’ANALYSE LINGUISTIQUE DU NOM PROPRE

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  • UNIVERSIT PARIS OUEST NANTERRE LA DFENSE cole Doctorale 139 Connaissance, Langage, Modlisation

    UNIVERSIT DE POTSDAM

    N attribu par la bibliothque |_|_|_|_|_|_|_|_|_|_|

    THSE pour lobtention du grade de

    DOCTEUR EN SCIENCES DU LANGAGE de lUniversit Paris Ouest et de lUniversit de Potsdam

    prsente et soutenue publiquement le 24 juin 2011 par

    Agathe CORMIER

    RLE DE LNONCIATION DANS LANALYSE LINGUISTIQUE DU NOM PROPRE

    Directeurs :

    M. Jean-Franois JEANDILLOU (Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense)/Mme Gerda HALER

    (Professeur lUniversit de Potsdam)

    Jury : M. Guy ACHARD-BAYLE, Professeur lUniversit de Metz Mme Sybille GROE, Professeur lUniversit de Potsdam Mme Gerda HALER, Professeur lUniversit de Potsdam M. Jean-Franois JEANDILLOU, Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense Mme Catherine SCHNEDECKER, Professeur lUniversit de Strasbourg

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    Laboratoire MoDyCo (Modles, Dynamiques, Corpus) UMR 7114 Universit Paris Ouest Nanterre La Dfense

    Btiment A - Bureau 401B 200, avenue de la Rpublique

    92001 Nanterre Cedex

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    UNIVERSIT PARIS OUEST NANTERRE LA DFENSE

    cole Doctorale 139 Connaissance, Langage, Modlisation

    UNIVERSIT DE POTSDAM

    THSE pour lobtention du grade de

    DOCTEUR EN SCIENCES DU LANGAGE de lUniversit Paris Ouest et de lUniversit de Potsdam

    prsente et soutenue publiquement le 24 juin 2011 par

    Agathe CORMIER

    RLE DE LNONCIATION DANS LANALYSE LINGUISTIQUE DU NOM PROPRE

    Directeurs :

    M. Jean-Franois JEANDILLOU (Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense)/Mme Gerda HALER (Professeur

    lUniversit de Potsdam)

    Jury : M. Guy ACHARD-BAYLE, Professeur lUniversit de Metz Mme Sybille GROE, Professeur lUniversit de Potsdam Mme Gerda HALER, Professeur lUniversit de Potsdam M. Jean-Franois JEANDILLOU, Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense Mme Catherine SCHNEDECKER, Professeur lUniversit de Strasbourg

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    Rsum

    Lobjectif de ce travail est de montrer que lnonciation joue un rle essentiel dans linstitution et linterprtation des noms propres.

    La dfinition du nom propre comme signe linguistique contient, outre le signifiant et le signifi, le rfrent, cest--dire un renvoi lactualisation du signe dans le discours, ce qui explique la marginalit du nom propre dans la linguistique structuraliste ; dautre part, le sens dun nom propre x appel N par S est dfini comme une relation de dnomination entre un individu (x) et un nom propre (N) exprime par un sujet nonciateur (S), qui dpend dun acte de nomination associant tel nom tel individu et initiant ainsi lusage du nom.

    La valeur des variables x, N et S est dtermine pour une occurrence de nom propre donne, en fonction de la situation dnonciation et dun acte de nomination logiquement pralable. La notion linguistique de personne permet prcisment de rendre compte de ce rapport entre rfrent du nom propre et nonciation et du rle du contexte dans linterprtation du nom propre. Elle se rvle notamment indispensable pour lanalyse du nom propre hors phrase qui se caractrise la fois par son indpendance vis--vis du cotexte et par une forte dpendance au contexte non verbal. La comparaison des noms propres avec les embrayeurs et dictiques, traditionnellement dfinis comme impliquant un renvoi la situation dnonciation, conduit galement considrer que linterprtation dun nom propre est entirement dtermine par le contexte et en particulier par lidentit des personnes de lnonciation. Mots cls : nom propre, dnomination, nomination, personne, nom propre hors phrase, nom propre autonome

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    Abstract

    The purpose of this work is to show that acts of utterance play an important role in the institution and the interpretation of proper names.

    The definition of proper names as signs contains, in addition to the signifiant and the signifi, the referent, that is to say a reference to the actualization of the sign in discourse. That is why proper names are on the margins of structuralist linguistics. Moreover, the meaning of a proper name x named N by S is defined as a denominative relation between an individual (x) and a proper name (N) expressed by an utterer (S), depending on an act of naming which associates a name with an individual and initiates the use of this name.

    The value of the variables x, N and S is defined for a given occurrence of a proper name according to the situation of utterance and to a logically prior act of naming. The linguistic notion of person precisely allows to account for this relation between the referent of the proper name and the act of utterance and for the role of the context in the interpretation of the proper name. This notion appears to be essential for analysing out of sentence proper names which are linguistic context-free but extralinguistic context-dependent. The comparison between proper names and shifters and indexicals, which are traditionally defined as involving a reference to the speech situation, leads also to consider that the interpretation of a proper name is entirely determined by the context and especially by the identity of the enunciative persons. Keywords: proper name, appellation, naming, person, out of sentence proper name, autonomous proper name

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    Remerciements

    Je remercie vivement Jean-Franois Jeandillou pour son soutien dtermin, ses conseils aviss et sa disponibilit tout au long des tapes de ce travail, et je lui sais gr davoir inspir le thme de ma recherche. Cest en effet au cours de son sminaire de Master que jai dcouvert, la faveur dune analyse de quelques extraits de la Petite histoire de la musique de Georges Perec, la complexit du fonctionnement discursif du nom propre, et que mest apparu lintrt dune tude de ce type de signes dont le caractre paradoxal vides de sens mais porteurs de multiples significations ne manqua pas de piquer ma curiosit.

    Je remercie galement Gerda Haler de mavoir accepte en cotutelle alors que ma thse tait dj entame, de mavoir aimablement accueillie lUniversit de Potsdam et de mavoir suivie et accompagne jusqu la ralisation finale de ce travail.

    Je remercie chaleureusement mes parents, Nina Kousnetzoff et Bernard Cormier, qui ont consacr beaucoup de leur temps lire ma thse et en discuter avec moi ; sans leur soutien matriel mais surtout moral et intellectuel et leurs encouragements ce travail naurait pu voir le jour.

    Je remercie enfin mon ami, Alexandre Lvy, qui ma activement soutenue toutes ces annes et dont la prsence mes cts ma donn tout le courage dont javais besoin pour raliser ce projet.

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    TABLE DES MATIRES

    INTRODUCTION............................................................................................ 17PREMIRE PARTIENOM PROPRE ET DNOMINATION .......................................................... 37CHAPITRE 1LE NOM PROPRE EN MARGE DE LA LINGUISTIQUE .........................................391.1. Exclu du systme ..................................................................................401.2. Exclu du Cours de linguistique gnrale..............................................45

    1.2.1. Dfinition du nom propre en ngatif ..............................................451.2.1.1. Un mot isol ............................................................................461.2.1.2. Un mot indcomposable en morphmes..................................471.2.1.3. Un mot insoumis lanalogie..................................................50

    1.2.2. Entre signe, rfrent et langue : statut linguistique du nom propre .......................................................................................................51

    1.2.2.1. Le nom propre exclu de la langue ...........................................521.2.2.2. Le rfrent exclu de la dfinition du signe linguistique ..........531.2.2.3. La rfrence a lieu dans la parole ............................................541.2.2.4. Le nom propre comme unit du discours ................................55

    1.2.3. Stabilit du signifi et troisime lment dans la dfinition du nom propre ...............................................................................................57

    CHAPITRE 2SENS DNOMINATIF DU NOM PROPRE............................................................632.1. Le nom propre signifie son propre autonyme (Rey-Debove) ...............66

    2.1.1. Ressemblance et parent entre nom propre et autonyme ...............662.1.2. Signifi minimal du nom propre ....................................................672.1.3. Contenu dnotatif et contenu connotatif du nom propre................68

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    2.1.4. Statut de N dans la dfinition du contenu connotatifdu nom propre ....................................................................................................... 69

    2.2. Le nom propre est un prdicat de dnomination (Kleiber) .................. 712.2.1. La spcificit du nom propre nest pas syntaxique........................ 712.2.2. La rfrence du nom propre dpend de son sens ........................... 732.2.3. Le sens du nom propre : tre appel /N/(x) .................................... 74

    2.3. Connotation autonymique contre prdicat de dnomination................ 742.3.1. Statut du signifi et statut de N dans la dfinitiondu nom propre . 752.3.2. Reprsentation smantique du nom propre : structure de la connotation autonymique......................................................................... 77

    2.3.2.1. Le nom propre a le statut dun mot inconnu ........................... 772.3.2.2. Formule de la connotation autonymique................................. 78

    2.3.3. Statut de N dans le prdicat de dnomination ................................ 802.3.3.1. Prdicat nominal descriptif et prdicat nominal dnominatif . 802.3.3.2. N nest pas un nom propre....................................................... 83

    2.3.4. Dnomination mondaine et dnomination mtalinguistique ......... 872.3.4.1. Ambigut des prdicats de dnomination .............................. 882.3.4.2. Type de SN complment dun prdicat de dnomination ........ 892.3.4.3. Prsupposition de nomination pralable ................................. 902.3.4.4. Parallle entre sappeler et dsigner ....................................... 922.3.4.5. Distribution du terme nom ...................................................... 942.3.4.6. Application dexpressions mtalinguistiques au nom propre . 95

    2.3.5. Retour sur le statut de N ................................................................. 97CHAPITRE 3NOMINATION ET DNOMINATION ............................................................... 1013.1. Dfinition des termes.......................................................................... 102

    3.1.1. Dans les dictionnaires de langue.................................................. 1033.1.1.1. Nomination et dnomination................................................. 1043.1.1.2. Nommer et dnommer........................................................... 106

