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UNIVERSIT DE NANTES
INSTITUT DECONOMIE ET DE MANAGEMENT DE NANTES IAE
COLE DOCTORALE DROIT CONOMIE GESTION ENVIRONNEMENT SOCIT ET TERRITOIRES
Anne 2011 N attribu par la bibliothque
THSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE NANTES
Discipline : Sciences de Gestion
prsente et soutenue publiquement par
Anouk GREVIN
le 7 dcembre 2011
Les transformations du management des tablissements de sant
et leur impact sur la sant au travail :
lenjeu de la reconnaissance des dynamiques de don
tude dun centre de soins de suite et dune clinique prive malades de gestionnite
JURY
Directeur de thse : Mathieu DETCHESSAHAR, Professeur lUniversit de Nantes
Rapporteurs : Christophe BARET, Professeur lUniversit dAix Marseille
Jean-Claude SARDAS, Professeur lcole des Mines ParisTech
Suffragants : Jean-Franois CHANLAT, Professeur lUniversit de Paris-Dauphine
Luigino BRUNI, Professeur lUniversit de Milano-Bicocca
Prsident du jury : Benot JOURN, Professeur lUniversit de Nantes
Laboratoire dconomie et de Management de Nantes-Atlantique
Institut dconomie et de Management de Nantes IAE
IEMN-IAE - Ch. de la Censive du Tertre - BP 52231 - 44322 NANTES Cedex 3 - FRANCE - Tel : 0240141717 - Fax : 0240141700
2
3
Luniversit de Nantes nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses ; ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.
4
5
REMERCIEMENTS
Je tiens adresser mes remerciements et ma profonde reconnaissance tous ceux qui ont
contribu directement ou indirectement cette thse et ce que je suis aujourdhui.
Tout dabord merci vous, Mathieu Detchessahar, davoir accept dencadrer mon travail de
thse. Ds mon entre en Master, vous mavez encourage, accueillie dans votre quipe et
suivie pas pas. Vous mavez fait bnficier dun vritable compagnonnage, me stimulant
sans cesse par des changes dont je garde un souvenir inoubliable. Je vous remercie pour vos
conseils, vos relectures attentives, votre disponibilit patiente et la dlicatesse avec
laquelle vous mavez guide vers ce qui me tenait cur.
Mes remerciements vont galement Christophe Baret et Jean-Claude Sardas, davoir bien
voulu tre les rapporteurs de ce travail, ainsi qu Jean-Franois Chanlat et Luigino Bruni de
me faire lhonneur de prendre part ce jury et Benot Journ den assurer la prsidence.
Je souhaite exprimer ma reconnaissance lquipe de recherche SORG ainsi qu tous les
membres du LEMNA. Les riches changes lors des runions du laboratoire ont largement
contribu minitier la recherche et men donner la passion. Un merci spcial Arnaud
Stimec pour sa collaboration dans lintervention la clinique Grandsoin. Je tiens remercier
aussi lquipe de lIEMN-IAE et en particulier Hlne Journ et Cathy Khromer, avec qui jai
partag le plaisir de lenseignement auprs des tudiants de MSG.
Un merci tout particulier revient aux membres du GRACE, au premier rang desquels Pierre-
Yves Gomez et Mathieu Detchessahar, mais aussi Lionel Honor et Benot Journ, pour
leurs prcieuses rflexions notamment lors du dernier sminaire sur le don et la gratuit,
auquel laboutissement de ce travail doit beaucoup.
Ma profonde reconnaissance revient Chiara Lubich, qui je dois dtre aujourdhui dans
cette voie et dont les apports ont largement inspir mes rflexions, ainsi qu lquipe de
recherche qui poursuit aujourdhui son travail. Merci tout spcialement Luigino Bruni
pour ses encouragements et nos changes passionnants, et aux membres de son groupe.
Mes penses vont aussi ceux qui tentent de donner vie chaque jour dans leur entreprise
aux principes dune conomie du don.
Je suis bien sr trs redevable aux quipes des tablissements Beausoin et Grandsoin qui
nous ont ouvert leurs portes, aux membres de la direction, tous ceux qui ont donn de
6
leur temps en entretien, qui ont particip aux groupes de travail ou ont accept ma
prsence en observation. Cette thse nexisterait pas sans leur accueil bienveillant.
Je tiens mentionner que ce doctorat naurait pas non plus t possible sans le financement
de la Rgion Pays-de-la-Loire qui ma accorde une allocation de thse de trois annes.
Mon travail a galement bnfici des interactions avec des chercheurs et doctorants
dautres disciplines la Maison des sciences de lhomme Ange Gupin. Merci
ladministration de la MSH de mavoir offert de si bonnes conditions de travail et ceux avec
qui jai partag cette aventure, commencer par Eva et Malak, mes collgues de bureau.
Un grand merci toute lquipe des (ex-)doctorants du LEMNA : Sibylle, Paul, Alexandre,
Vronique, Stphanie, Maroua, Caroline, Mickal, Amandine, Alice... Une mention
particulire mes fidles relectrices, Vronique et Stphanie, pour votre amiti et pour les
moments de bouillonnement sur nos recherches respectives. Merci aussi aux secrtaires
du laboratoire, Anne-Claire et Isabelle, qui nous assistent avec tant de gentillesse.
Je voudrais enfin remercier du fond du cur tous ceux qui mont accompagne au long de
ces annes, mes parents, mes proches et tous les amis avec qui jai pu partager cette
exprience. Une pense spciale au groupe des jeunes (ils se reconnatront) qui en ont vcu
avec moi toutes les tapes.
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION....................................................................................................9
PREMIERE PARTIE : CONTEXTE ET CADRAGE THEORIQUE ....................................21
CHAPITRE 1 LE TOURNANT GESTIONNAIRE DES TABLISSEMENTS DE SANT................... 23
1. LES VAGUES DE REFORMES DU SYSTEME DE SANTE ..................................... 27
2. LINTRODUCTION DES OUTILS GESTIONNAIRES DANS LA SANTE....................... 33
3. LIMPACT DU TOURNANT GESTIONNAIRE SUR LE TRAVAIL ............................. 41
4. LES PROFESSIONNELS DE SANTE FACE A LA MONTEE DES CONTRAINTES............. 45
CHAPITRE 2 MAL-TRE AU TRAVAIL ET DGRADATION DE LACTION COLLECTIVE............ 55
1. LACTUALITE DE LA QUESTION DE LA SANTE AU TRAVAIL ............................. 58
2. LES CADRES THEORIQUES DE REFERENCE SUR LA SANTE AU TRAVAIL................ 66
CHAPITRE 3 LES RESSORTS DE LENGAGEMENT DANS LA REGULATION COLLECTIVE......... 91
1. LE TRAVAIL COMME ACTIVITE DE REGULATION ..................................... 94
2. QUAND LA DYNAMIQUE DU DON APPARAIT DANS LORGANISATION .................111
DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE ET TERRAINS .......................................... 147
CHAPITRE 4 LA RECHERCHE-INTERVENTION COMME APPRENTISSAGE DE LA DISCUSSION. 149
1. LES PRINCIPES METHODOLOGIQUES......................................................152
2. LE DISPOSITIF DE RECHERCHE-INTERVENTION A LEPREUVE DU REEL...............164
3. QUELQUES REFLEXIONS SUR LA DEMARCHE.............................................194
CHAPITRE 5 BEAUSOIN, UNE ORGANISATION MALADE DE GESTIONNITE ................. 207
1. UN CENTRE DE SOINS DE SUITE A LA POINTE ...........................................210
8
2. INNOVATION PERMANENTE ET ACTIVISME MANAGERIAL FACE AUX CONTRAINTES.214
3. LIMPACT SUR LE TRAVAIL DES EQUIPES.................................................226
4. LA DIFFICILE SORTIE DES PIEGES DE LA GESTIONNITE ............................255
CHAPITRE 6 GRANDSOIN, LA RGULATION EMPCHE............................................. 265
1. UN OUTIL DE TRAVAIL REMARQUABLE ...................................................268
2. UN CLIMAT SOCIAL TRES DEGRADE.......................................................273
3. UN TRAVAIL TRES CADRE, CONSTAMMENT DESORGANISE.............................280
4. LES EQUIPES SOUS TENSION...............................................................296
5. LE ROLE INTENABLE DES CADRES DE PROXIMITE .......................................309
6. UNE ISSUE DOUBLEMENT INATTENDUE ..................................................319
TROISIEME PARTIE : RESULTATS ET DISCUSSION ............................................. 327
CHAPITRE 7 QUAND LHYPER-RATIONALISATION DTRUIT LECHANGE ..................... 329
1. LA GESTIONNITE : UN EMBALLEMENT DU CONTROLE .............................333
2. QUAND LA REGULATION CONJOINTE FAIT DEFAUT ..................................353
3. LA RECONNAISSANCE MISE A MAL ........................................................376
CHAPITRE 8 LENJEU DE LA RECONNAISSANCE DES DYNAMIQUES DE DON.................... 397
1. LE MAL-ETRE AU TRAVAIL, UN MALAISE DU DON .......................................400
2. LE ROLE DU MANAGEMENT DANS LE SOUTIEN DES DYNAMIQUES DE DON...........418
CONCLUSION................................................................................................... 441
ANNEXES........................................................................................................ 451
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................ 485
TABLE DES MATIRES............................................................................... 511
Introduction
9
INTRODUCTION
Lempreinte anthropologique du travail sur nos vies
vaut bien quon lui consacre au moins autant dattention
que celle quon dit vouloir accorder lempreinte
cologique sur la nature. Y. CLOT (2010, p. 38)
I Introduction
10
Introduction
11
Cette thse vise tudier limpact sur la sant au travail des transformations du
management des tablissements de sant et propose, partir de deux recherches-
interventions, de mettre en vidence lenjeu de la reconnaissance des dynamiques de don.
