Althusser Et Le Concept de Philosophie Spontanée Des Savants

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Texto para discussão no seminário de Pierre Macherey, a propósito do conceito e do livro de Althusser.

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  • 21/12/2014 ALTHUSSERETLECONCEPTDEPHILOSOPHIESPONTANEEDESSAVANTS

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    Grouped'tudes"Laphilosophieausenslarge"

    animparPierreMacherey

    (21/05/2008)

    ALTHUSSERETLECONCEPTDEPHILOSOPHIESPONTANEEDESSAVANTS

    Althussera introduitetdvelopp leconceptdephilosophiespontanedessavantsdanslecadreduCoursdephilosophiepourscientifiques,manifestationcollectivequilavaitlance en 19671968 lENS de la rue dUlm et dont il avait assur, durant tout le derniertrimestre de 1967, les sances introductives qui avaient connu, sur le moment, un assezconsidrable retentissement. Pour comprendre la porte de ce concept, il importe en premierlieudelereplacerdanslecontextedeceCoursoilavaittmisencirculation.Leprospectus,signdunomdAlthusser,quiavaittdistribupourannoncerlatenueduCours,prsentait celuici commeuncoursdephilosophiedecaractre indit,enprcisantquil sagissait dun cours dinitiation la philosophie, rserv aux nonphilosophes, destinavanttoutauxscientifiques.Alpoque,untelprojettaitoriginal:ilrpondaitlintention,politiqueendernireinstance,desoustrairelaphilosophielattentionexclusivedesphilosophesquienfaisaitde laphilosophiepourphilosophes,fonctionnantencercleferm,etdispenseenconsquencedelancessitdintervenirendehorsdececercle.Or,aumomentdulancementducours,Althusseressayaitjustementdepromouvoirunenouvelleconceptiondelaphilosophie,quiluisemblaitlaplusconformelaleondumarxismeauthentique,etquitaitarticuleautourdelidedeprisedeposition,cequirevenaitdplacersonpointdapplicationdelathorieverslapratique, en prsentant la philosophie, non comme thorie au premier degr, mais commeinterventiondans la thorieenvuedy tracerdes lignesdedmarcation, il prciseraplustardenallantplus loindanscesens,etpeuttreenessayantde linflchir, luttedeclassesdans la thorie , une orientation quentreprenait de rflchir paralllement la notion depratique thorique, qui tait galement au centrede sesproccupations.Autrementdit, ilsagissaitpourluidarracherlaphilosophieaustatutdediscoursspculatifpur,dontlamatireabstraite, sotrique et dessche, ntait accessible qu des professionnels de la chosedisputant entre eux lamanire des clercsmdivaux,mais den faire, plus largement, unearmedans la lutte idologique,cequi impliquaitsondplacementsurdenouveauxterrainsoelle devnt accessible, et en tout premier lieu audible, des nonspcialistes, au prix duneinitiationdontlesformesfussentadaptescedessein,objectifprcismentassignauCoursdephilosophiepourscientifiques.Ilfautsignalertoutdesuitequeceprogramme,unefoismisenuvre,avaitrencontrune audience inespre, ce qui pouvait faire penser quil rpondait une attente restejusqualorsinformuleayanttrouvavecluiunmoyendesexprimeretundbutderalisation,dans la priode deffervescence intellectuelle et politique qui a immdiatement prcd ledclenchement des vnements deMai 68, dont le climat est bien rendu, entre autres, par lefilmdeGodard,LaChinoise, sorti aummemoment.Durantplusieursmois, la salleDussane,quitait lasalledespectaclede lEcole,o leCours, initialementannonccommedevanttredonn dans la salle des Actes, au dcor la fois plus solennel et plus rserv, avait d tre

