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Allongée sur le canapé, je tentais dem’habituer au silence, au calme parfait quem’offraientdésormaismessoirées.Iln’yavaitpluscebourdonnementintempestifetperturbantdesconversationsquim’empêchaitderéfléchir.Iln’yavaitpluscetteagitationfrénétique,cemouvementcadencédesalléesetvenuesdanslamaison.Maintenant,quandjerentraischezmoi,seullesilencem’accueillait,etmesyeuxaccrochaientimmédiatementlerépondeurdutéléphonefixe.
Je savais qu’il n’appellerait pas sur mon portable. C’était bien trop risqué, même pour lui.Malgré sa douce folie,malgré son egode la taille de l’océanPacifique,malgré son succès inégaléauprès des femmes, Tyler Tanner n’aurait jamais pris la décision dangereuse de composer monnumérodeportable.
Parce que j’aurais répondu. Parce qu’il n’aurait sûrement pas su quoi me dire. Parce qu’iln’auraitpasgagné.EtTylerTannergagnaittoujours.Ilobtenaitcequ’ilvoulait,coûtequecoûte.Celas’appliquaitaussiauxfemmes.Demandait-ilaumoinsleurprénom?J’endoutaismaintenant.Auvudesondépartencatiminidemachambre,jesavaisqueTymaîtrisaitl’artdelafuite.Jem’étaisvoilélafacesurcesujet,persuadéequ’ilnepouvaitpasêtreundeceshommesquiagissaientcommeungoujat.
Réaliserquevotremeilleuramiestunidiot,doubléd’ungoujat,n’estpasréjouissant.Toutescesfemmesdevaientrepartiraveclasensationd’avoirpasséunbonmoment,pendantque
luis’appliquaitàoublierchacuned’ellesdèsquenousarrivionsdansunenouvelleville.TylerTanneravaitfaitpartiedemaviependantprèsdecinqans.Cinqlonguesannéespendant
lesquelles je l’avaisvudevenirunestar,pendant lesquelles je l’avaisvum’ignorerdeplusenplus,commes’ilprenaitsesdistances.Jusqu’àcettenuitoùilavaitfrappéàmaporteetoùnousavionsfinipar faire l’amour. Maintenant, il me punissait d’être partie. Tyler agissait comme si nous étionsdésormaisdeparfaitsétrangers.
TylerTanneravait faitpartiedemaviependantprèsdecinqans,cinqlonguesannéespendantlesquellesjel’avaisvudevenirunhommeodieux,crueletmesquin.Jemesouvenaisencoredechaquedétaildenotrerencontre,desonsourireébréchéparunevieillecicatrice,etdesonregardgrisacier.
Ce seul souvenir me faisait encore sourire. Un souvenir qui avait peu à peu été grignoté pard’autres,moinslumineux,etquej’avaisdûcacherdansunpetitcoinbienprotégédemamémoire.
J’avais décidé de partir quand son regard avait viré couleur ciel d’orage. Il n’était pas prêt àassumernotrerelation.J’étaisamoureusedelui,etluinem’avaitaccordéqu’uneseulenuit.
Frustrantetcruel.—Claire?
Jemeredressaisurlecanapéetrepoussaileplaidsurmesjambes.Jepassaiunemainsurmonvisage,émergeantdemondemi-sommeilnébuleux.Dansungrognement,jeconstataiquejem’étaisencore endormie sur le canapé. J’étiraimesmuscles endoloris et allai à la rencontre deDiane,macolocataire.
—Turentrestard,dis-jedansunbâillement.— Longue soirée. J’ai raccompagné Lara chez elle. Elle était incapable de coordonner ses
jambes, ses pieds. Et son corps de manière générale. Cette fille ne supporte pas le champagne,soupira-t-elle.
Elleretiralapincequimaintenaitsalongueettumultueusechevelurerousseetposasavestesurundossierdechaise.Dianem’avaitaccueillie icisansposerdequestions.Jem’étaisprésentéeàsaporte, enpleinenuit, levisage ravagéde larmes,mon jeanhumidecolléàmescuisses.Elle s’étaitsimplementécartéedelaporteetm’avaitsortidesvêtementssecs.
MapremièrenuitchezDianeavaitétél’antichambredel’enfer.Tremblantdetousmesmembres,j’avaisrejouéchaqueminutedemasoiréeavecTyler,analyséchacundesesmotsetdoutéunmillierdefoisdemadécision.
Dianem’avait connueavantTyler,quand, jeuneet insouciante, jegambadaisdans le jardindemes parents pendant qu’elle buvait un café avecmamère. Depuis lamort demaman, Diane étaitdevenuemamèredesubstitution…àlaseuledifférencequ’ellenem’avait jamaisposédequestionsurTyler.Rienquepourcela,jeluiétaiséternellementreconnaissante.
—Tun’espassortie?demanda-t-elleendétaillantmatenuefroissée.—Non.J’étaisfatiguée.Elle accrocha sonparapluie à unepatère. Jeme triturai lesmains, soudainementmal à l’aise.
Dianen’avaitpasposédequestions,certes,maisellepouvaitdemanderundébutd’explicationàmoncomportement.
—Çafaitpresquetroismois,mefit-elleremarquer.Danssavoix,tintaunsoupçondereprochequimesurprit.J’occupaislachambred’amisdeson
petitappartementdepuismonarrivée.Peut-êtreétait-iltempsdechercherailleurs.—Tuveuxquejeparte?demandai-je,hésitante.—Biensûrquenon.Jevoudraisplutôtqueturemonteslapente.Tusemblessiéteinte.—J’aiprislabonnedécision,répondis-je.—Dit-elleenbouclepours’enconvaincre.Jecroisailesbrassurmapoitrineet,muésparl’habitude,mesyeuxseportèrentsurlerépondeur.
Toujoursrien.Jeravalailapointed’amertumequim’envahissait.Jedétestail’idéequeTyleraitfaitdemoi cette fille si fragile. Penser à lui relevait dumasochisme primaire : une douleur intense etirradiante,maisquimefaisaitsentirincroyablementvivante.
LeregarddeDianesuivitlemienetellepoussaunnouveausoupir.—Ilnesaitpasoùtues,commentveux-tuqu’ilappelle?—Ilsaitoùjesuis.Dianearquaunsourcil,surprise.ElleneconnaissaitpasTyler,ellenesavaitpasàquelpointma
décisionavaitétéaussidouloureusequenécessaire.—Donctuneveuxpasqu’ilappelle,maistun’attendsqueça?—C’estcompliqué.Veux-tuquejeteprépareunsandwich?Ilrestedupoulet.Elleentouramesépaulesdesonbrasetm’attiracontreelleavantdemeguiderverslesalon.Les
pointesdesescheveuxétaienthumidesdepluieetjedevinaiunrestepersistantdesonparfumfruité,parfuminchangédepuisplusdevingtans.
—Jeviensdem’empiffrerdedizainesdepetits-fours.Enparticulier,ceuxauchorizo.Ellem’offritunsouriretendreethochalatête.Ellenousfitasseoirsurlecanapéetpritmamain
dans lasienne.Mespiedsnuss’enfoncèrentdans le tapismoelleux,pendantque lapluie redoublaitd’intensitécontrelafenêtre.Jerivaimonregardversl’extérieur.
LapluiemefaisaitinvariablementpenseràTyler.—Tunepourraspastecachericijusqu’àlafindetavie,ditdoucementDiane.—Jenemecachepas.—Jesais.Tucicatrises.Jeravalaiunrire,quimasquaittrèsmalmonhumeurmaussadeetleslarmesquienvahissaient
mes yeux.Diane n’avait aucune idée de ce que je ressentais. J’aurais aimé parler deTyler commed’uneblessure superficielle.Depuis que j’avais claqué la porte, abandonnant derrièremoi unTylerfurieuxetstupéfait,jemesentaisvide,commesi,encinqans,j’avaisgrillétoutemonénergie.
Tylern’étaitpasunecicatrice.Tylerétaitdanschacundemessouvenirs,danschaquegouttedepluiequis’écrasaitcontrelavitre,danschaquenotedemusiquequej’écoutais.
LamaindeDianeseresserrasurlamienne.Safaçonàelledemeréconforter.Jen’étaisdetoutefaçonpasenétatdesubirunlongdiscoursmoralisateuretbienveillant.Unnouveaurirenerveuxmesecoua.Pendant longtemps,quandj’étaisdéprimée, tristeouagacée, laseulevoixdeTyler—cettevoixérailléeetpuissantequifaisaitvibrerlesfoules—avaitsuffiàm’apaiser.
—Quedirais-tudevenirm’aiderdemain?proposaDiane.—Tuveuxquejerefassedespetits-fours?—Pourquoipas?Jepourraislesproposerendégustation.Ouonpeutréfléchirausandwichdu
jour.Jereniflaidemanièrepeuéléganteetessuyaimonnezdudosdelamain.Dianepassaunemain
apaisantedansmondos.Cesimplegestesuffitàmerasséréner.Jepouvaislefaire.JepouvaissurvivreàTyler.Diane se redressa et je lui emboîtai le pas quand elle quitta le salon. Nous gagnâmes nos
chambresrespectives.Jesavaisquejen’avaispourtantaucunechancedem’endormiravantunebonneheure.
—Dernièrechose,précisaDianeen fronçant les sourcils.Si je te revoiedansce truc informe—elledésignamonbasdejogginginforme—,jelebrûle.
—Mais…—Etjelebrûleraisurtoi.Ellem’embrassarapidementsurlajoue,unsouriremutinsurleslèvresetrefermalaportedesa
chambre,melaissantconsternéedanslecouloir.Jetiraisurletissutroplâchedemonpantalongris.Peut-être,eneffet,qu’ilétaittempsdem’endébarrasser.
Je rejoignis ma chambre. Un simple coup d’œil sur la décoration donnait un aperçu de monhumeur : des murs blancs, un lit parfaitement fait et ma valise, encore ouverte, encore lestée dequelquesvêtements.Jeréalisaisseulementmaintenantquejeneparviendraiscertainementjamaisàlavidertotalement.
—Merci,Tyler,murmurai-je,avecamertume,toutenpassantunemainsurmonvisage.Lavieentournéem’avaitapprisàvoyageravecleminimumsansjamaism’installerréellement.
Mêmequandnousétionsàlamaison—unebâtisseimmensequ’avaitachetéeTyleretdanslaquelle,en tant que cuisinière etmeilleure amie, j’avais le grand privilège de vivre—, j’avais toujours lasensationquenousétionssurledépart,prêtsàprendrelafuite.Ilsuffisaitd’unhochementdetêtedelapartdeTylerpournousmettreenmouvement.
Je retiraimonhaut zippéetmonbasgris. Jeposaimonportable surmonchevet. J’angoissaistoujours à l’idée deme retrouver seule dans ce lit.Mes premières nuits ici avaient été blanches ;maintenant, je dormais environ trois heures, en pointillé et dans l’agitation. Dans un soupir las,j’enfilaiunT-shirtéliméetmeglissaisouslacouette.
Encore un jour sans lui. Durant la journée, je parvenais à survivre à Tyler. Il suffisait dem’occuper, de cuisiner, d’être active.Lanuit, les souvenirs affluaient, nombreux et douloureux.Lanuit,ilyavaitcesilenceatroceetpesant.Celasuffisaitàmefaireregrettermadécision.
Pour lapremière foisen troismois, j’oubliaimesbonnes résolutionsetplaçaimoncasquesurmesoreilles.Soudain,monâmemesemblamoins lourde,mapeinedevintsupportable,madouleurs’atténua dans les vibrations de sa voix. Un soupir m’échappa et le souvenir de notre dernière etpénibleconfrontationresurgit.Jen’arrivaistoujourspasàdéterminerlequeldenousdeuxétaitleplusencolèrecontrel’autre.
Je fermai lesyeuxetme laissai envelopper.SiTyavait changéencinqans, l’effetde savoixrauqueetprofondemefaisaittoujoursautantfrissonner.Enuneseconde,l’amertumemequittaetjesombraidanslesommeil.
Amonréveil,j’auraispumeréjouirdecettebellenuit,calmeetcomplète.Etc’estcequejefis,
tournantlatêtepournepasvoirmonoreillertrempédelarmes.Aumilieudelamatinée,jefinisparabdiquer.Aprèsavoirpassélestroisderniersmoiscachéeet
prostréechezDiane,jedécidaiderevenirparmilesvivants.Aprèstout,Tyn’avaitpasdonnésignedeviedepuisdessemainesetj’avaisdonnémadémission.Plusriennemeliaitàlui.
Enfin,çac’étaitlepetitdiscoursquejemerépétaisenboucledevantlemiroir,danslevaguebutdem’enconvaincre.Lorsque jepoussai laportedupetit restaurant-traiteurdeDiane,cettedernièrem’accueillitavecunsourirechaleureux.Elledétaillamatenue—unjeanslimnoiretuneblouseensoiebleunuit—,levaunsourcilsurprisetmelançauntablierauvisage.
—Auboulot!lança-t-elle.Pourlapremièrefoisentroismois,j’éclataiderire.—Fais-moirêver,s’écria-t-elleuneheureplustardens’asseyantsurleplandetravail.—Avecdesminisandwichs?m’étonnai-je.—Jesuisunefillefacile.Eblouis-moi.Du bout de l’index, elle tira le plateau qui était devantmoi. Son regard se promena surmes
différentespréparationset,del’index,ellesurvolalessandwichs,avantdefondreenpiquéversunepréparation à base de tomates séchées et de poulet. Elle le glissa dans sa bouche et le dégustalentement.Jesecouailatêteetcoupaiunmorceaudepainaumaïsdevantmoi.
—Pastramietmoutarde,annonçai-jeenpréparantunenouvellebouchée.Dianeavalarapidementcequ’elleavaitenbouche,avantdejetersondévolusurlesandwichque
jevenaisdepréparer.J’essuyaimesmainssurmontablieretattendissonverdict.—Pasdecornichon?—C’estsoitmoutarde,soitcornichon.—Quiainstaurécetterègledébile?demandaDiane.Monsilenceparlapourmoi.Jepouvaism’éloignerdeTy,jepouvaisfairecommesij’allaisbien,
maisilyauraittoujourscetteminusculepartdemoiquinem’appartenaitplusvraiment.—C’estdélicieuxentoutcas,reprit-elle.L’associationaveclepaindemaïsestoriginale.—C’estcequejefaisais…avant,murmurai-je.
UneautremarquedefabriquedeTy:ilvouaituneadorationétrangeaupaindemaïs.Sûrementparnostalgie.