Le malaise au travail serait-il une affaire de don ? Voil une proposition qui na rien
dvidente en sciences de gestion et qui peut sembler pour le moins paradoxale, sinon tout
fait idaliste. Cest pourtant la thse que nous souhaitons soutenir. En quoi le don peut-il
tre dune quelconque utilit au management, au moment o la logique gestionnaire
semble pntrer partout et structurer dsormais toute activit ?
Tout en nous inscrivant pleinement dans le champ de la sant au travail, nous suggrerons
une approche originale qui invite porter un regard diffrent sur le travail, prenant ses
distances avec une vision doloriste souvent construite sur son tymologie latine voquant
la peine, le labeur. Nous rapporterons dans nos recherches des expressions de mal-tre
mais plus encore dengagement dans une activit qui semble tenir fortement cur
(CLOT, 2010) aux personnes rencontres. Travail rime aussi avec don de soi, un don gratuit
dont lorganisation ne sait parfois que faire, alors que prcisment elle en a tant besoin
(ALTER, 2009).
Le paradoxe du don, sur lequel nous reviendrons amplement dans cette thse, tient au fait
que, mme sil est gratuit, il appelle tre reu, reconnu, il a pour finalit la relation
(GODBOUT, 1992). Il est essentiel au travail : il est au cur de lengagement dans la
coopration, dans lactivit de rgulation collective qui fait la comptence des quipes et
leur capacit faire face limprvu, lorsque les rgles et les procdures ne suffisent
plus. Le don est ce que chacun investit pour faire de son activit un beau travail
(DEJOURS, 2008). Il ny a pas de travail et encore moins de performance sans une part de
don. La grve du zle en est le signe : les rgles seules ne suffisent pas faire fonctionner
une organisation. Il faut y mettre du sien.
Or le don ne se dcrte pas, il ne se prescrit pas, il ne peut qutre libre et spontan. Sil
ne cherche pas lquivalence, il se nourrit cependant de la rciprocit de lchange, de la
relation quil a pour objet de construire (BRUNI, 2010). Il est gratuit et pourtant aspire
savoir quil a t reu, sans quoi il en vient perdre son sens et spuise. La plainte du
manque de reconnaissance, rcurrente lorsque sexprime une souffrance au travail, serait
selon nous un appel la reconnaissance du don, la demande dun signe de rciprocit de
ceux qui reprsentent lorganisation. Le management est ici directement convoqu.
I Introduction
12
Nous proposons de lire le malaise au travail comme un malaise du don, lexpression dun
dialogue de sourds, dune dynamique de don brise qui ne parvient pas construire une
rgulation conjointe (REYNAUD, 1988) et rend par consquent le travail de plus en plus
laborieux et douloureux.
Dans leur course lhyper-rationalisation, certaines logiques gestionnaires ont fait
disparatre les espaces de rgulation, de discussion sur le travail, essentiels la sant au
travail prcisment parce quils sont les espaces privilgis de lexpression de la
reconnaissance. Le tournant gestionnaire des tablissements de sant a ainsi empch
les dynamiques de don et avec elles le travail lui-mme et sa rgulation.
Nous ne pouvions cependant en rester au constat, remarquablement pos par N. ALTER
(2009), de la difficult du management prendre en compte le don. La recherche en
gestion telle que nous lentendons doit avoir pour responsabilit de donner des cls aux
managers pour inventer des modes de gestion plus soutenables et favorables la sant
au travail. Cest pourquoi notre analyse nous a amene nous interroger
systmatiquement sur le rle du management, et en particulier de lencadrement de
proximit, pour dsempcher et mme soutenir les dynamiques locales de rgulation
conjointe, que nous avons identifies comme les espaces privilgis de la reconnaissance
et donc du don. Et nous verrons que dsempcher les dynamiques de don supposera de
dsempcher dabord le management lui-mme.
Les enjeux sont considrables. Prs dun salari sur quatre serait expos des conditions
de travail susceptibles de dgrader sa sant ; le stress serait responsable de 50 60 %
de labsentisme dans les entreprises europennes. On voque un cot global qui pourrait
aller jusqu 3 5 % du PIB.1
Fin 2009, au plus fort de la mdiatisation des suicides chez France Telecom, le ministre du
travail dcidait dimposer lobligation toutes les entreprises de plus de mille salaris
douvrir des ngociations sur le stress et les risques psychosociaux et de conclure un
accord. En quelques mois ce fut fait, souvent sans prendre le temps dune vritable
analyse. Par consquent, quatre accords sur cinq sont des accords de mthode prvoyant
simplement la mise en place dun diagnostic. Force est de constater que rares sont les
accords qui comportent un engagement prcis de la direction ou prcisent les modalits
de son implication , dplore le rapport de la Direction gnrale du travail, analysant en
avril 2011 les 250 accords dclars2. Linformation et la participation des salaris ne sont
1 Informations disponibles sur les sites de lINRS, de lANACT et du BIT, repris dans divers articles
de presse grand public. 2 Cf. http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Bilan-des-accords-RPS-signes-dans.html (D.G.T., 2011).
Introduction
13
quasiment jamais envisages. Aucun des accords signs ne contient de programme daction
prcis pour la prvention des risques psychosociaux et lorsque des pistes sont envisages,
cest sur le registre de la formation du personnel dencadrement la dtection des
salaris en souffrance et leur orientation vers des relais comptents. Les enjeux
collectifs ou organisationnels ne sont que trs rarement voqus.
Nul doute quil est aujourdhui indispensable de mettre en place des moyens pour prendre
en charge les salaris fragiliss qui narrivent plus faire face la pression du travail. Mais
agir sur ce seul registre nest pas suffisant. Depuis plus de vingt ans maintenant, les
recherches de diverses disciplines confirment le rle dterminant des conditions
organisationnelles et managriales dans la prservation ou la dgradation de la sant au
travail. Cest donc de ce ct-l quil convient de rechercher des solutions qui ne soient
pas uniquement palliatives.
Les directions sont bien souvent dmunies face lampleur des problmes. Elles prfrent
faire appel la comptence de psychologues du travail, qui leur apparaissent plus aptes
saisir ces phnomnes dans toute leur complexit humaine et proposer une prise en
charge pertinente, non seulement individuelle mais aussi collective. Affronter la question
et identifier ce qui, dans les fondements mme de la logique gestionnaire, est susceptible
de provoquer un tel malaise, suppose douvrir la porte une remise en cause profonde qui
pourrait savrer trop engageante. Les managers de tous niveaux sont eux-mmes soumis
une forte pression qui ne les incite pas analyser de la sorte leurs pratiques. Nous
nhsiterons pas ici interroger jusqu laxiomatique implicitement porte dans les
thories des organisations et la vision anthropologique quelles vhiculent.
Nous chercherons comprendre en profondeur la manire dont le tournant
gestionnaire a pntr dans un champ o ses effets sont particulirement sensibles :
celui des tablissements de sant. Plus encore peut-tre que dans dautres secteurs, on
peroit combien la logique gestionnaire est susceptible de heurter la culture du soin, dans
des mtiers on lon ne peut concevoir de ne pas tout mettre en uvre lorsque des vies
sont en jeu et o gestion rsonne souvent comme restrictions financires et soumission
des considrations conomiques.
Les discours officiels aiment rappeler que le systme de sant franais est considr
comme le meilleur au monde3. Pourtant, on ne compte plus les titres dans la presse
alertant sur ltat durgence 4 du systme et le malaise de ses acteurs. Les analyses
3 Le rapport sur la sant dans le monde de lOMS en 2000 classe la performance globale du
systme de sant franais au premier rang mondial (O.M.S., 2000, p. 175). 4 Titre de lExpansion de mai 2009 n 741.
I Introduction
14
pointent la crise des professions de sant (DE KERVASDOU, 2003), le malaise des
soignants (SAINSAULIEU, 2003) ou en appellent soigner lhpital (HART et
MUCCHIELLI, 1994).
La gestion est souvent directement incrimine par les soignants. On na peut-tre
jamais autant associ le mot management toutes les volutions et rformes du secteur,
comme en tmoigne le recours rgulier aux termes de performance, valuation,
rationalisation. Pourtant, la masse critique des travaux sur le sujet reste relativement
faible , observe E. MINVIELLE (2009, p. 35). Cest ce dficit de recherche en
management sur les transformations du secteur de la sant et leur impact sur le travail des
salaris que voudrait entre autres rpondre cette thse.
Pour ce faire, nous situerons notre tude dans un champ bien prcis : celui des
tablissements de sant privs. Si les recherches sur lhpital sont plus nombreuses, celles
portant sur des tablissements privs sont rares. D. PIOVESAN recense dix thses avant la
sienne (2003) portant spcifiquement sur les cliniques prives, auxquelles il convient
dajouter tout dernirement celle de S. MAINHAGU (2010a). Nous avons galement
identifi une thse relativement rcente portant sur lidentit des hpitaux non lucratifs
participant au secteur public hospitalier (GABOURIN, 2008). Les tablissements privs sont
pourtant touchs eux aussi par la problmatique du malaise au travail (LE LAN, 2004).
La question de recherche qui a merg est alors la suivante : Quel est, dans les
tablissements de sant privs, limpact du tournant gestionnaire sur le vcu au
travail des salaris ? De cette premire question, en dcoule immdiatement une autre :
Quelles seraient, dans ces tablissements, les conditions organisationnelles et
managriales favorables la construction de la sant mentale au travail ?
Parce que la recherche en gestion telle que nous lentendons ici ne se conoit pas sans une
dimension pratique et ambitionne que les connaissances quelle produit puissent tre
actionnables (HATCHUEL, 2005), la dmarche adopte a t celle de la recherche-
intervention, qui se veut un espace la fois dexprimentation, de co-construction et
dapprentissage du modle managrial propos.