    3.1.2. Dans le mtalangage de la linguistique........................................ 1073.1.2.1. Modalits de dnomination ................................................... 108

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    3.1.2.2. Units dnominatives ............................................................1103.2. La nomination .....................................................................................112

    3.2.1. Nomination didactique et nomination performative ....................1123.2.2. Les formes de la nomination ........................................................1143.2.3. La nomination performative.........................................................116

    3.3. Les verbes de (d)nomination.............................................................1183.3.1. Nommer et appeler sont-ils des verbes performatifs ?.................118

    3.3.1.1. Nommer et appeler ................................................................1193.3.1.2. Critre de la personne du (sujet du) verbe.............................1213.3.1.3. Deux constructions diffrentes ..............................................1233.3.1.4. Verbes performatifs de nomination .......................................125

    3.3.2. Se nommer et sappeler : manipulations ......................................1283.3.2.1. La fonction de nomination ..............................................1283.3.2.2. Changement de personne.......................................................1303.3.2.3. Changement de catgorie grammaticale................................1303.3.2.4. Changement de temps............................................................132

    3.3.3. Sappeler/se nommer et appeler/nommer : une diffrence daspect ?................................................................................................1363.3.4. Dautres manires de nommer .....................................................139

    3.3.4.1. Nommer sans phrase..............................................................1393.3.4.2. Fonctions narratives et nonciatives du nom propre en tiquette dans la rencontre entre Bouvard et Pcuchet......................................142

    CHAPITRE 4STATUT LANGAGIER DU NOM PROPRE.........................................................1474.1. Le nom propre appartient un code social .........................................1484.2. Position marginale du nom propre dans la structuration smantique dune langue...............................................................................................1504.3. Intraduisibilit et caractre translinguistiquedu nom propre .............151

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    DEUXIME PARTIEAUX ORIGINES PHILSOPHIQUESDU SENS DNOMINATIFDES NOMS PROPRES :LA THORIE KRIPKENNEDES CHANES CAUSALES ...................... 157CHAPITRE 5PRMISSES DE LA CRITIQUE KRIPKENNE................................................... 1615.1. Conceptions descriptivistes du nom propre........................................ 161

    5.1.1. Le nom propre dans une perspective philosophique.................... 1635.1.2. Le nom propre est non-connotatif................................................ 1655.1.3. Sens descriptif des noms propres................................................. 1665.1.4. Le nom propre comme abrviation dune description dfinie ..... 1695.1.5. Contenu Intentionnel et prsuppositions descriptives associes au nom propre............................................................................................. 171

    5.2. La thorie des noms propres de Wittgenstein............................... 1745.2.1. Le langage ne consiste pas en dnominations dobjets................ 1765.2.2. Quest-ce que la dnomination ? ................................................. 178

    5.2.2.1. La fonction primitive des mots ?........................................... 1785.2.2.2. Les mots ont une multitude de fonctions .............................. 1795.2.2.3. La dnomination comme prparation lemploi des noms .. 182

    5.2.3. Quest-ce quun nom ?................................................................. 1845.2.3.1. Une tiquette sur une chose................................................... 1845.2.3.2. Relation entre le nom et ce quil dnomme .......................... 1865.2.3.3. Dfinition ostensive des noms .............................................. 1875.2.3.4. Signification, porteur et existence du nom............................ 1895.2.3.5. Justification, explication ou dfinition de lemploi dun nom..................................................................................................... 194

    5.2.4. Le nom propre dans les Recherches ............................................ 1965.2.4.1. Emploi du nom propre en prsence ou en labsence du porteur ................................................................................................ 1965.2.4.2. Nom propre et description..................................................... 1975.2.4.3. Ce qui correspond au nom et ce que nomme le nom ............ 204

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    CHAPITRE 6LE NOM PROPRE COMME DSIGNATEUR RIGIDE ..........................................2076.1. Relation entre noms et descriptions ....................................................208

    6.1.1. La thorie causale de Kripke : une thorie critique......................2096.1.2. La conception descriptiviste comme thorie du sens...................2116.1.3. La conception descriptiviste comme thorie de la rfrence .......214

    6.2. Nomination et chanes causales ..........................................................2176.2.1. Vacuit smantique du nom propre..............................................2176.2.2. La thse du dsignateur rigide......................................................218

    6.2.2.1. Convention ............................................................................2196.2.2.2. Usage .....................................................................................220

    6.2.3. Identification du rfrent et identification du nom propre ...........222TROISIME PARTIERLE DU CONTEXTEDANS LINTERPRTATION DU NOM PROPRE........................................................................................ 227CHAPITRE 7LA PERSONNE DU NOM PROPRE :COMPARAISON ENTRE NOM PROPRE ET PRONOMS PERSONNELS...............................................................................2317.1. Comparaison entre antonyme et anthroponyme............................232

    7.1.1. Homologie fonctionnelle..............................................................2327.1.2. Asymtrie entre les deux catgories.............................................2347.1.3. Question de la personne du nom propre.......................................2367.1.4. Identit sociale et identit nonciative .........................................238

    7.2. La notion de personne.........................................................................2417.2.1. Marquage formel de la personne..................................................2437.2.2. Expression de la personne dans des langues sans pronoms ni indices personnels ..................................................................................2447.2.3. Dfinitions de la personne............................................................2477.2.4. Rapports entre personne grammaticale et personne de lnonciation...........................................................................................249

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    7.2.5. Conclusion ................................................................................... 2517.3. Pertinence de lapplication de la notion de personne au nom propre. 252

    7.3.1. La personne du nom propre ......................................................... 2547.3.2. Analyse des noms propres dans la scne 1 de la premire partie de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce........................................... 256

    7.3.2.1. Le nom propre dans la phrase ............................................... 257Sujet ou COD du verbe .................................................................... 257Attribut du sujet ou complment dun prsentatif .......................... 259Apposition ...................................................................................... 261

    7.3.2.2. Le nom propre hors phrase.................................................... 263Apostrophe...................................................................................... 263Nom propre autonome .................................................................... 266

    7.3.2.3. Une troisime personne de lnonciation : le tiers exclu ...... 2697.3.2.4. Rle du contexte dans linterprtation du nom propre.......... 271

    Diffrents niveaux de contexte ....................................................... 271La personne du nom propre ............................................................ 273Conclusion ...................................................................................... 275

    7.4. Une approche discursive du nom propre ............................................ 2757.4.1. Comparaison entre nom propre et embrayeurs ............................ 275

    7.4.1.1. Signification des embrayeurs indexe sur le contexte .......... 2767.4.1.2. Signification dpendante ou indpendante du contexte ........ 2777.4.1.3. Identification subjective ou objective ................................... 277

    7.4.2. Vers une dfinition pragmatique du nom propre ......................... 2787.4.2.1. Le contenu smantique du nom propre dpend de lnonciation....................................................................................... 2807.4.2.2. Signification gnrale et rfrence........................................ 2817.4.2.3. Signification gnrale et significations contextuelles ........... 2837.4.2.4. Signification vocative et incompatibilit avec la premire personne ............................................................................................. 284

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    CHAPITRE 8RAPPORTS ENTRE NOM PROPRE ET DEIXIS ..................................................2878.1. Nom propre et deixis...........................................................................288

    8.1.1. Le nom propre relve-t-il de la deixis ? .......................................2888.1.2. Comparaison entre noms propres et dictiques............................292

    8.1.2.1. Noms propres de la parole et noms propres de la langue ......2938.1.2.2. Nom propre, deixis et embrayage..........................................294

    Dfinitions.......................................................................................294Noms propres et embrayeurs ..........................................................298Noms propres et dmonstratifs .......................................................301Opposition entre noms propres et dictiques :le rapport au contexte situationnel......................................................................................303

    8.1.2.3. Commentaire .........................................................................304Stabilit et variation systmatique de la rfrence..........................305Possibilit rfrentielle hors nonciation ........................................307Prsence et absence du rfrent ......................................................311

    8.2. Caractre dictique du nom propre.....................................................3188.2.1. Rfrence indexe sur le contexte................................................318

    8.2.1.1. Sens dnominatif instructionnel du nom propre....................3188.2.1.2. Rfrence fixe par le contexte .............................................322

    8.2.2. Type de rfrence du nom propre ................................................3268.2.2.1. Trois types de rfrence.........................................................3268.2.2.2. Spcificit de la rfrence du nom propre .............................329

    8.2.3. Rle du contexte dans linterprtation du nom propre.................3318.2.3.1. Catgorie du nom propre .......................................................3318.2.3.2. Lapostrophe : un emploi dfinitoire ? ..................................3338.2.3.3. Rle du contexte dans la dsambigusation du nom propre ..3348.2.3.4. Rle du contexte au-del de lambigut ...............................334

    Considrer le nom propre hors contexte ...................................335La rfrence du nom propre dpend du contexte............................337

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    CONCLUSION .......................................................................................... 341ANNEXEJean-Luc LAGARCE, 1999, Juste la fin du monde, Premire partie, Scne 1....................................................................................................... 361BIBLIOGRAPHIE...................................................................................... 367INDEX DES NOTIONS ............................................................................. 381INDEX DES AUTEURS ............................................................................ 385 Erklrung ................................................................................................... 389 Zusammenfassung ..................................................................................... 391

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    INTRODUCTION

    Les rflexions linguistiques sur le nom propre nourrissent depuis une trentaine dannes une littrature prolifre ; quil sagisse dtudier sa syntaxe, sa smantique, son statut linguistique ou son fonctionnement discursif, les articles et ouvrages sur le nom propre fleurissent comme les primevres lapproche du printemps. Durant lhiver, dcrt par la sentence dexclusion du nom propre de la langue quaurait prononce le Cours de linguistique gnrale, la philosophie a plant les jalons de la description du nom propre comme terme singulier, notamment pour conclure sa vacuit smantique. Et lorsque le nom propre retrouva grce ses yeux, cest principalement par ces deux angles rfrence dfinie unique et absence de sens que la linguistique reprit possession dun objet qui, pour appartenir au langage, savre galement tre lgitimement le sien. Les conclusions des philosophes ne sont alors pas toutes mettre en cause, et certaines thses logiques sont importes en linguistique, telles quelles ou moyennant quelques amnagements, pour tre entrines et compltes par lanalyse formelle.

