.28 Le nom d’entreprise « Demka » correspond à la version prononcée de l’abrégé « d.M.K » dérivé de la

raison sociale officielle des Nederlandsche Staalfabrieken v/h J.M. de Muinck Keizer.29 ARBED, P.20.A, GISL. Estimations pour 1952-1953, 26.10.1948.30 Pour un aperçu général de la politique d’industrialisation des Pays-Bas, voir Keetie E. SLUYTERMAN,

Dutch Entreprise in the Twentieth Century. Business Strategies in a Small Open Economy, Routledge, Oxon, 2005, pp. 126 sqq.

31 Service de documentation sidérurgique, 14.01.1948, op.cit.32 Voir Josef BRANDT, « Der Stahleuropäer Tony Rollman », in: Charles BARTHEL, Josée KIRPS (dir.),

Terres rouges. Histoire de la sidérurgie luxembourgeoise, vol. 2, mediArt, Luxembourg, 2010, pp. 10-35.33 GISL, Compte-rendu [sic] de la réunion du Comité directeur du Groupement, 15.11.1946.34 Gilbert TRAUSCH (éd.), Belgique-Luxembourg. Les relations belgo-luxembourgeoises et la Banque Géné-

rale du Luxembourg (1919-1994), Imp. Centrale, Luxembourg, 1995, notamment le chapitre A hue et à dia: les relations belgo-luxembourgeoises dans l’entre-deux-guerres, pp. 109-136.

35 ARBED, AC.20831, Schummer à Schaus, s.d. [février 1947].36 ANLux, [Affaires étrangères] AE.8844, Rapport sur les conversations ministérielles néerlando-belgo-

luxembourgeoises tenues à La Haye, 10-13 mars 1949.37 Ibid., Protocole de la rencontre des ministres [du Benelux], les 29-31 janvier 1948 à Luxembourg. An-

nexe III.38 Charles BARTHEL, Bras de fer. Les maîtres de forges luxembourgeois, entre les débuts difficiles de l’UEBL

et le Locarno sidérurgique des cartels internationaux. 1918-1929, ISP, Luxembourg, 2006, pp. 359 sqq.39 ARBED, P.20.A, Fédération des industriels belges à Craen, 02.03.1948.40 ARBED, P.20.A, Circulaire n° 44 de la Fédération des industriels belges, 28.02.1948.41 ARBED, P.20.A, GISL à Bech et à Schaus, 06.04.1948.42 ARBED, AC.22105, Compte-rendu [sic] de la réunion du Comité directeur du Groupement, 27.01.1948.43 ARBED, P.20.A, Note du SYBELAC [Syndicat des Aciéries Belges], 29.10.1948.44 ARBED, P.20.A, GHFAB à Chomé, 20.02.1948.45 Philippe MIOCHE, « La reconstruction de la sidérurgie européenne, 1945-1949 : sérénité des uns, nou-

veau départ pour les autres », in : Histoire, économie et société, 2(1999), pp. 397-411, ici : pp. 399 et 409.46 Le rendez-vous prévu au départ pour la fin novembre 1948 a été ajourné en raison des fortes inonda-

tions et de l’interruption de la circulation automobile aux Pays-Bas.47 Pour l’histoire de la sidérurgie néerlandaise, voir e.a. Johan de VRIES, « From Keystone to Corner-

stone. Hoogovens IJmuiden 1918-1968. The birth and development of a basic industry in the Nether-lands », in: Acta Historiae Neerlandicae, Martinus Nijhoff, The Hague, 1973.

48 ARBED, P.20.A, Modifications au compte-rendu [sic] de la réunion du 12 avril 1948.49 Ibid., Compte rendu de la réunion tenue le 12 avril 1948 entre sidérurgistes belges, hollandais et luxem-

bourgeois.50 La mise au mille désigne la quantité d’acier brut nécessaire à l’obtention de 1.000 kg. de produit fini

(poutrelle, fil de fer, tôle, etc.), étant entendu qu’au cours du processus de transformation de l’acier au laminoir il y a toujours des pertes dues à des chutes, à l’élimination des produits de mauvaise qualité, etc.

51 ARBED, P.20.A, Compte rendu de la réunion tenue à Bruxelles le 29 octobre 1948 entre sidérurgistes belges, hollandais et luxembourgeois.

52 Ibid., Benelux. Programme à long terme. Mémorandum relatif à la sidérurgie, 10.11.1948.53 Ibid., Réunion tenue entre Luxembourgeois et Belges à Bruxelles, le 30.11.1948.54 ARBED, P.159.A, La sidérurgie luxembourgeoise devant l’impôt sur les bénéfices exceptionnels,

19.11.1951.55 Mémoire [d’Éric Conrot] …, 29.12.1945, op. cit.

56 Félix Chomé (dir.), Arbed. Un demi-siècle d’ histoire industrielle. 1911-1964, Arbed, Luxembourg, 1964, pp. 123 sqq.

57 Apparemment la décision de Differdange de se lancer également dans la fabrication de tubes serait conditionnée par un projet d’« installation en Europe d’un nouveau train Grey ».

