Les arts du quotidien : arts appliqués, design, art populaire, objets d’art

Analyser un objet appartenant aux arts du quotidien Document réalisé par Corinne Bourdenet, enseignante en arts plastiques

Précaution : tout objet ne peut ipso facto entrer dans le domaine artistique des arts du quotidien. Il

faut qu’il ait une portée artistique, un intérêt au regard d’un art, d’un savoir-faire, d’une fabrication, d’une représentation…

L’objet choisi doit correspondre à au moins l’une de ces catégories (tu dois pouvoir l’expliquer).

R Objet d’art (tout type d’objet aux qualités et au savoir-faire artistiques autre que la peinture, la sculpture, la gravure ou le dessin). Ex : œufs de Fabergé, tapisserie, reliure… £ Objet publicitaire (affiches, emballages et packaging, bouteilles de parfum…) R Objet  décoratif (les arts décoratifs sont pratiqués par les métiers d'art traditionnellement définis par leurs productions ornementales et fonctionnelles et par les matériaux auxquels ils donnent forme : la céramique, le bois, le verre, le métal, le textile, le stuc ou la pierre, voire la pierre précieuse. Ce champ inclut tous les artisanats de l'architecture d'intérieur et de la décoration d'intérieur comme le mobilier et l'ameublement. Les arts décoratifs sont souvent opposés aux « Beaux-Arts » (c'est-à-dire à la peinture, au dessin, à la photographie ou à la sculpture) et aux arts appliqués (comme à la mode ou au design). R Objet usuel (ayant une fonction) conçu par un artiste £ Objet symbolique (suggérant un mythe, un culte, une religion, une appartenance à une communauté)

Introduction de l’analyse

1. Identification : cartel de l’objet - Son titre ou nom donné pour l’identifier : Le cavalier - Son auteur (artiste, designer…) : Pablo Picasso - Sa date de réalisation : 1950 - Sa taille (dimensions en cm) / son lieu d’exposition, de conservation : Pièce unique.

Collection particulière - Sa nature : objet d’art et décoratif - Ses techniques et matériaux de fabrication : céramique en terre cuite blanche tournée,

éléments tournés et assemblés. Décor peint à l'engobe noir, vert, marron et gravé sur fond blanc émaillé, sur-couverte.

- Son style : inspiration de la céramique archaïque, influence de la civilisation méditerranéenne, avec l'Antiquité omniprésente et revisitée, où faunes, corridas se mêlent aux bacchanales, aux formes primordiales...

- Sa fonction (à quel besoin primaire répond-il ?) : Pichet à vin

2. Présentation de l’artiste ou designer (s’il est connu) : biographie  Picasso est un artiste prolifique (qui produit beaucoup de travaux), aux œuvres et réalisations protéiformes (susceptibles de prendre les formes les plus différentes : peintures, sculptures, costumes, dessins, gravures, céramiques…).

3. Pourquoi avoir choisi cet objet ? / Quel est son intérêt ou son originalité ?

Cet objet a un intérêt car si Picasso l’a réalisé comme un objet du quotidien, avec un statut d’objet utilitaire, avec une fonction usuelle, il est aussi vu comme un objet artistique de grande valeur car créé par l’artiste du XX° siècle le plus renommé.

4. Pourquoi cet objet appartient au domaine artistique des arts du quotidien ? Être capable d’expliquer et de citer les autres domaines artistiques.

La céramique fut le premier « art du feu » à apparaître, avant la métallurgie et le travail du verre. La céramique (argile, terre à poterie) désigne la confection des objets fabriqués en terre argileuse qui ont subi une transformation au cours d’une cuisson à température élevée. Les pièces les plus anciennes, à vocation cultuelle, comme la Vénus de Dolní Věstonice, remontent à la période paléolithique (29 à 25000 ans avant J.-C.) lorsque les premières poteries de terre molle furent façonnées et cuites sur feu ouvert. On peut distinguer trois branches dans la céramique :

- la céramique domestique, principalement la poterie, la plus ancienne des formes de céramique, où l'on utilise les terres argileuses comme matériau de base

- la céramique artistique dérivée de la précédente, où l'on délaisse la fonction utilitaire pour se concentrer sur la valeur décorative ou esthétique

- la céramique technique, pour usage industriel, qui se développe à partir du xxe siècle. Cette catégorie ne concerne pas le Cavalier de Picasso.

5. Pourquoi cet objet appartient à la thématique Arts, Etats et pouvoirs ou Arts, ruptures et

continuités ? Être capable d’expliquer la thématique choisie. Cette céramique peut être placée dans la thématique Arts, Ruptures et Continuités car Picasso utilise une technique ancestrale (très ancienne) mais sans en respecter les règles de fabrications. Sa réalisation est clairement inspirée de formes plus archaïques :

céramique  étrusque,  environ  en  800  avant  J-­‐C                            Aiguière  à  tête  de  coq,  art  des  Saljukides  d'Iran,    

                         XIIIe  siècle,  Musée  du  Louvre  

6. Quel est le contexte historique de cet objet ? Les éléments relevés doivent permettre d’éclairer l’analyse de l’oeuvre.  