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    Mais laveuglement ontologique et pistmologique des philosophes leur avait cach la richesse linguistique du nom propre : si dans ses emplois prototypiques le nom propre rfre directement un individu unique, il connat une multitude dautres emplois modifis inaperus de lapproche traditionnelle, quelle soit philosophique, dailleurs, ou grammaticale. Or le nom propre modifi ne fonctionne plus comme un terme singulier mais plutt comme un prdicat cette opposition distingue par exemple Napolon conquit toute lEurope de Cest un petit Napolon et ne saurait, de ce fait, tre dcrit comme vide de sens. La linguistique trouve ainsi dans lanalyse syntaxique et smantique un moyen de reconqurir le nom propre en renouvelant et en actualisant les thories grammaticales, logiques et philosophiques du nom propre. Entre la description de ses fonctions prototypiques et celle de ses emplois modifis , il semble que philosophie et linguistique aient fait le tour du nom propre. Pourquoi, alors, sintresser encore au nom propre, et en particulier au nom propre prototypique non modifi dont la description semble avoir t amplement circonscrite par les philosophes avant dtre puise par les linguistes ?

    Le statut linguistique particulier du nom propre est li sa fonction dunit dnominative et au rle que joue, dans son fonctionnement discursif, lacte de nomination qui associe une forme linguistique un segment dtermin de la ralit extralinguistique. Notre premire partie portera donc sur le rapport entre le nom propre et la dnomination. Nous examinerons, dans le Chapitre 1, en quels termes sexprime le statut linguistique du nom propre chez Saussure, notamment dans le Cours de linguistique gnrale la surface duquel affleure, malgr son relatif silence sur le sujet, une dfinition en ngatif, selon laquelle la valeur du nom propre dpend moins des rapports internes quil entretient avec les autres signes du systme que du rapport externe, propre lexercice de la langue dans la parole, quil entretient avec un rfrent dtermin. Le sens du nom propre apparat ainsi comme essentiellement li son actualisation dans le discours. Nous prsenterons donc, dans le Chapitre 2, la thorie du sens

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    dnominatif du nom propre telle quelle a t suggre par Rey-Debove et dveloppe par Kleiber, qui, en incluant le nom propre lui-mme dans sa reprsentation smantique, nous semble fournir une description pertinente du sens lexical du nom propre. Cette dfinition du sens du nom propre insiste sur le rle central de la nomination et de la dnomination : lutilisation du nom propre dpend dun acte de nomination pralable qui associe le nom propre un individu particulier, mais aussi des noncs appellatifs qui enseignent et actualisent ce lien dnominatif. Nous tenterons donc, dans le Chapitre 3, de dfinir les notions de nomination et dnomination, nous observerons leur expression dans des noncs impliquant les verbes appeler et nommer ce qui nous conduira nous interroger sur la valeur performative de ces verbes et sur leur opposition aux verbes pronominaux correspondants sappeler et se nommer et nous verrons que la nomination peut galement avoir lieu de manire informelle, sans verbe dnominatif et mme sans phrase.

    Nous aborderons cette occasion lanalyse du nom propre hors phrase, qui ne semble pas jusque-l avoir retenu lattention quil mritait. Les linguistes ont eu en effet tendance, pour rhabiliter le nom propre comme forme digne de lanalyse linguistique, montrer et tudier ltendue de la diversit des combinaisons syntaxiques dans lesquelles il est susceptible dtre actualis. Lanalyse syntaxique, en rvlant les critres formels qui caractrisent le fonctionnement du nom propre en discours, se prsente comme un moyen de battre en brche la dfinition classique dun nom propre utilis nu , sans dterminant, employ typiquement comme sujet ou complment dun verbe, dont la fonction principale serait de rfrer un individu unique. Cest notamment travers lanalyse du comportement du nom propre avec les dterminants qua merg la distinction entre nom propre modifi , cest--dire articul un dterminant qui entrane certains effets smantiques, et nom propre non modifi . Lintrt marqu pour le comportement syntaxique du nom propre et les effets de sens qui lui sont corrls a ainsi conduit ngliger ses emplois hors phrase,

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    rduits gnralement lapostrophe, dont lexamen se limite dordinaire au constat de ses fonctions conative et phatique.

    Un emploi original quoique trs courant est donc rest inexplor : celui du nom propre autonome, que lon prononce sans autre crmonie pour se prsenter ou pour prsenter un tiers, que lon tiquette sur sa bote aux lettres, qui se lit sur la tranche dun livre ou encore sur une pierre tombale, etc. Pour prendre le contre-pied de lapproche philosophique, qui a tendance considrer le nom propre indpendamment de son actualisation dans le discours, les analyses linguistiques se sont de plus appliques rendre compte du fonctionnement du nom propre dans les textes littrature, discours journalistique ou politique, etc. cest--dire globalement dans le discours crit. Les emplois du nom propre hors phrase prsentent une grande varit qui se laisse globalement rpartir en deux types : lapostrophe et le nom propre autonome. Lemploi du nom propre en apostrophe est exclusivement oral 1 et acquiert diffrentes valeurs selon la modulation prosodique de lnonc. Le nom propre autonome se ralise galement loral citons, titre dexemple, le nom que prononce un animateur pour prsenter linvit de son mission de radio ou pour introduire ses propos mais aussi lcrit : outre la bote aux lettres, la tranche dun livre ou la pierre tombale on peut citer lexemple du nom inscrit sur le maillot dun sportif, ou sur ltiquette dun vtement, ou encore sur le badge dun vendeur dans un magasin ou dun participant un colloque, le nom des personnages de thtre dans les didascalies, etc. Bien qucrits, ces emplois ne semblent pas avoir t spcialement remarqus par les linguistes, peut-tre parce quils se trouvent moins dans les textes qu leur seuil (voir Genette, 1987).

    Pour notre part, nous nous concentrerons surtout sur les emplois oraux du nom propre hors phrase, laissant ainsi de ct un vaste champ

    1 La formule dadresse qui amorce une lettre et qui outre les classiques Cher Pierre

    ou Mon cher Pierre, peut se rduire un sommaire Pierre vient toutefois nuancer cette affirmation. Mais cet emploi du nom propre en apostrophe lcrit semble se limiter au discours pistolaire et peut tre dcrit comme un trait doralit de ce genre.

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    dinvestigations dont les quelques illustrations cites ci-dessus donnent un chantillon. Notre objectif est de soulever le problme des rapports entre nom propre et nonciation. Et lanalyse des emplois en particulier oraux du nom propre hors phrase apparat comme un moyen den poser les termes. Mais nous navons pas cherch rendre compte de lexhaustivit des emplois du nom propre hors phrase. Notre corpus se compose donc essentiellement dun extrait dune pice de thtre qui ralise suffisamment demplois hors phrase du nom propre pour constituer une base dobservation solide. Nous convoquons par ailleurs, pour tayer nos arguments, quelques exemples emblmatiques recueillis au gr de notre exprience quotidienne du langage.

    Les donnes que nous traiterons ne sont donc pas toutes attestes, et la spontanit imprvisible de certaines tournures les condamne mme peut-tre chapper toute attestation. Toujours est-il que la majorit de nos exemples reprsentent des possibilits dnoncs, cest--dire quil est possible dimaginer les conditions dans lesquelles ils pourraient tre effectivement raliss. Les autres exemples, inattestables, reprsentent quant eux des noncs impossibles, quils soient agrammaticaux ou smantiquement caducs. Lanalyse des formes linguistiques consiste en effet dmler les facteurs en cause dans lacceptabilit ou linacceptabilit des squences (voir Culioli, 1987 : 18), ce qui implique de manipuler ces squences pour identifier le rle des diffrents facteurs en cause dans leur interprtation. Par exemple, pour examiner si et sous quelles conditions les verbes appeler et nommer peuvent tre dcrits comme des verbes performatifs nous avons, partir dune squence initiale, fait varier la nature du complment du verbe, le verbe lui-mme, la personne du pronom sujet, le temps verbal, etc. Nous avons ainsi produit, parfois, des squences agrammaticales. Parfois aussi, la squence produite aura t rejete comme inacceptable cause dune incongruit smantique. Et si la signification dune squence grammaticale peut paratre inadquate au contexte stipul, cest que le contexte fait intgralement partie de la donne analyse : il est donc manipulable au mme titre que les caractres formels

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    de la squence et influe sur la recevabilit de cette squence. Ici apparaissent la fois limportance fondamentale du contexte dans linterprtation et le caractre construit du contexte dans lanalyse des donnes linguistiques. Le contexte dune squence grammaticale est dj contenu dans la squence elle-mme puisquil constitue la possibilit de ralisation de cette squence dans le discours. Soit la squence Pierre Dupont ; la diversit de ses emplois possibles se mesure la varit des contextes de ralisation possibles, et donner une caractrisation syntaxique de cette squence suppose dj dimaginer un contexte de ralisation : prononce ladresse de quelquun qui porte ce nom il pourra sagir dune apostrophe, prononce par quelquun qui porte ce nom il pourra sagir du nom propre autonome utilis pour se prsenter, etc.

    En nous penchant sur le rle de la nomination et de la dnomination dans le fonctionnement discursif du nom propre et en nous intressant tout particulirement au fonctionnement du nom propre hors phrase, nous concentrerons, par la force des choses, notre analyse sur le nom propre anthroponymique, autrement dit sur le nom de personne. Il se trouve, dune part, que les personnes humaines sont les tres le plus systmatiquement nomms. Dautre part, les emplois hors phrase oraux du nom propre ne semblent concerner exclusivement que les noms de personnes : cest le cas de lapostrophe mais aussi du nom propre autonome employ dans une conversation pour prsenter un tiers ou pour se prsenter soi-mme. Enfin, si tous les noms propres figurent volontiers dans des noncs exprimant le lien de dnomination qui les associe une entit individuelle, seuls les anthroponymes peuvent figurer dans de tels noncs la premire personne.

