345
UNIVERSITÉ PARIS I - PANTHÉON SORBONNE U.F.R. D’HISTOIRE DE L’ART ET ARCHÉOLOGIE Année de 1999 N. attribué par la bibliothèque THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS I Discipline : Histoire de l’Art présentée et soutenue publiquement par Ana Maria Tavares Cavalcanti le 29 Juin 1999 Titre : LES ARTISTES BRÉSILIENS ET “ LES PRIX DE VOYAGE EN EUROPE ” À LA FIN DU XIXe SIÈCLE : VISION D’ENSEMBLE ET ÉTUDE APPROFONDIE SUR LE PEINTRE ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866 - 1944). Directeur de thèse : M. Eric DARRAGON JURY Mme Armelle ENDERS président M. Gérard MONNIER M.Claude FRONTISI

Année de 1999 N. attribué par la bibliothèque THESE · Bernard Wacquez Elisa Teixeira Fátima Couto Hiroko Nakamura Ilene Lara Irma Leticia Orozco Santoyo Isabel Travancas et Francisco

Embed Size (px)

Citation preview

UNIVERSITÉ PARIS I - PANTHÉON SORBONNE

U.F.R. D’HISTOIRE DE L’ART ET ARCHÉOLOGIE

Année de 1999 N. attribué par la bibliothèque

THESE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS I

Discipline : Histoire de l’Art

présentée et soutenue publiquement

par

Ana Maria Tavares Cavalcanti

le 29 Juin 1999

Titre :

LES ARTISTES BRÉSILIENS ET “ LES PRIX DE VOYAGE EN EUROPE ” À LA FIN DU XIXe SIÈCLE : VISION D’ENSEMBLE ET ÉTUDE APPROFONDIE SUR

LE PEINTRE ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866 - 1944).

Directeur de thèse :

M. Eric DARRAGON

JURY

Mme Armelle ENDERS président

M. Gérard MONNIER

M.Claude FRONTISI

A mon père.

in memoriam

Avant-Propos

Avant que le lecteur ne passe aux pages suivantes, il est bon de l’éclairer sur la

motivation de cette recherche sur les artistes brésiliens et les Prix de Voyage en Europe. Le

désir de réaliser cette étude est né de l’expérience personnelle de l’auteur, boursière de la

CAPES, institution gouvernementale brésilienne qui a pour but de promouvoir la recherche et

le perfectionnement des professeurs universitaires brésiliens, soit dans leur propre pays, soit à

l’étranger.

Lorsqu’on se trouve éloigné de tout ce qui est familier, le regard devient plus sensible

et la réflexion sur des réalités jusque-là habituelles s’approfondit. Avant l’expérience de

l’éloignement on ne ressent pas le besoin de s’interroger sur des phénomènes qui semblent être

tout à fait ‘naturels’, car toujours présents au quotidien. C’est la disparition des repères qui

pousse le sujet vers quelque démarche susceptible de lui faire comprendre le chemin qu’il a

pris: il lui faut retrouver la signification de l’expérience vécue. Le travail de recherche sur les

voyages d’études des artistes brésiliens au XIXe siècle est issu donc de ce besoin de saisir les

circonstances de la propre histoire de l’auteur.

L’intérêt de l’expérience du peintre Visconti, lauréat du Prix de Voyage de 1892 et

pensionnaire de l’Etat brésilien à Paris entre 1893 et 1900 est apparu dès les premières

recherches. Sa carrière se situe entre deux siècles, et il représente parfaitement le moment de

transition entre deux époques distinctes. Parmi les artistes étudiés, il est celui dont le parcours

permet le mieux de réfléchir sur les transformations survenues au cours du siècle suivant.

Si la motivation première de ce travail a été de caractère personnel, la recherche s’est

montrée d’intérêt général. Les rapports des artistes brésiliens avec l’Europe ne datent pas

d’aujourd’hui. Par l’étude de l’expérience de voyage des artistes brésiliens du XIXe siècle et

par l’approfondissement de la recherche sur le séjour européen d’Eliseu Visconti et les

influences de ce séjour sur son oeuvre, on espère apporter une contribution utile à la réflexion

sur l’art brésilien dans ses rapports avec l’art français.

Remerciements

Que toutes les personnes qui ont aidé l’auteur à un moment ou à un autre pendant la

réalisation de cette thèse trouvent ici l’expression de sa gratitude. Ses remerciements

s'adressent tout particulièrement à :

Adriana LagesAlayde P. Mascarenhas in memoriamÂngela GrandoAnne Marie RegladeBernadette Maria Prestes FroesBernard WacquezElisa TeixeiraFátima CoutoHiroko NakamuraIlene LaraIrma Leticia Orozco Santoyo Isabel Travancas et Francisco VieiraJoão Araujo RibeiroJosé Franceschi

Katia BuschLaurence WacquezProf. Margareth da Silva PereiraMaria FutermanMariluz ReyMichelle Humbert-DrozMônica ZielinskyPauline RidelPaulo NovaesPedro AlvimRenato LacletteSana DariSimone Lúcia Freire da Silva Bava Sophie Afonso

Ces remerciements s’adressent également aux personnes responsables des collections

des Musées et Bibliothèques, pour leur gentillesse et leur assistance efficace:

Anaíldo Bernardo Baraçal - Museu da Chácara do Céu, Rio de Janeiro.

Cybele Fernandes, Jurema Fernandes, Paulo Venâncio Filho, coordinateurs successifs du Museu Dom João VI, EBA - RJ, ainsi que toute l’équipe de recherche, particulièrement Albino.

Luiz Rafael Vieira Souto de la section de peinture brésilienne du Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro.

Simone Trindade, conservateur du Museu Carlos Costa Pinto et Rosina Bahia Alice Carvalho dos Santos, bibliothécaire de la Biblioteca Margarida Costa Pinto (Museu Carlos Costa Pinto) - Salvador, Bahia.

Vinícius Esteves, assistant de communication de la Pinacoteca do Esta-do de São Paulo.

L’auteur souhaite remercier Carlos Roberto Maciel Levy qui a mis à sa disposition la

base de données sur les artistes brésiliens du XIXe siècle, et a été toujours prêt à l’écouter et à

faire des remarques sur ses recherches. Son concours a été précieux.

L’auteur doit beaucoup à Inês Cavalcanti pour son travail irremplaçable de relecture

et correction du texte, pour son amitié et ses encouragements. Cette thèse ne serait pas la

même sans son aide généreuse.

Un remerciement particulier est adressé à Leonardo Cavalleiro, petit-fils d’Eliseu

Visconti, et plus spécialement à Tobias d’Angelo Visconti, fils d’Eliseu Visconti. Son appui

enthousiaste, l’accès aux documents qu’il a conservés soigneusement, sa participation dans le

déchiffrage des manuscrits de son père et son amitié ne sont pas oubliés. On tient à remercier

également Marie Louise Palombe et Pierre Palombe pour leur accueil chaleureux à Saint-

Hubert, là où Visconti a vécu et peint plusieurs paysages.

Les pensées de l’auteur se tournent enfin tout naturellement vers sa mère Maria

Isabel Tavares Cavalcanti, vers ses soeurs et frère Margarida, Inês, Maria, Lourdinha, Manoel,

Bebel, Lula, vers le souvenir de son père Manoel Niederauer Tavares Cavalcanti et vers tous

ceux, membres de sa famille ou amis, qui n’ont pas été nommés ici et dont le soutien, la

présence et l’amitié ont été inestimables pendant toute la période, pas toujours tranquille, de

préparation de ce travail. Pour être anonymes, les remerciements qui leurs sont adressés n’en

sont pas moins vifs.

Finalement, l’auteur veut remercier la direction du professeur M. Eric Darragon, ainsi

que l’appui de l’institution brésilienne CAPES, Coordenação de aperfeiçoamento de pessoal

de nível superior, sans lesquels cette thèse n’existerait pas .

TABLE DE MATIÈRES

INTRODUCTION.....................................................................................................................8

I - LES ARTISTES BRÉSILIENS PENSIONNAIRES EN EUROPE ET LES PRIX DE VOYAGE : une vision d’ensemble (1845 - 1887)................................................................. 15

1 - Genèse de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro...................................................... 17

2 - Historique des Prix de Voyage en Europe ...............................................................................................292.1 - Les concours des Prix de Voyage, les règlements et leur mise en oeuvre........................................... 372.2 - Les obligations des pensionnaires........................................................................................................ 57

3 - Doléances et espoirs des artistes et des critiques brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle...... 72

4 - La signification du Prix de Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle ........................................................................................................................................................90

5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)............................................................ 1055.1 - Le parcours de Victor Meirelles de Lima (1832 - 1903)....................................................................1205.2 - Le parcours de Rodolpho Amoêdo (1857 - 1941).............................................................................. 1255.3 - Le parcours d’Almeida Júnior (1850-1899).......................................................................................139

II - L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE D’ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866-1944), le jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques d’art brésiliens et une nouvelle analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la fin du XIXe siècle..............................................................................................................................146

1 - Les antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 : l’agitation du milieu artistique à Rio de Janeiro pendant les dernières années de l’Academia Imperial de Belas Artes.......................................146

2 - Eliseu d’Angelo Visconti, premier pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes - données biographiques..................................................................................................................................................161

3 - La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922................................ 172

4 - Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien............183

5 - La vie artistique parisienne pendant les années du séjour d’études de Visconti : les trois Salons et l’absorption de l’impressionnisme................................................................................................................ 198

6 - Analyse de l’oeuvre de Visconti...............................................................................................................2066.1 - Les oeuvres de la première période parisienne (de 1893 à 1900)......................................................2076.2 - Les peintures décoratives du Théâtre municipal de Rio de Janeiro...................................................226

6.2.1 - Le Théâtre municipal de Rio de Janeiro vu par les contemporains - modernité, splendeur et influence française...............................................................................................................................2296.2.2 - L’Oeuvre et sa réalisation........................................................................................................235

III - CONCLUSION..............................................................................................................255

IV - BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................ 263

1 - Usuels :....................................................................................................................................................... 263

2 - Sur l’art en France au XIXe siècle: ....................................................................................................... 263

3 - Sur le XIXe siècle à Rio de Janeiro et sur l’Histoire du Brésil:.......................................................... 264

4 - Sur l’Art Brésilien:................................................................................................................................... 265

4.1 - Revues et annales sur l’art brésilien :.................................................................................................2684.2 - Catalogues d’expositions et de musées sur l’art brésilien :................................................................2684.3 - Articles de journaux sur l’art brésilien :.............................................................................................268

5 - À propos de Visconti : ............................................................................................................................. 2695.1 - Articles de journaux et revues sur Eliseu Visconti :.......................................................................... 2695.2 - Catalogues d’expositions des oeuvres de Visconti............................................................................. 2705.3 - Thèses sur Visconti.............................................................................................................................270

6 - Sources en Archives :................................................................................................................................270

ANNEXE 1.............................................................................................................................271

Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)................2711 - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes................................................................. 2712 - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II .................................................................................. 309

ANNEXE 2.............................................................................................................................325

Recherche sur le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris entre 1841 et 1900.......................................................................................................................................................................... 325

1 - Les lettres de présentation - 1879 / 1889...............................................................................................3262 - Registre d’immatriculations - 1841 / 1871............................................................................................3323 - Registre d’immatriculations - 1871 / 1894............................................................................................3334 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1863 / 1874...................................................................... 3365 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1874 / 1900...................................................................... 3416 - Dernières conclusions sur le nombre d’étrangers à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.......................... 345

8

INTRODUCTION

(...) Visconti [a été] notre premier peintre révolutionnaire, aussi révolutionnaire dans son temps que Portinari, presque un demi-siècle plus tard, pour l’époque actuelle [ce texte date du début des années 1950].

Frederico Barata situe très bien cet aspect de la personnalité du maître brésilien, lorsqu’il compare son oeuvre à l’oeuvre d’un Almeida Júnior, de même que l’on pourrait la comparer à celle d’un Victor Meirelles et spécialement à celle d’un Pedro Américo.

Tandis que ceux-là, surtout le dernier, n’ont pas été touchés par la révolution de l’impressionnisme, en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger, Eliseu Visconti n’allait pas passer par le séjour européen sans expérimenter de vives réactions, s’intéressant à toutes les manifestations esthétiques de son temps, même les plus révolutionnaires (...). 1

Cette affirmation d’Herman Lima est un exemple d’une idée très répandue à propos

du peintre Eliseu d’Angelo Visconti (1866-1944). Lima compare l’oeuvre de Visconti à la

production de Victor Meirelles (1832-1903), Pedro Américo (1840-1905) et Almeida Júnior

(1850-1899), pour affirmer que Visconti a été le seul parmi ces quatre peintres brésiliens à

s’intéresser, lors de son séjour en Europe, aux manifestations esthétiques de son temps. De

plus, Herman Lima dit de façon explicite qu’à l’exception de Visconti les artistes mentionnés

ont ignoré l’impressionnisme, “ en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger ”.

En effet, chacun des quatre peintres cités est venu se perfectionner en Europe après

avoir suivi une formation dans l’Academia Imperial de Belas Artes à Rio. Cependant, des trois

1 - LIMA, Herman. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do Mu-seu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. X. Obs. : Ce texte d’Herman de Lima avait déjà été publié dans le journal Diário de Notícias le 1er janvier 1950, lors de la première rétrospective de Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro en 1949.

“ (...) Visconti [foi] o nosso primeiro pintor revolucionário, tão marcadamente revolucio-nário no seu tempo, quanto seria, passado quase meio século, Portinari, para a época atual.

Frederico Barata situa muito bem esse aspecto da personalidade do mestre brasileiro, quando lhe põe em confronto a obra de um Almeida Júnior, como poderia pôr a de um Victor Meirelles e especialmente a de um Pedro Américo.

Ao passo que esses, principalmente o último, permaneceriam indenes à revolução do im-pressionismo, em voga na Europa, quando de sua permanência no estrangeiro, Eliseu Visconti não passaria pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações, interessado por todas as manifestações estéticas do seu tempo, mesmo as mais revolucionárias, (...). ”

9

peintres critiqués, seul Almeida Júnior aurait pu être accusé d’avoir ignoré l’impressionnisme

lors de son séjour parisien. En tant que pensionnaire de l’empereur Dom Pedro II, Almeida

Júnior arriva à Paris en 1876. La durée de son séjour d’études ayant été de six années, en 1882

il était de retour au Brésil. Pendant ses années parisiennes, les impressionnistes exposaient

leurs oeuvres de façon privée et se trouvaient écartés des circuits officiels. Malgré cela, ils

agitaient les milieux artistiques et leurs oeuvres étaient un sujet de discussion et de polémique

chez le public autant que dans la presse. Effectivement, Almeida Júnior, élève de Cabanel à

l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, est resté à l’écart de ces événements.

En ce qui concerne Victor Meirelles et Pedro Américo, l’accusation d’Herman Lima

n’a aucun sens. Victor Meirelles, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1852, arriva en

Europe en 1853 et y accomplit un séjour de huit ans. En 1861 il était de retour au Brésil.

Pedro Américo, quant à lui, est resté en Europe de 1859 à 1864 comme pensionnaire aux frais

de l’empereur Dom Pedro II, après quoi il est rentré à Rio de Janeiro. Il est vrai qu’il est

revenu en Europe en 1865, mais en 1870 il retourna encore une fois à Rio, pour devenir

professeur de l’Academia Imperial. Les dates des séjours d’études2 de ces deux peintres ne

correspondent pas à la période impressionniste.

L’inexactitude si frappante du reproche fait à Victor Meirelles et à Pedro Américo est

le résultat d’idées reçues sur la période qu’ils représentent. Car le raisonnement d’Herman

Lima met en évidence des préjugés issus d’une méconnaissance qui ne lui est pas exclusive.

L’oeuvre de Visconti, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1892, a toujours été

comparée à l’oeuvre des artistes brésiliens qui l’ont précédé dans l’expérience européenne. De

cette comparaison, les historiens de l’art au Brésil ont tiré la conclusion selon laquelle Visconti

a été le seul d’entre tous à s’ouvrir aux nouvelles tendances artistiques. Les artistes précédents

furent durement critiqués, accusés d’être restés enfermés dans les milieux officiels, liés aux

enseignements des maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, lors de leur séjour européen.

Voilà la comparaison fondamentale qui a été établie entre Visconti et les autres

artistes lauréats du Prix de Voyage. Cependant, l’argumentation développée par les historiens

de l’art à ce propos présente des incohérences et manque d’exactitude, l’exemple cité ci-dessus

2 - Pedro Américo a vécu en Florence postérieurement, mais il ne s’agissait plus d’un séjour d’études, ou d’une période de formation.

le prouvant bien3. Il faut repenser la question avec un regard neuf, car on constate que

l’interprétation donnée à la peinture brésilienne du XIXe siècle a été marquée par des

conclusions rapides. De plus, l’interprétation donnée à la carrière et à l’oeuvre de Visconti lui-

même fut marquée elle aussi par ces déductions hâtives. Par conséquent, le besoin d’une

recherche poussée devient évident, et une étude approfondie et réfléchie sur le sujet est très

opportune.

Pour essayer de combler ces lacunes, cette recherche a été organisée autour de deux

centres d’intérêt complémentaires : d’une part, on a voulu étudier les Prix de Voyage qui ont

permis aux artistes brésiliens de venir se perfectionner en Europe à partir de 1845 ; d’autre

part, on s’est intéressé à l’itinéraire et à l’oeuvre du peintre brésilien Eliseu d’Angelo Visconti,

pensionnaire en Europe à la fin du XIXe siècle. Ces deux objets d’études sont examinés

séparément dans les deux parties qui constituent cette thèse. Ces parties gardent leur

autonomie et peuvent être lues indépendamment l’une de l’autre. Néanmoins, elles se

complètent, car l’étude sur les Prix de Voyage situe le peintre Eliseu Visconti dans le contexte

de sa formation reçue à l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. De plus,

l’analyse de l’oeuvre de Visconti et de l’influence qu’il a reçue de l’art français, l’examen des

diverses interprétations critiques sur sa peinture et de ses divers écrits, où il expose sa notion

esthétique, tout cela rend possible un approfondissement de la réflexion sur les voyages

d’études des artistes brésiliens en Europe.

Pour se conformer à l’ordre chronologique, la première partie de la thèse est celle qui

aborde les Prix de Voyage depuis leur origine. Elle se compose de cinq chapitres réunis sous

l’intitulé “ Les Artistes brésiliens pensionnaires en Europe et les Prix de Voyage : une vision

d’ensemble (1845 - 1887) ”.

Dans le premier chapitre, on retrace l’historique de l’Academia Imperial de Belas

Artes de Rio de Janeiro. Cela était nécessaire parce que les rapports des artistes brésiliens avec

l’Europe, s’il est vrai qu’ils existaient de façon embryonnaire avant la fondation de l’Académie,

ne sont véritablement nés qu’à ce moment-là.

3 - La citation d’Herman Lima date des années 1950, mais d’autres textes plus récents seront présentés dans les chapitres trois (La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922) et quatre (Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien) dans la deuxième partie de la thèse.

Le deuxième chapitre traite de l’origine des concours des Prix de Voyage, et de tous

les changements survenus, soit dans les règlements de ces concours, soit dans les obligations

des pensionnaires en Europe le long des années, y sont rappelés. L’intérêt de cette mise au

point sur les règlements des concours et les obligations des lauréats est d’organiser des

informations jusqu’aujourd’hui éparpillées dans les archives, de façon à ce que les

interprétations postérieures soient basées sur des données historiques fiables.

Les chapitres trois et quatre introduisent la question de la mentalité de l’époque. Ils

sont comme une promenade à travers quelques textes de la période, examinés à la lumière de

deux questions : quels étaient les plaintes et les espoirs des artistes et critiques d’art brésiliens

de la seconde moitié du XIXe siècle? (troisième chapitre) ; et que signifiait pour eux le Prix de

Voyage en Europe? (quatrième chapitre). Les textes cités proviennent de sources diverses. On

y étudie aussi bien des extraits de la correspondance des artistes que des articles publiés dans

les journaux, des passages de discours et des documents officiels. Le but de cette analyse est

de saisir l’idéologie dominante à l’époque, et de discerner les idées flottantes, acceptées du

plus grand nombre, à propos des questions artistiques. Dans l’impossibilité de reproduire la

totalité des textes étudiés, on en présente quelques extraits significatifs permettant de bâtir une

analyse cohérente de ces idées.

Le cinquième chapitre, intitulé “ Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe

(1845 à 1887) ”, exigea un grand effort de l’auteur de cette thèse. Son but est d’étudier

l’itinéraire des pensionnaires de l’Académie et des pensionnaires de l’Empereur, artistes

brésiliens venus se perfectionner en Europe avant le peintre Visconti, en essayant d’arriver à

une vision globale de leur formation et de leur expérience à l’étranger.

Lors de la préparation de ce chapitre un maximum de données sur le séjour d’études

de chaque pensionnaire brésilien en Europe de 1845 à 1887 a été recueilli. Cet ensemble de

données est présenté à la fin de la thèse, dans l’annexe 1 - Fiches de renseignements sur les

artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Ce qui ressort de ce recueil est le

caractère très varié du séjour d’études de chaque artiste.

En outre, une recherche sur le nombre de brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts

de Paris entre 1841 et 1900 a été réalisée. Ces données, présentées dans l’annexe 2, ont été

analysées à l’aide d’une comparaison entre le nombre de Brésiliens et le nombre d’étrangers

originaires d’autres pays inscrits à l’Ecole. Cette recherche dans les archives a permis d’insérer

le sujet dans un contexte plus large et de montrer que le nombre d’élèves étrangers aux Beaux-

Arts de Paris était très important pendant la période étudiée, le groupe des Brésiliens ‘n’étant

qu’une goutte d’eau dans l’océan’.

Mais il fallait ébaucher une vision d’ensemble qui embrassât tout entier ce petit

groupe hétérogène. Pour y arriver, on a suivi trois chemins différents et complémentaires.

D’abord, on présente des tableaux comparatifs qui répondent aux cinq questions suivantes : (1)

Quel fut le nombre de pensionnaires venus étudier en Europe pendant chaque décennie ? (2)

Quelles furent les villes européennes le plus souvent choisies pour leur séjour artistique ? (3)

Parmi les spécialités des artistes (architecture, peinture, sculpture, gravure en médailles),

quelles furent celles le plus concernées par les voyages d’études ? (4) Combien d’années les

pensionnaires restaient-ils en Europe ? (5) Combien de pensionnaires, de retour au Brésil, sont

devenus professeurs ou directeurs des Beaux-Arts ?

Après l’obtention d’informations précises sur ces premières questions, l’étape

suivante a été la présentation et l’analyse d’un ensemble d’oeuvres représentatives du travail

des pensionnaires. Dans cette analyse on a cherché à établir en quoi ces oeuvres se

ressemblaient-elles les unes aux autres, et en quoi étaient-elles dissemblables.

Finalement, le troisième stade pour arriver à une vision globale mais en même temps

approfondie de l’expérience des pensionnaires en Europe a été l’exposition, plus détaillée et

réfléchie, de l’itinéraire de trois peintres représentatifs chacun de leur période : Victor

Meirelles (1832-1903), Rodolpho Amoêdo (1857-1941), et Almeida Júnior (1850-1899). On y

présente leur expérience en tant que pensionnaires en Europe, leurs rapports avec l’Academia

Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, les jugements portés par les professeurs de cette

institution sur leurs envois, aussi bien que sur leurs oeuvres exposées aux Salons parisiens et

aux Expositions générales des beaux-arts au Brésil.

Ce chapitre marque la fin de la première partie de la thèse. La seconde partie,

intitulée “ L’Expérience européenne d’Eliseu d’Angelo Visconti (1866-1944) ”, développe

l’étude sur ce peintre, premier pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes en Europe,

l’un des peintres brésiliens les plus significatifs de la période située entre le XIXe et le XXe

siècles. Six chapitres composent cette seconde partie de la thèse, dont le sous-titre - “ le

jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques d’art brésiliens et une nouvelle

analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la fin du XIXe siècle ” -

exprime bien le contenu qui y est exploré.

Le premier chapitre - Les Antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 :

l’agitation du milieu artistique à Rio de Janeiro pendant les dernières années de l’Academia

Imperial de Belas Artes - introduit le contexte historique dans lequel le voyage de Visconti a

été préparé. On y présente les événements qui ont précédé le concours remporté par Visconti.

Cette période fut marquée au Brésil par la crise du système politique monarchique, ce qui eut

des conséquences évidentes sur l’Academia Imperial de Belas Artes. L’époque a vu naître des

discussions dans le milieu artistique, et l’agitation des étudiants des beaux-arts qui demandaient

des réformes au sein de l’institution académique, fut diffusée par la presse. L’objectif de ce

chapitre est de situer l’esprit du moment vécu par Visconti en tant qu’étudiant des Beaux-Arts

au Brésil, avant son départ pour Paris.

Le deuxième chapitre contient des données biographiques sur Eliseu d’Angelo

Visconti, et une attention particulière a été prêtée à ses activités à Paris en tant que

pensionnaire. A partir de l’examen des documents, son itinéraire d’étudiant a pu être retracé

aussi bien à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris qu’à l’Ecole Guérin et à l’Académie Julian. Les

oeuvres qu’il a envoyées à l’Ecole brésilienne dans le cadre de ses obligations de pensionnaire

sont indiquées, et on y mentionne aussi ses participations aux Salons parisiens. Toujours dans

ce chapitre, les événements de la carrière artistique d’Eliseu Visconti qui se sont produits après

la fin de son séjour d’études à Paris sont signalés. Parmi eux, les deux voyages du peintre en

France, où il a peint sur commande les grands ensembles décoratifs pour le Théâtre municipal

de Rio de Janeiro. Le souci d’exactitude a été présent tout au long de ce chapitre. Après cette

mise au point des données concernant l’itinéraire de Visconti, on a pu aborder, dans les

chapitres suivants, les questions sur son oeuvre et son rôle dans l’histoire de l’art brésilien.

Le troisième et le quatrième chapitres, intitulés respectivement “ La Question de la

Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922 ” et “ Le Style ‘impressionniste’

de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien ”, sont le résultat de l’étude de

l’interprétation que les critiques brésiliens ont portée sur l’oeuvre du peintre. Cette étude

comparative des textes sur Visconti nous amène à percevoir la construction théorique qui se

cache derrière le discours des critiques. On y présente également un point de vue personnel sur

ces discussions.

Le cinquième chapitre introduit une vision générale de la vie artistique parisienne

connue par Visconti pendant les années de son séjour d’études. L’intérêt ici est de fournir des

renseignements touchant l’atmosphère d’une époque et d’un lieu où, outre l’impressionnisme,

de nouvelles tendances et mouvements artistiques se manifestaient. La mise en évidence de cet

aspect pluriel de la vie artistique à Paris à la fin du siècle enrichit l’interprétation de l’oeuvre de

Visconti dans la mesure où l’on comprend par là que les influences subies par le peintre ont été

très diverses.

Une analyse personnelle de l’oeuvre de Visconti est développée dans le sixième

chapitre. Ce qui a intéressé particulièrement l’auteur de cette thèse ce fut l’étude de l’évolution

de la peinture de Visconti au contact de l’art français. Ainsi, deux moments de cette évolution

se sont imposés à son attention. Le premier est celui de la période d’études à Paris, qui va de

1893 à 1900. Le second est celui de la réalisation des peintures décoratives pour le Théâtre

municipal de Rio de Janeiro qui s’étend, avec des interruptions, de 1905 à 1916.

De l’analyse de ces deux moments il ressort que le poids de l’influence

impressionniste sur l’oeuvre de Visconti doit être relativisé. Sans que l’on en vienne à nier

cette influence, il est clair que Visconti suivait déjà, au moment où elle s’est produite, un

chemin très personnel qui l’a amené à s’approprier non seulement les méthodes pointillistes,

mais aussi des procédés proches de ceux de l’art décoratif, sous l’empreinte de Grasset. L’idée

du caractère novateur de l’oeuvre de Visconti en sort nuancée.

Dans la conclusion on organise les observations faites dans le corps du texte.

Quelques questions soulevées dans les chapitres successifs sont alors reprises dans le but de

souligner les réponses apportées par la recherche.

15

I - LES ARTISTES BRÉSILIENS PENSIONNAIRES EN EUROPE ET LES PRIX DE VOYAGE : une vision d’ensemble (1845 - 1887)

Avant Eliseu d’Angelo Visconti, lauréat du concours de Prix de Voyage de 1892,

vingt-deux artistes brésiliens, dont treize peintres, sont venus se perfectionner en Europe, ou

bien comme pensionnaires de l’Academia Imperial de Belas Artes, ou bien comme

pensionnaires soutenus par l’empereur Pedro II. Parmi ces pensionnaires, quatorze firent des

séjours à Paris, les autres allèrent à Rome1.

On trouve une référence aux étudiants brésiliens venus à Paris dans le rapport

présenté par le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris au commencement de l’année

scolaire de 1874/1875. Le directeur écrivait :

(...)Par leur caractère en quelque sorte officiel, par la surveillance qu’on y exerce, les ateliers de l’Ecole offrent certaines garanties et sont d'ailleurs extrêmement connus. Les boursiers des départements et des villes viennent pour la plupart y étudier; (...). D’un autre côté, il est à remarquer que le nombre des étrangers qui recherchent nos enseignements augmente chaque année depuis la guerre. En ce moment, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l’Italie, l’Autriche-Hongrie, la Roumanie, la Russie et jusqu’à la Perse nous envoient des élèves choisis; le Portugal continue à entretenir chez nous une colonie de pensionnaires. Mais le plus grand nombre de ces étudiants est fourni par les deux Amériques et en particulier par le Brésil et par les Etats-Unis. 2

Les propos du directeur nous offrent une piste sur la nature du séjour parisien de ces

artistes venus du Brésil. Ils présentent de façon très nette l’esprit qui présidait aux ateliers de

l’école : Par leur caractère en quelque sorte officiel, par la surveillance qu’on y exerce, les

ateliers de l’Ecole offrent certaines garanties et sont d’ailleurs extrêmement connus. En effet,

1 - Des treize peintres, dix ont fait des séjours à Paris.2 - Guillaume, Eugène. Rapport présenté au Conseil par le Directeur de l'Ecole au

commencement de l'année scolaire 1874-1875. (pp.16-17). Archives Nationales - AJ/52/440.Selon le directeur, parmi les étudiants étrangers attirés par les enseignements des maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, le plus grand nombre venait des Etats-Unis et du Brésil. Cependant, après avoir examiné les archives de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, on n’est pas arrivé à la même conclusion qu’Eugène Guillaume. Il est certain que les brésiliens cherchaient l’enseignement de l’Ecole parisienne, mais ils n’étaient pas plus nombreux que les espagnols ou les italiens par exemple. Les plus nombreux parmi les étrangers étaient les américains et les anglais. À propos du nombre d’élèves brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, voir l’annexe 2 qui se trouve à la fin de cette thèse.

16

cet esprit de surveillance s’accordait bien aux buts de l’Academia Imperial de Belas Artes de

Rio de Janeiro. Le stage européen des artistes brésiliens avait un caractère officiel. La plupart

de ces artistes séjournaient à l’étranger aux frais du gouvernement de leur pays et étaient

contrôlés de façon rigoureuse par leurs professeurs brésiliens.

Mais pour bien évaluer la portée des liens très forts que le milieu artistique brésilien

entretenait avec Paris, il convient de présenter quelques données historiques. Penchons-nous

donc sur l’origine de ces échanges.

17

1 - Genèse de l’ Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro

La première Académie des Beaux-Arts du Brésil, installée à Rio de Janeiro, eut son

origine dans l’enseignement d’un groupe d’artistes français qui, au début du XIXe siècle, est

allé se fixer à Rio. Engagé par Dom João VI, Roi du Portugal et du Brésil, ce groupe d’artistes

venus de France a été dénommé La Mission Artistique Française. L’institution officielle de

l’enseignement artistique au Brésil, fruit de cette Mission Française, a été instaurée par l’arrêté

du 12 août 1816.

S’il n’y a pas lieu de détailler ici l’histoire des missionnaires français, il convient

cependant de présenter l’ensemble des circonstances dans lesquelles elle s’insère. Cela

permettra de comprendre les conséquences qui en découlent. Commençons par rappeler de

façon succincte les événements qui ont amené ces artistes à chercher un avenir professionnel à

Rio et disposé le roi portugais à les y inviter.

Les faits qui ont provoqué la venue de ce groupe d’artistes français à Rio de Janeiro

appartiennent à l’histoire des guerres napoléoniennes. Ce fut l’invasion du Portugal par les

troupes françaises qui amena le prince Dom João VI3 à prendre la décision de partir au Brésil,

à l’époque une simple colonie, en se faisant accompagner par toute la Cour. Cela s’est produit

à la fin de l'année 1807. Napoléon faisait la guerre contre l’Angleterre. Après avoir contrôlé

presque toute l’Europe occidentale, il imposa le blocus continental, l’interdiction des

transactions commerciales entre le continent et l’Angleterre. Le Portugal représentait une

brèche dans ce blocus et il fallait supprimer cette communication des Anglais avec le continent.

En novembre 1807, des troupes françaises ont passé la frontière entre le Portugal et l’Espagne

et avançaient en direction de Lisbonne. En quelques jours, le prince Dom João VI s’est décidé

à transférer la Cour au Brésil. Entre le 25 et le 27 novembre 1807, à peu près 10 ou 15 mille

personnes se sont embarquées dans les navires portugais vers le Brésil, sous la protection de la

flotte anglaise. Tout un appareil bureaucratique partait vers la Colonie. Celle-ci allait vivre de

grandes transformations. Plus tard, la défaite de Napoléon laissant démunis les artistes français

liés aux bonapartistes, ceux-ci eurent intérêt à aller vivre à l’étranger sous la protection de

3 - Dom João VI, qui n’était pas encore sacré roi, régnait au Portugal depuis le jour où sa mère, la Reine Dona Maria, avait été déclarée folle.

18

nouveaux mécènes. La volonté de Dom João VI de fonder une Académie dans le nouveau

siège de la Couronne portugaise, jointe au besoin des artistes français, fut à l’origine de

l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro4...

Avec l’arrivée de la famille royale, le Brésil acquit, du jour au lendemain, le statut de

siège de la Cour. Selon Caio Prado Júnior5, l’époque coloniale se termine, au Brésil, à cette

date (1808), bien que l’indépendance n’eût été proclamée officiellement qu’en 1822. Malgré

l’exagération de cette affirmation, on ne peut pas nier que la présence de la Cour à Rio de

Janeiro a contribué à donner à l’Indépendance le caractère d’une transition sans grands

sursauts. S’il est vrai qu’en 1808 le Brésil était officiellement encore une colonie portugaise, le

nouveau statut de Rio de Janeiro allait provoquer des changements radicaux.

La physionomie de la ville se transforma, car Rio devint l’axe de la vie administrative

de la Colonie. Une vie culturelle commença à s’ébaucher. L’accès aux livres et la circulation

des idées ont été des marques distinctives qui différencient cette période de celle qui l’a

précédée. En septembre 1808 apparut le premier journal édité au Brésil ; des théâtres

s’ouvrirent, des bibliothèques, des académies littéraires et scientifiques virent le jour. Tout ce

mouvement venait répondre à la demande de la Cour et de la population urbaine en expansion

rapide. Pendant le séjour de Dom João VI6 au Brésil, c’est-à-dire, au long d’une décennie, le

nombre d’habitants de la capitale doubla et passa d’environ cinquante mille à cent mille

personnes. Parmi les nouveaux habitants, les immigrants étaient nombreux. Des Espagnols, des

Français et des Anglais sont venus s’installer à Rio, de même que des Portugais. Les uns et les

autres formèrent une classe moyenne de professionnels et d’artisans qualifiés. D’autre part, le

Brésil attirait des scientifiques et des voyageurs étrangers qui désiraient s’y livrer à des

recherches. Naturalistes, minéralogistes, zoologistes et botanistes européens arrivèrent pour

connaître le Nouveau Monde.7

4 - Quelques auteurs soulignent cependant qu’à l’origine l’idée n’était pas de fonder une Académie des Beaux-Arts, mais bel et bien une Ecole des Arts et Métiers orientée vers l’application des arts à l’industrie. On développera ce sujet par la suite.

5 - PRADO JUNIOR, Caio. História econômica do Brasil. 22a ed., Brasiliense, São Paulo, 1979.

6 - Dom João VI a vécu au Brésil de 1808 jusqu'en avril 1821. À cette date, il retourne au Portugal pour ne pas perdre son trône. À la suite d’une profonde crise politique, économique et militaire, en août 1820 les Portugais s’étaient révoltés. À la fin de 1820 les révolutionnaires ont établi un comité provisoire pour gouverner au nom du roi et ont exigé son retour à la Métropole.

19

Entre-temps, en 1814, Napoléon était vaincu et la guerre en Europe était finie. Il n’y

avait plus de raison pour que la Cour portugaise reste au Brésil. Pourtant, Dom João VI décide

de s’y fixer et en décembre 1815 il élève le Brésil à la condition de Royaume Uni au Portugal

et à l’Algarve. Quelques mois plus tard, la reine décédée, Dom João était sacré roi. C’est à ce

moment qu’a eu lieu l’engagement des artistes français.

Dom João VI prenait alors les mesures nécessaires pour faire de Rio de Janeiro un

centre capable d’exercer son rôle de siège du Royaume Uni. Dans le cadre de préparation du

nouveau siège métropolitain, le roi a envisagé l’engagement d’artistes et d’artisans étrangers

pour créer une Ecole des Arts et Métiers. Le Ministre des Affaires étrangères, Antônio de

Araújo de Azevedo, Comte da Barca, fit chercher des artistes en France, centre artistique de

renommée internationale. Conformément à ce qui est écrit ci-dessus, la carrière européenne

des artistes qui ont formé la Mission française s’était déroulée sous le patronage des partisans

de Bonaparte. La chute de l’Empire leur fit perdre leurs protecteurs, et ils ont dû chercher les

moyens de vivre ailleurs. Leur besoin s’accordait bien à l’initiative du roi du Portugal et du

Brésil.

Le groupe d’artistes et artisans qui formaient la Mission française était dirigé par

Joachim Le Breton (Saint-Meens, Bretagne, 1760 - Rio de Janeiro, 1819), homme de lettres,

critique d’art et secrétaire perpétuel de la Classe des Beaux-Arts de l’Institut Royal de France.

Le 26 mars 1816, Le Breton débarquait à Rio accompagné des artistes suivants :

• l’architecte Auguste-Henri Victor Grandjean de Montigny

(Paris, 1776 - Rio de Janeiro, 1850)

• le peintre d’histoire Jean Baptiste Debret (Paris, 1768 - id., 1848)

• le peintre d’histoire Nicolas-Antoine Taunay (Paris, 1755 - id.,1830)

• le sculpteur Auguste-Marie Taunay, frère de Nicolas-Antoine

(Paris, 1768 - Rio de Janeiro, 1824)

• le graveur de médailles Charles Simon Pradier

(Genève, 1786 - id.1848)

• le spécialiste en mécanique François Ovide7 - On peut en citer quelques-uns comme le naturaliste et minéralogiste anglais John Mawe ;

les deux bavarois Johan Baptiste von Spix, zoologiste, et Carl Friederich Philip von Martius, botaniste ; le naturaliste français Saint-Hilaire. Tous furent auteurs d’ouvrages qui constituent des sources importantes de renseignements sur le Brésil de cette époque.

20

• les spécialistes en stéréotomie, disciples et auxiliaires de Grandjean de Montigny, Charles Henri Lavasseur et Louis Symphorien Meunier

• le sculpteur auxiliaire d’Auguste-Marie Taunay, François Bonrepos

Six mois après, deux autres artistes sont arrivés à Rio pour s’incorporer au groupe:

• le sculpteur Marc Ferrez (France, 1788 - Rio de Janeiro, 1850)

• et le graveur Zéphyrin Ferrez, frère de Marc

(France, 1797 - Rio de Janeiro, 1851)

Les onze formaient un noyau lié aux Beaux-Arts et à l’Architecture. Quant aux

Métiers, Le Breton a amené avec lui six autres Français artisans spécialisés:

• le maître serrurier Nicolas Magliori Enout

• le maître forgeron et spécialiste en construction navale Jean Baptiste Level

• les charpentiers et constructeurs de voitures Louis-Joseph et Hippolyte Roy (père et fils)

• les corroyeurs de peaux Fabre et Pilitié

Donc, au total, 18 Français formaient la Mission.

Six mois après l’arrivée de Le Breton, un arrêté daté du 12 août 1816 a déterminé la

création de l’Ecole des arts et métiers, dans les termes suivants :

( ...) une École royale des sciences, arts et métiers, dans laquelle soient encouragées et diffusées l’instruction et les connaissances indispensables aux hommes destinés aux postes publics de l’administration de l’Etat, mais aussi à ceux qui travailleront pour le progrès de l’Agriculture, de la Minéralogie, l’Industrie et le Commerce,(...). 8

Cet énoncé exprime une ambition si large qu’on dirait qu’il représente le désir de

créer tout un ensemble d’établissements d’enseignement supérieur. Nous le lisons aujourd’hui

en sachant que les buts à atteindre étaient inaccessibles, au moins dans un futur immédiat. Il est

intéressant cependant d’observer que l’introduction de l’enseignement artistique au Brésil se

voulait liée à un projet de développement économique. Les arts devraient servir au progrès de

l’industrie.

8 - “ ... uma Escola Real de Ciências, Artes e Ofícios, em que se promovam e difundam a ins-trução e conhecimento indispensáveis aos homens destinados aos empregos públicos de ad-ministração do Estado, mas também ao progresso da Agricultura, Mineralogia, Indústria e Comércio, ... ” [Cité par Cipiniuk, p.22].

21

De façon plus modeste, c’est la même intention que l’on voit exprimée dans une

lettre de Joachim Le Breton au Comte da Barca, l’année de son arrivée au Brésil (1816) :

Les arts du dessin, qui ont produit dans un court délai de temps, au Mexique, une surprenante amélioration dans plusieurs branches de l’industrie et des Beaux-Arts, et la diffusion simultanée du dessin parmi les arts et les métiers qui peuvent l’utiliser, doivent produire n’importe où les mêmes effets ; (...). Je m’offre pour organiser, avec l’enseignement des Beaux-Arts, la propagation simultanée du dessin dans les arts et métiers qui peuvent bénéficier de cet enseignement.9

Dans ces mots, on remarque que le premier plan est réservé aux beaux-arts.

Néanmoins, les métiers ne sont pas écartés des préoccupations de Le Breton, chef de la

Mission.

Quoi qu’il en soit, l’Ecole royale des sciences, arts et métiers n’a jamais vu le jour.

Quatre ans plus tard, le 12 octobre 1820, un nouvel arrêté déterminait la création d’une

“ Académie royale de dessin, peinture, sculpture et architecture civile ”. Le 23 novembre de la

même année, un autre arrêté changeait le nom de l’Ecole, qui devenait simplement Academia

de Belas Artes. Ce même arrêté nommait, comme directeur de l’Académie, le peintre portugais

Henrique José da Silva, Le Breton étant décédé depuis le 9 juin 1819, et il ne restait aux

Français que des postes d’enseignant. De plus, l’Académie n’engageait pas les maîtres artisans

qui

étaient venus avec la Mission. N’ayant pas été employés dans l’enseignement, ils se sont

tournés vers des activités dans l’industrie naissante.

Mais ce n’est pas sans regret que le premier projet fut abandonné. L’énoncé de

l’arrêté du 23 novembre 1820 explique qu’il avait été impossible de faire fonctionner une Ecole

royale des sciences, arts et métiers. Pour compenser cet échec, il fallait au moins mettre en

9 - Cité par Alberto Cipiniuk, In : A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro. Thèse soutenue à Rio de Janeiro, UFRJ - Instituto de Filosofia e Ciências Sociais - Departa-mento de Filosofia - julho de 1985, p.24.

“ As artes do desenho, que produziram em poucos anos, no México, surpreendente melhoria em muitos ramos da indústria e das Belas Artes, e a propagação simultânea do desenho nas artes e ofícios que dele podem aproveitar, devem ter em todos os lugares o mesmo efeito ; (...), e ofereço-me para organizar, com o ensino das Belas Artes, a propagação simultânea do desenho nas artes e ofícios que dele podem tirar proveito. ”

22

oeuvre quelques cours de beaux-arts.10 On remarque le décalage entre l’ambition initiale et les

possibilités réelles de mise en oeuvre du projet.

Cependant, l’Académie n’avait toujours pas de siège, et des cours privés furent

assurés par les professeurs français jusqu’au 5 novembre 1826, date où l’Academia Imperial

de Belas Artes s’installa définitivement dans un espace approprié. Elle fut enfin organisée et

divisée en six classes :

1 - dessin de figure, paysage et ornements ;

2 - peinture d’histoire ;

3 - sculpture et ornements ;

4 - architecture civile, perspective et géométrie pratique ;

5 - gravure ;

6 - mécanique.

Bref, dix ans après l’arrivée des missionnaires, l’Académie des Beaux-Arts était

effectivement inaugurée et fonctionnait avec la rigueur désirée par les Français. À partir de ce

moment, avec l’enseignement des maîtres, la technique et les normes propres au néoclassicisme

furent transplantées au Brésil.

Récapitulons : en 1816, la Mission artistique française arrive à Rio ; en 1820,

l’Académie est créée; en 1826, l’Académie est inaugurée et installée dans son siège. D’après

l’observation de ces simples dates, il est évident que les premières années d’activité du groupe

des Français ont été très difficiles. En effet, ils étaient pratiquement empêchés d’accomplir ce

pour quoi ils étaient venus au Brésil : s’occuper de l’enseignement officiel des arts et métiers. Il

n’est pas étonnant que les missionnaires aient déchanté, car ils ont dû travailler dans des

conditions très différentes de celles qu’ils souhaitaient. Certains (Le Breton, Auguste Taunay)

moururent prématurément ; d’autres, déçus, regagnèrent la France : Pradier dès 1818, Nicolas-

Antoine Taunay en 1821, et enfin Debret en 1831.

Selon le témoignage de Manuel de Araújo Porto-Alegre, qui fut successivement élève

de Jean Baptiste Debret, professeur et finalement directeur de l’Académie, “ l’histoire de

l’Academia das Belas Artes montre que la pensée du gouvernement, au Brésil, a toujours

10 - Cité par Campofiorito, p. 50.

23

souffert des idées du provisoire. Cela se voit dans l’histoire de l’édification de l’Académie...”

Dans un document écrit en 1853, il raconte :

De 1816 jusqu’à 1826, le Corps Académique n’a rien fait, puisqu’on ne lui a jamais donné une maison où travailler, ni même à ceux qui l’ont tellement demandée. On a eu l’idée de faire fonctionner les cours dans la maison appelée du Núncio ; on a eu l’idée d’envoyer les classes à la Guarda Velha, et on a eu aussi l’idée de construire un édifice nouveau. Ce dernier, même pendant la construction de l’édifice actuel, a passé par plusieurs avatars, à tel point qu’en 1851 on a eu l’idée d’incorporer au Trésor Public la maison de l’Académie, et envoyer les classes à la Guarda Velha : le provisoire réapparut !11

Les débuts difficiles de l’installation de l’enseignement officiel des beaux-arts au

Brésil sont cités par les divers auteurs qui ont écrit sur la période. Lorsqu’ils expliquent les

causes des ajournements et modifications du projet initial, ils présentent, cependant, quelques

nuances dans leurs interprétations. On peut citer ici trois positions différentes :

11 - PORTO-ALEGRE, Manuel de Araújo. Apontamentos sobre os meios práticos de desen-volver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro, feitos por ordem de Sua Majestade Imperial o Senhor Dom Pedro II Imperador do Brasil. Rio de Janeiro, 1853. (Reproduit en “ Revista Crítica de Arte, n.4 ”, p.32).

“ De 1816 a 1826 ficou o Corpo Acadêmico sem nada fazer, porque nunca se lhe deu uma casa para trabalhar, nem mesmo àqueles que tanto a reclamaram. Houve o pensamento de colocar as aulas na casa chamada do Núncio ; houve o de as mandar para a Guarda Velha, e houve o de se fazer um edifício próprio. Este último, mesmo durante a construção do edifí-cio atual, passou por várias alternativas, a ponto de em 1851 reaparecer a idéia de incorporar ao Erário a casa da Academia, e mandar as aulas para a Guarda Velha : o provisório renas-ceu ! ”

24

La première position veut comprendre ces difficultés comme la conséquence de faits

fortuits émanant de la responsabilité des individus. C’est la position de Campofiorito12. Selon

cet auteur, l’indécision qui s’est prolongée pendant quatre ans (de 1816 à 1820) a eu trois

causes : les conflits entre les groupes de Portugais anglophiles et francophiles qui interféraient

dans les démarches officielles; l’animosité qui opposait les professeurs français et les

administrateurs portugais ; l’hostilité de l’ambassadeur français envers ses compatriotes qui

avaient des positions politiques contraires au régime en vigueur en France.

Cipiniuk13 présente une deuxième interprétation marquée par une conception marxiste

de l’histoire. Il affirme que l’Ecole royale des sciences, arts et métiers serait anachronique dans

sa prétention, comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste subordonnée aux intérêts

esclavagistes. Il met en valeur le contexte de dépendance économique du Brésil vis-à-vis de

l’Angleterre, et déclare que le projet brésilien d’enseignement de l’art appliqué à l’industrie fut

abandonné parce que le développement des industries brésiliennes n’intéressait pas à

l’Angleterre.

La troisième position nous semble plus raisonnable. Elle envisage l'histoire de

l’Académie dans le contexte de l’Histoire du Brésil, mais cette histoire ne se réduit pas aux

disputes autour des enjeux économiques. Ce point de vue est présenté dans un texte plus

récent, où Tadeu Chiarelli14 affirme que le grand obstacle au bon fonctionnement de

l’Academia Imperial a été le caractère intempestif de sa propre fondation. Il observe qu’elle a

été créée à un moment où le Brésil passait par des transformations politiques et sociales

intenses. Cette situation aurait provoqué la mise à l’écart de ce projet, qui fut ainsi placé dans

un plan secondaire. Forcément, l’Académie et l’intention de former des artistes professionnels

et érudits furent abandonnées pendant des longues années par les pouvoirs publics.

Mais Tadeu Chiarelli ne mentionne pas l’antinomie qui se trouve dans la création

même de l’Académie. Sa fondation avait été voulue comme un élément de progrès. Et c’est

l’absence de ce progrès qui a fait obstacle à son implantation. En effet, les ajournements et

modifications du projet initial dénotent que l’Academia de Belas Artes souffrait d’une

12 - CAMPOFIORITO, Quirino. História da Pintura brasileira no século XIX. Rio de Janeiro, Pinakotheke, 1983, p.p. 49 et 50.

13 - CIPINIUK, A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro, 1985, p.28.14 - CHIARELLI. “ Préface ”, In : GONZAGA-DUQUE, Luís. A Arte Brasileira. Mercado de

Letras, Campinas, 1995, p.14.

25

contradiction fondamentale. Cette contradiction, qui était ressentie par ses contemporains, fut

explicitée par Spix et Martius, scientifiques allemands qui ont voyagé au Brésil entre 1817 et

1820. L’année de leur visite, l’Académie brésilienne se limitait au groupe des professeurs qui

recevaient des pensions et donnaient des leçons privées. Dans leur livre Reise nach

Brasilien (Voyage au Brésil), ils écrivent :

Une autre institution créée par le Ministre Araújo, Comte da Barca, (...) est l’Academia de Belas Artes. Alors qu’en Europe on considérait la fondation d’un tel établissement comme une preuve, qui semblait être concluante, du développement rapide du nouvel Etat, on observe néanmoins, après un examen plus rigoureux, qu’actuellement une telle fondation ne correspond pas entièrement aux besoins du peuple, et, par conséquent, ne peut pas encore être développée... Très tôt, cependant, il [le Comte da Barca] a reconnu que les beaux-arts ne pouvaient s’établir ici [ au Brésil ] qu’après l’installation des arts mécaniques qui, en satisfaisant aux besoins essentiels de la population, auraient rendu possible l’installation des premières. Aussi a-t-il compris que ce n’est qu’après la fondation et l’affirmation des échanges commerciaux d’un peuple avec l’étranger, qu’il est possible de réveiller en lui les aspirations de l’art et la culture artistique.15

Effectivement, quand on examine l’histoire de l’installation de l’Académie à Rio de

Janeiro, on vérifie que l’introduction de l’enseignement artistique officiel ne répondait pas à un

besoin ressenti par la population locale. La création de l’Academia de Belas Artes, issue d’une

résolution gouvernementale, faisait partie des nombreux changements qui eurent lieu à Rio

pendant cette période agitée. En réalité, cet aménagement de la ville de Rio de Janeiro signifiait

l’émergence de la société brésilienne reconnue en tant que telle. Pas à pas, les caractéristiques

visibles qui rappelaient l’ancienne colonie portugaise disparaissaient. Ce qui s’ébauchait c’était

la construction d’une nation. Mais cette construction était accélérée par la volonté des

gouverneurs. Les textes des arrêtés montrent bien le caractère d’urgence des mesures destinées

à adapter la ville à son nouveau rôle, mais aussi l’incapacité de tout réaliser dans l’immédiat.

15 - Cité par Cipiniuk dans sa thèse A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janei-ro. Rio de Janeiro, 1985 (p.p.26 et 27).

“ Outra instituição que teve como seu criador o Ministro Araújo, Conde da Barca, (...), é a Academia de Belas Artes. Ao passo que a Europa considerava a fundação de tal estabeleci-mento concludente prova, como parecia, do rápido desenvolvimento do novo Estado, nota-se todavia, com observação mais rigorosa, que atualmente tal fundação não corresponde de todo às necessidades do povo, e, portanto, não pode ainda ser desenvolvida... Não tardou porém, a reconhecer que aqui só se poderiam estabelecer as belas artes, quando as artes me-cânicas ; que satisfazem às primeiras necessidades, houvessem feito o preparo para aquelas, e que num povo, só depois de fundada e firmada a sua vida comercial com o estrangeiro, é que se podem despertar as aspirações de arte e a cultura artística. ”

26

En tout cas, le passé colonial était définitivement révolu et, après ce commencement

difficile, l’Academia Imperial a évolué dans le sens déterminé par les Français.

Pour comprendre l’étendue des transformations qui se sont produites sur la scène

artistique brésilienne, il faut penser à la production des beaux-arts au Brésil avant l’arrivée de

la famille royale. Il faut rappeler que le système colonial portugais avait limité la production

artistique brésilienne aux besoins religieux. Pendant la période coloniale, presque toutes les

commandes de peintures concernaient la décoration des églises et des portraits commandés par

les confréries religieuses.

L’enseignement officiel des beaux-arts au Brésil vint interrompre cette tradition

coloniale, religieuse et baroque. Le nouvel enseignement austère et académique de fond

néoclassique est venu marquer de façon très forte l’évolution de la peinture brésilienne au long

du XIXe siècle. Au cours de ce siècle, les arts allaient devoir remplir une nouvelle tâche : la

création d’une image pour la nation brésilienne. L’indépendance du pays en 1822 vit naître la

préoccupation de la classe dirigeante de créer une conscience nationale, une Histoire du Brésil

indépendante de l’Histoire du Portugal. L’Académie aura son rôle dans la construction de cette

image à travers la production des tableaux de peinture d’histoire.

En outre, l’Académie deviendra le coeur du mouvement artistique brésilien. Depuis

son installation en 1826, c’est autour d’elle que le monde de l’art s’organisa. Dès le milieu du

siècle, l’Académie se trouva au centre du développement des beaux-arts au Brésil. Et toutes

ces transformations se sont produites au cours de moins de trois décennies.

C’est en conséquence de ces changements radicaux qu’aucun historien de l’art

brésilien n’hésite à considérer la Mission artistique française comme un jalon qui marque le

passage d’une époque à une autre entièrement différente.

Les premiers auteurs brésiliens qui se sont occupés des beaux-arts ont divisé

l’histoire de l’art au Brésil en périodes. Malgré quelques divergences, l’arrivée des artistes

français à Rio, en 1816, est un jalon présent dans tous ces classements. Un autre repère partagé

par tous c’est l’année de 1826, date de l’ouverture de l’Académie. Ensuite, la plupart d’entre

eux indiquent le début d’une nouvelle période en 1840, année où l’exposition annuelle des

élèves de l’Académie passa par quelques transformations et devint ce que l’on appelle un Salon

27

des Beaux-Arts. Cette année de 1840 marque le début de l’affermissement de l’Académie et de

son enseignement.

On remarque que les dates choisies pour jalonner l’histoire de l’art brésilien du XIXe

siècle se réfèrent toutes à des événements liés à l’histoire de l’Academia Imperial de Belas Ar-

tes. Cette coïncidence est encore un signe de la réussite du projet de l’Académie. Après les

débuts difficiles, elle a fini par s’imposer.

Le travail d’artistes comme Jean Baptiste Debret et Grandjean de Montigny trouva

finalement terrain propice à l’implantation de l’enseignement de la peinture et de l’architecture

au Brésil. Mais celui qui fut présenté comme le grand responsable de l’essor de l’Académie, ce

fut le peintre Félix-Émile Taunay (Montmorency, 1795 - Rio de Janeiro, 1881).

Félix-Émile, fils de Nicolas-Antoine Taunay, l’un des participants de la Mission, avait

21 ans quand il arriva à Rio avec son père. Lorsqu’en 1821, Nicolas-Antoine retourna en

France, Félix-Émile Taunay voulut rester au Brésil. Il remplaça son père comme professeur de

peinture et en 1834 il fut nommé directeur de l’Académie.16 Il a gardé ce poste jusqu’en 1851.

C’est sous sa direction que l’Académie s’est structurée, et a, peu à peu, acquis une

reconnaissance plus effective de l’Etat. À partir de 1835, des réalisations significatives furent

concrétisées. Des améliorations rendirent possible l’accomplissement de l’objectif premier de

cette institution : former des artistes. Taunay ouvrit le cours de modèle vivant, prépara le

premier catalogue de la collection d’oeuvres d’art de l’Académie, acheva les travaux de

l’édifice projeté par Grandjean de Montigny, institua les Expositions Générales des Beaux-

Arts, la distribution de médailles aux meilleurs exposants, le Prix de Voyage en Europe, et créa

les places de “ Membre correspondant ” et “ Membre honoraire ”.17

Les écrivains qui ont étudié l’histoire de l’Academia Imperial ont toujours mentionné

le rôle très important joué par Félix-Émile Taunay dans la structuration de l’institution. Mais

on ne doit pas oublier que cet épanouissement de l’Académie correspond aussi à une période

où la stabilité politique du pays avait été retrouvée. La période précédente avait été l’une des

plus agitées de l’histoire politique brésilienne. De 1831 à 1840 le centre du débat politique fut

16 - Le 29 octobre 1834, Henrique José da Silva, directeur de l’Académie est décédé. Grandjean de Montigny est nommé provisoirement pour occuper ce poste. Mais bientôt il passe la charge à Félix-Émile Taunay.

17 - Titres accordés aux maîtres qui orientaient les pensionnaires brésiliens en Europe.

28

dominé par les thèmes de la centralisation du pouvoir et du degré d’autonomie des provinces,

et même l’unité territoriale du Brésil était en jeu. Ce n’est qu’après la majorité de Dom Pedro

II, sacré empereur en 1840, que la situation s’apaisa18. Et dix ans plus tard, vers 1850, la

Monarchie centralisée s’est enfin consolidée, à l’heure où les dernières rébellions provinciales

s’éteignaient.

Bref, grâce à la direction de Félix-Émile Taunay et à la période plus favorable

pendant laquelle elle s’est exercée, l’Academia Imperial de Belas Artes devint une institution

reconnue par le pouvoir public. La création du Prix de Voyage, l’une des réalisations du

nouveau directeur, concerne particulièrement le présent travail. Nous examinerons donc la

façon dont ce Prix fut créé, et comment il a évolué et influé sur la formation des artistes

brésiliens de la fin du siècle dernier.

18 - Dom Pedro II (Rio de Janeiro, 1825 - Paris, 1891) - fils de Dom Pedro I et petit-fils de Dom João VI, il fut empereur du Brésil de 1831 à 1889. Mais entre 1831 et 1840 le Pays fut gouverné par un groupe d'hommes d'Etat au nom de l’empereur qui était mineur. En 1840 la majorité de Dom Pedro II fut anticipé. Il a lutté pour la pacification du pays, se confrontant aux dernières révoltes de la période impériale. Après la proclamation de la République en 1898, Pedro II fut déporté en Europe.

29

2 - Historique des Prix de Voyage en Europe

Le Prix de Voyage en Europe était le prix le plus important accordé par l’Academia

Imperial de Belas Artes. Appelé aussi Prix de Premier Ordre, il était remis à l’étudiant des

Beaux-Arts lauréat du concours prévu à cette fin. Ce prix était un séjour en Europe pour s’y

perfectionner aux frais de l’Etat brésilien et impliquait des obligations pour l’élève récompensé.

Celui-ci devait envoyer ses travaux à l’Académie, où les professeurs jugeaient de ses progrès et

décidaient de la poursuite ou de l’interruption de son séjour.

Le Prix de Voyage est né du besoin ressenti par les artistes brésiliens d’aller se

perfectionner en Europe. Ce besoin qui s’est fait beaucoup plus fort après l’indépendance

politique du Brésil (1822), existait en effet depuis la période coloniale. On observe que même

avant l’arrivée de la Mission française et avant l’institution de l’enseignement officiel des

beaux-arts à Rio de Janeiro, quelques peintres et sculpteurs avaient réalisé des voyages

d’études. Gonzaga-Duque commente qu’avant l’arrivée du groupe des Français,

l’éducation de nos artistes dépendait de leurs propres efforts, et heureux furent ceux qui réussirent à se transporter en Métropole pour cultiver leur art préféré.19

Si par cette remarque il voulait attirer l’attention sur les difficultés de formation

rencontrées par les artistes brésiliens avant l’installation de l’Academia Imperial de Belas

Artes à Rio de Janeiro, il nous informe aussi que déjà à cette époque certains d’entre eux

partaient étudier en Europe. C’est à dire que les voyages de perfectionnement n’ont pas été

une invention de l’Académie, ils existaient déjà, de façon embryonnaire, pendant la période

coloniale.

Pourtant, quelques différences importantes s’imposent à l’analyse si l’on compare ces

premiers voyages artistiques et les voyages entrepris postérieurement par les élèves de

l’Académie. La première différence est leur caractère officiel ou pas. Les voyages des

pensionnaires de l’Académie étaient subventionnés par l’Etat, et ceux qui en bénéficiaient

19 - GONZAGA-DUQUE, A Arte Brasileira, 1995, p.90.(La première édition date de 1888).“ Até então a educação dos nossos artistas dependia dos seus próprios esforços, e felizes fo-

ram aqueles que conseguiram transportar-se ao reino para o cultivo da arte predileta. ”

30

devaient rendre compte de leurs activités aux professeurs brésiliens, tandis que les voyages de

la période précédente ne présentaient pas ce caractère officiel.

La deuxième différence est celle du nombre d’artistes envoyés en Europe. Les artistes

de la période coloniale étaient d’origine très modeste ; parmi les peintres et sculpteurs il y avait

même des esclaves, ou des fils d’esclaves. Ceux qui ont eu la chance de trouver un protecteur

qui leur a permis d’aller en Europe ont été très peu nombreux. À partir de l’institution du Prix

de Voyage l’envoi des pensionnaires en Europe fut plus régulier, un plus grand nombre

d’artistes en bénéficièrent, et même ceux qui entreprirent le voyage d’études à leurs frais se

multiplièrent.

La troisième différence concerne la destination des étudiants. Lorsque le Brésil était

encore une colonie portugaise, les rapports des Brésiliens avec l’Europe se limitaient aux

relations avec la métropole, c’est-à-dire, le Portugal. Ainsi, la ville choisie comme lieu d’études

par les artistes de cette période a été presque toujours Lisbonne. Après un séjour dans la

capitale du Royaume, ils continuaient parfois leurs études à Rome.20

Le séjour d’études à Paris apparaît pour la première fois, d’après les connaissances

actuelles, dans la biographie du peintre Manuel de Araújo Porto-Alegre (1806-1879). Disciple

de Jean Baptiste Debret, il a été formé par la Mission française. C’est lui le prédécesseur des

pensionnaires de l’Etat, le premier des élèves de l’Académie à suivre le chemin du

perfectionnement en Europe. Plus tard, Araújo Porto-Alegre deviendra directeur de

l’Académie et sera le responsable des changements qu’y adviendront au niveau de

l’enseignement.

Gonzaga-Duque, dans son livre A Arte Brasileira, oeuvre de référence à propos de

l’art brésilien du XIXe siècle, raconte une anecdote à propos du départ d’Araújo Porto-Alegre

pour l’Europe. On résume ci-dessous le récit de Gonzaga-Duque.

Le 27 janvier 1827, Manuel de Araújo Porto-Alegre

devient élève en peinture de Jean Baptiste Debret à l’Académie. 20 - Campofiorito cite les peintres Manuel da Cunha (Rio de Janeiro, 1737 - 1809) et José

Teófilo de Jesus (Bahia, v. 1757 - 1847) qui ont étudié à Lisbonne ; José Joaquim da Rocha (Bahia, 1737-1807) qui a étudié à Lisbonne et à Rome ; Manuel Dias de Oliveira (Rio de Janeiro, 1764 - 1837) qui a étudié à Lisbonne et à Rome où il a vécu pendant dix années. Gonzaga Duque cite le sculpteur Valentim da Fonseca e Silva, Maître Valentim (1740/50 - 1813) qui a été formé sculpteur en partie au Portugal.

31

Ensuite il y fréquente les cours d’architecture et de sculpture. Son

avancement dans les trois disciplines est remarquable et dans

l’Exposition de 1830 il obtient trois prix : l’un de peinture, l’un

d’architecture et l’autre de sculpture.

L’empereur Dom Pedro I21 lui passe alors la commande

d’un portrait et lui promet de financer ses études en Italie, ou dans

un autre centre européen, une fois l’oeuvre terminée. Mais cette

promesse n’a pas été concrétisée, car Porto-Alegre est tombé

malade, et peu de temps après l’empereur abdiqua.

Le jeune artiste a voulu réaliser le voyage à ses propres

frais, car il venait d’hériter de son père. Mais ayant prêté l’argent à

un ami d’enfance, membre de sa famille, il s’est vu empêché de

voyager. À la fin, avec l’aide de trois amis importants il put partir

en compagnie de son maître Debret. Ces amis étaient Evaristo

Ferreira da Veiga22 et Monseigneur A.V. da Soledade, qui lui ont

accordé des moyens financiers, et José Bonifácio,23 qui lui obtint

un billet gratuit dans le navire de guerre français Durance. Debret

quitta le Brésil en compagnie de Porto-Alegre pour retourner en

France le 25 juillet 1831, et il arriva à Paris en septembre de la

même année.

21 - Pedro I (Queluz, Portugal, 1798 - id., 1834). Il fut nommé prince régent, remplaçant son père, Dom João VI, en 1821. Il a déclaré l’Indépendance du Brésil le 7 septembre 1822. À la suite d’une réaction populaire au Portugal, il abdiqua du trône du Brésil en faveur de son fils Pedro II (1831) et partit briguer le trône portugais contre son frère Dom Miguel.

22 - Evaristo da Veiga (Rio de Janeiro, 1799 - id., 1837) - Politicien, journaliste et écrivain. Il a fondé et dirigé le journal Aurora Fluminense (1827 - 1835). Il fut réélu député trois fois à partir de 1830. Il s’est retiré à Minas Gerais (1835), et s’est dédié à son activité d’écrivain. Il fut l’un des précurseurs du romantisme au Brésil. [Boris Fausto, p.638]

23 - José Bonifácio de Andrada e Silva (Santos, SP, 1763 - Niterói, RJ, 1838) - scientifique et politicien. Il a étudié au Portugal (1787) et lors de son retour au Brésil (1819), il fut indiqué pour faire partie du gouvernement de São Paulo (1820) ; ensuite, il devient Ministre d’Etat (1821). Il s’est dévoué à la cause de l’Indépendance (1822), en soutenant la monarchie constitutionnelle. Après la fermeture de l’Assemblée Constituante, il fut exilé en France (1823). Il retourne au Brésil et se maintient éloigné de la politique jusqu’en 1831, lorsqu’il est nommé tuteur de Dom Pedro II. [Boris Fausto, p. 598].

32

À Paris, Araújo Porto-Alegre reçut une formation

philosophique, littéraire et artistique ; il se perfectionna en

peinture sous l’orientation du baron Le Gros. Cependant Soledade

et Ferreira da Veiga sont décédés24 et Manuel de Araujo Porto-

Alegre s’est retrouvé dépourvu de ressources. C’est alors que le

Ministre du Brésil en France l’assista en lui offrant vingt mille

francs pour partir en Italie afin d’achever ses études. De cette

somme généreuse, Porto-Alegre n’a utilisé que quatre mille francs.

En 1835 l’Assemblée Générale du Brésil lui avait accordé une

pension annuelle de six cent mille réis pendant trois ans. Porto-

Alegre est alors revenu à Rio en 1837, mais avant son retour il

visita Londres et fit des voyages en Belgique et Hollande. Revenu

au Brésil, il fut nommé professeur de peinture d’histoire à

l’Académie. En 1854 il devint directeur de l’Académie, d’où il

s’est retiré en 1857. 25

La façon dont Gonzaga-Duque nous présente les événements qui ont précédé le

voyage de Manuel de Araújo Porto-Alegre est curieuse. Le récit se construit à la manière

d’une petite fable où le héros doit surmonter une série de difficultés avant de parvenir à son

but, car ce n’est qu’après le troisième essai que le voyage se réalisa. En tout cas, après toutes

ces péripéties, le peintre reçut une pension de l’Etat brésilien, et à son retour il fut intégré à

l’Académie en tant professeur. On verra que son itinéraire est une espèce de prototype de celui

des pensionnaires qui l’ont suivi.

La systématisation de l’envoi d’artistes élèves brésiliens en Europe commence avec la

réglementation du Prix de Voyage, huit ans après le retour d’Araújo Porto-Alegre au Brésil.

L’institution de ce Prix, décerné après concours au meilleur élève de l’Academia Imperial, eut

lieu en 1845. Sa création se produisit dans une période où l’action de la Mission française

commençait à donner des fruits. L’Académie, jouissant de la reconnaissance des pouvoirs

publics, tend alors à jouer le rôle principal dans la scène artistique brésilienne. Cette période

qui commence en 1840 et coïncide avec la direction de Félix-Émile Taunay, fut appelée la

24 - Selon les sources consultées, Ferreira da Veiga n’est mort qu’en 1837. Peut-être que Gonzaga Duque fait référence à la date de son retrait de la vie politique en 1835.

25 - GONZAGA-DUQUE, A Arte Brasileira, 1995, p.p.111, 112 et 113.

33

période de “ Consolidation ”26, ou de “ Mouvement ”27 et représente le moment où le milieu

artistique brésilien s’organisa autour des Expositions Générales qui se succédaient chaque

année.

Ces Expositions Générales furent un développement des expositions annuelles des

élèves de l’Academia Imperial, dont la première avait été réalisée en 1826. À cette occasion,

les oeuvres ayant été exposées dans l’atelier de Jean-Baptiste Debret, l’exposition eut un

caractère privé. En 1829, une nouvelle exposition se réalisa, cette fois-ci ouverte au public.

Ensuite, à partir de 1830, elles se succédèrent tous les ans. À partir de 1840 cette exposition

annuelle s’ouvrit à la participation de tous les artistes, nationaux ou étrangers, membres ou pas

de l’Académie, et des prix furent décernés aux meilleurs exposants. Les expositions sont

devenues dès lors de véritables Salons des Beaux-Arts. Ce changement a été déterminé par un

Avis du gouvernement daté du 31 mars 1840. C’est alors que l’exposition annuelle reçut le

nom d’Exposition Générale des Beaux-Arts.

Mais si les expositions gagnaient de l’ouverture et de l’amplitude, elles restaient

attachées à l’Académie. Les Expositions Générales étaient organisées par les professeurs de cet

établissement, et les oeuvres choisies étaient exposées dans ses salons.

Pour se rendre compte de l’esprit qui dominait alors le milieu artistique, il est

intéressant de reproduire ici la description faite par Laudelino Freire à propos de cette période:

Les expositions publiques et officielles voient le jour, et des prix pour les meilleurs exposants sont institués. Les effets bienfaisants de ces premières mesures se font sentir - la vie artistique entre dans une phase d’activité féconde. Des expositions publiques et générales se réalisent jusqu’en 1850, sans interruption, avec la concurrence d’artistes nationaux et étrangers, tous récompensés selon leurs mérites.

Almeida Torres, ministre de l’Empire, le 2 février 1844, en soulignant les avantages de ces prix, a déclaré que "la munificence impériale, récompensant les auteurs des principales oeuvres qui figurent dans les expositions annuelles de l’Academia de Belas Artes, arrivait à éveiller parmi ceux qui cultivent les arts une salutaire rivalité, et stimulait les élèves à faire des efforts pour mériter ces récompenses." 28

26 - Morales de los Rios Filho. O ensino artístico : subsídios para a sua História. Rio de Janeiro, 1938.

27 - Gonzaga-Duque. A Arte Brasileira. Rio de Janeiro, 1888.28 - FREIRE, Laudelino. Pedro II e a arte no Brasil, discurso proferido em 30 de setembro de

1916 na Escola Nacional de Belas Artes, p.18.

34

Cinq ans après la première Exposition Générale, le 17 septembre 1845, l’Empereur

Dom Pedro II sanctionna29 la résolution de l’Assemblée Générale Législative qui autorisait le

Gouvernement à envoyer en Italie l’élève de l’Academia de Belas Artes, Raphael Mendes de

Carvalho. Celui-ci allait à Rome se perfectionner dans l’art de la peinture aux frais de l’Etat. Le

montant de la pension était fixé en quatre-vingt mille réis par mois.

Après cette décision du Gouvernement, Taunay, directeur de l’Académie, réussit à

organiser le premier concours de Prix de Voyage, le 23 octobre de la même année (1845). Dès

lors le directeur fut autorisé à organiser des concours tous les ans et le séjour des pensionnaires

fut fixé pour une durée de trois ans. L’institution du Prix de Voyage en Europe venait s’ajouter

aux Expositions Générales pour stimuler la production artistique brésilienne.

Les concours de Prix de Voyage ont eu lieu régulièrement tous les ans de 1845 à

1850. Après cette année, ils eurent lieu à des intervalles irréguliers. L’Académie passa par une

réforme en 1855 et les nouveaux statuts déterminèrent la réalisation des concours tous les trois

ans. Cette consigne fut relativement respectée jusqu’en 1878. Ensuite, il y eut un grand

intervalle de neuf ans et le concours suivant fut réalisé en 1887.30 Ce concours de 1887 fut le

dernier de la période monarchique. Au total, depuis la création du Prix de Voyage en 1845 et

jusqu’à la fin de l’existence de l’Academia Imperial, quinze concours furent réalisés le long

d’une période de quarante-cinq ans.

Le concours suivant eut lieu en 1892, déjà sous le régime républicain. La période qui

précéda la proclamation de la République fut marquée par des agitations dans le domaine

“ Iniciaram-se então as exposições públicas e oficiais e instituíram-se prêmios para os expositores que nelas mais se distinguissem. E não se fizeram esperar os salutares efeitos destas primeiras medidas: - abre-se à vida artística um período de fecunda animação. Realiza-ram-se anualmente exposições públicas e gerais até 1850, sem interrupção, com a concorrên-cia de artistas nacionais e estrangeiros, todos devidamente recompensados nos seus méritos.

Almeida Torres, ministro do Império (...), acentuando as vantagens desses prêmios, disse que ‘a Munificência imperial galardoando com distinções os autores das principais obras que fi-guravam nas exposições anuais da Academia de Belas Artes, ía despertando entre os que as cultivavam, salutar rivalidade, e estimulando os alunos a se esforçarem por merecê-las.’ ”

29 -L’arrêté du 17 septembre 1845 fut signé par l’empereur Dom Pedro II et par le Ministre de l’Empire José Carlos Pereira de Almeida Torres, le second Vicomte de Macaé (Adolpho Morales de los Rios Filho. Grandjean de Montigny e a evolução da arte brasileira. Rio de Janeiro, A Noite, 1941. p.161)

30 - Les dates précises de chaque concours, les noms des lauréats et d’autres renseignements plus détaillés seront donnés dans le chapitre 5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887).

35

politique. Cette agitation se refléta au sein de l’Académie, et celle-ci fera l’objet d’une nouvelle

réforme.31 Le nom de l’Academia Imperial de Belas Artes change et elle devient l’Escola

Nacional de Belas Artes. Les Expositions Générales, dont la réalisation avait été très

irrégulière – après l'exposition de 1884, la suivante eu lieu seulement en 1890 - sont rétablies et

un nouvel acte gouvernemental crée le Prix de Voyage décerné au meilleur exposant. Si

jusque-là seuls les élèves de l’Académie pouvaient se présenter aux concours de Prix de

Voyage, à partir de ce moment deux Prix vont coexister, l’un réservé aux élèves de l’Ecole,

héritière de l’ancienne Académie, et l’autre accessible à tous les artistes participant à

l’Exposition Générale annuelle.

Cependant, il faut souligner que la plupart des lauréats du Prix de Voyage de

l’Exposition furent des élèves auditeurs libres à l’Ecole. C’est-à-dire, des élèves non

immatriculés, mais qui suivaient les cours des professeurs à l’Escola Nacional de Belas Artes.

Cette pratique d’admettre des élèves non immatriculés était courante depuis l’époque de

l’Academia Imperial. C’était un usage dont bénéficiaient les élèves les plus démunis qui

n’avaient pas les moyens de payer les droits d’inscription, ou ceux qui n’étaient pas

suffisamment préparés pour passer avec succès les épreuves littéraires qui faisaient partie des

concours d’admission. Ces élèves étaient reçus après avoir réalisé un dessin d’après un modèle

antique.

Dans un texte sur l’enseignement des Beaux-Arts publié en 1915, Modesto Brocos

(1852-1936), ancien élève et plus tard professeur à l’Escola de Belas Artes, fait l’éloge de

cette pratique, disparue après la réforme de 1911. De plus il affirme que tous les Prix de

Voyage des Expositions Générales ont été remportés par ces élèves non immatriculés. Il

convient de citer :

Combien de noms aujourd’hui reconnus et honorés sont redevables de la pratique de l’audition libre permise par les règlements de 1890 et de 1901, période pendant laquelle ils ont étudié à l’Ecole! Si cette pratique n’avait pas existé, les dispositions artistiques de ces jeunes auraient échoué et le Brésil n’aurait pas eu la satisfaction de les voir devenir des artistes consacrés. Citons les noms de Corrêa Lima, Helios Seelinger, Fernandes Machado, Freitas, Latour, les Chambellands, les Thimoteos, le caricaturiste Calixto et

31 - À propos des bouleversements qui ont eu lieu à l’intérieur de l’Academia Imperial de Belas Artes pendant le passage du régime monarchique au régime républicain, voir ensuite, dans la deuxième partie de ce travail, le chapitre Le Concours du Prix de Voyage de 1892 : les antécédents.

36

bien d’autres, tous des auditeurs libres. En outre, il faut rappeler que toutes les bourses de voyage des Expositions Générales des Beaux Arts ont été obtenues par les élèves qui n’étaient pas immatriculés à l’Ecole.32

On voit que le prestige et le pouvoir de l’École étaient grands. Même les prix

décernés à l’Exposition Générale revenaient à ses élèves.

Les concours des Prix de Voyage de l’Escola Nacional de Belas Artes eurent lieu

tous les ans, de 1892 à 1896. Après cette année-là, il advint une interruption. Ce n’est qu’en

1899 qu’un nouveau concours fut réalisé, suivi d’un autre en 1900. Par la suite, il y eut une

nouvelle interruption qui dura pendant cinq ans. Les concours furent repris en 1906, et à partir

de 1908 ils se succédèrent tous les ans jusqu’en 1913.33 Ensuite, à nouveau, les concours furent

suspendus pendant trois ans. Après cela, trois concours successifs eurent lieu en 1916, 1917 et

1918. A partir de 1920 les concours recommencèrent, toujours avec des intervalles irréguliers,

jusqu’en 1933.

La remise du Prix décerné à l’Exposition Générale fut plus régulière que celle du Prix

de Voyage de l’Ecole. Le premier de ces concours eut lieu en 1894. Après cela, de 1898 à

1930, chaque année, un lauréat choisi parmi les exposants fut envoyé à l’étranger. En 1931 il

n’y a pas eu de remise du Prix de Voyage. En 1933 la création du Salão Nacional34 vient

remplacer les Expositions Générales, mais le Prix de Voyage continue à être décerné au

meilleur exposant. À partir de cette date, chaque année, régulièrement, un lauréat a bénéficié

du Prix de Voyage du Salon.35

32 - BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a di-reção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915. (p.p.12 et 13)

“ Quantos nomes hoje conhecidos e laureados devem-no à livre freqüência permitida nos regu-lamentos de 1890 e de 1901, em cuja vigência estudaram! Não fosse ela consentida, que as disposições artísticas desses moços ter-se-iam malogrado e o Brasil não teria a satisfação de vê-los artistas consagrados. Citemos para demonstra-lo os nomes de Corrêa Lima, Helios Seelinger, Fernandes Machado, Freitas, Latour, os Chambellands, os Thimoteos, o caricatu-rista Calixto e outros, que foram todos alunos de livre freqüência.

Acresce ainda, que todas as bolsas de viagem das Exposições Gerais de Belas Artes, foram ob-tidas pelos alunos não matriculados na Escola. ”

33 - Il n’a pas eu de concours en 1907 et en 1909 aucun étudiant fut envoyé en Europe car le candidat unique ne fut pas considéré au niveau d’être lauréat.

34 - Le Salão Nacional fut créé par l’Arrêté n. 22.897, du 6 juillet 1933.35 - Jusqu’en 1974 le Prix eut une valeur reconnue et permettait aux lauréats de vivre à

l’étranger pendant deux ans. Après cette date, la somme commence à être insuffisante. En 1979, la somme ne permettait même pas de rester un mois à l’étranger et la valeur du Prix devient symbolique. Enfin, l’esprit de cette récompense avait changé complètement, ce qui est naturel, après un si long temps d'existence.

37

Les Expositions Générales des Beaux-Arts et les Prix de Voyage à l’étranger furent

les moteurs du mouvement artistique brésilien pendant la période du Segundo Reinado36, et

subsistèrent jusqu’à la dernière décennie du XIXe siècle, déjà dans les premières années de la

République. Selon Campofiorito, ces deux instruments (les Expositions Générales et les Prix

de Voyage) favorisèrent paradoxalement deux orientations contradictoires : d’une part, ils

furent un élément d’actualisation des méthodes conventionnelles d’apprentissage, mais d’autre

part ils renfermèrent les artistes dans un ensemble de règles et possibilités prévues à l’avance.

Ainsi, ils aidaient au maintien de la discipline académique.37 Ce point de vue est partagé par

d’autres auteurs et on y reviendra, dans le chapitre 4 - La Signification du Prix.

Penchons-nous maintenant sur les règlements des concours, en examinant les

changements qui s’y sont produits au cours des décennies et en vérifiant s’il y a des différences

entre ce qui était déterminé dans les règlements et la pratique.

2.1 - Les concours des Prix de Voyage, les règlements et leur mise en oeuvre

Comment se déroulaient les concours de Prix de Voyage ? Quelles étaient les

épreuves proposées aux concurrents ? Ces questions ont plus d’une réponse. Les concours de

Prix de Voyage, malgré quelques caractéristiques qui restèrent immuables, n’ont pas toujours

obéi aux mêmes règles. L’Academia Imperial et ensuite l’Escola Nacional de Belas Artes

connurent plusieurs réformes au long des années. Ces réformes entraînèrent à chaque fois de

nouveaux règlements pour les concours. On se propose ici de faire une analyse des règlements

qui se sont succédé et dans la mesure du possible d’observer la façon dont les concours se

déroulaient en réalité. On examinera les règlements de 1855, 1892 (qui se rapporte à la réforme

de 1890), et ceux de 1901 et 1911.

On a vu que les concours de Prix de Voyage furent instaurés sous la direction de

Félix-Émile Taunay, plus précisément en l’année de 1845. Pourtant, la première réglementation

Sur les Prix de Voyage du Salon décernés entre 1934 et 1976, consulter : SIQUEIRA, Dylla Rodrigues de. 42 anos de premiações nos salões oficiais (1934/1976). Funarte, Rio de Ja-neiro, 1980.

À propos des Prix décernés entre 1940 et 1982, voir : MEC/Secretaria da Cultura/ FUNAR-TE. Arte Moderna no Salão Nacional, 1940/1982. 6o Salão nacional de Artes Plásticas, Sala Especial. Rio de Janeiro, 1983.

36 - Le “ Segundo Reinado ”, ou Second Règne, c’est la période du règne de Dom Pedro II, et s’étend de 1840 à 1889. Le 15 novembre 1889 la République est proclamée.

37 - Campofiorito. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.98.

38

rigoureuse des concours n’eut lieu qu’en 1855, avec la Reforma Pedreira. Cette réforme a

suivi l’orientation donnée par le directeur Manuel de Araújo Porto-Alegre qui a voulu

renforcer le contrôle sur les pensionnaires de l’Etat en Europe.

Avant de devenir directeur et de réaliser la réforme de 1855, Porto-Alegre était

professeur à l’Académie. En 1849 il démissionna, à la suite d’un conflit avec le directeur Félix-

Émile Taunay38, et commença à faire paraître dans la presse des articles dénonçant ce qu’il

considérait comme la décadence de l’Académie. En août 1853, l’empereur Dom Pedro II invita

Manuel de Araújo Porto-Alegre à exposer ses idées sur l’enseignement des Beaux-Arts. Celui-

ci, accepta l’invitation et écrivit un mémoire39 où il défendait ses idées pour une nouvelle

organisation de l’Académie. En 1854 il fut nommé directeur de l’Academia Imperial, et

promut la réforme de l’enseignement artistique. Afin d’actualiser l’Académie brésilienne,

Porto-Alegre s’inspira des modèles qu’il avait connus pendant son séjour en Europe.

Penchons-nous donc sur les déterminations des statuts de 1855 au sujet des Prix de

Voyage. Dans l’article 10 du Titre IV “ À propos des travaux académiques ”, les buts de

l’institution sont présentés et les activités de l’Académie sont énumérées de la manière

suivante :

Art. 10 - L’Académie des Beaux-Arts pour exécuter les objectifs de son institution et dans le dessein de promouvoir le progrès des Arts au Brésil, de combattre les fautes qui y ont été introduites en matière de goût, de donner à tous les artefacts de l’industrie nationale la perfection convenable, (...), appliquera les moyens suivants :

1 - L’enseignement théorique et pratique des disciplines déterminées dans l’article 4.

2 - Les concours publics et privés ;3 - Les Expositions Publiques ;4 - Les prix aux meilleurs travaux artistiques ;5 - Les voyages de ses meilleurs élèves en Europe, afin de se perfectionner ;

38 - Le conflit éclate lors du concours de Prix de Voyage de 1849. Voir les données sur ce concours, dont le lauréat fut le peintre Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira, dans l’annexe 1 - Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887).

39 - En effet Manuel de Araújo Porto-Alegre a écrit deux mémoires : “ Apontamentos para a organização da Academia Imperial de Belas Artes feitos por ordem de Sua Majestade O Se-nhor Dom Pedro II ”, daté du 29 novembre 1853 [Arquivo Nacional - IE7 - 15, pages 107 à 124], et “ Apontamentos sobre os meios práticos de desenvolver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro ”, daté du 4 décembre 1853 [Arquivo Nacional - Códice 807, v.14]. Le deuxième mémoire sera cité dans ce travail au chapitre “ Doléances et espoirs des artistes et critiques brésiliens du XIXe siècle ”.

39

6 - L’application à l’industrie nationale des disciplines qui forment son programme d’enseignement ;

7 - La création d’une bibliothèque spécialisée;8 - Des réunions publiques dans lesquelles on lira des écrits sur les arts et

on discutera des matières concernant leur progrès ;9 - La publication d’un périodique qui contiendra des textes et des estampes

appropriées.40

On observe que les voyages des élèves étaient considérés comme l’un des moyens

parmi d’autres utilisés par l’Académie dans le dessein de promouvoir le progrès des Arts au

Brésil. Des règles précises sur le Prix de Voyage sont données dans les articles suivants :

Titre VI - À propos des prix

Art. 70 - Les prix remis par l’Académie seront de premier, deuxième et troisième ordre.

Le prix de premier ordre sera donné au meilleur élève brésilien de l’Académie. L’élève recevra une pension annuelle en Europe pendant le temps désigné dans l’article 76.

(...)

Titre VII - À propos des pensionnaires de l’Etat

Art. 75 - Les Concours pour le prix de premier ordre auront lieu toujours après la fin de l’Exposition annuelle et après la clôture de l’année scolaire.

Cette mesure aura lieu jusqu’à ce que l’Académie puisse bénéficier de locaux appropriés à ce type de concours.

Art. 76 - Tous les trois ans un pensionnaire partira pour l’Europe, où il restera pendant six ans s’il est peintre d’histoire, sculpteur ou architecte, et quatre ans s’il est graveur ou paysagiste.41

40 - Statuts de l’Académie des Beaux-Arts - Arrêté n. 1603 du 14 mai 1855, signé par le Ministre Luiz Pedreira do Couto Ferraz, reproduit dans la Revista Crítica de Arte, n.4. Rio de Janeiro, dezembro 1981. (p. 36)

“ Art. 10 - A Academia das Belas Artes no desempenho do fim de sua instituição, e no intuito de promover o progresso das Artes no Brasil, de combater os erros introduzidos em matéria de gosto, de dar a todos os artefatos da indústria nacional a conveniente perfeição, e enfim no de auxiliar o Governo em tão importante objeto, empregará na proporção dos recursos que tiver os seguintes meios : 1. O ensino teórico e prático das matérias declaradas no art. 4 o ; 2. Concursos públicos e particulares ; 3. Exposições pú-blicas ; 4. Prêmios aos melhores trabalhos artísticos ; 5. Viagens de seus alunos mais distintos à Europa a fim de se aperfeiçoarem ; 6. Aplicação das matérias que formam o plano do seu ensino à indústria nacional ; 7. Uma Biblioteca especial ao objeto de sua instituição ; 8. Sessões públicas, em que se leiam escritos sobre as artes, e se discutam matérias concernentes ao seu progresso ; 9. Publicação de um periódico constando de texto e estampas apropriadas

41 - Idem, (p. 42.)

40

On observe que l’Académie ne disposait pas d’espace suffisant pour la réalisation des

concours. Il fallait attendre la fin de l’année scolaire et de l’Exposition Générale pour avoir des

salles libres adéquates à l’exécution des épreuves. Par ailleurs, il faut souligner la décision de

“ Título VI - Dos Prêmios. Art. 70 - Os prêmios conferidos pela Academia serão de 1a

, 2 a e 3a ordem. O de primeira ordem será dado ao aluno brasileiro mais distinto da Academia, e constará de uma Pensão anual na Europa pelo tempo que lhe for designa-do na conformidade do Art. 76. (...) Título VII - Dos Pensionistas do Estado. Art. 75 - Os Concursos para prêmio de primeira Ordem só se farão depois da Exposição anual, de que trata o artigo 64 e depois de fechada a Academia. Esta disposição só terá vigor enquanto não houver no edifício os cômodos próprios para esta sorte de concursos. Art. 76 - De três em três anos partirá um Pensionista, o qual ficará seis anos na Europa se for Pintor Histórico, Escultor, ou Arquiteto, e quatro se for Gravador ou Paisagista.

41

ne pas réaliser des concours tous les ans. Cela faisait une différence par rapport à la période

antérieure, car entre 1845 et 1850, un concours avait eu lieu chaque année. Sur ce point,

l’énoncé est très clair, l’arrêté déterminait que les concours seraient réalisés tous les trois ans.

Néanmoins, on trouve dans des textes récents des interprétations erronées à ce propos. On fait

référence spécialement à l’interprétation de José Carlos Durand qui, dans son livre Arte, Privi-

légio e Distinção..., écrit :

Il semble que le régime de pensionnat reformé par Araújo Porto-Alegre n’ait pas aussitôt réussi à mettre en oeuvre des conditions objectives qui auraient permis d’implanter et de créer une routine des voyages de ‘ perfectionnement’ . En effet il y eut seulement sept concours de Prix de Voyage entre 1852 et 1879 ; la même quantité, d’ailleurs, que de 1845 à 1852. Evidemment, une telle discontinuité se doit aux difficultés de budget et aux disputes politiques et administratives internes qui ont toujours joué contre la consolidation des concours. 42

Or, cette “ discontinuité ” était prévue par les statuts. Il n’y a rien d’inattendu ici ; les

sept concours de la période eurent lieu selon le règlement. Les disputes et difficultés

financières peuvent avoir joué contre la réalisation des concours entre 1855 et 1860, mais non

pas après cette date. En effet, après la réforme de 1855 le premier concours de Prix de Voyage

n’a eu lieu qu’en 1860. À partir de cette date-là les concours furent réalisés plus ou moins

selon la fréquence déterminée par l’arrêté, c’est-à-dire en 1862, 1865, 1868, 1871, 1876 et

1878. La situation n’est devenue précaire qu’après 1878. Alors, il a fallu attendre neuf ans

pour qu’un nouveau concours voie le jour en 1887.

L’analyse des statuts contredit ainsi la version de Durand. Ce qu’elle vient confirmer,

par contre, c’est la préférence marquée de l’Académie pour les peintres d’histoire, au préjudice

des paysagistes. La durée du séjour, variant selon la spécialité du pensionnaire, était de six ans

pour les peintres d’histoire, sculpteurs ou architectes, et de quatre ans pour les graveurs et

paysagistes. Cette différence montre bien les priorités de l’Académie.

42 - DURAND, p.10.“ Mas, parece que o regime de pensionato reformulado por Araújo Porto-Alegre não logrou desde logo condições objetivas para implantar e rotinizar as viagens de “ aper-feiçoamento ”. Afinal houve apenas sete concursos com prêmios de viagem entre 1852 e 1879 ; o mesmo número, aliás, que entre 1845 e 1852. Tal descontinuidade certamen-te tem a ver com carências orçamentárias e discórdias políticas e administrativas inter-nas que sempre dificultaram sua consolidação. ”

42

Une autre idée courante qui se confirme après l’examen des instructions données aux

pensionnaires à la suite de l’arrêté de 1855, est celle selon laquelle la destination de Paris fut

privilégiée et renforcée à cette époque. En effet, la réforme fixait une permanence de trois

années en France, et la visite aux grands centres d’art européens, surtout en Italie, était

réservée aux années qui restaient. C’est ce que l’on constate à la lecture de l’extrait ci-

dessous :

L’élève de l’Académie qui obtiendra le prix de premier ordre étudiera aux dépens de l’Etat et aura une pension annuelle de trois mille francs, payés par trimestres anticipés ; (...). Le pensionnaire, 15 jours après son arrivée à Paris, choisira un maître et fera connaître son choix au ministre du Brésil qui doit le présenter et le recommander. (...).

Celui qui aura accompli de façon satisfaisante ses obligations en France pendant trois ans, pourra voyager. Pour cela, il recevra une aide supplémentaire de trois cents francs, outre sa pension. (...).

43

Les paysagistes et les graveurs, après un séjour de trois années en France, partiront pour l’Italie où ils resteront le temps nécessaire à leurs études. Ils pourront de même partager la dernière année entre l’Italie et d’autres pays. (...). Les peintres d’histoire, les sculpteurs et les architectes, devront rester en Italie pour exécuter les travaux déterminés dans ces instructions. Après quoi ils pourront partir connaître d’autres pays. Ils ne s’absenteront pas de Rome sans la permission du ministre du Brésil, et ceux qui l’auront fait perdront leur pension.(...). En tout cas, ils devront travailler à Rome pendant un an et demi, au minimum. 43

On voit que les instructions obligeaient les pensionnaires à accomplir trois années

d’études à Paris avant de partir en Italie. Les paysagistes et les graveurs avaient une plus

grande liberté de mouvement. Après le séjour parisien, il leur était permis de partager la

dernière année entre l’Italie et d’autres pays de leur choix. Quant aux peintres d’histoire,

sculpteurs et architectes, après leur séjour à Paris ils devaient accomplir un séjour encore très

suivi en Italie. Mais après s’être acquittés de leurs obligations, eux aussi pouvaient parcourir

d’autres pays.

Dans la pratique, le choix de Paris comme lieu d’études des pensionnaires se

confirme jusqu’en 1865. Si l’on examine la destination des pensionnaires, on vérifie que ceux

qui sont partis en 1860, 62 et 65, sont venus étudier à Paris. Mais les pensionnaires des années

1868, 1871 et 1876 se sont établis à Rome et n’ont pas suivi d’études à Paris. Celui de 1878 et

les deux lauréats de 188744, par contre, ont respecté la destination parisienne indiquée dans ces

instructions.

43 - PRIMITIVO MOACYR. A Instrução e o Império : Subsídios para a História da Educa-ção no Brasil : 1850-1855. Companhia Editora Nacional, São Paulo, 1936-1938, pp. 177, 178. Cité par DURAND. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855 / 1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.p.11 et 12)

“ O aluno da Academia que obtiver o prêmio de primeira ordem irá estudar à custa do Esta-do, e terá uma pensão anual de três mil francos, pagos em trimestres, adiantados ; (...). O pensionista quinze dias depois de chegar a Paris escolherá um mestre e participará ao minis-tro do Brasil para que este o apresente e recomende. (...). O que tiver satisfatoriamente cum-prido com os seus deveres em França durante três anos, poderá viajar, para o que receberá uma ajuda de custo de trezentos francos, a qual não fará parte de sua pensão. (...). Os paisa-gistas e gravadores, depois de três anos em França, partirão para a Itália onde se demorarão o tempo necessário a seus estudos, podendo dividir este último ano por outros países. (...). Os pintores históricos, escultores e arquitetos, deverão demorar-se na Itália, para executarem os trabalhos prescritos nestas instruções, findos os quais poderão viajar por outros países. Não se ausentarão de Roma sem licença do ministro do Brasil, e os que o fizerem perderão a pensão. (...) devendo em todo caso demorar-se em Roma pelo menos ano e meio. ”

44 - En 1887, il y avait deux places disponibles de pensionnaires en Europe et le concours de cette année eut deux lauréats.

44

Cette destination déterminée d’avance et toujours la même pour tous les

pensionnaires va disparaître après la réforme de 1890. On verra qu’à partir du concours de

1892, à chaque fois, le jury était chargé de délibérer sur le lieu d’études du pensionnaire en

Europe. Cette modification fut l’une de celles apportées par le nouveau règlement. Mais avant

d’y revenir il convient de présenter l’ensemble des nouvelles règles.

Dans la partie précédente, Historique des Prix de Voyage, on a déjà abordé les

changements qui eurent lieu au sein de l’Académie après la Proclamation de la République, en

novembre 1889. L’Académie fit l’objet d’une nouvelle réforme et le 8 novembre 1890 l’arrêté

n. 983 établit les nouveaux statuts de l’Escola Nacional de Belas Artes. Le grand changement,

et l’on en a déjà parlé, ce fut la création du Prix de Voyage des Expositions Générales. Dans le

Titre IX des statuts de 1890, sous l’intitulé À propos des expositions générales, on peut lire :

Art. 56 - L’Escola Nacional cédera une partie de son édifice pour la réalisation d’une exposition annuelle qui sera ouverte aux artistes brésiliens et étrangers qui désirent montrer leurs travaux. Le Conseil Supérieur des Beaux-Arts va diriger cette exposition et pourra concéder des prix semblables aux prix décernés par l’Escola Nacional, et même d’autres prix jugés utiles pour animer le mouvement artistique.

Le Prix de voyage ne pourra être attribué qu’aux artistes de nationalité brésilienne et âgés de moins de trente ans.45

Ces statuts ne contiennent pas d’autres informations ou règles concernant le Prix de

Voyage de l’Ecole. Ce n’est que dans le “ Règlement des concours de l’Escola Nacional de

Belas Artes, pour les places de pensionnaire de l’Etat en Europe ”, daté d’octobre 1892, que

45 - “ Título IX - Das Exposições Gerais. Art. 56 - A Escola Nacional cederá uma parte do seu edifício para uma exposição, todos os anos, à qual poderão concorrer artistas nacionais e estrangeiros que desejem exibir os seus trabalhos. O movimento destas exposições gerais será dirigido pelo conselho superior de belas artes, que poderá conferir aos expositores que concorrerem, prêmios semelhantes aos que confere a Escola Nacional e os mais que forem julgados convenientes para a animação do movimento artístico. O prêmio de viagem é de-pendente da condição de ser o artista premiado de nacionalidade brasileira e de ter idade me-nor de trinta anos. ”

45

l’on trouvera des orientations plus précises. C’est alors qu’un nouveau concours de Prix de

Voyage sera organisé et que de nouvelles règles seront établies. Le premier changement par

rapport au règlement de la période monarchique concernera la fréquence des concours et la

durée des pensions. Les passages de ce règlement qui nous intéressent particulièrement sont les

suivants :

Chapitre 1

Art. 1o - Il y aura tous les ans un concours de Prix de Voyage en Europe.Art. 2o - Le lauréat de ce prix recevra une pension pendant la période de

cinq ans maximum.Art. 3o - Les concours seront réalisés dans l’ordre suivant : 1ère année,

peinture ; 2ème année, sculpture ; 3ème année, architecture ; 4ème

année, gravure.Art. 4 o - Les concours auront lieu dans le premier ou dans le dernier

trimestre de chaque année scolaire et ils auront une durée d’un minimum de trente jours pour la peinture, la sculpture et la gravure en médailles, et de soixante jours pour l’architecture.

Art. 5 o - Le concours sera annoncé un mois avant son exécution et l’inscription se fera par le moyen d’une demande au Directeur.

Art. 6 o - Les concours seront réalisés conformément à ce qui est déterminé dans l’article 3 o.

Art. 7 o - Le concurrent qui aura reçu le prix devra partir en voyage dans un délai de trois mois maximum. Au delà de ce délai, le lauréat perdra ses droits et le concours sera considéré comme nul et non avenu, sauf dans les cas de force majeure prouvée et justifiée par le concurrent.

Art. 8o - Dans le cas d’inexistence de concurrents dans la discipline déterminée par l’ordre des concours, on passera à la discipline suivante en respectant l’ordre établi dans l’article 3 o . Cependant les concours de gravure ne devront jamais se succéder dans un intervalle de moins de trois ans.

Chapitre 2 - Des conditions de l’admission

Pour l’admission aux concours, le candidat doit prouver :1 o - Etre citoyen brésilien âgé de moins de trente ans.2o - Etre instruit aux cours spéciaux de cette école ; excepté ceux qui

appartenaient à l’ancienne Académie.3 o - Ne pas avoir suivi d’études en dehors du territoire de la République.

Chapitre 3 - Des épreuves du concours

Les épreuves du concours seront exclusivement pratiques et consisteront en ce qui est déterminé dans le chapitre 4.

46

Chapitre 4 - Les épreuves du concours de voyage

Élèves de peintureLes élèves de peinture devront se présenter aux épreuves suivantes :

1ère épreuve - dessin de modèle vivant, réalisé au cours de deux séances d’une durée de trois heures chacune ; le jugement se fera en présence du modèle. Cette épreuve est éliminatoire.

2ème épreuve - modèle vivant peint. Dimension de l’oeuvre : moitié de la grandeur nature. L’épreuve durera trente jours, et à chaque jour la durée de la séance sera de trois heures.

3ème épreuve - Esquisse d’une composition de thème mythologique, biblique ou historique, tiré au sort au moment du concours parmi les dix sujets préparés d’avance par les professeurs des cours techniques. L’exécution prendra huit heures pendant lesquelles les élèves travailleront isolés et sans aucune communication externe.

(...)

Chapitre 5 - Du jugement des concours de voyage

Art.1 o - Le jury du concours sera composé de trois membres, professeurs de la section choisie (peinture, sculpture, architecture ou gravure).

Art. 2 o - Dans le cas de manque d’un membre, le Directeur indiquera l’un des professeurs de l’École, selon l’article 18 des statuts, pour compléter le jury.

Art. 3 o - Le Directeur présidera aux travaux du jury, assisté par le Secrétaire de l’Ecole et s’abstiendra de voter.

Art. 4 o - Le vote devra être déclaré et motivé. Le jury fixera le lieu de permanence du pensionnaire et ensuite demandera l’approbation du Conseil des Professeurs de l’Ecole.

Art. 5 o - À la fin des épreuves du concours, dans un délai de 48 heures, une exposition des travaux des concurrents sera réalisée.

Art. 6 o - Cette exposition aura lieu pendant huit jours et sera interrompue l’espace d’une journée pour que le jugement puisse se faire.

Art. 7 o - Dans le cas où il y aurait deux ou plus de deux concurrents de même niveau on gardera celui qui aura obtenu le plus de récompenses à l’Ecole. Si l’égalité se maintient, on choisira le plus âgé.

Art. 8 o - Dans le cas où il n’y aurait qu’un seul concurrent le concours pourra être ajourné, et aura lieu, au plus tard, dans trente jours.

47

Art. 9 o - Si l’un des concurrents n’accepte pas le jugement il pourra faire appel au Directeur, lequel pourra réunir le Conseil Supérieur des

48

Beaux-Arts pour solutionner l’affaire.46

A la lecture de ce règlement, on observe une série de différences par rapport à la

pratique antérieure. La première concerne la fréquence des concours. À partir de cette date, ils

auront lieu tous les ans au lieu de tous les trois ans comme dans le règlement précédent. En

réalité cela représentait un retour au système qui avait prévalu entre 1845 et 1850.

