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Marc Leproux Quelques Figures Charentaises en Orient, Geuther, Paris, 1939, pp. 39-64 1 André - Thevet I Les Origine — La Famille C'est un Angoumoisin des plus authentiques; lui-même le souligne avec fierté à plusieurs reprises dans ses écrits. Cependant la date de sa naissance est assez incertaine 1502 pour les uns 1 , 1504 pour les autres 2 . Cette dernière semble pour tant la plus probable, puisqu'elle est confirmée par te texte de son épitaphe 3 , qui signale sa mort survenue à l’âge de 88 ans en 1592. Louis Desbrandes note qu'il est: "issu d'une ancienne maison d'Angoulême" 4 ; nous le croyons sans peine, car nous savons que cette famille a eu des représentants dans notre région jusqu'à nos jours, où elle "comptait plusieurs branches issues de la famille du célèbre voyageur qui a écrit la Cosmographie du Levant 5 . Du reste André Thevet avait plusieurs frères dont Jean sieur de la Vallade, mestre de camp d'un régiment d'infanterie mort de ses blessures à Draguignan; un autre frère Etienne Thevet maître barbier à Angoulême (Arch. Dép. série G 330 3 953). Il eut plusieurs neveux; lui-même nous en signale un: "Guillaume Thevet, dit le capitaine de la Vallade, lequel commanda l'île de Saint-Michel deux ans ou environ devant la prise d'icelle" 6 . Un autre neveu Philippe Thevet, enfant de chœur à la cathédrale, puis choriste, où il se fait du reste remarquer par son indiscipline; il dit cependant sa première messe le 30 janvier 1588 et le 9 avril suivant il est nommé à la chapelle d'Uzès (Arch. Dép., série G 331 956); c'est sans doute le même Philippe Thevet que l'on trouve mentionné sur les registres paroissiaux sous le nom de Philippe Thevet de Lugeat (Lugeat, près Fléac). On trouve également, vers la même époque, à Poitiers, un Etienne Thevet, (1581-1618), maître chirurgien 7 ; il y a lieu de se demander s'il ne s'agit pas du même 1 Louis Desbrandes, Martin-Buchey, Quignon, Marvaud, Galfarel, J.-M. Carré. Pour chacun d'eux, voir bibliographie. 2 Touzaud, Ferdinand Denais, Valentin Dufour, Falconet. 3 Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit n 0 4621. 4 Louis Desbrandes, Histoire inédite de l'Angoumois, copie probablement exécutée par M. Favraud (collection de l'auteur). 5 Louis Desbrandes déjà cité. 6 Thevet André, Histoire d’André Thevet, Angoumoisin cosmographe du Roy, de deux voyages faits aux Indes australes et occidentales et contenant la façon de vivre des peuples barbares. Manuscrit déposé à la bibliothèque nationale de Paris. Catalogue fond français N. 15-454. 7 E. Biais, à la séance de la Société archéologique de la Charente, le 8 novembre 1916, signale un ouvrage disparu de Estienne Thevet. Plus près de nous, de cette famille, nous pouvons citer Pierre Thevet, lieutenant des chirurgiens, mort le 25 septembre 1661. Jean Thevet de Lesser, avocat, pair du corps de la ville et eschevin, mort le 30 décembre 1670. Dans la branche de Lessert, on peut encore citer Thevet de Lessert, maréchal de camp, domicilié à Champmillon (Hiersac), auteur d'un mémoire "relativement à une nouvelle méthode propre à faire des vins et à les conserver de longues années" (Angoulême, imprimerie Trémeau, 1822, in 4 0 , 11 pages); André Thevet de la Combe Dieu; Thevet de la Tour Saint-Jean; Pierre-François Thevet, avocat et pair du corps de la ville, devint conseiller au Présidial (fait baptiser son fils André le 2 janvier 1781); André-Guillaume de la Bourgade, ancien capitaine au régiment de Gondrin, chevalier de Saint-Louis; Thevet, propriétaire, domicilié à Fouqueure, émigra le 2 juin 1792; un autre Thevet, surnommé Marsac, commandent à Marienbourg où il était domicilié et propriétaire, émigra le 7 juillet 1792, en compagnie de sa femme. Sur les registres de la paroisse de Saint-André, on trouve un assez grand nombre d'autres Thevet, sans qu'aucune généalogie bien définie ne soit encore établie. Mais de la même famille, il ne faut pas oublier Pierre-Jean Thevet, qui fut maire d'Angoulême (1816-1825) et fait officier de Saint-Louis; il est mort à Angoulême, le 8 mai 1845; sa famille s'allia aux Sazerac de Forge; son fils aîné,

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Marc Leproux

Quelques Figures Charentaises en Orient, Geuther, Paris, 1939, pp. 39-64

1

André - Thevet

I

Les Origine — La Famille

C'est un Angoumoisin des plus authentiques; lui-même le souligne avec fierté à plusieurs reprisesdans ses écrits. Cependant la date de sa naissance est assez incertaine 1502 pour les uns1, 1504 pourles autres2. Cette dernière semble pour tant la plus probable, puisqu'elle est confirmée par te texte deson épitaphe3, qui signale sa mort survenue à l’âge de 88 ans en 1592.

Louis Desbrandes note qu'il est:

"issu d'une ancienne maison d'Angoulême"4;

nous le croyons sans peine, car nous savons que cette famille a eu des représentants dans notre régionjusqu'à nos jours, où elle

"comptait plusieurs branches issues de la famille du célèbre voyageur qui a écrit la Cosmographiedu Levant5.

Du reste André Thevet avait plusieurs frères dont Jean sieur de la Vallade, mestre de camp d'unrégiment d'infanterie mort de ses blessures à Draguignan; un autre frère Etienne Thevet maître barbierà Angoulême (Arch. Dép. série G 3303 953). Il eut plusieurs neveux; lui-même nous en signale un:

"Guillaume Thevet, dit le capitaine de la Vallade, lequel commanda l'île de Saint-Michel deux ansou environ devant la prise d'icelle"6.

Un autre neveu Philippe Thevet, enfant de chœur à la cathédrale, puis choriste, où il se fait du resteremarquer par son indiscipline; il dit cependant sa première messe le 30 janvier 1588 et le 9 avrilsuivant il est nommé à la chapelle d'Uzès (Arch. Dép., série G 331 956); c'est sans doute le mêmePhilippe Thevet que l'on trouve mentionné sur les registres paroissiaux sous le nom de PhilippeThevet de Lugeat (Lugeat, près Fléac). On trouve également, vers la même époque, à Poitiers, unEtienne Thevet, (1581-1618), maître chirurgien7; il y a lieu de se demander s'il ne s'agit pas du même

1 Louis Desbrandes, Martin-Buchey, Quignon, Marvaud, Galfarel, J.-M. Carré. Pour chacun d'eux, voirbibliographie.2 Touzaud, Ferdinand Denais, Valentin Dufour, Falconet.3 Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit n0 4621.4 Louis Desbrandes, Histoire inédite de l'Angoumois, copie probablement exécutée par M. Favraud (collectionde l'auteur).5 Louis Desbrandes déjà cité.6 Thevet André, Histoire d’André Thevet, Angoumoisin cosmographe du Roy, de deux voyages faits aux Indesaustrales et occidentales et contenant la façon de vivre des peuples barbares. Manuscrit déposé à la bibliothèquenationale de Paris. Catalogue fond français N. 15-454.

