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Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur Prior et son héritage JEAN-BAPTISTE GUILLON Mémoire de Master 2 Philmaster sous la direction de M. le professeur Frédéric Nef 2007-2008

Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

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Page 1: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Analogies et Interactions entre Temps et Modaliteacute Arthur Prior et son heacuteritage

JEAN-BAPTISTE GUILLON

Meacutemoire de Master 2 Philmaster

sous la direction de M le professeur Freacutedeacuteric Nef 2007-2008

Table des Matiegraveres Introduction Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale I Syntaxe des quasi-modaux 1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales 2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique 1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux b la relation drsquoaccessibiliteacute 2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude 1 Le maicirctre argument 2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps 3 enjeux philosophiques du principe de pleacutenitude II La neacutecessiteacute historique 1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations 2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne

1 6 7 7 9 9 14 22 23 23 27 31 39 40 41 43 46 51 52 55 56 58 63

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique i Les structures drsquoarbre ii Structures TxW iii Kamp-structures b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation ii supervaluation dans le modegravele TxW iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Conclusion Annexes Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane Bibliographie

68 68 71 73 75 77 78 79 82 86 89 90 91 92 94 96

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Introduction Μόνου γὰρ αὐτοῦ καὶ θεὸς στερίσκεται ἀγένητα ποιεῖν ἅσσ ἂν ᾖ πεπραγmicroένα Car il y a une seule chose dont Dieu mecircme est priveacute Crsquoest de faire que ce qui a eacuteteacute fait ne lrsquoail pas eacuteteacute Agathon cit in Ethique agrave Nicomaque VII 2 1139b10-11 Si Dieu mecircme ne peut effacer le passeacute crsquoest bien que cette impossibiliteacute qui nous

concerne au premier chef ndash et nous afflige parfois ndash ne tient pas agrave nos limitations humaines et contingentes mais agrave quelque chose de plus fondamental sans doute agrave la nature mecircme du temps Au premier abord il semble que le passeacute soit releacutegueacute dans la cateacutegorie des choses qui ne peuvent pas ne pas ecirctre crsquoest-agrave-dire dans la cateacutegorie de la neacutecessiteacute Tandis que lrsquoavenir agrave lrsquoinverse est le domaine propre de ce qui peut ecirctre ou ne pas ecirctre le domaine du possible Cette eacutetroite correspondance entre les deux notions temporelles fondamentales (passeacute et futur) et les deux notions de ce que lrsquoon appelle traditionnellement la modaliteacute (possibiliteacute et neacutecessiteacute) suggegravere qursquoil y a un lien ontologique fort entre ces deux composantes de la structure profonde de la reacutealiteacute

On pourrait mecircme ecirctre tenteacute de reacuteduire lrsquoune des deux notions agrave lrsquoautre Reacuteduction du temps agrave la modaliteacute le futur pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des possibiliteacutes ouvertes ordonneacutees de telle et telle faccedilon et le passeacute pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des neacutecessiteacutes ordonneacutees de telle et telle faccedilon Ou reacuteduction de la modaliteacute au temps ecirctre possible ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre agrave venir agrave un moment ou agrave un autre et ecirctre neacutecessaire ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre passeacute agrave un moment ou agrave un autre On heacutesite agrave continuer ici le mecircme parallegravele la reacuteduction du possible agrave ce qui arrivera agrave un moment futur a pour elle une certaine intelligibiliteacute mais il serait beaucoup plus eacutetrange de deacutefinir la neacutecessiteacute comme ce qui srsquoest passeacute agrave un moment ou agrave un autre De fait les auteurs tels que Diodore Cronos qui ont deacutefini la possibiliteacute agrave partir de la notion de futur ont donneacute de la neacutecessiteacute la deacutefinition suivante ce qui est et sera toujours La correacutelation entre temps et modaliteacute qui est prise en compte nrsquoest plus alors lrsquoaffiniteacute entre passeacute et neacutecessiteacute drsquoune part futur et possibiliteacute drsquoautre part mais plutocirct entre permanence et neacutecessiteacute drsquoune part eacuteveacutenement temporaire et possibiliteacute drsquoautre part

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Quelle que soit lrsquoanalogie qursquoon choisisse elle aura donc ses limites par exemple il est certain que la notion de preacutesent a des affiniteacutes avec la notion drsquoactualiteacute (le preacutesent est cette partie du temps qui nous concerne directement ou tout simplement cette partie du temps qui est le cas tandis que le passeacute nrsquoest plus et le futur pas encore de mecircme lrsquoactuel est cette partie des possibles qui est le cas tandis que le reste pourrait seulement ecirctre voire ne pourrait pas ecirctre du tout pour lrsquoimpossible) mais srsquoil est clair par ailleurs que le preacutesent est une limite entre passeacute et futur entre quoi et quoi lrsquoactuel pourra-t-il ecirctre penseacute comme limite Lrsquoactuel serait-il la limite entre le neacutecessaire et le possible On imaginerait plutocirct que lrsquoactuel est au milieu des possibles un possible parmi les autres et que la limite propre du possible est lrsquoimpossible lui-mecircme Le preacutesent apporte donc une restriction agrave lrsquoanalogie entre asymeacutetrie passeacutefutur et asymeacutetrie neacutecessairepossible

Mais lrsquoanalogie entre permanenttemporaire et neacutecessairepossible a eacutegalement ses difficulteacutes car elle semble reacuteduire agrave neacuteant la diffeacuterence entre le possible et lrsquoactuel tout ce qui est possible est en fait actuel agrave un moment ou agrave un autre de lrsquohistoire de notre monde Si le possible ne peut plus ecirctre conccedilu comme un riche pannel de situations non reacuteelles exceacutedant la reacutealiteacute ne perd-on pas lrsquoessentiel de cette notion

Lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute nrsquoest donc pas unique et triviale on aurait plutocirct affaire agrave un ensemble drsquoanalogies drsquoaffiniteacutes et drsquointeractions assez complexes qui drsquoune part rendent humble devant les tentatives reacuteductionnistes drsquoune notion agrave lrsquoautre mais drsquoautre part invitent agrave recenser caracteacuteriser et ordonner les points de contact Un premier eacuteleacutement pour ordonner cet ensemble complexe est la distinction suivante qui structurera notre eacutetude on peut srsquointeacuteresser soit agrave lrsquoanalogie qui existe entre temps et mondaliteacute soit aux interactions En effet deux entiteacutes peuvent tregraves bien entrer en interaction dans la reacutealiteacute en ayant tregraves peu de points drsquoanalogie (par exemple une bacteacuterie et un arbre vivant en symbiose) et inversement deux entiteacutes peuvent tregraves bien avoir de fortes analogies formelles sans jamais interagir dans la reacutealiteacute (par exemple deux systegravemes symbiotiques situeacutes dans deux heacutemisphegraveres diffeacuterents) Lorsque nous disons que lrsquoactuel est au possible ce que le preacutesent est au temps et que le neacutecessaire est au contingent ce que le permanent est au temporaire crsquoest proprement une analogie que nous deacutecrivons En revanche quand nous constatons qursquoun eacuteveacutenement est neacutecessaire du simple fait qursquoil soit passeacute nous nous inteacuteressons plutocirct agrave une interaction entre temps et modaliteacute

Nous avons tenu dans ce meacutemoire agrave aborder ces deux types de rapport fondamentaux

mais il est eacutevident que nous avons ducirc pour cela faire des choix Nous avons ducirc laisser de

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cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

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le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

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mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

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Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

22

II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

23

1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

28

Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

30

algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

64

dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 2: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

Table des Matiegraveres Introduction Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale I Syntaxe des quasi-modaux 1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales 2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique 1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux b la relation drsquoaccessibiliteacute 2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude 1 Le maicirctre argument 2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps 3 enjeux philosophiques du principe de pleacutenitude II La neacutecessiteacute historique 1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations 2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne

1 6 7 7 9 9 14 22 23 23 27 31 39 40 41 43 46 51 52 55 56 58 63

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique i Les structures drsquoarbre ii Structures TxW iii Kamp-structures b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation ii supervaluation dans le modegravele TxW iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Conclusion Annexes Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane Bibliographie

68 68 71 73 75 77 78 79 82 86 89 90 91 92 94 96

1

Introduction Μόνου γὰρ αὐτοῦ καὶ θεὸς στερίσκεται ἀγένητα ποιεῖν ἅσσ ἂν ᾖ πεπραγmicroένα Car il y a une seule chose dont Dieu mecircme est priveacute Crsquoest de faire que ce qui a eacuteteacute fait ne lrsquoail pas eacuteteacute Agathon cit in Ethique agrave Nicomaque VII 2 1139b10-11 Si Dieu mecircme ne peut effacer le passeacute crsquoest bien que cette impossibiliteacute qui nous

concerne au premier chef ndash et nous afflige parfois ndash ne tient pas agrave nos limitations humaines et contingentes mais agrave quelque chose de plus fondamental sans doute agrave la nature mecircme du temps Au premier abord il semble que le passeacute soit releacutegueacute dans la cateacutegorie des choses qui ne peuvent pas ne pas ecirctre crsquoest-agrave-dire dans la cateacutegorie de la neacutecessiteacute Tandis que lrsquoavenir agrave lrsquoinverse est le domaine propre de ce qui peut ecirctre ou ne pas ecirctre le domaine du possible Cette eacutetroite correspondance entre les deux notions temporelles fondamentales (passeacute et futur) et les deux notions de ce que lrsquoon appelle traditionnellement la modaliteacute (possibiliteacute et neacutecessiteacute) suggegravere qursquoil y a un lien ontologique fort entre ces deux composantes de la structure profonde de la reacutealiteacute

On pourrait mecircme ecirctre tenteacute de reacuteduire lrsquoune des deux notions agrave lrsquoautre Reacuteduction du temps agrave la modaliteacute le futur pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des possibiliteacutes ouvertes ordonneacutees de telle et telle faccedilon et le passeacute pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des neacutecessiteacutes ordonneacutees de telle et telle faccedilon Ou reacuteduction de la modaliteacute au temps ecirctre possible ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre agrave venir agrave un moment ou agrave un autre et ecirctre neacutecessaire ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre passeacute agrave un moment ou agrave un autre On heacutesite agrave continuer ici le mecircme parallegravele la reacuteduction du possible agrave ce qui arrivera agrave un moment futur a pour elle une certaine intelligibiliteacute mais il serait beaucoup plus eacutetrange de deacutefinir la neacutecessiteacute comme ce qui srsquoest passeacute agrave un moment ou agrave un autre De fait les auteurs tels que Diodore Cronos qui ont deacutefini la possibiliteacute agrave partir de la notion de futur ont donneacute de la neacutecessiteacute la deacutefinition suivante ce qui est et sera toujours La correacutelation entre temps et modaliteacute qui est prise en compte nrsquoest plus alors lrsquoaffiniteacute entre passeacute et neacutecessiteacute drsquoune part futur et possibiliteacute drsquoautre part mais plutocirct entre permanence et neacutecessiteacute drsquoune part eacuteveacutenement temporaire et possibiliteacute drsquoautre part

2

Quelle que soit lrsquoanalogie qursquoon choisisse elle aura donc ses limites par exemple il est certain que la notion de preacutesent a des affiniteacutes avec la notion drsquoactualiteacute (le preacutesent est cette partie du temps qui nous concerne directement ou tout simplement cette partie du temps qui est le cas tandis que le passeacute nrsquoest plus et le futur pas encore de mecircme lrsquoactuel est cette partie des possibles qui est le cas tandis que le reste pourrait seulement ecirctre voire ne pourrait pas ecirctre du tout pour lrsquoimpossible) mais srsquoil est clair par ailleurs que le preacutesent est une limite entre passeacute et futur entre quoi et quoi lrsquoactuel pourra-t-il ecirctre penseacute comme limite Lrsquoactuel serait-il la limite entre le neacutecessaire et le possible On imaginerait plutocirct que lrsquoactuel est au milieu des possibles un possible parmi les autres et que la limite propre du possible est lrsquoimpossible lui-mecircme Le preacutesent apporte donc une restriction agrave lrsquoanalogie entre asymeacutetrie passeacutefutur et asymeacutetrie neacutecessairepossible

Mais lrsquoanalogie entre permanenttemporaire et neacutecessairepossible a eacutegalement ses difficulteacutes car elle semble reacuteduire agrave neacuteant la diffeacuterence entre le possible et lrsquoactuel tout ce qui est possible est en fait actuel agrave un moment ou agrave un autre de lrsquohistoire de notre monde Si le possible ne peut plus ecirctre conccedilu comme un riche pannel de situations non reacuteelles exceacutedant la reacutealiteacute ne perd-on pas lrsquoessentiel de cette notion

Lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute nrsquoest donc pas unique et triviale on aurait plutocirct affaire agrave un ensemble drsquoanalogies drsquoaffiniteacutes et drsquointeractions assez complexes qui drsquoune part rendent humble devant les tentatives reacuteductionnistes drsquoune notion agrave lrsquoautre mais drsquoautre part invitent agrave recenser caracteacuteriser et ordonner les points de contact Un premier eacuteleacutement pour ordonner cet ensemble complexe est la distinction suivante qui structurera notre eacutetude on peut srsquointeacuteresser soit agrave lrsquoanalogie qui existe entre temps et mondaliteacute soit aux interactions En effet deux entiteacutes peuvent tregraves bien entrer en interaction dans la reacutealiteacute en ayant tregraves peu de points drsquoanalogie (par exemple une bacteacuterie et un arbre vivant en symbiose) et inversement deux entiteacutes peuvent tregraves bien avoir de fortes analogies formelles sans jamais interagir dans la reacutealiteacute (par exemple deux systegravemes symbiotiques situeacutes dans deux heacutemisphegraveres diffeacuterents) Lorsque nous disons que lrsquoactuel est au possible ce que le preacutesent est au temps et que le neacutecessaire est au contingent ce que le permanent est au temporaire crsquoest proprement une analogie que nous deacutecrivons En revanche quand nous constatons qursquoun eacuteveacutenement est neacutecessaire du simple fait qursquoil soit passeacute nous nous inteacuteressons plutocirct agrave une interaction entre temps et modaliteacute

Nous avons tenu dans ce meacutemoire agrave aborder ces deux types de rapport fondamentaux

mais il est eacutevident que nous avons ducirc pour cela faire des choix Nous avons ducirc laisser de

3

cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

4

le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

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mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

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Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

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II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

23

1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

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Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

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algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

35

Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 3: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique i Les structures drsquoarbre ii Structures TxW iii Kamp-structures b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation ii supervaluation dans le modegravele TxW iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Conclusion Annexes Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane Bibliographie

68 68 71 73 75 77 78 79 82 86 89 90 91 92 94 96

1

Introduction Μόνου γὰρ αὐτοῦ καὶ θεὸς στερίσκεται ἀγένητα ποιεῖν ἅσσ ἂν ᾖ πεπραγmicroένα Car il y a une seule chose dont Dieu mecircme est priveacute Crsquoest de faire que ce qui a eacuteteacute fait ne lrsquoail pas eacuteteacute Agathon cit in Ethique agrave Nicomaque VII 2 1139b10-11 Si Dieu mecircme ne peut effacer le passeacute crsquoest bien que cette impossibiliteacute qui nous

concerne au premier chef ndash et nous afflige parfois ndash ne tient pas agrave nos limitations humaines et contingentes mais agrave quelque chose de plus fondamental sans doute agrave la nature mecircme du temps Au premier abord il semble que le passeacute soit releacutegueacute dans la cateacutegorie des choses qui ne peuvent pas ne pas ecirctre crsquoest-agrave-dire dans la cateacutegorie de la neacutecessiteacute Tandis que lrsquoavenir agrave lrsquoinverse est le domaine propre de ce qui peut ecirctre ou ne pas ecirctre le domaine du possible Cette eacutetroite correspondance entre les deux notions temporelles fondamentales (passeacute et futur) et les deux notions de ce que lrsquoon appelle traditionnellement la modaliteacute (possibiliteacute et neacutecessiteacute) suggegravere qursquoil y a un lien ontologique fort entre ces deux composantes de la structure profonde de la reacutealiteacute

On pourrait mecircme ecirctre tenteacute de reacuteduire lrsquoune des deux notions agrave lrsquoautre Reacuteduction du temps agrave la modaliteacute le futur pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des possibiliteacutes ouvertes ordonneacutees de telle et telle faccedilon et le passeacute pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des neacutecessiteacutes ordonneacutees de telle et telle faccedilon Ou reacuteduction de la modaliteacute au temps ecirctre possible ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre agrave venir agrave un moment ou agrave un autre et ecirctre neacutecessaire ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre passeacute agrave un moment ou agrave un autre On heacutesite agrave continuer ici le mecircme parallegravele la reacuteduction du possible agrave ce qui arrivera agrave un moment futur a pour elle une certaine intelligibiliteacute mais il serait beaucoup plus eacutetrange de deacutefinir la neacutecessiteacute comme ce qui srsquoest passeacute agrave un moment ou agrave un autre De fait les auteurs tels que Diodore Cronos qui ont deacutefini la possibiliteacute agrave partir de la notion de futur ont donneacute de la neacutecessiteacute la deacutefinition suivante ce qui est et sera toujours La correacutelation entre temps et modaliteacute qui est prise en compte nrsquoest plus alors lrsquoaffiniteacute entre passeacute et neacutecessiteacute drsquoune part futur et possibiliteacute drsquoautre part mais plutocirct entre permanence et neacutecessiteacute drsquoune part eacuteveacutenement temporaire et possibiliteacute drsquoautre part

2

Quelle que soit lrsquoanalogie qursquoon choisisse elle aura donc ses limites par exemple il est certain que la notion de preacutesent a des affiniteacutes avec la notion drsquoactualiteacute (le preacutesent est cette partie du temps qui nous concerne directement ou tout simplement cette partie du temps qui est le cas tandis que le passeacute nrsquoest plus et le futur pas encore de mecircme lrsquoactuel est cette partie des possibles qui est le cas tandis que le reste pourrait seulement ecirctre voire ne pourrait pas ecirctre du tout pour lrsquoimpossible) mais srsquoil est clair par ailleurs que le preacutesent est une limite entre passeacute et futur entre quoi et quoi lrsquoactuel pourra-t-il ecirctre penseacute comme limite Lrsquoactuel serait-il la limite entre le neacutecessaire et le possible On imaginerait plutocirct que lrsquoactuel est au milieu des possibles un possible parmi les autres et que la limite propre du possible est lrsquoimpossible lui-mecircme Le preacutesent apporte donc une restriction agrave lrsquoanalogie entre asymeacutetrie passeacutefutur et asymeacutetrie neacutecessairepossible

Mais lrsquoanalogie entre permanenttemporaire et neacutecessairepossible a eacutegalement ses difficulteacutes car elle semble reacuteduire agrave neacuteant la diffeacuterence entre le possible et lrsquoactuel tout ce qui est possible est en fait actuel agrave un moment ou agrave un autre de lrsquohistoire de notre monde Si le possible ne peut plus ecirctre conccedilu comme un riche pannel de situations non reacuteelles exceacutedant la reacutealiteacute ne perd-on pas lrsquoessentiel de cette notion

Lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute nrsquoest donc pas unique et triviale on aurait plutocirct affaire agrave un ensemble drsquoanalogies drsquoaffiniteacutes et drsquointeractions assez complexes qui drsquoune part rendent humble devant les tentatives reacuteductionnistes drsquoune notion agrave lrsquoautre mais drsquoautre part invitent agrave recenser caracteacuteriser et ordonner les points de contact Un premier eacuteleacutement pour ordonner cet ensemble complexe est la distinction suivante qui structurera notre eacutetude on peut srsquointeacuteresser soit agrave lrsquoanalogie qui existe entre temps et mondaliteacute soit aux interactions En effet deux entiteacutes peuvent tregraves bien entrer en interaction dans la reacutealiteacute en ayant tregraves peu de points drsquoanalogie (par exemple une bacteacuterie et un arbre vivant en symbiose) et inversement deux entiteacutes peuvent tregraves bien avoir de fortes analogies formelles sans jamais interagir dans la reacutealiteacute (par exemple deux systegravemes symbiotiques situeacutes dans deux heacutemisphegraveres diffeacuterents) Lorsque nous disons que lrsquoactuel est au possible ce que le preacutesent est au temps et que le neacutecessaire est au contingent ce que le permanent est au temporaire crsquoest proprement une analogie que nous deacutecrivons En revanche quand nous constatons qursquoun eacuteveacutenement est neacutecessaire du simple fait qursquoil soit passeacute nous nous inteacuteressons plutocirct agrave une interaction entre temps et modaliteacute

Nous avons tenu dans ce meacutemoire agrave aborder ces deux types de rapport fondamentaux

mais il est eacutevident que nous avons ducirc pour cela faire des choix Nous avons ducirc laisser de

3

cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

4

le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

5

mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

6

Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

8

A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

9

2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

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II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

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1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

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Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

30

algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

39

Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

73

remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 4: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

1

Introduction Μόνου γὰρ αὐτοῦ καὶ θεὸς στερίσκεται ἀγένητα ποιεῖν ἅσσ ἂν ᾖ πεπραγmicroένα Car il y a une seule chose dont Dieu mecircme est priveacute Crsquoest de faire que ce qui a eacuteteacute fait ne lrsquoail pas eacuteteacute Agathon cit in Ethique agrave Nicomaque VII 2 1139b10-11 Si Dieu mecircme ne peut effacer le passeacute crsquoest bien que cette impossibiliteacute qui nous

concerne au premier chef ndash et nous afflige parfois ndash ne tient pas agrave nos limitations humaines et contingentes mais agrave quelque chose de plus fondamental sans doute agrave la nature mecircme du temps Au premier abord il semble que le passeacute soit releacutegueacute dans la cateacutegorie des choses qui ne peuvent pas ne pas ecirctre crsquoest-agrave-dire dans la cateacutegorie de la neacutecessiteacute Tandis que lrsquoavenir agrave lrsquoinverse est le domaine propre de ce qui peut ecirctre ou ne pas ecirctre le domaine du possible Cette eacutetroite correspondance entre les deux notions temporelles fondamentales (passeacute et futur) et les deux notions de ce que lrsquoon appelle traditionnellement la modaliteacute (possibiliteacute et neacutecessiteacute) suggegravere qursquoil y a un lien ontologique fort entre ces deux composantes de la structure profonde de la reacutealiteacute

On pourrait mecircme ecirctre tenteacute de reacuteduire lrsquoune des deux notions agrave lrsquoautre Reacuteduction du temps agrave la modaliteacute le futur pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des possibiliteacutes ouvertes ordonneacutees de telle et telle faccedilon et le passeacute pourrait nrsquoecirctre que lrsquoensemble des neacutecessiteacutes ordonneacutees de telle et telle faccedilon Ou reacuteduction de la modaliteacute au temps ecirctre possible ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre agrave venir agrave un moment ou agrave un autre et ecirctre neacutecessaire ne voudrait rien dire de plus qursquoecirctre passeacute agrave un moment ou agrave un autre On heacutesite agrave continuer ici le mecircme parallegravele la reacuteduction du possible agrave ce qui arrivera agrave un moment futur a pour elle une certaine intelligibiliteacute mais il serait beaucoup plus eacutetrange de deacutefinir la neacutecessiteacute comme ce qui srsquoest passeacute agrave un moment ou agrave un autre De fait les auteurs tels que Diodore Cronos qui ont deacutefini la possibiliteacute agrave partir de la notion de futur ont donneacute de la neacutecessiteacute la deacutefinition suivante ce qui est et sera toujours La correacutelation entre temps et modaliteacute qui est prise en compte nrsquoest plus alors lrsquoaffiniteacute entre passeacute et neacutecessiteacute drsquoune part futur et possibiliteacute drsquoautre part mais plutocirct entre permanence et neacutecessiteacute drsquoune part eacuteveacutenement temporaire et possibiliteacute drsquoautre part

2

Quelle que soit lrsquoanalogie qursquoon choisisse elle aura donc ses limites par exemple il est certain que la notion de preacutesent a des affiniteacutes avec la notion drsquoactualiteacute (le preacutesent est cette partie du temps qui nous concerne directement ou tout simplement cette partie du temps qui est le cas tandis que le passeacute nrsquoest plus et le futur pas encore de mecircme lrsquoactuel est cette partie des possibles qui est le cas tandis que le reste pourrait seulement ecirctre voire ne pourrait pas ecirctre du tout pour lrsquoimpossible) mais srsquoil est clair par ailleurs que le preacutesent est une limite entre passeacute et futur entre quoi et quoi lrsquoactuel pourra-t-il ecirctre penseacute comme limite Lrsquoactuel serait-il la limite entre le neacutecessaire et le possible On imaginerait plutocirct que lrsquoactuel est au milieu des possibles un possible parmi les autres et que la limite propre du possible est lrsquoimpossible lui-mecircme Le preacutesent apporte donc une restriction agrave lrsquoanalogie entre asymeacutetrie passeacutefutur et asymeacutetrie neacutecessairepossible

Mais lrsquoanalogie entre permanenttemporaire et neacutecessairepossible a eacutegalement ses difficulteacutes car elle semble reacuteduire agrave neacuteant la diffeacuterence entre le possible et lrsquoactuel tout ce qui est possible est en fait actuel agrave un moment ou agrave un autre de lrsquohistoire de notre monde Si le possible ne peut plus ecirctre conccedilu comme un riche pannel de situations non reacuteelles exceacutedant la reacutealiteacute ne perd-on pas lrsquoessentiel de cette notion

Lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute nrsquoest donc pas unique et triviale on aurait plutocirct affaire agrave un ensemble drsquoanalogies drsquoaffiniteacutes et drsquointeractions assez complexes qui drsquoune part rendent humble devant les tentatives reacuteductionnistes drsquoune notion agrave lrsquoautre mais drsquoautre part invitent agrave recenser caracteacuteriser et ordonner les points de contact Un premier eacuteleacutement pour ordonner cet ensemble complexe est la distinction suivante qui structurera notre eacutetude on peut srsquointeacuteresser soit agrave lrsquoanalogie qui existe entre temps et mondaliteacute soit aux interactions En effet deux entiteacutes peuvent tregraves bien entrer en interaction dans la reacutealiteacute en ayant tregraves peu de points drsquoanalogie (par exemple une bacteacuterie et un arbre vivant en symbiose) et inversement deux entiteacutes peuvent tregraves bien avoir de fortes analogies formelles sans jamais interagir dans la reacutealiteacute (par exemple deux systegravemes symbiotiques situeacutes dans deux heacutemisphegraveres diffeacuterents) Lorsque nous disons que lrsquoactuel est au possible ce que le preacutesent est au temps et que le neacutecessaire est au contingent ce que le permanent est au temporaire crsquoest proprement une analogie que nous deacutecrivons En revanche quand nous constatons qursquoun eacuteveacutenement est neacutecessaire du simple fait qursquoil soit passeacute nous nous inteacuteressons plutocirct agrave une interaction entre temps et modaliteacute

Nous avons tenu dans ce meacutemoire agrave aborder ces deux types de rapport fondamentaux

mais il est eacutevident que nous avons ducirc pour cela faire des choix Nous avons ducirc laisser de

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cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

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le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

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mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

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Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

21

aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

22

II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

23

1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

24

Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

27

dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

28

Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

30

algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

34

temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 5: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

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Quelle que soit lrsquoanalogie qursquoon choisisse elle aura donc ses limites par exemple il est certain que la notion de preacutesent a des affiniteacutes avec la notion drsquoactualiteacute (le preacutesent est cette partie du temps qui nous concerne directement ou tout simplement cette partie du temps qui est le cas tandis que le passeacute nrsquoest plus et le futur pas encore de mecircme lrsquoactuel est cette partie des possibles qui est le cas tandis que le reste pourrait seulement ecirctre voire ne pourrait pas ecirctre du tout pour lrsquoimpossible) mais srsquoil est clair par ailleurs que le preacutesent est une limite entre passeacute et futur entre quoi et quoi lrsquoactuel pourra-t-il ecirctre penseacute comme limite Lrsquoactuel serait-il la limite entre le neacutecessaire et le possible On imaginerait plutocirct que lrsquoactuel est au milieu des possibles un possible parmi les autres et que la limite propre du possible est lrsquoimpossible lui-mecircme Le preacutesent apporte donc une restriction agrave lrsquoanalogie entre asymeacutetrie passeacutefutur et asymeacutetrie neacutecessairepossible

Mais lrsquoanalogie entre permanenttemporaire et neacutecessairepossible a eacutegalement ses difficulteacutes car elle semble reacuteduire agrave neacuteant la diffeacuterence entre le possible et lrsquoactuel tout ce qui est possible est en fait actuel agrave un moment ou agrave un autre de lrsquohistoire de notre monde Si le possible ne peut plus ecirctre conccedilu comme un riche pannel de situations non reacuteelles exceacutedant la reacutealiteacute ne perd-on pas lrsquoessentiel de cette notion

Lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute nrsquoest donc pas unique et triviale on aurait plutocirct affaire agrave un ensemble drsquoanalogies drsquoaffiniteacutes et drsquointeractions assez complexes qui drsquoune part rendent humble devant les tentatives reacuteductionnistes drsquoune notion agrave lrsquoautre mais drsquoautre part invitent agrave recenser caracteacuteriser et ordonner les points de contact Un premier eacuteleacutement pour ordonner cet ensemble complexe est la distinction suivante qui structurera notre eacutetude on peut srsquointeacuteresser soit agrave lrsquoanalogie qui existe entre temps et mondaliteacute soit aux interactions En effet deux entiteacutes peuvent tregraves bien entrer en interaction dans la reacutealiteacute en ayant tregraves peu de points drsquoanalogie (par exemple une bacteacuterie et un arbre vivant en symbiose) et inversement deux entiteacutes peuvent tregraves bien avoir de fortes analogies formelles sans jamais interagir dans la reacutealiteacute (par exemple deux systegravemes symbiotiques situeacutes dans deux heacutemisphegraveres diffeacuterents) Lorsque nous disons que lrsquoactuel est au possible ce que le preacutesent est au temps et que le neacutecessaire est au contingent ce que le permanent est au temporaire crsquoest proprement une analogie que nous deacutecrivons En revanche quand nous constatons qursquoun eacuteveacutenement est neacutecessaire du simple fait qursquoil soit passeacute nous nous inteacuteressons plutocirct agrave une interaction entre temps et modaliteacute

Nous avons tenu dans ce meacutemoire agrave aborder ces deux types de rapport fondamentaux

mais il est eacutevident que nous avons ducirc pour cela faire des choix Nous avons ducirc laisser de

3

cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

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le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

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mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

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Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

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II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

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1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

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Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

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algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

75

Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

88

situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 6: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

3

cocircteacute de nombreuses questions qui seraient incontournables si lrsquoon entreprenait de donner un tableau complet des rapports entre temps et modaliteacutes dans les diverses theacuteories contemporaines que cela concerne Pour simplifier on peut consideacuterer qursquoil y a trois domaines qui srsquointeacuteressent agrave ce problegraveme trois domaines qui abordent neacutecessairement des questions leacutegegraverement diffeacuterentes La meacutetaphysique abordera par exemple les questions suivantes les veacuteriteacutes modales supposent-elles un engagement ontologique du mecircme type que les veacuteriteacutes temporelles Y a-t-il reacuteellement une asymeacutetrie modale entre passeacute et futur interdisant la causaliteacute inverseacutee Srsquoil y a une telle asymeacutetrie est-elle analytiquement vraie ie est-ce que les notions modales font partie de la deacutefinition mecircme de ce que sont passeacute et futur La logique philosophique et la philosophie du langage aborderont des questions leacutegegraverement diffeacuterentes les opeacuterateurs modaux et les opeacuterateurs temporels fonctionnent-ils de la mecircme maniegravere Peut-on appliquer un opeacuterateur modal agrave une proposition temporaliseacutee non temporaliseacutee Quelles analogies y a-t-il entre les infeacuterences (strictement) temporelles et les infeacuterences (strictement) modales Y a-t-il des infeacuterences leacutegitimes qui exhibent un rapport logique entre temps et modaliteacute (par exemple x est passeacute donc x est neacutecessaire) Le dernier type drsquoeacutetude enfin est celui de la linguistique contemporaine pour quelles raisons le mode utilise-t-il les mecircmes processus syntaxiques que le temps (adverbes subordonneacutees flexion verbale) Y a-t-il une flexion proprement modale ou la modaliteacute nrsquoutilise-t-elle que la flexion temporelle Le futur est-il une flexsion modale ou temporelle Quelles sont les conseacutequences de lrsquoaspect verbal (durativiteacute teacuteliciteacute etc) sur lrsquoontologie implicite du temps et sur les expression modales Toutes ces questions linguistiques font partie drsquoun champ drsquoinvestigation en plein essor actuellement qursquoon appelle le TAME (temps ndash aspect ndash modaliteacute ndash eacutevidentialiteacute)

Les liens entre ces domaines sont eacutevidemment tregraves nombreux mais les approches sont parfois tregraves diffeacuterentes et lrsquounification est encore agrave reacutealiser Dans ce meacutemoire qui est principalement un travail drsquoapproche nous avons choisi de partir de la logique philosophique dans lrsquoideacutee qursquoelle assurait le lien le plus naturel entre les deux autres domaines mecircme dans les discussions meacutetaphysiques qui nrsquoont pas trait agrave la philosophie du langage et aux formalismes logiques en eux-mecircmes les logiques modale et temporelle sont devenues des outils de clarification indispensables Quant agrave la linguistique formelle elle a recours agrave une traduction de la langue naturelle dans un langage objet qui bien souvent nrsquoutilise rien drsquoautre que les formalismes de la logique philosophique

Mecircme si lrsquoessentiel de notre propos est de logique philosophique notre parcours consiste neacuteanmoins agrave mettre en eacutevidence le lien avec les deux autres domaines Le scheacutema est

4

le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

5

mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

6

Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

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II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

23

1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

25

neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

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Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

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algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

59

Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

60

regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

61

Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

63

restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

84

proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Warsaw Panstwowe Wydawnictwo Naukowe MACFARLANE J 2003 lsquoFuture contingents and relative truthrsquo The Philosophical Quarterly

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Advances in Modal Logic 4 355-370 THOMASON RH 1984 lsquoCombinations of tense and modalityrsquo in Handbook of

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Semanticsrsquo Studia Logica 82 379-400

Page 7: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

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le suivant agrave partir drsquoun problegraveme philosophique nous proceacutedons agrave une investigation de la meilleure formalisation logique et la formalisation agrave laquelle nous arrivons en conclusion offre une base solide pour un traitement seacutemantique des langues naturelles dont nous exposons les rudiments