Après guerre, en 1946, lors d'une visite à la foire de la poterie à Vallauris, Picasso s'attarde sur le stand de Georges et Suzanne Ramié, céramistes qui s'inscrivent dans le renouveau de cet art. Un an plus tard, Picasso installé à Golfe-Juan, revient visiter ce couple. Cette rencontre déterminante le

propulse dans l'aventure du monde céramique. Ainsi, durant les années 1950, il embrasse l’art de la céramique avec vitalité et génie tout en utilisant d'autres supports.

De 1946 à 1971, auprès de Suzanne Ramié – dont il appréciait la créativité et la vision moderne qu’elle avait dans sa réinterprétation des formes populaires – aidé dans le travail par l’excellent tourneur Jules Agard, qui lui fournissait des pots à déformer auxquels il aimait «tordre le cou» pour obtenir des formes zoomorphes ou anthropomorphes, Picasso va réaliser un corpus impressionnant de près de 4000 œuvres en terre. L’atelier Madoura est alors institué par l’artiste éditeur exclusif de son œuvre céramique, un contrat officialise les choses à partir de 1967.

Il décide de se consacrer à cette activité car elle lui offre de nouvelles perspectives de création grâce à la plasticité de la terre et à la magie de la cuisson au four, qui révèle les coloris éclatants de l’émail et la brillance des vernis.

La céramique a toujours accompagné l'œuvre de Picasso, originaire de Malaga, important centre potier hispano-mauresque. Ses recherches sont cependant restées confidentielles jusqu'à son installation à Vallauris.

La céramique n'est pas un art mineur pour Picasso mais une nouvelle manière de créer.

Dans l'atelier Madoura, il utilise les œuvres créées par Suzanne Ramié et réalisées par l'atelier. Les formes de l'atelier Madoura sont éventuellement retouchées, encore fraîches, par Picasso qui les parachève par un décor peint, ajoutant à l'adresse du potier la touche expressive du sculpteur et du peintre. il décore aussi des formes réalisées à partir de dessins préparatoires.

De 1946 à 1971, Picasso réalise quatre mille œuvres originales. Selon son souhait, certaines céramiques seront éditées (633 modèles furent ainsi édités avec des tirages allant de 25 à 500 exemplaires). Il choisit les modèles pour l'édition avec Suzanne et Georges Ramié, décide avec eux de la quantité de chaque tirage et supervise la réalisation technique. Madoura aura l’exclusivité de la fabrication et de la diffusion des éditions.

L’édition a été réalisée selon deux principes :

- certaines œuvres ont été reproduites exactement (volume et décor peint) par les artisans de l’atelier, en quelques exemplaires réalisés à la main

- d’autres pièces sont éditées en un tirage plus important, selon le principe du transfert d’un sujet original gravé par l’artiste sur une matrice en plâtre servant à estamper la terre, pour une reproduction très fidèle qui était vendue à l’époque à un prix abordable.

Ces éditions, qui furent très contrôlées, ont atteint aujourd’hui une valeur grandissante, gage de l’intérêt invariable que la céramique de Picasso suscite auprès des collectionneurs contemporains.

Voir aussi document sur la Joie de Vivre, peinture réalisée en 1946 Œuvres réalisées en 1950

Développement de l’analyse : Décrire

1. Sujet : C’est une figuration (personnage, animal…)

Mots de vocabulaire à connaître relatifs à une fonction (tenir, contenir, verser) :

Toutes les parties peintes en surface relèvent de la décoration. Les anses sont fixées lorsque la matière est encore souple, avant la cuisson. L’argile se travaille comme la pâte à modeler. La cuisson lui permet une plus grande résistance. Elle peut être peinte et vernissée (application d’un vernis brillant).

2. Fabrication : Cet objet a été réalisé à la main à l’aide d’un tour.

Tourneurs dans leur atelier

Il est réalisé de façon unique ou en quelques très rares exemplaires, de façon artisanale et personnelle. Cela en fait un objet exceptionnelle, rare, précieux. Il est le fruit d’un savoir-faire qui se transmet. Le métier de céramiste existe depuis l’Antiquité et se transmet en atelier, auprès d’un artisan maîtrisant ce métier d’art (voir la fiche ONISEP http://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Metier/Metiers/ceramiste ).

3. Composantes plastiques : - sa structure

- ses formes / volumes : pleins et réguliers issus de volumes géométriques souvent utilisés en poterie.