7 E. Biais, à la séance de la Société archéologique de la Charente, le 8 novembre 1916, signale un ouvragedisparu de Estienne Thevet.Plus près de nous, de cette famille, nous pouvons citer Pierre Thevet, lieutenant des chirurgiens, mort le 25septembre 1661. Jean Thevet de Lesser, avocat, pair du corps de la ville et eschevin, mort le 30 décembre 1670.Dans la branche de Lessert, on peut encore citer Thevet de Lessert, maréchal de camp, domicilié à Champmillon(Hiersac), auteur d'un mémoire "relativement à une nouvelle méthode propre à faire des vins et à les conserverde longues années" (Angoulême, imprimerie Trémeau, 1822, in 40, 11 pages); André Thevet de la Combe Dieu;Thevet de la Tour Saint-Jean; Pierre-François Thevet, avocat et pair du corps de la ville, devint conseiller auPrésidial (fait baptiser son fils André le 2 janvier 1781); André-Guillaume de la Bourgade, ancien capitaine aurégiment de Gondrin, chevalier de Saint-Louis; Thevet, propriétaire, domicilié à Fouqueure, émigra le 2 juin1792; un autre Thevet, surnommé Marsac, commandent à Marienbourg où il était domicilié et propriétaire,émigra le 7 juillet 1792, en compagnie de sa femme. Sur les registres de la paroisse de Saint-André, on trouve unassez grand nombre d'autres Thevet, sans qu'aucune généalogie bien définie ne soit encore établie. Mais de lamême famille, il ne faut pas oublier Pierre-Jean Thevet, qui fut maire d'Angoulême (1816-1825) et fait officierde Saint-Louis; il est mort à Angoulême, le 8 mai 1845; sa famille s'allia aux Sazerac de Forge; son fils aîné,

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Etienne Thevet cité plus haut; un Pierre Thevet tonsuré, en faveur de qui est fait, le 26 mars 1557, unarrentement de terres à Bignac (Arch. Dép., G 3302 952).

Portrait d'André Thevet

Nous ne savons rien de lajeunesse de Thevet; lui-mêmedans ses écrits nous a laissédans la plus grande ignoranceà ce sujet. L'étude sembleavoir été

"sa principale préoccupation"8.

Il prit l'habit de cordelier aucouvent de notre ville: leprivilège de son premierouvrage sera en effet. accordéau

"dévot orateur André Thevet,religieux de l'ordre de Saint--François au couventd'Angoulême";

dès qu'il y eut achevé sesétudes théologiques, il setourna bien vite vers lessciences profanes, oùl'entraînait son goût naturel. Ils'adonna tout entier à lalecture, dévorantinstinctivement tous lesouvrages qui lui tombaiententre les mains, et, comme ilétait doué d'une vastemémoire, il acquit en peu detemps la facilité de parler surtoutes sortes de sujets. C'enétait assez pour briller dansson couvent9.

Mais cela ne pouvait satisfaire André Thevet; il désirait entrer en contact avec les savants d'alors, enparticulier avec le centre intellectuel du moment, l'Italie. Son besoin de tout connaître fit naître debonne heure en lui le désir de voyager et il mit tout en œuvre pour satisfaire cette passion.

La date de 153710, donnée comme début de ses pérégrinations, ne semble pas exagérée; elles durentmême commencer avant cette année-là. En effet, Pierre du Chambon signale qu'en 1535 André Thevetrencontra et eut Rabelais pour

capitaine de pompiers, se fit surtout remarquer par sa vie dissipée; il mourut célibataire; son autre fils, allié à lafamille Zadig Rivaud, servit comme officier en Afrique; il semble avoir été en désaccord sérieux avec son père,puisque celui-ci ne lui laissa que sa part légale d'héritage; Edouard Thevet, qui fut nommé par Napoléon III,président de la Société des sauveteurs de la Charente.8 Quignon, Notices historiques et anecdotiques sur Angoulême, inédites, copie exécutée probablement par M.Favraud, (collection de l'auteur).9 Biographie Universelle, tome XIV.10 Touzaud, Notice sur André Thevet, Bulletin de la Société archéologique de la Charente (1907-1908). Voiraussi article de Pierre du Chambon dans: l’Observateur de Ruffec du 5 mai 1933.

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"cicérone dans la ville éternelle à la grande satisfaction de notre homme qui en exprime sareconnaissance dans sa: Cosmographie universelle... quel guide merveilleux dut être Rabelais àRome, on se l'imagine volontiers".

Son voyage en Italie fut peut-être décidé par ses supérieurs à l'occasion d'un pèlerinage ou d'unemission à Rome. Quoi qu'il en soit, il sut en tirer tout ce que son humeur aventureuse pouvaitsouhaiter d'avantages.

Dès son passage à Plaisance, il se ménagea la bienveillance du cardinal Jean de Lorraine qu'il yrencontra; sans doute sut-il l'intéresser à ses projets, car c'est ce prélat qui lui fournit les subsidesnécessaires pour entreprendre son voyage aux Echelles du Levant et en particulier en Terre Sainte, oùl'appelaient sans doute et sa curiosité et sa foi.

II

Voyage en Orient

Il quitta Plaisance au mois de juin 1549 et s'embarqua à Venise le 23 du même mois sur une felouquequi le conduisit à Chio, où il séjourna deux mois. Un ambassadeur génois, que les vents contrairesavaient forcé de relâcher dans l'île, se chargea en même temps de porter le tribut des habitants ausultan et de conduire notre compatriote à Constantinople, où il arriva le 30 novembre. Il eut l'heureusefortune d'y rencontrer le savant Pierre Gilles, l'un des premiers Français qui se soient occupés avecsuccès d'histoire naturelle. Chargé de mission aux Echelles du Levant par François 1er, il avait dû, nerecevant aucune ressource, s'engager dans les troupes du Sultan pour combattre le roi de Perse.Quelques amis, émus de sa position lamentable, lui avaient permis de racheter son congé quand ilrencontra Thevet. Ensemble ils allèrent visiter les ruines de Chalcédoine pour y faire quelques fouilleset Thevet en rapporta un certain nombre de pièces et de médailles d'argent.

Alors que Pierre Gilles revenait vers la France, Thevet s'embarqua pour Rhodes; mais la tempêtel'ayant rejeté sur les côtes de Grèce, il séjourna deux mois et demi en la

"ruynée ville d'Athènes",

ce n'est que le 2 novembre 1550 qu'il put atteindre Rhodes et se diriger presque aussitôt surAlexandrie où il débarqua à la fin du même mois.

Pendant quatre mois il visite l'Egypte et, dans sa Cosmographie, il consacre une centaine de pages à cepays. On s'est trop souvent attaché à ne relever dans ses relations que les récits naïfs ou quelquesfables grossières; il s'y trouve pourtant beaucoup de remarques judicieuses, qui peuvent encore nousêtre profitables. Quand il recommande le régime suivi par les indigènes, il ne fait que devancer nosmédecins et nos hygiénistes modernes dans leurs conseils à ceux qui doivent vivre dans ce pays:

"La façon de vivre est telle de ceux qui habitent le pais abondant en frutages: par chacun moisqu'ils prennent purgacion trois jours de suite gardant leur santé avec clistères et vomissements... ilssont les plus sains des hommes".

S'il souligne la longévité des Egyptiens en lui accordant une durée invraisemblable, n'oublions pas quel'on rencontre facilement de nos jours des indigènes qui ne semblent avoir aucune notion du temps et,dès que l'un d'eux marque une soixantaine d'années, il n'est pas rare de lui voir attribuer plus de centans. La richesse merveilleuse du pays,

"le grenier du monde",

ne lui échappe pas11.

Si son Ame de religieux lui fait déplorer le nombre considérable de:

"paroisses du diable... jusqu'à mile deux"12,

Les bords du Nil au XVIe siècle, d'après une gravure extraitede la Cosmographie du Levant d'André Thevet 11 Thevet, Cosmographie du Levant, édition de 1556.12 Thevet, Cosmographie; déjà cité.