Voici donc notre premier choix principal centrer lrsquoeacutetude sur la logique philosophique

comme pont entre les questions proprement meacutetaphysiques et les questions linguistiques A partir de ce choix deux possibiliteacutes se preacutesentaient agrave nouveau en effet il y a aujourdrsquohui dans la logique philosophique deux domaines importants qui ont des conseacutequences fortes sur le rapport tempsmodaliteacute Il y a drsquoune part ce qursquoon appelle les logiques de la neacutecessiteacute historique et drsquoautre part la logique des conditionnels En logique des conditionnels il est clair que la valeur contrefactuelle ou indicative des conditionnels nrsquoest pas indeacutependante du temps (passeacute preacutesent ou futur) Sabine Iatridou a proposeacute reacutecemment un traitement unifieacute de la flexion passeacutee comme exclusion exclusion modale dans les conditionnels aussi bien qursquoexclusion temporelle dans drsquoautres cas1 Cette question permet eacutegalement drsquoeacutetablir un lien fort entre les questions meacuteteacutephysiques et les questions linguistiques mais nous avons choisi de ne pas la traiter pour nous concentrer sur lrsquoautre grand domaine celui de la neacutecessiteacute historique Cet autre domaine a en effet deux avantages il y a tout drsquoabord un avantage intrinsegraveque pour notre projet crsquoest que la notion de neacutecessiteacute historique (et la logique qui en deacutecoule) traite directement drsquoun problegraveme drsquointeraction entre temps et modaliteacute tandis que la logique des conditionnels a seulement des conseacutequences (quelque importantes qursquoelles soient) sur ce rapport Lrsquoautre avantage est concerne plutocirct la coheacuterence drsquoexposition pour traiter des liens entre logique temporelle et logique modale il est naturel de suivre les pas drsquoArthur Prior qui a pour ainsi dire inventeacute la logique temporelle or la logique de la neacutecessiteacute historique est clairement et directement une continuation contemporaine du projet prioreacuteen tandis que la logique des conditionnels semble beaucoup plus indeacutependante de cet auteur

Notre plan suivra donc dans une large mesure le cheminement logique et philosophique

drsquoArthur Prior la nature des reacuteflexions prioreacuteennes nous permettra de conserver en mecircme temps lrsquoarticulation conceptuelle entre analogies et interactions

En effet les premiegraveres recherches de Prior consistent agrave mettre en place une logique du temps qui soit lrsquoanalogue de la logique modale naissante utilisant les mecircmes formalismes les

1 Iatridou [2000]

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mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

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Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

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I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

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A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

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2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

15

Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

21

aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

22

II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

23

1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

24

Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

27

dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

28

Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

30

algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

34

temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

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rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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Page 8: Analogies et Interactions entre Temps et Modalité Arthur

5

mecircmes axiomatisations les mecircmes outils seacutemantiques Notre premiegravere partie consistera donc agrave examiner cette eacutelaboration agrave exposer ses justifications et agrave interroger ses preacutesuppositions Drsquoun point de vue historique nous essaierons de montrer comment lrsquoanalogie entre les deux domaines a servi de moteur heuristique pour lrsquoeacutelaboration de la logique modale elle-mecircme Mais notre deacutemarche ne sera pas strictement historique elle visera eacutegalement agrave placer le programme drsquoanalogie prioreacuteen dans le contexte des discussions tregraves contemporaines sur le bien fondeacute drsquoune logique temporelle en geacuteneacuteral

Notre seconde partie partira des logiques mixtes tempo-modales envisageacutees par Arthur Prior crsquoest-agrave-dire des logiques srsquointeacuteressant agrave lrsquointeraction logique entre la logique temporelle et la logique modale et non plus seulement agrave leurs analogies Il y a en fait deux maniegraveres principales pour construire une logique de lrsquointeraction tempo-modale et nous montrerons que chacune de ces maniegraveres correspond agrave un des axiomes du Maicirctre Argument de Diodore Cronos qui est en quelque sorte le point de deacutepart des investigations prioreacuteennes La premiegravere maniegravere est la logique diodoreacuteenne proprement dite qui reacuteduit totalement la modaliteacute agrave la temporaliteacute La seconde est la logique de la neacutecessiteacute historique Nous nrsquoaccorderons pas le mecircme traitement agrave ces deux voies car la premiegravere eacutetait avant tout heuristique pour Prior tandis que la seconde lieacutee au problegraveme du deacuteterminisme portait en fait tous les enjeux philosophiques auxquels Prior voulait aboutir Lrsquoaccent que nous mettrons sur la neacutecessiteacute historique correspond aussi comme nous lrsquoavons annonceacute plus haut agrave lrsquoheacuteritage consideacuterable qursquoa eu cette partie de la recherche prioreacuteenne (tandis que la logique diodoreacuteenne nrsquoa pas eu agrave notre connaissance de continuateur)

6

Chapitre Premier Arthut Prior et lrsquoanalogie entre logique temporelle et logique modale

Drsquoun point de vue historique lrsquoinvention de la logique temporelle et celle de la logique

modale sont sinon confondues du moins intimement lieacutees certes C I Lewis a donneacute les premiers eacuteleacutements de logique modale degraves la fin des anneacutees 19102 soit une quarantaine drsquoanneacutees avant lrsquoinvention par Prior de la logique temporelle Cependant lrsquoessor veacuteritable de la logique modale telle que nous la connaissons aujourdrsquohui a ducirc attendre le deacutebut des anneacutees 1960 avec les travaux de Kripke Hintikka David Lewis et Arthur Prior Entre les anneacutees 20 et les anneacutees 60 le deacuteveloppement de la logique modale a eacuteteacute retardeacute par plusieurs facteurs notamment le manque drsquoune seacutemantique et la profusion des axiomatiques difficiles agrave ordonner

Lrsquohistoire de cette seconde naissance de la logique modale est assez connue ainsi que les heuristiques qui y ont preacutesideacute nous nous attacherons ici seulement au rocircle qursquoa eu lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute dans ces heuristiques Nous verrons en particulier lrsquoinfluence de lrsquoanalogie temporelle sur deux heuristiques qui ont eacuteteacute fondamentales

La premiegravere heuristique est le constat qursquoun calcul laquo modal raquo peut servir agrave formaliser un tregraves grand nombre de domaines de la reacutealiteacute (ou du discours) logique de la possibiliteacute meacutetaphysique eacutevidemment mais aussi de la possibiliteacute physique de la possibiliteacute eacutepisteacutemique logique deacuteontique logique agentive jusqursquoagrave la logique temporelle Cette premiegravere heuristique a permis drsquoeacuteclairer la notion syntaxique drsquoopeacuterateur modal (ou laquo quasi-modal raquo comme dit Prior) et nous consacrerons donc un premier moment agrave lrsquoeacutetude de cette notion et agrave lrsquoapplication qursquoen fait Prior dans la logique du temps

La deuxiegraveme heuristique est la parenteacute remarqueacutee par plusieurs auteurs entre les calculs modaux naissants et les quantificateurs de la logique des preacutedicats Ce constat a eu un rocircle plus deacutecisif encore que le premier dans la mesure ougrave il a permis drsquoeacutetablir une seacutemantique modale qui faisait si cruellement deacutefaut agrave la logique de C I Lewis Lagrave encore nous essaierons de montrer que lrsquoanalogie avec les opeacuterateurs temporels dans les travaux de Prior a probablement favoriseacute lrsquoinvention de la seacutemantique qursquoon appelle intensionnelle

2 C I Lewis [1918]

7

I Syntaxe des quasi-modaux

1 La forme geacuteneacuterale des phrases modales Il nrsquoest guegravere surprenant qursquoil y ait quelque chose de commun entre les diffeacuterents sens

du possible (eacutepisteacutemique physique meacutetaphysique ) et qursquoil soit par conseacutequent possible de formaliser ces diffeacuterents sens drsquoune maniegravere semblable On peut eacutegalement admettre que les normes tombent sous cette mecircme formalisation en effet nrsquoont-elles pas linguistiquement des formes extrecircmement proches des notions de possibiliteacute (les verbes laquo modaux raquo sont dans beaucoup de langues identiques pour indiquer la possibiliteacute et la permission drsquoune part la neacutecessiteacute et lrsquoobligation drsquoautre part) Mais qursquoy a-t-il de commun en revanche entre ces domaines drsquoune part et lrsquoagentiviteacute ou la temporaliteacute

La toute premiegravere reacuteponse de Prior agrave cette question date de 1951 et se trouve dans un projet de livre jamais publieacute laquo The Craft of Formal Logic raquo Dans laquo The Craft raquo Prior distingue deux sortes de modaux les modaux aleacutethiques et les quasi-modaux Ces derniers regroupent toutes les sortes de calculs dont nous venons de parler Il ne srsquoen tient pas agrave une classification mais donne la Forme Geacuteneacuterale des Phrases Modales laquo It is φ that p raquo

Cette forme geacuteneacuterale permet de rendre compte de la commune appartenance des logiques du possible (laquo it is logically possible that p raquo laquo it is physically possible that p raquo) mais aussi de la logique deacuteontique (laquo it is permitted that p raquo) de la logique agentive (laquo it is done by the agent that p raquo) Prior fait mecircme remarquer qursquoon peut eacutetendre agrave lrsquoinfini la liste des opeacuterateurs modaux ainsi deacutefinis il propose ainsi laquo it is written that p raquo laquo it is said that p raquo laquo it is evident that p raquo laquo it is provable that p raquo etc

Prior fait enfin observer que cette caracteacuterisation geacuteneacuterale pourrait srsquoappliquer eacutegalement au temps Il rapporte cette proposition agrave la theacuteorie de Pierre drsquoEspagne qui consideacutere les distinctions adverbiales de temps comme des distinctions modales et pour lrsquoeacutepoque moderne agrave JN Findlay qui eacutecrivait degraves 1941 laquo the calculus of tenses should have been included in the modern development of modal logics raquo3 Lrsquoideacutee commune agrave Pierre drsquoEspagne Findlay et Prior crsquoest qursquoune phrase modale est composeacutee drsquoune premiegravere phrase (un dictum pour les meacutedieacutevaux) et drsquoun opeacuterateur qui compose agrave partir de celle-ci une phrase nouvelle dont les conditions de veacuteriteacute sont (geacuteneacuteralement) diffeacuterentes Ou pour le dire plus briegravevement un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel

3 Findlay [1941]

8

A vrai dire cette caracteacuterisation nrsquoest pas encore une deacutefinition car il y a drsquoautres opeacuterateurs sententiels que les opeacuterateurs modaux Mecircme si lrsquoon srsquoen tient aux opeacuterateurs unaires (agrave un seul argument) il existe une classe de quatre opeacuterateurs tregraves particuliers qursquoon appelle veacuterifonctionnels car ils ne deacutependent de rien drsquoautre que de la valeur de veacuteriteacute de la phrase prise comme argument (crsquoest-agrave-dire que la valeur de veacuteriteacute de la phrase composeacutee est une fonction ndash eacuteventuellement constante ndash de la valeur de veacuteriteacute de la phrase argument) Ces quatre opeacuterateurs sententiels pourraient tout agrave fait ecirctre exprimeacutes sous la forme geacuteneacuterale proposeacutee par Prior - affirmation laquo it is the case that p raquo - neacutegation laquo it is not the case that p raquo - tautologie laquo it is either the case or not the case that p raquo - antilogie laquo it is both the case and not the case that p raquo Les logiques qui considegraverent ces opeacuterateurs comme opeacuterateurs sententiels agrave part entiegravere nrsquoajoutent rien au calcul propositionnel classique On peut certes les consideacuterer comme des cas limites drsquoopeacuterateurs modaux ils constituent alors les systegravemes laquo modaux raquo Triv (pour les deux premiers) et Ver (pour les deux derniers) Mais les systegravemes modaux au sens strict sont ceux qui ajoutent des modaliteacutes au calcul propositionnel classique et par conseacutequent ceux que geacutenegraverent des opeacuterateurs non veacuterifonctionnels Nous pouvons donc agrave preacutesent donner la deacutefinition geacuteneacuterale un opeacuterateur modal est un opeacuterateur sententiel non veacuterifonctionnel

Dans laquo The Craft raquo Prior ne pense pas encore agrave appliquer cette forme geacuteneacuterale aux propositions temporelles Lrsquoanalogie en effet nrsquoest pas absolument triviale elle suppose drsquoaccepter la traduction suivante - laquo x sera f raquo = laquo il sera le cas que x est f raquo = Fp (pour p = laquo x est f raquo) - laquo x fut f raquo = laquo il fut le cas que x est f raquo = Pp (idem) Ce type de traduction-peacuteriphrase deviendra le langage commun de tous les ouvrages de Prior Si on lrsquoadmet alors la logique du temps et la logique du possible sont effectivement dans un rapport drsquoanalogie forte elles appartiennent toutes deux agrave un mecircme type de logique la logique des laquo quasi-modaux raquo qursquoon appelle en fait aujourdrsquohui logique modale (au sens large) Mais srsquoil est vrai que cette traduction a pour elle une certaine plausibiliteacute (on comprend intuitivement ce qursquoelle veut dire et il semble qursquoon puisse substituer dans la plupart des cas dans le langage naturel) il est clair eacutegalement qursquoelle nrsquoest pas totalement innocente Nous allons aborder agrave preacutesent les problegravemes qursquoelle pose

9

2 problegravemes de la traduction des temps verbaux sous forme drsquoopeacuterateurs sententiels

Cette traduction meacuterite qursquoon srsquoy attarde dans la mesure ougrave tout le poids de lrsquoanalogie

entre temps et modaliteacute repose sur elle Nous allons nous focaliser sur deux problegravemes principaux tous deux abordeacutes par Prior dans le premier chapitre de Past Present and Future Pour chacun de ces problegravemes nous preacutesenterons tout drsquoabord la deacutemarche prioreacuteenne puis nous la discuterons agrave partir des discussions les plus contemporaines de ces questions

Le premier problegraveme concerne la nature de laquo p raquo dans la traduction laquo il sera le cas que p raquo on serait tenteacute de consideacuterer que ce qui laquo sera le cas raquo est un eacuteveacuteneacutement mais Prior montre que cette lecture est exclue si lrsquoon veut avoir une vraie logique modale ie si lrsquoon veut pouvoir iteacuterer les opeacuterateurs Pour cela lrsquoargument de lrsquoopeacuterateur temporel doit ecirctre une proposition

Le second problegraveme concerne la notion de proposition complegravete dans la tradition freacutegeacuteenne une proposition nrsquoest complegravete que si elle est dateacutee mais lrsquousage de propositions dateacutees rend eacutegalement impossible une logique temporelle

Nous allons voir que ces deux enjeux correspondent assez bien aux deux conditions neacutecessaires pour avoir une logique modale (telles que nous les avons mises en eacutevidence dans la partie preacuteceacutedente) agrave savoir agrave la nature drsquoun opeacuterateur sententiel drsquoune part et aux conditions de non trivialiteacute drsquoautre part

a problegraveme drsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs modaux

Pour qursquoun opeacuterateur soit un opeacuterateur sententiel une condition neacutecessaire est qursquoil soit

un modifieur crsquoest-agrave-dire une fonction dont le reacutesultat est de mecircme nature que lrsquoargument en lrsquooccurence une phrase Or cette simple condition interdit la lecture des temps verbaux comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements pour la raison suivante soit e = le-meurtre-de-HenryIV-par-Ravaillac P = ecirctre passeacute (pour un eacuteveacutenement) je peux noter Pe et cette notation est une formalisation plausible de la phrase laquo Ravaillac a tueacute Henry IV raquo En effet on pourrait admettre la traduction intermeacutediaire suivante laquo le meurtre de Henry IV par Ravaillac a eu lieu raquo comme on dirait laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo Mais le fait que cet eacuteveacutenement ait eu lieu nrsquoest pas agrave son tour un eacuteveacutenement de second ordre (eacuteveacutenement qui quant agrave lui serait passeacute mais aussi preacutesent et agrave venir) autrement on aurait une reacutegression agrave lrsquoinfini dans les ordres drsquoeacuteveacutenements Donc e et Pe ne sont pas de mecircme nature crsquoest-agrave-dire que P

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(respectivement F) nrsquoest pas un modifieur On pourrait se demander si cela empecircche seulement de construire une logique modale du temps (telle que nous lrsquoavons deacutefinie) ou si cela empecircche plus radicalement tout calcul temporel La reacuteponse nrsquoest pas eacutevidente en particulier si lrsquoon admet qursquoun eacuteveacutenement peut ecirctre temporellement eacutetendu mais pas temporellement discontinu on pourrait avoir les axiomes suivants pour une logique des preacutedicats temporels drsquoeacuteveacuteneacutements ( ) PeFee notrarrandnot ( ) FePee notrarrandnot Crsquoest-agrave-dire si un eacuteveacutenement est strictement agrave venir (nrsquoa pas encore commenceacute drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement passeacute si un eacuteveacutenement est strictement passeacute (a deacutejagrave fini drsquoavoir lieu) il nrsquoest pas un eacuteveacutenement futur La faiblesse drsquoun tel calcul crsquoest qursquoil interdit les iteacuterations des opeacuterateurs on ne peut pas noter PPe ou FPe du fait que e et Pe ne sont pas de mecircme nature Prior considegravere cela comme une faiblesse pour deux raisons tout drsquoabord parce que les temps composeacutes tels que le passeacute anteacuterieur et le futur anteacuterieur montrent drsquoapregraves lui un cas typique drsquoiteacuteration Cette premiegravere justification (fondeacutee sur un argument linguistique) est assez difficile agrave deacutefendre comme le montre Jack Copeland 4 si le passeacute anteacuterieur eacutetait adeacutequatement formaliseacute par le PPp prioreacuteen il serait alors eacutequivalent au passeacute simple sous lrsquohypothegravese drsquoun temps continu et le futur anteacuterieur FPp voudrait alors dire que p a eacuteteacute est ou sera le le cas au moins une fois dans le temps alors qursquoen geacuteneacuteral laquo p aura eacuteteacute le cas raquo implique que le moment ougrave p est le cas est encore agrave venir Copeland conclut de maniegravere convaincante que pour ce qui est des temps composeacutes de la langue naturelle lrsquoutilisation des trois repegraveres (E pour la peacuteriode de lrsquoeacuteveacutenement R pour le point de reacutefeacuterence S pour le point drsquoeacutenonciation - speech) de Reichenbach5 est beaucoup plus adapteacutee par exemple la phrase laquo il aura fini bientocirct fini raquo peut ecirctre scheacutematiseacutee de la maniegravere suivante

La deuxiegraveme raison pour laquelle Prior estime qursquoil est utile de recourir agrave lrsquoiteacuteration est beaucoup plus forte lrsquoiteacuteration semble indispensable pour exprimer des proprieacuteteacutes fondamentales de la structure temporelle telles que laquo si quelque chose est passeacute il sera toujours passeacute raquo Pour ce genre drsquoeacutenonceacutes philosophiques sur le structure du temps lrsquoiteacuteration semble bien indispensable et le fait qursquoelle ne corresponde pas aux temps composeacutes des langues naturlles nrsquoa plus de pertinence

4 Copeland [1996] p 64 5 Reichenbach [1947] p 290

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Cette iteacuteration des opeacuterateurs temporels est sans doute lrsquoapport le plus deacutecisif de Findlay dans laquo Time a Treatment of some Puzzles raquo ougrave lrsquoon trouve les propositions suivantes

x present = (x present) present x future = (x future) present = (x present) future

ainsi que la premiegravere version de ce que Prior appellera Findlayrsquos Law (x)(x past) future ie all events past present and future will be past

Comme on peut le voir dans cette explication de Findlay il nrsquoavait pas clairement conscience que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs temporels exigeait drsquoabandonner la lecture de ces opeacuterateurs comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements Crsquoest essentiellement agrave la lecture de CD Broad [1938] que Prior a pu apporter ce correctif aux intuitions de Findlay Broad fournit en effet divers arguments pour refuser le caractegravere preacutedicatif des temps ainsi que la capaciteacute des eacuteveacutenements passeacutes et futurs a avoir des proprieacuteteacutes temporelles

Si Prior a pu construire une logique temporelle crsquoest donc tout drsquoabord parce qursquoil a

accepteacute lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs temporels Ce lien logique ne fait pas deacutebat aujourdrsquohui mais ce qui fait deacutebat en revanche crsquoest que Prior ait eu raison drsquoaccepter cela On trouve ces questions en particulier dans lrsquoeacutechange entre Lowe[92] Le Poidevin [93] et Lowe [93] Lowe refuse lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs au motif qursquoelle reposerait sur une laquo fallace indexicale raquo pour eacutetablir ce point il montre le caractegravere incongru des constructions iteacuteratives dans drsquoautres domaines de lrsquoindexicaliteacute Lrsquoindexicaliteacute spatiale tout drsquoabord laquo It is no more intelligible to speak of an event as being lsquopresent in the futurersquo than it is to speak of an event as occurring lsquohere over therersquo raquo6 Puis lrsquoindexicaliteacute personnelle laquo [It is] a past fact that the First World War is present That sentence strikes me as being quite as anomalous as say the sentence It is a fact about you that I am hungry raquo7

Le Poidevin et Lowe ont tous deux conscience que ce refus est lieacute agrave la conception des opeacuterateurs temporels comme preacutedicats drsquoeacuteveacutenements et qursquoil condamne tout projet de logique temporelle Lowe laquo As for the fate of tense logic on my view I would not be sorry to see its demise since I believe it to rest on a confusion (cf Evans [1985] though he is ultimately less severe than I am) Pace Le Poidevin an A-theorist can express claims about the topology of time without recourse to the iterated tenses of tense logic Thus to use Le Poidevins own example 6 Lowe [1992] p 324 7 Lowe [1993] p 172

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the density of (future) time can readily be expressed in A-series terms in some such way as this If something will happen later than now then something (else) will happen both earlier than that first thing and later than now ndash Im happy to accept the commitment to events that this formulation implies raquo8 Le Poidevin laquo whether or not expressions containing iterated tenses are genuinely incoherent depends on how we construe their logical form If we treat tensed terms as predicates attaching to singular terms or bound variables then iterations like (event e is past) is future are illformed But what if we treat tensed terms as propositional operators as in traditional tense logic (Prior 1967 p15) raquo9

Lowe et Le Poidevin sont donc drsquoaccord sur les liens logiques qui deacutegagent deux positions et deux seulement I II Nature des opeacuterateurs modifieurs preacutedicats Arguments des opeacuterateurs propositions eacuteveacutenements Iteacuterabiliteacute oui non Logique temporelle oui non

Lagrave ougrave ils ne semblent pas tomber drsquoaccord crsquoest sur lrsquoordre logique de lrsquoargumentaire en faveur de la position I ou de la position II Pour clarifier le deacutebat il faut distinguer les deux arguments suivants

- pour I une description de la topologie requiert du temps requiert la position I - contre I (et par conseacutequent pour II) lrsquoiteacuteration est en elle-mecircme incoheacuterente Pour eacutetablir que la logique prioreacuteenne est la meilleure repreacutesentation du temps il faut

deacutefendre le premier argument Mais pour eacutetablir qursquoelle est une repreacutesentation possible (non incoheacuterente) du temps il suffit de refuser le second Donc si les deux arguments eacutechouent il demeure pertinent de faire une logique du temps Crsquoest cette conclusion modeste que nous cherchons ici Il nous semble en effet que Lowe reacutepond de maniegravere satisfaisante agrave lrsquoargument fondeacute sur la topologie en donnant un aperccedilu drsquoune topologie deacutecrite en termes drsquoeacuteveacutenement il montre que lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs propositionnelle nrsquoest pas neacutecessaire pour deacutecrire la topologie du temps En revanche Lowe eacutechoue agrave notre avis agrave montrer lrsquoincoheacuterence de la notion drsquoiteacuterabiliteacute en elle-mecircme la comparaison avec drsquoautres domaines drsquoindexicaliteacute ne peut constituer agrave elle-mecircme un argument et Le Poidevin rappelle agrave juste titre que lrsquoincoheacuterence patente de lrsquoiteacuteration agrave laquelle Lowe fait allusion tient simplement agrave ce qursquoil 8 Lowe [1993] ibid 9 Le Poidevin [1993] p 163

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conserve des preacutedicats drsquoeacuteveacutenements cette incoheacuterence disparaicirct donc dans la logique prioreacuteenne classique

Cette conclusion modeste ressemble agrave match nul mais en reacutealiteacute elle est plutocirct favorable agrave lrsquoeacutetablissement drsquoune logique prioreacuteenne en effet si Lowe peut donner des aperccedilus drsquoune topologie du temps exprimeacutee en termes drsquoeacuteveacutenements il nrsquoen demeure pas moins que ces aperccedilus sont beaucoup plus complexes que la maniegravere prioreacuteenne de deacutecrire la topologie Si donc il est eacutetabli que le langage le plus simple pour deacutecrire la topologie du temps nrsquoest pas incoheacuterent (ou du moins srsquoil nrsquoest pas eacutetabli qursquoil repose sur une incoheacuterence) on a lagrave une excellente raison de conserver ce langage En reacutesumeacute la situation contemporaine du deacutebat entre position I et position II est la suivante il nrsquoy a pas drsquoargument massue en faveur des opeacuterateurs iteacuterables mais il nrsquoy a pas non plus drsquoargument massue pour dire qursquoils sont incoheacuterents donc il nrsquoy a pas de raison de ne pas les utiliser lagrave ougrave ils sont particuliegraverement pratiques

Cet excursus dans les deacutebats contemporains permet de montrer que Prior nrsquoa pas

laquo deacutecouvert raquo des solutions indiscutables aux problegravemes de fondation de la logique temporelle mais qursquoil a plutocirct commenceacute agrave mettre en eacutevidence les hypothegraveses et les choix philosophiques sous lesquels une logique temporelle est possible pour suivre Prior il faut admettre la I ou du moins admettre qursquoelle est expeacutediente et nrsquoest pas incoheacuterente

Il y a pourtant une thegravese que Prior liait au bloc I et qui ne semble pas lui ecirctre exclusivement attacheacutee crsquoest celle de la reacutealiteacute et de lrsquoirreacuteductibiliteacute de la seacuterie A Lowe deacutefend preacuteciseacutement cette reacutealiteacute et mecircme temps qursquoil refuse le bloc I Lrsquoideacutee de Prior eacutetait la suivante si les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre iteacutereacutes (si F peut srsquoappliquer agrave FFp par exemple) crsquoest que la nature de lrsquoargument est drsquoecirctre quelque chose de temporaliseacute en seacuterie A (tensed) 10 donc toute proposition mecircme atomique est par nature et irreacuteductiblement temporaliseacutee en seacuterie A

laquo The building up of complexes like Findlayrsquos lsquo(x past) futurersquo requires that tensing be an operation of which the subjects are themselves tensed sentences raquo11

Lrsquoideacutee est tregraves proche du principe en vertu duquel lrsquoargument des opeacuterateurs temporels (iteacutereacutes) doit ecirctre une proposition et non un eacuteveacutenement En effet ce principe consiste agrave dire que lrsquoargument drsquoun opeacuterateur iteacuterable doit ecirctre de mecircme nature que son reacutesultat Mais cela exige

10 pour plus de briegraveveteacute nous appellerons laquo temporaliseacute raquo (tout court) ce qui est temporaliseacute en seacuterie A et laquo dateacute raquo ce qui est temporaliseacute en seacuterie B 11 Prior [1967] p 15

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seulement que lrsquoargument ait le mecircme type formel que le reacutesultat il nrsquoexige pas par exemple que la neacutegation ait toujours pour argument des propositions neacutegatives sous preacutetexte qursquoelle peut ecirctre iteacutereacutee Il nrsquoest donc pas eacutevident que la logique temporelle de Prior implique une theacuteorie reacutealiste et irreacuteductibiliste de la seacuterie A et si lrsquoon accepte que la theacuteorie de Lowe est au moins coheacuterente lrsquoimplication reacuteciproque ne vaut pas non plus Nous nous en tiendrons donc au bloc I sans ajouter la thegravese de reacutealiteacute de la seacuterie A

b problegraveme de la veacuteriteacute eacuteternelle des propositions dateacutees

Accepter lrsquoiteacuteration des opeacuterateurs nrsquoest pas suffisant pour rendre possible la logique

temporelle (ou plus preacuteciseacutement pour la rendre non triviale) en effet si lrsquoargument des opeacuterateurs temporels nrsquoest pas un eacuteveacutenement il reste agrave deacuteterminer preacuteciseacutement ce qursquoil est Comme nous lrsquoavons vu la seule solution alternative est qursquoil soit une proposition Mais dans la tradition logique freacutegeacuteenne dominante agrave lrsquoeacutepoque ougrave Prior commenccedilait ses investigations pour ecirctre une proposition complegravete il faut avoir un reacutefeacuterence temporelle explicite (en seacuterie B) comme par exemple dans la phrase suivante laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo

Cette conception de la proposition comme proposition dateacutee constitue le deuxiegraveme problegraveme fondamental que Prior a ducirc reacutegler pour pouvoir fonder sa logique car avec une telle notion de la proposition il est impossible de construire un calcul temporel non trivial En effet le fait que Ravaillac ait tueacute Henry IV le 14 mai 1610 (si lrsquoon ne tient pas compte des problegravemes drsquoindeacuteterminisme) est une veacuteriteacute eacuteternelle il nrsquoy a pas de sens agrave dire que ce fait soit tantocirct vrai tantocirct faux Par conseacutequent si lrsquoon note h cette proposition on aura non seulement h mais aussi Ph et Fh et mecircme Hh et Gh12 Et cela vaut pour toute proposition dateacutee Autrement dit dans ce calcul temporel des propositions dateacutees on a lrsquoaxiome suivant p=Gp=Hp=Fp=Pp Nous avons certes obtenu des opeacuterateurs sententiels mais ils sont trivialiseacutes Nous avons donc satisfait au premier reacutequisit drsquoune logique modale (des opeacuterateurs propositionnels qui soient des modifieurs) mais nrsquoavons pas satisfait au second (que ces opeacuterateurs ne soient pas veacuterifonctionnels sinon le calcul modal est trivialiseacute)13 12 ougrave notnot= PH crsquoest-agrave-dire lsquoil a toujours eacuteteacute le cas quersquo et notnot= FG crsquoest-agrave-dire lsquoil sera toujours le cas quersquo 13 A vrai dire on pourrait essayer une autre solution pour obtenir un calcul non trivial des propositions dateacutees la critique que nous venons de faire suppose de dire que la proposition laquo Ravaillac a tueacute Henry IV le 14 mai 1610 raquo est vraie en 1500 ie que la proposition ne retient rien du temps verbal passeacute (crsquoest une dated untensed proposition) On pourrait donc essayer un calcul des propositions agrave la fois dateacutees et temporaliseacutees (dated tensed propositions) Dans ce cas la proposition lsquohrsquo serait fausse jusqursquoau 14 mai 1610 inclus puis vraie On srsquoaperccediloit vite qursquoun tel calcul ne garde du contenu de la proposition que la date elle-mecircme si bien qursquoon obtient en fait

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Prior a trouveacute la solution de ce deuxiegraveme problegraveme agrave la lecture drsquoune notice faite par Peter Geach en 1949 pour le livre Nicolaus of Autricourt de Weinberg14 Dans cette notice Geach fait remarquer qursquoune proposition chez les anciens et les meacutedieacutevaux ne requeacuterait pas drsquoindication de date pour ecirctre complegravete laquo for a scholastic lsquoSocrates is sittingrsquo is a complete proposition enuntiabile which is sometimes true sometimes false not an incomplete expression requiring a further phrase like lsquoat time trsquo to make it into an assertion raquo En consideacuterant laquo Socrate est assis raquo comme proposition complegravete Prior avait donc deacutesormais les moyens de construire un calcul temporel non trivial ougrave les diffeacuterentes modaliteacutes sont non eacutequivalentes tout en gardant des liens drsquoimplication par exemple Gp (laquo il sera toujours le cas que Socrate est assis raquo) implique Fp (laquo il sera le cas que Socrate est assis raquo) sans ecirctre impliqueacute par Fp Dans les modaliteacutes composeacutees HGp implique mais nrsquoest pas impliqueacute par FPp Nous examinerons par la suite combien de modaliteacutes reacuteeacutellement diffeacuterentes se deacutegagent de ce calcul temporel Mais nous allons tout drsquoabord voir en quoi cette deuxiegraveme laquo solution raquo prioreacuteenne est une thegravese discutable et encore discuteacutee aujourdrsquohui

Tout comme pour le problegraveme des iteacuterateurs propositionnels on ne peut pas dire que

Prior ait deacutecouvert une solution incontestable et universellement admise au problegraveme des propositions dateacutees au contraire lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee et neacuteanmoins complegravete est veacuteritablement une thegravese qui continue de faire discussion Pour consideacuterer la maniegravere dont cette thegravese peut ecirctre deacutefendue aujourdrsquohui il nous faudra utiliser les termes de la pragmatique contextualiste qui permet de comprendre en quoi un contenu propositionnel nrsquoa pas besoin drsquoecirctre dateacute pour ecirctre eacutevaluable

Mais repartons tout drsquoabord des termes de la discussion agrave lrsquoeacutepoque de Prior il suffit de citer quelques lignes de Frege exactement contemporaines de Past Present and Future pour se rendre compte que la thegravese prioreacuteenne ne faisait pas lrsquounanimiteacute laquo Une penseacutee nrsquoest pas vraie agrave un moment et fausse agrave un autre elle est soit vraie soit fausse tertium non datur La fausse apparence qursquoune penseacutee puisse ecirctre vraie agrave un moment et fausse agrave un autre vient drsquoune expression incomplegravete Une proposition complegravete ou une expression de penseacutee complegravete doit aussi contenir un eacuteleacutement de date raquo15 ainsi un calcul des dates Ce calcul nrsquoest pas agrave proprement parler trivial et il est assureacutement temporel mais il nrsquoest pas exactement ce que nous cherchons 14 Geach [1949] 15 Frege [1967] p 338 citeacute dans Evans [1985] p 350

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Tout lrsquoenjeu de la discussion entre Prior et ses opposants porte sur ce qursquoest une propositin complegravete Il convient donc drsquoexpliciter cette notion A partir de la remarque de Geach que nous avons citeacutee un peu plus haut on peut infeacuterer la deacutefinition suivante Est dite complegravete une proposition qui ne requiert aucun compleacutement pour faire lrsquoobjet drsquoune assertion

A partir de cette deacutefinition on peut expliciter lrsquointuition qui se trouve derriegravere chacune des thegraveses pour les anciens et pour Prior agrave chaque fois que jrsquoeacutenonce laquo Socrate est assis raquo jrsquoai produit une assertion ie que ce que jrsquoai dit est vrai ou faux en lrsquoeacutetat et ne requiert pas que jrsquoen dise davantage Disons par exemple que cette assertion est vraie si jrsquoeacutenonce de nouveau laquo Socrate est assis raquo le lendemain et que mon assertion se trouve fausse il y a un certain sens agrave dire que jrsquoai dit laquo la mecircme chose raquo que mes deux actes de langages avaient laquo le mecircme sens raquo ou encore qursquoils exprimaient laquo la mecircme proposition raquo