- ses proportions (par rapports au corps humains, entre les différentes parties) H. 41,5 cm ; L. 32 cm ; Pr. 26 cm ; Diamètre de la base 17,5 cm

- ses couleurs, ses matières, ses textures, ses effets (transparence, reflet, brillance) Picasso a utilisé très peu de couleurs. Le blanc est la couleur du matériau : céramique en terre cuite blanche Le décor est peint à l'engobe noir, vert, marron et gravé sur fond blanc émaillé, sur-couverte. Un engobe est une barbotine argileuse (mélange d’argile et d’eau). C’est pendant le séchage que peut se réaliser l’engobage des pièces céramiques. On applique l’engobe sur la surface d’un objet pour en cacher la couleur. Le décor est posé sur-couverte, c'est-à-dire après une première cuisson. La céramique n'est pas imperméable. C'est l'adjonction d'une couverte ou glaçure (émail) qui va, lors du processus de cuisson, par la vitrification, lui conférer la particularité d'être presque aussi imperméable que le verre. Les couleurs chaudes (jaune, orange, rouge) sont faciles à obtenir à basse température, alors que les couleurs froides (gris, vert, bleu) sont les seules qui résistent à haute température.

La forme des deux anses peut être qualifiée de filaire, elle découpe une forme évidée.

Le mélange entre peinture et gravure rappelle les vases grecs à figures noires ou rouge qui se sont développés à Athènes et dans sa région à partir de 530 av. J.-C. :

La céramique à figures rouges est un type de céramique grecque antique

Scène de banquet, médaillon d'une coupe à figures rouges du Peintre de la Cage, musée du

Louvre

La céramique attique à figures noires Thème mythologique de la Mort du Minotaure

couleur ocre : couleur de l’argile, de la céramique / noir : peinture ajoutée Il est possible de gravée dans la peinture noire pour faire ressortir la couleur ocre de l’argile. Cette technique permet des tracés (un dessin) d’une grande précision.

4. Style : Comme avec beaucoup d’œuvres de Picasso, il n’y a pas de style identifiable. Il tire son inspiration de très nombreux exemples antérieurs, qu’il étudie et qu’il s’approprie.

5. Quel est son usage ? Picasso a voulu que ces céramiques éditées aient un usage quotidien ainsi qu’il se confie à André Malraux : « J’ai fait des assiettes, on peut manger dedans. ». Mais ces pièces sont aujourd’hui exposées comme des œuvres d’art ! Elles sont admirées, pas question de les utiliser comme pichet à vin !

6. Ergonomie : Picasso a conservé une technique ancestrale, en argile, pour son pichet à vin. Il aurait pu, comme à la Renaissance le travailler en verre, totalement transparent ou en métal. Mais la céramique, en argile, se rapprochant des techniques de modelage en sculpture, était sans doute pour lui plus évidente à travailler.

7. Comment est-il montré ? Il est exposé comme une œuvre d’art, il est désormais impossible de le manipuler, de s’en servir. Le collectionneur qui l’a acheté, le prête aux musées lors des expositions comme celle de la Cité de la céramique à Sèvres en novembre 2013-Mai 2014.

Pichet  glaçuré  anthropomorphe,  Angleterre,  v.  1300.  Londres  

Pot  à  vin  en  étain,  Flandre,  fin  du  XVe  siècle,  Etain  fondu,  soudé,  repris  au  tour,  Hauteur  :  33,5  cm  

: métalEtain fondu, soudé, repris au tour

FlandreFin du XVe siècle

Pichet  à  vin  (claret  jug)  :  verre  taillé,  métal  argenté,  Royaume-­‐Uni,  vers  1880,  Hauteur  :  28  cm

Développement de l’analyse : Interpréter l’œuvre

1. Pablo Picasso se découvre une passion pour la céramique lors de son séjour à Vallauris. Ce « touche-à-tout », génie artistique ne pouvait rester insensible à cette technique mêlant sculpture, peinture et gravure.

2. Le rapport avec la vie et les idées de l'artiste et/ou du designer (si connu) : Pendant cette période, Picasso réalisera près de 4000 céramiques !

3. Cet objet a une valeur historique : c’est l’immédiat après-guerre, un nouvel élan positif naît. Il a aussi une valeur artistique car il symbolise l’ouverture de Picasso à toutes les techniques artistiques sans jugement de valeur : pour lui une céramique est aussi importante, artistiquement, qu’une sculpture. Le jugement de valeur qui place les arts décoratifs à un rang inférieur par rapport aux beaux-arts est pour lui un non-sens. Tout est art pour qui sait voir et créer !

4. Cet objet est novateur car Picasso reprend les techniques de la céramique (modelage au tour, peinture, cuisson, respect des couleurs…) mais il en modifie les formes : ces objets deviennent de véritables sculptures !

Conclusion

Il est possible de mettre en lien ce pichet à vin avec des œuvres de Miquel Barcelo, peintre, sculpteur, est devenu aussi un maître de la céramique. Il est exposé au musée Picasso à Paris (juillet 2016). Comme Picasso, cet artiste réalise des objets à mi-chemin entre la céramique (objet utilitaire) et la sculpture (objet artistique). « Au Mali, les terres cuites sont des objets utilitaires. Alors, j’ai pris de l’argile, je l’ai pétri moi-même, j’ai appris la technique. Ce n’était pas toujours réussi (...), il y avait pleins de fissures, j’ai appris à boucher les fissures, à cuire les céramiques. Quand j’ai commencé à travailler dans un atelier normal, c’était comme si j’avançais d’un millénaire. » Miquel Barceló, 1999.