—Donc,tuvois:toutn’estpasàjeter.Jeprends.Fais-moivingt-cinqgrandsformatsdemain,ordonna-t-elle,toutensautantdesonperchoir.Jelesmetsàlacarte.
—Vraiment?—Vraiment.Bienvenuedanslemonderéel,murmura-t-elleavecunclind’œilcomplice.Jehochai la têtedegratitude.SansDiane,pansermesplaiesauraitétébeaucoupplusdifficile.
Mon équilibre était encore fragile, et le resterait surement pendant longtemps,mais, peu à peu, jetrouvaiunnouveauchemin.LoindeTy,loindubourdonnement,loindesamusique.
—Tut’yferas,ajouta-t-elleenvoyantmonregardsevoiler.Le téléphone sonna et cela détourna son attention. Mes mains se refermèrent sur le plan de
travail.Moncorpstremblaitetjevacillailégèrementsurmesjambes.Derrièremoi,j’entendisleriredeDiane.Jeprisuneprofondeinspiration,tentantdereprendremesesprits.Surmagauche,jecroisaileregarddeTom,quis’occupaitessentiellementdescommandesetdesfactures.
—Toutvabien?s’inquiéta-t-il.Jepassaimonavant-brassurmonfront,chassantunesueurfroide.J’opinaifaiblementetbaissai
les yeux sur le plateau de minisandwichs que j’avais préparé. Je n’avais même plus l’énergie desaliversurdelanourriture.J’enauraispresquericané:chezmoi,lechagrinressemblaitàunevilainegrippe.
—Çava,marmonnai-je.—Claire?m’interpellamacolocataire.Je pivotai et approchai d’elle. Le combiné sur l’oreille, je la vis griffonner des notes sur un
carnet. Je frottai nerveusement mes mains contre le tablier et fronçai les sourcils. Diane hochaplusieursfoislatête,pendantqu’unevoixmasculine,àl’autreboutdelaligne,passaicommande.
—Pourdixpersonnes?demanda-t-elle.Nouveauhochementdetête.Dianem’adressaunregardetpointasonindexsurleplandetravail.
Elleposalamainsurlecombinéet,dansunchuchotis,metransmitlacommande.—Cequetuviensdemefairegoûter,tum’enfaisdix,engrandformat.Tuasdixminutes.J’eusàpeineletempsdedigérerl’information.Jeresserrai lenœuddemontablieretfilaime
laverlesmains.Dianeraccrochaetjel’entendisarracherlanotedesonbloc.Ellel’accrochadevantmoietmegratifiad’unetapeamicalesurlesfesses.
—Ettuauraslegrandhonneurd’allerleslivrer,ilssontàdeuxruesd’ici!—Formidable,marmonnai-je.—Fais-lesrêver!Vingt minutes plus tard, je me retrouvai devant un gratte-ciel d’une quarantaine d’étages. Je
tenaisun sacde livraisondanschaquemain, jecontemplai lemonumentdeverreetd’acierdevantmoi.Dixsandwichsaupastrami,troisbières,cinqeauxplates,deuxsodasetdixmuffinsauxmyrtillesattendaientquejelesmèneàbonport.
Letoutsaupoudréd’unlotdecartesdevisiteetdemenusqueDiane,danssagrandegentillesse,m’avait demandé de déposer à chaque étage. Dans un souci de différenciation marketing, macolocatairem’avaitencouragéeàgardermontablier.Tachesdegraisseetdemoutardeincluses.
—Génial,soupirai-je.
J’entrai dans l’immeuble et vérifiai l’étage. Je devais livrer au trente-deuxième, pour unmagazine demode. Je grimaçai : jemedemandais si le pastrami serait vraiment à leur goût. Sansparlerdesmuffins. Jehaussai les épaules etgagnai l’ascenseur.Lacabineétait suffisamment largepourconteniraumoinsvingtpersonnes.J’appuyaimondoscontrelaparoietfixail’écranlumineuxqui indiquait les étages. Sur le trajet, l’ascenseur s’arrêta une dizaine de fois, se remplissant et sevidantavecrégularité.
Autrente-deuxièmeétage,jemefaufilaientredeuxhommesencostume.J’ignoraileursregardsmoqueursquivrillaientmanuqueetm’adressaiàlajeunehôtessed’accueilblondedelaréception.
—Bonjour.JeviensdeDiane’s.J’aiunelivraisonpourdixpersonnes…—Ahoui.Laréunion,m’interrompit-elleavecunsourireravi.Elle s’emparadu sacavecenthousiasmeet sans sedépartirde son sourire satisfait.Cette fille
n’auraitpasétéplusheureusedegagneràlaloterie.Oualors,àenjugerparsonphysique,elleavaitcessédemangerdepuisdixjoursets’apprêtaitàbrisersadiète.
—Ilfautsignerici,dis-jeentendantlebondelivraison.Elle s’exécuta dans l’instant et retira son casque téléphonique, bien décidée à amener les
sandwichsàceluioucellequilesavaitexigés.—Çavousennuiesijelaissedescartesdevisite?L’hôtesse avait déjà quitté son poste et contourné son bureau, les deux sacs à la main. Elle
acquiesçavivementet,sansprendreletempsdemesaluer,remontalelongcouloirsursagauche,lebruitsaccadédesespasétoufféparlamoquettegrisâtre.
—Posez-lessurmonbureau,cria-t-elle.Jelevailamain,réalisantunpeustupidementquemongesteétaitparfaitementinutile,vuqu’elle
avait déjà disparu. Je déposai quelques cartes et rappelai l’ascenseur. Jemontai jusqu’au quarante-troisièmeetdernierétageetentamaimadistributionméticuleusedecartesdevisite.Parchance, jepassaiinaperçue.
Amonretouràl’étagedemalivraison,lesportesdel’ascenseurs’ouvrirent,laissantapparaîtreungrouped’hommesparlantavecanimation.Jereculaijusqu’aufonddelacabineetbaissailesyeuxausol.
—Ilfautqu’onexaminelespremièrescandidatures.J’aiuntypequiatenuunrestaurantétoilé.Jemefigeaiettoutmoncorpssetenditbrutalement.Jeconnaissaiscettevoix.Jonah.Moncœur
s’emballadansunrythmefouetdouloureux.Lesoufflecourt, je relevaipéniblement la têtevers lepetitgroupedevantmoi.
—Non,réponditunevoixgrave.Mesjambessemirentàtrembleretjeplaquailesmainscontrelaparoipournepasglisserausol.
L’ascenseurs’arrêtadansunpetitheurtetquelquespersonnesmontèrent.— Claire ne reviendra pas, Ty. Il faut que tu trouves quelqu’un. Tu ne vas pas te nourrir
éternellementdesandwichsetdeplatssurgelés.—Fiche-luilapaix,intervintAnn.—Çafaittroismois,renchéritJonah.Ellenereviendrapas.Nousnesavonsmêmepasoùelle
est.Jet’avaispourtantprévenu!—Jen’aipascouchéavecelle,grondaTy.Son mensonge me fit frémir pendant une interminable seconde. Depuis trois mois, je tentai
d’oublier les détails de notre étreinte fugace. Les souvenirs resurgirent, et avec eux, une vague decolère. Apparemment, Ty n’avait toujours pas l’intention d’assumer quoi que ce soit. Comment
avions-nousfaitpoursaccagernotrerelationenunenuitd’égarement?Soudain,jen’avaisplusenviedemecacherdanscetascenseur.
—Elleestbientropintelligentepourfaireça,ajouta-t-iluntonplusbas.Macolère s’apaisa aussi vite qu’elle était venue.Si sa première remarque avait été acerbe, la
secondeétaitbeaucoupplusdouceetrespectueuse.Jemeredressaiunpeuetmesyeuxtombèrentsursonprofil.Ilportaitsacasquettenoirehabituelle—cellequ’ilportaitpoursecamouflertantbienquemal—etsonsweatbleudeuxfoistropgrand.Unsourireflottasurmeslèvres.
Jeluiavaisoffertcesweat.Etjeleluiavaisenlevéavantqu’ilm’entraînesursonlit.L’ascenseurs’arrêtaànouveauetlafouledéjàprésentedanslacabinesetassaunpeuplus.Ty
me tournait le dos, mais quand il se tourna vers son manager, je distinguai clairement ses traits,malgré la barbe fournie qu’il arborait.La ligne ciselée de samâchoire, ce froncement familier dessourcilsquilerendaitbientropsérieux:jeconnaissaischaquedétaildesonvisage.
Sesyeuxgrisacierquifonçaientlesjoursdepluie,ouquandilétaitencolère.Ses mains larges avec des callosités rugueuses sur les doigts, résultat de sa passion pour la
guitare.—Alors?Tuveuxquejecaledesentretiens?demandaPaul,lemanagerdugroupe.Jonah, le batteur, porta un sandwich à ses lèvres et je tressaillis. Je reconnus ce que j’avais
préparécematin.LeregarddeTyseportasurluietsonfrontseplissa.— Tu en veux ? proposa Ann en ouvrant le grand sac en papier que j’avais livré. Pastrami,
moutarde.Nouveaufroncementdesourcils.J’avaisenviedemeterrerdansuncoin.Mesjambesétaientengeléeetjetremblaidetousmes
membres.Jen’étaispasprêteàsubiruneconfrontationavecTy.Encoremoinsdansunespaceconfinéavec des inconnus. Il semblait contrarié et son humeur taciturne n’augurait rien de bon. Ty savaitexploserdejoie,commeseplongerdanslesilenceetl’introspection.C’estdanscesderniersmomentsquesongéniecréatifsemanifestait.
Ann lui tenditun sandwichetTy l’ouvrit avecprécaution. Il s’arrêtaendécouvrant lepainaumaïs. Un sourire fabuleux barra son visage et mon corps, figé et immobile depuis une dizained’étages,seréchauffa.Enuneseconde,j’avaisétépropulséedanslepassé,revivantlejourpluvieuxdenotrerencontre.
Moi,trempéecommeunesoupe,attendantmameilleureamiesurleparkingdusupermarché.Lui,sortantdesavoitureetmeproposantd’attendresoussonparapluie,auxbaleinestordueset
fragiles.Romantique,n’est-cepas?Tyn’étaitpasencorecélèbre,maisilavaitdéjàcesourireensorcelant
etcetteprésenceincroyable.Deuxheuresplustard,nousétionschezmoietnousréalisionsquenoussuivionstousdeuxlemêmecoursd’histoireàlafac.
Tyn’avaitjamaisfinisonannéeetn’avaitpaseusondiplôme.Ils’enfichait.Alafac,Tyetmoiétionsinséparables.Celadéfiaitmêmelaraison:lui,artistedansl’âmeetbohème,moi,rigoureuseetquicraignaitpresquede traverserhorsdesclous.Tyme faisait écouter seschansonset jecuisinaispournousdeux.Jecanalisaisonénergieetsesidéesfolles,quandluitentaitdemefaireabandonnermonplandecarrière.
Alafindel’année,etaprèsavoirobtenumondiplôme,j’avaisdécampé.Tylerm’avaitproposédelesuivredanscetteaventureimprobable:lamusique,lestournées,lessoiréesinterminables.Parce
que l’idée d’être loin de luim’était insoutenable, j’avais accepté.Avec le recul, je pense quemessentimentspourTy,déjààl’époque,dépassaientlestadedel’amitiépureetdure.
Un mois plus tard, il signait dans une maison de disques. Ce soir-là, il m’avait proposé dedevenirsacuisinière.Jesavaisquec’étaitpourembêterPaulquinevoyaitpasd’unbonœilqu’unefille—meilleureamieounon—traîneautourdugroupe.
Maistoutcequicomptaitàmesyeux,c’étaitd’êtreaveclui.J’avaisaiméchaquesecondedecettevieitinérante,jusqu’àcettenuit,danscettesuiteluxueuseà
NewYork,oùnousavionsfiniparnousperdreetmassacrernotreamitié.L’ouverturedesportesdel’ascenseurmesortitdemessouvenirs.Nousétionsarrivésàl’accueil
de l’immeuble. Ma respiration s’apaisa. Des yeux, je suivis les gens qui sortaient de l’ascenseur.Jonah,sonbatteur.Ann,l’attachéedepressedugroupe.JefixailedosdeTy,espérantqueledestinmesoitfavorable.
Ses épaules se soulevèrent et il esquissa un mouvement de la tête. Pendant une fraction deseconde,lemondes’arrêta.Ilallaitmevoir.
—Ty?Allez!Onaencoreuneinterview!Ilsoupiraetsesépaulessetendirentbrutalement.Ilsortitdel’ascenseuretjeluiemboîtailepas,
restantàunedistanceprudente.Dehors,letempsclémentdemonarrivéeavaitviré.Unepluiefineetdésagréablemouillaitlestrottoirs.Jepestaiintérieurement,tandisqueTyrevissaitsacasquettesurlatête.Ilsedirigeaverslaberlineauxvitresteintéesquil’attendait.
La portière était ouverte et le chauffeur attendait. Jeme retrouvai sous la pluie, incapable debouger,fascinéeparladémarchedeTyqui,têtebaissée,ignoraitlesquelquesphotographespatientantprèsduparking.Ils’installasurlabanquetteet,àl’instantoùlaportecoulissanteserefermaitsursonvisage,nosregardssecroisèrent.
Sonvisagesepeignitdesurpriseet,delamain,ilretintlaportière.Ilsortitdelavoitureetmedévisagea une courte seconde. La stupéfaction avait déjà disparu, pour laisser place à un voile dedouleur.Moncorpsengourdidepuisdixminutes—ouétait-cedepuistroismois?—seréveilla.Jetournailestalonsetremontailetrottoiràgrandesenjambées.Jenepouvaispasfaireçamaintenant.
—Claire!La voix de Ty transperça le bruit rythmé et violent de la pluie. J’accélérai le pas, espérant
naïvementledécourager.D’ungestedelamain,j’essuyailapluiesurmonvisage.—Claire!S’ilteplaît,arrête!Jel’entendiscourirderrièremoiet,dansungestebrutal,ilm’agrippaparlecoude.Malgrémoi,
jepivotaiet,pouréviterunechutehonteuse,meretintàsonsweat.Jeleserraidetoutesmesforces,retenantleslarmesquimenaçaientdecouler.
Tymesurplombaitd’unebonnetête.Soncorpstenduetpuissantrestaitimmobile,indifférentàlapluieetauxphotographesquinousentouraient.Iltentadeprendremamaindanslasienne,maisjemedérobaietm’écartaidelui.Jelançaidesregardsnerveuxautourdemoi,captantdansmonchampdevisionlevisageéberluédeJonah,prèsdelavoiture.