A lrsquoinverse un freacutegeacuteen dira que la phrase laquo Socrate est assis raquo ne fait lrsquoobjet drsquoune assertion (et ne prend une valeur de veacuteriteacute) qursquoen vertu drsquoune date fixeacutee par un indexical implicite Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon peut accepter de dire que lrsquoeacutenonciation laquo Socrate est assis raquo est vraie si elle vaut pour une forme abreacutegeacutee de laquo Socrate est assis agrave la date preacutesente raquo Il y a donc bien un compleacutement (implicite) qui permet agrave laquo Socrate est assis raquo de devenir une proposition complegravete Or ce compleacutement change si je prononce les mecircmes mots le lendemain lrsquoexpression laquo la date preacutesente raquo deacutesignera par exemple le 5 juin 420 av J-C puis le 6 juin 420 av J-C Donc le sens de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo nrsquoest pas le mecircme selon que je la prononce le 5 juin 420 ou le 6 juin 420 ou encore ces deux actes de langage nrsquoexpriment pas laquo la mecircme proposition raquo

Cette opposition donne en fait les intuitions fondatrices du deacutebat entre Contextualisme et Litteacuteralisme qui a pris de plus en plus drsquoimportance en philosophie du langage depuis les anneacutees 70 Nous ne pouvons entrer ici dans le deacutetail des discussions nous utiliserons simplement une preacutesentation tregraves construite de lrsquoeacutetat de lrsquoart reacutecent pour voir agrave quelles conditions on peut soutenir lrsquoideacutee drsquoune proposition non dateacutee complegravete16

Ce qui est indiscutable qursquoon soit litteacuteraliste ou contextualiste crsquoest que la valeur de veacuteriteacute de lrsquoexpression laquo Socrate est assis raquo deacutepend du contexte de lrsquoeacutenonciation Mais on peut distinguer un grand nombre de deacutependances contextuelles et crsquoest preacuteciseacutement sur la deacutetermination du type de deacutependance en jeu que litteacuteralistes et contextualistes se divisent Le point important dans une optique prioreacuteenne sera de savoir si crsquoest le contenude la proposition

16 Nous nous appuierons tout particuliegraverement sur Reacutecanati [2007] qui offre un panorama tregraves clair de ces deacutebats

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lui-mecircme qui deacutepend du contexte ou si la date est apporteacutee par le contexte agrave un autre niveau que celui du contenu propositionnel Pour eacuteclaircir cette question on ne peut faire lrsquoeacuteconomie drsquoune preacutesentation exhaustive des diffeacuterents niveaux de deacutependance contextuelle entre lrsquoeacutenonciation comme eacuteveacutenement sonore et la valeur de veacuteriteacute on distingue quatre niveaux diffeacuterents et donc trois eacutetapes drsquolaquo intepreacutetation raquo dont chacune peut ecirctre responsable drsquoune certaine forme de deacutependance contextuelle i eacutenonciation comme produit sonore (ou graphique) ii signification linguistique de la phrase (linguistic meaning) iii contenu propositionnel (content ce qui est eacutevalueacute) iv valeur de veacuteriteacute Le passage de i agrave ii peut deacutependre du contexte de deux maniegraveres diffeacuterentes A Determination de la langue la langue drsquoapregraves laquelle les sons doivent ecirctre interpreacuteteacutes est donneacutee contextuellement B Deacutesambiguation si quelqursquoun dit laquo je suis ton pegravere raquo le contexte me permettra de deacuteterminer srsquoil srsquoagit du verbe lsquosuivrersquo suivi drsquoun COD ou du verbe lsquoecirctrersquo suivi drsquoun attribut La signification linguistique est diffeacuterente dans lrsquoun et lrsquoautre cas A lrsquoissue de ces deux eacutetapes en revanche (A et B) la signification linguistique est fixeacutee ie que la signification linguistique est ce qui est commun agrave toutes les occurences de la phrase laquo je suis[ecirctre] ton pegravere raquo que cette phrase soit dite par Darth Vador agrave Luke17 ou par Argante agrave Zerbinette18 Mais il y a aussi manifestement un certain sens du mot laquo signification raquo pour lequel ces deux occurences nrsquoont pas la mecircme laquo signification raquo Crsquoest ce que vise preacuteciseacutement le concept de laquo contenu raquo propositionnel Or le passage de la signification linguistique (ii) au contenu propositionnel (iii) est susceptible agrave son tour de deux types de deacutependance contextuelle C Saturation Reacutecanati [2007] appelle ainsi tout processus par lequel certains eacuteleacutements de la signification linguistique requiegraverent de par leur nature un compleacutement contextuel sans lesquels cette signification ne pourrait ecirctre eacutevalueacutee Par exemple laquo je raquo et laquo ton raquo dans laquo je suis ton pegravere raquo doivent ecirctre rapporteacutes aux personnages pertinents pour que la phrase soit vraie Hors de tout contexte la phrase laquo je suis ton pegravere raquo a bien une signification linguistique complegravete mais elle nrsquoa pas de content complet et crsquoest pourquoi elle nrsquoest ni vraie ni fausse La saturation correspond aux cas drsquoindexicaliteacute (au sens large)19 17 La Guerre des Etoiles acte VI scegravene 25 18 Les Fourberies de Scapin acte II scegravene 11 19 Reacutecanati distingue encore deux types de Saturation le premier (C1) correspond aux cas ougrave les eacuteleacutements laquo insatureacutes raquo donnent une regravegle explicite de deacutetermination du contenu quelque soit le contexte crsquoest lrsquoindexicaliteacute au sens eacutetroit ou token-reflexivity Dans le second cas en revanche (C2) il nrsquoy a pas de regravegle

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D Modulation le contenu drsquoune expression peut ecirctre modifieacute par le contexte sans qursquoaucun eacuteleacutement linguistique de lrsquoexpression ne requiert une saturation Crsquoest-agrave-dire qursquoagrave deacutefaut de la modulation donneacutee par le contexte lrsquoexpression aurait eu un certain contenu diffeacuterent de celui qursquoelle reccediloit dans le contexte modulant On peut penser que le contenu propositionnel est suffisant pour deacuteterminer la valeur de veacuteriteacute de toute expression crsquoest-agrave-dire que le dernier passage de iii agrave iv nrsquoest pas susceptible drsquoun certain type de deacutependance contextuelle Mais mecircme lorsqursquoon soutient cette thegravese il convient pour la clarteacute du deacutebat de nommer clairement cette deacutependance dont on refuse alors lrsquoexistence E Deacutetermination de la circonstance le processus qui permet de passer du contenu propositionnel agrave la valeur de veacuteriteacute est lrsquoeacutevaluation proprement dite on peut donc consideacuterer avec Lewis et Kaplan que pour un contenu propositionnel fixe des caracteacuteristiques diffeacuterentes du processus drsquoeacutevaluation peuvent entraicircner lrsquoattribution de valeurs de veacuteriteacutes diffeacuterentes Lewis appelle ces caracteacuteristiques laquo index raquo20 Kaplan les appelle laquo circumstance of evaluation raquo21

A partir de ces distinctions on peut reformuler de maniegravere plus preacutecise les engagements

philosophiques drsquoune position prioreacuteenne par rappport agrave la position de Frege Pour Prior lrsquoeacuteleacutement contextuel qui permet drsquoeacutevaluer laquo Socrate est assis raquo agrave chacune de

ses occurences est un eacuteleacutement qui deacutetermine la circonstance drsquoeacutevaluation et non le contenu eacutevalueacute Ce dernier reste identique quel que soit le moment drsquoeacutenonciation (deacutependance E)

Pour Frege lrsquoeacuteleacutement contextuel deacutetermine le contenu eacutevalueacute lui-mecircme qui reste insatureacute tant qursquoune reacutefeacuterence temporelle ne lui a pas eacuteteacute fournie Les diffeacuterentes occurences de laquo Socrate est assis raquo ont seulement la mecircme signification linguistique mais nrsquoont pas le mecircme contenu propositionnel (deacutependance C)

La force principale de la thegravese Prioreacuteenne est lrsquoanalogie avec la modaliteacute en effet si un freacutegeacuteen dit qursquoune proposition doit ecirctre directement eacutevaluable sans que le processus drsquoeacutevaluation apporte le moindre index contextuel alors le monde possible devrait ecirctre preacuteciseacute dans le contenu propositionnel lui-mecircme Crsquoest-agrave-dire que la proposition exprimeacutee par laquo Socrate est assis raquo serait en fait laquo Socrate est assis agrave t0 dans w0 raquo Mais on perd alors un

geacuteneacuterale et la saturation nrsquoest deacutetermineacutee que drsquoapregraves des regravegles de saillance contextuelle par exemple laquo Johnrsquos car raquo peut deacutesigner la voiture qursquoa acheteacutee John celle qursquoil pense acheter celle qursquoil vient de dessiner etc Ce cas est appeleacute mere under-specification 20 Lewis [1970] 21 Kaplan [1989]

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eacuteleacutement fondamental de la notion de laquo proposition raquo une proposition est preacuteciseacutement ce qui permet au-delagrave de la simple valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (de son extension) de rendre compte de son sens (de son intension) Pour ce faire la proposition est traditionnellement conccedilue comme une fonction des mondes possibles vers les valeurs de veacuteriteacute (ou comme un ensemble de mondes possibles ce qui revient au mecircme) Autrement dit pour que la proposition puisse jouer son rocircle essentiel dans la theacuteorie du sens des phrases il faut accepter la thegravese suivante

laquo [Duality] To get a truth-value we need a circumstance of evaluation as well as a content to evaluate (As Austin puts it lsquoIt takes two to make a truthrsquo) raquo22

Comme le montre Reacutecanati un peu plus loin Frege acceptait en fait une version de cette thegravese pour rendre compte des phrases fictionnelles qui drsquoapregraves lui ont un contenu mais pas de valeur de veacuteriteacute faute drsquoecirctre rattacheacutees au monde actuel Mais accepter cette thegravese est plutocirct favorable agrave la theacuteorie prioreacuteenne pour la raison suivante La thegravese de dualiteacute revient agrave dire que pour un domaine au moins (la modaliteacute) la deacutependance E est indispensable agrave une bonne theacuteorie de la proposition ie qursquoun contenu propositionnel peut ecirctre laquo complet raquo quand bien mecircme un index est requis dans le processus de son eacutevaluation Degraves lors pourquoi ne pas faire entrer dans cet index davantage drsquoeacuteleacutements drsquoinformation que le monde actuel agrave commencer par le temps preacutesent

La laquo proposition complegravete raquo que lrsquoon obtient alors nrsquoest plus un ensemble de mondes possibles (eg lrsquoensemble de tous les mondes possibles dans lesquels il est preacutesentement le cas que Socrate est assis) mais un ensemble de situations passeacutees preacutesentes ou futures actuelles ou contrefactuelles (eg lrsquoensemble de toutes les situations dans lesquelles Socrate est assis) Cet ensemble repreacutesenterait le sens de la phrase laquo Socrate est assis raquo Cette theacuteorie a lrsquoavantage de rendre compte de faccedilon assez simple de la maniegravere dont nous apprenons le sens drsquoune telle phrase nous lrsquoapprenons agrave partir drsquoun ensemble de situations passeacutees ougrave elle est vraie (et dont nous avons fait lrsquoexpeacuterience) Si le sens drsquoune phrase eacutetait fonction seulement des mondes possibles il faudrait lrsquoapprendre agrave partir drsquoune certaine expeacuterience des mondes contrefactuels ougrave elle est vraie ce qui semble plus difficile

Pour soutenir qursquoune proposition non dateacutee est une proposition incomplegravete un freacutegeacuteen doit donc bloquer lrsquoanalogie avec la modaliteacute ie montrer pourquoi le problegraveme drsquoincompleacutetude se pose pour le temps et pas pour la modaliteacute Or il nrsquoest pas si facile de trouver une formulation qui explique pourquoi la modaliteacute ne pose pas de problegraveme de

22 Reacutecanati [2007] ch 1

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compleacutetude et qui ne soit pas transfeacuterable en termes temporels Voici le reacutesumeacute par Reacutecanati de lrsquoexplication de Evans [1985]

laquo As Evans points out the problem of semantic incompleteness does not arise in the modal case Even if a thought is said to be true at one world and false at another as in modal logic this does not prevent it from being true (or false) tout court It is true tout court iff it is true-at the actual world But the thought that it is hot cannot be evaluated as true or false tout court In the absence of a contextually supplied time it can only be ascribed relative truth-at-conditions raquo

On pourrait me semble-t-il proposer exactement la mecircme formulation pour le temps laquo mecircme si une penseacutee est dite lsquovraie pourrsquo un temps et lsquofausse pourrsquo un autre cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre vraie (ou fausse) tout court Elle est vraie tout court ssi elle est vraie-pour le temps preacutesent raquo Cette formulation nrsquoest qursquoune maniegravere de deacutevelopper lrsquointuition expliciteacutee degraves le deacutebut de la discussion laquo dans tous les cas ougrave quelqursquoun dit lsquoil fait chaudrsquo ou lsquoSocrate est assisrsquo on peut directement eacutevaluer srsquoil dit vrai raquo puisqursquoon lrsquoeacutevalue preacutesentement

Pour ecirctre plus preacutecis Reacutecanati distingue deux maniegraveres de reacutepondre agrave Frege-Evans pour deacutefendre la notion prioreacuteenne de propositions complegravetes non dateacutees le Relativisme Radical et le Relativisme Modeacutereacute que lrsquoon peut comprendre comme deux raisons diffeacuterentes qui peuvent faire qursquoune proposition est complegravete Si lrsquoon se rappelle qursquoune proposition est complegravete ssi elle ne requiert aucun compleacutement avant de pouvoir ecirctre eacutevalueacutee on voit qursquoil y a deux cas possibles soit la proposition ne requiert absolument aucun compleacutement ie qursquoelle est intrinsegravequement attacheacutee agrave une valeur de veacuteriteacute que le processus drsquoeacutevaluation ne fait qursquoexhiber Soit la totaliteacute des compleacutements qursquoelle requiert seront donneacutes lors du processus drsquoeacutevaluation lui-mecircme et donc il nrsquoy a plus besoin de processus laquo preacutealables raquo tels que la saturation Le relativisme radical de Prior soutient que les propositions non dateacutees sont du premier type le relativisme modeacutereacute de Reacutecanati qursquoelles sont du second type

Il me semble que la diffeacuterence entre les deux positions peut se comprendre au niveau seacutemantique comme une diffeacuterence de structure entre les modegraveles un modegravele ougrave lrsquoeacutevaluation deacutepend des temps est un modegravele dans lequel agrave chaque temps est associeacute une fonction drsquointerpreacutetation diffeacuterente par exemple agrave t1 est associeacutee la fonction drsquointerpreacutetation minimale F1 telle que F1(assis)=SOCRATE GORGIAS et agrave t2 la fonction F2 telle que F2(assis)=GORGIAS Le relativisme modeacutereacute consiste agrave dire que la phrase laquo Socrate est assis raquo (tout court) est interpreacuteteacutee pour un temps t0 qui joue le rocircle de centre temporel du modegravele et auquel est associeacute eacutegalement une fonction drsquointerpreacutetation F0 eg telle que F0(assis)= SOCRATE Le relativisme radical consiste agrave dire que lrsquoeacutevaluation ne va chercher

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aucun temps particulier dont deacutependrait la fonction drsquointerpreacutetation pertinente ie qursquoil y a une fonction drsquointepreacutetation neutre qui est lrsquoensemble de ce qui est le cas par opposition agrave ce qui nrsquoest pas (plus pas encore pas dans ce monde) le cas Ou pour le dire autrement le laquo temps preacutesent raquo nrsquoest pas un temps du modegravele Ceci suppose qursquoil y a un modegravele diffeacuterent pour chaque date ie que le passage du temps correspond agrave un changement de modegravele alors que dans le relativisme modeacutereacute un mecircme modegravele est utiliseacute quelque soit la date de lrsquoeacutevaluation Cette modeacutelisation nrsquoest pas traditionnelle mais elle me semble utile si lrsquoon veut rendre compte du fait (accepteacute par Frege et Evans dans le cas de la modaliteacute) que le monde actuel nrsquoest pas un compleacutement apporteacute au contenu eacutevalueacute lors de lrsquoeacutevaluation et si on accepte une telle modalisation pour la modaliteacute rien nrsquoempecircche a priori de lrsquoeacutetendre agrave la temporaliteacute

Notre conclusion pour le problegraveme des propositions complegravetes non dateacutees est assez

semblable agrave notre conclusion concernant lrsquoiteacuterabiliteacute des opeacuterateurs nous estimons qursquoil nrsquoy a pas drsquoargument deacutecisif pour eacutetablir lrsquoincoheacuterence drsquoune position relativiste Lrsquoargument drsquoinintelligibiliteacute des lsquotruth-at conditionsrsquo ne pourrait fonctionner que si lrsquoon parvenait agrave montrer pourquoi il ne vaut pas pour la modaliteacute ce qui nrsquoa pas eacuteteacute fait de maniegravere totalement probante Le relativisme modeacutereacute nrsquoest donc pas incoheacuterent et il est mecircme assez probant en philosophie du langage or ce type de relativisme est suffisant pour deacutefendre la thegravese de propositions complegravetes non dateacutees Prior deacutefendait un relativisme plus radical qui nrsquoest pas indispensable agrave lrsquoeacutetablissement de sa logique mais nous soutenons que mecircme pour ce relativisme radical il nrsquoy a pas drsquoargument eacutetablissant son incoheacuterence si donc on a des raisons drsquoaccepter un tel relativisme (par exemple des raisons philosophiques concernant la reacutealiteacute du flux temporel contre la tapestry view of time pour reprendre les termes de Prior) rien nrsquoempecircche pour lrsquoinstant de maintenir une telle thegravese

Nous soutenons donc que la repreacutesentation du temps agrave lrsquoaide drsquoopeacuterateurs

propositionnels prenant comme argument des propositions (complegravetes) non dateacutees malgreacute les problegravemes qursquoelle soulegraveve nrsquoa pas rencontreacute drsquoobjections deacutecisives eacutetablissant son caractegravere incoheacuterent et que par conseacutequent il est leacutegitime (par exemple pour deacutecrire la topologie du temps) de construire une syntaxe laquo quasi-modale raquo (ou intensionnelle) du temps Cette syntaxe contiendra les quatre opeacuterateurs suivants les duaux F et G (il sera toujours le cas que) et les duaux P et H (il a toujours eacuteteacute le cas que)

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II seacutemantique intensionnelle et interpreacutetabiliteacute philosophique

Une fois que lrsquoon a admis que les opeacuterateurs temporels peuvent ecirctre traiteacutes comme des

opeacuterateurs modaux (ou laquo quasi-modaux raquo selon le terme de Prior) il reste agrave situer la logique temporelle (ou eacuteventuellement les logiques temporelles) au sein des logiques modales En effet une des caracteacuteristiques de la logique modale est la profusion des axiomes diffeacuterents que lrsquoon peut admettre pour former diffeacuterents systegravemes modaux tous aussi consistants les uns que les autres Crsquoest pour situer la logique temporelle au sein des logiques modales que nous allons avoir besoin de passer agrave preacutesent agrave la seacutemantique des logiques modales (et non plus seulement leur syntaxe) pour des raisons que nous allons exposer bientocirct Dans ldquoAlternative Systems of Logicrdquo23 CI Lewis a donneacute le tout premier panorama des systegravemes modaux sous la forme de cinq systegravemes noteacutes de S1 agrave S5 en fonction de la force de leurs axiomes chaque systegraveme eacutetant plus fort que son preacutedeacutecesseur Une vingtaine drsquoanneacutee plus tard von Wright24 propose un second panorama comprenant trois axiomatiques M Mrsquo et Mrsquorsquo eacutegalement ordonneacutees selon leur force

A lrsquoeacutepoque ougrave Prior entreprend de construire une logique du temps (dans les anneacutees 50) cette diversiteacute des systegravemes modaux nrsquoest pas conccedilue comme un point fort de la logique modale Au contraire la diversiteacute des axiomatisations possibles donne alors le sentiment drsquoune jungle au sein de laquelle on ne peut se frayer un chemin que de maniegravere arbitraire Crsquoest cette impression qui a ralenti eacutenormeacutement lrsquoinvestigation et la classification des diffeacuterentes syntaxes modales entre les travaux fondateurs de CI Lewis et lrsquoexplosion de la logique modale dans les anneacutees 60 Qursquoest-ce qui a permis cette explosion Crsquoest principalement le fait drsquoavoir pu donner agrave la syntaxe modale une seacutemantique adapteacutee cette seacutemantique a permis en effet de montrer que les diffeacuterents axiomes nrsquoeacutetaient pas autant de possibiliteacutes arbitraires mais correspondaient agrave des structures preacutecises dans la seacutemantique correspondante

Crsquoest pour cette raison que nous ne preacutesenterons la syntaxe temporelle de Prior qursquoapregraves avoir donneacute les moyens drsquointerpreacuteter chacun de ses axiomes dans une seacutemantique adapteacutee lrsquoordre historique de la deacutecouverte est eacutevidemment diffeacuterent de cet ordre drsquoexposition Nous verrons plus loin que lrsquoordre historique est en fait franchement deacutetourneacute puisqursquoil passe agrave lrsquoorigine par une axiomatisation de la logique modale (au sens strict du possible et du neacutecessaire) de Diodore Cronos cette derniegravere deacutependant drsquoune logique temporelle

23 Lewis [1932] 24 Von Wright [1951]

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1 rocircle du temps dans lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles En deacutepit de contingences historiques de lrsquoordre de la deacutecouverte ce nrsquoest pas totalement

un hasard si lrsquoinvention de la seacutemantique des mondes possibles a eacuteteacute contemporaine de la naissance de la logique du temps Nous essaierons de montrer que cette derniegravere a eu un rocircle moteur tregraves net parce que les deux eacuteleacutements deacutecisifs pour pouvoir construire une seacutemantique modale eacutetaient disponibles de maniegravere assez eacutevidente dans la theacuteorie du temps bien plus que dans la theacuteorie de la possibiliteacute et de la neacutecessiteacute Le rocircle du temps apparaicirctra au fur et agrave mesure mais citons deacutejagrave les deux eacuteleacutements en question qui reacutegissent le plan de ce paragraphe le premier eacuteleacutement fondamental pour lrsquoinvention des seacutemantiques modales est le domaine de quantification le second eacuteleacutement est une relation sur ce domaine (relation drsquoaccessibiliteacute)

a le domaine de quantification des opeacuterateurs modaux

Le rocircle drsquoArthur Prior dans lrsquoinvention du domaine de quantification a eacuteteacute double tout

drsquoabord il a eacuteteacute lrsquoun des nombreux auteurs modernes agrave remarquer une analogie tregraves forte entre les calculs modaux et le calcul des preacutedicats (agrave cet eacutegard lrsquoanalogie avec le temps) mais drsquoautre part il a eacuteteacute le premier agrave tirer de ces analogies quantificationmodaliteacute lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable quantification modale sur un domaine propre (et crsquoest agrave ce niveau que lrsquointeacuterecirct de Prior pour la logique temporelle a eu un rocircle deacutecisif comme nous le verrons) Notre deacutemarche sera la suivante apregraves avoir exposeacute les analogies telles qursquoelles apparaissent dans la logique contemporaine nous rappellerons briegravevement lrsquohistoire des diffeacuterentes deacutecouvertes concernant ces analogies enfin nous en viendrons aux deux rocircles de Prior lrsquoideacutee drsquoun domaine de quantification modale et le domaine du temps comme solution agrave ce problegraveme

Si lrsquoon compare les preacutesentations contemporaines de la logique modale et de la logique

des preacutedicats le parallegravele est frappant Logique des preacutedicats Logique modale Symbole primitif forall L Regravegle de formation si Ax est une FBF contenant

la variable drsquoindividu libre x xAxforall et xAxexist sont des FBF

si ϕ est une FBF Lϕ et Mϕ sont des FBF

Symbole deacutefini (duale) existxϕ =df ϕnotnotforallx Mϕ =df notLnot ϕ

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Ax 1 (closure sous lrsquoimplication stricte)

)()( xAxAxx forallrarrrarrrarrforall ϕϕ (axiome LQ1)

)()( LqLpqpL rarrrarrrarr (axiome K)

Ax 2 (duale fort) AtxAxrarrforall (axiome LQ2) pLp rarr (axiome T) Regravegle de transformation

de |- ϕ infeacuterer |- ϕxforall (geacuteneacuteralisation universelle)

de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ (neacutecessitation)

Il est important de remarquer que ce tableau ne seacutelectionne pas certains eacuteleacutements de la logique des preacutedicats en fonction de leur analogie avec la logique modale La colonne de gauche donne au contraire la deacutefinition mecircme de la logique des preacutedicats La colonne de droite donne eacutegalement les eacuteleacutements suffisants drsquoune logique modale (le systegraveme T) elle ne donne pas cependant les eacuteleacutements neacutecessaires de toute logique modale car on peut construire une logique modale en se passant de lrsquoaxiome T donc en ne gardant que lrsquoaxiome K Cependant lrsquoaxiome T a une telle plausibiliteacute que dans les anneacutees 50 il eacutetait en fait accepteacute (ou du moins deacutemontrable) dans les systegravemes modaux normaux les plus faibles aussi bien le S4 de Lewis que le M de Von Wright A cette eacutepoque la preacutesentation de la logique modale nrsquoeacutetant pas standardiseacutee lrsquoanalogie terme agrave terme avec la logique des preacutedicats eacutetait eacutevidemment moins frappante (crsquoest particuliegraverement vrai de la preacutesentation de S1 avec ses six axiomes de lrsquoimplication stricte ougrave lrsquoopeacuterateur modal nrsquoest pas preacutesent explicitement la preacutesentation de Von Wright commence agrave rendre lrsquoanalogie plus visible)

Si frappant qursquoil soit ce paralleacutelisme dans les axiomatiques actuelles est en large partie

le reacutesultat des remarques de diffeacuterents chercheurs sur lrsquoanalogie modaliteacutequantification Drsquoun point de vue plus historique les analogies sont apparues de maniegravere leacutegegraverement diffeacuterente comme le montre Prior dans laquo The Parallel between Modal Logic and Quantification Theory raquo 25 Prior fait remonter le premier parallegravele agrave la distinction aristoteacutelicienne entre neacutegation interne et neacutegation externe au chapitre 7 du De Interpretatione Aristote montre que la neacutegation interne de lsquotout homme est blancrsquo (soit lsquotout est non-blancrsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave la neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas le cas que tout homme est blancrsquo) de mecircme au chapitre 12 Aristote souligne que la neacutegation interne de lsquoil est neacutecessaire que prsquo (soit lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo) nrsquoest pas eacutequivalente agrave sa neacutegation externe (soit lsquoil nrsquoest pas neacutecessaire que prsquo) Plus preacuteciseacutement la neacutegation interne drsquoune proposition universelle eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition particuliegravere (lsquotout homme est non-blancrsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas le cas que quelque homme est blancrsquo) et de mecircme la neacutegation interne drsquoune proposition 25 Prior Fine [1977] p 9-27

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neacutecessaire eacutequivaut agrave la neacutegation externe de la proposition contingente (lsquoil est neacutecessaire que non-prsquo eacutequivaut agrave lsquoil nrsquoest pas possible que prsquo) Prior rappelle que ces eacutequivalences eacutetaient eacutegalement bien connues agrave lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale sous le nom drsquoaequipollentia et qursquoelles eacutetaient clairement formaliseacutees de la maniegravere suivante (au symbolisme pregraves) ϕϕ notnotexistequivforall xx

ϕϕ notnotequiv ML Ce point correspond donc essentiellement au rapport drsquointerdeacutefinition des deux symboles duales (crsquoest-agrave-dire agrave la troisiegraveme ligne de notre tableau)

A lrsquoeacutepoque contemporaine lrsquoanalogie a eacuteteacute mise en eacutevidence par plusieurs chercheurs avant drsquoarriver agrave Prior lui-mecircme nous nous inteacuteresserons aux apports deacutecisifs de Carnap et de Montague Lrsquoarticle principal de Carnap sur le sujet agrave savoir laquo Modalities and Quantification raquo26 date de 1946 Carnap nrsquoenvisage ici le lien entre quantification et modaliteacute que pour un sens tregraves restreint de la modaliteacute celui de la neacutecessiteacute logique et de la possibiliteacute logique expliqueacutees par son concept seacutemantique de L-deacutetermination La contribution de Carnap agrave lrsquoinvention de la seacutemantique modale est cependant ambigueuml du fait de cette restriction et du caractegravere anti-seacutemantique qursquoelle implique comme nous allons le voir agrave partir des deux approches qursquoil donne de la notion de L-veacuteriteacute27

Defintion A sentence iimage is L-true (in SI) =df Si holds in every stat-description (in SI) A partir de cette deacutefinition on a bien lrsquoexplicitation de la neacutecessiteacute (logique) par une quantification sur un certain ensemble (celui des descriptions drsquoeacutetat SD) Il semble donc qursquoil nrsquoy ait plus qursquoun changement de terme agrave effectuer pour obtenir la deacutefinition geacuteneacuterale de la seacutemantique modale comme quantification sur les mondes possibles Pourtant Carnap donne agrave sa propre deacutefinition une interpreacutetation qui interdit en fait toute seacutemantique modale

Convention A sentence iimage is L-true in a semantical system S iff iimage is true in such a way that its truth can be established on the basis of the semantical rules of the system S alone without any reference to (extra-linguistic) facts

En deacutefinissant la neacutecessiteacute (logique) en termes de L-veacuteriteacute on obtient donc le reacutesultat suivant ce qui fait qursquoune phrase de S est neacutecessaire crsquoest uniquement les regravegles du langage S et non les faits du monde il ne sert donc agrave rien de donner un modegravele du monde pour en rendre raison Carnap interdit ainsi toute seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique de la neacutecessiteacute

Cinq ans apregraves Carnap Montague28 propose une nouvelle preacutesentation des rapports entre quantification et modaliteacute Lrsquointeacuterecirct de lrsquoarticle de Montague est de faire voir que cette analogie ne vaut pas seulement pour la neacutecessiteacute logique il lrsquoeacutetend en effet agrave la neacutecessiteacute 26 Carnap [1946] 27 Carnap [1947] p 10 28 Montague [1951]

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physique et agrave la logique deacuteontique avec agrave chaque fois une faccedilon diffeacuterente drsquoutiliser la quantification Cette mecircme anneacutee 1951 dans lrsquoavant-dernier chapitre de laquo The Craft raquo Prior remarque agrave son tour lrsquoanalogie de maniegravere apparemment indeacutependante de Carnap qursquoil ne cite pas parmi ses sources29

laquo For the similarity of behaviour between signs of modality and signs of quantity various explanations may be offered It may be for example that signs of modality are just ordinary quantifiers operating upon a peculiar subject-matter namely possible states of affairs raquo30

Crsquoest sans doute cette intuition qui a ameneacute Prior agrave srsquointeacuteresser agrave la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes Nous deacutevelopperons plus tard cette logique elle-mecircme pour lrsquoinstant nous remarquerons seulement qursquoelle a une grande efficaciteacute heuristique pour eacutelaborer une seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux En effet la theacuteorie diodeacutereacuteenne des modaliteacutes eacutetablit une eacutequivalence entre laquo il est possible que p raquo et laquo soit p est le cas soit p sera le cas raquo En ramenant la modaliteacute au temps la theacuteorie diodeacuteenne fournit directement et de maniegravere triviale ce qui est sans doute le plus difficile agrave theacuteoriser dans la seacutemantique quantificationnelle des opeacuterateurs modaux agrave savoir un domaine de quantification De mecircme que Fp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte pour lequel p est le cas de mecircme pour Diodore Cronos Mp est vrai ssi il existe un temps de telle et telle sorte ougrave p est le cas Ces reacuteflexions furent meneacutees par Prior dans la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 50 (agrave lrsquooccasion notamment de ses John Locke Lectures de 1956)31 et crsquoest en partie agrave partir de lrsquoeacutetude et de la discussion de ces thegraveses que Kripke32 a pu donner au deacutebut des anneacutees 60 la version quasi deacutefinitive de la theacuteorie de la quantification sur les mondes possibles comprise enfin explicitement comme une seacutemantique de la logique modale33

Reprenant un cateacutegorie carnapienne cette seacutemantique sera appeleacutee intensionnelle pour

Carnap lrsquointension drsquoune phrase est la proposition qursquoelle exprime crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des descriptions drsquoeacutetat dans laquelle elle vaut Une autre faccedilon de preacutesenter les choses est de 29 il mentionne seulement John Wallis (un logicien du 17eme) et le Tractatus de Wittgenstein 30 cit in Copeland [1996] laquo The Craft of formal logic raquo nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute 31 Prior [1957] 32 Kripke [1963] 33 Il est important de noter que lrsquoinvention de la seacutemantique modale ne marque pas le terme des reacuteflexions sur lrsquoanologie modaliteacutequantification ou plutocirct sur la triple analogie modaliteacutetempsquantification non seulement ce thegraveme occupera Prior jusqursquoagrave sa mort et son eacutelegraveve Kit Fine apregraves lui qui sera lrsquoeacutediteur de Worlds Times and Selves mais cette analogie a eacuteteacute eacuterigeacutee tregraves reacutecemment par Philippe Schlenker [2005] en veacuteritable programme de recherche seacutemantique dans laquo Ontological Symmetry in Language A Grief Manifesto raquo Nous reviendrons briegravevement sur ce point dans la conclusion de notre eacutetude qui proposera un argument original en faveur du programme de Schlenker

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dire que lrsquointension drsquoune phrase est une fonction qui prend pour argument une description drsquoeacutetat et retourne une valeur de veacuteriteacute (le vrai si la phrase vaut dans cette description drsquoeacutetat le faux sinon) Ceci nous ramegravene agrave lrsquoideacutee deacutejagrave discuteacutee que les propositions ne sont pas directement attacheacutees agrave des valeurs de veacuteriteacute mais sont plutocirct des fonctions qui pour retourner une valeur de veacuteriteacute doivent recevoir un certain argument qursquoon appelle un index

A ce propos la preacutesentation carnapienne des notions drsquointension et drsquoextension pourrait peut-ecirctre favoriser la lecture relativiste radicale pour la raison suivante lrsquoextension et lrsquointension drsquoune phrase (ie sa valeur de veacuteriteacute et la proposition qursquoelle exprime) sont preacutesenteacutees par Frege comme deux entiteacutes irreacuteductibles lrsquoune agrave lrsquoautre quoi qursquoelles ne soient eacutevidemment pas sans lien Si lrsquoune eacutetait reacuteductible agrave lrsquoautre la bonne theacuteorie de la phrase rattacherait en fait la phrase agrave lrsquoentiteacute fondamentale et meacutediatement agrave lrsquoentiteacute reacuteductible Or dans la preacuteface de Meaning and Necessity Carnap insiste sur le fait que lrsquooriginaliteacute de sa meacutethode est son caractegravere binaire

laquo [All other methods] regard an expression in a language as a name of a concrete or abstract entity In contradistinction the method here proposed takes an expression not as naming anything but as possessing an intension and an extension raquo34