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    dplac en raison de laffluence des auditeurs, avait t tous les lundis soirs bonde :lassistance dbordait largement dans les couloirs adjacents, et essayait de saisir en tendantloreille des bribes de ce qui se disait lintrieur, ce qui avait contribu faire de cetenseignementunesortedvnementpublic,dont lanouvellestaitcommuniquedeboucheoreilleaudehorscommeunfeudepoudre.Lestextesprsentsaucoursdechaquesance,eten particulier la liste de thses nonces par Althusser au cours des premires sances,taient distribus au fur et mesure sous forme ronotype, une pratique qui ntait pascourante alors, ce qui leur donnait un peu lallure de tracts. Le Cours, dispens le plussrieusement dumonde, sur le ton tranchant de thoriciens ayant conscience daccomplir, enraisonde lamatrisequilsessayaientdexercersur leurproprepratique,unemissionpolitiquedont ilsportaienteuxmmes laresponsabilit,staitainsipeupeutransformenunesortedemeeting,ensuscitantlidequelaphilosophieavaitcessdtrelaffairedlitesprivilgiesetaverties,uneaffairevraidirefortennuyeuseetcoupedetouteenjeurel,etquelletaitdevenueaccessibleauplusgrandnombre,auxmasses,unmotdontlesrsonancestaientparticulirement fortescemoment,cequiavait renforc la reprsentationde lEcolecommeun centre daction rvolutionnaire ou dun quartier gnral , o se mrissaient de grandschangements ayant des consquences pour la socit tout entire : le contenu de ceschangementsrestaitprciser,cequinempchaitleururgencedeparatredautantplusgrandeque celuici tait moins dfini. On peut donc soutenir que le Cours a apport sa petitecontribution lchauffementgnraldesespritsquiavaitprcd,etsansdouteprparsafaon,lexplosionfinaledeMai,uneexplosionqui,mmesielleatauconfluentdenombreuxautres courants dinspirations htrognes, sexplique en partie par cemouvement dagitationintellectuelle dont lEcole et ses petits cercles, qui avaient perturb leur manire le cadrerigidedans lequelstaientenfermes les institutionsuniversitaires,avaitoffert,commeenunmicrocosme,unereprsentationconcentre.QuellestaientcesmassesqueleCoursdephilosophiepourscientifiquescherchaittoucher?Ctaientvraidiredesgroupesintellectuelsetcultivs,fortpeupopulairesdansleurrecrutement,quitiraientleurcaractre,largementmtaphorique,demassedufaitquedesphilosophes sadressaient eux, non pour les endoctriner ou les endormir en leur dispensantleurs habituels enchantements ou formulesmagiques,mais proprement, comme lannonait leprospectus de lancement du Cours, pour les initier , en leur fournissant, sous une formedidactique assume comme telle, le Cours a t effectivement un cours, dispens sous desformes assez austres, et non un ensemble de discours de propagande assns de maniredmagogique , les bases indispensables en vue de leur participation une interventionthoriquedirectementouindirectementassocieunchangementdelasocit,unchangementdans lequeluneformationphilosophiqueaxesurunemeilleureperceptiondesmodalitsde lapratique scientifique tait cense avoir un rle non ngligeable remplir, ce qui tait unemanirederejouerlevieuxthmedelaplaceetdelafonctionduphilosopheetdusavantdanslaCit.Lidededpart,quintaitpasdnuedintrt,cequiexpliquequelleaittaussittpriseausrieux,ettrsconcrtementquelachoseaitaussibienetaussivitemarch,taitquele philosophe prenne sur soi de sadresser des nonphilosophes, sous lespce des scientifiques , comme si ceuxci constituaient les vritables destinataires du discoursphilosophique, cestdire le premier champ o celuici ait agir, au sens dune interventionpratique et politique ayant pour but, pour reprendre une expression quAlthusser affectionnaitparticulirement, et qui tait dans son esprit directement associe la pratique de lapsychanalyse,de fairebouger les choses.Laquestionposetantdesavoir comment,entantquephilosophes,fairebougerleschoses,larponseproposetaitlasuivante:enforgeantuntypeoriginaldediscours,prenantlaformepdagogiquedundiscoursdinitiation,cestdireproprement dun cours , selon lamission assigne une Ecole qui est de dispenser desenseignements , ce qui doit permettre la philosophie de sortir de son champ propre enprenant pour destinataires des gens pour qui la philosophie nest pas directement ou enconscience leuraffaire,envuede lesconvaincrequesesdmarches lesconcernentetquilsysont,leurinsumme,impliqus. Le prospectus de prsentation du Cours prcisait dans ce sens le contenu de cetteadresse:

    Cecoursestrservauxnonphilosophes.Entendons:ilestrservauxspcialistesdedisciplinesautresquelaphilosophie.IlestdoncrservauxScientifiquesetauxLittrairesnonphilosophes.CecoursestavanttoutdestinauxScientifiques.Entendons:tantdonnlobjetquiseraaucentredececours(rapportsdelaphilosophieetdessciences)ilsadressedabordauxScientifiques(spcialistesdes Sciences mathmatiques, physicochimiques et biologiques). Mais il intresse aussi les