Soudain,Tyouvritunparapluieetenroulasonbrasautourdemataillepourm’attirercontrelui.—Qu’est-cequetufais?demandai-jeenmedébattant.—Jet’accompagneàlavoiture.Ilfautqu’onparle.—Maintenant,tuveuxparler?Tuastroismoisderetard,Ty,ripostai-jeavecamertume.—S’ilteplaît,Claire,montedanscettevoiture.—Horsdequestion.J’aidémissionné,tuterappelles?Tun’asplusd’ordreàmedonner.
Jem’immobilisaietreculai.Tymetoisait,lamâchoireserréeetlamaincramponnéeautourdesonparapluie.Ilsemblaitperduetdésarçonnéparmaréaction.
—JeparlaisàClaire,monamiedepuiscinqans,pasmonemployée!Jet’enprie,montedanscettevoiture.
Entempsnormal,j’auraisfonducommeneigeausoleil.Tyétaitsincère.Jelevoyaisàsafaçondemeregarderavecinsistance.Sesyeuxgriss’assombrissaientpeuàpeu.Ladernièrefoisquejelesavaisvusdecettecouleur,jequittaissavie.
—Tyler?crialavoixdeJonah.—Mets-toi aumoins à l’abri, proposa-t-il en désignant le parapluie.Tu vas finir par attraper
froid.Ilesquissaunsourireet,sansattendremaréponse,approchademoietnousabritatouslesdeux.
Nosdeuxcorpssefrôlèrentetcen’estqu’unefoisprotégéedelapluiequejeréalisaiquemonjeanétaittrempéetmecollaitdésagréablementauxjambes.
—Unairdedéjà-vu,murmura-t-ilenrivantsesyeuxauxmiens.—Nerendspasleschosespluscompliquées.Jesuispartie.—Etjeveuxquetureviennes.J’aibesoindemameilleureamieavecmoi,j’aibesoindetoi.—Parcequetunemangesplusquedesplatscuisinés?—Parcequetumemanques,Claire.Tonrirememanque.Il se pencha lentement vers moi et je suffoquai presque, étouffée par la tension qui nous
entourait. Il saisitunemèchehumidedemescheveuxentre sesdoigts et jouaavec,perdudans sespensées.
—J’ai toujourspenséque toutcelaseraitbeaucoupmoinsbiensans toi.Maintenant, j’ensuissûr.
—Ettuavaisbesoind’éprouvertesconvictions?J’étaisunedesraresàosermettreTydevantsesresponsabilités.Jerefusaidejouerl’hypocriteet
desourireàsesfrasques.J’enavaistropvu,tropsupporté,etjerefusaid’êtrelaseuleàavoirmal.Ildevaitsouffrir.Aumoinsautantquemoi.Denousdeux,j’étaiscellequiavaitfaitleplusd’efforts.
—Parfois, j’agicommeunidiot.Laplupartdutemps,tumeremetssurledroitchemin.C’estcommeçaqueçafonctionne,Claire.Jefoustoutenl’airettuarrangesleschoses.
Il plaça la mèche de cheveux derrière mon oreille et m’adressa un sourire hésitant, qui meterrassa.Ilétaitsincère.Pendantuneseconde,j’envisageailapossibilitéderevenir,dereprendrenotreamitiébancale.Maislesouvenirdemadouleuretdesonregardcolériqueresurgitimmédiatement.
—Taprésencememanque,murmura-t-il.Jeveuxquetureviennes.Jeveuxqu’onredevienneTyetClaire.Commeavant,ajouta-t-il.
—Commeavant?répétai-je,lavoixbrisée.Commeavantquoiaujuste?Avantqu’oncoucheensemble?Avantque jebossepour toi?Avantque tumementesdanscetascenseur?Avantquoi,Ty?
Sonregardsevoilaetilrecula,lestraitsdesonvisagecrispésparlacolère.Jesecouailatête,désemparéeetdépitée.
—Vatefairefoutre,Ty.Ilvacillasursesjambes,maisn’esquissaaucungestepourmeretenir.Jereculaideplusieurspas,
avant de tourner les talons et de reprendremon chemin. Je réalisai seulementmaintenant quemoncœurquejepensaisdéfinitivementbrisédepuistroismoisétaitentraindesedisloquerlentement.Enlarmes,jemedirigeaiverslerestaurantdeDiane.J’étaistrempéeetencolère,maisjedevaistrouverunrefuge,trouverunprétextequimetiendraitéloignéedeTy.
Pour une raison qui me dépassait, je mourais d’envie de rebrousser chemin et d’accepter derevenirauprèsdelui.Mafiertépiétinéeetagonisantem’empêchaitpourtantdelefaire.
Hors d’haleine et dévastée, je passai le seuil du restaurant de Diane. Celle-ci me dévisageapendantquelquessecondes,avantdehausserlesépaules.
—Jet’avaisditdeprendreunparapluie.—Jemesuisfaitsurprendre,marmonnai-je.—Tuasdistribuélescartesdevisite?Je tressaillis et enfonçai mes mains dans les poches de mon tablier. Dans le choc de mes
retrouvaillesavortéesavecTy,j’enavaisoubliémamissioncommerciale.—Achaqueétage,mentis-je.—Bienessayé.Allez,rentre.Vaprendreunedoucheetremets-toidetesémotions.—J’aijusteprislapluie.Unnouveaumensonge.EtjereprochaisàTydenerienassumerausujetdenotrerelation.Jeme
sentaisdéloyaleet injuste.Si j’avaisunebonneraisondementiràDiane,peut-êtrequeTyavait luiaussiunebonneraisondementir,dansl’ascenseur,ausujetdenotredernièrenuit.
Jechassaiaussitôtl’idée.Ilyatroismois,Tyn’avaitrienfaitpourmeretenir,et,àvraidire,jen’avais trouvé aucune raison de rester. Etre son amie, travailler pour lui, gérer ses humeurs… Jesavais faire tout cela. Mais moi, je voulais plus. Je voulais qu’il me regarde autrement, qu’ilcomprennequej’étais,aufuretàmesuredesannées,tombéeamoureusedelui.Jelevoulaislui,leTyque je connaissais depuis l’université et qui riait de ma propension à subir la loi deMurphy. Cesouvenirnostalgiquemetiraunsourireetpansamoncœurmalmené.
Unjour,j’yarriverais.J’oublieraisTy.L’instant suivant, je ravalai un rire.Autant demander à laTerre de cesser de tourner sur elle-
même.Apres avoir lutté pendant deux bonnes heures pour trouver le sommeil, j’étais finalement
parvenueàm’assoupir.Dormirétaittropdemander.JerejouaislascènedemadernièrerencontreavecTy,encoreetencore,trouvantcettefois-cilesbonsmotsetlecouragedeluidirecequejeressentais.La colère m’avait désertée. Maintenant, je me sentais juste… vide, comme si, ces cinq dernièresannéesnecomptaientplus.Commesi,cescinqdernièresannéesn’étaientqu’unimmensetrounoir.
Alorsquejemeversaiunverred’eaufraîchepourmeréveillerunpeuplus,letéléphonesonnaetmefitsursauter.Jelaissaideuxsonneriespasser,avantdedécrocher,hésitanteetfébrile.Uncoupdefil,aumilieudelanuit,nelaissejamaisrienprésagerdebon.
—Oui?—DianeGarvik?—Euh.Non.Elle…elledort,enquoipuis-jevousaider?—OfficierKleinducommissariatdepolicedeBurlington.—Burlington?répétai-jed’unevoixblanche.Dianeapparutdanslesalon,ensommeilléeetlescheveuxenbataille.Ellemefitunpetitsignede
tête,cherchantàsavoirquiétaitàl’autreboutdelaligne.Jeposaimapaumecontrelemicro:—CommissariatdeBurlington.—Burlington?DansleVermont?s’inquiéta-t-elleens’asseyantsurlecanapé.—J’ai trouvévotrecartedans lapoched’un individuquenousavonsretrouvédans la rue.La
trentaine,brun,environunmètrequatre-vingts,petitebarbe,untatouageenformedenotedemusique
surl’épaule…—…droite,finis-jepourlui.Moncœurmanquaunbattementpendantqu’unscénariomorbideetdramatiquesedessinaitdans
matête.Mesjambesvacillèrentetjem’assissurlecanapé,justeàtempspouréviterdetomber.Mamainserraletéléphoneunpeuplusfort,pendantquejetentaidecanaliserlapaniquequis’emparaitdemoi.
—Donc,vousleconnaissez,continualepolicier.—Je…Euh…Oui.—Iln’avaitriensurlui,saufdixdollarsetvotrecarte.Ilestpassablementéméché.Etdoncvivant.Marespirationerratiquerepritunrythmenormaletapaisé.Tyétaitenvie.Envie
etàBurlington,àtroisbonnesheuresderouted’ici.JemeredressaietDianem’imita.J’articulaiun«C’estTy»,récompenséd’unhaussementdesourcilsstupéfait.
—Ecoutez,jen’aipasencoreappelélejuge.Sivousvenezlechercheravantleleverdujour,jen’auraismêmepasàremplirdedossier.
—Oh…Euh…Oui.Biensûr!Unevaguedefrénésieremplaçaleflotdepanique.Lecombinécontrel’oreille,jemeprécipitai
versmachambreetsortismavalise.Avecironie,jesongeaique,quelquesheuresauparavant,j’avaisfinalementdécidédelaviderpourdebon.Jelaposaisurmonlitetyjetaitoutuntasdevêtements,sansmêmeyprêterattention.
J’entendisDianes’éclaircirlagorgeetpivotaiverselle.—Monservicefinità5h30,vouspensezêtredanslestemps.—5h30?Euh…Oui.Dianelevalesyeuxaucieletdisparutdanslecouloir.Mavalisen’étaitqu’unamasdésordonné
devêtements.Jem’assissurlelitet,aprèsavoircoincéletéléphonecontremonépaule,entreprisdedéfairemongilet.
—Sansproblème,assurai-je.Quelleheureest-il?—Presque3heures.Génial.Merci,Ty,detesfantaisiesexotiques.—J’yserai,assurai-jed’unevoixforte.Jecoupailetéléphoneetlejetaiausol.Jerepoussaimongiletdelainesurlesépaules,avantde
passerunemainnerveusesurmonvisagefatigué.Quandjepensaisenavoirfiniaveclui,voilàqu’ilresurgissait.C’étaituncombatperdud’avance:j’avaiscertesdémissionnédemonposte,maisquitterTys’avéraitbienpluscompliqué.
Jeretiraimonbasdejoggingetenfilaiunjean.Alaplacedemongilet,j’optaipourunpullàcolrouléépaisetnoir.Jerassemblaimescheveuxdansunepince.Jerécupéraimesbasketssouslelitpuismeredressaietcherchaiduregardmontéléphoneportable.
—Qu’est-cequetucherches?m’interrogeaDiane.—Montéléphone.Tul’asvu?Jerepoussaimonoreiller,tâtailespochesdemonjogging,soulevaimeslivres.—Ilestlà,ditDianeenmeletendant.—Merci,murmurai-je.Je…Jedoisgérerceproblèmeet…—Dois-jedemanderquiestàl’origineduproblème?—Jeseraideretourvendredimidi,promis-jeenfermantmavalised’uncoupsecetpuissantde
lamain.
—Claire, tu n’as pas à faire ça. Il est près de 3 heures dumatin, tu n’as presque pas dormi.Burlingtonestàtroisheuresderoute.C’estdelafolie!
—Jedoisallerlechercher.C’estTy.Jenepeuxpaslelaisserlà-bas.Dianesoupiraetsecoualatête.Elles’installasurlelitetmedévisageaaveccirconspection.Elle
neconnaissaitriendemarelationavecTy.Ellepensaitquenousétionsamis,elleavaitcomprisquej’avaiscuisinépourlui,maiscesdeuxélémentsnesuffisaientpasàdéfinirmarelationavecTyler.Enun regard, il savait ce que je pensais et je devinais ce qu’il avait en tête. Ses tics, sesmanies, sescraintes,songraindefolie,l’originedesontatouagesurl’épaule…Autantdechosesquejesavaissurluietqu’ilnepartageaitqu’avecmoi.
—Jedoisadmettrequeleprocédéestparticulièrementastucieux,commenta-t-elle.J’allaidanslasalledebainsetrassemblailestrictnécessaire.—Ilaétéarrêtéparlapolice,luirappelai-je.—Tucroisqu’ilaétéarrêté.Ilaputoutaussibienpayeruntypepourdirequ’ilavaitétéarrêté.Je retins un rire nerveux. Tyler était tout à fait capable de faire ça. Je refusai cependant
d’envisagercettehypothèse.DanslecasoùTylerétaiteffectivementaucommissariat,jedevenaisenunenuitlafillesympaetserviable.
S’ilavaitmenti,enrevanche,jen’étaisqu’unefillecréduleetnaïve.—Ilsaitquetuvasaccourirdanslaseconde,ajouta-t-elleuntonplushaut.—Biensûrqu’illesait.Noussommesamis,Diane.Jesaisquetunecomprendspas,ettunesais
pastout,maiscequimelieàTylerest…indéfinissable.Ilaétélàpourmoiquandpapaestmort,etj’ai été là pour lui quand le sien est tombé malade. C’est Tyler, résumai-je en revenant dans lachambre.
—Etjecroyaisquetuétaisicipourl’oublier?—C’estTyler,répétai-je.Diane me fixa et sourit avec indulgence. Je n’avais pas de meilleure explication à mon
comportementfrénétiqueetincohérent.Elleseredressaetposasesmainssurmesépaules,sesyeuxnoisettes’ancrèrentdanslesmiens.
—Iladelachancedet’avoir,murmuraDiane.—Jevaisluibotterlesfesses.Jepensequ’ilvaregrettersachance.—Votrerelationestvraimentbizarre.Ettordue,ajouta-t-elle.Surtoutpourdesamis.Jebaissailesyeuxsurmesmains,réalisantquejemaltraitaismatroussedetoilettes.Jeréalisai
quemes habitudes reprenaient le dessus. En tournée, j’avais l’habitude de faire une valise à toutevitesse.Unelistepréétabliesedéroulait inlassablement :vêtements,chaussures, téléphone,brosseàdents.Jem’accroupisprèsdemavaliseetlarouvrispourm’assurerquejen’avaisrienoublié.Unediversioncommeuneautre.J’avaispassélestroisderniersmoisàtenterd’oubliernotredernièrenuit,à faire comme si Ty n’était plus qu’un vague souvenir enfoui dans les profondeurs demon esprit.Diane,sanslevouloir,appuyaitlàoùcelafaisaitmal.