Cette insistance suggegravere que la valeur de veacuteriteacute drsquoune phrase (son extension) nrsquoest pas reacuteductible agrave son intension cela semble donc contraire agrave la theacuteorie relativiste modeacutereacutee pour laquelle une phrase nrsquoa de valeur de veacuteriteacute que via son intension ie par la proposition qursquoelle exprime agrave un index actuel w0 ou t0 Evidemment on ne peut embrigader Carnap sous la banniegravere du relativisme radical mais il peut ecirctre inteacuteressant de noter que la maniegravere dont il preacutesente sa theacuteorie de lrsquointension et de lrsquoextension est en fait assez favorable agrave une telle thegravese

b la relation drsquoaccessibiliteacute

Nous venons de voir pour quelles raisons la seacutemantique adapteacutee de toute logique modale

(y compris la logique temporelle) eacutetait un calcul quantificationnel sur les laquo mondes possibles raquo (ces laquo mondes possibles raquo eacutetant des instants ou des moments pour la logique temporelle) Pour la neacutecessiteacute logique telle qursquoelle est eacutetudieacutee par Carnap il est suffisant de donner le domaine de quantification pour rendre compte du calcul quantificationnel

Mp est vrai ssi il existe une SD ougrave p est vrai Lp est vrai ssi pour toute SD p est vrai

34 Carnap [1947] p iii

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Crsquoest-agrave-dire plus explicitement que lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute et lrsquoopeacuterateur de possibiliteacute quantifient sans restriction sur le domaine des descriptions drsquoeacutetat Une telle quantification sans restriction donne un systegraveme modal unique et tregraves fort le systegraveme S5 de Lewis Pour pouvoir rendre compte seacutemantiquement de la diversiteacute des syntaxes de Lewis il donc fallait introduire une restriction de la quantification sur ce domaine dans la logique du possible lrsquooutil de restriction sera appeleacute laquo relation drsquoaccessibiliteacute raquo mais nous allons voir preacutesent que lrsquoanalogie avec la temporaliteacute a eu ici encore un rocircle heuristique important chez Prior gracircce agrave la notion geacuteneacuterale des property-calculus

Nous allons donc partir de la logique du temps pour montrer qursquoun raisonnement trivial

amegravene agrave relativiser la quantification des opeacuterateurs temporels (quasi-modaux) et agrave la relativiser au moyen drsquoune relation binaire entre des laquo individus temporels raquo dont les propositions deviennent des preacutedicats

En effet si nous utilisons une seacutemantique des opeacuterateurs temporels sur le modegravele de la deacutefinition carnapienne des modaliteacutes (crsquoest-agrave-dire comme quantificateurs sans restriction) on voit tregraves vite que quelque chose manque

Fp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave p est vrai Gp est vrai ssi pour tout temps futur p est vrai

Il est eacutevident qursquoun temps nrsquoest pas futur en lui-mecircme tandis qursquoune SD est une description drsquoeacutetat quel que soit la description drsquoeacutetat qui se trouve ecirctre reacutealiseacutee Pour formaliser le problegraveme que cette intuition soulegraveve il suffit drsquoenvisager les iteacuterations drsquoopeacuterateurs temporels par exemple FGp

FGp est vrai ssi il existe un temps futur ougrave pour tout temps futur p est vrai Cette deacutefinition est au moins ambigueuml soit crsquoest une maniegravere obscure de dire que pour tout temps futur p est vrai (mais dans ce cas FGp = Gp et on perd donc lrsquoiteacuteration) soit il faut preacuteciser que dans la deuxiegraveme occurence les temps futurs dont il srsquoagit sont futurs non pas absolument mais relativement au temps futur de la premiegravere occurence Soit

FGp est vrai ssi il existe un temps futur t1 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Ceci revient agrave dire que laquo futur raquo ne quantifie pas sur la totaliteacute du domaine de quantifications mais seulement sur ceux qui sont dans une certaine relation par rapport agrave t1 (une relation de posteacuterioriteacute) Mais si laquo futur raquo se prend relativement et non pas absolument alors le temps t1 doit lui-mecircme ecirctre futur agrave lrsquoeacutegard drsquoun temps t0 temps auquel la proposition de deacutepart est eacutevalueacutee

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On arrive alors agrave une seacutemantique correcte FGp est vrai agrave t0 ssi il existe un temps futur par rapport agrave t0 tel que pour tout temps t2 futur par rapport agrave t1 p est vrai

Si on rapporte ce type de formulation aux opeacuterateurs simples et si lrsquoon remplace laquo futur par rapport agrave raquo par laquo posteacuterieur agrave raquo on obtient les deacutefinitions seacutemantiques suivantes

Fp est vrai agrave t0 ssi il existe t1 posteacuterieur agrave t0 tel que p est vrai Gp est vrai agrave t0 ssi pour tout t1 posteacuterieur agrave t0 p est vrai Prior deacuteveloppa donc tregraves vite35 agrave cocircteacute du calcul propositionnel fondeacute sur les opeacuterateurs

F G P et H un calcul des preacutedicats de dates fondeacute sur la relation drsquoanteacuterioriteacute noteacutee l Les propositions sont consideacutereacutees comme des preacutedicats de dates de telle sorte que px veut dire laquo la proposition p est vraie agrave la date x raquo z est mise pour la date preacutesente (cf t0) A partir de ces deacutefinitions Prior pouvait eacutetablir une correacutelation directe entre les deux types de calcul

Fp = )( pxlxzx andexist Pp = )( pxlzxx andexist Gp = )( pxlxzx rarrforall Hp = )( pxlzxx rarrforall Cette deacutemarche est beaucoup plus simple et naturelle pour le temps que pour la logique

du laquo possible raquo pour deux raisons correacutelatives tout drsquoabord nos intuitions sur les phrases qui utilisent plusieurs termes modaux sont beaucoup plus floues que nos intuitions sur le futur anteacuterieur ou le passeacute anteacuterieur (eg srsquoil est possible qursquoune chose soit possible peut-on en deacuteduire que cette chose est possible ) et drsquoautre part il nrsquoy a pas dans le domaine du possible une relation aussi claire et bien connue que la relation drsquoanteacuterioriteacute (ou de posteacuterioriteacute) Et il semble bien qursquohistoriquement lrsquoideacutee drsquoune relation entre laquo mondes possibles raquo (entre eacuteleacutements du domaine de quantification modale) soit venue directement drsquoune extension du l-calculus par la notion geacuteneacuterale de property-calculus

Prior attribue agrave Meredith36 lrsquoideacutee drsquoeacutetendre agrave tous les modaux ce type de calcul qui transforme les propositions modaliseacutees en proprieacuteteacutes drsquoeacuteleacutements ordonneacutes A vrai dire Jonsson et Tarski37 avaient publieacute degraves 1951 un article sur lrsquoisomorphisme entre algegravebre booleacuteenne avec opeacuterateurs et systegraveme algeacutebrique constitueacute drsquoun ensemble et drsquoune relation reacuteflexive et transitive malheureusement Tarski ne vit pas le lien entre ses reacuteflexions

35 Prior [1958] 36 Meredith [1958] 37 Jonsson et Tarski [1951]

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algeacutebriques et la logique modale38 Crsquoest Meredith qui a appeleacute ces calculs property calculus Prior preacutefegravere U-calculus (ougrave U deacutesigne la relation drsquoordre) pour montrer que lrsquointeacuterecirct principal de ces calculs est la relation qursquoils explicitent entre les eacuteleacutements du domaine de quantification A partir de cette geacuteneacuteralisation la deacutefinition drsquoopeacuterateurs modaux quelconques srsquoensuit directement

)()( pxUxzxzMp andexist= )()( pxUxzxzLp rarrforall=

Il ne restait plus qursquoagrave baptiser cette relation caracteacuteristique de toute seacutemantique modale Comme pour les autres termes geacuteneacuteraux (laquo modaliteacute raquo laquo mondes possibles raquo) la deacutenomination est emprunteacute au domaine du possible et du neacutecessaire Drsquoapregraves Prior crsquoest Geach qui a penseacute au terme drsquoaccessibiliteacute en 196039 Lrsquoideacutee originelle de Geach telle que la rapporte Prior eacutetait celle drsquoun veacuteritable saut entre mondes laquo we might reach one world from another merely in thought or we might reach it more concretely in some dimension-jumping vehicle dreamed up by science fiction (the case originally put by Geach) raquo40

Ces preacutecisions sur la relation drsquoaccessibiliteacute nous permettent une nouvelle remarque

dans le deacutebat entre relativisme modeacutereacute et relativisme radical nous avons vu que la seacutemantique de la neacutecessiteacute carnapienne (ou toute autre seacutemantique de S5) ne neacutecessitait pas de recours explicite agrave un index actuel w0 ou t0 En revanche dans cette partie nous en sommes venus agrave utiliser explicitement de tels index actuels (t0 ou z) et nous avons ainsi perdu lrsquoeacuteleacutement apparemment favorable au relativisme radical Cela nrsquoest pas un hasard en effet pour pouvoir se dispenser drsquoun w0 il faut que la relation drsquoaccessibiliteacute soit telle que tout ce qui est accessible agrave w0 soit accessible agrave tout autre index De cette maniegravere la relation drsquoaccessibiliteacute est rendue indeacutependante de lrsquoindex Si une telle proprieacuteteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute est satisfaite (en fait une relation drsquoeacutequivalence) la logique propositionnelle engendreacutee nrsquoest autre que le systegraveme S5 On peut donc remarquer que la diffeacuterence structurelle entre logique du possible (qui satisfait geacuteneacuteralement S5) et logique temporelle (qursquoil serait absurde de systeacutematiser par S5) peut jouer comme argument pertinent en faveur drsquoune asymeacutetrie tempsmode qui rendrait compatibles un relativisme modal radical et un relativisme temporel modeacutereacute 38 Drsquoapregraves Kripke citeacute par Copeland [1996] p 13 Tarski continua agrave ne pas voir le rapport entre les deux domaines lorsqursquoil assista agrave la confeacuterence en Finlande en 1962 ougrave Kripke souligait lrsquoimportance de Jonsson et Tarski [1951] 39 Prior [1962b] p 140 40 Prior [1962a] p 36

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2 des axiomes aux proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute

Disposer drsquoune seacutemantique est quelque chose drsquoessentiel pour tout calcul logique Mais dans le cas de la logique modale le beacuteneacutefice de la seacutemantique fut encore plus consideacuterable qursquoailleurs parce qursquoelle permit de donner un principe drsquoordre dans la profusion des axiomatiques possibles En effet comme Kripke lrsquoa montreacute de maniegravere particuliegraverement nette dans laquo Semantical considerations on modal logics raquo41 les axiomes les plus importants que lrsquoon peut choisir drsquoaccepter ou de refuser pour construire diffeacuterents systegravemes modaux sont exactement eacutequivalents agrave des proprieacuteteacutes simples de la relation drsquoaccessibiliteacute telles que la transitiviteacute la reacuteflexiviteacute ou la symmeacutetrie Nous allons tout drsquoabord montrer le principe de cette eacutequivalence sur quelques axiomes fondamentaux de la logique modale puis nous ferons la liste des axiomes qui sont exigeacutes ou discutables pour construire une logique modale du temps La deacutemarche axiomatique que nous allons suivre (celle que Prior a lui-mecircme suivie et qui est encore parfois utiliseacutee par quelques prioreacuteens tels que Peter Oslashhrstroslashm et Per F V Hasle 42 ) a eacuteteacute majoritairement abandonneacutee au profit drsquoune deacutemarche plus proche de la seacutemantique des langues naturelles comme cette deacutemarche nous semble plus clairement fructueuse dans le domaine des interactions entre temps et modaliteacutes nous la reacuteserverons agrave notre deuxiegraveme partie ce qui en outre permet de suivre lrsquoordre historique en ne nous eacutecartant pas encore des eacutecrits de Prior lui-mecircme

Les deux axiomes modaux dont la signification algeacutebrique se comprend le plus

facilement sont sans doute les deux suivants T pLp rarr ce qui eacutequivaut agrave T Mpprarr 4 LLpLprarr ce qui eacutequivaut agrave 4 MpMMprarr Lrsquoaxiome T dit la chose suivante si la proposition p est vraie dans un monde w0 alors

elle est vraie dans (au moins) un monde accessible agrave w0 (Mp) Pour que cette implication soit valide il faut et suffit que ce monde accessible agrave w0 et ougrave p est le cas soit w0 lui-mecircme La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w dans W wRw Lrsquoaxiome T de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de reacuteflexiviteacute

Lrsquoaxiome 4 dit la chose suivante si w0 a accegraves agrave (au moins) un monde w1 tel que w1 a accegraves agrave (au moins) un monde w2 ougrave p est vraie (MMp) alors w0 a accegraves agrave (au moins) un monde wn ougrave p est vraie (Mp) Pour rendre valide lrsquoimplication il suffit que le monde wn du 41 Kripke [1963] 42 Oslashhrstroslashm et Hasle [1995] notamment ch33 et 35

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conseacutequent soit le monde w2 de lrsquoanteacuteceacutedent La relation drsquoaccessibiliteacute doit donc ecirctre telle que quelque soit w0 w1 et W2 dans W si w0Rw1 et w1Rw2 alors w0Rw2 Laxiome 4 de la syntaxe correspond donc dans la seacutemantique agrave la proprieacuteteacute de transitiviteacute

Une question qui se pose degraves qursquoon connaicirct ce scheacutema drsquointerpreacutetation des axiomes modaux crsquoest lrsquointerpreacutetation de lrsquoaxiome K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr dont nous avons dit plus haut qursquoil eacutetait vrai dans tout systegraveme modal Y a-t-il une proprieacuteteacute tregraves fondamentale de la relation drsquoaccessibiliteacute qui corresponde agrave K La reacuteponse est non lrsquoaxiome K est rendu valide par le simple fait de correacuteler les opeacuterateurs modaux agrave un calcul de quantification sur les mondes possibles mecircme avec une relation drsquoaccessibiliteacute quelconque

A partir drsquoune structure aussi preacutecise il ne reste plus qursquoagrave envisager les proprieacuteteacutes de la relation drsquoaccessibiliteacute que lrsquoon jugera adapteacutees agrave une logique du temps crsquoest-agrave-dire en fait les proprieacuteteacutes de la relation drsquoanteacuterioriteacute Chaque axiome modal pourra ecirctre accepteacute ou refuseacute drsquoapregraves la plausibiliteacute de sa traduction dans le calcul de lrsquoanteacuterioriteacute

Dans laquo The logic of Time Distinctions raquo43 Prior propose le systegraveme temporel suivant Symboles primitifs G et H Regravegles de formation si ϕ est une FBF Gϕ Hϕ Fϕ et Pϕ sont des FBF Symboles deacutefinis Fϕ =df notGnot ϕ

Pϕ =df notHnot ϕ Axiomes A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

A2 FpGprarr A3 FpFFprarr A4 FFpFprarr A5 GPpprarr

Regravegles de transformation

RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ MIR de |- ϕ infeacuterer |- ϕ [sub PF HG]

Avant de commenter les axiomes eux-mecircmes il convient de commenter les regravegles de transformation admises par Prior la regravegle RG nrsquoest que la notation temporelle de la regravegle N de neacutecessitation qui vaut pour tout systegraveme modal normal La regravegle MIR (Mirror Image Rule44) en revanche nrsquoest pas preacutesent dans toute logique modale et il ne va pas de soi de lrsquoaccepter Cette regravegle est une conseacutequence du fait que la logique temporelle est un systegraveme

43 Prior [1958] 44 Le nom de cette regravegle a eacuteteacute donneacute par Charles Hamblin

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bimodal et non monomodal comme le sont la plupart des logiques modales Et cette bimodaliteacute syntaxique vient du fait qursquoau niveau seacutemantique on peut quantifier sur les temps soit accessibles par relation drsquoanteacuterioriteacute soit accessibles par la converse (soit sur les temps passeacutes soit sur les temps futurs) Pour les logiques du possible il nrsquoest pas habituel de nommer les opeacuterateurs correspondant agrave la quantification par la relation converse cela tient en partie au fait que la plupart des logiques du possible sont fondeacutees sur une relation symeacutetrique et que les deux types de quantifications sont dans ce cas eacutequivalentes Or la symeacutetrie est une proprieacuteteacute tregraves peu plausible de la relation drsquoanteacuterioriteacute temporelle Mais la regravegle MIR nrsquoimplique pas seulement que la relation drsquoanteacuterioriteacute nrsquoest pas symeacutetrique elle dit eacutegalement que cette relation et sa converse ont mecircme structure ou autrement dit que la structure de la relation temporelle est symeacutetrique Or ce point est particuliegraverement contestable en effet srsquoil est probable que le temps nrsquoest pas dense vers le passeacute et discret vers lrsquoavenir ou lrsquoinverse nous verrons que la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute pourrait fort bien ne valoir que dans un seul sens Nous considegravererons donc la regravegle MIR comme une faciliteacute drsquoeacutecriture qui pour les axiomes clairement symeacutetriques dispense drsquoeacutecrire agrave chaque fois lrsquoaxiome du passeacute correspondant agrave lrsquoaxiome du futur

Venons-en donc aux axiomes eux-mecircmes et tout drsquoabord agrave ceux qui ne deacutependent drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation temporelle Nous avons deacutejagrave vu que lrsquoaxiome K eacutetait preacutesent dans tout systegraveme modal Crsquoest donc le cas en particulier du systegraveme temporel On le retrouve dans lrsquoaxiomatique de Prior sous le nom de A1 )()( GqGpqpG rarrrarrrarr Il est eacutevident que lrsquoaxiome correspondant de la logique du passeacute (fondeacute sur la relation converse) vaut eacutegalement puisqursquoil ne suppose aucune proprieacuteteacute agrave la relation converse On a donc

KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr

Mais dans la logique bimodale du temps il y a un deuxiegraveme axiome qui ne deacutepend drsquoaucune proprieacuteteacute particuliegravere de la relation drsquoaccessibiliteacute il srsquoagit de lrsquoaxiome A5 de Prior ou crossing axiom qui assure le lien entre la logique du futur et la logique du passeacute

CFP GPpprarr Cet axiome dit simplement la chose suivante si p est le cas agrave t0 alors dans tout temps posteacuterieur agrave t0 il y a un temps anteacuterieur dans lequel p est le cas Pour que cet axiome soit valide il faut et il suffit que la relation drsquoanteacuterioriteacute soit la converse de la relation de posteacuterioriteacute Cet axiome deacutepend donc de la seacutemantique des deux couples drsquoopeacuterateurs

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temporels interpreacuteteacutes comme deacutependant drsquoune relation et de sa converse mais pas des proprieacuteteacutes de cette relation On pourrait eacutevidemment donner lrsquoaxiome miroir

CPF HFpprarr Muni de ces quatre axiomes (qursquoon peut en fait reacuteduire agrave KF et CFP les A1 et A5 de Prior) on a deacutejagrave un systegraveme bimodal rudimentaire que Lemmon45 a baptiseacute Kt Ce systegraveme nrsquoest pas speacutecialement un systegraveme temporel dans la mesure ougrave nrsquoimporte quelle relation avec sa converse engendre Kt Pour avoir un systegraveme temporel il faut donc ajouter quelques axiomes

Le risque en ajoutant des axiomes est de les choisir en fonction de certaines thegraveses

controverseacutees sur le temps (par exemple son caractegravere infini ou dense) mais ce qui est peu discutable crsquoest que la relation temporelle soit une relation drsquoordre strict Cette cateacutegorisation regroupe trois proprieacuteteacutes

- asymeacutetrie ( )RtttRttt notrarrforall - irreacuteflexiviteacute ( )tRtt notforall - transitiviteacute ( )( ) tRtRtttRtttt rarrandforall Lrsquoasymeacutetrie pose qursquoun temps ne peut pas ecirctre agrave la fois anteacuterieur et posteacuterieur agrave un autre

moment Crsquoest peut-ecirctre la plus discutable de ces trois proprieacuteteacutes dans la mesure ougrave un temps cyclique la falsifie Cette propieacuteteacute nrsquoest de toutes les faccedilons pas traduisible sous forme drsquoaxiome de la logique temporelle On voit ici la premiegravere limite de la logique temporelle par rapport au calcul relationnel sous-jacent crsquoest ce dernier qui est plus expressif et qui permet veacuteritablement drsquoexprimer toutes les proprieacuteteacutes pertinentes du temps Crsquoest lagrave une objection classique agrave la thegravese philosophique de Prior selon laquelle le calcul le plus fondamental est le PF-calculus qui correspond agrave la A-series de MacTaggart et non le l-calculus qui correspond agrave la B-series

Lrsquoirreacuteflexiviteacute nrsquoest pas traduisible non plus comme axiome de la logique temporelle46 mais elle pose moins de problegravemes que lrsquoirreacuteflexiviteacute il semble en effet qursquoelle deacutepende drsquoune convention de langage On pourrait fort bien utiliser la relation drsquoanteacuterioriteacute laquo large raquo telle que tt le est vrai lorsque tt = A cette relation correspondrait le futur large (ou le passeacute large) tel que Fpprarr Mais il semble que le futur strict soit plus utile (et de fait soit le seul utiliseacute) pour le langage naturel par exemple si Bill vient voir Tom aujourdrsquohui pour la derniegravere fois la phrase laquo Bill viendra voir Tom raquo est manifestement fausse 45 Lemmon [1966] 46 cf van Benthem [1983] II22 pour la deacutemonstration de ce point

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Donc des trois proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent un ordre strict seule la transitiviteacute peut ecirctre exprimeacutee dans le PF-calculus comme nous lrsquoavons vu elle est exprimeacutee par lrsquoaxiome 4 qui figure sous le nom de A3 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] En ajoutant son axiome miroir on obtient

4F FpFFprarr ou encore GGpGprarr 4P PpPPprarr ou encore HHpHprarr On pourrait srsquointeacuteresser au systegraveme formeacute par Kt + 4F + 4P mais une autre proprieacuteteacute est

suffisamment peu controverseacute pour donner la base drsquoune logique consensuelle du temps il srsquoagit de la laquo lineacuteariteacute agrave gauche raquo dont les axiomes de Prior [1958] ne permettent pas de rendre compte quoiqursquoune expression de la laquo lineacuteariteacute agrave droite raquo soit preacutesenteacutee dans le dernier chapitre de lrsquoarticle Intuitivement la lineacuteariteacute du passeacute dit ceci si deux temps sont passeacutes alors ils sont sur la mecircme laquo ligne raquo temporelle (soit ils sont simultaneacutes soit lrsquoun est anteacuterieur agrave lrsquoautre) La lineacuteariteacute nrsquoest pas eacutevidente du tout pour le futur en effet dans une hypothegravese indeacuteterministe deux eacuteveacutenements peuvent ecirctre laquo futurs raquo sans ecirctre temporellement comparables srsquoils appartiennent agrave des laquo branches possibles raquo ayant bifurqueacute Mais pour ce qui est du passeacute la thegravese de la lineacuteariteacute est assez peu controverseacutee sauf dans une reacuteflexion assez eacutetonnante de Łukasiewicz que Prior aimait agrave citer47

laquo If of the future only that part is real today which is causally determined by the present time then also of the past only that part is real today which is still active today in its effects Facts whose effects are wholly exhausted so that even an omniscient mind could not infer them from facts happening today belong to the realm of possibility raquo

Si on accepte neacuteanmoins comme largement consensuelle la lineacuteariteacute du passeacute on peut lrsquoexprimer agrave lrsquoaide de lrsquoaxiome suivant

LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand En ajoutant 4F 4P et LP agrave Kt on obtient le systegraveme Kb de Lemmon qui fournit une

base assez solide pour envisager ensuite les axiomes controverseacutes Lrsquoaxiome controverseacute que Lemmon ajoute agrave Kb pour former son systegraveme suivant Kl (et le dernier de la classification qursquoil propose) est la lineacuteariteacute dans le futur (ou LF) dont nous venons de preacutesenter briegravevement la signification philosophique Ce systegraveme Kl est celui choisi par Nino Cocchiarella48 Mais Prior srsquoest plutocirct inteacuteresseacute agrave deux autres proprieacuteteacutes discutables de la topologie du temps lrsquoinfiniteacute et la densiteacute

Łukasiewicz[1961] p 126 cit in Prior [1967] p 28 48 Cocchiarella [1965]

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Lrsquoinfiniteacute (vers le futur) dit qursquoil nrsquoy a aucun instant qui soit le dernier crsquoest-agrave-dire

( ) tttt ltnotexistnotexist ou encore ( ) tttt ltexistforall Une relation qui a la proprieacuteteacute de nrsquoavoir pas de cul-de-sac (no dead end) srsquoappelle une relation seacuteriale Et la preacutesentation la plus courante de lrsquoaxiome qui correspond agrave cette proprieacuteteacute est lrsquoaxiome communeacutement appeleacute D qui est fondamental pour la logique deacuteontique49

DF FpGprarr Cet axiome est preacutesent sous le nom de A2 dans lrsquoaxiomatique de Prior [1958] et dit la

chose suivante un quantificateur universel (Gp ) nrsquoest jamais vrai sans que lrsquoexistentiel (Fp ) le soit aussi Or un quantificateur universel (il nrsquoy a pas de x tel que non p) a deux faccedilons drsquoecirctre veacuterifieacute soit il est trivialement (ou videment vrai) parce qursquoil nrsquoy a pas du tout de x soit tous les x qursquoil y a sont tels que p Lrsquoaxiome DF sert agrave exclure les cas de veacuteriteacute triviale (ou vide) du quantificateur universel crsquoest agrave dire les instants tels qursquoil nrsquoy a pas drsquoinstant posteacuterieur Le reacutesultat est donc bien le mecircme pour la seacutemantique

Comme Prior accepte la regravegle MIR lrsquoaxiome miroir devient chez lui un theacuteoregraveme DP PpHprarr

Ce theacuteoregraveme est pourtant un des cas qui montrent la faiblesse de MIR pourquoi serait-il logiquement neacutecessaire qursquoun temps sans deacutebut soit un temps sans fin ou inversement

Il ne reste plus qursquoun seul axiome agrave examiner lrsquoaxiome A4 qui correspond agrave la proprieacuteteacute

de densiteacute de la relation drsquoaccessibiliteacute Cet axiome nrsquoa pas de nom standardiseacute en logique modale dans la mesure ougrave il est deacutemontrable agrave partir de lrsquoaxiome T qui est preacutesent dans la quasi totaliteacute des logiques du possible Le sens de cet axiome est assez simple agrave interpreacuteter agrave partir de son eacutenonceacute

DensF FFpFprarr Lrsquoaxiome dit que srsquoil y a un temps t1 posteacuterieur agrave t0 ougrave p est le cas alors il y a un temps

tx posteacuterieur agrave t0 tel que dans un temps ty posteacuterieur agrave tx p est le cas La seule faccedilon de rendre cette implication valide (dans un modegravele qui accepte deacutejagrave la transitiviteacute) est drsquoidentifier le ty du conseacutequent au t1 de lrsquoanteacuteceacutedent ce qui revient agrave dire que quelque soit t1 posteacuterieur agrave t0 il y a un tx posteacuterieur agrave t0 et anteacuterieur agrave t1 Le temps nrsquoest donc pas discret Lrsquoaxiome miroir est eacutevidemment le suivant DensP PPpPprarr 49 On pourrait eacutegalement noter le mecircme axiome de la faccedilon suivante ΤF ougrave T est mis pour laquo tautologie raquo en effet pour que ΤF soit valide il faut et suffit qursquoil y ait au moins un monde accessible pour tout monde

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Le tableau suivant reacutesume les diffeacuterents axiomes et systegravemes que nous venons drsquoenvisager (chaque systegraveme accepte les axiomes du systegravemes preacuteceacutedent agrave lrsquoexception de Prior qui nrsquoinclut pas les axiomes de lineacuteariteacute) Systegraveme Nom

standard Axiomes temporels Proprieacuteteacutes de la

relation K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- -

GPpprarr HFpprarr

-(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr

transitiviteacute Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave gauche Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteariteacute agrave droite

D FpGprarr PpHprarr

seacuterialiteacute Prior

- FFpFprarr PPpPprarr

densiteacute

Il y a en fait deux faccedilons de lire ce tableau soit on insiste sur le fait que les axiomes du futur et du passeacute srsquoajoutent au sein drsquoun seul systegraveme modal inteacutegreacute soit on considegravere que les axiomes se subdivisent en trois parties (lrsquoAnnexe 1 donne cette preacutesentation qui prend plus de place que le tableau ci-dessus) un ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du futur un autre ensemble drsquoaxiomes donne la logique monomodale du passeacute et la troisiegraveme partie est constitueacutee drsquoun (ou deux) axiomes mixtes donnant les regravegles drsquointeacutegration des deux systegravemes modaux

Si lrsquoon considegravere la seule laquo logique du futur raquo on remarque que la logique du temps nrsquoest qursquoun certain systegraveme modal parmi les autres que lrsquoon pourra situer dans lrsquoarbre des systegravemes modaux donneacute en Annexe 2 pour Kt la logique du futur nrsquoest rien de plus que le systegraveme K pour Kb elle nrsquoest rien de plus que le systegraveme K4 Kl ajoute un axiome original qui nrsquoa pas (agrave ma connaissance) de nom standard en logique modale le systegraveme du futur correspondant est donc un systegraveme plus fort que K4 mais plus faible que S550 qui nrsquoest pas repreacutesenteacute dans les abres traditionnels Le systegraveme du futur de Prior nrsquoest pas non plus 50 en effet une relation drsquoeacutequivalence (S5) est trivialement lineacuteaire (Kl)

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repreacutesenteacute dans les arbres traditionnels il est plus fort que KD4 et plus faible que S451 il se situe entre S4 (dont il ne veacuterifie pas lrsquoaxiome T) et KD4 (dont il accepte tous les axiomes)

Deux remarques pour conclure comme nous lrsquoavons deacutejagrave aperccedilu agrave propos de

lrsquoasymeacutetrie et de lrsquoirreacuteflexiviteacute le systegraveme modal du temps que nous avons ainsi obtenu ne permet pas de rendre compte de la totaliteacute des proprieacuteteacutes pertinentes pour dresser la topologie du temps Une autre proprieacuteteacute dont nous nrsquoavons pas parleacute est irrepreacutesentable dans le PF-calculus il srsquoagit de la connexiteacute qui se deacutefinit ainsi

( ) ( ) ( ) ( ) ( )[ ] 11111 +gtor+ltltleforalland=and=existforall titititiniizxnyxxnxzy Intuitivement cette proprieacuteteacute consiste agrave eacuteviter le cas ougrave il y aurait plusieurs seacuteries

temporelles (ou arbres temporels) totalement indeacutependants ce qui semble au moins plausible et donc utile agrave exprimer de maniegravere rigoureuse Le problegraveme drsquoexpressiviteacute est le problegraveme le plus grave de la logique prioreacuteenne et il est classique aujourdrsquohui de consideacuterer que cette faiblesse la condamne deacutefinitivement Pourtant Prior a deacuteveloppeacute une solution pour reacutecupeacuterer lrsquoexpressiviteacute de la quantification sur les temps (ou les mondes) agrave partir drsquoune logique drsquoopeacuterateurs temporels (ou modaux) cette solution consiste agrave utiliser des instant-propostions (ou des world-propositions) crsquoest-agrave-dire des propositions qui ne sont vraies que dans un seul instant (ou un seul monde) Cette solution largement deacuteveloppeacutee par Kit Fine 52 est formellement complexe mais elle suffit agrave prouver qursquoune logique ougrave les opeacuterateurs temporels sont primitifs nrsquoest pas irreacutemeacutediablement condamneacutee par lrsquoargument de lrsquoexpressiviteacute

Deuxiegraveme remarque nous nrsquoavons envisageacute dans ce chapitre qursquoun rapport drsquoanalogie entre le temps et les notions de possibiliteacute et de neacutecessiteacute nous avons vu que les deux domaines pouvaient ecirctre deacutecrits (sous certaines hypothegraveses philosophiques) par une mecircme structure formelle qui est celle de la laquo modaliteacute raquo au sens large (ou de lrsquointensionaliteacute lorsqursquoon srsquointeacuteresse agrave la seacutemantique du calcul modal) Mais cette structure commune est un outil inestimable pour pouvoir aborder les interactions entre les deux domaines et pour voir ces interactions il suffira en fait de suivre exactement le mecircme principe qui sert agrave reacuteunir la logique du futur et celle du passeacute en une unique logique bimodale Crsquoest-agrave-dire que dans un premier temps au moins (qui a eacuteteacute lrsquoordre de deacutecouverte drsquoArthur Prior) il suffira drsquoenvisager un (ou plusieurs) crossing axiom qui assure le lien entre le systegraveme monomodal LM et le systegraveme bimodal FGPH Crsquoest agrave de tels axiomes puis agrave leur interpreacutetation seacutemantique qursquoest consacreacute notre deuxiegraveme chapitre 51 en effet une relation reacuteflexive (S4) est trivialement dense et seacuteriale (Prior) 52 Prior et Fine [1977] ch 8 p 153-161 pour les instant-propositions

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Chapitre Deuxiegraveme Les interactions entre logique temporelle et logique modale

Dans notre premier chapitre nous avons deacuteveloppeacute des systegravemes logiques propres agrave

rendre compte de certaines infeacuterences dont le principe est strictement temporel ou strictement modal comme par exemple les infeacuterences suivantes

A Les eacutelectrons auront toujours une charge neacutegative

Un jour le soleil explosera Donc un jour il sera vrai agrave la fois que le soleil explose et que les eacutelectrons ont une

charge neacutegative

B Neacutecessairement Marie sera preacutesente agrave la fecircte qursquoelle donne Il est possible que Pierre vienne agrave la fecircte que donne Marie Donc il est possible que Pierre et Marie soient tous deux preacutesents agrave la fecircte que donne

Marie Rapprocher le temps et la modaliteacute permet de voir en quoi les infeacuterences A (strictement

temporelle) et B (strictement modale) ont une structure commune qui est manifeste dans les deux notations suivantes ( ) ( )qpFFqGp andrarrand et ( ) ( )qpMMqLp andrarrand Mais certaines infeacuterences qui sont sinon eacutevidentes du moins plausibles mettent en jeu agrave la fois la modaliteacute et la temporaliteacute

C cet animal a la puissance de peacuterir

Donc il peacuterira un jour

D la guerre de Troie a eu lieu Donc il est impossible drsquoeacuteviter que la guerre de Troie ait eu lieu

Lrsquoinfeacuterence C part drsquoun eacutenonceacute modal pour en deacuteduire quelque chose de temporel

lrsquoinfeacuterence D part drsquoun eacutenonceacute temporel pour en deacuteduire quelque chose de modal Les principes qui reacutegissent ces infeacuterences doivent donc appartenir agrave une logique qui combine les opeacuterateurs du temps et de la modaliteacute on appellera une telle logique tempo-modale Certes ces infeacuterences sont philosophiquement discutables et nous donnerons un aperccedilu de telles

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discussions Mais cela implique seulement que les principes qui les reacutegissent sont discutables et non pas qursquoelles ne procegravedent drsquoaucun principe