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la gravure qui accompagneses commentaires donne uneidée bien fidèle de la prièremusulmane, avec le muezzinperché dans le minaretappelant les fidèles à lamosquée en se bouchant lesoreilles pour crier plus fort,tandis qu'en bas, dans lacour, autour de la fontaine,des fidèles ont déjàcommence leurs ablutionsrituelles. N'est-ce pas l'auteurqui a inspiré au dessinateurun tel souci d'exactitude pourdes choses qu'il neconnaissait pas? Il y a là unvéritable petit tableau encoreexact de nos jours. Il observeaussi les mœurs desmusulmans, et c'est trèsexactement qu'il écrit

"Mahomet promet le paradisà tous ceux qui ont bien

nourri leur femme, ont prié 4 ou 5 fois durant la nuit et le jour, qui ont fait bonne mesure et payé lesdîmes au Prophète de Dieu et à ses Tulismanhar et Hogsialars qui sont prêtres et docteurs"13.

Par contre, c'est sans doute la gravure ci-contre qui par une de ces grosses plaisanteries que la jalousiefaisait naître alors contre Thevet, fit appeler cet animal

"la grosse bête de Thevet".

Je ne vois pas d'autre explication, car il est difficile d'admettre que Thevet eût pu rapporter un fortgros crocodile; à moins que ce ne soit une de ces peaux de crocodile que les indigènes ont l'habitudede mettre au-dessus de leur porte pour chasser le mauvais œil.

Rendons-lui aussi hommage pour avoir voulu voir par lui-même chaque fois qu’il l'a pu, et ceci nonsans de grands dangers à cette époque. En Egypte, il entreprend le voyage des Pyramides de Sakkarahen compagnie de deux médecins, vénitiens sans doute, pour y chercher de la poudre de "mumie" sifort en honneur dans la pharmacopée de l'époque, et ce n'était pas là une petite expédition.

Il repousse toutes les fables qui ont alors cours sur les Pyramides et ne veut point y voir les greniersdes Pharaons.

"C'était, dit-il, des sépultures de rois. comme il appert par Hérodote et de ce que j'ai faitl'expérience, car j'ay vu dans une Pyramide une grande pierre de marbre taillée en façon desépulcre"14.

S'il croit les Pyramides terminées par une pointe de diamant, cela s'explique parce qu'il a vu laPyramide de Khephren si bien conservée de nos jours, et encore mieux à cette époque, étincelercomme une pierre précieuse sous le soleil d'Egypte.

Le 23 mars 1551, Thevet s'embarque pour la Terre Sainte; il y séjournera un an, car son intention estde la visiter avec soin, comme il le dira lui-même.

13 Thevet, Cosmographie Universelle.14 Thevet, Cosmographie du Levant; déjà cité.

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"Mon intention principale estoit de voir les lieux où premièrement a esté preschêe par le Sauveur lanouvelle de notre Rédemption."

Il en repartira faisant partie de l’Ordre du Saint-Sépulcre.

Il quitta la

"saincte cité le quinzième jour après Pasques 1552",

mais ne fut de retour en France qu'en 1554. Il s'emploie aussitôt à publier son premier ouvrage, laCosmographie du Levant, qui paraît la même année; il sait y mettre en parallèle plusieurs reprises lesbeautés de sa Charente avec celles qu'il a pu rencontrer au cours de ses pérégrinations: mais pour luirien n'a réussi a effacer

"l'admirable abyme de la Touvre"

couvert de cygnes et la Charente qui

"par ses inondations engresse et arrose, comme un second Nil, le pais d'Angoulesme... produisansde meilleurs poissons que le Jourdain qui lui aussi est formé de deux fontaines du mont Liban"15.

Voilà, écrit avec juste raison Daniel Touzaud, l'auteur infortuné que l'ingrat Angoumois a laissé dansl'oubli"16.

Mais son second voyage va de nos jours contribuer à le tirer de l'obscurité.

III

Voyage au Brésil

Dès le 15 juin 1555, notre voyageur part de nouveau avec Nicolas Durand, seigneur de laVillegagnon17, qui l'emmène comme aumônier au Brésil où il va établir une colonie. Celui-ci avait suobtenir du Roi des vaisseaux et la mission de combattre l'influence espagnole en Amérique du Sud; ils'était aussi assuré le précieux appui de Coligny en lui promettant secrètement d'établir dans cettenouvelle contrée la "religion épurée".

L'expédition quitte le Havre, appelé alors Franciscople, le 12 juillet 1555. La tempête et une voied'eau la forcent à se réfugier à Dieppe pour réparer. Une partie des artificiers et des noblesabandonnent l'expédition, et cette désertion ne sera pas sans contribuer beaucoup à l'échec final del'entreprise. Ils arrivèrent à l'embouchure du Ganabaro (Rio de Janeiro) le 10 novembre et se fixèrentsur une île d'un mille de circonférence, que les Français nommèrent France Antarctique

"pour est partie peuplée, partie descouverte par nos pilotes",

dit Thevet. Ils établirent un fort que nous ne serons pas étonnés de voir appeler Fort Coligny.

Nous ne pouvons, sans sortir des limites que nous nous sommes tracées, relater ici les principauxépisodes de ce voyage au Brésil, de même que ceux qui marquèrent, lors du retour, le passage enEspagne. Du reste, Thevet tomba malade peu après son débarquement: n'arrivant pas à se remettre, ildut se rembarquer dès le 31 janvier 1556. S'il ne put visiter le Brésil, ainsi qu'il en avait le projet, il eutle temps de faire une ample provision de documents qui ne sont pas sans valeur, comme nous leverrons plus loin. Il faut ajouter qu'il a du mérite d'avoir fait tout cela. en aussi peu de temps et malgrésa maladie.

15 Thevet, Cosmographie du Levant; déjà cité.16 Touzaud, déjà cité.17 Villegagnon, alias Villagagnon, Villagaignon (Nicolas Durand de la), Chevalier de Malte célèbre par sesaventures et ses disputes avec Calvin. Né à Provins vers 1510. Esprit cultivé et aventureux, s'était fait remarquerdans des entreprises hardies; nommé vice-amiral par Henri II, obtint l'autorisation de fonder une colonie auBrésil en faisant miroiter au roi l'influence qui en résulterait sur les Espagnols et à Coligny l'avantage d'un asilepour les protestants; il partit avec un certain nombre d'entre eux et fonda le fort de Coligny dans l'île desSerpents de la baie de Rio de Janeiro; il mécontenta ses compagnons par ses rigueurs; il y eut des disputes;Villegagnon abandonna la colonie qui commençait à péricliter. Villegagnon, qui a laissé quelques écrits, mouruten 1571.

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Il voulut profiter de son retour pour visiter l'Espagne; mais à peine débarqué, il fut, comme luthérien,traîné "lié et bagué" devant l'inquisiteur

"soubs prétexte que l'on me trouva au lict le jour de la Saint Thomas... et que je n'avois esté à lamesse, sans avoir égard que j'estois arrivé le soir auparavant, fasché et rompu par la tempête et lesondes marines."

Il n'échappa à "la prison obscure" que grâce à un petit agnus Dei enchâssé d'or et une petite croixrapportée de "Hierusalem", que lui "print ce gentil inquisiteur", qui lui

"commenda de vider bientôt la ville sur peine d'estre attaint ou crime dont on l'accusoit"18.

Cet incident contribua sans doute à décourager Thevet de se lancer dans de nouvelles entreprises, carce qu'il nous en dit montre qu'il en avait conservé un souvenir très amer. Il est vrai, comme il l'écritlui-même, que

"ses lointaines pérégrinations furent continues pendant 17 ans ou environ".

Il avait maintenant droit au repos d'autant plus que dans son évaluation il ne semble compter que sesvoyages "outre mer" et, quand Touzaud évalue à 23 ans la durée des ses divers déplacements, il estcertainement au-dessous de la vérité.

IV

Résultat des Voyages

Désormais André Thevet est un personnage en vue. Catherine de Médicis lui accorde sa protection etne tarde pas à en faire son aumônier.