58 ARBED, P.20.A, GHFAB à GISL. Complément au procès verbal, 24.04.1948.59 Robert HALLEUX, Cockerill. Deux siècles de technologie, Éd. du Perron, Liège, 2002, pp. 176 sqq.60 Dans la foulée de l’annonce des plans de Hoogovens, Cockerill et Sambre et Moselle vont finalement

renoncer à leur plan de construire des laminoirs semi-continus de larges plats. ARBED, P.20.A, Note [préparée par les usines liégeoises] sur la position des industriels belges et luxembourgeois vis-à-vis du programme d’équipement en Benelux dans le domaine des produits plats, s.d. [été 1949].

61 ARBED, P.20.A, Compte rendu de la réunion de la sous-commission des produits plats tenue à Luxem-bourg, le 3 mai 1949.

62 Ibid., Comité de la sidérurgie. Projet de la délégation des Pays-Bas sur la modernisation et le dévelop-pement des Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken. – Restricted, 23.06.1949.

63 Ibid., Note sur la position des industriels belges et luxembourgeois vis-à-vis du programme d’équipe-ment en Benelux dans le domaine des produits plats, s.d. [été 1949].

64 Ibid., Réponse [du GISL] au questionnaire de la Société générale relatif à [sic] Benelux, 27.05.1949.65 Ibid., Projet d’accord entre les sidérurgies belge, hollandaise et luxembourgeoise, novembre 1948.66 Compte rendu de la réunion tenue à Bruxelles le 29 octobre 1948 […], op. cit.67 Réunion tenue entre Luxembourgeois et Belges à Bruxelles, le 30.11.1948, op. cit.68 ARBED, P.20.A, Chomé à Henrard, 15.04.1949.69 Compte rendu de la réunion tenue le 12 avril 1948 […], op. cit. 70 ARBED, P.20.A, Henrard à GHFAB, 09.04.1949.71 Ibid., Milton Katz [représentant spécial des USA en Europe] au secrétaire de l’OECE, 03.01.1950.72 Compte rendu de la réunion de la sous-commission des produits plats […], le 3 mai 1949, op. cit.73 ARBED, P.20.A, Benelux – Développement de l’industrie sidérurgique – Compte rendu de la réunion de

la sous-commission des produits plats tenue à Luxembourg le 3 mai 1949.74 Arend J. BOEKESTIJN, « Souveraineté et intégration […] », op. cit., p. 107.75 ANLux, MFINDIV-0014j, Protocole établi par les gouvernements de la Belgique, du Grand-Duché de

Luxembourg et des Pays-Bas, lors des conversations ministérielles tenues à Ostende, les 29, 30 et 31 juillet 1950.

76 Ibid., Note [confidentielle] explicative relative à la question de l’établissement et de l’extension des entreprises industrielles dans le cadre de Benelux, 24.07.1950.

77 Voir e.a., Gilbert TRAUSCH, « Du Zollverein à l’Union Économique Belgo-Luxembourgeoise (1914-1922) », in: Hémecht, 3(1984), pp. 343-390 ; idem, Histoire du Luxembourg, Hatier, Paris, 1992, pp. 121 sqq. et 215 sqq. ; idem., « Le Luxembourg face aux Traités de Rome », in: idem. (dir.), Le Luxembourg face à la construction européenne, Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman, Luxem-bourg, 1996, pp. 119-146.

78 GISL, Compte-rendu [sic] de la réunion du Comité directeur […] tenue le vendredi 13 janvier 1950.79 FINARBED, « Espérance-Longdoz », Note anonyme [de Mayrisch], s.d. [octobre 1927].80 Charles BARTHEL, « De l’entente belgo-luxembourgeoise à la Convention de Bruxelles. 1948-1954. Les

maîtres de forges luxembourgeois et la renaissance des ententes internationales au lendemain de la Seconde Guerre mondiale », in: Michel DUMOULIN, René GIRAULT, Gilbert TRAUSCH (dir.), L’Europe du Patronat. De la guerre froide aux années soixante, Peter Lang, Berne, 1993, pp. 29-62 ; idem, « La crise sidérurgique des Golden Sixties. La renaissance du pacte international de l’acier et l’effacement de la Haute Autorité de la CECA (1961-1967) », in: Charles BARTHEL, Josée KIRPS (dir.), Terres rouges …, op. cit., pp. 36-217.

81 Réponse [du GISL] au questionnaire de la Société générale […], 27.05.1949, op. cit.