Les logiques tempo-modales tout comme les logiques temporelles et les logiques

modales sont assez diversifieacutees cette diversiteacute vient eacutevidemment des diffeacuterents principes mixtes qursquoon peut choisir drsquoaccepter Nous nrsquoeacutetudierons ici que les deux principes que Piror a le plus eacutetudieacutes en raison de leur autoriteacute historique drsquoune part le principe de pleacutenitude (dont lrsquoinfeacuterence C peut ecirctre consideacutereacutee comme une application) et drsquoautre part le principe de neacutecessiteacute historique (qui reacutegit lrsquoinfeacuterence D) Une maniegravere assez pratique drsquointroduire agrave ces deux prinicpes est de partir du fameux Maicirctre Argument de Diodore qui portait preacuteciseacutement sur le rapport entre temps et modaliteacute en effet lrsquoun et lrsquoautre principe srsquoy trouvent expliciteacutes parmi les trois propositions fondamentales de lrsquoargument Cette voie drsquoentreacutee permet eacutegalement de suivre le mouvement de la deacutecouverte historique dans la mesure ougrave Prior lui-mecircme est parti de Diodore pour construire drsquoune part la laquo logique diodoreacuteenne raquo (celle qui accepte le principe de pleacutenitude) et plus tard la logique de la neacutecessiteacute historique Nous commencerons donc ce chapitre avec le Maicirctre Argument de Diodore et la logique Diodoreacuteenne mais nous en viendrons rapidement agrave la neacutecessiteacute historique qui occupera en fait lrsquoessentiel de notre eacutetude agrave cause des deacuteveloppements tregraves contemporains qursquoelle connaicirct

I La logique diodoreacuteenne et le principe de pleacutenitude Diodore Cronos (environ 340-280 av J-C) eacutetait un philosophe meacutegarique reacuteputeacute pour

plusieurs paradoxes mais le plus ceacutelegravebre eacutetait de loin lrsquoargument nommeacute laquo Dominateur raquo ou laquo Maicirctre Argument raquo53 Cet argument a connu deux fois son heure de gloire dans lrsquohistoire de la philosophie La premiegravere fois dans lrsquoantiquiteacute semble-t-il gracircce agrave sa clarteacute et agrave sa force persuasive drsquoapregraves Epictegravete 54 lrsquoargument eacutetait suffisamment simple pour pouvoir faire lrsquoobjet de joutes mondaines suffisamment fondamental pour que tous les philosophes importants se situent par rapport agrave lui et suffisamment contraignant pour que ces philosophes dussent choisir entre accepter la conclusion ou refuser une des preacutemisses

Malheureusement lrsquoargument lui-mecircme nrsquoa pas eacuteteacute conserveacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque moderne nous nrsquoen avons plus que les preacutemisses et la conclusion ainsi que quelques indications sur ses 53 Drsquoapregraves Long et Sedley [1987] 38A le nom de laquo Dominateur raquo ne tient pas agrave la force persuasive de lrsquoargument mais probablement au contenu de lrsquoune des preacutemisses qui devait parler drsquoun gouvernant comme on parle de lrsquoArgument du Menteur et non de lrsquoargument mensonger pour le pseudos logos 54 Long et Sedley [1987] ibid

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enjeux si bien que ce lieu commun est devenu un mystegravere Mais crsquoest paradoxalement ce caractegravere mysteacuterieux et fragmentaire qui a valu agrave Diodore Cronos sa deuxiegraveme heure de gloire dans la deuxiegraveme moitieacute du vingtiegraveme siegravecle de nombreux philosophes se sont atteleacutes agrave la reconstruction et agrave la formalisation de cet argument mystegravere

Le deacutepart de cette quecircte de la logique diodoreacuteenne fut donneacute en 1949 par lrsquoarticle de Benson Mates intituleacute laquo Diodorean Implication raquo55 Prior emboicircta le pas rapidement56 et fit de cette recherche du systegraveme modal diodoreacuteen le fil directeur de ses recherches en logique modale et temporelle Notre deacutemarche sera la suivante une bregraveve exposition du maicirctre argument nous permettra de deacutegager les deux principes mixtes puis nous formaliserons le principe de pleacutenitude pour voir quel systegraveme axiomatique lui correspond enfin nous envisagerons les limites philosophiques du principe de pleacutenitude ce qui nous amegravenera agrave nous inteacuteresser davantage agrave la formalisation du deuxiegraveme principe (agrave savoir le principe de neacutecessiteacute historique qui occupera notre deuxiegraveme partie)

1 Le maicirctre argument

Le maicirctre argument lui-mecircme est preacutesenteacute chez Epictegravete sous la forme drsquoun trilemme

crsquoest-agrave-dire de trois propositions incompatibles dont certains refusegraverent la premiegravere drsquoautres la seconde et Diodore la troisiegraveme Mais agrave lrsquoeacutepoque de Diodore les deux premiegraveres propositions eacutetaient suffisamment admises par ses adversaires principaux (aristoteacuteliciens) pour que lrsquoargument pucirct fonctionner dans le seul sens drsquoune reacutefutation de la troisiegraveme Lrsquoargument prenait alors la forme drsquoune reacuteduction agrave lrsquoabsurde Diodore posait les deux premiegraveres propositions (admises) et montrait qursquoen admettant en outre la troisiegraveme on pouvait deacuteduire une contradiction toute la responsabiliteacute de la contradiction portait alors sur cette derniegravere preacutemisse

Voici les trois preacutemisses 1 Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire 2 Lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible 3 Quelque chose qui nrsquoest ni ne sera est possible

Comme la troisiegraveme preacutemisse est pour Diodore responsable de la contradiction la conclusion de son argument est la neacutegation de 3 soit la thegravese positive suivante 3rsquo Si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera 55 Mates [1949] 56 Prior [1955]

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Parmi ces quatre propositions il en est au moins trois qui donnent directement un laquo principe mixte raquo tel que nous le cherchons ie un principe qui utilise agrave la fois des notions temporelles et des notions modales ce sont 1 3 et 3rsquo La preacutemisse 2 a eacuteteacute interpreacuteteacutee dans certaines reconstructions de lrsquoargument comme un principe mixte 57 car le verbe laquo srsquoensuivre raquo (a kolouqein) pourrait donner lieu agrave une interpreacutetation temporelle En reacutealiteacute les historiens srsquoaccordent aujourdrsquohui agrave penser que le sens temporel est ici agrave exclure et qursquoil srsquoagit seulement de conseacutecution logique

La preacutemisse 1 consiste agrave accepter que certaines choses sont neacutecessaires (ou ineacutevitables) en vertu de leur position dans lrsquohistoire il srsquoagit du principe mecircme de la neacutecessiteacute historique (deacutesormais NH) que nous avons annonceacute plus haut Crsquoest en vertu de cette preacutemisse que laquo la guerre de Troie a eu lieu raquo est aujourdrsquohui une veacuteriteacute neacutecessaire ou ineacutevitable

Les preacutemisses 3 et 3rsquo se rapportent agrave un seul principe (que lrsquoune nie et lrsquoautre affirme) Ce principe consiste agrave dire que le possible nrsquoexcegravede pas lrsquoactuel ie que la seacuterie actuelle des eacuteveacutenements reacutealise (reacutealisera) agrave un moment ou agrave un autre la totaliteacute des possibles A ce titre la reacutealiteacute peut ecirctre consideacutereacutee comme maximalement pleine crsquoest pourquoi ce principe a eacuteteacute appeleacute principe de pleacutenitude (deacutesormais PP) par Arthur Lovejoy58 Ce principe peut rendre compte de lrsquoinfeacuterence C qui veut qursquoun ecirctre ne durera pas eacuteternellement srsquoil a la puissance de peacuterir

Nous ne nous attacherons pas aux deacutetails de la reconstruction historique de lrsquoargument lui-mecircme suivant la deacutemarche de Prior [1967] nous utilisons seulement les thegraveses de lrsquoargument comme une exposition claire et canonique de thegraveses fondamentales qursquoil est utile de formaliser lorsque lrsquoon srsquointeacuteresse aux rapports entre temps et modaliteacute

Parmi ces deux thegraveses PP est celle qui est la forte et la moins plausible philosophiquement lrsquo inteacuterecirct que lui ont porteacute les logiciens est ducirc en partie agrave son utiliteacute heuristique pour la logique modale Prior en effet srsquoest donneacute pour premiegravere tacircche de formaliser le systegraveme diodoreacuteen qui accepte PP (en plus de NH) Mais dans les discussions proprement philosophiques Prior lrsquoenvisage agrave peine comme un candidat seacuterieux Crsquoest agrave cause de ce rocircle heuristique que nous lrsquoenvisageons en premier mais nous nous attarderons davantage sur les logiques qui acceptent NH sans accepter PP

57 cf Zeller[1882] Rescher[1966] 58 Lovejoy[1936]

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2 Principe de pleacutenitude et reacuteduction logique de la modaliteacute au temps Le principe de pleacutenitude a plusieurs versions La distinction la plus importante pour

notre propos oppose les versions limiteacutees au futur et les versions qui incluent le passeacute on peut les formuler de la maniegravere suivante

PPd si quelque chose est possible alors soit il est soit il sera PPa si quelque chose est possible alors soit il a eacuteteacute soit il est soit il sera La premiegravere version est proprement celle de lrsquoargument de Diodore la seconde est

geacuteneacuteralement appeleacutee laquo aristoteacutelicienne raquo bien que la position drsquoAristote agrave lrsquoeacutegard du principe de pleacutenitude soit sensiblement plus complexe59

Ces deux versions se formalisent aiseacutement PPd ( )FppMp orrarr PPa ( )PpFppMp ororrarr Dans ces deux versions le PP est une implication simple mais Diodore lui-mecircme ne

srsquointeacuteressait au PP que pour en tirer la double implication car il acceptait eacutegalement la reacuteciproque En effet la reacuteciproque est un principe beaucoup moins controverseacute que le PP lui-mecircme elle repose sur le principe Ab esse ad posse valet consequentia de lrsquoactuel au possible la conseacutequence est valide Dans sa version non temporaliseacutee ce principe nrsquoest autre que lrsquoaxiome T Mpprarr dont nous avons deacutejagrave parleacute dans notre premier chapitre La laquo temporalisation raquo de ce principe a une forte plausibiliteacute si Armstrong a marcheacute sur la lune il semble leacutegitime drsquoen infeacuterer qursquoil est possible de marcher sur la lune De mecircme srsquoil est vrai que le soleil explosera dans quelques milliards drsquoanneacutee on peut leacutegitimement en infeacuterer que lrsquoexplosion du soleil est quelque chose de possible On peut donc axiomatiser de la maniegravere suivante les deux infeacuterences de lrsquoActuel Temporaliseacute au Possible

ATPd ( ) MpFpp rarror ATPa ( ) MpPpFpp rarroror

59 Hintikka [1973] ch V suggegravere que deux autres preacutecisions sont probablement pertinentes pour Aristote tout drsquoabord lrsquoactualisation des possibles pourrait se faire au niveau de lrsquoespegravece et non de lrsquoindividu (peu importe que les individus reacutealisent tous les possibles de leur espegravece mais les vrais possibles de lrsquoespegravece sont ceux qui sont reacutealiseacutes au moins une fois dans au moins un individu) drsquoautre part lrsquoimportant pourrait ecirctre que les possibles ne soient pas indeacutefiniment frustreacutes or si leur porteur (le manteau qui pourrait ecirctre coupeacute) venait agrave ecirctre supprimeacute avant la reacutealisation du possible ce possible nrsquoaurait plus lieu drsquoecirctre frustreacute et pourrait donc nrsquoecirctre jamais reacutealiseacute

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Par conseacutequent lorsqursquoon admet le principe PP agrave moins de refuser le principe ATP peu controverseacute on admet en reacutealiteacute la thegravese drsquoeacutequivalence suivante

EMd ( )FppMp orharr EMa ( )PpFppMp ororharr On peut comprendre cette thegravese drsquoeacutequivalence de deux maniegraveres diffeacuterentes qui ont

chacune leur traduction formelle la lecture forte consiste agrave dire que lrsquoexpression temporelle agrave droite de lrsquoeacutequivalence donne une analyse ou une deacutefinition de la notion de possibiliteacute la lecture faible consiste agrave dire que la reacutealisation statistique des possibles nrsquoeacutepuise pas la notion de modaliteacute Drsquoapregraves Hinitikka60 Aristote nrsquoest jamais alleacute jusqursquoagrave la lecture forte il est par contre historiquement incontestable que Diodore lrsquoa deacutefendue Le teacutemoignage drsquoAlexandre drsquoAphrodise nous indique mecircme que le Maicirctre Argument avait pour but principal (au-delagrave de la conclusion PP qui est une simple implication) drsquoeacutetablir sa deacutefinition des notions modales Diodore deacutefendait en effet les deux deacutefinitions suivantes le possible est ce qui soit est soit sera le neacutecessaire et ce qui est et sera toujours

La lecture forte et la lecture faible peuvent trouver leur traduction dans lrsquoeacutetablissement drsquoun systegraveme logique tempo-modal la lecture forte correspondrait agrave un systegraveme doteacute de deux symboles primitifs G et H (ou F et P) le troisiegraveme symbole de cette logique laquo trimodale raquo eacutetant un symbole deacutefini par lrsquoeacutequivalence EM transposeacutee en deacutefinition La lecture faible correspondrait agrave un systegraveme proprement trimodal ie doteacute de trois symboles primitifs (G H et L ou F P et M) ougrave lrsquoeacutequivalence EM vaudrait comme axiome La diffeacuterence formelle entre les deux lectures nrsquoa cependant aucune conseacutequence dans la mesure ougrave les deux systegravemes auront exactement la mecircme seacutemantique kripkeacuteenne agrave savoir un unique domaine (celui des instants) muni drsquoune relation drsquoaccessibiliteacute R (la posteacuterioriteacute) et de sa converse Rrsquo (lrsquoanteacuterioriteacute) plus une relation Rrsquorsquo deacutefinie de la maniegravere suivante

Rrsquorsquod ( )uRvvuvuR or=harr Rrsquorsquoa ( )vuRuRvvuvuR oror=harr Le premier systegraveme eacutetant agrave la fois le plus eacuteconomique formellement et celui que deacutefend

explicitement Diodore il est assez naturel qursquoil ait eacuteteacute choisi par Prior dans un tel systegraveme la logique du possible est en reacutealiteacute un fragment de la logique du temps dans la mesure ougrave tout theacuteoregraveme modal est impliqueacute par les axiomes temporels (mais la reacuteciproque ne vaut pas) Par conseacutequent il est eacutevident que plus on acceptera drsquoaxiomes dans la logique du temps plus on pourra deacutemontrer de theacuteoregravemes dans le fragment modal correspondant Une question 60 Op cit p 102-103

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systeacutematique se pose alors quels theacuteoregravemes modaux deacutependent de quels axiomes temporels Prior a donneacute tous les eacuteleacutements de reacuteponse agrave cette question61 pour plus de clarteacute nous reacuteunissons ici ces divers reacutesultats sous forme de tableau en distinguant les systegravemes engendreacutes par la deacutefinition diodoreacuteenne (restreinte au futur) et la deacutefinition laquo aristoteacutelicienne raquo (incluant le passeacute)62

Logique du temps Fragment modal diodoreacuteen Fragment modal aristoteacutelicien Kt T (ax K et T) B (ax K et B) Kb (+ transitiviteacute) S4 (ax K T 4) B Kl (+ lineacuteariteacute) S43 (ax K T 4 D1) S5 (ax K T E) Prior (seacuterialiteacute et densiteacute mais pas lineacuteariteacute)

S4 B

Il nrsquoexiste donc pas une unique laquo logique diodoreacuteenne raquo (si lrsquoon entend par lagrave une

logique acceptant la deacutefinition diodoreacuteenne de la modaliteacute) mais autant de logiques diodoreacuteennes que drsquoaxiomatisations diffeacuterentes de la logique de temps Evidemment Diodore lui-mecircme nrsquoeacutetait pas neutre sur les proprieacuteteacutes du temps il admettait bien eacutevidemment la transitiviteacute de lrsquoanteacuterioriteacute mais il acceptait eacutegalement (ce qui relegraveve plus drsquoune thegravese) la lineacuteariteacute du temps aussi bien vers le passeacute (ce qui explique comme nous le verrons qursquoil acceptait eacutegalement NH) que vers le futur Hintikka a montreacute en effet qursquoun eacuteleacutement important pour faire fonctionner lrsquoargument de Diodore eacutetait de preacutesupposer une chronologique unique et lineacuteaire63 Le systegraveme modal de Diodore correspondrait donc agrave S43

Mais encore une fois lrsquointeacuterecirct de ces systegravemes dans les recherches de Prior et de ses contemporains eacutetait avant tout un inteacuterecirct heuristique pour obtenir une meilleure maicirctrise des systegravemes modaux et de leurs rapports Drsquoun point de vue philosophique le PP est beaucoup plus discutable comme nous allons le voir agrave preacutesent

61 notamment dans Pior [1967] p 54 62 Les axiomes K T et 4 ont eacuteteacute preacutesenteacutes et discuteacutes dans le premier chapitre Les axiomes B E et D1 sont deacutefinis de la maniegravere suivante B LMpp rarr E LMpMp rarr D1 ( ) ( )pLqLqLpL rarrorrarr 63 Hintikka [1973] ch 9 p 208 laquo The conclusion that there is no possibility present at all was merely a result of trying to squeeze the moments of time in the alternative courses of events into one and the same chronology raquo

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3 enjeux philosophiques du PP Nous avons vu que chez Diodore le PP permettait une reacuteduction logique de la modaliteacute

au temps Ainsi la phrase laquo Obama peut ecirctre eacutelu raquo a les mecircmes conditions de veacuteriteacute que la phrase laquo Obama est ou sera eacutelu raquo mais en outre la seconde phrase ne fait qursquoexpliciter ce que veut dire la premiegravere Une telle thegravese est particuliegraverement contre-intuitive aujourdrsquohui et il y a lieu de srsquoeacutetonner que le principe de pleacutenitude ait eu dans lrsquoantiquiteacute un tel succegraves Il faut pour cela qursquoils aient eu un concept de possibiliteacute sensiblement diffeacuterent du nocirctre or crsquoest bien ce que lrsquoon peut trouver dans le concept de puissance aristoteacutelicienne Plus preacuteciseacutement nous utiliserons une distinction entre deux concepts de possibiliteacute preacutesents chez Aristote et nous verrons que celui des deux que nous avons abandonneacute est preacuteciseacutement celui qui donne une plausibiliteacute au PP Les deux sources des notions modales chez Aristote (dont Hintikka64 montre qursquoelles sont agrave lrsquoorigine drsquoune tension irreacuteductible chez cet auteur) sont les suivantes

La premiegravere (qui correspond le mieux agrave notre concept) est drsquoorigine logique On en trouve la deacutefinition dans les Premiers Analytiques65 laquo Jrsquoutilise les termes lsquopossiblementrsquo et lsquopossiblersquo pour ce qui nrsquoest pas neacutecessaire mais dont la supposition nrsquoimplique aucune impossibiliteacute raquo Drsquoapregraves Hintikka66 cette deacutefinition est exactement celle qursquoon retrouve de maniegravere plus condenseacutee comme deuxiegraveme preacutemisse du Maicirctre Argument laquo lrsquoimpossible ne srsquoensuit pas du possible raquo On peut remarquer ici que le terme primitif est celui drsquoimpossible (compris comme contradictoire) agrave partir duquel on deacutefinit le possible (crsquoest-agrave-dire en fait le non-contradictoire)

La seconde source est eacutepisteacutemologique la puissance est ce qui permet drsquoexpliquer de rendre compte du changement laquo On appelle lsquopuissancersquo le principe du mouvement ou du changement qui est dans un autre ecirctre ou dans le mecircme ecirctre en tant qursquoautre raquo67 A propos de la puissance de peacuterir Aristote rend plus explicite lrsquoaspect temporel de ce reacutequisit eacutepisteacutemologique laquo il nrsquoaurait pas eacuteteacute deacutetruit srsquoil nrsquoavait pas eu la puissance de lrsquoecirctre mais il faut bien que reacuteside preacutesentement en lui une certaine disposition une cause un principe pour une telle modification raquo La puissance ou disposition pour pouvoir jouer son rocircle explicatif est toujours puissance preacutesente de quelque chose agrave venir ou au moins puissance anteacuterieure de quelque chose de posteacuterieur Dans le premier concept la notion primitive eacutetait celle drsquoimpossibiliteacute ici crsquoest au contraire la notion positive de puissance qui semble primitive 64 Hintikka [1973] ch 5 p 113 65 An Pr I 13 32a18-20 66 Hintikka [1973] ch 9 p 182 67 Meacutetaphysique ∆ 12 1019a15

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A partir de cette distinction entre deux concepts de possible (non-contradiction et puissance) on obtient de fait deux versions distinctes du principe de pleacutenitude correspondant agrave ces deux concepts PP1 il nrsquoy a rien de non contradictoire en dehors de ce qui est actuel PP2 rien nrsquoest en puissance en dehors de ce qui aura lieu dans lrsquounique cours actuel des eacuteveacutenements On peut eacutegalement exprimer de maniegravere positive le principe contradictoire que nous appellerons Exceacutedance du Possible EP1 le non contradictoire excegravede lrsquoactuel EP2 ce qui est en puissance excegravede ce qui sera actualiseacute dans le cours des eacuteveacutenvements

Avec ces preacutecisions conceptuelles nous pouvons mieux eacutevaluer et critiquer les raisons qui ont ameneacute agrave accepter le principe de pleacutenitude (du moins les raisons que nous permettent de supposer une reconstruction historique probable) Nous allons envisager tout drsquoabord les raisons de Diodore puis celles drsquoAristote

Drsquoapregraves Hintikka lrsquoenjeu principal du Maicirctre Argument de Diodore eacutetait de deacutefendre le

fatalisme meacutegarique sans en venir agrave la conseacutequence contre-intuitive que possible veut dire exactement la mecircme chose qursquoactuel et impossible que non actuel Pour les meacutegariques en effet laquo Socrate peut ecirctre assis raquo est vrai si et seulement si laquo Socrate est assis raquo est vrai Une telle annulation des notions modales est chez eux une conseacutequence directe du fatalisme Diodore srsquoest efforceacute de montrer que le fatalisme nrsquoentraicircnait pas une conseacutequence aussi forte mais entraicircnait seulement sa deacutefinition temporelle de la modaliteacute (et donc le PP) Mais faute drsquoavoir distingueacute les deux concepts de possible Diodore accepte lui-mecircme une conseacutequence contre-intuitive beaucoup trop forte que le fatalisme ne requiert pas non plus Son principe de pleacutenitude en effet semble impliquer agrave la fois PP1 et PP2 alors que ce que refuse un fataliste crsquoest clairement EP2 et non pas EP1 Par conseacutequent on peut parfaitement remplir le cahier des charges de Diodore (agrave savoir rendre compte des notions modales sans perdre le fatalisme) sans accepter le principe de pleacutenitude diodoreacuteen Non seulement le principe PP1 nrsquoest pas requis par un fataliste mais en outre la version la plus reacutepandue du fatalisme (agrave savoir le deacuteterminisme causal des lois de la nature) pourrait ecirctre une raison de refuser PP1 puisqursquoune des analyses les plus pertinentes de la causaliteacute (celle de David Lewis) fait appel agrave la contrefactualiteacute et requiert donc lrsquoexceacutedance du possible par rapport au cours actuel des choses On pourrait reacutesumer en disant que la raison pour laquelle Diodore accepte PP1 crsquoest parce qursquoil ne la distingue pas de PP2 mais crsquoest lagrave une fort mauvaise raison

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Admettre PP1 est donc difficilement indeacutefendable mais a-t-on de bonnes raisons drsquoadmettre PP2 Et en particulier les arguments en faveur du deacuteterminisme causal par exemple valent-ils directement en faveur de PP2 Pour reacutepondre agrave cette question il faut de nouveau distinguer deux lectures de PP2 une lecture seacutemantique et une lecture factuelle La lecture seacutemantique consiste agrave prendre laquo ce qui sera raquo comme deacutefinition du terme laquo puissance raquo on appelle laquo en puissance raquo ce qui nrsquoest pas encore en acte mais le sera il y a donc bien une unique seacuterie drsquoeacuteveacutenements laquo en puissance raquo mais crsquoest lagrave un fait seacutemantique et non un fait du meacutetaphysique La lecture factuelle considegravere au contraire que lrsquouniciteacute du cours possible des choses est un fait meacutetaphysique crsquoest cette lecture qui correspond proprement au fatalisme Prenons un exemple si je dis laquo je peux partir ou ne pas partir demain agrave 8h00 raquo la lecture seacutemantique de PP2 implique que ma phrase nrsquoa aucun sens parce qursquoil est seacutemantiquement impossible que deux contraires synchroniques soient laquo en puissance raquo (ie qursquoil est vrai qursquoils auront lieu) la lecture factuelle implique que ma phrase est fausse parce qursquoen reacutealiteacute (en vertu de telle contrainte causale par exemple) une seule de ces deux eacuteventualiteacutes est vraiment en puissance La lecture factuelle qui admet la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires mais pas sa reacutealiteacute nrsquoest pas ce qui rend eacutetrange le principe de pleacutenitude aujourdrsquohui et elle fait encore lrsquoobjet drsquoune deacutefense seacuterieuse Ce qui nous paraicirct eacutetrange aujourdrsquohui crsquoest la lecture seacutemantique qui exclut la concevabiliteacute de la puissance synchronique des contraires Notons que la concevabiliteacute de la possibiliteacute synchronique des contraires est suffisante pour justifier lrsquoeacutelaboration drsquoune logique qui en reacutegit lrsquousage (ie la logique de la neacutecessiteacute historique de notre deuxiegraveme partie) Notre objectif sera donc seulement de refuser la version seacutemantique de PP2

Nous allons agrave preacutesent voir chez Aristote les raisons pour lesquelles les anciens pouvaient accepter cette version seacutemantique lrsquoargument principal drsquoAristote se trouve dans le De Caelo68 et nous suivrons ici lrsquointerpreacutetation qursquoen donne Williams [1965] laquo Un homme a la puissance agrave la fois drsquoecirctre assis et debout parce que lorsqursquoil possegravede lrsquoune il possegravede eacutegalement lrsquoautre mais il ne srsquoensuit pas qursquoil peut ecirctre agrave la fois assis et debout mais seulement qursquoagrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Williams explicite ce passage en recourant agrave la distinction entre sensus compositus et sensus divisus selon le sensus divisus Socrate peut ecirctre assis et peut ecirctre debout ( pMMp notand ) mais il ne srsquoensuit pas selon le sensus compositus que Socrate peut ecirctre agrave la fois assis et debout ( ( )ppM notand ) Aristote bloque ici un sophisme classique qui vaut aussi bien pour le temps ce nrsquoest pas 68 De Caelo I 12 281b3-25

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parce que Socrate a eacuteteacute assis et a eacuteteacute debout qursquoil a eacuteteacute agrave la fois assis et debout (on nrsquoa donc pas la loi ( ) ( )qpPPqPp andrarrand ) Pour le temps il est tregraves facile de dire ougrave le raisonnement pegraveche Socrate a eacuteteacute assis agrave un autre moment que celui ougrave il a eacuteteacute debout Pour reprendre les termes seacutemantiques de notre premier chapitre ce qui eacutevite ici le sophisme crsquoest clairement le recours au domaine de quantification sous-jacent agrave cette logique intensionnelle les contraires sont tous deux passeacutes (ou respectivement futurs) mais situeacutes agrave des instants passeacutes diffeacuterents Or dans la phrase du De Caelo que nous venons de citer Aristote utilise clairement le domaine de quantification temporel pour rendre compte de la puissance des contraires il ne dit pas que les contraires possibles sont possibles laquo dans des eacuteventualiteacutes distinctes raquo ou laquo dans des cas diffeacuterents raquo mais bien laquo agrave un autre moment raquo On pourrait donc penser qursquoAristote accepte PP2 simplement parce que le temps est le premier domaine de quantification qui vienne agrave lrsquoesprit pour reacutesoudre le sophisme de la puissance des contraires Une telle raison serait particuliegraverement faible car le temps est peut-ecirctre le domaine de quantification qui vient le plus aiseacutement agrave lrsquoesprit mais il aussi certainement le moins adapteacute degraves qursquoon pense agrave drsquoautres domaines (tels que les eacuteventualiteacutes les cas etc)

En reacutealiteacute lrsquoargument drsquoAristote est plus complexe et commence dans la phrase suivante laquo Mais si une chose a pour un temps infini plusieurs puissances un autre moment est impossible et les moments doivent coiumlncider Ainsi si quelque chose qui existe pour un temps infini est peacuterissable il aura la puissance de ne pas ecirctre A preacutesent srsquoil existe pour un temps infini admettons que cette puissance soit actualiseacutee et il sera alors en acte agrave la fois existant et non existant raquo Aristote procegravede ici agrave une reacuteduction agrave lrsquoabsurde reposant sur la coiumlncidence des moments des contraires Si lrsquoon utilise la notation de Williams on peut formaliser ainsi le raisonnement drsquoAristote

preacutemisse ( ) ( )alwayspsometimepM andnot eacutetape ( )sometimeppM andnot Supposition de la proposition possible ( )sometimepp andnot absurde Or le possible est ce dont la supposition nrsquoimplique pas lrsquoimpossible conclusion refus des preacutemisse conjonctive Le passage de la preacutemisse agrave lrsquoeacutetape ci-dessus vient du fait que p est le cas en tout temps

et que par conseacutequent quel que soit le temps ougrave lrsquoon situe la potentialiteacute pnot ce sera un

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temps ougrave p est le cas Cela relegraveve du principe suivant ( ) ( )qpFFqGp andrarrand qui nrsquoest lui-mecircme qursquoune version temporelle du theacuteoregraveme modal ( ) ( )qpMMqLp andrarrand lequel theacuteoregraveme est si important qursquoil est veacuterifieacute dans tout systegraveme modal normal Le passage qui nrsquoest pas leacutegitime en revanche est la supposition en effet si lrsquoon suppose reacutealiseacutee lrsquoeacuteventualiteacute pnot alors on change de situation et on ne peut pas partir du principe que tout ce qui eacutetait le cas dans notre eacuteventualiteacute lrsquoest encore sous cette supposition En particulier p nrsquoest plus veacuterifieacute par principe Ce qui amegravene Aristote agrave faire ce passage crsquoest sans doute le simple fait de la coiumlncidence en effet si les eacuteventualiteacutes pnot et p ont lieu au mecircme moment nrsquoont-elles pas lieu ensemble Dans le grec drsquoAristote une mecircme locution (a ma) deacutesigne ces deux notions et il est donc assez naturel qursquoil ne les ait pas distingueacutees Pourtant rien nrsquoempecircche que pnot et p aient lieu au mecircme moment et neacuteanmoins dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Notre conclusion est donc la suivante Aristote a admis PP2 (seacutemantique) principalement en raison de la notion de coiumlncidence temporelle des potentialiteacutes mais on peut tout agrave fait conserver cette notion de coiumlncidence sans reacuteduire le cours des eacuteveacutenements agrave venir agrave une unique seacuterie lineacuteaire il suffit pour cela de se donner une notion de simultaneacuteiteacute entre les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes Aristote aurait pourtant pu tirer cette notion de son propre exemple de la bataille navale de demain qui aura lieu ou nrsquoaura pas lieu car dans les deux eacuteventualiteacutes crsquoest bien au mecircme moment demain que la bataille navale aura lieu ou non

Avant de revenir plus en deacutetail sur le problegraveme de la bataille navale qui est essentiel

pour la logique de la neacutecessiteacute historique reacutesumons les diffeacuterents eacuteleacutements de cette premiegravere partie drsquoun point de vue logique le principe de pleacutenitude est si fort qursquoil reacuteduit la logique tempo-modale agrave une logique strictement temporelle dont la logique du possible nrsquoest qursquoun fragment Etudier les rapports entre les diffeacuterentes logiques temporelles et leur fragment modal diodoreacuteen ou aristoteacutelicien peut ecirctre inteacuteressant pour le logicien mais drsquoun point de vue philosophique il nrsquoy a pas de bonne raison drsquoadmettre PP tout du moins en tant que deacutefinition de la modaliteacute quel que soit le sens du possible que lrsquoon retienne Pour le possible comme non contradictoire PP1 est sans veacuteritable argument et ne peut avoir eacuteteacute accepteacute que pour sa ressemblance avec PP2 Quant agrave PP2 qui traite du possible comme puissance dans lrsquoanteacuterieur rendant raison du posteacuterieur il nrsquoest pas requis non plus du moment qursquoon accepte une notion de simultaneacuteiteacute entre eacuteveacutenements se trouvant dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes

Le systegraveme tempo-modal diodoreacuteen ne rend donc pas compte de maniegravere satisfaisante de nos intuitions communes sur les rapports entre temps et modaliteacute

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II La neacutecessiteacute historique Nous allons donc agrave preacutesent abandonner le principe PP et envisager lrsquoautre principe

tempo-modal que Diodore Cronos a expliciteacute dans son argument agrave savoir le principe de la Neacutecessiteacute Historique La premiegravere preacutemisse de Diodore eacutetait la suivante

NH Toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Dans le mesure ougrave Diodore acceptait ce principe on peut consideacuterer que la logique diodoreacuteenne est une logique de la neacutecessiteacute historique mais ce qursquoon deacutesignera deacutesormais sous ce nom ce sont les logiques de la neacutecessiteacute historique stricte ie les logiques qui acceptent NH en refusant PP

Cette classification des logiques tempo-modales peut ecirctre rendue plus claire si lrsquoon remarque le lien logique qui existe entre PP et NH le principe NH peut ecirctre consideacutereacute comme une laquo partie raquo du principe PP plus preacuteciseacutement comme son versant passeacute Crsquoest particuliegraverement clair si on reformule NH de la maniegravere suivante

NHrsquo Le passeacute actuel est le seul passeacute possible A partir de cette formulation on voit assez clairement qursquoil suffirait pour obtenir le principe de pleacutenitude drsquoajouter le principe miroir de NH concernant lrsquoavenir (le futur actuel est le seul futur possible) ndash et eacuteventuellement un principe de pleacutenitude pour le preacutesent (le preacutesent actuel est le seul preacutesent possible)69

Cette remarque nous permet de preacuteciser la deacutefinition des laquo logiques de la neacutecessiteacute historique raquo au sens strict il srsquoagit des logiques qui acceptent NH en refusant le principe miroir concernant le futur Nous pouvons deacutesigner ce refus de maniegravere positive tout comme nous avions deacutesigneacute le refus de PP en geacuteneacuteral en appelant ce refus Principe drsquoExceacutedence du Possible Cette exceacutedence du possible dans le domaine du futur nous lrsquoappellerons ici Principe de la Possibiliteacute Historique

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Une fois que lrsquoon accepte agrave la fois la neacutecessiteacute historique (celle du passeacute) et la possibiliteacute

historique (celle du futur) on peut construire une veacuteritable logique de la modaliteacute historique La repreacutesentation traditionnelle de ce type de logique est celle drsquoun arbre ou drsquoun reacuteseau de chemin bifurquants dans un seul sens et il nrsquoest pas difficile de comprendre pourquoi agrave partir

69 Le preacutesent est probleacutematique dans la mesure ougrave certaines versions de la neacutecessiteacute historique le rendent neacutecessaire au mecircme titre que le passeacute drsquoautres le tenant pour contingent au mecircme titre que lrsquoavenir