"Le pape lui permet de quitter le cloître pour prendre l'habit ecclésiastique"19.

C'est sans doute ce qui permettra de dire à un de ses détracteurs, de Thou,

"qu'il quitta le froc et de moine devenu aventuriez il employa le temps, de sa jeunesse à faire despèlerinages et autres voyages de fantaisie"20.

Avec le peu de sécurité qui existait et les moyens dont on disposait alors, on conviendraqu’entreprendre de tels voyages dépassait en la limite de la fantaisie.

Bientôt il reçoit le titre de cosmographe et d'historiographe du Roi "avec des appointementsconsidérables". On le voit aussi "garde des curiosités du Roi": il s'agit sans doute d'un musée auquel ilavait, grâce à ses longs voyages, apporté la principale contribution21. En effet, nous l'avons vurechercher des médailles en Grèce, poursuivre des fouilles en Egypte; et, au Brésil,

"notre cosmographe ne s'occupe que d'explorer le pays et de collectionner des oiseaux et desinsectes et aussi des plantes"22.

C'est là un de ses plus beaux titres et celui qui mérite le plus de retenir notre attention.

Dans sa collection, Thevet rapporte des graines et une plante qu'il appelle Petum et à qui il donneraplus tard, par un délicat hommage à sa ville natale, le nom d’herbe Angoumoisine c'est le Tabac.

Sans doute, ce n'est pas ce qui attire le plus l'attention dans les "Curiosités du Roi". Cependant, dès1556, Thevet en sème quelques pieds et dans son nouvel ouvrage, Les Singularitez de la France

18 Thevet, Cosmographie Universelle; déjà cité (T. II, page 492).19 Marvaud, Géographie de la Charente.20 De Thou Histoire Universelle.21 Le cosmographe Thevet est le plus ancien garde connu de cette collection, premier noyau des cabinets royaux,devenus de nos jours le Muséum d'histoire naturelle et le Musée d'ethnographie. Nous ne savons rien de bienpositif sur l'administration de Thevet, qui put durer jusqu'à sa mort, en 1592. Le soin qu'il avait pris en maintescirconstances, au cours de ses voyages, de recueillir toutes espèces d'objets qui lui paraissaient intéressants,autorise à penser qu'il dut mettre un véritable zèle à remplir les fonctions dont il avait été chargé. (Dr E.T. HamyLes Origines du Musée du Trocadéro. Paris, Ernest Leroux, 1890. — Voir aussi Touzaud, déjà cité.)22 Touzaud, déjà cité.

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Antarctique, publié en 1558, il donne une pénétrante analyse de l'emploi de cette plante par lesindigènes de l'Amérique du Sud et des effets qu'elle a sur l'organisme humain; il écrit en particulier

"Ils cueillent soigneusement ceste herbe et la font sécher à l'ombre... ils enveloppent, estant seiche,quelque quantité de ceste herbe en une feuille de palmier et la rollent comme de la longueur d'unechandelle, puis mettent le feu par un bout et en reçoivent la fumée par le nez et par la bouche... elleenteste et enyvre comme le fumet d'un fort vin... avant que l'on y soit accoustumé ceste fuméecause des sueurs et faiblesses... ce que j'ay expérimenté en moi-même"23.

Aucun doute ne semble possible, c'est bien notre compatriote qui a introduit le tabac en France, carc'est seulement en 1560 que Jean Nicot, ambassadeur en Portugal, devait en offrir à François il et à samère.

Sur ce point, la cause de Thevet semble de nos jours gagnée auprès des érudits, comme le prouve larécente exposition du Tabac au musée Galliera24. La presse a rendu à Thevet ce qui lui appartient leJour en particulier, dans un article intitulé:

"C'est une erreur, Nicot n’a pas découvert le tabac"

écrivait par la plume de Claude Gaudin25:

"André Thevet peut donc se vanter, dans ses pages où éclatent sa colère, son innocence et son bondroit, d'avoir esté le premier en France qui a apporté la graine de cette plante et pareillement seméet nommé la dite plante l'herbe Angoumoisine. Depuis, un quidam qui ne fit jamais le voyage luidonna son nom"26.

"Le quidam en question c'était Nicot, qui fut puni de son usurpation par le nom de nicotine quidésigne: un poison"27.

Déjà, dans son excellente étude, Daniel Touzaud texte en main, avait clairement fait à notrecompatriote la part qui lui revient, mais son travail n'avait qu'un intérêt régional, tandis quel'Exposition du Tabac est appelée à avoir une portée plus grande. Cependant elle n'aura pas pour nouscelle qu'elle aurait pu avoir; en effet, on n'y réserva pas la moindre place à notre compatriote et, parmitous les tableaux et gravures, pas un portrait d'André Thevet ne figurait. On nous permettra deregretter cette lacune, car si Thevet se trouva frustré de sa découverte, notre région le fut du nomd'"herbe Angoumoisine" qu'il avait donné au tabac. A part la petite phrase, vengeresse il est vrai, quenous relevons dans la presse, rien ne marque le souvenir de Thevet dans cette exposition si réussie parailleurs.

V

Publication et dernières années

Nous avons dit qu'André Thevet avait publié en 1558 les Singularitez de La France Antarctique, quisont le fruit de son voyage au Brésil; il apporta un soin tout particulier aux illustrations; nous avonsdéjà eu l'occasion de signaler l'intérêt de celles qu'il a introduites dans sa Cosmographie du Levant.C'est à propos de sa nouvelle publication qu'il attire

"de Flandre les meilleurs graveurs, et, par la grâce de Dieu, je puis me vanter estre le premier quiai mis en vogue à Paris l'imprimerie en taille douce"28.

Il contribue ainsi, dans une large mesure, aux progrès de la gravure en France.

Huit belles gravures sur bois ornent le volume et le succès sera tel qu'il en publiera une deuxièmeédition presque coup sur coup.

23 Thevet Les Singularitez de la France Antarctique, chapitre XXXII.24 Exposition Mars-Avril 1937, musée Galliéra, Paris.25 A la suite d’une interview de M. Sergent, conservateur adjoint.26 André Thevet, Cosmographie Universelle; déjà cité (Tome Il. page 926).27 Le Jour, 10 février 1937.28 Thevet, Préface des Vrais pourtraicts et vies des hommes illustres.

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Thevet continue toujours à bénéficier de la faveur royale il déclare lui-même dans ses Pourtraicts quele roi Charles IX le mandait souvent pour lui éclaircir les difficultés qu'il avait sur les cartes des paysétrangers. Il ne reste pas pour cela inactif; il publie en 1563 un Discours sur la bataille de Dreux. En1566, il est fait chanoine au chapitre de St-Pierre d'Angoulême, mais, comme il réside rarement danscette ville, il voit son temporel saisi par le chapitre. Comme il ne néglige pas ses intérêts matériels, ilfait assigner celui-ci

"aux requêtes du palais, le 29 janvier 1574".

Pourtant, vers cette époque, il semble avoir résidé à plusieurs reprises ou un temps assez long àAngoulême, puisque nous le voyons assez régulièrement porté comme hebdomadier (ou semainier).

Le 6 avril 1576, il donne procuration à son frère Etienne, maître barbier, et le 8 mars et le 2 juillet dela même année des lettres royaux en sa faveur le dispensent de la résidence. Ces lettres ou il estqualifié de Cosmographe du Roi et de la Reine durent rencontrer sans doute une certaine incrédulité,puisqu'il présente, le 17 août de la même année, un acte prouvant qu'il a bien droit à ce titre et que sonfrère, s'en fait délivrer une copie le 5 février 1577.