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    Littrairesdesdiversesdisciplines,dontlaspcialitimpliqueuneactivitscientifique.Nonsansquelqueembarras,donttmoignentlesguillemetsassortissantlareprisedecescatgories, Scientifiques et Littraires , ces formulations authentifiaient le partageacadmiqueentredisciplines,enrestaurantentreellesunehirarchie:leCours,quisadressaitprioritairement aux Scientifiques , devait intresser aussi les Littraires , ou dumoinsceuxdentre euxdont la spcialit impliqueuneactivit scientifique, cestdire, fallaitilcomprendre,tousceuxquioeuvrentdanslechampauxfrontiresimprcisesetaustatutencoremal assur des sciences humaines, ces sciences qui sont des sciences, ou plutt dessciencescardanscecaslesguillemetssimposaient,sansentre,dumoinspartentire.Etaitainsilance,souslaconduitedelaphilosophie,unemanuvredencerclementdessciencesditesmollesparlessciencesditesdures,envuedelesinciterrevoirdefondencombleleursproblmatiques,etcouperradicalementlespontsaveclaculturetraditionnelledesHumanitset les garanties illusoires que celleci leur offrait : ceci illustrait parfaitement le projet dunepolitique de la philosophie assignant celleci pourmission fondamentale dintervenir dans lechamp de la thorie en vue den bouleverser les rapports antrieurs, ce qui tait une toutepremiremaniredefairebougerleschoses. Oncommencealors comprendre comment lanotiondephilosophie spontanedessavantstaitappeleprendreplacedanscedispositif: lesscientifiquestantdesgensquifont de la philosophie spontanment , cestdire certains gards sans le savoir, sanssavoir ce quils font en pratiquant sans formation pralable et sans contrle la philosophie etsanssavoirquellesortedephilosophieilsfontenprocdantdecettefaon,ilestncessairedeleurfournirleslmentsquileurpermettentdereprendrelamatrisedeleurpratiqueinformellede laphilosophie,etpar lderectifiercettepratique,en larorientantdansunnouveausens.LesScientifiquessacrsdestinatairesprivilgisduCourseuxadressparlesphilosophestaientdoncdesnonphilosophesdungenrebienparticulier,dans lamesureo ilstaientcenssentretenirdemble,sur lemodeambigude linsu,uncertainrapport laphilosophie:cerapportprenaitlaforme,nonseulementdunbesoindephilosophiedonttoutunchacunpeuttre aprs tout crdit, mais dune modalit de satisfaction de ce besoin plus ou moinsapproprie,cestdire,pourreprendre lunedescatgoriescentrales introduitesparAlthusseraudbutduCours,plusoumoinsjuste,cequiappelait linterventionduphilosopheenvuedelajuster.Cequelescientifique,ainsi interpell,pouvaitattendreduphilosophe,ctaitdoncune philosophie nonspontane, consciente et matresse de ses enjeux, faisant pice saphilosophie spontane et le prparant la critiquer, en mettant en uvre dans sa proprepratique de savant une sorte de rforme de lentendement (emendatio intellectus) dont laphilosophietaitlamieuxplacepourluienoffrirlesmoyens. Le programme du Cours, annonc la fin du prospectus de prsentation, tait ainsilibell:1/Laphilosophieetlessciences(Althusser)2/Lobjetdelascience(Macherey)3/Pratiquesocialeethistoiredesciences(Pcheux)4/Epistmologieethistoiredessciences(Fichant)5/Yatildesprcurseursdanslessciences?(Regnault)6/Lamthodeexprimentale(Balibar)7/Questcequunmodle?(Badiou)Auprixdequelquesramnagementsconcernantprincipalementlecalendrierdessances(lexpos introductif dAlthusser prvu initialement pour occuper une soire avait finalementdonn lieu cinq cours successifs), ce programme, dmarr en novembre 1967, a teffectivement tenupendant la suitede lanneuniversitaire, jusquau29avril1968o il atinterrompu avant que Badiou, le dernier intervenir, ait pumener terme son propos : sesultimessancesontpratiquementconcidavecledclenchementdesvnementsdemai68.Envuedassurerunemeilleurediffusiondesoncontenu,Althusseraensuitecrdanslecadre de la collection Thorie quil avait lance en 1965 aux ditions Maspero avec son PourMarx,unesriespcialeintitule,enreprisedestermesduprojetinitial,Coursdephilosophiepourscientifiques,oontpresqueaussittparu,en1969,deuxvolumes.Lepremiersortir,numrotIV,avaittLeconceptdemodle(Introductionunepistmologiematrialistedesmathmatiques) reprenant linterventiondeBadiou,qui vient, en2007,dedonnerauxditionsFayard une nouvelle dition, complte, de ce texte, quil prsente aujourdhui comme sapremireuvredephilosophe.Entteduvolumesetrouvaitunenoticedeprsentationdelensembledelasrie,libelledanscestermes:

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    COURSDEPHILOSOPHIEPOURSCIENTIFIQUESNouspublionssouscetitreunesriedefasciculesquiregroupentlamatiredescoursquionttprononces (ounontpu ltre) lEcoleNormaleSuprieurependant lhiver19671968.Fasciculesprvus:IIntroduction(L.Althusser)IIExprienceetexprimentation(P.Macherey,E.Balibar)IIILacoupurepistmologique(F.Regnault,M.Pcheux)IVLeconceptdeModle(A.Badiou)VLidedunehistoiredessciences(M.Fichant)VIConclusionprovisoire Les fascicules annoncs paratront dans un ordre de succession diffrent de lordredexpositiondescourspourdesraisonspurementmatrielles.Cetordredeparutionnaffecterapas lintelligence du contenu des fascicules qui se prsentent respectivement comme destoutsrelativementautonomes. Devait suivre quelquesmois plus tard un second volume, numrot III, intitul Surlhistoire des sciences, o taient rassembles les interventions de Pcheux et de Fichant, enmodificationdelorganigrammeprcdentdelasrie,ramenalorscinqtitres,aulieudessixprcdemmentannoncs:IIntroduction,L.Althusser(paratre)IIExprienceetexprimentation,P.Macherey,E.Balibar(paratre)IIISurlhistoiredessciences,M.Fichant,M.PcheuxIVLeconceptdemodle,A.Badiou(paru)VConclusionprovisoire(paratre)Onnoteraquelannonceduvolumeconclusifdecettesrientaitassortiedaucunnomdauteur,cequitendaitrenforcerlecaractrecollectifdelentreprise.Lamodificationduplan initial tait due au fait que F. Regnault, qui, entre temps, avait pris ses distances avecAlthusser, et ne voulait plus avoir lair dappartenir au groupe alors runi autour de lui, avaitretir le texte de lintervention quil avait donne le 26 fvrier 1968 sur le thme de larefontedanslhistoiredessciences:sonanalyseavaittremplace,audbutduvolumedeFichantetdePcheuxparquatrepagedeDfinitionssignesdesnomsdeBalibaretdePcheuxquienrsumaientlecontenu.Cecidonneuneidedesdifficultsdetousordresquisesontaccumulessuitelatenueeffectiveducours,difficultsquienontdiffrpartiellementlapublication.LesvolumesIIetVnesontjamaissortis,etAlthusseraluimmeattenduplusieursannes,pourreprendre,en1974,souslintitulPhilosophieetphilosophiespontanedessavants(1967), toujours dans cette srie de Cours de philosophie pour scientifiques mais sansrfrence la numrotation initialement prvue, le texte partiellement revu de ses quatrepremiresinterventions:ilavaitprovisoirementgarddanssestiroirsceluidelacinquime,laquelle ilaccordaituneparticulire importance,etquidemanderaittreanalysepourellemmeellenatpubliquebeaucoupplustard,dansletomeIIdurecueilposthumeralispar Franois Matheron Ecrits philosophiques et politiques, d. Stock/Imec, 1995, p. 255299,sousletitreDuctdelaphilosophie.DanslAvertissementdesonlivre,quiatledernier paratre de la srie, Althusser prcisait : Les autres cours annoncs ne purent, pourdiffrentes raisons, paratre . En subsistent nanmoins les textes ronots, dont un recueilcompletatdposetestenprincipeconservlaBibliothquedelENS. En faisant figurer sur la page de couverture de louvrage paru en 1974 la mentionexpressedeladate,1967,Althusserentendaitsignifierlecaractreconjonctureldesadmarchedont il avait longuementhsit dlivrer le contenu sous forme imprime, et avec laquelle ilavait, dans lintervalle, et la conjonctureayant chang, pris quelquedistance sans toutefois larenier compltement. Le tout premier volume de la srie avoir paru, celui de Badiou, avaitdj t prcd dun Avertissement dont les termes avaient sans doute t soigneusementpess,signThorie,dcembre1968: ilavaitvraisemblablementtrdigduncommunaccordparAlthusseretBadiou,quicemomentmarchaientlamaindanslamain.DjdanscetAvertissementtaitdnonc,beaucoupdeauayantcoulsouslespontsdanslecoursdelanne1968, le caractre thoriciste dune dmarche diagnostique comme renvoyant uneconjoncturedpasse:

    Lalutte,mmeidologique,exigeuntoutautrestyledetravailetunecombativitpolitiquejusteetlucide.IlnestplusquestiondeviseruneciblesanslatteindreNousnentretenonsaucuneillusion:largionosesituecetravail(ladoctrinedelascience)estnon

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    seulementtrslimiteettrsindirecte,maisellepeuttredangereuse,sionsemprendsurlesensdesalimitation.Nouscroyonsnanmoinsutilederappelerparquelbiais,danscechamp,peutnotreavis et de notre point de vue se poursuivre, ou se consolider, la relance du MatrialismeDialectique.

    Ilnallaitdoncplusdesoidereprendre lestermesdunedmarchequiparaissaitavoirtaussittprime,cequiauraitconsistrevenirenarriredelamarchedunehistoirequistaitmiseavancertoutevitesse,avantdenvenirreculer,galementtoutevitesse,cequiatlagrandeaffairedeseighties,dontlesconsquencessefontencoreaujourdhuisentir.Lammeanne1974oparaissaitenfinPhilosophieetphilosophiespontanedessavants(1967)taitaussicelledelapublication,danslasrieAnalyse,quAlthusser,quiavaitcommencneplustrsbiensentendreavecsonpremierditeurMaspero,avaitalorsentreprisdelancerauxditions Hachette Littrature, de ses Elments dautocritique, o taient repris, dans laperspective de leur rectification, les lments dvelopps dans le Cours autour de la coupureentrescienceet idologie, sansquil soitplus fait rfrencealorsunephilosophiespontanedessavants,cequisignifiaitquelefaitquelephilosophesassignepourtoutepremiretchedetenir un discours ladresse des scientifiques tait diagnostiqu comme le symptme dunedviationthoriciste,cellelmmequiavaitdjtdnoncedans lAvertissementau livredeBadiou. Tout ceci pour faire comprendre que la thmatique de la philosophie spontane dessavantsesttroitementsitueetdate,etreprsenteunetape,seulementunetapemaisunetape significative nanmoins, dans le droulement dune activit philosophique soucieuse decoller au plus prs la ralit historique et la situation politique, ce qui la contraignit dplaceraufuretmesure,etventuellementdansledsordre,sespointsdapplication.