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de la deacutefinition que nous venons de donner la neacutecessiteacute historique signifie qursquoil y a un et un seul passeacute (donc que lrsquoordre temporel est lineacuteaire agrave gauche) tandis que la possibiliteacute historique signifie qursquoil y a une pluraliteacute de futurs (donc que lrsquoordre temporel est non-lineacuteaire crsquoest-agrave-dire branchant agrave droite)

Au-delagrave de cette deacutefinition geacuteneacuterale des logiques NH et de leur repreacutesentation commune sous forme drsquoarbres il y a entre elles des diffeacuterences importantes Nous nous inteacuteresserons ici agrave une seule diffeacuterence celle entre interpreacutetation reacutealiste et interpreacutetation anti-reacutealiste des futurs contingents Les raisons de ce choix apparaicirctront plus clairement au cours de lrsquoexposition mais elles sont de deux ordres drsquoordre historique tout drsquoabord dans la mesure ougrave cette opposition permet drsquoopposer assez clairement deux groupes drsquointerpreacutetation agrave toutes les eacutepoques ougrave le problegraveme des futurs contingents agrave eacuteteacute eacutetudieacute (crsquoest speacutecialement clair dans la preacutesentation que donne Prior de ces probleacutematiques) Les autres raisons tiennent agrave lrsquoeacuteconomie du preacutesent devoir qui srsquointeacuteresse agrave la nature des rapports entre temps et modaliteacute le rapport entre futur et modaliteacute est tregraves nettement diffeacuterent drsquoune interpreacutetation agrave lrsquoautre

Nous procegravederons en trois eacutetapes nous exposerons tout drsquoabord briegravevement lrsquoopposition entre les deux types drsquointerpreacutetation de la neacutecessiteacute historique nous verrons ensuite les deux axiomatiques prioreacuteennes correspondant agrave ces deux interpreacutetations enfin nous verrons le rocircle de chacune des deux interpreacutetations dans la seacutemantique modegravele-theacuteoreacutetique contemporaine et dans ses applications directes au traitement du futur des langues naturelles

1 Le problegraveme des futurs contingents et ses deux interpreacutetations

Pour exposer clairement lrsquoopposition entre interpreacutetation reacutealiste et anti-reacutealiste de la

neacutecessiteacute historique le plus simple est de repartir classiquement du chapitre 9 du De Interpretatione drsquoAristote crsquoest ce chapitre qui a donneacute naissance agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de futurs possibles et crsquoest lrsquointerpreacutetation de ce chapitre qui donne lieu aux deux theacuteories qui nous inteacuteresseront et que nous retrouverons chez Arthur Prior

Le problegraveme initial drsquoAristote dans ce chapitre est celui de lrsquoargument fataliste (logique) La reconstruction exacte de lrsquoargument est discuteacutee mais son principe fondamental est le suivant si une proposition portant sur le futur est vraie (ou fausse) il semble qursquoon puisse en tirer qursquoelle soit neacutecessairement vraie (ou fausse) Srsquoil y a bien une telle conseacutequence et si lrsquoon accepte de donner une valeur de veacuteriteacute aux poropositions portant sur le futur alors on obtient une conclusion fataliste qui rend au mieux probleacutematique au pire illusoire la

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deacutelibeacuteration humaine Pour clarifier la discussion nous utiliserons une reconstruction eacuteleacutementaire de lrsquoargument fataliste selon le scheacutema suivant

(1) PB (principe de bivalence) toute proposition est soit vraie soit fausse (2) donc toute proposition concernant le futur est soit vraie soit fausse (3) N (neacutecessitation) si une proposition est vraie on peut infeacuterer qursquoelle est neacutecessaire (4) donc PP il y a un unique futur possible agrave savoir le futur actuel

Pour sauver la deacutelibeacuteration humaine Aristote doit faire deux choses tout drsquoabord il doit expliciter son refus de la conclusion crsquoest-agrave-dire construire explicitement la theacuteorie de la pluraliteacute des futurs contingents Ensuite il doit refuser une des preacutemisses de lrsquoargument fataliste soit la preacutemisse PB soit la preacutemisse N

Sur le premier point Aristote prend clairement le contre-pied du principe de pleacutenitude en envisageant des possibles dont la non reacutealisation a posteriori nrsquoempecircche pas de les qualifier de reacuteellement possibles Lrsquoexemple est celui drsquoun manteau dont la possibiliteacute drsquoecirctre coupeacute est une vraie possibiliteacute mecircme si finalement il est corrompu avant drsquoavoir eacuteteacute effectivement coupeacute70 Par ailleurs le manteau avait bien la possibiliteacute de nrsquoecirctre pas coupeacute puisqursquoil ne lrsquoa pas eacuteteacute effectivement (infeacuterence de lrsquoactuel au possible) Donc le manteau avait une puissance des contraires Mais ce qui est inteacuteressant dans cette analyse de la puissance des contraires crsquoest qursquoelle srsquooppose agrave celle que nous avions vue dans le De Caelo ougrave un homme agrave la puissance drsquoecirctre debout et celle de ne pas lrsquoecirctre simplement parce que laquo agrave un autre moment il peut faire eacutegalement le contraire raquo Ici la contraires en puissance ne sont pas reacutepartis dans des temps diffeacuterents mais dans des eacuteventualiteacutes diffeacuterentes Crsquoest encore plus clair si lrsquoon prend lrsquoexemple de la bataille navale qui permet la notion de simultaneacuteiteacute drsquoune eacuteventualiteacute agrave lrsquoautre telle que nous lrsquoavions envisageacutee il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain et possible eacutegalement qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demain mais dans lrsquoune et lrsquoautre eacuteventualiteacute crsquoest bien agrave la mecircme date (demain) qursquoest situeacutee la possibiliteacute71 Aristote envisage donc ici agrave la diffeacuterence du De Caelo un type de puissance des contraires tel que lrsquoun des deux contraires ne sera jamais reacutealiseacute Avec cette notion de possibiliteacute Aristote peut alors exprimer clairement son refus de la conclusion fataliste laquo En 70 Hintikka considegravere que cet exemple est compatible avec certaines versions faibles du principe de pleacutenitude (concernant les espegraveces et non les individus ou concernant la frustration des possibles lorsque leur porteur continue drsquoexister et non leur non reacutealisation lorsque leur porteur a cesseacute drsquoexister) ces versions faibles de PP quelle que soit leur plausibiliteacute historique nous inteacuteressent beaucoup moins ici parce qursquoelles nrsquoont pas de conseacutequence fataliste et eacutetablissent entre temps et modaliteacute un lien beaucoup moins fort 71 Hintikka envisage une interpreacutetation qui rendrait caduque notre remarque si laquo demain raquo nrsquoeacutetait pas lu de maniegravere reacutefeacuterentielle alors la phrase laquo il y aura une bataille demain raquo ne serait pas temporellement deacutefinie On pourrait alors garder PP en disant que laquo il y aura une bataille demain raquo est possible au jour j srsquoil nrsquoy a pas de bataille au jour j+1 mais qursquoil y en a une au jour j+2 car dans ce cas la phrase sera fausse agrave j mais vraie agrave j+1

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conseacutequence srsquoagissant des autres eacuteveacutenements qursquoon dit selon cette possibiliteacute il est clair que toutes choses ne sont pas et ne deviennent pas par neacutecessiteacute et que certaines sont autant susceptibles de se produire que de ne pas se produire tandis que drsquoautres sont la plupart du temps plus susceptibles de se reacutealiser selon lrsquoun des deux membres de lrsquoalternative sans exclure que lrsquoautre membre puisse lrsquoemporter au lieu du premier raquo72

Reste agrave savoir comment Aristote parvient agrave eacuteviter cette conclusion Or sur ce point le

texte du De Interpretatione nrsquoest pas aussi limpide et crsquoest preacuteciseacutement sur ce point encore discuteacute que srsquoopposent les deux grandes interpreacutetations qui nous inteacuteressent ici Dans notre preacutesentation de lrsquoargument fataliste nous avons reacutesumeacute lrsquoargumentation agrave deux preacutemisses fondamentales (PB et N) une lecture consistera agrave dire qursquoAristote a refuseacute PB lrsquoautre lecture considegraverera au contraire qursquoil a refuseacute N73 A la suite de Gaskin nous appelons anti-reacutealiste la premiegravere lecture et reacutealiste la seconde74 La raison de ces deacutenominations est assez claire lorsqursquoon explicite chacune des solutions

Si lrsquoon refuse le principe de bivalence on considegravere alors que les deux futurs contradictoires laquo il y aura une bataille navale demain raquo et laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale demain raquo ne sont ni vrais ni faux La question de savoir si on leur donne une valeur de veacuteriteacute laquo intermeacutediaire raquo ou si on ne leur donne aucune valeur de veacuteriteacute peut se poser mais indeacutependamment de ce problegraveme le fait qursquoaucune de ces deux phrases ne soit vraie est eacutequivalent agrave dire la chose suivante aucun des deux futurs possibles nrsquoest le futur actuel Comme ces deux futurs possibles sont exhaustifs (il est clair qursquoil nrsquoy a pas de troisiegraveme futur possible) on peut en deacuteduire une thegravese irreacutealiste sur le futur Il nrsquoy a pas de futur actuel

Si en revanche on refuse la neacutecessitation on peut eacuteviter le fatalisme sans pour autant refuser de dire que lrsquoune des deux propositions est vraie Refuser N revient en effet agrave dire ceci du fait qursquoune proposition au futur est vraie il ne srsquoensuit pas qursquoelle est neacutecessairement vraie Si lrsquoon considegravere alors lrsquoensemble des propositions au futur qui sont vraies on obtiendra la desscription du futur tel qursquoil aura reacuteellement lieu on a alors une thegravese reacutealiste sur le futur Il y a un futur actuel

72 De Int 9 19a17-23 73 Drsquoun point de vue philologique on srsquoaccorde aujourdrsquohui agrave penser que la position drsquoAristote lui-mecircme eacutetait de refuser PB la premiegravere partie de Gaskin [1995] speacutecialement les chapitres 8-10 (p 79-127) eacutetablit de maniegravere satisfaisante qursquoAristote acceptait N et ne pouvait donc que refuser PB 74 Gaskin [1995] p 12-17 distingue quatre grandes interpreacutetations dont la reacutealiste et lrsquoanti-reacutealiste ne sont donc que les deux premiegraveres Cela dit dans sa propre classification Gaskin montre que la troisiegraveme interpreacutetation (statistique) deacutepend de lrsquointerpreacutetation reacutealiste et que la quatriegraveme (boeacutecienne) deacutepend de lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste par conseacutequent lrsquoopposition la plus fondamentale demeure bien entre les deux premiegraveres

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Si lrsquoon rapproche ces deux interpreacutetations drsquoAristote de la caracteacuterisation geacuteneacuterale que nous avons donneacutee des logiques de la neacutecessiteacute historique on constate qursquoelles sont en fait deux speacutecifications du principe PH que nous avions deacutefini ainsi

PH les futurs possibles ne se reacuteduisent pas agrave un unique futur actuel Dans ce principe geacuteneacuteral nous avons volontairement laisseacutee indeacutetermineacutee la question de

savoir srsquoil y a un futur actuel On peut agrave preacutesent donner les deux speacutecifications de ce principe selon que lrsquoon reacutepond neacutegativement (pour lrsquoantireacutealiste) ou positivement (pour le reacutealiste) agrave cette question

PHar il y a plusieurs futurs possibles et aucun nrsquoest actuel PHr les futurs possibles ne se reacuteduisent pas au futur actuel Si cette distinction est particuliegraverement importante pour nous crsquoest que la nature du

rapport entre temps et modaliteacute nrsquoest pas la mecircme entre les deux interpreacutetations dans lrsquointerpreacutetation anti-reacutealiste il nrsquoy a pas de notion de futur sans notion de possibiliteacute le futur est lui-mecircme une notion modale dans lrsquointerpreacutetation reacutealiste en revanche il y a une notion de futur indeacutependante de la notion de modaliteacute Ce point philosophique a des conseacutequences importantes pour la formalisation logique comme nous allons le voir agrave preacutesent en consideacuterant les deux systegravemes de la neacutecessiteacute historique construits par Arthur Prior

2 Les deux axiomatiques prioreacuteennes de la neacutecessiteacute historique

Dans le chapitre laquo Time and Determinism raquo de Past Present and Future75 Prior part

drsquoun argument leacutegegraverement diffeacuterent de celui que nous venons drsquoeacutetudier mais cela ne modifie pas fondamentalement lrsquoopposition entre conceptions reacutealiste et anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute historique La diffeacuterence entre les deux arguments concerne lrsquoeacutetape (3) ie lrsquoeacutetape qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur dans lrsquoargument envisageacute par Prior ce qui permet la neacutecessitation de la proposition vraie au futur ce nrsquoest pas directement le fait qursquoelle soit vraie crsquoest qursquoelle soit eacutequivalente agrave une proposition vraie au passeacute et que toute proposition vraie concernant le passeacute est neacutecessaire Cet argument utilise donc de maniegravere explicite le principe NH lui-mecircme ce que ne fait pas lrsquoargument envisageacute par Aristote Drsquoun point de vue historique la question de savoir si Aristote lrsquoutilisait ou non dans sa restitution de lrsquoargument fataliste a en fait eacutetait discuteacutee dans notre paragraphe preacuteceacutedent consacreacute agrave

75 Prior [1967] p113-136

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Aristote nous nous sommes conformeacutes aux conclusions de Gaskin qui estime que la neacutecessiteacute propre aux propositions passeacutees nrsquoest pas deacuteterminante dans le texte du De Interpretatione76 Il semble donc plus correct de rattacher lrsquoargument de Prior aux interpreacutetations posteacuterieures agrave Aristote tout speacutecialement agrave la tradition meacutedieacutevale (Pierre de Rivo et Guillaume drsquoOckham essentiellement)

Nous allons voir agrave preacutesent la formalisation par Prior de ce nouvel argument pour deacuteterminer quels axiomes sont refuseacutes proprement par la position reacutealiste (celle qui refuse lrsquoeacutetape de neacutecessitation) et par la position anti-reacutealiste (celle qui refuse de tenir pour vraies ou fausses de propositions futures) Nous pourrons ensuite traiter chacune des deux reacuteponses axiomatiques seacutepareacutement (celle que Prior appelle laquo ockhamiste raquo et celle qursquoil appelle laquo peircienne)

a la formalisation de lrsquoargument fataliste reposant sur NH

Il y a un preacutealable fondamental agrave une telle formalisation crsquoest le passage agrave une logique

meacutetrique du temps avant drsquoexposer lrsquoargument formaliseacute il nous faut donc exposer la raison de ce reacutequisit

Nous avons deacutejagrave remarqueacute agrave propos de la bataille navale qursquoun point fondamental eacutetait la simultaneacuteiteacute des deux possibiliteacutes envisageacutees ie le fait qursquoelles soient toutes deux fixeacutees agrave la date de laquo demain raquo Ce point est indispensable agrave lrsquoargument fataliste car le fataliste ne dit pas qursquoil y a un seul et unique eacutetat de chose possible pour toutes les dates mais que pour une date donneacutee il ne peut pas y avoir deux eacutetats de choses incompatibles et tous deux possibles Il y a lagrave eacutevidemment une difficulteacute pour une formalisation de type prioreacuteen qui nrsquoa pas recours agrave la quantification sur les dates Le principe de la solution qursquoa finalement adopteacutee Prior pour reacutesoudre ce problegraveme est relativement simple et drsquoune certaine maniegravere il se trouve deacutejagrave chez Aristote En effet dans lrsquoexemple de la bataille navale Aristote nrsquoa pas recours agrave une date telle que laquo le 6 mars -352 raquo il a recours agrave ce que Rescher et Urquhart appellent une pseudo-date77 Ce terme deacutesigne les expressions indexicales du type laquo maintenant raquo laquo demain raquo laquo dans trois jours raquo Ces pseudo-dates sont suffisantes pour rendre lrsquoargument fataliste opeacuteratoire (crsquoest-agrave-dire pour fixer une simultaneacuteiteacute) et il est possible de les restituer dans un

76 Gaskin [1995] p 26-27 laquo The fact that the fatalistrsquos first argument probably proceeds without reference to the past should alert us to the likelihood that the way the past figures in the second argument is inessential to it raquo 77 Rescher et Urquhart [1971] p 27

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calcul prioreacuteen agrave condition drsquoajouter une meacutetrique agrave ce calcul crsquoest-agrave-dire des expressions de la forme αnF pour signifier laquo il sera le cas que α dans un intervalle de temps n raquo

Nous pouvons agrave preacutesent donner la formalisation de lrsquoargument proposeacutee par Prior78 (1) pLPpP mm rarr NH (2) pFLPpFP nmmnmm ++ rarr (1 subst) (3) pFPpF nmmn +rarr preacute-veacuteriteacute (cf PB) (4) pFLPpF nmmn +rarr (2 3 syll) (5) ( ) ( )LqLpqpL rarrrarrrarr K (6) ( )pFpFPL nnmm rarr+ log temp (7) pLFpFLP nnmm rarr+ (5 6 subst syll) (8) pLFpF nn rarr (4 7 syll)

Le raisonnement repose sur quatre principes uniquement parmi lesquels deux ne peuvent pas ecirctre plausiblement mis en doute et les deux autres correspondent aux principes refuseacutes respectivement par la reacuteponse reacutealiste et la reacuteponse anti-reacutealiste Preacutecisons ces points

Lrsquoaxiome K utiliseacute agrave lrsquoeacutetape 5 peut difficilement ecirctre mis en doute dans la mesure ougrave il est respecteacute par toute logique modale normale Ainsi quel que soit le sens exact que lrsquoon veuille donner agrave lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute (ineacutevitable maintenant-ineacutevitable meacutetaphysiquement neacutecessaire etc) cet axiome sera respecteacute

Le principe ( )pFpFPL nnmm rarr+ exposeacute agrave lrsquoeacutetape 6 peut aussi difficilement ecirctre mis en question en effet pour que ce principe soit accepteacute il suffit que pFpFP nnmm rarr+ soit accepteacute comme theacuteoregraveme de logique temporelle (il sera alors neacutecessaire quel que soit le sens exact de lrsquoopeacuterateur de neacutecessiteacute) Or si lrsquoon refuse ce theacuteoregraveme on accepte la compatibiliteacute des deux phrases suivantes laquo il eacutetait vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo et laquo il est faux agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo Selon toute plausibiliteacute la veacuteriteacute sur des propositions agrave venir se conserve une fois qursquoelle est fixeacutee

En revanche elle peut tregraves bien nrsquoavoir pas eacuteteacute fixeacutee de toute eacuteterniteacute crsquoest agrave dire qursquoon pourrait tregraves bien accepter la compatibiliteacute de laquo il est vrai agrave t2 que p sera le cas agrave t3 raquo et de laquo il nrsquoeacutetait pas vrai agrave t1 que p serait le cas agrave t3 raquo dans le cas ougrave laquo il eacutetait encore indeacutetermineacute agrave t1 si p serait ou non le cas agrave t3 raquo Accepter cette possibiliteacute crsquoest refuser lrsquoimplication

pFPpF nmmn +rarr de lrsquoeacutetape 3 comme le montre notre explicitation ce refus correspond agrave

78 Prior [1967] p 119

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lrsquoabandon du principe de bivalence PB Crsquoest donc agrave cet axiome preacuteciseacutement que srsquoattaquera le tenant de la reacuteponse anti-reacutealiste agrave lrsquoargument fataliste

Le tenant de la reacuteponse reacutealiste quant agrave lui srsquoattaquera agrave lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoaxiome NH lui-mecircme Ici surgit une objection si crsquoest au principe mecircme de la neacutecessiteacute historique que srsquooppose le reacutealiste peut-on encore dire que la logique sous-jacente agrave sa reacuteponse est une logique de la neacutecessiteacute historique Pour reacutesoudre ce problegraveme il faut preacuteciser que le reacutealiste ne refuse pas le principe NH mais qursquoil en restreint lrsquoapplication Il suffira de limiter lrsquoapplication de cette neacutecessiteacute historique agrave certaines veacuteriteacutes passeacutees Crsquoest lagrave preacuteciseacutement le principe de la reacuteponse Ockhamiste la neacutecessiteacute des propositions passeacutees nrsquoest pas valable pour une proposition qui porte sur le passeacute laquo de telle sorte qursquoelle soit cependant eacutequivalente agrave une proposition sur le futur et dont la veacuteriteacute deacutepend de la veacuteriteacute drsquoune proposition sur le futur raquo79 A partir de cette restriction il est impossible de passer de

pLPpP mm rarr agrave pFLPpFP nmmnmm ++ rarr Ce nrsquoest donc pas agrave strictement parler lrsquoeacutetape 1 de lrsquoargument qui est contesteacutee par le reacutealiste mais plutocirct la regravegle qui permet de passer de lrsquoeacutetape 1 agrave lrsquoeacutetape 2 crsquoest-agrave-dire la regravegle de substitution

Nous allons voir agrave preacutesent les deux axiomatiques que Prior a construites pour formaliser ces deux types de reacuteponse lrsquoaxiomatique reacutealiste ou laquo ockhamiste raquo et lrsquoaxiomatique antireacutealiste ou laquo peircienne raquo

b lrsquoaxiomatisation de la logique ockhamiste

Dans la reacuteponse reacutealiste comme nous avons deacutejagrave eu lrsquooccasion de lrsquoobserver le futur est

une notion proprement temporelle par conseacutequent la logique ockhamiste pourra disposer drsquoune logique temporelle deacutefinie indeacutependamment des notions modales Une telle logique reacutepond donc (mieux que la logique peircienne comme nous le verrons) au programme des logiques tempo-modales tel que nous lrsquoavons exposeacute agrave savoir dresser une axiomatique temporelle drsquoune part une axiomatique modale drsquoautre part avec enfin des axiomes mixtes tempo-modaux

Commenccedilons par la logique temporelle Voici lrsquoaxiomatisation que Prior expose et

recommande pour la logique ockhamiste80

79 Tractatus de Praedestinatione q 1 sol 2 80 Prior [1967] p 97-100

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Symboles primitifs F P Regravegles de formation si ϕ est une FBF et si n est un reacuteel positif ϕnF et ϕnP sont des

FBF Regravegles de transformation

RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF RP de |- ϕ infeacuterer |- ϕnP FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN81 pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

Axiomes

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

Nous nrsquoentrerons pas dans les discussions propres agrave la logique meacutetrique mais quelques

commentaires srsquoimposent pour utiliser cette axiomatique dans le cadre drsquoune logique tempo-modale Tout drsquoabord cette logique meacutetrique nrsquoa pas recours aux opeacuterateurs G et H agrave partir desquels on deacutefinissait pourtant certains axiomes et certaines regravegles en logique non meacutetrique du temps il est assez clair pourtant que le rocircle joueacute par la regravegle RG de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ trouve son exact eacutequivalent dans la regravegle RF de |- ϕ infeacuterer |- ϕnF dans la mesure ougrave le n quelconque permet drsquoinfeacuterer cette veacuteriteacute sur tous les temps futurs Semblablement lrsquoaxiome KF )()( GqGpqpG rarrrarrrarr trouve son exact eacutequivalent dans lrsquoaxiome de logique meacutetrique FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr

Lrsquoensemble des axiomes du tableau est reacuteparti selon les trois cateacutegories habituelles axiomes du passeacute axiomes du futur axiomes mixtes FP et PF Si lrsquoon srsquoen tient agrave une logique meacutetrique du temps on peut eacuteconomiser la redondance des axiomes du passeacute et du futur par la

81 Prior preacutesente cet axiome de double implication sous la forme de deux axiomes drsquoimplication simple baptiseacutes FN1 et FN2

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regravegle MIR Mais cela nrsquoest pas adapteacute si la logique meacutetrique doit ensuite ecirctre prise comme eacuteleacutement drsquoune logique tempo-modale de la neacutecessiteacute historique car on pourrait alors infeacuterer la neacutecessiteacute du futur agrave partir de la neacutecessiteacute du passeacute par simple application de la regravegle MIR

A lrsquoexception des FΠ et PΠ qui sont intinsegraveques au calcul meacutetrique les axiomes mono-temporels peuvent ecirctre mis en correspondance avec les axiomes de la logique temporelle habituelle lrsquoaxiome PP pPpPP nmnm +rarr correspond clairement agrave lrsquoaxiome 4P PpPPprarr qui assure la transitiviteacute de la relation drsquoanteacuterioriteacute Lrsquoeacutequivalent de lrsquoaxiome PN

pPpP nn notharrnot est moins eacutevident il faut remarquer que cet axiome assure lrsquouniciteacute du passeacute pour un preacutesent donneacute crsquoest-agrave-dire la lineacuteariteacute du temps vers le passeacute Lrsquoaxiome PN correspond donc agrave lrsquoaxiome LP ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand

Les axiomes mixtes pris ensemble assurent le fait que la relation drsquoanteacuterioriteacute est la converse de la relation drsquoanteacuterioriteacute par conseacutequent ils ont exactement le mecircme rocircle que les axiomes GPpprarr et HFpprarr

A partir de ces correspondances on peut essayer de situer au sein du tableau de la premiegravere partie la logique non meacutetrique agrave laquelle correspondrait la logique meacutetrique ici proposeacutee cette logique est au moins aussi riche que Kt car nous avons les eacutequivalents de KP et KF plus les axiomes mixtes neacutecessaires Elle est eacutegalement au moins aussi riche que Kb car nous avons vus les eacutequivalents de 4P 4F et LP Ce qui peut paraicirctre plus surprenant elle est eacutegalement aussi riche que Kl car elle a un eacutequivalent de LF (agrave savoir lrsquoaxiome FN) cela voudrait-il dire que cette logique abandonne la pluraliteacute des futurs En un sens seulement la logique meacutetrique ici proposeacutee abandonne la pluraliteacute des futurs actuels mais la pluraliteacute des futurs possibles sera reacutecupeacutereacutee lors du croisement avec la logique modale Il est fondamental de noter que la logique temporelle sur laquelle est fondeacutee la logique tempo-modale ockhamiste est la logique du temps actuel Cette logique du temps actuel est-elle encore plus riche que Kl Telle que nous lrsquoavons deacutefinie oui elle respecte la seacuterialiteacute (vers le futur aussi bien que vers le passeacute) du fait des regravegles drsquoinfeacuterence RF et RP quel que soit n il y a toujours un temps passeacute depuis un intervalle n ou agrave venir dans un intervalle n Elle respecte eacutegalement la densiteacute puisque n a eacuteteacute deacutefini sur les reacuteels (positifs) quel que soit n on peut donc toujours eacutecrire le theacuteoregraveme suivant pFFpF nnn 22rarr La logique meacutetrique ainsi deacutefinie correspond donc agrave la logique non meacutetrique que nous avions appeleacutee Prior+lin dans notre arbre (annexe 2) drsquoapregraves lrsquoaxiomatique proposeacutee dans le troisiegraveme chapitre de Prior [1967]

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Une fois que nous avons deacutefini la composante temporelle de notre logique bimodale il nous faut deacutefinir la composante proprement modale Cela sera beaucoup plus simple Prior propose lrsquoaxiomatique suivante

Symbole primitif L Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot ϕ Regravegles de formation si ϕ est une FBF Lϕ est une FBF Regravegle de transformation

N de |- ϕ infeacuterer |- Lϕ

Axiomes K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Pour plus de simpliciteacute nous avons substitueacute les noms drsquoaxiomes traditionnels agrave ceux

que donne Prior [1967] p 125 Il apparaicirct directement que le systegraveme modal ici preacutesenteacute est S5 agrave savoir le systegraveme modal qui est souvent jugeacute le plus plausible pour rendre compte de nos intuitions sur la modaliteacute

Dans lrsquooptique qui est la nocirctre un point pourrait pourtant eacutetonner crsquoest le fait que la regravegle N soit accepteacutee si on accepte cette regravegle ne valide-t-on pas lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote celui qui ne passe mecircme pas par la neacutecessiteacute propre au passeacute Comme nous lrsquoavons dit pour NH la bonne faccedilon drsquoeacuteviter lrsquoargument fataliste nrsquoest pas de refuser N mais de restreindre son application Une maniegravere erroneacutee de raisonner serait la suivante

(1) p (Hyp) (2) Lp (1 N) (3) Lpprarr (1 2 +Cond)

Ce raisonnement utilise la regravegle de Preuve Conditionnelle (+Cond) de maniegravere correcte Par conseacutequent si la regravegle N eacutetait eacutegalement utiliseacutee de maniegravere correcte on pourrait montrer que pour tout systegraveme modal respectant N on a lrsquoaxiome Lpprarr qui trivialise la logique modale et nrsquoest donc pas souhaitable Crsquoest donc une caracteacuteristique tout agrave fait fondamentale de la regravegle de neacutecessitation qursquoelle ne puisse ecirctre utiliseacutee que dans une preuve et non pas dans une sous-preuve (ie sous une hypothegravese) Ou pour le dire autrement il ne suffit pas que p soit vrai pour qursquoon puisse infeacuterer Lp il faut que p soit deacutemontrable (|- p) Gracircce agrave cette restriction

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lrsquoargument fataliste envisageacute par Aristote nrsquoest pas valide il nrsquoest donc pas gecircnant drsquoadopter la regravegle N dans la composante modale drsquoune logique de la neacutecessiteacute historique

Nous avons vu les deux composantes deacutefinies indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre il reste

agrave preacutesent agrave consideacuterer leurs rapports deacutefinis par les axiomes mixtes Les axiomes donneacutes par Prior sont les quatre suivants

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr LA Laararr pour a une A-formule Les deux premiers axiomes sont requis par lrsquoutilisation des quantificateurs du calcul

meacutetrique mais ils nrsquoont pas un sens philosophique important LF en revanche commence agrave donner une premiegravere approche de la notion de neacutecessiteacute utiliseacutee dans la logique ockhamiste Le laquo neacutecessaire raquo ockhamiste est souvent appeleacute laquo ineacutevitable raquo ou plus preacuteciseacutement laquo deacutesormais-ineacutevitable raquo (now-unpreventable) agrave partir drsquoune telle deacutetermination intuitive on peut aiseacutement comprendre le sens de lrsquoaxiome LF speacutecialement si on le met sous la forme suivante pMFpMF nn notrarrnot Srsquoil est vrai qursquoagrave la date t1 jrsquoaurai les moyens drsquoeacuteviter p alors jrsquoai les moyens drsquoeacuteviter que p soit le cas agrave la date t1 certes je nrsquoai pas forceacutement les moyens de lrsquoeacuteviter tout de suite mais cela ne fait pas pour autant de p quelque chose drsquoineacutevitable Les possibles relatifs agrave des bifurcations futures sont aussi des possibles preacutesents

Mais lrsquoaxiome le plus important de cette liste est lrsquoaxiome LA qui correspond proprement au principe NH crsquoest donc de lrsquoapplication de cet axiome que deacutepend le succegraves ou lrsquoeacutechec de lrsquoargument fataliste Nous avons vu plus haut que la solution pour eacuteviter la conclusion de lrsquoargument fataliste nrsquoeacutetait pas de refuser le principe NH en tant que tel mais plutocirct de restreindre son application agrave certaines propositions agrave savoir les propositions passeacutees qui ne sont pas laquo eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur raquo selon les termes drsquoOckham La solution formelle de Prior consiste agrave suivre agrave la lettre cet agenda une forme de neacutecessitation est admise agrave titre drsquoaxiome Laararr et non plus seulement de regravegle par lagrave cette neacutecessitation peut ecirctre utiliseacutee dans des sous-preuves (sous des hypothegraveses) et donc la neacutecessiteacute du conseacutequent peut reposer sur la simple veacuteriteacute de lrsquoanteacuteceacutedent et non plus seulement sur sa deacutemontrabiliteacute Mais la regravegle qui reacutegit lrsquousage de cet axiome (la regravegle de substitution sur cet axiome) ne permet de lrsquoappliquer qursquoagrave des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave des propositions sur le futur Le problegraveme qui se pose est de savoir comment

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restreindre la regravegle de substitution dans le cas drsquoun seul axiome alors que pour tous les autres axiomes la mecircme regravegle de substitution devra ecirctre non restreinte La solution est de deacutefinir deux types de formules bien formeacutees la regravegle de substitution ne permettant pas de substituer une formule drsquoun type agrave une formule drsquoun autre type Intuitivement un des deux types sera celui des propositions concernant le passeacute et non eacutequivalentes agrave une proposition sur le futur lrsquoautre type (incluant le premier) sera celui des propositions en geacuteneacuteral

La reacuteunion de la logique temporelle et de la logique modale en une seule logique tempo-modale ne se reacuteduit donc pas ici agrave un ajout drsquoaxiomes mixtes elle suppose la modification du niveau beaucoup plus fondamental que sont les regravegles de formation Voici les nouvelles regravegles de formation proposeacutees par Prior [1967] (p 124)

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

La totaliteacute du systegraveme axiomatique tempo-modal deacutefini par ces diffeacuterentes eacutetapes est

rassembleacutee dans lrsquoannexe 3 pour une vue synoptique

c lrsquoaxiomatisation de la logique peircienne La logique peircienne correspond au deuxiegraveme grand type de reacuteponse que lrsquoon peut

apporter au problegraveme des futurs contingents agrave savoir la reacuteponse irreacutealiste Pour ecirctre plus preacutecis elle correspond agrave une branche des logiques irreacutealistes Comme crsquoest la seule qursquoait exploreacutee Prior nous nrsquoenvisagerons qursquoelle drsquoun point de vue axiomatique Pour ce qui est de lrsquoautre branche des logiques irreacutealistes qui a eacuteteacute beaucoup deacuteveloppeacute drsquoun point de vue seacutemantique apregraves Prior nous lrsquoenvisagerons dans notre troisiegraveme partie Mais preacutecisons tout drsquoabord quelles sont ces deux branches en repartant de la deacutefinition drsquoune logique irreacutealiste

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dans ce type de logique tous les futurs sont de pures possibiliteacutes par conseacutequent pour qursquoune proposition au futur soit vraie il ne suffit pas qursquoune des possibiliteacutes exemplifie son contenu (laquo il est possible qursquoil y ait une bataille navale demain raquo) il faut que toutes les possibiliteacutes exemplifient son contenu (laquo [quoi qursquoil arrive] il y aura une bataille navale demain raquo) Autrement dit la proposition vraie au futur contient un aspect de neacutecessiteacute

Cet aspect de neacutecessiteacute peut ecirctre placeacute agrave deux niveaux diffeacuterents ce qui a des conseacutequences importantes pour la formalisation - soit dans le sens de lrsquoopeacuterateur futur lui-mecircme dans ce cas Fnp veut dire laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo Fnp sera donc toujours soit vraie soit fausse en effet si la bataille navale est contingente la proposition laquo il y aura-ineacutevitablement une bataille navale raquo est fausse et non pas indeacutetermineacutee Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste Peircienne - soit dans les conditions de deacutefinition de lrsquoopeacuterateur futur (les conditions sous lesquelles il peut recevoir une valeur de veacuteriteacute laquo deacutefinie raquo ie soit vraie soit fausse) dans ce cas Fnp ne sera vrai que si LFnp est vrai et faux que si FnpLnot est vrai Dans le cas drsquoune bataille navale contingente en revanche Fnp ne recevra pas de valeur de veacuteriteacute classique elle sera ni vraie ni fausse Cette formalisation peut ecirctre appeleacutee formalisation irreacutealiste classique