En 1578, nous le trouvons abbé du Mas Dieu et maître école à la cathédrale d'Angoulême. Denouveaux lettres royaux interviennent en sa faveur; à la fin de l'année, nous le voyons en procès avecJ. Dubreuil au sujet de la prébende de Mérignac qui a été délivrée à Dubreuil faute à Thevet d'avoiropté dans les délais réglementaires. Du reste, à cause de ces difficultés, mais sans doute aussi à causede son grand âge, il ne tardera pas à abandonner ses fonctions. Le 25 mars 1581, nous le voyonsencore une fois semainier, mais le 7 avril suivant a lieu la réception de Toussaint Martin, maître écoleà la cathédrale,

"à la chanoinie et prébente de A. Thevet qui à résigné"29.

En 1580, il publie son dernier ouvrage, Les vrais pourtraicts et vies des hommes illustres, dédié au roiHenri III. Chacune de ses notices est le fruit de multiples recherches et le lecteur y trouve encore àglaner des particularités curieuses à côté de choses invraisemblables; les portraits qui accompagnent letexte sont souvent remarquables de vérité et d'exécution. Du reste, nous avons vu quels étaient lessoins de l'auteur à ce sujet. Au point de vue de l'art et de l'érudition, l'intérêt de cet ouvrage est loind'être épuisé et l'on me faisait constater dernièrement, au département des estampes de la BibliothèqueNationale, que ce travail continuait à être encore consulté assez fréquemment.

C'est d'ailleurs un ouvrage d'une réalisation technique remarquable: les divers portraits sont d'unefinesse d'exécution que nous continuons à admirer. Le souci de l'exactitude, comme nous l'avons déjàdit, a, été poussé avec tous les moyens que pouvait offrir le moment. S'il convient de laisser auxexécutants la part qui leur revient, il est juste de savoir gré à Thevet d'avoir su les réunir les diriger etassurer ainsi une belle réussite. En cette circonstance, il n'oublia pas ses compatriotes et nous trouvonsdans son livre de jolis portraits de Louis, duc d'Orléans (père de Jean, comte d'Angoulême), de Melinde Saint-Gelais et de François Ier.

Les travaux de Thevet, si nombreux et si importants, qui valurent des amitiés illustres le Garde desSceaux Jean Bertrand, cardinal archevêque de Sens, à qui il donna une de ses robes de plumesTupinamba et qui accepta la dédicace du livre des Singularitez; le procureur général Bourdin,bibliophile distingué, qui s'intéressait vivement aux publications de et aux progrès que l'auteur faisaitfaire à l'illustration du livre en France; Gilbert Génebrard et Jean Dorat, professeurs au Collège deFrance, qui n'hésitaient pas à lui adresser leurs poèmes; enfin la Pléiade presque entière. Antoine Baif,

29 29 janvier 1574: Arch. Dép., série G 3033 953. Comme semainier, nous le voyons porté les 28 mai, 22 octobre1574; 18 mars, 23 décembre 1575; 11 mai, 5 octobre 1576; 1 mai 26 juillet 1577; 9 mai, 9 octobre, 24 décembre1578; 2 février, 31 juillet, 31 décembre 15; 9; 27 mai, 28 octobre 1580; 21 mars 1581. Pour les lettres royaux,Archives, même série, et pour le procès Dubreuil, série G 330~ 954. Pour l'arrentement de Brinac, série G 3302

952. En 1580, nous dit Nanglard (Pouillé historique du diocèse d'Angoulême), il rentre dans son couvent et y estencore en 1590. Il s'agit là certainement de sa réintégration dans l'ordre des Cordeliers (après avoir étésécularisé, comme nous l'avons vu), et non de son retour au couvent d'Angoulême, puisque, comme nous leverrons, il séjournera à Paris où il s'occupera de son tombeau et sera enterré. Il est trop âgé pour que l'onenvisage l'hypothèse de voyages successifs à Paris à partir de cette époque.

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Joachim du Bellay, Jodelle, Robert Garnier lui dédiaient odes et épîtres, tandis que Ronsardcomposait en son honneur l'ode XXII du livre V de ses œuvres (édition de 1584). Mais, par un retourpeu digne de lui, Ronsard remplacera le nom de Thevet après sa mort par celui d'un autre voyageur,Pierre Belon.

Au milieu de tout ce concert, il semble que Thevet se soir montré surtout fier de son titre de chevalierdu Saint-Sépulcre. Dès 1554, il avait fait exécuter pour la chapelle du Saint Sépulcre de l'église desCordeliers un vitrail où

"le dit Thevet estait à genoux, tenant sa palme, et les mains jointes devant la dite image [de NotreSeigneur] l'embrasement de l'église des Cordeliers estant survenu, le dit Thevet fit ôter les restes dela dite vitre laquelle il faisoit remettre et attacher tous les ans pour le jour de feste deQuasimodo"30.

"Le Vitrail d'André Thevet", d'après le calque du dessinde la collection Gaignères, du département des estampes.

Ceci dura jusque vers 1589;l'église devant alors être res-taurée, Thevet songea à sontombeau, qu'il fit édifier dansle chœur. Sur les dernierstemps de sa vie, sentant sansdoute approcher sa fin, il serendait chaque jour à l'églisepour hâter l'achèvement destravaux.

André Thevet mourut le 23novembre 1592. Son tombeauvenait d'être achevé; on yremarquait un écusson31 où serépétaient les attributs qu'ilavait fait mettre à son vitrail etque l'on voit aussi à certainsportraits. Six vers latins de sonami Dorat et l'épitaphesuivante y étaient égalementgravés:

"Ci gist vénérable et scientifique personne maistre André Thevet, cosmographe de quatre rois,lequel estant agé de 88 ans seroit décédé en ceste ville de Paris, le 23e jour de novembre 1592.Priez Dieu Pour Lui"32.

VI

Intérêt de l'œuvre de Thevet

Nous ne pouvons terminer cette étude sans donner un coup d'œil sur l'ensemble de l'œuvre de notrecompatriote. En raison des jugements sévères qui ont été portés sur ses divers travaux, nous croyonsdevoir nous arrêter sur l'intérêt qu'ils présentent encore.

Les ouvrages de Thevet, écrivait Daniel Touzaud,

"sont loin de mériter le mépris des ignorants qui se plaisent à le taxer d'ignorance; ils ne sont pas sioubliés qu'on se l'imagine du monde savant",

30 Jacques du Breul, Théâtre des antiquités de Paris (1612).31 Que Touzaud signale ainsi: "de gueules à la sphère accompagnée tout autour d'yeux au naturel, au chefd'argent chargé de cinq mâte de navire sur mer d'azur."32 Bibliothèque de l'Arsenal, manuscrit N. 4621.

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et pour expliquer ses erreurs, il invoquait le témoignage de Rabelais,

"un écrivain avisé entre tous et qui dépassait son temps".

Ce qui permettra à Pierre du Chambon d'écrire très justement plus tard

"Que n'a-t-il lu plus tôt avec attention les œuvres de son client, il aurait découvert en Rabelais unauxiliaire derrière lequel Thevet lui-même s'abritait... et l'un comme l'autre dans leurs livres, àquarante ans d'intervalle donneront la même description de l'île des Démons, au nord de Terre-Neuve,ainsi que l'a établi M. Abel Lefranc"33.

Du reste, l'abbé Valentin Dufour a montré l'intérêt qui s'attache encore à ses travaux en rééditant, sousle titre de la grande et excellente cité de Paris, une partie de la Cosmographie universelle qu'ilconsidère toujours

"comme un travail utile et intéressant"34.

Cela nous suffit pour que nous nous intéressions à l'œuvre de Thevet, à laquelle, du reste, ledéveloppement de plus en plus grand des études ethnographiques n’a pas été sans donner un regaind'intérêt.