    La question de la relation dnominative qui associe un nom propre une entit individuelle est intimement lie la question de lidentit. Le nom propre est gnralement dfini comme une marque didentification sociale permettant de dsigner de manire constante le mme individu. Dans le discours, il fonctionne comme une marque didentit de lindividu : il en permet lidentification, mais il permet aussi que lindividu en question puisse tre reconnu comme tant le mme au cours de son volution

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    discursive (Achard-Bayle, 2001 : 15, lauteur souligne). Autrement dit, il instancie un rapport particulier entre identit linguistique et identit ontologique. Le nom propre est la marque dune identit personnelle, mais transcendante : mon nom de famille mest transmis par filiation, mon prnom mest donn par mes parents, mes surnoms me sont attribus par mes amis, et je ne suis Pierre Dupont, par exemple, que dans le discours dautrui ; si je mappelle effectivement Pierre Dupont, seul autrui mappelle Pierre Dupont. Le nom de personne est de plus la marque dune identit collective : le patronyme indique lappartenance une famille, mais le prnom et le nom de famille appartiennent aussi dun point de vue onomastique 2 une langue donne, et de marque didentit le nom de personne devient un moyen de discrimination, parfois redoutable. Mais si le nom propre est une marque didentit objective de la personne, il contribue galement marquer la continuit de son identit subjective : par opposition lembrayeur moi qui, bien qutant mon nom propre de locuteur (Benveniste, 1965b : 200), est repris par tout sujet parlant son propre compte, lanthroponyme, abstraction faite des problmes dhomonymie, est la marque de ma propre identit singulire dans le discours. Mais cette identit est transcendante la personne, par opposition lidentit subjective et nonciative que constitue lnonciation de moi (voir Benveniste, 1958). Identit objective et identit subjective se rejoignent cependant dans certains emplois exclusifs de lanthroponyme, en particulier dans ceux o il exerce peu ou prou une fonction de nomination (Jonasson, 1994 : 69), par exemple dans Je mappelle Pierre Dupont mais aussi dans Je suis Pierre Dupont. Si lacte de nomination initial qui attribue un nom propre une personne est gnralement transcendant, les noncs

    2 Lanalyse morphologique dun nom propre mene dans une perspective tymologique

    rvle en effet de quelle langue ce nom propre est issu et, partant, do il vient. Nous laisserons de ct le point de vue de lonomastique qui se prsente pourtant comme la science du nom propre car il privilgie gnralement une approche historique ou gographique des noms propres, tandis que nous nous intressons aux rapports entre nom propre et nonciation. Pour une prsentation dtaille de lhistoire et de lactualit de lonomastique, voir le manuel dit par Eichler et al. (1995).

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    appellatifs qui associent ultrieurement le nom propre cette personne peuvent tre prononcs par la personne elle-mme, qui entrine ainsi, et tablit tout la fois, la relation entre son identit objective de personne sociale et son identit subjective de sujet parlant.

    Le nom propre nest pas seulement une unit linguistique, cest aussi la marque de lidentit dune entit individuelle, et ce statut smiotique particulier explique notamment que le nom propre, appartenant davantage un code social qu un code linguistique, nappartient pas une langue particulire et circule librement de lune lautre, ce que nous verrons dans le Chapitre 4.

    Ce statut smiotique particulier du nom propre explique aussi que le linguiste qui sy intresse se trouve rgulirement confront aux problmes ontologiques que la question des types dentits nommes pose invitablement. Le linguiste prfre souvent dlguer lexpertise de ces questions aux autorits philosophiques comptentes, et espre pouvoir faire abstraction du problme ontologique pour se concentrer sur la description linguistique. Mais [p]our comprendre le fonctionnement linguistique du

    nom propre, il faut accepter daffronter les problmes ontologiques auxquels entrane la comprhension de son fonctionnement (Siblot, 1997 : 45). De plus, un linguiste qui sintresse au sens et la rfrence des units linguistiques qui se mle de smantique et de pragmatique adopte, quil le veuille ou non, un positionnement philosophique qui fonde son approche du langage : embrasse-t-il une vision mentaliste ou lui prfre-t-il une conception constructiviste ? le langage est-il pour lui fondamentalement un moyen dexprimer ses penses et de reprsenter le monde extralinguistique, ou plutt une forme daction sur la ralit ? aborde-t-il la question du rapport entre langage, pense et monde en distinguant trois entits distinctes ou en envisageant une continuit inextricable entre trois aspects de la ralit que seul le langage permet de dissocier ? Toutes ces questions pistmologiques affleurent au cours de la description linguistique et le linguiste y rpond, explicitement ou implicitement, travers sa pratique de lanalyse linguistique.

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    Nous rendrons donc compte, dans notre deuxime partie, de la thorie du nom propre de Kripke qui, parce quelle place les notions de convention, dusage et didentit au cur de sa conception du fonctionnement du nom propre dans le discours, nous semble poser les principes pistmologiques sur lesquels repose la thse du sens dnominatif du nom propre. La thorie de Kripke tant essentiellement critique, nous commencerons par prsenter, dans le Chapitre 5, les diffrentes thories sur lesquelles il sappuie ou auxquelles il oppose ses objections. Puis nous prsenterons, dans le Chapitre 6, la dfinition du nom propre comme dsignateur rigide en montrant comment Kripke, partir dune critique du descriptivisme visant dissocier le problme de la rfrence du nom propre du problme de lidentit du particulier nomm, place les notions de nomination, de chanes de communication et dusage au centre de sa description du fonctionnement rfrentiel du nom propre.

    La particularit smiotique du nom propre rside dans le fait que sa rfrence une entit individuelle dtermine est inscrite dans son sens, ce qui dcoule du fait dont rend compte la thse du sens dnominatif que le nom propre est constitutif de lidentit individuelle du particulier nomm. Le nom propre est fondamentalement un dsignateur rigide, et cette proprit est due son usage, ses diffrentes actualisations dans le discours, qui fixent, actualisent et prennisent le lien entre ce nom et un individu particulier. Une telle reprsentation du sens et de la rfrence du nom propre conduit sintresser au rle du contexte dans son interprtation, la discussion duquel nous consacrerons notre troisime partie. Nous commencerons, dans le Chapitre 7, par comparer les noms propres de personnes aux pronoms personnels, dont le sens et la rfrence sont indexs sur la situation de lnonciation. Cette comparaison nous conduira interroger la pertinence de lapplication de la notion de personne la description du fonctionnement discursif du nom propre. Il apparatra ainsi que lattribution de la personne au nom propre permet de rendre compte du rle du contexte dans linterprtation du nom propre, notamment dans ses emplois hors phrase, dont la caractrisation syntaxique mme

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    implique la prise en compte du contexte et de la personne du nom : la squence Pierre, par exemple, peut tre une apostrophe, une apposition ou un nom propre autonome, seule la prise en compte des paramtres de la situation de lnonciation permet de distinguer ces diffrents types demplois. Il apparatra cette occasion que le sens du nom propre est, comme celui des embrayeurs et autres units dictiques, instructionnel ; nous examinerons donc, dans le dernier chapitre (Chapitre 8), si le nom propre peut tre dcrit comme ayant un fonctionnement dictique, dans la mesure o sa signification et sa rfrence semblent intgralement dpendre du contexte dans lequel il est actualis.

    La question de la prise en compte du contexte dans lanalyse des formes pose galement le problme de la place accorder lextralinguistique dans lanalyse linguistique. La premire difficult, face cette question, est de dlimiter la frontire entre ce qui appartient et ce qui nappartient pas au langage. Le problme se pose en particulier pour certaines expressions dictiques dont la saturation rfrentielle implique que le locuteur accompagne lnonciation dune telle expression dun geste qui en indique le rfrent, quil sagisse de la direction du regard, dun hochement de tte ou dun mouvement du doigt ou du menton. Dans certains contextes, lemploi dun pronom ou dun dterminant dmonstratif, par exemple, est accompagn dun geste qui montre le rfrent vis. De mme, lemploi du nom propre autonome pour prsenter un tiers saccompagne dun geste en direction de la personne vise. Le geste apparat ainsi comme un support ncessaire la rfrence : faut-il alors le considrer comme un lment linguistique conventionnel, cod (Jakobson, 1960 : 215), qui fait partie intgrante de lnonc et vhicule une information au mme titre que la forme de lnonc ou la prosodie ?

    La deuxime difficult est de dterminer en quels termes dcrire la relation de dnomination qui unit un nom propre un particulier et qui semble sous-tendre le comportement du nom propre dans le discours. Jonasson propose par exemple de dfinir la relation de dnomination comme un lien associatif fix durablement dans la mmoire long terme

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    entre un nom propre et un individu dtermin. Elle explique ainsi la vritable raison dtre (1994 : 15) du nom propre par sa fonction cognitive fondamentale qui est de nommer, daffirmer et de maintenir une individualit (1994 : 17). Un Npr ne se contentera pas de dsigner un particulier dans lacte communicatif, mais sera associ ce particulier par un lien plus stable, subsistant en dehors de tout acte communicatif entrepris (1994 : 19). Pour Jonasson le lien dnominatif est [donc]

    associatif et non rfrentiel et se place dans la mmoire stable et pas seulement dans la communication (1994 : 19). Lhypothse dun lien associatif durable en mmoire stable est permise par le fait quen dehors des problmes dhomonymie ventuelle entre plusieurs individus, au sein dun groupe de locuteurs donn un mme nom propre est gnralement associ au mme individu, cest--dire que ce nom propre est rgulirement employ pour rfrer cet individu. Le lien dnominatif peut tre considr comme mmoris dans la mesure o son actualisation rgulire dans le discours en manifeste le souvenir ; mais cest sans compter les noms propres quon oublie, parfois immdiatement aprs les avoir appris, alors mme quon ctoie les individus qui les portent plus ou moins rgulirement, ni les noms quon retient sans tre capable de les associer un individu nettement dlimit. Lhypothse cognitiviste de Jonasson donne limpression quune fois lacte de nomination effectu, lassociation entre le nom propre et lindividu nomm reste grave dans la mmoire pour tre mobilise systmatiquement chaque emploi du nom propre. Il nous semble pour notre part que la notion dacte de nomination, centrale dans la dfinition du nom propre, suffit expliquer la relative stabilit rfrentielle du nom propre. Lacte de nomination est une entre en scne, la fois du nom propre et de lindividu nomm, et la relative stabilit de la rfrence du nom propre parat moins due lefficacit de la mmoire qu lactualisation et la ractualisation constantes, dans et par le discours, du lien dnominatif pos par cet acte de mise en circulation du nom.