La diffeacuterence entre les deux solutions est essentiellement une diffeacuterence de formalisation lrsquoavantage formel de la premiegravere est de rester dans le cadre drsquoune logique bivalente ougrave toute formule bien formeacutee est soit vraie soit fausse Dans une telle perspective les phrases ni vraies ni fausses du langage naturel portant sur les futurs contingents sont tenues pour informalisables essentiellement deacutefectueuses Lrsquoavantage de la seconde est que lrsquoopeacuterateur formel du futur correspond mieux au futur des langues naturelles (en langue naturelle en effet si la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo est fausse crsquoest intuitivement qursquoil nrsquoy aura pas de bataille navale srsquoil est simplement possible qursquoil nrsquoy en ait pas un locuteur aurait sans doute tort drsquoaffirmer laquo il y aura une bataille navale raquo mais il aurait tort de lrsquoaffirmer parce que son affirmation serait incertaine non parce qursquoelle serait fausse)

Quelques mots encore sur la solution classique avant de revenir agrave Prior et agrave sa solution Peircienne la formalisation classique est celle qui correspond sans doute le mieux aux positions drsquoAristote dans la mesure ougrave elle est explicitement anti-bivalente mais ce dernier ne propose pas de formalisation Michael Groneberg82 a montreacute tregraves clairement qursquoune telle

82 Groneberg [2003]

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formalisation ne pouvait prendre que deux voies qui correspondent au refus de deux eacuteleacutements distincts du principe de bivalence PB peut en effet ecirctre diviseacute de la maniegravere suivante

1 Il y a exactement deux valeurs de veacuteriteacute vrai et faux 2 Chaque eacutenonceacute en porte exactement une Les premiegraveres tentatives initieacutees par Łukasiewicz83 ont consisteacute agrave refuser la premiegravere

partie du principe de bivalence les futurs contingents ne sont ni vrais ni faux parce qursquoils ont une troisiegraveme valeur de veacuteriteacute On a pu eacutegalement agrave partir de la distinction boegravecienne entre veacuteriteacute deacutefinie et veacuteriteacute indeacutefinie essayer des logiques teacutetravalentes pour reacutesoudre le problegraveme des futurs contingents Ces tentatives ont eacutechoueacute agrave cause de leur caractegravere veacuterifonctionnel Si la valeur de veacuteriteacute drsquoune proposition composeacutee deacutepend uniquement de la valeur de veacuteriteacute de ses composants alors il nrsquoy a aucune raison pour que qp and et pp notand aient une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente si p et q sont tous deux contingents alors que intuitivement la premiegravere conjonction est contingente ou indeacutetermineacutee tandis que la seconde est neacutecessairement vraie Crsquoest pour reacutesoudre ce problegraveme que van Fraassen84 a construit la theacuteorie de la supervaluation qui consiste agrave refuser la deuxiegraveme partie de PB en acceptant que certains eacutenonceacutes nrsquoont pas de valeur de veacuteriteacute du tout (logique des lacunes de veacuteriteacute) La solution consiste agrave donner la valeur Vrai agrave toute proposition composeacutee qui serait vraie pour toute valuation par cette opeacuteration de supervaluation pp notand acquiert la valeur Vrai tandis que qp and reste sans valeur de veacuteriteacute

Lorsque nour reviendrons agrave la solution irreacutealiste classique dans notre troisiegraveme partie crsquoest donc agrave sa version supervalueacutee et non agrave sa version plurivalente Ceci donne une raison suppleacutementaire drsquoeacutetudier la logique irreacutealiste dans une partie seacutemanitque car la supervaluation faisant un usage deacutecisif de la seacutemantique du calcul propositionnel Pour lrsquoinstant nous allons eacutetudier la logique qui a davantage retenu Prior agrave savoir la logique peircienne qui quant agrave elle supporte un traitement strictement syntaxique

La formalisation irreacutealiste peircienne consiste donc agrave prendre Fnp comme une notation

abreacutegeacutee de laquo p sera-ineacutevitablement le cas raquo A partir de cette deacutefinition deux points apparaissent clairement tout drsquoabord comme nous lrsquoavons deacutejagrave observeacute le futur devient une notion intrinsegravequement modale et par conseacutequent il ne peut plus ecirctre consideacutereacute comme la notation syntaxique de la converse du passeacute (qui lui reste strictement temporel) Cela revient agrave refuser le principe pFPpF nmmn +rarr (eacutetape 3 dans la formalisation prioreacuteenne de lrsquoargument

83 Łukasiewicz [1951] 84 van Fraassen [1966]

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fataliste) Crsquoest agrave cause de cette careacutecteacuteristique que Prior a donneacute le nom de Peirce agrave une telle logique pour Peirce en effet le passeacute seul est la reacutegion de lrsquoactualiteacute le futur eacutetant proprement la reacutegion du possible et du neacutecessaire

Deuxiegraveme point important lrsquoexpression Fnp dans le langage peircien devient strictement eacutequivalente agrave lrsquoexpression LFnp dans le langage ockhamiste On pourrait donc choisir drsquointeacutegrer dans la logique ockhamiste une nouvel opeacuterateur non primitif F tel que

pLFp ndfn =F A partir de cette deacutefinition la logique peircienne peut ecirctre deacutefinie comme le fragment de

la logique ockhamiste reduit aux formules formeacutees par les seuls opeacuterateurs F et P On pourrait donc se passer drsquoune nouvelle axiomatique et reporter simplement agrave la logique ockhamiste deacutefinie plus haut Cepedant Prior a insisteacute sur le fait qursquoon nrsquoest pas obligeacute de consideacuterer la logique percienne comme un simple fragment de la logique ochamiste crsquoest pourquoi il a donneacute une axiomatique peircienne indeacutependante que nous reacutesumons ici85

Symbole primitif F P Symbole deacutefini ϕnM =df ϕnotnot nF

ϕG =df ϕnnFforall ϕH =df ϕnnPforall

Regravegles de formation si ϕ est une FBF ϕnF est une FBF Regravegle de transformation

G de |- ϕ infeacuterer |- Gϕ H de |- ϕ infeacuterer |- Hϕ KF ( ) ( )qpqp GGG rarrrarrrarr DF pp notnotrarr GG 4F pp GGG rarr

KP )()( HqHpqpH rarrrarrrarr DP pHHp notnotrarr 4P HHpHprarr

Axiomes

PF pHp notnotrarr G FP pHp notnotrarrG FP2 ( ) HppHpp GG rarrandand

Ce tableau met en eacutevidence que la logique peircienne nrsquoest pas trimodale mais

seulement bimodale du fait que le futur est lui-mecircme la notion modale primitive Afin de 85 Nous gardons en gras les symboles propres agrave la logique peircienne

67

rendre les axiomes mieux comparables avec la classification des logiques temporelles ceux-ci sont donneacutes agrave partir de lrsquoopeacuterateur deacutefini G qui (de maniegravere inhabituelle) nrsquoest pas le duale de nF mais signifie laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que p raquo La question du duale de G est un eacuteleacutement fondamental de cette logique agrave deux titres drsquoun point de vue axiomatique le fait que G nrsquoait pas duale agrave proprement parler interdit drsquoabreacuteger les axiomes selon la maniegravere classique par exemple pHp notnotrarr G ne peut pas ecirctre abreacutegeacute en pHp Frarr Drsquoun point de vue seacutemantique il y a bien une expression qursquoon pourrait consideacuterer comme laquo duale raquo de laquo il sera-ineacutevitablement toujours le cas que raquo crsquoest lrsquoexpression laquo il sera-ineacutevitablement le cas que p (agrave un moment ou agrave un autre) raquo Or Prior a lui-mecircme montreacute86 que cette expression eacutetait informalisable dans son systegraveme peircien Ce constat nous amegravenera agrave un argument drsquoexpressiviteacute en faveur de la notation ockhamiste mais avant cela voyons pourquoi cette expression ne peut ecirctre formaliseacutee en logique peircienne la meilleure approximation serait

pn nFexist mais cette formule signifie que dans toutes les eacuteventualiteacutes crsquoest agrave la mecircme date que p a lieu alors qursquoon voudrait envisager le cas ougrave p a lieu dans toutes les eacuteventualiteacutes mais agrave des dates diffeacuterentes selon les eacuteventualiteacutes Par exemple si lrsquoon tend de maniegravere continue un eacutelastique on pourrait accepter de dire qursquoineacutevitablement lrsquoeacutelastique lacircchera agrave un moment ou agrave un autre sans qursquoil soit vrai que le moment ougrave il lacircchera soit deacutejagrave fixeacute Prior montre que pour exprimer une telle ideacutee il faut en quelque sorte re-seacuteparer lrsquoeacuteleacutement modal et lrsquoeacuteleacutement temporel preacutesents dans lrsquoopeacuterateur futur peircien cette solution consiste ni plus ni moins qursquoagrave revenir agrave une notation ockhamiste pLFn dans ce cas on peut distinguer le cas ougrave la date est commune agrave toutes les eacuteventualiteacutes ( pnLFnexist ) du cas ougrave la date change drsquoune eacuteventualiteacute agrave une autre ( pnFL nexist )

Par conseacutequent que lrsquoon choisisse ou non drsquoun point de vue philosophique de consideacuterer la logique peircienne comme un fragment de la logique ockhamiste il reste clair drsquoun point de vue formel que la logique peircienne est strictement moins expressive que la logique ockhamiste on ne saurait faire grief agrave la logique peircienne de ne pas pouvoir exprimer les futurs vrais mais contingents (le pFn ockhamiste) dans la mesure ougrave elle les refuse par principe En revanche ne pas pouvoir exprimer une proposition telle que pnFL nexist est une vraie faiblesse y compris drsquoun point de vue laquo irreacutealiste raquo dans la mesure ougrave cette proposition nrsquoengage absolument pas agrave lrsquoexistence drsquoun futur actuel

86 Prior [1967] p 133

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Les reacuteflexions sur la puissance expressive drsquoune syntaxe donneacutee par rapport agrave une autre reposent sur des intuitions concernant la seacutemantique des ces syntaxes Pour envisager ces questions de maniegravere plus systeacutematique il faut donc agrave preacutesent exposer la seacutemantique des logiques de la NH Nous avons deacutejagrave donneacute quelques eacuteleacutements preacutefigurant le type de seacutemantique vers lequel nous nous acheminons nous avons vu qursquoune solution irreacutealiste supervaluationniste serait adapteacutee agrave notre futur des langues naturelles et que mecircme dans une conception anti-reacutealiste la notation ockhamiste pourrait se reacuteveacuteler indispensable Lrsquoenjeu de la seacutemantique sera donc de concilier les eacuteleacutements positifs de la notation reacutealiste et de la position anti-reacutealiste classique

3 Seacutemantique de la neacutecessiteacute historique

La seacutemantique de la neacutecessiteacute historique est une des parties de lrsquoheacuteritage de Prior qui

connaicirct le plus de deacuteveloppements contemporains Les deacuteveloppements contemporains sont essentiellement de deux types un premier but est de fournir un modegravele formel des logiques NH permettant de deacutefinir de faccedilon rigoureuse les notions de compleacutetude et de correction pour les axiomatiques envisageacutees Cette tacircche de modeacutelisation formelle a eacuteteacute entreprise par Prior87 mais elle nrsquoa eacuteteacute meneacutee agrave son terme qursquoen 2003 par M Reynolds88 Nous avons deacutesormais agrave notre disposition un systegraveme formel agrave la fois rigoureux et riche mais une autre question est de savoir comment ce systegraveme formel peut ecirctre utiliseacute pour la description des expressions des langues naturelles et en particulier du futur Crsquoest dans cette optique que se placent notamment deux reacutecents articles de Mac Farlane89 ainsi que les travaux en cours de Bonomi90 Nous allons donc traiter successivement ces deux types de questions

a Modegraveles formels pour la neacutecessiteacute historique

En abordant la question dans la proprieacuteteacute de lineacuteariteacute du temps nous avons envisageacute degraves

notre premiegravere partie lrsquoimage intuitive drsquoun arbre dont les ramifications laquo brancheraient raquo vers le futur Lrsquoautre image traditionnelle correspondant agrave ce temps non lineacuteaire est celle de routes

87 cf Prior [1967] p 127 laquo whether [the postulates here listed] are complete for Ockhamist tense-logic is not known raquo 88 Reynolds [2003] 89 Mac Farlane [2003] et Mac Farlane [agrave paraicirctre] 90 Bonomi [agrave paraicirctre]

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ou de sentiers qui bifurquent rendue ceacutelegravebre par Borges91 Les diffeacuterentes branches ou les diffeacuterents chemins repreacutesentent les diffeacuterentes eacuteventualiteacutes les diffeacuterentes histoires possibles agrave partir drsquoun moment donneacute Le scheacutema suivant illustre ce principe

Dans ce scheacutema il est fondamental de distinguer les instants (t0 t1 t2) des moments

(m0 m1a m1c etc) plusieurs moments peuvent appartenir au mecircme instant srsquoils nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme branche Ceci repose sur la notion de simultaneacuteiteacute entre les eacuteventualiteacutes dont nous avons vu qursquoelle eacutetait essentielle pour rendre compte de la possibiliteacute synchronique

A partir drsquoun tel scheacutema il apparaicirct clairement que la modaliteacute historique peut se traduire formellement par une quantification sur les branches Par exemple le LGp ockhamiste (crsquoest-agrave-dire le Gp peircien) correspond agrave ceci p est le cas pour tout moment de toute branche posteacuterieur agrave m0 Les deux quantifications (forall et exist ) sur les instants combineacutees aux deux quantifications sur les branches donnent exactement 6 combinaisons diffeacuterentes ( tbforallforall tbexistforall btforallexist tbexistexist tbforallexist btexistforall ) Si lrsquoon ajoute la notion ockhamiste de laquo branche actuelle raquo ( 0b ) on obtient deux combinaisons suppleacutementaires Ceux huit types diffeacuterents de rapport au futur ne sont pas tous eacutegalement repreacutesenteacutes par les diffeacuterentes syntaxes le tableau suivant permet de regrouper de maniegravere plus systeacutematique les remarques que nous avions deacutejagrave

91 Borges [1993]

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esquisseacutees concernant lrsquoexpressiviteacute compareacutee de la syntaxe ockhamiste et de la syntaxe peircienne

Logique temporelle

branchante Logique peircienne Logique ockhamiste

ptFb bt forallforall Gp Gp pnFL nforall ptFb bt existforall pnFL nexist pbFt bt forallexist Fp pnLFnexist ptFb bt existexist Fp Mp pnFM nexist ptFb bt forallexist pnFM nforall pbFt bt existforall pnMFnforall

ptF bt 0forall pnFnforall ptF bt 0exist pnFnexist On voit ici clairement que si lrsquoon cherche un langage capable de deacutecrire de maniegravere

efficace un arbre du temps alors la notation ockhamiste srsquoimpose largement On voit eacutegalement que cette supeacuterioriteacute demeure mecircme si lrsquoon supprime les deux derniegraveres lignes ie si lrsquoon refuse que dans le modegravele lrsquoune des branches soit marqueacutee comme lrsquohistoire actuelle du monde On a donc toutes les raisons de conserver cette notation pour le langage formel qursquoon utilisera (la caracteacuteristique principale de cette notation eacutetant de seacuteparer lrsquoopeacuterateur proprement temporel de lrsquoopeacuterateur modal) Par ailleurs le choix de ce langage formel comme langage objet ne nous engage absolument pas sur la question meacutetaphysique (y a-t-il ou non un futur actuel ) ni mecircme sur la question linguistique (lrsquoopeacuterateur F de la logique ockhamiste repreacutesente-t-il de maniegravere adeacutequate lrsquoopeacuterateur futur des langues naturelles )

Une fois fixeacute le langage objet il rest agrave deacutefinir de maniegravere rigoureuse le modegravele qui lui donnera une seacutemantique Nous allons voir agrave preacutesent trois maniegraveres diffeacuterentes de deacutefinir rigoureusement le modegravele brancheacute que nous avons pour lrsquoinstant utiliseacute de maniegravere informelle ces trois structures sont les structures drsquoarbre les structures TxM et les structures de Kamp

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i Les structures drsquoarbre Tous les eacuteleacutements que nous venons de deacutecrire informellement (arbre du temps branches

etc) ont eacuteteacute progressivement deacutefinis de maniegravere rigoureuse les premiers eacuteleacutements se trouvent eacutevidemment dans Prior [1967] mais une eacutetape deacutecisive est lrsquoarticle laquo Logic and Time raquo de Burgess [1979]92 qui donne en quatre pages la quasi-totaliteacute des formalismes aujourdrsquohui utiliseacutes Nous utiliserons ici les notations plus canoniques de Thomason [1984]93

Une structure drsquoarbre A pour la logique temporelle est une paire lt T lt gt ougrave

- T est un ensemble non vide - lt est une relation drsquoordre transitive sur T telle que si tt lt1 et tt lt2 alors soit 21 tt = soit 21 tt lt soit 12 tt lt

Soit lt T lt gt une structure drsquoarbre et Tisint Une branche passant par t est un sous-ensemble de T lineacuteairement ordonneacute maximal

qui contient t94 tB est lrsquoensemble des branches qui contiennent t Ces deux deacutefinition donnent la structure du modegravele en lui-mecircme Le vocabulaire peut

varier leacutegegraverement selon les auteurs les branches sont freacutequemment appeleacutees des histoires dans la mesure ougrave (pour une valuation donneacutee) une branche donne la description drsquoun cours possible maximal des eacuteveacutenements du monde Cette terminologie utiliseacutee par Reynolds [2003] elle est aussi particuliegraverement reacutepandue dans le contexte de la logique agentive (ou STIT logic) qui utilise la mecircme structure drsquoarbre comme modegravele pour sa seacutemantique par exemple dans laquo Time and Modality in the Logic of Agency raquo de Chellas95 Il est important de noter que les eacuteleacutements t de T sont ici des moments et non des instants selon la terminologie que nous avons donneacutee plus haut

Les deacutefinitions suivantes reacutegissent le rapport entre la structure drsquoarbre et un langage donneacute ie son utilisation proprement seacutemantique

92 Burgess [1979] p 574-577 93 Thomason [1984] p 142-145 94 Avec le concept matheacutematique de chaicircne on pourrait dire laquo une chaicircne maximale de T contenant t raquo 95 Chellas [1992] p 489sqq

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Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) h est une fonction assignant agrave toute formule atomique un sous-ensemble de T

La valeur de h-veacuteriteacute h bt ϕ de ϕ pour la paire bt est deacutefinie ainsi96

1 =h btϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique

1 =noth btϕ ssi 0 =

h btϕ

1 =andh btψϕ ssi 1 =

h btϕ et 1 =h btψ

1 =orh btψϕ ssi 1 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =rarrh btψϕ ssi 0 =

h btϕ ou 1 =h btψ

1 =h btPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =

h btϕ

1 =h btLϕ ssi pour tout tb Bisin 1 =

h btϕ

1 =h btFϕ ssi il existe bt isin tel que tt lt et 1 =

h btϕ

Le principe drsquoune valuation ockhamiste crsquoest qursquoelle attribue une valeur de veacuteriteacute aux

propositions non seulement relativement agrave un temps t mais aussi relativement agrave une branche (ou relativement agrave une histoire consideacutereacutee comme lrsquohistoire actuelle) comme lrsquoexprime le couple bt A partir de cette seacutemantique on peut deacutefinir une notion de validiteacute

Une formule ϕ est ockhamiste-valide ssi pour toute fonction drsquoassignation h et toute paire bt 1 =

h btϕ

A partir drsquoune telle deacutefinition de la validiteacute ockhamiste Reynolds [2003] a pu eacutetablir

une preuve de compleacutetude pour un systegraveme axiomatique semblable agrave celui que nous avons eacutetudieacute pour la logique ockhamiste (cf Annexe 3) Une modification meacuterite cependant drsquoecirctre

96 On suppose que 0 =h btϕ ssi 1 ne

h btϕ

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remarqueacutee car elle est essentielle pour obtenir la compleacutetude crsquoest lrsquoajout drsquoune regravegle drsquoirreacuteflexiviteacute IRR dont la paterniteacute revient agrave Dov Gabbay97 Voici la regravegle en question

( )α

αrarrnotand pHp

Cette regravegle a pour but de contourner un problegraveme ceacutelegravebre que nous avons eacutevoqueacute en premiegravere partie agrave savoir lrsquoimpossibiliteacute de donner un axiome correspondant agrave lrsquoirreacuteflexiviteacute Or comme lrsquoirreacuteflexiviteacute est selon toute plausibiliteacute un eacuteleacutement fondamental drsquoun modegravele du temps toute axiomatique semblait incapable avant lrsquoinvention de cette regravegle drsquoatteindre la compleacutetude pour ces modegraveles

Nous nrsquoentrerons pas dans le deacutetail de la preuve de Reynolds mais mentionnons neacuteanmoins que pour montrer la validiteacute sur un modegravele en structure drsquoarbre il utilise comme meacutediation un autre type de modegravele agrave savoir un modegravele en Kamp-structure Il existe en effet deux autres types de modegraveles pour deacutecrire le temps branchant ou la neacutecessiteacute historique les Kamp-structures et les structures TxW98 Chacun drsquoeux meacuterite un point de commentaire

ii Structures TxW

Ce type de structure est deacutefini eacutegalement dans Thomason99 Pour en comprendre lrsquoesprit

il faut repartir de la distinction que nous avons faite plus haut entre les moments (qui nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches) et les instants (qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutes soit comme des ensembles soit comme des classes drsquoeacutequivalence entre moments de branches diffeacuterentes) Si on se rappelle cette distinction il est clair qursquoelle nrsquoest pas prise en compte dans les structures drsquoarbre telles que nous les avons deacutefinies les temps t drsquoune structure drsquoarbre nrsquoappartiennent qursquoagrave certaines branches Cette notion de laquo temps raquo ne permet donc pas de deacutefinir une notion de simultaneacuteiteacute ou de synchronie drsquoune branche agrave lrsquoautre (du moins pour les parties ougrave les branches en question ne se recoupent pas) Autant dire qursquoun tel modegravele ne rend pas compte de ce que nous appellerions intuitivement le domaine du temps Les structures TxW permettent de reacutesoudre ce problegraveme 97 Gabbay [1981] 98 Le premier exposeacute systeacutematique des diffeacuterents modegraveles seacutemantiques pour la logique du temps branchant est celui de Thomason [1984] Un autre plus reacutecent est celui de Zanardo [2006] qui propose une classification leacutegegraverement diffeacuterente agrave deux points de vue srsquoil preacutesente effectivement les structures drsquoarbre et les structures de Kamp la troisiegraveme possibiliteacute retenue est celle des structures laquo Ockhamiste raquo qui correspondent essentiellement aux structures de Kamp pour ce qui nous inteacuteresse La premiegravere diffeacuterence est donc lrsquoabandon des structures TxW La seconde diffeacuterence est la maniegravere de preacutesenter les structures drsquoarbre Zanardo adopte le concept de laquo bundle raquo introduit par Burgess [1979] et repris eacutegalement par Reynolds [2003] pour les besoins de sa preuve de compleacutetude de fait lrsquointeacuterecirct de ce concept est essentiellement technique crsquoest pourquoi nous le preacutesenterons pas 99 Thomason [1984] p 146-147

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Un modegravele TxW est une structure ltW T lt asympgt telle que - W et T sont des ensembles non vides - lt est une relation sur T qui est transitive irreacuteflexive et lineacuteaire - asymp est une relation ternaire sur TxWxW telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) pour tout 1w isin2w W et tout t isint T si 21 ww tasymp et trsquoltt alors 21 ww tasymp

Dans ce modegravele W est le domaine des laquo mondes possibles raquo qui correspondent agrave ce que

nous avons appeleacute branches (ou histoires) T est proprement le domaine des instants Nous avons vu que dans une structure drsquoarbre les propositions eacutetaient eacutevalueacutees pour une paire bt ce sera encore le cas dans un structure TxW agrave ceci pregraves que les branches seront deacutesormais consideacutereacutees comme des mondes possibles (w) et que t prend un tout autre sens comme un instant est commun agrave toutes les branches il nrsquoy aura plus de sens agrave eacutecrire tB (lrsquoensemble des branches passant par t) La deacutefinition des conditions de veacuteriteacute devra donc ecirctre modifieacutee de la faccedilon suivante

Une fonction drsquoassignation (TxW) h est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de TxW et telle que si ww tasymp et tt lt1 alors ( )ϕhwt isin1 ssi ( )ϕhwt isin1 La condition seacutemantique ajouteacutee dans cette deacutefinition sert agrave donner lrsquointerpreacutetation

seacutemantique de la relation asymp 21 ww tasymp veut dire intuitivement que les branches 1w et 2w se recoupent (ont exactement la mecircme assignation) jusqursquoau temps t A partir de cette fonction drsquoassignation la seacutemantique est deacutefinie de la maniegravere suivante

1 =

h wtPϕ ssi il existe tt lt tel que 1 =h wtϕ

1 =h wtFϕ ssi il existe tt gt tel que 1 =

h wtϕ

1 =h wtLϕ ssi pour tout ww tasymp 1 =

h wtϕ

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Ce nouveau type de modegravele geacutenegravere un nouveau type de validiteacute Thomason fait observer que ce type de validiteacute fait apparaicirctre de nouveaux axiomes tels que perpperprarr LFGFG TT LGFGF rarr Ces deux axiomes viennent du fait que dans une structure TxW tous les mondes possibles ont la mecircme structure temporelle (toutes les branches partagent exactement les mecircmes instants) Cette nouvelle notion de validiteacute devrait eacutegalement permettre de nouvelles deacutemonstrations de compleacutetude mais agrave ma connaissance la question de compleacutetude pour une seacutemantique de type TxW est un problegraveme encore ouvert agrave ce jour

iii Kamp-structures

Ce type de modegravele a eacuteteacute inventeacute par Hans Kamp en 1979 dans un manuscrit non publieacute

En un certain sens les modegraveles de Kamp procegravedent drsquoune intuition opposeacutee aux modegraveles TxW prenons deux branches 1b et 2b qui se recoupent avant t et divergent apregraves t un modegravele TxW consiste agrave reacuteunir en une classe drsquoeacutequivalence les moments de 1b et 2b posteacuterieurs agrave t qui sont simultaneacutes un modegravele de Kamp consiste au contraire agrave diviser chaque moment anteacuterieur agrave t (et donc originellement commun agrave 1b et 2b ) pour obtenir deux moments distincts numeacuteriquement et reacuteunis seulement par une classe drsquoeacutequivalence (cette eacutequivalence eacutetant plus forte que la simple simultaneacuteiteacute puisque toute proposition au preacutesent ou au passeacute vraie dans un de ces moments est vraie dans lrsquoautre) Les deux figures suivantes repreacutesentent le rapport qursquoil y a entre une structure de Kamp et la structure drsquoarbre correspondante

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Formellement la deacutefinition rigoureuse drsquoun tel modegravele est la suivante100 Une Kamp-structure est un triplet ltimage W asympgt tel que

- W est un ensemble non vide - image est une fonction de W vers les ordres lineacuteaires transitifs et irreacuteflexifs101 - asymp est une relation sur Wwwwwt isin et ( ) ( )wwt imagecapimageisin telle que (1) pour tout t tasymp est une est une relation drsquoeacutequivalence (2) si ww tasymp alors ttTttttTtt wwww 111111 ltandisin=ltandisin

(3) si ww tasymp et tt wlt alors ww tasymp Dans cette deacutefinition les laquo mondes possibles raquo correspondent aux branches ou histoires

les temps t correspondent aux moments (et non pas aux instants drsquoougrave la restriction ( ) ( )wwt imagecapimageisin dans la deacutefinition de asymp ) enfin la relation drsquoeacutequivalence deacutefinie est celle de

recoupement de deux branches 1w et 2w jusqursquoau moment t (qui doit leur ecirctre commun) A ce type de structure correspond un nouveau type de validiteacute Nous disposons drsquoune

preuve de compleacutetude pour ce type de validiteacute puisque comme nous lrsquoavons dit la deacutemonstration de compleacutetude de Reynods [2003] qui vaut pour les structures drsquoarbre utilise comme eacutetape la deacutemonstration de compleacutetude pour les structures de Kamp

Les structures de Kamp appellent enfin une remarque philosophique Un outil formel ne

contient jamais en lui-mecircme drsquoengagement philosophique mais on peut neacuteanmoins remarquer que les structures de Kamp donnent une bonne repreacutesentation de la thegravese de David Lewis concernant le temps branchant

Lewis102 oppose deux conceptions des bifurcations modales branching et divergence Dans la theacuteorie du branching les mondes sont comme des fregraveres siamois ils partagent un passeacute qui est numeacuteriquement identique Les mondes se chevauchent Dans la theacuteorie de la divergence au contraire il nrsquoy a pas de chevauchement (no overlap) Si deux mondes ont le mecircme passeacute ce ne peut ecirctre qursquoau sens drsquoune identiteacute geacuteneacuterique et non numeacuterique le passeacute de lrsquoun est seulement la copie exacte de lrsquoautre

100 Thomason [1984] p 147 101 ie si Ww isin alors ( ) wwTw lt=image ougrave wlt est un ordre sur wT comme dans les modegraveles TxW 102 Lewis [1986] p 206

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Les structures de Kamp correspondent bien agrave ce que Lewis appelle divergence On pourrait mecircme pousser plus loin la lecture philosophique des diffeacuterentes structures de la neacutecessiteacute historique nous avons vu que si lrsquoon prenait les structures drsquoarbre comme structure de base les deux autres partaient en quelque sorte dans deux directions opposeacutees les structures TxW ont tendance agrave unifier lagrave ougrave les structures de Kamp ont tendance agrave pluraliser Il y a donc une certaine gradation entre les trois dans la pluralisation du temps Le modegravele TxW a une unique seacuterie de temps passeacutes et de temps futurs Le modegravele drsquoarbre pluralise les temps futurs en fonction de leur divergences Le modegravele de Kamp pluralise les passeacutes mecircme lorsqursquoils ne divergent pas

Si on accepte une telle lecture on ne srsquoeacutetonnera pas de trouver Lewis au point extrecircme du processus de pluralisation On ne srsquoeacutetonnera pas non plus de trouver la position de sens commun (TxW) aux antipodes de la position de Lewis Nous ne nous engagerons pas ici dans les arguments pour ou contre le reacutevisionnisme Lewissien notre deacutemarche dans ce meacutemoire est plutocirct descriptive et crsquoest pourquoi nous allons conclure agrave preacutesent notre eacutetude par lrsquoanalyse des liens contemporains entre logique de la neacutecessiteacute historique et seacutemantique des langues naturelles

b La seacutemantique du futur dans les langues naturelles

Nous venons drsquoeacutetablir deux points importants tout drsquoabord qursquoil y a plusieurs maniegraveres

de deacutefinir un modegravele pour le temps branchant drsquoautre part que la syntaxe la plus riche pour deacutecrire un tel modegravele est celle qui utilise les opeacuterateurs ockhamistes Chacun de ces points peut ecirctre consideacutereacute sous un nouveau jour lorsqursquoon passe agrave lrsquoanalyse des langues naturelles Premiegraverement le langage naturel favorise-t-il lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles et nous avons deacutejagrave entrevu que le modegravele TxW semblait privileacutegieacute de ce point de vue Deuxiegravemement le choix des opeacuterateurs ockhamistes dans le langage objet implique-t-il que le futur du langage naturel soit adeacutequatement deacutecrit par lrsquoopeacuterateur ockhamiste F nous avons eu lrsquooccasion drsquoannoncer que cela nrsquoeacutetait pas neacutecessaire Nous allons deacutevelopper agrave preacutesent ces deux points notre deacutemarche sera la suivante lrsquoopeacuterateur ockhamiste a des deacutefauts eacutevidents si on veut le prendre comme traduction directe du futur des langues naturelles et pour reacutesoudre ces deacutefauts il faut avoir recours agrave la theacuteorie de la supervaluation Dans un deuxiegraveme temps nous verrons que la supervaluation suppose quelques modifications dans le modegravele TxW pour que celui-ci soit vraiment adapteacute agrave la seacutemantiques des langues naturelles Enfin nous envisagerons le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des assertions au futur initialement indeacutetermineacutees

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i problegraveme du futur ockhamiste et supervaluation Le problegraveme du futur ockhamiste pour une description neutre des langues naturelles est

trivialement le fait qursquoil suppose lrsquoexistence drsquoun futur actuel La situation suivante est donc possible la phrase laquo il y aura une bataille navale demain raquo est vraie bien qursquoil demeure parfaitement possible qursquoil nrsquoy ait pas de bataille navale demaine (crsquoest lagrave une branche possible quoique non actuelle passant par notre maintenant) Notre point ici nrsquoest pas de contester la plausibiliteacute meacutetaphysique de la notion de laquo futur actuel raquo mais seulement de mesurer sa pertinence pour eacutevaluer les assertions au futur or il est probable que lrsquoassertion de laquo il y aura une bataille navale raquo deacutepende de lrsquoensemble des eacuteventualiteacutes encore possibles et non pas drsquoun futur actuel inconnaissable

Nous avons vu que la reacuteponse peircienne consistait agrave inteacutegrer la quantification sur les eacuteventualiteacutes dans la signification de lrsquoopeacuterateur futur ceci permettrait au niveau linguistique de rendre compte du fait que nous venons de mettre en eacutevidence (la veacuteriteacute de lrsquoassertion drsquoune proposition future deacutepend de sa reacutealisation dans toutes les branches encore possibles) Mais avec un tel laquo futur modal raquo on devrait dire que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale demain raquo est fausse si le fait est encore indeacutermineacute ce qui ne correspond pas non plus agrave notre usage commum (on dira plutocirct qursquoelle nrsquoest pas pertinente ni vraie ni fausse)

Autrement dit ockhamisme et peircianisme rendent compte disjointement de deux aspects fondamentaux du futur des langues naturelles sans parvenir agrave les tenir tous deux ensemble lrsquoockhamisme rend compte du fait que le futur nrsquoest pas modal en lui-mecircme (ou quant agrave sa signification) le peircianisme rend compte du fait que le futur deacutepend pour recevoir une valeur de veacuteriteacute drsquoune quantification modale sur les eacuteventualiteacutes La solution qui permet de tenir les deux eacuteleacutements en mecircme temps est la supervaluation inventeacutee par van Fraassen103 Dans la classification donneacutee plus haut (qui est une classification meacutetaphysique) la supervaluation eacutetait rangeacutee dans la mecircme cateacutegorie (irreacutealiste) que le peircianisme Mais du point de vue de la description linguistique elle se trouve exactement agrave mi-chemin entre lrsquoactualisme ockhamiste et le modalisme peircien Il est important de remarquer ce caractegravere laquo mixte raquo de la supervaluation pour ne pas ecirctre deacutesarccedilonneacute par lrsquoexpression de laquo supervaluation ockhamiste raquo proposeacutee par Thomason [1984]