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    Philosophieetphilosophiespontanedessavants:lorsque,pourintitulerlelivredanslequel, aprs bien des hsitations, il stait dcid reprendre partiellement le contenu descoursquilavaitdonnslafindelanne1967danslecontextetrsparticulierquivientdtrevoqu, ilachoisi cette formulequine figuraitpasdans lesannoncesprcdentesde lasriedes Cours de philosophie pour scientifiques , renonant galement numroter ce volumecomme lavaient t ceux dj parus plusieurs annes plus tt, Althusser entendaitmanifestement assurer cette publication dont le statut tait des plus problmatiques unerelative autonomie, et la dissocier de lensemble dont elle tait issue, ensemble dont il taitdevenumanifeste dans lintervalle quil prsentait le caractre dun essai interrompu, dont laportenavaittqueprovisoire,etquinoffraitpasunesuffisancecohrencepourpouvoirtreprsent comme un tout consistant. Indpendamment de ces considrations de forme, cetteformule prsentait surtout lavantage dattirer tout de suite lattention du lecteur sur ce quiconstituait,surleplandesoncontenu,lundesprincipauxenjeuxthoriquesdulivre,savoirlefait que le discours adress par le philosophe aux non philosophes, sous les espces des scientifiques , en vue de faire sortir la philosophie du cercle spculatif o elle staitenferme, dbouchait sur la confrontation entre deux occurrences ou ralisations duphilosophique comme tel, celle connote par la simple appellation, une simplicit toutapparente, car elle recle en ralit une tension cache , philosophie , et celle, dont ladsignation plus complexe appelait un dcryptage, car on ne voyait pas demble quel typedobjetlarapporter,philosophiespontanedessavants.Deluneinterrogationconcernantlestatutduetpartirduquelcetteformuledetitretaitconstruite:devaitiltreprisdansun sens purement numratif, ou bien signalaitil lexistence, entre les deux occurrences duphilosophique quil mettait en prsence, dune confrontation prsentant un caractrepotentiellementagonistique? Cesremarquesconduisentaussittprendreencompte leparadoxesur lequel reposetouteladmarchedelaphilosophie,paradoxedontsamiseenuvreestinsparable,bienquilpasse leplussouvent inaperu,cequidonne lieu toutessortesdemprisessur lanaturedeloprationphilosophique.Ceparadoxe,autourduqueltournaitpourlessentiel,aupleinsensduverbetourner, la rflexionmenealorsparAlthusser,est lesuivant: laphilosophietantaffairedediscours,cequisignifiematriellementquellenariendautrefairequalignerdesmotsdansuncertainordre,produiredesnoncs,laquestionseposeimmdiatementdesavoir quoi se rapporte ce discours, quel est son objet or, ctait lide principaleavance par Althusser, la philosophie na pas dobjet, entendons pas dobjet extrieur, ce qui

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    veutdirequelaphilosophieestellemmesonpropreobjet,doncquesondiscours,sondrlede discours, ne parle de rien dautre que dellemme, sous la forme dune interminableruminationqui laramnesanscessesoi,sansissuevers ledehors.Delcecercle, identifidanslaconclusiondupremiercours:

    Telest le jeude laphilosophie, tellequenous lapratiquons.Tracerdes lignesdedmarcation,quiproduisentdenouvellesquestionsphilosophiques,sans fin.Acesquestions,quelleproduit, la philosophie ne rpond pas comme une science, par des solutions dmontres ou desrsultats prouvs (au sens scientifique de cesmots) : elle y rpond en nonant des Thses, nonarbitraires, justifies, qui leur tour tracent de nouvelles lignes de dmarcation, faisant surgir denouvellesquestionsphilosophiques,etlinfini.(p.50)

    Notons que lexpression la philosophie , qui apparat plusieurs reprises dans cepassage,doitsyentendrediffrentsniveaux:dunepartellerenvoieunemaniresingulirede mettre en uvre lactivit philosophique, la philosophie telle que nous la pratiquons ,sousentendudemanireoriginale,innovante,enprenantpartietdautrepart,ellerenvoieenmme temps la philosophie en gnral, considre dans toutes ses manifestations sansexception,quiauraienttoujours,depuisPlaton,consisttracerdeslignesdedmarcation.Alors,quyatildervolutionnairedanslefaitderamenerlaphilosophieautracdelignesdedmarcation, alors que, depuis que la philosophie existe, elle na jamais procd autrement ?Seulerponsepossiblecettequestion,assezsidranteentendre:unenouvellepratiquedelaphilosophie est celle qui trace des lignes de dmarcation dans le fait de tracer des lignes dedmarcation. Pourquoi ? Parce quil y a manire et manire de tracer des lignes dedmarcation:soitlefairesansledire,enlignorantetenletaisant,commecelaalieudanslaplupart des cas soit le faire de manire avoue et dclare, en en tirant toutes lesconsquences,consquencesendernireinstancepolitiques,cequiestprcismentladmarcheengage par Althusser, dmarche qui, paradoxalement, est conforme celle de la philosophiedepuissesoriginestoutentantdcale,dplace,ausensfortde lexpression,parrapportelle:

    Ilslefonttoujours:maisilsnedisentpas(sinonrarement)quelapratiquedelaphilosophieconsistedanscettedmarcation,danscettedistinction,danscetrac.NousledisonsEnlereconnaissant,enle disant et le pensant, nous nous sparons deux. Tout en prenant acte de la pratique de laphilosophie,nouslexerons,maispourlatransformer.(p.15)

    Donc,laphilosophietracedeslignesdedmarcation.Mais,seslignesdedmarcation,olestracetelle?Ellelestracedanssonproprechampdintervention,quinestpascommecestle cas pour les sciences un domaine de ralit connatre, mais ellemme, et rien dautrequellemme, sa propre pratique sur laquelle elle ne cesse de revenir, ce qui est une autremanire de dire quelle tourne en rond, et que cest sa nature mme de tourner en rond.Philosopher,cesttournerenrond,etaccessoirementtomberdansdestrous,commelerappelaitparailleursAlthusserdanslepremiercours(p.17)oilserfraitaupassageduThttedanslequelPlatonraconte lhistoiredeThalsen traindesecasser la figureparcequilmarche lesyeuxlevsverslecielsanssesoucierdecequisepassesespieds,augrandamusementdelaservantethracequi,ravie,assistesachute. Cest sur la prise en considrationde ce cercle que, audbut dudeuxime cours, serelancenouveaularflexiondAlthusser:

    Cestdlibrmentquejesuisentrdanscecerclencessaire.Pourquoi?Pourfairesentir,mmebrutalement,quesilestindispensabledesortirdelaphilosophiepourlacomprendre,ondoitsegarderdelillusiondepouvoirfournirunedfinition,cestdireuneconnaissancedelaphilosophiequipuissechapperradicalementlaphilosophie:onnepeutpasatteindreunesciencedelaphilosophiequisoit unemtaphilosophie , onne peut chapper radicalement au cercle de la philosophie. Cestpourquoi dailleurs vous avez bien compris linverse que je ne pouvais parler de la philosophie engnralqupartirdunecertainepositiondanslaphilosophie:medmarquant,prenantmesdistancesparrapportdautrespositionsexistantes.Ilnyapasdediscoursobjectifsurlaphilosophiequinesoitenmmetempsphilosophique,doncdiscourstenusurdespositionsdanslaphilosophie.(p.56)

    Comprenne qui pourra : sortir de la philosophie, ce qui est indispensable pour lacomprendre , cest encore et toujours tourner dans son cercle. Il ny a de sortie pour laphilosophiequeparlintrieur,quilaramnerflexivementellemme,cequiestlacondition

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    pourquellearrive,eneffectuantcetour,fairevoir,quandmme,leschosesautrement,et produire des effets, qui ne sont cependant pas des effets de vrit au sens o laconnaissance scientifique vise produire de tels effets. Althusser prenait un risque calcul eninterpellantdanscestermessesauditeurs,desnonphilosophes:celuideleurdonnerletournis,aupointdelesinciterpenserquelephilosophenariendautreleuroffrirquelaperspectivedeparcourirdescheminsquinemnentnullepart,proprementparlerdesimpasses,uneopration dont on ne voit pas comment elle pourrait dboucher sur un solde positif. Alors,pourquoisedonnerlapeinedesinitierlaphilosophie?Quelbnficepeutonescompterduneinitiationdont leprogramme impliquequesoitdpose toutepromessedevrit,quellequensoitlaforme?Lathseselonlaquellelaphilosophienajamaisaffairequellemme,cequidisqualifiedemble la prtention quelle pourrait avoir de conqurir un domaine extrieur de ralit surlequelellesassureraitundroitderegardexclusif,commeyprtendentnormalementtouteslesformes de connaissance, peut snoncer autrement : il y a toujours dj de la philosophie, etcestdecefait,savoirque,quonleveuilleounon,quonsenrendecompteounon,ellesoittoujoursdjl,quelleasoccuperautitreduproblmequelleaenproprersoudre,pourautant que ce genre de problme puisse tre rsolu. Le discours quAlthusser adressait auxscientifiques,reprsentantscertifisdesnonphilosophes,pouvaitdoncsersumerainsi:vousvous attendez ce que nous vous apportions quelque chose de nouveau pour vous, quelquechose que vous navez pas et que vous auriez intrt acqurir mais, ce quelque chose denouveau,laseulechosequenousayonsvousrvlersonpropos,cestque,bienquevousnelesachiezpas,vouslavezdjvouslavezsouslaformedevotrephilosophiespontanedesavants,qui tmoignedeceque,pasplusquonnepeutsortirde laphilosophie,onnepeutnon plus y entrer, tout simplement parce quon y est dj : vous, savants, baignez dans laphilosophiequiestvotrelment,toutcommelespoissonsviventnaturellementdansleau.Ouencore,pourledireautrement:vouscroyezquelaphilosophieestdevantvouscommequelquechosequevousavezapprendreduphilosopheparcequeluilasaitalorsquevousnelasavezpasorilyabienquelquechosequevousnesavezpasproposdelaphilosophie,cestquelleest, non devant vous comme vous vous limaginez, mais derrire vous, dans cet lment dutoujoursdjlsurlequelestgnralementjetlevoiledelignorance.Leproblmenestdoncpas de ne pas savoir assez de philosophie, mais, en un sens assez particulier du verbe savoir qui comporte un rapport au nonsavoir, den savoir encore bien trop, sous desformes dont la confusion demande tre dmle, ce qui ncessite quon intervienne en ytraantdeslignesdedmarcation. Quelles sont ces formes ?Dans le quatrime cours consacr une relecture critique,extrmement polmique, de la leon inaugurale que Jacques Monod venait de prononcer auCollgedeFrance,Althusserendistinguaitdeux:laphilosophiespontanedessavants(PSS)etlaconceptiondumonde(CDM).Lapremire,laPSS,estconstitueparlesidesquesefontlessavantsausujetde leurproprepratique, idesquisontdjphilosophiquesencesensquellesontdcalespar rapport cettepratiquedont ellesproposentune interprtation sauvage, cequi,trsmatriellement,trsconcrtement,leurassignelestatutdidesfausses,oudumoinsfaussesenpartielaseconde,laCDM,estunsuccdandephilosophie,undiscoursvaguequitiresonapparentesystmaticitdufaitdestrelibrdetouterfrenceunepratiquequellequelle soit et prtendvaloir engnral.Cest la premire formequi intresseprioritairementAlthusser.Ilenrepre lexistencedans lasecondepartiedupremiercoursconsacre ltudedunexemple,lethmedelinterdisciplinarit:

    Ilyadesidesfaussessurlascience,nonseulementdanslattedesphilosophes,maisdanslattedesscientifiqueseuxmmes.Defaussevidencesqui,loindtredesmoyenspourprogresser,sonten ralit des obstacles pistmologiques (Bachelard). Il faut les critiquer, et les rduire, enmontrantlesproblmesrelsquellesrecouvrentsousdessolutionsimaginairesMaisilfautallerplusloin : et reconnatre que ce nest pas un hasard si ces ides fausses rgnent en certains lieux dudomaine de lactivit scientifique. Ce sont des ides et des reprsentations non scientifiques,idologiques.Ellesformentcequenousappelleronsprovisoirementlidologiescientifique,oulidologiedes scientifiques. Une philosophie capable de les discerner et de les critiquer peut avoir pour effetdattirer lattention des scientifiques sur lexistence et lefficacit de lobstacle pistmologique quereprsentecetteidologiescientifiquespontane:lareprsentationquesefontlesscientifiquesdeleurproprepratique,etdeleurrapportleurproprepratique.Iciencore,laphilosophienesesubstituepasaux scientifiques : elle intervient pour dgager la voie, dans laquelle peut alors se tracer une lignejuste.(p.34)

    Onlaisseraprovisoirementdectlaquestiontrscomplexesouleveparlarfrence

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    Bachelard et la thmatique de lobstacle pistmologique , et on se contentera pour lemomentde renvoyer ltudeprsente ce sujetparEtienneBalibar dans sonarticle, LeconceptdecoupurepistmologiquedeGastonBachelardLouisAlthusser(reprisdanslerecueildesesEcritspourAlthusser,d.LaDcouverte,1991,p.957),quifait letourdecettedifficile question.Cequi nous importemaintenant, cest de comprendre enquoi la philosophiespontane des savants est dans son fond idologique , et, plus prcisment, correspond lidologiequelessavantsformentdeleurproprepratique,mmeledroulementdecelleci.Intressonsnoustoutdabordaucaractrespontandecetteidologiedelapratiquescientifique. Usant dune de ces formules abruptes et saisissantes dont il avait le secret,Althusserdclaraitimmdiatementlasuitedupassagequivientdtrecit:

    Jenajoutequunmotsurcetteidologiespontane:onverraquelleestspontane,parcequellenelestpas.(p.35)

    TouteluvredAlthussertmoignedunevritablerpulsionlgarddelathmatique,ses yeux profondment racoleuse et dmagogique, de la spontanit, rpulsion sans douteinspire par la critique faite par Lnine des consquences nfastes du spontanisme pour lemouvementouvrier.Lespontannestjamaisqueduspontanavecdesguillemets,cestdire du faux spontan, qui est en ralit le rsultat dune manipulation, dun artifice, dunmontage.Surcepoint,AlthusserrejoignaitleBarthesdesMythologies,etsonrefusdelillusiondu naturel , une illusion factice, qui se rvle lexamen socialement construite, doncconditionne. Sil est vrai que la philosophie est toujours dj l, au titre dun tat de faitdonnantseulement lieutre repris, soit sous la formedu ressassementsoit souscellede larectification, il seraiterrondenconclurequesonexistencepralableconsisteenunedonneimmdiate, non biaise, non dj travaille par des tensions qui lempchent de parler duneseule voix, au titre dune parole nue qui ne serait demble soumise des dformations. Lepropredetoutes lesoriginesestdtretruques: riennecommence jamaisabsolument,et lapense philosophique, qui se prcde ellemme, nchappe pas cette loi lorsquelle seprsentesous lesespcesde laspontanit,commecest lecasavec laphilosophiespontanedes savants, cette spontanit ne peut tre quapparente : elle dissimule des contradictionsquelleseraitbienenpeinedersoudreetque,loindelesliminer,ellereconduit. Cecidit,quellessont les tensionsauxquellesestenproie laphilosophiespontanedessavants, tensions caches quil revient au philosophe de rvler en traant ses lignes dedmarcation?Cepointcommencetrelucidaveclathse20,quiestainsilibelle:

    Laphilosophieapour fonctionmajeurede tracerune lignededmarcationentre lidologiquedesidologiesdunepartetlescientifiquedessciencesdautrepart.(p.26)

    Cestprcismentcette fonctionquelleremplitauprsde laphilosophiespontanedessavants, en rendant visible le partage entre ce qui, en celleci, revient lidologiqueproprement dit et au scientifique proprement dit, donc en rendant manifeste que la nave etfranchesimplicitquelleaffichemasqueunedivisionenvertudelaquelleelleestenproieuneluttesansmerci,luttequi,commetoutelutte,estuneluttepourladomination.Enarriredesondiscours lisse et consensuel, la philosophie spontane des savants serait donc le sige duneconfrontationdontlestermessontlidologiqueetlescientifique.Setrouveicienjeulacoupureentrescienceetidologie,sansdoutelepointlepluslitigieuxdetouteladmarchedAlthusser,surlequel,en1974,enmmetempsquilfaitparatrePhilosophieetphilosophiespontanedessavants,ilrevientgalementdanssesElmentsdautocritique,dontlesdeuxpremierschapitressontconsacrsprcismentcethmedelacoupure, ilcritalorssystmatiquementcemotentreguillemetspoursignalerparcetartificegraphiquelesdifficultsattachessonusagequi est tout sauf innocent , thme dans lequel il voit le symptmemajeur de son erreurthoriciste,commeillappellealors.Quesignifieaudpartcetteidedelacoupure,avecousansguillemets?Ellerenvoieleffectuationdungeste,quitenddiviser,partager,dpartager,cequexprimeaussilefaitdetracerdeslignesdedmarcationoudeprendreposition,cequi,selonAlthusser,dfinitdansson fond lactivit philosophique et fait delle, au sens fort du terme, une prise de parti .Pourquoisengagerdansunetelleopration?Pourquoirompreenvuederendremanifestesdescoupures?Pourdissiper les illusions fusionnellesde lacontinuit, tellesque lesdveloppeparexemplelediscoursdeluniverselquelaphilosophietient leplussouvent,afindedrober lavuecequellefaitenralit,savoiroccuperdespositionsdedominationlintrieurdecequeKant luimmeappellesonKampfplatz, dont il esprequil laisseraun jourplaceuntatde