Cest ensuite dans linteraction entre les donnes empiriques et les modles thoriques
disponibles quont merg et que se sont progressivement construits la fois le cadre
conceptuel utilis et la thse propose. Ds le dpart, nous avions pos comme
hypothse, la lecture de la littrature sur la sant au travail et sur le tournant
gestionnaire dans les tablissements de soin, le rle primordial des espaces de
discussion (DETCHESSAHAR, 2001 ; 2003) sur le travail, permettant dlaborer
collectivement des compromis face aux contradictions et aux contraintes de lactivit.
Introduction
15
Et cest prcisment ce que le premier terrain mettra en vidence avec force, rvlant ce
que nous avons qualifi de gestionnite pour signifier la dimension quasi pathologique
de la course lhyper-rgulation gestionnaire conduisant le management dlaisser le
travail dorganisation au niveau local. La seconde recherche-intervention viendra
confirmer lanalyse et mettra en lumire de quelle manire les processus de rationalisation
gestionnaire tels quils ont t mis en uvre en sont venus empcher la coopration et
le soutien des quipes par le management de proximit, facteurs pourtant identifis
comme dterminants de la sant au travail. Nous constaterons en effet sur les deux
terrains que le tournant gestionnaire contribue non seulement faire disparatre les
espaces de discussion sur le travail, mais galement dgrader les dynamiques de
confiance et de coopration sur lesquelles se fonde la mise en dbat.
Cela nous conduira nous intresser un niveau trs micro aux dynamiques relationnelles
entre les acteurs. Nous chercherons approcher au plus prs ce qui sous-tend la rgulation
locale et les conditions dans lesquelles les espaces de discussion sur le travail sont
susceptibles de devenir des lieux de production de solutions productives communes et de
compromis de sens permettant de faire face aux contradictions rencontres.
Si la plainte rcurrente des salaris dun manque dcoute et de communication peut
sexpliquer par la disparition des espaces de parole sur le travail, la question de la
reconnaissance, systmatiquement invoque dans les situations de mal-tre au travail, est
plus complexe dchiffrer. Cest travers les approches sociologiques par le don que nous
trouverons une grille de lecture particulirement fconde pour interprter les dynamiques
observes et identifier ce qui permet que lengagement dans le travail soit vcu de
manire positive et ce qui inversement suscite ou alimente le sentiment dun manque de
reconnaissance et une dfiance vis--vis de lorganisation.
Le souci de trouver des rponses organisationnelles et managriales des questions de
mal-tre au travail que lon ne peut cantonner sur le registre individuel suppose dopter
pour un regard qui prenne toujours en compte les diffrents niveaux : la fois le niveau
local le plus micro des interactions entre les acteurs, mais aussi celui des contraintes
conomiques macro pesant sur le travail et, enfin, de manire centrale, celui du
management, tant du point de vue de la direction gnrale, responsable de donner les
moyens ncessaires, que de celui des managers intermdiaires encadrant les quipes.
Cest une exigence que nous retrouverons tout au long de ce travail.
*
La thse est construite de la manire suivante.
I Introduction
16
Conformment aux canons de la recherche acadmique et afin de faciliter la lecture, nous
adopterons la structure classique des thses, supposant la rationalisation a posteriori dun
cheminement qui dans la ralit prend plus la forme dune exploration et dun
entremlement de dcouvertes successives que nen laisse paratre la rdaction finale.
Nous prsenterons ainsi dans une premire partie le contexte et le cadrage thorique de la
recherche, puis dans une deuxime partie les recherches empiriques conduites et enfin,
dans une troisime partie, les rsultats que nous discuterons partir du cadre conceptuel
initial.
La premire partie aura donc pour objet de situer le contexte de la recherche, celui des
tablissements de sant et du tournant gestionnaire qui les traverse et de situer, dans le
champ des recherches sur la sant au travail, le cadre conceptuel mobilis, construit
partir dune part des travaux sur la thorie de la rgulation sociale et de diverses
approches sur le don dautre part.
Dans un premier chapitre, nous commencerons par tracer les grandes lignes des volutions
majeures du secteur sanitaire. Nous verrons comment, au cours des rformes qui se sont
succdes, on est pass en moins de deux dcennies dun mode de fonctionnement o les
mdecins disposaient dune grande libert dans les soins un systme de tarification
lactivit, limitant les dpenses sur la base des actes produits. Lvaluation externe sest
impose, au travers notamment des dmarches damlioration de la qualit sanctionnes
par laccrditation/certification dsormais obligatoire dans tous les tablissements de
sant. La ncessit de surveiller les cots a engendr lutilisation dun nombre croissant
doutils de gestion qui ont accru encore lintensification du travail, dj engage par
laugmentation de lactivit conjugue la rduction des dures de sjour. Ces volutions
rapides ne sont pas sans transformer profondment le travail des soignants. Au travers de
diverses recherches sur le sujet, nous verrons comment ce tournant gestionnaire est peru
par les professionnels de sant et quel est son impact sur leur activit quotidienne. Si les
outils en eux-mmes peuvent potentiellement se rvler des occasions dapprentissage
dun dialogue entre fonctions diffrentes, permettant une meilleure prise en compte des
contraintes tant conomiques et organisationnelles que mdicales, bien souvent ils ne
saccompagnent pas des conditions permettant une telle discussion et sont donc perus
comme une source de pression et de conformation plutt que comme un instrument de
connaissance permettant laction (MOISDON, 1997).
Dans un deuxime chapitre, nous largirons notre regard pour considrer la
problmatique de la sant au travail dans son ensemble et les outils permettant de
lapprhender. Aprs un rapide panorama de lampleur du malaise au travail actuel et de
Introduction
17
la diversit des mots pour lexprimer, nous prsenterons quelques uns des principaux
modles thoriques de rfrence dans le domaine. Nous rapporterons plusieurs recherches
qui ont mis en vidence les dterminants organisationnels et managriaux de la sant au
travail et point les configurations les plus dltres. Les deux modles les plus souvent
mobiliss aujourdhui pour analyser les facteurs psychosociaux soulignent le rle essentiel
de lautonomie dans le travail, du soutien social (KARASEK et THEORELL, 1990) et de la
reconnaissance (SIEGRIST, 1996). Nous nous intresserons tout particulirement aux
approches cliniques issues de la psychologie du travail qui proposent danalyser lactivit
en train de se faire et de redonner du pouvoir dagir aux acteurs par le dveloppement de
la controverse sur le travail (DEJOURS, 2009 ; CLOT, 2008). Ces perspectives rejoignent en
ce sens lapproche de ltude Sant, organisation et ressources humaines 5
(DETCHESSAHAR, 2009a) dans laquelle sinscrit cette thse, qui a choisi comme cl
dentre de la sant au travail lanalyse des espaces de discussion permettant de mettre
en dbat le travail et ses rgles afin de construire collectivement des solutions productives
et des compromis de sens.
Ces diffrentes approches rejoignent les tudes sur limpact du tournant gestionnaire sur
le travail des professionnels de sant en ce quelles soulignent la ncessit de mettre en
place et de garantir les conditions dun soutien social fort, tant de la part du collectif de
travail et du mtier que de la part de la hirarchie. Cest pourquoi nous nous doterons
dun cadre conceptuel permettant danalyser les dynamiques collectives de la rgulation
locale, qui fera lobjet du troisime chapitre. Nous mobiliserons la thorie de la
rgulation sociale de J-D. REYNAUD afin didentifier la fois les processus de rgulation
autonome mis en uvre par les acteurs pour sapproprier les contraintes et raliser
malgr tout un travail de qualit, mais aussi la manire dont ceux-ci se conjuguent ou
non avec les rgles de contrle exognes, pour former des compromis aboutissant une
rgulation conjointe (REYNAUD, 1988). Nous mettrons en vidence la ncessit danalyser
le rle du management de proximit dans ce travail dorganisation quotidien (DE TERSSAC,
2003b) pour faire exister, quiper et animer des espaces de discussion sur le travail
(DETCHESSAHAR, 2001). Afin de pouvoir saisir plus finement encore les motifs de
lengagement dans lactivit de rgulation collective, nous mobiliserons ensuite les
approches par le don (GODBOUT, 1992 ; ALTER, 2009), considrant que le travail comporte
une dimension de don irrductible au contrat salarial, en tant quil est ingniosit pour
faire face la rsistance du rel et engagement dans la coopration. Nous proposerons une
conception relationnelle du don dpassant le don/contre-don maussien (MAUSS, 1924) en
posant la rciprocit de la relation comme finalit de la dynamique de don (BRUNI, 2010). 5 Que nous prsenterons brivement dans le chapitre 2 et plus en dtail dans le chapitre 4.
I Introduction
18
Une telle approche invite prendre en compte la dimension de la personne et bouscule
bon nombre de fonctionnements observs dans les organisations. Elle suppose de penser de
nouvelles manires de prendre en compte la dimension de don dans le travail.
Aprs avoir pos ce qui constituera la grille de lecture pour la suite de notre analyse, nous
prsenterons dans une deuxime partie les recherches empiriques menes dans le cadre
de cette thse.
Nous dcrirons tout dabord dans le quatrime chapitre la manire dont se sont droules
les deux recherches-interventions ralises. Nous y dtaillerons chacune des tapes du
design de la recherche, depuis laccs aux terrains, la collecte des donnes, la co-
construction du plan daction avec les acteurs, jusqu la manire dont les connaissances
ont t produites partir de lanalyse des donnes empiriques et les rgles qui ont prsid
leur mise en forme finale. Dans une perspective de rflexivit caractristique des
approches ethnographiques, nous chercherons interroger les principes au fondement de
la dmarche. Nous verrons que tout le dispositif de recherche est sous-tendu par une vision
de lorganisation fonde sur un management par la discussion qui rvlera
effectivement son effet capacitant (FALZON, 2005), source dapprentissage par les
acteurs dun nouveau modle managrial.