M. Métraux vient de rééditer Les vieux Mythes Tupinamba que Thevet avait recueillis des récits deQuoniambec.

Nous pouvons écrire sans crainte de nous tromper que Thevet fut un ethnographe avant la lettre. Sonrôle, comme gardien du "cabinet des curiosités du roi", fut celui d'un conservateur de musée. Et nouspouvons dire d'un conservateur zélé et passionné pour son travail. En effet, Jean de Léry, qui devait lecritiquer sévèrement, signale, à propos des collections qu'il rapportait de ses voyages,

"qu'en passant à Paris un quidam de chez le roi, auquel je les montrai, ne cessa jamais que parimportunité il ne les eust de moi"35.

Et nous savons que le quidam en question n'était autre que Thevet.

Les deux premières pièces acquises par le Musée d'Ethnographie du Trocadéro lui sont attribuées parAlfred Métraux qui les a étudiées dans un brillant article36. Il pense, non sans beaucoup devraisemblance, que ces deux objets seraient passés des mains de Thevet dans celles du roi Henri II,pour figurer dans son "cabinet de curiosités", dont Thevet fut en quelque sorte le conservateur. De là,ces objets passèrent sans doute au cabinet des médailles, puis au Louvre, et enfin au musée duTrocadéro. Si le manteau est bien conforme aux descriptions et aux représentations que l'on en trouvedans l'œuvre de Thevet, il convient de dire qu'il n'en est pas de même de la massue. En effet, quandThevet parle de celle-ci, c'est de celle ayant appartenu au chef de tribu ou roi sauvage Quoniambec,puisqu'il écrit:

"J'ai encore en ma maison l'espée de Quoniambec capable d'assomey un bœuf"37.

Or un heureux hasard m'a fait découvrir l'épreuve avant la lettre de la gravure de Quoniambec publiéepar Thevet dans ses Vrais pourtraicts et vies des hommes illustres. Le personnage est bien armé de samassue, mais elle est loin de correspondre à celle qui se trouve au Trocadéro. Elle s'en différencie parun disque surmonté d'une partie ovoïdale en pointe et se rapproche beaucoup plus de celle qui est auMusée ethnographique de Berlin. Si l'épée n'est pas celle de Quoniambec, il est fort possible que cesoit un objet obtenu grâce aux demandes importunes dont nous parle Jean de Léry.

Le manteau de plume, appelé par Thevet robe, d'une longueur d'environ 120 centimètres, est munid'un capuchon qui en fait un exemplaire unique parmi les autres manteaux Tupi namba connus. Lesplumes sont retenues par une chaîne de fit de coton et s'imbriquent les unes sur les autres de façon àprésenter une surface unie assez uniformément rouge. 33 Touzaud et Pierre Du Chambon, déjà cités.34 Abbé Valentin Dufour, La grande et excellente cité de Paris.35 Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil.36 A. Métraux, A propos de deux objets Tupinamba.37 André Thevet, Manuscrit de la Bibliothèque nationale, Histoire d'André Thevet, déjà cité.

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La massue ou casse-tête se compose d'un manche en bois de 113 centimètres, terminé à l'une de sesextrémités par une masse également en bois de 18 centimètres environ, et à l'autre par une poignée defibres et de franges de coton où s'attachaient autrefois des plumes.

Thevet lui-même, dans ses manuscrits, nous signale l'intérêt et l'usage de ces objets: les capes deplumes étaient arborées à l'occasion des fêtes, et principalement lorsqu'on exécutait ou mangeait unprisonnier de guerre; la massue jouait son rôle dans les cérémonies, les danses et enfin les exécutionset, sans doute, celles de Quoniambec plus que de tout autre, puisqu’au dire de Thevet ce roi auraitmangé des milliers d'ennemis et bon nombre de Portugais. Les Français durent donc se féliciter deleurs bonnes relations avec Quoniambec.

Esprit des plus aventureux, Thevet n'hésite pas à entreprendre les voyages les plus pénibles poursatisfaire sa curiosité; il n'épargne ni ses soins ni sa peine; il cherche à s'instruire par tous les moyens;c'est un lecteur infatigable et il écrit très justement:

"Je puis assurer que la plupart des bibliothèques, tant françaises qu'étrangères, ont été par moivisitées à celle fin de pouvoir recouvrer toutes les raretés et singularitez"38.

Aussi il est bien téméraire de taxer Thevet d'imposture, de mensonge et d'ignorance. Sans doute sacrédulité fut parfois bien grande; mais cela. ne permet pas de discréditer en bloc son œuvre. Lesvoyageurs qui l'avaient précédé, y compris ceux de l’antiquité (comme Hérodote), que l'on continueencore à lire de nos jours, n'ont-ils pas accepté, eux aussi des récits invraisemblables? Il est certainque Thevet fut plus près des méthodes de travail du Moyen Age que des nôtres; il n'en fut pas moinsun géographe (nous pouvons dire actuellement un ethnographe) et un écrivain laborieux. S'il fut deson époque pour la crédulité, son savoir fut certainement bien supérieur à celui de son temps.Meneken, dans son Traité de la charlatanerie, déclare que Thevet savait 28 langues et qu'il les parlaitavec facilité. Il y a sans doute dans cette affirmation une exagération, mais elle montre cependant lecas qui pouvait être fait des connaissances de Thevet. Les vocabulaires qu'il recueillait et que l'ontrouve dans ses publications et ses manuscrits ont été largement utilisés par les linguistes, souventsans souligner la, part qui lui en revenait.

Son désir de connaître s'exprime du reste dans la dédicace de son premier ouvrage, où il déclare s'être

"aventuré tant à la mer hazardeuse qu'aux vents furieux pour avoir et connaistre l'expérience deschoses".

C’est donc par un juste retour des choses que nous voyons un regain de faveur se manifester à l'égarddes œuvres de Thevet. Déjà les Etudes Rabelaisiennes ont, à maintes reprises, souligné de combiennous lui étions redevables au point de vue linguistique.

Nous avons déjà dit qu'une partie de son œuvre non encore éditée se trouvait heureusement conservéeà la Nationale. Nous sommes persuadé qu'ethnographes, et même folkloristes, ont encore beaucoup ày puiser. Nous avons montré l'intérêt des souvenirs Tupinamba conservés grâce à lui; nous avonssouligné que, si les gravures qui accompagnent son texte présentent un réel intérêt documentaire, celatient surtout à l'attention avec laquelle il a surveillé leur exécution. Dans son œuvre on trouve unefoule de détails des plus intéressants. Quant il écrit:

"les vaisseaux dont ils (les sauvages) usent sur l'eau sont de petites barquettes composées d'écorced'arbres sans clous ni chevilles, longs de 5 ou 6 brasses et de 3 pieds de largeur"39,

ne montre-t-il pas, par ce détail si précis, combien de choses intéressantes sont encore dans cetteœuvre. Nous sommes convaincu que l’avenir se montrera moins sévère que le passé; du moinséchappons-nous à cette atmosphère de basse jalousie que surent créer ses ennemis, envieux de soncrédit à la cour, crédit dont il sut jouir sans interruption pendant plus de trente années.

Aussi pensons-nous devoir terminer en citant l’opinion qu’émettait déjà au commencement du siècledernier son compatriote Louis Desbrandes et à laquelle on peut souscrire.

38 André Thevet, Préface des Vrais pourtraicts et vies des hommes illustres, déjà cité.39 André Thevet, Manuscrit de la Bibliothèque nationasle, Second voyage dans les terres australes etoccidfentales.