46 - Regulamento para o processo dos concursos, na Escola Nacional de Belas Artes, para os lugares de pensionistas do Estado na Europa, a que se refere o aviso desta data. Capital Federal (Rio de Janeiro), 26 de Outubro de 1892. “ Capítulo 1o - Art. 1 - Haverá anualmente um concurso para prêmio de viagem à Europa. Art. 2 - Este prêmio consistirá em uma pen-são durante o prazo improrrogável de cinco anos. Art. 3 - Os concursos serão feitos na or-dem seguinte : 1o Ano, pintura ; 2 o ano, escultura ; 3 o ano, arquitetura ; 4 o ano, gravura. Art. 4 - Os concursos efetuar-se-ão no primeiro ou no último trimestre do ano escolar e não durarão menos de trinta dias para pintura, escultura e gravura em medalhas, e de sessenta dias para arquitetura. Art. 5 - O concurso será anunciado com um mês de antecedência e a inscrição se fará por meio de requerimento ao Diretor. Art. 6 - Os concursos serão feitos conforme determina o art. 3 o. Art. 7 - O concorrente que obtiver o prêmio deverá seguir via-gem dentro do prazo de três meses, findo o qual o premiado perderá seus direitos e conside-rar-se-á sem efeito o concurso, salvo caso de força maior de que o concorrente dará provas justificativas. Art. 8 - Não havendo concorrente na matéria em que deve efetuar-se o concur-so, passar-se-á à seguinte, e assim sucessivamente, conforme a ordem estabelecida no artigo 3o, entendendo-se porém que os concursos de gravura nunca se sucederão com intervalo me-nor de três anos. Capítulo 2 o - Das condições de admissão - Para a admissão nos concursos provará o candidato : 1o ser cidadão brasileiro e menor de trinta anos de idade. 2 o estar habi-litado aos cursos especiais desta escola ; excetuados os que forem da antiga Academia. 3 o

que não tenha feito estudos fora do território da República. Capítulo 3 o - Das provas do concurso - As provas de concursos serão exclusivamente práticas e constarão do disposto no capítulo 6 o. Capítulo 4 o - Provas dos concursos de viagem - Alunos de pintura - Os alunos de pintura serão obrigados a prestar as seguintes provas : 1a Prova de modelo vivo em duas sessões de três horas cada uma : o julgamento far-se-á com o modelo presente. Esta prova é eliminatória. 2a Prova de modelo vivo pintado, metade do tamanho natural, trabalhando qua-tro horas por dia, durando a prova trinta dias. 3a Composição em esboço de um ponto mito-lógico, bíblico ou histórico, tirado à sorte dentre dez organizados no ato do concurso pelos professores dos cursos técnicos. A execução durará oito horas, durante as quais os alunos se acharão isolados e sem comunicação alguma externa. (...). Capítulo 5 o - Do julgamento dos concursos para viagem - Art. 1 - A comissão julgadora do concurso será composta de três membros da sessão em que se proceder o concurso. Art. 2 - Na falta de algum membro, o Diretor nomeará para completar o número dentre os professores da Escola especializados pelo art. 18 dos estatutos. Art. 3 - O Diretor presidirá os trabalhos da comissão auxiliado pelo Secretário da Escola e se absterá de votar. Art. 4 - O voto será motivado. A comissão marcará o lugar de permanência do pensionista apresentando em seguida à aprovação do Conselho Escolar. Art. 5 - Concluído o concurso proceder-se-á à exposição dos trabalhos antes de 48 horas. Art. 6 - Esta exposição durará oito dias dentro dos quais o Diretor a sus-penderá por um dia para proceder ao julgamento. Art. 7 - Se dois ou mais concorrentes se

49

La deuxième différence porte sur la durée du séjour en Europe, qui passe à cinq ans

pour tous les lauréats confondus, peintres, architectes, graveurs ou sculpteurs.47 La troisième

différence est explicitée dans l’article où il est établi que “ les concours seront réalisés dans

l’ordre suivant : 1ère année, peinture ; 2ème année, sculpture ; 3ème année, architecture ; 4ème

année, gravure ”. Sur ce point, on peut faire deux remarques. La première concerne un usage

consacré par l’Academia Imperial dans le déroulement des concours pendant la période

monarchique. À ce moment-là il était fréquent que des concurrents de spécialités différentes

disputassent la même pension. Par exemple, en 1845, année du premier concours de Prix de

Voyage, sept élèves entrèrent en concurrence: Maximiniano Mafra et Paulo José Freire,

peintres d’histoire ; Virginius Alves de Brito et Francisco Ferreira Serpa, paysagistes ;

Francisco Elydeo Pamphyro et Antunes Teixeira, sculpteurs ; et Antônio Baptista da Rocha,

l’architecte lauréat, élève de Grandjean de Montigny.48

De même, le lauréat de 1860, Joaquim José da Silva Guimarães, graveur en

médailles, eut comme concurrents un peintre d’histoire et un architecte. En 1862, l’architecte

José Rodrigues Moreira Júnior a obtenu le prix après l’avoir disputé à un sculpteur. En 1865,

Almeida Reis, le sculpteur lauréat, eut comme concurrents un peintre d’histoire et un

paysagiste. En 1871, Heitor Branco de Cordoville, architecte, fut le lauréat. Un peintre

d’histoire fut le concurrent vaincu. En 1878, un peintre d’histoire et un paysagiste disputèrent

le prix au lauréat

encontrarem em mérito igual, nomear-se-á aquele que houver obtido maiores recompensas na Escola, e se ainda assim empatar, irá aquele de maior idade. Art. 8 - Havendo um só con-corrente, o concurso poderá ser adiado até 30 dias. Art. 9 - Se algum dos concorrentes não se conformar com o julgamento poderá recorrer ao Diretor, o qual poderá reunir o Conselho Superior das Belas Artes. ”

47 - Il faut cependant souligner que de nombreux lauréats réussissaient à obtenir de longues prolongations de leur séjour en Europe.

48 - Données citées dans l’article : “ O Prêmio de Viagem , resumo histórico ”, In : Boletim de Belas Artes, número especial. Edição da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro, outubro/ novembro 1945. (p.98).

50

Rodolpho Amoedo, peintre d’histoire.49 Une exception à cette habitude eut lieu en 1868,

lorsque Zeferino da Costa, le peintre d’histoire qui a remporté le prix, fut choisi parmi quatre

autres concurrents, tous peintres d’histoire.50

On observe ainsi que l’orientation indiquée par le règlement de 1892, institué après la

réforme de 1890, de réaliser un concours pour les peintres, un autre pour les architectes, et

ainsi de suite, a été une nouveauté par rapport à la tradition.

La seconde remarque à faire, toujours à propos de cet article, contredit en partie le

texte du règlement. Car, en effet, les six premiers concours de la période républicaine ont été

disputés par des peintres. On en conclut qu’il n’y a pas eu de concurrents dans les autres

spécialités, ou bien que les artistes sculpteurs, graveurs et architectes étaient défavorisés par

rapport aux peintres. Ce n’est qu’en 1900, lors du septième concours de l’Escola Nacional de

Belas Artes, que le lauréat fut un sculpteur, une femme sculpteur, Julieta França.

La quatrième orientation qui différencie ce règlement républicain du règlement

précédent se rapporte à la destination des pensionnaires. On a vu que le règlement instauré par

Manuel de Araújo Porto-Alegre mentionnait que les artistes devaient accomplir les trois

premières années du pensionnat à Paris, et que les années restantes seraient partagées entre

Rome et d’autres villes au choix du pensionnaire. Au contraire, le règlement de 1892

déterminait que “ le jury fixera le lieu de permanence du pensionnaire et ensuite demandera

l’approbation du Conseil des Professeurs de l’Ecole ”. En examinant les procès-verbaux des

séances de jugement des concours, on constate que cela s’est effectivement passé ainsi. À

chaque fois, le jury discutait de la destination du pensionnaire et le lauréat se soumettait à cette

décision. On observe que parfois un accord était difficile, les professeurs n’étant pas tous du

même avis, et ce fut souvent le choix du directeur, Rodolpho Bernardelli, qui s’imposa51.

49 - Le procès-verbal de la séance du jugement de ce concours est cité par Laudelino (Um Século de Pintura, p.136). Il est intéressant de noter que tous les trois peintres concurrents ont dû réaliser un tableau historique sur le sujet “ Sacrifice offert par Abel ”. Evidemment ce sujet bénéficiait aux peintres d’histoire.

50 - Données citées par Laudelino Freire, (Um Século de Pintura, p.p.135-137)51 - Voir le procès-verbal de la séance du Conseil des professeurs le 10 Décembre 1894, où le

Jury du Concours de Prix de Voyage de cette année présente son rapport et décide d’envoyer Bento Barbosa, le peintre lauréat, à Rome. Le professeur Brocos met en question ce choix, et demande la raison de ne pas envoyer le candidat à Paris. Rodolpho Amoedo, membre du jury se déclare de la même opinion. Le directeur, Rodolpho Bernardelli, affirme que Rome offre des conditions également favorables au progrès des élèves, et fait de

51

Dans la séance du Conseil des professeurs, le 26 novembre 1895, par exemple, après

la lecture du rapport fait par le Jury du Concours de Voyage de l’année, le directeur Rodolpho

Bernardelli proposa que le lauréat fût envoyé étudier à Munich, “ car jusqu'à cette date les

élèves ne furent envoyés qu’à Rome ou Paris, et il n’y a pas de raisons qui justifient cette

habitude, puisque la ville proposée présente un développement progressif des beaux-arts et un

goût artistique cultivé ”. La proposition du directeur approuvée, le peintre José Fiúza

Guimarães fut envoyé à Munich.

Cependant, après trois années d’études à Munich, Fiúza Guimarães se décida à

changer de lieu d’études. La quatrième année il s’est rendu à Paris et en informa le directeur de

l’Ecole par lettre :

Monsieur le Directeur,J’ai l’honneur de vous communiquer que je suis à Paris où je donnerai suite à mes études... 52

Cette lettre fut lue dans la séance du Conseil des professeurs du 17 mars 1900. Le

directeur déclara que le pensionnaire Fiúza ne pouvait absolument pas changer de lieu d’études

sans une autorisation préalable de la part du Conseil. L’ensemble de professeurs fut appelé à se

prononcer sur le cas. Un long débat eut lieu, à la fin duquel, en considération de son progrès et

des bons travaux qu’il avait envoyés, le transfert du pensionnaire fut approuvé.

Quant aux épreuves du concours, le règlement de 1892 présente une modification par

rapport à la pratique antérieure. Ce changement fut la cause d’une discussion qu’eut lieu

quelques années plus tard, à propos des méthodes d’appréciation des candidats au Prix de

Voyage. On y reviendra.

Mais examinons d’abord les modifications apportées par la réforme de 1901. Un

nouveau règlement fut institué par l’arrêté n. 3987 du 13 avril 1901. En lisant l’énoncé du

chapitre X qui réglemente les concours pour les pensionnaires, on ne trouve presque aucun

changement par rapport au règlement de 1892. De l’article 140 jusqu’au 146, le texte est quasi

identique à celui des articles 1 à 8 du premier chapitre du règlement de 1892. De même, de

nombreux éloges à ce choix. Le rapport du Jury est voté et approuvé par le Conseil.52 - Cité dans le procès-verbal de la séance du Conseil des professeurs du 17 mars 1900.

“ Exmo Sr. Diretor. Tenho a honra de participar a V. Exa. Que me acho em Paris onde ficarei continuando os meus trabalhos... ”

52

l’article 148 jusqu'à l’article 154, aucune nouveauté ne se présente. La première différence se

trouve dans l’article 147 :

Art.147 - Pour être admis au concours le candidat doit prouver :1o - Etre citoyen brésilien âgé de moins de trente ans.2o - Avoir reçu la médaille d’or dont il s’agit dans l’art. 138.53

La seconde condition n’existait pas encore en 1892. Cela peut signifier un

renforcement de la structure académique.

La seule nouveauté de ce règlement par rapport aux statuts de 1890, en ce qui

concerne les Prix de Voyage, se trouve dans le Chapitre XI où il s’agit des Expositions

Générales. En effet, ce n’est pas exactement une nouveauté, mais l’apport d’une plus grande

précision. Voici le texte :

Art.155 - L’Ecole cédera une partie de son édifice pour la réalisation d’une exposition annuelle qui sera ouverte aux artistes brésiliens et étrangers désirant montrer leurs travaux. Le Conseil Supérieur des Beaux-Arts va diriger cette exposition et pourra concéder les prix dont il s’agit dans les articles suivants.

Art.156 - Au meilleur artiste de l’Exposition, soit de la section de peinture, de sculpture, de gravure ou d’architecture, il sera concédé un prix de voyage semblable au Prix de Voyage des pensionnaires de l’Ecole, mais avec la différence de ne durer que deux ans.

Art.157 - Pour obtenir ce prix il est indispensable que l’artiste soit de nationalité brésilienne et âgé de moins de 35 ans.54

Si l’on compare ce passage au texte des statuts de 1890, on trouve deux différences.

L’une se réfère à la limite d’âge des candidats au prix. En 1890, cette limite était de trente ans.

En 1901 les candidats âgés de trente cinq ans pouvaient envisager de concourir en vue du

53 - “ Art. 147 - Para ser admitido ao concurso provará o candidato : 1o Ser cidadão brasileiro e menor de trinta anos de idade ; 2 o Ter a medalha de ouro de que trata o art. 138. ”

L’article 138, détermine que les élèves des cours pratiques, habiletés en concours, auront droit aux prix suivants, selon leur mérite :1 o - Médaille d’or ; 2 o - Médaille d’argent ; 3 o - Mention honorable.

54 - “ Art. 155 - A Escola cederá todos os anos uma parte do seu edifício para uma exposição, à qual poderão concorrer artistas nacionais e estrangeiros que desejem exibir os seus traba-lhos. O movimento destas exposições gerais será dirigido pelo conselho superior de belas ar-tes, que poderá conferir aos expositores os prêmios de que tratam os artigos seguintes.Art. 156 - Ao artista de qualquer das seções de pintura, escultura, gravura ou arquitetura, que mais se distinguir na exposição, será concedido um prêmio de viagem como aos pensio-nistas da Escola, mas apenas pelo prazo de dois anos.Art. 157 - Para obter este prêmio é indispensável que o artista seja de nacionalidade brasilei-ra e tenha menos de 35 anos de idade. ”

53

prix. L’autre différence, c’est la précision sur la durée de la pension qui est déterminée comme

étant de deux ans. Antérieurement, le texte n'explicitait pas cette durée.

L’Ecole passa par une nouvelle réforme en 1911. Le règlement imposé par cette

réforme ne diffère pas beaucoup de celui de 1901 en ce qui concerne les concours de Prix de

Voyage. Comme auparavant, les concours devraient se réaliser tous les ans et le prix consistait

en une pension d’une durée de cinq ans en Europe. Les concours se succédaient selon le même

ordre déjà proposé : première année, peinture ; deuxième année, sculpture ; troisième année,

architecture ; quatrième année, gravure. Pour être admis au concours, le candidat devait

toujours prouver qu’il était brésilien, âgé de moins de trente ans, et qu’il avait obtenu la grande

médaille d’or. Il y avait toujours trois épreuves pour les élèves peintres, exactement les mêmes

qu’en 1892. Une petite différence se trouve dans l’article 5 du premier chapitre : le délai pour

le départ du pensionnaire avait augmenté de trois mois, désormais il pouvait partir dans un

délai de six mois à compter de la fin du concours.

Pour achever la comparaison entre les règlements successifs, il ne nous reste qu’à

revenir à la question des épreuves des concours. On a affirmé ci-dessus que le règlement de

1892 présenta une modification des épreuves par rapport à la pratique antérieure. On a dit

également que ce changement fut la cause d’une discussion à propos des méthodes

d’appréciation des candidats au Prix de Voyage. En effet, cette discussion fut entamée par

Modesto Brocos55 dans un texte de 1915 où il présente ses idées sur l’enseignement des beaux-

arts au Brésil.56

En écrivant à propos du concours de 1914, Modesto Brocos raconte qu’il avait été

nommé membre de la commission chargée d’organiser les instructions pour le Prix de Voyage

et les devoirs des pensionnaires. À ce moment-là, il a proposé que l’épreuve du concours de

peinture consiste en un tableau de composition où le candidat aurait pu montrer “ non

seulement ses aptitudes techniques, mais aussi son talent inventif ”. Cependant, la Commission

n’a pas accepté sa proposition. Selon Brocos, la décision finale fut de limiter l’examen à

l’exécution d’une académie peinte. Il écrit alors, en insistant sur son idée :

55 - Modesto Brocos - peintre brésilien d’origine espagnole, ancien élève de l’Academia Imperial, il fut professeur dans l’Escola de Belas Artes.

56 - BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a di-reção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915.

54

Je continue à penser que la peinture d’un tableau s’impose pour obtenir le Prix de Voyage, d’ailleurs elle est exigée dans toutes les écoles européennes. (...). La peinture d’une simple académie n’est pas suffisante pour révéler les qualités exigées d’un futur artiste, (...). 57

Il ajoute ensuite, comme exemple, la pratique de l’Academia Imperial de Belas

Artes:

Dans l’ancienne Académie, le concours de Prix de Voyage consistait en un tableau de sujet biblique, dans lequel les élèves pouvaient montrer les diverses qualités qui sont exigées d’un futur artiste. Voilà, comme preuve de cette pratique, les concours de Zeferino da Costa, qui a peint ‘ Moïse recevant les tables de la loi’; de Amoedo, avec son ‘Abel’; de Oscar Pereira da Silva, avec le tableau ‘La Flagellation de Jesus’.58

L’absence d’une appréciation du talent inventif, de la capacité de composer et de

l’imagination des candidats au Prix de Voyage était donc regrettée par Brocos. Il croyait qu’il

fallait retourner aux méthodes de l’Academia Imperial, pour exiger des élèves ces qualités.

Cependant il n’est pas vrai que l’Escola Nacional de Belas Artes n’ait pas eu les

mêmes exigences. La seule différence entre les deux pratiques se trouve dans le fait que la

composition historique exigée des peintres de l’ancienne Académie était un tableau achevé,

tandis que les concurrents de la période républicaine n’exécutaient qu’une esquisse de

composition historique, après les épreuves de modèle vivant dessiné et peint.

On trouve l’origine de cette discussion dans le procès-verbal de la séance du Conseil

des professeurs de l’Escola Nacional de Belas Artes, le 9 mai 1914. À ce moment-là, le

57 - BROCOS, (p.7).“ Continuo a pensar que a pintura de um quadro se impõe, para obter o prêmio de via-gem, como aliás se o exige em todas as escolas da Europa. (...). A pintura de uma sim-ples academia não é suficiente para serem reveladas as qualidades exigidas para um fu-turo artista, (...). ”

58 - BROCOS, (p.8). [Zeferino da Costa - peintre, lauréat en 1868 ; Rodolpho Amoêdo - peintre, lauréat en 1878, avec son tableau Le Sacrifice d’Abel ; Oscar Pereira da Silva - peintre, il fut l’un des deux lauréats du concours de 1887. Le second lauréat fut l’architecte Ludovico Maria Berna.]

“ Na antiga Academia, o concurso ao prêmio de viagem consistia na pintura de um as-sunto bíblico, no qual os alunos podiam mostrar as diversas qualidades que se exigem de um futuro artista. Aí estão para prova os concursos de Zeferino da Costa, que pin-tou "Moisés recebendo as tábuas da lei"; de Amoedo, com seu "Abel"; de Oscar Pereira da Silva, com o quadro "A flagelação de Jesus". ”

55

règlement daté du 14 septembre 1911 fut examiné et approuvé par l’ensemble de professeurs,

sauf par Modesto Brocos.

Examinons le texte de l’article neuf du deuxième chapitre de ce règlement, où il s’agit

des épreuves qui devaient être présentées par les peintres lors du concours du Prix de Voyage :

Article 9 : Les concurrents de peinture seront obligés à se présenter aux épreuves suivantes :

Première épreuve - Dessiner une académie de modèle vivant (80 centimètres de hauteur), pendant dix séances de quatre heures chacune.

Deuxième épreuve - Peindre une figure d’après nature (1 mètre de hauteur), pendant cinquante séances de quatre heures chacune.

Troisième épreuve - Esquisser une composition (peinture) d’un sujet tiré au sort parmi dix thèmes organisés par les professeurs du jury du concours. L’exécution de cette épreuve durera huit heures, pendant lesquelles les concurrents seront isolés et n’auront accès à aucune communication externe.59

59 - Règlement du 14 septembre 1911. Cité dans le procès-verbal de la séance du corps enseignant le 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ Artigo 9 : Os concorrentes de pintura serão obrigados a prestar as seguintes provas : 1a prova - Desenhar uma academia do modelo vivo, com 80 centímetros de altura, em 10 sessões de 4 horas cada uma. 2 a prova - Pintar uma figura do natural com um metro de altura em 50 sessões de 4 horas cada uma. (...). 3 a prova - Composição em esboço (pintura) de um assunto que será tirado à sorte dentre 10 organizados na ocasião pelos professores da comissão julgadora. A execução dessa prova durará 8 horas, durante as quais os concorrentes se acharão isolados e sem comunicação externa. ”

56

On observe que ce sont les mêmes épreuves exigées des candidats au prix de 1892.

Les seules différences se trouvent dans le temps destiné à l’exécution de chacune d’entre elles.

En 1892, deux séances de trois heures chacune étaient prévues pour l’exécution de l’épreuve

de dessin de modèle vivant, tandis qu’en 1911 cette épreuve durait dix séances de quatre

heures chacune. Pour l’épreuve de modèle vivant peint il était prévu, en 1892, trente jours, et à

chaque jour la séance était de quatre heures. En 1911, la même épreuve durait cinquante

séances de quatre heures chacune. La troisième épreuve, en 1892, avait la même durée qu’en

1911, c’est-à-dire huit heures.

Penchons-nous, maintenant, sur la règle en vigueur pendant la période monarchique.

Grâce au procès-verbal de la séance du Conseil réalisée le dix-huit août 1887 on peut suivre les

démarches préparatoires du concours de Prix de Voyage de cette année. Au cours de la

réunion, plusieurs sujets de composition historique furent présentés par les professeurs. Parmi

tous ces sujets, six furent choisis. Il fut déterminé ensuite que, le jour du concours, un seul

sujet serait tiré au sort parmi les six thèmes sélectionnés. L’esquisse de la composition serait

faite le premier jour, et pour la réaliser chaque candidat aurait le temps d’une séance qui

durerait de dix heures du matin jusqu’à cinq heures de l’après-midi (sept heures au total). Pour

l’exécution du projet définitif seraient accordés cinq heures par jour, pendant une période de

soixante jours utiles.

Le dessin de modèle vivant ne faisait pas partie des épreuves, l’académie peinte non

plus. Le concours n’était constitué que de la réalisation d’une seule composition historique.

Lorsque Modesto Brocos a défendu cette ancienne pratique, pendant la séance du neuf mai

1914, Zeferino da Costa, professeur de l’Ecole et ancien élève de l’Académie, lauréat du Prix

de Voyage de 1868, s’est opposé à son intervention, en déclarant :

(...) il est de mon devoir de présenter ma propre opinion sur la proposition (...) du digne collègue M. Brocos. À mon avis, malgré la bonne préparation de nos élèves, l’exigence de l’exécution d’un tableau pour le Prix de Voyage (...), est excessive. Justement, si l’Ecole accorde un séjour de cinq années en Europe au pensionnaire c’est pour qu’il apprenne à exécuter des tableaux. Si le candidat exécute donc un travail d’après nature faisant preuve de ses connaissances dans le domaine du dessin et du coloris, non seulement en ce qui concerne le caractère de la ligne, mais encore par rapport à tous les accidents et valeurs de clair-obscur et harmonie du coloris, il me semble que pour que l’on puisse juger de sa capacité

57

imaginative il suffit qu’il présente, en supplément, une esquisse d’un sujet conçu, composé et exécuté pendant quelques heures.60

En tout cas la composition historique, soit sous la forme de tableau accompli, soit

sous la forme d’esquisse, était toujours exigée des peintres qui envisageaient d’obtenir le Prix

de Voyage. Ainsi, le mécontentement de Modesto Brocos paraît démesuré. De toute façon, il

reflète la mentalité de l’ancienne Académie, et nous indique les changements qui se sont

produits alors, même s’ils nous semblent, aujourd’hui, trop subtils.

Après cette comparaison des différents règlements des concours, penchons-nous sur

l’analyse des obligations des pensionnaires après leur arrivée en Europe.

2.2 - Les obligations des pensionnaires

On a vu jusqu’ici comment se déroulaient les concours de Prix de Voyage, comment

les règlements des concours ont varié et quelles étaient les qualités exigées des concurrents.

Maintenant on passe à l’analyse des règlements en ce qui concerne les obligations des lauréats

en tant que pensionnaires de l’Etat en Europe.

Ce fut au moment de la réforme organisée par le directeur Araújo Porto-Alegre en

1855 que l’Académie augmenta son contrôle sur les pensionnaires en leur donnant des

instructions précises sur leurs obligations et sur les travaux qu’ils devraient accomplir à chaque

semestre. En outre, pour rendre ce contrôle plus fin, les statuts de 1855 déterminaient que les

pensionnaires avaient l’obligation de maintenir une correspondance personnelle avec le

Directeur de l’Académie :

60 - Zeferino da Costa a écrit et signé cette note le 9 mai 1914. (Procès-verbal de la séance du Conseil des professeurs de l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro, le 9 mai 1914)

“ Concluindo, resta-me o dever de emitir também a minha opinião a respeito da propos-ta divergente do digno colega Sr. Brocos. A mim, me parece que para o prêmio de via-gem aos alunos da nossa Escola, embora estejam eles bem preparados, a exigência da execução de um quadro, é demasiada, porquanto é precisamente para que o pensionista aprenda a executar quadros, que a Escola lhe concede 5 anos de prazo na Europa para essa aprendizagem. Assim, quando o candidato ao prêmio, apresentando um trabalho plástico, executado do natural, prove ter bastante conhecimento do desenho e do colo-rido, não só quanto ao caráter da linha, como em todos os demais acidentes e valoriza-ção do claro-escuro e harmonia do colorido, me parece que, para se julgar da sua capa-cidade de imaginação, bastará que ele apresente mais o esboceto de um assunto conce-bido, composto e executado em poucas horas de tempo. Rio de Janeiro, 9 de Maio de 1914 (assinado) Professor Zeferino da Costa. ”

58

Art. 77 - Les Pensionnaires suivront les instructions qui leur seront envoyées par le Corps Académique. Les instructions doivent être approuvées par le Ministre et le Secrétaire d’Etat des affaires de l’Empire. Les pensionnaires suivront aussi les orientations du Corps Académique, et devront maintenir une correspondance continue avec le Directeur en le renseignant sur l’état de leurs travaux, et sur la manière employée pour exécuter les instructions qui les concernent. 61

Cette correspondance que le pensionnaire devait entretenir avec le directeur de

l’Académie de façon à le mettre au courant de toutes ses activités venait renforcer la

surveillance à laquelle il se soumettait. Le pensionnaire devait respecter les instructions reçues

d’avance et accomplir les travaux exigés par le règlement, mais le directeur orientait la suite de

son travail, lui donnant des conseils ou parfois lui faisant des réprimandes. Cette pratique

imprimait un caractère particulier, individuel et personnel à l’accompagnement des

pensionnaires par l’Académie, car elle leur procurait une relation directe et privée avec le

directeur. Voyons, par exemple, la lettre adressée par Araújo Porto-Alegre le 16 mai 1854 à

Victor Meirelles, pensionnaire qui se trouvait à Rome :

Je viens d’être nommé directeur de cette Académie et, en tant que directeur, je dois vous prévenir qu’à partir d’aujourd’hui vous devrez avoir la bonté de m’écrire le plus souvent possible à propos de vos études et projets, afin que je puisse informer l’Académie et le gouvernement de vos progrès. Dites à M. Motta [Agostinho José da Motta], qu’il m’écrive, car il n’est pas courant ni tolérable qu’il ne le fasse pas, puisque maintenant il a ici un vieil ami. Il peut s’ouvrir à moi comme il le veut. Dites lui d’écrire sur l’art, sur ses projets et ce qu’il envisage de faire, parce que ce sont ceux-là nos affaires.

61 - Estatutos da Academia das Belas Artes - Arrêté n. 1603 du 14 mai 1855, signé par le Ministre Luiz Pedreira do Couto Ferraz, reproduit dans la Revista Crítica de Arte, n.4. Rio de Janeiro, dezembro 1981.(p. 42)

“ Art. 77 - Os Pensionistas seguirão as instruções que lhe forem expedidas pelo Corpo Acadêmico, depois de aprovadas pelo Ministro e Secretário de Estado dos Negócios do Império, e as recomendações do mesmo Corpo, e deverão corresponder-se com o Diretor freqüentemente sobre o estado de seus trabalhos, e a maneira por que forem desempenhando as ditas instruções. ”

59

Je n’écris rien à M. Pallière [Grandjean Ferreira], parce que je sais qu’il n’est plus là.62

Les pensionnaires étaient ainsi suivis de près par le directeur qui leur offrait un appui

et une attention particuliers. On ne doit pas oublier que la plupart des pensionnaires devenaient

par la suite professeurs à l’Académie. C’est-à-dire qu’ils étaient sur le chemin de devenir les

pairs du directeur et des autres professeurs.

Voyons maintenant quelles furent les instructions approuvées en 1855 :

L’élève de l’Académie qui obtiendra le prix de premier ordre étudiera aux dépens de l’Etat, et aura une pension annuelle de trois mille francs, payés par trimestres anticipés ; (...). Le pensionnaire, 15 jours après son arrivée à Paris, choisira son maître et fera connaître son choix au ministre du Brésil. Celui-ci devra lui procurer une lettre de présentation et recommandation. Le maître doit être membre de l’Institut et professeur de l’Ecole de Beaux-Arts, de façon à orienter l’élève dans les concours et lui permettre l’entrée dans les établissements publics et dans les établissements privés renommés.

Le pensionnaire ne pourra pas changer de maître sans l’accord du ministre du Brésil, de façon à ce que celui-ci connaisse les causes qui l’auront amené à cette décision et les présente au nouveau maître choisi.

Le pensionnaire ne pourra pas recevoir sa pension sans présenter à la Légation une attestation d’assiduité aux cours signée par son maître.

En outre de l’étude journalière chez le maître, l’élève, qu’il soit peintre, sculpteur ou graveur, doit fréquenter les lieux de cours de modèle vivant à l’Ecole des Beaux-Arts.

(...). Tous les six mois le pensionnaire doit remettre à la Légation ses travaux bien emballés et prêts à être envoyés à l’Académie.63

62 - Lettre d'Araújo Porto-Alegre adressée à Victor Meirelles (le 16 mai 1854). [Citée par MORAIS, Frederico. Cronologia das artes plásticas no Rio de Janeiro, 1816 - 1994, p.76].

“ Acabo de ser nomeado diretor desta academia e, como tal, tomo a liberdade de preve-ni-lo que doravante tenha a bondade de me escrever o mais amiudadamente possível sobre os seus estudos e projetos, para que eu possa informar à Academia e ao governo de seus progressos. Diga ao Sr. Motta (Agostinho José da Motta), que me escreva, e que não é corrente nem tolerável o deixar de escrever, pois ele agora tem um velho amigo aqui. E pode abrir-se comigo como quiser. Nada escrevo ao Sr. Pallière (Grand-jean Ferreira), por saber que ele aí já não está. Mande falar de arte, dos seus projetos e do que intenta fazer, porque são estes os nossos negócios. ”

63

- PRIMITIVO MOACYR. A Instrução e o Império : Subsídios para a História da Educação no Brasil : 1850-1855. Companhia Editora Nacional, São Paulo, 1936-1938, pp. 177/8. [DURAND, pp.11 - 12]

60

On voit que le rôle de vérifier le bon cours des études du pensionnaire revenait aussi

au corps diplomatique qui devrait exiger la présentation d’une attestation d’assiduité aux cours

avant de lui payer la pension de chaque trimestre. C’était encore au ministre que l’étudiant

devait s’adresser pour demander une autorisation au cas où il envisagerait de changer de maître

ou d’atelier. Enfin, la Légation du Brésil en France était chargée d’envoyer à Rio de Janeiro les

oeuvres remises par les pensionnaires à chaque semestre. Mais le contrôle proprement dit des

études du pensionnaire revenait aux maîtres et aux institutions françaises :

(...) Le pensionnaire refusé deux fois de suite à l’Ecole de Beaux-Arts de Paris et qui n’est pas admis aux amphithéâtres, et celui qui n’aura pas accompli fidèlement tout ce qui a été déterminé plus haut, sera immédiatement renvoyé au Brésil et perdra sa pension. L’élève qui, à la fin de trois ans, n’aura pas reçu ni médaille ni mention honorable dans les concours d’émulation de l’Ecole de Paris, ou celui qui n’aura pas justifié l’absence de médailles ou de mentions, sera renvoyé et perdra sa pension.

(...). Celui qui aura remporté un prix dans une des expositions de beaux-arts à Paris, Bruxelles, Londres, Berlin ou Munich, recevra mille francs de plus comme gratification annuelle jusqu’à la fin de son séjour en Europe.64

L’Académie brésilienne subordonnait ainsi ses pensionnaires à l’autorité de l’Ecole

des Beaux-Arts de Paris et aux institutions artistiques françaises. L’élève brésilien devait

satisfaire au système français pour continuer à jouir de sa pension. En effet, le but de

“ O aluno da Academia que obtiver o prêmio de primeira ordem irá estudar à custa do Estado, e terá uma pensão anual de três mil francos, pagos em trimestres adiantados ; (...). O pensionista quinze dias depois de chegar a Paris escolherá um mestre e partici-pará ao ministro do Brasil para que este o apresente e recomende. O mestre deve ser membro do Instituto e professor da Escola de Belas Artes, a fim de o encaminhar nos concursos e dar-lhes entrada nos estabelecimentos públicos e nos particulares de nome-ada. O pensionista não poderá receber a sua pensão sem apresentar à Legação um ates-tado de freqüência passado pelo mestre. Deverá além do estudo e particular que fizer na aula do mestre, concorrer aos lugares de aula de modelo vivo na Escola de Belas Artes (...). O pensionista não poderá mudar de mestre sem o assentimento do ministro do Brasil para que este conheça as causas e as apresente ao novo mestre que esco-lher. ”

64 - PRIMITIVO MOACYR, idem.“ O pensionista que por duas vezes consecutivas for recusado pela Escola de Belas Ar-tes de Paris, e ficar fora do número de alunos admitidos e chamados nos anfiteatros, e o que não cumprir fielmente o disposto acima, será imediatamente mandado para o Bra-sil, perdendo a pensão. O que no fim de três anos não obtiver uma medalha ou menção honrosa nos concursos de emulação da Escola de Paris ou não justificar esta falta, será reenviado e perderá toda a pensão. (...). O que for premiado em alguma das exposições gerais de belas artes que se fazem em Paris, Bruxelas, Londres, Berlim ou Munique, re-ceberá mil francos mais de gratificação anual até completar o seu tempo. ”

61

l’Academia Imperial était de perfectionner le contrôle sur le pensionnaire, de l’obliger à faire

des efforts, de parer à un possible fléchissement de la discipline.

Continuons à lire les instructions de 1855 :

(...). Les pensionnaires qui étudieront en France pendant trois ans seront obligés d’envoyer chaque semestre les travaux suivants:

Dans la première année :

Les peintres : douze académies ou études de figures d’après nature ou d’après l’antique, et une copie d’un tableau qui lui sera indiqué par l’Académie de Rio de Janeiro;(...);

Les paysagistes : une copie indiquée par l’Académie et leurs études de la nature ;(...).

Tous ces travaux seront parafés par les maîtres respectifs. Dans les deux années suivantes, les travaux remis doivent être plus développés et complexes. (...).

De l’Italie, ils remettront à l’Académie :

Les peintres : une copie d’un tableau de maître de premier ordre, de préférence indiqué par l’Académie, et un tableau historique de sa propre composition, dont les figures seront en grandeur nature ; (...). 65

Il existait une différence remarquable entre les consignes destinées aux ‘peintres’,

c’est-à-dire les ‘peintres d’histoire’, et celles destinées aux paysagistes. Pour ces derniers,

l’Académie ne déterminait pas le nombre de travaux obligatoires, tandis que pour les premiers

ce nombre était explicité : douze académies ou études de figures, et une copie d’un tableau

indiqué d’avance par les professeurs brésiliens. Mais, en tout cas, d’après la lecture de ces

instructions, on observe que le contrôle exercé par la direction de l’Académie sur tous ses

pensionnaires était rigoureux et pointu.

65 - PRIMITIVO MOACYR, idem. [DURAND, p.12].“ Os pensionistas que, durante três anos, estudarem na França, serão obrigados a man-dar semestralmente os trabalhos abaixo : No primeiro ano : os pintores : doze academi-as ou estudos de modelos vivos, ou de estátuas antigas, e uma cópia de painel que lhes for designada pela Academia do Rio de Janeiro ; (...). Os paisagistas : uma cópia indi-cada pela Academia e os seus estudos do natural ; (...). Todos estes trabalhos serão ru-bricados pelos respectivos mestres. Nos dois anos seguintes os trabalhos remetidos de-vem ser mais desenvolvidos e complexos. (...). Da Itália mandarão : os pintores : uma cópia de algum painel de mestre de primeira ordem com preferência o que lhes for indi-cado pela Academia, e um quadro histórico de sua composição, cujas figuras serão de tamanho natural ; (...). ”

62

Pour compléter ces informations générales, voici maintenant un exemple de cas

particulier : les instructions transmises en avril 1856 par le corps d’enseignants à Victor

Meirelles qui se trouvait à Paris après avoir obtenu une prolongation de trois ans de sa

pension.

Instructions données par le Corps Académique à M. Victor Meirelles de Lima, pensionnaire de l’Academia Imperial de Belas Artes, à Paris :

Le pensionnaire du Gouvernement Impérial, M. Victor Meirelles de Lima, devra, pendant ses études à Paris, en plus des obligations imposées par le règlement spécial qui le concerne, exécuter les travaux suivants déterminés par le Corps Académique :

1o - Conformément à ce qui est prescrit dans l’article 12 du règlement, il fera la copie en grandeur nature du tableau n o 360 de Salvador Roza, qui se trouve au Louvre dans la collection de l’école italienne ; si ce tableau ne lui plaît pas, il fera la copie de la figure de Léonidas dans le tableau du Passage des Thermopyles, de Louis David. On sollicite de lui la plus grande perfection d’exécution, car ces travaux sont destinés à servir de norme aux élèves de peinture et doivent leur procurer une idée du style et de la couleur des maîtres.

2o - Pendant la deuxième année d’études à Paris, il fera tout l’effort possible pour nous envoyer une copie du célèbre torse Pagnesse, qui se trouve à l’Ecole des Beaux-Arts, parce que ce travail aura la même destination, vu que ce chef-d’oeuvre est un modèle accompli de dessin et de peinture pour l’étude du nu.66

On remarque que les copies réalisées par les pensionnaires en Europe répondaient à

un double objectif. D’une part elles servaient au perfectionnement technique de l’artiste,

d’autre part elles allaient joindre les oeuvres appartenant à la pinacothèque de l’Académie, et

66 - Cité par Rangel de S. Paio, dans O Quadro da Batalha dos Guararapes, seu Autor e seus Críticos. Serafim J. Alves Ed., Rio de Janeiro, 1880, p.129. [DURAND, p. 13].“ Instruções dadas pelo Corpo Acadêmico ao Sr. Victor Meirelles de Lima, Pensionista da Academia Im-perial de Belas Artes, em Paris. - O Sr. Victor Meirelles de Lima, Pensionista do Governo Imperial, além dos deveres impostos pelo regulamento especial que lhe é próprio, deverá, no curso dos seus estudos em Paris, preencher as seguintes obrigações, aprovadas pelo Corpo Acadêmico : 1o - Em cumprimento do art. 12 do citado regulamento, copiará do mesmo ta-manho o quadro n. 360, do Salvador Roza, que se acha no Louvre, na coleção da escola ita-liana ; e se esse painel desagradar-lhe, copiará no ponto maior que puder a figura de Leôni-das no quadro da Passagem de

Termophilas, de Louis David. Pede-se-lhe todo o esmero possível na execução destes traba-lhos, porque são destinados a servirem de norma aos alunos de pintura e darem idéia do esti-lo e colorido dos mestre. 2o - No segundo ano, fará todo o possível para nos mandar uma có-pia do famoso tronco de Pagnesse, que está na Escola de Belas Artes, porque é ainda para o mesmo efeito, visto que este primor d’arte é um modelo completo de desenho e pintura para o estudo do nu. ”

63

seraient utilisées dans l’enseignement. Le pensionnaire faisait partie d’une chaîne, aidant à

perfectionner l’enseignement académique à une époque où les méthodes modernes de

reproduction de tableaux n’existaient pas.

La rigueur de l’Académie vis-à-vis des pensionnaires fut renforcée par la

communication du 4 novembre 1865. Les obligations des peintres à partir de ce moment furent

encore plus détaillées :

(...), les peintres devraient envoyer : pendant la première année de leur séjour, huit académies, une copie de tableau préalablement indiqué par l’Académie de Rio, et une tête d’expression ; dans la deuxième année, douze académies, une composition ou esquisse d’un sujet de l’histoire brésilienne ou de l’histoire religieuse, et une copie d’un travail de maître, indiqué par l’Académie ; dans la troisième année, une composition comprenant plus de trois figures dans une toile de numéro cinquante ou soixante, une tête d’expression, et un torse grandeur nature ; dans la quatrième et la cinquième années, une copie d’un tableau de maître célèbre, de préférence indiqué par l’Académie brésilienne, et un tableau historique, comprenant des figures grandeur nature.67

67 - MORALES DE LOS RIOS FILHO, O Ensino Artístico : Subsídios para a sua História, Rio de Janeiro, 1938, p. 294. [DURAND, p.14].

“ Assim, os pintores deviam mandar : no primeiro ano de estadia, oito academias, uma cópia de painel (ou quadro) previamente indicado pela Academia do Rio, e uma cabe-ça de expressão ; no segundo ano, doze academias, uma composição ou esboço de as-sunto da história nacional ou da religiosa, e uma cópia de trabalho de mestre, que fosse designado pela Academia ; no terceiro ano, uma composição contendo mais de três fi-guras em tela de número cinqüenta ou sessenta, uma cabeça expressiva, e um tronco de tamanho natural ; no quarto e quinto anos, uma cópia de quadro de mestre consagrado, preferentemente indicado pela Academia do Brasil, e um quadro histórico com figuras no tamanho natural. ”

64

Pour la première fois, la réalisation de tableaux représentant de scènes de l’histoire du

Brésil était expressément commandée aux pensionnaires. Cependant il est vrai que leurs

prédécesseurs avaient déjà réalisé des tableaux historiques abordant la thématique brésilienne.

Les instructions de l’Académie venaient officialiser ce choix qui répondait à une demande de

l’époque. Enfin, la minutie de ces déterminations profitait à l’Académie de Rio désireuse

d’enrichir sa collection de copies d’oeuvres célèbres, en même temps qu’elle encadrait le

pensionnaire dans des obligations très strictes.

Ces instructions subsistèrent pendant toute la période monarchique. Il est intéressant

de noter cependant que, lors de la séance du 6 octobre 1890, l’avant-dernière séance de

l’Academia Imperial avant la réforme entamée par la République, le 8 novembre de la même

année, Victor Meirelles proposa une modification des instructions destinées aux pensionnaires.

Il désirait que les sujets des tableaux envoyés par le pensionnaire ne fussent plus déterminés par

l’Académie, autrement dit, il désirait que le pensionnaire soit libre du choix de ses sujets. Il

déclara :

Sur ce point, il serait préférable qu’il bénéficie d’une entière liberté, en ayant seulement l’obligation d’envoyer [à l’Académie] toutes les études qu’il aura faites sous la conduite des maîtres qui l’orientent en Europe.68

On observe donc une volonté de simplifier les obligations du pensionnaire. Le corps

enseignant approuva cette résolution, mais les changements ne seront mis à l’oeuvre qu’après

la réforme républicaine, et les responsables en seront les professeurs de l’Escola Nacional de

Belas Artes. La réglementation à propos des concours et des obligations des pensionnaires de

l’Ecole fut mise au point en 1892, année du premier concours de Prix de Voyage réalisé après

ladite réforme. Voici les nouvelles obligations des pensionnaires :

Pensionnaires de peinture

Les pensionnaires de peinture seront obligés d’envoyer les travaux suivants :

1ère année : huit études [de modèle vivant] peintes ou dessinées.

2ème année : huit études [de modèle vivant] peintes.

3ème année : une copie d’un tableau désigné par le Conseil des Professeurs de l’Ecole et une esquisse pour l’exécution d’un tableau d’au moins trois

68 - Procès-verbal de la séance du 6 octobre 1890. Arquivo Museu Dom João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

“ Fora preferível que nesse particular lhe concedessem plena liberdade com obrigação de enviar todos os estudos que fizer aconselhado pelos mestres que o dirigirem. ”

65

figures accompagnée du respectif devis des dépenses destinées aux matériaux pour sa réalisation .

4ème et 5ème années - Exécution du tableau qui sera acheté par l’Ecole si le Conseil des Professeurs l’a jugé digne de l’être.69

Ce règlement concernait aussi les devoirs des pensionnaires de sculpture, de gravure

et d’architecture, mais pour les peintres, on ne trouve plus de distinction entre les peintres

d’histoire et les paysagistes, qui sont tous désignés, simplement, par le mot ‘peintres’. Une

autre différence par rapport au règlement antérieur concerne les copies de tableaux de maîtres.

Auparavant, le pensionnaire devait en préparer une copie par an, pendant les trois premières

années de son séjour à Paris. Avec le nouveau règlement, une seule copie était réalisée, au

cours de la troisième année du séjour. En dehors de ces deux points, on observe une

simplification des obligations, mais il n’y a pas de changement en profondeur.

Par la suite, à l’occasion d’une nouvelle réforme en 1911, le règlement fut encore une

fois remodelé :

Règlement du 14 septembre 1911

À propos des devoirs des pensionnaires

Pensionnaires de Peinture

Article 18 : Les pensionnaires de peinture seront obligés d’envoyer les travaux suivants :

1ère année : trois études de modèle vivant peintes et trois études de modèle vivant dessinées ;

2ème année : deux têtes d’expression et un torse (grandeur nature) peints, et trois études de modèle vivant (dessinées) ;

3ème année : une copie d’un tableau de maître exposé dans une des galeries d’art de la ville désignée comme lieu d’études du pensionnaire ; et qui ne figure pas encore dans les galeries de l’Ecole ;

4ème année : exécution d’un tableau de composition de deux ou plus de deux figures.

69 - Règlement pour le processus des concours de l’Escola Nacional de Belas Artes, pour les places de pensionnaires de l’Etat en Europe, auquel fait référence la Communication de ce jour [le 26 octobre 1892].

“ Pensionistas de Pintura : Os pensionistas de pintura serão obrigados a enviar as se-guintes provas : 1o ano - Oito estudos [de modelo vivo] pintados ou desenhados ; 2o

ano - Oito estudos [de modelo vivo] pintados ; 3o ano - Uma cópia designada pelo Conselho Escolar e um esboceto para execução de um quadro de três ou mais figuras acompanhando o respectivo orçamento para as despesas com o material para o mesmo quadro. 4o e 5o anos - Execução do quadro que será comprado pela Escola se o Conse-lho Escolar julgar digno de ser adquirido. ”

66

5ème année : la cinquième année est réservée à la visite des musées, des galeries et des oeuvres d’art choisies par le pensionnaire.

Article 25 : Tous les travaux mentionnés dans ces instructions et envoyés par les pensionnaires, deviendront propriété de l’Ecole après avoir été exposés dans les salons de la même Ecole.70

Par rapport au règlement de 1892, il n’y a pas de différence significative. On trouve

des modifications dans le nombre d’esquisses exigées, une plus grande précision sur ces études

(torse, tête d’expression, modèle vivant peint ou dessiné), mais le fond reste le même. Pour la

copie de la troisième année, l’étudiant devrait choisir un tableau dont la reproduction “ ne

figure pas encore dans les galeries de l’Ecole ”. Cette donnée explicite une fois de plus l’un des

objectifs de la copie, qui devait enrichir les collections de l’Ecole.

Même la liberté laissée au pensionnaire pendant la cinquième année de son séjour

n’était pas vraiment une nouveauté. On sait que pendant la période de l’Academia Imperial

cette liberté fut accordée aussi à d’autres pensionnaires, car la visite des musées et des galeries

était considérée comme nécessaire à la préparation de l’artiste. Dans le cas de Rodolpho

Bernardelli, par exemple, lorsqu’il a obtenu une prolongation de sa pension le 22 décembre

1883, l’ensemble de professeurs explicita que cette prolongation lui était accordé “ afin qu’il

puisse conclure le travail qu’il est en train d’exécuter, et visiter en Europe les musées et les

galeries des pays riches en monuments artistiques ”.71

En 1914, une commission de professeurs fut chargée d’examiner la réglementation du

concours du Prix de Voyage. Dans le procès-verbal de la séance du Conseil d’enseignement du

70 - Règlement du 14 septembre 1911. Cité dans le procès-verbal de la séance du corps enseignant le 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ Regulamento de 14 de setembro de 1911 - (...) - Dos deveres dos pensionistas. Pensi-onistas de Pintura. Artigo 18 : Os pensionistas de pintura serão obrigados a enviar as seguintes provas : 1o ano - Três estudos de modelo vivo pintados e três desenhados ; 2o

ano - Duas cabeças de expressão e um torso (tamanho natural) pintados, e três estudos de modelo vivo (desenhados) ; 3o ano - Cópia de um quadro de mestre, existente em qualquer das galerias da cidade designada para permanência do pensionista, e que já não figure nas galerias da Escola ; 4o ano - Execução de um quadro de composição de duas ou mais figuras. (...). O quinto ano fica reservado ao pensionista para fazer visitas aos museus, às galerias e às obras de arte que lhe aprouver. (...). Artigo 25 - Todos os trabalhos mencionados nestas instruções e enviados pelos pensionistas, depois de ex-postos nos salões da Escola, ficarão sendo de propriedade da mesma Escola. (...). ”

71 - Procès-verbal de la séance du 22 décembre 1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.“ ... afim de que possa concluir o trabalho que está executando, e visitar na Europa os museus e galerias existentes nos países ricos de monumentos d’arte... ”

67

9 mai 1914, on peut lire la proposition de cette commission concernant les obligations des

pensionnaires :

Dans les instructions qui déterminent les devoirs des pensionnaires, notre proposition établit le contrôle de leurs travaux jusqu’à la quatrième année, mais accorde aux dits pensionnaires une plus grande liberté de choix lors de la composition du travail qu’ils doivent envoyer au début de la cinquième année. Nous proposons aussi qu’ils puissent se vouer pendant la cinquième année à des visites aux musées, aux galeries et à toutes les oeuvres d’art de leur choix.72

En réalité, la commission ne fit que ratifier le règlement de 1911. Au cours de la

séance, les devoirs des pensionnaires déterminés trois années auparavant furent présentés à

l’ensemble des professeurs, qui les ont approuvés intégralement.

Bref, en observant l’ensemble des règlements que nous venons d’analyser, on

constate que les changements qui se sont opérés n’ont pas modifié ce qui était l’essentiel des

envois des pensionnaires. En effet, au long d’une période qui commence dans la seconde

moitié du XIXe siècle et qui va jusqu’à la deuxième décennie du XXe siècle, les obligations des

pensionnaires n’ont pas changé en profondeur. Ils devaient toujours envoyer des études de

modèle vivant, réaliser une copie d’un tableau de maître et accomplir une oeuvre de leur cru la

dernière année. Ce qui a varié, c’est le nombre d’études à remettre.

72 - Procès-verbal de la séance du 9 mai 1914. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.“ Nas instruções que determinam os deveres dos pensionistas, a nossa proposta estende a fiscalização até o quarto ano, mas, concede mais liberdade na escolha da composição do trabalho que o pensionista deve enviar no começo do quinto ano. Propomos que o pensionista possa aproveitar o quinto ano nas visitas aos museus, às galerias e a todas as obras de Arte que lhe aprouver. ”

68

Peut-être que la différence la plus significative concerne les copies de tableaux de

maître. À ce propos on vérifie que pendant la période républicaine il revenait souvent aux

pensionnaires de proposer le tableau qui serait copié, et les professeurs se mettaient, en

principe, d’accord avec le choix du pensionnaire. On peut citer deux exemples parmi d’autres.

Le premier date du mois de juillet 1900. Dans la séance du Conseil, les professeurs furent mis

au courant d’une lettre où Antonio de Souza Vianna, pensionnaire à Munich (Prix de Voyage

de 1896) demandait l’autorisation d’exécuter, comme obligation de troisième année de séjour,

la copie d’un tableau d’Arnold Böcklin - Das Wellen Spill. Le pensionnaire envoyait une

photographie du tableau. Sa demande fut approuvée.73

Le second exemple date de 1908. Dans une lettre datée du 30 mars 1908, Lucílio de

Albuquerque (Prix de Voyage de 1906), pensionnaire à Paris, communiquait au Directeur de

l’Ecole qu’il avait déjà expédié les travaux obligatoires de la deuxième année : huit académies

peintes, deux torses peints en grandeur nature et deux têtes d’expression. Après cette

communication, il demandait quel serait le tableau qu’il devrait copier comme travail

obligatoire de troisième année d’études. Cependant, il indiquait déjà son choix personnel :

Je serais extrêmement heureux si l’Ecole désignait la fresque de Botticelli -: ‘Giovanna degli Albizzi, femme de Lorenzo Tornabuoni, et les Grâces’ - qui se trouve exposée au Louvre.74

Sa demande fut approuvée. Donc, même si le choix des pensionnaires devait

obligatoirement entrer dans les canons de l’Ecole, les artistes avaient la possibilité de choisir

des tableaux plus en accord avec leur évolution personnelle.

Avant de finir ce chapitre, il serait intéressant de comparer les règlements brésiliens

au règlement qui déterminait les obligations des pensionnaires français à Rome, en 1891 :

Institut de France

Académie des Beaux-Arts

Règlement de l’Académie de France à Rome

73 - Procès-verbal de la séance du 10 juillet 1900, p. 93. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.74 - Procès-verbal de la séance du 17 novembre 1908, p. 43. Museu Dom João VI, Rio de

Janeiro. Lucílio de Albuquerque fait référence aux fresques de la villa Lemmi qui représentent le mariage de Lorenzo Tornabuoni (entouré des Arts libéraux) avec Giovanna degli Albizzi (qui offre son voile de mariée à Vénus suivie des trois Grâces).

“ Muito feliz me julgarei se a Escola designar o fresco de Botticelli : Giovanna degli Al-bizzi, mulher de Lorenzo Tornabuoni, e as Graças - existente no Museu do Louvre. ”

69

1891

Art. 27 - (...)

Les pensionnaires peintres ou sculpteurs sont tenus de soumettre les esquisses de leurs envois au Directeur de l’Académie. L’examen de ces esquisses porte sur le choix du sujet et sur les dimensions des ouvrages.

(...) L’acceptation de ces divers sujets d’envoi, de leur développement et de leurs dimensions, sera inscrite sur un registre spécial. Elle sera contresignée par chaque pensionnaire en ce qui le concerne. (...).

Art. 28 - Le pensionnaire peintre devra exécuter :

Dans la première année de sa pension

1o - Une figure peinte d’après nature et de grandeur naturelle ; cette figure représentera un sujet qui sera emprunté soit à la mythologie, soit à l’histoire ancienne sacrée ou profane ;

2o - un dessin d’après les peintures des grands maîtres de deux figures au moins ;

3o - un dessin d’après une oeuvre remarquable de sculpture de l’antiquité ou de la Renaissance, soit statue, soit bas-relief.

Dans la 2e année

Un tableau d’au moins deux figures nues ou en partie drapées, de grandeur naturelle.

Dans la 3e année

1o - Une copie peinte soit d’après un tableau ou une fresque de grand maître, soit d’après un fragment de tableau ou de fresque de trois figures au moins. Ce fragment sera copié de la grandeur de l’original ; si toutefois l’original était de proportion colossale et que le pensionnaire voulût le réduire, les figures ne devraient point avoir moins de deux mètres de proportion. Cette copie demeure la propriété de l’Etat ; 2 o - Une esquisse peinte de sa composition, dont le champ aura au moins cinquante centimètres sur son plus petit côté.

Dans la 4e année

Un tableau de sa composition, de plusieurs figures de grandeur naturelle : le sujet sera tiré soit de la mythologie, soit des littératures, soit de l’histoire ancienne, sacrée ou profane. Ce tableau n’aura plus de quatre mètres dans sa plus grande dimension.

70

Le tableau qui constitue l’envoi de dernière année des pensionnaires peintres sera, lorsqu’il en paraîtra digne, signalé par l’Académie des beaux-arts à l’administration, dans une lettre spéciale qui sera jointe au rapport annuel adressé au ministre. (...). 75

La première différence observée concerne le contrôle des travaux des pensionnaires.

Les pensionnaires français étaient soumis à l’autorité du Directeur de l’Académie de France à

Rome. Les pensionnaires brésiliens, n’étant pas suivis de près par un représentant de

l’Académie brésilienne en Europe, devraient se soumettre à l’autorité des maîtres européens.

Le contrôle exercé par les professeurs brésiliens se faisait de loin, par le moyen de l’analyse des

envois des pensionnaires.76

L’autre différence concerne les envois. Les Français devaient, dès la première année,

présenter des copies, en commençant par un “ dessin d’après les peintures des grands maîtres ”

et le dessin d’une “ sculpture de l’antiquité ou de la Renaissance, soit statue, soit bas-relief ”.

Même lorsqu’il s’agissait d’une figure peinte d’après nature, cette figure devait représenter

“ un sujet qui sera emprunté soit à la mythologie, soit à l’histoire ancienne sacrée ou profane ”.

Il est clair que les études à Rome étaient exclusivement liées à la présence sur place des

oeuvres de l’antiquité classique et de la Renaissance.

La deuxième année, le pensionnaire français ne faisait pas de copies, mais exécutait

une composition de son cru. Cependant, il était obligé de présenter dans cette composition des

figures nues, ou en partie drapées, ce qui l’amenait à s’inspirer encore une fois de l’antiquité

classique. La troisième année, il recommençait à copier. Maintenant il s’agissait d’une copie

peinte, et non pas dessinée, soit d’un tableau, soit d’une fresque de grand maître. Il devait

encore, comme obligation de troisième année, présenter une esquisse peinte de la composition

qu’il prétendait réaliser pendant la quatrième année.

Enfin, la dernière année de son séjour à Rome, le pensionnaire français réalisait un

tableau de son cru comportant “ plusieurs figures de grandeur naturelle ”. Mais le sujet était

déterminé d’avance comme étant puisé soit dans la mythologie, soit dans les littératures, soit

dans l’histoire ancienne, sacrée ou profane.

75 - Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 438. Règlement de l’Académie de France à Rome - 1891. (p. 9 à p.11).

76 - Et l’on verra dans l’annexe 1 qu’il est arrivé qu’un pensionnaire soit renvoyé après avoir fait un travail jugé de qualité insuffisante.

71

Si l’on compare ce programme à celui imposé aux pensionnaires brésiliens en Europe,

on peut dire que les Brésiliens jouissaient d’une plus grande liberté que les pensionnaires

français à Rome. Leurs premiers envois n’étaient pas des copies et, après la réforme

républicaine, une seule copie était exigée pendant tout leur séjour.

Mais le plus important à comprendre c’est la différence qu’il y avait entre les objectifs

des Brésiliens lauréats du Prix de Voyage et ceux des Français lauréats du Prix de Rome. En

effet, ces buts n’étaient pas les mêmes, ils étaient même plutôt dissemblables.

En analysant les travaux obligatoires pour les Brésiliens, on s’étonne de les voir

envoyer des études de modèle vivant, des têtes d’expression, des torses. En effet, le séjour en

Europe se présentait ainsi comme une simple continuation des études commencées au Brésil. Il

s’agissait simplement, en ce qui concerne la réalisation picturale, de perfectionner la maîtrise de

la technique et de profiter de la facilité pour trouver des modèles, des ateliers et des matériaux.

Mais le séjour en Europe représentait aussi la possibilité de contempler toutes les

oeuvres des collections des musées européens, d’être en contact avec la peinture

contemporaine à travers les expositions, et d’exposer ses propres oeuvres dans les Salons

parisiens. Tous les pensionnaires brésiliens ont essayé de participer à la vitrine européenne des

arts plastiques et plusieurs ont réussi à le faire. L’effet recherché c’était d’impressionner le

public brésilien, car n’importe quel artiste ayant exposé aux côtés des Français était valorisé au

Brésil.

Dans les deux prochains chapitres on cherchera à comprendre la mentalité des artistes

et des critiques d’art brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle, et à déceler quelle était la

signification qu’ils attribuaient aux Prix de Voyage.

72

3 - Doléances et espoirs des artistes et des critiques brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle

Parmi la production récente des historiens de l’art au Brésil, on remarque l’effort

entamé par quelques auteurs pour étudier l’oeuvre des artistes brésiliens du XIXe siècle d’un

point de vue libéré des idées conçues par les modernistes de 1922. En effet, il faut comprendre

ces artistes comme des individus qui ont interagi avec leur époque. On ne doit pas chercher

dans leurs créations des réponses à des questions qui ne se posaient pas à ce moment-là. Il est

donc utile, pour bien comprendre cette période de l’histoire de l’art brésilien, d’étudier les

écrits des hommes liés aux milieux artistiques d’alors. Quels étaient leurs plaintes, leurs

croyances, leurs désirs, leurs espoirs ? En essayant de connaître leur façon de raisonner sur les

événements du monde de l’art, on évitera d’utiliser une interprétation marquée par des idées

datées d’au moins un demi-siècle plus tard pour analyser leurs choix, leurs goûts et leurs

ambitions artistiques.

La première particularité qui nous frappe lorsqu’on se penche sur les textes écrits à

l’époque, c’est le mécontentement des artistes et des gens liés au milieu artistique. Dans tous

les textes, aussi bien dans les articles de journaux que dans la correspondance privée des

artistes ou dans les documents officiels on entend une plainte continuelle : le manque

d’amateurs susceptibles d’acheter des oeuvres d’art. Ce manque rendait précaire la situation

des artistes. Deux passages tirés de la correspondance d’Eliseu Visconti77 lorsqu’il était

pensionnaire de l’Etat en Europe, peuvent en servir d’exemple.

Le 8 septembre 1895, Visconti reçut une lettre de Rodolpho Bernardelli, directeur de

l’Escola Nacional de Belas Artes, qui lui dit :

Parlons maintenant de l’Exposition Générale. (...) Aujourd’hui et hier, (...) deux beaux jours, les spectateurs ont rempli les salles et le public se montrait satisfait ; mais en ce qui concerne les achats, il n’y en eut que très peu. Cela est-il dû à un manque d’argent ? Non pas, cela vient du manque d’amateurs. Ils sont toujours les mêmes et veulent collectionner des noms, et non pas des tableaux. Enfin, il nous reste les achats de l’Ecole.78

77 - Les lettres citées appartiennent à Tobias Visconti, fils du peintre.78 - “ Passemos a falar-lhe da Exposição [Geral]. (...). Hoje e ontem (...), que os dias estavam

bons, encheu-se a botar fora, e o público mostra-se satisfeito ; quanto a compras, muito pou-cas. Isso dependerá de falta de dinheiro ? Não, isso depende da falta de amadores, os que há são sempre os mesmos e estes querem fazer coleção de nomes, e não de quadros. ”

73

Le public ne faisait pas défaut, l’Exposition Générale attirait un grand nombre de

spectateurs. Mais quant aux acheteurs, ils n’étaient pas nombreux.

Le 24 avril 1896, Rodolpho Bernardelli écrit encore une fois à Visconti :

Oscar [Pereira da Silva] s’en va à Paris le 29. Il ne veut plus rester ici. Il a vendu deux tableaux, il a fait quelques portraits, et il s’en va. Il dit qu’il peut vivre beaucoup mieux là-bas qu’ici [au Brésil]. Pensez à cela ... 79

Oscar Pereira da Silva, peintre lauréat du Prix de Voyage de 1887, avait suivi des

études de perfectionnement à Paris. Après avoir appris à Visconti le désir de Pereira da Silva

de retourner vivre à Paris, Rodolpho Bernardelli lui conseille de penser à cela ! Ce conseil,

venu de la part du directeur même de l’Ecole, est étonnant. En tout cas, il démontre que le

mécontentement des artistes envers le milieu brésilien et que leur désir de vivre en Europe

étaient devenus une tendance générale.

Mais les lamentations ne venaient pas seulement de la part des artistes. Les mêmes

problèmes étaient dénoncés par les critiques dans les journaux. Voici, par exemple, ce que

Gonzaga-Duque écrit en 1887 à propos de l’oeuvre du sculpteur Almeida Reis :

La conception de l’artiste naît du milieu dans lequel il vit. Les luttes contre les nécessités de l’existence, l’indifférentisme tenace d’une société avide de richesses inutiles stupidement gardées, société qui n’a pas encore fait son émancipation morale parce qu’elle vit encore dans un milieu à moitié barbare en ayant comme aspiration exclusive la politique (...), l’ont amené vers un autre courant d’inspiration. (...). Cette statue en plâtre, Le Crime (...), n’est que le produit d’une âme agitée par les désagréments. Après Le Crime (...) est venu Génie et Misère (...). On dirait qu’Almeida Reis a senti la misère, et une telle affirmation n’étonnera personne puisque personne n’ignore les vicissitudes qu’un artiste traverse dans un pays où les profits obtenus dans cette profession sont fréquemment insuffisants à sa subsistance ! 80

Pourtant, la situation semblait s’améliorer à la fin des années 1880. Une augmentation

du nombre d’expositions privées se fit sentir à ce moment-là, ce qui indiquait une amorce

timide du marché de l’art. En juillet 1889, les journalistes annoncèrent avec joie l’inauguration

79 - “ O Oscar [Pereira da Silva] parte para aí no dia 29, não quer saber de ficar aqui. Vendeu dois quadros e fez uns retratos, e lá vai ele contudo [sic] e diz que lá ele pode viver muito melhor do que aqui. Pense no caso e vá preparando pão para o forno ! ”

80 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 247 - 248.“ A concepção do artista nasce do meio em que ele vive e as lutas com as necessidades da existência, o tenaz indiferentismo de uma sociedade ávida de riquezas inúteis avara e

74

d’un nouvel espace d’expositions à Rio de Janeiro. L’Atelier Moderno était le premier espace

conçu comme une vraie galerie d’art à Rio, un espace “ dont la salle peut être une école pour

‘l’éducation de la vue’ ”, d’après la rubrique Belas Artes, de la Revista Ilustrada. Angelo

Agostini, l’auteur de cet article affirmait alors :

Il existe maintenant un espace permanent, avec d’excellentes conditions de localisation et de lumière, où il est possible de réunir le talent et le travail représentés dans les toiles, bustes, statues, etc. Il faut maintenant que les artistes, unis comme un seul homme, viennent donner leur contribution à l’entreprise civilisatrice, en travaillant avec ardeur et en exposant leurs productions de façon à s’imposer au public, au moins comme des utopistes impertinents. Il faut qu’une critique sans fanfreluches, sensée et vraie, indique ce qui est un chef-d’oeuvre, ce qui ne dépasse pas les limites du bon; ce qui est passable et ce qui n’a aucune valeur - afin que le public apprenne à apprécier et à distinguer. Il faut que ce bon public, tellement diffamé, encourage les efforts des artistes consciencieux et de la critique sensée, en applaudissant leur mérite et - par Dieu! - en achetant des tableaux, convaincu qu’en agissant de la sorte il est plus digne d’une patrie libre que lorsqu’il détrempe son intelligence en combinaisons - presque toujours ratées - de courses de chevaux et... loteries. Il nous manque encore beaucoup, mais heureusement qu’il ne nous manque pas tout.81

estupidamente guardadas, sociedade que ainda não fez a sua emancipação moral porque ain-da vive em meio-barbarismo tendo por exclusiva aspiração a política (...), levaram-no para outra corrente de inspiração. (...) essa estátua em gesso, o Crime, tão elogiada pelos periódi-cos americanos, em 1876, não é mais que o produto de uma alma agitada pelos dissabores. Depois do Crime (...) veio o ‘Gênio e Miséria’ (...). Dir-se-á (...) que Almeida Reis a sentiu [ a miséria], e tal afirmação não faz pasmar a ninguém já que ninguém ignora as vicissitudes pelas quais passa um artista em país onde os lucros obtidos pela profissão muitas vezes são minguados para a própria subsistência ! ”

81 - XISTO GRAPHITE (Angelo Agostini). Revista Ilustrada, colonne “ Belas Artes ”, 20 -7-89. [Cité par PRADO, p.88]“ Há agora um ponto permanente, com excelentes condições de localidade e de luz, onde se podem reunir o talento e o trabalho, representados em telas, bustos, estátuas, etc. Resta que os artistas, unindo-se como um só homem, metam ombros à civilizadora empresa, trabalhan-do com afinco, e expondo as suas produções de modo a se imporem ao público, ainda que não seja senão como utopistas impertinentes. Resta que uma crítica sem fanfreluches, sensa-ta e verdadeira, aponte o que é a obra prima, o que não ultrapassa os limites do bom ; o que é sofrível e o que não presta - a fim de que o público saiba apreciar e distinguir. Resta que este bom público, tão caluniado, secunde e ultime os esforços dos artistas conscienciosos e da crítica sensata, aplaudindo-lhes o mérito e - por Deus ! - comprando quadros, convencido de que assim procedendo, é mais digno de uma pátria livre do que andando a delir a inteli-gência em combinações - quase sempre frustradas - de corridas de cavalos... e loterias. Res-ta, pois, muita coisa ; mas ainda bem que não resta tudo. ”

75

On remarque à la fin de l’article la demande, presque une supplique adressée au

public pour qu’il achète des oeuvres d’art. Même lorsqu’il s’agissait de se réjouir au sujet

d’une amélioration, la plainte se renouvelait.

Si l’on se penche sur des textes plus anciens, datés des années 1850, on voit que cette

plainte existait déjà. Pendant longtemps, les artistes n’eurent qu’un choix : se faire portraitistes.

Pour répondre aux difficultés, ils s’appliquaient au genre du portrait, genre le plus demandé par

les riches brésiliens. En 1856, Victor Meirelles, lauréat du Prix de Voyage et pensionnaire en

Europe, reçut d'Araújo Porto-Alegre, Directeur de l’Académie, le conseil suivant :

Comme celui qui pense aux choses pratiques, (...) je vous conseille instamment d’étudier le genre du portrait, parce que c’est ce dont vous obtiendrez les ressources vous permettant de vivre ; notre patrie n’est pas encore ouverte à la grande peinture. L’artiste ici doit être double : peindre pour soi-même, pour la gloire, et être portraitiste, parce qu’il a besoin de vivre.82

Araújo Porto-Alegre, qui envoyait les pensionnaires de l’Academia Imperial se

perfectionner dans les techniques et sujets du néoclassicisme en France et en Italie, conseillait

Victor Meirelles à faire des portraits afin de survivre ! On remarque un décalage entre les

intentions de l’Académie qui formait les artistes brésiliens, et la réalité sociale que ces mêmes

artistes retrouvaient à la fin des années de préparation et spécialisation.

Pour proposer des solutions à ce décalage et à la situation précaire des artistes

brésiliens, Araújo Porto-Alegre avait écrit deux mémoires à la demande de l’empereur Dom

Pedro II, en 1853.83 Le premier consista dans un ensemble de notes à propos de l’organisation

de

l’Academia Imperial de Belas Artes. L’autre a eu comme titre Notes sur les moyens pratiques

de développer le goût et le besoin des beaux-arts à Rio de Janeiro. Il est intéressant

d’examiner ce dernier mémoire en suivant le raisonnement de Porto-Alegre qui approfondit ses

82 - Cité par DURAND, p.37.“ Como homem prático, e como particular, recomendo-lhe muito o estudo do retrato, por-que é dele que há de tirar o maior fruto de sua vida : a nossa pátria ainda não está para a grande pintura. O artista aqui deve ser uma dualidade : pintar para si, para a glória, e retratis-ta, para o homem que precisa de meios. ”

83 - On a déjà mentionné, dans le chapitre 2.1 - Les Concours, que Porto-Alegre avait été professeur de l’Académie et, après avoir démissionné de son poste, publia quelques articles critiques dans la presse. Les textes cités ici datent de cette période. Plus tard Porto-Alegre fut réintégré dans l’Académie comme directeur.

76

réflexions sur les difficultés affrontées par les artistes brésiliens et qui exprime son point de vue

sur la situation. Il introduit son sujet par une phrase à effet :

Le plus grand talent, une âme comme celle de Léonard de Vinci ou de Michel-Ange, ne pourrait rien faire au Brésil, car les beaux-arts ne font pas encore partie de notre vie sociale.84

Porto-Alegre affirmait ainsi que les problèmes rencontrés par les artistes n’étaient pas

causés par un éventuel manque de talent. Au contraire, la responsabilité ne revenant pas aux

artistes, ceux-là étaient les victimes de l’inexistence d’un milieu propice au développement des

arts :

(...); on n’a pas encore cet amour du beau qui distingue les races qui ont pris le devant de la civilisation moderne.85

Il ajoute ici une comparaison entre le Brésil et les pays “ qui ont pris le devant de la

civilisation moderne ”. On retrouve souvent ce type de comparaison dans la littérature

brésilienne de la période. Ensuite, Porto-Alegre trace un résumé historique pour expliquer la

situation :

(...) Le gouvernement de Sire Dom Pedro I fut celui d’une période critique qui commença avec une révolution et finit avec une autre : dans toutes ses créations, on remarque le caractère du provisoire : la confiance publique n’avait pas de racines dans le futur. (...).

84 - PORTO-ALEGRE, Manuel de Araújo. “ Apontamentos sobre os meios práticos de desen-volver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro, feitos por ordem de Sua Majestade Imperial o Senhor Dom Pedro II Imperador do Brasil ”. Rio de Janeiro, 1853. Re-vista Crítica de Arte n.4, décembre 1981, p. 30.

“ O maior engenho, uma destas almas como a de Leonardo da Vinci, ou de Miguel Ân-gelo, nada faria no Brasil, porque as belas artes ainda não fazem parte da nossa vida so-cial... ”

85 - PORTO-ALEGRE, idem.“ ... ainda não temos esse amor do belo, que tanto distingue as raças que tomaram a di-anteira da civilização moderna. ”

77

À partir de 1841 l’esprit public commença à se tourner un petit peu vers le beau, mais pour l’instant rien de positif et de durable n’a été fait : l’esprit du provisoire plane toujours sur l’atmosphère sociale.

Le Chef de la nation n’a pas de palais, et le Gouvernement, les tribunaux, et les écoles d’enseignement spécialisé sont des locataires qui changent souvent de domicile. Cet état provisoire doit être combattu, parce qu’il inspire à la morale du citoyen la conviction de l’inexistence d’une stabilité.

Dans tout ce qui est provisoire,(...), le futur est toujours sacrifié en faveur du passé, l’immobilité et la routine triomphent, et on assiste à une déchéance.86

Après avoir épargné Dom Pedro II de ses critiques (1841 correspond à la première

année du règne de Pedro II87), Porto-Alegre condamne l’esprit du provisoire. Selon lui, le

caractère provisoire de toutes les entreprises gouvernementales était responsable de la situation

précaire des arts dans le pays. Il continue ensuite, en faisant des éloges à l’Empereur et en

critiquant les Brésiliens :

L’Academia das Belas Artes existe parce que Notre Majesté lui offre sa protection, car je connais l’esprit d’un grand nombre de nos notables politiques et l’espèce de gloire qu’ils désirent le plus.88

Finalement, il présente ses propositions pour l’amélioration de la situation :

86 - PORTO-ALEGRE. Idem, p. 31.“ O Governo do Senhor Dom Pedro I não foi mais que o de uma época crítica, que co-meçou por uma revolução e acabou por outra : em todas as suas criações houve o cará-ter do provisório : a confiança pública não tinha raízes no futuro. (...). De 1841 para cá é que o espírito público começa a volver-se um pouco para este lado do belo, mas nada se há feito ainda de positivo e de durável : o espírito do provisório ainda paira sobre a nossa atmosfera social. / O Chefe da nação não tem um palácio, e o Governo, os tribu-nais, e as escolas do alto ensino, são inquilinos, que mudam de domicílio continuamen-te. Este estado provisório deve ser combatido, porque infunde no moral do cidadão a convicção de que não há estabilidade. / Em todo o provisório, (...), há sempre um sacri-fício do futuro ao passado, o triunfo da imobilidade e da rotina, e o cunho de uma de-cadência. ”

87 - Pedro II assuma le trône à l’âge de quatorze ans en juillet 1840.88 - PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.

“ A Academia das Belas Artes existe porque Nossa Majestade a tem amparado, pois conheço o espírito de uma boa parte das nossas sumidades políticas e a espécie de gló-ria a que mais aspiram. ”

78

Maintenant, avec le mouvement matériel et intellectuel de l’actualité, et avec la direction que le Gouvernement peut leur donner, les arts feront des progrès.

Pour que les arts commencent à avoir une vie régulière et s’épanouissent petit à petit, pour qu’ils diffusent leur influence bienfaisante dans la morale publique et dans l’industrie, il faut que la famille artistique possède un point d’appui constant dans le pays, et ce point d’appui est le Gouvernement : l’artiste est tout à fait cet homme des Ecritures, qui ne vit pas seulement du pain.

Dans un pays comme le nôtre, où il n’y a que Votre Majesté qui achète des tableaux et des statues, sans avoir pour cela une dotation, et où les bureaux de l’Etat, les Tribunaux et les résidences des grands sont tapissés de papiers peints, les arts ne peuvent pas se développer : il faut qu’ils soient stimulés du haut vers le bas, du Gouvernement vers le peuple.89

Par la suite Porto-Alegre proposait la création d’une Pinacothèque et d’une

Nécropole. Selon son idée, les meilleures oeuvres des meilleurs artistes seraient acquises par

l’Etat pour enrichir la collection de la Pinacothèque qui servirait aussi de complément à

l’enseignement procuré par l’Académie des Beaux-Arts. La Nécropole serait l’occasion pour

les peintres et les sculpteurs d’être engagés dans la réalisation des monuments funéraires. Le

gouvernement pouvait créer ainsi des moyens d’existence pour les artistes. Pour renforcer son

raisonnement, Porto-Alegre signale la différence entre la situation des artistes qui se

dévouaient à l’exécution de portraits et celle des artistes qui ne trouvaient pas d’acheteurs

intéressés à leurs oeuvres parmi les particuliers :

Les portraitistes n’ont pas besoin de cet encouragement, puisque leur art favorise les besoins de la famille, l’égotisme, la vanité personnelle ; mais les

89 - PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.“ Com o movimento material e intelectual da atualidade, e com a direção que lhes pode dar o Governo, as artes farão algum progresso. (...). Para que as artes comecem a ter uma vida regular e floresçam pouco a pouco, para que elas espalhem o seu benigno in-suflo na moral pública, e na indústria, é necessário que a família artística tenha um pon-to de constante apoio no país, e este ponto é o Governo : o artista é precisamente aquele homem da Escritura, que não vive só de pão. (...). Num país como o nosso, onde Vossa Majestade somente compra painéis e estátuas, sem para isto ter uma dota-ção, e onde as Secretarias de Estado, os Tribunais e as casas dos grandes se forram de papéis pintados, as artes não podem vigorar : a sua direção deve ser outra, e marchar do alto para baixo, do Governo para o povo. ”

79

architectes, les sculpteurs et les peintres d’histoire ne se trouvent pas dans la même situation.90

En somme, d’après la lecture du texte de Porto-Alegre, on observe qu’il ne comptait

pas sur les particuliers et sur la société brésilienne dans son ensemble pour appuyer les arts. Il

considérait que toute la responsabilité revenait au gouvernement, et c’est de l’Etat qu’il

attendait un appui efficace.

Le mécontentement envers les particuliers qui se montraient indifférents ou même

dédaigneux vis-à-vis des beaux-arts, exprimé constamment pendant toute cette période,

apparaît encore une fois dans un texte postérieur de quelques années, mais la solution proposée

n’est pas la même. En 1856, l’architecte Bethencourt da Silva affirmait que le gouvernement

aurait beau faire des efforts, ces efforts n’auraient aucune valeur s’ils n’étaient pas

accompagnés d’un changement de mentalité général par rapport aux beaux-arts :

L’Academia das Belas Artes qui, comme tout le monde le sait, comptait parmi ses membres des artistes éminents et insignes, comme M. Grandjean de Montigny, voyait tous ses efforts et désirs inutilisés devant l’ignorance d’une population qui ne voulait pas recevoir le moindre fruit du travail artistique, ni considérer comme essentiellement digne de respect la profession des arts. Sous l’emprise de ces difficultés, le découragement a fait son chemin, et l’Académie fut amenée à un plan incliné, d’où seule l’éducation du peuple pourra la faire sortir. Il est vrai que le gouvernement impérial s’est dévoué dernièrement à la réformer, à lui donner de l’importance dans le pays ; mais que peut faire une volonté unique contre la volonté d’une multitude qui ne connaît pas les avantages que lui sont offertes ?... - Peu ou presque rien. 91

90 - PORTO-ALEGRE. Idem, p. 32.“ Os retratistas não carecem de tamanha animação, porque a sua arte favorece as ne-cessidades da família, o egoísmo, e a vaidade pessoal ; mas os arquitetos e pintores his-tóricos não estão assim. ”

91 - Bethencourt da Silva, “ Discours prononcé le 28 Novembre 1856 pendant la seconde séance préparatoire de la Société Propagatrice des Beaux-Arts de Rio de Janeiro ”. In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p.13.

“ A Academia das Bellas-Artes que, como se sabe, possuía em seu grêmio artistas emi-nentes e insignes, como o Sr. Grandjean de Montigny, via todos os seus esforços e de-sejos inutilizados ante as crenças de uma população que não queria receber o menor fruto do trabalho artístico, nem considerar essencialmente digna de respeito a profissão das artes. / Sob tais princípios o desânimo lavrou, e a Academia foi levada a um plano inclinado, donde só a educação do povo a poderá fazer sair. / É verdade que o governo imperial tem cuidado ultimamente em reformá-la, em dar-lhe influência no país; mas o que pode uma vontade única, contra a vontade de uma multidão que não conhece as vantagens que se lhe oferece?... - Pouco ou quase nada. ”

80

Ce texte faisait partie de la première revue de la Société propagatrice des Beaux-Arts

de Rio de Janeiro qui prônait la création d’un Lycée des arts et métiers qui viendrait remédier

au manque d’intérêt des Brésiliens envers les beaux-arts. Bethencourt da Silva92 fut le

promoteur de la création de la Société propagatrice des Beaux-Arts et le fondateur du Lycée

créé en 1857.

Continuons à examiner d’autres articles publiés dans “ O Brazil Artístico ”, la revue

citée ci-dessus. On y trouve des passages bien plus virulents contre le désintérêt de la société.

Jacy Monteiro93, par exemple, écrit:

Quand une nation oublie ou méprise sa propre individualité ;(...) ; quand elle remplace complètement le besoin des études ‘libérales’ par le mot ‘utilité’ et considère les lettres et les arts comme des futiles occupations, cela signifie que cette nation fut contaminée par un principe morbide, qui va la consommer plus ou moins rapidement; (...). Voilà l’idée qui nous vient à l’esprit quand nous contemplons le spectacle de notre société, le mépris qu’elle porte envers les belles lettres et les beaux-arts. (...). 94

Dans un style dramatique, Monteiro prophétise un futur ténébreux pour la nation

‘contaminée par un principe morbide’, et se plaint ainsi de la situation précaire des arts dans le

milieu brésilien. Ensuite il cherche les causes historiques des problèmes rencontrés :

92 - Francisco Joaquim Bethencourt da Silva (Rio de Janeiro, 1831 - id., 1911). Dès 1845, il fut élève de Grandjean de Montigny dans l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Plus tard il fut architecte des Travaux Publics et professeur d’architecture de l’Académie. Ce fut Bethencourt qui eut l’idée de créer le Lycée des Arts et Métiers de Rio de Janeiro.

93 - Docteur en Médecine, il fut l’un des fondateurs de la Société Propagatrice des Beaux-Arts de Rio de Janeiro.

94 - MONTEIRO, Jacy. In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p. 3.“ Quando uma nação olvida ou menospreza a sua própria individualidade ; (...) ; quando substitui completamente a palavra utilidade pela necessidade dos estudos liberais e considera fúteis ocupações as letras e as artes, é que essa nação se acha contaminada de um princípio mórbido, que a consumirá mais ou menos rapidamente ; (...). É essa a idéia que em nós faz nascer o espetáculo da nossa sociedade, o desdém que aqui vemos pelas belas letras e ar-tes. ”

81

Toutefois, il est possible d’expliquer ce fait - Originaire d’une nation pour laquelle les guerres de la conquête avaient presque remplacé les combats de l’intelligence et de la culture des arts ; éduqué par cette nation auparavant glorieuse et vaillante, mais que la richesse des colonies et l’influence étrangère avaient affaiblie,(...); assujetti par la métropole qui rendait difficile le développement et la diffusion des idées, craintive des résultats que cela pourrait produire, et en regardant moins vers le futur de cette terre que vers les fruits qu’elle pourrait lui procurer : notre peuple, dès qu’il a senti le sein affranchi du joug, crut que pour jouir de la liberté en toute sa plénitude il était suffisant de se reposer à l’ombre du peu que lui avait été laissé et, s’allongeant dans les bras de la servitude, que comme un cancer lui avait été jeté dans le sein, s’adonna à l’oisiveté, dans la négligence de tout avancement.95

La cause de tous les maux brésiliens, selon Jacy Monteiro, se trouvait donc dans le

passé colonial. La nation portugaise était accusée, en premier lieu, d’avoir empêché tout

développement intellectuel parmi les Brésiliens ; et ensuite, après l’indépendance politique du

Brésil, de lui avoir légué un héritage de mépris de tout progrès et de tout effort, l’héritage de

l’esclavagisme.

Jacy Monteiro critique ensuite le peuple brésilien. Il l’accuse de négliger

l’avancement spirituel et culturel de la nation, en s’adonnant seulement aux occupations du

commerce, de l’administration publique et de la politique. Reprenons ses propres mots :

Il [le peuple brésilien] considéra la richesse comme le point cardinal de la civilisation et du bonheur, et pensa qu’il suffisait, pour l’obtenir et agrandir le pays, de s’adonner à ce trafic que l’on a appelé commerce, ou, amant de l’inertie, il choisit de se dévouer aux postes publics de la nation ; et dépouillé de tout sentiment de gloire, au lieu de s’adonner à la culture de l’esprit et à la purification des moeurs, il préféra passer son temps à se jeter rapide dans ces disputes, pour la plupart personnelles et odieuses, lesquelles on a voulu appeler politique. Ce peuple que la Providence, avec prodigalité, avait doté du suffisant, n’a pas voulu les avantages que lui apporterait le culte de son penchant vers le beau et le grand, uni aux autres

95 - MONTEIRO, Jacy. Idem, p.3.“ Todavia uma explicação se pode talvez dar a este fato. - Oriundo pela mór parte de uma nação para a qual as guerras da conquista haviam quase substituído os combates da inteligên-cia e a cultura das artes ; educado por essa nação, d’antes gloriosa e valente, mas que a ri-queza das colônias e a influência estrangeira haviam afrouxado, (...); sopeado na desenvolu-ção e esparzimento das idéias pela metrópole, receosa de alguns resultados que isso poderia ter, e olhando menos para o futuro desta terra do que para os frutos que dela poderia co-lher : o nosso povo, ao sentir o colo despido do jugo, achou que era gozar da liberdade em toda a sua plenitude o descansar à sombra do pouco que lhe tinham deixado, e, reclinando-se nos braços da servidão, que como um cancro lhe haviam lançado no seio, deixar-se ficar no ócio, na negligência de todo adiantamento. ”

82

dons de la nature ; il préféra la médiocrité riche aux inventions utiles ou belles, et c’est pourquoi il a voulu imiter, même quand celles-ci ne lui étaient pas utiles, les découvertes (...) que le travail et l’ingéniosité produisent dans les autres nations, plus avides de gloire. Et ainsi resta-t-il pendant longtemps immobile et stationnaire, comme s’il était né avec tous les vices d’une race décadente.96

On remarque que le dénigrement du peuple brésilien comme un peuple négligent et

paresseux allait de pair avec l’éloge de peuples plus cultivés, plus laborieux, plus ‘avides de

gloire’. Jacy Monteiro critique les Brésiliens parce qu’ils imitent les inventions faites ailleurs,

des inventions pas toujours utiles en milieu brésilien. Selon lui, il ne fallait pas imiter les

produits finis, mais le dévouement au travail qui apporte des nouvelles découvertes. Les

peuples étrangers étaient montrés comme un exemple de ce dévouement.

En lisant d’autres auteurs on trouve plusieurs fois la comparaison entre le Brésil et les

nations plus développées, et celles-ci sont présentées souvent comme des modèles à suivre.

Revenons à Bethencourt da Silva, par exemple. Lorsqu’il exprime la possibilité d’un

changement dans la mentalité des Brésiliens, il affirme :

Le développement de l’instruction publique, la multiplication des connaissances utiles qui nous arrivent des nations plus développées, les voyages qu’une grande partie de notre jeunesse fait en Europe, tout cela a pour résultat de faire connaître que les arts sont le foyer principal d’où émane la richesse publique et nationale, et que les pays qui ne les cultivent pas, qui n’ont pas réservé une place d’honneur à ceux qui en font profession avec distinction, ne peuvent pas influencer les nations cultivées.97

96 - MONTEIRO, Jacy. Idem.“ Reputou a riqueza como ponto cardeal da civilização e da felicidade, e cuidou que era bas-tante, para obtê-la e engrandecer o país, entregar-se àquele tráfego e labutar que se disse co-mércio, ou, amante da inércia, aos empregos da nação ; e preferiu no entanto, para passatem-po, esbulhando-se de todo o sentimento de glória, atirar-se precipite n’aquelas disputas, o mais das vezes pessoais e odiosas, a que quiseram chamar política, antes de dar-se à cultura do espírito e à purificação dos costumes. Este povo, que a Providência tão prodigamente do-tara com o suficiente, não quis o muito que traria o cultivo da sua aptidão para o belo e o grande, unida aos outros dons da natureza ; avaliou em mais a rica mediocridade do que as invenções úteis ou belas, e por isso procurou imitar, ainda quando não lhe servissem, as des-cobertas (...) que o trabalho e o engenho tem produzido nas outras nações mais ávidas de glória. E assim ficou por muito tempo quedo e estacionário, como tendo nascido com todos os vícios de uma raça decadente. ”

97 - BETHENCOURT DA SILVA. In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p.13.

83

On voit que Bethencourt considérait le contact des jeunes brésiliens avec les sociétés

européennes comme l’un des facteurs qui pouvaient les amener à comprendre l’importance des

arts.

Encore dans cette perspective de comparaison entre le Brésil et les nations

européennes, il est intéressant de citer un autre texte de Jacy Monteiro. Il raconte d’une

manière touchante son expérience de Brésilien en Europe :

Messieurs - Il fait déjà longtemps que je me suis éloigné de cette patrie, ma patrie que j’aime tellement... Pendant cette absence qui m’a semblé si longue, je n’ai jamais oublié ce beau pays, pas même un jour ; au milieu de mes études et de mes pèlerinages à travers les pays étrangers, au milieu des merveilles de l’art et de l’industrie qui partout m’entouraient, le désir de revoir ce soleil splendide, ces fleurs riches de couleurs et de parfums, la vigueur éternelle de cette nature, ne m’a jamais abandonné.

Mais pour quelle raison une pensée amère se mêlait à cette nostalgie infinie ? Pourquoi un soupir involontaire de chagrin venait troubler l’enchantement de mon esprit ? Pourquoi cela me faisait du mal de contempler les preuves monumentales de l’amour du beau et de la gloire que je trouvais à chaque pas ?

C’est parce que cela me faisait penser au retard dans lequel se trouvent les lettres et les arts parmi nous, et je me rappelais du peu d’estime qu’en général ils reçoivent de nos compatriotes, comme s’il s’agissait d’une grande faveur que de s’y intéresser.

(...)

C’est parce que, alors que partout je voyais, j’entendais ou je lisais des témoignages de la vie, du développement, du goût des autres peuples ; quand il s’agissait du Brésil, au contraire, lorsque le silence était rompu c’était pour faire connaître notre pays sous les couleurs les moins favorables; c’était pour s’en moquer comme d’une caste de sauvages ; et pas un indice, souvent pas un mot d’un compatriote pour réfuter l’idée plus ou moins bien fondée de notre retard, pour défaire l’ignorance grossière qui règne au sujet des choses qui sont les nôtres!...

Et finalement il ne m’était permis de parler que de notre prodigieuse et luxuriante nature; et je ne pouvais me rappeler, en regardant tous ces objets remarquables, un seul monument durable qui signalerait un fait distingué de notre histoire, qui représenterait le nom glorieux de l’un de nos ancêtres : et cependant j’étais conscient que la fièvre de l’or, déguisée sous le nom

“ O desenvolvimento da instrução pública, a multiplicação dos conhecimentos úteis que das nações mais adiantadas nos têm vindo, as viagens que uma grande parte da nossa mocidade tem empreendido pela Europa, têm feito conhecer que as artes são o foco principal donde di-mana a riqueza pública e nacional, e que os países que as não cultivam, que não têm reserva-do um lugar de honra para aqueles que as professam com distinção, não podem ter influência entre as nações cultas. ”

84

pompeux d’améliorations matérielles, s’était emparée de toutes les classes de la société, déjà pleine de préjugés et d’opinions limitées, entraînant les fortunes et opprimant les lettres et les arts, qui étaient chaque fois plus offusqués et gisaient comme des morts. 98

On peut prendre ce passage comme un exemple du sentiment éprouvé par les

Brésiliens de cette époque face au décalage entre la réalité vécue en Europe et celle de leur

propre

98 - MONTEIRO, Jacy. “ DISCURSO ” In : O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de Janeiro, n.1, 1857, p.21.“ Senhores. - Muito tempo vai decorrido desde que parti desta minha pátria que tanto prezo... Nunca, enquanto durou a minha ausência que tão longa me pareceu, nunca deste belo torrão me esqueci um só dia; no meio dos meus estudos e das minhas peregrinações em países estranhos, no meio das maravilhas da arte e da indústria que por toda a parte se me antolhavam, o desejo de rever este sol esplêndido, estas flores ricas de matizes e de perfu-mes, o viço eterno desta natureza, nunca um instante me abandonou. / Mas porque vinha um pensamento amargo entremear-se a essa saudade infinda? porque vinha um suspiro involun-tário de mágoa turbar o enlevo do meu espírito? porque me doía ao contemplar as provas monumentais do amor do belo e da glória que a cada passo me ocorriam aos olhos? / É por-que trazia à memória o atraso em que conhecia as letras e as artes entre nós, e a pouca esti-ma que em geral se lhes outorga com todas as dificuldades de um grande favor. (...). É por-que, enquanto por toda a parte divisava, ouvia ou lia testemunhos da vida, do adiantamento, do gosto de outros povos; ao contrário, a respeito do Brasil, quando o silêncio se rompia, era para fazê-lo conhecer sob pouco favoráveis cores; era para mofar dele, como de uma casta de selvagens: e nem-um indício, nem muitas vezes a palavra de um compatriota que pu-desse rebater a idéia mais ou menos bem fundada de nosso atrasamento, desvanecer a gros-seira ignorância que por aí reina acerca das nossas cousas!... / É porque, finalmente, não me era lícito falar senão da nossa prodigiosa e luxuriante natureza; e não podia memorar, à vista de tantos objetos notáveis, um só monumento duradouro que assinalasse algum caso estre-mado da nossa história, que sugerisse o nome glorioso de algum de nossos antepassados: e no entanto tinha notícia de que a febre do ouro, acobertando-se com o título especioso de melhoramentos materiais, se apoderava de todas as classes da sociedade, já tão eivada de preconceitos e opiniões limitadas, arrastando as fortunas e oprimindo as letras e as artes, que se ofuscavam cada vez mais e jaziam como mortas. ”

85

pays. Beaucoup de Brésiliens, en comparant leur patrie aux pays européens,

avouaient que le Brésil avait encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre le même

niveau de ‘civilisation’ que l’Europe. La plainte générale concernait le retard de cette nation, et

l’héritage de la colonisation portugaise était considéré comme responsable de ce retard. Par

conséquent, les contributions de la Mission française étaient ressenties presque comme une

rédemption, ou comme la libération face à une destinée malheureuse. Voici ce qui a écrit

Gonzaga-Duque à ce propos :

La colonie d’artistes français qui arriva à Rio en 1816 vint démarquer une nouvelle époque pour l’art brésilien. Jusqu’alors l’éducation de nos artistes dépendait de leurs propres efforts, et heureux furent ceux qui réussirent à se transporter en Métropole pour cultiver leur art préféré. L’ouverture de l’Académie (1826) est ainsi l’annonce d’une phase d’épanouissement.99

Cette affirmation date de 1888 et valorise l’arrivé de la Mission française.

Cependant, dans son livre A Arte Brasileira, Gonzaga-Duque esquisse une critique à propos

de l’intervention française dans l’art brésilien. Il affirme que la Mission a interrompu l’amorce

du développement d’un art légitimement brésilien :

La colonie Le Breton a concouru, de façon involontaire, à retirer de notre art le caractère natif et son originalité.100

Mais les historiens et critiques du XIXe siècle ne partageaient pas son point de vue.

Tous les auteurs de la période avaient une conception très positive du rôle de la Mission

française et de son héritière, l’Academia Imperial de Belas Artes. Ils considéraient l’arrivée

des artistes français comme l’événement qui donna l’impulsion au développement de l’art

brésilien.

À ce moment-là, la plupart des intellectuels brésiliens ne comprenaient pas la valeur

de l’art de la période coloniale qui avait précédé l’arrivée des français. Ils ne voyaient que de

99 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.90.“ A colônia de artistas franceses, que chegou ao Rio de Janeiro em 1816, veio demarcar uma nova época para a arte brasileira. Até então a educação dos nossos artistas dependia dos seus próprios esforços, e felizes foram aqueles que conseguiram transportar-se ao reino para o cultivo da arte predileta. A abertura da Academia (1826) é pois o prenúncio de uma fase de florescimento. ”

100 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.257.“ A colônia Lebreton concorreu, involuntariamente, para retirar da nossa arte a feição nativa e a originalidade. ”

86

l’ignorance et du mauvais goût dans les oeuvres du baroque d’origine portugaise.

Cela peut s’expliquer par le rejet d’un art qui était lié au passé de dépendance coloniale qu’ils

voulaient oublier, ou par le besoin de refuser le legs de l’élément portugais qui était encore vu

comme le spoliateur des richesses brésiliennes.

La conception selon laquelle la contribution des artistes français a été l’élément qui a

rendu possible l’évolution de l’art brésilien, ou même, de façon plus radicale, la naissance de

cet art, a subsisté pendant longtemps. Jusqu’à la première décennie du XXe siècle, on retrouve

des textes où s’exprime cette idée. Laudelino Freire, par exemple, dans un ouvrage de 1914

affirme que :

L’histoire de la peinture au Brésil (...) date précisément de 1816, année où arrivent à Rio les artistes français, engagés par le Marquis de Marialva, à la demande du Comte da Barca. Les français avaient pour tâche d’instituer l’enseignement artistique au Brésil. Avant cet événement, qui signale le début de la formation de l'art national, tout ce que l’on possédait (...) ne pouvait être considéré que comme des manifestations étrangères d’une longue phase antérieure, au cours de laquelle les premiers germes de la peinture ont été lancés par des artistes étrangers qui, suite à des circonstances diverses, ont foulé la terre brésilienne.101

Le même auteur, dans un discours prononcé en 1917 à Rio de Janeiro à propos de la

peinture au Brésil affirma que rien de bon ne pouvait sortir d’un mélange de Portugais, Indiens

et Noirs, en ce qui concerne les arts. Il finit par conclure que l’art brésilien se forma à partir de

l’apport des français venus avec la Mission artistique engagée par Dom João VI :

Le Brésil, dans le troisième siècle de sa civilisation, ne pouvait pas encore voir l’essor d’un art supérieur. Dans le sein d’une société formée par un ensemble de mauvais éléments et exploitée par la cupidité, la cruauté, l’intrigue, et la férocité de l’époque, l’existence de grands artistes serait

101 - FREIRE, Laudelino. Galeria Histórica dos Pintores no Brasil. Fascículo 1, Oficinas Grá-ficas da Liga Marítima Brasileira, Rio de Janeiro, 1914. (p.7)

“ A história da pintura no Brasil (...) data precisamente de 1816, ano em que aportaram ao Rio os artistas franceses, contratados pelo Marquês de Marialva, por incumbência do Conde da Barca, para aqui instituírem o ensino artístico. Antes desse acontecimen-to, que assinala o início da formação da arte nacional, tudo o que até então possuíamos (...) não podia ser considerado senão como manifestações forasteiras de uma longa fase precursora, na qual ficaram lançados os primeiros germes da pintura por artistas estran-geiros que, por circunstâncias diversas, chegaram a pisar terras brasileiras. ”

87

inadmissible. L’art qui avait surgi alors ne pouvait manquer d’être timide, inférieur, faible d’inspiration. Il était surtout le produit de la foi religieuse qui lui avait déterminé et tracé le cercle des inspirations.

La Cour de D. João VI a rencontré ici ce groupe réduit de peintres médiocres, tournés vers les sujets de l’art sacré, ou vers le portrait et la décoration.

(...)

En engageant des artistes français qualifiés, D. João VI a rendu un inoubliable service à notre culture.102

Aujourd’hui ces affirmations sont ressenties comme des absurdités. L’une des

grandes contributions du modernisme brésilien fut celle de faire comprendre la richesse de l’art

baroque et de valoriser la différence brésilienne par rapport à l’art européen. Il faut reprendre

ce texte de Laudelino Freire pour se rendre compte de la manière par laquelle les Brésiliens du

XIXe siècle comprenaient l’art de leur pays.

Avant d’achever ce chapitre, faisons une récapitulation des idées exposées jusqu’ici,

de façon à préciser quelles furent les plaintes les plus fréquentes et les espoirs exprimés par les

artistes et les critiques brésiliens de la période étudiée. Pour ce qui est des doléances, on a vu

que :

1 - Pendant toute la période, la plainte la plus fréquente fut celle concernant le manque d’amateurs d’art prêts à acheter la production des artistes. Le milieu brésilien fut vivement critiqué comme inadapté et défavorable au développement des beaux-arts. Cette lamentation se trouve exprimée aussi

102 - FREIRE, Laudelino. A Pintura no Brasil, discurso de recepção no Instituto Histórico. Imprensa Nacional, Rio de Janeiro, 1917, pp. 64 - 66.

“ As condições mesológicas do Brasil, no terceiro século da sua civilização, ainda não permitiam o surto de uma arte superior. No seio da sociedade em que eles viviam, for-mada por um conjunto de elementos ruins e explorada pela ganância, crueldade, intriga e fereza da época, seria inadmissível a existência de grandes artistas. A arte que então irrompera não podia deixar de ser acanhada, inferior, balda de inspiração. Era principal-mente o produto da fé religiosa, que lhe determinara e traçara o círculo das inspirações. / Fora aquele reduzido grupo de medíocres pintores sacros, retratistas e decoradores que aqui viera encontrar a corte de D. João VI. / O rei, querendo aproveitar a capacida-de de artistas franceses que, como ele, foragidos, vieram buscar asilo às nossas plagas, e que lhe buscaram a sua real e graciosa proteção para serem empregados no ensino das artes, criou, por decreto de 12 de agosto de 1816, a primeira escola de instrução artística no Brasil. / Houve por bem mandar que se lhes pagassem pensões (...), deter-minando-lhes firmassem contrato pelo tempo de seis anos, o que posteriormente foi fei-to. (...). / Com o aproveitar-lhes as habilitações, prestou D. João VI inolvidável serviço à nossa cultura. ”

88

bien dans la correspondance des artistes que dans les articles des critiques publiés dans les journaux contemporains.

Pour expliquer l’inadéquation aux beaux-arts dont faisait preuve le milieu brésilien,

les divers auteurs ont indiqué, comme causes du problème :

1 - L’esprit du provisoire présent dans tous les projets du Gouvernement. (Araújo Porto-Alegre, 1853).

2 - L’héritage de la colonisation portugaise. Le passé colonial de la nation brésilienne aurait empêché le désir de développement intellectuel et de progrès, en entraînant le mépris des arts. (Jacy Monteiro, 1856).

Quant à la solution à ce problème fondamental, deux chemins parallèles furent

proposés :

1 - Dans les propositions d’Araújo Porto-Alegre (1853) on observa que la solution attendue devait venir des instances gouvernementales, dans le sens d’une suppléance au manque d’acheteurs par l’Etat, bienfaiteur des artistes ;

2 - Sous l’orientation de Bethencourt da Silva (1856), les fondateurs du Lycée des arts et métiers de Rio de Janeiro avaient l’espoir de résoudre le problème par l’éducation esthétique du peuple.

Une autre observation que l’on a faite à partir de la lecture des textes de l’époque

concerne la comparaison souvent ébauchée entre le Brésil et les nations européennes. De cette

comparaison les divers auteurs concluent à un handicap du peuple brésilien, appelé à suivre

l’exemple des Européens.

Finalement, on a remarqué le rôle très positif attribué à la Mission française. Par

rapport au passé colonial brésilien, cette Mission a été comprise comme l’élément qui a rendu

possible le développement des beaux-arts au Brésil. Et si les relations avec le Portugal étaient

alors marquées très négativement par un rejet du passé, les rapports avec la France seront

imprégnés d’admiration et tout contact avec la culture française sera considéré comme très

avantageux.

Le résultat pratique de ces considérations a été une grande insatisfaction à l’égard du

pays. Pendant longtemps, la pensée qui domina l’esprit des Brésiliens fut marquée par le désir

de ‘retourner’ en Europe pour retrouver une ‘patrie’ perdue. C’est ce sentiment que l’on

devine dans ce passage, écrit par Henrique Bernardelli103 à Visconti, qui se trouvait à Paris :

103. - Henrique Bernardelli (Chili, 1858 - Rio de Janeiro, 1936) - frère de Rodolpho, peintre et professeur de l’Escola de Belas Artes de Rio de Janeiro.

89

J’espère que tu pourras rester là-bas le plus longtemps possible, et si tu veux un conseil d’ami, choisis le sacrifice de faire des tableaux commerciaux pour les vendre ici, plutôt que de rentrer vivre ici. Ne te fais pas d’illusions, la situation ici est toujours la même. En tout cas, si tu ne peux pas t’empêcher de revenir, viens avec un bon nombre de tableaux afin de les vendre pour pouvoir repartir.104

Il semble qu’une partie considérable des artistes brésiliens de cette époque souffraient

du syndrome du mazombisme dont parlait José Paulo Paes, le 3 avril 1996, dans une interview

accordée à la revue VEJA.