Afin de permettre au lecteur de simmerger dans chacune des deux organisations o sest
droule la recherche, nous avons fait le choix de rdiger les deux monographies sous la
forme dun rcit, retraant notre dcouverte de lorganisation et de ses acteurs, jusquaux
coups de thtre finaux que peut rserver la dmarche dintervention. Nous prsenterons
au chapitre cinq un centre de soins de suite priv non lucratif que nous avons nomm
Beausoin, engag dans un hyper-activisme managrial visant faire de la maitrise des
outils de gestion une comptence stratgique pour conqurir des marges de manuvre
dans lenvironnement ultra-rglement qui est le sien. Nous y constaterons un sentiment
dabandon et de manque de reconnaissance des quipes, reprochant labsence du
management sur le terrain, une communication dfaillante et une dfiance gnralise,
suscitant dmotivation et protestation. Il se rvlera extrmement difficile pour la
direction de sortir du cercle vicieux dune surenchre de linstrumentation gestionnaire
que nous qualifierons de gestionnite .
La seconde recherche-intervention que nous rapporterons au chapitre six se droula dans
une importante clinique prive appele ici Grandsoin, classe parmi les meilleures de
France. Nous y trouverons galement un climat social trs dgrad. Le remarquable travail
ralis pour organiser lensemble du processus de soin en vue dune optimisation de la
gestion du flux de patients sy traduit par une coopration empche et des cadres de
Introduction
19
proximit absorbs par une activit de rgulation invisible et dvalorise. Au moment
mme o, lissue dun intense travail avec des acteurs de toutes catgories, nous
finissions dlaborer un plan daction en vue de restaurer le dialogue et la coopration
tous les niveaux, les mdecins-actionnaires dcidrent de restructurer la direction
gnrale et de reprendre en main le management de la clinique, provoquant le dpart de
tous les membres du comit de direction ayant travaill au plan daction. Nous
constaterons cependant un an plus tard que lapprentissage ralis au cours de
lintervention avait permis des cadres intermdiaires de le dployer malgr tout dans sa
totalit, instaurant un modle de management fond sur la discussion et le dialogue.
Lobjet de la troisime partie est dexpliciter les rsultats obtenus dans le cadre de ces
deux recherches-intervention et de les discuter partir des auteurs mobiliss.
Bien que trs diffrentes, les deux recherches empiriques menes prsentent des points
communs significatifs dont nous prsenterons lanalyse au chapitre sept. On constate sur
les deux terrains tudis un emballement du contrle, rsultant dune course
lexcellence et dune tentation dhyper-rationalisation. Le management de proximit ne se
trouvant plus en mesure dassurer sa mission, les outils se substituant la relation et le
dialogue disparaissant, cest la possibilit mme dune rgulation conjointe qui se trouve
faire dfaut dans ces tablissements. Sexprime alors, outre le manque dcoute, une
forte demande de reconnaissance, que nous analysons la fois comme attente que le
travail soit vu mais aussi que la personne qui en est lauteur soit reconnue. Nous
montrerons que le sentiment dune attente due peut tre lu comme une dynamique de
don empche, lorsque le don non reu spuise dans une relation sans rciprocit.
Dans le huitime et dernier chapitre, nous reviendrons sur lapport dune lecture par le
don des processus de construction de la sant au travail. Nous verrons que ceux-ci sont
indissociables de conditions organisationnelles et managriales favorisant lexistence
despaces de discussion, scnes dune authentique rgulation conjointe au niveau local,
qui soient des espaces de reconnaissance des dynamiques de don. Cela nous conduira
examiner quel peut tre par consquent le rle du manager dans la reconnaissance et le
soutien des dynamiques de don, en vue de proposer quelques premiers lments dune
ingnierie dun mode de management capable de faire place au don dans lorganisation.
Nous conclurons en rsumant brivement le chemin parcouru dans cette thse, en
rappelant les rsultats produits et en voquant les implications thoriques et managriales
de cette recherche, ses limites et les pistes quelle invite explorer pour poursuivre la
rflexion.
I Introduction
20
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
21
PREMIERE PARTIE :
CONTEXTE ET CADRAGE THEORIQUE
DE LA RECHERCHE
22
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
23
CHAPITRE 1 LE TOURNANT GESTIONNAIRE DES
TABLISSEMENTS DE SANT
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
24
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
25
Lorsquon observe nos grands ensembles hospitaliers ultramodernes, il semble loin le
temps des salles communes o, sous la direction des religieuses, vaquaient des filles de
salle, assurant un peu dhygine et une prsence auprs des malades, et qui les
mdecins montraient comment effectuer les soins leur place (ARBORIO, 2001).
Lhpital de demain sera, pour ce qui est de son architecture, plus proche dun aroport
que dun htel , affirmait il y a quelques annes dj lancien Directeur des hpitaux (DE
KERVASDOU, 2007, p. 36). On nen est effectivement pas loin, dans certains services
ambulatoires o les patients ressortent quelques heures seulement aprs avoir subi une
intervention, ralise avec des techniques de pointe.
Il suffit de regarder un instant les statistiques dactivit de ces tablissements et le
nombre de patients traits par jour pour imaginer sans mal le vertige qui prend parfois les
soignants. On peut certes reprocher au systme de sant tous les dysfonctionnements qui
sont les siens, il est aussi victime de son efficacit, de lextraordinaire capacit de la
mdecine soigner de plus en plus de pathologies, des dveloppements prodigieux de la
technique et de ltonnante rsilience dquipes confrontes sans cesse limprvisible.
Si les soignants sont nombreux aujourdhui exprimer leur puisement, cest
probablement aussi parce quon attend deux la fois une qualit de prsence et de
relation auprs de ceux qui souffrent, mais galement une trs haute technicit dans les
soins, le respect de rgles dhygine ne tolrant jamais la propagation du moindre germe,
la coordination sans faille dinnombrables acteurs, dans une conomie de moyens et de
temps permettant loptimisation des ressources et laccueil du plus grand nombre de
patients. A lobserver de prs, ce qui frappe cest dabord le miracle continuel que
reprsente chaque prise en charge, plusieurs milliers de fois par jour.
Cette extraordinaire capacit grer la singularit grande chelle (MINVIELLE, 1996)
sappuie sur des outils de gestion toujours plus nombreux et structurants, mais
incontestablement aussi sur la remarquable comptence dquipes et lintelligence
collective quelles savent dployer (GROSJEAN et LACOSTE, 1999). Leur dvouement
semble pourtant suser et laisser la place au malaise et la plainte.
On dnonce largement aujourdhui leffet de lentre dans la gestion (PIOVESAN, 2003)
des tablissements de sant, son impact sur les soignants et le dlitement des collectifs
qui en rsulterait. Nous tenterons ici de tracer un rapide panorama des modalits et des
effets de ce tournant gestionnaire, afin de proposer ensuite une analyse de limpact de ces
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
26
transformations du management des tablissements de soin sur lactivit des salaris et
sur leur sant au travail.
Dans un premier temps, nous parcourrons rapidement lhistoire rcente du systme
hospitalier franais et les vagues de rformes qui ont transform progressivement le champ
de la sant. Nous nous arrterons ensuite sur deux parmi les plus emblmatiques des
nombreux outils de gestion vhiculs par ces rformes : le programme de mdicalisation
des systmes dinformation qui a permis ensuite le passage une tarification lactivit,
et la dmarche qualit instaure au travers de laccrditation des tablissements de sant,
appele aujourdhui certification. Nous prsenterons ensuite brivement limpact de ce
tournant gestionnaire sur le travail et notamment sur lactivit de quelques uns des
principaux acteurs des tablissements de sant : les mdecins, les cadres de sant et les
quipes soignantes.
Nous verrons que ce ne sont pas tant les outils en eux-mmes qui font problme que
linsuffisante prise en compte de limpact de la monte en charge de lactivit et des
contraintes quils ont produit sur le travail. La logique gestionnaire est dsormais
omniprsente et impose tous ses exigences. Cependant la multiplication des contraintes
ne sest pas accompagne dun soutien managrial permettant dassurer le dialogue
ncessaire la prise en charge collective des situations difficiles, laissant chacun dmuni
et fragilis face des injonctions contradictoires toujours plus nombreuses.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
27
1. LES VAGUES DE REFORMES DU SYSTEME DE SANTE
1.1. Un pass encore proche
Pendant de nombreux sicles, depuis le Ve sicle, les hpitaux ont t des lieux accueillant
les pauvres, misreux et marginaux de toutes sortes, o les mdecins taient rarement
prsents sur place et les proccupations dhygine trs secondaires (IMBERT, 1974, p. 10).
Ils seront longtemps des uvres charitables la mission essentiellement religieuse, sous la
surveillance de lvque, finances par des dons de fidles dont la volont doit tre
respecte ad aeternum (p. 13). Les tablissements hospitaliers seront laciss lors de la
rvolution de 1789, dans une volont dorganisation nationale des secours publics,
reconnaissant le droit de tout citoyen bnficier dassistance. Mais ils perdirent du
mme coup lessentiel de leurs revenus et privilges et une bonne part de leur personnel
religieux et de leur patrimoine immobilier (p. 32-39). Faute de moyens, lorganisation de
lassistance est alors dlgue aux communes, tandis que sinstituent progressivement des
formes de contrle dun pouvoir de tutelle centralit, ministre ou prfets (p. 40-50). A
partir de la rvolution, se dveloppe lide de remboursement des frais dhospitalisation,
tout dabord pour les soldats sjournant lhpital, puis pour les indigents non originaires
de la commune les prenant en charge. Ces prix de journe deviendront partir de la
moiti du XXe sicle la quasi-totalit des revenus des tablissements de sant (p. 83).
Pendant la priode de la Restauration, la fondation de nouveaux tablissements est
nouveau permise, sous rserve de lautorisation du ministre. Ces tablissements privs
reconnus dutilit publique sont cependant sous la tutelle du gouvernement au mme
titre que les tablissements publics, mme si cest de manire plus souple (p. 55). Ils se
multiplient pendant tout le XIXe et le XXe sicle. Il sagit aussi bien dtablissements que
lon qualifie aujourdhui de non lucratifs , le plus souvent dorigine confessionnelle, qui
prennent souvent le statut dassociations, que dtablissements fonds par des organismes
dassurances sociales ou de mutuelles, ou encore de cliniques prives but lucratif.