Thomason propose en effet de deacutefinir agrave partir de la structure drsquoarbre que nous avons deacutejagrave exposeacutee et de ses valeurs de veacuteriteacute classiques la notion de supervaluation suivante

103 van Fraassen [1966]

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La supervaleur de h-veacuteriteacute htϕ de ϕ agrave t est deacutefinie ainsi

1=htϕ ssi 1 =h btϕ pour tout tb Bisin

0=htϕ ssi 0 =

h btϕ pour tout tb Bisin

Ces deacutefinitions rendent compte du fait que lrsquoassertion laquo il y aura une bataille navale

demain raquo est accepteacutee comme vraie si le fait en question est deacutetermineacute (vrai dans toutes les eacuteventualiteacutes) tenue pour fausse srsquoil est deacutetermineacute que le fait nrsquoaura pas lieu (faux dans toutes les eacuteventualiteacutes) et sans pertinence dans tous les autres cas

ii supervaluation dans le modegravele TxW

Nous venons de deacutefinir la supervaluation pour une structure drsquoarbre suivant en cela

Thomason [1984] Cependant srsquoil est vrai que les langues naturelles favorisent plutocirct une structure TxW crsquoest alors agrave partir drsquoune telle structure qursquoil faudrait deacutefinir la supervaluation Thomason ne le fait pas et en fait ne pourrait pas le faire compte tenu de la maniegravere dont il deacutefinit sa structure TxW Pour eacuteclaircir ce point deacutelicat reacutesumons rapidement ce qui distingue les diffeacuterents modegraveles de la logique du temps branchant

Les trois modegraveles que nous avons exposeacutes peuvent tous ecirctre repreacutesenteacutes par un scheacutema drsquoarbre Ce qui les distingue fondamentalement crsquoest la maniegravere dont ils deacutecrivent ce mecircme scheacutema et plus preacuteciseacutement les entiteacutes qursquoils prennent comme primitifs En tout on peut repeacuterer quatre types drsquoentiteacutes sur un tel scheacutema

1 les moments m 2 les instants t 3 les branches b (ou histoires h) 4 les faisceaux de branches passant par un moment mB (ou mH )

Parmi ces quatre types drsquoentiteacutes les structures drsquoarbre utilisent m comme primitif et deacutefinissent b et mB en laissant de cocircteacute t Les structures de Kamp utilisent b comme primitif et deacutefinissent m et mB en laissant de cocircteacute t Enfin les structures TxW utilisent t et b (consideacutereacute comme laquo monde possible raquo w) en laissant de cocircteacute m et par conseacutequent mB

Ce constat permet de mieux comprendre agrave la fois pourquoi les structures TxW sont mieux adapteacutees que les autres pour rendre compte du langage naturel et pourquoi par ailleurs elles posent problegraveme pour la supervaluation

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En effet le point distinctif des structures TxW est le recours agrave lrsquoentiteacute t que les deux autres modegraveles laissent de cocircteacute Or il est assez eacutevident que la reacutefeacuterence aux temps dans le langage naturel nrsquoest pas une reacutefeacuterence aux moments dans la deacutefinition tregraves particuliegravere que nous en donnons ici crsquoest-agrave-dire des entiteacutes qui peuvent ecirctre distinctes mecircme si elles sont simultaneacutees Par conseacutequent une bonne description du rapport entre temps et modaliteacute dans la langue naturelle devra recourir aux entiteacutes instants

Mais par ailleurs les structures TxW posent un problegraveme pour la supervaluation dans la mesure ougrave elles laissent de cocircteacute les entiteacutes m et mB En effet les faisceaux de branches sont essentiels agrave la deacutefinition de la supervaluation pour qursquoune proposition soit historiquement neacutecessaire il nrsquoest pas requis qursquoelle soit vraie pour toute branche absolument autrement le stock de propositions historiquement neacutecessaire ne changerait pas au cours du temps Ce qui fait que la neacutecessiteacute historique est sensible au passage du temps crsquoest preacuteciseacutement que ce passage fait laquo perdre des branches raquo crsquoest-agrave-dire reacuteduit les branches pertinentes agrave un faisceau de branches passant par le moment preacutesent

Ce problegraveme est reacutesolu par Andrea Bonomi et Fabio Del Prete dans un article en cours preacuteparation104 Le modegravele formel proposeacute par Bonomi et Del Prete contient exactement les quatre entiteacutes que nous avons mentionneacutees en prenant comme primitifs les moments et les instants Les histoires sont deacutefinies classiquement agrave partir des moments Un eacuteleacutement original de cet article est de consideacuterer les faisceaux de branches ou drsquohistoires mH comme le meilleur candidat pour repreacutesenter les mondes possibles (habituellement crsquoest plutocirct les branches qursquoon considegravere comme laquo mondes possibles raquo) Cet eacuteleacutement sera deacutecisif pour le traitement de lrsquoindex modal lors de la valuation Voici donc le modegravele deacutefini105

Un modegravele de Branching Time est une structure ltU Ule Tgt telle que

- U est un ensemble non vide (domaine des moments) - Ule est une relation drsquoordre partiel sur U telle que

104 Bonomi [agrave paraicirctre] 105 Notre preacutesentation diffegravere sensiblement de celle des auteurs nous omettons en particulier le domaine drsquoindividus D et la classe de fonctions de deacutenotation F qui nrsquoont pas de conseacutequence pour notre propos Un point plus important est notre deacutecision de faire entrer les instants dans la deacutefinition du modegravele ce qui nrsquoest pas fait explicitement par Bonomi et Del Prete Ma justification est la suivante la deacutefinition qui est donneacutee des instants p 16 impose certaines conditions agrave la structure de Branching Time deacutefinie p 15 (en particulier la condition selon laquelle toutes les histoires doivent avoir exactement la mecircme structure temporelle ecirctre toutes finies ou toutes infinies etc) Ces conditions eacutetant neacutecessaires pour avoir un modegravele satisfaisant de Branching Time et non speacutecifieacutees dans la deacutefinition de la p 15 il convient de les y ajouter en inteacutegrant tout simplement la deacutefinition des instants dans celle du modegravele

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si mm Ule1 et mm Ule2 alors soit 21 mm Ule soit 12 mm Ule (lineacuteariteacute agrave gauche) - T est un ensemble non vide de classes drsquoeacutequivalence sur U tel que (1) tout moment m appartient agrave exactement un instant t (2) pour tout instant t et toute histoire h ht cap contient exactement un moment m

Les eacuteleacutements non primitifs sont les suivants Soit ltU Ule Tgt une structure de Branching Time et Uisinm Une histoire h est un sous-ensemble de U lineacuteairement ordonneacute maximal Le BT-monde mH est lrsquoensemble des histoires qui contiennent m Le propos de Bonomi et Del Prete est de drsquoappliquer cette seacutemantique directement agrave un

traitement compositionnel du langage naturel Mais si lrsquoon voulait poursuivre dans la logique de notre exposeacute il serait cependant aiseacute agrave partir drsquoun tel modegravele de donner une notion de valuation et de supervaluation pour notre syntaxe ockhamiste

Une fonction drsquoassignation (ockhamiste) g est une fonction assignant agrave toute formule

atomique un sous-ensemble de U La valeur de h-veacuteriteacute g hmϕ de ϕ pour la paire hm est deacutefinie ainsi

1 =g hmϕ ssi ( )ϕhtisin si ϕ est atomique (etc pour les opeacuterateurs classiques)

1 =g hmPϕ ssi il existe mm Ule tel que 1 =

g hmϕ

1 =g hmLϕ ssi pour tout mh Hisin 1 =

g hmϕ

1 =g hmFϕ ssi il existe hm isin tel que mm Ule et 1 =

g hmϕ

La supervaleur de h-veacuteriteacute gmϕ de ϕ agrave m est deacutefinie ainsi

1=gmϕ ssi 1 =g hmϕ pour tout mh Hisin

0=gmϕ ssi 0 =

g hmϕ pour tout mh Hisin

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iii lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Il y a encore un dernier eacuteleacutement important de nos assertions communes sur les futurs

contingents dont la theacuteorie de la supervaluation telle que nous lrsquoavons exposeacutee ne permet pas de rendre compte Crsquoest le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective des futurs contingents Il est indispensable de consideacuterer ce problegraveme pour pouvoir donner la version finale de la seacutemantique compositionnelle du futur des langues naturelles

Placcedilons-nous au 1er janvier 2004 et imaginons qursquoagrave cette date-lagrave la meacuteteacuteo du 2 janvier est absolument et reacuteellement indeacutetermineacutee Si je dis laquo il fera beau demain raquo il est pertinent de dire que mon assertion nrsquoest ni vraie ni fausse et le systegraveme de supervaluation que nous avons exposeacute rend compte de cela Mais placcedilons-nous agrave preacutesent le lendemain donc le 2 janvier le cours des choses est tel que finalement il fait beau le 2 janvier Si lrsquoon eacutevalue deacutesormais lrsquoassertion que jrsquoai faite la veille il est tregraves intuitif de dire que ce que jrsquoai dit est vrai Autrement dit avec le passage du temps nous proceacutedons agrave des eacutevaluations reacutetrospectives Ce ne sont pas agrave proprement parler des reacuteeacutevaluations puisque toute assertion qui avait deacutejagrave une valeur de veacuteriteacute ne peut pas en changer mais en revanche les propositions qui nrsquoen avaient pas peuvent en acqueacuterir Le problegraveme des eacutevaluations reacutetrospectives a eacuteteacute mis en avant par John Mac Farlane avec lrsquoexemple meacuteteacuteorologique que nous venons drsquoutiliser 106 Nous adopterons ici de nouveau la solution que proposent Bonomi et Del Prete plutocirct que celle de Mac Farlane lui-mecircme agrave cause drsquoun argument que nous deacuteveloppons en Annexe 4

Le principe drsquoune eacutevaluation reacutetrospective est qursquoune assertion mecircme si elle concerne un seul et mecircme moment est eacutevalueacutee diffeacuteremment selon la circonstance de lrsquoeacutevaluation Par conseacutequent la valuation qursquoon utilisera devra prendre deux arguments temporels lrsquoun fixant le moment de lrsquoeacuteveacutenement auquel on se reacutefegravere (la meacuteteacuteo du 2 janvier) lrsquoautre fixant le moment de lrsquoeacutevaluation (le 1er ou le 2 janvier) Les outils formels de cette solution ont deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutes dans le premier chapitre agrave propos de la discussion sur contextualisme et litteacuteralisme un de ces moments est fourni par le contexte de lrsquoassertion crsquoest lui qui permettra de saturer les expressions indexicales et de fixer le contenu de lrsquoassertion Lrsquoautre moment sera fourni par lrsquoindex qui permettra de passer du contenu agrave la valeur de veacuteriteacute

Autrement dit toute formule ϕ de la langue naturelle sera eacutevalueacutee relativement agrave trois choses [ ][ ] wgc ϕ drsquoapregraves Bonomi107 106 Mac Farlane [2003] 107 Bonomi [agrave paraicirctre] p 18

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- un contexte c = Xnm ougrave m repreacutesente le moment du contexte proprement dit n repreacutesente le moment de la circonstance drsquoeacutevaluation X est un ensemble de propositions - une assignation g - un index w ou circonstance drsquoeacutevaluation qui peut ecirctre deacutefini tregraves simplement agrave partir de n donneacute dans le contexte w= nH Cette deacutefinition tregraves simple deacutepend des deux deacutefinitions de la seacutemantique de Bonomi et Del Prete exposeacutee plus haut drsquoune part de lrsquoideacutee selon laquelle les mondes possibles sont les faisceaux drsquohistoires et non les histoires elles-mecircmes drsquoautre part du fait que pour tout moment m de U il existe un et un seul w= mH

Si lrsquoon reprend lrsquoexemple meacuteteacuteorologique voici comment ces eacuteleacutements rendent compte de nos intuitions concernant la phrase laquo il fera beau raquo prononceacutee agrave m1

1 Evaluation agrave m1 le contexte est Xmmc 11= le monde de lrsquoindex est donc 1 hhw m ==H Comme la phrase prend une valeur de veacuteriteacute diffeacuterente en h et en hrsquo la supervaluation nrsquoattribue pas de valeur de veacuteriteacute agrave la phrase 2 Evaluation reacutetrospective agrave m3 le contexte est Xmmc 31= le monde de lrsquoindex est donc 3 hw m ==H Comme la phrase est vraie dans toute branche de 3mH elle est reacutetrospectivement supervalueacutee comme vraie

Le problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective est donc reacutesolu de maniegravere satisfaisante par ce modegravele Ce que nous nrsquoavons pas encore exposeacute cependant crsquoest le rocircle exact que joue le futur de la langue naturelle dans cette solution est-il un opeacuterateur modal ou strictement temporel Lrsquoaspect modal est-il contenu dans le sens du futur ou seulement dans ses conditions de deacutefinition Pour rendre compte du sens du futur Bonomi et Del Prete

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proposent une traduction du futur en lambda-terme qui permet de mesurer la contribution seacutemantique du futur dans lrsquoeacutelaboration compositionnelle du sens de la phrase108

Avant de preacutesenter le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo lui-mecircme (qui est assez complexe) nous allons en preacutesenter lrsquoesprit agrave partir de lrsquoarbre syntaxique hyper-simplifieacute suivant (qui repreacutesente la phrase laquo the coin will land heads raquo)

A partir de cet arbre on peut deacutecrire la forme qursquoaura le lambda-terme correspondant au

verbe laquo will raquo LrsquoAuxP de lrsquoarbre est une fonction qui prend pour argument un moment v fourni par jpres et retourne une formule (le TP) en lambda-terme crsquoest un ϕλv Donc le verbe laquo will raquo (ie ici lrsquoAux) sera une fonction qui prend comme argument le groupe laquo the coin land heads raquo (que Bonomi appelle une temporal property et note P109) et retourne comme argument un ϕλv crsquoest donc un lambda-terme de la forme ϕλλ vΠ

La grande originaliteacute de Bonomi est drsquoapporter une restriction sur ce lambda-terme cette restriction est une condition de deacutefinition ou de bonne formation Le l-terme sera fonctionnellement applicable si et seulement si la condition de laquo settledness raquo est satisfaite (intuitivement si et seulement si le VP est valueacute de la mecircme maniegravere dans toutes les eacuteventualiteacutes encore ouvertes au moment n qui vaut comme circonstance de lrsquoeacutevaluation) Cette condition de laquo settledness raquo deacutependra logiquement de trois choses de la proprieacuteteacute temporelle P consideacutereacutee du moment de lrsquoassertion m (ou plus preacuteciseacutement de lrsquoinstant auquel il appartient mi ) et enfin du faisceau drsquohistoires deacutefini par le moment drsquoeacutevaluation n crsquoest-agrave-dire nH Le lambda-terme correspondant au verbe laquo will raquo sera donc de la forme suivante

( )ϕλλ nvisettledv HΠΠ 108 Bonomi [agrave paraicirctre] p 19 109 ibidem

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Avant de commenter cette condition de restriction qui est le dispositif essentiel de cette solution achevons de deacutefinir rigoureusement les deux eacuteleacutements ( )nvisettled HΠ et ϕ qui ne posent pas de reacuteel problegraveme110

( ) ( )( )[ ] ( )( )[ ]zzihzhzzihzhisettled nnnnDefnv HHHHH ΠandltisinnotexistisinforallorΠandltisinexistisinforall=Π

(soit toutes les histoires de nH instancient P soit aucune ne le veacuterifie) [ ][ ] ( ) ( )( )[ ]zzihzhisettledvwill nnnvcg n HHHH ΠandltisinexistisinforallΠΠ= λλ

(le verbe laquo will raquo stipule que toutes les histoires de nH instancient P) Lrsquooriginaliteacute de cette condition de restriction utiliseacutee dans un lambda-terme est qursquoelle

permet de reacutecupeacuterer au sein drsquoune seacutemantique compositionnelle les reacutesultats de la supervaluation une phrase avec laquo will raquo en effet gracircce agrave cette condition ne sera ni vraie ni fausse si son objet est encore indeacutetermineacute

La seacutemantique de Bonomi satisfait donc agrave la totaliteacute des critegraveres que nous avons deacutefini au cours de ce second chapitre - un langage-objet capable de quantifier sur toutes les entiteacutes pertinentes drsquoun modegravele drsquoarbre (moments instants histoires et faisceaux drsquohistoires) - une version anti-reacutealiste supervaluationniste du futur des langues naturelles - un traitement reacuteellement seacutemantique du futur des langues naturelles

110 Nous opeacuterons ici quelques simplifications par rapport agrave lrsquoarticle de Bonomi par exemple lrsquousage drsquoun ensemble de propositions X permettant de restreindre le faisceau drsquohistoires nH au faisceau plus petit ( )cf n H nrsquoest pas indispensable pour comprendre le principe de cette seacutemantique Par ailleurs nous avons toujours traduit w par nH pour plus de clarteacute car il nrsquoest pas classique de deacutefinir les mondes possibles comme faisceaux drsquohistoires et lrsquousage de w pouvait donc induire des confusions

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Conclusion En partant de lrsquoeacutelaboration par Prior des logiques temporelles nous nous sommes

attacheacutes agrave montrer deux rapports principaux entre temps et modaliteacute un rapport drsquoanalogie et un rapport drsquointeraction et nous avons chercheacute agrave eacutetablir lrsquoheacuteritage de chacune de ces deux perspectives dans la logique ou la seacutemantique contemporaine

Lrsquoanalogie formelle entre le domaine du temps et le domaine du possible nrsquoest plus une nouveauteacute lrsquoune et lrsquoautre logique sont de fait classifieacutees aujourdrsquohui dans la cateacutegorie des logiques laquo modales raquo au sens large (crsquoest-agrave-dire des logiques intensionnelles) Personne ne met en doute aujourdrsquohui le fait que la logique temporelle soit une sorte de logique modale si du moins il existe quelque chose comme la logique temporelle (au sens prioreacuteen de logique des opeacuterateurs temporels) En effet le point de discussion qui susbsiste aujourdrsquohui est la question de savoir si une telle logique temporelle est pertinente ou leacutegitime nous avons tenteacute de montreacute qursquoelle pouvait garder une utiliteacute et que les arguments destineacutes agrave montrer son incoheacuterence fondamentale nrsquoeacutetaient pas deacutecisifs Nous avons ensuite eacutetudieacute la seacutemantique des calculs temporels et modaux crsquoest-agrave-dire la notion de quantification sur les instants et les mondes possibles le point important de cette deuxiegraveme partie crsquoest que lrsquoanalogie entre temps et modaliteacute du point de vue de la seacutemantique passe en fait par le biais drsquoune autre analogie agrave savoir lrsquoanalogie avec la quantification sur les individus Cette triple analogie dont lrsquoinspiration prioreacuteenne est assez claire si lrsquoon pense agrave Worlds Times and Selves a eacutegalement un fort heacuteritage dans les discussions contemporaines En effet le programme de recherche seacutemantique de Philippe Schlenker sur la laquo symmeacutetrie ontologique raquo repose exactement sur le mecircme genre drsquointuitions et de pheacutenomegravenes nous allons revenir sur ce programme dans quelques instants

Auparavant consideacuterons le reacutesultat de notre deuxiegraveme chapitre consacreacute aux logiques de lrsquointeraction entre temps et modaliteacute Nous avons vu qursquohistoriquement la premiegravere interaction formaliseacutee dans la logique du 20egraveme siegravecle fut le principe de pleacutenitude tel qursquoil a eacuteteacute deacutefendu par Diodore Cronos Le principe de pleacutenitude deacutefinit mecircme plus qursquoune laquo interaction raquo entre temps et modaliteacute il opegravere une veacuteritable reacuteduction de la modaliteacute agrave la temporaliteacute En deacutepit de son utiliteacute heuristique chez Prior cette logique manque de plausibiliteacute philosophique ou simplement linguistique et crsquoest pourquoi elle nrsquoa pas connu de posteacuteriteacute Le principe de la neacutecessiteacute historique en revanche a connu une grande posteacuteriteacute Prior a conserveacute lrsquoopposition traditionnelle entre une logique reacutealiste et une logique anti-reacutealiste de la neacutecessiteacute

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historique nous avons vu que chacune des deux avait ses avantages la logique laquo ockhamiste raquo de Prior (reacutealiste) a offert un langage objet suffisamment riche pour deacutecrire de maniegravere satisfaisante un modegravele drsquoarbre tandis que la logique anti-reacutealiste (dans sa version supervaluationniste plutocirct que dans la version laquo peircienne raquo de Prior) offre une meilleure description du langage naturel La seacutemantique compositionnelle de Bonomi nous a sembleacute reacuteunir ces deux avantages dans une seule et mecircme theacuteorie qui preacutesentait en outre le meacuterite drsquoune analyse proprement linguistique du futur des langues naturelles

Pour conclure je souhaite attirer lrsquoattention sur un point de convergence inteacuteressant

entre le programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker (donc lrsquoaspect le plus contemporain de lrsquoeacutetude de lrsquoanalogie) et la seacutemantique de Bonomi (qui repreacutesente lrsquoaspect le plus contemporain pour lrsquoeacutetude de lrsquointeraction) Il y a en effet dans le domaine de la quantification sur les individus un analogue de la condition de laquo settledness raquo que nous avons vue chez Bonomi pour la quantification tempo-modale Cet analogue que Kai von Fintel appelle laquo presupposition of argument homogeneity raquo 111 concerne le problegraveme des deacutefinis pluriels souleveacute par Loumlbner [1985] Consideacuterons un groupe de cinq enfants dont trois jouent et deux ne jouent pas La phrase laquo les enfants jouent raquo est-elle vraie ou fausse Nous avons une certaine intuition que cette phrase nrsquoest ni vraie ni fausse parce qursquoelle viole une preacutesupposition (comme pour tout eacutechec preacutesuppositionnel une telle phrase provoque une perplexiteacute un moment drsquoarrecirct et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo) De la mecircme faccedilon pour la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo nous avons une certaine intuition qursquoelle nrsquoest ni vraie ni fausse qursquoune preacutesupposition a eacuteteacute violeacutee et cela produit une perplexiteacute et eacuteventuellement la reacuteaction laquo attendez cela deacutepend raquo

Dans les deux cas on peut supprimer lrsquoeacutechec preacutesuppositionnel si au lieu de dire laquo les enfants jouent raquo on dit laquo tous les enfants jouent raquo alors la phrase est clairement fausse De mecircme si au lieu de dire laquo il y aura une bataille navale raquo on dit laquo il y aura neacutecessairement une bataille navale raquo alors la phrase est clairement fausse

La preacutesupposition qui a lieu dans les deux cas est tout agrave fait semblable Pour la mettre en eacutevidence utilisons le test de la reacutesistance agrave la neacutegation La situation A ougrave laquo les enfants jouent raquo est vraie et la situation B ougrave laquo les enfants ne jouent pas raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les enfants) est laquo homogegravene raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument laquo jouer raquo Crsquoest donc cela qui est preacutesupposeacute et par conseacutequent si lrsquoon se place dans une

111 Fintel [1992] p 32

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situation ougrave cette condition nrsquoest pas satisfaite la phrase laquo les enfants jouent raquo ne sera ni vraie ni fausse De mecircme la situation C ougrave laquo il y aura une bataille navale raquo est vraie et la situation D ougrave laquo il nrsquoy aura pas de bataille navale raquo est vraie ont quelque chose en commun lrsquoensemble consideacutereacute (les eacuteventualiteacutes ougrave histoires encore ouvertes) sont laquo homogegravenes raquo agrave lrsquoeacutegard de lrsquoargument consideacutereacute (agrave savoir la bataille navale) le fait que la bataille navale soit settled (neacutecessairement ait lieu ou neacutecessairement nrsquoait pas lieu) est donc preacutesupposeacute et non asserteacute par la phrase laquo il y aura une bataille navale raquo et par conseacutequent si lrsquoon ne satisfait pas agrave cette condition la phrase ne sera ni vraie ni fausse

Cette analogie pourrait ecirctre pousseacutee jusqursquoau niveau de lrsquoanalyse compositionnelle de mecircme que Bonomi repreacutesente la condition de settledness comme une condition sans laquelle la fonction AuxP de la forme ϕλv ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument de la forme v pour produire une phrase de mecircme on pourrait consideacuterer que le condition drsquolaquo argument homogeneity raquo est une condition sans laquelle la fonction DP (agrave savoir laquo les enfants raquo qui selon lrsquoanalyse de Montague est de la forme ϕλP est donc de type tte ) ne peut srsquoappliquer correctement agrave un argument VP (agrave savoir laquo jouent raquo qui est de la forme

( )xxPλ et donc de type te ) pour former une phrase Cette analogie tregraves forte entre la preacutesupposition de laquo settledness raquo dans la seacutemantique

tempo-modale de Bonomi et la preacutesupposition drsquolaquoargument homogeneity raquo dans la quantification sur les individus est un argument en faveur du programme de symmeacutetrie ontologique de Schlenker Elle opegravere cependant un leacuteger deacuteplacement par rapport agrave ce programme en effet le programme de Schlenker consiste originellement agrave eacutetudier les analogies entre trois domaines distincts la modaliteacute la temporaliteacute et enfin les individus Dans notre exemple au contraire il y a analogie entre deux domaines agrave savoir le domaine des individus drsquoune part et drsquoautre part lrsquounique domaine laquo tempo-modal raquo ougrave temporaliteacute et modaliteacute sont non plus des analogues lrsquoun de lrsquoautre mais deux eacuteleacutements drsquoun mecircme domaine Il me semble que les recherches linguistiques actuelles sur les diverses cateacutegories du TAME (temps aspect modaliteacute eacutevidentialiteacute) tendent agrave favoriser cette deuxiegraveme version du programme de symmeacutetrie ontologique

Annexes

Annexe 1 Preacutesentation bimodale des systegravemes temporels Systegraveme Nom

usuel logique du futur logique du passeacute Axiomes

Mixtes Proprieacuteteacute de la relation

K )()( GqGpqpG rarrrarrrarr

)()( HqHpqpH rarrrarrrarr - Kt

- GPpprarr HFpprarr

(relations converses)

4 GGpGprarr HHpHprarr transitive Kb

- ( ) ( ) ( ) ( )( )qPpPPqpPqpPPqPp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave gauche

Kl - ( ) ( ) ( ) ( )( )qFpFFqpFqpFFqFp andorandorandrarrand lineacuteaire agrave droite

D FpGprarr PpHprarr seacuteriale Prior

- FFpFprarr PPpPprarr dense

Annexe 2 Les logiques du futur au sein des logiques modales

Explicitation des axiomes de chaque systegraveme K=Kt K K4=Kb K 4 D K D KD4 K D 4 D+dens K D dens Prior K D 4 dens T K T1 S4 K T 42 Kl K 4 lin Prior+lin K D 4 dens lin S4+lin K T 4 lin3 B K T B4 S5 K T E5 1 D et dens sont ici des theacuteoregravemes 2 idem 3 idem 4 idem 5 D B 4 dens et lin sont ici des theacuteoregravemes

Annexe 3 Axiomatique tempo-modale Ockhamiste

Symboles primitifs F P L

Symbole deacutefini Mϕ =df notLnot α

(1) les variables propositionnelles (des deux sortes) sont des FBF (2) Si α et β sont des FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn αFn αL sont des FBF (3) Rien drsquoautre nrsquoest une FBF

Regravegles de formation

(1) les A-variables (ie a b c ) sont des A-FBF (2) Si α et β sont des A-FBF αnot βα rarr βα and αnforall αnexist αPn sont des A-FBF (3) Si α est une FBF αL est une A-FBF (4) Rien drsquoautre nrsquoest une A-FBF

Regravegles de transformation

RF de |- α infeacuterer |- αnF RP de |- α infeacuterer |- αnP N de |- α infeacuterer |- Lα

FC ( ) ( )qFpFqpF nnn rarrrarrrarr FF pFpFF nmnm +rarr FN pFpF nn notharrnot FΠ pnFFpFnF nmnm forallrarrforall

PC ( ) ( )qPpPqpP nnn rarrrarrrarr PP pPpPP nmnm +rarr PN pPpP nn notharrnot PΠ pnPPpPnP nmnm forallrarrforall

FP1 pFpPF nmnm minusrarr pour mgtn FP2 pPpPF mnnm minusrarr pour ngtm FP3 ppPF nn rarr PF1 pPpFP nmnm minusrarr pour mgtn PF2 pFpFP mnnm minusrarr pour ngtm PF3 ppFP nn rarr

K )()( LqLpqpL rarrrarrrarr T pLp rarr E LMpMp rarr

Axiomes

LFΠ pnLFFpLFnF nmnm forallrarrforall

LPΠ pnLPPpLPnP nmnm forallrarrforall LF LpFpLF nn rarr NH Laararr pour a une A-formule

Annexe 4 deux solutions au problegraveme de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective Bonomi vs Mac Farlane

Il est malaiseacute de comparer directement la solution de Bonomi et celle de Mac Farlane dans la mesure ougrave elles utilisent des formalismes et des notations fort diffeacuterentes Le principe fondamental des deux solutions reste neacuteanmoins le mecircme il consiste agrave utiliser deux moments diffeacuterents m et n lors de la valuation lrsquoun eacutetant le moment de lrsquoassertion lrsquoautre le moment de lrsquoeacutevaluation Mais crsquoest dans la maniegravere de faire entrer en jeu ces deux moments dans lrsquoeacutevaluation que les deux traitements diffegraverent

- pour Bonomi les deux moments sont deux laquo informations raquo contenues dans un seul et mecircme contexte

- pour Mac Farlane les deux moment sont fournis par deux contextes diffeacuterents (lrsquoun drsquoassertion UC 1 lrsquoautre drsquoeacutevaluation AC 2) pour la simple raison qursquoun contexte nrsquoest rien drsquoautre qursquoun moment par deacutefinition

Une autre diffeacuterence importante concerne la deacutefinition des mondes possibles - Bonomi comme nous avons vu utilise une conception originale dans laquelle les

laquo mondes possibles raquo sont identifieacutes aux faisceaux drsquohistoires - Mac Farlane garde la conception traditionnelle qui identifie les laquo mondes possibles raquo

aux histoires elles-mecircmes Par conseacutequent quand Bonomi et Mac Farlane tombent drsquoaccord sur le fait que lrsquoindex est un laquo monde possible raquo il est clair que cet accord nrsquoest guegravere plus que verbal

Essayons neacuteanmoins de preacutesenter leurs deux formalismes de maniegravere compareacutee en uniformisant au maximum les notations pour rendre compte de lrsquoeacutevaluation reacutetrospective il faut eacutevaluer une phrase S

Bonomi Mac Farlane agrave un point drsquoeacutevaluation wcg g = une fonction drsquoassignation c = Xnm w = nH [ ][ ] nXnmgS H est vraie ssi S est vraie pour toute nh Hisin

agrave un point drsquoeacutevaluation wCg U en tant qursquoeacutevalueacutee agrave AC g = une fonction drsquoassignation UC = m w = h tel que nh Hisin AC = n [ ][ ] hmgS est vraie en tant qursquoeacutevalueacutee agrave n ssi S est vraie pour toute nmh HH capisin 3

1 context of utterance 2 context of assessment 3 pour arriver agrave cela Mac Farlane passe par la deacutefinition de deux notations diffeacuterentes de la nocirctre ( )CW est lrsquoensemble des laquo mondes raquo (histoires) qui se recoupent au laquo contexte raquo (moment) C Et ( ) ( ) ( )2121 CWCWCCW cap= dans tous les cas ougrave ( ) ( ) necap 21 CWCW Oslash

Crsquoest agrave partir de ces deux laquo deacutefinitions raquo diffeacuterentes mais comparables de la supervaluation qursquoon peut tenter de donner un argument en faveur de lrsquoune ou lrsquoautre solution Il faut remarquer tout drsquoabord qursquoelles sont eacutequivalentes si les deux conditions suivantes sont reacuteunies

- si mltn - si m et n appartiennent agrave au moins une histoire commune

En effet si ces deux conditions sont reacuteunies alors le faisceau des histoires passant par n est inclus dans le faisceau des histoires passant par m mn HH sube et donc nnm HHH =cap

Pour que les deux solutions soient distingables il suffit donc de trouver un cas qui ne satisfait pas lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux conditions crsquoest-agrave-dire

- un cas drsquoeacutevaluation prospective avant deacutetermination de lrsquoeacuteveacutenement (nltm) - un cas drsquoeacutevaluation contrefactuelle (n est contrefactuel pour m) Nous envisagerons seulement le premier cas en repartant du mecircme scheacutema

meacuteteacuteorologique de Mac Farlane

Supposons que nous construisions un prompteur relieacute agrave un baromegravetre infaillible ce prompteur prononce la phrase laquo il fait beau raquo degraves qursquoil fait beau (donc en particulier en m3) et laquo il ne fait pas beau raquo degraves qursquoil ne fait pas beau (donc en particulier en m2) On envisage alors le cas ougrave hrsquo se reacutealiserait dans ce cas il est vrai que le prompteur asserterait laquo il fait beau raquo On se demande ensuite si la phrase qursquoil asserterait dans ce cas est vraie si on lrsquoeacutevalue maintenant A cette question Bonomi et Mac Farlane reacutepondront diffeacuteremment si donc une reacuteponse est plus intuitive que lrsquoautre elle pourra servir drsquoargument

Plus preacuteciseacutement Mac Farlane devrait reacutepondre que cette assertion en tant qursquoeacutevalueacutee dans le contexte m1 est vraie puisqursquoil considegravere lrsquointersection des deux faisceaux drsquohistoires soit 31 hhhhmm =cap=capHH or pour hrsquo tout seul la phrase est vraie Inversement la logique de la solution de Bonomi devrait amener agrave dire que lrsquoassertion que pourrait faire le prompteur en m3 nrsquoest ni vraie ni fausse si on lrsquoeacutevalue agrave m1

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale on peut dire que la solution de Mac Farlane consiste agrave supervaluer la phrase sur le faisceau deacutefini par le moment posteacuterieur tandis que la solution de Bonomi consiste agrave la supervaluer sur le faisceau deacutefini par le moment du contexte drsquoeacutevaluation (qursquoil soit anteacuterieur ou posteacuterieur au moment drsquoassertion)

Or il me semble qursquoil est plus logique a priori que le faisceau pertinent soit celui du moment drsquoeacutevaluation (autrement agrave quoi sert ce moment drsquoeacutevaluation lorsqursquoil est posteacuterieur) et il me semble eacutegalement que lrsquointuition sur lrsquoexemple du prompteur est plutocirct conforme agrave la preacutediction de Bonomi crsquoest-agrave-dire que lrsquoassertion que le prompteur pourrait faire nrsquoa pas encore de valeur de veacuteriteacute

Crsquoest en partie pour cette raison que je nrsquoai preacutesenteacute dans le corps du devoir que la solution de Bonomi et non celle de Mac Farlane (lrsquoautre raison eacutetant les applications que Bonomi propose agrave la seacutemantique compositionnelle des langues naturelles)

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