Il s’agit d’un pur reflet du syndrome du mazombisme qui attaque toute la formation culturelle du Brésil.

Mazombisme est une expression que le grand Gregório de Matos105

employait pour se moquer du mazombo, cet individu qui, né au Brésil, souffrait de la nostalgie de ne pas être un européen. À son époque, Joaquim Nabuco106 avait l’habitude de dire que le Brésilien lisait ce que la France produisait et qu’il était, par son intelligence et son esprit, comme un citoyen français : il voyait tout exactement comme s’il était un Parisien déporté de Paris.107

Ce sentiment d’inadaptation a sûrement joué son rôle dans la manière d’envisager le

Prix de Voyage en Europe. La signification de ce Prix pour les artistes et le milieu artistique

brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle est le sujet du chapitre suivant.

104 - Lettre datée du 19 octobre 1898. (Cette lettre appartient à Tobias Visconti, fils du peintre Eliseu Visconti).

“ ... que tu possas agüentar lá o mais possível, e se queres que eu te dê um conselho de amigo, escolhe o sacrifício de fazer quadros de comércio para serem vendidos aqui do que a aqui vires, não te iludas, isto aqui é o mesmo de sempre, em todo caso se não pu-der deixar de cá vir, vem com um bom número de quadros que os possas vender para poderes voltar. ”

105 - Gregório de Matos (Salvador, 1636 - Recife, 1695) - poète brésilien de la phase baroque.106 - JOAQUIM Aurélio Barreto NABUCO de Araújo (Recife, 1849 - Washington, EUA,

1910) - Politicien, diplomate et écrivain. Abolitionniste.107 - Interview de José Paulo Paes à Laura Capriglione. In : revue VEJA - année 29 - n. 14. Le

3 avril 1996. “Paes - ... Trata-se de um puro reflexo da síndrome de mazombismo que acomete toda a formação cultural do Brasil.VEJA - Síndrome de mazombismo, o que é isso?Paes - É um termo que o grande Gregório de Matos usava para zombar do mazombo, aquele sujeito que, nascido no Brasil, sofria de nostalgia por não ser europeu. À sua época, Joaquim Nabuco costumava falar que o brasileiro lia o que a França produzia e era, pela inteligência e pelo espírito, como um cidadão francês: via tudo como podia ver um parisiense desterrado de Paris. ”

90

4 - La signification du Prix de Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle

Dans le deuxième chapitre on a mentionné le point de vue de Campofiorito à propos

du Prix de Voyage. Selon cet auteur, ce prix favorisa deux orientations contradictoires : d’une

part, il facilita une actualisation des méthodes conventionnelles d’apprentissage ; d’autre part il

servit à enfermer les artistes dans un ensemble de règles prévues d’avance. Ainsi, Campofiorito

conclut que le Prix de Voyage aida l’Académie à maintenir sa discipline et rendit difficile une

rénovation des arts plastiques au Brésil108. Cette conception, exprimée dans un texte de 1983,

est partagée par d’autres auteurs contemporains.

Maintenant, il serait intéressant d’étudier les témoignages des peintres et les récits

des critiques brésiliens du XIXe siècle pour voir si, là aussi, on trouve des propos semblables

sur le Prix de Voyage. L’intérêt en est d’essayer de comprendre quelle était la signification du

séjour d’études en Europe dans la vie et dans la carrière de ces artistes.

Un article de journal brésilien daté du 22 septembre 1896 peut introduire la question.

Cet article, qui n’est pas signé, discute du budget du Ministère de la Justice et de l’Intérieur

pour l’exercice de 1897. Le gouvernement avait prévu un budget de plus de seize millions de

réis, et la Commission du budget de la Chambre des Députés proposa de réduire de ce total la

somme de huit cent trente et cinq mille, sept cent soixante-douze réis et cent quatre-vingts

centimes. La suppression de fonds allait atteindre aussi les Beaux-Arts. Mais ce qui indigna le

journaliste, ce fut l’indifférence des parlementaires quant aux préjudices qu’ils allaient porter

aux artistes, tandis que la somme à être supprimée était mesquine. Il signale que cette

réduction, si petite pour le gouvernement, allait causer d’énormes pertes au milieu artistique.

Selon les informations citées dans l’article, pour faire une économie annuelle de soixante-cinq

mille huit cents réis, la Commission du budget proposa d’arrêter la distribution de médailles

aux artistes et élèves lauréats ; de ne plus acquérir de nouveaux tableaux et sculptures pour le

musée, (et le journaliste observe que ce musée était en effet l’unique musée du Pays) ; et de ne

plus envoyer les meilleurs élèves en Europe pour s’y perfectionner. Après avoir présenté ces

informations, le journaliste fait son commentaire :

Vraiment, il est étonnant que les membres du corps dirigeant de la Nation, de cette corporation qui doit compter parmi les siens les esprits les plus

108 - Campofiorito. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.98.

91

lucides et les plus clairvoyants, puissent marchander la somme misérable de 65.800$ en préjudice du développement des beaux-arts dans notre Pays. (...). Le budget relatif à l’acquisition de tableaux et statues est de 8.000$, c’est-à-dire une somme plus petite que celle qui peut acheter une seule oeuvre d’art de niveau moyen dans n’importe quel pays d’esprit cultivé. C’est une somme beaucoup plus petite que le salaire annuel de n’importe quel membre du Congrès ; c’est évidemment une miette qui ne peut pas jouer un rôle dans l’amélioration ou l’aggravation de notre situation financière. (...). [De plus], la cause principale de l’affaiblissement de l’art parmi nous est l’absence de gens qui achètent les oeuvres réalisées par les artistes.

Le budget des pensions des élèves brésiliens en Europe est de 36:000$. Là encore c’est une somme très exiguë et incapable de peser sur le budget total. Et bien, cette somme représente l’aspiration suprême de tout Brésilien qui a du talent artistique. C’est elle qui anime les élèves de notre Ecole des Beaux-Arts dans leurs laborieux programmes scolaires, c’est en effet le seul encouragement capable de les faire passer par les exigences difficiles de l’inscription dans cette école.

Ce fut ce mesquin budget qui empêcha la perte et la déviation des grandes vocations artistiques qui s’appellent Pedro Américo, Victor Meirelles, Rodolpho Bernardelli, Rodolpho Amoêdo, Almeida Junior, Zeferino da Costa, Oscar Pereira da Silva, et qui aujourd’hui encore contribue à l’affirmation de talents tels que celui d’Eliseu Visconti et de João Baptista da Costa, de façon à ce qu’ils deviennent des réalités artistiques qui nous honorent.109

Arrêtons-nous sur ce passage et faisons quelques observations. Tout d’abord on

remarque la comparaison faite par le journaliste entre le Brésil et ‘les pays cultivés’ : la somme

de 8.000$000, réservée par le gouvernement brésilien pour l’achat des oeuvres d’art, “ est une

somme plus petite que celle qui peut acheter une seule oeuvre d’art de niveau moyen dans

n’importe quel pays d’esprit cultivé ”. Encore une fois, la référence aux pays plus avancés est

utilisée. Cette référence sert à stimuler un changement, et montre, dans ce cas, un modèle à

être suivi.

Mais ce qu’il faut souligner dans cet article, la notion la plus significative, c’est

l’importance accordée au Prix de Voyage. Le rôle qui lui est attribué ici est remarquable.

L’achat d’oeuvres d’art par le gouvernement est estimé comme une aide importante aux

109 - Jornal do Comércio, “ Notas sobre Arte ”, p.3, Rio de Janeiro, le 22 septembre de 1896.Il faut observer qu’en 1897 aucun pensionnaire n’a été envoyé en Europe. Mais l’année

suivante, en 1898, le Prix de Voyage de l’Exposition des Beaux-Arts était rétabli et le lauréat fut Augusto Luiz de Freitas. Quant au concours pour le Prix de Voyage de l’Ecole, le prochain eut lieu en 1899. Le peintre Theodoro José da Silva Braga, candidat unique du concours de cette année, fut approuvé et envoyé à Paris. On voit que, malgré les difficultés, le Prix de Voyage n’a pas été annulé pour longtemps.

92

artistes, car “ la cause principal de l’affaiblissement de l’art parmi nous est l’absence de gens

qui achètent les oeuvres réalisées par les artistes ” ; mais le Prix de Voyage est vu comme le

moteur principal du développement de l’art dans le Pays. Selon le journaliste, c’est ce prix qui

encourageait les étudiants des beaux-arts à suivre les programmes scolaires. Et c’est toujours

ce prix qui, de son point de vue, empêcha le détournement des talents artistiques les plus

renommés parmi les Brésiliens.

En effet, il semble que cette façon d’envisager le Prix de Voyage était très répandue

parmi les artistes brésiliens à la fin du XIXe siècle. Lorsqu’on étudie les événements de 1890,

année où les étudiants des Beaux-Arts se sont organisés pour revendiquer une réforme de

l’Académie, on se rend compte de l’importance que les artistes attribuaient à ce Prix. Frederico

Barata, dans son livre sur Eliseu Visconti110, décrit l’effervescence des élèves de l’Academia

Imperial das Belas Artes à ce moment-là. Il explique qu’une vague d’enthousiasme amenée de

“ Realmente, causa espanto que membros do corpo dirigente da Nação, da corporação que se presume ser composta dos espíritos mais lúcidos e de vistas mais largas do país, regateiem ao desenvolvimento das belas artes entre nós o parco e miserável auxílio de 65.800$ anuais (...). A verba relativa à compra de quadros e estátuas é de 8.000$, isto é, menos do que se paga em qualquer país culto por uma obra de arte regular, e muito menos do que o que recebe anualmente qualquer membro do Congresso ; é evidente-mente uma migalha que nada pode influir no melhoramento ou maior depressão do nos-so estado financeiro. (...) a causa principal do abatimento da nossa arte é devida muito principalmente à falta, entre nós, de quem compre as obras que os artistas produzem. A verba de pensões é de 36:000$, também incontestavelmente muito exígua e incapaz de pesar sensivelmente no orçamento. Pois bem, essa verba representa a suprema aspira-ção de todo Brasileiro que revela talento artístico, é o que alenta os alunos da nossa Escola de Belas Artes no seu laborioso curriculum escolar, é realmente o único incenti-vo a fazê-los passar pelas duras exigências da matrícula dessa Escola. Foi essa mesqui-nha verba que fez com que se não perdessem e se não transviassem as grandes voca-ções artísticas que se chamam Pedro Américo, Victor Meirelles, Rodolpho Bernardelli, Rodolpho Amoêdo, Almeida Júnior, Zeferino da Costa, Oscar Pereira da Silva, e que está contribuindo para que venham a ser realidades artísticas que nos façam honra, ta-lentos como Eliseu Visconti e João Baptista da Costa. ”

110 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. Rio de Janeiro, Ed. Zélio Valverdo, 1944, p.5 / p.29 / p.34.

93

l’Europe par ‘l’esprit moderne’ de Rodolpho Amoêdo et des frères Bernardelli agitait

les étudiants. Le jeune Eliseu Visconti et beaucoup d’autres élèves, unis à quelques

professeurs, menèrent une lutte contre le règlement de l’enseignement en vigueur.

Selon le récit de Frederico Barata111, les étudiants demandaient une réforme pour

assurer une plus grande liberté d’action aux nouveaux jeunes professeurs qui venaient d’arriver

d’Europe : Rodolpho Amoêdo et Rodolpho Bernardelli. Ces deux artistes, qui avaient

bénéficié du Prix de Voyage, révolutionnaient l’esprit des étudiants touchés par le succès inouï

des oeuvres qu’ils avaient réalisées pendant leur séjour européen. Le Christ et la femme

adultère, sculpture de Rodolpho Bernardelli, et Le Dernier Tamoyo, peinture de Rodolpho

Amoêdo, étaient mentionnées par la critique comme des chefs-d’oeuvre admirables. Les élèves

interprétaient ce succès comme le résultat du séjour dans le Vieux Monde et ils se révoltaient

parce qu’il faisait déjà longtemps que les concours pour le Prix de Voyage ne se réalisaient

plus. Ils voyaient dans ce fait un empêchement à leur propre progrès et perfectionnement, et

revendiquaient la possibilité d’aller étudier en Europe comme leurs maîtres. En effet, la

réforme désirée par les jeunes étudiants des Beaux-Arts devait changer la direction de

l’Académie et, surtout, devait rétablir les concours pour le Prix de Voyage en Europe, leur

principale revendication.112

Il faut rappeler aussi que beaucoup de professeurs de l’Académie étaient des anciens

lauréats du Prix de Voyage, car les pensionnaires en Europe, après leur retour au pays, étaient

souvent engagés comme professeurs au sein de cette institution. Ce fait contribua sûrement à

créer l’idée de la nécessité d’un temps de perfectionnement en Europe pour établir une carrière

artistique au Brésil. On peut affirmer avec José Carlos Durand que le Prix de Voyage

“ accordait des points dans la lutte pour les postes de professeur, dans la concurrence pour les

commandes du gouvernement et aussi pour les commandes de portraits ou décorations pour

les particuliers. ”113

111 - Frederico Barata a dû se renseigner à propos de cette période auprès d'Eliseu Visconti qui a vécu ces événements en tant qu’élève de l’Académie.

112 - Le dénouement de ces événements sera exposé ci-dessous dans le chapitre Le Concours de Prix de Voyage de 1892 : les antécédents.

113 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855 / 1985. (p.10).

94

Cependant, s’il est vrai que les anciens lauréats du Prix de Voyage trouvaient des

facilités lors de leur retour au Pays, il faut faire une observation là-dessus. En analysant le

parcours professionnel des peintres et les écrits critiques de la période, on s’aperçoit que

l’importance accordée au Prix de Voyage n’était pas liée au prestige du Prix proprement dit.

Ce qui était jugé fondamental, c’était le séjour en Europe. Cela est si vrai que tous les artistes

faisant des débuts prometteurs étaient stimulés par les critiques à faire un voyage d’études,

même s’il fallait entreprendre ce voyage à leurs propres frais. Les exemples et les citations que

l’on pourrait reproduire ici sont nombreux, mais il suffit de mentionner quelques-uns. Voyons

d’abord le commentaire de Gonzaga Duque lorsqu’il écrit à propos du travail d’Abigail de

Andrada en 1888 :

Mme de Andrada commence à montrer son talent comme peintre, et elle le fait de façon très heureuse. (...). Le talent de Mme de Andrada nous fait attendre confiants ses oeuvres futures. Nous sommes sûrs qu’un voyage en Europe aurait de bonnes influences sur le développement de son orientation esthétique.114

Le critique recommande le voyage en Europe comme une occasion de se laisser

influencer esthétiquement. Mais parfois ce voyage fut recommandé aux jeunes artistes comme

une manière assurée d’acquérir de la reconnaissance auprès du public brésilien. Un exemple

significatif à ce propos est celui des débuts de la carrière d’Antônio Parreiras. En 1885, le

journaliste Alfredo Azamor écrivait sur la première exposition du peintre, réalisée dans la

galerie A Photographia :

Cette exposition fut visitée par un grand nombre de curieux et quelques professionnels. Les premiers se sont limités à apprécier les beaux paysages qui se déroulaient devant eux ; les seconds ont mis en valeur les beautés ar

tistiques, et encourageaient l’honorable disciple du célèbre paysagiste Grimm à entreprendre un voyage en Italie, afin de compléter ses études.115

Trois mois plus tard, en septembre 1885, le même journaliste racontait :

“ ... do ponto de vista dos que tiveram a sorte de estagiar na Europa, essa recompensa máxima propiciava maior visibilidade e, daí, trunfos na disputa por cargos em seu ma-gistério, na concorrência por encomendas de governo e ainda nas demandas de particu-lares por retratos e serviços de decoração. ”

114 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 231. “ a Sra. D. Abigail [de Andrada] começa apenas a mostrar seu talento para a pintura e o

tem feito de uma maneira um tanto feliz. (...). O talento da Sra. D. Abigail nos faz con-fiar em futuras obras. Estamos certos de que uma viagem à Europa influenciaria gran-demente no desenvolvimento da orientação estética da senhora amadora. ”

115 - Genésdio (Alfredo Azamor), O Fluminense, juin 1885. [Cité par LEVY, p.62].

95

Antônio Parreiras (...) m’a montré ces derniers jours un nouveau tableau copié du naturel dans un coin tranquille de São Lourenço. L’air triste, ce remarquable paysagiste m’a confié qu’il vend difficilement ses tableaux.

Je sais que les habitants de Rio préfèrent les loteries (...) ; mais l’artiste ne doit pas se décourager devant les premières déceptions (...). Il faut faire un effort : allez en Europe, travaillez avec acharnement, montrez votre talent à ceux qui sauront et pourront l’apprécier. Quand vous serez de retour à la Patrie, même en parlant français, vous ne pourrez pas compter les commandes de tableaux.116

Parreiras partit enfin se perfectionner en Europe le mois de février 1888. Avant son

départ Angelo Agostini annonçait dans sa rubrique de la Revista Ilustrada :

Il n’est pas étonnant que le concours du public soit grand dans les deux expositions actuelles : celle d’Amoêdo, qui est revenu d’Europe comme un maître (...); et celle de Parreiras, qui va partir ce mois-ci pour perfectionner son art de paysagiste en Europe, d’où il reviendra, j’en suis convaincu, un artiste accompli.117

“ Esta exposição foi visitada por grande número de curiosos e alguns profissionais. Aque-les limitaram-se a apreciar os belos panoramas que se desdobravam a seus olhos ; estes, realçaram as belezas artísticas, encorajando o distinto discípulo do célebre paisagista Grimm a empreender uma viagem à Itália, a fim de completar seus estudos. ”

116 - Genésdio (Alfredo Azamor), O Fluminense, septembre 1885. [Cité par LEVY, p.p. 62 - 63].

“ Antônio Parreiras, (...), mostrou-me um dia destes mais um quadro, copiado do natural num remanso de São Lourenço. Disse-me tristemente o já notável paisagista que dificil-mente vende os seus quadros. Bem sei que a predileção do fluminense não vai além de uma loteria do Ipiranga ou da Bahia, (...) ; mas o artista não deve nem pode esmorecer às primeiras decepções (...). Faça um esforço : vá à Europa, trabalhe com vontade, pa-tenteie o seu talento aos que saberão e poderão apreciá-lo. Quando voltar à Pátria, fa-lando francês embora, não terá mãos a medir com encomendas de quadros. ”

117 - AGOSTINI, Angelo. Revista Ilustrada, février 1888. [Cité par LEVY, p. 64].“ Não admira, pois, a grande concorrência que tem havido nas duas exposições que exis-

tem atualmente : a de Amoêdo, que voltou da Europa de borla e capelo, e a de Parrei-ras, que para lá parte nesse mês, onde irá aperfeiçoar-se na sua arte de paisagista e de onde, estou convencido, voltará um perfeito artista. ”

96

Ces extraits d’articles de journaux sont représentatifs du prestige que les artistes

pouvaient acquérir après un séjour en Europe. En réalité, cette expérience à l’étranger était vue

comme une opportunité de vivre pendant quelques années dans un milieu propice au

développement des beaux-arts, un milieu qui était censé préparer les artistes d’une façon

beaucoup plus complète que le milieu brésilien.

Pour illustrer cette idée si répandue à ce moment-là, il convient de citer quelques

mots de Victor Meirelles et de Pedro Américo. Ces deux peintres furent les artistes brésiliens

les plus célèbres de la période du Segundo Império (1840-1889), et il est intéressant de voir

quelle était leur pensée à propos des études accomplies en Europe. En écrivant sur d’autres

questions, ils nous laissèrent des témoignages qui nous dévoilent leurs points de vue sur le

sujet qui nous intéresse. C’est le cas de Victor Meirelles. En 1880, il voulut répondre à des

critiques en expliquant le parti qu’il avait pris pour la composition du tableau historique La

Bataille des Guararapes. Après avoir exposé sa conception esthétique, il affirma :

L’art parmi nous se trouve encore dans la période de la jeunesse. La production, comme la critique, ne peuvent se passer des normes établies par les peuples où l’une et l’autre sont plus florissantes.

Mes études menées en Europe, dans les pays qui honorent le plus le culte des muses, m’ont permis de connaître au moins les principes fondamentaux de la composition artistique (...). 118

Le peintre trouva adéquat de rappeler à ses adversaires qu’il avait passé par le stage

en Europe. Cette argumentation lui paraissait définitive et suffisante.

Voyons maintenant comment s’exprima Pedro Américo à propos de la formation des

artistes brésiliens. En juin 1890, le journal O Paiz publia une lettre ouverte dont il était

l’auteur. Cette lettre, adressée au Ministre de l’Instruction Publique, exprimait la réaction du

peintre face aux revendications faites par les élèves de l’Academia Imperial de Belas Artes.

Parmi d’autres propositions Pedro Américo présenta, pour résoudre la situation, l’idée suivante

:

118 - Cité par Gonzaga Duque, A Arte Brasileira, p. 172.“ A arte entre nós está ainda no período da juventude, a produção, como a crítica, não

pode deixar de seguir as normas estabelecidas pelos povos, em que uma e outra têm melhor florescido. Os meus estudos feitos na Europa, nos países onde mais se engran-dece o culto das musas, deu-me conhecimento, ao menos, dos princípios fundamentais da composição artística (...). ”

97

De plus, que l’on réforme l’actuelle Académie de façon à lui donner une orientation totalement libérale et moderne, mais en la limitant dans les fonctions d’une école préparatoire ; (...).

En suivant l’exemple de la France, de l’Allemagne, de la Russie, de la Belgique, de l’Espagne et d’autres pays d’esprit cultivé et expérimenté - qui soutiennent à Rome leurs respectives Académies nationales, entièrement organisées et installées dans des palais magnifiques - il suffit de commencer par envoyer en Europe un artiste éclairé et connaisseur des deux milieux, afin d’orienter les pensionnaires de l’Etat, informer le gouvernement sur les événements artistiques des centres les plus importants, et servir de lien entre le mouvement national et le mouvement de ces brillants foyers de production artistique.119

En peu de mots, la formation des artistes brésiliens, selon Pedro Américo, devait

passer inévitablement par un séjour en Europe. L’Académie brésilienne devait assumer ainsi le

rôle d’école préparatoire. Cette idée de Pedro Américo ne faisait que renforcer une réalité déjà

existante. En effet, l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro procurait aux élèves

les premières connaissances, qui seraient ensuite approfondies dans les Ecoles des Beaux-Arts

européennes.

À ce propos il convient de citer les réflexions de Modesto Brocos, peintre brésilien

d’origine espagnole et ancien élève de l’Academia Imperial, qui écrit sur la question de

l’enseignement des Beaux-Arts en 1915. En analysant les différences entre les institutions

d’enseignement artistique au Brésil et en Europe, il affirma :

Parmi nous, on ne doit pas imiter servilement ce qui se fait dans les pays d’Europe : les institutions européennes susceptibles d’être importées, devront être d’abord examinées, de façon à ce qu’elles puissent être adoptées et s’adaptent à notre milieu.

Faisons, pour mieux nous faire comprendre, l’hypothèse suivante : supposons que l’Ecole des Beaux-Arts de Paris fût amenée ici par les airs, portée par les anges, comme la maison de Lorette fut portée, et qu’elle fût installée dans le centre de notre ville, avec tout ce qu’elle contient, y

119 - O Paiz - le 25 juin 1890 - (p.3).“ De mais reforme-se a atual academia, dando-se-lhe uma orientação totalmente liberal e

moderna, mas encerrando-a nos limites de uma escola preparatória ; (...). A exemplo da França, da Alemanha, da Rússia, da Bélgica, da Espanha e de outros países cultos e ex-perientes - que sustentam em Roma suas respectivas academias nacionais, com uma organização completa e sede em magníficos palácios - comece-se simplesmente por en-viar à Europa um artista ilustrado e conhecedor dos dois ambientes, afim de guiar os pensionistas do estado, informar o governo acerca dos acontecimentos artísticos dos principais centros, e servir, por assim dizer, de elo entre o movimento nacional e o da-queles brilhantes focos de produção. ”

98

compris les maîtres. Je suis certain que cette Ecole ne pourrait pas donner des résultats convenables. Par quelle raison? - m’objectera-t-on. Parce que notre milieu est très différent du sien. Notre milieu se compose d’individus qui ne connaissent rien des choses de l’art, qui n’ont aucune formation en cette matière, et qui ont besoin de commencer par apprendre l’abc du dessin.

Que pourraient apprendre nos élèves dans les cours de peinture transportés de Paris, où le maître parlerait de façon énigmatique comme là-bas, et je vais le montrer?

Si le maître disait à l’un, par exemple : votre figure manque de caractère. Et sans d’autres explications, ni d’autres corrections, passait au suivant et lui disait : vos couleurs manquent de qualité et d’intensité. Et toujours sans rien ajouter d’autre, disait à celui qui était à côté : votre figure n’a pas d’ensemble. Et tout de suite au suivant : la position n’est pas bien sentie. Et ainsi de suite jusqu’à quatre-vingts élèves, dans le court espace d’une heure qui est le temps de pose du modèle! Si l’on appliquait ici cette méthode, nos élèves demeureraient interdits et ne seraient pas capables de faire les corrections que le maître leur aurait indiquées. Mais là-bas, dans ce centre, les jeunes qui s’y trouvent ont déjà étudié dans les écoles de province, beaucoup d’entre eux sont des pensionnaires de leurs villes respectives, préparés pour comprendre et savoir exécuter ce que les maîtres leur disent; car ce qu’ils vont apprendre dans cette école c’est la cristallisation de l’enseignement artistique.120

120 - BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a di-reção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915. (p.p. 36 - 37).

“ Entre nós, não devemos imitar servilmente o que se faz nos países da Europa: as insti-tuições que de lá importemos, deverão ser primeiro estudadas, de modo que possam adotar-se e se amoldem ao nosso meio. / Façamos, para melhor sermos compreendi-dos, a seguinte hipótese: suponhamos que a Escola de Belas Artes de Paris fosse trazi-da para aqui pelos ares, carregada pelos anjos, como foi carregada a casa de Loreto, e a instalassem no centro da nossa cidade, com tudo o que ela contém, inclusive os mes-tres. Estou mais do que certo, que aquela escola não daria aqui resultados apreciáveis. Por que razão ? - me objetarão. Por que o nosso meio é muito diferente daquele. O nosso meio é composto de indivíduos que nada sabem de coisas de arte, e não têm pre-paro algum da matéria, precisando começar por ter de aprender o ABC do desenho. / Que poderiam aprender os nossos alunos na aula de pintura, trazida para aqui de Paris, onde o mestre falasse de maneira enigmática como lá o faz e vou mostrar ? / Dissesse, por exemplo, a um: à sua figura falta caráter, e sem mais explicação, nem mais correção passasse a outro e lhe dissesse: ao seu colorido falta qualidade e intensidade, e sem mais uma palavra, ao do lado: sua figura não tem conjunto, e logo ao seguinte: a posi-ção não está bem sentida, e assim como estes corrigem a perto de oitenta alunos, no curto espaço de uma hora que dura a pose do modelo! Se aqui se aplicasse este méto-do, ficariam os nossos alunos interditos e mesmo não estariam aptos para fazerem as correções que o mestre lhes indicava. Mas lá naquele centro, vão os rapazes que já es-tudaram nas escolas de província, muitos deles pensionados pelas suas respectivas cida-des, preparados para compreenderem e saberem executar o que aqueles mestres lhes di-zem; pois, o que vão aprender naquela escola, vem a ser a cristalização do ensino artís-

99

Apparemment Modesto Brocos indique une différence entre les institutions

d’enseignement artistique en Europe et au Brésil. Cependant on finit par remarquer que ses

commentaires montrent plutôt les similitudes qui existaient entre les institutions brésiliennes et

européennes. On pourrait comprendre le rôle de l’Académie brésilienne comme équivalent à

celui des Ecoles des Beaux-Arts des provinces françaises, d’où venait une partie des élèves de

l’Ecole de Paris. Effectivement, les Brésiliens qui avaient suivi le cours de l’Academia

Imperial de Belas Artes étaient préparés pour suivre les cours des Ecoles des Beaux-Arts à

Paris ou à Rome, car la formation qu’ils avaient reçue au Brésil suivait les mêmes principes que

ceux enseignés aux artistes en Europe. Les exercices et les méthodes étaient les mêmes, ainsi

que la conception de l’art, au moins dans les milieux académiques. D’ailleurs, l’examen des

instructions données aux pensionnaires de l’Académie nous amène à comprendre le séjour en

Europe comme un complément à la formation initiée au Brésil. Frederico Barata présenta en

peu de mots la pratique courante des artistes brésiliens de cette période :

Les artistes allaient en Europe - et l’Europe était presque toujours Paris -, ils passaient deux ou plus de deux ans à fréquenter l’Académie Julian ou des ateliers renommés, et ce séjour, au fond, n’était qu’un prolongement, dans un milieu plus développé, des cours de l’Academia Imperial. Ils perfectionnaient leur dessin, amélioraient leur technique académique, apprenaient la chimie des couleurs et des vernis et venaient remplacer dans l’enseignement de l’Académie les professeurs qui vieillissaient en apprenant à la jeunesse la peinture de scènes bibliques et de nus conventionnels.121

Cependant, à la fin du siècle on voit apparaître les premières critiques adressées à ce

système. On remarque alors une modification dans la manière d’envisager le Prix de Voyage ou

le séjour d’études en Europe. Le prestige acquis par les artistes après une période de

perfectionnement à l’étranger restait un fait incontestable, cependant, l’influence de ce séjour

sur la qualité ou l’orientation de leurs oeuvres était maintenant controversée. Gonzaga-Duque,

par exemple, dans un texte de 1888, reproche à Victor Meirelles d’avoir écouté avec dévotion

tico. ”121 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. (p.22).

“ Os artistas iam à Europa - e Europa era quase sempre Paris -, passavam dois ou mais anos freqüentando a Académie Julian ou ateliers de renome, e esse estágio, no fundo, era apenas um prolongamento, em meio mais adiantado, dos cursos da Academia Impe-rial. Aprimoravam-se no desenho, melhoravam a técnica acadêmica, aprendiam a quími-ca das tintas e dos vernizes e vinham suceder no magistério da Academia aos que iam envelhecendo no ensinar a juventude a pintar as cenas bíblicas e os nus convencionais. ”

100

la parole des maîtres européens et d’avoir accepté, “ toutes les théories que d’autres lui ont

apprises et mises dans la tête, comme un fanatique accepte ce qui est imposé par la foi.”122

De la part des artistes, on observe aussi des nouveautés. Une déclaration d’Eliseu

Visconti à propos de ses études réalisées à Paris entre 1893 et 1900 montre un changement

considérable des idées au sujet du séjour en Europe. En 1941, en réponse au journaliste

Jefferson Avila qui lui demandait ce qu’il avait appris en Europe, Visconti affirma :

- Rien. En Europe, je n’ai fait que travailler. Mon art je l’ai appris réellement ici [au Brésil] comme élève du Lycée et de l’Ecole. J’ai amené d’ici les fondements qui, tout au plus, auraient pu être perfectionnés là-bas. Et cela je ne cesse pas de le dire à chaque fois que l’occasion se présente.123

Cette affirmation contraste vivement avec la déclaration de Victor Meirelles citée ci-

dessus et qui date de 1880. Visconti affirme franchement et de façon catégorique qu’il n’avait

rien appris en Europe, et cette attitude est significative. Elle révèle une réaction à l’idée selon

laquelle l’artiste brésilien qui n’avait pas suivi d’études à l’étranger ne possédait pas de

formation artistique satisfaisante. En déclarant qu’il avait appris les fondements de son art dans

les

122 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 172.“ É o antigo discípulo de Consoni (...), ouvindo com respeito a palavra dos mestres, acei-

tando, como um fanático aceita as imposições da crença, todas as teorias que lhe ensi-naram, que lhe meteram dentro da cabeça. ”

123 - AVILA, Jefferson. A ‘Rendição de Breda’ e Sarah Bernhardt ; Arte Decorativa e arte aplicada ; a história de uma revolução ; dados biográficos do ilustre artista. Interview de Visconti, In : O Estado. [Cet article de journal se trouvait parmi les papiers de Tobias Visconti. Malheureusement, le journal découpé, la date de l’article fut perdue.]

“ - Nada. Na Europa eu apenas trabalhei. A minha arte aprendi-a realmente aqui como aluno do Liceu e da Escola. Daqui levei as bases que, quando muito, poderiam ter sido aperfeiçoadas lá. E isto eu não me canso de proclamar sempre que se me oferece a oportunidade. ”

101

institutions brésiliennes, à Rio de Janeiro, le peintre accordait de la valeur à la

formation qu’il avait reçue au Brésil. En outre, sa déclaration nous rappelle que l’orientation

donnée par les maîtres français à leurs disciples ne représentait pas une nouveauté pour les

étudiants brésiliens de la fin du XIXe siècle.

Pourtant le séjour en Europe continuait d’être considéré comme essentiel à la

formation des artistes. Et bien, si ce n’était pas l’enseignement artistique qui attirait les artistes,

que venaient-ils chercher en Europe ? Désiraient-ils connaître de nouvelles tendances

artistiques ? On a vu que, bien au contraire, pour la plupart d’entre eux, il s’agissait de

continuer à suivre les mêmes principes que ceux qu’ils avaient appris au Brésil. Peut-être

cherchaient-ils tout simplement la reconnaissance auprès du public brésilien ? Cela est

invraisemblable, même si l’on est d’accord avec Carlos Roberto Maciel Levy lorsqu’il souligne

que l’expérience en Europe était, à ce moment-là, une vraie exigence socioculturelle.124

La seule réponse plausible est la suivante : les artistes brésiliens recherchaient les

centres artistiques européens comme n’importe quel artiste de cette période. On sait que les

étrangers, aussi bien que les Français de la province, venaient nombreux à Paris. Ils y

fréquentaient les institutions artistiques, bénéficiaient des facilités pour trouver un bon atelier et

de bons modèles, participaient aux Salons parisiens. Les Brésiliens n’étaient pas différents, ils

profitaient des avantages qu’un centre artistique international pouvait leur offrir. À Rio de

Janeiro ils n’auraient pas eu la possibilité d’admirer les chefs-d’oeuvre exposés dans les musées

européens, ils n’auraient pas pu connaître les monuments architecturaux des principales villes

d’Europe. En participant au mouvement artistique international, le comportement des étudiants

brésiliens ne différait guère de l’attitude de la plupart des artistes, français ou étrangers,

rassemblés à Paris.

Avant de terminer ces réflexions faisons un résumé du raisonnement exposé depuis le

début du chapitre. On a vu que :

1 - Le milieu artistique brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle accordait une grande importance au Prix de Voyage en Europe.

124 - LEVY, Carlos Roberto Maciel. Antônio Parreiras (1860 - 1937). Pinakotheke, Rio de Janeiro, 1981, p.26. “ Note-se como deve ter sido forte tal aspiração, uma verdadeira exi-gência sócio-cultural, há quase cem anos passados, quando sabemos o quanto tais valores até hoje são respeitados e impostos. ”

102

2 - L’importance accordée au Prix révèle en réalité l’importance attribuée au séjour d’études en Europe.

3 - Ce séjour d’études était vu comme une expérience dans un milieu différent, plus développé et plus favorable aux beaux-arts.

4 - Ainsi, les artistes brésiliens qui retournaient d’un séjour en Europe étaient plus respectés que les artistes qui n’étaient jamais sortis du pays.

5 - Cependant, à la fin du XIXe siècle, l’influence de l’expérience en Europe sur la production artistique des Brésiliens commence à être discutée.

6 - Une question s’impose : si l’enseignement artistique en Europe n’apportait pas de changements significatifs par rapport à la formation reçue au Brésil, qu’est-ce qui amenait les artistes brésiliens à venir étudier à Paris ou à Rome ?

7 - Finalement, on conclut que les Brésiliens venus en Europe cherchaient tout simplement les avantages procurés par les centres artistiques internationaux.

Revenons maintenant sur l’affirmation de Campofiorito citée au début de ce chapitre.

Dans son livre História da Pintura Brasileira no Século XIX, cet auteur soutient que les

Expositions Générales et les Prix de Voyage ont contribué de façon décisive à renforcer le

contrôle exercé par l’Academia Imperial sur le milieu artistique brésilien. Campofiorito affirme

que tout au long de la période du Segundo Reinado (1840-1889), et jusqu’à la dernière

décennie du XIXème siècle, déjà dans les premières années de la République,

les Expositions Générales des Beaux-Arts et les Prix de Voyage à l’étranger continuaient à contribuer au maintien de la discipline académique qui ne fut pas modifiée (...) ni même par le talent des artistes les plus en évidence. Quelques rares dérivations vers les tendances novatrices, soit du romantisme, soit du réalisme, n’arrivaient pas à induire la peinture alors en vigueur à un changement qualitatif. Celle-là restait presque entièrement éloignée de la réalité sociale et du milieu auquel elle était destinée. C’était une peinture fidèle à une érudition dépouillée de vie qui cheminait inexorablement vers un épuisement. Les lauréats successifs du Prix de Voyage en Europe et les peintres étrangers (...) ont influé sur toute la production picturale jusqu’à la veille de la République. Les noms qui atteignent le sommet de la gloire de la peinture brésilienne au XIXe siècle, Victor Meirelles, Pedro Américo, Zeferino da Costa, Almeida Júnior, Henrique Bernardelli, Rodolfo Amoedo, parmi d’autres, sont les fruits de la maturation des procédés d’enseignement proposés par l’Académie. Cet enseignement fournissait les conditions techniques de base, mais dévoilait de moins en moins toute possibilité artistique qui échappât à sa compréhension esthétique ou à son dévouement aux thèmes conventionnels puisés de façon ennuyeuse dans la mythologie gréco-romaine ou dans la Bible.125

À la fin de ce même chapitre, Campofiorito conclut :

125 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 95.

103

La continuité des Expositions Générales et des Prix de Voyage est intensifiée au long de la seconde moitié du XIXe siècle, soit comme un instrument d’actualisation des méthodes conventionnelles d’enseignement, soit, paradoxalement, comme une espèce d’emprisonnement des artistes dans un ensemble de règles et possibilités précises.126

L’analyse de Campofiorito indique encore une fois l’importance du rôle qui était

attribué au Prix de Voyage. Cependant, en affirmant que ces prix, associés aux Expositions

Générales, ont favorisé l’emprisonnement des artistes brésiliens dans l’obéissance aux règles

déterminées par l’Académie, Campofiorito n’aborde qu’un seul aspect de la question. Son

raisonnement serait convaincant si l’on avait trouvé des artistes qui, agissant en dehors du

cercle de l’Academia Imperial, auraient fait d’autres choix et suivi des chemins différents de

ceux des élèves des Beaux-Arts. Pourtant, on remarque que même les artistes brésiliens ayant

construit une carrière en dehors de l’Académie ont suivi un parcours parallèle à celui des

pensionnaires de l’Etat, en accomplissant des voyages d’études à leurs propres frais. Ce fut le

cas, par exemple, d’Antônio Parreiras.

Au bout du compte, on s’aperçoit que l’on ne peut pas considérer les Prix de Voyage

comme la cause de l’absence d’une quelconque rénovation des arts plastiques au Brésil. Et tout

d’abord parce que ces prix ne furent pas imposés par l’Académie de façon autoritaire. Au

“ As Exposições Gerais de Belas Artes e os Prêmios de Viagem ao estrangeiro continua-vam contribuindo para manter a disciplina acadêmica que durante todo o Império não é perturbada nem mesmo pelo talento dos artistas mais em evidência. Algumas raras deri-vações que denotassem tendências renovadoras, seja ao romantismo ou ao realismo, não chegam a provocar uma modificação qualitativa na pintura então vigente, quase to-talmente desligada da realidade social e do meio ambiente a que se destinava. Prosse-guia esta fiel a um engajamento erudito que negligenciava a presença da vida e tendia inexoravelmente para um fastidioso esgotamento. A seqüência dos premiados com via-gem à Europa e os pintores estrangeiros que independem dessa condição marcam toda a produção pictórica até as vésperas da República. Os nomes que atingem o ápice da fama em nossa pintura oitocentista, como Victor Meirelles, Pedro Américo, Zeferino da Costa, Almeida Júnior, Henrique Bernardelli, Rodolpho Amoêdo e outros (...), são conseqüência direta da maturação dos processos de ensino propostos pela Academia. Tal ensino ministrava os requisitos técnicos básicos, mas descortinava cada vez menos possibilidades artísticas que escapassem à sua compreensão estética, ou à sua dedicação aos temas convencionais, colhidos tediosamente na mitologia greco-romana e na Bí-blia. ”

126 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 98.“ A continuidade das Exposições Gerais e dos Prêmios de Viagem sofre intensificação durante

a segunda metade do século XIX, seja como elemento de atualização dos métodos convenci-onais de ensino ou, paradoxalmente, também como modalidade de aprisionamento dos artis-tas a um conjunto de regras e possibilidades determinadas. ”

104

contraire, ils répondaient à merveille au désir des artistes. Aussi furent-ils considérés par les

critiques comme la condition indispensable à la formation des bons artistes nationaux.

En réalité, la production des arts plastiques brésiliens de la seconde moitié du XIXe

siècle, accusée de stagnation par des critiques postérieurs, répondait aux aspirations du milieu

artistique d’alors. Il est vrai que les artistes et critiques brésiliens de l’époque n’étaient pas

satisfaits de la situation qu’ils subissaient. Cependant leurs plaintes, comme cela a été exposé

dans le chapitre précédent, se tournaient vers l’absence d’aide financière de la part du

gouvernement, et vers l’absence d’amateurs qui achèteraient un plus grand nombre d’oeuvres

d’art. Quant à la production artistique proprement dite, ils désiraient tout simplement que les

oeuvres réalisées au Brésil eussent le même niveau de qualité que les oeuvres les plus

expressives réalisées en Europe.

Dans le prochain chapitre, on ébauchera une vision d’ensemble sur les parcours et les

oeuvres des artistes brésiliens venus accomplir leurs études en Europe en tant que

pensionnaires pendant la période qui va de 1845 à 1887, c’est-à-dire, avant l’expérience

européenne d’Eliseu d’Angelo Visconti. Ensuite, dans la seconde partie de cette thèse, on va

approfondir l’étude sur l’itinéraire de celui qui fut le premier pensionnaire de la période

républicaine : le susdit Visconti.

105

5 - Les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)127

Dans son livre intitulé Arte, Privilégio e Distinção... (Art, Privilège et Distinction...),

consacré aux rapports entre les beaux-arts et la classe dirigeante au Brésil de 1855 à 1985,

José Carlos Durand réserva un petit chapitre pour traiter “ des contretemps vécus par les

peintres péquenauds à Paris, capitale des avant-gardes ” 128. Dans ce chapitre, Durand ébauche

une comparaison entre l’itinéraire de Tarsila do Amaral129, peintre moderniste brésilienne, et

l’expérience d’autres peintres brésiliens qui “ ne possédant pas des moyens économiques,

culturels et de sociabilité, n’ont pas réussi à retirer de leurs séjours en France le même résultat

que Tarsila ”130. L’idée exprimée par Durand c’est que l’origine sociale modeste d’une grande

partie des artistes brésiliens pensionnaires en Europe pendant la seconde moitié du XIXe siècle

a été un facteur décisif, déterminant leur timidité face aux novations avant-gardistes et leur

adhésion aux traditions académiques. Tarsila do Amaral, au contraire, issue d’une famille

fortunée, aurait eu les moyens qui lui ont permis de comprendre les changements survenus

dans l’art européen au début du siècle.

Durand nous rappelle la chronique qui raconte qu’Almeida Júnior, à Paris, peignait

des paysans modestes, ce que l’on pourrait appeler en français des ‘péquenauds’, pour

“ soulager sa nostalgie du Brésil ”131. Il cite encore le fait que la brièveté du séjour de Benedito 127 - Les informations détaillées réunies sur chacun des pensionnaires se trouvent à la fin de

cette thèse, sous l’annexe 1, intitulé Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887).

128 - DURAND, José Carlos. “ Os percalços dos pintores ‘caipiras’ na Paris das vanguardas ”. In Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (pp. 85 - 88).

129 - Tarsila do Amaral (Capivari, SP, 1886 - 1973, São Paulo) - peintre brésilienne, elle fit partie du groupe des modernistes de 1922. Dans son oeuvre, Tarsila concilia le but d’actualiser l’art brésilien, à travers une appropriation du cubisme, avec le désir de créer une peinture spécifiquement brésilienne.

130 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).“ A importância dos fatores privilegiados na biografia de Tarsila ressalta-se em casos diame-tralmente opostos, ou seja, de pintores brasileiros seus contemporâneos que, destituídos de meios econômicos, culturais e de sociabilidade, não conseguiram retirar de suas passagens pela França o mesmo resultado que Tarsila. ”

131 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).“ Diz a crônica que Almeida Júnior em Paris pintava caipiras para ‘matar a saudade do Bra-sil’. ”

106

Calixto en France était la conséquence d’un “ excès de nostalgie ”132. Et à propos de Baptista

da Costa, Durand reprend les mots de Lygia Martins Costa pour dire que “ (...) son caractère

timide et sentimental rendait difficile la compréhension et l’adhésion à la révolution spirituelle

qui avait lieu en Europe à la fin du siècle dernier, surtout parce que son séjour a été de courte

durée. ”133

De ces observations Durand tire une conclusion selon laquelle ...

... l’origine sociale modeste, manifestée en une faible maîtrise de la langue française, en un manque de sociabilité et en l’incertitude des moyens économiques, produisait un irrésistible amour à la patrie et à la famille, qui rendait difficile la perception du système constitutif du champ culturel du pays visité. En d’autres termes, les artistes, forcément dociles à l’enseignement des institutions qui les recevaient, ne pouvaient pas voir ce qui se passait autour134.

L’interprétation de Durand est marquée par l’opinion des modernistes brésiliens qui

reprochaient aux peintres académiques de Rio de Janeiro leur “ soumission thématique et

technique aux maîtres des ateliers et écoles qu’ils ont fréquentés lors de leurs Prix de Voyage

en Europe ”. Durand mentionne que, selon le point de vue moderniste, “ l’expérience des

pensionnaires de l’Academia Imperial de Belas Artes aurait été très inhibée par la discipline

rigide et abêtissante que les maîtres du néoclassicisme européen imposaient à leurs disciples

(...) ”135.

132 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p. 85).“ A brevidade do estágio de Benedito Calixto na França foi justificada por... ‘excesso de sau-dades’( !) ”

133 - COSTA, Lygia Martins. Um século de Pintura : 1850-1950. Rio de Janeiro, Museu Naci-onal de Belas Artes, 1950, p.11.

“ Mas seu temperamento tímido e sentimental não facilitava a aceitação da revolução espiritu-al que se processava na Europa em fins do século, sobretudo em se tratando de estada tão curta como a sua. ”

134 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (pp. 85 - 86).“Generalizando tais observações, é curioso como a origem social ‘humilde’, traduzida em precário domínio do francês, em escassa sociabilidade e em insegura sobrevivência material, converte-se em irresistível amor à pátria e à família, encurtando e cerceando a percepção do sistema de posições constitutivo do campo cultural do país visitado. Em outras palavras, compulsoriamente dóceis ao ensino das instituições para onde tinham sido mandados, pouco ou nada poderiam ver do que se passava ao seu redor. ”

135 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.4)

107

D’après ce jugement, le cas de Visconti fut un “ cas très rare ”, parce qu’il “ s’est

laissé influencer par l’impressionnisme et la vogue de la peinture décorative ”136. À cette

affirmation, Durand ajoute que Visconti échappa au schéma qui oppose d’un côté les peintres

péquenauds et de l’autre Tarsila do Amaral parce qu’il appartenait à une famille de classe

moyenne et qu’il s’était marié à une française, circonstances qui ont facilité son adaptation en

France137.

L’argumentation de Durand déborde d’opinions préconçues. En essayant d’expliquer

les dissemblances entre l’expérience européenne des peintres issus de l’Academia Imperial et

l’expérience des peintres modernistes de la décennie de 1920 par une différence d’origine

sociale, il simplifie la question. Il ne prend pas en considération les objectifs très différents qui

séparaient ces artistes et leurs époques.

Il n’est pas facile d’arriver à une vision d’ensemble sur l’itinéraire des artistes

brésiliens pensionnaires en Europe pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Il se trouve que

les particularités de leur séjour d’études sont nombreuses. Cependant, le défi d’entreprendre

cette tentative mérite d’être relevé, ne serait-ce que pour s’opposer aux idées préconçues

exprimées par Durand et d’autres auteurs marqués par les idées des modernistes.

On a vu, dans le chapitre sur l’Historique des Prix de Voyage, que ces prix créés au

XIXe siècle ont continué d’exister pendant le XXe siècle. Cependant, notre recherche

concerne uniquement les artistes brésiliens qui ont obtenu le Prix de Voyage pendant la période

qui va de 1845, date du premier prix décerné, à 1887, date du dernier concours réalisée par

“ (...) os modernistas criticaram a subserviência temática e técnica dos pintores acadêmicos do Rio de Janeiro aos mestres dos ateliês e escolas que freqüentaram quando de seus prêmi-os de viagem à Europa. (...). Ressalvados casos muito raros, a experiência dos bolsistas da Academia Imperial de Belas Artes teria sido, segundo eles, bastante inibida pela disciplina rí-gida e empobrecedora que os mestres do neoclássico europeu impunham a seus discípulos locais e estrangeiros. ”

136 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.4, et note de bas de page n.4).“ Também censuraram muito a dificuldade deles em perceber e refletir acerca da séria pertur-bação que sofriam as artes visuais na Paris do último quartel do século, quando o impressio-nismo deflagrou período fértil de sucessivas rupturas vanguardistas, que modificariam sensi-velmente o rumo das artes visuais no século XX. Ressalvados casos muito raros [nota : Como o do pintor Eliseu Visconti, que se deixou influenciar pelo impressionismo e pela voga da pintura decorativa.] (...). ”

137 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989. (p.88).

108

l’Academia Imperial. Ces artistes lauréats de l’Académie forment le groupe des pensionnaires

qui ont précédé Eliseu Visconti dans l’expérience du séjour d’études européen. S’ajoutent à ce

groupe les cinq peintres venus se perfectionner en Europe aux frais de l’Empereur Dom Pedro

II de 1859 à 1886. On envisage l’initiative de Dom Pedro II comme une intervention

personnelle du monarque visant à remédier aux fréquentes interruptions des concours de

l’Académie. En outre, on sait que les séjours d’études des pensionnaires de l’empereur ne se

distinguaient pas fondamentalement des séjours d’études des pensionnaires de l’Académie.

Commençons donc par nommer ces pensionnaires :

a - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes

Un total de dix-sept élèves de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro

fut récompensé en remportant le prix de premier ordre de l’institution, c’est-à-dire, le Prix de

Voyage en Europe. Voici leurs noms, leur spécialité, les villes choisies pour eux comme lieu

d’études, la durée de leur séjour, et l’indication de ceux qui sont devenus professeurs des

beaux-arts après leur retour au Brésil :

109

1. Premier pensionnaire138 - 1845 - Raphael Mendes de Carvalho (Santa Catarina, Brésil, v.1817 - ?, v.1870)

- Peintre d’histoire

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).

- Il est devenu professeur de dessin après son retour au Brésil.

2. Lauréat de 1845 - Antônio Baptista da Rocha

- Architecte

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).

3. Lauréat de 1846 - Francisco Elydeo Pamphyro (Rio de Janeiro, 1823 - ?)

- Sculpteur

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : probablement trois ans (d’après le règlement).

- Il est devenu professeur de sculpture à l’Académie après son retour au Brésil.

4. Lauréat de 1847 - Geraldo Francisco Pessoa de Gusmão

- Graveur en médailles

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : trois ans au moins

(Il demanda une prolongation de deux ans).

138 - Conformément à ce que l’on a déjà mentionné dans le chapitre 2 - Historique des Prix de Voyage en Europe, lorsque Raphael Mendes de Carvalho fut envoyé étudier en Italie, les concours de Prix de Voyage n’existaient pas encore. Ce peintre obtint sa pension après la résolution de l’Assemblée Générale Législative du 17 septembre 1845. Sauf lui, tous les autres étudiants reçurent leurs pensions après avoir été lauréats dans les concours de l’Académie.

110

5. Lauréat de 1848 - Francisco Antônio Nery (Rio de Janeiro, 1828 - id., 1866)

- Peintre d’histoire

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : trois ans.

6. Lauréat de 1849 - Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira (Rio de Janeiro, 1823 - Paris, 1887)

- Peintre d’histoire

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : trois ans.

7. Lauréat de 1850 - Agostinho José da Motta (Rio de Janeiro, 1824 - id., 1878)

- Peintre

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : au moins trois ans.

- Il est devenu professeur de peinture de paysage à l’Académie.

8. Lauréat de 1852 - Victor Meirelles de Lima (Florianópolis, Santa Catarina, Brésil, 1832 - Rio de Janeiro, 1903)

- Peintre

- lieu des études : Rome et Paris

- durée du séjour : huit ans.

- Il est devenu professeur de peinture d’histoire à l’Académie.

111

9. Lauréat de 1860 - José Joaquim da Silva Guimarães

- Graveur en médailles

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : quatre ans.

10. Lauréat de 1862 - José Rodrigues Moreira

- Architecte

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : quatre ans.

11. Lauréat de 1865 - Caetano de Almeida Reis(Rio de Janeiro, le 3 octobre 1838 ou 1840 - id., 1889)

- Sculpteur

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : trois ans, au lieu de quatre. (Sa pension fut suspendue).

12. Lauréat de 1868 - João Zeferino da Costa (Rio de Janeiro, 1840 - id. 1915)

- Peintre

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : huit ans.

- Il est devenu professeur de peinture à l’Académie.

13. Lauréat de 1871 139 - Heitor Branco de Cordoville

- Architecte

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : cinq ans.

139 - Les ouvrages consultés étaient controversées sur la date de ce concours. Elles indiquaient parfois l’année de 1870, parfois 1871. En consultant les documents de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro on trouve la confirmation pour l’année de 1871. Références du document : (notação 5020) de 30/8/1871, Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.

112

- Il est devenu professeur de la chaire d’ornements à l’Académie.

14. Lauréat de 1876 - Rodolpho Bernardelli (Guadalajara, Mexique, 1852 - Rio de Janeiro, 1931)

- Sculpteur

- lieu des études : Rome

- durée du séjour : neuf ans.

- Il est devenu professeur de sculpture à l’Académie et postérieurement directeur de l’Escola Nacional de Belas Artes.

15. Lauréat de 1878 - Rodolpho Amoêdo (Rio de Janeiro, 1857 - id., 1941)

- Peintre

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : neuf ans.

- Il est devenu professeur de peinture d’histoire à l’Académie.

16. Lauréat de 1887 - Oscar Pereira da Silva (São Fidélis, Rio de Janeiro, 1867 - São Paulo, 1939)

- Peintre

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : six ans. (Il n’est parti qu’en 1890 et resta à Paris jusqu’en 1896).

- Il est devenu professeur de peinture au Lycée des Arts et Métiers de São Paulo.

17. Lauréat de 1887 - João Ludovico Maria Berna

- Architecte

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : deux ans. (Comme Oscar Pereira da Silva, il n’est parti qu’en 1890, mais sa pension fut suspendue en janvier 1893).

- Il est devenu professeur à l’Escola Nacional de Belas Artes.

113

b - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II

Guilherme Auler, chroniqueur de la vie de Dom Pedro II, raconte qu’à la fin de son

gouvernement l’Empereur subventionnait les études de nombreux étudiants, au Brésil comme à

l’étranger. Ils étaient dix-huit peintres, quinze ingénieurs, treize avocats, douze musiciens, dix

médecins, six militaires, sans compter les soixante et cinq pensionnaires dans les établissements

scolaires d’enseignement général. Parmi tous ces étudiants, quarante et un se trouvaient à

l’étranger, dont vingt et un en France, dix en Italie et les autres disséminés dans différents

pays.140 Tous ces pensionnaires étaient les bénéficiaires de la ‘pochette de l’empereur’,

expression utilisée à l’époque pour désigner l’aide financière reçue par les étudiants pris en

charge par l’empereur lui-même. Parmi les dix-huit peintres pensionnaires de l’empereur, cinq

sont venus compléter leurs études en Europe. On indique ci-dessous leurs noms et leurs

données, précédés de l’année où les pensions leur furent accordées :

1. 1859 - Pedro Américo de Figueiredo e Mello - (Paraíba, Brésil, 1840141- Florence, Italie, 1905)

- Peintre d’histoire

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : cinq ans. (Après ce premier séjour, il est retourné en Europe à son propre compte).

- Il est devenu professeur de dessin à l’Académie.

2. 1875 - Horácio Hora (Sergipe, Brésil, 1854 - Paris, 1890)

- Peintre

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : vraisemblablement huit ans.

3. 1876 - José Ferraz de Almeida Júnior (São Paulo, Brésil, 1850 - São Paulo, Brésil, 1899)

- Peintre

140 - AULER, Guilherme. Os Bolsistas do Imperador. Cadernos do Corgo Seco, Tribuna de Petrópolis, 1956, (p.19). [Cité par DURAND, p.25.]

141 - Plusieurs auteurs affirment que Pedro Américo est né en 1843. Selon Gonzaga Duque il est né le 29 avril 1843. Mais lors de l’inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1859, Pedro Américo déclara être né le 29 avril 1840. On a préféré d’accepter cette date de 1840. Si Pedro Américo est né en 1843, il n’aurait que16 ans lors de son voyage en Europe.

114

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : six ans.

4. 1884 - Pedro Weingartner (Porto Alegre, Brésil, 1853142 - id.1929)

- Peintre

- lieu des études : Paris, Munich, Rome.

- durée du séjour : au moins quatre ans, en tant que pensionnaire de l’Empereur. (Mais avant même de recevoir la pension en 1884, Weingartner suivait déjà des cours de peinture en Europe ).

- Il fut nommé professeur de dessin à l’Académie, mais il abandonna son poste.

5. vers 1886 - Manoel Lopes Rodrigues (Salvador, Bahia, 1861 - id., 1917)

- Peintre

- lieu des études : Paris

- durée du séjour : neuf ans.

- Il est devenu directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Bahia en 1896.

D’après ces premières informations on peut faire quelques remarques générales. En

considérant leur âge au moment de la première année de leur séjour à l’étranger, il s’avère que

le plus jeune d’entre les pensionnaires a été Pedro Américo, qui avait 19 ans. Le plus âgé a été

Pedro Weingartner qui avait 31 ans lorsque l’empereur lui accorda une pension. L’âge moyen

des pensionnaires était de 24 ans au début de leur séjour. Ils étaient assez jeunes, mais ils

avaient déjà suivi une formation et acquis les premières connaissances de leur métier au Brésil,

avant de partir se perfectionner en Europe.

Cinq autres questions peuvent être posées et on peut y répondre à partir de l’examen

de ces premières données : (1) Quel fut le nombre de pensionnaires venus étudier en Europe

pendant chaque décennie ? (2) Quelles furent les villes européennes les plus choisies pour leur

séjour artistique ? (3) Parmi les spécialités des artistes (architecture, peinture, sculpture,

gravure en médailles), quelles furent les plus concernées par les voyages d’études ? (4)

Combien d’années les pensionnaires restaient-ils en Europe ? (5) Combien de pensionnaires, de

retour au Brésil, sont devenus professeurs ou directeurs des Beaux-Arts ?142 - Campofiorito indique l’année de 1853 comme l’année de la naissance de Pedro

Weingartner (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116). Laudelino Freire affirma que le peintre est né en 1858 (Um Século de Pintura, p. 386).

115

Pour faciliter l’analyse, on a décidé d’examiner en bloc les données des deux groupes,

celui des pensionnaires de l’Academia Imperial et celui des pensionnaires de l’empereur Dom

Pedro II. Pour ce qui est du nombre de pensionnaires à chaque décennie, le résultat est le

suivant :

Artistes brésiliens pensionnaires en Europe

décennie de 1840

décennie de 1850

décennie de 1860

décennie de 1870

décennie de 1880

Total

nombre de pensionnaires

6 3 4 5 4 22

Quant à la répartition des pensionnaires entre les villes choisies comme lieu d’études,

le résultat est le suivant :

116

Lieux d’études des pensionnaires en Europe

étudiants des années

1840

étudiants des années

1850

étudiants des années

1860

étudiants des années

1870

étudiants des années

1880

Total de

pensionnaires

Rome 4 1 1 2 0 8

Paris 2 1 3 3 3 12

Paris, Rome et Munich 0 0 0 0 1∗ 1

Rome et Paris 0 1∗* 0 0 0 1

On voit que, pour la plupart, les pensionnaires se sont fixés ou bien à Rome, ou bien

à Paris, et n’ont pas changé de lieu d’études pendant leur séjour. Si l’on ajoute à ceux-là Pedro

Weingartner et Victor Meirelles, on compte dix étudiants brésiliens à Rome, et quatorze à

Paris. On remarque aussi que la préférence pour Rome était forte pendant les années 1840.

Paris se fait plus présent dans le choix des pensionnaires à partir des années 1860, et pendant

les années 1880 tous les pensionnaires brésiliens en Europe se trouvaient à Paris.

Quant aux spécialités des pensionnaires, on découvre une nette prédominance de

peintres. Parmi les pensionnaires de l’Academia, on compte huit peintres, quatre architectes,

trois sculpteurs et deux graveurs en médailles. La prédominance des peintres se fait plus forte

encore si l’on ajoute à ces données les spécialités des pensionnaires de l’empereur, car les cinq

pensionnaires de ce dernier étaient des peintres.

- Il s’agit de Pedro Weingartner qui étudia aux dépens de l’empereur à Paris, Munich et Rome.

* - Il s’agit de Victor Meirelles qui étudia à Rome et à Paris.

117

Artistes brésiliens pensionnaires en Europe

années 40 années 50 années 60 années 70 années 80 Total

Peintres 3 3 1 3 3 13

Architectes 1 - 1 1 1 4

Sculpteurs 1 - 1 1 - 3

Graveurs en médailles 1 - 1 - - 2

Le séjour d’études des pensionnaires a varié énormément relativement à la durée. En

voici les données :

Artistes brésiliens pensionnaires en Europe

années 40 années 50 années 60 années 70 années 80 Total de pensionnaires

séjour de 2 ans - - - - 1 1

séjour de 3 ans 6 1 1 - - 8

séjour de 4 ans - - 2 - 1 3

séjour de 5 ans - 1 - 1 - 2

séjour de 6 ans - - - 1 1 2

séjour de 8 ans - 1 1 1 - 3

séjour de 9 ans - - - 2 1 3

Pour ce qui est de la dernière question, les données rencontrées montrent que

beaucoup de pensionnaires (60%) sont devenus par la suite professeurs aux beaux-arts :

Artistes brésiliens pensionnaires en Europe

années 40 années 50 années 60 années 70 années 80 Total

total de pensionnaires 6 3 4 5 4 22

devenus professeurs 2 3 1 3 4 13

118

Ces tableaux comparatifs sont utiles parce qu’ils permettent une visualisation des

tendances générales. Cependant, ils cachent un aspect très important de la question : parmi

tous ces étudiants, quelques-uns ne se firent pas remarquer par la suite, et leurs oeuvres et

leurs noms ont été presque oubliés par les historiens de l’art brésilien. D’autres, au contraire,

sont devenus des artistes de renom et réalisèrent une carrière importante au Brésil.

Ainsi, au premier abord, on peut imaginer que la décennie de 1840, qui compta six

pensionnaires, fut la plus enrichissante. Et cependant, les cinq premiers pensionnaires de cette

période n’ont pas réalisé de carrières importantes après leur séjour en Europe, et l’on a très

peu d’informations sur leurs études.

En sens inverse, pendant la décennie de 1850 l’Académie brésilienne organisa

seulement deux concours de premier ordre, et l’empereur envoya un seul pensionnaire en

Europe. Ainsi pourrait-on croire que cette période manqua d’intérêt. Pourtant les trois

pensionnaires de la décennie - Agostinho da Motta, Victor Meirelles et Pedro Américo -

réalisèrent par la suite des carrières importantes et laissèrent leur marque dans l’histoire de l’art

au Brésil. Parmi ces trois peintres, deux sont devenus les principaux artistes de la période

monarchique : Victor Meirelles de Lima, lauréat de 1852, et Pedro Américo, pensionnaire de

l’empereur. Il faut dire encore que parmi les pensionnaires de la décennie de 1870 on trouve

des noms d’artistes très importants, tels Rodolpho Bernardelli, Rodolpho Amoêdo et Almeida

Júnior.

Il est évident que ces informations ne sont pas manifestes dans les tableaux ci-dessus.

Pour arriver à ces données il faut connaître les parcours des artistes concernés. Tous les

renseignements que l’on a pu réunir sur chacun de ces artistes, des moins connus aux plus

réputés, se trouvent à la fin de ce travail, dans l’annexe 1 - Fiches de renseignements sur les

artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Mais ici, dans le corps de la thèse,

il est préférable de présenter une vision d’ensemble de leurs oeuvres, pour s’attarder ensuite

dans l’analyse du parcours de trois de ces artistes - Victor Meirelles, Rodolpho Amoêdo et

Almeida Júnior - choisis par leur caractère exemplaire concernant les buts de cette étude :.

En examinant la production des pensionnaires brésiliens en Europe, on observe que

leurs oeuvres peuvent se répartir en quatre catégories principales définies par les thèmes

119

abordés : celles de sujet religieux (ill.1, 3, 5, 11 et 15)143 ; celles de sujet tiré de l’histoire du

Brésil, ou représentant des personnages brésiliens (ill. 4, 7, 8 et 16) ; celles de référence à

l’antiquité classique (ill. 6 et 12) ; et les nus (ill.9). À ces catégories, on peut en ajouter deux

autres moins représentées : les paysages (ill. 2) ; et la peinture de genre (ill.17). Parfois ces

catégories s’entremêlent, car un personnage brésilien, l’indien par exemple, peut être tout aussi

bien classé comme un nu.

Dans l’ensemble, on peut dire avec certitude que les travaux des pensionnaires

suivaient les principes académiques aussi bien dans la forme que dans les thèmes. Néanmoins

on remarque une évolution dans le style des oeuvres, qui répond aux changements survenus

dans la peinture en Europe le long de la période. Si on analyse, par exemple, les oeuvres à sujet

religieux, on observe une transformation de la représentation et de la composition, au début

très classique, inspirée des tableaux de Raphaël, et qui devient petit à petit plus moderne,

jusqu’à s’approcher du réalisme français. Dans le premier cas, celui d’une représentation

classique, on peut citer l’oeuvre de Jean Léon Pallière, La Descente de Jésus-Christ, toile

peinte vers 1850 (ill.1) et la peinture de Victor Meirelles La Flagellation du Christ (ill. 3) qui

date de 1856. Dans une tendance plus naturaliste, on rappellera l’oeuvre de Zeferino da Costa,

L’Obole de la veuve (ill.5), tableau de 1876 ; et la toile de Rodolpho Amoêdo, Jésus Christ à

Capharnaüm, pour laquelle il réalisa une belle l’étude en 1884 (ill.10). La toile Samson et

Dalila (ill. 11), peinte par Oscar Pereira da Silva en 1893 est un exemple de l’influence d’un

romantisme tardif. Et, sous une empreinte plus moderne, on peut mentionner la peinture

d’Almeida Júnior, Fuite en Egypte (ill.15), de 1881.

Les mêmes observations à propos des changements stylistiques sont valables pour les

peintures représentant des personnages brésiliens. Marabá (ill.7) et Le Dernier Tamoyo (ill.8),

deux toiles de Rodolpho Amoêdo datées de 1882 et 1883 respectivement, sont imprégnées

d’une vision romantique sur les indiens brésiliens issue des sources littéraires qui ont inspiré le

peintre. En même temps, la préoccupation d’Amoêdo de bien dessiner et de respecter les

proportions anatomiques du nu y est manifeste. Tandis que Le Bûcheron Brésilien (ill.16)

d’Almeida Júnior, peinture de 1879, est plus naturaliste et plus franche.

143 - L’abréviation (ill.) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans le volume des Illustrations.

120

Relativement aux peintures qui font référence à l’antiquité classique, on peut faire la

même remarque. Si l’on compare La Pompéienne (ill.6) de Zeferino da Costa, et L’Enfance de

Giotto (ill. 12) d’Oscar Pereira da Silva, tableaux qui datent de 1876 et 1895 respectivement,

on constate qu’ils sont très dissemblables quant à la façon d’aborder les thèmes. Dans La

Pompéienne, le peintre a voulu prêter un caractère historique à ce nu banal et conventionnel et

réalisa une composition qui manque d’harmonie et de naturel. Dans ce tableau, tout est

artificiel et déplaisant. L’Enfance de Giotto est une toile plus réussie. Pereira da Silva

transforma ce sujet d’inspiration historique en une scène bucolique qu’il aborda sous un ton

naturaliste. L’exécution en est honnête et agréable.

Ces remarques générales indiquent qu’il n’est pas possible de cataloguer toutes les

oeuvres des pensionnaires brésiliens sous une même étiquette. Malgré la répétition des

références aux sujets bibliques ou historiques, très valorisés par l’Académie, la façon dont

chaque artiste aborde le sujet est très particulière, et leurs oeuvres se différencient énormément

les unes des autres.

En fait, ce qui réunit tous les pensionnaires dans un même groupe, plutôt que

l’ensemble de leurs oeuvres, ce sont leurs rapports avec l’Academia Imperial. Par conséquent,

à l’analyse de leurs productions artistiques il faut ajouter l’étude de leurs expériences en tant

que pensionnaires, en cherchant à voir quels furent les buts de l’Académie les concernant.

Ainsi, afin d’accomplir cette étude, on a choisi de présenter ici l’itinéraire de trois peintres très

représentatifs de leur période. Le premier est Victor Meirelles.

5.1 - Le parcours de Victor Meirelles de Lima (1832 - 1903)

Victor Meirelles de Lima, lauréat de 1852, a séjourné en Europe durant huit années.

La durée du séjour des pensionnaires était alors de trois ans, mais il bénéficia d’une

prolongation de sa pension, une première fois pour trois ans, et une seconde fois pour deux

ans.

Les trois premières années de son séjour en Europe, c’est-à-dire les années de 1853,

1854 et 1855, Victor Meirelles les passa à Rome. Il se fit d’abord disciple du professeur

121

Minardi144. Cependant, les études réalisées sous l’orientation de ce professeur ne

correspondaient pas à ce à quoi il s’attendait. À ce propos, Laudelino Freire écrivit :

M. Minardi concevait que n’importe quel élève, même le plus habile, n’était jamais préparé au niveau du dessin pour passer à la peinture. Le disciple lui a signalé que, outre ce qu’il faisait chez son maître, il était obligé, d’après les instructions qu’il avait reçues de l’Académie brésilienne, d’exécuter des oeuvres originales. Le professeur sourit avec dédain et s’étonna de sa volonté de peindre alors qu’il ne savait pas encore bien dessiner. Après cela, Victor Meirelles comprit qu’il fallait abandonner l’atelier du maître. Il monta son propre atelier et commença résolument à travailleur à son compte.145

On sait que Victor Meirelles eut encore un second professeur à Rome : Nicolau

Consoni, maître à l’Académie de Saint-Luc.146 Mais une fois de plus, Meirelles n’a travaillé que

très peu de temps sous l’orientation de ce professeur. D’après ces informations, on observe

que les pensionnaires de cette période avaient une liberté relative. Il leur était demandé

d’accomplir les travaux obligatoires, mais ils pouvaient travailler à leur compte, sans obligation

de se faire disciples des maîtres européens.

En 1855, sa pension arrivant à son terme, Victor Meirelles obtint une prolongation de

trois ans et alla à Paris où il demeura les cinq années suivantes. Porto-Alegre, directeur de

l’Académie brésilienne, lui avait conseillé de faire tout son possible pour étudier dans l’atelier

de Delaroche. Mais Victor Meirelles arriva à Paris en 1856, l’année de la mort de Delaroche.

Aussi, dut-il chercher un autre maître. D’abord il se fit élève de Léon Cogniet. En effet, on

trouve son nom parmi les inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1857, présenté par M.

Cogniet.147 Cependant, il quitta très vite ce maître et alla étudier dans l’atelier de Gastaldi148,

artiste italien établi à Paris. Selon Laudelino Freire, ce fut sous l’orientation de Gastaldi que 144 - MINARDI, Tommaso (Faenza, 1787 - Rome, 1871) - Il fut professeur à l’Académie de

Saint-Luc à Rome de 1821 à 1858. [E. BENEZIT]145 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 143.

“ O Sr. Minardi entendia de si para si, que o aluno por mais hábil que fosse nunca estava pronto no desenho de modo a passar à pintura. O discípulo observou-lhe que além do que fa-zia era obrigado pelas instruções que trazia a executar trabalhos originais. O professor riu-se desdenhosamente e estranhou que ele quisesse pintar quando não sabia ainda bem desenhar. Victor Meirelles à vista disso entendeu que devia abandonar o atelier do mestre e tomando um outro por sua conta começou resolutamente e por si só a estudar. ”

146 - Selon Campofiorito, Consoni fut professeur de Meirelles à Florence. Selon Laudelino Freire, Victor Meirelles suivit les cours de ce professeur à Rome. On a trouvé des données qui confirment l’information de Freire : Nicolas Consoni (Rieti, 1814 - Rome, 1884) après une période d’études à Pérouse, s’est fixé à Rome où il a exercé ses activités artistiques jusqu’à sa mort.

122

Victor Meirelles apprit à “ voir la nature selon les gradations des formes et des distances ”, à

“ mélanger les couleurs en les plaçant et assemblant sur la palette, de façon à produire une

composition facile des couleurs complémentaires ” .149

Cette appréciation du progrès de Victor Meirelles à Paris, très positive, est

particulière à Laudelino Freire, et on ne la trouve pas sous la plume d’autres auteurs. Mais ils

sont tous d’accord sur un point : le dévouement du pensionnaire aux études était remarquable.

Ils relatent que jour et nuit Victor Meirelles dessinait comme un fanatique dans les musées,

dans les galeries de l’Ecole, et travaillait même pendant les heures de repos.150 On raconte qu’à

Paris il ne s’est pas laissé éblouir par les séductions de la ville, il ne s’est pas amusé, il n’a fait

que travailler en s’adonnant à l’étude du dessin et à la réalisation de copies de plusieurs maîtres

français.

L’application de Victor Meirelles a plu à ses professeurs brésiliens et en 1859 sa

pension fut encore une fois renouvelée. Il obtint alors une prolongation de deux ans afin de

réaliser le tableau La Première messe au Brésil (ill.4). On sait que Victor Meirelles soumit

l’ébauche de ce tableau à l’appréciation du peintre d’histoire Robert Fleury et reçut du maître

un avis favorable. En 1861, La Première messe fut acceptée et exposée au Salon de Paris.

Victor Meirelles fut ainsi le premier Brésilien à exposer une de ses oeuvres au Salon.151 Ce

tableau est considéré jusqu’aujourd’hui comme l’une des oeuvres les plus importantes

produites par l’Académie brésilienne et il fut l’objet d’un article récent très intéressant intitulé

Première messe et invention de la Découverte152,de Jorge Coli. L’auteur analyse la toile de

Victor Meirelles comme un exemple particulièrement réussi du rôle assumé par l’art 147 - Archives nationales, France - (AJ / 52 / 235). “ Registre des matricules des élèves des

sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période d’avril 1841 à mars 1871 ”. Victor Meirelles est inscrit sous le numéro 3031. Ses données sont les suivantes : n.3031 - LIMA, Victor Meirelles de ; né le 18 août 1832 à Santa Catari-na, Brésil ; demeure : 37, rue de Seine / 17, rue des Beaux-Arts ; présenté par M. Cogniet ; date de l’entrée le 9 avril 1857.

148 - Andrea GASTALDI (Turin, 1810 - id., 1889) - Peintre d’histoire, il étudia à Paris et y devint très populaire. [BENEZIT, v. 4, p.629].

149 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p.143.“ Foi aos atilados avisos de Gastaldi que Victor Meirelles se desenvolveu e progrediu. Aprendeu a olhar por assim dizer, a ver as coisas na natureza, segundo a graduação que con-servam entre si, a forma, as distâncias. Mesmo no combinar as tintas ele estava atrasado ; Gastaldi ensinou-lhe a espalhar e reunir estas na palheta, produzindo a fácil composição das cores suplementares. ”

150 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.170.151 - CAMPOFIORITO, História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.161.

123

académique brésilien dans le “ projet de construction nationale ”. Dans le premier chapitre -

Genèse de l’Academia Imperial... - on a déjà abordé ce sujet, en rappelant qu’après

l’indépendance politique du Brésil en 1822, la classe dirigeante s’est inquiétée de créer une

conscience nationale, une Histoire du Brésil indépendante de l’Histoire du Portugal. Et ce fut

dans ce sens que, pendant le XIXe siècle, “ la science et l’art, dans un procès complexe,

fabriquèrent des ‘réalités’ mythologiques qui ont eu, et l’ont toujours, une vie prolongée et

persistante ”153. La production de tableaux de peinture d’histoire fut ainsi favorisée par

l’Académie, ce qui a contribué à la construction de l’imaginaire brésilien.

Le tableau de Victor Meirelles a fourni l’image qui manquait pour représenter le

moment de la naissance de la nation. Les soucis historiques furent très présents dans la

préparation de cette composition, car le peintre fut vivement conseillé par Araújo Porto Alegre

à être fidèle à la description contenue dans la lettre écrite par Pero Vaz Caminha154 en 1500.

Cette lettre avait été publiée en 1817, et dès lors elle devint le document primordial de

l’histoire de la ‘naissance’ du Brésil. Victor Meirelles, en suivant les indications relatées par

Caminha, a dépeint la première messe célébrée au Brésil comme un moment de fraternisation

entre portugais et indiens. Cette vision s’accordait au mythe de l’origine du peuple brésilien

dans une communion pacifique entre les races et les cultures.

Dans son texte, Jorge Coli cite le tableau d’Horace Vernet, Première messe en

Kabylie (pl.1)155, exposé au Salon de 1855, comme une source d’inspiration pour Meirelles.

Cependant, il démontre que la toile du peintre brésilien n’était pas un plagiat du tableau de

Vernet. Tout en empruntant quelques partis de composition au Français, Meirelles transforma

la scène et réalisa une toile très différente de celle de Vernet. Ce dernier, désireux de relater

avec précision un épisode dont il avait été témoin, approche les personnages du regard du

152 - COLI, Jorge. “ Primeira missa e invenção da descoberta ”. In A descoberta do homem e do mundo / organizador Adauto Novaes. São Paulo, Companhia das Letras, 1998, (pp.107 - 121).

153 - COLI, Jorge. (p.107).“ A ciência e a arte, dentro de um processo intricado, fabricavam ‘realidades’ mitológicas que tiveram, e ainda têm, vida prolongada e persistente. ”

154 - Pero Vaz Caminha, fonctionnaire de la Couronne Portugaise qui accompagna l’expédition maritime vers le Nouveau Monde, était chargé de relater au roi du Portugal, pas à pas, l’abordage des terres nouvellement découvertes, événement qui eut lieu du 21 Avril au 1er Mai 1500.

155 - L’abréviation (pl.) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans les planches de référence dans le volume des Illustrations.

124

spectateur. Meirelles met l’action principale plus loin, et la nature sauvage et pure du Nouveau

Monde devient l’un des personnages de la scène, en l’enveloppant dans une atmosphère douce

et spiritualisée.

Après avoir exposé La Première messe en France, Victor Meirelles retourna au

Brésil et fut nommé professeur de peinture d’histoire à l’Académie. Il commença à exercer ses

activités de professeur en 1862 et il l’a fait jusqu’en 1890, lorsque la réforme entamée par le

régime républicain détermina son éloignement de l’enseignement officiel.

Dans l’Académie, il fut considéré comme le professeur qui forma le plus grand

nombre de disciples et dont l’action fut des plus utiles pour le développement de

l’enseignement de la peinture. Selon ses biographes, il faisait de la profession un sacerdoce et

sa vie tout entière fut dédiée à ses élèves et à son art.

Entre 1862 et 1879, Victor Meirelles a travaillé et produit intensément, en même

temps qu’il exerçait son activité de professeur à l’Académie. Il a réalisé de nombreux portraits,

mais ses oeuvres les plus importantes furent celles à sujet historique ou biblique, telles que La

Bataille des Guararapes, Le Combat naval du Riachuelo, Passage de l'Humaitá, Moema, La

Première messe au Brésil (ill.4), Saint Jean dans le cachot, Décollation, Flagellation du

Christ (ill.3), Le Serment de la Princesse régente. Toutes ces oeuvres font partie aujourd’hui

des collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro, sauf Moema, qui se trouve

au Museu de Arte de São Paulo.

Le parcours de Victor Meirelles est un parfait exemple d’accomplissement des buts

de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Envoyé en Europe comme

pensionnaire de cette institution, il s’y perfectionna en s’appropriant les procédés techniques de

la peinture académique, qui lui ont permis de façonner des images mythiques de l’histoire du

Brésil. De retour au pays, il continua à produire des tableaux de peinture d’histoire et se

dévoua à l’enseignement dans l’Académie, en diffusant les enseignements qu’il avait reçus en

Europe.

Le deuxième pensionnaire dont il sera question ci-dessous, Rodolpho Amoêdo, fut

l’un de ses disciples. Les documents que l’on a pu rassembler sur son séjour d’études à Paris

sont, eux aussi, très intéressants, et enrichissent davantage l’étude de l’expérience des

pensionnaires brésiliens en Europe.

125

5.2 - Le parcours de Rodolpho Amoêdo (1857 - 1941)

Né à Rio de Janeiro, Rodolpho Amoêdo est parti vivre à Bahia à l’âge de six ans. En

1868 il retourna à Rio et dès 1873 il commença ses études artistiques au Lycée des arts et

métiers de cette ville. L’année suivante il s’inscrivit à l’Academia Imperial où il suivit des

études de peinture avec les professeurs Victor Meirelles, Agostinho da Motta et Zeferino da

Costa.156 Quatre années plus tard il remporta le Prix de Voyage et s’en alla étudier à Paris où il

séjourna pendant une période de neuf ans.

En 1939, âgé de 82 ans, Amoêdo raconta à Tapajós Gomes, journaliste du Correio

da Manhã, les souvenirs les plus marquants de sa carrière artistique. Il est intéressant de citer

quelques passages de l’article écrit par Gomes, car le récit de Rodolpho Amoêdo exprime très

bien la mentalité académique de la seconde moitié du XIXe siècle, et nous fait connaître les

détails du concours de Prix de Voyage et du séjour à Paris :

Amoêdo m’a rappelé les péripéties de son concours, lors de la confrontation pour le Prix de Voyage en Europe dans le cadre de l’ancienne Academia Imperial de Belas Artes (...). Le maître faisait concurrence à Henrique Bernardelli qui bénéficiait de l’appui officiel. Cela, cependant, ne lui faisait pas peur ; et malgré l’hostilité qu’il a dû affronter, Amoêdo remporta le prix avec son tableau ‘Le Sacrifice d’Abel’ et partit vers l’Europe le mois de mai 1879. (...). Cependant, malgré sa victoire, le maître ne s’est pas libéré tout de suite de l’animosité de ceux qui sont restés au Brésil. Si le règlement des Prix de Voyage était rigoureux, pour Rodolpho Amoêdo il est devenu draconien. Le prix durait cinq ans ; mais pendant les trois premières années, les autorités de l’Académie pouvaient, du jour au lendemain, supprimer la pension aux étudiants dont le progrès ne correspondait pas à leur expectative. Il suffisait, pour cela, d’une simple résolution des autorités des Beaux-Arts, (...). Mais le jeune artiste ne se découragea pas. En arrivant à Paris le mois de mai 1879, il fut d’abord élève auditeur libre de Cabanel. Ensuite il passa à l’atelier Boulanger-Lefebvre, afin de s’y préparer au concours d’admission de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. 157

On observe que les épisodes du concours et ses débuts difficiles à Paris marquèrent

fortement Rodolpho Amoêdo. La menace d’arrêt de la pension, qui assurait à l’Académie

brésilienne le contrôle sur les pensionnaires en Europe, pesa sur le peintre pendant les trois

premières années de son séjour. La suite de l’article nous montre un élève dévoué aux leçons

156 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 290.157 - GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Ma-

nhã, suplemento de domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.

126

des maîtres français. Rodolpho Amoêdo raconta au journaliste ses premières tentatives pour

faire reconnaître son talent par les professeurs :

Evidemment, ayant l’esprit vivement artistique, toujours rêveur de réalisations grandioses et en composant mentalement des tableaux superbes, Amoêdo ne pouvait pas se limiter aux ‘académies’ qu’il était obligé de dessiner au cours Boulanger-Lefebvre. Un jour donc il montra au maître un tableau qu’il avait peint, sûr d’avoir fait une oeuvre qui avait de la valeur. Le vieux Boulanger, avec une simple phrase le fit tomber du haut de ses convictions :

- Devant ‘cela’, je ne peux rien vous dire. Il faut faire mieux. 158

L’épisode ne découragea pas le pensionnaire qui poursuivit son dessein :

Amoêdo s’adonna plus qu’avant corps et âme aux études. Victorieux au concours d’admission de l’Ecole, il s’est inscrit au cours de Cabanel. 159

(...). Lors des concours mensuels pour fréquenter les cours de Cabanel, la première place revenait toujours à l’un de ces trois élèves : Rivemale, Lavalay et Amoêdo, parmi quarante étudiants. Ainsi, les résultats présentés

“ Amoêdo recorda-me as peripécias de seu concurso, em disputa do prêmio de viagem à Eu-ropa, da antiga Imperial Academia de Belas Artes, (...). O velho mestre competia com Henri-que Bernardelli, que dispunha da boa vontade oficial. Isso, entretanto, não o amedrontava ; e apesar da hostilidade que teve de enfrentar, Amoêdo venceu o concurso, com o seu quadro “ O sacrifício de Abel ”, partindo para a Europa em maio de 1879. (...). O mestre, entretanto, apesar de vitorioso, não se livrou desde logo da má vontade dos que ficaram. Se o regula-mento dos prêmios de viagem já era por si mesmo exigente, para Rodolpho Amoêdo se tor-nou escorchante. O prêmio durava cinco anos ; mas as autoridades de Belas Artes podiam, dentro dos três primeiros anos, de um momento para o outro, cortar a pensão ao pensionista cujos progressos não correspondessem à sua expectativa. Bastava, pois, uma simples resolu-ção das autoridades de Belas Artes, (...). Não desanimava, porém, o jovem artista. Chegado a Paris, em maio de 1879, foi, primeiro, aluno livre de Cabanel. Passou-se depois para o ate-lier Boulanger - Lefebvre afim de se preparar para o concurso de entrada para a Escola de Belas Artes de Paris. ”

158 - GOMES, Tapajós. Idem.“ Evidentemente, com o seu espírito acentuadamente artístico, sonhando sempre com reali-zações grandiosas e compondo sempre, mentalmente, quadros soberbos, não poderia Amoê-do limitar-se às ‘academias’ que era obrigado a desenhar, no Curso Boulanger - Lefebvre. Um dia, pois, exibiu um quadro que pintara, estava certo de que havia feito obra de valia, quando o velho Boulanger, com uma simples frase, o fez despencar do alto das suas convic-ções, dizendo-lhe :- Diante ‘disto’, nada lhe posso dizer. Trate de fazer coisa melhor. ”

159 - Le nom d’Amoêdo se trouve dans la liste d’élèves inscrits à l’atelier de Cabanel en 1879. (Archives nationales, France [AJ/52/248] - Inscriptions dans les ateliers de peinture, sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945. Les données que l’on y trouve sont les suivantes : numéro 448 - Amoêdo, Rodolpho ; né le 12 octobre 1857 à Rio de Janeiro, Brésil ; demeure : 4bis, r. des Beaux-Arts ; date de l’entrée : le 5 juillet 1879.)

127

par le pensionnaire faisaient disparaître petit à petit l’animosité des autorités des Beaux-Arts brésiliens. La première, la deuxième et la troisième année du pensionnat s’écoulèrent. Dès lors il était libéré de l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête. 160

On sait que le parcours des élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris était comme

une course d’obstacles. Les concours se déroulaient tout au long de l’année et, pour assurer sa

place à l’intérieur de l’atelier, l’étudiant devait remporter des médailles ou des mentions.

Amoêdo, en se faisant remarquer parmi les élèves de Cabanel, assurait de plus la continuité de

sa pension accordée par l’Académie brésilienne.

En 1882, la quatrième année de son séjour en France, Amoêdo commença à songer à

participer au Salon. Tapajós Gomes raconte :

C’était l’année de 1882, et Rodolpho Amoêdo rêvait déjà du Salon des artistes français. Les vers émouvants du roman de Gonçalves Dias, ‘Marabá’ 161, l’indienne aux yeux pers couleur de saphir, sont tombés sous sa main. Le tableau peint par le poète fut mis sur la toile par le pinceau du peintre. C’était un travail vraiment difficile celui d’évoquer, au milieu d’une civilisation raffinée, les yeux noirs, le visage bronzé par le soleil, l’allure flexible d’un palmier, les cheveux noirs et lisses d’une indienne brésilienne. Rodolpho Amoêdo, cependant, n’était pas un tempérament à se décourager facilement, et s’est mis à l’oeuvre.

Un jour, maître Cabanel, membre du jury d’admission au Salon, lui adressa la parole pour lui demander soudainement :

- C’est vous qui avez peint Marabi ou Marabá ?

- Oui, Marabá.

- Mes félicitations ! Le tableau fut accepté au Salon, il est superbe! Mais n’envoyez plus jamais des travaux sans me les avoir montrés auparavant. Cette fois-ci, vous avez été heureux, car vous avez été accepté. Mais il aurait

Son admission dans l’atelier Cabanel date de 1879, mais l’entrée à l’Ecole, selon la liste des matricules, s’est faite le 10 août 1880, son numéro de matricule étant le 4612. (Archives nationales, France. [AJ / 52 / 236]. Inscriptions dans les sections de peinture et sculpture - octobre 1871 à juillet 1894).

160 - GOMES, Tapajós. Idem.“ Amoêdo, mais do que nunca, se entregou de corpo e alma aos estudos. Vitorioso no con-curso de entrada para a Academia, matriculou-se na aula do velho Cabanel. (...). Nos con-cursos mensais para freqüentar as aulas de Cabanel, o primeiro lugar nunca saía de um destes três alunos : Rivemale, Lavalay e Amoêdo, entre quarenta condiscípulos. De modo que, di-ante dos resultados por ele apresentados, a má vontade das nossas autoridades de Belas Ar-tes foi cedendo. Venceu o primeiro, o segundo, o terceiro ano de pensionato. Daí em diante, estava livre da espada de Damocles, que tinha sobre a cabeça. ”

161 "Marabá", le personnage de Gonçalves Dias, est une métisse, fille d’un blanc et d’une indienne.

128

pu se faire que vous le ne soyez pas, et dans ce cas votre échec aurait des reflets sur moi qui suis votre professeur.

- Je vous assure - m’a dit Amoêdo - que ma joie à ce moment-là fut si grande, que je ne me suis pas fâché d’entendre les mots de Cabanel. Je ne pouvais penser à autre chose qu’à mon tableau accroché à côté des célébrités de partout ! Si j’avais été un autre, j’aurais pu me considérer l’égal de mon maître, parce que tous les deux nous étions dans le Salon. Mais je me suis limité à l’embrasser avec épanchement, ayant du mal à contenir mon émotion qui était formidable ! Ce fut l’une des plus grandes émotions de ma vie d’artiste, et elle était double : celle d’être admis au Salon, et celle d’avoir mérité un éloge de Cabanel. 162

La joie du disciple qui entend les éloges faits par le maître à l’adresse de l’un de ses

travaux est touchante, car elle n’a pas disparu au fil des années. À l’âge de 82 ans, Amoêdo

s’en souvenait toujours avec émotion. Mais l’épisode est aussi un témoignage sur le

fonctionnement du système académique français. Cabanel fit des réprimandes à son disciple car

celui-ci ne lui avait pas montré le tableau avant de l’inscrire au Salon. Le refus de l’oeuvre d’un

disciple déteignait sur le maître. Il est intéressant aussi de souligner l’importance accordée par

Rodolpho Amoêdo au Salon : y exposer représentait pour lui être l’égal des artistes les plus

renommés en France.

162 - GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Ma-nhã, Suplemento de Domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.“ Estávamos em 1882, e Rodolpho Amoêdo sonhava já com o Salon des Artistes Français. Caíram-lhe sob os olhos os versos sentidos de Gonçalves Dias, sobre o romance de ‘Marabá’, a índia dos olhos garços da cor das safiras. O quadro pintado pelo poeta foi posto na tela pelo pincel do pintor. Era um trabalho realmente difícil, esse de evocar, num meio de civilização requintada, os olhos pretos, o rosto de jambo crestado pelo sol, a estatura flexível de palmeira, os cabelos negros e lisos de uma índia brasileira. Rodolpho Amoêdo, porém, não era temperamento para esmorecer e, assim, meteu mãos à obra.Um dia, mestre Cabanel, membro do jury de entrada para o Salon, perguntou-lhe de surpre-sa :- Marabi ou Marabá foi pintada por você ?- Sim, Marabá.- Receba, então, minhas felicitações. Foi aceito no Salon. Muito linda ! Mas não mande mais nenhum trabalho, sem me mostrar antes. Desta vez, foi feliz porque foi aceito. Mas poderia não ter o sido, e, nesse caso, o seu fracasso refletiria em mim, que sou seu professor.- Afirmo-lhe - disse-me Amoêdo - que a minha alegria, naquele momento, foi tão grande, que não me aborreci com as palavras de Cabanel. Só me via no Salon, pendurado, lado a lado, com as celebridades de toda parte ! Outro fosse eu, e poderia, pelo menos, considerar-me igual ao meu mestre, porque ambos estávamos no Salon. Eu, porém, limitei-me a abraçá-lo efusivamente, mal contendo a minha emoção que era formidável ! Uma das maiores emo-ções da minha vida de artista, e que era dupla : pela minha entrada no Salon e pelo elogio de Cabanel. ”

129

Après avoir été exposée au Salon, Marabá (ill.7) fut envoyée par Amoêdo à

l’Academia Imperial comme étant l’un des trois travaux obligatoires de la troisième année de

son séjour d’études. Dans le procès-verbal de la séance du 15 février 1883, on peut lire

l’analyse faite par les professeurs Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros à propos des

oeuvres envoyées :

Après l’examen des travaux de troisième année envoyés par le pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo qui se trouve à Paris,(travaux qui consistent en trois tableaux, à savoir : - une figure de femme, grandeur nature, intitulée ‘Marabá’ ; - un torse de femme ;- et une demi-figure de petite fille habillée en paysanne italienne), les professeurs de peinture donnent leur avis :

En ce qui concerne ‘Marabá’ - il s’agit d’une figure bien composée, largement faite, de coloris agréable. Le dessin cependant n’est pas satisfaisant. Il est étudié avec soin de la tête jusqu’à la région de la poitrine, mais de cette région jusqu’aux jambes le dessin est négligé.

Dans l’étude de torse de femme (vu de dos) M. Amoêdo fut plus heureux, aussi bien dans le dessin que dans le modelé.

130

Quant au troisième et dernier travail, la demi-figure de petite fille habillée en paysanne italienne, c’est une étude entièrement différente des deux premières ; tandis que les premiers travaux sont exécutés largement, celui-ci est minutieux et scrupuleusement dessiné. Ce fait signifie que le pensionnaire, ou bien n’a pas encore fixé une manière, ou bien est capable d’exécuter ses travaux selon des manières différentes.

Pour conclure, de la confrontation de ces travaux avec ceux de l’envoi précédent il ressort que M. Amoêdo fait des progrès satisfaisants dans ses études et, par conséquent, il devient toujours plus digne de louanges et de la protection de notre Académie et du gouvernement impérial. Rio de Janeiro, le 15 février 1883 (signé) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros.163

On observe que les professeurs étaient méthodiques lors de l’examen des envois des

pensionnaires. Les qualités de la composition, de la facture, du dessin, du modelé et du coloris

étaient analysées séparément. D’ailleurs, ils ne se laissèrent pas impressionner par le succès de

Rodolpho Amoêdo au Salon de la Société des artistes français. Au contraire, Marabá

fut l’oeuvre la plus sévèrement critiquée.

D’après Gonzaga Duque on sait que Rodolpho Amoêdo présenta ces mêmes oeuvres

à côté de celles d’Almeida Junior dans une exposition réalisée en 1882. Le critique commente

que trois toiles d’Amoêdo, “ Marabá, exposée à Paris ; une étude de torse féminin ; et une

demi-figure ”, étaient exposées côte à côte avec les oeuvres du peintre de São Paulo. À

l’occasion de l’exposition, Gonzaga-Duque avait publié dans le journal O Globo un article

163 - Procès-verbal de la séance du corps d’enseignants de l’Academia Imperial, le 15 février 1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.“ Tendo a Sessão de Pintura examinado os trabalhos do terceiro ano do Pensionista do Esta-

do Rodolpho Amoêdo, que se acha em Paris, constantes de três quadros, sendo : - Uma fi-gura de mulher, tamanho natural, intitulada - Marabá - ; um tronco também de mulher e um meio-corpo de menina (costume de camponesa italiana), é de parecer : - Quanto à Ma-rabá -, ser uma figura bem composta, largamente feita e de colorido agradável, mas, quan-to ao desenho, deixa ainda alguma coisa a desejar ; pois sendo essa qualidade estudada com cuidado desde a cabeça até a região peitoral, não acontece o mesmo dessa região até as pernas, que é um tanto descurada. - No estudo do tronco de mulher (de costas) foi o Sr. Amoêdo mais feliz, tanto no desenho, como no modelado. - Quanto ao terceiro e último - meio corpo de menina, (costume de camponesa italiana) - é este um estudo inteiramente diferente dos dois primeiros ; enquanto aqueles são largamente feitos, este é minucioso e escrupulosamente desenhado. Isto porém só prova que o pensionista, ou ainda não fixou uma maneira, ou que é capaz de executar os seus trabalhos por mais de um modo. - Em conclusão ; julgando-se estes trabalhos de confronto com os da anterior remessa, é incon-testável que o Sr. Amoêdo vai satisfatoriamente progredindo nos seus estudos e por con-seqüência, tornando-se cada vez mais digno de louvores, e da proteção da nossa Academia e do Governo Imperial. - Rio de Janeiro, 15 de Fevereiro de 1883. (assinado) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros. ”

131

élogieux où il soutenait l’interprétation donnée par l’artiste au type de la métisse. Cependant,

en 1887 Gonzaga-Duque revint sur ses déclarations.

Aujourd’hui, (...), il [l’auteur de ces lignes] n’est plus entièrement d’accord avec ce qu’il a écrit. Comme oeuvre historique, le tableau d’Amoêdo n’a pas beaucoup de valeur :

1o - parce que si le peintre l’avait envoyé sous le titre de Mélancolique ou d’Isolée, ou s’il nous l’avait remis comme une simple étude de nu, assurément que personne ne serait capable de trouver la source qui l’inspira ;

2 o - pour que cette toile eût une importance historique, il aurait fallu qu’elle représente une scène de nos tribus indigènes ;

3 o - (...) puisque le peintre a trouvé dans le poème la touchante description du type de Marabá, il était juste qu’il moule l’exécution de son travail sur les traits décrits par la poésie qui l’inspira. Mais le poète des Timbiras nous décrit Marabá comme un type blond, les yeux bleus comme la mer ; et le peintre, en s’éloignant de ces caractéristiques, a donné à la peau de son personnage la couleur brune des feuilles sèches, à ses yeux le noir du jacarandá, aux cheveux la couleur des fruits du tucum. C’est une métisse, (...). Mais elle n’est pas la fille de l’étranger, haïe par les sauvages.164

Cette critique de Gonzaga-Duque nous aide à comprendre la démarche d’Amoêdo.

Ce dernier, imprégné de la pensée académique, voulut indiquer une source littéraire pour son

oeuvre. La citation de Gonçalves Dias lui servait de garant du sérieux et de la valeur de son

164 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.185.“ O autor destas linhas publicou por esse tempo (1882) um folhetim no Globo, onde procurava defender a interpretação dada pelo artista ao tipo da mestiça. Hoje, (...), dis-corda, em parte, das linhas que escreveu. O quadro de Amoêdo como obra histórica pouco valor encerra : 1o porque, se o pintor o tivesse enviado com o título de Melan-cólica, ou de Isolada, ou se nô-lo remetesse como um simples estudo do nu, ninguém, ao certo, encontraria a fonte que lhe serviu de inspiração ; 2o para ter a importância de uma tela histórica necessário fora que representasse uma cena das nossas tribos indíge-nas ; 3o sendo nossa forma poética - o lirismo, (...), e tendo sido nesse lirismo que o pintor encontrou a tocante descrição do tipo de Marabá, era justo que amoldasse a exe-cução do seu trabalho aos traços descritivos da poesia que lho inspirou. Mas o poeta dos Timbiras nos descreve a Marabá um tipo louro, de olhos azuis como o mar ; e o pintor, afastando-se desses característicos, dá-lhe à tez o tom queimado das folhas se-cas, aos olhos o negro do jacarandá, aos cabelos a cor dos frutos do tucum. É um tipo de mestiça, (...). Mas não é (...) a filha do estrangeiro, odiada pelos gentios. ”

132

tableau. Il est curieux de comparer l’analyse de Gonzaga-Duque à celle des

professeurs de l’Académie que l’on a mentionnée plus haut. Tandis que le critique se penche

sur la référence littéraire du tableau, Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros ne font

qu’analyser les aspects techniques de la composition. Cela nous amène à comprendre que la

préoccupation première de l’enseignement procuré au sein de l’Académie était de l’ordre du

métier, dans le sens d’un savoir-faire technique.

Cette première participation au Salon de la Société des artistes français encouragea

Rodolpho Amoêdo. L’année suivante, 1883, il fut accepté au Salon avec la toile Le Dernier

Tamoyo (ill. 8), une deuxième oeuvre d’inspiration indianiste165. Le tableau représente deux

figures : Aymberê, le Tamoyo décédé, et Anchieta, le religieux qui essaye d’arracher le cadavre

aux vagues de la mer. Campofiorito mentionne Le Dernier Tamoyo et Marabá comme les

deux uniques occasions où Rodolpho Amoêdo se tourna vers la thématique brésilienne, en

affirmant que “ même alors il n’échappe pas aux inspirations littéraires ” :

(...) dans ‘Marabá’ et dans ‘Le Dernier Tamoyo’ il s’inspira d’un indianisme tardif qui, dans l’oeuvre de nos écrivains, avait représenté une réaction contre l’influence spirituelle de l’ancienne métropole. Son regard le plus attentif était tourné vers les sujets classiques ou bibliques. (...) dans les deux toiles citées, l’indienne Marabá et le chef indien Aymbiré (...) seraient plutôt des prétextes pour l’exécution de nus formidables qui, dans leur genre, constituent deux exemples de ce qui se faisait de mieux à l’époque à Paris. Par conséquent, les deux oeuvres obtinrent le plus grand succès quand elles furent exposées au Salon de la Société des artistes français.166

165 - Evidemment, ici, les mots indianiste et indianisme se réfèrent aux indiens brésiliens. Dans le mouvement du romantisme littéraire brésilien, la figure de l’indien fut valorisée comme représentant l’individu sauvage, pur et non pas maculé par la civilisation, en même temps qu’elle se constitua en un symbole nationaliste.

166 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.191.“ Só em duas ocasiões volta-se para assuntos brasileiros, e assim mesmo não escapa às inspi-

rações literárias, como em Marabá e em Último Tamoio, levado por tardio indianismo, que em nossos escritores fora atitude contra a influência espiritual da ex-metrópole. Sua me-lhor atenção dirigiu-se facilmente para os temas clássicos e bíblicos. Os nus que aparecem em suas duas telas citadas, a índia Marabá e o chefe índio Aymbiré morto, serão mais pre-textos para a execução de formidáveis nus, que, no gênero, constituem dois exemplos do que de melhor se fazia na época em Paris, e daí o merecido apreço que tiveram as duas composições quando exibidas no Salon dos artistas franceses. ”

133

Rodolpho Amoêdo continua à envoyer des tableaux au Salon. L’année de 1884 il y

était présent avec une toile à sujet religieux : Le Départ de Jacob. Cette même année il

demanda une prolongation de sa pension, souhaitant rester encore deux ans à Paris.167 La

demande fut accompagnée de l’envoi de trois tableaux : Le Départ de Jacob, une copie de

Tiepolo (dont l’original se trouvait au Louvre), et une grande étude de figure féminine vue de

dos (ill.9). De plus, Amoêdo envoyait l’esquisse d’un tableau de grande machine qu’il

prétendait réaliser sur le sujet de Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10). Tous ces travaux, qui

aujourd’hui font partie des collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro,

furent analysés par la commission des professeurs de peinture à l’Académie, c’est-à-dire par

Victor Meirelles et José Maria de Medeiros. Dans leur avis ils ont considéré :

que ces travaux révèlent un grand avancement, et laissent entrevoir le résultat final de ses efforts, auquel il va sûrement arriver plus tard, après s’être libéré de la situation transitoire et de dépendance qui est la sienne pour l’instant, lorsqu’il subit l’influence de l’étude, de la pratique et des préceptes de l’Ecole française contemporaine (...). La petite ébauche qui représente Jésus Christ à Capharnaüm est une bonne composition et exige pour son exécution la prolongation de la pension pendant deux ans(...). Ce tableau, qui doit être bien exécuté de façon à ce que la figure du protagoniste acquière plus d’importance dans la composition, sera sûrement l’un des travaux de plus grande valeur du jeune artiste. Ainsi, la commission considère que la demande du pensionnaire est juste. Academia Imperial das Belas Artes - le 3 septembre 1884 - Victor Meirelles - José Maria de Medeiros.168

167 - Procès-verbal de la séance du 13 de septembre 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

168 - Procès-verbal de la séance du 13 septembre 1884. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro. “ (...) que estes trabalhos revelam grande aproveitamento, deixando antever o resultado final

dos seus esforços, que por certo atingirão ; libertando-se mais tarde da situação transitória e dependente, que o estudo, a prática e os preceitos da Escola francesa contemporânea, tanto influem e o induzem a sentir desse modo. O esboceto representando Jesus Cristo em Cafarnaum é uma boa composição que para executá-lo requer o dito pensionista - prorro-gação por dois anos do prazo de sua pensão - na forma do art. 9 das instruções dos pensio-nistas. Esse quadro devendo ser bem executado e de modo que a figura do protagonista adquira mais importância nessa composição, constituirá certamente um dos trabalhos mais valiosos do jovem artista. Por isso parece à Comissão ser justo o pedido a que ele tem di-reito : - Academia Imperial das Belas Artes - 3 de setembro de 1884 - Victor Meirelles - José Maria de Medeiros. ”

134

Il faut souligner la remarque faite par les professeurs à propos de l’influence de

l’Ecole française sur le pensionnaire. L’attitude de l’Académie brésilienne paraît contradictoire.