Celles-ci sont gnralement construites par des chirurgiens ou obsttriciens pour soigner
leurs patients de la petite, moyenne ou grande bourgeoisie, puisquil fallait jusquen 1941
tre indigent moins dtre accident du travail pour tre admis lhpital public
(DE KERVASDOU, 2007). Lorsque sera cre la Scurit sociale en 1945, les syndicats
demanderont ce que leurs affilis puissent aussi bnficier des soins rputs des
cliniques prives en tant pris en charge.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
28
Encadr 1 : Les types dtablissements de sant
On distingue gnralement trois grandes catgories dtablissements de sant, selon leur
statut juridique : les hpitaux publics (quils sagissent dimportants centres hospitaliers
rgionaux, le plus souvent universitaires, ou des nombreux petits hpitaux locaux), les
tablissements privs but non lucratif, une bonne part dentre eux participant au
service public hospitalier (PSPH) et enfin les cliniques prives but lucratif. La
distinction nest bien sr pas si simple, puisque par exemple les Centre de lutte contre le
cancer sont considrs comme de droit priv bien quappartenant ltat. Les appellations
dbordent parfois des statuts juridiques6, certaines cliniques adoptant par exemple le nom
d hpitaux privs . Les rformes rcentes vont de plus dans le sens dune coopration
toujours plus grande entre secteur public et priv.
A cette distinction juridique sajoute en gnrale celle selon le type dactivit : les
tablissements dits de court-sjour correspondant aux activits de mdecine, chirurgie
et obsttrique (MCO) dune part, les soins de suite et de radaptation (SSR) dautre part
(anciennement moyen sjour), les soins de longue dure enfin, et la psychiatrie.
Si les hpitaux publics prennent globalement en charge 63 % des hospitalisations en court
sjour en 20087, la rpartition de lactivit est en revanche trs ingale : les
tablissements privs lucratifs ralisent une bonne part de la chirurgie tandis que lhpital
assure lessentiel de la mdecine8 (ARNAULT, 2010).
Ce nest que vers les annes 1930 que la mdecine commence avoir vritablement la
capacit de soigner (DE KERVASDOU 2007, p. 27). Aprs la guerre, le systme de sant
actuel se met en place et lhpital en devient le cur (on parlera dhospitalocentrisme).
De grands ensembles hospitaliers se constituent et se dploient sur tout le territoire. Les
savoirs et les techniques voluent trs rapidement, les spcialits se multiplient. On
assiste un dveloppement spectaculaire des hpitaux, et avec eux des dpenses de
sant, finances par une croissance soutenue. Le secteur priv profite lui aussi encore plus
largement de cette croissance : plus de 1000 cliniques sont cres entre 1946 et 1960
(PIOVESAN, 2003, p. 45).
6 Il existe une quinzaine de rgimes juridiques diffrents dtablissements de sant (LAVIGNE, 2009). 7 Sur la base du nombre dentres en hospitalisation complte. Cf. statistiques DREES (ARNAULT, 2010). 8 Les cliniques prives ralisent en 2008 48 % de la chirurgie (et mme 67 % en hospitalisation
partielle) tandis que lhpital assure 75 % de la mdecine. Les soins de suite sont en revanche plus rpartis : le public prend en charge 46 % des sjours, les cliniques prives 28 % et les tablissements privs non lucratifs 26 % (ARNAULT, 2010).
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
29
1.2. Les rformes du financement des tablissements de sant
A partir des annes 1970, le rationnement et la rationalisation commencent, avec un taux
directeur limitant laugmentation des dpenses hospitalires publiques. Le systme du prix
de journe, en vigueur depuis 1946 pour le secteur public, est jug inflationniste puisquil
incite hospitaliser et prescrire toujours plus. Il est remplac en 1983 par un systme
forfaitaire de dotation globale, sur la base des dpenses de lanne prcdente9. Le
financement par dotation globale favorisera effectivement la diminution des dures de
sjour, mais il nempchera pas les tablissements de rsister au rationnement et de
continuer se dvelopper grce diverses stratgies. La concurrence sacclre.
Mais ce nouveau systme de financement nest en ralit que transitoire et en annonce un
autre, qui sera une vritable rvolution dans lhistoire de lhpital, mme si celle-ci se
fera trs progressivement (MOISDON, 2000 ; LENAY et MOISDON, 2003). Il fallait en effet
pour ltat trouver un moyen de matriser les dpenses de sant. Or pour les contenir,
encore faut-il pouvoir les identifier, ce qui est loin dtre le cas. Les seuls indicateurs alors
disponibles sur lactivit hospitalire taient le nombre dadmissions, le nombre de
journes, la dure moyenne de sjour et le taux doccupation des lits. La dimension
mdicale en est compltement absente et une banale intervention de routine nest pas
traite diffremment dune pathologie requrant les techniques les plus sophistiques. Les
directeurs dhpitaux comme les tutelles nont aucune matrise de lactivit quils sont
censs grer ou rguler. Les mdecins eux-mmes nen ont dailleurs pas beaucoup plus,
note J-C. MOISDON qui propose de parler de symtrie de non-information (2000, p. 45).
J. DE KERVASDOU, alors la tte de la Direction des hpitaux, propose dimporter une
mthode dveloppe par le professeur R. FETTER lUniversit de Yale aux tats-Unis, les
Diagnosis Related Groups , permettant de construire une unit de mesure la fois
mdicale et conomique. Il raconte lui-mme : En ayant eu connaissance en 1979, jai
pens que cette classification rsolvait un certain nombre des difficults et permettait enfin
un contrle adapt des institutions hospitalires (DE KERVASDOU, 2007, p. 22). Il faudra de
longues annes pour construire les catgories (groupes homognes de malades ou GHM) qui
serviront de base au Programme de mdicalisation du systme dinformation (PMSI).
Malgr les nombreuses rticences vis--vis du PMSI, ltat arrive par un coup de force
(LENAY et MOISDON, 2003, p. 134) imposer son utilisation pour lvaluation de lactivit
9 Les tablissements privs non lucratifs participant au service public hospitalier sont galement
concerns par la dotation globale. Les cliniques prives, elles, sont toujours rembourses sur la base de la tarification la journe (rmunrant la structure) et dun forfait li aux actes mdicaux raliss, ngocis avec lARH. Pour une prsentation dtaille du mode de tarification des cliniques antrieur la T2A, voir la thse de D. PIOVESAN (2003, p. 48-66).
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
30
des tablissements rendue obligatoire par la rforme hospitalire de 1991 et cre cet
effet une nouvelle fonction, le mdecin DIM (responsable du Dpartement dinformation
mdicale), charg de lutilisation et de la diffusion de loutil, dont le rle savrera dcisif
pour rapprocher mdecins et gestionnaires.
Avec le Plan Jupp et les ordonnances de 1996, souvre une nouvelle tape. Le
processus de planification, initi depuis les annes 1970 et renforc par la rforme
hospitalire de 1991, se poursuit et stend tout le secteur sanitaire. Les agences
rgionales dhospitalisation (ARH) sont cres ; elles assureront la gestion de la planification
lchelle locale travers les schmas rgionaux dorganisation sanitaire (SROS). Institu
en 1991, le SROS doit organiser la rpartition de lactivit entre tablissements publics et
privs en fonction des besoins de sant du territoire. Les ARH accordent les autorisations
dactivits dans le cadre de contrats dobjectifs et de moyens ngocis avec chaque
tablissement. Plus quune vritable dcentralisation, la constitution des ARH reprsente
du moins une certaine dconcentration (MINVIELLE 2009, p. 39). Le dispositif introduit
galement les lois de financement de la scurit sociale qui fixent chaque anne
l objectif national des dpenses de lAssurance maladie (ONDAM).
Paralllement, en vue dune matrise cette fois qualitative des activits hospitalires, le
Plan Jupp de 1996 met en place la procdure daccrditation, une valuation de la qualit
rendue obligatoire tous les cinq ans pour tous les tablissements de sant par une agence
indpendante (lAgence nationale daccrditation et dvaluation en sant, ANAES)10.
Au mme moment, l tude nationale de cots lance en 1992 avec une cinquantaine
dhpitaux volontaires ayant dvelopp une comptabilit analytique commune, permet
pour la premire fois en 1995 de calculer sur la base du PMSI un cot moyen pour chacune
des catgories de groupes homognes de malades, en utilisant une unit de compte
appele le point ISA (indice synthtique dactivit). Lorsque lactivit ainsi calcule pour
chaque rgion puis pour chaque tablissement est rapproche de lenveloppe budgtaire
rgionale dsormais confie lARH, il devient possible didentifier les tablissements sur-
ou sous-dots par rapport leur activit relle. On dcouvre des carts de productivit
allant de 1 4 sur lensemble du territoire national (LENAY et MOISDON, 2003, p. 136).
Ce sera lre des restructurations aussi bien dans le champ des hpitaux publics que
dans celui des cliniques prives. Sous la pression dune logique mdico-conomique, les
tablissements se regroupent et se spcialisent de plus en plus. 10 % des cliniques
10 Celle-ci sera remplace ensuite par la Haute autorit de sant (HAS) et laccrditation sera
appele certification.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
31
disparatront entre 1992 et 2000, soit 18 000 lits ferms, mme si lemploi du personnel
soignant continue daugmenter (PIOVESAN, 2003, p. 86-107).
Dans le secteur priv, dj beaucoup plus quip doutils permettant lanalyse de lactivit
du fait de la tarification sur la base des actes, lusage du PMSI est gnralis ds 1994. Il
stendra la totalit du secteur des soins de suite et de radaptation (SSR) en 2003.