    Selon la conception cognitiviste, la comptence linguistique qui dtermine lemploi dun nom propre, cest--dire la fois sa production et

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    sa comprhension, dpend de la connaissance du lien dnominatif qui unit ce nom un individu dtermin. Or, si le locuteur qui prononce (ou crit) le nom propre connat gnralement ce lien dnominatif quoiquil arrive frquemment quon parle sans savoir de quoi ce nest pas systmatiquement le cas pour linterlocuteur, mme sil est prfrable que le locuteur prvienne un malentendu en sassurant quil connat aussi ce lien dnominatif. Selon Jonasson, la fonction cognitive du nom propre explique sa raison dtre ; lemploi dun nom propre est donc subordonn sa fonction cognitive et dpend de la connaissance du lien dnominatif stocke dans la mmoire long terme. lencontre dune approche qui, en analysant les structures de la langue pour rendre compte de la structure de la pense, aborde le fonctionnement du nom propre dans la perspective individuelle du sujet parlant, nous considrons que la tche du linguiste est davantage de dcrire, dans une perspective dynamique, la manire dont se construit la pense dans linteraction et lexercice du discours. La mmoire individuelle fait souvent dfaut : on peut oublier un nom ou oublier lindividu qui le porte, on peut croire un lien dnominatif erron, faire des lapsus les sources de confusion sont nombreuses. De plus, on napprend pas des noms propres uniquement pour se constituer une galerie de portraits ou enrichir ses connaissances personnelles, mais pour dsigner, dcrire, interpeller, obliger, raconter des histoires, etc. Les diffrentes fonctions du nom propre, en tant que signe du langage, sont communicatives, et le nom propre tire essentiellement sa valeur des interactions au sein de la communaut de locuteurs qui, en utilisant ce nom, en conserve et en perptue la mmoire.

    Un autre problme de la conception cognitiviste de Jonasson, corrl au prcdent, rside dans laffirmation que [l]association directe un

    particulier [prsuppose] lexistence de ce particulier (1994 : 18). Cette

    ide nous parat aussi triviale que de soutenir que lemploi de je prsuppose lexistence dun locuteur : il est certes indniable que lemploi de je prsuppose lexistence dune personne qui dit je, mais le rapport entre je et linstance de discours est plus subtil, de mme que la relation entre le nom

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    propre et lindividu nomm. Il nous semble que lemploi du nom propre ne prsuppose pas lexistence du particulier nomm, cest--dire que le nom propre nimplique pas lexistence du particulier comme une condition ncessaire son emploi, mais quil pose lexistence de ce particulier, autrement dit que lexistence du particulier en question est admise comme une consquence ncessaire de lemploi du nom propre. La proposition Pierre est parti prsuppose que Pierre tait l, mais il nous parat absurde de considrer que cette proposition prsuppose que Pierre existe. cette proposition lon peut rpliquer Ah bon, Pierre tait l ?, mais on peut difficilement rtorquer Ah bon, Pierre existe ? La prsupposition est une relation dinfrence qui relie diffrentes propositions entre elles, et le nom Pierre nest pas quivalent la proposition Pierre existe ni mme la proposition Il existe un x appel Pierre. On peut nier que Pierre existe mais on ne peut nier le nom propre ni son emploi dans un nonc, en dautres termes, le nom Pierre nest pas une proposition susceptible dun jugement de vrit, donc il ne prsuppose rien. Une autre question est de savoir comment il rfre une entit individuelle qui peut, par ailleurs, ne pas exister rellement.

    Nous concdons volontiers que le langage dtermine notre reprsentation du monde, mais cette reprsentation du monde nest pas un objet mmoriel statique, elle est construite de manire dynamique par le discours et constamment rengocie dans linteraction. En dautres termes, nous nous intressons moins la faon dont sont stockes les connaissances dans la mmoire long terme (Jonasson, 1994 : 16) qu la manire dont elles se construisent et sorganisent dans le discours. Il nous semble de plus extrieur aux proccupations du linguiste de se prononcer sur ce qui subsiste en dehors de tout acte communicatif puisquen dehors des formes linguistiques qui constituent tout acte communicatif, le linguiste na gure de donnes sur lesquelles exercer ses talents.

    Bien que notre analyse du fonctionnement discursif du nom propre dans certains de ses emplois particuliers porte principalement sur le nom propre anthroponymique, notamment parce que ces emplois du nom propre ne

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    concernent presque exclusivement que lanthroponyme, les rflexions dordre gnral sur le statut linguistique du nom propre, sur son statut smantique mais aussi sur la description quen fait la philosophie, etc., porteront sur le nom propre en gnral. Cette expression gnrique ne doit pas occulter le fait que lon range maintenant dans la classe des noms propres une multiplicit dexpressions qui diffrent tant par le type dentits quelles dsignent que par leur morphologie et la distribution quelles admettent. La diversit des types de noms propres est telle quil parat vain de chercher un autre critre dunit de cette classe que la rfrence dfinie unique et constante mme si les noms propres partagent cette proprit avec les descriptions dfinies , les critres formels chouant rgulirement englober toute cette varit. Ainsi dans Jai vendu ma Clio, Le petit prince est sur ltagre, Johnny Halliday ce nest pas du Elvis Presley, et LOrganisation des Nations Unies a pour fonction dassurer la paix et la scurit internationales, les expressions Clio, Le petit prince, Johnny Halliday, Elvis Presley et Organisation des Nations Unies mais aussi Johnny, Halliday, Elvis et Presley sont des noms propres, quoique aucun critre formel ne semble propre tablir une dfinition applicable tous. Les typologies du nom propre sappuient communment sur la distinction entre diffrents types dentits nommes, une dfinition en extension fonde sur des critres ontologiques palliant ainsi labsence de critre proprement linguistique capable de dfinir la classe des noms propres en intension. Cette approche pose deux problmes.

    Premirement, celui de la dlimitation du nom propre comme tel ; par exemple, larticle dfini prcdant gnralement Organisation des Nations Unies doit-il tre considr comme appartenant au nom propre, cest--dire comme un article inhrent semblable les dans les Alpes ? la question Comment sappelle cette organisation ? on rpondra plus volontiers Organisation des Nations Unies que lOrganisation des Nations Unies, et lon peut aussi bien parler dune Organisation des Nations Unies affaiblie ou de cette Organisation des Nations Unies qui nvite pas les crises. Lon peut de mme se demander si Johnny est un nom propre au mme titre que

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    Johnny Halliday ou Le petit prince : si Johnny peut tre utilis seul ou dans Johnny Depp, petit ou prince ne peuvent pour leur part tre considrs comme des noms propres. Mais Johnny est-il le mme nom propre dans Johnny Depp et dans Johnny Halliday, et est-ce encore le mme quand on dit Johnny tout court, pour renvoyer nimporte lequel de tous les Johnny du monde ? Autrement dit, le nom propre Johnny est-il seulement un anthroponyme ou peut-il nommer dautres types dentits que les personnes ? Et quil nomme une personne, une voiture ou un roman, sagit-il toujours du mme nom propre, ou convient-il de distinguer plusieurs noms propres homonymes lun nommant des personnes, lautre des objets industriels, le troisime des uvres artistiques, et au sein mme de ces diffrents types faut-il distinguer entre diffrents homonymes nommant chacun un objet particulier ? Dans Johnny est un grand acteur et dans Johnny est un pauvre rockeur, sagit-il du mme nom propre Johnny ou de deux noms propres homonymes ? Si les individus sont homonymes, chacun porte-t-il pour autant un nom propre homonyme ? Il nous arrivera de parler du mme nom propre pour parler dune mme forme, quel que soit le type de rfrent associ et le type demploi, mais aussi pour englober lensemble des emplois et situations demploi dune forme associe un individu particulier.

    Deuximement, une typologie du nom propre fonde sur le type dentit nomme conduit concevoir un nom propre comme essentiellement li un individu particulier auquel il rfre. Il nous semble pourtant quune distinction simpose entre le porteur dun nom lindividu auquel sassocie le nom propre en vertu dun acte de nomination, ce que Gary-Prieur (1994) appelle le rfrent initial du nom propre et le rfrent du nom, cest--dire le segment de ralit auquel renvoie un nom propre actualis en discours. Cette distinction simpose car le rfrent dun nom propre ne se confond pas systmatiquement avec le porteur de ce nom ; un nom propre peut en effet rfrer une entit sans avoir t pralablement associ cette entit au cours dun acte de nomination. En dautres termes, le lien entre un nom propre et son porteur, bien quil ne soit tabli et actualis que dans

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    lnonciation, est extralinguistique il procde dun acte mondain tandis que le lien entre un nom propre et son rfrent est linguistique et ne peut se concevoir en dehors dun acte de parole. La distinction est tnue puisque la relation entre un nom propre et son porteur nest actuelle que dans le discours, comme la relation entre un nom propre et son rfrent, mais elle permet par exemple de rendre compte dchanges comme Tiens, Paul, mets-toi l Non, moi cest Pierre, pas Paul : on peut considrer que Pierre est bien le rfrent du premier Paul, mais ce nest pas le porteur du nom Paul, comme lindique la rplique. Pour revenir au problme de lhomonymie, on peut dire que Paul dsigne virtuellement lensemble des porteurs du nom Paul mais ne renvoie pas ncessairement un porteur de ce nom dans le discours : alors que la notion de porteur renvoie au lien dnominatif qui unit un nom propre un individu particulier, celle de rfrent renvoie au lien qui stablit dans et par le discours entre une unit linguistique et un segment de ralit.