Les jeunes artistes étaient envoyés étudier en France sous l’orientation des maîtres de l’Ecole

des Beaux-Arts de Paris, cependant les professeurs brésiliens ne considéraient pas entièrement

positive l’influence française. On voit qu’en réalité les maîtres brésiliens comprenaient la

période d’études en Europe comme une étape d’apprentissage. Ils envisageaient par la suite

une libération de l’étudiant, qui devrait conquérir son indépendance artistique.

Les professeurs étant satisfaits du résultat atteint par Rodolpho Amoêdo, la

commission approuva la prolongation de sa pension à compter du 15 août 1885. De plus, en

juillet 1885, le pensionnaire reçut 6.523$000,50 comme aide financière pour accomplir

l’oeuvre Jésus Christ à Capharnaüm 169. La même année, Rodolpho Amoêdo exposa au Salon

de la Société des artistes français le tableau La Narration de Philectas170.

Le 15 août 1887, la prolongation de sa pension touchait à la fin. En février 1888,

Rodolpho Amoêdo était de retour au Brésil. Ses derniers travaux de pensionnaire furent alors

analysés par les professeurs de l’Academia Imperial. Cependant, deux rapports furent

présentés séparément. Le premier était signé par le professeur José Maria de Medeiros, le

second par le professeur Zeferino da Costa. Penchons-nous d’abord sur l’évaluation de José

Maria de Medeiros :

Avis sur les derniers travaux du pensionnaire Rodolpho Amoêdo - La Congrégation de l’Académie des Beaux-Arts a bien fait lorsque dans le concours de 1878 elle a choisi M. Rodolpho Amoêdo comme pensionnaire en Europe. L’élève, qui révéla à ce moment-là une disposition et un talent hors du commun qui l’ont amené à l’obtention du Prix de Voyage, est aujourd’hui de retour à cette Académie ; il revient de ces terres, si favorables à l’épanouissement des arts, comme un artiste complet, et avec les preuves qui attestent son ardeur à l’étude, son application et son savoir. On ne pouvait pas attendre moins de quelqu’un qui avait satisfait de façon si exubérante le programme d’études que cette Académie exige de ses pensionnaires en Europe. En montrant toujours à chaque nouveau travail un progrès dans l’art qu’il étudiait, il conclut brillamment son séjour d’études.

Les deux toiles présentées aujourd’hui à notre appréciation nous prouvent, sans aucun doute, qu’en Peinture, depuis la ‘Première messe’, jamais aucun pensionnaire en Europe ne nous a envoyé des travaux d’une si longue

169 - Procès-verbal de la séance du 18 juillet 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.170 - Actuellement, ce tableau fait partie des collections du Museu Nacional de Belas Artes de

Rio de Janeiro.

135

haleine et si méritoires. La première toile ‘Christ à Capharnaüm’ est une belle composition classique de grandes lignes bien disposées, harmonisées par une couleur sévère et agréable, comme il convient à ces sujets. Les figures du premier plan son de grandeur naturelle, judicieusement groupées (...) correctement dessinées (...). La belle silhouette du Sauveur, [apparaît] toute mystique et mystérieuse dans sa tunique large et blanche, (...). Cette scène (...) procure au tableau quelque chose de vrai et de classique qui s’impose à notre admiration et respect. (...). Avec le choix de ce passage de la Bible, M. Amoêdo a réussi à mettre en relief son brillant talent, en faisant preuve d’être un peintre d’histoire raffiné, dont l’âme et l’individualité nous impressionnent ; de plus, par l’exécution, il a su faire respecter dans le sujet sa manière de voir et de sentir. (...). Dans la seconde toile, ‘La Narration de Philectas’, M. Amoêdo nous montre une nouvelle modalité de son talent, celui d’un exquis paysagiste décoratif. Il nous présente un paysage magistral et finement peint, exhalant le souvenir des amours naïfs des bergers et tout le parfum des vieux temps de la Grèce. C’est un vrai poème bucolique, délicat et poétiquement peint. Ce tableau ne doit plus sortir de notre Académie, il doit être acquis le plus tôt possible171. (...). Rio de Janeiro, le 3 février 1888. José Maria de Medeiros.172

171 - La Narration de Philectas appartient aujourd’hui au Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro.

172 - Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 55 - 56. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ Parecer dos últimos trabalhos do pensionista Rodolpho Amoêdo - Com acerto andou a Congregação da Academia das Belas Artes, quando no concurso de 1878, escolheu o Sr. Rodolpho Amoêdo para ser pensionista na Europa. - O aluno que já nessa épo-ca, revelou disposição e talento fora do comum a ponto de lhe ser discernido o prê-mio de viagem, vem hoje a esta Academia ; de volta dessas terras tão bem fadadas para a arte, um artista completamente feito, e com as provas que atestam o seu estu-do, a sua aplicação e o seu saber. - Nem se podia esperar menos, de quem tão exube-rantemente satisfez o programa de estudos, que esta Academia exige dos seus pensio-nistas na Europa, assinalando sempre de trabalho a trabalho um progresso na arte que estudava e fechando com uma verdadeira chave de ouro, esse período de estudos como pensionista da Academia. - As duas telas apresentadas hoje à nossa apreciação, nos provam sem contestação, que em Pintura, depois da Primeira Missa, nunca pen-sionista da Europa nos mandou trabalhos de tamanho fôlego e tanto merecimento. - A primeira tela : Cristo em Cafarnaum é uma bela composição clássica de linhas grandes e bem dispostas, harmonizadas por uma cor severa e agradável como con-vém a tais assuntos. - As figuras do primeiro plano, criteriosamente grupadas (...) corretamente desenhadas (...), a bela silhueta do Salvador, toda mística e misteriosa na sua ampla e branca túnica, (...). Esta cena (...) faz desprender do quadro um - que - de verdade e classicismo que se impõe ao nosso respeito e admiração. (...) O Sr. Amoêdo escolhendo esse ponto da Bíblia, conseguiu por em relevo o seu brilhante ta-lento, mostrando-se um pintor histórico de fina têmpera, tendo alma e individualidade para nos impressionar ; e sabendo pela execução, fazer respeitar no assunto o seu modo de ver e sentir. (...) - Na segunda tela A Narração de Philectas - o Sr. Amoêdo nos mostra uma nova modalidade do seu talento, o de ser um distinto paisagista de-corativo. - Ele nos apresenta uma paisagem magistral e finamente pintada, recenden-

136

Le rapport de José Maria de Medeiros ne pouvait pas être plus élogieux. Selon ce

professeur, Rodolpho Amoêdo revenait d’Europe comme un artiste accompli. En rapprochant

deux de ses oeuvres - Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10) et La Narration de Philectas - de

La Première messe (ill.4), tableau de Victor Meirelles, il assurait à Amoêdo une position de

prestige parmi les peintres brésiliens. Penchons-nous maintenant sur le rapport présenté par

Zeferino da Costa :

Le sous signé, professeur de la section de Peinture de l’Academia Imperial de Belas Artes (...), interrogé par M. le Secrétaire dans la séance du 3 de ce mois de Février 1888 (...) à propos de son avis relativement aux derniers travaux du pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo, répondit qu’il n’avait rien préparé vu qu’il n’avait reçu aucune communication officielle à ce propos. (...), cependant le pensionnaire n’a rien à voir avec les dissensions qui, malheureusement, opposent entre eux quelques membres du Corps académique, il mérite donc notre attention (...). Je ne [serais] pas succinct dans l’analyse des deux tableaux du pensionnaire. L’un représente ‘Le Christ à Capharnaüm’ ; et l’autre ‘La Narration de Philectas’. Il est vrai que l’éminent professeur Cabanel, qui orienta le pensionnaire dans ses études en Europe, aurait dû s’occuper parfaitement de cette appréciation dans son attestation. Ce professeur (...) est réputé l’un des meilleurs artistes de France. Cependant, je déclare que des deux tableaux analysés, je préfère ‘La Narration de Philectas’. Dans cette préférence il ne s’agit pas d’une sympathie pour le sujet ; simplement, ‘La Narration de Philectas’ fut mieux traité en ce qui concerne toutes les qualités essentielles. Les deux tableaux possèdent des qualités, mais ils présentent aussi des défauts. Pourtant, si l’on considère que les difficultés de réalisation des oeuvres d’art augmentent dans la mesure où les sujets se compliquent et deviennent grandioses, et si l’on examine rapidement les travaux du pensionnaire dans l’ordre respectif, c’est-à-dire, depuis le premier avec lequel il obtint le Prix de Voyage, voilà

do uns ingênuos amores pastoris todo o perfume dos velhos tempos da Grécia. - É um verdadeiro poema bucólico, delicado e poeticamente pintado. - Este quadro não deve sair mais da nossa Academia, fazendo-se o mais breve possível aquisição desse mimoso trabalho (...). Rio de Janeiro, 3 de Fevereiro de 1888 - José Maria de Medei-ros. ”

137

mon avis : - M. Rodolpho Amoêdo a bien profité de ses études, et s’il est vrai que l’on remarque dans ses tableaux le manque de cette individualité qui distingue les oeuvres de grands artistes, on suppose que ce manque est dû à la soumission aux préceptes du maître qui l’orienta. Cela veut dire que le pensionnaire, désormais libre, pourra imprimer à ses oeuvres cette marque qui est l’un des premiers buts de l’artiste. Rio de Janeiro, le 18 février 1888. Professeur J. Zeferino da Costa.173

Dans ce rapport, on remarque des critiques à l’adresse de Cabanel, maître d’Amoêdo

à Paris. Mais le rapport de Zeferino da Costa n’a pas eu de sympathisants, et les professeurs

ont approuvé le rapport de José Maria de Medeiros par unanimité.

Le retour de Rodolpho Amoêdo au Brésil fut aussi l’occasion d’une exposition où le

public a pu voir toute sa production européenne, les envois de pensionnaire inclus. Le succès

du peintre fut absolu et une semaine après la fermeture de l’exposition, Amoêdo était nommé

membre honorable de la section de peinture d’histoire de l’Académie des Beaux-Arts. Quelque

173 - Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 56 - 57. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ O abaixo assinado, professor honorário da seção de Pintura da Academia Imperial das Belas Artes (...), tendo sido interpelado pelo Sr. Secretário, em sessão do dia 3 do corrente (...) sobre o parecer relativo aos últimos trabalhos do Pensionista do Estado Rodolpho Amoêdo, respondeu que nada tinha feito a respeito, em virtude de não ter recebido comunicação oficial para este fim. (...), o mesmo Pensionista, indiferente às desinteligências que, infelizmente, existem entre alguns membros do Corpo acadêmi-co, não deve por isso ser prejudicado nos seus interesses (...). Não [serei] sucinto na análise dos dois quadros do mencionado Pensionista, representando um, - Cristo em Cafarnaum - e o outro, - Narração de Philectas - porque, está certo que proficiente-mente a esse respeito devia ter-se ocupado no seu atestado o Distinto Professor Sr. Cabanel, que guiou o Pensionista em seus estudos na Europa ; professor que, tanto no gênero, como na sua escola, é reputado um dos melhores artistas da França. - Não obstante, tem a dizer que : dos dois quadros em questão, prefere o - Narração de Phi-lectas - Não entra nessa preferência simpatia alguma sobre o assunto ; simplesmente por ser - Narração de Philectas - tratado melhor em todos os seus requisitos. - Am-bos estes quadros tem qualidades boas, como não estão isentos de defeitos ; (...). Atendendo porém, que as dificuldades das obras de arte aumentam na proporção dos assuntos complicados e grandiosos, e examinando ligeiramente os trabalhos do Pensi-onista, pela ordem respectiva ; isto é, desde aquele pelo qual lhe foi conferido o prê-mio de ir estudar na Europa, como Pensionista, é de parecer : - Que o Sr. Rodolpho Amoêdo muito aproveitou nos seus estudos ; e que, se se nota nos seus quadros a fal-ta de individualidade que tanto distingue as obras dos artistas, sendo de supor que só à sujeição dos preceitos do mestre que o guiou, será devida essa falta, não quer isso dizer que d’ora em diante, livre como deve considerar-se o ex-Pensionista, não pro-curará imprimir em suas obras esse cunho que é um dos principais objetivos do artis-ta. Rio de Janeiro, 18 de Fevereiro de 1888 - O Professor J. Zeferino da Costa. ”

138

temps plus tard, il fut nommé professeur par intérim de la même institution, occupant la chaire

de Victor Meirelles qui était libéré de ses obligations de professeur.

À la fin de 1890, déjà sous le régime républicain, Amoêdo fut nommé membre de la

commission chargée d’organiser la réforme de l’Académie des Beaux-Arts. Après la

promulgation de la réforme, le peintre voulut partir en Europe, ce qu’il fit le 8 décembre 1890.

Il se fixa à Paris, et travaillait sur la Desdémone endormie lorsqu’il reçut l’annonce de sa

nomination comme professeur titulaire de l’Escola Nacional de Belas Artes. Il écrit

immédiatement à Rodolpho Bernardelli, le nouveau directeur de l’Ecole, une longue lettre en

refusant le poste qu’il n’avait pas demandé. Et Amoêdo raconte :

- Lorsqu’il a reçu ma lettre, Bernardelli m’a tout de suite écrit une lettre personnelle où il déclara qu’il ne pouvait pas accepter mon refus, (...). Je fus obligé à accepter la nomination ; et Rodolpho Bernardelli (...) m’a chargé d’engager deux professeurs à Paris ; l’un d’archéologie et l’autre de gravure. Mais il fallait retourner vite, ce que j’ai fait en juin 1891, ayant engagé seulement Charles Gustave Paille, professeur d’archéologie, le seul qui accepta de venir au Brésil avec le salaire de quatre cents mille réis par mois.174

Pendant trente cinq ans, Rodolpho Amoêdo a enseigné la peinture à l’Escola

Nacional de Belas Artes. Sa vie durant, il est resté fidèle à la formation qu’il avait reçue à

l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Comme professeur à Rio de Janeiro, il a transmis les

enseignements des maîtres français jusqu’au moment de sa retraite, en 1935.

174 - GOMES, Tapajós. Idem.“ - Recebendo minha carta, Bernardelli apressa-se em me escrever particularmente, declaran-do não poder aceitar a minha recusa (...). Fui obrigado a aceitar a nomeação ; e Rodolpho Bernardelli (...) encarregou-me de contratar dois professores em Paris : um de arqueologia e outro, de gravura. Urgia, porém, regressar, o que fiz em junho de 1891, só tendo conseguido contratar Charles Gustave Paille, professor de Arqueologia, o único que se sujeitou a vir para o Brasil, ganhando quatrocentos mil réis mensais. ”

139

5.3 - Le parcours d’Almeida Júnior175 (1850-1899)176

Le troisième peintre dont on a choisi de présenter l’itinéraire est José Ferraz de

Almeida Júnior. Ainsi que Rodolpho Amoêdo, il fut disciple de Victor Meirelles à l’Académie

brésilienne et d’Alexandre Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Cependant, tandis

qu’Amoêdo est un exemple typique de peintre académique, la place accordée à Almeida Júnior

dans l’histoire de l’art brésilien est celle d’un précurseur du modernisme, même s’il fut parfois

critiqué pour ne pas avoir été influencé par l’impressionnisme français. Rien que pour cela, il

serait déjà intéressant d’étudier son parcours, mais, en outre, Almeida Júnior fut un peintre

d’une grande sensibilité et son oeuvre a une grande valeur.

José Ferraz de Almeida Júnior est né à Itu, ville de l’Etat de São Paulo. À l’âge de 19

ans il reçut une pension de sa province pour se former comme peintre à Rio de Janeiro. Il

s’inscrivit alors à l’Academia Imperial das Belas Artes où il suivit les cours des professeurs

Victor Meirelles e Jules Chevrel. En 1875, ayant fini ses études à l’Académie, il retourna à sa

ville natale. Mais il n’y est pas resté longtemps car Dom Pedro II lui accorda une pension pour

continuer ses études en Europe. En 1876, il est venu se perfectionner à Paris où il devint

disciple de Cabanel.

On trouve le nom de José Ferraz d’Almeida Júnior inscrit sur le registre des

immatriculations de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le numéro 4415, la date de son

entrée à l’Ecole étant le 19 mars 1878.177 Son nom se trouve aussi sur la liste des élèves inscrits

dans l’atelier Cabanel,178 une première fois en 1878 (sous le numéro 409) et une seconde fois

en 1879 (sous le numéro 436). Voici ses données :

n. 409 - Ferraz d’Almeidané à São Paulo, Brésille 8 mai 1850

175 - Il est curieux de constater que dans le BENEZIT (Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976), Almeida Júnior est classé dans l’Ecole Française. Deux de ses oeuvres y sont indiquées : La Fuite en Egypte (ill.15), exposé au Salon de Paris 1881 ; et Pendant le Repos (ill.17), exposé au Salon de 1882.

176 - Selon Laudelino Freire, Almeida Júnior est né le 8 mai 1851. D’autres auteurs indiquent l’année de 1850 comme date de sa naissance. Almeida Júnior lui même, lors de son inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, déclara être né en 1850. Almeida Júnior est décédé à Piracicaba, ville de l’Etat de São Paulo.

177 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 236.178 - Archives nationales (France) - AJ/52/248 - Inscriptions dans les ateliers de peinture,

sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945.

140

demeure : 30, rue Montholonentrée : le 11 février 1878

n. 436 - d’Almeida, José Ferrazné à São Paulo, Brésille 8 mai 1850demeure : 22, r. Turgotentrée le 29 janvier 1879

Dans les documents concernant la vie scolaire des étudiants de l’Ecole des Beaux-

Arts de Paris, Almeida Júnior est mentionné deux fois lors des résultats des concours annuels.

Il se trouve parmi les trois lauréats du concours de dessin d’ornement réalisé le 23 mai 1878.

Le 25 mai de la même année il reçut une ‘mention provisoire’ dans le concours d’anatomie.179

Ces informations témoignent de son dévouement aux études.

Le séjour d’Almeida Júnior en Europe fut de six ans pendant lesquels il demeura à

Paris. Mais ses biographes affirment que pendant cette période le peintre a fait aussi un voyage

en Italie. On sait qu’il retourna au Brésil en 1882 et fit exposer à Rio de Janeiro les grandes

toiles qu’il avait réalisées à l’étranger. Après cela, il s’installa définitivement à São Paulo, où il

réalisa des oeuvres dont les sujets étaient les paysans et la vie quotidienne dans cette province.

C’est grâce à ces peintures réalisées à São Paulo après son retour d’Europe

qu’Almeida Júnior fut distingué par les historiens de l’art brésilien comme “ le premier artiste

brésilien qui a pris contact avec la réalité de sa terre en peignant la vie de l’intérieur de São

Paulo ”180, “ l’un des plus légitimes représentants de l’art brésilien ”181. Ces toiles où il a dépeint

des scènes et des personnages de sa province furent considérées comme la partie la plus

importante de son oeuvre, et l’intérêt qu’il portait aux sujets brésiliens fut très valorisé.

179 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 90. Dans les deux concours, le nom de son professeur est indiqué : Alexandre Cabanel.

180 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.181.181 - LAUDELINO FREIRE. Um Século de Pintura, p.291.

141

Pourtant, même avant sa phase pauliste, le talent d’Almeida Júnior était déjà perçu

comme original. Gonzaga-Duque, critique hostile à l’académisme, en écrivant à propos des

quatre tableaux que le peintre présenta à l’Exposition Générale des Beaux-Arts à Rio de

Janeiro en 1884, le définit comme l’artiste brésilien le plus original, celui qui avait la plus nette

et moderne compréhension de l’art182. Gonzaga-Duque écrivit alors :

Les tableaux d’Almeida Júnior s’imposent par la simplicité du sujet et par la manière dont ils furent peints (...). Le sujet qui vient occuper l’espace de la toile est celui qui l’a ému (...). [Sa Fuite en Egypte (ill. 15)] représente l’idéal de l’art moderne ; ce tableau est une oeuvre solide, morale, simple et bien faite. Le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une femme du peuple qui aime son fils et qui sent le lait lui affluer aux seins, prête à l’allaiter. (...). Ce qui donne de l’importance technique au tableau c’est l’effet de lumière du soleil couchant qui s’étale doucement et vaguement à l’arrière-plan, sur les figures et sur le sol, en ajoutant une tonalité argentée à la superficie du petit ruisseau. (...)

[Dans le Bûcheron Brésilien (ill. 16)] l’artiste nous présente une vigoureuse étude de torse. Les bras et la poitrine du métis en repos (...) sont peints avec maestria. La carnation, et surtout le thorax, rappellent les études de Bonnat par leur vérité. Cependant je le trouve peu naturel, comme s’il posait pour être peint. Dans Pendant le repos (ill. 17), l’artiste se montre meilleur, et pourtant moins original. C’est un atelier de peinture. L’intérieur est chaud et baigné par une lumière faible et égale. (...). Mais les deux figures sont peintes avec facilité, coloriées avec immense goût, dessinées avec soin et observation. Le reflet de la lumière sur le piano est merveilleusement fait, et ce fut peut-être ce bel effet et le gracieux dessin du modèle qui ont éveillé l’attention de la critique parisienne lorsque le tableau fut exposé au Salon de 1882.183

182 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.180.“ Entre os artistas que enviaram quadros à última exposição acadêmica de 1884 aquele

que acusava, por suas obras, maior originalidade e mais nítida e moderna compreen-são da arte era Almeida Júnior. ”

183 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 181-184.“ Os quadros de Almeida Júnior se inculcam antes pela simplicidade do assunto e pela

maneira porque foram pintados (...). É o assunto que lhe comove (...) que vai para a tela. (...). [Sua Fuga para o Egito] representa o ideal da arte moderna ; é uma obra sólida, moral, simples e bem feita. O tipo de Maria nada tem de seráfico, é bem de uma mulher do povo, que adora seu filho e sente túrgidos os seios para o amamentar. (...). Mas o que funda a importância técnica do quadro é o efeito da luz poente, que se derrama suave e vagamente no fundo, nas figuras, no solo, dando tons espelhados de aço polido às águas do mísero córrego. (...). [No Descanso do lenhador] o artista nos apresenta um vigoroso estudo de tronco. Os braços e o peito do mameluco, que descansa do trabalho (...) são pintados com saber. A carnação, e sobretudo o tórax, são de uma verdade que lembram os estudos de Bonnat. Acho-lhe, no entanto, com pouca naturalidade ; parece que foi propositadamente posado para ser pintado. Me-

142

Le critique attribue à la peinture d’Almeida Júnior un caractère moderne. Cependant,

contrairement aux critiques brésiliens postérieurs, la ‘modernité’ qu’il y trouve ne concerne pas

quelque innovation quant aux sujets choisis par le peintre. On observe, par exemple, que

Gonzaga-Duque fait plus de louanges à la Fuite en Egypte, tableau dont la thématique biblique

était en accord avec le goût académique, qu’au Bûcheron Brésilien. Gonzaga-Duque souligne

que “ le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une femme du peuple ”, et dans

cette façon réaliste d’aborder le thème il voit une attitude opposée à celle des peintres liés à

l’Académie.

Mais s’il est vrai qu’Almeida Júnior a été considéré comme un peintre qui se

démarquait des artistes de l’Académie de Rio, ses professeurs brésiliens attachés à la même

Académie l’ont reconnu, eux aussi, comme un grand peintre. Dans un rapport sur l’Exposition

Générale de 1884, ces professeurs mentionnèrent les oeuvres qu’Almeida Júnior y avait

exposées, exactement les mêmes que Gonzaga-Duque avait analysées. Il est intéressant de citer

ici leurs considérations :

De M. José Ferraz d’Almeida Junior, ancien élève de l’Académie, on peut admirer quatre tableaux historiques ; et dans tous les quatre le talent inné du jeune artiste se révèle, ainsi que l’application aux études accomplies non seulement dans notre Académie pendant la période où il a été pensionnaire de la Province de São Paulo, sa province d'origine, mais aussi pendant la période où, aux dépens de la pochette impériale, il a été à Paris, où il a suivi les enseignements du professeur Alexandre Cabanel. Les quatre tableaux exposés appartiennent tous à l’Académie, et celui de numéro 126 - La Fuite de la Sainte Famille en Egypte (ill.15) - a été magnanimement offert par Sa majesté l’Empereur, à qui l’artiste l’avait dédié. Les trois autres furent achetés par le gouvernement impérial. (...). Parmi ces tableaux, le premier déjà cité, qui appartient à l’école idéaliste, et celui de numéro 197, nommé Pendant le repos (ill. 17), qui s’approche de la moderne école française, sont supérieurs aux deux autres en mérite, et placent son auteur parmi nos meilleurs peintres.184

Curieusement, les deux toiles mises en valeur par Gonzaga-Duque sont les mêmes

qui ont eu la préférence des professeurs de l’Académie.

lhor, porém, menos original, ele se mostra no Repouso do modelo. É um atelier de pintura. O interior é quente e banhado por uma luz fraca e igual. (...). Mas as duas fi-guras são tocadas com facilidade, coloridas, com imenso gosto, desenhadas com mui-to capricho e observação. O reflexo da luz que apresenta a tampa do piano é maravi-lhosamente apanhado, e foi, talvez, esse belo efeito e o gracioso desenho do modelo, que despertaram a atenção da crítica parisiense quando foi exposto no Salon de 82. ”

184 - Procès-verbal de la séance du 17 décembre 1884. Arquivo Museu D. João VI/EBA/UFRJ, Rio de Janeiro.

143

Pour conclure cette courte présentation du peintre Almeida Júnior, il est nécessaire

de reproduire ici l’anecdote racontée par Gonzaga-Duque à propos du caractère broussard de

l’artiste :

On raconte l’histoire d’un important Brésilien à qui on avait demandé, puisqu’il allait à Paris, de visiter l’atelier d’Almeida Júnior pour observer les progrès que le peintre avait faits après trois ou quatre années d’études. Le Brésilien accepta cette commission et alla visiter l’artiste. Il fut étonné de voir que le jeune homme avait gardé les mêmes gestes, le même type méfiant et timide, le même parler des péquenauds. Ce qui a surtout étonné le visiteur ce fut d’entendre dire au peintre :

- Je crève d’envie de me retrouver au Brésil !

Eh bien ! Ce modeste provincial, toujours broussard, est devenu un artiste de valeur, l’un des artistes le plus intimement liés aux conditions esthétiques de son époque ; le plus personnel (...). 185

Ce récit de la rencontre du Brésilien cultivé avec le peintre d’origine modeste est très

significatif. En fait, le personnage cultivé, étonné du désir exprimé par Almeida Júnior, celui de

rentrer le plus tôt possible au Brésil, incarne les idées courantes de l’époque - idées que l’on a

développées dans les chapitres trois et quatre (Doléances et espoirs... ; et La Signification du

Prix de Voyage...) - selon lesquelles non seulement les nations européennes étaient des

modèles à suivre, mais encore le Brésil, pays où tout était encore à faire pour atteindre le

“ Do Sr. José Ferraz d’Almeida Junior, ex-aluno da Academia, se admiram quatro qua-dros históricos ; em todos os quais se revela o talento com que nasceu aquele jovem ar-tista, e a aplicação com que estudou, não só na nossa Academia durante o tempo de pensionista da Província de São Paulo, que lhe deu o berço ; mas também durante aquele em que, a expensas do Imperial Bolsinho, esteve em Paris sob as lições do pro-fessor Alexandre Cabanel. Os quatro quadros expostos pertencem todos à Academia, tendo sido o n. 126 - Fugida da Sacra Família para o Egito - magnanimamente ofereci-do por Sua Majestade o Imperador, a quem o artista o dedicara, e os outros três com-prados pelo governo imperial (...). Destes quatro quadros, o primeiro já citado, que pertence à escola idealista, e o de número 197, denominado - Descanso da modelo -, que se aproxima da moderna escola francesa, têm superior merecimento, e colocam seu autor no número dos nossos melhores pintores. ”

185 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 180.“ Contam que indo a Paris um brasileiro importante pediram-lhe para visitar o atelier de

Almeida Junior e notar os progressos que ele conseguira em três ou quatro anos de estudo. Satisfazendo ao pedido e aceitando a incumbência, foi ter com o artista brasi-leiro. Admirou-se de vê-lo. O moço conservava ainda os mesmos gestos, o mesmo tipo desconfiado e tímido, a mesma maneira de falar, dos caipiras. O que fez, sobretu-do, pasmar ao visitante foi ouvi-lo dizer : - Istou morto por mi pilhar no Brasil ! - Pois bem ; deste modesto provinciano, inalteravelmente roceiro, surgiu um artista de valor, e um dos mais intimamente ligados às condições estéticas da sua época ; o mais pessoal, ... ”

144

niveau européen de civilisation, n’offrait pas de milieu favorable au développement des arts.

Confrontée à ce raisonnement, l’attitude du peintre était quelque chose d’inconcevable,

d’incompréhensible. Le personnage d’Almeida Júnior et sa nostalgie du Brésil s’opposent ainsi

aux pensées incarnées par le premier personnage.

On a vu que Gonzaga-Duque affirma qu’Almeida Júnior, malgré son origine modeste

et son caractère broussard, est devenu l’un des artistes les plus intimement liés aux conditions

esthétiques de son temps et le plus original. Il est un fait aussi qu’Almeida Júnior fut

postérieurement récupéré par le mouvement moderniste de 1922. Mais la valorisation

moderniste de son oeuvre n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre typiquement

brésilien, le peintre péquenaud qui, habitant Paris, avait le mal du pays. Car les modernistes ont

voulu mettre en avant l’image d’un pays singulier et original. Il ne s’agissait plus du Brésil qui

fait des efforts pour se rapprocher des nations plus avancées, mais d’un pays qui cherchait sa

propre identité.

Il est intéressant d’observer que les idées incarnées par le personnage du Brésilien

cultivé ont eu une longue survie. Car son étonnement face au peintre qui gardait toujours,

après quatre années d’études à Paris, sa gaucherie et sa timidité de provincial, nous rappelle

l’argumentation développée par José Carlos Durand en 1989, dans son livre Arte, Privilégio e

Distinção... (Art, Privilège et Distinction...) 186, dont on a présenté un bref résumé au début de

ce chapitre. On a vu que Durand écrit à propos des “ peintres péquenauds ” et critique leur

inadaptation culturelle à l’ambiance parisienne ainsi que leur nostalgie du Brésil, et en cela son

raisonnement s’accorde à l’attitude du Brésilien cultivé du XIXe siècle.

Mais l’argumentation de Durand va plus loin encore, car il affirme que l’origine

modeste des “ peintres péquenauds ” les a rendus incapables de reconnaître les changements

survenus à l’art en l’Europe de la fin du siècle. Selon lui, cette origine était un handicap qui

engendrait chez les peintres brésiliens non seulement l’inadaptation culturelle à l’ambiance

parisienne, mais aussi une obéissance stricte à l’orientation reçue dans les ateliers des maîtres

académiques français.

Curieusement, l’analyse faite par cet auteur cache une contradiction qui traverse les

essais d’interprétation de l’art brésilien. En même temps que Durand reprend les idées des

186 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.

145

modernistes sur l’inertie et le manque d’originalité des peintres brésiliens issus de l’Academia

Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, il attribue ce manque à l’inadaptation de ces artistes

d’origine modeste au milieu cultivé parisien. Or, parmi tous les peintres de cette période, ce fut

Almeida Júnior, le type même du Brésilien d’origine rurale, celui sur qui les modernistes ont

mis leur préférence.

Laissons pour l’instant cette question en suspens. On y reviendra lors de la

conclusion.

146

II - L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE D’ELISEU D’ANGELO VISCONTI (1866-1944), le jugement esthétique porté sur son oeuvre par les critiques d’art brésiliens et une nouvelle analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la fin du XIXe siècle

Dans la partie précédente, on a exploré un large champ d’études représenté par

l’ensemble des artistes brésiliens venus se perfectionner en Europe le long de la seconde moitié

du XIXe siècle. Cependant, vu l’étendue du sujet, on a dû renoncer à approfondir l’étude de

l’oeuvre de chaque artiste. L’objectif fut surtout de brosser le tableau général de leurs

expériences et de comprendre la signification de ces voyages dans l’histoire de l’art brésilien. Il

se trouve que notre recherche manquerait de corps si elle s’arrêtait là. Il fallait la compléter par

l’étude approfondie de l’expérience européenne d’un des peintres les plus significatifs de la

période de transition du XIXe au XXe siècles. Ce peintre est Eliseu d’Angelo Visconti (1866-

1944). Il obtint le Prix de Voyage en Europe lors du concours de 1892. Dans les prochains

chapitres, on présentera les événements qui ont précédé ce concours, les activités de Visconti à

Paris en tant que pensionnaire, l’interprétation que les critiques brésiliens ont portée sur son

oeuvre et notre propre analyse de l’évolution de sa peinture au contact de l’art français de la

fin du XIXe siècle.

1 - Les antécédents du concours du Prix de Voyage de 1892 : l’agitation du milieu artistique à Rio de Janeiro pendant les dernières années de l’ Academia Imperial de Belas Artes

Lorsqu’en mars 1893 Eliseu d’Angelo Visconti quittait le Brésil au bord du "Congo",

son grand rêve se réalisait : en tant que pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas Artes, il

allait étudier à Paris pendant une durée d’au moins cinq ans. Lauréat du concours de Prix de

Voyage de 1892, il était le premier artiste de la période républicaine à bénéficier d’une pension

d’études en Europe. Avec ses collègues des Beaux-Arts, il avait lutté pour le rétablissement du

Prix de Voyage et avait souhaité la réforme de l’Académie qui fut mise en place en 1890.

La fin des années 1880 au Brésil fut marquée par l’affaiblissement de la Monarchie

comme système politique. Depuis 1870, la crise s’annonçait : le mouvement républicain

s’organisait à Rio de Janeiro, les relations entre le gouvernement impérial et l’armée étaient

devenues instables, la province de São Paulo, en plein essor économique, souhaitait plus

147

d’autonomie, et la classe des propriétaires exportateurs de café avait été contrariée dans ses

intérêts lors de l’abolition de l’esclavage. Un ensemble de changements socio-économiques

créa des conditions favorables aux idées de réforme. Tous ces facteurs ont finalement

provoqué la chute du régime monarchique le 15 novembre 1889.

Cette période représenta aussi une phase critique pour l’Academia Imperial de Belas

Artes. Le gouvernement n’assurait plus la continuité ni des concours des Prix de Voyage, ni

des Expositions Générales. L’absence du soutien gouvernemental fut l’origine des

bouleversements subséquents.

Les concours de Prix de Voyage étant interrompus par manque de budget depuis

1878, ce ne fut qu’en 1887, neuf années plus tard, que l’Académie organisa un nouveau

concours. D’ailleurs, ce concours ne se déroula pas tranquillement. Il y avait deux places de

pensionnaires disponibles et le concours eut deux lauréats : le peintre d’histoire Oscar Pereira

da Silva et l’architecte João Ludovico Maria Berna. Cependant la décision du jury fut réfutée

et aucun des deux ne fut envoyé en Europe.1 Ces troubles ne faisaient qu’augmenter

l’insatisfaction générale.

De plus, la dernière Exposition Générale avait été réalisée en 1884.2 Depuis lors,

l’Etat se plaignait d’insuffisance de budget, ce qui empêcha l’organisation de nouvelles

expositions. Jusque-là, les artistes avaient compté sur l’aide officielle pour faire connaître leurs

oeuvres, et ils regrettaient l’absence de cet appui. L’arrêt des Expositions Générales mettait à

jour la défaillance de l’Académie et créait du mécontentement chez les jeunes élèves des

1 - Tous les détails à propos de ce concours de 1887 sont exposés dans l’annexe 1- Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887). Voir les textes sur Oscar Pereira da Silva et João Ludovico Maria Berna, lauréats du concours de 1887. Les deux ont du attendre trois ans avant de partir étudier à l’étranger, car seulement après la proclamation de la République, en 1890, le Ministre Benjamin Constant décida de valider le concours de 1887. Le mois d’octobre 1890, les deux lauréats sont enfin partis pour aller se perfectionner à Paris.

2 - Cette Exposition de 1884 a été la plus grande et importante exposition réalisée pendant cette période, en ce qui concerne les oeuvres exposées. Mais la commission organisatrice s'est plaint de l’insignifiance du nombre de visiteurs. À leur avis, comparativement à l’Exposition de 1879 ce nombre fut infime. En 1879 l’entrée de l’exposition était gratuite et le public fut grand : 292.296 spectateurs visitèrent l’exposition au long de 62 jours. En 1884 l’entrée de l’exposition devint payante. Le public diminua considérablement, l’exposition fut visité par 20.154 spectateurs pendant une période de cent jours.

148

Beaux-Arts. Les protestations se faisaient entendre et en 1887 le directeur de l’Académie

manifesta sa position en faveur du rétablissement des Expositions :

Les Expositions Générales des Beaux Arts sont indispensables au développement du goût artistique. Il est vrai qu’une critique d’art judicieuse leur fait défaut ; parmi nous la critique est exercée presque exclusivement par quelques écrivains de talent, mais ils sont souvent guidés par leur propre impression, sur laquelle peuvent influer les sympathies et les désaffections personnelles. De toute façon, ces expositions et le prix de premier ordre sont les moyens les plus efficaces dont dispose l’Académie pour faire progresser les arts et récompenser leurs amateurs.3

Mais l’appel du directeur n’eut pas de réponse favorable de la part du gouvernement4

et l’absence d’expositions officielles finit par occasionner la multiplication des expositions

privées. L’année de 1886, quatre expositions importantes furent réalisées : les élèves

organisèrent deux expositions de leurs travaux dans l’édifice de l’Académie ; la Galerie Vieitas

exposa plusieurs oeuvres de João Baptista Castagneto ; et Rodolpho Bernardelli organisa une

exposition qui réunit les peintures de son frère Henrique Bernardelli et les paysages de

Facchinetti dans une des salles de l’Imprensa Nacional (Presse Nationale). Le mouvement

d’expositions s’accentua tout au long de 1887. Au début de 1888 le public a pu voir les

oeuvres de Firmino Monteiro et Rodolpho Amoêdo, artistes qui revenaient au Brésil après un

séjour d’études en Europe, et celles d’Antônio Parreiras qui, à son tour, préparait son départ

pour le début de l’année suivante. Ensuite on exposa les peintures de Belmiro de Almeida,

Castagneto et d’autres.

Le plus souvent, les oeuvres étaient installées dans l’espace de librairies et magasins

d’articles généraux, c’est-à-dire, dans des espaces qui n’étaient pas conçus pour l’exposition

d’oeuvres d’art. De toute façon, le marché privé de diffusion de l’art se développait. Des

3 - Rapport du directeur de l’Academia Imperial, Moreira Maia, en 1887. Cité par FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, pp. 380 et 381. Le prix de premier ordre auquel se réfère le directeur était le Prix de Voyage.

“ (...) as Exposições Gerais de Belas Artes são indispensáveis para o desenvolvimento do gosto artístico ; falta-lhes, é verdade, a judiciosa crítica de arte ; entre nós ela é quase exercida exclusivamente por escritores de talento, mas que muitas vezes são guiados pela própria impressão, sobre a qual podem influir simpatias ou desafeições pessoais. Tais exposições e o prêmio de primeira ordem são os meios mais eficazes que tem a Academia das Belas Artes para fazer progredir as artes e recompensar a seus cultores. ”

4 - En réalité, après l’exposition de 1884, seulement en 1890, déjà sous le régime républicain, une nouvelle Exposition Générale eut lieu.

149

nouvelles galeries voyaient le jour, et parmi celles-là les plus connues furent : Insley Pacheco,

Vieitas, Clément, De Wild et Viúva Moncada.5

Outre l’organisation d’expositions privées, les artistes s’entraidèrent financièrement

de façon à suppléer l’absence de pensions gouvernementales pour assurer les séjours d’études

en Europe. On sait que Belmiro de Almeida a pu suivre des études à Paris et en Italie grâce à

l’appui de Rodolpho Bernardelli, Angelo Agostini et d’autres amis qui l’ont accordé, à partir

de 1888, une pension mensuelle pendant une durée de cinq ans.6

En même temps que les artistes étaient privés de l’appui officiel et livrés à eux-

mêmes, une critique des méthodes académiques s’ébauchait. Tout au long de l’année de 1888,

Angelo Agostini, journaliste qui tenait la rubrique des beaux-arts dans la Revista Ilustrada,

encouragea les artistes à se libérer des contraintes académiques :

(...) l’art doit être libre, chaque artiste peut y laisser l’empreinte de son individualité, de façon à sentir et à exécuter sans imiter aucune école ni respecter les conventions et règles préétablies.7

Ces mots reflétaient aussi le moment de transition politique et l’effervescence

générale des esprits. L’occasion était propice aux revendications en vue d’une réforme. Les

étudiants de l’Academia de Belas Artes commencèrent à manifester leur mécontentement

envers l’institution qui, jusqu’alors, n’avait jamais été mise en cause. Deux groupes se

formèrent : celui des Modernes et celui des Positivistes. Les étudiants des deux groupes

envisageaient un renouvellement, mais chaque groupe défendait un point de vue différent sur la

meilleure conduite de la réforme.

5 - FREIRE, Laudelino. Um século de pintura. p.381.6 - REIS JÚNIOR. Belmiro de Almeida, 1858-1935. (p.20).7 - Revista Ilustrada, rubrique “ Belas Artes ”, Rio de Janeiro, 21-4-88. [Cité par PRADO, p.

87]“ (...) a arte deve ser livre, podendo cada artista dar o cunho de sua individualidade, no

modo de sentir e executar, sem imitar nenhuma escola nem respeitar convenções e re-gras estabelecidas. ”

150

Les Modernes critiquaient l’Académie, et pourtant ils ne voulaient pas s’en passer.

Au contraire, ils réclamaient une plus grande efficacité de ses méthodes et demandaient la

reprise des Expositions Générales et des concours de Prix de Voyage. Quant aux changements

revendiqués, ils concernaient plutôt des modifications du règlement de l’Académie, et non pas

un remaniement profond des normes fondamentales de l’enseignement artistique.

Les Positivistes étaient plus radicaux et demandaient la suppression de l’Académie.

Plus méthodiques que les Modernes, ils formulèrent leurs idées dans le “ Projet Montenegro ”

rédigé par les peintres Montenegro Cordeiro, Décio Villares et Aurélio de Figueiredo. En

1889, ce projet fut acheminé au Ministre de l’Intérieur, Benjamin Constant, chargé de la

réforme de l’Académie.

Le “ Projet Montenegro ” revendiquait la diffusion de l’enseignement des beaux-arts

dans tout le pays, l’extinction de l’Académie et la démission de tous ses membres pour créer ce

qu’ils appelaient le “ Musée national de Peinture et Sculpture ”. Le but des Positivistes était

double : d’une part, ils voulaient hausser le prestige de l’art, d’autre part ils envisageaient de

généraliser son enseignement de façon à le mettre à la portée des classes défavorisées. En

adaptant leur projet artistique aux principes positivistes d’Auguste Comte, ils affirmaient que

l’art devrait fomenter le sentiment qui unit le patriotisme au développement de l’humanité.

Reprenons le texte de leur projet. Il commence par l’énumération de concepts dont voici

quelques-uns :

En considérant :

(...)

2o - que la diffusion de l’enseignement de l’art dans tout le pays est l’un des éléments fondamentaux et indispensables au bien public, car il est l’un des moyens les plus efficaces pour hausser le niveau moral du peuple, en même temps qu’il offre à tous ceux qui sont dotés de capacité esthétique l’occasion d’utiliser cette capacité au service de la patrie ;

3o - que cette intention élevée ne sera jamais atteinte si l’on conserve le régime qui a duré pendant l’Empire et qui, en monopolisant l’organisation des arts dans la capitale [Rio de Janeiro], constituait une attaque odieuse contre la Liberté, puisque seulement les riches et les protégés des anciennes provinces avaient la possibilité de se déplacer pour se dévouer à l'art ;

151

4 o - que la base de ce monopole est l’Académie des Beaux-Arts - institution caduque et rétrograde - préjudiciable à la société et aux artistes et fatalement condamnée ;

(...)

8 o - que l’art, dont la finalité suprême est le but de cultiver en nous l’instinct de perfectionnement, impose à tout gouvernement bien éclairé et réellement préoccupé de la régénération du peuple, le devoir de l’étendre à toutes les classes et aux individus de tout âge, ce qui ne sera atteint que par la diffusion de l’enseignement dans les écoles publiques au bénéfice de l’enfance, et par le maintien de musées permanents dans tous les Etats confédérés au bénéfice des adultes ; (...). 8

Après cette énumération, les Positivistes concluaient :

Art. 1 o - L’Académie de Beaux-Arts est déclarée supprimée et le Musée national de Peinture et Sculpture est fondé avec le matériel existant.9

On voit que le projet des Positivistes n’abordait pas de révolution sur le plan

esthétique. Leur audace se limitait à une tentative d’adapter l’art aux principes positivistes

qu’ils avaient embrassés, en exigeant de l’artiste une conduite morale, et du gouvernement une

action efficace pour diffuser l’enseignement artistique dans tout le pays. Selon leur conception,

l’art était un instrument de diffusion du bien social, un “ éducateur de l’humanité ”.

8 - Cité par GONZAGA-DUQUE, Contemporâneos, p.p. 218 et 219.“ Considerando (...) :2o - Que é um dos elementos fundamentais e indispensáveis do bem público a difusão, em

todo o país, do ensino das artes, como meio, e dos mais eficazes, de erguer o nível mo-ral do povo, oferecendo, ao mesmo tempo, a todos que forem dotados da capacidade estética, ensejo de aproveitarem-na em benefício da Pátria ;

3 o - Que jamais se obterá tão elevado intuito com o regime mantido durante o Império que monopolizando o regime das artes da Capital, constituía um ataque odioso à Liber-dade, porquanto só os ricos e protegidos das ex-Províncias podiam vir dedicar-se aos referidos estudos ;

4 o - Que a base desse monopólio é a Academia de Belas Artes - instituição caduca e re-trógrada - só prejudicial aos artistas e fatalmente condenada ;

8 o - Que a arte, tendo por fim supremo cultivar em nós o instinto do aperfeiçoamento, impõe a todo o governo bem esclarecido e realmente preocupado com a regeneração do povo, o dever de estendê-la a todas as classes e idades, o que só será obtido por meio da difusão do ensino nas escolas públicas em proveito da infância e pela manuten-ção de museus permanentes por todos os Estados confederados em proveito dos adul-tos ; (...). ”

9 - Idem, p. 220.“ Art. 1o - Fica extinta a Academia de Belas Artes e fundado com o material existente o

Museu Nacional de Pintura e Escultura. ”

152

D’ailleurs, si les Positivistes étaient plus mobilisés au niveau théorique, ce fut le

groupe des Modernes qui a pris l’initiative d’une action pratique. Ceux-ci décidèrent

d’abandonner l’Académie au mois de juillet 1890 et s’en allèrent travailler dans une

construction provisoire située au centre de la ville de Rio, plus précisément au Largo de São

Francisco, au pied du monument à José Bonifácio10. Peut-être furent-ils plus audacieux parce

qu’ils avaient l’appui de quatre professeurs de l’Académie : les jeunes professeurs Rodolpho

Bernardelli (1852-1931), Henrique Bernardelli (1858-1936) et Rodolpho Amoêdo (1857-

1941) - tous les trois revenus d’Europe depuis peu - et le maître Zeferino da Costa (1840-

1915). Ce dernier, professeur de peinture de paysage, était quotidiennement confronté à des

difficultés pour mener à bien son cours. D’après son témoignage, l’Académie retardait le début

des classes, ne facilitait pas l’organisation des horaires et évitait l’inscription des élèves dans

cette discipline.11

La décision des Modernes d’aller travailler en dehors de l’enceinte de l’Académie fut

prise après une série de réunions d’artistes pour discuter de l’inefficacité de cette institution.

On peut suivre l’agitation des esprits à travers les articles de journaux qui accompagnèrent le

mouvement. Le 17 juin 1890, la rubrique Les arts et les artistes du journal O Paiz publiait un

résumé de la première réunion.

Hier, dans le salon du Derby-Club, eut lieu la réunion des artistes peintres, sculpteurs, architectes et graveurs.

(...) M. Teixeira da Rocha a ouvert la réunion en présentant la proposition suivante :

Art. 1 - Vu l’état de démoralisation dans lequel se trouve l’Academia das Belas Artes, son existence est-elle utile ou pas ?

Art. 2 - La subvention gouvernementale est-elle bien employée ou pas ? Est-ce que cette subvention produit les résultats attendus ?

Art. 3 - Aujourd’hui, la corporation des professeurs de l’académie se trouve-t-elle au niveau exigé pour appartenir à une académie des beaux-arts ?

10 - A propos de José Bonifácio, consulter la note n. 5 du chapitre 2.11 - Revista Ilustrada, rubrique “ Belas Artes ”, Rio de Janeiro, 21-4-1888.

153

Art. 4 - Ne serait-il pas plus utile à l’enseignement artistique que cet argent [la subvention gouvernementale] fût utilisé pour subventionner des ateliers de beaux-arts pour les jeunes qui, ayant prouvé publiquement leur talent par le moyen de concours, d’expositions, etc, envisageraient d’étudier les beaux-arts dans les grands centres européens ?

(...), ceux qui étaient présents se sont tous mis d’accord sur l’inutilité et la nuisance de l’existence de l’Académie.12

D’après ce résumée de la réunion, on remarque la volonté des artistes de mettre en

question la valeur de l’Académie des Beaux-Arts. Mais s’ils demandaient des changements, il

faut souligner la permanence de l’idée, toujours très forte parmi eux, selon laquelle les études

en Europe étaient indispensables à leur formation. L’interruption des Prix de Voyage était la

principale cause d’insatisfaction.

On a vu que dans cette première réunion, l’existence de l’Académie brésilienne fut

mise en cause, et les artistes déclarèrent son inutilité. Mais le 21 juin 1890, une nouvelle

réunion eut lieu. Le lendemain, O Paiz faisait le point.

Hier, dans le salon du Derby Club, eut lieu la réunion annoncée des artistes peintres, sculpteurs, architectes et graveurs réunis afin de souscrire une pétition à propos de la nécessité urgente d’une réforme complète de l’organisation de l’Academia das Belas Artes, pétition qui sera rendue au digne Ministre de l’instruction publique.

Par acclamation, l’illustre artiste Rodolpho Bernardelli fut nommé président de l’assemblée. Il choisit ensuite, comme secrétaires, ses collèges Rodolpho Amoêdo et Décio Villares.

12 - “ Les arts et les artistes ”, In : O Paiz, le 17 juin 1890. On n’a pas cité ici l’intégralité de l’article, mais il faut dire que le journaliste nous informe aussi qu’Eliseu Visconti y était présent.

“ No salão do Derby Club realizou-se ontem a reunião dos artistas pintores, escultores, arquitetos e gravadores. (...). Abrindo a reunião o Sr. Teixeira da Rocha apresentou a seguinte proposta :

Art. 1o - É ou não é útil a existência da Academia das Belas Artes, no estado de desmora-lização em que se acha ?

Art. 2 o - É ou não é bem gasta a subvenção dada pelo governo, e esta subvenção produz os resultados a que é destinada ?

art. 3 o - Atualmente a corporação docente da academia está na altura de pertencer a uma academia de belas artes ?

Art. 4 o - Não será mais útil ao ensino artístico que se aplique esse dinheiro em subvencio-nar oficinas de belas artes a moços, que tendo dado provas públicas de talento, queiram estudar belas artes nos grandes centros europeus, mediante concursos, exposições, etc ?

Foi aprovado o art. 1o da proposta, concordando todos os presentes que a existência da academia era inútil e nociva. ”

154

La pétition, document de grande importance, fut lue et reçut les applaudissements de tous. Elle fut ensuite signée par tous les artistes présents et, selon délibération de la même assemblée, se trouvera, jusqu’au 24, dans l’espace de l’exposition du tableau allégorique La Rédemption de l’Amazone, à la disposition des personnes, artistes ou amateurs des beaux-arts qui voudraient la souscrire.

(...) Il n’est pas possible d’imaginer que l’importante pétition ne trouvera pas l’appui le plus décisif de la part de l’honorable et éclairé Ministre dans le sens de transformer le projet (...) en un fait profitable.13

Lors de cette deuxième réunion, il n’était plus question de supprimer l’Académie,

mais de la réformer. En outre, le président et les secrétaires élus par l’assemblée étaient d’une

part des partisans des Modernes (Rodolpho Bernardelli et Rodolpho Amoêdo) et d’autre part

un Positiviste (Décio Villares), ce qui signifie que les deux groupes commençaient à se mettre

d’accord.

Le mouvement des jeunes artistes était franchement appuyé par les journalistes. Mais

le journal O Paiz publia aussi, deux jours plus tard, une longue lettre de Pedro Américo

adressée au Ministre de l’Instruction Publique.14 Le peintre analysait la situation du point de

vue des défenseurs de l’Académie. Il est intéressant de reprendre quelques passages de cette

lettre :

Monsieur le Ministre,

13 - O Paiz - le 22 juin 1890 - (p.2).“ Efetuou-se ontem, no salão do Derby Club a reunião anunciada de artistas pintores, es-

cultores, arquitetos e gravadores com o fim de subscreverem uma petição que será en-tregue ao digno ministro da instrução pública, relativamente à necessidade urgente da completa reforma na organização da Academia das Belas Artes.

Por aclamação foi nomeado presidente da assembléia o ilustre artista Rodolpho Bernar-delli, que escolheu para seus secretários os seus distintíssimos colegas Rodolpho Amoêdo e Décio Villares.

Lida a representação, documento importantíssimo, que obteve unânimes aplausos, foi em seguida assinada por todos os artistas presentes e, segundo deliberação da mesma as-sembléia, estará até o dia 24, no barracão da exposição do quadro alegórico a Reden-ção do Amazonas, à disposição das pessoas, artistas ou amadores de belas artes, que queiram subscrevê-la.

(...), não é lícito supor que da parte do honrado e esclarecido ministro a importante re-presentação encontre senão o mais decidido apoio para a pronta conversão do adianta-do projeto em proveitoso fato. ”

14 - On a déjà cité un passage de cette lettre dans le chapitre 6 - La signification du Prix de Voyage en Europe pour les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle, (p.p. 86, 87).

155

L’actuelle agitation des esprits progressistes contre l’Académie des Beaux Arts, parfaitement juste selon quelques écrivains distingués, et excessivement injuste selon d’autres, procède en partie des vices réels de cette institution démodée et malheureuse. Mais elle procède surtout d’une illusion intellectuelle qui consiste à lui attribuer des maux dont elle-même se ressent et cela depuis plus d’un quart de siècle. Des maux qui dépendent de causes extérieures, enracinées et générales, absolument indépendantes de la volonté d’un petit groupe d’hommes désunis par le découragement ou par leurs préoccupations personnelles.

(...) Le noeud gordien que l’on essaye de défaire au moyen d’une suppression violente, ou même à travers une simple réforme de la vieille Académie, ne se trouve pas dans les défauts de la méthode, mais dans l’orientation particulière du goût du public. Il faut trouver les moyens de faire de l’artiste un citoyen utile, et non pas une divinité folle et inutile, (...).

Trois conditions sont nécessaires et indispensables à la vie esthétique d’un peuple : le génie, la méthode et le milieu social. Mais si, par hasard, l’une de ces trois conditions peut être dépassée en importance par les deux autres, c’est sans aucun doute la méthode. Attribuer, donc, exclusivement à l’institution dépositaire des règles et principes élémentaires, (...), une situation qui dépend de causes aussi grandes et générales, c’est ignorer le besoin crucial de l’accord intime des plus grands facteurs de tout progrès possible dans l’ordre des phénomènes esthétiques.

(...) Ce n’était pas à la portée de l’Académie, timide produit d’un milieu réfractaire et apathique, de modifier la société dont elle était le reflet. Elle ne pouvait pas non plus réagir victorieusement contre les forces négatives qu’un peuple sans sensibilité et un gouvernement sans orientation nettement définie sur le sujet lui opposaient. (...).

En outre, cette suppression rapide et inconditionnelle dont on entend parler, même si elle était motivée par des faits réels, aurait des retombées parmi les peuples les plus cultivés du monde (...) [de façon défavorable pour le gouvernement républicain].

(...). De plus, que l’on réforme l’actuelle Académie de façon à lui donner une orientation totalement libérale et moderne, mais en la limitant dans les fonctions d’une école préparatoire ;

(...) Selon l’exemple de la France, de l’Allemagne, de la Russie, de la Belgique, de l’Espagne et d’autres pays d’esprit cultivé et expérimenté - qui soutiennent à Rome leurs respectives Académies nationales, entièrement organisées et installées dans des palais magnifiques - il suffit de commencer par envoyer en Europe un artiste éclairé et connaisseur des deux milieux, afin d’orienter les pensionnaires de l’Etat, informer le gouvernement sur les événements artistiques des centres les plus importants, et servir de lien entre le mouvement national et le mouvement de ces brillants foyers de production artistique.

156

Finalement (...) il faut généraliser l’enseignement du dessin, stimuler l’étude de l’architecture et créer dans les divers Etats de la République15 des petites écoles spéciales et des petites galeries d’art destinées à disséminer l’instruction et accueillir les artefacts dignes de servir de modèle et exemple à un peuple libre. (...).

Voilà, M. le Ministre, dans une synthèse rapide, ma faible compréhension à propos de l’objet qui est exploré par la curiosité publique, et qui risque de devenir une pomme de discorde entre des citoyens illustres et honnêtes, ou bien le privilège exclusif de l’ambition personnelle, si vous n’opposez pas au courant des faits quotidiens le prestige de votre critère, des vos lumières et de votre patriotisme.

En vous saluant respectueusement, votre humble compatriote,

Pedro Américo

Capitale Fédérale, le 20 juin 1890.16

15 - Le Brésil est une fédération, c’est-à-dire, l’union de plusieurs Etats.16 - O Paiz - le 25 juin 1890 - (p.3).

“ Sr. Ministro - A atual agitação dos espíritos progressistas contra a Academia das Belas Artes, para alguns distintos escritores perfeitamente justificável e para outros nimia-mente injusta, procede em parte de vícios reais daquela antiquada e infeliz instituição, porém, principalmente, de uma ilusão intelectual que consiste em atribuírem-se-lhe ma-les dos quais ela própria se queixa há mais de um quarto de século, e que dependem de causas externas, radicadas e gerais, absolutamente independentes da vontade de um pe-queno grupo de homens desunidos pelo desânimo ou por suas preocupações especiais.

(...) Não é tanto na deficiência do método, quanto na orientação particular do gosto pú-blico, que está o nó górdio que se procura desatar com uma violenta supressão, ou mesmo com a simples reforma da velha academia, abstração feita dos meios conducen-tes a tornarem o artista um cidadão praticamente útil, em vez de uma louca divindade imune e inútil (...).

Três condições são necessárias e indispensáveis à vida estética de um povo : o gênio, o método e o meio social. Mas, se porventura, uma dessas condições se deixa ultrapassar em importância, é sem dúvida o método. Imputar, pois, exclusivamente à instituição depositária das regras e preceitos elementares, (...), uma situação dependente de causas tão grandes e gerais, é desconhecer a imprescindibilidade do íntimo consórcio dos mai-ores fatores de todo o progresso possível na ordem dos fenômenos estéticos.

(...). Tímido produto de um meio refratário e apático, não incumbia à academia modificar a sociedade de que era a imagem, nem poderia ela reagir vitoriosamente contra as for-ças negativas que lhe opunham um povo sem sensibilidade e um governo sem orienta-ção claramente definida no assunto. (...). De mais, essa supressão rápida e incondicional de que se fala, ainda quando motivada por fatos que a justificassem, ecoaria entre os povos mais cultos do mundo, acompanhada dos malévolos comentários daqueles que desejam pintar com os lineamentos do desatino e da violência o ilustrado governo da República.

(...). De mais reforme-se a atual academia, dando-lhe uma orientação totalmente liberal e moderna, mas encerrando-a nos limites de uma escola preparatória ; (...).

157

On a voulu reproduire ici ces extraits du discours de Pedro Américo, car ils sont la

preuve de l’ampleur du débat qui divisait le milieu artistique brésilien. En effet, si l’un des

peintres les plus réputés de l’époque se prononçait sur le thème, c’est parce que le sujet était la

cause d’une grande inquiétude. Il semble que l’existence de l’Académie elle-même était en jeu.

D’autre part, les mots de Pedro Américo sont révélateurs. Au lieu de défendre

l’Académie contre une possible suppression, le peintre paraît l’attaquer davantage. Il souligne

- A exemplo da França, da Alemanha, da Rússia, da Bélgica, da Espanha e de outros paí-ses cultos e experientes - que sustentam em Roma suas respectivas academias nacio-nais, com uma organização completa e sede em magníficos palácios - comece-se sim-plesmente por enviar à Europa um artista ilustrado e conhecedor dos dois ambientes, a fim de guiar os pensionistas do estado, informar o governo acerca dos acontecimentos artísticos dos principais centros, e servir, por assim dizer, de elo entre o movimento na-cional e o daqueles brilhantes focos de produção ;

- finalmente, (...), propaga-se e generalize-se o ensino do desenho, dê-se grande incre-mento ao estudo da arquitetura, e instituam-se pelos diferentes estados da República pequenas escolas especiais e pequenas galerias de arte, destinadas a disseminarem a ins-trução e a acolher os artefatos dignos de servirem de modelo e exemplo a um povo li-vre. (...).

Eis, Sr. Ministro, numa rápida síntese, o meu fraco entender a respeito do objeto que está sendo explorado pela curiosidade pública, e que ameaça degenerar em pomo de discór-dia entre cidadãos ilustres e probos, ou em privilégio exclusivo da ambição pessoal, se-não vos dignardes de opor solicitamente à corrente dos fatos quotidianos o prestígio do vosso critério, das vossas luzes e do vosso patriotismo.

Respeitoso vos saúda vosso humilde compatriota,Pedro AméricoCapital Federal, 20 de junho de 1890. ”

158

tous les problèmes et les faiblesses de l’institution. Ses mots expriment la pensée

généralisée à propos de l’inadéquation du pays aux beaux-arts. Et même s’il propose la

diffusion de l’enseignement artistique dans tous les Etats du pays, il ne voyait d’autre solution

pour la formation des artistes nationaux que de les envoyer étudier en Europe. Etonnamment,

les artistes de tous les groupes et même les artistes liés à l’Académie étaient d’accord sur ce

point.

Mais l’agitation des étudiants continuait. Le 9 juillet 1890, O Paiz annonçait

l’ouverture de cours publics et gratuits de beaux-arts dans l’installation de fortune du Largo de

São Francisco. Le journal informait aussi que huit élèves, parmi eux Visconti, s’étaient inscrits

dans le cours de peinture, et deux autres dans le cours de sculpture. C’était la façon trouvée

par les étudiants de faire pression sur le gouvernement pour le convaincre du besoin de

réformer l’Académie. Celle-ci, pendant cette période, eut du mal à assurer la continuité des

cours parce que les élèves se refusaient à y venir. Frederico Barata raconta ces événements de

façon très pertinente :

La même date où les jeunes s’étaient exalté dans l’Académie, les Modernes l’ont abandonnée, accompagnés des professeurs [Zeferino da Costa, Rodolpho Amoêdo et les frères Bernardelli] nommés ci-dessus,. Ils sont allés s’installer, Visconti parmi eux, dans l’énorme baraque construite au milieu du Largo de São Francisco, à côté de la statue de José Bonifácio, où Auré-lio de Figueiredo avait exposé son grand tableau allégorique ‘Rédemption de l’Amazone’. Cette baraque est devenue ce que fut appelé ‘l’Atelier Libre’, un cours de peinture calqué sur l’Académie Julian de Paris, où les élèves recevaient des leçons journalières d’Amoêdo, des frères Bernardelli et de Zeferino da Costa. Dans cette baraque, ils ne sont restés que deux mois, car la Préfecture l’a démolie. Néanmoins, le contretemps n’a pas refroidi leur enthousiasme et avec un groupe encore plus grand ils ont déménagé et se sont logés dans un petit immeuble de la rue do Ouvidor, (...), plus ou moins équidistante des immeubles où les journaux ‘O Paiz’ et ‘Jornal do Comércio’ étaient installés. Indéniablement, les étudiants monopolisaient toutes les sympathies et recevaient la visite de plusieurs artistes reconnus (...). À ce moment-là, ils recevaient aussi l’appui financier de plusieurs mécènes(...) et des professeurs qui se cotisaient pour faire face aux dépenses nécessaires à la manutention de l’Atelier Libre. Avec cette aide, ils ont réalisé, vers le milieu de 1889 [sic], une grande exposition des oeuvres des affiliés au mouvement, un véritable ‘Salon des indépendants’ , occupant les deux salles qui donnaient sur la rue. Ils ont réussi à attirer un nombreux public et d’excellents exposants, parmi lesquels Eliseu Visconti, Fiúza Guimarães,

159

Rafael Frederico, Bento Barbosa (...) et França Junior se firent remarquer.17

En consultant les journaux de cette période18, on a pu relever les dates exactes de

tous ces événements, car Frederico Barata s’est trompé lorsqu’il situa l’exposition des élèves

de l’Atelier Libre vers le milieu de 1889. D’après les articles des journaux, la révolte des élèves

eut lieu en juin 1890 et s’est prolongée jusqu’à la fin de l’année. En voici un petit résumé : la

première réunion des artistes pour discuter de la réforme ou de l’extinction de l’Académie eut

lieu le 16 juin 1890. Le 9 juillet 1890, les inscriptions de l’Atelier Libre étaient ouvertes au

Largo de São Francisco. Le 14 décembre 1890, un journaliste d’O Paiz commentait

l’exposition des étudiants de l’Atelier Libre :

Je suis passé, il y a quelques jours, par l’Atelier Moderne où étaient exposés les travaux des disciples révolutionnaires de l’école libre.

L’impression que j’exprime ici est tardive.

17 - Frederico Barata. Eliseu Visconti e seu tempo, (p.p.36, 37).“ Na mesma data em que os ânimos tanto se tinham exaltado na Academia, abandonaram-

na os modernos, acompanhados na atitude pelos professores referidos. E foram insta-lar-se, Visconti entre eles, no enorme barracão construído em pleno largo de São Fran-cisco, junto à estatua de José Bonifácio, onde Aurélio de Figueiredo expusera o grande quadro alegórico "Redenção do Amazonas", transformando-o no que denominaram "Atelier Livre", um curso de pintura moldado na Academia Julian, de Paris, e no qual recebiam diariamente lições de Amoedo, dos Bernardelli e de Zeferino da Costa. Aí fi-caram somente dois meses, pois a Prefeitura exigiu o barracão para demolir. O contra-tempo, porém, não lhes arrefeceu o entusiasmo e, com o grupo muito aumentado, mu-daram-se para um sobrado à rua do Ouvidor, entre as ruas da Quitanda e Sachet, mais ou menos à igual distância dos edifícios onde estavam instalados o "Jornal do Comér-cio" e "O País". Inegavelmente monopolizavam as simpatias gerais e eram freqüentados por vários artistas feitos, que lhes levavam apoio moral e proveitosos conselhos, sendo entre todos mais assíduo João Batista Castagneto, o marinista ímpar da pintura brasilei-ra. Já então eram também financeiramente auxiliados por vários mecenas, entre os quais Ferreira Araújo, Luiz de Rezende, José do Patrocínio e os próprios professores, que to-dos se cotizavam para as despesas necessárias à manutenção do "Atelier Livre" e patro-cinaram, em meados de 1889 [sic], uma grande exposição de trabalhos dos filiados ao movimento, um verdadeiro "Salon" de independentes, que ocupava as duas salas da frente e logrou atrair numeroso público e excelentes expositores, destacando-se Eliseu Visconti, Fiúza Guimarães, Rafael Frederico, Bento Barbosa (desenhista da "Cidade do Rio") e França Júnior. ”

18 - Pour établir la chronologie de ces événements on a consulté les articles d’O Paiz. Les dates que l’on y a trouvées sont les mêmes citées par Lúcia Prado dans sa thèse sur Gonzaga-Duque (Rio de Janeiro, 1995, p.p. 89 - 96). Prado cite comme source d’informations des articles du journal A Gazeta de Notícias du 17 juin et du 3 août 1890. Ces dates correspondent aussi à l’abandon de Rodolpho Bernardelli de ses fonctions comme professeur à l’Academia de Belas Artes. D’après l’information tirée du procès verbal de la séance du Conseil du 7 novembre 1890, cet abandon date du 6 mai 1890.

160

En tant qu’art révolutionnaire, il faut dire que là-bas il n’y avait rien qui aurait pu amener à une telle induction. Mais il y avait un grand nombre de toiles charmantes.19

L’observation faite par le journaliste nous invite à réfléchir sur la disparité révélée par

cette constatation : les oeuvres des étudiants ‘révolutionnaires’ n’avaient pas un caractère

révolutionnaire. En effet, il n’y avait pas d’innovations dans leurs oeuvres. Une fois de plus, on

peut observer que le mécontentement généralisé et l’action indépendante des artistes ne se

tournaient pas contre les conceptions esthétiques de l’Académie, et que les réunions et les

initiatives des jeunes ‘révolutionnaires’ envisageaient de réformer l’Académie, non pas de la

transformer radicalement.

Il est vrai que les artistes avaient discuté, dans un premier temps, de l’extinction de

l’Académie. Cependant, la suite des événements montre qu’ils ne désiraient pas cette

suppression, mais plutôt une amélioration de l’institution.

Le gouvernement finit par constituer une commission formée par Rodolpho

Bernardelli et Rodolpho Amoêdo, chargés d’étudier et de définir les bases de la réforme. Celle-

ci se réalisa en décembre 1890 avec la transformation de l’Academia Imperial en Escola

Nacional de Belas Artes ; ‘question d’étiquette’ selon Gonzaga-Duque20. Mais le corps

d’enseignants fut presque entièrement renouvelé, les Expositions Générales recommencèrent et

les Prix de Voyage furent rétablis. Aussi, un nouveau prix de voyage fut institué pour le

meilleur exposant de l’Exposition Générale.

Malgré les similitudes retrouvées entre les pratiques de l’Escola Nacional de Belas

Artes et celles de l’ancienne Academia Imperial, ces épisodes marquèrent une nouvelle phase

pour l’art brésilien. À ce propos, on verra qu’Eliseu Visconti, le premier lauréat du Prix de

Voyage de l’Ecole, fut considéré par beaucoup d’auteurs comme une ligne de démarcation

dans l’histoire de la peinture au Brésil. Mais avant d’analyser les écrits de ces critiques,

présentons d’abord les données biographiques de Visconti et un résumé de ses activités en tant

qu’étudiant à Paris.

19 - J. R., “ Sete Dias ” In : O Paiz, 14 / 12 / 1890, (p. 1).“ Passei, há dias, pelo Atelier moderno. Lá estiveram expostos os trabalhos dos discípu-

los revolucionários da escola livre. / Impressão tardia a que dou. / Como arte revoluci-onária deve-se dizer que ali nada existia que pudesse dar semelhante indução. Mas ha-via um grande número de telas agradáveis. ”

20 - GONZAGA-DUQUE. Contemporâneos, p. 223.

161

2 - Eliseu d’Angelo Visconti, premier pensionnaire de l’ Escola Nacional de Belas Artes - données biographiques

Visconti est né à Giffoni Valle e Piana, petit village de la région de Salerne en Italie,

le 30 juillet 1866. Plusieurs auteurs affirment qu’il est arrivé à Rio de Janeiro à l’âge d’un an.

Cependant, Tobias d’Angelo Visconti, fils du peintre, raconte qu’Eliseu Visconti arriva à Rio à

l’âge de dix ans, amené par sa soeur Marianelli Visconti. Son frère Afonso et sa soeur Maria

Anunciata habitaient déjà au Brésil. Un autre frère appelé Tobias, venu lui aussi au Brésil avant

Eliseu Visconti, y était décédé à cause d’une maladie contractée sur place, la fièvre jaune. Les

parents d’Eliseu, par contre, n’ont jamais quitté l’Italie. Tobias Visconti raconte encore que

son père et les autres membres de la famille ont entrepris le voyage au Brésil encouragés par la

baronne de Guararema, une amie brésilienne21. L’influence de la baronne est vaguement

évoquée par Frederico Barata qui écrivit, dans son livre sur le peintre, que Visconti et les siens

auraient quitté leur pays d’origine à cause de problèmes politiques22.

Au Brésil, en plus de la formation scolaire régulière, Visconti commença à suivre des

cours de musique, mais son penchant pour le dessin attira très certainement l’attention de la

baronne de Guararema, sa marraine. Celle-ci, disciple de Victor Meirelles, encouragea le jeune

Visconti à s’orienter vers les Beaux-Arts. En 1883 le jeune homme entra au Lycée des arts et

métiers de Rio de Janeiro où il fut l’élève de Victor Meirelles, José de Medeiros, Pedro Peres

et Estevam Silva, parmi d’autres. Au Lycée, Visconti se fit remarquer par son talent. De

nombreux prix annuels attribués aux élèves des disciplines de modelage, de perspective, de

dessin figuré et de dessin d’ornements lui furent décernés, ce qui amena ses collègues à le

surnommer “ le mangeur de médailles ” 23.

En juillet 1885, Visconti fut admis à l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de

Janeiro. Il y commença par suivre les cours de dessin de José de Medeiros, son ancien

professeur au Lycée, et fréquenta aussi les cours de dessin géométrique et de mathématiques

21 - Du “ Resumo da Vida de Eliseu Visconti ” [ Résumé de la Vie d’Eliseu Visconti] par Tobias Visconti, 1992. Ce texte qui n’a pas encore été publié fut gentiment mis à notre disposition par l’auteur.

22 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.1).23 - BARATA, idem, (p. 14).

“ Os colegas puseram-lhe o apelido de "papa-medalhas", bem merecido, de resto, pois seus eram sempre os principais prêmios anuais das diversas aulas, de modelagem, de perspectiva, de desenho figurado, de desenho de ornatos. ”

162

appliquées. Pendant quatre ans, il accomplit toutes les études théoriques du programme et

s’adonna à l’étude du dessin. En 1890 il s’inscrivit aux cours de Peinture Historique, Paysage

et Modèle Vivant, ayant comme professeurs les maîtres Henrique Bernardelli et Rodolpho

Amoêdo. Cette même année il participa activement à l’agitation des étudiants qui demandaient

une réforme de l’Académie, conformément à ce qu’a été développé dans le chapitre précédent.

Pendant les années de 1891 et 1892, après la réforme, il continua ses études de Peinture dans

l’institution, désormais nommée Escola Nacional de Belas Artes.

Ce fut en tant qu’élève de l’Ecole qu’il se présenta, le 3 Novembre 1892, au

concours du Prix de Voyage24. Six autres concurrents lui disputaient le prix. Le concours

consista en trois épreuves. La première, l’exécution d’une “ académie dessinée ”, élimina trois

concurrents. Comme seconde épreuve les candidats devaient peindre une académie en trente

séances. La troisième épreuve consistait en la composition d’un tableau historique dont le sujet

était “l’apparition de l’ange à Marie ”, c’est-à-dire, l’Annonciation. Les concurrents furent

isolés dans des cabines spéciales, conformément aux exigences du règlement. Visconti fut le

premier à toutes les épreuves, et fut déclaré lauréat le 26 décembre 1892. Au mois de mars

1893, il quittait le Brésil pour aller continuer ses études à Paris.

À Paris, selon l’habitude des anciens lauréats du Prix de Voyage, Visconti se présenta

aux examens d’admission de l’Ecole des Beaux-Arts25, et obtint un résultat excellent. Il fut

reçu septième sur quatre-vingt quatre élèves admis dans la section de Peinture, en juin 189326.

En examinant les documents de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, on découvre que le

nom de Visconti apparaît parmi les élèves du Cours du Soir, et non pas parmi les élèves des

24 - Donnée relevée aux sources documentaires sur Visconti, dans les Archives du Museu Dom João VI - EBA, UFRJ, Rio de Janeiro.

25 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 80. D’après ces documents, 321 candidats se sont présentés aux épreuves d’admission à l’Ecole proprement dite le 26 juin 1893. La première épreuve était éliminatoire et consistait en une figure dessinée d’après l’antique. Visconti fut classé huitième dans cette première épreuve, en ayant la note de 19.30 sur la base de 20. Quatre-vingt cinq concurrents ont réussi cette première étape des examens et, ainsi que vingt candidats supplémentaires, ils ont pu se présenter aux épreuves suivantes concernant les disciplines d’Anatomie, de Perspective, de Modelage, d’Architecture et d’Histoire. Visconti obtint 13 en Anatomie, 14 en Perspective, 8 en Modelage, 0 en Architecture et 5 en Histoire (toutes ces notes sur une base de 20). Quatre-vingt quatre candidats ont été admis après les examens, et dans le classement général, Visconti fut classé septième. Les notes chiffrées obtenues par les candidats étaient ensuite multipliées par les coefficients prescrits et la moyenne de Visconti fut de 360.60, tandis que le premier élève a eu 389 comme moyenne.

163

ateliers de peinture. En effet, l’enseignement dispensé à l’Ecole comprenait trois structures

différentes et complémentaires : 1o- “ Les cours ” qui se composaient des disciplines d’histoire,

d’anatomie, de perspective, de mathématiques, de géométrie descriptive, etc ; 2o- les exercices

et concours de “ l’école proprement dite ” ; et 3o- les exercices et les concours des “ ateliers ”.

Les exercices de l’école proprement dite consistaient, dans la section de peinture, en

un cours de dessin qui se déroulait tous les jours, de 16 :00 à 18 :0027, appelé le Cours du soir.

Les étudiants réalisaient des figures dessinées alternativement d’après nature et d’après

l’antique, autrement dit, ils dessinaient parfois d’après modèle vivant, parfois d’après des

modèles copiés de statues antiques.

Outre les Cours du soir, depuis la réforme de 1863 il y avait trois ateliers de peinture

attachés à l’Ecole des Beaux-Arts. Conformément à ce qui est écrit dans le règlement de 1892,

ces ateliers étaient ouverts : “ 1o - aux élèves de l’école proprement dite, qui choisissent,

suivant l’ordre et la date de leur rang d’admission, celui des ateliers de leur section dans lequel

ils désirent étudier ; 2o - aux jeunes gens qui, bien que n’étant pas admis à l’école proprement

dite, sont agréés par le professeur. Les professeurs sont seuls juges des aptitudes des jeunes

gens qu’ils agréent.28 ” L’enseignement transmis dans les ateliers relevant de la seule

responsabilité du professeur. Mais aussi bien dans les cours du soir que dans les ateliers,

Dans le règlement de l’Ecole (Archives nationales - AJ / 52 / 438) les détails à propos de chacune de ces épreuves sont explicités : l’épreuve de figure dessinée d’après l’antique devait être exécutée en douze heures ; le dessin d’anatomie était exécuté en loge en deux heures ; le dessin de perspective était exécuté en quatre heures, d’après un objet en relief ; l’exécution d’un fragment de figure modelé d’après l’antique était réalisée en neuf heures ; une étude élémentaire d’architecture était exécutée en loge en six heures ; l’examen sur les notions générales de l’histoire consistait en une épreuve écrite ou orale, au choix du candidat.

26 - Ces informations sont certifiées par la lettre du Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris qui se trouve dans le dossier n. 270 des Archives du Museu Dom João VI - EBA, UFRJ, Rio de Janeiro.

“ Paris, le 10 Juillet 1893Le Directeur de l’Ecole Nationale et Spéciale des Beaux-Arts, Membre de l’Institut, soussigné, certifie qu’à la session des examens de juin 1893, M. Visconti Elisée, élève de M.M. Bouguereau et Ferrier, a été reçu septième sur quatre-vingt quatre élèves admis dans la section de Peinture.

[Signé] P. Dubois ”27 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 438. Règlement de l’Ecole nationale et spéciale

des Beaux-Arts à Paris (4 Juin 1892), (p.8).28 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 438.Règlement de l’Ecole nationale et spéciale

des Beaux-Arts à Paris (4 Juin 1892) - (p.39).

164

l’année scolaire était ponctuée par une suite de concours d’émulation qui se succédaient en

entraînant les élèves dans un rythme compétitif intense.

Le nom de Visconti n’apparaît pas parmi les lauréats de ces concours29, et il disparaît

de la liste de présence des élèves au mois de Février 1894. Après cette date, il est absent de

l’Ecole30. Soit parce qu’il ne s’est pas adapté au système d’enseignement de l’Ecole, soit parce

qu’il n’a pas eu accès aux ateliers de peinture, il est évident que Visconti abandonna les cours

de l’Ecole des Beaux-Arts. À la place, il s’orienta vers le cours d’Eugène Grasset qui

enseignait le dessin d’art industriel et la composition décorative à l’École Guérin, appelée

parfois Ecole normale d’enseignement du dessin31. De 1894 à 1898, Visconti fréquenta le cours

de composition décorative dispensé par Eugène Grasset chaque mercredi de 14 à 16 heures. Le

maître dirigeait l’enseignement vers des résultats pratiques, en laissant beaucoup d’autonomie

aux élèves. Son souci était celui de permettre à chacun de s’épanouir aussi librement que

possible selon ses dons spécifiques. Cette attitude, qui s’opposait radicalement à l’orientation

de l’Ecole des Beaux-Arts, Grasset l’exprima très bien dans le texte qui suit :

29 - Archives nationales (France) - AJ / 52 / 88-90.30 - Archives nationales (France) - F / 52 / 471 - Contrôle de présence des élèves - ateliers de

peinture et de sculpture, cours du soir, enseignement simultané des trois arts, galeries du Musée des études (peintres, sculpteurs et architectes) - années 1893-1894 à 1901-1902.Les vacances scolaires duraient du 1er août au 15 octobre. Le nom de Visconti apparaît en Octobre (9 présences), Novembre (11 présences), Décembre (16 présences) et Janvier (13 présences).

31 - Grasset fut professeur dans cette école de 1890 à 1903. Fondée en 1881 par l’architecte Guérin et sise rue Vavin 19, dans le quartier de Montparnasse, cette école, privée du soutien de l’Etat mais dotée d’une modeste subvention annuelle de la Ville de Paris, insuffisante pour payer les maîtres, se spécialisa dans la formation des enseignants de dessin pour les établissements officiels; elle fut fermée en 1903, au moment où Grasset la quitta.

165

Ne vous opposez jamais en rien aux efforts des novateurs, voire même à leurs succès; car, alors même que leurs oeuvres ne vous satisferaient pas complètement, vous savez qu’elles n’ont qu’un temps et seront bientôt remplacées par d’autres qui vaudront peut-être mieux! - Souvenez-vous que toute tentative fixe les idées flottantes et, permettant au sens critique de s’exercer, indique la voie à suivre en montrant les défauts à éviter.

Mais, encore une fois, mieux vaut n’importe quoi plutôt que l’immobilité du progrès artistique, mieux vaut disparaître plutôt que ne pas inventer!32

Ces principes énoncés par Grasset montrent combien ses idées s’éloignaient des

méthodes officielles adoptées, non seulement à l’Ecole des Beaux-Arts, mais aussi dans les

académies privées, à propos desquelles il écrivit une fois :

Le nombre de ces Fabriques à peintres est innombrable, l’Usine la plus importante est chez Julian rue du Dragon, derniers procédés de l’Institut.33

On sait que Visconti considéra Grasset, parmi les professeurs qu’il eut à Paris,

comme celui dont les enseignements lui furent les plus précieux. Et pourtant, malgré les

réticences du maître, on n’ignore pas que Visconti fréquenta aussi l’Académie Julian, où il fut

l’élève de Bouguereau, Ferrier, Benjamin Constant et Jean Paul Laurens, tous liés aux

traditions de l’Ecole des Beaux-Arts. En fait, à l’Académie Julian, les méthodes

d’enseignement suivaient rigoureusement l’orientation académique. À ce propos, Robert et

Elisabeth Kashey ont écrit :

Les principes d’enseignement y étaient exactement les mêmes que ceux de l’Ecole des Beaux-Arts. Les mêmes professeurs venaient, deux fois par semaine, aussi bien aux ateliers de Julian qu’à ceux de l’Ecole pour discuter et critiquer le travail de chaque étudiant. Bouguereau, Boulanger, Benjamin-Constant, Jules Lefebvre et Chapu étaient parmi eux, pour n’en citer que quelques-uns. Le procès d’avancement était le même : chaque semaine le professeur choisissait le meilleur dessin qui serait par la suite jugé dans un concours à la fin du mois. Des prix était décernés, des médailles étaient disputées. Tous les samedis les compositions étaient jugées et les meilleurs étudiants avaient droit aux places les plus rapprochées du modèle. Le but à atteindre au moyen de ces méthodes était celui de préparer les étudiants à entrer à l’Ecole et à exposer leurs travaux au Salon.34

32 - GRASSET, Eugène. “ Extraits de la conférence sur l’Art Nouveau faite à l’Union Centrale en 1897 ”. In : PLANTIN, Yves & BLONDEL, Françoise. Eugène Grasset, Lausanne 1841 Sceaux 1917. Yves Plantin & Françoise Blondel. Paris, 1980, (p. 124).

33 - Lettre d’Eugène Grasset à son ami, l’écrivain Edouard Rod, le 26 octobre 1901. Cité par MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures, Lausanne, 1981, (p. 20).

166

On présume que Visconti, dès son arrivé à Paris, est entré à l’Académie Julian.

L’admission y était beaucoup plus simple qu’à l’Ecole des Beaux-Arts, il n’y avait pas

d’examen à passer, et les étrangers nouveaux venus y étaient nombreux.

La présence de Visconti aussi bien chez Grasset que chez Julian paraît contradictoire.

Cependant on peut l’expliquer. Ce que Visconti cherchait chez Julian n’était pas

l’apprentissage de nouvelles connaissances. Quant à cela, l’enseignement de Grasset lui fut, de

beaucoup, plus fécond. Mais il s’agissait de s’exercer dans son métier de peintre et de satisfaire

aux obligations de pensionnaire : huit études de modèle vivant peintes ou dessinées, pour la

première année ; et huit études de modèle vivant peintes, la deuxième année. Ces études, il

devait les envoyer à l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio, où ses anciens professeurs

avaient la charge d’évaluer ses progrès en Europe. À l’Académie Julian il avait la possibilité de

peindre d’après le modèle vivant, ce qui n’était le cas ni dans les cours du soir de l’Ecole de

Beaux-Arts, exclusivement destinés à l’étude du dessin , ni à l’Ecole Guérin, où, à partir de

1894, il suivait le cours d’Eugène Grasset, se spécialisant dans la composition décorative

appliquée aux objets d’art utilitaire. Ainsi, ce fut à l’Académie Julian que Visconti réalisa les

travaux obligatoires des deux premières années de son séjour d’études. On analysera quelques-

uns de ses envois dans le chapitre 6 (figures 1, 2, 3 et 4)35.

Afin de s’acquitter de son devoir de troisième année, une copie d’un tableau célèbre,

Visconti s’est rendu à Madrid. L’oeuvre choisie était La Reddition de Breda de Vélasquez, qui

34 - KASHEY, Robert & KASHEY, Elisabeth. In : “ FEHRER, Catherine. The Julian

Academy, Paris 1868-1939. Spring exhibition 1989. New York, Shepherd Gallery,

1989. (pp. IV - V).

“ The teaching principles were absolutely the same as at the Ecole des Beaux-Arts. The same professors came twice a week to the ateliers of Julian's and those of the Ecole to discuss and criticize the work of each student. Bouguereau, Boulanger, Benjamin-Constant, Jules Lefebvre and Chapu were among them, to name but a few. The process of advancement was the same: every week the professor chose the best drawing which were then judged in a concours at the end of the month. Prizes were awarded, medals to be gained. Every Saturday, compositions were judged and the best students got the seats closest to the model. Julian's teaching methods were geared to prepare his students for entry in the Ecole and to get his students' works exhibited in the Salon. ”

35 - Les reproductions se trouvent dans le Volume des Illustrations. De même pour les prochaines ‘figures’. Les illustrations des oeuvres de Visconti seront toujours indiquées par l’abréviation ‘fig.’ (figure), tandis que les reproductions des oeuvres des autres artistes brésiliens ont été indiquées par l’abréviation ‘ill.’ (illustration).

167

se trouve au Musée du Prado. En Août 1895, il commença à en exécuter la copie en grandeur

naturelle. En hiver, il retourna à Paris, mais l’année suivante il revint en Espagne pour

reprendre le travail. En juillet 1896, il l’a finalement achevée et envoyée au Brésil36.

Ce fut avant de finir cette copie du tableau de Vélasquez que Visconti reçut une lettre

de Rodolpho Amoêdo, son ancien professeur à Rio, qui lui faisait connaître son avis sur ses

premiers envois de pensionnaire. Il est utile de lire quelques extraits de cette missive:

Rio, 1er janvier 1896

Ami Visconti

J’ai reçu ton aimable petite lettre avec les voeux de joyeuses fêtes et je t’en remercie beaucoup. Tes travaux, qui n’ont pas pu arriver à temps pour figurer dans la dernière exposition générale, sont arrivés cependant à temps pour figurer dans la dernière exposition des élèves qui eut lieu le mois dernier, où ils furent justement appréciés.

L’ami m’a demandé mon opinion (...) à propos, et (...) je te dirai franchement, selon ma coutume, ce que je pense, et dès maintenant je te demande d’excuser ma désinvolture.

Je trouve beaucoup de progrès dans tout ce que tu nous as envoyé, un progrès que j’ai toujours espéré de ton talent et de ton infatigable assiduité au travail. Laisse-moi cependant dire que ta facilité de peindre n’est pas toujours alliée à un dessin correct, surtout en ce qui concerne la construction. Je fais cette observation parce que je pense qu’aujourd’hui les moyens de bien dessiner, de même que ceux de peindre, se trouvent tellement répandus parmi les artistes, ainsi que parmi le public, qu’il n’est plus permis d’admettre, sinon par condescendance, des artistes dits coloristes ou dessinateurs. (...). L’art de la peinture, comme l’ami doit le savoir autant que moi, est un ensemble dans lequel la forme est tellement liée à la couleur que l’on peut dire, sans peur de commettre une faute, que lorsque la couleur est juste, le modelé est juste lui aussi; parce qu’aujourd’hui les artistes ne peuvent plus plaire s’ils peignent d’après des dessins au lieu de peindre directement du modèle vivant. Mais si le modelé est tellement intimement lié à la couleur que l’on peut dire que lorsque la couleur est juste, le modelé est juste lui aussi, c’est-à-dire le relief de chacune des parties relativement aux autres, cela ne peut pas être dit à propos du contour ou limite de la forme sur le fond, ou sur une autre forme qui lui tienne lieu de fond. (...).

36 - Arquivo nacional (Rio de Janeiro) - (IE-7), document ANRJ-038-194-194. Lettre du 30/07/1896, où Eliseu d'Angelo Visconti communique au Ministre qu’il envoie de Madrid une copie du célèbre tableau de Vélasquez Reddition de Breda. [Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].Cette copie, qui fait partie des collections du Museu nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro, se trouve aujourd’hui dans le département de conservation et restauration de ce musée. La toile est très abîmée, divisée en plusieurs morceaux.

168

L’ami a déjà acquis un bagage que lui permet d’être fier d’être un artiste. Cependant, le grand désir de te voir assuré au possible des procédés de notre art, m’a inspiré cette légère observation. (...) 37

On constate la rigueur du professeur dans ces critiques. L’exigence d’un dessin

conforme était encore quelque chose d’essentiel dans sa conception. Il n’est plus possible de

savoir comment Visconti reçut-il ces mots de Rodolpho Amoêdo, mais il est sûr que, dans

l’évolution de son travail, il s’éloignait petit à petit des concepts académiques énoncés par son

ancien professeur.

Pendant la quatrième et la cinquième année de ses études en Europe, Visconti devait

exécuter un tableau qui serait “ acheté par l’Ecole si le Conseil des professeurs l’aura jugé

digne de l’être ”38. Le mois de mai 1896, Visconti envoya à l’Ecole une esquisse de ce tableau

dont le titre était La Délivrance de la vie de péchés, sujet extrait de la Divine Comédie de 37 - Lettre conservée par Tobias Visconti, fils du peintre.

“ Rio, 1 de janeiro de 1896Amigo ViscontiRecebi a sua amável cartinha dando-me as boas festas o que muito lhe agradeço. Os seus tra-balhos que não puderam chegar a tempo de figurar na última exposição geral, saíram contu-do a tempo de figurar na última exposição de alunos que teve lugar no mês próximo findo onde foram devidamente apreciados.Pede-me o amigo a minha pouco valiosa opinião a respeito e para satisfazê-lo vou dizer-lhe com franqueza, segundo o meu costume, o que penso e desde já lhe peço que me desculpe o desembaraço.Acho muito progresso em tudo quanto nos enviou, progresso que eu sempre esperei do seu talento e infatigável assiduidade ao trabalho. Permita-me entretanto dizer-lhe que a sua facili-dade de pintar nem sempre está aliada a um desenho correto, sobretudo no que respeita a construção. Faço esta observação porque julgo que hoje o meio de bem desenhar como o de pintar está por demais divulgado não só entre os artistas como até no público para que não se possa mais admitir, senão por condescendência, artistas com a denominação de coloristas ou de desenhadores. (...). A arte da pintura, como o amigo deve saber tão bem como eu, é um conjunto em que a forma está por tal maneira aliada à cor que se pode dizer sem receio de errar que quando a cor é justa, justo é também o modelado visto que hoje os artistas não podem mais agradar pintando por desenhos em vez de pintar diretamente do modelo vivo. Mas se o modelado está tão intimamente ligado à cor, que se pode dizer que quando a cor é justa, justo é também o modelado, isto é, o relativo relevo de cada uma das partes, outro tanto não se pode dizer do contorno ou limite da forma sobre o fundo ou sobre uma outra forma que lhe sirva de fundo. (...). O amigo com a bagagem que já possui, pode orgulhar-se de ser um artista, contudo o grande desejo que tenho de vê-lo tão seguro dos processos de nossa arte quanto seja possível, inspi-rou-me esta ligeira observação. (...).Seu amigo e colega (...), Rodolpho Amoêdo. ”

38 - Regulamento para o processo dos concursos na Escola Nacional de Belas Artes, para os lugares de pensionistas do Estado na Europa, a que se refere o Aviso desta data. (26 de Outubro de 1892)

169

Dante (l’Enfer). Pour l’exécution de l’ouvrage définitif sur une toile de 24 mètres carrés, il

demandait l’aide de douze mille francs39. Les professeurs qui devaient exprimer leur avis -

Modesto Brocos, Henrique Bernardelli et Daniel Bérard - donnèrent leur accord à la demande

du pensionnaire40. Cependant, Visconti n’a pas reçu l’aide demandée et n’a pas pu exécuter le

grand tableau41.

Pourtant, il paraît que ce refus n’a pas été néfaste au peintre. En fait, ce veto eut par

conséquence la libération de Visconti, qui n’était plus contraint à peindre l’énorme tableau. La

seule obligation qui lui restait c’était de continuer à envoyer ses travaux à l’Escola Nacional

de Belas Artes afin de les soumettre à l’appréciation des professeurs et de participer aux

Expositions Générales de Rio de Janeiro. Dispensé de La Délivrance de la vie de péchés il

pouvait se vouer à ses recherches en suivant ses propres penchants. Effectivement, pendant les

dernières années de son séjour à Paris, qui s’est prolongé jusqu’en 190042, Visconti donna libre

cours à sa vocation, en se laissant influencer par les mouvements symboliste et Art Nouveau,

(figures 11, 12, 16 et 17), qui s’accordaient à ses propres inclinations. Dans le chapitre 6 -

Analyse de l’oeuvre..., on étudiera attentivement les oeuvres de cette période.

Après ces observations sur les cours fréquentés par Visconti et sur ses envois de

pensionnaire, il faut ajouter quelques données sur ses participations aux Salons de Paris.

Sa première participation à cette exposition date de 1894, la seconde année de son

séjour à Paris. Cette année-là il exposa deux toiles au Salon de la Société des artistes français,

c’est-à-dire, le Salon des Champs-Elysées. Elles étaient : En Eté (fig.7) et La Lecture. En

1895, il y exposa encore une fois deux tableaux : Les Communiantes et La Convalescente. En

1897, il avait deux nus féminins exposés au Salon du Champ de Mars : Rêve mystique (fig.9) et

Noceuse. En 1898, Visconti exposa, dans ce même Salon, le tableau Saint Sébastien (fig.11).

“ Capítulo 6o : Dos deveres dos pensionistas (...) 4o e 5o anos - Execução do quadro que será comprado pela Escola se o Conselho Escolar julgar digno de ser adquirido. ”

39 - Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-195-195. Lettre de Visconti adressée au Ministre datée du 29 mai 1896. [Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].

40 - Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-197-197. (10 / 09 / 1896)[Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].41 - Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-198-198. [Source : base de

données Carlos Roberto Maciel Levy]. Lettre du 14 décembre 1896.42 - En 1897 son séjour d’études touchait à sa fin, mais sa pension fut prolongée pendant deux

ans, (1898 et 1899).

170

En 1899, il exposa, toujours au Champ de Mars, les toiles Le Baiser et Mélancolie (toile

aujourd’hui connue sous le titre de Gioventú) (fig.12). La dernière année de son séjour, en

1900, il participa à l’Exposition universelle internationale en y présentant deux toiles :

Gioventú (encore sous le nom de Mélancolie) qui avait déjà été exposée l’année antérieure, et

Les Oréades (fig.16). Avec ces deux toiles, Visconti obtint une médaille d’argent43.

La période d’études de Visconti en France était terminée depuis le mois de juillet

1899 et il en avait informé le Ministre, en demandant par la même occasion le financement de

son voyage de retour au pays44. Le 13 octobre 1899, la Délégation du Trésor du Brésil à

Londres communiquait à Visconti que le crédit destiné à payer les frais de son voyage était

disponible depuis le 23 septembre.45

En 1900, après l’Exposition universelle, Visconti retourna à Rio où il exposa, l’année

suivante, ses travaux réalisés en France. Mais il n’est pas resté longtemps au Brésil et fit de

nombreux allers-retours entre Rio de Janeiro et Paris, où il connut sa future épouse Louise

Palombe. Il se trouvait en France lorsqu’en 1905 il fut appelé à réaliser des peintures

décoratives destinées au Théâtre municipal de Rio de Janeiro. Les deux années suivantes, 1906

et 1907, il exécuta ses premières décorations du théâtre, dans son atelier à Neuilly-sur-Seine46.

Il était pris par ce travail quand il reçut, le 22 Juin 1906, la communication selon laquelle il

avait été choisi par le Conseil de l’Escola Nacional de Belas Artes pour occuper un poste de

43 - Archives nationales (France) - F / 21 / 4066. D’après l’examen de la Liste des récompenses distribuées aux exposants de l’Exposition Universelle de 1900, dans le groupe II (oeuvres d’art), parmi les concurrents de la classe 7 (Peintures, cartons et dessins), 27 artistes obtinrent un grand prix, 112 obtinrent une médaille d’or, 299 artistes obtinrent une médaille d’argent, 600 obtinrent une médaille de bronze et 414 obtinrent une mention honorable.

44 - Arquivo nacional (Rio de Janeiro). Document : ANRJ-038-201-202. (Lettre du 17/07/1899). [Source : base de données Carlos Roberto Maciel Levy].

45 - Document conservé par Tobias Visconti, fils d’Eliseu Visconti.46 - Situé au numéro 38, Boulevard du Château, à Neuilly-sur-Seine, cet atelier aurait

appartenu à Puvis de Chavannes.

171

professeur de peinture47. Il accepta l’invitation, mais déclara qu’il lui était impossible de

retourner immédiatement au Brésil, avant de finir les commandes du théâtre.

À la fin 1907 il revint à Rio amenant avec lui les peintures finies pour les installer

dans les lieux définitifs, travail qui fut entièrement achevé en 1908. Cette fois-ci il s'est fait

accompagner par son épouse française, Louise Palombe, et par leur fille, et assuma ses

fonctions de professeur de peinture à l’Escola Nacional de Belas Artes. Entre 1908 et 1913,

Visconti habita à Rio de Janeiro avec sa famille. Mais en 1913, après avoir reçu de nouvelles

commandes pour la décoration du Théâtre municipal, il retourna encore une fois à Paris, en

amenant toute la famille, pour y réaliser les grands panneaux décoratifs du foyer de ce théâtre.

La Première Guerre est venue les surprendre en Europe et interdit le déplacement de la famille

lorsque Visconti vint à Rio en 1915, pour installer ses nouvelles peintures dans le théâtre. Il fit

seul le voyage, très dangereux à ce moment-là, et il s’en retourna dès que la mise en place des

oeuvres fut terminée. Visconti ne put rentrer définitivement, en amenant toute sa famille au

Brésil, qu’en 1920. Après quoi le peintre s’installa à Rio, où il a vécu et travaillé en tant

qu’artiste reconnu et aimé, jusqu’à son décès, le 15 octobre 1944.48

47 - Lettre conservée par Tobias Visconti, fils du peintre.Des documents prouvent que le nom de Visconti avait déjà été évoqué par les professeurs de l’Ecole, le mois de mai 1901, lorsqu’il fut question de choisir un remplaçant pour le professeur Henrique Bernardelli, qui arrivait à la fin de son contrat de dix ans. Mais Henrique Bernardelli fut reconduit au poste, ayant obtenu onze votes favorables à son nom. Visconti obtint un vote. [Arquivo nacional, Rio de Janeiro, document ANRJ-116-107-108 (base de données de Carlos Maciel Levy)]. Voir aussi Procès-verbal de la Séance du Conseil le 22 mai 1901, Archives de l’Escola de Belas Artes, Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

48 - Le 5 Août 1944, Visconti a été victime d’une agression qui l’a laissé évanoui dans son atelier de la rue Mem de Sá, au centre de la ville de Rio. L’agresseur n’a jamais été identifié, mais il s’agissait vraisemblablement d’un voleur. Deux mois plus tard le peintre est mort en conséquence des séquelles de cette agression.

172

3 - La question de la Ligne de Démarcation : Visconti et les Modernistes de 1922

La presque totalité de l’oeuvre de Visconti appartenant à ce Musée (...) est présentée au public dans la ‘Salle Visconti’, partie intégrante des Galeries des Artistes Brésiliens (...).

Cette salle est comme un jalon qui marque le début de l’art du XXe siècle et le différencie de l’art antérieur (...). 49

[« Visconti no Museu Nacional de Belas Artes » , Rio de Janeiro, 1968, p.33]

Ces mots destinés à informer le public sur l’emplacement des oeuvres d’Eliseu

Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio expriment en peu de mots quelle fut la

place accordée à ce peintre dans l’histoire de l’art au Brésil. Visconti est considéré comme un

artiste qui, situé à la charnière de deux siècles, représente le passage de l’art académique à l’art

moderne. Déjà en 1944, Reis Júnior explicitait cette idée dans son livre sur l’histoire de la

peinture brésilienne. Dans cet ouvrage, après avoir expliqué sa décision de ne pas analyser

l’oeuvre des artistes vivants, il affirma :

Nous avons fait une exception pour Eliseu Visconti50 (...). On a voulu étudier l’oeuvre de Visconti parce que l’on considère que le parcours artistique de ce peintre venu de l’académisme et qui a atteint le modernisme en passant par l’impressionnisme est un trait d’union dans l’histoire de la peinture brésilienne : il lie la peinture de l’Académie à la peinture actuelle. En suivant les tribulations de sa sensibilité, les efforts pour atteindre une expression, les essais et les indécisions qui se sont reflétées sur son oeuvre tout au long de sa vie, on comprendra mieux les inquiétudes de la nouvelle génération, - elles sont celles du grand peintre, à peine transposées.51

49 - “ A quase totalidade da obra de Visconti, pertencente a este Museu (...) figura na ‘Sala Visconti’, parte integrante das Galerias de Artistas Brasileiros, localizada no 2o andar deste edifício. Esta sala é como um marco a delimitar a pintura do século XX com a do anterior (...). ”

50 - Visconti était encore vivant au moment où Reis Júnior écrit son livre.51 - REIS JUNIOR, História da Pintura no Brasil, São Paulo, 1944, (p. 294).

“ Abrimos uma exceção para Eliseu Visconti por julgarmos que esse artista, pela sua avançada idade já completou definitivamente o seu ciclo artístico. Também fomos leva-dos a estudar a obra de Visconti por considerarmos que a sua grande trajetória artística - pois vem do academismo ao modernismo, passando pelo impressionismo - é o traço de união da pintura brasileira : liga a pintura da Academia à pintura atual. Acompa-nhando-lhe as atribulações da sensibilidade, os esforços para alcançar uma expressão, os ensaios, as indecisões que se foram refletindo pela sua vida afora, melhor compreen-deremos a inquietação da geração moça, - são as mesmas do grande pintor, apenas

173

Reis Júnior affirma ainsi le caractère moderne de la peinture de Visconti, artiste

formé selon les traditions de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Dans tous

les ouvrages où la peinture et l’itinéraire artistique de Visconti sont analysés, on retrouve l’idée

selon laquelle l’importance de ce peintre est d'avoir été le premier artiste brésilien à s’éloigner

des principes académiques dans lesquels il avait été formé, s’ouvrant ainsi aux changements

proposés par l’art moderne, surtout par l’impressionnisme et le pointillisme. Cette façon de

voir amena quelques auteurs à affirmer qu’Eliseu Visconti fut comme une ‘ligne de

démarcation’ dans l’histoire de la peinture au Brésil.

L’idée de la ‘ligne de démarcation’ fut le sujet d’une polémique opposant deux

interprétations sur les rôles d’Almeida Júnior et d’Eliseu Visconti dans l’histoire de l’art

brésilien. Il convient de rappeler ici les propositions de Frederico Barata et de Sérgio Milliet,

les deux critiques qui entamèrent cette discussion.