Lanne 2002-2003 marque une nouvelle tape, avec la mise en route du plan Hpital
2007 . Outre le fait quil renforce les pouvoirs de lARH et instaure une nouvelle
gouvernance pour les hpitaux publics, il est surtout porteur dun changement
fondamental en termes de financement des tablissements de sant : il introduit la
tarification lactivit, ou T2A. La finalit de ce nouveau mode de tarification, qui
poursuit le processus de mdicalisation du financement engag par le PMSI, est
dintroduire plus de transparence et dquit dans lallocation des ressources financires,
avec un systme unique valable la fois pour les hpitaux publics ou les tablissements
PSPH et pour les cliniques prives. La T2A vise enfin responsabiliser les acteurs en
rendant visible lactivit et en incitant lutter contre la sous-productivit. Sa mise en
place, immdiate pour les cliniques prives, dbute progressivement partir de 2004 dans le
secteur public et constitue, depuis 2008, 100 % du financement de tous les tablissements.
La loi hpital, patients, sant, territoires (HPST) vote en 2008 poursuivra la logique de
modernisation porte par le plan Hpital 2007 en largissant encore les comptences des
agences rgionales de sant (ARS), qui remplacent les ARH, et en poursuivant la rforme de
la gouvernance hospitalire. Dans la ligne des principes du nouveau management public
(CLAVERANNE et al., 2009), la loi HPST vise une plus grande autonomie interne et la
responsabilisation de tous les acteurs. Elle promeut galement la coopration entre
tablissements publics et privs dans une logique de service public territorial laquelle
tous sont associs (LAVIGNE, 2009, p. 444). Nous ne dvelopperons pas ici la question de la
gouvernance hospitalire, qui ne concerne pas directement les tablissements de sant
privs qui font lobjet de notre recherche, ni celle de la coopration territoriale entre les
tablissements de sant. Traons cependant dans les grandes lignes les principes du nouveau
management public, avant de voir comment celui-ci se dcline en termes doutils, dont on
verra linfluence sur les tablissements privs tudis.
1.3. Les principes du nouveau management public
Lvolution engage par les rformes successives est significative, au point quelle
apparat certains acteurs comme brutale , une rafale de rformes enchevtres
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
32
(KRIEF, 2005, p. 14). Le tournant gestionnaire initi dans les annes 1980 semble
stre dsormais largement tendu au champ de la sant.
Ce phnomne est soutenu, dans le secteur public, par la rfrence un courant thorique
parti des pays anglo-saxons et qui a gagn progressivement toute lEurope puis plus
tardivement la France : le nouveau management public (NMP, ou new public
management ), visant transfrer les principes et outils du priv dans la gestion publique.
Ce courant, considrant le secteur public comme trop bureaucratique, coteux et
inefficace, propose de lui appliquer les mthodes et les outils de gestion des entreprises. Il
prne, entre autres, la responsabilisation des gestionnaires, le passage une logique
client (on ne parle plus dusager), lutilisation de la contractualisation et la concurrence
jusqu lintrieur de lorganisation (AMAR et BERTHIER, 2007).11
Encadr 2 : Les dix principes du nouveau management public
1- Catalytic Government (steering rather than rowing) : catalyser, orienter et contrler plutt que de faire ;
2- Community-owned Government (empowering rather than serving) , donnant plus de pouvoir aux citoyens ;
3- Competitive Government (injecting competition into service delivery) : mettre en comptition les fournisseurs de services, ex-monopoleurs ;
4- Mission-driven Government (transforming rule-driven organizations) : se centrer sur les missions et buts, non sur les rgles et les procdures ;
5- Results-oriented Government (funding outcomes, not inputs) : financer les agences sur des projets, partir dobjectifs de rsultat ;
6- Customer-driven Government (meeting the needs of the customer, not the bureaucracy) : en mettant lusager au cur de lattention des agences, en lui accordant le statut de client ;
7- Enterprising Government (earning rather than spending) , en recherchant dvelopper lactivit plutt que de dpenser son budget ;
8- Anticipatory Government (prevention rather than cure) , en prfrant une attitude pro-active, plutt que ractive, face aux problmes ;
9- Decentralized Government (from hierarchy to participation and teamwork) : en dcentralisant les pouvoirs, prnant le management participatif et le travail dquipe ;
10- Market-oriented Government (leveraging change through the market) , en prfrant les mcanismes de march ceux bureaucratiques.
Source : DETCHESSAHAR et al., 2009a, p. 314
Ce qui nous intressera ici, dans le cadre des tablissements de sant privs que nous allons
tudier, cest le lot doutils et de politiques que les vagues de rformes inspires par le
nouveau management public ont charri avec elles. A. AMAR et L. BERTHIER ont ainsi
recens la manire dont les principes du NMP se dclinent dans les organisations (2007). 11 C. TALBOT (2003) souligne le caractre paradoxal du nouveau management public, visant la fois
laisser la dcision aux politiques et permettre aux managers de grer, considrer que cest aux consommateurs de choisir tout en prnant la participation des parties-prenantes.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
33
Table 1 : Les dmarches et outils introduits par le nouveau management public
Fonction stratgique
Gestion par les rsultats Mise en place dune planification stratgique Privatisation dentreprises publiques, externalisation (faire-faire) Mise en place de partenariats public/priv Sparation des fonctions politique (conception) et administrative (mise en uvre)
Dconcentration et/ou dcentralisation Utilisation des nouvelles technologies de linformation et de la communication en interne (lintranet permet de dcloisonner les services)
Gnralisation de lvaluation (culture de la performance) Simplification des formalits administratives
Fonction finance
Rduction des dficits Budgtisation par programme Plus grande transparence de la comptabilit (par exemple par la mise en place dune comptabilit analytique pour comparer les rsultats aux prvisions)
Fonction marketing
Dveloppement du marketing public (consultations, enqutes, sondages, observatoires, etc.)
Utilisation des nouvelles technologies de linformation et de la communication en externe (pour une meilleure communication)
Fonction ressources humaines
Rduction des effectifs Responsabilisation et motivation des fonctionnaires (individualisation des rmunrations, primes au rendement, etc.)
Dveloppement de la participation
Source : AMAR et BERTHIER, 2007
2. LINTRODUCTION DES OUTILS GESTIONNAIRES DANS LA SANTE
Dans le champ de la sant, les deux principaux outils qui refltent cette logique sont dune
part le PMSI qui a conduit la tarification lactivit (T2A), dautre part la dmarche
qualit daccrditation / certification. Ces deux outils vhiculent en eux-mmes toute la
philosophie gestionnaire du nouveau management public. Ils ont conduit transformer en
profondeur quoi que de manire encore relative (MOISDON, 2010) lnorme machine
hospitalire considre encore il y a peu comme une bote noire dune opacit quasi-
totale. Ils sinscrivent dans un processus qui conduit multiplier les outils de gestion et
dvelopper toujours plus les systmes dinformation, dans un univers o dominait
linformation orale entre les soignants et o lindpendance des mdecins dans lexercice de
leur pratique professionnelle est garantie par la loi. Avant de tenter didentifier la manire
dont ces outils ont vhicul la logique gestionnaire dans les organisations de sant, nous
prsenterons sommairement le fonctionnement du PMSI et de la T2A.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
34
2.1. Quelques repres sur le PMSI et la T2A
Le PMSI est un systme dinformation rapprochant des lments de diagnostic mdical la
consommation de ressources que leur prise en charge ncessite. A partir de catgories
majeures de diagnostic, chaque patient hospitalis est affect un groupe homogne de
malades (GHM) semblables la fois par le type de pathologie, par leurs caractristiques
susceptibles daffecter les soins requis (par exemple les autres diagnostics ventuellement
associs, lge, le type dintervention chirurgicale ralise, etc.) et surtout par leur cot
moyen. La caractristique des catgories ainsi constitues est donc quelles sont la fois
aussi cohrentes que possibles dun point de vue mdical mais aussi iso-ressources (DE
KERVASDOU, 2007, p. 26). Il sagit toutefois dune classification extrmement simplifie en
regard des 12 000 pathologies rpertories par lOMS, mme si elle a t enrichie au fur et
mesure, passant denviron 500 GHM au dpart 2 300 en 2009. Chaque GHM est ensuite
associ un groupe homogne de sjours (GHS), susceptible de prendre en compte
galement dventuelles conditions spcifiques de sjour, comme par exemple lorsque le
patient est pris en charge dans une unit de soins palliatifs o le personnel est renforc.
Chaque sjour dun patient dans un tablissement de sant est donc affect, sur la base
des donnes saisies dans le systme dinformation (dans un document appel le rsum
standardis de sortie , RSS) un et un seul GHS, pour lequel on est en mesure dvaluer
le cot moyen. Cest sur ces lments que se fonde la tarification lactivit.
Schma 1 : Le mode de fonctionnement du PMSI
Source : ANDREOLETTI, 2007
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
35
Notons que lensemble de lactivit des tablissements de sant ne pouvant tre
dtermine sur la base des GHM, le systme de tarification prvoit galement, outre les
paiements au sjour pour les GHS, le paiement en sus de certains mdicaments ou
dispositifs mdicaux particulirement onreux, lattributions de forfaits annuels pour les
urgences, les prlvements dorganes ou les greffes, ainsi quune enveloppe pour les
missions dintrt gnral, les missions denseignement et de recherche et pour dautres
financements regroups sous lappellation gnrique daide la contractualisation.12
Lintrt de cette classification est notamment quelle est commune aussi bien au secteur
public quau secteur priv. En revanche, le mode de calcul des tarifs des GHS diffre,
notamment parce que le salaire des mdecins y est inclus dans le public tandis quil ne
lest pas dans le priv lucratif, o les praticiens sont libraux et donc rmunrs par des
honoraires en sus. Par ailleurs la base du calcul nest pas la mme : alors quil est possible
partir de lactivit rellement facture lassurance maladie pour les cliniques prives,
le tarif pour les hpitaux est estim laide de ltude nationale de cots sur la base dun
chantillon dtablissements. On ne peut donc comparer les tarifs du priv et du public.