Trèsmal.—Claire?Tucomptesfairesemblantdem’ignorerencorelongtemps?—Jenet’ignorepas.—Eneffet,tuignoreslasituationavecTyler.—LasituationavecTylerneregardequemoi.EtTyler,ajoutai-jedurement.— Tu as débarqué ici en m’interdisant de poser des questions, Claire. Et maintenant qu’il
appelle,tudétalesdanslaseconde.J’aidûmalàtesuivre.Cen’estpas…sain,commerelation.
Un sourire flotta surmes lèvres.Dianedarda son regard surmoi, bras croisés sur sa poitrine,pendant qu’un doux parfum d’autorité l’enveloppa. J’avais l’habitude des regards curieux sur marelationavecTy.J’avaisl’habitudedesquolibets,desrumeurs,desjugements.Si,audébut, jem’enétaisémue,Tyavaittrèsvitetrouvélaparade:leslaisserimaginercequ’ilsvoulaient.
Maintenant,cespetitesremarquesnemetouchaientplus.J’enriaismême.—Tuasraison:Tyetmoinousnesommespasamis,dis-jefinalement.Ma déclaration la désarçonna et ses bras tombèrent le long de son corps. Je profitai de sa
stupéfactionpourprendremavaliseetladéposerprèsdelaporte.—Claire?—Oui?—Quelleheureest-il?—Apeuprès3heures.Pourquoi?—Etqu’est-cequetut’apprêtesàfaire?enchaîna-t-elle.—Jesaisoù tuveuxenvenir, ironisai-jeenrétrécissant leregard.Etpour terépondre,oui, je
suis amoureuse de lui. Et, non, ce n’est pas réciproque. C’est pour cette raison que je reviendraivendredi.
—Onparie?Jelevailesyeuxauciel.UnemauvaisehabitudequeTym’avaitrefiléeetquifaisaitriretoutle
groupe.Aumoins,notrerelation—quiintriguaitlaplupartdutemps—faisaitaussisouventrire.Amon retour ici vendredi, c’est ce que je retiendrai de ma relation avec Ty : des rires et le choixcornélienentremoutardeetcornichon.
Passimal,pourcinqansderelation!—D’ailleurs,commentvas-tudansleVermont?medemandaDiane.Jeluiadressaiunlargesouriresuppliant.Ellenecautionnaitpasmoncomportement,maiselle
avaitlecœursurlamain.J’étaiscertainequ’ellemedépannerait.—Tun’avaispasunevoitureavant?—Si.Mais je l’ai laissée àNewYork.Cadeau deTy, précisai-je en voyantDiane froncer les
sourcilsdeperplexité.—Bahvoyons.J’aidumalàsoutirerdesfleursàJamespourmonanniversaire,maistoi,tuas
unevoiture.—Unejeep,enfait.Diane soupira et fouilla dans son sac à la recherche de ses clés. Le souvenir demon dernier
anniversairemetiraunsourire.Tyétaittellementfierdesatrouvaille.Ilavaitposésesmainssurmesyeuxetm’avaitguidée jusqu’augarage.Legroupesurnos talons,sonexcitationétaitpalpable :Tyétaitunadultequiavaitgrandicontresongré.Dèsqu’ilpouvaitêtreirresponsable,ill’était.M’offircettevoitureétaitunacte100%irresponsable.
D’ailleurs,j’avaisrefusécecadeau,argumentantduprix,delafoliefurieusedeTyetdufaitquenousétionstoujoursentournée.
—J’ai passé l’après-midi à nouer ce fichunœud sur le capot.Tun’as pas le droit de refuser,avait-ilrépondu.
—Tunepouvaispasm’offrirdeslivres?OudesDVD?—Ilssontdanstachambre.IlavaitgrimpédanslajeepetchantéJoyeuxAnniversaire,aurythmeduklaxon.Encoreunfou
riremémorable.J’enavaispleurédejoie.Hilare,jel’avaisrejointdanslajeep.Unsourirelumineuxbarraitsonvisage,sonregardacierpétillaitdebonheur.
—Ettunesaispaslemeilleur,avait-ilditenriant.Ilavaittendulamainetouvertlaboîteàgants.Jem’attendaistoujoursàtoutavecTy.Cesoir-là,
aprèsdegrandseffetsdebras,ilavaitsortiunparapluiedelaboîteàgants.Nosriress’étaientéteintset nous nous étions fixés comme si c’était la première fois que nous nous découvrions. Le groupes’étaitdéjàdisperséetnousnousétionsétreintsavecforce.
Leplusbeaudescadeauxfutle«Merci»qu’ilmurmuraàmonoreille.Plustard,danslasoirée,nousétionsmontésdansmachambre.Aprèsseulementdixminutesde
DVD,Tys’étaitendormi,sonvisageapaiséetsereinenfoncédansmonoreiller.Lebruitdesclésmesortitdemarêverie.Dianemeleslançaetjelesrattrapaimaladroitement.—Vendredimatin,c’estça?— C’est ça. Au plus tard, assurai-je en saisissant ma valise. Je le ramène à New York et je
reviensici.Jefourrai lesclésdansmonsac,cherchaimavestedesyeux,m’agaçaisur lafermeturequise
coinçaàmi-cheminavantderetourneràmachambrepourvérifiersijen’avaisrienoublié.Commesijen’allaispasrevenir!memorigénai-je.Diane m’arrêta et posa ses mains avec apaisement sur mes épaules. Ses yeux trouvèrent les
mienset je remarquai lespetites ridesqui entouraient sesyeux.Loinde jugerma relationavecTy—malsaineétaitsûrementunadjectifadéquat,detoutefaçon!—,ellesemontraitrassurante.
—Hey, je suiscertainequeTyvabien,dit-elledoucement.Et jepenseques’il amontécettehistoiredetoutespièces,iltientvraimentàtoi.
—Tys’esttoujoursmontréunpeu…extravagant.Avendredi?—Nefaispasdepromessesquetunetiendraspas.—Jenelefaispas.Jereviendraivendredi,assurai-je,lamainsurlapoignéedelaporte.Le froid me saisit dès que je mis le nez dehors. Je posai ma valise dans le coffre et mis le
chauffageàfond,dansl’espoirdesentirànouveaumesorteils.JeconduisaisauméprisdesrèglesduCodede la route. J’allais tropviteet,à la faveurde lanuit, jegrillaimêmequelques intersections.Depuis trois mois, j’avais fait mon possible pour oublier ma dernière conversation avec Ty.Maintenant,elleresurgissaitavecviolence,ellehantaitmespenséesetmerappelait,avecamertume,monhumiliation.
—Jevaisretournerdansmachambre,avait-ilmurmuréàmonoreille.Unfrissonmeparcourut.Aveclerecul,jemetrouvaisidioted’avoircruqueTyassumerait.Je
luienvoulaisencore,j’avaisencoredesrestesdelaragefollequim’habitaitquandj’étaissortiedesavie.
Il m’avait serrée contre lui, mon torse puissant s’écrasant contre mon dos. J’avais fermé lesyeux,éblouieparlespremiersrayonsdusoleiletrefusantd’affronterlesconséquencesdenotrenuit,quisonnaitmaintenantcommeladéfinitionparfaited’un«momentd’égarement».
—Tupeuxresterici,avais-jerépondu.—Ilvautmieuxquejeparte.Crois-moi.Ilvautmieuxquecelaenrestelà.—Uneerreur,donc?—D’icidemain,ondiraplutôtunjolisouvenir.Ilm’avaitembrasséesurl’épaule,puisseslèvresavaienttracéunsillonbrûlantcontremapeau,
remontantjusqu’àmonoreille.Sesmainsavaientquittémoncorps,ilavaitlaissééchapperunderniersoupiret,ensuite,ilétaitparti.
Cematin-là, jen’avaisverséaucune larme,n’avaiseuaucun regret.Nousavions fait l’amour.Nousenavionseuenvie tous lesdeux, jen’avaismêmepaspuleblâmerpourça.Je luienvoulais
d’êtreparti,jeluienvoulaisd’avoirparlédesouvenir,jeluienvoulaisd’avoirprisseulsadécision.Maispourcettenuit,pourcequ’ilm’avaitfaitressentir—delajoie,dudésiretl’impressiond’êtreunique—,jen’arrivaispasàêtreencolère.
Je franchis la limite entre le Massachusetts et le Vermont au lever du jour. Il était presque6heures.Jen’avaisaucunechanced’arriverdanslestemps.L’idéesaugrenuedeDiane,ausujetd’unpotentielguet-apens,merevintenmémoire.Sijen’avaispaseumaconfrontationavecTyquelquesheuresauparavant,àlasortiedel’ascenseur,jen’yauraisjamaiscru.
Mais,maintenant,évidemment,j’avaiscettepointededoute.Ilvoulaitquejerevienne.EtcequeTyveut,Tyl’obtient.Oupresque.
—SalutClaire!Maisqu’est-cequetufichesaveccettevalise,onnepartquedansdeuxjours?avaitdemandéJonahendévorantunpetitpain.
—Jepars.Ilavaitri.Commesil’idéeétaitabsurde,commes’ils’agissaitd’unevieilleblaguerécurrente.A
maminesérieuse,ilavaitcompris.—Tylesait?—Jetelaisselesoindeluidire.J’avaisété suffisammentblesséedansma fierté.AffronterTyn’étaitpasunepriorité.L’éviter
me convenait. J’avais tourné les talons, refermé mes doigts sur la lanière de mon sac et faitmagistralementdeuxpas.Deuxpas,avantquelavoixdeTynemeparvienne.
—Qu’est-cequetufais?Legroupeavaitdisparudansuneenvoléedemoineaux.Jem’étais retrouvéeseuleavecTy,au
milieude lasallederéceptionquinousétait réservée.L’odeurdecafém’avait révulséeet lesœufsbrouillésquej’affectionnaisnormalementnem’avaientfaitaucunementenvie.
—Jepars,Ty.—Acausedecettenuit?—Acausedescinqdernièresannées.Il avait réduit l’espace entre nous,mais était resté prudemment à distance. Il avait planté ses
yeuxdanslesmiens,maisjen’yavaisriendécelé.Aucunetristesse,aucunregret,aucunejoie.—Alors,pouruneerreurdeparcours,tudécampes?—Jepensaisêtreunjolisouvenir?—Tusaiscequejeveuxdire.—Non,jenesaisplus.Plusdepuishiersoir,depuisquetuasdébarquédansmachambre.C’était
quoi,cecirque?Unvaguedésiràsatisfaire?Unterritoireàmarquer?Unpari?Tuvoulaissavoircequeçafaitdesautersameilleureamie?
—Neparlepasdetoicommeça!— Ce n’est pas moi, Ty. C’est ce que tu m’as fait ressentir ce matin en retournant dans ta
chambre.Alorsquoi?C’esttonimagequit’inquiète?—Nedispasn’importequoi.Tusaiscommemoiquejen’yattacheaucuneimportance.Cequi
comptepourmoi,c’esttoi.Uniquementtoi.Sonregards’étaitassombri.Ilavaitserrélespoingsetsoncorpstoutentiers’étaittendu.J’avais
oséluirésister,j’avaisoséluimettredeslimites.Ilavaitfiniparbaisserlesyeuxetparabandonner.Iln’étaitpasrestécematin…etilnemedemandaitpasderestermaintenant.J’avaisravalémes
larmes.Toutçapourunenuit.Unvéritabledésastre.—Ilfallaitypenseravant.Etj’étaispartie.Videethagarde,j’avaisprisuntaxietjem’étaisrendueàl’aéroport.
Ça faisait troismois. Une éternité dans notre amitié. Je resserrai lesmains autour du volant.J’avaisressassécetteconversationunbonmillierdefois,sansjamaisytrouveruneissuefavorable.Ilavaiteutortetj’avaiseuraisondepartir.
J’avais espéréun appel, des excuses, pourquoipasdes fleurs. J’avais espéréquemonabsenceprovoqueunerévélation,qu’ilcomprendraitmessentimentsetqu’ilenauraitenretour.
EtreamoureusedeTyétaitunsecretlourdàporter.Cettenuit-là,j’avaishonteusementrêvéqu’ilportaitluiaussiunlourdsecret.
Mais j’avais eu tort de croire que tout serait aussi facile.OublierTy était compliqué.Oubliernotrenuitétaitimpossible.Etmaintenant,jemeretrouvaiàquelqueskilomètresducommissariat,enpleinmilieudelanuitdansunEtatquejeneconnaissaisabsolumentpas,prêteàramenerTyàNewYork:unépilogueinattenduànotreamitié.
Quandjemegaraidevantlepostedepolice,lapluietombaitfinement.Unefaiblelumièrefiltraitàtraverslesrideaux.Jeprisuneprofondeinspiration,saisismonsacetsortisdelavoiture.Jerelevaimoncoletrentrailesépaules,prêteàaffronterlasituation.Jesonnaiàlaporteetattendisquelquessecondesavantquel’agentn’entrouvrelaporte.
—JevienschercherTylerTanner,annonçai-je.Ilm’ouvritlargementetmelaissaentrer.Celamesoulagea.Aumoins,ilnes’agissaitpasd’un
coupmonté.L’intérieurétaitsurchaufféetuneodeurnauséabondedefriturem’agressa.—Vousêtesenretard,mefitremarquerl’agent.—J’étaisàBoston.Ilyaunpeuderoute.Maismercid’avoirattendu.Lepoliciermetoisa,avantdedirigersonattentionsurcequejesupposaiêtreledossierdeTyler.—Pourquoil’avez-vousarrêtéaujuste?—Troubleàl’ordrepublic.Votreamichantaitdanslesrues,unebièreàlamain.Vusonétat,ce
n’étaitpaslapremièrequ’ilbuvait.—Bien.Jevaisleramenerchezlui.Jefixail’agent,espérantqu’ilcomprennequejevoulaisenfinirauplusvite.Jen’étaispasvenue
pour échanger des politesses avec les autorités locales. Je devais ramenerTy chez lui… et ensuiterentrerchezDiane.Chaqueminuteperdueicim’éloignaitdeBoston.
L’hommecontournasonbureauetsaisituntrousseaudeclés.—Suivez-moi.Jem’exécutai,deplusenplusmalàl’aise.Leslieuxétaientlugubresetjeredoutaimonface-à-
faceàveniravecTy.Vermont-NewYork.Quatreheuresderoute.Jepouvaislefaire.L’agentmemenadansuncouloirsombreet,auboutdecelui-ci,jetrouvailapetitecelluledeTy.