    Bien que la morphologie du terme porteur suggre quil sagit dun agent 3, lentit nomme peut tre de diffrents types, aussi bien un tre anim quun objet inerte, une uvre de lesprit, un vnement, etc. Nous utiliserons rgulirement, faute de mieux, les expressions chose nomme, objet nomm, entit ou tre : ces raccourcis de langage ne prjugent aucunement de la nature de lentit nomme. Bien quune personne humaine ne soit pas une chose ou un objet au mme titre quune ville, par exemple, nous ne disposons pas de terme plus prcis ni plus vague pour

    3 Le terme convient particulirement bien pour dsigner la personne humaine qui porte

    un nom bien plus quelle ne le possde : elle en soutient la charge ou ny parvient pas, les demandes de changement de nom ltat civil sont considres comme lgitimes en cas de nom difficile porter en raison de sa consonance ridicule ou pjorative , de nom consonance trangre , de survivance dun nom illustr de manire clatante sur le plan national , de nom teint ou menac dextinction ou encore en cas de conscration dun usage constant et continu sous certaines conditions (http://vosdroits.service-public.fr/F1656.xhtml) mais la personne nomme se doit aussi de prendre en charge son nom pour lendosser face autrui, et se prsenter sous un faux nom peut autant constituer un refus dassumer son nom quun refus dassumer son identit.

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    dsigner tout ce qui peut tre nomm ou dsign par un nom propre, cest--dire la fois tout et nimporte quoi attendu que thoriquement tout particulier, primaire ou driv, spatio-temporel ou non spatio-temporel, [peut] tre [] nomm par un nom propre (Kleiber, 1981 : 317).

    Toute chose peut recevoir un nom et certains linguistes parlent, pour dsigner lacte de nomination qui associe un nom propre son porteur, dacte de baptme . Nous rencontrerons donc ce terme dans certaines citations mais nous prfrons pour notre part en bannir lusage : il sagit en effet dun terme religieux dsignant le sacrement par lequel un croyant intgre la communaut chrtienne et loccasion duquel on lui attribue un nom de baptme. La terminologie liturgique nous parat trs mal approprie lanalyse linguistique et si daucuns attribuent un caractre sacr lacte de nomination, force est de constater quil a gnralement lieu sans autre forme de procs et indpendamment dune quelconque onction dabsolution.

    Nous nutiliserons pas non plus dabrviation pour le terme nom propre, mais nous rencontrerons les formes abrges suivantes dans les citations de certains auteurs : Npr, Np et NP. La formalisation dun terme suppose une dfinition stabilise du concept que ce terme dsigne dans une thorie particulire. Or, dune part, nous ne souscrivons aucune thorie spcifique tout en empruntant des lumires plusieurs ; dautre part, le terme mme de nom propre est sujet caution, et les diffrentes analyses montrent quil est difficile de le considrer comme renvoyant une catgorie nettement dlimite. La question de son statut renvoie-t-il une catgorie ou une fonction ? reste notamment en suspens. Autrement dit, la question de la littralisation des propositions linguistiques portant sur le nom propre se heurte au problme dune taxinomie incomplte (voir Milner, 1989 : 108) : la classe dlimite par le terme nom propre nest pas clairement dfinie.

    Enfin, cest ici le lieu dintroduire les conventions typographiques que nous utiliserons au cours de notre progression. Pour renvoyer aux formes en tant que telles, nous utiliserons les caractres italiques : Pierre renvoie ainsi au nom propre en tant que forme linguistique. Pour dsigner le rfrent

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    dune expression nous maintiendrons les caractres romains : Pierre renverra ainsi au rfrent, par exemple du nom propre Pierre. Les guillemets anglais introduiront en gnral lnonc de la signification dune expression, tandis que les guillemets franais introduiront en gnral une citation. Lutilisation des diffrents types de guillemets sera lgrement diffrente dans les citations : les guillemets franais y seront remplacs par des guillemets anglais quand les guillemets franais introduisent la citation ; cette modification pourra dans quelques cas occulter certaines subtilits des textes cits, quand les auteurs utilisent eux-mmes les deux types de guillemets : cest par exemple le cas de Wittgenstein, dont le texte, rgulirement polyphonique, utilise les guillemets franais pour introduire du discours direct ou marquer la connotation autonymique et les guillemets anglais pour introduire une forme linguistique comme telle. Notons de plus que les formes linguistiques comme telles sont gnralement introduites dans les textes philosophiques par des guillemets, franais ou anglais selon la langue du texte mais aussi, vraisemblablement, selon lhumeur de lauteur.

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    PREMIRE PARTIE

    NOM PROPRE ET DNOMINATION

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    Chapitre 1 LE NOM PROPRE EN MARGE DE LA LINGUISTIQUE

    Lorsquon sintresse au traitement du nom propre par la linguistique, on remarque en premier lieu que les tudes prcises et dtailles sont relativement rcentes 4. Le nom propre est quasiment absent des ouvrages de grammaire et de linguistique gnrale qui ont jalonn le XXe sicle, ou ny figure fugacement qu titre de cas particulier oppos lnonc dune rgle de grammaire, alors mme que nombre de phrases proposes en exemples comportent des noms propres, gnralement en fonction de sujet syntaxique. Ds labord se pose ainsi une question fondamentale : le nom propre est-il un objet linguistique ? En dautres termes, le nom propre est-il un objet de la linguistique ? Si lon considre le silence des linguistes qui contriburent constituer la linguistique comme discipline scientifique autonome, on observe en tout tat de cause que le problme de la dfinition du nom propre ne compta pas au nombre de leurs priorits.

    4 Nombre dtudes linguistiques du nom propre commencent ainsi par remarquer sa

    marginalit dans la langue comme en linguistique ; voir notamment Kleiber (1981 : 295), Molino (1982 : 5), Gary-Prieur (1994 : 2), Jonasson (1994 : 7), Rey-Debove (1995 : 107), Schnedecker (1997 : 103), Leroy (2004 : 1), Vaxelaire (2005 : 524), Leroy et Muni Toke (2007 : 116).

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    1.1. EXCLU DU SYSTME

    Dans une perspective structuraliste la langue, seul objet de la linguistique, est conue comme un systme, cest--dire une organisation dont les lments nont aucun caractre propre indpendamment de leurs relations mutuelles lintrieur du tout (Ducrot et Schaeffer, 1995 : 36-37). Les noms propres, en tant que mots isols dont la signification semble davantage dpendre de leur relation biunivoque avec un individu unique et dtermin que de leurs rapports avec les autres signes, nappartiennent pas au systme de la langue ; ils relvent de ce que Rey-Debove appelle un code de la connaissance (1978 : 28). En dautres termes, la comptence que mobilise lusage des noms propres serait encyclopdique et non proprement linguistique. Ainsi, les noms propres nont pas vocation tre tudis par un structuralisme qui soutient qu il nest possible ni de reconnatre ni de comprendre un signe sans entrer dans le jeu global de la langue (Ducrot et Schaeffer, 1995 : 40). Laccession des noms propres au statut de signes linguistiques semble fortement compromise.

    Labsence du nom propre dans les tudes structuralistes est constate par

    tous les linguistes qui sy sont intresss rcemment, cest mme quasiment devenu un lieu commun des tudes sur le nom propre que de remarquer son exclusion de la linguistique dinspiration saussurienne. Vaxelaire compare par exemple cette absence du nom propre labsence de lemprunt dans la linguistique structuraliste :

    Nous serions tent de tracer un parallle (risqu) avec les emprunts. En effet, lavnement de la linguistique structuraliste et descriptive a interrompu les tudes demprunts dans de nombreux pays. Car strictement

    parlant une tude demprunts est voue la diachronie (Humbley, 1974 : 48) 5. De mme, il est intressant de noter quil ny a quasiment pas dtude de lemprunt dans la linguistique amricaine de tendance

    5 HUMBLEY John, 1974, Vers une typologie de lemprunt linguistique , Cahiers de

    lexicologie, n 23, p. 46-70.

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    behavioriste (ibid. : 49) comme il ny a pas dtude sur le nom propre. (Vaxelaire, 2005 : 559)

    Jonasson, pour sa part, mentionne ds lintroduction de son ouvrage les difficults thoriques intgrer le nom propre dans une approche structuraliste :

    Dans une perspective o la langue se prsente comme un systme o tout se tient, dfini par des rapports entre les lments constituants, le nom propre occupe une place quil est la fois difficile et de moindre

    importance dtablir. De toute vidence le nom propre se situe dans une zone marginale, sa valeur tant impossible dfinir sans rfrence lextrieur. (Jonasson, 1994 : 7)

    Dans la mesure o les signes de la langue sont dfinis par leurs relations mutuelles au sein du systme, toute rfrence aux entits extralinguistiques quils dsignent dans le discours tant exclue, et tant donn que seule cette structure de relations intrinsques intresse le structuraliste, les noms propres ne retiennent pas spcialement son attention, puisquils ne font pas partie, proprement parler, du lexique de la langue. Comme le remarque Rey-Debove, [c]et ensemble est hors code lexical ; il se situe hors de la

    comptence lexicale de lusager (1978 : 26). Le nom propre se compare en effet davantage aux units lexicales que

    grammaticales, et prcisment sur le plan smantique. Cest en ces termes que Gary-Prieur remarque son tour, dans lintroduction de sa Grammaire du nom propre, la place marginale quoccupe le nom propre dans la linguistique des dbut et milieu du XXe sicle :