Lavance est nanmoins importante : depuis lintroduction de la T2A en 2004, il ny a plus
quune seule modalit de financement qui sapplique la fois aux tablissements privs et
publics, jusqualors soumis des rgimes diffrents. Auparavant, tandis que les hpitaux
et les tablissements privs participant au service public hospitalier (PSPH) taient
financs sur le mode de la dotation globale, les cliniques prives facturaient les actes et
des forfaits de prestations directement lassurance maladie, encadrs par l objectif
quantifi national (OQN). Dsormais tous les tablissements de court sjour sont soumis
la T2A. Pour les cliniques prives, le principal changement repose sur le fait que les
tarifs ne sont dsormais plus ngociables, ils sont les mmes sur tout le territoire franais
et fixs par le gouvernement. Pour linstant, la T2A ne concerne pas encore le secteur SSR.
2.2. Les outils comme mode dapprentissage de la logique gestionnaire
Lintroduction de la T2A nest cependant pas comprendre comme une simple mcanique
de calcul de remboursements. Pour les hpitaux et les tablissements PSPH, cest toute la
logique du financement qui sen trouve bouleverse. Alors que les ressources de lanne n+1
taient jusque l lies aux dpenses de lanne n-1, indpendamment de ce qui tait ensuite
ralis sur cette base, les moyens sont dsormais directement fonction de lactivit
12 La prsentation qui est faite ici du systme de tarification lactivit est bien sr extrmement
simplifie et ne mentionne pas les nombreuses rgles et exceptions caractristiques du fonctionnement de ce systme pour le moins complexe et perptuellement changeant.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
36
produite. Il ne sagit plus de produire en fonction des dpenses mais de dpenser en fonction
de ce quon produit. On passe dune logique de moyens une logique de rsultats.
Schma 2 : Le mcanisme de la tarification lactivit
Source : ANDREOLETTI, 2007
Pour les hpitaux, un tel systme signifie de plus quau lieu de mesurer lactivit une fois
par an en vue du budget de lanne suivante, six mois aprs la fin de lanne coule,
chaque tablissement sest trouv tenu de produire au fur et mesure des donnes sur son
activit, communiquer la tutelle chaque trimestre dabord, puis de manire mensuelle.
Le PMSI et la T2A ont t ds lorigine trs critiqus, notamment par les mdecins13, entre
autres parce que cette mthode ne mesure pas la qualit du service rendu. Il existe aussi
des risques de slection des patients en fonction de leur rentabilit T2A et dinflation
des actes indpendamment de leur ncessit en vue de dgager plus de revenus. Au-del
de leffet attendu de la T2A sur la rduction des dures de sjour et sur le dveloppement
de lambulatoire et des prises en charge domicile, certains craignent que la recherche du
codage le plus favorable financirement ne conduise renvoyer trop tt des patients ou
en hospitaliser dautres qui ne ncessiteraient que des soins externes, voire scinder des
sjours en deux pour tre mieux rmunrs14. Sur le long terme, certains auteurs ont
point galement le risque de faire dune productivit moyenne une norme vers laquelle
tous doivent tendre, ce qui ne peut que dvelopper la standardisation, voire la mdiocrit,
au dtriment de la performance et de linnovation (LLEWELLYN et NORTHCOTT, 2005).
Dans sa thse, I. GEORGESCU a dmontr leffet des pressions financires15 sur le
comportement des mdecins, notamment li au mode de contrle utilis, et le surcodage
qui peut en rsulter (2010). Les directions des hpitaux, qui ont parfois peine une
13 Un ditorial de la revue Mdecine titrait ainsi Larnaque de la T2A ! (GRIMALDI, 2008). 14 Pour une revue de littrature internationale trs complte sur les effets de la T2A, voir le rapport
de J-C. MOISDON et M. PEPIN (2010, p. 107-121). 15 Bien avant lintroduction de la T2A, les mdecins taient dj lobjet de pressions financires de
la part des directions proccupes par les dpenses de certains services menaant lquilibre budgtaire (cf. les courriers des praticiens en annexe de LENAY et MOISDON, 2000).
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
37
comptabilit analytique oprationnelle et ne disposent souvent que de peu de marges de
manuvre pour agir sur la productivit, tendent en effet multiplier les messages
dincitation en direction des mdecins coder vite et bien (MOISDON et PEPIN, 2010),
au risque dun amalgame entre contrle externe et contrle de gestion (HALGAND, 2009).
Il semblerait cependant que les problmes de codage reprs soient plutt alatoires et
souvent dfavorables aux tablissements ; ils rsulteraient plus de la difficult technique de
lexercice. LAgence technique de linformation sur lhospitalisation (ATIH) observe que
depuis lapplication de la T2A 100 %, lexhaustivit du codage samliore et juge quil ny
aurait globalement pas de comportements significatifs de surcodage16.
Le PMSI sest rvl un langage en mesure de rapprocher des donnes mdicales et des
donnes conomiques. La tutelle semblait sen saisir pour la rgulation doses
homopathiques (MOISDON, 2000, p. 41), mais les effets dapprentissages sont bien l et
structurent dsormais les comportements, ne serait-ce quen gnrant de nouveaux savoirs
permettant plus de gestion aux diffrents acteurs. Articul avec la tarification lactivit, le
PMSI est devenu un outil de rgulation permettant un systme de rmunration jusque-l
aveugle (MINVIELLE, 2009, p. 36) de se connecter lactivit et la performance. Il peut
alors jouer le rle dincitation visant stimuler la recherche dune plus grande productivit
par les acteurs eux-mmes, bouleversant profondment les jeux de pouvoirs en place.
Cest pourquoi, alors quil tait qualifi au dpart par ses dtracteurs de petit machin
sans importance (LENAY et MOSIDON, 2003, p. 133), il a t dcrit par J-C. MOISDON
comme sans doute le dispositif le plus innovant de la batterie de rformes qui se sont
abattues sur le paysage hospitalier (2000, p. 36).
2.3. La dmarche qualit comme espace de discussion sur lorganisation
Tout tablissement sanitaire, public ou priv, a par ailleurs lobligation lgale de sinscrire
dans une dmarche de certification par la Haute Autorit de Sant (HAS)17, visant
concourir lamlioration de la prise en charge des patients. Cette dmarche nest pas
une simple procdure de contrle externe (HALGAND, 2003) ; elle doit traduire une
volont damlioration prenne de la qualit et de la scurit de soins dispenss et met
laccent sur la participation de lensemble des professionnels de ltablissement. Elle
implique de dvelopper un certain nombre dindicateurs, de critres et de rfrentiels
16 Voir les rapports dvaluation du codage publis sur le site de lATIH : www.atih.sante.fr 17 Auparavant appel accrditation, du temps de lAgence nationale pour laccrditation et
lvaluation en sant (ANAES).
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
38
portant sur les procdures, les bonnes pratiques et les rsultats dans tous les services et
activits de ltablissement.
La procdure de certification est trs lourde pour les tablissements. Renouvele tous les
cinq ans sur la base de critres toujours plus nombreux, elle implique une large mobilisation
de nombreux groupes de travail pendant de longs mois18. Elle est sanctionne par une visite
dexperts qui accordent ou non la certification, assortie dun certain nombre de
recommandations qui devront tre mises en uvre.
La proccupation de la qualit dans le champ de la sant nest pas nouvelle. La notion
dvaluation des pratiques a fait son chemin dans les textes depuis le dbut des annes
1980, jusqu tre rendue obligatoire par la rforme hospitalire de 1991. Ce sera la
rforme dite Jupp de 1996 qui imposera laccrditation de tous les tablissements
pour garantir que les mesures suffisantes sont prises afin dassurer la scurit et la qualit
des soins, dans un contexte de tensions budgtaires croissantes.
Alors mme que bien des acteurs continuaient de considrer la qualit comme
incommensurable, la ncessit dune information des patients sur le niveau de qualit des
tablissements est galement apparue par lintermdiaire des mdias qui se sont saisis des
principaux indices disponibles19 pour dresser des palmars des hpitaux et des cliniques.
On est pass progressivement dune notion de la qualit mdico-administrative et
organisationnelle centre sur la gestion interne des tablissements, des mesures de la
qualit destines valuer et piloter la performance, jusqu tendre vers une logique de
rgulation du systme de sant dans son ensemble sur la base dexigences en termes de
niveau de scurit et de qualit des quipements (MINVIELLE, 2003).
Mdecins et soignants sont familiers de la rdaction de protocoles, mais ceux-ci ont plutt
pour effet de figer les modes opratoires que dengager une rflexion pour les transformer
(FRAISSE et al., 2003). Il y a plus dengouement chez les mdecins rdiger des procdures
de soin qu discuter collectivement des problmes dorganisation , constatent T. REVERDY
et D. VINCK (2003, p. 11). La qualit telle quils la dfinissent se limite la dimension
mdicale ou relationnelle, occultant les processus organisationnels ncessaires la prise en
charge des patients (PASCAL, 2003, p. 194). On est bien loin de celle prne par les
militants-croyants-proslytes des dmarches qualit que sont souvent les directeurs et
responsables qualit (HERREROS et MILLY, 2006, p. 18).
18 En revanche, laccrditation semble avoir des effets somme toute assez relatifs sur lamlioration
des conditions de travail du personnel (RAYMOND, 2008). 19 Comme lindice composite des activits de lutte contre les infections nosocomiales (ICALIN) ou lindice
de consommation des solutions hydro-alcooliques (ICSHA), dsormais consultables par le grand public.
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
39
Lorsque les professionnels de sant remettent en cause les dmarches qualit, ce nest pas
tant la ncessit de la norme elle-mme, mais bien plus souvent la manire dont elle est
mise en uvre dans les lourdes dmarches de laccrditation (HERREROS et MILLY, 2006)
et le fait quelles semblent souvent une mascarade (DOUGUET et MUOZ, 2005, p. 131)
plus propre au faire croire, laisser paratre (HERREROS et MILLY, 2006, p. 22) qu une
relle volont damlioration de la qualit.