Heureusement,pasdebarreaux.Justeuneportemunied’unepetitefenêtredecontrôle.— A mon avis, vous allez devoir faire un petit tour par l’hôpital, commenta l’agent en
déverrouillantlaporte.—Ilestblessé?—Unebelleentailledanssamaindroite.Jevouspréviens,ilestdansunsaleétat.—Jem’attendsàtoutaveclui,soupirai-je.Il ouvrit la porte et Ty apparut, assis sur un banc crasseux, tête basse et sa chemise blanche
tachéedesang.Unepointedetristessemeperçalecœur.Iln’étaitquelefantômedelui-même.Macolèrepersistantes’évaporaaussitôt.Ilavaitbesoindemoi,et,paradoxalement,j’avaisaussibesoindelui.Notrecomplicitémemanquait.Nosfousriresmemanquaient.
Ilmemanquait. Plus que de raison, plus qu’une relation normale ou qu’une amitié sincère lejustifiait.
—SalutTy,murmurai-jeavecprudence.Ilrelevalatêteetsesyeuxgrisclairtrouvèrentlesmiens.Jerisquaiunfaiblesourire,auquelil
répondit. Je remarquai ses poings serrés et ses chaussures sans lacets. Je brûlai d’envie de luidemander des explications : pourquoi ici ? Pourquoi moi ? Pourquoi ce visage dévasté et cet airsombre?
Ilselevadesonbanc,ignorantlaprésencedupolicierprèsdemoi.—Salut,dit-ilàsontour,avecunefêluredanslavoix.—Onyva,annonçai-jeaupolicier.Je tournai les talons et remontai le couloir jusqu’au petit hall d’entrée du commissariat. Un
silencedeplombnousentoura,seulementbriséparlebruitdemestalonscontrelecarrelage.Jemepostai devant la porte d’entrée, attendant patiemment que Ty récupère ses lacets et ses quelquesaffaires.JerepérailacartedevisitedurestaurantdeDiane,qu’ilglissadanslapochedesachemise.
—Etquejenevousrevoieplusdanslecoin,leprévintlepolicier.—Çanetientqu’àelle,réponditTyenmedésignantd’unmouvementdumenton.Jelefusillaiduregard.Mefaireporterlechapeauétaitlacerisesurlegâteau.Tym’adressaun
sourirelumineux,àpeinetorduparsacicatrice,mélangedesatisfactionetdedéfi.—Allons-y,marmonnai-je,mécontente.Sansattendre,jefranchislaporteetdéverrouillailavoiture.Jedétestaiquandiljouaitavecmon
humeur. J’étaisadulte, jen’avaispasàcomposeravecsescapricesd’enfantgâté.Parceque j’avaisenfincomprisquemefairevenirn’étaitfinalementqu’uncaprice.J’avaisfoncétêtebaissée,sourdeauxremarquesdeDiane,hermétiqueàtoutetentativederaisonnement.
Tygrimpadanslavoitureetétenditseslonguesjambessurletableaudebord.—Assieds-toicorrectement,luiintimai-jeensortantduparking.—Tuvasmegronder?—Franchement, tumériteraisque je tebotte les fesses jusqu’àPluton.Unaller simple, çava
sansdire.—Ahoui.Pluton,quandmême!s’étonna-t-il.Sans le regarder, je savais qu’il souriait. Cela m’agaçait d’autant plus. Il n’avait aucune
consciencedecequej’avaisressenti,ilsefichaitdemacolère,ilfaisaitcommesinotreamitiéétaitindemne.PourTy,lavieétaitjusteunespaceimmensedevagabondage.
—Pluton, oui ! râlai-je. Jeme suis inquiétée, Ty. J’avais à peine dormi et j’ai dû prendre levolantpourtesortird’ici.Tun’esqu’un…
—Quoi?Jesuisquoi?mecoupa-t-il,soudainementtrèsconcernéparcequejepensaisdelui.—Uninconscient,doubléd’uningrat!Unenfantquifaituncaprice!Etnesourispascomme
ça!m’énervai-jeenvoyantseslèvressesouleverdansunhorripilantsourire.—C’estbondeterevoir,dit-ildoucement.Tumemanques,Claire.Jesecouailatête,refusantmêmel’idéedecontinuercetteconversation.Jesavaiscequ’ilétaiten
train de faire. Il voulait désamorcer la grenade et canaliser ma colère avant qu’elle n’explose. Iln’avaitpaseugaindecausedevantl’immeuble,tropprisdecourtpouravoirpréparéunargumentaireefficace.
Cettefois,ilavaiteulajournéeetunepartiedelanuitpourpréparerunestratégie.—Tumemanques,répéta-t-il.Jeneveuxpasrepartirenstudiosanstoi.—Etpourquoiça?—Parcequetubatslamesureavectesdoigtsderrièrelavitre.—Jetedemandepardon?
—Tubatslamesure.Je le regardaiducoinde l’œil,mesmainscrispéessur levolant.Samaingaucheétaitsurson
genou et il bougea ses doigts, suivant un rythme que lui seul entendait. Mon cœur s’affolastupidement. J’avais fait ce geste desmilliers de fois, sansmêmem’en rendre compte.Qu’il s’ensouvienne,qu’illereproduise,m’émouvait.
—Tubatslamesure,dit-ilànouveau.Enstudio.Etdansmavietoutentière.Jemerdequandtun’espaslà.
—Nesoispassimodeste!Tumerdesparfaitement,mêmeavecmoi,contrai-je,acerbe.—Certes.Maistueslaseuleàmeledire.Ettufaislesmeilleurspancakesdetoutlepays!Je
veuxquetureviennes.Claire,s’ilteplaît.Çamerenddinguedeneplustevoiretdeneplusteparler.Jeveuxterevoirenstudio.
—Sijedisouiàça,tumedemanderasdetesuivreenconcert.—Evidemment.J’adoretevoirteservirdetabouteilled’eaucommemicro.—Jenefaispasça,mentis-je,dansunrougissement.—Tu le fais.Etavantchaqueconcert, tu faisçaaussi, ajouta-t-il enprenantmamaindans la
sienne.Il crocheta nos deux mains et passa son pouce calleux sur mes phalanges. Un frisson me
parcourutetj’arrachaimamaindelasienne.De toutes mes habitudes avec Ty, je devais admettre que c’était peut-être celle-ci qui me
manquait leplus : lemomentdecalme—calme tout à fait relatif, au regarddeshurlementsde lafoule—pendantlequelTyetmoiéchangionsquelquesmotsjusteavantsesconcerts.
—Noussommesliés,Claire,tunepeuxpaslenier,serenfrogna-t-il.—Jeneleniepas.—Alorscessedejouerl’indifférente.Un rire tristem’échappa. Je lançai un coup d’œil à Ty, qui, d’humeur un peu plusmaussade
maintenant,fixaitlaroute.Quelquesgouttesdepluies’écrasèrentcontrelepare-brise.—Parcequ’évidemment,tusaiscequ’estl’indifférence?—Nousyvoilà ! soupira-t-il avecsoulagement.Lagrandescènede la trahison !Tuasquand
mêmeattenducinqminutespour…Jefreinaibrutalementsurlaroutehumide.Tysecramponnaàsonsiègependantquelespneus
crissaient sur lemacadam. J’en avais assez de son comportement, assez de subir ses remarques auvitriol,assezderéaliserquej’avaisétéprisepouruneidiote.
—Sors!criai-je.—Quoi?Jesortisdelavoiture,enoubliantledébutd’averse,etmedirigeai,furieuse,verssaportière.Je
tiraidetoutesmesforcessurlapoignée.Tyeutlebongoûtderetirersonmasquedenonchalanceetdeseredresser.
—Sorsdecettevoitureetdébrouille-toipourrentreràNewYork.D’iciuneheureoudeux,avecunpeudechanceetunjolisouriredeséducteur,tutrouverasbienuneâmecharitablepourteprendreenstop.
Ilselevadesonsiègeetapprochademoi.Lapluies’intensifia,mouillantlebasdemonpantalonetmescheveux.
—Sors,murmurai-je.Laisse-moitranquilleetoublie-moi.—Cen’estpascequetuveux.Etcen’estpasnonpluscequejeveux.
Les trois derniers mois me semblaient presque doux, par rapport à la douleur aiguë quitransperçaitdésormaismoncœur.Commes’ilavaitexploséetquechacundeseséclatss’étaitenfoncédans ma chair. Ty posa sa main sur ma joue et m’attira contre son torse. Sous la pluie et dansl’obscurité,nosretrouvaillesmesemblaientsurréalistes.
Jeposaimesmainscontre son torseet fermai lesyeux,pendantqu’ilm’entouraitde sonbrasvalide. Je n’avais jamais ressenti des sentiments aussi contradictoires : j’étais heureuse de leretrouver,maisencolèrecontrelui.Tellementencolère.
Ama grande surprise, Tyler brisa le silence. Il repoussames cheveux trempés et son soufflecaressalapeaudemoncou.
—Ma vie n’est qu’un tas de cendres depuis que tu es partie. L’album a pris du retard, Paulmenacedemefairevirerdugroupe.Tubats lamesure,Claire, tumeguides, tumefais rire, tumecomprendsenuneseconde.Jesuisencolèredenepast’avoirretenue.
Jerelevai lesyeuxvers lui.Tymefixaitavecsincérité.Peut-êtrequec’était lemomentd’êtrehonnête,ici,souscettepluieglacée.Sesmainsremontèrentlelongdemondosetjefrissonnai.
—Jesuisencolèrequetusoispartiauréveil,dis-je.—Jenesavaispasquoifaired’autre.Je réprimai un bâillement,mais cela n’échappa pas à Ty. J’étais épuisée de ces trois derniers
mois,épuiséedecettenuit,épuiséedeluttercontrel’envied’êtreaveclui.—Ilyaunhôtelàlasortiedelaville.Ondevraitprendreunechambreet…—Uneseule?— Si on doit discuter, on y arriveramieux dans une seule etmême pièce. En tout cas, on y
arriveramieuxquesouscettepluie.Saufsi…—Saufsiquoi?m’agaçai-je.Sonsourireenfantinmefit redouter lepire.Jem’écartaide lui,mais ilmeretintet fronça les
sourcils,mécontent.—Net’échappepas.Donc,tuaslechoix,soitlachambred’hôtel,soitici.Maissic’estici,ilva
falloirqu’ontrouveunparapluie.—Tuveuxmerefairelecoupduparapluie?dis-jeenretenantunrireidiot.D’ungesterapide,ilrepoussalescheveuxhumidesquimasquaientsonregardgrisclair.Ilarqua
unsourciletsonsourires’élargitdefierté.—Cettehistoiredeparapluieestlameilleureidéedetoutemavie.—C’étaittrèsromantique,eneffet…Sionmetdecôtélabronchitequiasuivietquim’aclouée
au lit pendant trois jours. Allons à l’hôtel, proposai-je en contournant la voiture pour retournerderrièrelevolant.
—Etvoilà,lameilleureidéedetoutetavie!seréjouit-il.—Jepréfèretebotterlesfessesausec.Etàl’abridesregardsindiscrets.Ensuite,jeteramènerai
àNewYork.Nous rejoignîmes un des hôtels situés à la sortie de la ville. Le Green Lodge ne tenait pas
vraiment la distance face aux palaces que nous avions eu l’habitude de fréquenter. Ty arborait unsourirelumineuxetsefrottaitlesmainsd’impatience.
—Amonavis,tupeuxfairetesadieuxauroom-service!ironisai-je.—Nemesous-estimepas!Lehalldel’hôtelétaitsombre.Ladécorationsommaireavecdesmeublesenpinetunemoquette
beigeuséejusqu’àlacordeparticipaitàl’ambiancemorose.Jejetaiuncoupd’œilversTy,qui,avecsachemisemaculéedesang,sabarbeetsescheveuxmouillésfaisaitpresquepeuràvoir.Sablessureà
la main ne saignait plus. Aller à l’hôpital avec Ty était hors de question : une infirmière lereconnaîtraitetauraitlemauvaisgoûtderameuterlapresse.Ilmefaudraitlesoignerici.Iltapasurlasonnettedel’accueiletnouspatientâmesquelquesinstants.
—Laisse-moiparler,d’accord?luidemandai-jeàvoixbasse.—Etpourquoi?—Parceque tu as l’air d’unpsychopathe, ravi de sondernier crime.Tun’aspas ta casquette
habituelle?Une jeune femme d’environ trente ans se présenta finalement. Elle tressaillit en voyant Ty et
lissa sonT-shirt. Je soupirai lourdement. Ilne luiavaitpas fallucinqsecondespour le reconnaître.J’espérai juste qu’elle n’allait pas s’en réjouir auprès d’un journaliste quelconque, ou pire, sur lesréseauxsociaux.
—Nousavonsbesoind’unechambre,dis-je.—Uniquementpourquelquesheures,complétaTy.Jepivotaiversluietluiadressaiunregardassassin.Ilhaussalesépaulesetfourrasesmainsdans
son jean.Quand il voulaitmemettredans l’embarras, il excellait. Jeme tournai ànouveauvers lajeune fille.ElledévisageaitTyavec curiosité et avait trouvé le tempsdepasserunemaindans sescheveuxpourlesplacersursonépaule.
—Avez-vouséventuellementdesvêtementsquelquepart?demandai-je.—Ilyalaboutique,justederrièrevous.J’y jetaiun rapidecoupd’œilet ravalaiun rire.Lesweat-shirtenhommageauVermontallait
sûrementallercommeungantàTy.Jesortismacartebancaireetlatendisàlajeunefemme.—Aquelleheurepartirez-vous?—Jenesaispasencore.C’était la réponse habituelle. Donner un horaire, c’était comme donner rendez-vous aux
journalistes.Parailleurs,jen’avaisaucuneidéedecequemeréservaientlesprochainesheures.MonseulimpératifétaitderentreràBoston,chezDiane,pourreprendremavie.Cettenuitneseraitqu’uneparenthèse.
Oupeut-êtremêmeunpointfinal.L’hôtessemetenditunecléetadressaunsourireàTy.—Dernièrechambre,aupremierétage,m’expliqua-t-ellealorsquenousnouséloignions.Tys’arrêtaetrebroussachemin.Ilapprochaducomptoiretsortitsonseuletuniquebilletdedix
dollars,pliéendeux.Jemepinçaileslèvres,deplusenplusagacéeparsoncomportement.Etreamieavecunestardurockn’avaitpasquedesavantages.LeTyarrogantetséducteurm’agaçait.Sans levoir, j’imaginai son sourire. Le sourire. Celui qui rendait les filles hystériques, celui qui résonnaitcommeuneinvitation,celuiquilerendaitirrésistible.