Sérgio Milliet fut l’auteur de l’expression ‘ligne de démarcation’ appliquée à un

peintre, en l’occurrence Almeida Júnior. Ensuite, Frederico Barata réfuta son raisonnement et

affirma que ce rôle (d’être une ‘ligne de démarcation’) revenait plutôt à Eliseu Visconti. Barata

s’exprima à ce propos en disant :

Sérgio Milliet, dans un magnifique essai paru dans « Peintres et Peintures » , admet que, de pair avec Victor Meirelles, son maître, et beaucoup plus que Pedro Américo, Almeida Júnior fut une ligne de démarcation pour la peinture brésilienne. ‘Avec Almeida Júnior - dit-il - notre liberté artistique s’est affirmée, et c’est par lui que nous avons obtenu une place dans l’histoire de l’art contemporain’. Je n’arrive pas à trouver, en aucun de ces trois peintres, des raisons qui justifient une telle assertion. La ‘ligne de démarcation’, à mon avis, s’est fait jour un peu plus tard, dans la génération suivante, avec Eliseu Visconti.52

Paradoxalement, pour défendre son point de vue, Frederico Barata cita un texte de

Sérgio Milliet :

transpostos. ”52 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p. 65).

“ Sérgio Milliet, num magnífico ensaio em ‘Pintores e Pinturas’, admite que juntamente com Victor Meirelles, de quem foi discípulo, e muito mais que Pedro Américo, Almei-da Júnior tem para a pintura nacional a importância de um marco divisório. "Com ele - diz - se afirma a nossa liberdade artística e por ele conseguimos um lugar na história da arte contemporânea". Não consigo encontrar, em nenhum dos três, com que justificar essa asserção. O "marco divisório", para mim, está mais além, na geração seguinte, li-derada por Eliseu Visconti. ”

174

D’ailleurs, c’est le même critique que je peux citer pour appuyer mon point de vue. Milliet dit dans un autre passage: "Âgé à peine de 27 ans, jeté subitement dans ce Paris des grands impressionnistes, dans lequel des critiques formés dans l’école symboliste des demi-teintes pontifiaient dans les journaux, (...), dans lequel même les naturalistes, à l’exemple de Zola, prenaient la défense de Cézanne, quelles seraient les réactions du jeune Almeida Júnior? Tout nous aurait amené à répondre qu’il serait influencé par les nouveaux, si son oeuvre toute entière n’était pas là pour nous contredire. D’après ses réalisations, on observe que les mouvements artistiques de la seconde moitié du XIXe siècle ne l’ont pas touché, pas même légèrement. Il n’a pas pris connaissance de ces mouvements, ni pour s’y opposer, ni pour les approuver. Il est passé indemne au milieu de la bataille artistique et retourna à la patrie aussi brésilien qu’auparavant".

Or, c’est justement pour cette raison, parce qu’il n’a rien assimilé de nouveau pendant son séjour en Europe, qu’Almeida Júnior ne peut pas être considéré comme une "ligne de démarcation" départageant le passé et le futur de la peinture brésilienne. En retournant au Brésil aussi brésilien qu’auparavant, il est resté dans les limites de l’école française et dans l’orientation des salons officiels. Il est resté dans les limites fondamentales de l’Academia Imperial et présente avec Victor Meirelles, Pedro Américo ou Zeferino da Costa, les mêmes affinités que ceux-là ont eues avec leurs antécédents ou avec leurs successeurs tels que Rodolpho Amoedo.53

Ensuite, dans le même ouvrage, Frederico Barata poursuivit en affirmant que

Visconti, à l’opposé d’Almeida Júnior, “ n’est pas passé par le séjour européen sans

expérimenter de vives réactions. Il s’est intéressé à toutes les manifestations, même les plus

révolutionnaires, et face aux recherches et innovations il fit preuve d’une grande tolérance et

53 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.p.65-66).“ É de resto, o mesmo crítico quem, em outro trecho, posso citar em abono do meu ponto de vista: ‘Com 27 anos apenas, lançado de supetão nessa Paris dos grandes im-pressionistas, em que pontificavam nos jornais os críticos formados na escola simbolista dos meios tons, plasmados na volúpia dos "ímpares", como diria Verlaine, em que os próprios naturalistas, Zola à frente, se lançavam em defesa de Cézanne, que reações iria experimentar Almeida Júnior? Tudo nos levaria a responder pela influência dos novos, se aí não estivesse sua obra inteira a desmenti-lo. A julgar pelas suas realizações, os movimentos artísticos da segunda metade do século XIX não parecem tê-lo atingido nem de leve sequer. Não tomou conhecimento dos mesmos, nem para entrar em confli-to nem para aprová-los. Passou incólume pela batalha artística e voltou tão brasileiro quanto antes’.Ora, justamente por isso, por não ter assimilado na Europa nada de novo, é que Almei-da Júnior não pode ser considerado um ‘marco divisório’ entre o passado e o futuro da pintura brasileira. Voltando tão brasileiro quanto antes, ele ficou na chamada escola francesa e dentro da orientação dos "salons" oficiais. Ficou dentro dos limites bási-cos da Academia Imperial e tem as mesmíssimas conexões com Vitor Meireles, Pedro Américo ou Zeferino da Costa, que estes tinham com os seus antecessores ou com su-cessores como Rodolfo Amoedo. ”

175

d’une réceptivité éclairée ”54. Dans ce même texte, en note de bas de page, Frederico Barata

observe que Visconti avait réussi le concours de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en juillet

1893, en obtenant une classification très honorable, et pourtant, souligna Barata, il n’est pas

resté longtemps à l’Ecole, “ il a préféré l’abandonner pour se libérer de la tutelle académique

qu’elle imposait aux élèves ”55. Encore à propos du rôle novateur de Visconti, Frederico

Barata affirma :

Il fut le premier à se rebeller contre la routine de l’Academia Imperial et de son héritière, l’Escola Nacional de Belas Artes, en prenant de nouveaux chemins et en s’intéressant aux innovations qui agitaient l’Europe du principe du siècle.

Nos grands peintres d’alors, tels que Almeida Júnior et Rodolpho Amoêdo, pour ne citer qu’eux, ont traversé leur période européenne, le premier dans la jouissance de la pension d’études que l’empereur lui avait octroyée, et le second en tant que pensionnaire de l’Academia, sans se rendre compte des modifications énormes qui s’opéraient alors dans les canons picturaux sous la poussée de l’oeuvre des impressionnistes. Ils n’ont pas pris connaissance de ces peintres, ou, s’ils l’ont fait, ce ne fut que pour juger les palettes éclairées, rejetées par les "hors concours", comme même pas dignes d’examen ou de méditation.

Eliseu Visconti, au contraire, plein de réceptivité vis-à-vis de toutes les manifestations évolutives, assoiffé de connaissances, a perçu les mouvements impressionnistes et néo-impressionnistes. Il a compris leur importance et au lieu de les repousser "in-limine", il s’en est approché, en utilisant dans son oeuvre beaucoup de l’acquis des génies novateurs.56

On observe que dans l’interprétation de Frederico Barata l’appropriation des

expériences impressionnistes occupait une place très importante. En effet, c’est l’influence des

54 - BARATA, idem, p.77.“ ... não passou pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações. Interessou-se por todas as manifestações, mesmo as mais revolucionárias, tendo para as pesquisas e inovações uma grande tolerância e uma esclarecida receptividade. ”

55 - BARATA, idem, p.77.“ Fez concurso para a Escola de Belas Artes de Paris em Julho de 1893, sendo classifi-cado em sétimo lugar entre 350 concorrentes, o que demonstra um mérito invulgar, pois tão rigorosos eram esses concursos que artistas de raro valor, como Rodolpho Amoêdo, só conseguiram classificação no segundo ano de tentativa. Eliseu Visconti, porém, não se demorou na Escola, preferindo abandoná-la para libertar-se da tutela acadêmica que ela impunha aos alunos. ”

56 - BARATA, idem, p.196.“ Foi ele o primeiro a se rebelar contra a rotina da Academia Imperial e sua sucessora, a Escola Nacional de Belas Artes, enveredando por novos e variados rumos e interessan-do-se pelas inovações revolucionárias que agitavam a Europa dos albores do século.

176

impressionnistes sur l’oeuvre de Visconti qui l’amène à attribuer à ce dernier le rôle d’une ligne

de démarcation. En réponse à Barata, Sérgio Milliet écrivit l’année suivante :

Je ne sais pas si dans l’avenir il restera de notre modernisme un bagage aussi insignifiant que celui qui est resté de l’impressionnisme brésilien. En atteignant tardivement et timidement les manifestations révolutionnaires de l’art, nous en recueillons d’habitude les recettes, l’académisme qui se reconstruit inévitablement autour des nouveautés, et non pas l’esprit de pureté et d’insatisfaction qui les engendre. Néanmoins, et précisément parce qu’il est restée très peu de choses de l’impressionnisme [brésilien], la figure d’Eliseu Visconti mérite une considération tout à fait à part..

Pour lui donner une place au soleil, Frederico Barata a écrit l’affectueuse biographie éditée par Zélio Valverde. (...).

Quelle est la valeur de ce grand artiste, quelle place occupera-t-il dans le futur parmi les maîtres de l’école ? Jusqu’à quel point son influence se fait-

Os nossos grandes pintores desse tempo - como Almeida Júnior e Rodolpho Amoêdo, para não citar outros, passaram pela Europa, aquele no gozo da pensão de estudos que lhe concedera o Imperador e este como pensionista da Academia, sem se aperceberem das tremendas modificações que se operavam nos cânones pictóricos ao impulso da obra dos impressionistas. Destes não tomaram conhecimento ou, se tomaram, foi para não considerar as palhetas clarificadoras, repelidas pelos ‘hors-concours’, nem ao me-nos dignas de exame ou meditação.Eliseu Visconti, ao contrário, cheio de receptividade para todas as manifestações evolu-tivas, ávido de conhecimentos, sentiu os movimentos impressionistas e neo-impressio-nistas, compreendendo-lhes a importância, e longe de repeli-los "in-limine" neles se de-teve, utilizando para a própria obra muito da experiência dos gênios inovadores. ”

177

elle sentir parmi nous ? Dans quelle mesure cette influence est-elle bénéfique? La critique du livre de Frederico Barata nous offre l’occasion de poser ces questions importantes.57

Après cette introduction, Milliet critiqua durement l’oeuvre de Visconti, en affirmant

que son art n’apporta “ aucune contribution originale ” et “ aucun message ”. Selon lui, la

technique de Visconti ne se détourne pas des enseignements reçus et le peintre “ manque,

quant à l’inspiration, d’un sentiment nouveau quelconque ”. Et pour répondre à Frederico

Barata qui avait comparé la trajectoire de Visconti à celle d’Almeida Júnior, Sérgio Milliet

souligna le caractère national de l’oeuvre de ce dernier :

S’il [Visconti] a eu, à l’opposé d’Almeida Júnior, la clairvoyance de prendre connaissance des manifestations impressionnistes, il est loin d’égaler le maître pauliste58 en curiosité pour le Brésil et dans la tentative de prêter à la peinture une préoccupation régionale. (...) Comme disciple bien élevé de l’impressionnisme, Eliseu Visconti réalisa une oeuvre discrète. (...).

(...) Le cas d’Almeida Júnior, que M. Frederico Barata n’accepte pas comme ligne de démarcation dans l’évolution de notre peinture, est très différent. Malgré son imperméabilité et peut-être justement grâce à elle, le pauliste est resté pauliste et atteignit une originalité réelle d’esprit et de sentiment, même si la forme est caduque.59

Selon Sérgio Milliet, l’ouverture de Visconti à l’influence de l’impressionnisme n’a

pas de valeur. À son avis, ce peintre fut un élève obéissant qui répéta les leçons des maîtres

57 - MILLIET, Sérgio. Diário Crítico, p. 101. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p. 87]. “ Não sei se do nosso modernismo ficará, no futuro, tão insignificante bagagem quanto a que sobrou do impressionismo brasileiro. Chegando com atraso e timidez às manifes-tações revolucionárias da arte, recolhemos de costume as receitas, o academismo que inevitavelmente se reconstrói em torno das novidades e não o espírito de pureza e insa-tisfação de que brotam. Mas, exatamente porque bem pouco ficou do impressionismo, a figura de Eliseu Visconti merece uma consideração toda especial.Para colocá-lo na boa luz é que Frederico Barata escreveu a carinhosa biografia editada por Zélio Valverde. (...). Que vale este expoente, que lugar ocupará no futuro, entre os grandes mestres da escola ? Até que ponto sua influência se fez em nosso meio ? Em que medida foi benéfica ? Essas as questões importantes que nos oferecem a oportuni-dade da crítica ao livro de Frederico Barata. ”

58 - Pauliste - habitant de São Paulo (Brésil). Almeida Júnior est né à Itu, une ville de São Paulo et, sauf pendant les périodes de formation artistique accomplies à Rio de Janeiro et à Paris, il a vécu et travaillé à São Paulo toute sa vie.

59 - MILLIET, Sérgio. Diário Crítico. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p.p. 88 - 89].“ Se teve, ao contrário de Almeida Júnior, a clarividência de tomar conhecimento das manifestações impressionistas, ficou aquém do mestre paulista na curiosidade pelo Bra-sil e na tentativa de emprestar à sua pintura uma inquietação regional. (...). Como discí-pulo bem comportado do impressionismo Eliseu Visconti realizou obra discreta. (...)

178

sans réaliser rien d’original ni de personnel. D’autre part, l’importance que Milliet attribua à

Almeida Júnior ne concernait pas les questions formelles ou de style. Il valorisa l’oeuvre du

peintre pauliste à cause des motifs brésiliens, des scènes de la vie quotidienne et des

personnages de la province de São Paulo qu’Almeida Júnior représenta dans sa peinture.

Ce point de vue de Sérgio Milliet a une filiation. Avant lui, Mário de Andrade et

Oswald de Andrade, les deux écrivains qui se trouvaient à la tête du mouvement moderniste

brésilien, avaient accordé à Almeida Júnior le rôle de prédécesseur du modernisme60,

attribution que l’on peut rapprocher de celle de ‘ligne de démarcation’. Et si les modernistes

ont vu en Almeida Júnior un prédécesseur de leur mouvement, ce fut surtout à cause du

caractère régionaliste et national de son oeuvre. Les modernistes, qui avaient l’ambition

d’inaugurer l’art moderne et de rompre avec les anciens modèles établis, voulaient créer un art

brésilien original.61 Ce fut dans ce sens qu’ils valorisèrent l’oeuvre d’Almeida Júnior.

En continuant à lire le texte de Milliet, la raison moderniste de sa préférence pour

Almeida Júnior se confirme. Milliet s’exprima en faveur des modernistes de 1922, en leur

accordant le rôle révolutionnaire que Barata attribua à Visconti :

(...) On a eu peu d’impressionnistes dans la peinture, et on a eu peu de symbolistes dans la littérature. Et dans les deux cas on a eu des impressionnistes et des symbolistes serviles. Les vrais symbolistes allaient éclore après 22, et les vrais impressionnistes n’allaient apparaître qu’après les tentatives libertaires d’Anita Malfatti, Segall, Di Cavalcanti et Tarsila do Amaral, parmi lesquels on ne trouve aucun impressionniste. Cependant ils furent tous des rebelles contre la passivité satisfaite. Nous avons supprimé cette phase nuancée de solutions subtiles qui se situe entre l’école parnassienne et les mots en liberté, dans le domaine de la littérature, et entre le naturalisme et le cubisme, dans le domaine de la peinture. On n’a pas eu les chaînons naturels des européens (...) 62

O caso de Almeida Júnior, que o Sr. Frederico Barata não aceita como marco divisório de nossa pintura é bem diverso. Com toda sua impermeabilidade, e talvez mesmo por causa dela, o paulista permanece paulista, alcança uma originalidade real de espírito e de sentimento apesar da forma caduca. ”

60 - Voir à ce propos AMARAL, Aracy. Artes Plásticas na Semana de 22. São Paulo, 1970, p.20-21, 28, 34-35.

61 - Voir FURTADO, Celso. Préface “ Modernidade, l’art brésilien du XXe siècle ” In : Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris - 10 décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987. (p.21).

62 - MILLIET, Sérgio. Diário Crítico. São Paulo, 1945. [Cité par SANCHES, p.90]

179

Le mouvement moderniste de 1922 occupe une place considérable dans

l’interprétation faite par Sérgio Milliet de l’histoire de l’art au Brésil. Ce mouvement acquiert

pour lui une signification tellement importante qu’il en vient à affirmer que “ les vrais

impressionnistes n’allaient apparaître qu’après les tentatives libertaires ” des artistes

modernistes, même si, avoua-t-il, parmi ceux-là il n’y avait pas d’impressionnistes. Visconti n’a

pas participé à la Semaine d’art moderne, première manifestation organisée et réalisée par les

poètes, musiciens et artistes modernes. Et Sérgio Milliet lui refusa un rôle révolutionnaire.

Telle a été la polémique soutenue par Sérgio Milliet et Frederico Barata autour de la

supposée ‘ligne de démarcation’ dans l’histoire de la peinture brésilienne. On sait à l’heure

actuelle que l’interprétation avancée par Frederico Barata au sujet du rôle novateur de Visconti

a fini par l’emporter sur celle de Sérgio Milliet. L’emplacement choisi pour les oeuvres

d’Eliseu Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro le prouve bien.

S’il est vrai que la plupart des historiens et des critiques qui, depuis, ont écrit sur

Visconti et son oeuvre n’ont pas repris le terme de ‘ligne de démarcation’, ils ont du moins

salué l’artiste comme un précurseur du modernisme. En soutenant ce point de vue, il fallait

qu’ils expliquent pourquoi Eliseu Visconti n’était pas présent à l’événement inaugural du

modernisme brésilien, la Semaine d’art moderne. Maria José Sanches, dans sa thèse

“ Impressionismo Viscontiniano ”63, cite deux points de vue similaires sur cette absence. Le

premier est celui de

“ Tivemos poucos impressionistas na pintura, como tivemos simbolistas na poesia. As-sim mesmo, impressionistas e simbolistas servis. Os verdadeiros simbolistas desabro-chariam depois de 22, como os verdadeiros impressionistas só iriam aparecer após as tentativas libertárias de Anita Malfatti, Segall, Di Cavalcanti e Tarsila, nenhum deles impressionista, mas todos rebelados contra a pasmaceira satisfeita. Nós saltamos esse período matizado de soluções sutis, que vai do parnasianismo e do naturalismo pictóri-co às palavras em liberdade e ao cubismo. Não tivemos os elos naturais que tiveram os europeus (...). ”

63 - SANCHES, Maria José. Impressionismo Viscontiniano. Dissertação de Mestrado, Depar-tamento de Artes Plásticas da Escola de Comunicação e Artes da Universidade de São Pau-lo. Orientação do professor doutor Walter Zanini. São Paulo, 1982.

180

Pietro Maria Bardi qui déclara, dans une interview de 1977, que Visconti n’était pas présent à

la Semaine parce que:

Il n’a pas été invité, tout simplement. Il n’a pas été invité par les membres de cette petite chapelle (...) qui n’ont invité que des nullités. Et le seul critère fut celui de l’amitié ! Ainsi, ils ont oublié le seul artiste vraiment moderne à son époque : Visconti.64

La seconde affirmation citée par Sanches est celle de Jacob Klintowitz qui écrit en

1982 :

Les principaux artistes modernes n’ont pas été invités à participer. À ce moment-là, comme aujourd’hui, les questions personnelles, les méconnaissances et la dispute pour le pouvoir (...) se multipliaient. Et cela peut expliquer l’absence des grands dessinateurs et caricaturistes (...). Cela explique aussi l’absence, (...), du grand peintre Eliseu Visconti à qui l’on doit, en grande partie, la modernité de notre peinture.65

Il est indéniable que les questions personnelles et les disputes ont toujours existé.

Pourtant, cette explication de l’absence de Visconti paraît simpliste. En effet, dans ses

premières manifestations, le groupe moderniste fit table rase de tout ce qui le précédait en

matière de production artistique. Visconti, même s’il s’était distingué des peintres formés dans

l’Academia Imperial, n’avait jamais refusé les enseignements qu’il y avait reçus. C’est-à-dire

qu’il restait lié au passé, même s’il représentait déjà un pas en avant.

Graça Aranha, dans un texte devenu historique, la conférence intitulée “ L’émotion

esthétique dans l’art moderne ”, lue au Théâtre municipal de São Paulo, le 15 février 1922, au

moment de l’ouverture de la Semaine d’art moderne, affirma :

64 - Pietro Maria Bardi, In : Isto é. São Paulo, 28 setembro 1977, p.54. (Cité par SANCHES, p. 93)

“ Não foi convidado ; simplesmente não foi convidado pelos integrantes daquela ‘pane-linha’ (...), só convidaram nulidades. E o critério foi unicamente o da amizade ! Assim, esqueceram o único realmente moderno de sua época, que era Visconti. ”

65 - KLINTOWITZ, Jacob. A Semana lembrada e revista. Qual o seu legado ? In : “ Jornal da Tarde ”, São Paulo, 13 de fevereiro de 1982, Caderno Cultural, p.2. (Cité par SAN-CHES, p.94).

“ E os principais artistas modernos não foram convidados a participar. Naquela época como agora, sobravam as questões pessoais, o desconhecimento e a disputa de poder (...). O que serve para explicar a ausência dos grandes desenhistas, chargistas e carica-turistas (...). Ou a ausência, ao menos como homenagem, do grande pintor Eliseu Vis-conti a quem devemos, em boa parte, a modernidade de nossa pintura. ”

181

On doit souligner que, (...), ce qui a été fait auparavant dans la peinture et la musique est inexistant : on n’y trouve que de petites et timides manifestations d’un tempérament artistique effrayé par la nature dominante, ou des transplantations, jusqu’à notre monde dynamique, de mélodies chétives et languissantes imprégnées de la marque académique d’autrui.

Ce à quoi aujourd’hui nous assistons n’est pas la Renaissance d’un art qui n’existe guère. C’est, même, la naissance émouvante de l’art au Brésil. Heureusement, nous n’avons pas l’ombre perfide du passé pour tuer la germination ; tout promet donc une floraison artistique admirable. (...). 66

On remarque ici l’attitude radicale des modernistes dans leurs manifestations initiales.

Il a fallu attendre le passage de trois décennies pour qu’un autre point de vue se fasse entendre.

En 1949, le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro organisa une

exposition rétrospective de l’oeuvre de Visconti. Dans un article de journal du 1er janvier 1950,

Mário Pedrosa déclara que cette exposition fut pour lui l’occasion de découvrir la valeur de

Visconti :

Eliseu d’Angelo Visconti était, pour ainsi dire, un inconnu pour les générations modernes, jusqu’à la réalisation de sa récente rétrospective au Museu Nacional de Belas Artes. Et, cependant, il s’agit là de l’un des rares, rarissimes maîtres de la peinture brésilienne. Voilà un peintre qui a contribué de façon authentique à l’histoire de notre peinture.67

À la fin de ce même article, Pedrosa affirme que Visconti est le lien entre les

générations anciennes et les générations modernes. Il convient de citer ses observations sur le

sujet :

C’est dommage que le mouvement moderne brésilien, dans ses débuts, n’ait pas eu des contacts avec Visconti. Ses précurseurs avaient beaucoup de choses à apprendre avec le vieil artiste, plus expérimenté, maître de la technique de la lumière apprise directement en contact avec l’école néo-

66 - ARANHA, Graça. “ L’émotion esthétique dans l’art moderne ”. Traduction de Vincent Wierinck. In : Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris - 10 décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987. (p.72).

67 - PEDROSA, Mário. “ Visconti diante das modernas gerações ”. Correio da Manhã, 1er

janvier 1950, p.6.“ Eliseu d’Angelo Visconti era, por assim dizer, até sua recente retrospectiva do Museu Nacional de Belas Artes, quase um desconhecido das modernas gerações. E, no entan-to, trata-se de um dos raros, raríssimos mestres da pintura brasileira. Eis um pintor que trouxe autêntica contribuição para a história da nossa pintura. ”

182

impressionniste. Le modernisme brésilien n’aurait pas été nourri exclusivement d’idées importées d'Europe (...). Tarsila, Di Cavalcanti, Portinari et d’autres, tous des artistes talentueux, auraient peut-être trouvé dans l’oeuvre de Visconti ce sens de la continuité, indispensable à toutes les révolutions. (...). [Mais] ils ont quêté le savoir auprès des maîtres européens qui avaient peu d’affinités avec notre tempérament et notre milieu. Ils sont tombés souvent dans une espèce d’académisme moderniste. Ils ont appris des recettes et n’ont pas assimilé dans leur profondeur les nouvelles conceptions esthétiques. Ils ont tourné le dos à la nature, incapables de la pénétrer, dévoués aux caprices de la mode ou à des préoccupations purement extérieures et livresques. (...).

Eliseu Visconti est venu lier le passé au futur de l’histoire de notre peinture. Avec lui, l’hiatus existant entre les artistes dits d’hier, jusqu’à Baptista da Costa, et les modernes (...) est fini. En lui, le mouvement moderniste retrouve le chaînon manquant capable de le rattacher à la tradition.68

Les déclarations de Mário Pedrosa nous offrent un point de vue nouveau sur la

polémique autour de ce que l’on a appelé la question de la ‘ligne de démarcation’. Les

générations modernes avaient ignoré le peintre Visconti, mais le critique affirme qu’il fallait

retrouver ce chaînon manquant de l’évolution de l’art brésilien. Effectivement, la place d’Eliseu

Visconti est une place unique dans l’histoire de la peinture brésilienne, car elle est située entre

deux périodes qui se sont brutalement opposées.

Mais il faut discuter encore de l’impressionnisme de Visconti. Beaucoup d’auteurs

ont parlé de lui comme étant “ l’impressionniste brésilien ”. Cependant, cette interprétation

n’est pas évidente et elle pose des problèmes que l’on abordera dans le prochain chapitre.

68 - PEDROSA, Mário. “ Visconti diante das modernas gerações ”. Correio da Manhã, 1er

janvier 1950, p.10.“ Foi pena que o movimento moderno brasileiro, no seu início, não tivesse tido contato com Visconti. Os seus precursores teriam tido muito que aprender com o velho artista, mais experimentado, senhor da técnica da luz, aprendida diretamente na escola do neo-impressionismo. O modernismo brasileiro não se teria nutrido apenas de idéias importa-das da Europa, (...). Tarsila, Di Cavalcanti, Portinari e outros, todos eles artistas de ta-lento, achariam talvez na obra viscontiniana aquele senso da continuidade, indispensá-vel a todas as revoluções. (...). Foram buscar ensinamentos em mestres europeus de poucas afinidades com o nosso temperamento e meio. Caíram, muitas vezes, numa es-pécie de academismo modernista. Aprenderam receitas e não assimilaram em sua pro-fundeza as novas concepções estéticas. Deram as costas à natureza, incapazes de pene-trá-la, entregues a caprichos da moda ou a preocupações puramente externas e livres-cas. (...).

Eliseu Visconti veio ligar o passado ao futuro da história de nossa pintura. Com ele, termina o hiato entre artistas de ontem, que chegam até Baptista da Costa, e os modernos (...). Nele, o movimento modernista encontra o elo que faltava para prendê-lo à cadeia da tradição. ”

183

4 - Le style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien

De quelque étiquette qu’on les couvre, pour les classer, il y a des oeuvres vivantes parce qu’elles sont vraies.

[Henriot]

De nos jours, l’interprétation la plus courante de l’oeuvre de Visconti est celle qui la

rapproche de l’impressionnisme. On a pu le constater récemment, lors de l’exposition Monet

organisée en 1997 au Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro. Les conservateurs du

musée ont profité de l’occasion pour faire accoler à l’exposition Claude Monet une autre

intitulée L’Impressionnisme - antécédents et affirmation, consacrée à la peinture brésilienne de

la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Six tableaux de Visconti faisaient partie de cette

exposition annexe, où il était présenté comme le nom le plus connu de l’impressionnisme

brésilien.69

Cependant, lorsqu’on se penche sur l’oeuvre de Visconti, on découvre que la

classification comme ‘peintre impressionniste’ ne s’accorde pas à l’essentiel de son travail. Il

est vrai que l’on peut remarquer l’influence de l’impressionnisme dans ses peintures, mais il

s’agit plutôt de l’emploi d’une technique que d’un engagement approfondi du peintre dans un

mouvement artistique. Nous analyserons l’oeuvre de Visconti dans les prochains chapitres.

Mais arrêtons-nous dès maintenant sur l’étiquette ‘peintre impressionniste’ que lui fut apposée,

et reprenons les textes qui abordèrent cette question.

On a vu que Frederico Barata, dans son livre de 1944, a soutenu la thèse selon

laquelle Visconti fut le premier impressionniste brésilien, mais cette idée ne résume pas la

totalité de son ouvrage. Beaucoup plus que le considérer comme l’impressionniste brésilien,

Barata a voulu valoriser “ l’aspect inquiet de son tempérament, assoiffé de connaissances,

désireux d’évolution, qui (...) devait l’accompagner, caractériser son oeuvre et lui-même,

jusqu’à la plénitude et la vieillesse ”70. D’ailleurs, lorsqu’il aborde la question des premières

influences subies par Visconti en Europe, Frederico Barata met en relief l’admiration de

69 - À ce propos, on peut citer l’article de Lívia de Almeida intitulé “ Nosso impressionismo ”, publié dans la revue VEJA RIO, du 7 mai 1997, (p.14).

70 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.38).

184

l’artiste pour la peinture de la Renaissance italienne, surtout celle de Botticelli, et raconte que

le procédé technique de l’Ecole vénitienne qui conseillait d’exécuter le travail d’abord en clair-

obscur, pour ensuite, sur les masses ainsi ébauchées et valorisées, peindre les couleurs, fut

utilisé par Visconti jusqu’à la fin de sa vie71. Or, ce procédé employé par Visconti nous montre

qu’il n’était pas un affilié de l’impressionnisme. Et même si Frederico Barata fait une remarque

en spécifiant que pour les paysages Visconti n’employait pas cette méthode, il cite, quelques

pages plus loin, les dires du peintre à propos du rapport entre l’artiste et la nature:

- La Nature - me dit-il (...) - est un dictionnaire que l’on consulte, elle n’est qu’un indice. Tout ce que l’artiste met dans son oeuvre doit être davantage au-dedans de lui-même que simplement dans ce que la vision perçoit.72

Cette affirmation de Visconti l’éloigne considérablement de l’impressionnisme.

Par ces deux observations - l’indication du procédé technique de l’Ecole Vénitienne

utilisé par Visconti, et l’énoncé sur sa manière d’envisager la peinture comme l’expression de

réalités intérieures - on constate que le portrait de Visconti tracé par Frederico Barata ne cadre

pas parfaitement avec les principes impressionnistes. Si, par la suite, l’image d’Eliseu Visconti

comme peintre impressionniste s’imposa et resta forte, cela est dû aux conceptions théoriques

qui ont prévalu dans l’histoire de l’art au Brésil.

En étudiant la littérature consacrée à Visconti73, on comprend comment le discours

sur ‘le premier peintre impressionniste brésilien’ s’est formé. Les premiers auteurs qui

abordèrent son oeuvre, quoiqu’ils aient signalé l’influence de l’impressionnisme, n’ont pas

présenté ce fait comme l’élément principal de sa carrière.

“ (...) desde logo queremos fixar o aspecto inquieto do seu temperamento, ávido de co-nhecimentos, ansioso por evoluir, que (...) deveria acompanhá-lo, caracterizando-o e à sua obra, até a plenitude e à velhice. ”

71 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p.p. 62-63).“ O processo técnico da Escola Veneziana, de primeiro executar minuciosamente o tra-balho a claro-escuro para depois, sobre as massas assim perfeitamente delineadas e va-lorizadas, pintar as cores, é por ele utilizado até hoje. (...). É uma técnica só usada, naturalmente, para as composições e retratos. Para a paisagem, por exemplo, é ela dis-pensável, visto que esta é quase sempre uma simples impressão fugaz e interpretada de um momento da natureza.”

72 - BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu Tempo. Rio de Janeiro, 1944, (p. 100).“ - A Natureza - disse-me certa vez, em palestra, Eliseu Visconti - é um dicionário para ser consultado, um índice apenas. Tudo quanto o artista põe na sua obra deve estar mais dentro dele do que simplesmente naquilo que a visão descortina. ”

185

La première grande rétrospective de l’artiste eut lieu en 1949. Un grand nombre de

ses oeuvres furent alors exposées, occupant un total de neuf salles du Museu Nacional de

Belas Artes de Rio de Janeiro. Lygia Martins Costa analysa dans le catalogue la production de

Visconti. Observant l’ensemble des oeuvres réunies, elle divisa la peinture de Visconti en six

périodes, de la manière suivante:

1888-1897 - Formation - naturalisme (Brésil et France) ;1898-1908 - Influence de la peinture de la Renaissance et divisionniste

(France) ;1909-1912 - Transition du divisionnisme au réalisme (Brésil) ;1913-1919 - Période impressionniste du Foyer du municipal et des paysages

de St. Hubert (France) ;1920-1930 - Transition de l’impressionnisme au néo-réalisme (Brésil) ;1931-1944 - Néo-réalisme avec une recherche accentuée d’atmosphère et

luminosité.74

Il est intéressant de voir que Lygia Martins Costa considéra l’impressionnisme

comme une phase dans la carrière de Visconti. De plus, Costa a signalé que les premières

influences impressionnistes subies par Visconti sont apparues lors de l’élaboration des

peintures décoratives du Théâtre municipal. Sur cette période, elle écrivit :

Le succès de ses travaux amène l’ingénieur (...) Passos à lui demander, cette même année [1905], une étude pour la décoration du Théâtre municipal, (...) à Rio. Dans l’intervalle de ses premières études, il projette sa ‘ Maternité’ (fig.31) de 1906. Il exécute plusieurs esquisses du Jardin du Luxembourg, lieu où se passera la scène. Les premières présentent des

73 - Les principales sources bibliographiques sur Visconti sont : l’excellent livre de Frederico Barata datant de 1944 ; les catalogues des rétrospectives de 1949 et 1967 organisées par le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro ; le catalogue de l’exposition Visconti de 1954, partie intégrante de la II Biennale de São Paulo ; le catalogue de l’exposition Eliseu Visconti e a Arte Decorativa réalisée en 1982 dans le Solar Grandjean de Montigny de l’Université catholique de Rio de Janeiro. En plus de ces ouvrages, on trouve des très bons articles sur Visconti dans plusieurs livres sur l’histoire de la peinture au Brésil et dans les dictionnaires de peintres. Il ne faut pas oublier non plus les nombreux articles de journaux ou revues. Des informations plus détaillées se trouvent dans la bibliographie de cette thèse.

74 - COSTA, Lygia Martins. “ Biografia de Elyseu d’Angelo Visconti ”. In : Exposição Re-trospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro, 1949, (p. 18).

“ 1888 - 1897 - Formação - naturalismo (Brasil e França)1898 - 1908 - Influência renascentista e divisionista (França)1909 - 1912 - Transição do divisionismo ao realismo (Brasil)1913 - 1919 - Período impressionista do Foyer do Municipal e das paisagens de St.

Hubert (França)1920 - 1930 - Transição do impressionismo ao néo-realismo (Brasil)1931 - 1944 - Néo-realismo com acentuada procura de atmosfera e luminosidade. ”

186

tonalités sourdes, avec la prédominance du châtain, et des passages brusques de la lumière à l’ombre. Mais, au fur et à la mesure que l’artiste se familiarise avec l’impressionnisme qu’il étudie pour la décoration du municipal, son coloris s’enrichit, des tons plus clairs surgissent et acquièrent une luminosité entièrement nouvelle pour sa palette. (...).

Dessins et esquisses documentent les études pour la décoration du Théâtre municipal. Pour un travail d’une telle envergure, Visconti étudia toutes les possibilités de réalisation. Et ce fut dans le divisionnisme, style consacré en Europe pour les peintures de cette nature, qu’il trouva le moyen d’atteindre un maximum de richesse chromatique dans un ensemble léger et gracieux. Mais pour que la dissociation des tons n’endommageât pas le sens de la forme, il songea à associer ces conquêtes récentes au vieux tracé linéaire et au modelé botticellien. Le résultat fut des plus heureux. Le plafond du théâtre est là pour l’attester : ‘Le passage du jour’, le nomma l’artiste, ‘La Danse des Heures’ (fig.22), l’ont nommé d’autres. C’est presque l’application de la nouvelle technique et du nouveau coloris à un sujet déjà étudié et résolu dans les ‘Oréades’ (fig.16) de 1899.75

75 - COSTA, Lygia Martins. “ Apreciação da Obra ”. In : Exposição Retrospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro, 1949, (p.22)

“ O sucesso de seus trabalhos leva o Engenheiro (...) Passos a pedir-lhe, nesse mesmo ano [1905], um estudo para a decoração do Teatro Municipal, que se projetava então no Rio. No intervalo desses primeiros estudos planeja sua ‘Maternidade’ de 1906. Exe-cuta várias ‘manchas’ do Jardim do Luxemburgo, local onde se passará a cena. As pri-meiras são de tonalidades surdas, com predomínio do castanho, e passagens bruscas da luz para a sombra. Mas, à medida que o artista se familiariza com o impressionismo que estuda para a decoração do Municipal, seu colorido se enriquece, tons mais claros sur-gem e adquirem uma luminosidade inteiramente nova em sua palheta. (...). Desenhos e esbocetos documentam-lhe os estudos para a decoração do Teatro Munici-pal. Para trabalho de tamanha envergadura Visconti estuda todas as possibilidades. E é no divisionismo, estilo que se consagrara na Europa para pinturas dessa natureza, que ele encontra o meio de dar o máximo de riqueza colorística dentro de um conjunto leve e gracioso. Mas para que a dissociação dos tons não prejudicasse o sentido da forma, pensou em aliar essas conquistas recentes ao velho linearismo e modelado botticelliano. O resultado foi dos mais felizes. Lá está o ‘plafond’ do teatro para atestá-lo : ‘A passa-gem do dia’, como chamou o artista, a ‘Dança das horas’, como a chamem outros. É quase que a introdução da nova técnica e de novo colorido a um tema já estudado e re-solvido nas ‘Oréadas’ de 1899. ”

187

L’analyse de Lygia Martins Costa est absolument correcte. En effet, le divisionnisme

était devenu alors un style utilisé par les peintres dans les décorations d’édifices publics en

Europe. Que l’on songe aux peintures d’Henri Martin au Capitole de Toulouse, ensemble

exposé au Salon des artistes français en 1906 avant d’être mis en place. On verra dans le

prochain chapitre que cette idée se confirme, et l’on peut considérer les premiers essais de

Visconti dans la technique divisionniste comme le résultat de l’observation des peintures

décoratives françaises en vue de son travail pour le Théâtre municipal de Rio de Janeiro.

Autrement dit, Visconti s’est approprié la technique qui lui convenait pour réaliser ses

peintures décoratives. En même temps, cette technique lui devenant familière, il exécuta des

tableaux de chevalet en employant les procédés impressionnistes. C'est dans ce même sens que

Reis Júnior avait expliqué, dans un texte de 1944, l’impressionnisme de Visconti :

L’impressionnisme convenait à ce poète visuel, mais l’impressionnisme de Visconti est une ressource et non pas une finalité ; la décomposition de la couleur lui rassasie les sens, en même temps qu’elle l’aide à exprimer la délicatesse des sentiments, sans préjudice de la compréhension plastique de la matière.

Il va employer la technique impressionniste dans ses grandes décorations, comme dans le Théâtre municipal. C’est alors qu’il enveloppera l’arabesque linéaire dans une gamme de tons harmonieux qui transforment ces grandes compositions en véritables symphonies chromatiques.76

En 1954, une seconde exposition rétrospective de Visconti eut lieu, cette fois-ci dans

le cadre de la Biennale de São Paulo. En lisant les textes du catalogue on remarque un net

renforcement de la conception qui désigne Visconti comme le premier représentant de

l’impressionnisme au Brésil. José Simeão Leal, organisateur de l’exposition, écrivit :

76 - REIS JÚNIOR, José Maria dos. “ Eliseu Visconti ”. In : História da Pintura no Brasil. Editora Leia, São Paulo, 1944, (p. 304).

“ O impressionismo conviria a esse poeta visual, mas o impressionismo de Visconti é um recurso e não uma finalidade ; a decomposição da cor satisfaz-lhe os sentidos, ao mesmo tempo que o auxilia a exprimir a delicadeza dos sentimentos, sem prejuízo da compreensão plástica da matéria. Empregará a técnica impressionista nas suas grandes decorações, como no Teatro Mu-nicipal. Ali envolverá o arabesco linear numa gama de tons harmoniosos, que transfor-mam aquelas grandes composições em verdadeiras sinfonias cromáticas. ”

188

Jusqu'à la première décennie du XXe siècle, les artistes brésiliens, attachés aux formules des vieux maîtres romantiques et naturalistes, ne s’étaient pas rendu compte de l’un des plus féconds mouvements novateurs de l’art européen - l’Impressionnisme. Des peintres tels que Pedro Américo, Victor Meirelles et Almeida Júnior, fondamentalement importants dans l’histoire de notre art, se sont maintenus complètement éloignés de ce mouvement. (...). Et ce fut avec Visconti (...) que débuta l’art moderne brésilien, à l’écart de l’académisme stérile, artificieux et dépourvu de sens, dans un pays sans formation classique et assoiffé de nouvelles formes d’expression. Il fut notre premier impressionniste et il a ouvert pour nos peintres un large champ de recherches et d’identification avec toutes les tendances contemporaines.77

Ces affirmations de Simeão Leal s’écartent des idées exprimées par Reis Júnior en

1944 et par Lygia Martins Costa en 1949, citées ci-dessus. Au lieu de comprendre

l’impressionnisme de Visconti comme le simple recours à une technique, Simeão Leal

l’interprète comme une attitude novatrice, un éloignement des formules traditionnelles

auxquelles les vieux maîtres restaient attachés. En parfait accord avec José Simeão Leal,

toujours dans le catalogue de 1954, Herman Lima affirma :

(...) Visconti [a été] notre premier peintre révolutionnaire, aussi révolutionnaire dans son temps que Portinari, presque un demi-siècle plus tard, pour l’époque actuelle.

Frederico Barata situe très bien cet aspect de la personnalité du maître brésilien, lorsqu’il compare son oeuvre à l’oeuvre d’un Almeida Júnior, de même que l’on pourrait la comparer à celle d’un Victor Meirelles et spécialement à celle d’un Pedro Américo.

Tandis que ceux-là, surtout le dernier, n’ont pas été touchés par la révolution de l’impressionnisme, en vogue en Europe lors de leurs séjours à l’étranger, Eliseu Visconti n’allait pas traverser son séjour européen sans expérimenter de vives réactions, s’intéressant à toutes les manifestations esthétiques de son temps, même les plus révolutionnaires (...). 78

77 - LEAL, José Simeão. Catálogo da Exposição retrospectiva de Visconti, II Bienal do Mu-seu de Arte Moderna de São Paulo, 1954. (p. I).

“ Presos às fórmulas dos velhos mestres românticos e naturalistas, os artistas brasileiros não se tinham apercebido até a primeira década do Século XX de um dos mais fecun-dos movimentos renovadores da arte européia - o Impressionismo. Pintores como Pe-dro Américo, Victor Meirelles e Almeida Júnior, de importância fundamental na histó-ria da nossa arte, mantiveram-se a ele, completamente alheios. (...). E é, (...), com Vis-conti, de origem italiana, que se inicia a arte moderna brasileira, rompendo com um academismo estéril no seu artificialismo, desprovido de sentido num país sem formação clássica e ávido de novas formas de expressão. Foi ele o primeiro impressionista que ti-vemos, abrindo para os nossos pintores um campo amplo de pesquisas e identificação com todas as correntes artísticas contemporâneas. ”

189

Avec cette argumentation Herman Lima soutient que Visconti fut un précurseur de

l’art moderne brésilien. C’est encore cette idée qui est exprimée par Flávio de Aquino dans le

même catalogue :

Visconti est pour nous le précurseur de l’art d’aujourd’hui, le plus légitime de nos représentants d’une des plus importantes étapes de la peinture contemporaine : l’impressionnisme. Il l’apporta de France, encore chaud des discussions, vivant ; il l’adapta au paysage brésilien, à la couleur et à l’atmosphère lumineuse de notre pays. Il n’est pas allé le chercher mort, il ne déterra pas des cadavres, il ne s’appropria pas du facile et du périssable, la nouvelle esthétique l’émut lorsqu’il était encore possible d'en retirer quelque chose. Après lui, des légions de ‘prix de voyage’ sont retournés d'Europe comme ils sont partis, et se sont dévoués avec entêtement à l’inertie de la peinture officielle de l’Institut. Par rapport aux peintres académiques qui aujourd’hui le disputent en gloire, et même par rapport à la force d’un Amoêdo, il avait un demi-siècle d’avance. (...).

Visconti est l’un des rares artistes du passé qui résiste à la critique moderne grâce à son aspiration d’envisager l’art comme une forme supérieure d’expression des sens, l’un des rares dont les impératifs du métier ne sont pas devenus une prison (...). La peinture libérée s’égalise alors, par sa force de création, à la poésie et à la musique - des arts qui ne se contentent

78 - LIMA, Herman. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do Mu-seu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. X. Obs. : Ce texte d’Herman de Lima avait déjà été publié dans le journal Diário de Notícias le 1er janvier 1950, lors de la première rétrospective de Visconti dans le Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro en 1949.

“ (...) Visconti [foi] o nosso primeiro pintor revolucionário, tão marcadamente revolu-cionário no seu tempo, quanto seria, passado quase meio século, Portinari, para a épo-ca atual. Frederico Barata situa muito bem esse aspecto da personalidade do mestre brasileiro, quando lhe põe em confronto a obra de um Almeida Júnior, como poderia pôr a de um Victor Meirelles e especialmente a de um Pedro Américo. Ao passo que esses, principalmente o último, permaneceriam indenes à revolução do impressionismo, em voga na Europa, quando de sua permanência no estrangeiro, Eliseu Visconti não passaria pelo estágio europeu sem experimentar vivas reações, interessado por todas as manifestações estéticas do seu tempo, mesmo as mais revolucionárias, (...). ”

190

pas de présenter encore une fois, et sous la même forme, les problèmes que la nature nous présente : ils veulent les résoudre.79

De tous les textes écrits sur Visconti, les plus explicites dans la défense de la

conception selon laquelle il serait le premier impressionniste brésilien sont ceux qui composent

le catalogue de l’exposition de 1954, dont on vient de citer quelques extraits. Il ne faut pas

oublier que cette exposition faisait partie de la Biennale de São Paulo, ce qui peut expliquer le

besoin ressenti par les auteurs d’exprimer la modernité de Visconti et son rôle de précurseur du

modernisme dans l’histoire de l’art brésilien. Aussi, peut-on reconnaître la démarche

intellectuelle de ces auteurs : ils ont voulu appliquer à la réalité brésilienne le schéma de

l’histoire de l’art en Europe. La ligne évolutive déterminée par les divers mouvements

artistiques qui se sont succédé (l’impressionnisme comme un anneau de la chaîne) a été

adaptée à l’histoire de l’art au Brésil.

Une troisième exposition des oeuvres d’Eliseu Visconti fut organisée par le Museu

Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro en 1967. Le catalogue de cette nouvelle exposition

se compose de quatre articles dont les auteurs sont, respectivement, Mário Barata, José Paulo

M. da Fonseca, Clarival do Prado Valladares et José Roberto Teixeira Leite. Leurs textes font

apparaître des positions beaucoup plus souples que celles figurant dans le catalogue de 1954.

79 - AQUINO, Flávio. In : Catálogo da Exposição Retrospectiva de Visconti. II Bienal do Museu de Arte Moderna de São Paulo. São Paulo, 1954, p. V-VI.

“ (...). Visconti é, para nós, o precursor da arte dos nossos dias, o nosso mais legítimo representante de uma das mais importantes etapas da pintura contemporânea : o im-pressionismo. Trouxe-o da França ainda quente das discussões, vivo ; transformou-o, ante o motivo brasileiro, perante a cor e a atmosfera luminosa do nosso país. Não o foi buscar quando morto, portanto não desenterrou cadáveres, não se apropriou do fácil e do perecível, emocionou-se pela nova estética quando ainda algo era possível extrair-se dela. Depois dele, legiões de ‘prêmios de viagem voltaram da Europa como foram e de-dicaram-se com teimosia à inerte pintura oficial do Instituto. Sobre os acadêmicos que hoje lhe disputam a glória, mesmo sobre pintores da força de um Amoêdo, tinha meio século de avanço. (...).Visconti é um dos raros artistas do passado que resiste à crítica moderna pela sua aspi-ração de encarar a arte como uma forma de expressão superior dos sentidos, dos pou-cos cujos imperativos do ‘métier’ não constituem uma prisão, mas decorrem, tão só, de uma necessidade de expressão mais pronta e direta da imaginação criadora. A pintura libertada equipara-se então, pela força da criação, à poesia e à música - artes que não se contentam em apresentar novamente, e da mesma forma, os problemas que a natureza nos apresenta : pretendem resolvê-los. ”

191

Mário Barata, par exemple, souligne l’insertion de l’oeuvre de Visconti dans une période de

“ crise générale et historique de la vision artistique ”80, et dit :

Aujourd’hui, nous savons que Visconti fut le dernier de nos artistes à flotter légitimement dans les structures de perception du monde en transformation, mais pas encore complètement changé. Ainsi, il agit simultanément avec sa capacité de rénovation et son besoin individuel de préservation de certaines valeurs sensibles que l’époque était en train de changer et d’annuler fatalement, (...). 81

On voit que Mário Barata identifia dans l’oeuvre de Visconti des signes de

rénovation et des signes de préservation de valeurs artistiques que le modernisme venait

supprimer. C’est-à-dire que Mário Barata n’a pas embrassé intégralement l’interprétation de

son oncle, Frederico Barata, premier biographe de Visconti. De toute façon, l’idée d’un

Visconti révolutionnaire n’est pas complètement absente des textes du catalogue de 1967. Les

articles de José Paulo M. da Fonseca et de Clarival do Prado Valladares, et même celui de

Teixeira Leite, continuent à mettre en relief les aspects nouveaux de son art et son attachement

à l’impressionnisme.

Dans quelques textes postérieurs, on rencontre toujours la même idée, quoique l’on

puisse remarquer une relativisation des conquêtes impressionnistes attribuées à Visconti, les

divers auteurs affirmant qu’elles ne furent novatrices que dans le contexte artistique brésilien.

Ce fut le cas, par exemple, de Flávio de Aquino qui écrivit en 1969 :

Visconti n’a pas suivi, dans son oeuvre, toutes les évolutions européennes de Picasso et Léger, mais il étudia l’impressionnisme, qui était une conquête

80 - BARATA, Mário. “ Visconti é uma lição ”. In : Exposição Comemorativa do Centenário de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967, (pp. 13-15).

“ A obra de Visconti, eu só a conheci a pouco e pouco, na medida em que a minha pró-pria sensibilidade se aguçava. Situada numa faixa transformadora, entre dois séculos e inserida em crise geral e histórica da visão artística, Visconti era suficientemente dotado de qualidades artesanais e valores óticos para criar uma pintura apta a ficar como obra de requintado gosto. ”

81 - BARATA, Mário. “ Visconti é uma lição ”. In : Exposição Comemorativa do Centenário de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967, (pp. 14-15).

“ Hoje sabemos que Visconti foi o último de nossos artistas a flutuar legitimamente nas estruturas de percepção do mundo em mudança, mas ainda não completamente trans-formado. Dessa maneira agiu simultaneamente com a sua suficiente capacidade de re-novação e a sua necessidade individual de preservação de certos valores sensíveis que a época estava fatalmente mudando e anulando, (...). ”

192

pour le Brésil de l’époque. Il ne s’agit pas d’une obéissance à la mode, mais d’une incorporation plus élaborée, de l’action d’un ‘ travailleur amoureux’ qui enrichit ses toiles de couleurs soigneusement distribuées. Absorbé, dans sa peinture, par les valeurs optiques, il nous rend un univers naturel, capté par le pouvoir d’analyse d’un homme urbain.82

Flávio de Aquino considéra l’impressionnisme de Visconti comme “ une conquête

pour le Brésil de l’époque ”. Dix ans plus tard, José Roberto Teixeira Leite se préoccupa de

situer l’impressionnisme de Visconti dans le contexte latino-américain. Il écrivit en 1979 :

Visconti n’a pas été le premier à adopter l’impressionnisme en Amérique Latine ; cette gloire appartient, peut-être, au Vénézuélien Emilio Boggio, élève d’Henri Martin et ami de Pissarro et Sisley ; peut-être qu’elle appartient aussi au Vénézuélien Rojas, ou peut-être à l’Argentin Eduardo Sívori. Ces trois peintres étaient déjà impressionnistes au cours de la dernière décennie du XIX siècle. De toute façon, Visconti fut l’un des premiers artistes latino-américains à adapter les recours impressionnistes à sa palette, en le mélangeant aux styles locaux et aux particularités de son propre tempérament.83

Finalement, on arrive à la conclusion suivante : les historiens qui ont soutenu la thèse

selon laquelle l’impressionnisme de Visconti est la valeur suprême de son art se sont laissé

séduire

82 - MOTTA, Flávio. “ Visconti e o início do século XX ”. In : PONTUAL, Roberto. Dicio-nário das Artes Plásticas no Brasil. Rio de Janeiro, 1969, p.XXIV.

“ Embora não tenha acompanhado, em suas realizações pictóricas, todos os avanços da Europa de Picasso e Léger, ele se deteve no impressionismo, que era uma conquista para o seu tempo brasileiro. Não se trata de um modismo, mas de uma incorporação mais elaborada, do ‘trabalhador amoroso’ a enriquecer suas telas com cores cuidadosa-mente distribuídas. Absorvido, pictoricamente, pelos valores óticos, ele nos devolve um universo natural, captado pelo poder de análise de um homem urbanizado. ”

83 - LEITE, José Roberto Teixeira. “ A Belle Epoque ” In : LEITE, José Roberto Teixeira et allii. Arte no Brasil (2 volumes) São Paulo, 1979, II, p.564.

“ Visconti não foi o primeiro a adotar o Impressionismo na América Latina ; tal glória talvez caiba ao venezuelano Emilio Boggio, aluno de Henri Martin e amigo de Pissarro e Sisley ; talvez pertença ao também venezuelano Rojas, ou ainda ao argentino Eduar-do Sívori. Esses três pintores já eram impressionistas na última década do século XIX. De qualquer modo, Visconti foi um dos primeiros artistas latino-americanos a adapta-rem à sua paleta recursos impressionistas, mesclados a estilos locais e às peculiaridades de seu próprio temperamento. ”

193

par un raisonnement qui servait à valoriser le peintre face aux générations

révolutionnaires. La décennie de 1940 a été, au Brésil, une période d’antagonismes entre les

défenseurs de la tradition artistique et les propagateurs de l’art abstrait84. Dans ce terrain

partagé et radicalisé, le discours qui faisait de Visconti un précurseur de l’art moderne était le

bienvenu. Mais, en réalité, la valeur de Visconti ne se trouve pas uniquement dans ce fait. Il est

vrai qu’il s’est servi des découvertes impressionnistes, il est vrai qu’il était ouvert aux

nouvelles tendances artistiques, mais il est vrai aussi qu’il ne s’assuma pas comme peintre

impressionniste.

À propos du décalage entre la thèse et la réalité, Geraldo Ferraz écrivit un article très

intéressant sur Visconti en 1977, lors d’une exposition dans la galerie Arte Global à São

Paulo. Il convient de reproduire ici les passages les plus éclairants de cet article. Ferraz a

connu Visconti personnellement et il commence par évoquer les souvenirs qu'il avait du peintre

:

Nous nous rappelons sa tranquillité d’artiste réalisé, sans affectation ni orgueil, sachant qu’à chaque époque la peinture peut se révéler par des moyens divers qui viennent enrichir l’expression le long des siècles et démontrer, dans leur immense pluralité, une rénovation continue. (...). 85

Après cette introduction, Geraldo Ferraz aborde la question de la ‘ligne de

démarcation’ à propos de laquelle il présente son point de vue :

On a discuté, ou plutôt on s’est demandé si sa peinture était une ‘ligne de démarcation’ entre les peintres héritiers des traditions de la Mission française et les modernistes de la décennie de 1920. Ce point de discussion ne semble pas avoir été bien éclairé. Eliseu Visconti, (...), avait déjà des idées indépendantes lorsque, à côté d’Henrique et Rodolpho Bernardelli, Zeferino da Costa et Amoêdo, il forma l’Atelier Libre. En Europe, outre qu’il s’est inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts, il fréquenta l’Ecole des Arts Décoratifs.

84 - À propos de cette période, consulter l’ouvrage : AMARAL, Aracy. Arte para quê ? A preocupação social na arte brasileira 1930-1970. Nobel, São Paulo, 1987.

85 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p.55).

“ (...). Lembramo-nos de seu jeito tranqüilo de artista realizado, sem afetação nem or-gulho, sabendo que em cada tempo a pintura pode ser revelada por diversos meios, que vão enriquecendo a expressão ao longo dos séculos e demonstrando, na imensa diversi-dade, uma contínua renovação. (...). ”

194

Mais Visconti ne s’est pas rendu compte de l’avant-garde qui, à ce moment-là, avait déjà créé la peinture impressionniste au grand complet. (...). 86

L’auteur est explicite dans son jugement : Visconti ne s’est pas rendu compte du

mouvement impressionniste dès le début de son séjour parisien. Ensuite, Geraldo Ferraz écrit

sur les premières influences subies par Visconti :

Le séjour en Europe lui a permis d’approfondir sa lecture de la Renaissance. S’il y a ‘ impressionnisme’ dans ses nus de la première phase lorsqu’il retourna au Brésil, cela est dû plutôt à la spiritualité imprégnant l'artiste au moment où il transpose le modèle réel sur la toile, qu’à une technique impressionniste (...). La matière de Visconti devient ainsi éthérée plutôt par la recherche d’une peinture spiritualisée que par une attention aux impressionnistes. Toute la délicatesse et la fluidité de cette matière, qui selon quelques-uns faisait rappeler Botticelli, était sans rapport avec l’impressionnisme. Ce qu’il envisageait, en effet, c’était d’imprimer une diaphanéité à son exécution.87

Ainsi, Ferraz insiste-t-il sur l’absence de rapport entre la peinture de Visconti et

l’impressionnisme, au moins dans la première phase européenne. Et il ajoute :

Cela n’altère pas la grandeur du nom de Visconti, mais au lieu de le ranger dans une école, le place dans le cadre des solutions personnelles qu’il cherchait ardemment depuis qu’il avait appris la leçon de la peinture de la Renaissance. D’ailleurs, l’étude des arts décoratifs, assimilant beaucoup du

86 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p.55).

“ Discutiu-se, ou melhor, questionou-se se sua pintura constituiria um ‘marco divisório’ entre os pintores herdeiros das tradições da Missão Francesa e os modernistas da déca-da de 20. Não parece ter sido bem focalizado esse ponto de discussão. Eliseu Visconti, (...), já tinha idéias libertadoras quando, ao lado de Henrique e Rodolpho Bernardelli, Zeferino da Costa e Amoêdo, formou o Ateliê Livre. Na Europa, ingressando na Esco-la de Belas Artes e freqüentando também a Escola de Artes Decorativas, Visconti não se deu conta da vanguarda que, a essa altura, já criara a pintura impressionista em toda a sua extensão. (...). ”

87 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p.p.55- 56).

“ A permanência na Europa serviu-lhe para aprofundar-se na leitura do Renascimento. Se há ‘impressionismo’ em seus nus da fase primeira, quando voltou ao Brasil, é mais uma questão de espiritualidade incutida na transposição de modelos para a tela do que uma técnica impressionista, (...). A matéria de Visconti chega assim ao etéreo, mais pela busca de uma pintura espiritualizada do que em atenção aos impressionistas. Toda a delicadeza, toda a fluidez dessa matéria que, segundo alguns, lembrava Botticelli, ex-trapolava a escola impressionista. O que ele de fato estava querendo era imprimir uma diafaneidade à sua execução. ”

195

design de Morris, amenait certainement ceux qui suivaient des cours à Paris à entrer dans l’orbite du grand maître anglais.88

Ferraz met en valeur l'étude des arts décoratifs suivie par Visconti et l’influence de

William Morris. On ajouterait que par là s’explique aussi l’empreinte des préraphaélites sur la

peinture de Visconti vers les toutes dernières années du siècle. Ensuite Geraldo Ferraz affirme :

Dans sa peinture postérieure, Visconti a suivi un réalisme ‘influencé’ par l’impressionnisme, (...). Lors de son expérience des grandes décorations du Théâtre municipal de Rio de Janeiro, Visconti aurait élargi le champ visuel de la matière picturale, en surmontant ses inhibitions et en arrivant à un niveau plus naturaliste dans le paysage. (...). 89

En désignant la phase postérieure de Visconti comme “ un réalisme influencé par

l’impressionnisme ”, Geraldo Ferraz admet que l’impressionnisme a influencé le peintre, mais il

ne définit pas ce dernier comme un artiste impressionniste. Ensuite, à propos de la thèse de

Frederico Barata, il dit :

Frederico Barata considère qu’Eliseu Visconti aurait incarné le premier cas d’impressionnisme au Brésil. Cela n’augmente pas sa gloire : Visconti est le paysagiste d’une époque finale, avant l’avènement du modernisme brésilien, avant que nos peintres n’eussent passé par le ‘service militaire du cubisme’, selon l’expression employée par Tarsila. Certainement, pour ceux qui cherchent à valoriser le peintre dans son époque, l’hypothèse impressionniste est

88 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p. 56).

“ Isto não altera a grandeza do nome de Visconti, mas o coloca, muito mais do que numa escola, em soluções pessoais, que ardentemente buscava depois que apreendeu a lição da pintura renascentista. Aliás, o estudo das artes decorativas assimilava bastante o design de Morris e levava, certamente, os que passavam pelos cursos de Paris a en-trar na órbita do grande mestre inglês. ”

89 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p. 56).

“ Com a pintura posterior, Visconti seguiu um realismo ‘influenciado’ pelo impressio-nismo, (...). Na sua experiência com as grandes decorações do Teatro Municipal do Rio de Janeiro, Visconti deveria ter alargado o campo visual da matéria pictórica, superan-do suas inibições e passando a um nível mais naturalista na paisagem. (...). ”

196

avantageuse ; cependant, Visconti n’est pas arrivé à l’impressionnisme (...). 90

Ainsi, Ferraz souligne-t-il que ceux qui ont voulu rehausser le rôle de Visconti

comme un précurseur du modernisme avaient intérêt à soutenir l’hypothèse impressionniste.

Mais Geraldo Ferraz raconte encore :

Nous avons connu le maître entouré de la vénération dont il a été l’objet pendant ses dernières années de vie, mais il ne nous est pas venu à l’esprit, et peut-être parce qu’il aurait été indélicat de le faire, de lui demander ce qu’il pensait de l’interprétation soutenue par Frederico Barata dans son précieux livre dont l’impression ne fut achevée que la même année de la mort de Visconti.

Pour un peintre formé au Brésil, qui allait timidement se perfectionner en Europe à partir de 1893, il n’y avait pas de raison de se lancer immédiatement dans l’avant-garde européenne. La bataille impressionniste était refroidie. Renoir, Degas, Pissarro, Monet, Cézanne avaient dépassé les temps héroïques commencés en 1874 avec l’exposition Nadar. Chacun d’entre eux avait, pendant les années 90, un chemin individuel ; et quelques-uns, plus jeunes, tels que Gauguin et Van Gogh, frayaient déjà d'autres chemins.91

Il aurait été intéressant de connaître la réponse de Visconti à la question que Ferraz

ne lui a jamais posée. Quelle aurait été l’opinion de Visconti sur le point de vue soutenu par

90 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p. 56).

“ A tese de Frederico Barata é que Eliseu Visconti teria estabelecido o primeiro caso do impressionismo no Brasil. Sua glória não se acrescenta com isto : Visconti é o paisa-gista de uma época final, antes do modernismo brasileiro, antes que os nossos pintores tivessem passado pelo ‘serviço militar do cubismo’, como dizia Tarsila. Certamente, para os que buscavam dar maior relevo ao pintor na época em que ele viveu, a hipótese impressionista é valorizadora ; acontece, porém, que Visconti não chegou aí (...). ”

91 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p. 56).

“ Conhecemos o mestre na veneração que o cercava em seus últimos anos de vida, mas não nos ocorreu, e talvez fosse indelicado, indagar-lhe da interpretação que Frederico Barata sustentou no livro precioso que acaba de ser impresso quando Visconti morreu. Não havia por que um pintor formado no Brasil, ao aperfeiçoar-se na Europa, a partir de 1893, timidamente, primeiro lançar-se na vanguarda européia. A batalha impressio-nista já arrefecera. Renoir, Degas, Pissarro, Monet, Cézanne tinham ultrapassado a li-nha dos tempos heróicos, que começaram em 1874, com a Exposição no Ateliê Nadar. Cada um deles tinha, nos anos 90, um caminho próprio ; e alguns mais novos, como Gauguin e Van Gogh, estavam pensando noutras possibilidades. ”

197

Frederico Barata dans son livre ? L’artiste ne pouvant plus répondre, Geraldo Ferraz

essaya encore de prouver l’invraisemblance de l’hypothèse de Barata en imaginant le contexte

retrouvé par Visconti lors de son arrivée en Europe.

Pourtant, à la fin de son article, Geraldo Ferraz accorde qu’il n’est pas impossible de

classer quelques tableaux de Visconti parmi les peintures impressionnistes :

Cependant, comme en art les esprits cherchent toujours un ‘rapprochement’ possible et que ‘les idées qui font partie de la culture dominante’ (Herbert Read) sont toujours présentes sans être la propriété exclusive d’un quelconque individu, la spéculation sur l’impressionnisme de Visconti nous semble plausible devant quelques tableaux de l’artiste sans que cela devienne une question significative dans l’histoire du mouvement qui, lorsque Visconti est arrivé en Europe, était déjà dilué dans le pointillisme de Seurat. L’exposition actuelle peut, de nouveau, amener à une comparaison qui peut convaincre quelques-uns, et laisser quelques autres indifférents. Ce n’est pas celle-là la gloire de Visconti, le paysagiste.92

Cet article de Geraldo Ferraz a attiré notre attention parce que nous épousons son

point de vue. Effectivement, on ne voit pas d’intérêt à fonder la valeur de Visconti sur les

influences impressionnistes qu’il a subies. D’abord parce que si on classe sa peinture dans

l’impressionnisme, on oublie toutes les différences qu’elle présente d'avec ce mouvement.

L'oeuvre de Visconti ne se nourrit pas exclusivement des expériences impressionnistes.

Cette réflexion sera approfondie dans les prochains chapitres, à l’aide d’un exposé

sur la vie artistique au cours des premières années du séjour d’études de Visconti en France, et

de l’analyse de ses oeuvres.

92 - FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”, In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p. 56).

“ Como em arte, entretanto, os juízos buscam sempre chegar a uma ‘aproximação’ possível, e ‘as idéias que fazem parte da cultura dominante’ (Herbert Read) estão no ar e não são pro-priedade exclusiva de ninguém, a especulação quanto ao impressionismo de Visconti nos pa-rece que pode ser colocada, diante de alguns quadros do artista. Sem que isto se torne uma questão de maior ou menor significado na história do movimento, que, quando Visconti che-gou à Europa, já se diluíra no pontilhismo de Seurat. A exposição atual pode, de novo, le-vantar termos de comparação, os quais chegarão a convencer alguns e a deixar outros menos interessados. Não é essa a glória de Visconti, o paisagista. ”

198

5 - La vie artistique parisienne pendant les années du séjour d’études de Visconti : les trois Salons et l’absorption de l’impressionnisme

Voici que les peintres deviennent, en cette saison, particulièrement menaçants. Tout d’abord, comme un Salon ne suffisait pas, paraît- il, ils continuent à en avoir deux: le Salon du Champ de Mars et celui des Champs-Elysées. Deux Salons, c’est déjà pas mal. Puis, avant les grands Salons, ils se mettent à en ouvrir de petits. Il n’y en a que pour eux: expositions particulières dans les ateliers, dans les galeries des marchands, dans les cercles; bientôt on exposera dans la rue: ce ne serait d’ailleurs, qu’un retour aux primitives expositions qui se faisaient sous l’auvent des boutiques. En ces temps reculés, les peintres n’étaient pas les rois du monde, et la brosse embituminée n’était pas le sceptre de Paris!

[FOUQUIER, Henry. « La Vie de Paris » , In : Le XIXe Siècle journal du 16 avril 1891]

Les historiens et critiques d’art brésiliens qui ont classé l’oeuvre de Visconti dans le

mouvement impressionniste, en même temps qu’ils accusèrent les autres peintres brésiliens

venus en Europe à la fin du XIXe siècle de l’avoir ignoré, ont suivi une conception d’histoire

de l’art qui envisage l’impressionnisme comme une pierre de touche pour reconnaître les vrais

artistes de la période.

Cependant, cette interprétation ne tient pas compte de la diversité rencontrée par les

étudiants brésiliens, et en particulier par Visconti, dès leur arrivée en Europe.

L’impressionnisme ne représentait alors qu’une des pièces d’une véritable mosaïque

d’expressions picturales. Une pièce importante qui mobilisa les esprits et joua un rôle marquant

dans l’histoire de l’art, certes, mais entourée d’autres réalités qui ont été par la suite un peu

oubliées.

Lorsque Visconti arriva à Paris en 1893, la vie artistique présentait un caractère

extrêmement conflictuel. Plusieurs tendances s’y confrontaient et trois Salons y tenaient leur

place : le Salon des Champs-Elysées, le Salon des Indépendants et le Salon du Champ de Mars.

À l’exception du Salon des Indépendants, ces expositions constituaient pour les peintres en

quête de reconnaissance officielle le principal moyen de soumettre leurs oeuvres à

199

l’appréciation et au contrôle des instances compétentes.93 En outre, les trois expositions

annuelles étaient de vastes exhibitions d’oeuvres offertes à la vue du grand public, et à l’achat.

Le Salon des Champs-Elysées, organisé par la Société des artistes français, était

l’héritier du premier Salon organisé par l’État français en l’année de 1673. À la fin de 1880,

l’Etat abdiqua ce rôle d’organisateur de l’exposition annuelle des oeuvres d’art et remit la

direction du Salon aux artistes, c’est-à-dire, à ladite Société. Cependant, l’exposition annuelle

des Champs-Elysées conserva son caractère officiel, car la Société des artistes français se

déclarait être “ une émanation de l’Etat ”, “ déléguée par lui afin d’assurer un service public et

d’intérêt général ”94.

À l’opposé de l’orientation du Salon des Champs Elysées, le Salon des Indépendants

avait été créé en 1884 comme un acte d’affranchissement. Porte ouverte à toutes les initiatives,

le seul à avoir aboli le jury d’admission et les récompenses, il n’acquit la reconnaissance

officielle qu’en 1890, selon raconte Ernest Hoschedé :

Pour la première fois le Président de la République l’a inaugurée [la sixième Exposition des artistes indépendants] d’une façon solennelle et le public, en s'y rendant en foule, a sanctionné lui-même son existence. Les dissensions de la gent artistique, dont le retentissement a été si grand cette année, ont prouvé combien était sage l’idée d’une Société indépendante, c'est-à-dire éclectique, acceptant sans les juger, sans les discuter, toutes les écoles, tous les genres, toutes les formules, faisant accueil à toutes les tendances, à toutes les tentatives d’art nouveau, laissant au seul public le droit d’en rire ou de les applaudir.95

Enfin, le troisième Salon dont on a parlé plus haut, le Salon du Champ de Mars, avait

été crée en 1890, à l’issue d’une scission de la Société des artistes français donnant lieu à la

création de la Société nationale des beaux-arts. La pomme de discorde avait été l’exemption de

sélection de nombreux médaillés de l’Exposition universelle de 1889. Les uns, Meissonier en

tête, défendaient les droits de l’élite, tandis que Bouguereau, président de la Société des

artistes français, et ses partisans refusaient les exemptions pour réserver la place aux jeunes. À

ce propos, Ernest Hoschedé écrivit dans son Brelan de Salons :

93 - À ce propos, voir WHITE, H. & C. La carrière des peintres au XIXe siècle. Flammarion, Paris, 1991, (p.49).

94 - Discours de Bailly à la distribution des récompenses du Salon de 1888, le 2 juillet (JO du 3 juillet 1888 et livret du Salon de 1889, p. VII). Cité par VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (p. 115).

95 - HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (pp. 23, 24).

200

Je ne veux pas refaire ici l’histoire de la Guerre des Peintres en l’an dix-huit cent quatre-vingt-neuf. (...). La scission, la dislocation du Salon des Champs-Elysées étaient fatales. Il y avait pléthore, et de même que dans la vie animale, quand la ruche est trop pleine, une abeille s’en détache, entraînant derrière elle un essaim qui va trouver sa vie ailleurs, de même les artistes pouvaient prévoir qu’avant peu il n’y aurait plus aucune place pour les nouveaux (...). Il est donc bien naturel qu’ils aient suivi un nouveau roi.96

Le ‘nouveau roi’ était Meissonier, président du tout récent Salon du Champ de Mars.

La multiplication des Salons était la conséquence d’une vie artistique tiraillée par les

antagonismes97. À côté des Salons, des circuits nouveaux cherchaient à faire place à toutes les

tendances. Dès le milieu du siècle, les paysagistes avaient pris l’habitude de se produire à

l’occasion de ventes publiques à l’hôtel Drouot. Les changements se firent plus marquants à

partir de 1870 avec l’évolution du commerce d’art. C’est alors que les galeries organisent des

expositions publiques, et que les artistes commencent à se grouper en associations. Celle des

impressionnistes resta la plus connue, mais on peut mentionner également l’association des

aquarellistes, celle des orientalistes et l’Union des femmes peintres, parmi d’autres. Ce

mouvement, qui attira l’attention des contemporains, fut décrit par Lafenestre en 1879 :

Depuis quelques années (...) un grand nombre d’expositions particulières, ouvertes, soit à l’Ecole des Beaux-Arts, soit dans les cercles, soit à l’hôtel des ventes, soit chez les marchands, ont appris aux artistes d’autres chemins que le chemin des Champs-Elysées. Il faut s’en féliciter. On a senti le prix de réunions peu nombreuses d’ouvrages méthodiquement groupés qui permettent d’étudier avec profit un artiste ou un groupe d’artistes dans ses manifestations intimes, on y a savouré ce plaisir délicat de la comparaison facile et de la dégustation prolongée qui est absolument interdite aux explorateurs ahuris par la Babel officielle.98

Ce mouvement déjà effervescent en 1879 s’est amplifié tout au long des dernières

années du siècle. En 1894, Charles Morice s’exprimait à propos du climat général dans le

monde des arts parisien en donnant la description suivante :

Quelle mêlée, cet instant artistique ! guerre générale de toutes tendances orientées vers l’avenir contre l’officiel ; guerre intestine, dans l’empire officiel, pour des motifs où l’art est étranger ; guerre aussi entre les divers

96 - HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (p.p. vii - viii).97 - À ce propos, voir VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion,

Paris, 1995, (p.27).98 - LAFENESTRE, Georges. “ Les expositions d’art. Les indépendants et les aquarellistes ”,

RDM, 15 mai 1879, p. 478. Cité par VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (p.107).

201

élans de l’art indépendant pour des causes confondues de doctrines et d’ambitions.99

Toutes les tendances se disputaient les cimaises parisiennes, mais aucune d’entre elles

ne s’imposait aux autres de façon définitive100. Dans ce cadre bouillonnant et tumultueux, il

faut imaginer le jeune Brésilien qui arrivait à Paris, étourdi par tout ce mouvement, novice dans

la bataille artistique française. Pour lui, l’espace le plus démocratique restait celui des Salons.

Champ d’épreuve pour les nouveaux venus, les Salons permettaient aux débutants en quête

d’acquisitions d’exposer leurs oeuvres à la vue du public, qui y venait nombreux. De plus, il ne

faut pas oublier qu’un tableau exposé au Salon parisien avait un retentissement très favorable

dans la presse brésilienne.

Comme les artistes brésiliens qui l’ont précédé, Visconti trouva sa place dans ces

vastes expositions officielles. Il n’a jamais participé au Salon des Indépendants, et cela est

compréhensible si l’on se souvient du caractère officiel de son séjour en France, en tant que

pensionnaire de l’Etat brésilien. On a déjà mentionné les diverses participations de Visconti aux

Salons, on n’y reviendra pas. Il suffit de souligner que de 1894 à 1900, pendant toute la

période de son séjour d’études à Paris, il exposa aussi bien au Salon des Champs Elysées qu’à

celui du Champ de Mars. En 1900, dernière année de sa pension, il obtint une médaille

d’argent à l’Exposition universelle de Paris, avec deux toiles : Gioventú (fig.12), alors

présentée sous le nom de Mélancolie, et Les Oréades (fig.16).

À propos des oeuvres exposées dans les trois Salons de Paris pendant cette période,

il est instructif de relire la collection des journaux de l’époque. Il en sort qu’il y avait, dans ces

oeuvres, une grande diversité, et de motifs et de style. Il est vrai que la tendance générale

n’était plus pour la peinture d’histoire. Hoschedé remarque en 1890 :

De même que le nu, les compositions ennuyeuses et inutiles qui rentraient dans le domaine de ce qu'on appelait la grande peinture ont disparu presque entièrement de nos Expositions. La peinture d'histoire est morte; elle ne peut revivre, comme la peinture religieuse, que pour la décoration spéciale des monuments publics ou des temples.101

99 - MORICE, Charles. Mercure de France, janvier 1894. (Cité par NAUBER-RISER, Constance. “ 1890 - 1900, Introduction ”, In : La Promenade du critique influent, anthologie de la critique d’art en France 1850 - 1900. Paris, Hazan, 1990, (pp. 317 - 318).

100 - À ce propos voir le texte de Constance Nauber-Riser qui analysa la critique d’art des années 1890 en France dans La Promenade du critique influent, anthologie de la critique d’art en France 1850 - 1900. Paris, Hazan, 1990, (pp. 317 - 324).

101 - HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (p. 88).

202

On voit donc que la peinture d’histoire ne trouvait plus un terrain aussi favorable

qu’auparavant. Cependant, elle n’est pas complètement disparue. On la retrouve encore sous le

pinceau de Meissonier qui expose au premier Salon du Champ de Mars un tableau historique

représentant Napoléon à la bataille d’Iéna102. De toute façon, ce sont maintenant les paysages

qui dominent les Salons, laissant aussi de la place aux nombreux portraits et peintures de

genre. À propos de la prédominance des paysages, André Michel écrivit en 1896 :

Fromentin a dit en quelques mots le rôle du paysage dans la peinture moderne et les conséquences de son triomphe; on n'a pas à y revenir après lui. 103

Et il ajoute ensuite :

Le point extrême de cette évolution a été l' impressionnisme. Quelques personnes ne prononcent ce mot qu'avec une saine horreur et englobent dans un même anathème tous ceux qui en sont convaincus ou soupçonnés... Leurs listes de proscriptions seraient longues à ce compte. D'autres se pâment d'admiration devant tous les tableaux où les formes tremblent et s'estompent; ou bien, l'impressionnisme, c'est, pour elles, l'influence du violet dans les arts.104

102 - HOSCHEDE, Ernest. Brelan de Salons. Paris, Bernard Tignol, 1890, (pp. 182 - 183).103 - MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix,

Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896, (p. 257).

104 - MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix, Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896, (p. 257).

203

On observe que jusqu’aux dernières années du siècle l’impressionnisme continuait à

mobiliser les esprits. Dans un autre texte, André Michel reprend ce même sujet. Il s’agit d’une

réflexion critique sur l’Exposition centennale des beaux-arts, partie intégrante de l’Exposition

universelle de 1900. Cet auteur y développe quelques considérations sur les impressionnistes. Il

affirme qu’une amitié diligente105 leur a réservé une belle place à la Centennale, et qu’ils n’ont

pas lieu de se plaindre. Cependant, souligne-t-il, leurs oeuvres provoquent toujours des

réactions extrêmes chez le public :

Le temps, que les Italiens, fins diplomates, n’ont pas sans raison appelé ‘ galant homme’, arrange bien des choses et apaise bien des querelles. Vous rencontrerez pourtant encore, dans les salles réservées à Manet et à MM. Claude Monet, Sisley, Renoir, Pissarro et Degas, des visiteurs qui se regardent de travers. Les uns prennent des attitudes et tiennent des propos de procureur général; Ingres étant absent, ils font de leur mieux pour requérir à sa place - c’est pourtant un grand abus de traiter une opinion comme un délit; - les autres affectent de ne rien voir que ces salles dans toute l’Exposition : c’est ici que la peinture moderne et le génie ont élu domicile; tout le reste ne compte pas. J’admire ceux qui peuvent tout admirer ou condamner en bloc.106

On voit que les esprits n’avaient pas retrouvé leur calme, les uns et les autres

choisissant leur camp, pour ou contre les impressionnistes. Néanmoins, l’impressionnisme

répandait son influence sur les jeunes artistes. En 1896, André Michel avait déjà affirmé :

Beaucoup de jeunes gens, tout en profitant des acquisitions de l’école du plein air, en restant attentifs aux jeux des reflets et aux délicates harmonies de l’enveloppe, reviennent à une étude plus serrée de la forme et à un parti pris de peinture relativement sombre et ‘ancienne’ qui nous repose des excès de l'impressionnisme. Des tableaux de ton grave, de facture et d’effet condensés, commencent à paraître aux Salons, signés de noms encore peu connus (voir notamment, sans parler de M. René Ménard, les envois significatifs de MM. Prinet, Simon, Griveau, Boulard, Lobre, etc.).

105 - Il s’agit de Roger Marx, responsable de l’Exposition Centennale, présentée au Grand Palais lors de l’Exposition universelle de 1900.

106 - MICHEL, André. “ L’Exposition Centennale ”. In : Exposition Universelle de 1900. Les Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900, (p. 306).

204

Quelques superstitions, longtemps dominatrices, sont en train de périr dans les ateliers des jeunes.107

L’impressionnisme était alors absorbé et en même temps transformé par les jeunes

peintres. S’il fut ainsi dénaturé, il ne laissa pas pour autant de modifier radicalement les

pratiques picturales, les principes académiques étant dépassés. Dans le même sens, en 1900,

Jules Rais décrivait l’évolution de la peinture française à la fin du siècle :

(...). Cependant l’impressionnisme avait pénétré l’école. Un portraitiste exquis, minutieux et compréhensif, Bastien Lepage, avait ouvert au plein air ses paysages lorrains; sa volonté tenace s’y embarrassait peut-être encore de détails trop appuyés; mais quelle n’eût pas été l’oeuvre du peintre des Foins si une mort précoce ne l’était venue interrompre? Le renouvellement se poursuivait par d'autres voies. Cependant que MM. Jules Breton, Harpignies s’en tenaient aux anciens moyens pour réaliser leurs visions idylliques, et que M. Pointelin épiait la quiétude douloureuse et les lourds silences planants du soir, M. Cazin, sans emprunter à l’impressionnisme plus que ne réclamait la représentation des formes indécises et des clartés diffuses, s’acheminait vers le symbolisme. Elire, pour idéal unique, l’idée, n’user de formes que pour atteindre à son expression, tel sera le principe nouveau.108

Au cours des dernières années du siècle, en même temps que le groupe

impressionniste se dessoudait et que chacun de ses associés développait un style plus

individuel, leurs procédés connaissaient une diffusion, ou même une vulgarisation, rapide et

étendue. Les artistes “ ouvraient leurs paysages au plein air ” en empruntant à

l’impressionnisme “ la représentation des formes indécises et des clartés diffuses ”. Le

mouvement donnait place à d’autres tendances, comme le symbolisme, qui y puisaient leur

inspiration. Pour conclure ces observations sur l’influence de l’impressionnisme, reprenons les

mots d’André Michel qui aborda la question en 1900 :

Il n’en reste pas moins que l’influence des impressionnistes a été grande, et elle a été double. ("On nous fusille, a dit M. Degas, le terrible faiseur de mots du parti, mais on fouille nos poches.") Beaucoup ont profité de leurs

107 - MICHEL, André. Notes sur l'art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix, Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896, (pp. 262 - 263).

108 - RAIS, Jules. “ La peinture française pendant le cours du siècle ”. In : ENCYCLOPÉDIE DU SIÈCLE. L'Exposition de Paris (1900). Tome premier. Paris, Librairie Illustrée, Montgredien et Cie, Editeurs, 1900, (p. 162).

205

tentatives, par exemple pour le procédé de la division du ton et du mélange optique - qu’ils n’ont pas inventé, qu’ils n’ont pas non plus appliqué aussi exclusivement et continûment qu’on l’a dit, mais dont ils ont tiré des effets vraiment extraordinaires. Pour la grande peinture décorative, il y a là des ressources infinies. M. Henri Martin, par exemple, qui peint en ton mineur, s’en est fort heureusement avisé dans ses belles frises de l'Hôtel de ville et dans sa ‘Sérénité’. Si j’étais millionnaire - ou ministre des Beaux-Arts, - je demanderais à M. Claude Monet de me décorer quelque immense galerie des fêtes dans un Palais du peuple... Quand, en 1883, dans cet unique essai de Salon triennal - qui aurait mérité d’être continué, - on groupa d’un côté tous les hors concours et, de l’autre, tous les jeunes qui avaient plus ou moins subi l’influence de l’impressionnisme, j’entendis un vieux peintre s’écrier au seuil d’une des salles que ceux-ci occupaient: "On a envie de danser devant!" Et, en effet, c’est une impression d’allégement que l’on éprouve devant cette peinture inondée de rayons mouvants, où toutes les pesanteurs de la matière sont comme spiritualisées dans l’impondérable éther... 109

L’auteur observe l’effet spirituel du rayonnement des couleurs dans les peintures

impressionnistes et remarque leur grande influence sur les peintures décoratives des édifices

publics. En effet, les décorations de la période doivent beaucoup à l’impressionnisme. Parfois,

il est vrai, de façon très superficielle, en restant conforme à la tradition. Mais parfois de façon

plus riche et approfondie, s’acheminant vers une recherche de luminosité et de simplification

des plans.

Voilà l’atmosphère de la vie artistique parisienne lors du séjour d’études de Visconti

en Europe. Dans ce milieu, Visconti a été influencé certes par les procédés impressionnistes

répandus à la fin du siècle, mais il a puisé aussi dans d’autres sources dont il sera question par

la suite.

109 - MICHEL, André. “ L’Exposition Centennale ”. In : Exposition Universelle de 1900. Les Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900, (p.p. 307 - 308).

206

6 - Analyse de l’oeuvre de Visconti

On a vu que l’oeuvre de Visconti fut divisée en six périodes :

1888-1897 - Formation - naturalisme (Brésil et France) ;1898-1908 - Influence de la peinture de la Renaissance et divisionniste

(France) ;1909-1912 - Transition du divisionnisme au réalisme (Brésil) ;1913-1919 - Période impressionniste du Foyer du municipal et des paysages

de St. Hubert (France) ;1920-1930 - Transition de l’impressionnisme au néo-réalisme (Brésil) ;1931-1944 - Néo-réalisme avec une recherche accentuée d’atmosphère et

luminosité.110

Les diverses phases de son oeuvre furent ainsi associées aux périodes qu’il a vécu en

France ou au Brésil. Dans le présent travail, on n’analysera pas toutes ces phases et on n’obéira

pas entièrement à cette division. On se restreindra à analyser les changements survenus dans

l’oeuvre de Visconti pendant deux périodes précises : la première correspond aux années

d’études de Visconti à Paris en tant que pensionnaire de l’Escola Nacional de Belas

Artes, c’est-à-dire, la période qui va de 1893 à 1900 ; la seconde correspond au moment de la

réalisation des peintures décoratives destinées au Théâtre municipal de Rio de Janeiro, qui en

réalité se divise en deux petites périodes, la première allant de 1905 à 1907, et la seconde de

1913 à 1916111. Les deux fois, Visconti exécuta ces décorations en France.

On a choisi d’analyser ces deux moments de l’oeuvre de Visconti (la période du

premier séjour à Paris, et la période des décorations) parce qu’ils nous permettent de

110 - COSTA, Lygia Martins. “ Biografia de Elyseu d’Angelo Visconti ”. In : Exposição Re-trospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro, 1949, (p. 18).

“ 1888 - 1897 - Formação - naturalismo (Brasil e França)1898 - 1908 - Influência renascentista e divisionista (França)1909 - 1912 - Transição do divisionismo ao realismo (Brasil)1913 - 1919 - Período impressionista do Foyer do Municipal e das paisagens de St.

Hubert (França)1920 - 1930 - Transição do impressionismo ao néo-realismo (Brasil)1931 - 1944 - Néo-realismo com acentuada procura de atmosfera e luminosidade. ”

111 - Dans le chapitre 6.2, où nous allons étudier les peintures décoratives du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, on abordera aussi l’actuelle frise sur le proscenium réalisée par Visconti de 1934 à 1936. En 1934, les travaux de rénovation et d’agrandissement de la salle de spectacles du théâtre obligèrent Visconti à peindre une nouvelle frise en remplacement de la première qui avait été faite en 1907. Pour cette décoration, Visconti adopta le même style des décorations antérieures. Ainsi, du point de vue stylistique, ce travail des années trente se situe dans la période du début du siècle.

207

comprendre comment ce peintre brésilien s’est approprié et a transformé des éléments de l’art

français qu’il côtoya pendant ses séjours à Paris.

6.1 - Les oeuvres de la première période parisienne (de 1893 à 1900)

Le monde entier doit être conçu à l’image de l’homme. Le monde a une âme comme l’homme.

Le tableau doit avoir une âme. Tout doit se lier comme forme, comme ligne, comme couleur et ambiance.

[E.VISCONTI. Note dans un cahier sans date, écrite probablement vers 1901112].

Parmi les premiers tableaux et dessins que Visconti réalisa à Paris on retrouve les

oeuvres dont il s’est acquitté comme de simples obligations de pensionnaire113. Ce sont des

études de nu qu’il a dessinées ou peintes dans l’Académie Julian. Aujourd’hui, sept d’entre ces

travaux font partie des collections du Museu Dom João VI, musée attaché à l’Ecole des beaux-

arts de Rio de Janeiro. Quelques autres se trouvent au Museu Nacional de Belas Artes. On a

choisi quatre de ces envois de pensionnaire pour illustrer l’évolution de l’oeuvre du peintre.

L’enfant, académie masculine dessinée en 1893 (fig.1)114, Nu féminin, académie peinte en 1894

(fig.2), Nu masculin peint vers 1895 (fig.3) et Nu masculin vu de dos, académie peinte en 1895

(fig.4), sont tous des travaux d’étudiant, mais présentent déjà quelques traits caractéristiques

de l’oeuvre postérieure de Visconti. On remarque dans ces premières études sa recherche

d’une luminosité délicate et douce. Plus d’une fois (figures 1, 2 et 4) Visconti choisit un

cadrage en contre-jour. En laissant quelques zones dans l’ombre, il arrive à créer une

112 - Manuscrits d’Eliseu Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n.3).113 - Conformément à ce que l’on a vu dans le chapitre “ 2.2 - Les obligations des

pensionnaires ”, à partir de 1892, les pensionnaires peintres devaient envoyer les travaux suivants :

1e année : huit études de modèle vivant peintes ou dessinées.2e année : huit études de modèle vivant peintes.3e année : une copie d’un tableau désigné par le Conseil des Professeurs de l’Ecole

et une esquisse pour l’exécution d’un tableau d’au moins trois figures accompagnée du respectif devis des dépenses destinées aux matériaux pour sa réalisation .

4e et 5e années - Exécution du tableau qui sera acheté par l’Ecole si le Conseil des Professeurs l’aura jugé digne de l’être.

114 - L’abréviation (fig.1) indique qu’une illustration de l’oeuvre en question se trouve dans le Volume des Illustrations. De même pour les prochaines ‘figures’. Les illustrations des oeuvres de Visconti seront toujours indiquées par l’abréviation ‘fig.’ (figure), tandis que les reproductions des oeuvres des autres artistes brésiliens ont été indiquées par l’abréviation ‘ill.’ (illustration).

208

atmosphère particulière. Dans les académies peintes (figures 2, 3 et 4), la couleur vient

s’ajouter au jeu du clair-obscur pour envelopper la figure et noyer les contours dans le fond.

L’image du modèle se trouve ainsi liée à l’ensemble de la composition.

Quelques notes écrites par Visconti en 1904, vraisemblablement à l’Académie Julian,

nous éclairent à propos de ses intentions et préoccupations lors qu’il réalisait des études de

modèle vivant :

6 agosto 1904[...] JulianProportion d’abord. Avant tout, suivre les contours tantôt se fondent tantôt se firment [sic]caractère c'est le trait qui domineEviter monotonieVarier le métier dans le tableau.115

En regardant les études citées (fig. 2, 3 et 4), on voit que Visconti s’appliqua à suivre

ces conseils. Les contours des figures tantôt se précisent, tantôt s’estompent. Aussi, on

observe qu’il ébaucha en arrière-plan l’ambiance de l’atelier parsemé de chevalets et tabourets.

On aperçoit des tableaux accrochés aux murs, des silhouettes d’artistes au travail, d’autres

modèles qui posent plus loin. Visconti utilise l’arrière-plan de façon à créer l’atmosphère du

lieu, mais aussi pour éviter la monotonie dans la composition.

De ces quatre études, celles qui nous paraissent les plus réussies sont les deux

dernières (figures 3 et 4). Il est intéressant d’observer le procédé employé par le peintre pour

donner du relief au modèle dans ces deux études de nu masculin. Dans la première étude, le

modèle est éclairé et l’arrière-plan est dans l’obscurité. Dans la seconde, Visconti prend le parti

contraire : le modèle est en contre-jour, et l’atelier est très clair. Mais dans les deux cas, les

objets du fond

115 - Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n.1). Cet extrait était écrit originalement en français. Les mots ‘proportion’, ‘contours’, ‘caractère’ et ‘monotonie’ furent soulignés par Visconti lui-même. Là où les mots étaient illisibles on les a remplacés par le signe [...].

209

sont moins nets que la figure. Pourtant, si les contours du modèle sont plus définis

que ceux des objets qui l’entourent, et si le contraste entre la lumière et l’ombre contribue à le

détacher du fond, la figure reste aussi bien liée à l’ensemble. De temps en temps les contours

s’effacent. De plus, les couleurs du fond apparaissent aussi dans la figure. Par ce procédé,

Visconti arrive à lier tous les éléments du tableau.

La recherche d’atmosphère et la délicatesse que l’on aperçoit dans ces académies

censées être de simples études, des moyens d’évaluation du travail du pensionnaire en Europe,

on les retrouve approfondies dans ses nus de composition plus complexe, peints dans son

atelier personnel, et dont quelques-uns furent exposés aux Salons de Paris. Petite fille à

l’éventail, de 1893 (fig.5), En Eté (fig.7), exposé au Salon de 1894 de la Société des artistes

français au Palais des Champs-Elysées, et Rêve mystique (fig.9), exposé au Salon de 1897 au

Champ-de-Mars, en sont des exemples très significatifs. Le sujet de ces trois tableaux, le nu, ne

pouvant être plus banal, Visconti réussit cependant à y mettre quelque chose d’original et de

propre à lui.

La première caractéristique qui touche le spectateur à la vue de ces tableaux est la

qualité du coloris. Dans chacune de ces oeuvres le peintre met en valeur les moindres nuances

de couleur et un jeu subtil fait vibrer toute la toile.

L’autre trait toujours présent dans ces nus peints par Visconti est le naturel de la

pose. Les modèles sont surpris dans leur spontanéité, comme si personne ne les regardait.

Allongés, ils semblent se laisser envahir par une douce torpeur. Dans les trois tableaux cités, -

Petite fille à l’éventail, En été et Rêve mystique, (figures 5, 7 et 9) - on a l’impression que le

peintre a saisi les modèles dans leur attitude naturelle et les a peints à l’improviste. Bien sûr,

l’effet recherché par l’artiste est exactement cela. Si l’on étudie la composition des trois toiles,

on y trouve une construction réfléchie, faite de symétries et correspondances de formes.

Dans la Petite fille à l’éventail (fig.5), Visconti a peint une fillette nue, couchée sur

un lit couvert de draps blancs. La petite tient un éventail bleu et rose clairs à la main droite

posée sur les draps. Son corps est détendu, son attitude est tranquille, ses yeux à demi ouverts

regardent au loin. Le tout est d’une grande simplicité, et pourtant il y a quelque chose de

troublant dans cette enfant. En même temps que son petit corps est là, présent, on a

210

l’impression qu’elle nous échappe. En se laissant aller à ses propres rêveries, elle possède

quelque chose à quoi on ne pourra jamais accéder, un certain mystère, une âme.

Quant à la composition, ce tableau cache aussi des secrets. Au premier abord, on

observe que la pose du modèle n’est ni jolie ni gracieuse et en cela Visconti déconcerte le

spectateur habitué aux poses académiques étudiées pour mettre en valeur les belles formes du

corps humain. On a l’impression que la jambe pliée est disproportionnée, trop petite par

rapport au tronc. Et cependant, cette jambe ‘trop petite’ compose parfaitement l’ensemble. La

figure tout entière s’insère dans une ligne spiralée que l’on ne perçoit pas tout de suite. La

ligne formée par le pli entre le visage et le cou de la fillette est le début de cette spirale. On

continue à tracer la courbe en contournant la masse des cheveux foncés à la fin desquels on

retrouve l’épaule gauche, de là on suit la ligne horizontale qui représente la limite entre le

corps allongé et les draps, on remonte par le bras droit qui nous amène à l’éventail, encore une

fois le regard retourne vers le bas et l’on suit la ligne du bras gauche pour ensuite remonter en

prenant la direction de la jambe (fig. 6). Ce mouvement en spirale peut se répéter indéfiniment

et crée l’atmosphère quelque peu envoûtante de ce tableau réalisé pendant la première année

du séjour de Visconti à Paris.

La toile En été (fig. 7) date de l’année suivante. On y voit deux jeunes filles nues

allongées sur un même lit (le même d’ailleurs qui apparaît dans Petite fille à l’éventail). L’une

des deux filles dort, l’autre vient de se réveiller et nous regarde, encore étourdie par le

sommeil.

Une fois de plus, la pose des figures n’obéit pas aux canons habituels dans ce genre

de peinture. Les jeunes, couchées sur leur ventre, sont présentées sous une perspective très

accentuée. Au premier plan, on voit leurs têtes ; au fond, leurs pieds. De la fille endormie, on

ne voit que le visage et l’un des bras qui tombe par-dessus le dossier du lit. La seconde figure

est représentée en un raccourci imposé par la vue en perspective. La nudité des deux filles se

trouve presque entièrement cachée, protégée derrière le traversin et les barres métalliques du

premier plan. De l’expression de leurs visages émane une fragilité et une innocence touchantes.

La scène, d’une candeur et d’une pureté enfantines, exhale en même temps une

sensualité inattendue créée par la rencontre du regard de la fille qui se réveille avec celui du

211

spectateur. On a l’impression d’avoir franchi un seuil interdit et envahi leur intimité, comme si,

en ouvrant une porte au hasard, on avait surpris cette scène qui ne nous était pas destinée.

Après ces premières impressions concernant le sujet du tableau, on observe que le

traitement donné à son exécution est d’une sensibilité exquise. Les couleurs, un peu plus

sombres que celles du tableau précédent, sont toujours travaillées avec beaucoup de finesse et

Visconti y déploie une infinité de nuances. Les moindres détails sont réalisés avec douceur. Les

barres métalliques du dossier du lit, qui auraient pu durcir la composition à cause de leur

géométrie rigide et du contraste très fort du noir du fer sur le blanc des draps, ont été

nuancées. Le blanc se mélange parfois au noir, et le résultat en est que les lignes des barres

sont interrompues par endroits, ce qui leur procure une légèreté voulue.

Ce traitement délicat des couleurs est la qualité la plus évidente et immédiatement

perçue de la peinture de Visconti. Cependant, comme nous venons de voir dans l’analyse de la

Petite fille à l’éventail - et les mêmes observations s’imposent ici - il est accompagné d’une

composition très recherchée, qui n’est pas immédiatement manifeste. Si l’on divise la surface

du tableau En Eté en quatre rectangles de même taille, c’est-à-dire, si l’on trace une ligne

horizontale et une ligne verticale qui se croisent exactement au centre du tableau, on découvre

la construction géométrique des figures dans l’espace. La tête de la fille qui nous regarde se

trouve au centre du tableau, ou, plus exactement, son menton s’appuie sur la ligne horizontale

médiane, et la ligne de son nez, bien que légèrement oblique, coïncide avec la ligne verticale

médiane. Disposer cet élément au centre de la composition aurait pu alourdir l’ensemble, mais

la tête de la seconde fille, à côté, sert de contrepoint. En effet, visuellement les deux têtes

fonctionnent ensemble, car on voit deux fois la même forme. On observe ensuite que les deux

figures s’insèrent dans un losange presque parfait dont les angles sont le coude de la jeune fille

endormie, la main gauche de la jeune fille qui nous regarde, l’extrémité de son pied gauche et

le point le plus haut de sa tête (fig.8). Pour conclure cette analyse de la structure formelle du

tableau, il y a lieu d’observer que les lignes droites et obliques s’harmonisent par contraste

avec les lignes courbes, dans un foisonnement très expressif. Visconti réussit ici à construire un

équilibre fait de mouvements.

Penchons-nous maintenant sur la toile Rêve mystique (fig.9), peinture réalisée en

1897. On y retrouve le thème de la jeune fille nue, à moitié endormie. Celle-ci se repose sur un

canapé, le mouvement des bras levés au-dessus de la tête est symétrique au mouvement des

212

jambes pliées. La tête tombe doucement, les yeux sont fermés et les cheveux libres. La

composition est plus simple que dans les deux toiles analysées antérieurement. Une grande

ligne horizontale établit une base solide sur laquelle la figure est posée. Les lignes obliques des

jambes et de l’ensemble formé par la tête et les bras donnent le rythme à la composition. La

ligne arrondie du dossier du canapé enveloppe le tout. La beauté de cette peinture se trouve

justement dans sa simplicité. Rien n’est affecté ni faux. En même temps, on ressent

l’admiration et la tendresse de Visconti devant son modèle. Les formes féminines sont

spiritualisées par la lumière qu’il étale sur le corps, et la figure humaine y apparaît comme un

merveilleux mystère. Le titre que le peintre a choisi pour son oeuvre - Rêve mystique -

manifeste son intention de déceler ce qu’il y a de spirituel dans la beauté qu’il admire.

Ces toiles de Visconti, réalisées à Paris et ensuite envoyées à Rio, furent très bien

reçues par la critique lorsqu’elles furent exposées au public brésilien116. Mais il n’est pas sans

intérêt d’examiner comment ces mêmes toiles furent reçues par le milieu académique brésilien.

Une lettre d’Henrique Bernardelli, ancien professeur de peinture de Visconti à l’Escola

Nacional de Belas Artes, tout en étant l’expression d’une opinion personnelle est très

instructive à cet égard. Il lui écrivit en 1898 :

Rio, le 19 octobre 1898

Mon cher Visconti,

(...). J’ai beaucoup de choses à te dire. Mais parlons tout d’abord de tes nouveaux envois et de l’impression sincère qu’ils m’ont faite. Voilà : ta palette acquiert de plus en plus de robustesse, elle est harmonieuse dans les diverses tonalités qui, heureusement, varient toujours. Ainsi, de ce côté tu ne t’inquiètes pas, tu es peintre par le sentiment de la couleur. Mais tu n’as pas la même facilité en ce qui concerne la forme, surtout quant au goût dans le choix de l’attitude (...).

Avant de continuer, je dois dire qu’il me semble lire dans ton esprit les réflexions que tu fais : qu’est-ce qu’il veut dire quand il parle d’attitudes ? Non pas, sûrement, des poses académiques ; non, s’il s’agit d’un tableau où ce qui est en jeu est un sentiment, il ne faut pas se préoccuper des attitudes. La chose à atteindre est le sentiment. Cependant, lorsqu’on se propose d’assembler [les couleurs] sans avoir d’autre motif que les belles formes, il

116 - Les articles de journaux de l’époque sont très élogieux vis-à-vis de Visconti.