La dmarche qualit est cense tre dabord un espace de discussion du travail et de ses
exigences en vue de travailler collectivement son amlioration. Elle sest cependant
accompagne dune batterie dindicateurs, croissant mesure que se multipliaient les
normes sanitaires, dhygine et de protection des risques imposes par la loi. Le manuel
de la V2010 comporte ainsi prs de cent pages de critres analyser (cf. p. 43).
Les tablissements hospitaliers, en ce quils sont des bureaucraties professionnelles
(MINTZBERG, 1982), ont ceci de spcifique que les normes ne peuvent tre dfinies de
manire exogne sans quoi elles ne sont pas appliques par les professionnels, mais
doivent tre le produit dun consensus, dune rflexion collective, qui ne peut dterminer
que des processus majeurs critiques encadrant lautonomie des acteurs mais en aucun cas
tout standardiser (PASCAL, 2003, p. 197-199).
Nombre dobservateurs saccordent dire quun des mrites principaux de la certification,
par les outils danalyse de lactivit quelle met en place, est justement de faire exister la
question de lorganisation (REVERDY et VINCK, 2003, p. 2), de mettre au jour et de
mettre jour lorganisation (JOLIVET, 2011, p. 6). Cest un espace o se rvle la
complexit de lorganisation, o sont exprimes les pratiques collectives, ventuellement
formalises dans des procdures mais qui, plutt que des prescriptions, resteront utilises
comme des rfrences pouvant tout moment tre rinterprtes si la situation le
ncessite. G. HERREROS et B. MILLY la dcrivent galement comme une des scnes de
controverses () essentielle pour entretenir la tension entre procdures et coopration
(2006, p. 39). La dmarche qualit dans les tablissements de sant est ainsi une
rationalisation ngocie de lorganisation (MINVIELLE, 2000 ; REVERDY et VINCK, 2003).
En ce sens, on peut considrer que, de la mme manire que le PMSI et la T2A ont fait
pntrer la logique gestionnaire au sein des tablissements hospitaliers, suscitant des
effets dapprentissage, la dmarche qualit impose par la certification favorise des
processus de prise de conscience de la dimension organisationnelle et de sa ncessaire
prise en compte par tous les professionnels pour assurer la qualit et la scurit des soins.
Cest pourquoi, au-del du substrat technique lui-mme, ces outils sont bien le reflet
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
40
dune philosophie gestionnaire et dune vision de lorganisation (HATCHUEL et WEIL, 1992),
caractristique du tournant gestionnaire des tablissements de sant.
2.4. Le tournant gestionnaire dans les tablissements privs
Limportation des outils gestionnaires du priv dans le champ de la gestion publique est
lobjet mme du nouveau management public. Il nest donc pas tonnant quon y observe
la pntration dun langage, de proccupations et dinstruments jusque-l trangers ce
secteur, jusqu constater avec J-P. DUMOND que lhpital sest gestionnaris (2005,
p. 457). Peut-on en revanche en dire de mme pour les tablissements privs ?
Le champ de la sant nest pas un secteur comme les autres. Les professionnels de sant,
quils oprent dans des tablissements publics ou privs, se refusent considrer que leur
travail puisse tre une activit conomique, une activit de service comme une autre.
Lorsque le vocabulaire de lusine ou de la production est mobilis, cest toujours pour
exprimer de leur part le malaise ou la rvolte face ce quils vivent comme un contresens.
La culture du dvouement y est forte, notamment dans les tablissements but non lucratif.
Ceux-ci voient arriver les outils du tournant gestionnaire comme une exigence laquelle ils
sont plus ou moins prpars techniquement20, selon leur histoire, leur taille et leurs
ressources. Mais la dpendance totale envers la tutelle en matire de revenus a conduit
depuis longtemps les dirigeants des tablissements de sant but non lucratif dvelopper
de vritables proccupations gestionnaires. Plusieurs recherches ont dcrit lmergence dun
modle d association gestionnaire (ROBELET et al., 2010) non rductible une forme de
managrialisme (DE GAULEJAC, 2005), et que ces tablissements savaient inventer des
modalits de gestion sociale qui leur sont propres, compatibles avec leurs valeurs, mais
intgrant lexigence defficience et de performance de la gestion (LAVILLE, 2009).
Du fait de sa mission dintrt gnral, lensemble du secteur de lhospitalisation prive
est depuis longtemps fortement rgul par les pouvoirs publics. J-P. CLAVERANNE et
D. PIOVESAN (2003) qualifient les cliniques prives d objet de gestion non identifi , au
sens o elles diffrent des organisations dautres secteurs en ce quelles sont des
entreprise de main-duvre (le personnel reprsente 50 % des charges dexploitations),
haute technologie, non mobiles et qui ne peuvent dfinir leurs prix de vente. Elles sont
gnralement structures en forme de rseau, tel un jeu de Lego , imbrication de
multiples socits aux intrts souvent divergents que D. PIOVESAN nhsite pas
comparer aux districts industriels italiens (2003, p. 317-318).
20 60 % dentre eux ont rencontr des difficults techniques los de la mise en place de la T2A
(CORDIER, 2008).
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
41
Lauteur (PIOVESAN, 2003) trace dans sa thse une analyse trs intressante de lvolution
des cliniques prives et propose, pour en caractriser les tapes, des configurations idales-
typiques. Inities le plus souvent sur le mode de la clinique villa o un mdecin ou
chirurgien tend son cabinet dans un htel particulier avec un mini plateau-technique et
quelques chambres dhospitalisation proximit, nombre dentres elles se sont ensuite
dveloppes. On a alors, principalement dans les annes 1960-70, des petits tablissements
sur le mode de la clinique ponyme , caractrises par un petit noyau de fondateurs qui
gardent un fonctionnement bas sur des relations intuitu-personae. Lorsque ceux-ci passent
la main la gnration suivante, lorganisation dbouche bien souvent sur une forme de
clinique anonyme . Ces cliniques de groupe datent globalement des annes 1980-90,
avec la constitution de grands groupes hospitaliers privs et lapparition de chanes de
cliniques . Tandis que jusque l, la clinique restait fondamentalement loutil de travail du
ou des mdecins qui la possdaient, loffensive des cliniques de groupe marque
dfinitivement lentre dans la gestion des cliniques (PIOVESAN, 2003), la naissance
dun capitalisme sanitaire (TANTI-HARDOUIN, 2005, p. 62).
Une telle volution est bien le signe dun tournant gestionnaire qui, de diffrentes
manires, a transform de lintrieur les tablissements de sant, quils soient publics ou
privs, lucratifs ou non. Limpact dune telle transformation se fait sentir fortement sur le
travail des diffrents acteurs : la charge de travail augmente, les contraintes se cumulent,
les marges de manuvre diminuent, la pression de lvaluation se fait omniprsente.
3. LIMPACT DU TOURNANT GESTIONNAIRE SUR LE TRAVAIL
3.1. Lintensification du travail
Le tournant gestionnaire impacte fortement le travail des professionnels de sant. La
ncessit dune rduction des cots, accompagne de la diminution des dures moyennes
de sjour, a conduit les tablissements, pour dgager des conomies dchelle, accrotre
lactivit pour un mme nombre de lits, parfois mme avec des capacits daccueil en
diminution. La rotation des lits augmente et avec elle simpose une gestion de lactivit
en flux tendus . A peine un patient sorti, il est remplac par un autre souvent dj
arriv, quil faut accueillir et pour lequel toute la planification des soins doit tre
rapidement mise en place. Entre temps, il aura fallu faire le mnage des chambres ou
dsinfecter intgralement les salles dopration selon des normes dhygine de plus en
plus strictes. Le phnomne est encore plus marqu dans les services ambulatoires,
confronts un flux continu de patients qui entrent et ressortent dans la journe pour des
Chapitre 1 Le tournant gestionnaire des tablissements de sant
42
interventions souvent brves. La charge de travail est de plus en plus lourde et
saccompagne frquemment du sentiment dun manque de personnel pour y faire face.
Lorsque les tensions se font sortir trop fortement, certains individus tendent se protger
par des modes de retrait partiel de lactivit que peuvent constituer les formes de travail
temps partiel ou labsentisme occasionnel (BARET, 2002 ; BOURBONNAIS et al., 2005). Dans
des professions dj caractrises par une pnurie de personnel et des modalits de travail
flexibles, les ajustements constants des plannings qui sont la fois cause et consquence de
ce phnomne, psent lourd sur lactivit et reprsentent une contrainte supplmentaire
non ngligeable tant pour les soignants que pour les cadres chargs de grer les effectifs et
les remplacements. Le phnomne salimente lui-mme lorsque pour des raisons
conomiques on tend limiter les remplacements et faire peser les consquences de
labsentisme sur les salaris en poste, intensifiant encore le travail (DIVAY, 2010).
Lintensification du travail est galement augmente par le dveloppement du travail
administratif qui sy ajoute : il faut dsormais coder chaque acte dans le PMSI et saisir
possiblement en temps rel des informations dans divers outils de gestion permettant de
garantir la traabilit, de piloter lactivit et de surveiller les cots. Les runions se
multiplient : on ne compte plus les instances obligatoires pour le suivi de la qualit, la
gestion des risques, la scurit, lhygine, la participation des usagers, du personnel, les
conditions de travail, la coordination entre les utilisateurs du plateau technique, etc. La
dmarche damlioration constante de la qualit impose par la certification ncessite de
mettre en place dinnombrables protocoles et procdures, requrant chaque fois des
groupes de travail impliquant diverses catgories de personnel et se traduisent souvent par
des commissions ou comits qui deviennent ensuite plus ou moins permanents.
3.2. La monte des contraintes rglementaires et de lvaluation
J. DE KERVASDOU recensait il y a quelques annes dj dans un hpital de province pas
moins de quarante-deux familles de rglements auxquels ltablissement est soumis et
pour lequel des proc