Oui,ilm’agaçait,autantqu’ilmefascinait.—Auriez-vouslagentillessedenousapporter,dansnotrechambre,dessandwichsaupastrami?
demanda-t-ild’unevoixdouce.Lajeunefemmerougitjusqu’àlaracinedescheveuxetsedandina.Luiaurait-ildemandélalune
qu’ellel’auraitapportéedanslaseconde.Unedeplus,instantanémentsouslecharmedeTyler.—Ty!m’impatientai-je.—Moutarde.Pasdecornichon,luiindiqua-t-il.Ellehochasimplementlatête.Commetouteslesautres,elleseretrouvaitincapabled’articulerle
moindre son. Je m’éclaircis la gorge, tentant de rappeler ma présence. Ty en profita pour porterl’estocade.
—Jecomptesurvous,murmura-t-ild’unevoixenvoûtante.—Dieuduciel,marmonnai-je.Tyabandonnalecomptoiretavançaversmoi.Enuneseconde,ilavaitabandonnésonmasquede
star du rock en pleine séance de séduction pour redevenir l’homme qui m’avait abritée sous unparapluie, cinq ans plus tôt.Celam’exaspéra d’autant plus :Ty passait son temps à jouer avec lesgens,àutilisersoncharismeetsacélébritépourobtenir,avecunedésarmantefacilitéetàchaquefois,cequ’ildésirait.
—Quoi?fit-ilenvoyantmaminerenfrognée.—Cequetuviensdefaireàcettepauvrejeunefilleestvraimentinfâme.—J’aijustedemandédessandwichsaupastrami,éluda-t-ilenmontantl’escalierprèsdemoi.— Avec ta voix de velours, ton regard de séducteur et un billet de dix dollars. C’est de la
corruption!Iléclataderireetposasamaindanslebasdemondospourm’inviteràgrimperlesmarchesun
peu plus vite. Nous remontâmes le couloir — toujours dans des tristes nuances de beige — ettrouvâmeslaportedelachambre12.
—Cettepauvrefilledoitpenserqueteramenersessandwichsvaluifairedécrocherlepremierprix.
—Lepremierprix?répéta-t-il.—Tufaistrèsmallenaïf.Tusaiscequejeveuxdire,dis-jeenouvrantlaporte.Je la refermaiderrièrenouset, sansavoir le tempsd’allumer la lumière,meretrouvaicoincée
entre la porte et le corps de Ty. Il plaqua samain près dema tête,m’empêchant ainsi de fuir. Lastupéfaction me coupa le souffle et Ty plongea son regard pénétrant dans le mien. Mon cœurs’emballaaussitôtetunsouvenirtrèsprécisdenotredernièrenuitensemblemerevint.
C’était commeçaque toutavaitcommencé. Il était sur lepointdequittermachambre, jemetenais sur le seuil et la seconde suivante, mon dos heurtait durement la porte et la bouche de Tys’écrasaitcontrelamienne.
—Biensûrquejesaiscequetuveuxdire.Jevoudraisseulementl’entendredetabouche.—Tyler,murmurai-je.—Çaaussi, j’aime l’entendre. J’aime la façondont tumurmuresmonprénom.Tu le rythmes
commepersonne.Lapénombreperturbaitmesrepèresetmesréflexes.Entempsnormal,jel’auraisrepoussé,j’auraisfaitunpeud’humouretj’auraissum’échapperde
sonemprise.Maisàcetinstant,jenedistinguaiquenosdeuxrespirationslourdesetlachaleurdesoncorpssiprèsdumien.
—Alors?Situm’expliquaiscettehistoiredepremierprix?—Desmilliersdefillesachètenttesalbums,chantentdanstesconcertsethurlenttonprénom,et
tuasencorebesoinderegonflertonego?—Jepréfèretesmurmuresàleurscris.—Tun’aspasledroitdefaireça.—Defairequoi?demanda-t-ild’unevoixchaudededésir.Il dut se baisser, car soudain, son souffle était dans mon cou, réveillant ma peau et le désir
brûlantquej’avaisréussiàcontenirdepuisquej’étaiscontrecetteporte.L’atmosphèreétait lourde,maisiln’yavaitpasl’excitationheureusequ’onpouvaitimaginerentreunhommeetunefemmedansunechambred’hôtel.
Je ressentais plutôt du trac. De l’anticipation. De la peur. Une vague réflexion sur lesconséquencesàassumersijesuccombaiànouveauàTy.
—De faire quoi alors ?De regonflermon egooude te demander dedire tout haut ce que tupensesdemoi?
Jeparvinsàmefaufileretàm’échapperdel’étreintedemonmeilleurami.J’allumailalumière,mecomposaiunvisageneutre et pris uneprofonde inspiration.Peut-être était-ce lemomentd’êtrefrancheaveclui.Peut-êtreavait-ilbesoind’entendrecequejeruminaisdepuistroismois.Ilmetoisa.Sonvisagenetrahissaitaucunsentiment:aucunsouriresurseslèvres,aucuneétincelledansleregard.
—Tusaiscequejepensedetoi,Ty.Tuesunpremierprix.Tuesl’hommequelaplupartdesfemmesdecepaysveulentdansleurlit.
—Ouailleurs,compléta-t-ilavecarrogance.—Oui,ouailleurs.Tuesséduisant,tuestalentueuxettuesriche.Tupeuxavoirquituveuxd’un
seulregard.Mêmeaveccettebarbe!—Jenevoispasoùestleproblème,rit-ilenpassantunemainsurlebasdesonvisage.—Tumassacres tout sur tonpassage, voilà leproblème.Tudéboulesdans laviedesgens, tu
t’installesetquand tupars…Quand tupars,c’est l’enfer.Honnêtement,c’estdurdesurvivreaprèstoi.
—Honnêtement,c’estdurdesurvivreaprèstoi,aussi.Ethonnêtement,c’estdurdetesavoirsiloindemoi,alorsquenoussommesdans lamêmepièce.J’aibesoindesavoirsi j’aivraiment toutfichuenl’airous’ilyaunechancequetureviennes.
Ilfitunpasversmoi,attendantuneréactiondemapart.J’étaisstupéfaite,presqueassommée.Jen’étaispasprêteàluirépondre.Jedevaisrentrer.Jeluienvoulais.Jeluienvoulaisdetoutgâcher,savie,notreamitiéetmesbonnesrésolutions.PourlapremièrefoisdepuisqueTyleravaitpercutémavie,jeleregrettaisamèrement.
JedevaisretournerchezDiane,reprendremavie,oublierTy.Aforcedemelerépéter,jefiniraiparm’enconvaincre.
—Cettenuit-là…Claire,rienn’étaitprémédité.Rien.Maisjen’aiaucunregret.C’étaitcequejevoulais.Ettulevoulaisaussi.
—Tuesparti,dis-jed’unevoixétranglée.—Tu t’esesquivée.Tudormais, j’aipassémonbrasautourde toiet tuas repoussémamain.
C’estcequetufaistoutletemps,Claire.Dèsqueleschosessonthorsdecontrôle,tut’éloignes.Tupeuxpensercequetuveuxdemoi,demafaçond’agiraveclesfemmes.Maislaseulecapabledemesupporter,c’esttoi.Laseulecapabledemecomprendre,c’esttoi.Laseulecapabledemefaireallerenprison,c’esttoi.
Ilfitànouveauunpasversmoi.Leslarmesaffluaientàmesyeuxetjeclignaiplusieursfoisdespaupièrespour les retenir.Malgré l’émotion,un sourire s’étira surmes lèvres. Je ledétestaidemebouleverseràcepoint.
Etjel’aimaispassionnémentpourlamêmeraison.—Tupourraisenfaireunechanson,balbutiai-je.—Jepourrais,oui,admit-ildansunsouriretimide.—Alors,c’étaitbienuncoupmonté?demandai-je.—Oui.Lasecondemeilleureidéedetoutemavie.—Parcequetupensesquetapetitedéclarationvasuffireàmefairechangerd’avis?—Jenesuispasstupide,Claire.Tuesladernièreàtelaisserembobinerparunmec.Mesbelles
parolesnesuffirontpas.Ducoup,jevaisdevoirt’embrasser.
—Tumevoisdésoléedet’imposerunetelleépreuve,ironisai-jeenfuyantsonregard.—C’est loind’êtreuneexpériencedéplaisante.Tuasunepréférence?Plutôt le lit?Ou juste
debout?J’écarquillai les yeux, incrédule. Tyler Tanner, le rocker romantique, l’idole des femmes aux
œstrogènesdéréglésmeparlaitgéographie.Jeravalaiunrire,avantdesecouerlatête.—Revoistatechniquededrague,Ty.Celle-ciestpitoyable.— Je te drague depuis cinq ans et tu ne l’as même pas remarqué. Autant être à découvert
désormais.J’aitrèsenviedet’embrasser,ajouta-t-il.Ilhaussalesépaules,commes’ilvenaitsimplementdem’annoncerqu’ilavaitenviedeboireune
bièrefraîche.Sonassurancenefaisaitqu’accentuermanervosité.SiTyavaitdécidédecequenousallionsdevenir,j’étaistoujoursentraind’endébattre.
Vivresansluipendanttroismoisavaitétéinsupportable.Vivreavecluidepuiscinqansavaitétéépuisant.Redéfinir les contours de notre relation signifiait qu’un tas de choses allait changer : la vie
publique,lesmédias…etlesfans.Jen’avaispaslesépaulespourjongleravectoutça.—Etnemefaispascroirequetumedraguesdepuiscinqans,jesaisquec’estfaux.—Lecoupduparapluie?Delapuredrague.Tuétaisadorablesouscettepluie.—Etlesfillesquisortentdetasuiteaupetitmatin?l’interrogeai-je.—Sil’uned’ellesavaitvraimentcompté,elleneseraitjamaissortiedemasuite.—Mesfleurspréférées?—Tun’aimespaslesfleurs.—Tufaisuncaprice.Tuveuxjustequejerevienne,parcequetuasdécidésubitementquej’étais
importantedanstavie,m’énervai-je.Jenesuispasunedecesfilles,Ty.Jenevaispascourirventreàterreparcequetuclaquesdesdoigts.Ilfautquetugrandissesetquetutrouvesunebonneraisond’êtreheureux.
—Je l’ai trouvée. Je suis désolé,Claire,murmura-t-il.Désolédenepas être l’hommeque tuvoudraisquejesois.Maisc’estmoi,TylerTanner.Paslastarderock,paslemecquifaithurlerlesfilles.Justemoi.Justeletypequit’aoffertunparapluieetquiteregardechaquejourenespérantquetuleregardesenretour.
—Jet’aiattendupendanttroismois,Ty.J’aiattendupendanttroisfichusmoisquetudonnesunsignedevie.Tun’asmêmepaspasséuncoupdefil.Troismois,Ty.Troismois,c’estlong.
Leslarmesresurgirentbrutalementetbrouillèrentmavue.JesentisTyplusquejenelevis.Sesbrasm’enveloppèrent avec force, pendant qu’ilme plaquait contre son corps enme berçant. Je lerepoussai demes poings,mais il était trop fort et j’abandonnai vite une lutte vaine. J’aimais êtrecontrelui,j’aimaissentirlachaleurdesoncorpscontrelemien.
Messanglotss’apaisèrentauboutdequelquesminutes.Tymeserraittoujoursaussifort,àm’enfaire presque mal. Je tentai de m’échapper, mais il raffermit sa prise et il me sembla l’entendregrognerdedésapprobation.
—C’estbon,Ty.Jevaismieux.—C’estpeut-êtrebonpourtoi,maispaspourmoi.Puis,dansunsouffleàpeineaudibleetcontremonépaule,ilajouta:—Troismois,c’estlong.—Jet’attendaissagement,tentai-jedeplaisanterpourallégerl’atmosphère.Ildesserrasapriseautourdemoiet,desamainvalide,pritmamaindroite.Mesautomatismes
reprirentledessusetnosmainss’imbriquèrentnaturellement.
—Sagement…Voilà un concept que j’aimerais te faire oublier. Il est tempspour toi de fairequelquechosedetoutàfaitdéraisonnable.
—Jesuisici,enpleinenuit,avecunhommequisortdeprison.Auxyeuxdel’humainlambda,c’estplutôtinattendu.
Unsourireéclairasonvisageetunedoucechaleurréchauffatoutmoncorps.Tymefixaitavecbienveillanceettendresse.Jemesentisrougir,embarrassée.Jeretiraimamaindelasienne,sentantimmédiatementlemanque.Mesyeuxseportèrentsursachemiseetcelamedonnaenfinuneidéepourchangerdeconversation.
—Tudevraisallerprendreunedouche,pendantquejevaistechercherquelquesvêtements.—Est-cequejetefaispeur?demanda-t-ilalorsquejemedirigeaiverslaporte,prêteàprendre
lafuite.—Jevaistechercherdesvêtements,mejustifiai-je.—Tuesquivesuneconversation.Jelesais,parcequejemaîtriseparfaitementcette technique.
Est-cequ’ilyaquelquechosequejedevraissavoir?Est-ceque…Est-cequ’ilyaquelqu’und’autrequi…
J’éclataid’unrirefranc,relâchantainsimanervositéetmonstress.J’avaisdesdoutessurcequevoulaitTy.Monretour,certes.Maislesconditionsétaientfloues.Nousavionsétéamis—sijamaiscettedéfinitionsuffisaitàdécrirenotrerelation—pendantcinqans.Cematin,jen’arrivaismêmepasàmettreunmotsurcequenousétions.
— Je n’ai rencontré personne en cinq ans, et tu crois qu’en trois mois le prince charmant adébouléàmaporteenmepromettantl’amouréternel?
—Onnesaitjamais.Tuouvrestaporteàn’importequiparfois.—Donc,c’estça?Tuveuxqu’onparledecettenuit-là?Dumomentoùjet’aiouvertlaporte?
Oudumomentoùnousavonsfaitl’amoursurletapispersan?—Jeveuxsavoircequeturessens.Jeveuxsavoircequetupenses,parcequeçamerendmalade
d’imaginerquelameilleurenuitdemaviesoit,d’unecertainefaçon,lapire.Etcetapispersann’étaitpassidésagréable,ajouta-t-ilavecunsouriresatisfait.
Malgrémoi,jesourisaussi.Pasausouvenirdecetapis,nimêmeausouvenirdecettenuit,maisuniquementpourcesourirecompliceetsontraitd’humour.JeretrouvaileTyquimefaisaitfondre.
Uncoupretentitcontrelaporteetjesoupirai.J’ouvris,découvrantlajeunefemmedel’accueilportant unplateau.Elle s’étaitmaquillée et changée et je ne pusm’empêcher d’adresser un regardentenduàTy.Ilsecontentadesourire,commeungaminfierdesabêtise.