213

faut rehausser ces formes, car le sujet n’est qu’un prétexte pour peindre un modèle. Le talent dans ce cas se trouve dans le fait de savoir donner à son modèle la meilleure position pour que ses formes soient mises en valeur. Or, dans les quatre femmes que successivement tu nous as envoyées on trouve toujours un beau coloris (...). Je ne dirai rien de la première car, en tant qu’étude, c’est un beau torse vu de dos, sans les jambes. Quant aux trois autres, je vais parler de la meilleure qui, à mon avis, est celle que tu as envoyée l’année dernière ou avant-dernière, me semble-t-il [fig. 10]. Il y a en elle des parties extrêmement bien étudiées, une intonation très douce, et même belle. La tête est très jolie, mais (...) celle-ci, comme les autres, n’allonge pas les jambes de peur qu’elles ne tiennent pas dans le tableau. Quant aux deux dernières femmes, tu as tellement plié les jambes à l’une d’entre elles, qu’elle semble avoir été amputée. Je te le redis : dans une autre occasion où il ne s’agirait pas de peindre un beau nu, il n’y aurait pas lieu de critiquer, le coloris est toujours neuf de tonalité et beau. En ce qui concerne la dernière femme [fig.9, Rêve mystique], non seulement elle ne tiendrait pas dans la toile si ses jambes étaient allongées, mais il a fallu aussi plier la tête, que tu as voulu tellement pliée (j’imagine les affres du pauvre modèle) qu’elle semble ne pas bien s'articuler. Si j’étais critique d'art, je te poserais une question humoristique : pourquoi fais-tu dormir tes modèles dans des positions si malaisées ? Va pour la dernière, qui a la chance de dormir sur un canapé [fig.9], mais l’autre a laissé le lit au fond du tableau pour venir s'endormir par terre [fig.10]. Ne te fâche pas avec mes plaisanteries, heureusement que maintenant je peux te dire ce que je pense sans que ce soit à titre officiel. (...). 117

117 - Lettre d’Henrique Bernardelli adressée à Visconti, conservée par Tobias Visconti.“ Rio, 19 outubro 1898Estimado Visconti,(...). Não são poucas as coisas que desejo falar-te. Em primeiro lugar porém, vamos falar dos teus novos envios e a impressão sincera que eles atuaram em mim. Então lá vai : a tua palhe-ta tem adquirido mais robustez, é harmoniosa nas diversas entonações que felizmente sempre variam, não é pois o que mais te preocupa nos teus quadros, és um pintor pelo sentimento da cor, não és tão fácil na forma, sobretudo no gosto da atitude, e (...). Tudo isto é apenas questão de gosto e educação, sem que prossiga, já me parece ler em teu espírito as reflexões que vais formando por estas minhas observações : que entenderá ele por atitudes ? Não por certo poses acadêmicas ; não, tratando-se de um quadro em que esteja em jogo um sentimen-to, não é mister preocupar-se com atitudes. A coisa a alcançar é o sentimento. Porém, quan-do nos propomos juntar sem motivo outro que belas formas, é preciso salientar com vanta-gem essas formas, pois o assunto é apenas um pretexto para pintar um modelo. O talento pois neste caso está em saber dar ao seu modelo a melhor posição que as suas formas te-nham vantagem. Ora, nas tuas quatro mulheres que sucessivamente fostes mandando, são to-dos de belo colorido e, bem ambientadas. A primeira, como um estudo, nada direi, belo tron-co de costas sem pernas. Das outras três tomo a melhor que é ao meu ver a que mandastes o ano atrasado ou passado me parece [fig.10]. Tem pedaços extremamente bem estudados, uma entonação muito suave, bela mesmo, a cabeça muito bonita, mas (...) essa como as ou-tras não estica as pernas com medo que não caibam no quadro. Estas duas últimas, uma lhe dobrastes talmente as pernas que parece decepá-las. Repito, em outra ocasião que não fosse para pintar um belo nu não haveria razão de crítica, o colorido é sempre novo de entonação

214

Ces critiques d’Henrique Bernardelli nous aident à comprendre l’originalité des nus

de Visconti. La petite fille à l’éventail, les deux jeunes filles d’En Eté, et même la jeune femme

du Rêve mystique, n'exhibent pas les ‘belles formes’ du corps féminin. Leurs attitudes ne furent

pas choisies en fonction de cette beauté conventionnelle. La beauté qui se dégage des peintures

de Visconti est d’un autre ordre. Le peintre est à la recherche d’une harmonie délicate et

spiritualisée. Et c’est toujours par cette voie que Visconti arrive, plus tard, aux tableaux

allégoriques d’influence préraphaélite. De cette phase, ses peintures les plus représentatives

sont La récompense de saint Sébastien (fig.11), Gioventú (fig.12), Les Oréades (fig.16), et

Pedro Álvares Cabral guidé par la Providence (fig. 17). Les deux premières sont de 1898 et

les deux autres datent de 1899.

La Récompense de saint Sébastien (fig.11) nous montre le saint au moment de son

supplice. Un ange, représenté dans la figure d’une jeune femme ailée, lui apporte l’auréole du

martyre. L'expression du saint est apaisée, il a les yeux fermés et les mains croisées sur la

poitrine. Deux saintes, se trouvant au loin, le regardent. Le paysage d’arrière-plan est stylisé,

on y voit des montagnes et des arbres alignés. La délicate harmonie des couleurs pâles rappelle

le coloris des fresques tardives de Giotto, comme, par exemple, celles de la chapelle Bardi dans

l’église de Santa Croce à Florence (planches 2, 3 et 4)118. Mais l’influence incontestée est celle

de Botticelli, surtout si l’on songe à La Naissance de Vénus (pl.5). La chevelure ondulée de

l’ange de Visconti répète l’ondulation des cheveux de la Vénus de Botticelli. De même, les

petites fleurs dorées qui ornent le tissu du vêtement de l’ange de Visconti sont évidemment

inspirées des bleuets qui parsèment la robe de la jeune fille qui attend Vénus sur la grève dans

e belo ; a última, esta então não só não caberia na tela se esticasse igualmente as pernas, mas a cabeça também a qual por quereres tê-la dobrada (e imagino o pobre modelo) parece até não articular bem ; eu se fosse crítico te faria uma pergunta humorística : porque você coloca os seus modelos tão sem jeito para dormir ? Esta ainda dorme num sofá, mas a outra deixou a cama lá no fundo para vir dormir no chão. Não vás dar cavaco com estas minhas graças, felizmente agora posso te dizer o que me parece sem ser oficialmente. (...) ”

118 - Les planches de référence se trouvent dans le Volume des Illustrations.

215

le tableau de Botticelli. Cependant, la peinture de Visconti, en empruntant ces

éléments aux italiens de la Renaissance, appartient entièrement à son époque ‘fin de siècle’. Le

rapport entre le saint et l’ange, l’image religieuse, est ici l’expression de l’amour passionnel de

l’homme, heureux prisonnier de ses sentiments, qui se livre à la femme aimée, adorée comme

un ange bienfaisant qui soulage toute souffrance.

Quant à la composition, on remarque que Visconti s’efforça de donner du

mouvement à cette toile. Il multiplia les lignes sinueuses dans la figure de l’ange et dans le

dessin du chemin qui remplit l’arrière-plan. Malgré cet effort, la position hiératique du saint

débout prédomine, et l’on est de même avis que le critique qui écrivit en 1901, lors de la

première exposition de Visconti à Rio de Janeiro après son retour d’Europe, que l’impression

de l’ensemble reste froide :

Le ‘saint Sébastien’ est une toile presque monochrome, trop primitive, d’une certaine façon byzantine dans son paysage qui occupe presque complètement l’arrière-plan du tableau. La manière formelle dont les arbres furent peints, la richesse des détails et l’emploi de l’or dans quelques parties, ce sont de pures caractéristiques des oeuvres des Primitifs. La figure principale est dessinée avec un sentiment de noblesse de la forme et de dignité de l’attitude ; il y a du relief. L’oeuvre a du caractère, néanmoins, l’impression est froide.119

Visconti obtint un résultat beaucoup plus heureux en Gioventú (fig.12), toile réalisée

cette même année de 1898. Gioventú, qui veut dire ‘jeunesse’ en italien, est le portrait idéalisé

d’une jeune fille à demi nue, une allégorie de la pureté et de la jeunesse. En réalité, le premier

nom que l’artiste donna à ce tableau fut celui de Mélancolie. Il est vrai que cette figure

attendrissante exhale une atmosphère mélancolique. Son regard est méditatif comme si elle

était absorbée par ses propres rêves ou ses pensées. Le doigt qui touche légèrement le menton

intensifie l’aspect méditatif de la figure. Son attitude est tranquille et passive. Le seul effort

qu’elle fait est celui de lever la main droite jusqu’au menton, l’autre main reste tombée dans un

geste indolent. Des colombes blanches l’entourent, symboles de son innocence. L’arrière-plan

119 - “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.“ O S. Sebastião é uma tela quase monocromática, demasiado primitiva, de algum modo bizantina na sua paisagem que ocupa quase todo o fundo do quadro. A maneira formal como estão pintadas as árvores, a riqueza dos pormenores e o uso de ouro em certas partes são característicos puros das obras dos Primitivos. A figura principal é de-senhada com certa nobreza de forma e dignidade de porte ; tem relevo. A impressão é, porém, fria, embora haja certo caracter na obra. ”

216

est réalisé à la manière d’un papier peint et représente un bois stylisé. Les couleurs sont, une

fois de plus, pâles, et donnent au tout l’aspect d’une fresque antique.

La simplicité apparente de cette composition est basée sur une série complexe de

figures géométriques qui organisent l’ensemble. Tout d’abord, on remarque que la surface du

tableau est divisée verticalement en deux rectangles de largeurs différentes. La verticale qui

détermine cette division est constituée par le tronc de l’arbre et se prolonge en suivant la ligne

qui limite le corps de la jeune fille. La figure tout entière se situe dans le rectangle le plus

grand. Celui-ci est divisé horizontalement par une ligne unissant les deux épaules de la jeune

fille, ce qui crée un carré parfait dans la partie droite inférieure de la composition. Une seconde

verticale moins marquée est déterminée par l’emplacement des deux mains qui se trouvent sur

la même ligne (fig.13).

Après avoir observé ces premières divisions de l’espace du tableau, on commence à

découvrir une série de triangles qui structurent la figure de la jeune fille. D’abord, on peut

dessiner un grand triangle qui l’entoure presque entièrement. La base de ce triangle se trouve à

la hauteur de sa ceinture, le sommet surmonte son visage et se trouve sur la verticale qui

traverse les deux mains. Une ligne horizontale située à la hauteur des épaules définit la base

d’un second triangle à l’intérieur du premier. À partir de cette base, et en suivant la verticale

mentionnée, on peut dessiner un autre triangle dont les côtés coïncident avec les lignes qui

forment le cou. Un troisième triangle, cette fois-ci renversé, est déterminé par la base des

épaules, et son sommet se situe à la hauteur de la main gauche de la jeune fille (fig.14). On

observe ensuite qu’un autre triangle renversé définit la forme extérieure de son visage (fig.15).

À l’intérieur de ce triangle, on peut dessiner deux autres plus petits qui encadrent l’ensemble

formé par les yeux et la bouche. Le bras gauche plié, qui entoure le jeune sein, répète les

proportions de la forme triangulaire du visage (fig.15).

Toutes ces formes triangulaires qui se répètent font l’effet d’une symphonie

harmonieuse, et l'on peut dire que la structure géométrique de ce tableau est le garant de sa

simplicité, car l’impression qui s'en dégage est celle d'un équilibre où rien n’est superflu et où

tout se trouve à sa place. En même temps, la perfection des formes est telle que l’idéalisation

en est évidente, cette jeune fille n’appartient pas à ce monde, elle est un symbole.

217

Dans Les Oréades (fig.16), Visconti reste dans ce monde idéalisé et symbolique, mais

la composition est plus mouvementée. Ce tableau représente un groupe de sept nymphes, ou

plus exactement six nymphes et un génie, qui dansent au milieu des montagnes et des bois.

Quelques colombes blanches volent à la hauteur de leurs pieds, ce qui contribue à augmenter la

sensation d’ineffable légèreté. Le coloris est harmonieux et la tonalité prédominante est plus

chaude que dans les deux toiles analysées auparavant (figures 11 et 12). Le même critique qui

avait trouvé un peu froide La Récompense de saint Sébastien écrivit, au sujet des Oréades :

Dans la ‘Danse des Oréades’, l’exécution est plus franche ; le coloris plus chaud ; les figures, même en étant un peu grêles, ont de l’animation, on reconnaît qu’il y a de la joie et du plaisir physique dans leurs amusements. La manière dont le peintre a traité ce groupe de nymphes à moitié dénudées dans une lumière chaude d’automne a quelque chose d’audacieux, et la combinaison de lignes et de couleurs est belle. L’arrière-plan est un bon paysage.120

A ces observations pertinentes il faut ajouter quelques mots sur les arabesques du

peintre. Si l’on compare Les Oréades au saint Sébastien, on remarque tout de suite l’évolution

de son dessin. On n’y trouve plus aucun trait de la rigidité observée dans la première toile. Les

lignes sinueuses évoluent aisément et le mouvement est partout. Les références à Botticelli,

déjà remarquées dans le saint Sébastien, sont toujours présentes dans les Oréades. Cependant,

maintenant, Visconti maîtrise mieux sa peinture et exprime plus franchement les principes qui

l’ont inspiré. Quelques phrases écrites de sa main dans un petit cahier nous font penser à ce

tableau, et manifestent les sources de son inspiration et ses motivations :

Aucun flot n’est exactement le flot d'hier, mais c’est toujours le même fleuve. Aucune flamme ne reproduit photographiquement les arabesques d’antan, mais c’est toujours le même foyer. Ruskin est comme un fleuve; il est comme une flamme; il ne se ressemble jamais, il se renouvelle sans cesse, et il est le même toujours.

120 - “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.“Na Dança da Oréadas, a execução já é mais franca ; o colorido mais quente ; as figu-ras, se bem que um tanto franzinas, têm animação, reconhece-se que há alegria e prazer físico nos seus folguedos. O modo como tratou esse bando de ninfas seminuas, a uma luz quente de outono tem certa audácia, e é bela a combinação de linhas e de cores. O fundo é uma boa paisagem. ”

218

Les pensées viennent toujours de la même source - qui est très haute121.

Il est clair que la réminiscence de Botticelli dans la peinture de Visconti vient de

l’influence préraphaélite. Cette même année de 1899, il peint la toile Pedro Álvares Cabral

guidé par la Providence122 (fig.17), un tableau très représentatif de cette phase de sa

production. Le traitement donné par le peintre à ce sujet historique transforma le tableau en

une composition symboliste, de forte influence Art Nouveau. Visconti représente la

Providence sous la forme d’une figure féminine éthérée placée au-dessus du navigateur

portugais. Cette position n’est pas sans rappeler l’ange qui récompense saint Sébastien

(fig.11). Aussi, cette figure de la Providence est-elle tirée du tableau Les Oréades (fig.16),

c’est la quatrième nymphe, celle aux longs cheveux blonds, recouverte d’un voile rose. Les

arabesques de la composition des Oréades se trouvent aussi dans ce nouveau tableau, et les

couleurs sont toujours chaudes et harmonieuses.

Au bout de ces observations, il n’est pas difficile de mettre en évidence les

caractéristiques communes aux quatre peintures (figures 11, 12, 16 et 17). Tout d’abord, les

sujets sont d’inspiration symbolique (littéraire, mythologique, religieuse ou historique). En

second lieu, pour représenter ces sujets, Visconti n’employa pas un style naturaliste ou réaliste.

Ses figures sont idéalisées et intégrées dans un ensemble symbolique ou allégorique. Une autre

caractéristique à signaler concerne la verticalité des compositions, ce qui s’accorde à la

spiritualisation des sujets. Aussi, faut-il remarquer l’élaboration des arrière-plans qui sont très

ornementés, parfois de façon à rappeler les motifs décoratifs appliqués par Visconti aux objets

utilitaires123.

121 - Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte n.3). Cet extrait a été écrit originellement en français.

122 - Pedro Álvares Cabral (Belmonte, v. 1460 - près de Santarém, 1526) - Navigateur portugais qui a découvert le Brésil en 1500.

123 - À ce propos, Irma Arestizabal fit une remarque pertinente sur la ligne sinueuse observée au fond de La récompense de saint Sébastien, en signalant que Visconti employa cette même ligne en arrière-plan sur une affiche publicitaire (fig.18), aussi bien que dans le dessin décoratif du vase L’Amour (fig. 19).

ARESTIZABAL, Irma. Eliseu Visconti e a Arte Decorativa. Rio de Janeiro, PUC/FUNARTE, 1982, (p.39).“ Freqüentemente uma linha serpenteia no fundo da composição, como num dos cartazes da Antártica (...) [e na] cerâmica O Amor (...). Esta solução (...) também era aplicada felizmente na pintura, como na paisagem pré-rafaelita do lado esquerdo do Martírio de São Sebastião. ”

219

Dans les oeuvres de cette phase, Visconti s’approche à la fois du symbolisme et de

l’Art Nouveau, deux mouvements qui marquèrent l’art en Europe à la fin du XIXe siècle. Il est

évident que Visconti s’est imprégné des principes de ces mouvements au contact de

l’enseignement d’Eugène Grasset (1845 - 1917), son professeur à l’Ecole Guérin à Paris.

Murray-Robertson, dans son livre sur Grasset, nous montre bien sa dette envers les

préraphaélites et William Morris124. Visconti, dans les oeuvres de cette phase, a une dette

envers Eugène Grasset, et par surcroît, envers les Préraphaélites.

Il est intéressant de relire les commentaires faits par Camille Lemonnier en 1900 sur

l’oeuvre de Grasset :

Il tire des réservoirs de sa pensée le flot inépuisable des images.(...). Grasset trouva l’arabesque infinie et, comme par un sortilège, y fit entrer des âmes multiples (...). Il en varia les orbes, il en proliféra le caprice, il la dressa comme une haute lambrusque (...). La nature se communique à lui par des pénétrations profondes; il est le plus savant et le plus courtois des linéistes. (...). Mais il ne copie pas; il interprète avec une liberté admirable; les formes, pour lui, sont l'apparence du réel, plus que le réel même; il en exprime les significations latentes et le mystérieux symbolisme. (...). 125

Ces commentaires auraient pu s’appliquer aux Oréades de Visconti, car on y

reconnaît le même esprit. Et si l’on compare l’une des oeuvres d’art décoratif de ce dernier,

par exemple un dessin préparatoire pour un vitrail, La Musique (fig. 20), à un travail de

Grasset (pl. 6), l’influence du maître sur l’oeuvre du disciple apparaît de façon plus évidente.

Cependant, si l’on trouve chez Visconti l'influence de ce précurseur de l’Art Nouveau, cela est

dû à la résonance que les enseignements de Grasset éveillaient en lui. Il ne s’agit pas de copie,

mais de recherche.

Dans ce sens, et avec une argumentation très appropriée, le critique qui tenait la

rubrique Notes sur l’Art du Jornal do Comércio, analysa les oeuvres apportées d’Europe par

Visconti et exposées le mois de mai 1901 à Rio de Janeiro. Cette exposition, qui eut lieu à

l’Escola Nacional de Belas Artes, marquait la fin de la période d’études de Visconti à Paris et

rassemblait les oeuvres de l’ex-pensionnaire. Voici, pour clore ce chapitre, quelques extraits de

l’article du critique anonyme :

124 - MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures, Lausanne, 1981.

125 - LEMONNIER, Camille. “ Eugène Grasset ”. In : Eugène Grasset et son oeuvre. Paris, La Plume, 1900. Numéro spécial, n. 261, (p. 19).

220

Vraiment, la quantité et la diversité des travaux exposés indiquent aussitôt qu’il s’agit d’un travailleur infatigable, d’un esprit dévoué aux études et plein de discernement, d’un artiste amoureux de l’art qu’il embrassa et dont les secrets il s’efforça de découvrir ; et un examen plus long et plus attentif des oeuvres accumulées apporte la conviction de l’efficacité de ses efforts pendant les années vécues dans le Vieux Monde, qui n’ont pas été stériles, bien au contraire, ils furent extrêmement fructueux.

Les travaux exposés représentent les diverses phases de l’évolution de l’artiste, depuis les croquis au crayon et les esquisses rapides en couleurs, des registres rapides d’impressions d’un moment, jusqu’aux tableaux de peinture de figure et aux grandes toiles idéalistes, depuis les ébauches de paysage et de motifs architecturaux jusqu’aux dessins dans les plusieurs branches de l’art ornemental ; et tous ces travaux révèlent de façon exubérante l’application du jeune pensionnaire de l’Ecole et son esprit avide de connaissances ; aussi trahissent-ils l’action d’influences nombreuses et diversifiées et indiquent-ils le travail de sélection graduelle en quête du moyen le plus adéquat à l’expansion individuelle de son talent. Et malgré le résultat présenté, on ne peut pas dire dès maintenant qu’il a déjà acquis une manière, un style dont les motifs et l’exécution affirment une individualité marquée. On observe qu’il a touché à tout, et essaya de tout étudier, amené par son esprit de curiosité, très naturel chez un jeune homme désirant connaître tous les éléments de son art, mais qui n’est pas encore sûr et décidé sur la direction définitive à suivre, malgré les prédilections récentes pour l’école d’art décoratif moderne.126

126 - “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.“ Realmente, a quantidade e a diversidade dos trabalhos ali expostos indicam logo que se trata de um trabalhador infatigável, de um espírito estudioso e descriminador (sic), de um artista apaixonado da arte que abraçou e cujos segredos forcejou por descobrir ; e um exame mais demorado e mais atento das obras ali acumuladas traz a convicção de que não foram estéreis, antes extremamente producentes, os seus esforços durante os anos que passou no Velho Mundo.Os trabalhos expostos representam as várias fases de estudo do artista, desde os debu-xos a lápis e rápidos bosquejos a tintas, rápidos registros de impressões de momento, até os quadros de pintura de figura e às grandes telas idealistas, dos esboços de paisa-gens e de motivos de arquitetura aos desenhos sobre diversos ramos da arte ornamen-tal ; e todos revelam exuberantemente a aplicação do jovem pensionista da Escola e o seu espírito de indagação ; traem mais a ação de numerosas e variadas influências e in-dicam o trabalho de seleção gradual do meio mais apropriado à expansão individual do seu talento. E apesar do resultado apresentado, não se pode ainda dizer que ele tenha já conseguido uma maneira, um estilo que pela concepção dos seus motivos e pela sua execução afirme uma individualidade marcada. Vê-se que ele tocou em tudo e tudo ten-tou estudar, levado pelo espírito de curiosidade, muito natural em um moço desejoso de conhecer os elementos de sua arte, mas que está ainda incerto e indeciso sobre a di-reção definitiva a seguir, apesar das predileções recentes pela escola de arte decorativa moderna. ”

221

En soulignant l’esprit inquiet de Visconti, jeune artiste travaillant avidement à la

recherche de sa propre expression artistique, le journaliste pressentait que cette quête n’était

pas encore achevée. Avec beaucoup de justesse, il développa ensuite des considérations sur la

nouvelle école idéaliste adoptée par Visconti :

Examinons maintenant ses tableaux les plus modernes : Le ‘saint Sébastien’, exposé dans le Salon de 1898 ; la ‘Gioventú’ [fig.12], exposé dans le Salon de 1899 et présenté dans l’Exposition universelle de Paris l’année dernière où il remporta une médaille d’argent ; le tableau ‘Danse des Oréades’ [fig.16], lui aussi présenté dans l’Exposition universelle et primé également d’une médaille d’argent, et le tableau ‘Pedro Álvares Cabral guidé par la Providence’ [fig.17] exposé pour la première fois maintenant.

Dans ces toiles, on voit que M. Visconti s’est affilié à la nouvelle école idéaliste ou néo-romantique qui eut son origine en Angleterre, dont le représentant le plus éminent fut Burne-Jones, et dont l’influence se fit sentir de façon extraordinaire en Europe, entraînant l’apparition de plusieurs artistes admirables et délicats qui cherchent à traduire en peinture cet état de mysticisme, d’idéalisme, de spiritualité et de renaissance religieuse que l’on peut observer dans les esprits, et qui se fait sentir de façon remarquable dans la littérature contemporaine. Cette tendance est née comme une conséquence du mouvement préraphaélite qui, il y a déjà une cinquantaine d’années, révolutionna l’art anglais, influença jusqu’à l’art décoratif ou ornemental et fit apparaître les grands réformateurs de l’art décoratif William Morris et Walter Crane. En France surgit le grand Puvis de Chavannes, maintenant imité, ou plutôt suivi, par un grand cortège de prosélytes parmi les nouveaux artistes. La même forte influence se fait sentir en Allemagne et en Belgique.

Cette école est née en réaction aux tendances réalistes trop accentuées pendant les ultimes années du siècle dernier, et est venue pour donner une expression aux inclinations antiréalistes de la vie intérieure, de la même façon que le naturalisme était l’expression de la vie extérieure. Les artistes se sont tournés vers les primitifs, ils sont allés chercher dans l’archaïsme fondamental des Quattrocentistes et dans leurs émotions spiritualisées les modèles pour l’expression de leurs commotions. Ce sont les toiles de Carlo Crivelli,

222

de Botticelli, de Pollaiuolo qui les ont influencés. Aussi ont-ils subit l’influence des conceptions et des formes asiatiques, conséquence naturelle de la révélation de l’art japonais en Europe au long de la décennie de 1860.

Aujourd’hui, comme hier, les sujets qui inspirent les grands panneaux décoratifs sont les suivants : la religion, la mythologie, l’allégorie. Le seul but de l’art décoratif moderne est de produire des émotions sereines, mélancoliques ou mystiques, et puisque selon les artistes c’est cela la façon de sentir propre à l’époque moderne, ils affirment que leur tentative vise à exprimer l’émotion moderne. Mais la vérité c’est que l’art moderne, s’il doit vivre et perdurer, n’est pas obligé à se restreindre uniquement à la copie plus ou moins servile, plus ou moins habile, des oeuvres des autres époques ; mais, en profitant des éléments que ces époques ont laissés, aujourd’hui, alors que la technique est devenue plus parfaite et plus franche et que l’on jouit d’une plus grande liberté de sentiments et d’idées, il faut que dans les oeuvres des artistes modernes on éprouve une vibration nouvelle et qu’un sang nouveau et moderne y coule, et que chaque artiste s’efforce d’y laisser la marque de sa personnalité. Cela, Burne-Jones et Puvis de Chavannes l’ont fait, et voilà le but de tous les grands artistes modernes.(...). 127

127 - “ Notas sobre Arte ”, In : Jornal do Comércio, Rio de Janeiro, le 16 mai 1901.“ Tratemos agora dos seus quadros mais modernos : o S. Sebastião, que figurou no Sa-lon de 1898 ; a Gioventú, que figurou no Salon de 1899 e esteve na Exposição Univer-sal de Paris o ano passado, onde conquistou uma medalha de prata ; o quadro Dança das Oréadas, que também esteve na Exposição Universal e obteve igualmente uma me-dalha de prata, e o quadro Pedro Álvares Cabral guiado pela Providência, exposto pela primeira vez.Nessas telas, vê-se que o Sr. Eliseu Visconti se filiou à nova escola idealista ou neo-ro-mântica, que teve sua origem na Inglaterra, da qual foi o vulto mais eminente o grande Burne-Jones, e cuja influência se fez sentir tão extraordinariamente na Europa, dando ensejo ao aparecimento de tantos artistas admiráveis e delicados, que procuram parale-lamente traduzir na pintura esse estado de misticismo, de idealismo, de espiritualismo, de renascimento religioso que se observa nos espíritos e que tão salientemente se tem feito sentir na literatura contemporânea. Esta corrente nasceu como uma conseqüência do movimento pré-rafaelita , que há uns cinqüenta e tantos anos revolucionou a arte in-glesa, e se fez sentir até na arte propriamente decorativa ou ornamental, e do qual saí-ram os grandes reformadores da arte decorativa William Morris e Walter Crane. Em França surgiu o grande vulto de Puvis de Chavannes, que tem sido imitado, ou antes, que tem encontrado um grande séquito de prosélitos entre os novos artistas. E a mesma influência está se fazendo sentir fortemente na Alemanha e na Bélgica.Essa escola nasceu como uma reação às tendências realistas demasiado acentuadas dos últimos anos do século passado, e veio para dar expressão às inclinações anti-realistas da vida interna, como o Naturalismo o era da vida externa. E voltaram-se para os Pri-mitivos, foram procurar no arcaísmo angular dos Quatrocentistas e nas suas emoções espiritualizadas os modelos para a expressão das suas comoções. Foram as telas de Carlo Crivelli, de Botticelli, de Pollaiuolo, que os influenciaram. Também sofreram a influência de concepções e formas asiáticas, conseqüência natural da revelação da arte japonesa na Europa na década que começou em 1860.

223

On remarque dans les affirmations du journaliste contemporain de Visconti la

valorisation du langage personnel de chaque artiste et l’attente d’une élaboration d’expressions

nouvelles dans les oeuvres contemporaines. Il indique par là le chemin à suivre, et dénonce le

péril d’adopter, sans réflexion, les principes d’une école.

Un deuxième article de journal de l’époque est aussi très intéressant, car en même

temps qu’il nous présente une seconde analyse contemporaine des oeuvres de Visconti, il

atteste la réussite de l’artiste au Brésil, deux années après son retour d’Europe. Il s’agit d’une

coupure de journal conservée par Tobias Visconti, fils du peintre, datant probablement de mars

1903, car l’article concerne l’exposition de Visconti au salon du Banco Constructor à São

Paulo. Le journaliste écrivit :

(...). Dans son exposition, on observe l’éclectisme de ses manières tout au long de neuf années, période pendant laquelle toutes les toiles exposées ont été peintes.

Depuis le nu, réalisé selon le style ancien, simplement copié du modèle, sans idéalisation, jusqu’à la figure mystique de la Foi [fig.11], stylisée et exécutée dans la gamme de la palette de l’école nouvelle ; depuis les frais paysages, quelques-uns touchés avec la délicatesse de Ruysdaël, d’autres avec la robustesse de Turner, jusqu’aux taches vaporeuses où le peintre tient plus à la poésie de l’effet qu’au dessin ; et finalement ces travaux d’art décoratif qui dénotent l’enthousiasme d’un tempérament d’artiste qui cherche à donner à son art l’intention d’une action sociale, ou morale. Enfin, tous les travaux exposés montrent, à ceux qui sauront les examiner dignement, l’histoire d’une âme d’artiste riche de sentiment, en quête de son idéal, l’évolution progressive d’un exquis tempérament artistique. (...).

Sans discuter du mérite de l’école qu’il adopta dernièrement, nous dirons que Visconti s’est imposé dans notre milieu artistique restreint comme l’une de ses individualités les plus caractéristiques.

(...). Au lieu de se servir des extravagances qui caractérisent la préoccupation morbide de faire nouveau, des contorsions angoissées du

Atualmente, como outrora, os assuntos que inspiram os grandes painéis decorativos são : a religião, a mitologia ou a alegoria. A pintura decorativa moderna só visa a pro-duzir comoções de natureza serena, melancólica ou mística e como, dizem eles, é este o modo particular de sentir moderno, afirmam que a sua tentativa é para exprimir a co-moção moderna. A verdade é, porém, que a arte moderna, se tem de viver e perdurar, não tem de cingir-se unicamente à cópia mais ou menos servil, mais ou menos hábil, das obras das outras épocas ; mas, aproveitando-se dos elementos que essas épocas deixa-ram, agora, que a técnica se tornou mais acabada e mais franca, e que há mais liberdade de sentir e de pensar, é necessário que nas obras dos artistas modernos se sinta uma vi-bração nova e correr um sangue novo e moderno, e que cada artista se esforce por dei-xar marcada a sua personalidade. Foi isto o que fizeram Burne-Jones e Puvis de Cha-vannes, e é este o objetivo de todos os grandes artistas modernos. (...). ”

224

dessin, de l’exagération et de la furie de l’agitation des figures, de l’orchestration violente du coloris, Visconti a imprimé dans la presque totalité de ses travaux cette sérénité, ce calme qui, selon les dires de Ruskin, est l’attribut de l’espèce la plus élevée des arts. Il a obtenu des effets merveilleux, en évoquant chez les spectateurs de ses toiles cette impression qui nous amène à penser plutôt à l’âme de la créature et à sa physionomie qu’à son corps. (...). 128

On arrive à la fin de l’analyse des oeuvres réalisées lors du premier séjour de Visconti

à Paris. L’étude de sa production nous a permis d’approcher la compréhension de son

tempérament d’artiste et l’évolution de sa peinture. On a vu comment, dès ses premières

études, il

128 - Coupure de journal conservée par Tobias Visconti. Malheureusement, la coupure ne contenait ni le titre de la publication, ni la date. Cependant on peut situer cet article au mois de mars de 1903, occasion de l’exposition commentée par le journaliste.

“ (...). Na exposição que ele faz, vê-se o ecletismo de suas maneiras, através de um pe-ríodo de nove anos, que tanto é o espaço de tempo em que foram pintadas todas as te-las expostas.Desde o nu, feito no estilo antigo, copiado simplesmente do modelo, sem idealizações, até a figura mística da Fé [fig. 11], estilizada e feita com a gama da palheta da escola nova, desde as paisagens frescas, tocadas umas com delicadezas de Ruysdaël, outras com a robustez de Turner, até as manchas vaporosas procurando a poesia do efeito de preferência ao desenho, e por fim, os seus trabalhos de arte decorativa, que denotam o entusiasmo de um temperamento de artista, procurando dar à sua arte um intuito de ação social, ou moral, enfim, todos os trabalhos expostos mostram, para quem saiba dignamente examiná-los, a história de uma alma de artista rica de sentimento, em busca do seu ideal, o progressivo desenvolvimento de um requintado temperamento artístico.(...). Sem discutir o mérito da escola por ele adotada ultimamente, diremos que Viscon-ti se firmou no nosso restrito meio artístico como uma das individualidades mais carac-terísticas.(...). Sem lançar mão das extravagâncias que caracterizam a preocupação mórbida de fazer novo, das contorções angustiadas do desenho, o exagero e a fúria da movimenta-ção das figuras, a orquestração violenta do colorido, imprimindo, em vez disso, em quase todos os seus trabalhos, aquela serenidade, aquela calma que, no dizer de Ruskin, é o atributo da mais alta espécie de artes, ele soube tirar efeitos maravilhosos, evocan-do em quem contempla as suas telas essa impressão que nos leva a pensar mais na alma da criatura e na sua fisionomia, do que no seu corpo. (...). ”

225

s’est efforcé de maîtriser le métier, en cherchant en même temps à exprimer ses

sentiments à travers ses oeuvres. Il devient clair que lorsqu’il subit l’influence préraphaélite, ses

emprunts étaient le résultat d'une recherche personnelle, et non pas quelque chose d'artificiel.

Aussi a-t-on vu qu’après son séjour d’études en Europe, de retour au Brésil, il fut

loué par la presse, et jouit de la reconnaissance publique de son travail. Cette reconnaissance a

joué favorablement lorsqu’il fut appelé à décorer le Théâtre municipal de Rio de Janeiro en

1905. On verra que pendant la réalisation de ces décorations, sujet abordé dans le prochain

chapitre, son style subira de nouveaux changements.

226

6.2 - Les peintures décoratives du Théâtre municipal de Rio de Janeiro

Dans son livre sur les artistes brésiliens, Acquarone raconte que, lors d’une visite à

l’atelier de Visconti, situé au centre de Rio de Janeiro, le peintre, qui jouissait alors de la

notoriété issue d’une carrière longue et réussie, avoua tristement “ que le grand public ne

connaissait pas le côté grandiose, vraiment artistique de sa vaste production ”. Ce côté

‘vraiment artistique’, le peintre voulut le lui montrer, et Acquarone relate :

(...) en ouvrant de vieux cartons rangés soigneusement dans des armoires vitrées, [Visconti] exhiba à nos yeux extasiés, éblouis, de grandes photographies de ses décorations, réalisées surtout dans le Théâtre municipal de Rio et dans le palais du Conseil municipal.

(...), il nous a montré ensuite plusieurs esquisses à l’huile, des croquis au fusain, une infinité d’études, (...), tracés avant l’exécution définitive de ces travaux. (...).

- L’oeuvre d’un artiste - nous disait Visconti - doit être toujours présentée avec la reproduction de ce qu’il possède de meilleur : ses compositions ou ses décorations. Un nu, un paysage ou un portrait ne sont pas suffisants pour faire connaître le potentiel créateur d’un artiste.129

On voit que Visconti lui-même considérait ces peintures décoratives comme la partie

la plus importante de son oeuvre. En effet, on sait que les décorations du Théâtre municipal de

Rio de Janeiro lui ont coûté énormément de travail, de temps et d’efforts. Le résultat de son

dévouement fut heureux et les peintures qui décorent l’intérieur du théâtre sont reconnues par

tous les historiens et critiques d’art brésiliens comme une oeuvre majeure.

129 - ACQUARONE, F. Mestres da Pintura no Brasil. Editora Paulo de Azevedo, Rio de Ja-neiro. (p.p. 184 -185).

“ Subindo, certa vez, os dois andares do seu atelier, na Avenida Mem de Sá, ouvimos a opinião do mestre a respeito do falso conhecimento dos artistas, por parte do público. (...). Confessou contristado, que o grande público não conhecia o lado grandioso, ver-dadeiramente artístico de sua extensa produção. / E desembrulhando velhas pastas guardadas cuidadosamente em armários envidraçados, exibiu aos nossos olhos extasia-dos, deslumbrados, grandes fotografias de suas decorações realizadas, principalmente, no Teatro Municipal do Rio e no palácio do Conselho Municipal. / Percorrendo o ateli-er, mostrou-nos depois, vários esbocetos a óleo, croquis a carvão, uma infinidade de estudos, em suma, traçados antes da execução definitiva daqueles trabalhos. (...) - A obra de um artista - dizia-nos Visconti - deve ser sempre apresentada com a reprodu-ção do que ele tenha de melhor : suas composições ou suas decorações. Um nu, uma paisagem ou um retrato não são o bastante para dar uma idéia do potencial criador de um artista. ”

227

Visconti fut appelé trois fois à réaliser des peintures décoratives destinées au Théâtre

municipal de Rio de Janeiro. La première fois en 1905, la deuxième en 1913 et la troisième et

dernière en 1934.

En 1905 le théâtre n’était qu’un projet, et Visconti fut invité à exécuter les

décorations de la salle de spectacles : le rideau d’avant-scène, la frise sur le proscenium, deux

écoinçons qui décorent une partie du plafond, et le plafond proprement dit, en forme d’ovale.

Toutes ces commandes, réalisées à Paris, étaient prêtes en 1907, l’année où Visconti revint à

Rio pour les installer dans leur emplacement définitif 130.

En 1913 Visconti fut appelé à réaliser, cette fois-ci, les peintures décoratives

destinées au foyer du théâtre. Cette décoration se compose de trois parties : un grand motif

central qui décore le plafond et deux autres plus petits qui décorent les murs latéraux du foyer.

De nouveau le peintre exécuta ces commandes à Paris et, en 1915, il revint au Brésil afin de les

installer131.

En 1934 la salle de spectacles du théâtre a été agrandie, et Visconti a dû peindre une

nouvelle frise décorative sur le proscenium. Cette fois-ci il exécuta tout le travail à Rio de

Janeiro et, en 1936, les peintures étaient entièrement marouflées sur les murs du théâtre.

La technique employée par Visconti pour ses peintures décoratives a toujours été le

marouflage. Les peintures exécutées sur toile étaient ensuite marouflées sur les murs auxquels

130 - En avril 1906, Visconti signa le contrat à Rio de Janeiro s’engagent à exécuter toutes ces oeuvres jusqu’au 31 mai 1907, sauf pour le rideau d’avant-scène qui devrait être prêt le 10 septembre 1907. On sait que ce délai fut à peu près respecté, car le 28 octobre 1907, Visconti arrivait à Rio pour les installer dans le théâtre.

131 - D’après une lettre du 13 Février 1913 (document n.), où le Directeur général du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, Francisco de Oliveira Passos, informe Eliseu Visconti des conditions du contrat d’engagement du peintre pour réaliser les peintures décoratives du foyer du théâtre, on est renseigné des détails suivants : le 4 janvier 1913, le Préfet de Rio de Janeiro accepta la proposition du peintre pour exécuter la décoration du plafond, des tympans et de médaillons sur les portes du foyer ; le délai pour la conclusion de la commande était de 36 mois à compter du 13 Février 1913, c’est-à-dire que les peintures devraient être marouflées jusqu’au 13 Février 1916 sur les murs du théâtre.

D’après les cahiers de notes de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, on sait que le 27 septembre 1915, le peintre partait de Paris pour venir installer les oeuvres à Rio. Le travail de marouflage a été définitivement accompli le 18 Mars 1916. Le 5 Avril de la même année Visconti retournait à Paris, où l’attendaient sa femme et ses enfants.

228

elles étaient destinées. Cette technique pour ce type de décoration était très répandue en

France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle132.

Avant de passer à l’analyse de l’oeuvre, étant donné que ces peintures de Visconti

ont été conçues pour être placées dans un édifice public, le Théâtre municipal de Rio de

Janeiro, il est nécessaire de dire quelques mots sur ce théâtre et la signification qu’il a eu pour

les habitants de Rio à l’époque de sa construction.

132 - “ (...) les peintures sur toile marouflées sur un mur [ont été] de loin la technique la plus fréquemment utilisée en France au XIXe siècle, (...). ” [VAISSE, Pierre. La troisième République et les peintres, (p.175).]

229

6.2.1 - Le Théâtre municipal de Rio de Janeiro vu par les contemporains - modernité, splendeur et influence française

Dès que j’y suis entré, j’ai vibré vivement surpris. Je voyais tous les jours le Théâtre municipal de l’extérieur. Je l’ai vu depuis le début : les maisons vétustes mises à bas, la première pierre, les premiers piliers, les coupoles qui s’élevaient, les colonnes qui grandissaient, jusqu’au jour où l’aigle dorée, dominant l’édifice, déploya largement ses ailes dans un ciel d’azur. (...). Mais le théâtre vu de l’extérieur, l’impression produite n’était pas surprenante. Il s’agissait d’un théâtre riche, il est vrai, capable de rivaliser avec d’autres grands théâtres dans le monde, mais il ne m’a jamais paru comme un rival puissant, de cette espèce qui fait peur, que l’on redoute. (...).

Et lorsque je suis entré, j’ai reçu un choc qui m’a surpris. Voilà quelque chose de vraiment fulgurant. On était presque dans la pénombre : les feux étaient éteints. Mais subitement la maison sembla trembler sous mes yeux, une palpitation, un éclair, et partout, sereines et scintillantes, des lumières rayonnaient comme une pluie soudaine. Il faisait plus clair que le jour. Le grand escalier s’est dénudé tout en marbre vert veiné, frisé, large, estompé par la lumière tamisée venue de tous les côtés en faisceaux lumineux fantasques, irisé, brillant dans son faste de pierre, tel un de ces escaliers fabuleux des palais de fées.

[V.C. « Theatro Municipal » , In : A Illustração brazileira, n.4. le 15 juillet 1909]133

En 1905 Visconti, qui se trouvait en France, reçut une lettre datée du 16 juin dans

laquelle Francisco Guimarães lui adressait ces mots :

133 - V.C. “ Theatro Municipal ”, In : A Illustração brazileira, n.4. 15 de julho de 1909.“ Logo ao entrar vibrei de surpresa. Aqui por fora eu via todos os dias o Theatro Muni-cipal. Vi-o desde o começo : a casaria vetusta posta abaixo, a primeira pedra, os pri-meiros pilares, as cúpulas que se íam erguendo, as colunas que se íam avolumando, até que um dia a águia dourada, dominando o edifício, abriu rasgadamente as asas pelo céu azul. (...). Mas aqui de fora a impressão não era surpreendente. O teatro parecia-me um teatro rico, é verdade, tomando ares de rival de outros grandes teatros do mundo, mas nunca me pareceu um rival poderoso, desses que fazem medo, que a gente teme. (...). E ao entrar tive um choque de surpresa. Aquilo estava deveras fulgurante. Era quase a meia sombra : o teatro estava apagado. Mas de súbito a casa pareceu-me estremecer aos meus olhos, uma palpitação, um relâmpago e por toda parte, serena e cintilante-mente , luzes irradiavam em chuveiro. Estava mais claro que o dia. A larga escadaria desnudou-se toda de mármore verde raiado, frisada, ampla, esbatida pela luz que se pe-neirava por todos os lados em focos bizarros, irisada, brilhando no seu fausto de pedra, como uma dessas escadas fabulosas dos palácios de fadas. ”

230

Mon cher ami M. Visconti,

Je sais (...), par les journaux, que vous exposez deux beaux portraits au Salon. Je vous souhaite mille satisfactions.

L’ingénieur Francisco de Oliveira Passos, auteur du projet et constructeur du Théâtre municipal, m’a chargé de vous écrire pour vous demander votre aide dans l’exécution de cette oeuvre qu’il désire digne de la belle capitale que deviendra Rio de Janeiro. Le théâtre est en construction et il grandit à vue d’oeil, ce sera une merveille. Passos dit à bon droit : l’idée principale m’appartient, mais je veux que les artistes brésiliens dignes de ce nom laissent le leur inscrit sur cette oeuvre. Il m’a demandé quels étaient, à mon avis, les artistes capables de décorer le théâtre. Je lui ai dit, devant plusieurs personnes connues, et plus tard chez moi : - ‘Je n’en connais que deux : Visconti en premier lieu, et Henrique Bernardelli en second. - Mais Visconti n’est pas là. - Tant mieux, il est à Paris, en train de rafraîchir et de consolider ses idées, bref, en train de vivre. Personne d’autre n’apportera de meilleurs projets. Vous êtes donc autorisé à écrire à Visconti en lui disant de venir, et qu’il nous apporte dès maintenant quelques idées, parce que je vais lui confier des décorations importantes pour le théâtre.’

J’ai déjà communiqué mon initiative à votre frère Ângelo, et aujourd’hui à notre ami Vieitas qui en est radieux. [Vieitas était le marchand des oeuvres de Visconti à Rio].

Ma mission est accomplie et j’espère qu’elle sera couronnée de succès, pour le bien de l’art brésilien dont l’ami est un ornement brillant. (...).

Francisco Guimarães. 134

134 - Lettre conservée par Tobias Visconti.“ Rio, 16 de Junho de 1905

Meu caro amigo e Sr. Visconti,Sei por seu irmão que goza de excelente saúde, e, pelos jornais, que tem expostos dois belos retratos no Salon. Desejo-lhe mil venturas.O engenheiro Francisco de Oliveira Passos, autor do projeto e construtor do Teatro Municipal, encarregou-me de escrever-lhe pedindo o seu auxílio na execução dessa obra que ele deseja que seja digna da bela capital que será o Rio de Janeiro. O teatro está se fazendo e cresce a olhos vistos, e vai ser um primor. O Passos diz e, com ra-zão : a idéia principal é minha mas quero que os artistas brasileiros dignos desse nome, liguem os seus nomes à obra. Perguntando-me quais eram na minha opinião os artistas capazes de decorar o teatro, eu disse em presença de várias pessoas conhecidas, e mais tarde em minha casa : - Só conheço dois : o Visconti, em primeiro lugar, e o Henrique Bernardelli em segundo. - Mas o Visconti está longe. - Tanto melhor, está em Paris, re-frescando e consolidando as idéias, vivendo enfim. Ninguém como ele trará melhores projetos. - Pois você está autorizado a escrever ao Visconti dizendo-lhe que venha e que traga já algumas idéias, porque eu vou incumbi-lo de decorações importantes para o teatro. Já comuniquei esta minha iniciativa ao seu irmão Ângelo, e hoje ao nosso amigo Viei-tas que ficou contentíssimo.

231

Cette lettre, qui nous éclaire sur la façon dont Visconti fut choisi comme l’un des

peintres invités à décorer le théâtre, nous introduit aussi dans l’atmosphère régnante lors des

transformations que subissait la ville de Rio de Janeiro, à ce moment-là135. La construction du

Théâtre municipal, qui débuta en 1905 et se termina en 1909136, faisait partie d’une série de

grands travaux d’aménagement de la capitale, entamés par le préfet Pereira Passos et qui ont

duré de 1903 à 1906. Ces travaux consistaient en l’ouverture de certaines avenues, la

démolition de quartiers insalubres, l'embellissement et l'assainissement de l’espace urbain.

Toute cette transformation physique de la ville fut accompagnée d’une réglementation

ordonnant les habitudes et les moeurs des citoyens sur la voie publique, ce qui dénote un désir

de moraliser les rapports sociaux137. Pereira Passos, dont le but était de “ civiliser ” Rio de

Janeiro, à l'époque capitale du Brésil, s’inspira des travaux réalisés par Haussmann à Paris, ville

moderne s’il en fut.

Está cumprida a minha missão e espero que será coroado de êxito, para bem da arte brasileira, da qual é o amigo ornamento brilhante. (...). Adeus. Até breve. Disponha do (...) admirador e amigo,Francisco GuimarãesQuitanda, 85. ”

135 - Deux passages de cette lettre sont particulièrement significatifs : tout d’abord celui où Francisco Guimarães relate sa conversation avec Oliveira Passos. On observe que le fait de se trouver à Paris apparaît comme un atout pour le peintre. En réponse à l’objection d’Oliveira Passos qui voyait dans ce fait un problème, Francisco Guimarães affirma : “ tant mieux, il est à Paris, en train de rafraîchir et de consolider ses idées, bref, en train de vivre ”. Et il ajouta : “personne d’autre n’apportera de meilleurs projets ”.Le second passage à être souligné est celui qui exprime le désir d’Oliveira Passos de faire du théâtre une oeuvre “ digne de la belle capitale que deviendra Rio de Janeiro ”. Ces mots résument les aspirations qui ont nourrit l’esprit des grands travaux d’aménagement de la ville.

136 - Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro. Códice 50 - 3 - 9 - A137 - À propos du remodelage de la ville de Rio de Janeiro sous l’administration de Pereira

Passos, voir BENCHIMOL, Jaime Larry. Pereira Passos - Um Haussmann Tropical. As Transformações Urbanas na Cidade do Rio de Janeiro no Início do Século XX. Rio de Janeiro, COPPE-UFRJ, 1982.

232

Pour bien comprendre comment les habitants de Rio ont reçu les transformations de

leur ville, il convient de citer un extrait de la presse de l’époque. La revue A Illustração

brazileira publiait, le lendemain de l’inauguration du Théâtre municipal, une photographie du

lieu où fut édifié le théâtre avant sa construction de celui-ci, et à propos de cette image le

journaliste écrivait :

La gravure à côté montre ce qu’était en 1903, il n’y a que six ans, le lieu où aujourd’hui s’élève à Rio de Janeiro, le somptueux Théâtre municipal.

On observe dans cette photographie l’aspect colonial de ce lieu - le largo da Mãi do Bispo, la perspective de la rue Treze de Maio, qui était très étroite, bordée de sordides taudis formant des lignes brisées, avec des murs lépreux et vacillants, des kiosques et des réverbères démodés.

Dans l’espace de six ans il y eu une mutation complète. Cet endroit qui rappelait le temps des chaises à porteurs et du vice-roi, s’est transformé en une perspective d’ultra-civilisation qui ne peut être comparée qu’à Paris.

Aujourd'hui, il doit être difficile pour beaucoup de cariocas de reconnaître l’aspect vénérable et archaïque de notre photographie. Comment se souvenir de ce tas de toits à la chinoise, de ces lignes disgracieuses, de la chaux noircie des murs séculaires, face à l’or resplendissant, aux courbes grandioses, aux marbres et aux lumières du monumental théâtre.

Le largo da Mãi do Bispo ! Aujourd’hui, il est devenu l’une des places les plus élégantes qui bordent l’Avenue Maravilha138, le point de rencontre de toute l’élite de la capitale de la République les nuits de spectacle. Les maisons vétustes, la ruelle irrégulière, les kiosques, les tuiles couvertes de moisissure ont disparus dans le passé, et le carioca, habitué en quelques mois au confort, au luxe, à la beauté de la ville moderne, n’a même plus dans la rétine la vision de ce que furent ces rues.

La vieille ville est morte. ‘Les morts vont vite’.139

138 - ‘Maravilha’ signifie merveille. Le peuple surnomma ainsi l’Avenue Central, avenue au tracé rectiligne ouverte par Pereira Passos et dont le nom actuel est Avenue Rio Branco.

139 - A Illustração Brazileira, n. 4. Rio de Janeiro, le 15 juillet 1909.“ O Teatro Municipal há 6 anos - A gravura ao lado mostra o que era em 1903, há seis anos apenas, o local em que hoje se ergue, no Rio de Janeiro, o suntuoso Teatro Muni-cipal.Vê-se na fotografia o aspecto colonial que tinha então esse ponto - o largo da Mãi do Bispo, a perspectiva da rua Treze de Maio, que era estreitíssima, ladeada por casebres sórdidos, formando linhas quebradas, com muros leprosos e vacilantes, quiosques e re-vérberos antiquados.Em seis anos houve uma mudança mais completa. Aquele trecho que relembrava o tem-po das cadeirinhas e do Vice-Rei, transformou-se em uma perspectiva de ultra-civiliza-ção que só pode ser comparada a Paris.

233

On observe que les transformations étaient perçues comme un progrès extrêmement

positif et désiré. Dans l’imagination des contemporains, elles faisaient de Rio une ville

comparable à Paris. Les vieilles maisons coloniales démolies sont dépeintes par le journaliste

comme un exemple du retard dans lequel se trouvait la ville avant les grands travaux. Le

Théâtre municipal était un symbole de la modernité et de la civilisation importées de Paris. On

sait que cette vision ne reflète qu’un point de vue : celui de la bourgeoisie, désireuse d’avoir

une ville digne de l’image projetée par les capitales européennes. La réforme entamée par

Pereira Passos visait aussi l’éloignement des classes défavorisées du centre de la ville. Les

questions de fond n’étaient pas abordées, les problèmes sociaux étant simplement masqués par

les travaux d’aménagement. Mais la vision prédominante était celle de l’élite carioca. Pour

illustrer encore une fois ce point de vue, lisons quelques extraits expressifs du discours du

poète Olavo Bilac, le jour de l’inauguration du théâtre :

Le théâtre est encore aujourd’hui le salon noble de la ville, son forum social, l’arène élégante où s’engagent les tournois de la mode, de la grâce, de la conversation et de la courtoisie.

Par conséquent, afin de l’enrichir de charmes, tous les arts s’allient et s’efforcent. (...) pour le parer, se rassemblent l’ingénierie, l’architecture, la peinture, la sculpture, l’ébénisterie, la céramique, (...). C’est qu’en lui habite toute la vie civilisée ; tout ce qu’elle possède de sérieux et d’aimable, de fort et de tendre, d’éblouissant et de charmant se résume et se condense dans son intérieur : sur la scène règne la pensée, dans la salle règne la beauté...

Hoje deve até ser difícil a muitos cariocas reconhecer o aspecto venerável e arcaico de nossa fotografia, como recordar esse amontoado de telhados à chinesa, essas linhas desgraciosas, a cal negra dos muros seculares, diante do ouro refulgente das curvas grandiosas dos mármores e das luzes do monumental teatro.O largo da Mãi do Bispo ! Hoje é uma das praças mais elegantes que ladeiam a Aveni-da Maravilha, é o ponto de encontro de toda elite da capital da República, nas noites de espetáculo. Desapareceram no passado a casaria vetusta, a viela irregular, os quios-ques, as telhas cobertas de limo e o carioca acostumado em alguns meses ao conforto, ao luxo, à beleza da cidade moderna, já nem sequer tem na retina a visão do que foram aquelas ruas.A cidade velha morreu. Les morts vont vite. ”

234

Il te manquait ce palais, ville aimée ! Dans ta renaissance splendide, il manquait cette affirmation de ton génie artistique ! Et moi, je bénis (...) ta couronne de reine! 140

Dans son langage emphatique, Olavo Bilac parle de la ville de Rio de Janeiro comme

d’une femme aimée, et le Théâtre municipal devient la couronne de cette femme souveraine.

On a voulu citer ces écrits de l’époque dans un effort pour saisir tout ce que le

Théâtre municipal a pu signifier pour les gens qui ont assisté à sa construction et à son

inauguration. Aujourd’hui il fait partie du paysage de Rio, et l’on oublie facilement les enjeux

symboliques qui étaient présents lors de son édification. En relisant ces extraits de textes

contemporains, on situe les peintures décoratives de Visconti dans le contexte de la période de

leur réalisation.

140 - O Jornal. Rio de Janeiro, 14 - 07 - 1949. Discours prononcé par Olavo Bilac le 14 juillet 1909, à l’occasion de l’inauguration du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro.

“ (...). O teatro é ainda hoje o salão nobre da cidade, o seu fórum social, a arena ele-gante em que se travam os torneios da moda, da graça, da conversação e da cortesia.É por isto que, afim de enriquecê-lo de encantos, todas as artes se aliam e esforçam. (...) para ataviá-lo congregam-se a engenharia, a arquitetura, a pintura, a escultura, a marcenaria, a cerâmica, a indumentária. É que dentro dele reside toda a vida civilizada ; tudo quanto ela tem de sério e de amável, de forte e de meigo, de deslumbrante e de encantador, se resume e se condensa dentro dele : no palco impera o pensamento, na sala impera a beleza...Faltava-te este palácio, cidade amada ! No teu renascimento esplêndido, faltava esta afirmação do teu gênio artístico !

E eu abençôo (...) tua coroa de rainha ! ”

235

6.2.2 - L’Oeuvre et sa réalisation

La peinture n’a pas d’autre but que la délectation et la joie des yeux.

POUSSIN

[Notes d’Art - Paris, 24 / 11 / 1916. Epigraphe d’une coupure de journal conservée par Visconti]

Eliseu Visconti ne fut pas le seul peintre appelé à décorer le Théâtre municipal de Rio

de Janeiro. Cependant, la plus grande partie des commandes lui furent adressées. On a déjà

détaillé la liste des peintures décoratives qu’il exécuta pour ce théâtre. Rappelons-nous en:

De 1906 à 1907 il réalisa le rideau d’avant-scène (fig.21), la frise sur le proscenium,

deux écoinçons qui décorent une partie du plafond et le plafond proprement dit, en forme

d’ovale (fig.22)141.

De 1913 à 1915 il réalisa les trois peintures décoratives destinées au foyer du

théâtre : un grand motif qui décore le plafond (fig.23) et deux autres plus petits qui décorent

les murs latéraux.

Finalement, de 1934 à 1936 il réalisa la nouvelle frise sur le proscenium (fig.26), en

remplacement de la première.

On compte une période de trente ans du début de la première décoration (1906)

jusqu’à l’accomplissement de la dernière (1936). Malgré l’étendue de cet intervalle, on observe

que toutes ces peintures décoratives s’harmonisent, ce qui révèle une volonté délibérée de

Visconti dans ce sens. Cette volonté devient évidente lorsqu’il reprend la décoration du théâtre

en 1934. Dix-neuf années s’étaient écoulées depuis la réalisation de la décoration du foyer, et

des changements de style et de facture s’étaient produits dans sa peinture. Pourtant Visconti,

afin de garder l’harmonie de l’espace décoré, réalisa la nouvelle frise dans le même style des

décorations antérieures.

Cependant, une exception doit être signalée : parmi toutes les peintures exécutées

pour la décoration du théâtre, le rideau d’avant-scène (fig. 21) s’éloigne significativement des

141 - Le plafond est signé et daté de 1908, parce que l'oeuvre ne fut vraiment finie qu’après la mise en place dans le théâtre à Rio.

236

autres par le style et la conception. Cette oeuvre fut décrite par Visconti de la manière

suivante:

Rideau d'avant-scène : L’influence des arts sur la civilisation - Au milieu des champs élyséens qu’entoure une balustrade de marbre surmontée de statues antiques, un Arc de Triomphe se dresse : l’Art, un génie ailé, en émerge et domine le défilé d’hommes célèbres de tous les temps auquel la Poésie, au premier plan, préside.

Six sont les étapes de la composition :

Une louve et Minerve, Rome et Athènes, sont aux côtés de l’Arc de Triomphe, tandis qu’à droite on voit les figures d’Orphée et d’Homère qui précèdent une nouvelle période caractérisée par la statue de Saint Ambroise, le créateur de la musique sacré. Giotto et Dante le suivent et ouvrent la Renaissance avec l’apothéose de Palestrina qu’entourent Mantegna, les Bellini, Léonard de Vinci, le Titien, Raphaël, Michel Ange. Voici la 4eme

étape et ses hommes célèbres, Camões, Corneille, Racine, Shakespeare, Poussin, Rubens, Van Dyck, Velasquez, Rembrandt, Mozart, Reynolds et Gainsborough ; ils préparent le triomphe de Beethoven et des gloires de 1830. Victor Hugo, Berlioz, Wagner, Delacroix, Ingres, Meyerbeer, Menzel, Schopenhauer, Rossini et Verdi. Voici le Brésil, ses grands hommes, ses poètes, ses artistes, José Bonifácio, João Caetano, F. Manoel da Silva, Castro Alves, Casemiro de Abreu, Peregrino de Menezes, Vasques, maître Valentim et Gonçalves Dias ; puis, plus près, D. Pedro II, Pedro Américo, Victor Meirelles, Furtado Coelho, Almeida Júnior et F. O. Passos, architecte du théâtre, acclament Carlos Gomes que le peuple accompagne ; au-dessus de la foule plane la Science entraînant la Vérité.

A gauche de l’Arc de triomphe se trouvent symbolisés le monde spirituel et subjectif, la Papauté, la Religion, la Musique. 142

Cette description et l’observation de l’oeuvre elle-même nous amènent à

reconnaître que Visconti n’a pas été original dans la conception de son rideau d’avant-scène. Il

est vrai que le thème de la composition - l’influence des arts sur la civilisation - lui avait été

imposé lors de la commande de l’oeuvre. Ce fut peut-être ce sujet pompeux qui l’entraîna à

employer un style naturaliste et une iconographie propres à la peinture française contemporaine

destinée à la décoration des édifices publics. Pour réaliser son rideau d’avant-scène, Visconti

reprit un parti employé par les peintres dits ‘officiels’ de la période : l’idée des triomphes de la

Renaissance, des cortèges accompagnant un char où se tient le héros consacré entouré de

figures allégoriques143. Ce travail a demandé des efforts considérables de la part du peintre,

étant donné ses grandes dimensions, les exigences de la réalisation d’innombrables portraits, et

142 - Notice explicative sur les peintures décoratives du théâtre Municipal de Rio de Janeiro, 1907. La version originale de ces descriptions était déjà en français.

237

l’harmonisation de l’ensemble. Visconti surmonta toutes ces difficultés, mais on ne le sent pas

à l’aise dans cette composition trop hiératique et conventionnelle.

Malgré le respect des traditions, cette oeuvre de Visconti fut l’objet d’une polémique

diffusée par la presse de Rio de Janeiro. Ce fut en août 1907, après avoir ouvert son atelier au

public afin d’exposer ses peintures décoratives, que Visconti reçut, de la part de quelques

Brésiliens résidants à Paris, des critiques concernant le rideau d’avant-scène. Le 6 août 1907,

le Jornal do Commercio publiait l’article suivant :

M. l’ingénieur Oliveira Passos, directeur des travaux du Théâtre municipal nous écrit :

« La nouvelle selon laquelle quelques Brésiliens résidant à Paris ont demandé à l’éminent conseiller Ruy Barbosa d’intervenir auprès du Gouvernement brésilien afin d’obtenir la modification de la peinture du rideau d’avant-

143 - Il suffit de comparer cette peinture de Visconti aux décorations décrites par Pierre Vaisse dans son livre La Troisième République et les peintres pour se rendre compte de leur similitude. Voyons à ce propos le passage suivant :

VAISSE, Pierre. La Troisième République et les Peintres. Flammarion, Paris, 1995, (pp. 274, 275).

“ En 1884, Léon Glaize fut chargé par la Ville de décorer la salle des mariages dans la mairie du XXe arrondissement. Il couvrit entièrement le mur le plus vaste (...) d’un immense Triomphe de la République, daté de 1891. Deux ans plus tôt, Meissonier (...) proposa à la sous-commission des Travaux d’art (...) de peindre à la place [de la peinture qui lui avait été commandée pour le Panthéon, dont le sujet, Sainte Geneviève pendant le siège de Paris, ne l’inspirait pas] un Triomphe de la France, dont il avait tracé une esquisse (...). Les deux compositions reposent sur la même idée, celle des triomphes de la Renaissance, cortèges accompagnant un char où se tient l’allégorie glorifiée ; mais il est impossible, (...) de savoir si l’un des deux artistes inspira l’autre. Très complexe, mêlant les personnages réels aux figures allégoriques, la composition de Glaize était ainsi décrite dans le livret du Salon des Champs-Elysées de 1892 :

“ Guidée par la ville de Paris et entourée des villes de France qui lui font cortège, la République s’avance sur son char triomphal en appelant à elle ses enfants. À ses pieds sont assises la Liberté, l’Egalité, la Fraternité ; près d’elle se dresse la Vigilance que soutient la Force ; des figures allégoriques, qui symbolisent les dates mémorables de notre Révolution, forment l’avant-garde du cortège. En arrière, la Sagesse éloigne la Discorde. ”

238

scène du Théâtre municipal, sous prétexte que cette oeuvre constitue une caricature de notre pays et de son histoire, ce qui peut amener le public à croire que cette peinture a comme sujet notre pays et son histoire, m’a convaincu de l’opportunité de publier la description faite par Eliseu Visconti de son travail, description que j’ai approuvée, le 30 avril 1906.

D’après cette notice descriptive, (...) et d’après la photographie de l’esquisse approuvée le même jour, on vérifie que notre patrie est représentée dans le grandiose travail d’Eliseu Visconti, par Carlos Gomes, Francisco Manoel et João Caetano et par la masse populaire qui les accompagne. » 144

Il s’ensuit la description faite par Eliseu Visconti, déjà présentée plus haut. Après

cela, l’auteur de l’article ajouta l’information suivante :

Nos collègues du Jornal do Brasil ont publié hier, à ce propos, ce télégramme arrivé de Paris :

« Des membres de la colonie brésilienne se sont adressés à M. le Conseiller Ruy Barbosa en lui demandant d’intervenir auprès du Président de la République afin d’éviter l’achèvement du rideau d’avant-scène du Théâtre municipal, où le peintre Visconti représentait le Brésil artistique dans la figure de Sa Majesté l’Empereur, le défunt D. Pedro II, béant d’admiration devant le compositeur Carlos Gomes et entouré de personnes dans la même attitude, parmi lesquelles se trouve une négresse qui porte un plateau plein de bananes, outre d’autres attributs ridicules ou déprimants. » 145

144 - “ Várias ” du Jornal do Commercio, Rio de Janeiro, le 6 août 1907.“ Escreve-nos o Sr. Engenheiro Oliveira Passos, Diretor das Obras do Theatro Munici-pal :‘A notícia de que alguns Brasileiros, residentes em Paris, pediram ao eminente Sr. Con-selheiro Ruy Barbosa, para que interviesse junto ao Governo brasileiro, no sentido de ser modificada a pintura do pano de boca do Theatro Municipal, sob o fundamento que a mesma constitui caricatura do nosso país e sua história, podendo dar lugar a acredi-tar-se que esta pintura tenha por assunto o nosso país e sua história, traz-me a convic-ção de ser oportuno tornar pública a descrição feita por Eliseu Visconti do seu trabalho e por mim aprovada em 30 de Abril de 1906.Desta notícia descritiva, que junto encontrareis, assim como da fotografia do esboço, também aprovado na mesma data, verifica-se que a nossa pátria é apenas representada no grandioso trabalho de Eliseu Visconti, por Carlos Gomes, Francisco Manoel e João Caetano e pela massa popular que os acompanha.’ ”

145 - “ Várias ” du Jornal do Commercio, Rio de Janeiro, le 6 août 1907.“ Os nossos colegas do Jornal do Brasil publicaram ontem sobre este assunto o seguin-te telegrama de Paris :‘Membros da colônia brasileira dirigiram-se ao Sr. Conselheiro Ruy Barbosa, pedindo-lhe que interviesse junto ao Sr. Presidente da República, para que fosse evitado o

acabamento do pano de boca do Theatro Municipal, em que o pintor Visconti represen-tava o Brasil artístico na pessoa de Sua Majestade, finado Sr. D. Pedro II, boquiaberto

239

Il est évident que ce fut la négresse qui gêna le plus les plaignants. Ces critiques

montrent combien les préjugés étaient enracinés dans l’esprit de l’élite brésilienne de l’époque.

L’abolition de l’esclavage avait eut lieu en 1888. Presque vingt ans s’étaient écoulés, ce qui

n’était pas suffisant pour provoquer une évolution des mentalités. En tout cas, on observe que

ces critiques concernaient seulement la représentation des figures populaires sur le panneau. Il

s’agissait d’un débat secondaire et idéologique, la conception de l’oeuvre n’étant pas mise en

question. Cependant, l’épisode donna lieu à d’autres critiques plus approfondies concernant la

conception et la forme du travail de Visconti. Le 8 août 1907, le journal Diário de Notícias

publiait à la une le commentaire suivant à propos de la description officielle du rideau :

À mon avis, le jeune et sincèrement talentueux ingénieur Dr. Oliveira Passos, en donnant cette description [du rideau d’avant-scène], ne pouvait pas faire, je crois, une attaque plus dure en faveur de nos compatriotes de Paris. Après cette description, il devient immédiatement évident que le bel artiste Eliseu Visconti doit être le premier intéressé à soustraire aux regards du public cet insoutenable mélange artistico-historique, ce monstrueux bric-à-brac de couleurs que, selon la description, doit être ce rideau d’avant-scène du Théâtre municipal.

Il est sûr que personne n’arrive à imaginer l’ensemble de cette déplorable caricature d’allégorie dans laquelle, de façon décousue, sans la moindre raison d’être artistique ou même historique, Eliseu Visconti prétendit assembler des symboles de l’art, donner des idées philosophiques et commémorer des événements historiques, tout cela d’une façon disparate qui accuse une espèce d’ignorance avec prétentions à l’érudition d’un esprit cultivé, (...).

Parmi nos jeunes peintres Eliseu Visconti est l’un des plus véritablement dignes du nom d’artiste, par la délicatesse de son coloris, par la presque immatérialité de ses figurines délicieuses, par sa noble notion d’esthétique picturale. Cependant, il s’est attiré des complications et difficultés qui concernent plutôt les sciences sociales que l’art (...).

Il est probable que l’exécution et la composition de la toile révèlent cette délicatesse et la fine maestria qui caractérisent l’oeuvre d’Eliseu Visconti.

ante o maestro Carlos Gomes e rodeado de pessoas na mesma atitude, entre as quais uma preta mina, com um tabuleiro cheio de bananas, além de outros atributos ridículos ou deprimentes.’ ”

240

Mais en tant que conception, ce rideau d’avant-scène semble n’être qu’un chef-d’oeuvre du non-sens.146

Cette fois-ci, les critiques étaient plus sérieuses. Le journaliste a remarqué tout de

suite l’incongru des conventions que le peintre s’était imposées et qui l’éloignaient de son art.

Ce que l’on peut dire en faveur de Visconti est que son rideau d’avant-scène est représentatif

de l’époque. Ce début du XXe siècle est encore marqué par les questions propres à la fin du

siècle précédant, et cette exaltation de l’art et de la civilisation est très caractéristique de la

période. Dans un cahier de Visconti, on trouve cette note qui concerne sûrement le rideau

d’avant-scène :

La figure de l’art entraînant la civilisation. Cette figure doit servir de foyer lumineux.

Hommage à l’Art et à la Beauté. Elle peut être représentée sur une hauteur. Tous les arts, toutes les classes sociales viennent lui rendre tribut.

Esthétique. L’art qui est le beau, le vrai, le réel, l’idéal.147

Dans ces lignes Visconti fait sa profession de foi en l’art. La peinture du rideau

d’avant-scène peut être comprise comme un hommage sincère de l’artiste à tout

l’enseignement qu’il avait reçu dans l’Academia Imperial de Belas Artes. On y voit la

146 - Y. “ Opiniões Livres ”. In : Diário de Notícias, le 8 Août 1907.“ Ao meu ver, o jovem e sinceramente talentoso engenheiro dr. Oliveira Passos não po-dia fazer, penso, uma carga mais pesada em favor dos nossos compatriotas de Paris, do que dando essa descrição, de onde se evidencia logo que o belo artista que é Elyseo Visconti deve ser o mais empenhado em que se retire da apreciação do público essa in-suportável bacalhoada artístico-histórica, esse monstruoso angu de tintas coloridas que, pela descrição, deve ser o tal pano de boca do Theatro Municipal.Ninguém de certo chegou a imaginar de conjunto o que pode ser essa deplorável cari-catura de alegoria em que, sem a mais rudimentar razão de ser artística ou sequer histó-rica, Elyseo Visconti pretendeu fazer símbolos de arte, dar idéias filosóficas e comemo-rar acontecimentos da história, tudo disparatadamente, acusando uma espécie de igno-rância com pretensões a ilustração de espírito, (...).Elyseo Visconti é um dos moços de nossa geração de pintores mais verdadeiramente dignos do nome de artista, pela delicadeza do seu colorido, pela quase imaterialidade das suas figurinhas deliciosas, pela sua noção nobre de estética pictural. No entanto, meteu-se a complicações e dificuldades mais de ciência social do que de arte. (...).É de todo provável que a feitura e a composição da tela revelem aquela delicadeza e maestria fina que caracterizam a arte de Elyseo Visconti. Como concepção, no entanto, aquilo deve ser apenas uma obra-prima de não-senso. ”

147 - Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, boîte numéro 1. “ A figura da arte arrastando a civilização. Esta figura deve servir de foco luminoso. Homenagem à Arte e à beleza. Pode ser representada sobre uma altura. Todas as artes, todas as classes sociais vêm trazer o seu tributo.Estética. L’art qui est le beau, le vrai, le réel, l’idéal. ”

241

matérialisation de l’idéologie de l’élite cultivée de l’époque, sa croyance dans le progrès de

l’humanité et la glorification des grands hommes. La fâcheuse conséquence en est la

soumission de l’art à ces concepts intellectuels, car, sur son rideau, Visconti met l’art au

service de ces idées, il l’utilise pour exposer ces croyances, et en exalter les héros148.

Finalement, ce n’est pas l’art qui reçoit les tributs dont il parle, bien au contraire, l’art rend

tribut à la gloire de la civilisation et représente l’histoire comme une succession de

contributions au progrès de l’humanité.

Il semble que Visconti s’est acquitté d’un devoir en exécutant la peinture du rideau

d’avant-scène. Après quoi il s’est senti libéré pour réaliser les autres décorations du théâtre,

visiblement plus franches. On peut aussi comprendre cette différence comme due à

l’emplacement des peintures. Le rideau d’avant-scène se trouvant au même niveau que les

spectateurs, Visconti y respecte les conventions courantes dans la représentation du monde

réel. Les autres peintures sont placées en haut, et cela favorise une plus grande liberté de

création, car la distance du sol peut déjà symboliser un éloignement par rapport à la vie

quotidienne et ses conventions. Visconti ne se sentant plus soumis aux mêmes règles, réalisa

ces peintures selon ses propres sentiments.

D’ailleurs, on observe qu’en plaçant la représentation du monde spirituel dans la

partie supérieure du rideau d’avant-scène (fig.21), Visconti réussit à unir cette peinture aux

peintures qui décorent la frise sur le proscenium (fig.26) et le plafond de la salle de spectacles

(fig.22), décorations murales où l’on retrouve son esprit rêveur. Aussi, ce fut dans ces

peintures murales que Visconti adopta le procédé pointilliste, en peignant par petites touches et

en

148 - Pierre Vaisse, dans son livre La Troisième République et les peintres (p.302) souligne que “ par sa fonction, la peinture monumentale devait revêtir une signification d’un ordre plus général, une signification qui dépassât l’événement pur. (...). Des analyses récentes, en particulier les travaux de Jan Bialostocki, ont mis en évidence cet aspect de l’iconographie du XIXe siècle, cette transmutation du réel, présent ou historique, en symboles. L’un des procédés mis en oeuvre à cette fin, (...), consistait dans l’emploi de citations plastiques, la reprise de schémas de composition ou de motifs connus dans l’art religieux. ” La représentation symbolique et allégorique employée par Visconti dans son rideau d’avant-scène n’est pas sans rapport avec cet aspect de l’art décoratif de l’époque.

242

juxtaposant les tons de couleurs pures. Il obtint ainsi un résultat frais et lumineux, tel

qu’il l’avait admiré dans les décorations d’Henri Martin pour le Capitole de Toulouse (pl. 7 et

8). Quelques observations notées par Visconti prouvent l’intérêt que ces peintures, vues au

Salon des artistes français en 1906, avaient suscité en lui :

Salon de 1906Commencer à faire des portraits vus de loinC’est le moyen de simplifier les masses, voir large et d’ensemble

Salons

Evitez les partis-pris, voyez la nature, la belle nature. Evitez le chic, l'agréable, l'amusant, si vous voulez avoir du succès, soyez logique, évitez l'extraordinaire, comme au plafond, peignez blanc et rose. Il faut que t’en [sic] soit un poème de joie et de lumière.

Capitole de Toulouse de H. M. Toute sa peinture est vue de loin. Il modèle par valeur et non par le modelé lui-même. C'est ce qui donne simplicité. Toutes ces couleurs se mêlent depuis le premier plan jusqu’au dernier. L’air circule partout. Comme valeur, trois au maximum. Le mélange de couleur se fait par juxtaposition avec beaucoup de [...] et jamais fondues les unes dans les autres. C’est justement le résultat frais et lumineux que l’on obtient de sa peinture.149

Ces notes nous portent à l’imaginer en train de visiter le Salon, en même temps qu’il

réfléchit sur le grand travail qu’il devait accomplir : les décorations du Théâtre municipal à

Rio. En effet, lorsque Visconti écrivit ces pensées il était depuis peu revenu de Rio de

Janeiro150, où il avait signé le contrat qui l’engageait à exécuter ces décorations. Mais le plus

important c’est que, en écrivant ces mots, Visconti nous a laissé l’indication sûre de l’une des

sources où il a puisé son inspiration : les peintures décoratives d’Henri Martin pour le Capitole

de Toulouse.

Comme la plupart des décorations de l’époque, les peintures d’Henri Martin furent

exécutées sur toile, pour être ensuite marouflées sur les murs du Capitole. On sait que ces

149 - Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, boîte numéro 3. Cet extrait était originalement en langue française. Là où les mots étaient illisibles, on les a remplacés par les ‘[...]’. Il est évident que ‘H.M.’ est une référence à Henri Martin.

150 - Au-dessus de ces lignes, Visconti écrivit : “ Rio 1906. / Nous sommes partis de Rio avec Eliseu, Afonso et Deolinda le 2 mai 1906, à 10 h du matin. (...) ”. Le texte original était en portugais :

“ Rio 1906. / Saímos do Rio com o Eliseu, Afonso, Deolinda em 2 de maio 1906, 10h da manhã. (...).”[Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti. (Boîte n. 3).]

243

peintures ne furent mises en place qu’en 1914151. Cependant, en 1906 elles étaient déjà

achevées, et cette même année Henri Martin les exposa à Paris, au Salon des artistes français.

Une salle entière du Salon lui fut consacrée et le public a pu voir non seulement la totalité de

ses panneaux décoratifs, mais aussi les quatre-vingt-sept études, dessins ou esquisses, qui ont

été nécessaires à l’élaboration de l’ensemble.152

L’admiration de Visconti pour cette oeuvre concernait surtout le procédé

technique et l’effet obtenu. On a vu qu’il fit plusieurs observations à propos de la technique :

“ Il modèle par valeur et non par le modelé lui-même ” ; “ Toutes ces couleurs se mêlent

depuis le premier plan jusqu’au dernier ” ; “ Comme valeur, trois au maximum ” ; “ Le mélange

de couleur se fait par juxtaposition avec beaucoup de [...] et jamais fondues les unes dans les

autres ”. À cette analyse de la technique, Visconti ajouta des notes sur l’effet esthétique

procuré par ces procédés : “ L'air circule partout ” ; “ C'est ce qui donne simplicité ” ; “ C’est

justement le résultat frais et lumineux que l’on obtient de sa peinture ”.

On retrouve ces mêmes procédés techniques au Théâtre municipal de Rio, dans les

peintures qui décorent le plafond de la salle de spectacles (fig.22), le plafond et les murs du

foyer (fig.23), et la nouvelle frise sur le proscenium qui date de 1936 (fig.26) 153.

D’autre part, on remarque que Visconti ne fait pas allusion à la thématique

développée par Henri Martin. Cela est significatif car effectivement, sur ce point, Visconti

s’éloigne de la conception du peintre toulousain.

Les peintures qui décorent la salle ‘Henri Martin’ du Capitole de Toulouse

représentent Les travaux rustiques et Le Travail intellectuel. Les travaux rustiques se

151 - JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (p.54). “ C’est seulement au début de 1914 que les panneaux décoratifs peuvent enfin être installés dans le lieu pour lequel ils ont été conçus. ”

152 - JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (p. 52).

153 - Quant à la première frise de 1907, il est difficile de vérifier la facture de la peinture, puisqu’elle n’existe plus et la photographie en noir et blanc que l’on a pu trouver (fig.28), n’est pas très éclairante à ce propos. La description que Visconti fit de cette première frise est la suivante : “ Des Amours entraînent la Vertu vers la Poésie tandis que d’autres châtient le Vice : en exergue, un petit génie ailé déploie un ruban avec ce distique : erudere juventutem laboribus [instruire la jeunesse par le travail]. Au-dessous, une chaîne de montagnes et les silhouettes des cimes de Teresópolis, du Corcovado et de Tijuca”.

244

composent de quatre panneaux qui montrent les paysans occupés à leurs taches quotidiennes

pendant Le Printemps, L’Eté (pl.7), L’Automne et L’Hiver. Le travail intellectuel est constitué

de trois panneaux dont celui du centre, dénommé Les Rêveurs ou Les Bords de la Garonne

(pl.8), représente quelques personnalités de la région toulousaine se promenant, méditatives,

au bord du grand fleuve. Si l’on trouve un symbolisme quelconque dans ces images, il est très

discret, car cet ensemble montre plutôt des représentations réalistes. Il est vrai qu’avant de

réaliser les décorations du Capitole la production d’Henri Martin présentait un symbolisme

marqué où les muses pourvues de lyres et les allégories telles que le Silence ou la Douleur

étaient ses sujets de prédilection. En fait, l’ensemble du Capitole est sa première oeuvre

décorative où, selon l’expression employée par Claude Juskiewenski, “ aucune muse

n’encombre le ciel serein ”. Ce même auteur raconte que Les Faucheurs154 (pl.7) ont échappé

de justesse à cette présence puisque sur une esquisse de mise en place, une muse et un poète

tentaient de s’intégrer au paysage155. Ce fut le travail de préparation de ces peintures qui

entraîna Henri Martin à changer son premier projet. En fait, il plantait son chevalet devant les

lieux réels qui lui serviraient de décor, et ce travail sur le motif finit par le décider à éliminer

tout personnage allégorique de la composition.

L’abandon des allégories est une des caractéristiques des peintures décoratives à la

fin du XIXe siècle en France. Pierre Vaisse, dans son livre sur la peinture officielle de l’époque,

met en évidence ce changement d’orientation :

Nous avons souligné à plusieurs reprises l’abandon des allégories traditionnelles et des travestissements mythologiques au profit de représentations réalistes. Cette tendance ne s'est pas manifestée que dans les mairies parisiennes, (...). Les théâtres suivirent sensiblement la même évolution, quoique moins marquée : à l’Opéra, ce n’étaient qu’Apollons conduisant le choeur des Muses, (...), allégories de la Musique et de la Danse (...). Elles n’ont pas complètement disparues à l’Opéra-Comique, mais des scènes du répertoire les remplacent en partie. (...). À l’Opéra-Comique, les scènes peintes par Maignan sur le mur du foyer prolongent ou rappellent les heureux moments passés dans la salle (...). 156

A l’opposé de cette tendance à intégrer à la décoration des motifs tirés de la réalité

contemporaine, Eliseu Visconti, tout en adoptant le nouveau parti technique pointilliste, resta

154 - Les faucheurs est l’autre titre du panneau L’été.155 - JUSKIEWENSKI, Claude. “ La Salle Henri Martin du Capitole ”, In : Catalogue de

l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993, (pp. 58-59).156 - VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres. Flammarion, Paris, 1995,

(p.301).

245

fidèle à la tradition de la peinture décorative en ce qui concerne les sujets allégoriques. Sa

peinture du plafond de la salle de spectacles du Théâtre municipal (fig.22), réalisée sur une

large bande en ovale qui entoure le grand lustre du centre de la salle, représente le passage des

heures du jour. Visconti en donna la description suivante :

Plafond - Le passage du Jour - L’Aurore caresse le Jour, les Heures entrelacées passent et la Nuit apparaît suivie de la Croix du Sud. 157

L’aurore, le jour, les heures et la nuit sont représentés sous forme d’allégories, c’est-

à-dire comme des femmes nues qui évoluent gracieusement, dansant la main dans la main.

Cependant, l’allégorie apparaît ici comme prétexte à la réalisation d’une composition purement

décorative. En effet, cette suite de nymphes qui dansent nous rappelle, par son arrangement,

les frises au pochoir de La Plante et ses applications ornementales d’Eugène Grasset 158.

Visconti avait réalisé des exercices semblables (fig.28) dans le cours d’art décoratif de Grasset

à l’École Guérin, à Paris. Il n’est pas sans intérêt de reproduire ici quelques mots de Visconti

sur la composition décorative :

Quand on parle de composition décorative, on parle d’arrangement, d’ordre, de coordination de motifs naturels ou interprétés. La décoration est toujours utilisée et appliquée à une matière déterminée, c’est-à-dire au bois, au fer, à la pierre, à l’orfèvrerie, aux tissus, aux papiers peints, aux dentelles, etc. Orner, messieurs, signifie intéresser, rendre aimable non seulement la figure humaine, mais tout ce qui nous entoure. Des diverses branches des beaux-arts, la décoration est l’une des plus importantes. (...). La décoration possède plusieurs sources. La première est la géométrie ; la seconde, la flore ; la troisième, la faune et la quatrième est la figure humaine et tout ce qui nous entoure dans la vie. 159

157 - Notice explicative sur les peintures décoratives du Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, 1907. La version originale de ces descriptions était déjà en français.

158 - Le premier volume de La Plante et ses applications ornementales d’Eugène Grasset fut publié en 1897 à Bruxelles. C’est un in-folio de soixante-douze grandes planches coloriées à la main selon la méthode du pochoir, avec une introduction de Grasset. La disposition de l’édition originale était simple, chaque plante est d’abord peinte sur une pleine page à la manière des aquarelles botaniques. Les trois ou quatre planches suivantes sont consacrées à la mise en valeur des déclinaisons de couleurs et de formes de la planche principale. Exemple : la plante est d’abord peinte naturellement ; dans la planche suivante le dessin rappelle le vitrail, dans l’autre, un papier peint ; et la troisième montre une frise au pochoir.

159 - Manuscrits d’Eliseu Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte numéro 3). Ces morceaux se réfèrent au cours d’art décoratif organisé par Eliseu Visconti en 1934 et réalisé comme un cours de spécialisation universitaire attaché à l’Ecole Polytechnique de Rio de Janeiro.

246

En lisant ces propos de Visconti et en contemplant son Passage du Jour (fig. 22), on

se rend compte que ce plafond, beaucoup plus que le rideau d’avant-scène, est une oeuvre de

peinture décorative, au sens primitif du verbe décorer, du latin decorare, ‘orner’, ‘parer’. Ici,

Visconti n’a voulu ni nous instruire ni raconter d’histoire, cette peinture est là uniquement pour

“ la délectation et la joie des yeux ”. Sa préoccupation fut celle d’accorder l’ensemble au décor

de la salle, de coordonner les motifs décoratifs de façon à les rendre agréables à la vue. La

couleur claire et harmonieuse, appliquée en petites touches, est l’un des éléments

fondamentaux de cette décoration. On a vu que Visconti fit référence à ce procédé observé

dans les peintures d’Henri Martin, mais l’utilisation de tons clairs dans la peinture décorative

était adoptée par beaucoup d’autres peintres en France. C’est toujours Pierre Vaisse qui nous

fournit un renseignement important à ce propos. Après avoir affirmé que la peinture décorative

demandait des tons plus clairs que la peinture de chevalet, Vaisse s’explique :

L’exigence de clarté rejoignait là une exigence de lisibilité des formes, destinées à être vues de loin, dans un jour plus ou moins favorable - les occasions de passages qui résultaient de l’atténuation du modèle, de l’affaiblissement des contrastes de valeurs étant compensées dans presque toute la peinture décorative du temps par des contours marqués, un trait de redessiné, pour reprendre l’appellation technique.160

Eliseu Visconti employa ce procédé pour les peintures du Théâtre municipal de Rio

de Janeiro. Une ligne plus foncée contourne les figures féminines et facilite la lisibilité des

“ Quem diz composição decorativa diz arranjo, ordem, coordenação de motivos naturais ou interpretados. A decoração é sempre utilizável e aplicada a uma determinada matéria, ou seja, madeira, ferro, pedra, ourivesaria, tecidos, papéis pintados, rendas, bordados em geral. Ornar meus senhores é interessar, tornar amável não somente a figura humana, como tudo que nos rodeia. Do ramo das belas artes, a decoração é das mais importantes. (...). As fontes da decoração são várias. Primeira : a geometria. Segunda: a flora. Terceira: a fauna. Quarta: a figura humana e tudo mais que nos rodeia na vida. ”

160 - VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres, (p. 266).

247

formes, car parfois le contraste de couleur entre les figures et le fond n’est pas

suffisamment important. En utilisant ces moyens techniques répandus à l’époque, Visconti

arrive au résultat léger et attrayant propre à sa peinture décorative. Quelques phrases écrites de

la main de l’artiste nous amènent à suivre ses préoccupations lors de l’exécution de ce plafond

:

Ne montrez pas d’habileté.Peindre une forme entière, un bras entier, un torse, et non pas des morceaux. Que le modèle ne se trouve ni sous une lumière intense ni complètement dans l’ombre. Position de trois quarts, entourée de sympathie et couleur. Peindre chaud sans avoir peur, comme si l’on faisait une étude sans intérêt.La fuite des heures.Le plaisir allège les heures.Les heures présidaient les saisons. Vêtu de chiton dorique tirant des raisins, des épis, des rameaux fleuris.La nuit appartient à la pensée, le jour à l’action.L’aurore annonce le jour, précède le matin.161

Ces notes, jetées sur le papier comme pour l’aider à organiser sa pensée, mêlent le

savoir-faire du métier aux observations d’aspect philosophique ou poétique. Le plaisir allège

les heures : voici en quelques mots la douceur et la joie de cette peinture. Peindre chaud sans

avoir peur, comme si l’on faisait une étude sans intérêt : voilà les moyens, les conseils

techniques pour arriver au résultat désiré.

Son plafond est “ un poème de joie et de lumière ” 162 : ce sont les mots de Visconti

lui-même qui définissent le mieux cette peinture. Une grande simplicité domine la séquence

rythmée des figures. Mais il n’y a pas de monotonie, les formes qui se répètent se présentent à

161 - Manuscrits de Visconti conservés par son fils Tobias Visconti, (boîte numéro 1). Dans cet extrait, Visconti écrivit tantôt en portugais, tantôt en français, en passant d’une langue à l’autre presque sans s’en apercevoir.“ Ne montrez pas d’habileté.Pintar uma forma inteira, um braço inteiro, um tronco, e não pedaços. Que o modelo não es-teja em plena luz nem em plena sombra. Posição de três quartos, rodeado de simpatia e cor. Pintar quente sem medo como se estivesse fazendo um estudo, sem interesse.A fuga das horasLe plaisir allège les heures.As horas presidiam as estações. Vêtu de chiton dorique tirant des raisins, des épis, de rameaux fleuris.La nuit appartient à la pensée, le jour à l’action.A aurora anuncia o dia, precede a manhã. ”

162 - Voir la citation correspondant à la note de bas de page n.9.

248

chaque fois un peu différentes et reconstituent le mouvement de la danse. Le fond rayonnant en

courbes spiralées pointillées en jaune, bleu et rose vient renforcer l’évolution du ballet des

‘heures’, qu’on dirait des femmes-fleurs, leurs vêtements plissés et transparents faisant figure

de doux pétales.

Pour le public brésilien du début du siècle, la peinture décorative de Visconti se fit

remarquer surtout par son coloris éclatant et pointilliste. Tout au moins, c’est ce qu’affirme,

dans un article de journal de l’époque, un correspondant admiratif des peintures décoratives

réalisées par l’artiste en 1915. Huit ans après s’être acquitté des premières commandes,

Visconti était encore une fois à Paris et y réalisait les nouvelles peintures destinées au même

théâtre163. Cette fois-ci il s’agissait de la décoration du foyer (fig.23). Le journaliste était

présent lorsque Visconti exposa ses nouvelles peintures décoratives dans son atelier situé rue

Didot. Laissons-nous conduire par ce chroniqueur contemporain qui décrit ses impressions lors

de la visite à l’atelier du peintre :

Brésiliens à Paris

Décoration du ‘ foyer ’ du Théâtre municipal, par le peintre E. Visconti.

Octobre, 25.

Les admirateurs de M. Eliseu Visconti, parmi lesquels nous figurons tous, auront bientôt l’occasion d’admirer celui de ses travaux qui est peut-être le plus beau de tous : la décoration du ‘foyer’ du Théâtre municipal de Rio de Janeiro.

Dans son très vaste atelier de la rue Didot, où il travaille depuis plus de deux ans dans l’exécution de cette oeuvre que la Préfecture municipale lui a confiée (...), M. Eliseu Visconti accorda le charmant privilège de la contempler en avant première à la colonie de Brésiliens de Paris, devancée par M. le Ministre Olynto de Magalhães accompagné de son épouse, et par M. le Consul Souza Dantas, aussi bien que par d’autres membres de la Légation et du Consulat, le peintre Antônio Parreiras et les jeunes pensionnaires de notre Académie des Beaux-Arts, des fonctionnaires du Bureau d’Informations, des journalistes, des personnalités du monde artistique parisien, etc.

La décoration du ‘foyer’ est constituée de trois grands panneaux : celui du centre et les deux latéraux. En plus de ces oeuvres cependant, et des divers tableaux issus de l’activité artistique de Visconti, on voyait dans l’atelier les

163 - Entre 1908 et 1913, Visconti habita à Rio de Janeiro avec son épouse et ses enfants. Pendant cette période, il fut professeur de peinture à l’Escola Nacional de Belas Artes. Après avoir reçu les nouvelles commandes pour la décoration du Théâtre Municipal, il retourna à Paris, en amenant toute la famille, pour y réaliser les grands panneaux décoratifs du foyer (1913-1915).

249

motifs décoratifs destinés à remplir les frises du plafond de la salle de spectacles, des oeuvres gracieuses en lignes et en couleurs, qui contribueront grandement à l’embellissement de la décoration du théâtre, mais qui n’ont pas réussi à attirer le regard attentif des visiteurs d'avant-hier, séduits davantage par la splendeur du coloris du grand panneau du foyer, plus encore que par ses proportions.

Il représente simplement, vaguement, la Musique.

C’est une oeuvre de décoration, par sa finalité, et de suggestion par les tendances artistiques du peintre. Cette nouvelle allégorie de la Musique est beaucoup plus inspirée et suggestive que les simples figures munies d’instruments - la lyre la harpe, la flûte agreste... - habituelles dans les allégories traditionnelles. Des figures féminines qui manient des instruments à cordes et des instruments primitifs - la musique au théâtre et la musique dans la nature - occupent les deux extrêmes de la grande toile (fig.24); mais elles sont des figures secondaires et constituent simplement l’allégorie objective, destinée à impressionner la rétine.

L’allégorie subjective, cependant, forme le centre du panneau (fig.25), et consiste dans l’entrelacement de formes nues qui doivent suggérer les idées ou les sensations de la mélodie, du rythme, de l’harmonie. Voilà où se trouve la véritable musicalité de la toile : dans la sinuosité de la ligne mélodique, dans l’harmonie des formes combinées. Elle est là, mais aussi dans le coloris qui est, au centre, d’une riche tonalité jaune, presque comme l’or en fusion, et qui se dilue petit à petit vers les côtés et vers le haut, dans une vibration de couleurs qui va de la polyphonie bourdonnante, à la vague sourdine, s’estompant jusqu’aux lignes extrêmes du panneau, où se perd, s’envole, on ne sait pas très bien vers où... la mélodie infinie de l’esthétique de Bayreuth.

Tout le monde connaît la luminosité, la transparence, la légèreté de l’atmosphère des toiles d’Eliseu Visconti, et particulièrement de ses oeuvres décoratives, où les figures solidement dessinées, malgré une asexualité qui arrive presque à la pudicité, sont recouvertes d’un voile de poussière polychrome formé par des gouttes de couleur et de lumière qui, vues de loin, sous l’effet de la perspective et surtout de la vibration permanente de l’air, se mêlent et se fondent, avec des effets surprenants d’irisation. Déjà dans les décorations de M. Visconti pour le plafond du Municipal ce procédé était à la base de magnifiques résultats. Cependant je ne crois pas que sa technique, mise au service de sa vision, ait jamais produit des effets aussi brillants que ceux au centre de ce panneau, qui est comme un amas du pollen d’une grande fleur, un pollen riche en or qui se confond avec les pétales tout autour, dans une gradation de tons rosés vers la droite et bleutés vers la gauche.

Devant la grande toile, les professionnels admireront la correction des dessins, l’assurance des attitudes, l’effet harmonieux de la composition ; les poètes se perdront dans les rêveries de leur propre subjectivité mise en vibration par l’effet suggestif des lignes et des formes ; mais le grand public

250

de tendances artistiques s’extasiera, surtout, avec la richesse et l’harmonie du coloris, (...). 164

Le journaliste décrit l’engouement du public pour la peinture décorative de Visconti,

dû en partie aux procédés pointillistes que le peintre avait utilisés au plafond de la salle de

spectacles, toujours présents dans les décorations du foyer. Les effets obtenus par ce moyen

fascinaient les amateurs de l’époque et continuent de plaire aux spectateurs d’aujourd’hui.

Effectivement, Visconti a su utiliser parfaitement cette technique dans la décoration du foyer

(fig. 23, 24 et 25), comme il l’avait fait pour le plafond de la salle de spectacle (fig.22) et

comme il le fera plus tard dans la nouvelle frise de 1936 (fig.26).

Ce fut pendant cette période marquée par les décorations du théâtre (de 1906 à

1916), que le peintre s’approcha de l’impressionnisme. La série de paysages qu’il a peints à 164 - Coupure de journal conservée par Tobias Visconti. Malheureusement, la coupure ne

contenait pas le titre du journal ni l’année d’édition. Cependant, comme Visconti est parti de Paris le 27 septembre 1915 pour venir installer ces peintures à Rio, l’article ne peut dater que de 1915.

“ Brasileiros em ParisDecoração para o ‘foyer’ do Theatro Municipal, pelo pintor E. Visconti.Outubro, 25.Os admiradores do Sr. Eliseu Visconti, que são toda gente entre nós, vão ter breve, o en-

sejo de admirar aquele dos seus trabalhos que é talvez o mais belo de todos : a decoração para o ‘foyer’ do Theatro Municipal do Rio de Janeiro.

No seu vastíssimo atelier da rua Didot, onde vem trabalhando há mais de dois anos para a execução desse trabalho, que lhe confiou por concurso a Prefeitura Municipal, o Sr. Eliseu Visconti proporcionou o encanto dessas primícias à colônia brasileira em Paris, tendo à fren-te o Sr. Ministro Olynto de Magalhães, acompanhado por sua senhora, e o Sr. Cônsul Souza Dantas, bem como outros membros da Legação e Consulado, o pintor Antônio Parreiras e os jovens pensionistas da nossa Academia de Belas Artes, funcionários do Escritório de In-formações, jornalistas, personalidades do mundo artístico de Paris, etc.

A decoração do ‘foyer’ é objeto de três grandes painéis : o do centro e os dois laterais. Além deles, porém, e dos quadros diversos em que se tem exercido a sua atividade artística, viam-se no atelier os motivos decorativos destinados a encher as frisas do teto da sala de es-petáculos, obras graciosas de linha e cor, que muito contribuirão para o embelezamento da decoração do teatro, mas que mal lograram o olhar atento dos visitantes de anteontem, logo atraídos pelo esplendor do colorido, ainda mais que pelas proporções do grande painel do ‘foyer’.

Ele representa, simplesmente, vagamente, a Música.Obra de decoração, pelo fim a que se destina, obra de sugestão pelas tendências artísticas

do pintor, essa nova alegoria da Música é muito mais vasta de inspiração e de sugestão do que as simples figuras armadas de instrumentos - a lira, a harpa, flauta agreste... - das alego-rias convencionais. Figuras femininas a manejarem instrumentos de corda e instrumentos pri-mitivos ; a música do teatro e a música da natureza, ocupam os dois extremos da grande tela ; mas essas não passam de figuras secundárias, constituem simplesmente a alegoria obje-tiva, destinada a impressionar a retina.

251

Saint-Hubert165, parallèlement au travail d’élaboration des décorations du foyer, est très

représentative de ce rapprochement. Si l’on compare deux toiles de cette phase – Les Enfants

à jouer, de 1913 (fig.29), et Paysage de Saint-Hubert, peint vers 1915 (fig.30) - à Maternité

(fig.31), oeuvre de 1906, on se rend compte de l’évolution de sa peinture dans le sens d’une

A alegoria subjetiva, porém, que forma o centro do painel, consiste no entrelaçamento de formas nuas que devem sugerir as idéias ou sensações da melodia, do ritmo, da harmonia. Aí é que está a verdadeira musicalidade da tela : na sinuosidade da linha melódica, na harmonia das formas combinadas. Aí, e também no colorido, que é, no centro, de uma rica tonalidade amarela, quase como ouro em fusão, e que se vai diluindo, para os lados e para o alto, vibra-ção de cores que vai da polifonia rumorosa, à vaga surdina, esbatendo-se até as linhas extre-mas do painel, onde se perde, evola, não se sabe bem para onde... a melodia infinita de Bay-reuth.

Toda a gente conhece a luminosidade, a transparência, a leveza da atmosfera, nas telas de Eliseu Visconti, e particularmente nas suas obras decorativas, onde as figuras solidamente desenhadas, embora de uma assexualidade que chega quase até à pudicícia, são recobertas por um véu de poeira policroma, salpicos de cor e de luz, que a distância, pela obra da pers-pectiva e, sobretudo, da vibração permanente do ar, baralha e funde, com efeitos surpreen-dentes de irisação. Nas suas decorações do teto do Municipal, já esse processo dera resulta-dos magníficos. Não creio, porém, que a sua técnica, a serviço da sua visualidade, tenha ja-mais obtido efeitos tão brilhantes como no centro desse painel, que é como o pólen de uma grande flor, pólen rico de ouro, que se confunde com as pétalas em redor, numa gradação de tons acentuadamente rósea para a direita, e azulada para a esquerda.

Diante da grande tela, os profissionais admirarão a correção dos desenhos, a segurança das atitudes, o efeito harmônico da composição ; os poetas se perderão em devaneios da sua própria subjetividade posta em vibração pelo efeito sugestivo das linhas e formas ; mas o grande público de tendências artísticas se embevecerá, sobretudo, com a riqueza e harmonia do colorido, (...). ”

165 - La famille de Louise Palombe, épouse de Visconti, habitait à Saint-Hubert, commune qui appartient aujourd’hui aux Yvelines, département de la région d’Ile-de-France. La maison et son jardin existent toujours et conservent le même aspect que pendant la période où Visconti a peint les lieux.

252

simplification des formes et d’une intensification de l’atmosphère vaporeuse. Cette

caractéristique de la peinture de Visconti a permis aux différents auteurs cités dans le chapitre

4 - Le Style ‘impressionniste’ de Visconti : une interprétation des historiens de l’art brésilien

- d’affirmer le rôle révolutionnaire du peintre dans le contexte artistique brésilien.

Cependant, on observe que l’évolution de la peinture de Visconti, plutôt que de

correspondre à une adaptation au style impressionniste, obéit aux exigences personnelles de

l’artiste qui cherche à exprimer, dans son art, ses sentiments, son âme. Pour parvenir à ce but,

Visconti emploie plusieurs moyens, s’emparant des formes expressives les plus diverses. En

fait, s’il utilise la technique pointilliste, moderne, dans ses décorations du Théâtre municipal, il

ne s’abstient pas d’utiliser, dans la composition de ces mêmes décorations, quelques figures

empruntées à un tableau académique et conventionnel. C’est un fait que l’on a découvert à

l’occasion de recherches détaillées dans les documents conservés par Tobias Visconti.

Parmi ces documents se trouve une page découpée de la revue Figaro-Salon166. Cette

coupure montre la reproduction d’un tableau de sujet mythologique ne pouvant être plus

conventionnel, ni par son exécution, ni par son motif. Sous le titre La Danse des sirènes (pl.9),

l’oeuvre représente des femmes nues qui évoluent langoureusement au milieu de la mer agitée

par de hautes vagues. Leurs longs cheveux flottent au vent et la scène se complète par la danse

des mouettes qui tourbillonnent au-dessus des sirènes, en suivant leur mouvement. Au loin, on

aperçoit les débris d’un vieux bateau naufragé. La peinture est signée G. Wertheimer167, 1888.

Ce travail rappelle les nymphes de Bouguereau et un bon nombre de toiles, abondantes aux

Salons de l’époque, dont le sujet n’était qu’un prétexte pour la composition de nus féminins

sous la forme de sirènes ou autres figures légendaires, dans un style académique un peu

mièvre. Enfin, au premier abord, le tableau de Wertheimer ne semble avoir aucun rapport avec

166 - Comme il s’agissait d’une coupure où seul le nom de la revue et le numéro de la page apparaissaient, il nous a fallu rechercher la revue originale pour y trouver les données complètes. Les voici : Figaro-Salon. Paris, Goupil & Cie Editeurs, 1888, fascicule n.3, p. 42.

167 - Gustav WERTHEIMER - peintre d’histoire et de genre, né à Vienne le 28 janvier 1847, mort à Paris le 24 août 1904. Il fit ses études de peinture à Munich et à Paris. Ce fut à Paris, où il résida durant de longues années, que Wertheimer obtint son plein succès. Il exposait fréquemment au Salon pendant la décennie de 1880, et ses oeuvres de sujets historiques ou mythologiques attiraient l’attention des amateurs. Il réalisa aussi des portraits très appréciés du public. Cependant, à la fin de sa vie les amateurs l’abandonnèrent et il mourut oublié. [Données relevées dans E. BENEZIT. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976].

La Danse des sirènes a été exposée au Salon de 1888.

253

la peinture de Visconti. Par conséquent, une question se pose : pourquoi aurait-il attiré

l’attention du peintre brésilien ? Quel motif aurait-il poussé Visconti à découper cette

reproduction ?

Après un examen plus attentif, ce motif se manifeste. En effet, Visconti s’est servi de

la reproduction du tableau de Gustav Wertheimer comme d’un répertoire de figures, une

source où il a puisé des formes de corps féminins. Car on retrouve quelques figures du tableau

de Wertheimer intégrées aux peintures décoratives de Visconti dans le Théâtre municipal de

Rio de Janeiro.

L’emprunt le plus évident est celui de la figure qui se trouve à gauche dans la

composition de Wertheimer : une femme allongée, entraînée par la vague, les bras étirés en

arrière, la tête tournée vers le spectateur, les jambes abandonnées à leur poids, tombant

nonchalamment (pl.10). On retrouve cette même figure dans la frise que Visconti a peinte de

1934 à 1936 (pl.11). D’autres figures de Wertheimer ont été, elles aussi, empruntées par

Visconti, par exemple : les deux sirènes placées au centre de la toile (pl.12), qui se retrouvent

au plafond de la salle de spectacles (pl.13), et la figure de l’Aurore, dans le même plafond

(pl.14), inspirée d’une autre sirène de Wertheimer (pl.15). On peut remarquer de même que

Visconti mélangea les formes de deux autres figures de Wertheimer (pl. 17 et 18) dans

l’élaboration d’une de ses Heures (pl.16). Cependant on observe qu’il changea le mouvement

des cheveux de manière à entourer sa danseuse dans un cercle accentué par les lignes spiralées

pointillées du fond.