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"Pour moi, loin d'être conduit par un esprit de partialité en prenant ici sa défense, je ne ferai quesuivre un écrivain respectable qui s'est fait un devoir de lui rendre toute la justice possible. Il luireproche à la vérité une excessive crédulité qui lui faisant recevoir trop avidement tout ce qu'on luiracontait, lui a fait débiter quelques faussetés; mais il avoue qu'il ne prétendit jamais pour celainventer. Il dit qu'on ne peut nier qu'il eût beaucoup lu, et qu'il eût même beaucoup d'érudition;mais il ajoute que son jugement, son goût et sa critique n'y répondaient pas. C'est ainsi ques'explique M. Drouet au sujet de cet homme à qui l'on ne donne que l'ignorance en partage, sansavoir égard à ses longues veilles qui auraient au moins dû parler en sa faveur, puisque ce ne fut quele zèle de servir sa patrie qui lui fit entreprendre les plus longs voyages qui l'exposèrent à bien desdangers pendant 23 ans dans les quatre parties du monde. Quelle que soit l'opinion qu'on ait de lui,ses écrits immenses, qui ne peuvent être que le fruit d'un long travail, que les curieux recherchentencore, tant parce qu'ils contiennent l'histoire et les portraits des hommes les plus célèbres del'antiquité que parce qu'ils instruisent des mœurs et des coutumes des peuples les plus sauvagesqu'il a eu l'occasion de connaître"40.

Bibliographie et Notes

Voici un essai de bibliographie descriptive des œuvres imprimées de Thevet

1.- Cosmographie du Levant, à Lyon, chez Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1554. L'ouvrage est dédié aucomte de La Rochefoucauld. In 4o. Réimpression:

a) chez les mêmes en 1556; édition revue et augmentée de plusieurs planches in 4o.

b) à Anvers, chez Jean Richard, au soleil d'or, avec figures sur bois (une de ces figures représente Thevet avecl'habit de cordelier), in 4o, 1558.

La Cosmographie du Levant est un ouvrage devenu extrêmement rare et il ne doit se trouver qu'à la réserve de laBibliothèque nationale et à la bibliothèque de Lyon, et seulement dans l'édition de 1556.

2.- Les Singularitez de la France Antarctique autrement nommée Amérique et de plusieurs terres et lesdécouvertes de notre temps par F. André Thevet, natif d'Angoulême. A Paris, chez les héritiers de Maurice de laPorte, au Clos-Bruneau, à l'enseigne de Saint-Clault, 1558. Avec privilège du Roi.

Cet ouvrage, orné de 8 gravures sur bois, constitue la relation du voyage de Thevet au Brésil; il est dédié auCardinal archevêque de Sens dont les armes figurent au frontispice. Le succès semble en avoir été assez grand,puisque deux éditions parurent coup sur coup. Il parut à Venise, traduit en italien, en 1561 in 8o. Une troisièmeédition fut publiée en 1584. Enfin, en 1878, Paul Gaffarel, professeur à la faculté des lettres de Dijon, auteurlui-même d'une Histoire du Brésil Francais. Croyait

"utile d'éditer de nouveau.., ce précieux recueil où se trouvent consignés des renseignements curieux... œuvreutile et surtout intéressante."

L'ouvrage, comme tous ceux de Thevet, était devenu extrêmement rare et était recherché particulièrement enAmérique. Cette dernière édition a paru chez Maisonneuve.

3.- Discours sur la bataille de Dreux avec le portrait d'icelle, in 8o, Paris, 1563, (Réédité en 1875 ?).

4.- La cosmographie Universelle, 2 volumes in folio, à Paris,

1571. Elle est ornée d'un beau portrait de Thevet, représenté avec les attributs de cosmographe: compas, globeterrestre, etc. Quelques planches représentent les choses les plus remarquables vues par l'auteur.

A la Bibliothèque d'Angoulême se trouve La Cosmographie Universelle d'André Thevet, cosmogragraphe duroy, illustrée de diverses figures plus remarquables veuês par l’auteur et incogneues de nos anciens et modernes.A Paris, chez Pierre L'Huillier, rue Saint-Jacques, 1557, 2 vol.

Cet ouvrage fut cyniquement pillé et critiqué par Belleforest dans ses additions à la Cosmographie Universellede tout le monde par Munster, beaucoup plus augmentée et enrichie par François de Belleforest, Commingeois,Paris, 1575. Thevet fut vivement blessé de ce procédé et Belleforest plus tard à son lit de mort demanda pardonpour son injustice.

Cet ouvrage de Thevet ne fut pas réédité; la Bibliothèque nationale n'en possède que le premier volume; labibliothèque de l'Arsenal possède les deux volumes sans le portrait. Au cours du siècle dernier parurent deux

40 Louis Desbrandes, déjà cité.

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réimpressions partielles: en 1858, sous le titre de Cosmographie Moscovite, le prince de Galitzin fait paraître desextraits de la Cosmographie Universelle et des Pourtraicts...

en 1881 l'abbé Valentin Dufour, sous le titre La grande et excellente cité de Paris, publie dans la "Collection desanciennes descriptions de Paris" des extraits de la Cosmographie Universelle de Thevet; cet ouvrage se trouve àla bibliothèque municipale d'Angoulême.

5.- Des vrais portraicts et vies des hommes illustres, grecs. latins et payens, recueilliz de leurs tableaux, livres,médailles antiques et modernes, par André Thevet, Angoumoysin, premier cosmographe du Roy. A Paris, chezla veuve I. Kernert et Guillaume Chaudière, rue Saint-Jacques, 1584. Avec privilège du Roy. 2 tomes in-fol,parus sous la même pagination (663 pages); avec, pour chaque personnage, un portrait.

La deuxième édition, parue sous le titre: Histoire des plus illustres et savans hommes de leurs siècles, tant del'Europe que de l'Asie, Afrique et Amérique, avec leurs portraits en taille douce tirez sur de véritablesoriginaux, par A. Thevet, historiographe, divisé en huit volumes in-12. A Paris, chez François Mauger, auquatrième pilier de la Grande Salle du Palais au Grand Cyrus, M.DC.LXXI.

Cet ouvrage se trouve à la Bibliothèque d'Angoulême.

Outre les portraits signalés en tête des volumes, il existe au Cabinet des estampes plusieurs effigies de Thevet,pour la plupart dénuées d'intérêt et fort tachées.

Le portrait de Thevet a été gravé par Thomas de Leu41. In-4o, et plusieurs fois en petit format.

Dans sa réédition, Paul Gaffarel rapporte que

"M. Vaslet, d'Angoulême, lui a signalé un autre portrait, d'ailleurs insignifiant, de Thevet par LéonardGaultier".

Ses œuvres donnèrent lieu à une image satirique qui le représente

"sous deux figures à côté l'une de l'autre la première en habit de cordelier; la seconde en habit séculier avecun gros livre sur la tête. Au bas de la première était ce vers

Asne sous la grise vêture

et, au bas de la seconde, celui-ci

Plus asne encore sous cette couverture."

(Remarques sur les bibliothèques de Lacroix du Maine. Paris 12772, 6 volumes).

Dans son ouvrage les Vrais poutlraicts, on trouve, en tête des deux tomes, un très beau portrait de Thevet sanssurcharge d'attributs et qui peut beaucoup aider à l'identification de notre personnage de la collection Gaignères.

Le dessin de la collection Gaignères, conservé à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford, a un calque audépartement des estampes (Copie d'Oxford, tome XVI, p. 76).

Dans ce dessin, catalogué comme tapisserie et dont la bordure semble bien indiquer une tapisserie, M. AdrienBlanchet, membre de l'Institut, voit la reproduction du vitrail de Thevet dont nous avons parlé plus haut. Si sesarguments méritent la plus grande attention, la question, en ce qui concerne cette étude, n'a que peud’importance et nous ne nous y attarderons pas, tapisserie ou vitrail ayant aujourd'hui disparu. Ce qui comptepour nous, c'est le sujet même qui, fort heureusement, nous a été conservé. Il résume et symbolise toute la vie denotre compatriote avec un peu de fatuité puérile.

Le motif central attire tout de suite notre attention; nous reviendrons ensuite à la bordure qui, elle aussi, nemanque pas d'intérêt.