Etjesourisencore.Bonsang,ilétaitirrésistiblequandils’ymettait.Jepris leplateaud’entre lesmainsde la jeune femmeet leposai sur le lit.Les sandwichsau
pastramiavaientl’aird’avoirétéaplatisavecunrouleauàpâtisserie.Unesaladedefruitsindustriellefaisaitofficededessert.Tyetsonaddictionauchocolatallaientenprendreuncoup.
—Jevaistechercherdesvêtements.Amonretour,tuaurasprisunedoucheettusentirasautrechosequelabièreéventée.
—D’accord,d’accord,abdiqua-t-il.Mamanœuvrepermitd’arracherlajeunefilledelacontemplationdeTy.Cedernierétaitdéjàen
traindedéboutonnersachemisetachée.Jejetaiundernierregardverslui,observantletatouagesursonépaule.
Endixminutes,j’eusletempsdeluiacheterunsweattropgrand«madeinVermont»,un jeanverdâtre douteux, des sous-vêtements et un kit de soin. Je remontai ensuite dans notre chambre,réalisantpeuàpeuquerentreràBostonmesemblaitdeplusenplusimprobable.
Tysortitdelasalledebainsaumomentoùj’humectaiunecompressed’alcool.Jelevailesyeuxvers lui etmon cœurmanqua un battement. Non, deux aumoins. Il enroula une serviette blancheautourdesa taille,avantde repousserunemèchedecheveuxhumidesdeson front. J’avaisdéjàeul’occasion de voir mon meilleur ami torse nu, mais, depuis notre nuit ensemble, mon corps semontrait plus gourmand. Je détaillai son torse musclé, la cicatrice sur la gauche de son ventre—conséquenced’unaccidentdevoituredontl’annoncem’avaitpresquetuée—,seslargesépaulesetsonvisagetoujoursbarbu.
—Iln’yavaitpasderasoir,m’expliqua-t-ilenmevoyantfroncer lessourcils.Ilvafalloir t’yhabituer.
—Je…Jet’aiprisdesvêtements,bégayai-jeendésignantlesacderrièremoi.—Ondevraitd’abordsoignermamain.Jeneveuxpastacherdesvêtementsneufs.—Commesituallaislesremettre,rigolai-je,enétirantlesweat-shirttouristiquedevantmoi.—J’aibiengardéleparapluiedenotrerencontre!J’aiaussigardélegiletenlainequetum’as
tricotélorsdelapremièretournée.—Cetrucesthideux!m’écriai-je,pivoine.—Cegiletestfantastique.J’aiécrittoutuntasdechansonsaveccegilet!Etàlamaison,j’aile
stylo,tonstylo,aveclequelj’aisignémonpremierautographe.—Tuvoisunpsypourtestendancesd’accumulateurcompulsif?plaisantai-je.—Cesontdessouvenirs.Tousliésàtoietàcequenousavonsvécuensembleaveclegroupe.
C’estimportantpourmoi.Tuesimportantepourmoi.Ilapprochademoiettenditsamainblessée.Jegrimaçaienvoyantlabalafrequibarraitsamain.
Unenouvellecicatricesursapeau.—C’estmoche,maiscelanefaitpasmal.J’aijusteétéunpeutroploindansmonplanpourte
fairerevenir.—Apparemment,marmonnai-je.Téléphonerauraitaussipufonctionner.—Jevoulaisquecesoitinoubliable.Labouteilledebières’estcasséeparaccident,expliqua-t-il
pendantquejetamponnailacompressecontresapeau.Lablessurenesaignaitplusetledésinfectantnettoyaparfaitementlaplaie.Jesortisunbandage
de la trousse et l’enroulai autourde samain.Ty resta silencieuxpendant toute l’opération,mais jesentissonregardmefixerpendantdelonguesminutes.
—Terminé,murmurai-je.JepassaimesdoigtssursonbandageetTycapturamamaindanslasienne.Moncorpssetendit
violemmentetmoncœurs’affola.Jen’avaispluslaforcederésister,plusd’argumentàluiopposer.Ily avait ce lien inexplicable entre lui et moi. De l’amitié, de la complicité, de la musique, dessignaturesdecontrat…etdessoiréesinterminablesdeconversationdanslacuisinedesontropgrandappartement.
—Dis-moiquetuvasrevenir,chuchota-t-il.—C’esttoutcequicomptepourtoi?Quejereviennepourtefairetessandwichsaumilieudela
nuit?—C’estunplusindéniable,dit-ilensouriant.Ilétaitsiprèsdemoiquejesentaisleparfumdesapeau,mêléàl’odeurdugeldouche.Jefermai
lesyeuxetposaimamaincontresontorse.Mesbellesrésolutionsneserviraientbientôtplusàrien.—Maisjepeuxteproposermieuxqueça,ajouta-t-ild’unevoixchaude.—Quand tudis«mieux», tuveuxdirequoi au juste? l’interrogeai-je en sentantmabouche
s’assécher.
—Mieux.Toietmoi.Ensemble.—Onestdéjàensemble,luifis-jeremarquer.Sonvisage s’éclaira d’un sourire timide.Ses doigts chatouillèrent le creuxdemapaume et il
poussaunsoupir.—Pourquoies-tusicruelleavecmoi?Tuaimesmetorturer?—Ce que tu veux entendre de ma bouche, c’est aussi ce que je veux entendre de la tienne,
répliquai-je.Il semordit la lèvre, avant de secouer la tête. Sur scène,Ty pouvait enflammer les foules, se
montrerexubérantetdéployeruneénergieincroyable.C’étaitcommeçaquelepublicleconnaissait.Cematin,danscettechambre,iln’avaitplusriendelarockstar.
—Alors?l’encourageai-je.—Donc,toutecettehistoirede«honneurauxdames»et«lesfemmesetlesenfantsd’abord»,
c’estaucasparcas?Sonregardnaviguasurmoi,presque inquisiteur.Jemesentis rougirviolemmentetTycaressa
majoued’unreversdemain.Jefrissonnaietmeretinsdenepasl’embrassersur-le-champ.—Donc,tuveuxqu’ondébattedecequiestlemieuxpournous?m’interrogea-t-il.—Pourquoipas?Jecroisqueressassernotrenuitensemble…ounotreréveilcematin-làn’est
pasunebonneidée.Doncjet’écoute.Denousdeux,c’esttoil’espritcréatif.—Etenplusellemedéfie…Qu’ai-jefaitpourmériterunefillecommetoidansmavie?—Tu as ouvert un parapluie.Allez, je t’écoute : le «mieux », le « ensemble », je veux tout
savoir.Dis-moicequetuveuxaujuste,plaisantai-je.—Jeveuxréalisertesrêves.Monsouriredisparutdansl’instant.Sonaccèsdesincéritémedésarmacomplètement.Leregard
deTytrouvalemien.Sesyeuxgrisétincelaientetcherchaientdesréponses.Jeréalisaiquejeretenaismarespiration,tentantd’assimilerlasituation.Jebaissailatête,incapabledesoutenirpluslongtempssonregard.
C’étaitl’unedesplusbelleschosesqueTym’avaitdites.C’étaitl’unedesplusbelleschosesqu’onm’avaitjamaisdites.—Est-cequec’estassez«mieux»pourtoi?Del’index,ilmefitreleverlatête.—J’aitellementderêvespourtoi,Claire.C’estunehontedenepaslesréaliser.—Commequoi?Nageraumilieudesrequins?—Nageravecmoi.Pourcommencer,évidemment.Laplupartdesrêvesquej’aipourtoinese
font…qu’avecmoi.—Egoïste!ris-jeenvoulantlerepousserlégèrementsansyparvenir.—Cen’estpascequejedirais.Attentionné?tenta-t-il.—Pastongenre.—Avectoi,si.— C’est… effrayant, commentai-je. Et en même temps, je ne devrais pas être surprise. Tu
parviens toujoursàm’épater.Tumefaisvenir ici,dormirdanscethôtelmiteuxet…Enfait, jemerendscompteque,quoiquejefasse,jesuistoujourscoincéeavectoi.
—Tupourraisenfaireunechanson,dit-ildoucement.—Jepourrais,oui.Maisj’adoreêtrecoincéeavectoi.Jeveuxêtrecoincéeavectoi.—Bien.Maintenant,jevaisvraimentt’embrasser.—Oh.Vraiment?
Il se pencha lentement vers moi, son regard rivé aumien et un petit sourire heureux sur leslèvres.
—Doucementpourcommencer,chuchota-t-il.—Etaprès?haletai-je.—Etaprès,jevaisréaliserundemesrêves.Terefairel’amour.Monsoupirdeplaisirmourutcontreseslèvres.Ileffleuramabouchedelasienne.Mesjambes
tremblèrentetmoncœurrepritsacoursefolle,digned’unmarathon.Tyenroulasesbrasautourdemataille et ses lèvres appuyèrent plus fortement sur lesmiennes.Un gémissement se coinça dansmagorgeetlalanguedeTytrouvalamienne.Audépartprudent,sonbaiserétaitdouxetlent.Ilhésitaitet, à l’inverse de notre première nuit ensemble, il n’y avait pas cette précipitation frénétique. Luicommemoivoulionssavourercetinstant.
Tyresserrasapriseautourdemoiet,àmagrandestupéfaction,ilmesouleva.J’étouffaiuncridesurprisecontreseslèvres,avantdesentirTyavancerverslelit.Seslèvresquittèrentlesmiennesetglissèrentversmoncou.Jepenchailatêteenarrière,luilaissantunaccèspluslarge.
—Dis-moiquetuvasrevenir,murmura-t-ilcontremapeau.Jeveuxquetureviennes.Ilm’allongea sur le lit et ilme regarda pendant de longuesminutes. Jeme redressai surmes
avant-bras.—Dis-moiquetuvasrevenir.—Jevaisrevenir,assurai-je.Un sourire lumineux apparut sur son visage, puis il saisit mon pied gauche et retira ma
chaussure.Illalançaderrièrelui,puisréitérasongesteavecmonautrepied.Ils’allongeasurmoi,pritmesmainsetlesplaçaau-dessusdematête.Saboucheretrouvalamienne,avideetgourmande.Salangue batailla contre la mienne, pendant qu’il refermait ses doigts fermement autour de mespoignets. Je relevai les genoux et crochetaimes pieds nus autour de sa taille. Ty grogna dansmabouche,puisseredressa.
—Etjeveuxquetudormesavecmoi.Toutletemps.—Dormir?C’estça,lesfameuxrêvesquetuaspourmoi?—Teregarderdormirestunprivilège,Claire.Teregarderdormirnueestunrêveabsolu.Je luiadressaiunsourireet retiraimonpull.Je le jetaiausol,avantdedégrafermonsoutien-
gorge. Les yeux de Ty s’assombrirent et il se rallongea sur moi. Le contact de son torse frais ethumide contrema peau chaudeme tira un frisson. Lesmains deTy parcoururentmes côtes etmefirentsoupirer.Ilempaumamonseingaucheetseslèvresserefermèrentsurlapointetendue.Ilmemorditdoucementetunesalvededésiretd’adrénalinecourutdansmesveines.
—Tyler!m’écriai-je,surprise.—Laisse-moifaire.Bonsang,cequej’aimetesseins!Salanguetitillalonguementmonsein,pendantque,desonautremain,iltorturaitl’autre.Mon
bas-ventre secontractadeplaisir et jegémis lourdement. Jemecambrai,pouraccentuer le contactentrenosdeuxcorps,avantd’enroulermamainautourdelanuquedeTy.Jeserrailesjambes,retenantautantquepossibleledésirintensequimebrûlaitdel’intérieur.
Seslèvresremontèrentjusqu’àmoncou,puisàlacommissuredemeslèvres.Ilancrasonregarddanslemienetlajoiequej’yvismebouleversa.
—Necroispasquej’aieoublié,dit-ilendéposantunchemindebaiserslelongdemamâchoire.—Oubliéquoi?marmottai-je,enivréeparsonparfum.—J’aidit ceque tuvoulaisentendre, etmaintenant, j’aimeraisentendre lamêmechosede ta
part.
Jem’esquivai alors qu’il s’apprêtait àmordiller le lobe demon oreille. J’avais envie de rirecommejamais. Jenesavaispascequiétait lepluscomique : sonmanquedeconfianceen luiàcemomentprécis—onparlaitquandmêmedeTylerTanner!—ousonairstupéfait.
—Ty,jesuisàmoitiénue,devanttoi,dansunlit.Quetefaut-ildeplus?—Rienàvoir.Tul’asdittoi-même,tuescoincéeavecmoipourlemoment.Et,franchement,tu
devraistebaladerseinsnusplussouvent.—Tuesvraimentbarré,quandtut’ymets.—Tupréféreraisquejesoisnormal?Ilglissa le longdemoncorpsetentreprisdesemerdesbaiserspartoutsurmapeau.Réfléchir
devenaitdeplusenplusdifficile.Esquivercetteconversationseraitimpossible.Tyétaittêtu,etmêmesijen’appréciaisquemodérémentdem’êtrefaitepiégerpourvenirici,jedevaisluireconnaîtreuneformedecréativitésalutaire.Mafiertém’auraitsûrementempêchéedenousréconcilier.
—J’attends,murmura-t-ilcontremapeau.Ilembrassamonnombriletdescenditencore,toujoursplusbas,longeantlaceinturedemonjean.—Tunepeuxpasêtrenormal.Pasaveclaviequetumènes.—Qu’onmène,rectifia-t-il.Qu’onmène.—Parfois,j’aimeraisavoirunevienormale,avouai-je.—Tut’ennuierais.Etcommentferais-tupourpoursuivretacollectiondepeignoirsd’hôtelsde
luxe?Seslèvresfirentlechemininverse,remontantlelongdemescôtesdansundélicieuxchatouillis.
Jemetortillaisurlematelas,gloussantcommeuneadolescente.—Jem’impatiente,dit-ilenrelevantunregardpleind’espoirversmoi.—Donconoublielavienormale?demandai-je.—Oublie-la,oui.Pourquoivouloirunevienormalequand jepeux t’offrir…unenuitdansun
hôtelmédiocreduVermont?J’éclataiderireetTyremontajusqu’àmeslèvres.Ilm’embrassafurtivement,puispassasamain
surmonvisagepourchasserlesquelquesmèchesfollesdemachevelure.—Alors?J’écoute?Est-cequetuesavecmoipour…monsex-appeal?Monargent?Monsens
del’humour?Monlookderebelleromantique?Pourlesexe?Jemesentisrougiretfistoutmonpossiblepourcontenirmesémotions.J’entendisTyrire,mais
jefuissonregard.Ilnebougeapasetportaunedemesmainsàsabouchepourl’embrasser.—Laquestionestsimple,Claire:pourquoies-tuvenuedansleVermont?—Parcequenoussommesamis?—Et tu crois que je suis nu et excité uniquement à cause de notre amitié ?me demanda-t-il
surpris.—Non.Non,bien sûrquenon. Je supposeque…Enfin…C’était évidentpourmoi,Ty. Jene
pouvaispastelaisserdanscetteprison.Jenepouvaispas…fairecommesitunememanquaispas.Jen’arrivepasàmedirequejevaistelaisseràtonpropresort.Parfois,jemedisquetueslapartiedemavielaplusfolleetlaplusinattendue.