Une autre remarque concerne la souplesse des lignes de Visconti. Si l’on compare ses

figures féminines à celles de Wertheimer, Visconti se montre supérieur. Son dessin a plus de

finesse, les formes sont plus naturelles et les mouvements plus harmonieux. S’il a emprunté à

Wertheimer quelques attitudes pour ses figures, il les a transformées ensuite. Il ne s’agit pas

d’un plagiat, car Visconti a créé une oeuvre personnelle, entièrement différente de celle du

peintre viennois.

Dans la décoration du foyer les figures de Visconti se différencient davantage encore

de celles de Wertheimer, toutefois on y trouve toujours quelques réminiscences. Les deux

femmes aux bras levés (pl. 19) rappellent légèrement deux sirènes de Wertheimer (pl. 20).

254

Mais de nouveau on constate que les contours des figures de Visconti sont plus éloquents que

ceux des sirènes de son confrère.

En arrivant au terme de cette analyse, on vérifie que l’étude des peintures décoratives

élaborées par Visconti pour le Théâtre municipal de Rio de Janeiro nous amène à faire

quelques observations importantes. Tout d’abord, la méthode de travail qu’il employa dans la

préparation de ces oeuvres fait preuve de son ouverture face à la production artistique de son

époque. En même temps, on reconnaît que Visconti n’a pas adhéré entièrement aux principes

impressionnistes sous-jacents au procédé pointilliste qu’il employa. En effet, il considéra les

oeuvres qu’il côtoyait en France comme une source d’inspiration et d’enrichissement pour son

propre travail, mais sa recherche fondamentale était unique et personnelle. Tout en étant

perméable à de multiples influences, il n’a pas emprunté les sentiers battus. La compréhension

que l'on a de son oeuvre est basée sur cette conviction. La valeur de cet artiste se trouve dans

sa liberté de suivre ses propres inclinations, en approfondissant ses recherches avec une

sincérité extraordinaire.

255

III - CONCLUSION

A l’issue de cette étude de l’évolution de la peinture brésilienne à la fin du XIXe et au

début du XXe siècles, à travers l’institution du ‘Prix de Voyage’ et, notamment, l’oeuvre

d’Eliseu d’Angelo Visconti, on peut mettre en évidence quelques points caractéristiques.

La première chose à remarquer est la présence sous-jacente, tout au long de la thèse,

d’une volonté délibérée : celle d’avoir un regard nouveau, libéré des idées reçues, sur l’histoire

de l’art brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle. On a indiqué, tout au début du travail,

que l’interprétation, encore la plus courante, des historiens de l’art sur la production artistique

de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro, et même sur l’oeuvre de Visconti, a

été marquée par le raisonnement des modernistes de 1922. Ce raisonnement eut son rôle

historique et fut important à un moment donné. Mais aujourd’hui il faut le dépasser, car son

empreinte sur l’histoire de l’art brésilien a amené à des conclusions rapides sur l’art de cette

période, des conclusions dépourvues de fidélité à l’égard de l’objet étudié.

Pour préparer une nouvelle interprétation, la démarche principale fut de puiser les

informations aux sources. C’est-à-dire que parallèlement à l’analyse des oeuvres, une

recherche a été menée dans les archives, dans les articles de journaux de l’époque, dans la

correspondance des artistes, dans leurs déclarations, et dans les textes critiques contemporains,

pour trouver des indications sur la façon qu'avaient ces artistes d’envisager les questions de

l’art.

Pendant le déroulement des recherches, alors que les raisonnements se développaient,

il nous est arrivé d’approcher de si près l’objet de nos études, dans le désir d’être attentif aux

détails, qu’il faut maintenant prendre le recul nécessaire à une bonne appréhension de

l’ensemble et des lignes principales de la composition. Au fil du texte, des questions et des

points controversés sont apparus, et l’on se propose d’en faire un résumé, de façon à faire

ressortir les conclusions qui se sont imposées.

Les voyages d’études des artistes brésiliens en Europe sont en rapport étroit avec

l’histoire de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Par conséquent, l’histoire

de cette institution a été rappelée dans la première partie de la thèse. Ainsi, les deux premiers

256

chapitres situent l’origine des Prix de Voyage dans le contexte académique. Les points

principaux auxquels il faut revenir sont les suivants :

1. L’histoire de l’Academia Imperial de Belas Artes est liée, dans un premier moment, à l’histoire de la transformation de la ville de Rio de Janeiro en siège du Royaume Uni du Portugal, Brésil et Algarve. C’est-à-dire qu’elle fit partie des institutions qui virent le jour subitement, issues d’une volonté du Roi, exprimée par un arrêté.

2. Dans un second temps, après l’indépendance nationale en 1822, l’Académie s’est vu attribuer un rôle important dans la construction de l’idée d’une nation brésilienne.

3. L’institution des Prix de Voyage accordés aux meilleurs élèves de l’institution fit partie du projet académique de formation d’artistes, surtout de sculpteurs ou peintres d’histoire, capables de créer les images emblématiques de l’histoire nationale.

Ces remarques sur l’origine et de l’Académie et des Prix de Voyage sont des repères

fondamentaux pour la compréhension des événements qui s’ensuivirent dans le monde

artistique brésilien.

Les chapitres trois et quatre ont pour objet d’étudier les points de vue exprimés par

les artistes et critiques d’art brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle au sujet de leur

propre réalité. Pour comprendre comment ces individus ont interagi avec leur époque, on

analyse leurs écrits, en se posant les questions suivantes : Quels étaient leurs doléances, leurs

croyances, leurs désirs, leurs espoirs ? Et quelle fut, pour eux, la signification du Prix de

Voyage en Europe ? Les réponses à ces questions furent éloquentes. On a vu que pendant

toute la période :

1. La plainte la plus fréquente fut celle du manque d’amateurs d’art prêts à acheter la production des artistes.

2. Le milieu brésilien fut vivement critiqué comme inadapté et défavorable au développement des beaux-arts.

3. De la comparaison entre le Brésil et les nations européennes, les divers auteurs ont tiré des conclusions désavantageuses pour le peuple brésilien, appelé à suivre l’exemple des Européens.

4. Par conséquent, le Prix de Voyage en Europe était très valorisé dans le milieu artistique brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle. Le séjour d’études en Europe était vu comme une expérience dans un milieu plus développé et plus favorable aux beaux-arts.

257

5. Ainsi, les artistes brésiliens qui revenaient d’un séjour en Europe étaient plus respectés que les artistes qui n’étaient jamais sortis du pays.

On voit que les plaintes des artistes et critiques d’art concernaient l’inadaptation du

milieu brésilien au développement des beaux-arts. D’autre part, leurs regards se sont tournés

pleins d’espoir vers l’exemple des peuples européens, et la période d’études en Europe était

vue comme une étape indispensable à la formation artistique.

Si l’on songe à la brusque origine de l’Academia Imperial de Belas Artes (sujet

abordé au premier chapitre), l’inadéquation du milieu brésilien à l’essor des beaux-arts pendant

le XIXe siècle devient compréhensible, puisque la création de l’Académie ne fut pas le résultat

d’une lente évolution.

D’ailleurs, la valorisation capitale du Prix de Voyage et du séjour d’études à Rome

ou à Paris s’explique aussi par le rejet du passé colonial. Le désir d’oublier ce passé était suivi

d’une volonté de se moderniser et de devenir une nation sur pied d’égalité avec les nations

européennes. Et si les relations avec le Portugal étaient alors marquées très négativement, les

rapports des Brésiliens avec les autres pays d’Europe étaient imprégnés d’admiration et tout

contact avec leur culture était considéré comme très avantageux.

Ces réflexions ont amené à la mise en question des arguments avancés par

Campofiorito sur les Prix de Voyage. Influencé par la vision moderniste, Campofiorito affirma

que les Prix de Voyage ont contribué de façon décisive à renforcer le contrôle exercé par

l’Academia Imperial sur le milieu artistique brésilien, en renfermant les artistes dans un

ensemble de règles et possibilités prévues à l’avance.

Après la lecture des textes de l’époque, on a relativisé ce jugement sur les Prix. En

fait, on a vu que les voyages d’études en Europe furent considérés par les critiques

contemporains comme la condition indispensable à la formation de bons artistes nationaux. Et

si la production brésilienne des arts plastiques de la seconde moitié du XIXe siècle fut accusée

de stagnation par les critiques postérieurs, cette production répondait aux aspirations du milieu

artistique d’alors. L’aspiration fondamentale était celle de produire des oeuvres de même

niveau de qualité que les oeuvres les plus expressives réalisées en Europe.

258

Un chapitre sur les pensionnaires brésiliens venus étudier en Europe entre 1845 et

1887, c’est-à-dire, avant la mutation subie par l’Academia Imperial de Belas Artes devenue,

après la proclamation de la République brésilienne, l’Escola Nacional de Belas Artes, clôt

cette première partie de la thèse. De ce chapitre, on rappellera ici les points les plus importants.

À propos des oeuvres des pensionnaires, on a vu que :

1. Leurs travaux suivaient les principes académiques aussi bien dans les formes que dans les thèmes. Néanmoins, on remarque une évolution dans le style des oeuvres qui répond aux changements survenus dans la peinture en Europe au cours de la période.

2. Malgré la répétition de références aux sujets bibliques ou historiques valorisés par l’Académie, la façon qu’a chaque artiste d’aborder les sujets est très particulière. Leurs oeuvres se différencient énormément les unes des autres.

3. Enfin, on a constaté qu’il n’est pas possible de cataloguer toutes les oeuvres des pensionnaires brésiliens sous une même étiquette.

Après ces remarques générales, on a analysé les parcours de trois pensionnaires :

Victor Meirelles, Rodolpho Amoêdo et Almeida Júnior. L’analyse des séjours d’études de ces

trois artistes à Paris nous a aidé à considérer de plus près les méthodes mises en oeuvre par

l’Académie brésilienne pour surveiller l’activité de ses étudiants en Europe.

Il s’est avéré que le jugement porté par les professeurs sur les oeuvres des

pensionnaires n’était pas aussi rigide qu’on l’a cru. On a observé aussi que la préoccupation

première de l’Académie, en ce qui concerne la formation des artistes, était de l’ordre du métier,

dans le sens de l’obtention d’un savoir-faire technique. Cette préoccupation était associée, dans

un premier moment, au désir de produire des tableaux d’histoire. Le rôle de créateur d’images

mythiques de l’histoire du Brésil a été parfaitement rempli par Victor Meirelles, pensionnaire

envoyé en Europe en 1853 et revenu au Brésil en 1862. Le parcours de Victor Meirelles est

exemplaire aussi parce qu’il est devenu, après son retour au pays, un divulgateur des

enseignements reçus en Europe, en tant que professeur à l’Académie brésilienne.

Du parcours de Rodolpho Amoêdo, le second pensionnaire analysé, il faut souligner

les contradictions dans les jugements émis par les professeurs brésiliens face à l’influence de

l’Ecole française sur l’étudiant. Dans les rapports sur les envois du pensionnaire les professeurs

se sont exprimés sur cette influence comme si elle était quelque chose de négatif, destinée à

être surmonté par l’artiste, qui devait chercher une expression personnelle. La période d’études

était vue comme une période intermédiaire, après laquelle l’élève devait conquérir son propre

259

langage. Cette préoccupation de l’originalité de chaque artiste est une nouveauté par rapport à

la période du pensionnaire Victor Meirelles. Pour la première fois, les maîtres brésiliens

s’exprimaient officiellement à ce sujet.

On remarque aussi que le corps enseignant était alors scindé, puisqu’au lieu d’un seul

rapport, deux rapports furent présentés séparément traitant des derniers travaux envoyés par

Rodolpho Amoêdo. La fin du séjour d’études d’Amoêdo à Paris coïncide avec la fin des

années 1880, tandis que Victor Meirelles était de retour au Brésil en 1862. Par conséquent, cet

intervalle de temps a été traversé par une évolution dans la mentalité de quelques professeurs

au sein de l’Académie brésilienne. D’ailleurs, dans la seconde partie de la thèse on étudie plus

profondément ces changements, survenus aussi bien dans l’Académie que dans le monde

artistique de la ville de Rio de Janeiro.

Enfin, l’analyse du parcours du troisième peintre choisi, Almeida Júnior, nous fournit

l’occasion d’avancer d’autres remarques sur les jugements des professeurs brésiliens à propos

des oeuvres des étudiants brésiliens en Europe pendant la décennie de 1880. Le séjour

d’Almeida Júnior à Paris en tant que pensionnaire de l’empereur Dom Pedro II a duré de 1876

à 1881. Il n’était pas un pensionnaire de l’Académie, mais dans un rapport écrit sur

l’Exposition Générale de 1884 on a pu voir l’impression que ses oeuvres avaient produite sur

les professeurs de l’institution. En comparant ce rapport à une critique de Gonzaga-Duque sur

les mêmes peintures on a remarqué que, curieusement, les deux toiles mises en valeur par

Gonzaga-Duque étaient celles qui avaient eu la préférence des professeurs de l’Académie.

Cette constatation nous amène encore une fois à percevoir des changements dans l’orientation

proposée par les professeurs.

L’étude du parcours d’Almeida Júnior est intéressante aussi parce que cet artiste était

un peintre péquenaud, catégorie très critiquée par José Carlos Durand dans son livre Arte, Pri-

vilégio e Distinção... (Art, Privilège et Distinction...) 1. On a laissé en suspens, à la fin du

cinquième chapitre, une observation sur l’aspect contradictoire de l’argumentation de Durand.

D’un côté, cet auteur épouse le raisonnement des modernistes dans leur attaque de l’inertie et

du manque d’originalité des peintres brésiliens issus de l’Academia Imperial de Belas Artes de

Rio de Janeiro. D’un autre côté, Durand attribue ce manque à l’inadaptation de ces artistes

1 - DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.

260

d’origine modeste au milieu cultivé parisien. Or, on sait qu’Almeida Júnior, exemple typique de

‘peintre péquenaud’, fut récupéré par le mouvement moderniste de 1922. De plus, la

valorisation moderniste de son oeuvre n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre

brésilien qui, à Paris, avait le mal du pays et rêvait de sa ville natale à São Paulo.

Cette contradiction dans le discours de José Carlos Durand met en évidence l’aspect

précipité des critiques faites à l’art de la période académique. Car si les modernistes ont rejeté

l’art des peintres issus de l’Académie, la valorisation de la peinture d’un Almeida Júnior laisse

la porte ouverte à une vision plus indulgente à l’égard de ces artistes.

Bref, de tout ce qui fut exposé dans la première partie de la thèse, on constate que :

1. Ce qui a poussé l’auteur de cette thèse à entamer une recherche sur les Prix de Voyage et les séjours d’études des artistes brésiliens du XIXe siècle en Europe, fut une curiosité d’ordre scientifique: connaître plus profondément le sujet, alors que les informations recueillies dans les ouvrages d’histoire de l’art brésilien n’étaient pas suffisamment éclairantes là dessus.

2. Au début de la recherche, ses efforts se sont concentrés sur le travail d’investigation et de mise au point des informations sur les pratiques académiques concernant les voyages d’études en Europe.

3. Lors de l’exploitation des sources, des données qui rendaient visibles les inexactitudes présentes dans les textes postérieurs ont fait surface.

4. Ainsi, la contribution première de cette recherche est d’organiser les informations sur les concours de Prix de Voyage, les obligations des pensionnaires et leurs activités en Europe.

5. D’autre part, on a constaté que le discours sur cette période de l’histoire de l’art brésilien a été vivement influencé par la logique moderniste qui refusa toute valeur à l’art académique.

6. Il n’est pas encore possible d’établir des concepts conclusifs et définitifs sur cette période. Cependant, cette étude peut aider à ouvrir d’autres voies à l’interprétation des oeuvres des artistes qui l’ont vécue.

261

En effet, ce que l’on considère comme la principale contribution de ce travail est

l’invitation à une lecture plus ouverte de la production artistique brésilienne antérieure à

l’avènement des modernistes en 1922.

Dans la première partie de la thèse, une analyse des oeuvres des artistes brésiliens du

XIXe siècle a été ébauchée à partir d’un point de vue affranchi des préjugés traditionnels. Si

l’on n’a fait qu’effleurer cette analyse cela est dû à l’étendue du champ de l’étude, trop large

pour permettre un approfondissement de l’interprétation des oeuvres. Car selon le point de vue

proposé ici il serait nécessaire, pour entamer une étude valable des oeuvres de ces artistes,

d’étudier chacun d’eux et sa production dans son individualité, ses préoccupations et son

évolution personnelles.

Cette étude approfondie sur un seul artiste a été accomplie dans la seconde partie de

la thèse, autour du peintre Eliseu d’Angelo Visconti. Ainsi, en examinant son oeuvre, en

considérant l’évolution de son style au contact de l’art français, on a pu présenter une analyse

qui s’éloigne de l’interprétation traditionnelle.

On a vu que Visconti a été considéré traditionnellement comme un prédécesseur du

modernisme. À cet égard, il faut reconnaître que lorsque l’on confronte les oeuvres de Visconti

à celles des peintres brésiliens qui l’ont précédé, la conclusion habituelle paraît convaincante.

Effectivement, les tableaux de Victor Meirelles et de Pedro Américo, aussi bien par leurs sujets

que par leur facture, appartiennent à une période antérieure à la période où se situent les

oeuvres de Visconti. Les toiles mêmes d’un Almeida Júnior, tout en se distinguant de la

production d’artistes tels que Pedro Américo et Victor Meirelles, surtout par le choix des

sujets, se rapprochent davantage des oeuvres de ces maîtres que de l’oeuvre de Visconti.

Cependant, en approfondissant l’étude sur l’itinéraire d’Eliseu Visconti, on a constaté

aussi la continuité qu’il représente par rapport à l’enseignement reçu dans l’institution

académique. En même temps qu’il a cherché un style personnel et original, il n’a pas rompu

complètement avec ses maîtres brésiliens. Dans la quête de son propre langage pictural, il n’a

pas rejeté les instruments du métier acquis dans l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de

Janeiro et n’a pas opéré une rupture radicale avec les méthodes qu’il y avait acquises.

Lorsqu’on a étudié, dans les chapitres trois et quatre de la seconde partie, les

critiques élaborées autour de l’oeuvre de Visconti, il a été intéressant d’observer le poids des

262

idées reçues et du désir de trouver, dans l’histoire de l’art brésilien, des reflets de l’histoire de

l’art français. Le fait d’attribuer de l’importance à Visconti parce qu’il a été “ le peintre

impressionniste brésilien ” est très significatif de ce désir. Au lieu d’étudier son oeuvre à partir

des indications apportées par l’observation de son parcours, les critiques ont pris un raccourci

imposé par l’analogie avec l’histoire de l’art en France. On ne veut pas dire, par là, qu’il faut

oublier ou nier l’existence d’influences et d’emprunts. Mais cela veut dire qu’il faut se

demander ce que chaque artiste a créé d’original à partir des influences reçues, et quelles furent

les apports engendrés par chacun d’entre eux.

Ce que l’on propose ici c’est de regarder l’oeuvre de Visconti, et celle de tous les

autres artistes brésiliens, à partir d’un point de vue indépendant. Cela veut dire que l’on ne doit

pas approcher leur oeuvre pour vérifier tout simplement s’ils ont bien compris les ‘modèles

européens’. L'interprétation selon laquelle ils ont de la valeur dans la mesure où ils ont réalisé

quelque chose qui correspond à ces modèles ne sera jamais convenable. En réalité, les artistes

de l’Academia Imperial de Belas Artes avaient un projet original, même si, postérieurement,

les modernistes les ont accusés de manque d’originalité. Et, même si leur projet a été dépassé,

à l’époque où il fut proposé, il avait une importance. Cela veut dire aussi qu’il faut comprendre

les événements antérieurs qui ont décidé des chemins qu’ils ont pris. Et que l’on ne doit pas

essayer de trouver dans leur oeuvre, coûte que coûte, l’accomplissement de chemins qui ne lui

appartiennent pas entièrement. Il faut éviter de transplanter précipitamment, sans réflexion, les

modèles de l’histoire de l’art français dans l’histoire de l’art brésilien.

On ne comprendra pas l’oeuvre d’artistes tels que Visconti si l’on part toujours d’une

perspective centrée en Europe. On constate que l’insatisfaction des Brésiliens du XIXe siècle à

l’égard de leur pays est toujours vivante. Pendant longtemps, la pensée qui domina l’esprit des

Brésiliens fut marquée par le désir de ‘retourner’ en Europe pour retrouver une ‘patrie’

perdue. Et, finalement, il faut se débarrasser de cette idée.

Notre étude peut contribuer à une meilleure compréhension de cette période de l’art

brésilien. Si le tableau ici dépeint présente des imperfections et des défauts, il aspire du moins à

un regard nouveau posé sur le sujet abordé. Et s’il reste encore beaucoup à faire, nous

espérons avoir donné notre contribution dans ce sens.

IV - BIBLIOGRAPHIE

1 - Usuels :

1. PONTUAL, Roberto. Dicionário das Artes Plásticas no Brasil. Civilização Brasilei-ra, Rio de Janeiro, 1969.

2. E. BENEZIT. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976.

3. ULRICH THIEME. Allgemeines Lexikon der bildenden künstler, Band VII. Leipzig, 1912.

4. MÜLLER / H.W. SINGER. Allgemeines Künstlerlexicon, I. Frakfurt am Main, 1921.2 - Sur l’art en France au XIXe siècle:

1. ALAUX, J. P. L’Académie de France à Rome: ses directeurs, ses pensionnaires, Paris, 1934, 2 vol.

2. BAUDELAIRE, CASTAGNARY, DURANTY et allii. La promenade du critique influent, anthologie de la critique d’art en France 1850-1900. Paris, Hazan, 1990.

3. L. BENEDITE, J. CORNELY, CLEMENT-JANIN, Gustave GEFFROY, Eugène GUILLAUME, G. LAFENESTRE, Lucien MAGNE, P. FRANTZ MARCOU, Camille MAUCLAIR, ROGER MARX, André MICHEL, Auguste MOLINIER, Emile MOLINIER et Salomon REINACH. Exposition Universelle de 1900. Les Beaux-Arts et les Arts Décoratifs. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1900.

4. BONNET, Alain. La Réforme de l’école de beaux-arts de 1863, problèmes de l’enseignement artistique en France au XIXe siècle. Thèse pour l’obtention du Doctorat Nouveau Régime présentée devant l’Université de PARIS X - NANTERRE sous la direction de M. le Professeur Pierre Vaisse, 1993.

5. BREDIF, Marie. Répertoire des artistes ayant exposé au Salon des Indépendants de 1884 à 1914. Paris, avril 1969. [Bibliothèque Jacques Doucet, cote 4o B 435].

6. DAUDET, Léon. Salons et journaux. Paris, Bernard Grasset, 1932.7. ENCYCLOPÉDIE DU SIÈCLE. L'Exposition de Paris (1900), publiée avec la

collaboration d'écrivains spéciaux et des meilleurs artistes. Tome premier. Paris, Librairie Illustrée, Montgredien et Cie, Editeurs, 1900.

8. FEHRER, Catherine. The Julian Academy, Paris 1868 - 1939. Spring exhibition 1989. New York, Shepherd Gallery, 1989.

9. GRASSET, Eugène. Art Nouveau, décorations florales. Paris, Bookking international, 1988.

10. GRUNCHEC, Philippe. Les concours des Prix de Rome, 1797-1863. École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1986.

11. ________________. Les Concours d’esquisses peintes, 1816-1863. École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1986.

12. HUYGHE, PARINAUD, DORIVAL, DUBY et allii. Un siècle d’art moderne, l’histoire du Salon des Indépendants. Paris, Denoël, 1984.

13. LABAT-POUSSIN, Brigitte. Inventaire des Archives de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (Sous-séries AJ 52 et AJ 53). Paris, Archives Nationales, 1978.

263

14. _______________. École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, AJ52: versement de 1983. Paris, Archives Nationales, 1988.

15. LAFORGUE, BURTY, CARDON, CASTAGNARY, CHESNEAU et allii. L’impressionnisme, 1874, une exposition. Editions de l’Amateur, 1996.

16. LAURENT, Jeanne. A propos de l’Ecole des Beaux-Arts. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1987.

17. LEMONNIER, Camille; KAHN, Gustave; SAUNIER, Charles, etc. Eugène Grasset et son oeuvre. Paris, La Plume, 1900. numéro spécial, n.261

18. LYOTARD, Jean-François et JUSKIEWENSKI, Claude. Catalogue de l’Exposition Henri Martin 1860 - 1943. Fragments, Paris, 1993.

19. MAINARDI, Patricia. The end of the Salon, art and the State in the Early Third Republic. University Press, Cambridge, 1993.

20. MARTINE, Herold. Académie Julian, 1868, historique. Paris, Presses de Jean Munier, 1987.

21. MICHEL, André. Notes sur l’art moderne (peinture), Corot, Ingres, Eugène Delacroix, Raffet, Meissonier, Puvis de Chavannes. A travers les Salons. Paris, Armand Colin, 1896.

22. MONNIER, Gérard. L’art et ses institutions en France, de la Révolution à nos jours. Gallimard, Paris, 1995.

23. MURRAY-ROBERTSON. Grasset: pionnier de l’art nouveau. Editions 24 heures, Lausanne, 1981.

24. PLANTIN, Yves & BLONDEL, Françoise. Eugène Grasset, Lausanne 1841 Sceaux 1917. Yves Plantin & Françoise Blondel. Paris, 1980.

25. RAMBAUD. Les sources de l’histoire de l’art aux Archives Nationales. Paris, 1955.26. SEGRÉ, Monique. L’art comme institution, l’Ecole des Beaux-Arts, 19ème - 20ème

siècle. Les Editions de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, Cachan, 1993.27. THUILLIER, Jacques. Peut-on parler d’une peinture ‘pompier’ ? Essais et

conférences du Collège de France. Paris, PUF, 1984.28. VAISSE, Pierre. La Troisième République et les peintres. Flammarion, Paris, 1995.29. VITET, Louis & VIOLLET-LE-DUC, Eugène. A propos de l’enseignement des arts

du dessin. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1984.30. WHITE, H. & C. La carrière des peintres au XIXe siècle. Flammarion, Paris, 1991.

3 - Sur le XIXe siècle à Rio de Janeiro et sur l’Histoire du Brésil:

1. COARACY, Vivaldo. Memórias da cidade do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro, José Olympio, 1955.

2. DAMAZIO, Sylvia F. Retrato Social do Rio de Janeiro na Virada do Século. Rio de Janeiro, EdUERJ, 1996.

3. EDMUNDO, Luís. O Rio de Janeiro do meu tempo. Rio de Janeiro, Imprensa Nacio-nal, 1938. 3 v.

4. _____________. Recordações do Rio antigo. Rio de Janeiro, Biblioteca do Exército, 1949.

5. FAUSTO, Boris. História do Brasil. Editora da Universidade de São Paulo, São Pau-lo, 1995.

264

6. FREYRE, Gilberto. “ D. Pedro II, imperador cinzento de uma terra de sol tropical ”. In: Perfil de Euclides e outros perfis. Rio de Janeiro, Record, 1987.

7. __________. Ordem e progresso. 6a ed., Rio de Janeiro, Record, 1993.8. __________. Sobrados e mucambos. 10a ed., Rio de Janeiro, Record, 1992.9. HOLANDA, Sérgio Buarque de. O Brasil monárquico. 2a ed., Rio de Janeiro/São

Paulo, Difel, 1977.10. LIMA, Oliveira. O império brasileiro. Melhoramentos, São Paulo, 1927.11. LYRA, Heitor. História de d. Pedro II. Companhia Editora Nacional, São Paulo,

1938-40. 3 v.12. MAGALHÃES JR., Raimundo. Arthur de Azevedo e sua época. Martins, São Paulo,

1939.13. MATTOS, Ilmar Rohloff de. O tempo Saquarema, a formação do Estado Imperial.

Acess, Rio de Janeiro, 1994.14. MAURÍCIO, Augusto. Algo do meu velho Rio. Brasiliana, Rio de Janeiro, 1966.15. MAURO, Frédéric. O Brasil no tempo de d. Pedro II. Companhia das Letras, São

Paulo, 1991.16. MOSSE, Benjamin. D. Pedro II, empereur du Brésil. Firmin/Didot, Paris, 1889.17. NEEDELL, Jeffrey D. Belle époque tropical. Companhia das Letras, São Paulo,

1993.18. RAEDERS, Georges P. H. D. Pedro II e os sábios franceses. Atlântica, Rio de Janei-

ro, s/d.

4 - Sur l’Art Brésilien:

1. ALVAREZ, Reynaldo Valinho ; CAMPOFIORITO, Quirino ; XEXEO, Pedro Mar-tins Caldas. A luz da pintura no Brasil. Rio de Janeiro, Centro da Memória da Eletri-cidade no Brasil - C.M.E.B., 1994.

2. AMARAL, Aracy (supervisão, coordenação geral e pesquisa). Projeto construtivo na arte (1950-1962). Rio de Janeiro, Museu de Arte Moderna; São Paulo, Pinacoteca do Estado, 1977.

3. AMARAL, Aracy. “ De Mário para Tarsila ”, In: Revista da biblioteca Mário de An-drade, edição comemorativa, centenário de nascimento de Mário de Andrade. São Paulo, jan./dez. 1993.

4. AMARAL, Aracy. Arte para quê ? A preocupação social na arte brasileira 1930-1970. Nobel, São Paulo, 1987.

5. ARAÚJO PORTO-ALEGRE, Manoel de. Apontamentos sobre os meios práticos de desenvolver o gosto e a necessidade das Belas Artes no Rio de Janeiro feitos por or-dem de sua Majestade Imperial o senhor DOM PEDRO II Imperador do Brasil, 1853. BRASIL ARQUIVO NACIONAL, códice 807, volume 14.

6. ARAÚJO PORTO-ALEGRE. Manoel de. Etat des Beaux-Arts au Brésil. Journal de l’Institut Historique de France, n. 1, 1834.

7. BARATA, Mário. Notas sobre o 150 aniversário de Araújo Porto-Alegre. Rio de Ja-neiro, Escola Nacional de Belas Artes, Revista Arquivos, 1956.

8. BARROS, Álvaro Paes de. O Liceu de Artes e Ofícios e seu Fundador. Rio de Janei-ro, 1956.

265

9. BENTO, Antonio. Portinari. Léo Christiano, Rio de Janeiro, 1980.10. BERNADELLI, Rodolfo. Relatórios da Diretoria. Escola Nacional de Belas Artes.

1889/1895 maio de 1898.11. BROCOS, Modesto. A questão do ensino de Belas Artes, seguido da crítica sobre a

direção Bernardelli e justificação do autor. Rio de Janeiro, 1915.12. CAMPOFIORITO, Quirino. História da Pintura brasileira no século XIX. Rio de Ja-

neiro, Pinakotheke, 1983.13. CIPINIUK, Alberto. A Estética da Academia de Belas Artes do Rio de Janeiro. Tese

para obtenção do grau de Mestre. Rio de Janeiro, UFRJ - Instituto de Filosofia e Ci-ências Sociais - Departamento de Filosofia - julho de 1985.

14. COCCHIARALE, Fernando & GEIGER, Anna Bella, compiladores. Abstracionismo geométrico e informal, a vanguarda brasileira nos anos cinqüenta. Rio de Janeiro, FUNARTE, 1987.

15. COLI, Jorge. “ Primeira missa e invenção da descoberta ”. In : A descoberta do ho-mem e do mundo / organizador Adauto Novaes. São Paulo, Companhia das Letras, 1998.

16. COSTA, Angyone. A Inquietação das Abelhas (o que pensam e o que dizem os nos-sos pintores, escultores, arquitetos e gravadores, sobre as artes plásticas no Brasil). Rio de Janeiro, Pimenta de Mello & Cia, 1927.

17. COUSTET, Robert. “ Grandjean de Montigny à Rio de Janeiro ”, In : Grandjean de Montigny (1776 - 1850) Un architecte français à Rio. Institut de France - Académie des Beaux Arts. Exposition à la Bibliothèque Marmottan, 26 avril au 25 juin 1988.

18. DURAND, José Carlos. Arte, privilégio e distinção : artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985. Perspectiva, São Paulo, 1989.

19. FREIRE, Laudelino. Um século de Pintura (Apontamentos para a História da Pintu-ra no Brasil). 6 volumes. Tipografia Röhe, Rio de Janeiro, 1916.

20. _______________. Galeria Histórica dos Pintores no Brasil. Fascículo 1, Oficinas Gráficas da Liga Marítima Brasileira, Rio de Janeiro, 1914.

21. _______________. “ Pedro II e a arte no Brasil, discurso proferido na Escola de Be-las Artes ” e “A Pintura no Brasil, discurso de recepção no Instituto Histórico ”. Im-prensa Nacional, Rio de Janeiro, 1917.

22. FUNARTE, Projeto Arte Brasileira. Academismo. Rio de Janeiro, 1986.23. ____________________________. Modernismo. Rio de Janeiro, 1986.24. ____________________________. Anos 30/40. Rio de Janeiro, 1987.25. ____________________________. Abstração Geométrica 1. Rio de Janeiro, 1987.26. GALVÃO, Alfredo. “ Manoel de Araújo Porto-Alegre, sua influência na Academia

Imperial de Belas Artes e no meio artístico do Rio de Janeiro ”, In: Revista do Institu-to do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, Rio de janeiro, n. 14, 1959.

27. GONZAGA-DUQUE, Luís. A Arte Brasileira. Introduction et notes de Tadeu Chiarelli. Mercado de Letras, Campinas, 1995. (1ère édition date de 1888)

28. ______________________. Contemporâneos (Pintores e escultores). Typ. Benedicto de Souza, Rio de Janeiro, 1929.

29. GULLAR, Ferreira. Vanguarda e subdesenvolvimento. Civilização Brasileira, Rio de Janeiro, 1969.

30. LAFETÁ, J.L. 1930: Crítica e Modernismo.

266

31. LEBRETON, Joaquim. “ Carta ao Conde da Barca ”, compilado e traduzido por Má-rio Barata, In Revista do Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, n. 14, Rio de Janeiro, 1959.

32. LEITE, José Roberto Teixeira. “ A ‘Belle Epoque’ ”, In : Arte no Brasil, v.2. Editora Abril, São Paulo, 1979, p.p.556 - 605.

33. LEVY, Carlos Roberto Maciel. Antônio Parreiras (1860-1937), pintor de paisagem, gênero e história. Pinakotheke, Rio de Janeiro, 1981.

34. MEIRELLES, Victor. A exposição das Bellas-Artes, ao Dr. Sr. Mello Moraes Filho. Rio de Janeiro, Jornal do Comércio 19/04/1879.

35. MORAIS, Frederico. Cronologia das artes plásticas no Rio de Janeiro, 1816 - 1994. Topbooks, Rio de Janeiro, 1995.

36. MORALES DE LOS RIOS FILHO, Adolpho. Grandjean de Montigny e a evolução da arte brasileira. Rio de Janeiro, A Noite, 1941.

37. MUSEU NACIONAL DE BELAS ARTES. Universo acadêmico ; desenho brasilei-ro do século XIX da coleção do Museu nacional de belas artes. Rio de Janeiro, 1989.

38. PONTUAL, Roberto. Entre dois séculos, arte brasileira do século XX na coleção Gilberto Chateaubriand. Rio de Janeiro, JB, 1987.

39. REIS JÚNIOR, José Maria dos. História da Pintura no Brasil. Editora Leia, São Paulo, 1944.

40. ______________________. Belmiro de Almeida 1858-1935. Pinakotheke, Rio de Ja-neiro, 1984.

41. SÁ, Ivan Coelho de. A Academização da Pintura Romântica no Brasil e sua ligação como pompierismo francês : o caso de Pedro Américo. Dissertação do Mestrado em História da Arte. UFRJ, Rio de Janeiro, 1995.

42. SILVA, Henrique José. Reflexões Abreviadas sobre o projeto do plano para a Aca-demia Imperial das Bellas-Artes, que se diz Composto pelo Corpo Acadêmico. Impe-rial Typographia de P. Plaucher, Rio de Janeiro, 1827.

43. SIQUEIRA, Dylla Rodrigues de. 42 anos de premiações nos salões oficiais (1934/1976). Funarte, Rio de Janeiro, 1980.

44. TAUNAY, Afonso de E. A Missão Artística de 1816. Editora Universidade de Brasí-lia. Coleção Temas Brasileiros, Brasília,1983.

45. TAUNAY, Félix Emílio. Ofício do diretor da Academia de Belas Artes de 28 de de-zembro de 1843, In: Revista do IPHAN, compilado por Alfredo Galvão, n. 16, Rio de Janeiro, 1967.

46. VACCANI, Celita. Rodolpho Bernardelli, vida artística e características de sua obra escultórica. Tese de concurso para provimento da cadeira de escultura da Esco-la Nacional de Belas Artes da Universidade do Brasil. Rio de Janeiro, 1949.

47. VALLADARES, Clarival do Prado. “ Breve Noticia de las artes plásticas en el Brasil deli siglo XIX ”. In : Revista de Cultura Brasilena, n.34, sept. 1972, Madrid, 1972, p.p. 113-122..

48. ZILIO, Carlos. A querela do Brasil, a questão da identidade da arte brasileira: a obra de Tarsila, Di Cavalcanti e Portinari/1922-1945. Funarte, Rio de Janeiro, 1982.

49. __________. O nacional e o popular na cultura brasileira, artes plásticas. Funarte, Rio de Janeiro, 1982.

50. ____________. “ Formação do Artista Plástico no Brasil, o caso da Escola de Belas Artes ” In : Arte e ensaios, revista do Mestrado em História da Arte, EBA-UFRJ, ano 1, n.1, Rio de Janeiro, 1994.

267

4.1 - Revues et annales sur l’art brésilien :

1. Crítica de Arte, Ano II, no4, Rio de Janeiro, 1981.2. MARTINS, Maria Clara Amado, VALENTE, Carlos Eduardo. (Org.) Memória e es-

quecimento, anais do Terceiro Encontro do mestrado em História da Arte - EBA. Rio de Janeiro, UFRJ, EBA, 1996.

3. “ Salão Nacional de Belas Artes ” In : Boletim de Belas Artes, número especial. Edi-ção da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro, outubro/ novembro 1945.

4. Anos de Escola de Belas Artes. Anais do Seminário EBA 180. Rio de Janeiro, UFRJ, 1997.

4.2 - Catalogues d’expositions et de musées sur l’art brésilien :

1. AMARAL, Aracy; HERKENHOFF, Paulo. Ultramodern, the art of contemporary Brazil. Washington, The National Museum of Women in the Arts, 1993.

2. MEC/Secretaria da Cultura/ FUNARTE. Arte Moderna no Salão Nacional, 1940/1982. 6o Salão nacional de Artes Plásticas, Sala Especial. Rio de Janeiro, 1983.

3. MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E SAÚDE & MUSEU NACIONAL DE BELAS ARTES. Um século de pintura brasileira. Rio de Janeiro, 1950.

4. MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E SAÚDE & MUSEU NACIONAL DE BELAS ARTES. Exposição a Europa na arte brasileira. Rio de Janeiro, 1952 (?) - s.d.

5. MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E CULTURA & MUSEU NACIONAL DE BE-LAS ARTES. Catálogo da Exposição Comemorativa do Centenário de J. Baptista da Costa. Rio de Janeiro, 1965.

6. Modernidade, art brésilien du 20e siècle. Musée d’Art Moderne de la ville de Paris - 10 décembre 1987 - 14 février 1988, Association française d’action artistique, 1987.

7. MUSEU DOM JOÃO VI. Catálogo do Acervo de Artes Visuais. Escola de Belas Ar-tes, Universidade Federal do Rio de Janeiro, CNPq. Rio de Janeiro, 1996.

8. anos de Paisagem Brasileira - Palácio dos Estados - Parque Ibirapuera - Museu de Arte Moderna de São Paulo - fev./mar. 1956.

4.3 - Articles de journaux sur l’art brésilien :

1. ALMEIDA, Lívia de. “ Nosso impressionismo ” In : VEJA RIO, Rio de Janeiro, le 7 mai 1997, (p.14).

2. GOMES, Tapajós. Mestres do nosso Museu : Rodolpho Amoêdo. Correio da Manhã, Suplemento de Domingo, 23 de julho de 1939, Rio de Janeiro, p.4.

268

5 - À propos de Visconti :

1. ACADEMIA CARIOCA DE LETRAS. Eliseu d’Angelo Visconti. Orações de Oswaldo Teixeira, Frederico Barata e Carlos da Silva Araujo. Sauer, Rio de Janeiro, 1944 - 1945.

2. ACQUARONE, F. Mestres da Pintura no Brasil. Editora Paulo de Azevedo, Rio de Janeiro. (p.p. 173 - 186).

3. BARATA, Frederico. Eliseu Visconti e seu tempo. Rio de Janeiro, Ed. Zélio Valver-de, 1944.

4. ENGEFORM SA. Visconti / Bonadei. São Paulo, Prol Editora Gráfica, s.d.5. LOPES, Aurélio. “ Os Ex-libris e o emblema da Biblioteca Nacional ”, Kosmos, Rio

de Janeiro, março de 1904.6. MINISTÉRIO DA EDUCAÇÃO E CULTURA, Museu Nacional de Belas Artes.

Visconti no Museu Nacional de Belas Artes. Rio de Janeiro, 1968.7. MOTTA, Flávio. “ Visconti e o início do século XX ”, In: PONTUAL, Roberto. Di-

cionário das Artes Plásticas, Rio de Janeiro, 1968.8. REIS JÚNIOR, José Maria dos. “ Eliseu Visconti ”. In : História da Pintura no Bra-

sil. Editora Leia, São Paulo, 1944, (pp. 295-304).

5.1 - Articles de journaux et revues sur Eliseu Visconti :

1. ARAUJO VIANA, “ Exposição Visconti ”, Jornal do Comércio, São Paulo, 26 de março de 1903.

2. AULER, Hugo. “ Eliseu Visconti, precursor do modernismo no Brasil ”. In : Correio Braziliense, Caderno cultural. Brasília, 22 de outubro de 1967.

3. __________. “ Art nouveau e seus reflexos na aristocracia brasileira do 900 ”. In : Correio Braziliense, Caderno cultural. Brasília, 2 de março de 1968.

4. COUTINHO, Ernesto. “ Desenhos para os nossos selos postais ”. In: Kosmos no 10, Rio de Janeiro, outubro de 1908.

5. FERRAZ, Geraldo. “ A grandeza das paisagens é o que importa ”. In : ISTOÉ, São Paulo, 28/12/1977, (p.p.55- 56).

6. GOMES, Tapajós. “ Os nomes gloriosos da pintura brasileira - Elyseu Visconti ”. In : Correio da Manhã. Rio de Janeiro, 15/12/1935.

7. GOULART, Gabriela. “ municipal tem obra de arte recuperada ”. In : Caderno Cida-de, Jornal do Brasil, 19/01/1999.

8. HERBORTH, Augusto. “ Exposição de Artes Decorativas ” In: O Jornal, Rio de Ja-neiro, setembro de 1926.

9. LIMA, Herman. “ A retrospectiva de Elyseu Visconti ” In : Diário de Notícias, 1o de janeiro de 1950.

10. MORAIS, Frederico. “ Visconti : ternura e otimismo ”. In : O Globo. Rio de Janeiro, 3 / 3 / 1976.

11. PEDROSA, Mário. Visconti diante das modernas gerações, Correio da Manhã, Rio de Janeiro, 1o de janeiro de 1950.

12. ROMEU, Lúcia Etienne. “ A Primavera de Eliseu Visconti ”. In : Arte Hoje, ano 1, n.4I. São Paulo, outubro de 1977.

269

5.2 - Catalogues d’expositions des oeuvres de Visconti

1. Catalogue Illustré des ouvrages de peinture, sculpture et gravure exposés au Champ de Mars, le 24 Avril 1897. Paris, E. Bernard et Cie. (p.113).

2. Exposição Retrospectiva de Elyseu d’Angelo Visconti. Museu Nacional de Belas Ar-tes, Rio de Janeiro, 1949.

3. Retrospectiva Elyseo Visconti, Rio de Janeiro, novembro de 1949.4. Retrospectiva de Elyseo Visconti. São Paulo, 2a Bienal do Museu de Arte Moderna

de São Paulo, 1954.5. Exposição Comemorativa do Centenário de Nascimento de Eliseu Visconti . Rio de

Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 1967.6. Eliseu Visconti e a arte decorativa. Rio de Janeiro, PUC/FUNARTE, 1982.

5.3 - Thèses sur Visconti

1. SANCHES, Maria José. Impressionismo Viscontiniano. Dissertação de Mestrado, Departamento de Artes Plásticas da Escola de Comunicação e Artes da Universidade de São Paulo. Orientação do professor doutor Walter Zanini. São Paulo, 1982.

6 - Sources en Archives :

1. Archives Nationales de France. [Documents concernant l’Ecole des Beaux-Arts de Paris].

2. Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro. [Códice 50 - 3 - 9 - A. “ Teatro munici-pal ”].

3. Arquivos do Museu Dom João VI - EBA/UFRJ [ Procès-verbaux des réunions du Conseil de Professeurs et documents relatifs à Visconti].

4. Documents conservés par Tobias Visconti, fils d’Eliseu D’Angelo Visconti.5. Journaux :

A Ilustração Brasileira, Rio de Janeiro, (1909).A Noite Ilustrada, Rio de Janeiro, (Le 6 octobre 1936).Gazeta Artística, São Paulo (numéros de Janvier et Mars 1910).Jornal do Comércio, Rio de Janeiro. (1894 - 1900 ; 1941).O Paiz, Rio de Janeiro. (1885 - 1896).O Brazil Artístico, revista da Sociedade Propagadora das Belas Artes do Rio de

Janeiro, n.1, 1857.

270

ANNEXE 1

Fiches de renseignements sur les artistes brésiliens pensionnaires en Europe (1845 à 1887)

1 - Les pensionnaires de l’Academia Imperial das Belas Artes

On présentera ci-dessous les données concernant chacun des dix-sept lauréats des

concours de l’Académie, mais on examinera avec plus d’attention les six artistes suivants :

Agostinho José da Motta, Victor Meirelles de Lima, João Zeferino da Costa, Rodolpho

Bernardelli, Rodolpho Amoêdo et Oscar Pereira da Silva.

1. 1845 - Raphael Mendes de Carvalho (Santa Catarina, Brésil, v.1817 - ?, v.1870)

- Peintre - lieu d’études : Rome.

Raphael Mendes de Carvalho fut le premier élève de l’Académie à obtenir une

pension de l’Etat pour venir étudier en Europe. Gonzaga-Duque cite les oeuvres qu’il a

présentées à l’Exposition Générale de 1842, c’est-à-dire, avant l’obtention de la pension. Les

peintures présentées - trois portraits, une petite toile historique sur le Débarquement de Pedro

Álvares Cabral à Porto Seguro et une esquisse pour une oeuvre de grandes dimensions : La

plantation de la croix par les sauvages - témoignent de son adhésion à la préférence

académique pour la peinture d’histoire.

Dans l’Exposition de l’année suivante (1843), Mendes de Carvalho présenta un

tableau religieux : La Déposition du Christ. C’était “ une oeuvre régulièrement faite, plus

prometteuse que réelle ”, selon Gonzaga-Duque.1

On sait que Raphael Mendes de Carvalho a complété ses études à Rome. Mais on ne

connaît pas le nombre d’années de son séjour en Europe. Selon Campofiorito, “ il n’a rien

produit d’important ”.2 Et Gonzaga-Duque nous informe qu’après son retour au Brésil, il est

devenu professeur de dessin et s’est voué au genre du portrait.

1 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.121.2 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.96.

271

2. 1845 - Antônio Baptista da Rocha

- Architecte - lieu d’études : Rome.

Antônio Baptista da Rocha fut l'élève de Grandjean de Montigny à l’Academia

Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro. Entre 1833 et 1841 il fut sept fois récompensé par

l’Académie. Lors du premier concours de Prix de Voyage en Europe, il remporta le prix en

devançant six autres candidats : Maximiniano Mafra et Paulo José Freire, dans la section de

peinture d’histoire ; Virginius Alves de Brito et Francisco Ferreira Serpa, dans la section de

paysage ; Francisco Elydeo Pamphyro et Antonio Antunes Teixeira, dans la section de

sculpture.3 Après avoir obtenu le prix, il se rendit à Rome où il étudia à l’Académie de Saint-

Luc sous l’orientation du professeur Luigi Canina. Quelques-uns de ses envoies de Rome sont

conservés au Brésil, en particulier un Temple de la Fortune Virile.4

3. 1846 - Francisco Elydeo Pamphyro (Rio de Janeiro, 1823 - ?)

- Sculpteur - lieu d’études : Rome.

Le deuxième Concours de Prix de Voyage eut lieu le 13 octobre 1846. Le lauréat,

Francisco Elydeo Pamphyro, avait appris la sculpture sous l’orientation de Marc Ferrez, l’un

des professeurs venus avec la Mission Française. Francisco Pamphyro avait 23 ans lorsqu’il

remporta le prix. Ainsi que les deux premiers pensionnaires de l’Académie, il fut envoyé à

Rome. Plus tard, de retour au Brésil, il devint professeur de sculpture de l’Académie.

3 - “ O Prêmio de Viagem , resumo histórico ”, In : Boletim de Belas Artes, número especial. Edição da Sociedade Brasileira de Belas Artes. Rio de Janeiro, outubro/ novembro 1945. (p.98)

4 - JUNIOR, Donato Mello. “ Présence de Grandjean de Montigny au Brésil ”, In : Grandjean de Montigny, un architecte français à Rio, p.6.

272

4. 1847 - Geraldo Francisco Pessoa de Gusmão

- Graveur en médailles - lieu d’études : Paris.

On a très peu d’informations au sujet du lauréat de 1847. On sait qu’il s'est

perfectionné à Paris et qu’en décembre 1849 il fit une demande officielle pour prolonger son

séjour en France pendant deux ans afin de continuer ses études.5

5. 1848 - Francisco Antônio Nery (Rio de Janeiro, 1828 - id., 1866)

- Peintre d’histoire - lieu d’études : Rome

Après l’obtention du Prix de Voyage, Francisco Antônio Nery est parti à Rome. Il y

étudia à l’Académie de Saint-Luc en se spécialisant en peinture d’histoire. Il fréquenta cette

Académie jusqu’en 1851. Gonzaga-Duque raconte qu’il était encore très jeune lorsqu’il a

perdu la raison. Il est décédé à l’âge de 38 ans. Gonzaga-Duque écrit :

L’oeuvre de ce malheureux est triste comme les ténèbres qui envahissaient sa conscience. Le ‘Laboureur de Pharsale’ et ‘Télémaque et Philoctète’ sont des oeuvres très faibles. Le triste jeune homme avait l’âme imprégnée de mélancolie. Pour lui la nature n’avait pas l’éblouissement des couleurs.6

On observe que les sujets choisis par ce peintre se conformaient à l’orientation

académique qui privilégiait la thématique de l’histoire ancienne. Selon Campofiorito, Francisco

Antônio Nery ne se fait pas remarquer par son oeuvre.7

6. 1849 - Jean Léon Grandjean Pallière Ferreira (Rio de Janeiro, 1823 - Paris, 1887)- Peintre d’histoire - lieu d’études : Paris

Jean Léon Pallière est né à Rio. Son père était le peintre Armand Julien Pallière

(Bordeaux, 1784 - id., 1862), Français arrivé à Rio de Janeiro au cours du mois de novembre

de l'année de 1817, et sa mère était la fille de l’architecte Grandjean de Montigny, membre de

5 - Arquivo Nacional (Rio de Janeiro) - Fundo IE - 7, maços 14 et 15 . (Informations de la base de données de Carlos Roberto Maciel Levy)

6 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.124.“ A obra desse infeliz é triste como as trevas que avassalavam sua consciência. O ‘Lavrador de Farsalia’, ‘Telêmaco e Filoctetes’ são obras muito fracas. O desventurado moço tinha a alma impregnada de desalento, cansada de melancolias. A natureza (...) para Antonio Nery não tinha os deslumbramentos da cor (...). ”

7 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.96.

273

la Mission Française. A l’âge de cinq ans il fut amené en France8 et il s'est formé peintre à

Paris, sous l’orientation des professeurs Picot et Lenepveu.

Son nom est inscrit sur le registre des élèves des Beaux-Arts à Paris sous le numéro

19589. Ses données sont les suivantes :

n.1958 - Pallière, Jean Léonné le 1er janvier 1829 (sic)à Rio de Janeiro - Brésildemeure : 9, rue de Navarinprésenté par M. Picotdate de l’entrée : le 27 septembre 1841(de parents français)

Ces informations confirment qu’il a suivi des études à l’Ecole des Beaux-Arts de

Paris, huit ans avant de revenir à Rio de Janeiro pour se présenter au concours du Prix de

Voyage.

Le règlement du concours exigeait des candidats une formation suivie exclusivement

dans les institutions brésiliennes, pourtant Jean Léon Pallière emporta le Prix, lui qui avait

étudié à l’étranger. Manuel de Araújo Porto-Alegre protesta, mais la protection de Grandjean

de Montigny, grand-père du lauréat, et l’amitié du directeur de l’Académie, Félix Emile

Taunay, fils et neveu de deux maîtres de la Mission Française, ont pris le dessus.

À Paris, Jean Léon Pallière exécuta les travaux qui lui avaient été confiés - une toile

pour le salon de l’Académie, et trois tableaux de grandes dimensions : La Descente de Jésus-

Christ (ill.1)10, Faune et Bacchante, et Jésus-Christ à Getsémani. Encore une fois on observe

l’imposition d’une thématique inspirée de la Bible ou de l’antiquité classique.

8 - CAMPOFIORITO, p.75.9 - Archives Nationales de France, (AJ / 52 / 235) Registre des matricules des élèves des

sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période d’avril 1841 à mars 1871.

10 - L’abréviation (ill. 1) indique qu’une reproduction de l’oeuvre en question se trouve dans l’annexe Illustrations. De même pour les prochaines ‘illustrations’.

274

À la fin de son séjour comme pensionnaire Léon Pallière n’a pas voulu retourner au

Brésil et s'en alla vivre à Buenos Aires, en Argentine.11

7. 1850 - Agostinho José da Motta (Rio de Janeiro, 1824 - id., 1878)

- Peintre - lieu d’études : Rome

Agostinho da Motta arriva à Rome en 1851. Il y étudia dans l’atelier de Jean-Achille

Benouville (1815-1891), peintre français actif en Italie. À propos de son séjour, Gonzaga-

Duque nous raconte que l’artiste s’est dévoué aux études avec une ferme volonté, et amena au

Brésil beaucoup d’esquisses, dessins et peintures, parmi lesquelles la Vue de Rome (ill. 2) et

une étude de paysage italien louées par le critique. Selon celui-ci, “ la Vue de Rome, peinte du

naturel, est une oeuvre de valeur inestimable par la précision de la touche, par la poésie de la

combinaison des couleurs ”.12

Après son retour au Brésil, Agostinho da Motta devint professeur de peinture de

paysage à l’Académie de Rio de Janeiro. Il y exerça les activités de professeur pendant

quelques années. Plus tard, ayant abandonné ce travail, il continua à se vouer à son art,

réalisant surtout des natures mortes et des paysages.

Agostinho da Motta fut considéré comme le maître d’une technique rigoureuse, mais

de faible expression émotive.13 Ses paysages de Rio de Janeiro furent critiqués et jugés

méticuleux et froids. Quant aux natures mortes il fut le premier brésilien à s’y intéresser.

Gonzaga-Duque le décrit comme quelqu’un d’intelligent, cependant inactif, presque paresseux.

Le critique affirma :

La nature n’a pas captivé toute l’attention d’Agostinho da Motta. La plupart des fois il la méprisa et préféra créer, combiner et harmoniser des lignes qui traduisent la fine délicatesse de son goût, mais qui ne peuvent pas exprimer la sincérité de son émotion et la spontanéité de ses impressions. Si sa peinture est conventionnelle, cela n’est pas dû à un manque d’habileté, mais à son caractère paresseux.(...) Cependant il avait la veine des grands artistes.14

11 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, pp. 96 - 97.12 - GONZAGA-DUQUE. Arte Brasileira, p.130.

“ A ‘Vista de Roma’ tirado do natural é obra de inestimável valor pela precisão do toque, pela poética combinação da cor. ”

13 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p. 97.14 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 130.

275

8. 1852 - Victor Meirelles de Lima (Florianópolis, Santa Catarina, Brésil, 1832 - Rio de Janeiro, 1903)

Peintre - lieus d’études : Rome et Paris.

En tant que pensionnaire de l’Académie, Victor Meirelles est resté en Europe

pendant huit ans. La durée du séjour des pensionnaires était alors de trois ans, mais il bénéficia

d’une prolongation de sa pension, une première fois pour trois ans, et une seconde fois pour

deux ans.

Ce peintre est devenu par la suite l’un des principaux artistes de la période

monarchique. Sa carrière mérite donc un examen plus attentif.

Ses biographes affirment que Victor Meirelles était encore très jeune lorsque le

Conseiller Jeronymo Francisco Coelho l’amena à Rio, après avoir constaté son talent

artistique. En 1847, à l’âge de 15 ans, Meirelles s’inscrivit à l’Academia Imperial, où il obtint

tous les prix scolaires. Après cinq années d’études, il obtint le Prix de Voyage de 1852.

Victor Meirelles a quitté le Brésil le 10 avril 1853. Arrivé en Europe, il s’installa à

Rome. Après avoir pris conseil auprès d’Agostinho da Motta, il se fit disciple du professeur

Minardi15. Cependant, les études réalisées sous l’orientation de Minardi ne correspondaient pas

à ce à quoi Meirelles s’attendait. À ce propos, Laudelino Freire écrivit :

M. Minardi concevait que n’importe quel élève, même le plus habile, n’était jamais préparé au niveau du dessin pour passer à la peinture. Le disciple lui a signalé que, outre ce qu'il faisait chez son maître, il était obligé, d'après les instructions qu'il avait reçues de l’Académie brésilienne, d’exécuter des oeuvres originales. Le professeur sourit avec dédain et s’étonna de sa volonté de peindre, alors qu'il ne savait pas encore bien dessiner. Après cela, Victor Meirelles comprit qu’il fallait abandonner l’atelier du maître. Il monta son propre atelier et commença résolument à travailleur à son compte.16

“ A natureza não foi o primeiro cuidado de Agostinho da Motta. Muitas vezes ele a despre-zou para criar, combinar, harmonizar linhas que podem dar conta da fina delicadeza de seu gosto, porém nunca da sinceridade da sua comoção, e da espontaneidade das suas impres-sões. Convencionalista, não por inabilidade, porém por preguiça (...). No entanto ele tinha a fibra dos grandes artistas. ”

15 - MINARDI, Tommaso (Faenza, 1787 - Rome, 1871) - Il fut professeur à l’Académie de Saint-Luc à Rome de 1821 à 1858. [E. BENEZIT]

16 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 143.

276

On sait que Victor Meirelles eut encore un second professeur à Rome : Nicolau

Consoni, maître à l’Académie de Saint-Luc.17 Mais une fois de plus, Meirelles n’a travaillé que

très peu de temps sous l’orientation de ce professeur.

En 1855, sa pension arrivant à son terme, son ami et maître Porto-Alegre, directeur

de l’Académie depuis 1854, lui accorda une prolongation de trois années. Porto-Alegre

conseilla le pensionnaire d’aller à Paris et de faire tout son possible pour étudier dans l’atelier

de Delaroche. Mais Victor Meirelles arriva à Paris en 1856, l’année de la mort de Delaroche.

Ainsi il dut chercher un autre maître. D’abord il se fit élève de Léon Cogniet. En effet, on

trouve son nom parmi les inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1857, présenté par M.

Cogniet.18 Cependant, très vite il quitta ce maître et alla étudier dans l’atelier de Gastaldi19,

artiste italien établi à Paris. Selon Laudelino Freire, ce fut sous l’orientation de Gastaldi que

Victor Meirelles apprit à ‘voir la nature selon les gradations des formes et des distances’, à

“ O Sr. Minardi entendia de si para si, que o aluno por mais hábil que fosse nunca estava pronto no desenho de modo a passar à pintura. O discípulo observou-lhe que além do que fa-zia era obrigado pelas instruções que trazia a executar trabalhos originais. O professor riu-se desdenhosamente e estranhou que ele quisesse pintar quando não sabia ainda bem desenhar. Victor Meirelles à vista disso entendeu que devia abandonar o atelier do mestre e tomando um outro por sua conta começou resolutamente e por si só a estudar. ”

17 - Selon Campofiorito, Consoni fut professeur de Meirelles à Florence. Selon Laudelino Freire, Victor Meirelles suivi les cours de ce professeur à Rome. On a trouvé des données qui confirment l’information de Freire : Nicolas Consoni (Rieti, 1814 - Rome, 1884) après une période d’études à Pérouse, s’est fixé à Rome où il a exercé ses activités artistiques jusqu'à sa mort.

18 - Archives Nationales, France - (AJ / 52 / 235). “ Registre des matricules des élèves des sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période d’avril 1841 à mars 1871 ”. Victor Meirelles est inscrit sous le numéro 3031. Ses données sont les suivantes : n.3031 - LIMA, Victor Meirelles de ; né le 18 août 1832 à Santa Catari-na, Brésil ; demeure : 37, rue de Seine / 17, rue des Beaux-Arts ; présenté par M. Cogniet ; date de l’entrée le 9 avril 1857.

19 - Andrea GASTALDI (Turin, 1810 - id., 1889) - Peintre d’histoire, il étudia à Paris et y devient très populaire. [BENEZIT, v. 4, p.629].

277

‘mélanger les couleurs en les plaçant et assemblant sur la palette, de façon à produire

une composition facile des couleurs complémentaires’.20

Cette appréciation très positive sur le progrès de Victor Meirelles à Paris est

particulière à Laudelino Freire. On ne la trouve pas dans le récit d’autres auteurs. Mais sur un

point ils sont tous d’accord : le dévouement du pensionnaire aux études était remarquable. Ils

relatent que jour et nuit Victor Meirelles dessinait comme un fanatique dans les musées, dans

les galeries de l’Ecole, et travaillait même pendant les heures de repos.21 On raconte qu’à Paris

il ne s’est pas laissé éblouir par les séductions de la ville, il ne s’est pas amusé, il n’a fait que

travailler s’adonnant à l’étude du dessin et à la réalisation de copies de plusieurs maîtres

français.

L’application de Victor Meirelles a plu à ses professeurs brésiliens et en 1859 sa

pension fut encore une fois renouvelée. Il obtint alors une prolongation de deux ans afin de

réaliser le tableau La Première Messe au Brésil (ill. 4). On sait que Victor Meirelles soumit

l’ébauche de ce tableau à l’appréciation du peintre d’histoire Robert Fleury et reçut du maître

un avis favorable. En 1861, La Première Messe fut acceptée et exposée au Salon de Paris.

Victor Meirelles fut ainsi le premier Brésilien à exposer une de ses oeuvres au Salon.22 Ce

tableau est considéré jusqu’aujourd’hui comme l’une des plus importantes oeuvres produites

par l’Académie brésilienne.

Après avoir exposé La Première Messe en France, Victor Meirelles retourna au

Brésil et fut nommé professeur de peinture d’histoire de l’Académie. Il commença à exercer

ses activités de professeur en 1862 et il l'a fait jusqu’en 1890, lorsque la réforme entamée par

le régime républicain détermina son éloignement de l’enseignement officiel.

20 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p.143.“ Foi aos atilados avisos de Gastaldi que Victor Meirelles se desenvolveu e progrediu. Aprendeu a olhar por assim dizer, a ver as coisas na natureza, segundo a graduação que con-servam entre si, a forma, as distâncias. Mesmo no combinar as tintas ele estava atrasado ; Gastaldi ensinou-lhe a espalhar e reunir estas na palheta, produzindo a fácil composição das cores suplementares. ”

21 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.170.22 - CAMPOFIORITO, História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.161.

278

Dans l’Académie, il fut considéré comme le professeur qui forma le plus grand

nombre de disciples et dont l’action fut des plus utiles pour le développement de

l’enseignement de la peinture. Selon ses biographes, sa profession était pour lui un sacerdoce

et sa vie toute entière fut dédiée à ses élèves et à son art.

Entre 1862 et 1879, Victor Meirelles a travaillé et produit intensément, en même

temps qu’il exerçait son activité de professeur à l’Académie. Il a réalisé de nombreux portraits,

mais ses oeuvres les plus importantes furent celles à sujet historique ou biblique, telles que La

Bataille des Guararapes, Le Combat Naval du Riachuelo, Passage de l'Humaitá, Moema, La

Première Messe au Brésil, Saint Jean dans le cachot, Décollation, Flagellation du Christ

(ill.3), Le Serment de la Princesse Régente qui font partie des collections du Museu Nacional

de Belas Artes à Rio de Janeiro, sauf Moema, qui se trouve au Museu de Arte de São Paulo.

9. 1860 - José Joaquim da Silva Guimarães

graveur en médailles - lieu d’études : Paris.

Lauréat du Prix de Voyage de 1860, José Joaquim da Silva Guimarães a quitté Rio

de Janeiro le 25 mars 1861, à bord de la galère française Navarre. D’après un document de

l’Academia Imperial de Belas Artes, lui et José Rodrigues Moreira Júnior, lauréat de 1862,

ont eu ‘des difficultés en Europe’ en avril de 186423. Artiste pas très connu, on n’a pas

d’autres informations sur sa carrière et ses études. Il est certain qu’il a étudié à Paris, et c’est

peut-être lui l’élève brésilien inscrit dans l’atelier de sculpture de M. Jouffroy à l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris, dont on a trouvé le registre et les données suivantes :

n. 21 - Guimarães, Joaquim Joséné à Rio de Janeiro, Brésil, le 3 Mars, 1848[il n’y a ni la date de l’entrée, ni l’adresse de l’élève]24

23 - Arquivo Nacional, Brasil - Fundo IE-7, maços 18, 19, 20, 23, 38, 41 2 42 (37 documents).

24 - Archives Nationales, France. Registre d’inscription dans les ateliers de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris - 1863 / 1874 (AJ / 52 / 246).

279

10. 1862 - José Rodrigues Moreira

Architecte - lieu d’études : Paris.

D’après la lecture des documents, on sait que José Rodrigues Moreira embarqua le

16 juillet 1863 dans la galère Victoria vers l’Europe. Le 27 avril 1864, l’Academia Imperial de

Belas Artes demanda son admission à l’Ecole Impériale Spéciale des Beaux-arts de Paris.

Le 12 septembre 1866 il se trouvait à Paris. Il demanda alors l’autorisation de se

transférer à Rome afin d’y continuer ses études. Il n’a pas obtenu de réponse affirmative et

retourna au Brésil le 17 avril 1867.25

11. 1865 - Caetano de Almeida Reis (Rio de Janeiro, le 3 octobre 1838 ou 1840 - id., 1889)

- sculpteur - lieu d’études : Paris.

En 1854 Caetano de Almeida Reis s’est inscrit à l’Academia Imperial où il a fait des

études de sculpture. Après obtenir le Prix de Voyage en 1865, il alla étudier à Paris sous la

direction de Louis Rochet. Cependant, il eut sa pension suspendue avant de compléter son

séjour d’études. L’Académie décida de la suspension de sa pension après avoir considéré sa

sculpture Le fleuve Paraíba do Sul comme contraire aux normes classiques. Gonzaga-Duque

raconte :

En 1867 Almeida Reis était un pensionnaire de l’Académie et dans cette condition il devait choisir un sujet, selon l’habitude, dans la Bible, en gardant le plus grand respect pour la forme pure et immuable du classicisme. Mais il a choisi de représenter le Paraíba, qui n’a rien de biblique, ce qui accuse donc le plus irrévérencieux mépris envers la forme froide des allégories académiques. Cette audace a sans doute contrarié la dictature officielle de l’art. La statue est modelée en plâtre et représente une indienne assise sur un rocher d’où elle sépare deux pierres qui donnent libre accès à un cours d'eau. Avec la vigueur du mouvement que l’artiste lui a donnée, la fameuse dignité de la forme est disparue. Les bras qui s’efforcent de séparer deux cailloux ne peuvent pas avoir les contours des bras de la Vénus Callipyge, ni son corps présente les douces courbes de la Vénus de Médicis. La tension des muscles des bras et de la poitrine est sagement modelée (...). Il ne lui manque aucune des bonnes qualités de la sculpture. Il y a proportion dans le dessin, harmonie entre l’inspiration et l’exécution, l’expression est juste, la position originale, le modelé ferme et large. S’il y a

25 - Arquivo Nacional (Rio de Janeiro) - Fundo IE-7, maços 18, 19, 37 et 42 (17 documents) - informations de la base de données de Carlos Roberto Maciel Levy.

280

dans cette sculpture ces qualités essentielles, quelle autre qualité pourrait-on exiger de l’artiste ? Mais il me semble que le pensionnaire n’a pas satisfait l’Académie. Sa production originale fut donc mise de côté, sans mériter les moindres soins de conservation.26

Cet épisode est un exemple de la rigueur des principes néoclassiques au sein de

l’Académie à ce moment-là.

12. 1868 - João Zeferino da Costa (Rio de Janeiro, 1840 - id. 1915)

- Peintre - lieu d’études : Rome.

Le concours de 1868 eut cinq candidats, tous peintres d’histoire.27 Zeferino da Costa,

le lauréat, partit l’année suivante pour Rome où il séjourna pendant neuf ans. La troisième

année de son séjour en Italie, c’est-à-dire, en 1871, il obtint le premier prix du concours de

peinture de l’Académie de Saint-Luc. Il communiqua à l’Académie brésilienne l’obtention de

ce prix et le gouvernement lui concéda la somme de mille francs en récompense. En 1873, sa

pension fut prolongée de 3 ans.

À Rome, Zeferino da Costa réalisa un nombre considérable de très bonnes études et

trois tableaux - L’Obole de la Veuve (ill.5), Moïse reçoit les Tables de la Loi et Charité28 - qui

ont mérité le commentaire de Gonzaga-Duque :

26 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 244 - 245.“ En 67 Almeida Reis era um interno da Academia, e, nesta condição, devia escolher assun-to, segundo é praxe, na Bíblia, guardando o maior respeito pela forma pura e imutável do classicismo. Ora, a Paraíba nada tem de bíblico, logo acusa o mais irreverente desprezo pela fria forma das alegorias acadêmicas, arrojo este que, sem dúvida alguma, contrariou a dita-dura oficial da arte. A estátua é moldada em gesso e representa uma índia assentada sobre um rochedo donde ela separa duas pedras que dão livre passagem à veia d’água. E com o vi-gor do movimento que o artista lhe deu foi-se a muito pretendida e assaz falada dignidade da forma. Os braços que forcejam dois calhaus da rocha não podem ter o contorno dos bra-ços da Vênus Calipígia, nem o seu corpo apresenta as suaves curvas da Vênus de Medicis. A tensão dos músculos dos braços, dos do peito, são sabiamente feitos sem que o artista tives-se o ensejo de lançar mão de detalhes insignificantes sob pretexto de exatidão. Todavia não lhe falta nenhuma das boas qualidades da escultura. Há proporção no desenho, harmonia en-tre a inspiração e a feitura, a expressão é justa, a posição original, o modelado firme e largo. Existindo, pois, essas qualidades essenciais, quais ainda podia-se exigir do artista ? Parece-me que o interno não satisfez a Academia, e tanto que a sua original produção foi posta de lado sem que merecesse o menor cuidado na sua conservação. ”

27 - Données citées par Laudelino Freire, (Um Século de Pintura, p.135)28 - Ces oeuvres appartiennent aux collections du Museu Nacional de Belas Artes à Rio de

Janeiro.

281

Dans les deux premiers tableaux on décèle un coloriste de fine trempe, mais la Charité, en tant que conception artistique, est le meilleur parmi les trois. Le motif en est simple : une femme riche arrive à la misérable bicoque de quelques pauvres. Au fond de l’habitation, se soulevant sur sa paillasse, on perçoit la paralytique, l’habitante de cet obscur hameau, et à la porte d’entrée apparaît un valet avec les provisions que ce coeur généreux vient offrir à la pauvre.29

Cependant, le même auteur critiqua sévèrement un autre tableau de Zeferino : La

Pompéienne, toile réalisée à Rome en 1876 et exposée à Rio en 1879 :

(...), Zeferino a fait pour l’exposition de 1879 une étude de nu à laquelle il a donné le nom de Pompéienne (ill. 6), à la manière de certains parents qui baptisent leurs enfants avec les noms des figures historiques.(...). Qu’est-ce qui fait que cette mauvaise, cette ignoble figure, trempée dans l'huile, enduite de matières grasses aromatiques, barbouillée à la valoutine pour déguiser la grossière structure de se formes, ressemble à une pompéienne (...) ? Pompéienne pourquoi ? Je suis certain qu’aujourd’hui l’artiste ferait tout son possible pour effacer ce nom de son tableau.30

Le titre que le peintre avait choisi pour son étude de nu démontre l’habitude

académique de transformer toute peinture en peinture d’histoire.

29 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 217.“ Nos dois primeiros quadros percebe-se um colorista de fina têmpera, mas a ‘Caridade’, como concepção artística é dos três o que mais valor possui. O motivo é simples : uma rica mulher chega à miserável choupana de uns necessitados ; ao fundo, soerguida da enxerga, está a entrevada, a moradora desse casal obscuro, e na porta da entrada aparece um criado de libré com as provisões que esse generoso coração traz à pobre. ”

30 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 217 - 218.“ ... Zeferino fez para a exposição de 79 um estudo do nu a que deu o nome de Pompeiana, à maneira de certos pais que batizam seus filhos com os populares nomes dos vultos históri-cos. (...). Qual a causa de parecer pompeiana esta ruim, esta ignóbil figura, lavada em óleo, emplastada de gorduras aromáticas, besuntada de valoutine para disfarçar a alambazada es-trutura de suas formas ? Pompeiana por que ? Estou bem certo que hoje o artista daria tudo para apagar desse quadro o seu nome. ”

282

De retour au Brésil en 1876, Zeferino da Costa fut nommé professeur de l’Académie,

poste qu’il conserva jusqu'à son décès en 1915.

Zeferino da Costa retourna encore une fois à Rome, non pas pour y étudier, mais

pour réaliser les cartons préparatoires des peintures décoratives de l’église de la Candelária de

Rio de Janeiro. Revenu à Rio en août 1896, il finit son travail sur place. Postérieurement, ces

peintures décoratives furent jugées trop respectueuses des principes académiques.

Si le caractère académique de la peinture de Zeferino da Costa fut toujours souligné,

il faut observer que ce peintre fut l’un des trois professeurs de l’Académie qui, à la veille de la

proclamation de la République, se sont positionnés en faveur des élèves qui demandaient la

réforme de l’institution. Sa position révélait son mécontentement envers l’Académie, qui

l’empêchait de mener à bien son cours de peinture de paysage. Zeferino da Costa affirmait que

la peinture de paysage, “ peut-être plus que la peinture d’histoire, apprend à peindre, car

l’artiste doit être attentif aux ressources que la nature nous offre (la nature est le meilleur

maître de l’artiste) ”.31 En outre, Zeferino da Costa avait pour base de son enseignement la

peinture de plein air et réclamait le droit de varier les horaires de son cours de façon à

permettre aux élèves de travailler en dehors de l’atelier, dans des conditions lumineuses

variables.32 En défendant ces idées il s’est opposé à l’institution qui, selon lui-même, essayait

d’empêcher l’inscription des élèves dans cette discipline.

31 - Procès-verbal de la séance du conseil de professeurs de l’Académie, le 18 février 1888. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.“ ... esta aula sendo uma das aulas superiores da Academia, aquela que, talvez, mais do que a de Pintura histórica ensina a pintar, atento os [sic] recursos que nos prodigaliza a natureza (melhor mestre do artista)... ”

32 - Dans la séance du conseil de professeurs de l’Académie, le 18 février 1888, lors de la présentation des horaires et programmes des disciplines par les professeurs, Zeferino da Costa déclara que l’horaire de son cours de peinture de paysage devrait être varié. (Voir le procès-verbal de la séance, Museu Dom João VI, Rio de Janeiro).

283

13. 1871 33 - Heitor Branco de Cordoville

architecte - lieu d’études : Rome.

Après l’obtention du Prix de Voyage, Heitor Branco de Cordoville partit de Rio de

Janeiro le 28 juillet 1872, à bord du vapeur français La France. On n’a pas beaucoup

d’informations sur son séjour d’études, mais on sait qu’il s’est installé à Rome. La fin de son

séjour fut perturbée, car en 1876 il tomba malade, atteint d’une fièvre rhumatismale qui a duré

jusqu’en 1877. De plus il a laissé des dettes en Europe34. De retour au Brésil il fut nommé

professeur de la chaire d’ornements dans l’Académie.

14. 1876 - Rodolpho Bernardelli (Guadalajara, Mexique, 1852 - Rio de Janeiro, 1931)

Sculpteur - lieu d’études : Rome.

Le lauréat de 1876, le sculpteur Rodolpho Bernardelli, fut un personnage marquant

dans l’histoire de l’Académie brésilienne des Beaux-Arts. Les témoignages de ses

contemporains le montrent tantôt comme un génie dans son art, tantôt comme un homme

machiavélique qui a su manipuler les hommes de pouvoir pour obtenir toutes les faveurs de

l’Etat, en empêchant le progrès de tout autre sculpteur qui aurait pu ternir sa propre

renommée.35

En suivant sa trajectoire depuis son temps de pensionnaire en Europe jusqu’à ce qu'il

devînt le directeur de l’Escola Nacional de Belas Artes en 1890, on remarque qu’en plus de

son talent artistique il avait une grande habileté politique. De retour au Brésil en 1885, après

un séjour de neuf ans en Italie, il devint professeur de l’Academia Imperial et fut reçu par les

étudiants comme une gloire nationale. Par la suite, pendant l’agitation à la veille de la

Proclamation de la République, il s’est lié aux étudiants qui revendiquaient une réforme de

l’Académie, et finalement, après le changement de régime politique du pays, il fut nommé

33 - Les sources consultées étaient controversées sur la date de ce concours. Elles indiquaient parfois l’année de 1870, parfois 1871. En consultant les documents de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro on trouve la confirmation pour l’année de 1871. Références du document : (notação 5020) de 30/8/1871, Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.

34 - Arquivo Nacional, Brasil - Fundo IE7, maços 21, 22, 23, 40 e 117 (32 documents).35 - Le professeur et peintre Modesto Brocos fut l’un de ses plus ardents ennemis, mais des

journalistes contemporains l’attaquaient aussi, comme ce fut le cas du Comte Carlos de Laet, qui signait sous le pseudonyme de Cosme Peixoto ses articles dans le Jornal do Brasil.

284

directeur de cette institution qui gagnait un nouveau nom, celui d’Escola de Nacional de Belas

Artes.36

Lors du concours de 1876, Rodolpho Bernardelli n’a pas eu des concurrents, le seul

candidat étant lui, qui fut aussi le lauréat. Elève de sculpture de l’Academia Imperial, il s’était

déjà fait remarquer parmi ses collègues. Immatriculé à l’Académie en 1870, en 1873 il exécuta

sa première statue, David, vainqueur de Goliath. Cette oeuvre lui permit d’obtenir sa première

médaille d’or, à l'occasion de l’Exposition Générale. En 1874 il exécuta la Nostalgie de la

Tribu et, un an après, Aux Aguets, deux statues primées dans l’Exposition Universelle de

Philadelphie.37 Pour le concours de Prix de Voyage il réalisa un travail en accord avec les

tendances classiques du cours de sculpture, la composition en bas-relief Priam implore le

corps d’Hector à Achille.

Après le concours il est immédiatement parti et, ayant d'abord passé deux mois à

Paris il s’établit à Rome, où il installa son atelier. À propos de ses premières expériences en

Europe il laissa lui-même le témoignage suivant :

(...) Ainsi, arrivé à Paris en décembre 1876, l’art contemporain n’a pas exercé d’influence sur mon esprit. C’étaient des oeuvres sans vie. En France, l’Empereur [Dom Pedro II] a voulu connaître mon programme d’études. J’ai exprimé à S.M. mon mécontentement parce que je ne pouvais pas entrer dans l’Institut. Cet établissement avait été réformé et était devenu une simple institution de préparation, ce qui m'aurait obligé à étudier des disciplines dont je n’avais plus besoin, car j’étais déjà préparé, d'une part, et d'autre part parce qu’il fallait que j’accomplisse le programme obligatoire pour satisfaire le règlement de notre Académie. J’ai communiqué à l’Empereur que j’avais adressé une lettre au Directeur en demandant de me libérer de l’obligation de m’inscrire dans l’Institut. Dans la même lettre j’avais envoyé les statuts qui prouvaient que l’Institut était devenu quelque chose comme notre Lycée des Arts et Métiers. (...).

36 - Rodolpho Bernardelli fut directeur de l’Escola Nacional de Belas Artes pendant 25 ans. En 1915, un mouvement de professeurs et d’élèves lui enleva la direction de l’Ecole.

37 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.251.

285

À Rome, où je suis arrivé au cours du mois de février 1877, j’ai été étourdi les premiers jours, car c’était la période du Carnaval, il y avait une invasion de touristes et j’ai rencontré des difficultés pour trouver un appartement (...).

En Italie, où je suis arrivé après avoir passé deux mois à Paris, l’ambiance n’était pas très encourageante, parce que la nation était encore sous l’impression de la constitution de la nouvelle capitale, Rome. J’ai passé par Florence où je suis allé visiter mon professeur d’Esthétique, le Dr. Pedro Américo. (...). 38

Ces notes indiquent que le pensionnaire aurait dû accomplir ses études à Paris. Le

sculpteur changea habilement sa destination pour Rome. On sait que par la suite il est resté en

Italie pendant neuf ans. En effet, Bernardelli a réussi à obtenir une prolongation de trois ans,

car en principe la pension était prévue pour une durée de six ans seulement.

En décembre 1882, Rodolpho Bernardelli invita le Baron de Javary, ministre du

Brésil en Italie, pour visiter son atelier. Le ministre était chargé, comme on a vu dans le

chapitre 2, d’accompagner les progrès de l’artiste. Lors de cette visite, Bernardelli réussit à

impressionner très favorablement le Baron. Ensuite le ministre écrit une lettre au directeur de

l’Académie où il ne fit que des éloges au sculpteur :

38 - Archives du Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro, Archive personnelle de Rodolpho Bernardelli, Mapoteca, Pasta n.4, doc. N. 188. Cité par WEISZ, Suely de Godoy. “ Rodolpho Bernardelli, um perfil do homem e do artista segundo a visão de seus contempo-râneos ”. In : 180 Anos de Escola de Belas Artes. EBA, UFRJ, Rio de Janeiro, 1997. p.245.“ Assim foi que chegando a Paris em Fevereiro de 1877 - A Arte contemporânea não influiu no espírito. Eram obras sem vida, em França o Imperador quis saber qual era o meu progra-ma de estudos, e externando a S. M. meu desgosto por não poder entrar para o Instituto por este estabelecimento ter sido reformado em uma instituição apenas de preparo e obrigar a es-tudar matérias das quais eu já me achava preparado, e por ter um programa obrigatório a cumprir para satisfazer o regulamento da nossa Academia. Participei a S. M. que havia ofici-ado ao Diretor que me relevasse da cláusula de matricular-me no Instituto e mandava-lhe os estatutos por onde podia verificar que o Instituto era uma espécie de nosso Liceu de Artes e Ofícios. (...). Em Roma onde cheguei em Fevereiro de 1877 passei os primeiros dias tonto, era época de carnaval, havia muita invasão de forasteiros, dificuldade de arranjar um aparta-mento (...). Na Itália, onde fui depois de ter passado quase dois meses em Paris, a atmosfera não era mais animadora e aí por estar ainda a nação debaixo da impressão da constituição da nova capital Roma, passando por Florença onde me demorei alguns dias e fui visitar o meu prof. De Estética Dr. Pedro Américo (...). ”

286

En répondant à l’invitation du pensionnaire de l’Académie des Beaux-Arts, M. Rodolpho Bernardelli, je suis allé voir dans son atelier la copie de la sculpture ‘Vénus Callipyge’ dont l’original se trouve au Musée de Naples, copie qu’il vient de finir et qu’il va envoyer à Rio de Janeiro. Dans la mesure de mes limites, je peux vous dire que le jeune sculpteur brésilien a reproduit avec succès cette statue magnifique, aussi admirable par la beauté esthétique des formes que par l’harmonie artistique des draperies.

À l’occasion de cette visite j’ai pu voir aussi l’ébauche en glaise d’une statue qu’il prétend exécuter en marbre, destinée à notre Académie : ‘Jésus Christ protégeant la femme adultère contre ceux qui voulaient la lapider’. Ce sujet, capable sans aucun doute d’inspirer l’artiste, a déjà été plusieurs fois traité en peinture, mais je ne connais pas de sculpture sur ce thème. (...) je vais me limiter à vous communiquer l’impression que ce travail m’a fait - l’impression que le beau absolu produit habituellement sur tous les gens et même sur les moins initiés dans les secrets de l’art. M. Bernardelli, en plus du mérite d’avoir choisi une telle composition, a su communiquer à son oeuvre le beau absolu dont je parle, et qui impressionne à tous.39

Dans la suite de sa lettre, le ministre continue à faire l’éloge de l’oeuvre de Rodolpho

Bernardelli, en ajoutant la déclaration d’un sculpteur italien qui était présent lors de sa visite à

l’atelier.

39 - Lettre de M. Pedro Leão Velloso, Baron de Javary, Ministre et Secrétaire des Affaires Etrangères de l’Empire, adressée au Directeur de l’Academia Imperial de Belas Artes. Rome, le 19 décembre 1882. [Lettre mentionnée dans le procès verbal de la séance du 15 février 1883, Museu Dom João VI, Escola de Belas Artes, Universidade Federal do Rio de Janeiro]. “ Por convite do pensionista da Academia das Belas Artes Sr. Rodolpho Bernardelli, concor-ri ao seu atelier para ver a reprodução que ele concluiu e vai remeter para o Rio de Janeiro, da Vênus Calipígia do Museu de Nápoles. Quanto me é possível julgar, o jovem escultor bra-sileiro reproduziu com muito bom êxito essa magnífica estátua, tão admirável pela beleza es-tética das formas, como pela harmonia artística da roupagem. - Nessa minha visita ao atelier do Sr. Bernardelli, também vi o modelo primitivo que ele fez em greda, para esculpir o grupo de mármore destinado à nossa Academia das Belas Artes : - Jesus Cristo amparando a mu-lher adúltera contra os que a queriam lapidar. Este assunto, apto sem dúvida a inspirar o ar-tista, já por vezes tem sido magistralmente tratado em pintura, mas não me consta que o te-nha sido pela escultura. - Incompetente como sou para formular juízo sobre este trabalho ar-tístico de grandiosas proporções, limitar-me-ei a dar conta da impressão que ele me produziu - a impressão que o belo absoluto sói produzir ainda nos menos iniciados nos segredos da arte. O Sr. Bernardelli, a par do mérito especial da iniciativa da composição, soube comuni-car a essa sua obra o belo absoluto de que falo, e que a todos impressiona. ”

287

Je ne peux pas m’empêcher de mentionner ici la déclaration que j’ai entendue alors de la bouche d’un sculpteur italien distingué qui était présent et qui, après avoir analysé cette production de M. Bernardelli comme je ne peux le faire, m’a dit que ce groupe apporterait beaucoup d’honneur à l’artiste brésilien et à sa patrie, et qu’il était digne de figurer dans les meilleures Académies européennes.40

On s'étonne du hasard qui a fait comparaître dans l'atelier de Rodolpho Bernardelli,

au moment même de la visite du ministre, un sculpteur italien qui s'est chargé d’assurer celui-ci

de la qualité du travail de l'artiste, en affirmant “ qu’il était digne de figurer dans les meilleures

Académies européennes ”. Pour les Brésiliens de cette période, il ne pouvait pas avoir de plus

grande gloire que d’être accepté dans le cercle des ‘nations civilisées’, et s’il est certain que le

ministre était impressionné par l’oeuvre du sculpteur brésilien, il est aussi sûr que l’affirmation

de l’Italien a produit son effet.

Cette lettre fut communiquée à l’ensemble des professeurs lors de la séance du corps

enseignant réalisée le 15 février 1883. Le 22 décembre 1883, une prolongation d’une durée de

18 mois fut accordée au pensionnaire “ afin qu’il puisse conclure le travail qu’il est en train

d’exécuter, [Le Christ et la femme adultère] et visiter en Europe les musées et galeries des

pays riches en monuments artistiques ”.41 En février 1884 Bernardelli reçut 6 mil francs pour

exécuter une copie en marbre de la statue “ Vénus de Médicis ”.42

Tout au long de son séjour en Italie, Rodolpho Bernardelli travailla à son propre

compte et n’a pas eu de maîtres. Mais en cas de nécessité il demandait conseil aux maîtres

italiens, les statuaires Monteverde et Maccagnani d’Orsi.

40 - Idem. “ Não posso furtar-me ao desejo de referir a V. Excia o que então ouvi a um distinto escultor italiano que presente estava e que, depois de analisar esta produção do Sr. Bernardelli como eu não posso fazê-lo, disse-me que esse grupo fazia muita honra ao artista brasileiro e à sua pátria, e que era digno de figurar nas melhores Academias européias. ”

41 - Procès verbal de la séance du 22 décembre 1883. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

42 - Procès verbal de la séance du 15 février 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

288

En octobre 1885, de retour à Rio de Janeiro, il devint professeur de sculpture de

l’Académie. En lisant le procès verbal de la séance du 24 octobre 1885, jour où Rodolpho

Bernardelli assuma cette charge, on voit qu'après un rituel amical en compagnie des

enseignants de l'institution, l’ancien pensionnaire fut reçu avec éclat et une immense joie par

ses futurs élèves :

Alors M. le Conseiller Directeur déclare la séance close e descend avec tous les professeurs à la salle où se trouvent exposés les travaux de M. Bernardelli ; et là il présente aux élèves le jeune professeur qui est reçu avec une acclamation étourdissante, de la musique, des fleurs et des applaudissements par tous les élèves de l’Académie et du Conservatoire de Musique ; après avoir été autorisé par M. le Conseiller Directeur, l’un des élèves de l’Académie, au nom de ses collègues, dirige un discours élogieux au nouveau professeur et lui offre un bouquet de fleurs.43

Ainsi, au bout de neuf ans d’études à Rome, Bernardelli retournait au Brésil comme

une célébrité. Par la suite il a maintenu cette position privilégiée, en recevant de nombreuses

commandes publiques. En effet, le critique d’art Gonzaga-Duque écrivait en 1888 :

“ l’individualité de Rodolpho Bernardelli est, parmi les artistes contemporains, celle qui brille le

plus et qui jouit de la plus grande renommée ”.44

À propos du Christ et la femme adultère, le même critique affirma que Bernardelli

avait conçu ce groupe “ en dehors de toute préoccupation classique et animé par un pouvoir

mystérieux ”.45

43 - Procès verbal de la séance du 24 octobre 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.“ Então o Sr. Conselheiro Diretor declara encerrada a sessão e desce com todos os professo-res à sala onde se acham expostos os trabalhos do Sr. Bernardelli ; e aí apresenta aos alunos o jovem professor, que é recebido em estrondosa ovação, com música, flores e palmas por todos os alunos da Academia e do Conservatório de Música ; e obtida permissão do Sr. Con-selheiro Diretor, um dos alunos da Academia em nome de seus colegas, lhe dirige um discur-so congratulatório, e oferece um ramo de flores. ”

44 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p.256.“ ... a individualidade de Rodolpho Bernardelli é, entre os artistas contemporâneos, a que mais brilha e goza de maior nomeada. ”

45 - GONZAGA-DUQUE. Idem, p. 253.“ ... fora de toda preocupação clássica e animado por estranho poder. ”

289

(...) Le Christ de Bernardelli est un type judaïque, humain, réel ; il ne rappelle pas les anciennes créations de la sculpture, il n’est pas une inspiration de la foi catholique selon l’imposition des dogmes, il n’est pas un type transcendant et mystique, tel que l’avait créé Léonard da Vinci ou l’avait imaginé le béatifique Fiesole. Et là se trouve la valeur de sa statue. Pour représenter le Christ tel que l’avaient idéalisé les maîtres du passé et de la Renaissance, il aurait fallu que le milieu actuel dans lequel vit l’artiste fût tombé dans la foi fervente du temps des martyres (...). Mais son Christ n’est pas non plus une création proprement à lui (...). Et tel qu’on le voit dans son oeuvre, plusieurs maîtres l’avaient déjà conçu, et le plus remarquable parmi eux fut le célèbre Delacroix.46

Gonzaga-Duque loue la modernité de cette statue et conclut que “ Bernardelli est un

réaliste qui a comme unique préoccupation la vérité ”.47 Le sculpteur était considéré, dans le

milieu brésilien, comme un artiste novateur. En même temps sa technique était louée par sa

perfection. Le critique raconte qu’en 1886 il a vu Rodolpho Bernardelli travailler, et

communique son impression :

Il est presque impossible d’expliquer la manière par laquelle il sculpte si vite et si délicatement . Son habileté technique arrive à la perfection, et il est si soigneux de l’exécution de ses oeuvres qu’il n’existe pas de forces humaines capables de le faire fondre un bronze à Rio de Janeiro.48

46 - GONZAGA-DUQUE. Idem, p.254.“ O Cristo, de Bernardelli, é um tipo judaico, humano, real ; não relembra de forma alguma as antigas criações da escultura, não é uma inspiração da fé católica segundo a imposição dos dogmas, não é um transcendente tipo místico, tal como criara Leonardo da Vinci ou o imaginara o beatífico Fiesole. Nisto vai o valor da sua estátua. Para fazê-lo como o idealiza-ram os mestres do passado e do renascimento fora necessário que o meio atual em que o ar-tista vive tivesse decaído para a fervorosa fé do tempo dos mártires, (...). Mas, também, não é uma criação propriamente sua, (...). Assim, como ali vemo-lo, já o tinham concebido mui-tos mestres, tornando-se mais notável entre todos, o célebre Delacroix. ”

47 - GONZAGA-DUQUE. Idem, p.255.48 - GONZAGA-DUQUE. Idem, p.251.

“ É quase impossível precisar a maneira pela qual ele esculpe tão rápida e tão delicadamente. A sua habilidade técnica chega à perfeição, e tal é o cuidado que sói dispensar à feitura de suas obras que não há forças humanas capazes de fazerem-no fundir um bronze no Rio de Janeiro. ”

290

15. 1878 - Rodolpho Amoêdo (Rio de Janeiro, 1857 - id., 1941)

Peintre - lieu d’études : Paris

Né à Rio de Janeiro, Rodolpho Amoêdo est parti vivre à Bahia à l’âge de six ans. En

1868 il retourna à Rio et dès 1873 il commença ses études artistiques au Lycée des Arts et

Métiers de cette ville. L’année suivante il s’inscrivit à l’Academia Imperial où il suivit des

études de peinture avec les professeurs Victor Meirelles, Agostinho da Motta et Zeferino da

Costa.49 Quatre années plus tard il remporta le Prix de Voyage et s'en alla étudier à Paris où il

séjourna pendant une période de neuf ans.

En 1939, âgé de 82 ans, Amoêdo raconta les souvenirs les plus marquants de sa

carrière artistique à Tapajós Gomes, journaliste du Correio da Manhã. Il est intéressant de

citer quelques passages de cet article de journal, car le récit de Rodolpho Amoêdo exprime très

bien la mentalité académique de la seconde moitié du XIXe siècle, et nous fait connaître les

détails du concours de Prix de Voyage et du séjour à Paris :

Amoêdo m’a rappelé les péripéties de son concours, lors de la dispute pour le Prix de Voyage en Europe de l’ancienne Academia Imperial de Belas Artes (...). Le maître faisait concurrence à Henrique Bernardelli qui bénéficiait de l’appui officiel. Cela, cependant, ne lui faisait pas peur ; et malgré l’hostilité qu’il a dû affronter, Amoêdo remporta le prix avec son tableau ‘Le Sacrifice d’Abel’ et partit vers l’Europe le mois de mai 1879. (...). Cependant, malgré sa victoire, le maître ne s’est pas libéré tout de suite de l’animosité de ceux qui sont restés au Brésil. Si le règlement des Prix de Voyage était rigoureux, pour Rodolpho Amoêdo il est devenu draconien. Le prix durait cinq ans ; mais pendant les trois premières années, les autorités de l’Académie pouvaient, du jour au lendemain, supprimer la pension aux étudiants dont le progrès ne correspondait pas à leur expectative. Il suffisait, pour cela, d’une simple résolution des autorités des Beaux-Arts, (...). Mais le jeune artiste ne se découragea pas. En arrivant à Paris le mois de mai 1879, il fut d’abord élève auditeur libre de Cabanel. Ensuite il passa à l’atelier Boulanger - Lefebvre, afin de s’y préparer pour le concours d’admission à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. 50

On observe que les épisodes du concours et ses débuts difficiles à Paris marquèrent

fortement Rodolpho Amoêdo. La menace de suspension de la pension qui assurait à

l’Académie brésilienne le contrôle exercé sur les pensionnaires en Europe pesa sur le peintre

49 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 290.50 - GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Ma-

nhã, suplemento de domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.

291

pendant les trois premières années de son séjour. La suite de l’article nous montre un élève

dévoué aux leçons des maîtres français. Rodolpho Amoêdo raconta à Gomes ses premières

tentatives de faire reconnaître son talent par les professeurs :

Evidemment, ayant l’esprit vivement artistique, toujours rêveur de réalisations grandioses et en composant mentalement des tableaux superbes, Amoêdo ne pouvait pas se limiter aux ‘académies’ qu’il était obligé de dessiner au cours Boulanger - Lefebvre. Un jour donc il montra au maître un tableau qu’il avait peint, sûr d’avoir fait une oeuvre qui avait de la valeur. Le vieux Boulanger, avec une simple phrase le fit tomber du haut de ses convictions :

- Devant ‘cela’, je ne peux rien vous dire. Il faut faire mieux. 51

L’épisode ne découragea pas le pensionnaire qui poursuivit son dessein :

“ Amoêdo recorda-me as peripécias de seu concurso, em disputa do prêmio de viagem à Eu-ropa, da antiga Imperial Academia de Belas Artes, (...). O velho mestre competia com Henri-que Bernardelli, que dispunha da boa vontade oficial. Isso, entretanto, não o amedrontava ; e apesar da hostilidade que teve de enfrentar, Amoêdo venceu o concurso, com o seu quadro “ O sacrifício de Abel ”, partindo para a Europa em maio de 1879. (...). O mestre, entretanto, apesar de vitorioso, não se livrou desde logo da má vontade dos que ficaram. Se o regula-mento dos prêmios de viagem já era por si mesmo exigente, para Rodolpho Amoêdo se tor-nou escorchante. O prêmio durava cinco anos ; mas as autoridades de Belas Artes podiam, dentro dos três primeiros anos, de um momento para o outro, cortar a pensão ao pensionista cujos progressos não correspondessem à sua expectativa. Bastava, pois, uma simples resolu-ção das autoridades de Belas Artes, (...). Não desanimava, porém, o jovem artista. Chegado a Paris, em maio de 1879, foi, primeiro, aluno livre de Cabanel. Passou-se depois para o ate-lier Boulanger - Lefebvre afim de se preparar para o concurso de entrada para a Escola de Belas Artes de Paris. ”

51 - GOMES, Tapajós. Idem.“ Evidentemente, com o seu espírito acentuadamente artístico, sonhando sempre com reali-zações grandiosas e compondo sempre, mentalmente, quadros soberbos, não poderia Amoê-do limitar-se às ‘academias’ que era obrigado a desenhar, no Curso Boulanger - Lefebvre. Um dia, pois, exibiu um quadro que pintara, estava certo de que havia feito obra de valia, quando o velho Boulanger, com uma simples frase, o fez despencar do alto das suas convic-ções, dizendo-lhe :- Diante ‘disto’, nada lhe posso dizer. Trate de fazer coisa melhor.

292

Amoêdo s’adonna plus qu'avant corps et âme aux études. Victorieux au concours d’admission à l’Ecole, il s’est inscrit dans le cours de Cabanel. 52

(...). Lors des concours mensuels pour fréquenter les cours de Cabanel, la première place revenait toujours à l’un de ces trois élèves : Rivemale, Lavalay et Amoêdo, parmi quarante étudiants. Ainsi, les résultats présentés par le pensionnaire faisaient disparaître petit à petit l’animosité des autorités des Beaux-Arts brésiliens. La première, la deuxième et la troisième année du pensionnat s'écoulèrent. Dès lors il était libéré de l’épée de Damoclès pendue au-dessus de sa tête. 53

On sait que le parcours des élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris était comme

une course d’obstacles. Les concours se déroulaient tout au long de l’année et pour assurer

sa place à l’intérieur de l’atelier l’étudiant devait remporter des médailles ou des mentions.

Amoêdo, en se faisant remarquer parmi les élèves de Cabanel, assurait de plus la continuité

de sa pension, accordée par l’Académie brésilienne.

En 1882, la quatrième année de son séjour en France, Amoêdo commença à songer à

participer au Salon. Tapajós Gomes raconte :

C'était l’année de 1882, et Rodolpho Amoêdo rêvait déjà du Salon des Artistes Français. Les vers émouvants du roman de Gonçalves Dias, ‘Marabá’, l’indienne des yeux pers couleur de saphir, sont tombés sous sa main. Le tableau peint par le poète fut mis sur la toile par le pinceau du peintre. C’était un travail vraiment difficile celui d’évoquer, au milieu d’une civilisation raffinée, les yeux noirs, le visage bronzé par le soleil, l’allure flexible d’un palmier, les cheveux noirs et lisses d’une indienne brésilienne.

52 - Le nom d’Amoêdo se trouve dans la liste d’élèves inscrits à l’atelier de Cabanel en 1879. (Archives Nationales, France [AJ/52/248] - Inscriptions dans les ateliers de peinture, sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945. Les données que l’on y trouve sont les suivantes : numéro 448 - Amoêdo, Rodolpho ; né le 12 octobre 1857 à Rio de Janeiro, Brésil ; demeure : 4bis, r. des Beaux-Arts ; date de l’entrée : le 5 juillet 1879.) Son admission dans l’atelier Cabanel date de 1879, mais l’entrée à l’Ecole, selon la liste des matricules, s’est faite le 10 août 1880, son numéro de matricule étant le 4612. (Archives Nationales, France. [AJ / 52 / 236]. Inscriptions dans les sections de peinture et sculpture - octobre 1871 à juillet 1894).

53 - GOMES, Tapajós. Idem.“ Amoêdo, mais do que nunca, se entregou de corpo e alma aos estudos. Vitorioso no con-curso de entrada para a Academia, matriculou-se na aula do velho Cabanel. (...). Nos con-cursos mensais para freqüentar as aulas de Cabanel, o primeiro lugar nunca saía de um destes três alunos : Rivemale, Lavalay e Amoêdo, entre quarenta condiscípulos. De modo que, di-ante dos resultados por ele apresentados, a má vontade das nossas autoridades de Belas Ar-tes foi cedendo. Venceu o primeiro, o segundo, o terceiro ano de pensionato. Daí em diante, estava livre da espada de Damocles, que tinha sobre a cabeça. ”

293

Rodolpho Amoêdo, cependant, n’était pas un tempérament à se décourager facilement, et s’est mis à l’oeuvre.

Un jour, maître Cabanel, membre du jury d’admission au Salon, lui adressa la parole pour lui demander soudainement :

- C’est vous qui avez peint Marabi ou Marabá ?

- Oui, Marabá.

- Mes félicitations ! Le tableau fut accepté au Salon, il est superbe! Mais n’envoyez plus jamais des travaux sans me les avoir montrés auparavant. Cette fois-ci, vous avez été heureux, car vous avez été accepté. Mais il se pourrait que vous ne l'étiez pas, et dans ce cas votre échec aurait eu des reflets sur moi qui suis votre professeur.

- Je vous assure - m’a dit Amoêdo - que ma joie à ce moment-là fut si grande, que je ne me suis pas fâché d’entendre les mots de Cabanel. Je ne pouvais penser à autre chose qu’à mon tableau accroché à côté des célébrités de partout ! Si j'avais été un autre, j’aurais pu me considérer l'égal de mon maître, parce que tous les deux nous étions dans le Salon. Mais je me suis limité à l’embrasser avec épanchement, ayant du mal à contenir mon émotion qui était formidable ! Ce fut l’une des plus grandes émotions de ma vie d’artiste, et elle était double : celle d’être admis au Salon, et celle d’avoir mérité un éloge de Cabanel. 54

La joie du disciple qui voit l’un de ses travaux loué par le maître est touchante car

elle n’est pas disparue au fil des années. À l’âge de 82 ans, Amoêdo s’en souvenait toujours 54 - GOMES, Tapajós. “ Rodolpho Amoêdo, mestres do nosso Museu ”, In Correio da Ma-

nhã, Suplemento de Domingo. Rio de Janeiro, le 23 juillet 1939.“ Estávamos em 1882, e Rodolpho Amoêdo sonhava já com o Salon des Artistes Français. Caíram-lhe sob os olhos os versos sentidos de Gonçalves Dias, sobre o romance de ‘Marabá’, a índia dos olhos garços da cor das safiras. O quadro pintado pelo poeta foi posto na tela pelo pincel do pintor. Era um trabalho realmente difícil, esse de evocar, num meio de civilização requintada, os olhos pretos, o rosto de jambo crestado pelo sol, a estatura flexível de palmeira, os cabelos negros e lisos de uma índia brasileira. Rodolpho Amoêdo, porém, não era temperamento para esmorecer e, assim, meteu mãos à obra.Um dia, mestre Cabanel, membro do jury de entrada para o Salon, perguntou-lhe de surpre-sa :- Marabi ou Marabá foi pintada por você ?- Sim, Marabá.- Receba, então, minhas felicitações. Foi aceito no Salon. Muito linda ! Mas não mande mais nenhum trabalho, sem me mostrar antes. Desta vez, foi feliz porque foi aceito. Mas poderia não ter o sido, e, nesse caso, o seu fracasso refletiria em mim, que sou seu professor.

294

avec émotion. Mais l’épisode est aussi un témoignage du fonctionnement du système

académique français. Cabanel fit des réprimandes au disciple car celui-ci ne lui avait pas montré

son tableau avant de l’inscrire au Salon. Le refus de l’oeuvre d’un disciple déteignait sur le

maître. Il est aussi intéressant de souligner l’importance accordée par Rodolpho Amoêdo au

Salon : y exposer représentait pour lui être l'égal des artistes les plus renommés en France.