    Lhistoire de la linguistique explique bien pourquoi le nom propre apparat comme un objet marginal : les dmarches structuralistes issues notamment

    de Saussure conduisent logiquement une telle conclusion. En effet, sur le plan smantique, le nom propre dvie doublement du modle saussurien du signe : dune part, son signifi ne correspond pas un concept, ou image mentale stable dans la langue et dautre part, on ne peut pas dfinir sa valeur dans un systme de signes. Une smantique structurale ne peut donc

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    pas laborder avec les outils et les mthodes dont elle dispose. Sur le plan

    syntaxique, la mise au premier plan de critres distributionnels conduit faire de la distribution N lunique proprit typique des noms propres, ce qui a pour effet de rduire considrablement son tude en nexaminant que cette distribution. [] [C]onsquence de cette histoire trop rapidement

    voque : pendant longtemps, il ny avait aucune raison que le nom propre soit choisi comme objet dune tude linguistique. (Gary-Prieur, 1994 : 3)

    Le nom propre est considr comme marginal en premier lieu dun point

    de vue smantique : son signifi ne correspondrait pas un concept stable dans la langue et sa valeur ne pourrait tre dfinie par rapport au systme de la langue. Ce sont les deux caractres essentiels du signe saussurien qui sont ici rappels : le signe linguistique consiste en lassociation dun signifiant et dun signifi, dont la valeur est dtermine par son opposition aux autres signes du systme. La principale difficult, concernant le nom propre, semble rsider dans la dfinition de son signifi, ou de sa valeur 6. Le signifi ne se confond pas avec le rfrent ; cependant la signification du nom propre est dfinie par sa relation directe avec une entit extralinguistique et la comparaison du nom propre aux autres signes ne contribue nullement la dtermination de sa valeur ; comment alors caractriser le signifi dun signe dont le rfrent constitue un des lments

    6 Ce nest pas ici notre propos de discuter de ce que Saussure appelle valeur, mais nous

    pouvons remarquer que ce terme est quivalent pour le linguiste genevois signifi : Il ny a aucune diffrence srieuse entre les termes de valeur, sens, signification, fonction ou emploi dune forme, ni mme avec lide comme contenu dune forme ; ces termes sont synonymes (Saussure, 2002 : 28) ; le terme de signifi ntait pas encore stabilis dans la terminologie du Saussure des crits de linguistique gnrale (dsormais ELG) (voir Arriv, 2007 : 42-45), mais le Cours de linguistique gnrale (dsormais CLG) le prsente comme quivalent de sens, concept ou ide. Il sagit l cependant de la valeur linguistique considre dans son aspect conceptuel (Saussure, 1916 : 158), mais quil sagisse de la considrer dans son aspect conceptuel ou dans son aspect matriel (Saussure, 1916 : 163), la valeur dun signe est essentiellement diffrentielle : Quon prenne le signifi ou le signifiant, la langue ne comporte ni des ides ni des sons qui prexisteraient au systme linguistique, mais seulement des diffrences conceptuelles et des diffrences phoniques issues de ce systme (1916 : 166).

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    essentiels de dfinition ? Faut-il se rsigner considrer que le nom propre nappartient pas la langue, mais un systme spcifique, celui des noms propres ? Le nom propre nappartiendrait pas au code de la langue, mais un autre code, un code social dont il tirerait sa valeur : Les connotations sociales du Npr sont fortes et varies : prsomption sur le sujet daprs lhabituelle rpartition des noms (personnes, animaux, lieux, objets), sur lpoque aussi daprs les modes, sur lappartenance ethnique, sur lorigine sociale, sur le sexe (Rey-Debove, 1978 : 108).

    La valeur dun nom propre serait ainsi dtermine selon plusieurs codes sociaux non-linguistiques, relatifs au type de lentit nomme et son inscription dans un contexte socioculturel et historique particulier.

    Mais le nom propre occupe galement une position marginale dun point

    de vue syntaxique, autrement dit il ne prsente pas les mmes proprits distributionnelles que les autres noms : il parat gnralement nu , sans dterminant 7 ni modifieurs, et exerce lui seul toutes les fonctions dun syntagme nominal (dsormais SN). Les structuralistes sen sont la plupart du temps tenus ces emplois typiques, dans lesquels le nom propre semble exercer une simple fonction didentification :

    Il semble bien que lon ait fait le tour de leur syntaxe, lorsquon les a

    dcrits comme tant des SN sans dterminant, ou des SN ne pouvant comporter quun article dfini. La question de leur sens na mme pas tre pose, puisquils en paraissent dpourvus. En rgle gnrale, lenqute se clt sur leur rle rfrentiel, lorsquaprs avoir soulign que leur seule tche est de rfrer des individus particuliers le linguiste pense avoir tout dit. (Kleiber, 1981 : 295)

    Cette citation apporte un lment nouveau quant la caractrisation smantique du nom propre : la primaut du rapport au rfrent dans linterprtation du nom propre a conduit certains linguistes considrer le

    7 Sauf larticle dfini inhrent que lon trouve dans des noms comme La Haye,

    Lempereur ou Les Alpes.

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    nom propre comme purement et simplement dpourvu de sens. Cest en effet la conclusion extrme que lon pourrait tirer du seul paragraphe voquant le nom propre dans le CLG : le nom propre est inanalysable et ininterprtable, donc il na pas de sens. Cest ainsi que Grevisse et Goosse dfinissent le nom propre : Le nom propre na pas de signification vritable, de dfinition ; il se rattache ce quil dsigne par un lien qui nest pas smantique, mais par une convention qui lui est particulire (2007 : 583).

    Le silence qui pse sur le nom propre dans les tudes structuralistes trouverait donc une explication dans le CLG. La langue, unique objet de la linguistique, y est conue comme un systme dont les lments se dfinissent les uns par rapport aux autres. Le nom propre ny est mentionn quune seule fois, comme exemple de mot isol par rapport au systme et inanalysable en termes de morphmes. Les successeurs de Saussure en auraient alors conclu que le nom propre est hors systme, dautant que sa valeur est impossible dfinir dun point de vue strictement interne au systme. Le fait, dune part, que le rfrent soit exclu de la dfinition du signe linguistique et de la langue, et, dautre part, que le nom propre se dfinisse par son rapport direct une entit extralinguistique, conduit considrer que le nom propre na pas de sens et quil nappartient pas la langue, ou du moins ngliger lintrt linguistique dune analyse du nom propre. De plus, comme le remarque Testenoire, la dichotomie langue - parole propose semble rendre thoriquement possible une telle exclusion (2008 : 1006). En effet, tout comme le rfrent, exclu de la langue, le nom propre rapparat dans la parole.

    Le dsintrt des structuralistes lgard du nom propre serait ainsi d en partie la discrtion du CLG sur le sujet, rsonnant comme la condamnation dune catgorie indigne de considration. Il nous a donc paru intressant de nous pencher sur le traitement que rserve Saussure au nom propre, non seulement pour prciser les arguments qui justifient son exclusion de la langue et de la linguistique, mais aussi pour envisager les prmisses dune smantique du nom propre.

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    1.2. EXCLU DU COURS DE LINGUISTIQUE GNRALE

    Il semble que le premier mouvement de la linguistique naissante fut dexclure le nom propre du systme de signes que constitue la langue, par le refus de lui attribuer le statut de signe linguistique. Comme cela a dj t maintes fois remarqu 8, le nom propre est en effet absent du CLG ; il ny est mentionn quune fois au cours dun dveloppement consacr lanalogie dans lvolution des formes linguistiques, comme exemple de mot simple isol et inanalysable du point de vue morphologique :

    Les seules formes sur lesquelles lanalogie nait aucune prise sont naturellement les mots isols, tels que les noms propres spcialement les noms de lieux (cf. Paris, Genve, Agen, etc.), qui ne permettent aucune analyse et par consquent aucune interprtation de leurs lments ; aucune cration concurrente ne surgit ct deux. (Saussure, 1916 : 237)

    Ainsi, non seulement le seul passage o il est question du nom propre concerne un tout autre sujet, mais aussi est-il une occasion de citer ce type de mots comme contre-exemple au principe danalogie en diachronie.

    1.2.1. Dfinition du nom propre en ngatif

    Avant dexaminer les raisons thoriques qui justifient cette absence apparente 9 du nom propre dans les rflexions de Saussure, relevons les quelques lments de dfinition qui affleurent la surface du texte du CLG : les noms propres sont des mots isols, ils ne sont pas dcomposables en morphmes, et leur volution phontique (morphologique) ne peut se faire sur le mode analogique.

    Ces trois propositions abordent le nom propre sous langle de sa morphologie, et bien que Saussure adopte ici un point de vue diachronique,

    8 Voir notamment Gary-Prieur (1991 : 12, 1994 : 2), Leroy (2004 : 19), Leroy et Muni

    Toke (2007 : 127), Testenoire (2008 : 1001). 9 Pour une prsentation prcise du nom propre dans la pense de Saussure, voir

    Testenoire (2008).

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    il sen dgage certaines consquences sur la caractrisation du nom propre en synchronie.

    1.2.1.1. Un mot isol

    En premier lieu le nom propre est prsent comme isol du point de vue du systme de la langue : il ne sinscrit dans aucun paradigme formel, cest--dire quil nest associ aucun autre mot qui prsenterait avec lui des ressemblances formelles. Ainsi pour Brunot et Bruneau les noms propres nont pas de famille et sont isols (1969 : 51). Mais comment faut-il interprter cette ide dun isolement morphologique du nom propre : du point de vue de la morphologie lexicale ou grammaticale ?

    Le nom propre est traditionnellement dcrit en franais comme invariable en genre et en nombre 10, cest--dire exclu de tout paradigme flexionnel. Bien que le nom propre connaisse des emplois au pluriel (ex. Les Lepic sont de retour), ou des distinctions selon le genre (ex. la Normandie la rgion oppos le Normandie le navire), cest gnralement sur le dterminant quintervient le marquage 11 ; le nom propre reste invariable 12. Mais le terme de famille suggre une parent morphologique fonde sur des relations smantiques. De ce point de vue, lide que le nom propre est isol suggre quil nentre dans la composition daucun mot construit (par drivation, composition ou conversion). Or, comme le souligne Molino, le nom propre a une possibilit minimale de productivit morphologique (morphologie drivationnelle) (1982 : 10). Il existe en effet de nombreux mots drivs de noms propres (ex. fordisme, parisien, hugolien, pr-adamique), et lon peut considrer que France

    10 Pour une discussion sur cette question voir notamment Damourette et Pichon (1911-

    1927), Dauzat (1947), Dubois (1965), Arriv et al. (1986), Weinrich (1989), Wagner et Pinchon (1991), Riegel et al. (1994), Grevisse et Goosse (2007).