—Cequiexclutdéfinitivementcettehistoiredevienormale.—Etjedoisadmettrequel’idéed’êtreséparéedetoi,deça,complétai-jeendésignantl’espace
entrenous.C’est…Jenesaispas…Netemoquepas,ajoutai-jeenlevoyantsourire.—Je nemoquepas. Je suis absolument ravi de ça, répondit-il, en imitantmongeste.Ravi et
excité.Maintenantquejet’aiembrassée,jevaistefairel’amour.Saufsituyvoisuninconvénient?—Non.Ty?
—Oui?—Jesuisamoureusedetoi,avouai-je,rougissantemaissoulagée.—Quelveinardjefais.Jet’aimeaussi,Claire.Enfin,tessandwichsettoi.—Quelromantisme,memoquai-je.Ilréponditd’unsourire,puisdéboutonnamonjeanetglissasamaindansl’ouverture.Sonindex
etsonmajeurmecaressèrentpar-dessusmaculotte.Ungémissementm’échappaetjefermailesyeux,lesoufflecourt,prêteàsuccomberàmondésir.Tyenfouitsatêtedansmoncouetembrassamapeau.Surmacuisse,jedevinaissonsexetendu.Sesdoigtsbougèrentsurmonsexe,merendanthaletante.Ilpoussasonindexunpeuplusfort,toujoursau-dessusdutissu,eteffleuramonentrée.
—Laisse-moitedébarrasserdeça,proposa-t-il.J’eusàpeineletempsderéagirqu’ilsetenaitaupieddulitettiraisurlehautdemonjean.Ma
culottesuivitlemêmechemin.Avantqu’ilneserallonge,jemeredressaiet,àgenouxdevantlui,luiretirai sa serviette de bain. Je passai ma main sur son sexe, m’attardant volontairement sur sesbourses.Ilgrognadefrustration,avantdemerejoindresurlelitetdem’attirerdanssesbras.
—J’espèrequ’ilyadespréservatifsdanscetrouàrat,bougonna-t-ilentendantlamainverslechevet.
Ilmanquad’enarracherletiroiret,parmiracle,trouvauneprotection.—C’estjustepourcettenuit,précisa-t-il.—Jetedemandepardon?m’étonnai-jed’unevoixblanche.—Lacapote.Justepourcettenuit.Laprochainefoisqu’onferal’amour,onseradansunhôtelde
luxe,enpleinenuit,danslapiscineextérieureetonauradébattutouslesdeuxdenostestssanguins.Jelerepoussaietleforçaiàs’allongersurlelit.—Etsijepréfèrefairel’amourdanstachambre,cheztoi?Jeluiarrachailepréservatifdesmainsetouvrislesachet.Tymefixaavecconvoitiseetenvie,
observantchacundemesgestes.—On part en tournée d’ici à quinze jours et pour six mois. Si tu crois que je vais pouvoir
patientersilongtemps,c’estmedonnerbeaucoupdecrédit.—Oh!grimaçai-je.PourtonconcertdeLondres,alors?—C’estdansquatremois.Jemefichedulieu,Claire.Jeveuxjusteêtreentoiaussisouventque
possible.Je posai le préservatif sur son sexe et, tout en fixant Ty droit dans les yeux, le déroulai. Sa
respirationdevintpluslourdeetlestraitsdesonvisagesedétendirent.—Boston?—Horsdequestion,grogna-t-il.—LosAngeles?Vancouver?Jemepositionnaijusteau-dessusdelui,caressantsonsexeaveclemien.Tysaisitmeshanches
durementauboutdequelquessecondespourmefairearrêter.—Ici.Etmaintenant,m’intima-t-il.Jeveuxquecesweatmerappellequelquechosedevraiment
sympa.Je descendis lentement le long de son sexe. Tout doucement, il prit possession demoi, et un
silenceinéditsefitentrenous.Jebaissaimonvisagevers lesienetdéposaiunbaiserfurtifsurseslèvres.
—Sympa?C’esttout?demandai-je.Pour toute réponse,Ty enroula samain autour dema nuque etm’attira violemment contre sa
bouche. Ilm’embrassa avec force et désir, pendant que je commençais à onduler des hanches. Un
grognementsecoinçadanssagorgeetsonautremainsecrispasurmataille,mepoussantàralentirlerythme.Ils’écartademeslèvresetjesoudaimonfrontausien.
— Tu es capable de me faire jouir en deux secondes. C’est très mauvais pour mon image,plaisanta-t-il.
—C’esttrèsbonpourmonego,Ty.Jereprismonmouvement,allantetvenantau-dessusde lui.Jemesentaispuissanteetunique.
VoirTymesourireetmeregarderavecémerveillementdécuplaitmadétermination.J’étaisguidéeparmonseuldésir.
—Tudonneslerythme,murmura-t-il.—Ilparaît.Ilparaîtquec’estcequetuaimeschezmoi.—Jet’aimetoutcourt,répondit-il.Ilseredressabrutalement,etjemeretrouvaisurcesgenoux,auborddulit.Ilpritmonseindroit
danssaboucheetjecriaisonprénom.—Bouge,m’ordonna-t-il.Viteetfort.Tymesouleva,avantdemefaireretombersurlui,m’arrachantunnouveaucrideplaisir.Mon
ventre secontractadansunedélicieusedouleur.Monorgasmeavait rattrapémavolonté. Il était là,puissantetdévastateur,etiln’appartenaitqu’àTy.
Lerythmes’accéléraetjesentismonamantsetendresousmoi.Ilmurmuramonprénomdansuneinterminableprière.J’enfouismesmainsdanssescheveuxet tiraidessus.Tynecillapaset,aucontraire,m’encourageaàlechevaucherdeplusenplusvite.Lachaleurdenosdeuxcorpsréchauffalapetitechambreet,soudain,dansunderniermouvementsaccadé,Tylerenfouitsatêtedansmoncouet jouitenmoi. Jem’effondraiquelquessecondesplus tardsur lui, sescheveuxemmêlésautourdemesdoigts.
Tyme serra contre lui etme fit allonger sur le lit. Il sedébarrassadupréservatif et s’installaderrièremoi.Ilenroulasesbrasautourdematailleetattiramondoscontresontorsebrûlant.
—Tevoilàcoincéeavecmoi,murmura-t-ilsurmonépaule.—L’histoiredetoutemavie,ripostai-je.—L’histoiredetoutenotrevie,corrigea-t-ildansunsourire.Etjet’aimevraiment.—Toutcourt?souris-je,soudainementnerveuse.—Toutcourt,oui.Icietmaintenant.Nousavionsdûsomnoler,car,ànotre réveil, les rayonsdesoleiléclairaient lachambre.Tyler
émitungrognementdésapprobateur.Selever,pourlui,étaitunsupplice.—Ilestl’heured’yaller,dis-jeàvoixbasse.—Ilestl’heurequetut’allongessurlelitetquejetefassel’amour.—JeteramèneàNewYork,d’abord.Ilseretournaetenfonçasatêtedansl’oreiller.TylerTanner,éternelgaminmallunédumatin.Et,
commeavecunenfant,jedevaismarchander.—Tonplatpréférécesoir,situtelèvesdansdixsecondes.Ilsetournalentementversmoietm’adressaunregardlourddesous-entendus.Jeluilançaison
sweatauvisageetlevailesyeuxauciel.—Ilfautqu’onyaille,Ty.Legroupeattend.Tesfansaussi.Jesorsavecunerockstar,pasavec
unfainéant.
Il se redressa vivement et, sur ses genoux, approcha demoi. J’essayai d’agrafermon soutien-gorge,espérantlefaire,malgréunTynuettrèsdésirable,avecnatureletdécontraction.Envain.Jem’agaçaidessus,etsoupirai.
—Tourne-toi.Jem’exécutaietTyagrafamonsous-vêtement.Alorsquejem’apprêtaiàm’éloigner,ilmeretint
entirantsurunedesbretelles.—Cetterockstaradelachance,chuchota-t-il.—Jetrouveaussi.Maisçanem’empêcherapasdeluibotterlesfessessiellecontinueàprendre
duretardsursonalbum.—Essayeunpeupourvoir,medéfia-t-il.—Sinon,jepeuxaussimettredescornichonsdanstessandwichs.Ilsecontentadesourire,imperméableàmestentativesdemenaces.Ilpritmonvisageentreses
mainsetl’approchadusienpourydéposerunbaiserfurtif.—Coincéeavecmoi,merappela-t-ilenmelibérant.—Coincéeavectoi,abdiquai-je.Jene retournaipasàBoston. J’appelaiDiane,qui eut lapolitessede faire commesi elle était
surprise,pendantenvirontroissecondes.Ensuite,elleéclataderireendécrétantqueTyétaitvraimentfuté.
NotreretouràNewYorksefitsansencombre.JeramenaiTyaustudio,etPaul,lemanagerdugroupe,meremerciad’unmouvementdetête.Sicedernieravaiteudesdoutessurnotrerelation,iln’eneutplusunseulquandTydécidad’interrompreuneprised’enregistrementpourm’embrasser.Laséancedurajusqu’àtarddanslanuit.
C’était l’inconvénient avecTy : lamusique lui faisait oublier le temps qui passait.A bout deforce, j’avais finiparm’endormir surundes fauteuilsde lacabined’enregistrement, recouvertedusweattropgranddeTy.
—Claire?murmura-t-il.Ilpassaledosdesamainsurmajoueetdéposaunbaisersurmonfront.Jegrimaçaietfrottai
mes yeux. J’aurais pu dormir ici, dans cette position inconfortable, pendant encore deux bonnesheures.
—Onrentre,m’expliqua-t-il.Tuvienschezmoi?Ilsetenaitagenouillédevantmoi,sabarbedeplusenplusfournie,sesyeuxfatiguésmaisrieurs.
Jedétestaisqu’ilsoitsibeauavecsipeudesommeil.Lavieétaitinjuste.—Jevischeztoi,Ty.Jesuistacuisinière,rappelle-toi.—Jesais.Jetrouvaisçaplusélégantque«Tucouchesavecmoi?»J’aivoulufaireclasse.—Quelgentleman,raillai-je.J’aibesoind’unedouche.—Tuvienschezmoi?répéta-t-ilavecunsourireenfantin.Jelefixai,avantd’éclaterderire.Malgrélederniertournantdenotrerelation,Tyetmoiavions
conservécertainsdenosautomatismes.Cesplaisanteriesdouteusesenétaientun.Monrirenerveuxenétaitunautre.
Jemerelevaipéniblementdemonfauteuil.J’étaisankyloséeetfrigorifiée.Tyajustasonsweatsurmesépaulesetajoutaungiletépaisenlaine.
Legiletenlaineleplusmocheaumonde.Celuiquejeluiavaistricoté.
—Allonsdormir,suggéra-t-il.Paulaproposéaugroupedefairerelâchepourunejournée.Joshavaitunrendez-vous,etPeterdoitréglerunproblèmedefuitechezsavoisine.
J’arquaiunsourcildubitatif.Tyesquissaunsourire,maisgardasonsérieux.Petersurgitderrièreluietluiassenaunetapesurlatête.
—Rentrezdormir…oufairecequevousavezàfaire.Cinqans,c’estlong,ditcedernier.—Laferme!ritTy.—Claire,jesuisfranchementraviquetusoisrevenue.Cemecétaitentraindedevenirunsale
type.Quandjepensequ’ilamontécettehistoiredeprisonpourt’attirer.Tunepeuxpasamenerunefilleaurestaurantcommetoutlemonde?Ouprovoquerunefuite?
—Jecroyaisquelafuitevenaitdetavoisine?—Non.Maisellerefusededîneravecmoi,sousprétextequejen’aipasunevienormale.Alors,
jeprovoqueledestin.—Etc’estmoiletypepathétique?rigolaTy.—Cinqans,mec.Cinqans…Illuitapotaaffectueusementl’épaule,puisenfilasonPerfecto.Peterm’adressaunsourireavant
dem’embrassersurlajoueavecaffection.Tyseraclalagorge,puis,toutsourires,enroulasonbrasautourdemesépaules.
—Elleestàmoi,affirma-t-il.—Claire,quandtuaurasretrouvétesesprits,jet’inviteraiàdîner,leprovoquaPeter.—Tusaisquejesuisenmesuredetefairevirerdugroupe?renchéritTy.Pourtouteréponse,Peterlevasonmajeuretlefixaavecdéfi.Ilyavaitbientropdetestostérone
danscettepièce.JeréprimaiunbâillementetTymeguidaverslasortie.LaneigetombaitenfloconslégerssurNewYork.Jefrissonnaidéjàetresserraimesbrasautourdemoi.
—J’aifaitdemanderlavoiture,m’expliqua-t-ilenrevenantversmoi.Il enroula ses bras autour de moi et attira mon dos contre son torse. Il nous berça quelques
instants, chantonnant un air inconnu à mon oreille. D’ici à deux jours, il me la ferait entendre,accompagnédesaguitare,lesyeuxrivésausol,intimidécommeaupremierjouroùjel’avaisforcéàinterpréterunmorceau.
LavoitureseprésentaàlaporteetTyseprécipitaàl’extérieur.Quandilréapparut,iltenaitunparapluieàlamain.GagnerunGrammy1nel’auraitpasrenduplusheureux.Jelevailesyeuxaucieletmedirigeaiàmontourverslaporte.Marockstardepetitamiouvrit leparapluieetenroulasonbrasautourdemataillepournousabriter.
—Coincéeavecmoi,murmura-t-il.—Coincéeavectoi,dis-je,lesourireauxlèvres.L’histoiredetoutemavie.Etrecoincéeaveclui.
1.Récompensesmusicalesaméricaines,décernéeschaqueannée,etquihonorentlesmeilleursartistesdansledomainedelamusique.
HarlequinHQN®estunemarquedéposéeparHarlequinS.A.
©2016HarlequinS.A.
Conceptiongraphique:AudeDanguydesDéserts
©RoyaltyFree/Shutterstock/Ksenia
©RoyaltyFree/Shutterstock/catary
ISBN9782280360999
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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