En avant et sur la gauche, un religieux à genoux devant un prie-Dieu c'est André Thevet, vêtu d'une robe bleue etd'un manteau rouge. Adossé à sa croix, si caractéristique, se tient son saint Patron. Thevet croise les bras entenant de la main droite une palme soulignant la croix de Jérusalem qui se détache sur son épaule gauchepremière allusion à son pèlerinage en Terre Sainte et à son titre de chevalier du Saint-Sépulcre. Venant vers luiet se détachant sur un fond de verdure, le Christ, habillé d'une roble bleue, auréolé d'or, s’avance escorté pardeux pèlerins vêtus de jaune, de brun et de bleu foncé, portant le bourdon sur l'épaule. Dans le fond, une villed'on se détache un dôme, celui du Saint-Sépulcre incontestablement, car les palmes, la croix de Jérusalem, leChrist, les pèlerins et le bourdon sont des allusions trop évidentes au pèlerinage d'André Thevet en Terre Sainte.

41 Graveur et dessinateur né à Paris entre 1560 et 1570. A gravé les portraits d'une quantité de personnagesconsidérables de son temps. Ses travaux sont d'une grande finesse.

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En avant, des fleurs, une petite pyramide et un tas de livres qui rappellent le passage de Thevet en Egypte et sonénorme production.

La bordure mérite d'être observée en détail. Aux quatre angles, un médaillon entourant une tête d'ange. Lebandeau supérieur comprend, au centre, une inscription latine encadrée:

MANE NOBIS

CVM DOMINE

Le cadre est relié de chaque côté par une palme à un car touche portant la croix de Jérusalem; une guirlande defeuillages, de fleurs et de fruits relie ces cartouches aux médaillons d'angle. Ces feuillages et ces fruits seretrouvent dans les bordures verticales; au milieu de chacune d'elles est un écusson où Thevet semble s'êtredonné des armoiries

"de gueules à la sphère d’or accompagnée de 15 yeux d'argent disposés en orbe; au chef d'azur à trois mâts devaisseau d'argent submergé sur une mer agitée de même".

Au-dessus, entre deux palmes de part et d'autre, le monogramme A.T. Au-dessous de l'écusson, deux rectanglesmontrent un moine se servant sans doute d'instruments astronomiques. Dans le bandeau inférieur, complétant lesallusions aux différents voyages de notre compatriote, deux crocodiles la tête tournée de chaque côté del'inscription suivante:

André THEVET.Cosmographe de quatre rois de

France, chevalier du St sépulchreAprès avoir visité la sainte cité de

Jérusalem et autres contréesPrises d’un Pol a Vautre: fit faireCette pièce. priez dieu pour lui.

A la Bibliothèque Nationale se trouvent des ouvrages manuscrits d'André Thevet ou qui lui sont attribués:

1.- Description de plusieurs isles, fonds français, N. 17.174.

2.- Traduction de l'Itinéraire du juif Benjamin de Tudèle (XIIe s.), fonds français, N. 5,641.

3.- Le grand insulaire et pilotage, fonds français, N. 15,452. Ce manuscrit et le N. 17,174 (ci-dessus) constituentsans doute deux études préliminaires pour une description de toutes les îles que Thevet se proposait de publiersous le titre d'Inzerlain.

4.- Histoire d'André Thevet Angoumoisin, cosmographe du roy, de deux voyages faits aux Indes Australes etOccidentales, contenant la façon de vivre des peuples barbares, fonds français, N. 15,454.

5.- XVe livre de la Naturelle et générale description des Indes fonds français, N. 19,031.

6.- Second voyage dans les terres australes et occidentales, fonds français, N. 17,175. C'est une copie, ou peut-être le premier jet du N. 15,454: ratures plus nombreuses, mauvaise écriture.

7.- Thevet d'Angoulême, les Chroniques des rois de France jusqu'au XVe siècle, fonds français, N. 5,734. Textesdivers, certains sur parchemin; l'un est signé Thevet; l'attribution des autres à Thevet nous semble douteuse.

Nous savons en outre que Thevet, qui, au cours de ses voyages et particulièrement en Grèce, avait fait desfouilles pour sa collection de monnaies, préparait un traité des monnaies avec planches. Il semble que ce projetait été près d'être mis à exécution, bien que nous n'ayons retrouvé ni manuscrit ni planches le concernant.

La bibliothèque de l'Arsenal possède un manuscrit (N. 4,621) contenant l'épitaphe d'André Thevet.

De nombreux auteurs se sont occupés incidemment ou spécialement de Thevet:

Louis Desbrandes, Histoire inédite de l'Angoumois (copie exécutée sur le manuscrit, collection de l'auteur).

B. Quignon, Notices anecdotiques et historiques sur Angoulême (inédit; copie exécutée sur le manuscrit,collection de l'auteur).

Bulletins de la Société archéologique de la Charente, années 1845, 1902, 1907, 1908.

Martin-Buchey, Géographie de la Charente.

Marvaud, Petite Géographie de la Charente.

Bulletin du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, janvier 1932:

Page 15: André - THEVET - Poêtes Charentaispoetes.charentais.free.fr/pdf/thevet_andre01.pdf · Présidial (fait baptiser son fils André le 2 janvier 1781); André-Guillaume de la Bourgade,

Marc Leproux

Quelques Figures Charentaises en Orient, Geuther, Paris, 1939, pp. 39-64

15

article de M. Alfred Métraux, A propos de deux objets Tupinamba du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, N. 3-18.

Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil, autrement dite Amérique; 1re édition (in-8o) en1578; 2e édition revue et corrigée par l'auteur, La Rochelle, in-8 même année; 3 édition, Genève, 1580. in-8O; 4eédition, La Rochelle, in-80, 1585; 5e édition, Paris, 1600, in-8O. Léry avait écrit son récit en Amérique avec,suivant son expression, "de l’encre du Brésil". Nouvelle édition avec une introduction et des notes par PaulGaffarel, Paris, 1880.

Arthur Heullard, Villegagnon, roi d'Amérique, Paris, 1897.

De Thou (Jacques-Auguste), Historia sui temporis.

E.-T. Hamy, Origine du Musée d'Ethnographie, histoire et documents, 1890.

Chanoine le Beuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, 15 vol., in-12, 1754. Additions de F.Bournon, t. IV, p. 298.

F.-W. Hasluck, Thevet Grand insulaire and his Travels in the Levant. The annual of the british school at Athens,N. XX. Session 1913-1914, p. 63 et suiv.

Jacques du Breul, Le Théâtre des antiquitez de Paris, 1612, p. 536.

Adrien Blanchet, membre de l'Institut, Le vitrait d'André Thevet aux Cordeliers; Bulletin de la Société del'histoire de Paris, 1919.

Jean-Marie Carré, professeur à la Sorbonne, Voyageurs et écrivains français en Egypte; Publications del'Institut Français d'archéologie orientale, Le Caire, 2 vol., 1932.

Journal Le Jour, 10 février 1937: "C'est une erreur, Nicot n'a pas découvert, le tabac", par Claude Gaudin.

Biographie Universelle, Notice sur Thevet, rédigée par Weiss, T. XLV, Paris, 1826.

Bulletin de la Société des Etudes Rabelaisiennes:

T. II, p. 179, 269.

T. III, p. 291, 292, 299.

T. IV. p. 195, 381.

T. VIII, p. 164, 165, 354.

T. IX, p. 270.

T. X, p. 34, 40, 43, 307, 308, 312, 501.

Niceron Jean-Pierre, Mémoires pour servir â l’histoire des hommes illustrés de la république des lettres, avecun catalogue raisonné de leurs ouvrages, Paris, 1727-1745, 43 vol., in-12; voir notice sur Thevet au tome XXIII.Monumentale compilation assez inégale, mais où, chose remarquable pour l'époque, les sources sont indiquées,ainsi qu'un catalogue minutieux des œuvres d'un auteur et les différentes éditions.

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