Marabá (ill.7), après avoir été exposée au Salon, fut envoyée par Amoêdo à

l’Academia Imperial comme l’un des trois travaux obligatoires de la troisième année de

pensionnat. Dans le procès-verbal de la séance du 15 février 1883, on peut lire l’analyse faite

par les professeurs Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros à propos des oeuvres

envoyées :

Après l’examen des travaux de troisième année envoyés par le pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo qui se trouve à Paris,(travaux qui consistent en trois tableaux, à savoir : - une figure de femme, grandeur nature, intitulée ‘Marabá’ ; - un torse de femme ;- et une demi-figure de petite fille habillée en paysanne italienne), les professeurs de peinture donnent leur avis :

En ce qui concerne ‘Marabá’ - il s'agit d'une figure bien composée, largement faite, de coloris agréable. Le dessin cependant n’est pas satisfaisant. Il est étudié avec soin de la tête jusqu'à la région de la poitrine, mais de cette région jusqu’aux jambes le dessin est négligé.

Dans l’étude de torse de femme (vu de dos) M. Amoêdo fut plus heureux, aussi bien dans le dessin que dans le modelé.

Quant au troisième et dernier travail, la demi-figure de petite fille habillée en paysanne italienne, c'est une étude entièrement différente des deux premières ; tandis que les premiers travaux sont exécutés largement, celui-ci est minutieux et scrupuleusement dessiné. Ce fait signifie que le pensionnaire,

- Afirmo-lhe - disse-me Amoêdo - que a minha alegria, naquele momento, foi tão grande, que não me aborreci com as palavras de Cabanel. Só me via no Salon, pendurado, lado a lado, com as celebridades de toda parte ! Outro fosse eu, e poderia, pelo menos, considerar-me igual ao meu mestre, porque ambos estávamos no Salon. Eu, porém, limitei-me a abraçá-lo efusivamente, mal contendo a minha emoção que era formidável ! Uma das maiores emo-ções da minha vida de artista, e que era dupla : pela minha entrada no Salon e pelo elogio de Cabanel. ”

295

ou bien n’a pas encore fixé une manière, ou bien est capable d’exécuter ses travaux selon des manières différentes.

Pour conclure, de la confrontation de ces travaux avec ceux de l'envoi précédent il ressort que M. Amoêdo fait des progrès satisfaisants dans ses études et, par conséquent, il devient toujours plus digne de louanges et de la protection de notre Académie et du gouvernement impérial. Rio de Janeiro, le 15 février 1883 (signé) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros.55

On observe que les professeurs étaient méthodiques lors de l’examen des envois des

pensionnaires. Les qualités de la composition, de la facture, du dessin, du modelé et du coloris

étaient analysées séparément. D’ailleurs, ils ne se laissèrent pas impressionner par le succès de

Rodolpho Amoêdo dans le Salon des Artistes Français. Au contraire, Marabá fut l’oeuvre la

plus sévèrement critiquée.

D'après Gonzaga Duque on sait que Rodolpho Amoêdo présenta ces mêmes oeuvres

côte à côte avec celles d’Almeida Junior dans une exposition réalisée en 1882. Le critique

commente que trois toiles d'Amoêdo, “ Marabá, exposée à Paris ; une étude de torse féminin ;

et une demi-figure ”, pouvaient se voir à côté des oeuvres du peintre de São Paulo. À

l’occasion de l’exposition, Gonzaga-Duque avait publié dans le journal O Globo un article

55 - Procès-verbal de la séance du corps d’enseignants de l’Academia Imperial, le 15 février 1883. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.“ Tendo a Sessão de Pintura examinado os trabalhos do terceiro ano do Pensionista do Esta-

do Rodolpho Amoêdo, que se acha em Paris, constantes de três quadros, sendo : - Uma fi-gura de mulher, tamanho natural, intitulada - Marabá - ; um tronco também de mulher e um meio-corpo de menina (costume de camponesa italiana), é de parecer : - Quanto à Ma-rabá - , ser uma figura bem composta, largamente feita e de colorido agradável, mas, quan-to ao desenho, deixa ainda alguma coisa a desejar ; pois sendo essa qualidade estudada com cuidado desde a cabeça até a região peitoral, não acontece o mesmo dessa região até as pernas, que é um tanto descurada. - No estudo do tronco de mulher (de costas) foi o Sr. Amoêdo mais feliz, tanto no desenho, como no modelado. - Quanto ao terceiro e último - meio corpo de menina, (costume de camponesa italiana) - é este um estudo inteiramente diferente dos dois primeiros ; enquanto aqueles são largamente feitos, este é minucioso e escrupulosamente desenhado. Isto porém só prova que o pensionista, ou ainda não fixou uma maneira, ou que é capaz de executar os seus trabalhos por mais de um modo. - Em conclusão ; julgando-se estes trabalhos de confronto com os da anterior remessa, é incon-testável que o Sr. Amoêdo vai satisfatoriamente progredindo nos seus estudos e por con-seqüência, tornando-se cada vez mais digno de louvores, e da proteção da nossa Academia e do Governo Imperial. - Rio de Janeiro, 15 de Fevereiro de 1883. (assinado) - J. Zeferino da Costa. - José M. de Medeiros. ”

296

élogieux où il soutenait l’interprétation donnée par l’artiste au type de la métisse.

Cependant, en 1887 Gonzaga-Duque revint sur ses déclarations.

Aujourd’hui, (...), il [l’auteur de ces lignes] n’est plus entièrement d’accord avec les lignes qu’il écrivit. Comme oeuvre historique, le tableau d’Amoêdo n’a pas beaucoup de valeur :

1o - parce que si le peintre l’avait envoyé sous le titre de Mélancolique ou d’Isolée, ou s’il nous l’avait remis comme une simple étude de nu, assurément que personne ne serait capable de trouver la source qui l’inspira ;

2 o - pour que cette toile eût une importance historique, il aurait fallu qu’elle représentât une scène de nos tribus indigènes ;

3 o - (...) puisque le peintre a trouvé dans le poème la touchante description du type de Marabá, il était juste qu’il moule l’exécution de son travail sur les traits décrits par la poésie qui l’inspira. Mais le poète des Timbiras nous décrit Marabá comme un type blond, les yeux bleus comme la mer ; et le peintre, en s’éloignant de ces caractéristiques, a donné à la peau de son personnage la couleur brune des feuilles sèches, à ses yeux le noir du jacarandá, aux cheveux la couleur des fruits du tucum. C' est une métisse, (...). Mais elle n’est pas la fille de l’étranger, haïe par les sauvages.56

Cette critique de Gonzaga-Duque nous aide à comprendre la démarche d’Amoêdo.

Ce dernier, imprégné de la pensée académique, voulut indiquer une source littéraire pour son

oeuvre. La citation de Gonçalves Dias lui servait de garant du sérieux et de la valeur de son

56 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.185.“ O autor destas linhas publicou por esse tempo (1882) um folhetim no Globo, onde procurava defender a interpretação dada pelo artista ao tipo da mestiça. Hoje, (...), dis-corda, em parte, das linhas que escreveu. O quadro de Amoêdo como obra histórica pouco valor encerra : 1o porque, se o pintor o tivesse enviado com o título de Melan-cólica, ou de Isolada, ou se nô-lo remetesse como um simples estudo do nu, ninguém, ao certo, encontraria a fonte que lhe serviu de inspiração ; 2o para ter a importância de uma tela histórica necessário fora que representasse uma cena das nossas tribos indíge-nas ; 3o sendo nossa forma poética - o lirismo, (...), e tendo sido nesse lirismo que o pintor encontrou a tocante descrição do tipo de Marabá, era justo que amoldasse a exe-cução do seu trabalho aos traços descritivos da poesia que lho inspirou. Mas o poeta dos Timbiras nos descreve a Marabá um tipo louro, de olhos azuis como o mar ; e o pintor, afastando-se desses característicos, dá-lhe à tez o tom queimado das folhas se-cas, aos olhos o negro do jacarandá, aos cabelos a cor dos frutos do tucum. É um tipo de mestiça, (...). Mas não é (...) a filha do estrangeiro, odiada pelos gentios. ”

297

tableau. Il est curieux de comparer l’analyse de Gonzaga-Duque à celle des

professeurs de l’Académie que l’on a mentionnée plus haut. Tandis que le critique se penche

sur la référence littéraire du tableau, Zeferino da Costa et José Maria de Medeiros ne font

qu’analyser les aspects techniques de la composition. Cela nous amène à comprendre que la

préoccupation première de l’enseignement procuré au sein de l’Académie était de l’ordre du

métier, dans le sens d’un savoir-faire technique.

Après sa première participation au Salon des Artistes Français, Rodolpho Amoêdo

s’encouragea. L’année suivante, en 1883, il fut accepté au Salon en présentant la toile Le

Dernier Tamoyo (ill. 8), une deuxième oeuvre d’inspiration indianiste57. Le tableau représente

deux figures : Aymberê, le Tamoyo décédé, et Anchieta, le religieux qui essaye d’arracher le

cadavre aux vagues de la mer. Campofiorito mentionne Le Dernier Tamoyo et Marabá comme

les deux uniques occasions où Rodolpho Amoêdo se tourna vers la thématique brésilienne, en

affirmant que “ même alors il n’échappe pas aux inspirations littéraires ” :

(...) dans ‘Marabá’ et dans ‘Le Dernier Tamoyo’ il s’inspira d’un indianisme tardif qui, dans l’oeuvre de nos écrivains, avait représenté une réaction contre l’influence spirituelle de l’ancienne métropole. Son regard le plus attentif était tourné vers les sujets classiques ou bibliques. (...) dans les deux toiles citées, l’indienne Marabá et le chef indien Aymbiré (...) seraient plutôt des prétextes pour l’exécution des nus formidables qui, dans leur genre, constituent deux exemples de ce qui se faisait de mieux à l’époque à Paris. Par conséquent, les deux oeuvres obtinrent le plus grand succès quand elles furent exposées au Salon des Artistes Français.58

57 - Evidemment, ici, les mots indianiste et indianisme se réfèrent aux indiens brésiliens. Dans le mouvement du romantisme littéraire brésilien, la figure de l’indien fut valorisée comme représentant l’individu sauvage, pure et non pas maculé par la civilisation, en même temps qu’elle se constitua en un symbole nationaliste.

58 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.191.“ Só em duas ocasiões volta-se para assuntos brasileiros, e assim mesmo não escapa às inspi-

rações literárias, como em Marabá e em Último Tamoio, levado por tardio indianismo, que em nossos escritores fora atitude contra a influência espiritual da ex-metrópole. Sua me-lhor atenção dirigiu-se facilmente para os temas clássicos e bíblicos. Os nus que aparecem em suas duas telas citadas, a índia Marabá e o chefe índio Aymbiré morto, serão mais pre-textos para a execução de formidáveis nus, que, no gênero, constituem dois exemplos do que de melhor se fazia na época em Paris, e daí o merecido apreço que tiveram as duas composições quando exibidas no Salon dos artistas franceses. ”

298

Rodolpho Amoêdo continua à envoyer des tableaux au Salon. L’année de 1884, il y

était présent avec une toile à sujet religieux : Le Départ de Jacob. Cette même année il

demanda une prolongation de sa pension, souhaitant rester encore deux ans à Paris.59 La

demande fut accompagnée de l’envoi de trois tableaux : Le Départ de Jacob, une copie de

Tiepolo (dont l’original se trouvait au Louvre), et une grande étude de figure féminine vue de

dos (ill.9). De plus, Amoêdo envoyait l’esquisse d’un tableau de grande machine qu’il

prétendait réaliser sur le sujet de Jésus Christ à Capharnaüm (ill.10). Tous ces travaux, qui

aujourd’hui se trouvent dans le Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro, furent

analysés par la commission de professeurs de peinture de l’Académie, c’est-à-dire par Victor

Meirelles et José Maria de Medeiros. Dans leur avis ils ont considéré :

que ces travaux révèlent un grand avancement, et laissent entrevoir le résultat final de ses efforts, auquel il va sûrement arriver plus tard, après s'être libéré de la situation transitoire et de dépendance qui est la sienne pour l’instant, lorsqu'il subit l'influence de l’étude, de la pratique et des préceptes de l’Ecole française contemporaine (...). La petite ébauche qui représente Jésus Christ à Capharnaüm est une bonne composition et exige pour son exécution la prolongation de deux ans de pension (...). Ce tableau, qui doit être bien exécuté de façon à ce que la figure du protagoniste acquière plus d’importance dans la composition, sera sûrement l’un des travaux de plus grande valeur du jeune artiste. Ainsi, la commission considère-t-elle que la demande du pensionnaire est juste. Academia Imperial das Belas Artes - le 3 septembre 1884 - Victor Meirelles - José Maria de Medeiros.60

59 - Procès-verbal de la séance du 13 de septembre 1884. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

60 - Procès-verbal de la séance du 13 septembre 1884. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro. “ (...) que estes trabalhos revelam grande aproveitamento, deixando antever o resultado final

dos seus esforços, que por certo atingirão ; libertando-se mais tarde da situação transitória e dependente, que o estudo, a prática e os preceitos da Escola francesa contemporânea, tanto influem e o induzem a sentir desse modo. O esboceto representando Jesus Cristo em Cafarnaum é uma boa composição que para executá-lo requer o dito pensionista - prorro-gação por dois anos do prazo de sua pensão - na forma do art. 9 das instruções dos pensio-nistas. Esse quadro devendo ser bem executado e de modo que a figura do protagonista adquira mais importância nessa composição, constituirá certamente um dos trabalhos mais valiosos do jovem artista. Por isso parece à Comissão ser justo o pedido a que ele tem di-reito : - Academia Imperial das Belas Artes - 3 de setembro de 1884 - Victor Meirelles - José Maria de Medeiros. ”

299

Il faut souligner la remarque faite par les professeurs à propos de l’influence de

l’Ecole Française sur le pensionnaire. L’attitude de l’Académie brésilienne paraît

contradictoire. Les jeunes artistes étaient envoyés étudier en France sous l’orientation des

maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, cependant les professeurs brésiliens ne

considéraient pas entièrement positive l’influence française. On voit qu’en réalité les maîtres

brésiliens comprenaient la période d’études en Europe comme une étape d’apprentissage. Ils

envisageaient par la suite une libération de l’étudiant qui devrait conquérir son indépendance

artistique.

Les professeurs étant satisfaits du résultat atteint par Rodolpho Amoêdo, la

commission approuva la prolongation de sa pension à compter du 15 août 1885. De plus, en

juillet 1885, le pensionnaire reçut 6.523$000,50 comme aide financière pour accomplir

l’oeuvre Jésus Christ à Cafarnaum 61. La même année, Rodolpho Amoêdo exposa au Salon

des Artistes Français le tableau La Narration de Philectas.

Le 15 août 1887, la prolongation de sa pension touchait à la fin. En février 1888,

Rodolpho Amoêdo était de retour au Brésil. Ses derniers travaux de pensionnaire furent alors

analysés par les professeurs de l’Academia Imperial. Cependant, deux rapports furent

présentés séparément. Le premier était signé par le professeur José Maria de Medeiros, le

second par le professeur Zeferino da Costa. Voyons d’abord ce qu'en disait José Maria de

Medeiros :

Avis sur les derniers travaux du pensionnaire Rodolpho Amoêdo - La Congrégation de l’Académie des Beaux-Arts a bien fait lorsque, à l'occasion du concours de 1878, elle a choisi M. Rodolpho Amoêdo comme pensionnaire en Europe. L’élève qui révéla à ce moment-là une disposition et un talent hors du commun qui l’ont amené à l'obtention du Prix de Voyage, est aujourd’hui de retour à cette Académie ; il revient de ces terres, si favorables à l’épanouissement des arts, comme un artiste complet, et avec les preuves qui attestent son étude, son application et son savoir. On ne pouvait pas attendre moins de quelqu’un qui avait satisfait de façon si exubérante le programme d’études que cette Académie exige de ses pensionnaires en Europe. En montrant toujours à chaque nouveau travail un progrès dans l’art qu’il étudiait, il conclut brillamment son séjour d’études. Les deux toiles

61 - Procès-verbal de la séance du 18 juillet 1885. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.

300

présentées aujourd’hui à notre appréciation nous prouvent, sans aucun doute, qu’en Peinture, après la ‘ Première messe ’, jamais aucun pensionnaire en Europe ne nous a envoyé des travaux d’une si longue haleine et si méritoires. La première toile ‘ Christ à Capharnaüm ’ est une belle composition classique de grandes lignes bien disposées, harmonisées par une coleur sévère et agréable tel qu’il convient à ces sujets. Les figures du premier plan son de grandeur naturelle, judicieusement groupées (...) correctement dessinées (...). La belle silhouette du Sauveur, [apparaît] toute mystique et mystérieuse dans sa tunique large et blanche, (...). Cette scène (...) procure au tableau quelque chose de vrai et de classique qui s’impose à notre admiration et respect. (...). M. Amoêdo avec le choix de ce passage de la Bible a réussit à mettre en relief son talent brillant, en faisant preuve d’être un peintre d’histoire raffiné, dont l’âme et l’individualité nous impressionnent ; de plus, par l’exécution, il a su faire respecter dans le sujet sa manière de voir et sentir. (...). Dans la seconde toile, ‘ La Narration de Philectas ’, M. Amoêdo nous montre une nouvelle modalité de son talent, celui d’un exquis paysagiste décoratif. Il nous présente un paysage magistral et finement peint, exhalant le souvenir des amours naïfs des bergers et tout le parfum des vieux temps de la Grèce. C’est un vrai poème bucolique, délicat et poétiquement peint. Ce tableau ne doit plus sortir de notre Académie, il doit être acquis le plus tôt possible. (...). Rio de Janeiro, le 3 février 1888. JoséMaria de Medeiros.62

62 - Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 55 - 56. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ Parecer dos últimos trabalhos do pensionista Rodolpho Amoêdo - Com acerto andou a Congregação da Academia das Belas Artes, quando no concurso de 1878, escolheu o Sr. Rodolpho Amoêdo para ser pensionista na Europa. - O aluno que já nessa épo-ca, revelou disposição e talento fora do comum a ponto de lhe ser discernido o prê-mio de viagem, vem hoje a esta Academia ; de volta dessas terras tão bem fadadas para a arte, um artista completamente feito, e com as provas que atestam o seu estu-do, a sua aplicação e o seu saber. - Nem se podia esperar menos, de quem tão exube-rantemente satisfez o programa de estudos, que esta Academia exige dos seus pensio-nistas na Europa, assinalando sempre de trabalho a trabalho um progresso na arte que estudava e fechando com uma verdadeira chave de ouro, esse período de estudos como pensionista da Academia. - As duas telas apresentadas hoje à nossa apreciação, nos provam sem contestação, que em Pintura, depois da Primeira Missa, nunca pen-sionista da Europa nos mandou trabalhos de tamanho fôlego e tanto merecimento. - A primeira tela : Cristo em Cafarnaum é uma bela composição clássica de linhas grandes e bem dispostas, harmonizadas por uma cor severa e agradável como con-vém a tais assuntos. - As figuras do primeiro plano, criteriosamente grupadas (...) corretamente desenhadas (...), a bela silhueta do Salvador, toda mística e misteriosa na sua ampla e branca túnica, (...). Esta cena (...) faz desprender do quadro um - que - de verdade e classicismo que se impõe ao nosso respeito e admiração. (...) O Sr. Amoêdo escolhendo esse ponto da Bíblia, conseguiu por em relevo o seu brilhante ta-lento, mostrando-se um pintor histórico de fina têmpera, tendo alma e individualidade para nos impressionar ; e sabendo pela execução, fazer respeitar no assunto o seu modo de ver e sentir. (...) - Na segunda tela A Narração de Philectas - o Sr. Amoêdo nos mostra uma nova modalidade do seu talento, o de ser um distinto paisagista de-

301

Le rapport de José Maria de Medeiros ne pouvait pas être plus élogieux. Selon ce

professeur, Rodolpho Amoêdo retournait d’Europe comme un artiste accompli. En

rapprochant deux de ses oeuvres, Jésus Christ à Capharnaüm et La Narration de Philectas,

de La Première Messe, tableau de Victor Meirelles, il assurait à Amoêdo une position de

prestige parmi les peintres brésiliens. Penchons-nous maintenant sur le rapport présenté par

Zeferino da Costa :

Le sous signé, professeur de la séance de Peinture de l’Academia Imperial de Belas Artes (...), interrogé par M. le Secrétaire dans la séance du 3 de ce mois de Février 1888 (...) à propos de son avis relatif aux derniers travaux du pensionnaire de l’Etat Rodolpho Amoêdo, répondit qu’il n’avait rien préparé vu qu’il n’avait reçu aucune communication officielle à ce propos. (...), cependant le pensionnaire n’a rien à voir avec les dissensions qui, malheureusement, opposent entre-eux quelques membres du Corps Académique, donc il mérite notre attention (...). Je ne [serai] pas succinct dans l’analyse des deux tableaux du pensionnaire. L’un représente ‘Le Christ à Capharnaüm’ ; et l’autre ‘La Narration de Philectas’. Il est vrai que l'éminent professeur Cabanel, qui orienta le pensionnaire dans ses études en Europe, aurait dû s’occuper parfaitement de cette appréciation dans son attestation. Ce professeur (...) est réputé l’un des meilleurs artistes de France. Cependant, je déclare que des deux tableaux analysés, je préfère ‘La Narration de Philectas’. Dans cette préférence il ne s’agit pas d’une sympathie pour le sujet ; simplement, ‘La Narration de Philectas’ fut mieux traité en ce qui concerne toutes les qualités essentielles. Les deux tableaux possèdent des qualités, mais ils présentent aussi des défauts. Pourtant, si l’on considère que les difficultés de réalisation des oeuvres d’art augmentent dans la mesure où les sujets se compliquent et deviennent grandioses, et si l’on examine rapidement les travaux du pensionnaire dans l’ordre respectif ;

corativo. - Ele nos apresenta uma paisagem magistral e finamente pintada, recenden-do uns ingênuos amores pastoris todo o perfume dos velhos tempos da Grécia. - É um verdadeiro poema bucólico, delicado e poeticamente pintado. - Este quadro não deve sair mais da nossa Academia, fazendo-se o mais breve possível aquisição desse mimoso trabalho (...). Rio de Janeiro, 3 de Fevereiro de 1888 - José Maria de Medei-ros. ”

302

c’est-à-dire depuis le premier avec lequel il obtint le Prix de Voyage, voilà mon avis : - M. Rodolpho Amoêdo a bien profité de ses études, et s’il est vrai que l’on remarque dans ses tableaux le manque d’individualité qui distingue les oeuvres des vrais artistes, on suppose que ce manque est dû à la soumission aux préceptes du maître qui l’orienta. Cela veux dire que le pensionnaire, désormais libre, pourra imprimer à ses oeuvres cette marque, ce qui est l’un des premiers buts de tout artiste. Rio de Janeiro, le 18 février 1888. Professeur J. Zeferino da Costa.63

Dans ce rapport, on remarque des critiques à l'adresse de Cabanel, maître d’Amoêdo

à Paris. Mais le rapport de Zeferino da Costa n’a pas eu de sympathisants parmi l’ensemble des

professeurs qui ont approuvé le rapport de José Maria de Medeiros par unanimité.

63 - Procès-verbal de la séance du 18 février 1888, pp. 56 - 57. Museu Dom João VI, Rio de Janeiro.

“ O abaixo assinado, professor honorário da seção de Pintura da Academia Imperial das Belas Artes (...), tendo sido interpelado pelo Sr. Secretário, em sessão do dia 3 do corrente (...) sobre o parecer relativo aos últimos trabalhos do Pensionista do Estado Rodolpho Amoêdo, respondeu que nada tinha feito a respeito, em virtude de não ter recebido comunicação oficial para este fim. (...), o mesmo Pensionista, indiferente às desinteligências que, infelizmente, existem entre alguns membros do Corpo acadêmi-co, não deve por isso ser prejudicado nos seus interesses (...). Não [serei] sucinto na análise dos dois quadros do mencionado Pensionista, representando um, - Cristo em Cafarnaum - e o outro, - Narração de Philectas - porque, está certo que proficiente-mente a esse respeito devia ter-se ocupado no seu atestado o Distinto Professor Sr. Cabanel, que guiou o Pensionista em seus estudos na Europa ; professor que, tanto no gênero, como na sua escola, é reputado um dos melhores artistas da França. - Não obstante, tem a dizer que : dos dois quadros em questão, prefere o - Narração de Phi-lectas - Não entra nessa preferência simpatia alguma sobre o assunto ; simplesmente por ser - Narração de Philectas - tratado melhor em todos os seus requisitos. - Am-bos estes quadros tem qualidades boas, como não estão isentos de defeitos ; (...). Atendendo porém, que as dificuldades das obras de arte aumentam na proporção dos assuntos complicados e grandiosos, e examinando ligeiramente os trabalhos do Pensi-onista, pela ordem respectiva ; isto é, desde aquele pelo qual lhe foi conferido o prê-mio de ir estudar na Europa, como Pensionista, é de parecer : - Que o Sr. Rodolpho Amoêdo muito aproveitou nos seus estudos ; e que, se se nota nos seus quadros a fal-ta de individualidade que tanto distingue as obras dos artistas, sendo de supor que só à sujeição dos preceitos do mestre que o guiou, será devida essa falta, não quer isso dizer que d’ora em diante, livre como deve considerar-se o ex-Pensionista, não pro-curará imprimir em suas obras esse cunho que é um dos principais objetivos do artis-ta. Rio de Janeiro, 18 de Fevereiro de 1888 - O Professor J. Zeferino da Costa. ”

303

Le retour de Rodolpho Amoêdo au Brésil fut aussi l’occasion d’une exposition où le

public a pu voir toute sa production européenne, les envois de pensionnaire inclus. Le succès

du peintre fut absolu et une semaine après la fermeture de l’exposition, Amoêdo était nommé

membre honorable de la séance de peinture d’histoire de l’Académie des Beaux-Arts. Quelque

temps plus tard, il fut nommé professeur intérimaire de la même institution, occupant la chaire

de Victor Meirelles qui avait été libéré de ses obligations comme professeur.

À la fin de 1890, déjà sous le régime républicain, Amoêdo fut nommé membre de la

commission chargée d’organiser la réforme de l’Académie des Beaux-Arts. Après la

promulgation de la réforme, le peintre voulut partir en Europe, ce qu’il fit le 8 décembre 1890.

Il se fixa à Paris, et travaillait sur la Desdémone endormie lorsqu’il reçut l’annonce de sa

nomination comme professeur effectif de l’Escola Nacional de Belas Artes. Il écrit

immédiatement à Rodolpho Bernardelli, le nouveau directeur de l’Ecole, une longue lettre en

refusant le poste qu’il n’avait pas demandé. Et Amoêdo raconte :

- Lorsqu’il a reçu ma lettre, Bernardelli m’a tout de suite écrit une lettre personnelle où il déclara qu’il ne pouvait pas accepter mon refus, (...). Je fus obligé à accepter la nomination ; et Rodolpho Bernardelli (...) m’a chargé d’engager deux professeurs à Paris ; l’un d’archéologie et l’autre de gravure. Mais il fallait retourner vite, ce que j’ai fait en juin 1891, ayant engagé seulement Charles Gustave Paille, professeur d’archéologie, le seul qui accepta de venir au Brésil avec le salaire de quatre cents mille réis par mois.64

Pendant 35 ans, Rodolpho Amoêdo a enseigné la peinture à l’Escola Nacional de

Belas Artes. Sa vie durant, il n'a rien changé à la formation qu’il avait reçue à l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris. Comme professeur à Rio de Janeiro, il s'est montré fidèle à ses maîtres

parisiens jusqu’au moment de sa retraite, en 1935.

64 - GOMES, Tapajós. Idem.“ - Recebendo minha carta, Bernardelli apressa-se em me escrever particularmente, declaran-do não poder aceitar a minha recusa (...). Fui obrigado a aceitar a nomeação ; e Rodolpho Bernardelli (...) encarregou-me de contratar dois professores em Paris : um de arqueologia e outro, de gravura. Urgia, porém, regressar, o que fiz em junho de 1891, só tendo conseguido contratar Charles Gustave Paille, professor de Arqueologia, o único que se sujeitou a vir para o Brasil, ganhando quatrocentos mil réis mensais. ”

304

16. 1887 - Oscar Pereira da Silva (São Fidélis, Rio de Janeiro, 1867 - São Paulo, 1939)

Peintre - lieu d’études : Paris.

Lorsqu'il était encore élève de l’Academia Imperial, avant de recevoir le Prix de

Voyage de 1887, Oscar Pereira da Silva s'était fait remarquer par quelques travaux signalés par

ses biographes, tels que : La renaissance des arts, peinture décorative dans une des salles de

l’Académie ; une copie réduite de la Bataille du Avahy de Pedro Américo ; une copie du

Repos du Modèle d’Almeida Júnior ; et le Portrait du Dr. Menezes Vieira. Les élèves

réalisaient alors des copies des oeuvres les plus importantes de leurs professeurs ou de celles

des peintres formés par l’Académie. Il s’agissait déjà de la transmission d’une tradition qui se

construisait malgré les difficultés rencontrées, surtout d’ordre financière.

Le concours de 1887, le dernier de la période monarchique, fut réalisé après un long

intervalle. En effet, neuf années s'étaient écoulées depuis le concours de 1878, lorsque le

Comité des professeurs se réunit en séance le mois de février 1887. Ils décidèrent alors

l’ouverture d’un concours pour l'obtention du prix de premier ordre, “ vu qu’à ce moment-là il

n’y avait qu’un seul pensionnaire en Europe, Rodolpho Amoêdo ”.65

Deux places de pensionnaires étaient disponibles et huit candidats se présentèrent :

sept peintres d’histoire et un architecte. Belmiro de Almeida, Eduardo de Sá et Oscar Pereira

da Silva se trouvaient parmi les peintres inscrits. Ludovico Maria Berna était l’architecte.

D’après la lecture des procès-verbaux, on observe que depuis la décision prise par les

professeurs courant février, il a fallu attendre le 8 juin pour que le gouvernement autorise les

dépenses de 840 mille réis destinées à payer les modèles et la subdivision de la salle où le

concours serait réalisé. Le 18 août 1887, le Comité décida de procéder au concours le plus tôt

possible, puisque toutes les difficultés avaient été surmontées. Les professeurs passèrent alors à

la sélection des sujets des examens. Pour les peintres, six sujets furent choisis, tous inspirés de

la Bible ou de l’antiquité classique, suivant l’orientation académique : 1- La députation des

chefs grecs et Achille ; 2 - L’ébriété de Noé ; 3 - Tobie prend congé de son père ; 4 - Marcelo

déplore la mort d’Archimedes ; 5 - Sylla ordonne à ses esclaves d’étrangler Granio,

magistrat de Pozzuolo ; 6 - La Flagellation de Jésus Christ. Pour l’architecte, d’autres sujets

65 - Procès-verbal de la séance du 17 Février 1887, (p. 33). Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.

305

furent fixés. Il fut établi que le concours commencerait dans quatre jours, ayant une durée

prévue de 2 mois. Le 22 août, premier jour du concours, après le tirage au sort, le sujet choisi

pour les peintres fut La Flagellation de Christ.

Oscar Pereira da Silva a été l’un des deux lauréats de ce concours. L’autre était

Ludovico Maria Berna, l’architecte. Cependant, une polémique empêcha la validation du

résultat et les deux candidats lauréats n'ont pu partir qu’en 1890. Pour ce qui est de la

polémique, quelques auteurs mentionnent l’intervention de la Princesse Isabel qui fit appel du

jugement.66

Cette controverse a eu son origine au sein du conseil des professeurs de l’Académie.

Lors de la séance du 8 novembre 1887, l’avis du jury du concours qui accordait le Prix aux

candidats Oscar Pereira da Silva et Ludovico Maria Berna fut lu et approuvé par la presque

totalité des professeurs. Mais deux voix divergentes se firent entendre : celles de Rodolpho

Bernardelli et de Zeferino da Costa. Ces deux professeurs se sont prononcés pour protester

contre le résultat du concours. Pourtant, le Directeur n’a pas accepté leur protestation “ parce

qu’elle n’a pas de fondements, et l'on ne trouve dans les Statuts aucune disposition qui

l’autorise ”67. On peut imaginer que suite à cela les mécontents demandèrent l’appui de la

princesse, laquelle répondit favorablement. Par conséquent, les deux lauréats ont dû attendre

les changements politiques, et ce ne fut que sous le gouvernement républicain que le prix leur

fut accordé.

66 - Quirino Campofiorito (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.209) affirme que le jury du concours ne voulait pas accorder le Prix à Oscar Pereira da Silva. Selon Campofiorito la Princesse Isabel intercéda en faveur du peintre. Frederico Morais (Cronologia das Artes Plásticas no Rio de Janeiro, p.101) affirme le contraire. Selon lui la décision du jury en faveur d’Oscar Pereira da Silva fut réfutée par la Princesse qui fit appel du jugement.

67 - Procès-verbal de la séance du 8 novembre 1887. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.“ O Sr. Cons. Diretor responde que não aceita o protesto, porque, nem tem fundamento, nem encontra nos Estatutos disposição alguma que o autorize. ”

306

Le 6 octobre 1890, l’ensemble des professeurs dut se prononcer à propos d’une

demande du lauréat Oscar Pereira da Silva, qui réclamait “ la liberté de choisir le lieu où il

pourrait bénéficier des leçons des meilleurs maîtres ”. Victor Meirelles donna un avis contraire

à la pétition et ajouta que “ d'après la connaissance qu'il a de l’élève Oscar, il pense qu'il serait

bénéfique à ce dernier de se rendre d'abord à Paris, ville qu'il pourrait quitter par la suite, selon

le progrès réalisé, pour aller en Italie. ” Le Corps Enseignant fut du même avis que Victor

Meirelles et Oscar Pereira da Silva fut envoyé à Paris.68

À Paris, Oscar Pereira da Silva fréquenta les ateliers de deux des peintres les plus

attachés au conservatisme académique, Gérôme et Bonnat. On retrouve son nom parmi les

inscriptions d’élèves dans l’Atelier de Gérôme à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il s’est inscrit

le 29 novembre 1890, et ses données sont les suivantes :

n. 100 - Pereira da Silva, Oscar né au Brésil en 186569

demeure : 5, r. des Beaux-Arts entrée le 29 novembre 1890

Oscar Pereira da Silva resta à Paris pendant tout son séjour en Europe. Sa peinture

s’accorda aux principes académiques selon lesquels un artiste ne peut concevoir que de belles

formes et des sujets nobles, en dessinant avec exactitude et embellissant la réalité.

De retour au Brésil, en 1896, il exposa à l’Escola Nacional de Belas Artes trente et

trois tableaux réalisés à Paris. Parmi les oeuvres alors présentées au public, Samson et Dalila

(ill.11) et L’enfance de Giotto (ill.12) prouvent aussi bien son attachement aux sujets

historiques que sa maîtrise de la composition. Malgré le succès de l’exposition il n’a pas voulu

rester à Rio et s’installa définitivement à São Paulo. Dans cette ville il développa une très

grande production et exerça l’activité de professeur dans son atelier personnel et dans le Lycée

des Arts et Métiers. Vers 1915, l'état de São Paulo lui accorda une pension pour faire un

séjour artistique à Paris.70

68 - Procès-verbal de la Séance de la Congrégation du 6 octobre 1890. Arquivo Museu D. João VI / EBA / UFRJ.“ Obtida a palavra, o Sr. Comendador Victor Meirelles faz considerações no intuito de ser indeferida a petição, acrescenta que pelo conhecimento que tem do aluno Oscar, entende que ele mais aproveitaria seguindo diretamente para Paris, donde, segundo seu adiantamento, irá à Itália. ”

69 - Une petite remarque : la date de naissance ne correspond pas à la date indiquée dans d’autres sources.

70 - Laudelino Freire. Um Século de Pintura, p.383.

307

Oscar Pereira da Silva fut le dernier des artistes brésiliens à s'astreindre aux limites

académiques de la peinture du Segundo Reinado.

17. 1887 - João Ludovico Maria Berna

Architecte - lieu d’études : Paris.

João Ludovico Maria Berna fut le seul architecte candidat au Prix de Voyage de

1887. Tous les autres concurrents étaient des peintres. Cela ne l’empêcha cependant pas d'être

l'un des deux lauréats du concours. L’autre lauréat fut Oscar Pereira da Silva, dont il vient

d’être question ci-dessus.

On a vu que le concours de 1887 avait été réfuté. Ludovico Berna subit la

conséquence de cette réfutation et n’a pas pu bénéficier du prix de voyage tout de suite. Ce

n'est qu'après la proclamation de la République, en 1890, que le Ministre Benjamin Constant

décida de valider le concours de 1887. Dans la séance du 20 octobre 1890, les professeurs de

l’Escola Nacional de Belas Artes décidèrent d’envoyer Ludovico Berna à Paris. Mais le

lauréat devait respecter une condition : s’inscrire à l’Ecole Spéciale des Beaux-Arts de Paris.

Le pensionnaire réussit les épreuves d’admission à cette École et il y est entré.

Cependant, dès 1891 il demanda aux autorités des beaux-arts au Brésil d’être transféré en

Italie. Il justifiait sa demande en affirmant qu’à Paris les artistes âgés de plus de 30 ans

n'avaient pas le droit de s’inscrire à l’Ecole, et qu'il atteindrait bientôt cet âge. Mais sa

demande fut refusée. En l'examinant, les professeurs Brocos et Amoêdo affirmèrent que

pendant la période où ils avaient suivi les cours à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris la limite

d’âge de 30 ans était une exigence qui ne s'appliquait qu'aux naturels du pays, c’est-à-dire, aux

Français.71 En janvier 1893, la pension de Ludovico Berna fut suspendue par le directeur de

l’Escola Nacional de Belas Artes de Rio. La raison de la suspension avait été l’échec du

pensionnaire, qui n’avait pas réussi un examen à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Une

controverse s’établit alors dans la presse brésilienne. Les défenseurs du pensionnaire

déclaraient que dans ce cas spécifique un différend qui opposait le directeur Rodolpho

Bernardelli à l’élève avait joué. En tout cas, Ludovico Maria Berna dut retourner au Brésil.

71 - Procès-verbal de la séance du 18 octobre 1892. Arquivo Museu Dom João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.

308

Curieusement, cet épisode n’empêcha pas l’engagement de João Ludovico Maria Berna

comme professeur de l’Ecole à Rio.

Quelques années plus tard, en 1898, les professeurs de l’Escola Nacional de Belas

Artes, réunis en conseil, demandèrent au gouvernement d’officialiser l’engagement du

professeur Ludovico Berna. Les professeurs argumentaient en disant que

(...) lorsqu’il était élève de l’Escola Nacional de Belas Artes, [Berna] avait mérité le Prix de Voyage en Europe, et avait remis à l'Ecole, pendant la durée de son pensionnat, des travaux et des documents qui prouvaient son application à l’étude de l’architecture dans le Vieux Monde.72

Les professeurs affirmaient aussi que :

D’autres anciens pensionnaires ont obtenu une récompense identique de la part du gouvernement du Brésil. C'est de cette manière que furent nommés (...) les professeurs Rodolpho Bernardelli, Henrique Bernardelli [sic], Rodolpho Amoêdo, Zeferino da Costa et Heitor Cordoville.73

2 - Les pensionnaires de l’Empereur Dom Pedro II

Guilherme Auler, chroniqueur de la vie de Dom Pedro II, raconte qu’à la fin de son

gouvernement l’Empereur subventionnait les études de nombreux étudiants, au Brésil comme à

72 - Procès-verbal de la séance du 9 juin 1898. Arquivo Museu Dom João VI / EBA / UFRJ, Rio de Janeiro.“ O professor Ludovico Berna, quando antigo aluno da Escola Nacional de Belas Artes, me-receu o prêmio de viagem à Europa tendo remetido durante o seu tempo de pensionista tra-balhos e documentos que provam a sua aplicação ao estudo da arquitetura no Velho Mun-do. ”

73 - Idem.“ Idêntica recompensa obtiveram outros ex-pensionistas por parte do governo do Brasil. As-sim é que foram nomeados para a Escola de Belas Artes os professores Rodolpho Bernardel-li, Henrique Bernardelli [sic], Rodolpho Amoêdo, Zeferino da Costa e Heitor Cordoville. ” [Henrique Bernardelli n’a pas été pensionnaire de l’Etat. Il a suivi des études en Europe, mais à ses frais.]

309

l’étranger. Ils étaient dix-huit peintres, quinze ingénieurs, treize avocats, douze

musiciens, dix médecins, six militaires, sans compter les soixante et cinq pensionnaires dans les

établissement scolaires d'enseignement général. Parmi eux, quarante et un se trouvaient à

l'étranger, dont vingt et un en France, dix en Italie et les autres disséminés dans différents

pays.74 Tous ces pensionnaires étaient les bénéficiaires de la ‘pochette de l’empereur’,

expression utilisée à l’époque pour se référer à l’aide financière reçue par des étudiants pris en

charge par l’empereur lui-même.

Soutenant un point de vue particulier, José Carlos Durand, dans un petit chapitre de

son livre Arte, Privilégio e Distinção..., critique la conception selon laquelle l’empereur Dom

Pedro II fut un généreux protecteur des arts au Brésil. Il écrit :

On a beaucoup parlé de la ‘pochette de l’empereur’, mais parfois sans impartialité. Dom Pedro II est loué par les partisans de la monarchie comme ayant été quelqu'un qui apportait une attention spéciale aux gens de la culture et qui protégeait généreusement les intellectuels, les artistes et les scientifiques. Les effets idéologiques de cette image mettent en relief une association naïve entre l’insuffisance des ressources sous l'administration de l'empereur, et l’attitude du monarque, qui soutenait à ses propres frais des pensionnaires à l’étranger. (...).Et cela comme s’il s’agissait d’un sacrifice personnel pour subventionner la culture, sacrifice justifiable uniquement par un amour et un respect profonds envers l’art et la science. Cependant (...) les dépenses avec les pensionnaires n’ont représenté qu’une rubrique très peut onéreuse dans l’ensemble des dépenses de la maison impériale. Selon les données du bilan relatif à l’année de 1857, publiées par Auler, les pensions et les retraites montaient au total de cinquante millions de réis, exactement la même valeur dépensée pendant l’été par la famille royale à Petrópolis. Si l’on pense aux dépenses avec les écuries royales, qui montaient à la somme de cent vingt millions de réis, on voit que la somme destinée aux pensions n’arrivait même pas à la moitié de ce total. Dans un budget de huit cents vingt millions de réis, (...) la rubrique des dépenses en faveur des protégés qui étudiaient dans le pays ou à l’étranger ne dépassait pas les six pour cent (6%), et si l'on ne considère que les pensionnaires à l’étranger, elle ne dépassait même pas 0,5% du budget contrôlé directement par Pedro II.75

En outre, Durand ajoute qu’entre 1852 et 1889, la période la plus importante de

l’Academia Imperial de Belas Artes, les bénéficiaires des prix de voyage n'étaient plus que 9 ou

10 artistes. Ce fait l'amène à conclure que lorsque Guilherme Auler mentionne dix-huit artistes

74 - AULER, Guilherme. Os Bolsistas do Imperador, Cadernos do Corgo Seco, Tribuna de Petrópolis, 1956, (p.19). [Cité par DURAND, p.25.]

75 - DURAND. Arte, Privilégio e Distinção..., p.26.

310

bénéficiaires de l’aide impériale il se réfère au nombre total des artistes qui furent aidés par

l’empereur tout au long de son règne (1840 - 1898).76

Parmi les artistes qui méritèrent d’être signalés par les historiens de l’art brésilien, on

trouve cinq peintres qui sont venus compléter leurs études en Europe grâce à l’appui impérial.

En effet, Auler n’a pas affirmé que les dix-huit peintres pensionnaires de l’empereur ont étudié

à l’étranger. Il affirma que certains parmi eux étaient partis se perfectionner en Europe et que

d'autres suivirent une formation dans les institutions brésiliennes.

S'il est vrai que la discussion touchant la générosité de Pedro II ne concerne pas

directement notre objet d’études, il convenait de la présenter. De toute façon, il est un fait que

l’Empereur Dom Pedro II aida quelques peintres qui sont devenus par la suite des artistes

remarquables. On passera maintenant à la présentation des principaux événements de leurs

carrières.

1. 1859 - Pedro Américo de Figueiredo e Mello - (Paraíba, Brésil, 184077- Florence, Italie, 1905)

- Peintre d’histoire - lieu d’études : Paris

“ O ‘bolsinho imperial’ tem uma longa e até certo ponto mal contada história. No regis-tro dos simpatizantes da monarquia, a pessoa de Pedro II é realçada pela sua atenção à cultura e por sua generosidade para com pensadores, artistas e cientistas. Os efeitos ideológicos dessa imagem põem em relevo uma associação inocente entre a circuns-tância de uma virtual e crônica escassez de fundos sob administração pessoal do mo-narca e o fato de ele manter no exterior um rol de pensionistas, daí se passando a im-pressão de que o rei se valia de recursos propriamente ‘pessoais’. Ou seja, de que ele ‘se sacrificava’ para promover a cultura, o que então apenas se justificaria por pro-fundo amor e respeito para com a arte e a ciência. Mas o número de contemplados pelo monarca jamais chegou a surpreender ; muito pelo contrário, os gastos com pen-sionistas representaram sempre rubrica muito pouco onerosa no conjunto dos dispên-dios da casa imperial. Segundo dados do balancete relativo a 1857, publicado por Auler, as pensões e aposentadorias somavam cinqüenta contos de réis, exatamente o mesmo valor gasto com o verão da família real em Petrópolis e menos da metade dos cento e vinte contos despendidos com suas cavalariças. Em um orçamento de oito-centos e vinte contos, (...), a rubrica de gastos com protegidos que se escolarizavam no país ou fora dele, não passava de uns seis por cento, e, se considerados apenas os bolsistas no exterior, não alcançavam nem meio por cento do orçamento controlado diretamente por Pedro II. ”

76 - DURAND. Arte, Privilégio e Distinção..., p. 27. “ Sabendo-se que durante toda a última e principal fase da Academia, entre 1852 e

1889, não foram contemplados com prêmios de viagem mais que uns nove ou dez ar-tistas, é bem possível que os dezoito pintores arrolados por Auler compreendem to-dos os que receberam auxílio direto de Pedro II no gênero das artes visuais. ”

311

Pedro Américo fut, ainsi que Victor Meirelles, l’un des peintres les plus célèbres de

cette période, un ‘peintre officiel’ qui reçut de nombreuses commandes du gouvernement

impérial. Il s’est fait remarquer parmi ses contemporains, non seulement par son talent

artistique, mais aussi comme un intellectuel respecté.

Pedro Américo est né dans une famille d’artistes. Son frère Aurélio de Figueiredo

était peintre comme lui, et selon Gonzaga-Duque leur père et leur grand-père étaient des

musiciens.78 Naturel d’Areias, ville de l’état de la Paraíba, au nord-est du Brésil, Pedro

Américo s’est fixé postérieurement à Rio de Janeiro. En 1856 il est entré à l’Academia

Imperial de Belas Artes où il suivit des cours de peinture pendant quatre ans. En 1859, en

l’absence de concours de Prix de Voyage, (le dernier ayant eu lieu en 1852), l’Empereur Dom

Pedro II décida de lui accorder une pension lui permettant d’aller se perfectionner à Paris.

Les historiens de l’art brésilien affirment qu’à Paris Pedro Américo fut le disciple

d’Ingres, de Léon Cogniet, de Flandrin et d'Horace Vernet79. On retrouve son nom dans le

“ registre des matricules des élèves des sections de peinture et sculpture de l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris pendant la période d’avril 1841 à mars 1871 ”80. Ses données sont les

suivantes :

77 - Plusieurs auteurs affirment que Pedro Américo est né en 1843. Selon Gonzaga Duque il est né le 29 avril 1843. Mais lors de l’inscription à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1859, Pedro Américo déclara être né le 29 avril 1840. On a préféré d’accepter cette date de 1840. Si Pedro Américo est né en 1843, il aurait 16 ans lors de son voyage en Europe.

78 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 140.79 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 146.80 - Archives Nationales (France), AJ / 52 / 235.

312

n. 3184 - Pedro de Figueiredo e Mello (Américo)né le 29 Avril 1840à Aréas, Brésildemeure : 3, rue des Beaux-Artsprésenté par M. Cogniet et Mac Henrydate de l’entrée le 6 octobre 1859

Ce document confirme qu’il fut le disciple de Léon Cogniet. Dans un autre

document, la “ Demande d’Admission à l’Exposition Universelle de 1900 ” 81, Pedro Américo

se déclara ancien élève de Léon Cogniet et d’Horace Vernet. Il ne mentionna pas Ingres, ni

Flandrin... De tous ses maîtres français, Horace Vernet fut celui qui l’a le plus influencé. 82

À Paris, outre les enseignements suivis auprès des maîtres de l’Ecole des Beaux-Arts,

Pedro Américo fréquenta l’Université de la Sorbonne. Après un séjour de trois ans et demi en

France, il visita plusieurs capitales d’Europe ; de retour à Paris il reçut l’ordre de retourner au

Brésil, la pension que lui avait accordée l’Empereur arrivant à son terme. Ce premier voyage

de Pedro Américo en Europe avait duré cinq ans. En 1864, de retour à Rio de Janeiro, le

peintre se présenta au concours pour le poste de professeur de dessin à l’Académie. Il réussit

brillamment, avec la toile Socrate arrachant Alcibiade des griffes du vice. Cependant Pedro

Américo n’est pas resté longtemps au Brésil. En 1865 il retourna en Europe, où il obtint son

doctorat en Sciences Naturelles le 21 juillet 1868 par l’Université de Bruxelles. Après cela il

est rentré à Rio, au début de l'année 1870, pour exercer l'activité de professeur à l’Academia

Imperial.83 Pourtant, Pedro Américo ne s’est pas installé définitivement au Brésil. Sa vie durant

il fit plusieurs allers retours entre Rio de Janeiro et l’Europe, où il demeurait parfois à Paris,

parfois à Florence.

Ses absences sont documentées dans les procès-verbaux des séances du corps

d’enseignants de l’Académie. En lisant ces procès-verbaux on apprend par exemple qu’en

novembre 1884 il est revenu d’Europe, assuma l’exercice de sa chaire et fit partie du jury de

l’Exposition Générale. Le 15 décembre 1885 il est de nouveau absent ‘pour motif juste’, c’est-

à-dire, il a été autorisé à retourner en Europe. Le procès-verbal de la séance du 17 février 1887

nous informe qu’il est toujours absent, parce qu’il se trouve en Europe.

81 - Archives Nationales (France), F / 21 / 4066.82 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX , p.169.83 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 146.

313

Quant à son oeuvre, Pedro Américo s’est dévoué à la peinture d’histoire et dans ce

genre on peut citer quelques uns de ses tableaux les plus connus : La Bataille du Avahy (1872

à 1877) (ill. 13), Judith et Holopherne (1880), La Nuit accompagné des génies de l’Etude et

de l’Amour (1883) (ill. 14), Jeanne d’Arc (1883), Moïse et Jacobed (1884), Le Violoniste

Arabe (1884). Le nu La Carioca (1882) est aussi l'une de ses peintures les plus connues.

Toutes ces oeuvres appartiennent aux collections du Museu Nacional de Belas Artes de Rio de

Janeiro.

Pedro Américo dut sa renommée à sa production de peinture historique. Il ne faut

pas comprendre ce choix comme une imposition de l’époque, au contraire, les sujets bibliques

et historiques s’accordaient parfaitement à sa nature. Pedro Américo lui-même exposa ses

sentiments à ce propos dans une lettre adressée à Victor Meirelles en 1864 :

Ma nature est toute autre ; je ne peux pas me soumettre facilement aux exigences transitoires des coutumes de chaque époque, qui sont aussi une des sources dans lesquelles un talent comme le vôtre puise des perles. Ma passion, seule l’histoire sacrée assouvit.84

Vingt ans plus tard, Gonzaga-Duque fit des critiques sévères à Pedro Américo. Il

considéra que le peintre n’a pas progressé, restant fidèle à des principes archaïques. En 1884,

après avoir visité l’Exposition Générale, le critique écrit :

Pedro Américo a envoyé de Florence quatorze tableaux pour l’exposition de 1884.(...) Cinq années d'écoulées et l’artiste est toujours le même, le passage du temps fut stérile pour lui. David, Judith, Vierge Douloureuse, Jacobed, Héloïse ce sont les sujets de ses tableaux. (...). D’après ce que l’on vient d’exposer, le peintre d’Avahy n’a réalisé aucun progrès dans l’espace de cinq ans. Sa conception se trouve au même niveau qu’au moment où il a peint Saint Jérôme et Saint Pierre, son talent est toujours caressé par la vieille philosophie spiritualiste, ses croyances se sont conservées intactes, (...). Je ne dirai pas, cependant, qu’il s'est arrêté pour toujours ; mais je dirai qu’un pouvoir quelconque qui surpasse la volonté de l’artiste a éloigné sa pensée des travaux de nos temps, de nos aspirations, de notre sentiment esthétique, des nécessités de notre époque.85

Pedro Américo est resté fidèle à la peinture d’histoire jusqu'à la fin de sa vie. En

1900 il présenta au jury de l’Exposition Universelle de Paris les quatre tableaux suivants : Pax

84 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 144.“ Minha natureza é outra ; não creio dobrar-me com facilidade às exigências passagei-

ras dos costumes de cada época, que também são uma das fontes em que um talento como o seu pode achar pérolas. A minha paixão só a história sagrada sacia-a... ”

85 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, pp. 161 - 162 / 166 - 167.

314

et Concordia (Allégorie de la France en 1900), grande composition qui se trouve aujourd’hui

dans les collections du Museu do Itamaraty à Rio de Janeiro, Honneur et Patrie, La première

faute et La femme de Putiphar.86 Les sujets de ces peintures démontrent qu’il est resté attaché

au genre historique, si aimé par l’Académie.

2. 1875 - Horácio Hora (1854, Sergipe, Brésil - 1890, Paris)

- peintre - lieu d’études : Paris.

Horácio Hora fit ses premières études de peinture à Larangeiras, ville de l’état de

Sergipe où il est né. En 1875 l’Empereur Dom Pedro II lui accorda une pension pour aller se

perfectionner à Paris. On retrouve Horácio Hora à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le

numéro 4338 du registre des matricules des années 1871 / 189487. D’après ce registre il est

entré à l’Ecole en 1877. Ses données sont les suivantes :

“ Para a exposição de 1884, Pedro Américo enviou, de Florença, catorze quadros. (...) o decurso de cinco anos foi estéril para o artista, ele ainda é o mesmo, o mesmíssimo. David, Judite, Virgem Dolorosa, Jacobed, Heloísa, são os assuntos das suas telas. (...). Desta exposição tiramos a seguinte conseqüência : o pintor de Avahy nenhum progresso alcançou no espaço de cinco anos ; a sua concepção está tão adiantada quanto esteve no tempo em que pintou o São Jerônimo e o São Pedro, o seu talento ainda é bafejado pela velha filosofia espiritualista, as suas crenças conservam-se intac-tas, (...). Não direi, entretanto, que tenha estacionado para todo o sempre ; isto não ; mas direi que algum poder, acima da vontade do artista, tem afastado sua mentalida-de dos trabalhos do nosso tempo, das nossas aspirações, do nosso sentimento estéti-co, das necessidades da nossa época. ”

86 - Archives Nationales (France), F / 21 / 4066. La toile Honneur et Patrie fut admise à l’exposition.

87 - Archives nationales (France), AJ / 52 / 236.

315

n. 4338 - Hora (Horácio)né le 17 septembre 1854à Larangeiras (province de Sergipe), Amérique, Brésildemeure : 133, Bd. Magentaprésenté par M. Lequien et M.Cabaneldate de l’entrée : 14 août 1877

Il a été le disciple de Lequien et Cabanel et, selon Laudelino Freire, il est devenu l'ami

de ces deux maîtres. En 1884 il a fait une exposition publique de ses toiles à Bahia, et remporta

un énorme succès. Le Corps d'enseignants de l’Académie des Beaux-Arts de Salvador à Bahia

lui a conféré le diplôme de Membre Correspondant et Académicien de Mérite.88

Son oeuvre comporte de nombreux portraits, genre dans lequel il s’est spécialisé. Il a

réalisé aussi La Misère, et La Charité, deux peintures décoratives conçues pour la Chapelle de

l’Hôpital de la Miséricorde, en Estancio à Sergipe. La toile Pery et Cecy est l'une de ses

oeuvres les plus connues.89

3. 1876 - José Ferraz de Almeida Júnior90 (São Paulo, Brésil, 1850 - São Paulo, Brésil, 1899)91

- peintre - lieu d’études : Paris

Almeida Júnior est né à Itu, ville de l’état de São Paulo. À l’âge de 19 ans il reçut une

pension de sa province pour se former peintre à Rio de Janeiro. Il s’inscrivit alors à

l’Academia Imperial das Belas Artes où il suivit les cours des professeurs Victor Meirelles e

Jules Chevrel. En 1875, ayant fini ses études à l’Académie, il retourna à sa ville natale. Mais il

n’y est pas

88 - FREIRE, Laudelino. Um Século de Pintura, p. 296.89 - Idem, p. 296. Pery et Cecy sont des personnages du roman O Guarany de José de

Alencar.90 - Il est curieux de constater que dans le E. BENEZIT (Dictionnaire des peintres,

sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Librairie Gründ, Paris, 1976), Almeida Júnior est classifié dans l’Ecole Française. Deux de ses oeuvres y sont indiquées : La Fuite en Egypte, exposé au Salon de Paris 1881 ; et Pendant le Repos, exposé au Salon de 1882.

91 - Selon Laudelino Freire, Almeida Júnior est né le 8 mai 1851. D’autres auteurs indiquent l’année de 1850 comme la date de sa naissance. Le propre Almeida Júnior déclara être né en 1850 lors de son inscription dans l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Almeida Júnior est décédé à Piracicaba, ville de l’état de São Paulo.

316

resté longtemps car Dom Pedro II lui accorda une pension pour aller continuer ses

études en Europe. En 1876, il est venu se perfectionner à Paris où il devint le disciple de

Cabanel.

On trouve le nom de José Ferraz d’Almeida Júnior inscrit sur le registre des

matricules de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous le numéro 4415, la date de son entrée à

l’Ecole étant le 19 mars 1878.92 Son nom se trouve aussi sur la liste des élèves inscrits dans

l’atelier de Cabanel,93 une première fois en 1878 (sous le numéro 409) et une seconde fois en

1879 (sous le numéro 436). Voici ses données :

n. 409 - Ferraz d’Almeidané à São Paulo, Brésille 8 mai 1850demeure : 30, rue Montholonentrée : le 11 février 1878

n. 436 - d’Almeida, José Ferrazné à São Paulo, Brésille 8 mai 1850demeure : 22, r. Turgotentrée le 29 janvier 1879

Dans les documents concernant la vie scolaire des étudiants de l’Ecole des Beaux-

Arts de Paris Almeida Júnior est mentionné deux fois, et les deux fois il s'agit des résultats des

concours annuels. Le peintre brésilien se trouve parmi les trois lauréats du concours de Dessin

d’Ornement réalisé le 23 mai 1878. Le 25 mai de la même année il reçut une ‘mention

provisoire’ lors du concours d’Anatomie.94 Ces informations témoignent de son dévouement

aux études.

Le séjour d’Almeida Júnior en Europe fut de six ans pendant lesquels il demeura à

Paris. Mais ses biographes affirment que durant cette période le peintre a fait aussi un voyage

en Italie. On sait qu’il retourna au Brésil en 1882 et fit exposer à Rio de Janeiro les grandes

toiles qu’il avait réalisées à l’étranger. Après cela, il s’installa définitivement à São Paulo, où il

92 - Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 236.93 - Archives Nationales (France) - AJ/52/248 - Inscriptions dans les ateliers de peinture,

sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945. 94 - Archives Nationales (France) - AJ / 52 / 90. Dans les deux concours, le nom de son

professeur est indiqué : Alexandre Cabanel.

317

réalisa des oeuvres dont les sujets étaient les paysans et la vie quotidienne de la province

pauliste.

Les peintures qu’Almeida Júnior réalisa à São Paulo après son retour d’Europe furent

considérées comme la partie la plus importante de son oeuvre. Grâce à ces peintures, José

Ferraz de Almeida Júnior fut distingué par les historiens de l’art brésilien comme “ le premier

artiste brésilien qui a pris contact avec la réalité de sa terre en peignant la vie de la campagne

de São Paulo ”95, “ l’un des plus légitimes représentants de l’art brésilien ”96.

Pourtant, même avant sa phase pauliste, le talent d’Almeida Júnior était déjà perçu

comme original. Gonzaga-Duque, en écrivant à propos des quatre tableaux que le peintre

présenta à l’Exposition Générale des Beaux-Arts à Rio de Janeiro en 1884, le définit comme

l’artiste brésilien le plus original, celui qui avait la plus nette et la plus moderne compréhension

de l’art97. Gonzaga-Duque écrivit alors :

Les tableaux d’Almeida Júnior s’imposent par la simplicité du sujet et par la manière dont ils furent peints (...). Le sujet qui vient occuper l’espace de la toile est celui qui l’a ému (...). [Sa Fuite en Egypte (ill. 15)] représente l’idéal de l’art moderne ; ce tableau est une oeuvre solide, morale, simple et bien faite. Le type de Marie n’a rien de séraphique, il est bien celui d’une femme du peuple qui aime son fils et qui sent le lait lui affluer auxs seins, prête à l’allaiter. (...). Ce qui donne de l’importance technique au tableau est l’effet de lumière du soleil couchant qui s’étale doucement et vaguement à l’arrière-plan, sur les figures et sur le sol, en ajoutant une tonalité argentée à la superficie du petit ruisseau. (...)

[Dans le Bûcheron Brésilien (ill. 16)] l’artiste nous présente une vigoureuse étude de torse. Les bras et la poitrine du métisse en repos (...) sont peints avec maîtrise. La carnation, et surtout le thorax, rappellent les études de Bonnat par leur vérité. Cependant je le trouve peu naturel, comme s'il posait pour être peint. Dans Pendant le repos (ill. 17), l’artiste se montre

95 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.181.96 - LAUDELINO FREIRE. Um Século de Pintura, p.291.97 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p.180.

“ Entre os artistas que enviaram quadros à última exposição acadêmica de 1884 aquele que acusava, por suas obras, maior originalidade e mais nítida e moderna compreen-são da arte era Almeida Júnior. ”

318

meilleur, et pourtant moins original. C’est un atelier de peinture. L’intérieur est chaud et baigné par une lumière faible et égale. (...). Mais les deux figures sont peintes avec facilité, coloriées avec immense goût, dessinées avec soin et observation. Le reflet de la lumière sur le piano est merveilleusement fait, et ce fut peut-être ce bel effet et le gracieux dessin du modèle qui ont éveillé l’attention de la critique parisienne lorsque le tableau fut exposé au Salon de 1882.98

Le critique attribue à la peinture d’Almeida Júnior un caractère moderne. Et la

‘modernité’ qu’il y trouve ne concerne pas quelque innovation quant aux sujets choisis par le

peintre. On observe, par exemple, que Gonzaga-Duque fait plus de louanges à la Fuite en

Egypte, tableau dont la thématique biblique était en accord avec le goût académique, qu’au

Bûcheron Brésilien. Gonzaga-Duque souligne que “ le type de Marie n’a rien de séraphique, il

est bien celui d’une femme du peuple ”, et dans ce fait il voit une attitude opposée à celle des

peintres liés à l’Académie.

Mais s'il est vrai qu'Almeida Júnior a été considéré comme un peintre qui se

démarquait des artistes de l’Académie de Rio, ses professeurs brésiliens, eux aussi, l’ont

reconnu comme un grand peintre. Dans un rapport sur l’Exposition Générale de 1884, ces

professeurs

98 - GONZAGA-DUQUE. A Arte Brasileira, p. 181-184.“ Os quadros de Almeida Júnior se inculcam antes pela simplicidade do assunto e pela

maneira porque foram pintados (...). É o assunto que lhe comove (...) que vai para a tela. (...). [Sua Fuga para o Egito] representa o ideal da arte moderna ; é uma obra sólida, moral, simples e bem feita. O tipo de Maria nada tem de seráfico, é bem de uma mulher do povo, que adora seu filho e sente túrgidos os seios para o amamentar. (...). Mas o que funda a importância técnica do quadro é o efeito da luz poente, que se derrama suave e vagamente no fundo, nas figuras, no solo, dando tons espelhados de aço polido às águas do mísero córrego. (...). [No Descanso do lenhador] o artista nos apresenta um vigoroso estudo de tronco. Os braços e o peito do mameluco, que descansa do trabalho (...) são pintados com saber. A carnação, e sobretudo o tórax, são de uma verdade que lembram os estudos de Bonnat. Acho-lhe, no entanto, com pouca naturalidade ; parece que foi propositadamente posado para ser pintado. Me-lhor, porém, menos original, ele se mostra no Repouso do modelo. É um atelier de pintura. O interior é quente e banhado por uma luz fraca e igual. (...). Mas as duas fi-guras são tocadas com facilidade, coloridas, com imenso gosto, desenhadas com mui-to capricho e observação. O reflexo da luz que apresenta a tampa do piano é maravi-lhosamente apanhado, e foi, talvez, esse belo efeito e o gracioso desenho do modelo, que despertaram a atenção da crítica parisiense quando foi exposto no Salon de 82. ”

319

mentionnèrent les oeuvres qu’Almeida Júnior y exposa, exactement les mêmes qui

ont été analysées par Gonzaga-Duque. Il est intéressant de citer ici leurs considérations :

De M. José Ferraz d’Almeida Junior, ancien élève de l’Académie, on peut admirer quatre tableaux historiques ; et dans tous les quatre le talent inné du jeune artiste se révèle, ainsi que l’application aux études, accomplies non seulement dans notre Académie, pendant la période de pensionnaire de la Province de São Paulo, où il est né, mais aussi pendant la période où, aux dépens de la pochette impérial, il a été à Paris, où il a suivi les enseignements du professeur Alexandre Cabanel. Les quatre tableaux exposés appartiennent tous à l’Académie, et celui de numéro 126 - La Fuite de la Sainte Famille en Egypte - a été magnanimement offert par Sa majesté l’Empereur, à qui l’artiste l’avait dédié. Les trois autres furent achetés par le gouvernement impérial. (...). Parmi ces tableaux, le premier déjà cité, qui appartient à l’école idéaliste, et celui de numéro 197, nommé - Pendant le repos (ill. 17) - qui s’approche de la moderne école française, sont supérieurs aux autres en mérite, et placent son auteur parmi nos meilleurs peintres.99

Curieusement, les deux toiles mises en valeur par Gonzaga-Duque sont les mêmes

qui ont mérité la préférence des professeurs de l’Académie.

Pour conclure cette courte présentation d’Almeida Júnior, il est nécessaire de

reproduire l’anecdote racontée par Gonzaga-Duque à propos du caractère broussard du

peintre :

99 - Procès-verbal de la séance du 17 décembre 1884. Arquivo Museu Dom João VI/EBA/UFRJ, Rio de Janeiro.

“ Do Sr. José Ferraz d’Almeida Junior, ex-aluno da Academia, se admiram quatro qua-dros históricos ; em todos os quais se revela o talento com que nasceu aquele jovem ar-tista, e a aplicação com que estudou, não só na nossa Academia durante o tempo de pensionista da Província de São Paulo, que lhe deu o berço ; mas também durante aquele em que, a expensas do Imperial Bolsinho, esteve em Paris sob as lições do pro-fessor Alexandre Cabanel. Os quatro quadros expostos pertencem todos à Academia, tendo sido o n. 126 - Fugida da Sacra Família para o Egito - magnanimamente ofereci-do por Sua Majestade o Imperador, a quem o artista o dedicara, e os outros três com-prados pelo governo imperial (...). Destes quatro quadros, o primeiro já citado, que pertence à escola idealista, e o de número 197, denominado - Descanso da modelo -, que se aproxima da moderna escola francesa, têm superior merecimento, e colocam seu autor no número dos nossos melhores pintores. ”

320

On raconte l’histoire d’un Brésilien important à qui on demanda, puisqu’il allait à Paris, de visiter l’atelier d’Almeida Júnior pour observer les progrès que le peintre avait faits après trois ou quatre années d’études. Le Brésilien accepta cette commission et fut visiter l’artiste. Il fut étonnée de voir que le jeune homme avait gardé les mêmes gestes, le même type méfiant et timide, le même parler des péquenauds. Ce qui a surtout étonné le visiteur ce fut d’entendre dire au peintre:

- Je crève d’envie de me retrouver au Brésil !

Eh bien ! Ce modeste provincial, toujours broussard, est devenu un artiste de valeur, l’un des plus intimement liés aux conditions esthétiques de son époque ; le plus personnel (...). 100

Dans ce récit de la rencontre d'un riche Brésilien cultivé avec le peintre d'origine

modeste, on retrouve la confrontation de deux images courantes du Brésil : celle d’un pays

admiratif des nations européennes, dont l’unique but est celui de ‘se civiliser’, et celle d'un pays

singulier et original.

Almeida Júnior fut postérieurement récupéré par le mouvement moderniste de 1922,

et cela n’est pas sans rapport avec l’image d’un peintre typiquement brésilien, le peintre

péquenaud qui, lorsqu'il habitait Paris, ressentait la nostalgie de sa ville natale à São Paulo.

100 - GONZAGA DUQUE. A Arte Brasileira, p. 180.“ Contam que indo a Paris um brasileiro importante pediram-lhe para visitar o atelier de

Almeida Junior e notar os progressos que ele conseguira em três ou quatro anos de estudo. Satisfazendo ao pedido e aceitando a incumbência, foi ter com o artista brasi-leiro. Admirou-se de vê-lo. O moço conservava ainda os mesmos gestos, o mesmo tipo desconfiado e tímido, a mesma maneira de falar, dos caipiras. O que fez, sobretu-do, pasmar ao visitante foi ouvi-lo dizer : - Istou morto por mi pilhar no Brasil ! - Pois bem ; deste modesto provinciano, inalteravelmente roceiro, surgiu um artista de valor, e um dos mais intimamente ligados às condições estéticas da sua época ; o mais pessoal, ... ”

321

4. 1884 - Pedro Weingartner (Porto Alegre, Brésil, 1853101 - id.1929)

- peintre - lieu d’études : Paris, Munich, Rome.

Fils de parents allemands, Pedro Weingartner est né à Rio Grande do Sul, état du

Brésil qui accueillit nombre d’immigrants venus d’Allemagne pendant le XIXe siècle.

Avant d’obtenir de l’empereur Dom Pedro II la pension qui lui permit de

perfectionner son art à Paris, (et aussi à Munich et Rome), Weingartner avait déjà réalisé des

études en Europe. En effet, en 1879 il décida de partir pour étudier les beaux-arts dans le pays

de ses parents. Il réalisa ce premier voyage par ses propres moyens et s’installa d’abord à

Hambourg, où il fit des études au Lycée des Arts et Métiers. Ensuite il suivit les cours de

Ferdinand Keller, Theodor Poeckh et Hildebrand dans l’Ecole des Beaux-Arts de Bade.

Lorsque Hildebrand, son professeur préféré, fut muté à l’Académie Royale des Beaux-Arts à

Berlin, Pedro Weingartner le suivit.

En 1884 l’empereur Dom Pedro II reconnut les progrès de Weingartner et lui

accorda une pension pour continuer ses études en Europe. Le peintre, attiré par le mouvement

artistique de Paris, quitta alors l’Allemagne. À Paris il étudia sous la direction de Robert Fleury

et d'Adolphe Bouguereau. Ensuite il retourna en Allemagne et demeura à Munich, d’où il est

parti en Italie, se trouvant à Rome en 1886. Finalement il revint à Rio de Janeiro et fut nommé

professeur de dessin à l’Académie. Il ne resta cependant pas longtemps à Rio. Il abandonna son

poste de professeur et retourna à Rome. Sa vie durant, Pedro Weingartner fit de nombreux

allers retours entre l’Europe et le Brésil. En 1920, fatigué par le constant pèlerinage entre le

Brésil et l’Italie, il s’installa définitivement à Porto Alegre.102

Weingartner s’est spécialisé dans la peinture de genre. Les sujets de ses tableaux

étaient parfois inspirés de l’antiquité classique, et parfois recueillis dans la vie quotidienne de sa

ville natale. Il participa à l’Exposition Universelle de Paris de 1900 avec la toile Les flûtes de

Pan.103

101 - Campofiorito indique l’année de 1853 comme l’année de la naissance de Pedro Weingartner (História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116). Laudelino Freire affirma que le peintre est né en 1858 (Um Século de Pintura, p. 386).

102 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.116.103 - Archives Nationales (France), F/21/4066 - Enregistrement des oeuvres de l’Exposition

Universelle de 1900 - Paris.

322

5. vers 1886 - Manoel Lopes Rodrigues (Salvador, Bahia, 1861 - id., 1917)

- peintre - lieu d’études : Paris.

En 1882, Manoel Lopes Rodrigues est venu à Rio de Janeiro pour compléter les

études artistiques qu’il avait commencées à Salvador, à l’Académie des Beaux-Arts de Bahia,

sous l’orientation de João Francisco Lopes Rodrigues, son père, et de Miguel Cañysares. À

Rio il réussit à obtenir l’appui de l’empereur Pedro II, qui lui concéda les moyens d'aller se

perfectionner en Europe. Lopes Rodrigues choisit alors de s’installer à Paris où il devint le

disciple de Léon Bonnat et de Raphael Collin. On trouve son nom inscrit sur le registre des

matricules de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris104, et ses données sont les suivantes :

n.5301 - Lopes Rodrigues (Manuel)né le 31 décembre 1861à Bahia, Brésildemeure : 113, Bd. Montparnasseprésenté par M. R. Collindate de l’entrée : 29 Février 1888

Dans une lettre adressée à Rui Barbosa105, son professeur Bonnat attesta l’admiration

qu’il avait pour le disciple :

Je regrette de ne pas pouvoir espérer que mon disciple donnera à la France la gloire qu’il ne manquera pas de donner à son pays.106

104 - Archives Nationales de France - Registre des matricules des années 1871 / 1894 - (AJ / 52 / 236).

105 - Rui Barbosa (Salvador, BA, 1849 - Petrópolis, RJ, 1923) - Journaliste et politicien brésilien qui soutint la cause abolitionniste. Il participa de l’élaboration de la première Constitution Républicaine (1891).

106 - CAMPOFIORITO. História da Pintura Brasileira no Século XIX, p.103.“ Sinto não poder esperar que meu discípulo dê, à França, a glória que não deixará de

dar a seu país. ”

323

Lors de la proclamation de la République au Brésil, Lopes Rodrigues se trouvait à

Paris. Les professeurs de l’Académie, réunis le 10 novembre 1890, décidèrent de lui accorder

une pension annuelle de 2:300$000, en substitution à la pension accordée par l’ancien

empereur. L’élève devint ainsi un pensionnaire de l’Académie et dut suivre les mêmes

instructions que les autres.107

L’oeuvre de Lopes Rodrigues est abondante en portraits. En 1894, il exposa un

portrait féminin au Salon de Paris.108 En 1896, de retour au Brésil, il fit une exposition de ses

oeuvres à Salvador, et devint directeur de l’Académie des Beaux-Arts à Bahia.109 Il fut le grand

peintre bahiannais de la fin du siècle.

107 - Procès-verbal de la séance du corps enseignant de l’Académie, le 10 novembre 1890. Archive du Museu Dom João VI/EBA/ UFRJ, Rio de Janeiro.

“ ... foi concedida a pensão anual de dois contos e trezentos mil réis (2:3000$000) a Manoel Lopes Rodrigues, aluno da classe de pintura da Escola Especial de Belas Ar-tes de Paris, em substituição da de duzentos francos (200 fr.) liberalizada pelo ex-Im-perador, e que tem sido mantida pelo governo da República. Ordena o mesmo Aviso organize o Sr. Conselheiro Diretor as instruções pelas quais o dito aluno se deva re-ger, a fim de ficar adstrito às obrigações dos pensionistas desta Academia. ”

108 - O Paiz - Rio de Janeiro, le 1er décembre 1895.109 - Jornal do Comércio - Rio de Janeiro, le 11 juillet 1896.

324

ANNEXE 2

Recherche sur le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris entre 1841 et 1900

Cette recherche fut motivée par l’étonnement devant la déclaration d’Eugène

Guillaume citée au premier chapitre de cette thèse. On a vu que dans son rapport présenté au

Conseil en 1874, le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris s’exprima à propos du

nombre d’élèves étrangers, en disant :

(...), il est à remarquer que le nombre des étrangers qui recherchent nos enseignements augmente chaque année depuis la guerre. En ce moment, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Italie, l'Autriche-Hongrie, la Roumanie, la Russie et jusqu'à la Perse nous envoient des élèves choisis; le Portugal continue à entretenir chez nous une colonie de pensionnaires. Mais le plus grand nombre de ces étudiants est fourni par les deux Amériques et en particulier par le Brésil et par les Etats-Unis. 1

Cette affirmation nous intéresse particulièrement, cependant, elle est surprenante. Il

est vrai que les artistes brésiliens de la seconde moitié du XIXe siècle étaient attirés par la

France. On a vu, tout au long des chapitres précédents, que ceux d’entre eux qui sont venus en

Europe pour compléter leur formation commencée au Brésil ont choisi, pour la plupart, de

fixer leur séjour à Paris. Même si quelques-uns sont allés étudier en Italie, et quelques autres,

rares, sont allés en Allemagne, la plupart d’entre eux restait fidèle au choix parisien.

Cependant, puisqu’il était étonnant que le nombre de Brésiliens, comparé au nombre des autres

étrangers venus étudier les beaux-arts à Paris, se fît remarquer, et puisque les premières

données accessibles sur ce sujet ne confirmaient pas l’exactitude de l’observation du Directeur,

il a fallu la vérifier.

1 - Guillaume, Eugène. Rapport présenté au Conseil par le Directeur de l'Ecole au commencement de l'année scolaire 1874-1875. (pp.16-17). Archives Nationales - AJ/52/440

325

Pour examiner cette question, on a eu recours aux documents relatifs à l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris conservés aux Archives Nationales. De plus, on ne s’est pas limité aux

années auxquelles Eugène Guillaume faisait référence, mais on a élargi la période étudiée

jusqu'à la fin du XIXe siècle.

1 - Les lettres de présentation - 1879 / 1889

La première source d’information analysée a été un ensemble de lettres datées des

deux dernières décennies du XIXe siècle. Ces lettres furent écrites par les ambassadeurs

étrangers qui présentaient leurs compatriotes au Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.

La présentation d’une “ lettre d’introduction de l’ambassadeur, du ministre ou du consul

général de leur nation ” était obligatoire pour les étrangers qui voulaient passer les épreuves

d’admission de l’Ecole.2

Actuellement, ces lettres se trouvent conservées aux Archives Nationales sous le titre

Lettres de présentation d'étrangers par leurs ambassades, donnant l'état civil de l'élève,

l'indication de sa qualification, parfois la mention de son professeur chef d'atelier à l'Ecole.

1878 - 1902, [AJ / 52 / 470. (III)]. Pour l’année de 1878, une seule pièce a été conservée aux

archives, une lettre de l’ambassadeur américain. Pour l’année de 1901 il n’y a aucune lettre et

pour l’année de 1902 il n'en existe que trois. Cela étant, on a supprimé les années 1878, 1901

et 1902, et on a décidé de travailler simplement avec les données de la période qui va de 1879

jusqu'à 1900. De plus, afin de faciliter l’analyse des informations recueillies, on a choisi de

diviser l’ensemble de documents en deux groupes :

1er groupe - lettres datées de 1879 à 1889 ;

2ème groupe - lettres datées de 1890 à 1900.

Le travail réalisé consista à vérifier le nombre de lettres envoyées chaque année, par

les autorités de chaque Pays. Les données obtenues furent ensuite organisées en forme de deux

tableaux, de façon à permettre une visualisation de l’ensemble. Il est possible ainsi de connaître

2 - Cette exigence était explicitée dans le Règlement de l’Ecole en 1892, au Titre II - De l’inscription à l’Ecole, art.2.

326

le nombre total de lettres envoyées chaque année, aussi bien que le nombre total d’étudiants de

chaque nationalité présentés tout au long de la période.

Mais avant de commencer à présenter toutes ces données, il faut faire deux

remarques :

(1) - Il n’est pas sûr qu’à chaque lettre on puisse compter un élève de l’Ecole. On ne

peut pas savoir si l’élève qui a présenté la lettre a réussi les épreuves d’admission.

(2) - On n’a pas la certitude que cet ensemble de lettres contienne toutes les lettres de

présentation d’élèves étrangers reçues par le Directeur.

Malgré ces incertitudes, ces documents peuvent nous fournir une idée générale à

propos de l’origine des étrangers qui désiraient suivre les enseignements de l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris pendant cette période. En outre, d’après le dénombrement des lettres, il

est possible de déterminer quels ont été les pays qui envoyaient le plus grand nombre

d’élèves en France.

Maintenant, passons à l’exposition des données.

327

Voyons d’abord le tableau ci-dessous qui présente le nombre de lettres reçues par le

Directeur de l’Ecole au long de la période d'onze ans qui va de 1879 jusqu'à 1889 :

1879 1880 1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889 total

Américains 9 8 8 16 5 2 2 1 5 7 11 74

Anglais 7 12 9 12 8 2 2 3 3 3 61

Suisses 2 5 2 1 5 5 2 1 2 25

Belges 2 2 5 5 2 2 1 19

Espagnols 1 3 2 3 1 1

Russes 1 3 2 1 2 1 10

Néerlandais 2 1 2 1 2 1 9

Austro-hongrois 1 1 2 3 1 1 9

Suédois 1 1 1 1 3 1 8

Roumains 1 2 1 1 2 7

Brésiliens 1 1 2 1 5

Danois 1 1 1 1 1 5

Italiens 2 1 1 1 5

Ottomans 1 1 1 1 1 5

Portugais 1 1 1 1 4

Chiliens 1 1 1 1 4

Luxembourgeois 1 1 1 3

Hongrois 1 1 1 3

Grecs 1 1 1 3

Autrichiens 1 1 2

Canadiens 1 1 2

Allemands 1 1

Monégasques 1 1

Mexicains 1 1

Péruviens 1 1

Argentins 1 1

Colombiens 1 1

Japonais 1 1

Egyptien 1 1

total 23 40 39 41 36 26 12 7 18 16 24 282

328

La première observation à faire c’est que l’on trouve un total de vingt-neuf pays

représentés dans cette liste. Pour procurer une vision plus claire de l’ensemble ces 29 pays

ont été classés par ordre décroissant, commençant par celui qui envoya le plus grand nombre

d’étudiants, jusqu'à celui qui en envoya le moins.

Ce dispositif nous permet d’observer que les dix premiers pays dans la liste

présentèrent tous ensemble 233 élèves, ce qui fait 82,6% du total. Les 19 pays suivants

présentèrent 49 élèves, c’est-à-dire 17,4% du total.

On observe que les plus nombreux parmi les étrangers étaient les Américains et les

Anglais. Les étudiants de ces deux pays ensemble représentent presque la moitié des élèves

étrangers de la période analysée. Le Brésil ne se trouve pas parmi les pays qui ont envoyé le

plus grand nombre d’étudiants aux Beaux-Arts de Paris. Dans la classification générale il se

trouve à la onzième place avec trois autres pays. D’autre part, il se fait remarquer parmi les

pays de l’Amérique Latine. Parmi ceux-là, le Brésil et le Chili sont les pays qui présentèrent

le plus grand nombre d’étudiants. Le premier présenta 5 élèves et le second présenta 4. Au

total, les Latino-américains représentent la somme de 13 étudiants, c’est-à-dire 4,6% du total

d’élèves étrangers.

329

Maintenant voyons les données correspondantes à la période qui va de 1890 jusqu'à

1900 :

1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898 1899 1900 totalAméricains

Anglais

Suisses

Hongrois

Grecs

Brésiliens

Ottomans / Turc

Russes

Espagnols

Belges

Canadiens

Mexicains

Néerlandais

Luxembourgeois

Italiens

Austro-hongrois

Chiliens

Roumains

Autres*

Suédois

Autrichiens

Vénézuélien

Portugais

Siamois

Total

* - Etrangers dont on ignore le pays d’origine.

La première remarque à faire c’est que le nombre de lettres a diminué de presque

50% par rapport à la première période analysée. On doit se garder de tirer des conclusions

précipitées de ce fait, étant donné les possibles inexactitudes de la source. Néanmoins, on

avance une hypothèse à confirmer postérieurement. On sait que les critiques contre

330

l’académisme se sont multipliées à la fin du XIXe siècle et il est fort probable que

l’Ecole des Beaux-Arts en souffrît les conséquences et qu'elle attirât de moins en moins les

étudiants étrangers. Même si ceux-là venaient toujours étudier en France, ils cherchaient peut-

être des maîtres qui n'appartenaient pas à l'Ecole des Beaux-Arts.

Passons à l’analyse plus objective. Les observations que l’on a faites à propos de la

décennie de 1880 sont toujours valables pour la décennie de 1890. Les Américains et les

Anglais sont restés les plus nombreux parmi les étrangers qui souhaitaient se perfectionner

aux Beaux-Arts de Paris. Ensemble, ils représentent presque la moitié du total d’élèves

étrangers. Les Suisses occupent toujours le troisième rang. Il est intéressant de voir que les

élèves Brésiliens continuent à être au nombre de cinq, comme dans la période des années 80.

Mais maintenant ils se trouvent à la sixième place de la liste, avec trois autres nationalités.

Les Latino-américains sont onze au total, et les Brésiliens restent les plus nombreux dans ce

groupe.

On doit nommer les dix Brésiliens qui se trouvent cités dans cet ensemble de lettres :

1. Rodolpho AMOEDO, 1879∗

2. João Francisco MÜLLER, 1880

3. Belmiro de ALMEIDA, 1884

4. Marcoli SILBERBERG, 1884

5. Henriques DEUGREMONT, 1885

6. Roberto MENDES, 1890

7. Fernando Pires de CARVALHO, 1890

8. Carlos Custódio de AZEVEDO, 1894

9. Manuel Pereira MADRUGA, 1894.

10. Archimedes José da SILVA, 1898.

- L’année qui suit chaque nom est l’année de l’envoi de la lettre respective.

331

Pour conclure, l’analyse de ces documents confirme l’hypothèse selon laquelle les

Brésiliens n’auraient pas pu se faire remarquer par leur nombre parmi les autres étrangers.

Cependant, puisque cette première source analysée n’embrassait que les deux dernières

décennies du siècle, il fallait vérifier si cette conclusion était valable pour ce qui est des

années qui ont précédé la décennie de 1880.

2 - Registre d’immatriculations - 1841 / 1871

La deuxième source étudiée a été le Registre d’immatriculations des élèves des

sections de peinture et sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant la période

d’avril 1841 à mars 1871 (AJ / 52 / 235). Pour cette période, le nombre d’élèves brésiliens

est encore plus réduit, ils ont été cinq à s’inscrire le long d’une période de 31 années. On

reproduit ensuite leurs données. Les chiffres se réfèrent aux numéros de matricule:

n.1958 - Pallière, Jean Léonné le 1er janvier 1829à Rio de Janeiro - Brésildemeure : 9, rue de Navarinprésenté par M. Picotdate de l’entrée : le 27 septembre 1841(de parents français)

n.2499 - Nünez, François Rodriguezné le 20 juillet 1826à Bahia, Brésildemeure : 44, Pa. Pont Neufprésenté par M. Dröllieydate de l’entrée le 19 Octobre 1848signature : Nunes

332

n.3031 - Lima, Victor Meirelles dené le 18 août 1832à Santa Catarina, Brésildemeure : 37, rue de Seine17, rue des Beaux-Artsprésenté par M. Cognietdate de l’entrée le 9 avril 1857.

n. 3184 - Pedro de Figueiredo e Mello (Américo)né le 29 Avril 1840à Aréas, Brésildemeure : 3, rue des Beaux-Artsprésenté par M. Cogniet et Mac Henrydate de l’entrée le 6 octobre 1859

n. 3580 - Balla, Julesné le 16 Mars 1846à Rio de Janeiro, Brésildemeure : 39, r. Borghèseprésenté par M. Cabaneldate de l’entrée le 20 Mars 1866.

Obs. : en AJ/52/246,Balla est inscrit dans l’atelier de M. Cabanel à l’Ecole des Beaux-Arts.Son numéro d’inscription est le 100.

Pendant la période qui va de 1841 à 1871, 1912 élèves se sont inscrits à l’Ecole,

(numéros d'immatriculation de 1944 à 3855). Cela correspond à une moyenne de 63 inscrits

par an. Les cinq Brésiliens inscrits à l’Ecole de Beaux-Arts pendant ces 31 années, (deux

dans la décennie de 1840 ; deux autres dans la décennie de 1850 et un seul dans la décennie

de 1860), ne pouvaient pas se faire remarquer par leur nombre.

3 - Registre d’immatriculations - 1871 / 1894

La troisième source analysée fut la liste des élèves inscrits dans les sections de

peinture et sculpture pendant la période qui va d’octobre 1871 à juillet 1894 (AJ / 52 / 236).

Encore une fois, le nombre des Brésiliens n’était pas important. Au contraire, ils ne furent

que huit élèves dont les données sont les suivantes :

333

n.4138 - Franco de Sá (Francisco Peixoto)né le 21 Octobre 1846à Maranhão (Maragnan), Brésildemeure : 90, rue d’Assasprésenté par Gérômedate de l’entrée : 16 Mars 1875

n. 4338 - Hora (Horácio)né le 17 septembre 1854à Larangeiras (province de Sergipe), Amérique, Brésildemeure : 133, Bd. Magentaprésenté par M. Lequien et M. Cabaneldate de l’entrée : 14 août 1877

n. 4383 - Brocos (Modesto)né le 9 Février 1852à Santiago, Espagne∗ demeure : 15, r. des Missionsprésenté par Lehmanndate de l’entrée : 19 mars 1878.

n.4415 - d’Almeida (Ferraz)né le 8 Mai 1850à São Paulo, Brésildemeure : 30, r. de Montholonprésenté par M. Cabaneldate de l’entrée : 19 Mars 1878

n. 4525 - Decio-Villares (Rodrigues)né le 30 novembre 1853à Rio de Janeiro, Brésildemeure : 27, rue Jacobprésenté par M. Cabaneldate de l’entrée : 12 août 1879

- D'origine espagnole, Brocos a émigré au Brésil et toute sa vie professionnelle eut lieu dans ce pays.

334

n.4612 - Amoedo (Rodolpho)né le 12 Décembre 1859à Rio de Janeiro, Brésildemeure : 4bis, R. des Beaux-Artsprésenté par M. Gérômedate de l’entrée : 10 août 1880

n. 5301 - Lopes Rodrigues (Manuel)né le 31 décembre 1861à Bahia, Brésildemeure : 113, Bd. Montparnasseprésenté par M. R. Collindate de l’entrée : 29 Février 1888.

n. 5768 - Visconti (Angelo)né le 1er août 1866à Rio de Janeiro, Brésilprésenté par Bouguereau et Ferrierdate de l’entrée : le 8 juillet 1893.

En comparant cette période (1871 - 1894) à la précédente (1841 - 1871), on vérifie

que les Brésiliens sont devenus plus nombreux. De cinq élèves inscrits le long d'une période de

trente et un ans, ils sont passés à huit élèves inscrits pendant une période de vingt et trois ans.

Mais le nombre total d’élèves de l’Ecole des Beaux-Arts a augmenté aussi. Pendant cette

période, 2004 élèves se sont inscrits à l’Ecole, soit une moyenne de 87 par an. On observe une

augmentation de 38% par rapport à la période de 1841 à 1871.

Pour compléter cette étude, il fallait déterminer le nombre total d’élèves immatriculés

dans les années où il y eut des Brésiliens inscrits : au premier semestre de 1875, le total

d’élèves inscrits fut de 42 élèves, dont 1 Brésilien. Au second semestre de 1877, 39 élèves ont

été immatriculés, dont 1 élève Brésilien. Au premier semestre 1878 le nombre

d'immatriculations monte à 52, dont celles de deux élèves Brésiliens. Au second semestre de

1880, 43 élèves se sont immatriculés, parmi lesquels 1 Brésilien. Le premier semestre de 1888

compta avec 45 élèves immatriculés, dont 1 Brésilien. Et finalement, pour le second semestre

de 1893 le total fut de 43 élèves immatriculés, dont 1 Brésilien.

335

Finalement, il est possible d’affirmer avec certitude que les Brésiliens qui

recherchaient l’enseignement de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris n’étaient pas nombreux. Dès

lors une question s’impose : pourquoi Eugène Guillaume, Directeur de l’Ecole, déclara en

1874 que, parmi les étrangers attirés par l’Ecole, les Brésiliens se faisaient remarquer par leur

nombre ?

Pour répondre à cette question, une supposition s'est présentée: le Directeur aurait pu

faire référence aux élèves des Ateliers. On sait qu’à partir de l’installation des ateliers de

peinture, sculpture, architecture et gravure en 1863, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris comptait

deux sections : l’Ecole proprement dite, où l’on dispensait des cours de dessin et des cours

théoriques complémentaires ; et les Ateliers des maîtres, qui comptaient un nombre réduit

d’élèves, comparé au nombre d’élèves de l’Ecole proprement dite. Pour vérifier si les

Brésiliens y étaient plus nombreux, il a fallu examiner le nombre d’inscriptions dans les ateliers

de l’Ecole.

4 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1863 / 1874

La quatrième source analysée fut le registre d’inscription des élèves dans les ateliers

de peinture, sculpture, architecture et gravure, pour la période qui va de 1863 à 1874 (AJ / 52

/ 246). Ce registre présente les inscriptions des élèves dans chaque atelier identifié par le nom

du maître qui le dirige. Dans une grande partie des ateliers, on ne trouva aucun Brésilien

inscrit. Les ateliers où il y avait des élèves brésiliens sont les suivants :

- Atelier de Peinture de M. Pils ;- Atelier de Peinture de M. Lehmann (qui remplaça M. Pils) ;- Atelier de Peinture de M. Cabanel ;- Atelier de Peinture de M. Gérôme ;- Atelier de Sculpture de M. Jouffroy.

Dans l’Atelier de Peinture dirigé par Pils, on a trouvé l’inscription d’un élève brésilien

sous le numéro 137. Voilà ses données :

n. 137 - Wuy, Norbert / Francisco Luís Gustavoné à S. Francisco de Paulo, Brésille 25 Mai 1848demeure : 98, Lafayetteentrée le 20 Mars 1867

336

Dans l’Atelier de Lehmann, qui succéda à Pils le 16 octobre 1875, on a compté un

Brésilien. Entré à l’Ecole en octobre 1875, ses données sont les suivantes :

n. 35 - Bérard, Daniel.3

Né à Rio de Janeiro, le 12 octobre 1848demeure : 24, rue Bonaparteentrée le 16 octobre 1875.

Pendant les mois d’octobre et novembre 1875, outre Daniel Bérard, 47 élèves sont

entrés dans l’atelier Lehmann. Parmi les 48 élèves inscrits on rencontre les nationalités

suivantes : 43 Français, 3 Américains, 1 Polonais, 1 Brésilien (Bérard).

Dans le cas de l’Atelier Cabanel4, l’un des ateliers les plus attirants pour les élèves

étrangers, une recherche plus complète a été menée à bout. D’abord le nombre d’inscrits par

an a été vérifié. Le premier élève inscrit date de 1863, la première année de fonctionnement des

ateliers à l’intérieur de l’Ecole. De 1863 à 1866 on compte 134 inscriptions, (34 élèves par an,

en moyenne). Pendant cette période, on a trouvé l’inscription d’un seul Brésilien (Balla, n.

100).

De 1867 à 1874, pendant huit ans, Cabanel reçu 182 élèves dans son Atelier de

l’Ecole. La moyenne, le long de cette période, fut de 22 élèves par an.

Pour approfondir la recherche des données concernant l’atelier Cabanel, on a choisi

d’examiner les années de 1872, 1873 et 1874, en vérifiant la nationalité des élèves inscrits.

En 1872 le nombre d’élèves fut de 38, un nombre élevé vu la moyenne de 22 élèves

par an. Parmi ces étudiants, on rencontre les nationalités suivantes :

2 Américains,

1 Autrichien,

35 Français.

3 - Malgré son nom français, Daniel Bérard était brésilien. Après son retour au Brésil, il fut professeur de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro.

4 - Alexandre Cabanel (1823 - 1889).

337

En 1873, Cabanel a reçu 35 élèves. Les nationalités rencontrées sont les suivantes:

3 Portugais, 1 Brésilien, 1 Anglais, 1 Grec, 1 Italien, 1 Irlandais, 27 Français.

Les données du Brésilien sont les suivantes :

numéro 290 - Carneiro, Adolpho de Souza. Né à Pernambuco, Brésil, le 13 avril 1853. Adresse : 27, rue Jacob.5 Entré le 5 décembre 1873.

En 1874, 22 élèves se sont inscrits dans l’Atelier Cabanel. Quant aux nationalités de

ces élèves, elles étaient les suivantes :

1 Mexicain, 1 Portugais, 1 Polonais, 1 Canadien, 1 Américain, 1 Turc, 1 Argentin, 1 Suisse, 1 Irlandais, 13 Français.

Aucun Brésilien ne fut inscrit cette année.

En effet, les étrangers étaient nombreux à rechercher l’enseignement de Cabanel.

Mais parmi ces élèves étrangers les Brésiliens, si l'on en a retrouvé quelques-uns, n’étaient pas

très nombreux, du moins à ce moment-là.

5 - C’est peut-être une curiosité, mais je voulais signaler que Adolpho [Cirilo] de Souza Carneiro habitait à la même adresse que deux Portugais, et tous se sont inscrits dans l’Atelier de Cabanel à la même date. Cette adresse fut aussi l’adresse de Décio Villares, Brésilien qui entra à l’Atelier de Cabanel cinq ans plus tard, le 17 septembre 1878.

338

Examinons maintenant les inscriptions dans l’Atelier Gérôme pendant la période de

1866 à 1874. Cet atelier était également très recherché par les élèves étrangers. Au total, 272

élèves se sont inscrits au long des neuf années concernées, soit une moyenne de 30 élèves par

an. Mais on observe que leur nombre était variable d'année en année, et si l'on trouve 49 élèves

inscrits pour l’année de 1873, en 1870 il n'y en eut que 16. On reproduit ci-dessous les

données qui énumèrent le nombre d’inscrits par an :

- numéros 103 à 122 - inscriptions du 28 mai au 1er décembre 1866 - 20 élèves.

- numéros 123 à 167 - inscriptions du 19 janvier au 28 décembre 1867 - 45 élèves.

- numéros 168 à 196 - inscriptions du 14 janvier au 30 décembre 1868 - 29 élèves.

- numéros 197 à 220 - inscriptions du 12 janvier au 29 décembre 1869 - 24 élèves.

- numéros 221 à 236 - inscriptions du 3 janvier au 14 juillet 1870 - 16 élèves.

- numéros 237 au 256 - inscriptions du 1er juillet au 23 décembre 1871 - 20 élèves.

- numéros 257 à 301 - inscriptions du 6 janvier au 28 décembre 1872 - 45 élèves.

- numéros 302 à 350 - inscriptions du 7 janvier au 29 décembre 1873 - 49 élèves.

- numéros 351 à 374 - inscriptions du 5 janvier au 2 mai 1874 - 24 élèves.

Penchons-nous maintenant sur les nationalités des élèves inscrits en 1871, 1872, 1873

et 1874 :

En 1871, l’Atelier Gérôme reçu 20 élèves. Ils étaient :

1 Anglais, 1 Suisse, 1 Américain,17 Français.

En 1872, Gérôme reçu 45 élèves. Ils étaient :

7 Américains, 2 Suisses, 2 Anglais, 1 Turc, 1 Italien, 32 Français.

En 1873, 49 élèves se sont inscrits dans l’Atelier Gérôme. Ils étaient :

339

7 Américains,

4 Anglais,

1 Brésilien,

1 Turc,

36 Français.

Le Brésilien était Peixoto de Sá. Voci ses données :

n. 329 - Peixoto de Sá, Franconé à Malagno [sic]6, Brésil, le 21 octobre 1845demeure au 4 bis Beaux-Artsentrée le 9 octobre 1873.

En 1874, M.Gérôme reçu 24 élèves. Ils étaient :

3 Américains,

3 Anglais,

1 Suisse,

1 Suédois,

1 Espagnol,

1 Argentin,

14 Français.

Aucun Brésilien ne s’est inscrit cette année.

On a trouvé un Brésilien inscrit dans l’Atelier de Sculpture Jouffroy. Voici ses

données :

n. 21 - Guimarães, Joaquim Joséné à Rio de Janeiro, Brésil, le 3 Mars, 1848[il n’y a ni la date de l’entrée, ni l’adresse de l’élève]

D’après cette recherche, on voit que le nombre de Brésiliens inscrits dans les ateliers

de l’Ecole, de 1863 à 1874 ne fut pas considérable.

6 - Malagno doit être Maranhão.

340

5 - Registre des inscriptions dans les ateliers - 1874 / 1900

Pour compléter cette recherche touchant le nombre de Brésiliens inscrits à l’Ecole des

Beaux-Arts, il fallait analyser les inscriptions dans les ateliers de 1874 à la fin du XIXe siècle.

Ces données se trouvent aux Archives Nationales sous le titre Inscriptions dans les ateliers

de peinture, sculpture, architecture et ateliers extérieurs - 1874 à 1945, (AJ/52/248). Pour

la période qui va de 1874 à 1900, on trouva des étudiants brésiliens inscrits dans les ateliers

suivants :

- Atelier de Peinture de M. Cabanel ;- Atelier de Peinture de M. Gérôme ;- Atelier de Peinture de M. Lehmann ;- Atelier de Peinture de M. Bonnat.

Dans l’atelier Cabanel on a constaté l'inscription de 3 Brésiliens en 1878 et 1879.

L’un des trois, José Ferraz d’Almeida Júnior, est inscrit deux fois, une fois en 1878, une

autre en 1879. Observons les données de ces étudiants brésiliens, conformément à ce qui est

écrit dans le registre d’inscriptions :

n. 409 - Ferraz d’Almeidané à São Paulo, Brésille 8 mai 1850demeure : 30, rue Montholonentrée : le 11 février 1878 [Obs : en AJ / 52 / 236 - il est matriculé à l’Ecole des Beaux-Arts sous le numéro 4415, et la date de l’entrée à l’Ecole est le 19 mars 1878.]

341

n. 429 - Villares, Décio Rodriguesné à Rio de Janeiro, Brésille 30 novembre 1853demeure : 27, rue Jacobentrée : le 17 septembre 1878

n. 436 - d’Almeida, José Ferrazné à São Paulo, Brésille 8 mai 1850demeure : 22, r. Turgotentrée le 29 janvier 1879

n. 448 - Amoêdo, Rodolphoné à Rio de Janeiro, Brésille 12 octobre 1857demeure : 4bis, r. des Beaux-Artsentrée le 5 juillet 1879[Obs : matriculé à l’Ecole sous le numéro 4612. La date de naissance ne coïncide pas avec celle de la matricule où l’on peut lire 12 décembre 1859. L’entrée à l’Ecole s’est faite le 10 août 1880]

Vérifions maintenant combien d’élèves se sont inscrits à l’atelier Cabanel pendant les

années 1878 et 1879, et quelles étaient leurs nationalités :

En 1878, Cabanel reçut 30 élèves qui étaient :

7 Américains

2 Brésiliens (Almeida Junior et Décio Villares)

1 Espagnol

1 Autrichien

19 Français

En 1879, 31 élèves se sont inscrits dans l’Atelier de Cabanel :

2 Brésiliens (Almeida Júnior et Amoêdo)

1 Américain

28 Français

342

Maintenant passons à l’atelier Gérôme. En 1890, du 13 janvier au 24 décembre, 48

élèves s'y sont inscrits sous les numéros de 66 à 113. Parmi ces élèves, on a trouvé un

Brésilien, Oscar Pereira da Silva, dont les données sont les suivantes :

n. 100 - Pereira da Silva, Oscarné au Brésil en 1865demeure : 5, r. des Beaux-Artsentrée le 29 novembre 1890

Dans cette année de 1890, les 48 élèves inscrits étaient :

12 Américains, 3 Canadiens,3 Suisses, 1 Siamois (Thaïlandais), 1 Turc1 Belge1 Russe1 Tonkin (partie du Viêt-nam) 1 Brésilien24 Français

Vérifions maintenant l’Atelier de Peinture de M.Lehmann :

On a trouvé un seul Brésilien inscrit dans cet atelier, Modesto Brocos, artiste

brésilien né en Espagne. Il s’est inscrit en 1877. Voilà ses données :

n. 154 - Brocos, Modestoné à Santiago, Galícia (Espagne)le 9 février 1852demeure : 12, rue des Missionsentrée le 3 décembre 1877

Cette même année de 1877, 40 élèves se sont inscrits à l'atelier Lehmann, sous les

numéros de 118 à 157 (inscriptions du 8 janvier au 24 décembre 1877). Quant aux nationalités,

ils étaient :

4 Belges

1 Américain

1 Suisse

343

1 Autrichien

1 Espagnol (n. 154 - Brocos, né en Espagne, il s’est naturalisé Brésilien)

32 Français

On a aussi trouvé un Brésilien inscrit à l’Atelier de Peinture de M.Bonnat. Ses

données sont les suivantes :

n. 70 - Lopes-Rodrigues (Manuel)né à Bahia, Brésille 31 décembre 1861demeure : 6, rue Boissonnadeentrée le 19 octobre 1889.

344

6 - Dernières conclusions sur le nombre d’étrangers à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris

Finalement, on peut affirmer avec certitude que les données fournies par les archives

de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pour la période qui va de 1841 à 1900 ne font que

renforcer la première supposition. C’est-à-dire, les Brésiliens n’étaient pas plus nombreux que

les autres étrangers inscrits dans cette institution. Ils étaient en effet très peu nombreux.

Cependant, si l'on n’a pas pu confirmer la déclaration d’Eugène Guillaume, cette

recherche dans les archives a été utile pour insérer le sujet de cette thèse dans un contexte plus

large. En effet, après avoir examiné toutes ces informations sur le nombre d’élèves étrangers

dans les Beaux-Arts de Paris, on se rend compte plus concrètement de l’ambiance retrouvée

par les étudiants brésiliens lorsqu’ils arrivaient en Europe.

345