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    paix perptuelle. Derrire la coupure, il y a donc la rupture, cestdire la volont den finiravec les attitudes de compromis qui sacrifient tout au besoin dunit, sans voir que lesrconciliationsobtenuesensuivantcettevoie,quiestunesortedetroisimevoie,sonttoutauplusprovisoiresetnemettentpas finmatriellementauxdivisionsquelles recouvrentdunvoiledignorance.Reconnatre lancessitdecetterupture,cesttirertoutes lesconsquencesdu fait quil y a partout des contradictions, des tensions, de la lutte, du conflit, et que nullepratique ny chappe, y compris lactivit de la connaissance scientifique, ce dont tmoignejustement lexistence de la philosophie spontane des savants, mme si elle a pour but decamouflerpartiellementcettesituation:

    Si on analyse le contenu de la PSS, on constate le fait suivant : le contenu de la PSS estcontradictoire.(3ecours,p.100)

    Pour identifier spcifiquement la contradiction laquelle est en proie la philosophiespontane des savants, Althusser propose alors dy distinguer deux lments, quil appellellmentA,lmentquildiagnostiquecommeintrascientifique,etllmentB,qui,lui,estextrascientifique.LlmentAestconstituparuncertainnombredeconvictions,quisontdirectement attaches la pratique de la connaissance scientifique : la croyance en la ralitobjectivedescontenusde laconnaissance lacroyancedans lacapacitde laconnaissancematriserobjectivementcescontenus lacroyanceenlefficacitdelamthodequiproduit lesconnaissancesscientifiques.Cescroyancessonteffectivementindissociablesdelapratiquedelaconnaissance scientifique, et on ne voit pas comment celleci pourrait se drouler si elle lesrejetait:cestcequijustifiequAlthusserleurreconnaisseuncaractrematrialiste,encesens quelles collent la matrialit de lactivit de la connaissance scientifique dont ellesoffrent un condens conforme. Dune tout autre nature est llment B, qui se rapporte lapratiquescientifiquesansentreleproduit,cequi,concrtement,veutdirequilexploitecettepratique:

    Il est la rflexion sur la pratique scientifique de Thses philosophiques labores hors de cettepratique, par des philosophies de la science , religieuses, spiritualistes ou idalistescritiques,fabriquespardesphilosophesoudessavants.(p.101)

    Cetlmentextrascientifiquepeuttrsbientrelaborpardessavantsprofessionnels,cequinempchequilaitt fabriqu,cestdirequil serapportelapratiquerelledelaconnaissancescientifiqueautitredunlmentemprunt, plaqu sur son droulement effectif, dans une perspective dercuprationetdexploitation:

    DanslaPSS,llmentmatrialisteest,danslagrandemajoritdescas(etsaufexceptiondautantplus remarquable) domine par llment idaliste. Cette situation reproduit, au sein de la PSS, lerapportde forcephilosophiqueexistantdans lemondeovivent les savantsquenous connaissons,entrelematrialismeetlidalisme,etladominationdelidalismesurlematrialisme.(p.102)

    Avec le recul, on peut trouver excessivement simpliste le fait de ramener le jeuphilosophique, tel quil sepoursuit sousdes formes larves travers laphilosophie spontanedessavants,loppositiondedeuxforces,identifieslaidedescatgoriesdematrialismeetdidalisme, catgories dont le contenu se rvle lusage particulirement brouill : il y amatrialisme et matrialisme, et il nest pas ais disoler une forme pure de matrialisme,exempte de toute connivence avec lidalisme et, inversement, un idalisme seraitilseulementpensable,crdible,silnecomportait,simincesoitelle,unebasematrialiste?Maisces difficults sont prcisment au cur de linvestigation poursuivie par Althusser, qui tendavanttoutmettreenvidenceque,lo,parcequonestincit,conditionnetsuggestionnlefaire,onvoitdusimpleetdelunifi,ilyaducomplexeetdudivis,cestdire,soustouteslesformespossibleset imaginables,duconflitetdela lutte,conflitet luttedont lissuenestaucun moment assure de manire dfinitive. On dirait en dautres termes que loprationphilosophique,telleaumoinsquelleseffectuesouslesespcesdelaphilosophiespontanedessavants,estaffectedunefoncirequivocit:sesmessages,prtendumentclairsetdfinitifstelsquilssontspontanmentdlivrs,soffrenttredcryptsilsvalenttoutaupluscommedes symptmes, prcisment comme les symptmes dune conjoncture thorique et pratique,historicosocialeendernireinstance,dontilstraduisentlestensionsspcifiques.