    11 Le marquage peut tre graphique sagissant du pluriel, mais on ne trouve aucun pluriel auditif dans cette catgorie , (Dauzat, 1947 : 107).

    12 Deux problmes viennent nuancer cette affirmation : dune part celui du morphme graphique -s comme marque du pluriel dun nom propre ; dautre part celui des couples de noms comme Henri-Henriette.

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    appartient la mme famille morphologique que franais, Franois, franciser, francophonie, etc. Comme le remarque Rey, les noms propres fournissent non seulement des lexicalisations (un harpagon) mais des monmes productifs (marxiste, marxisme, marxien) (1977 : 30).

    Lide dun isolement morphologique du nom propre reste incertaine : grammatical ou lexical ? Dun point de vue formel il sagit dun isolement grammatical tandis que le nom propre semble sinscrire dans un paradigme lexical, mais dun point de vue smantique on continue le concevoir comme isol, notamment parce quil est indcomposable en morphmes.

    1.2.1.2. Un mot indcomposable en morphmes

    Le nom propre serait donc isol des autres signes linguistiques la fois du point de vue de sa forme et de sa signification : il aurait un signifiant unique, qui napparatrait dans aucun autre mot au sens o le signifiant de parole est compris dans le mot parolier et par consquent son signifi, sil est permis de sexprimer en ces termes, ne se dfinirait pas par opposition aux autres signes. Cet isolement du nom propre par rapport aux autres signes du systme par rapport au systme en tant que tel apparat ainsi comme troitement li au caractre de mot simple du nom propre. Mais Villeneuve nest pas un mot simple au mme titre que parole : parole est un mot simple dans la mesure o il nest compos que dun seul morphme ; le fait, dune part, quil sinscrive dans un paradigme regroupant des mots comme parler, parolier, parlant, et, dautre part, que sa signification se dfinisse par opposition langage, ou langue, par exemple, lui confre le statut de signe linguistique intgr au systme de la langue. Par rapport parole, Villeneuve apparat comme compltement isol : son signifiant ne se retrouve dans aucun autre mot de signifi apparent 13, et sa signification se dfinit moins par opposition Paris, ou Genve, que par rfrence lobjet rel qui porte ce nom.

    13 Le fait quun nom propre soit indcomposable en morphmes ne lempche toutefois

    pas, comme on vient de lapercevoir, de servir de base des mots drivs.

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    Le nom propre serait donc indcomposable en morphmes, non seulement du fait de son isolement par rapport au systme, mais aussi du fait de son rapport particulier la signification.

    Lexemple de Villeneuve semble cependant soulever une objection (que Paris ne soulverait pas) : on y reconnat les deux lments ville et neuve, dont lintgration au systme du franais nest pas mettre en cause 14. Nanmoins, la signification de ce nom propre ne se mesure pas la signification de ses parties constitutives, autrement dit Villeneuve ne dsigne pas ncessairement une ville neuve. Ainsi, la signification de Villeneuve ne se dfinit pas par rapport ville, centre-ville, campagne ou vieille, ni mme par rapport Terre-neuve ou Belleville. Villeneuve reste un mot simple indcomposable parce que sa signification ne saurait se dduire dune analyse de ses lments.

    Si lon considre que la valeur dun signe se dfinit par opposition aux autres signes dun systme commun, et si lon souhaite appliquer cette ide la description du nom propre, il faudrait davantage comparer Villeneuve Paris ou Genve. Il est alors possible de construire plusieurs systmes doppositions hirarchiss. Ainsi, on opposera dabord Villeneuve Paris, Genve, Belleville ou New York, puis tous ces noms France, tats-Unis, ou Portugal, puis ceux-ci et les prcdents Pierre, Paul, ou Marie-Jeanne, etc. On remarque que les noms sont ainsi classs par rapport au type des choses quils dsignent, et que les ensembles ainsi dfinis ne contiennent que des noms propres. Les regroupements ne sont pas dus ici des ressemblances morphologiques ou des affinits smantiques, mais oprs selon le type de rfrent dsign 15.

    14 La motivation relative du nom propre et sa relation particulire au problme de

    larbitraire du signe justifient en partie lexclusion du nom propre de la langue ; voir Wilmet (1988) et Kristol (2005).

    15 Il convient de remarquer ce propos que les typologies de noms propres se fondent gnralement sur une distinction entre diffrents types dentits nommes, et non sur une distinction entre diffrents types demplois (voir par exemple la typologie de Molino, 1982, et celle dAgafonov et al., 2006). Pourtant, les anthroponymes et les toponymes, par exemple, connaissent des emplois qui divergent tant par les constructions syntaxiques qui

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    Ainsi, lisolement du nom propre par rapport au systme de la langue concerne non seulement sa morphologie, mais aussi la dfinition de sa signification : par rapport la langue saussurienne, le nom propre a une valeur dun autre type dans un systme dun autre type.

    Dans cette perspective, il est possible de rapprocher le nom propre de lemprunt : dune part parce que lemprunt est isol dun point de vue morphologique dans la langue daccueil son tude est donc voue la diachronie (voir Vaxelaire, 2005 : 559, et ci-dessus, section 1.1) , dautre part parce quun mot est souvent emprunt en mme temps que la chose quil sert dsigner.

    Ds lors que lon sintresse la signification (et linterprtation) des

    noms propres, il semble que le concept saussurien de signifi ne soit plus oprationnel : dune dfinition de la signification en termes de relations au sein du systme, on glisse vers une dfinition de la signification en termes de dsignation dun rfrent.

    Si lon dfinit le signifi de parole par opposition parler, langue, parolier, etc., il semble quil faille conclure que le nom propre na pas de signifi, puisque le seul paramtre pertinent pour dfinir sa signification et la comparer aux autres signes semblables est celui du rfrent dsign.

    En effet, sil est vrai que la forme Paris ne peut donner lieu une analyse morphmatique du mme type que celle que lon pourrait appliquer

    redouter par exemple, il reste que ce problme de segmentation et dinterprtation des formants nest aucunement particulier au nom propre. Ainsi, ce qui resterait inaccessible dans lanalyse du nom propre serait sa fonction de dsignateur associ un rfrent stabilis : Paris dsigne un lieu dont la situation gographique ne peut varier. (Leroy et Muni Toke, 2007 : 128)

    les intgrent que par les contextes smantiques dans lesquels ils sinscrivent ; certains emplois semblent mme exclusifs de lune ou lautre catgorie : un toponyme ne peut gure tre mis en apostrophe que dans la posie ou le discours patriotique, par exemple. On pourrait ainsi envisager une typologie des noms propres en partie affranchie du rfrent et fonde davantage sur la syntaxe et les genres de discours.

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    Le caractre indcomposable du nom propre serait donc li son absence de signifi. Les lments qui constituent un nom propre ne peuvent tre interprts car le nom propre nest constitu daucun morphme dans la mesure o il na pas de signifi : ce serait un simple signifiant 16 dpourvu de signifi, dfini par sa seule relation un rfrent particulier.

    1.2.1.3. Un mot insoumis lanalogie

    Le fait que le nom propre ne puisse voluer sur le mode analogique est une consquence de tout ce qui prcde. Lanalogie est un principe qui gouverne non seulement la production des syntagmes dans la parole mais aussi certains processus dvolution phontico-morphologique par lesquels une forme isole sintgre un paradigme fonctionnel. Le participe pass tissu a ainsi cd la place tiss par analogie avec les formes de participe pass des autres verbes dont linfinitif est marqu par -er. Mais cette volution suppose plusieurs conditions : premirement, que le mot sintgre un paradigme lexical avec lequel il prsente des similarits de fonctionnement par exemple lensemble des verbes dont linfinitif est marqu par -er ; deuximement, quil sintgre un paradigme flexionnel que les diffrentes formes du verbe tisser varient de manire rgulire selon le temps, le nombre, la personne, etc. ; troisimement, quune de ses formes flexionnelles diffre de lquivalent fonctionnel dans les autres verbes du paradigme lexical : tissu, bien que participe pass dun verbe en -er, na pas la forme en - commune aux autres verbes en -er. La forme ainsi isole volue pour sintgrer pleinement au paradigme des verbes en -er.

    Un tel processus dvolution ne peut toucher le nom propre puisquil suppose que celui-ci soit dcomposable en morphmes grammaticaux et lexicaux, et quil sintgre des paradigmes lexicaux et grammaticaux. Limpossibilit dune analyse morphmatique des noms propres les exclut

    16 Dans une perspective saussurienne cette ide est cependant une aberration, dans la

    mesure o le signifiant est par dfinition indissociable du signifi.

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    de ce principe gnral des crations de la langue 17 quest, pour Saussure, lanalogie (Testenoire, 2008 : 1006).

    Lisolement morphologique pourrait expliquer une certaine tendance la stabilit de la forme des noms propres dans le temps, mais si les noms propres ne sont pas soumis lanalogie, ils voluent cependant en suivant le mouvement gnral de lvolution de la prononciation. Ainsi, du temps o eau se prononait avec la diphtongue, un nom comme Rousseau devait aussi se diphtonguer ; lvolution de la diphtongue vers la voyelle unique a touch au mme titre les noms propres et les autres mots. De mme, le nom de ville Belfaux a volu depuis la forme Bellofago, atteste en 1138, par analogie avec lvolution phontique des autres mots de la langue (donnes issues de Kristol, 2005).

    1.2.2. Entre signe, rfrent et langue :