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Parc de la tête d'or sous la neige, Lyon (Rhône-Alpes), Janvier 2006 (Audrey Racineux) Anthologie Poétique Nostalgie FREDET Margot et BARTHÉLÉMI-REZKI Soraya

Anthologie Poétique Nostalgie - Français Première Préface Pour exprimer ses sentiments les plus profonds, la joie, la tristesse, l’amour, il faut à l’homme un support qui

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Parc de la tête d'or sous la neige, Lyon (Rhône-Alpes), Janvier 2006 (Audrey Racineux)

Anthologie Poétique

Nostalgie

FREDET Margot et

BARTHÉLÉMI-REZKI

Soraya

1

Table des matières Préface ........................................................................................................................................ 2

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage .................................................................. 3

Fantaisie ..................................................................................................................................... 5

Les séparés (N'écris pas...) ......................................................................................................... 7

Chanson .................................................................................................................................... 10

Le Pont Mirabeau ..................................................................................................................... 12

Cénotaphe ................................................................................................................................. 15

Le coucher du soleil ................................................................................................................. 17

Aimez-vous le passé ................................................................................................................. 19

A une passante .......................................................................................................................... 22

À la marquise du Châtelet ........................................................................................................ 24

2

Préface

Pour exprimer ses sentiments les plus profonds, la joie, la tristesse, l’amour, il faut à l’homme un

support qui le dépasse. La poésie est ce support car elle permet au-delà des cultures et du temps de

transcrire en rimes ou en vers les passions et les regrets. La poésie est un art majeur, un refuge où l’on

peut aussi se ressourcer. Le regret du passé, l’amour perdu, la fuite de l’enfance, ont inspiré aux poètes

des textes magnifiques et intemporels. Des siècles de poèmes ont tenté d’exprimer au plus près le

ressenti, face à l’inacceptable : l’amour perdu, la vieillesse, la mort. De Joachim du Bellay à

Baudelaire en passant par Lamartine et Francis Etienne Sicard, cette anthologie poétique a pour parti

pris la nostalgie. Elle tente de recadrer les grandes passions du coma des mortels à travers des mots

simples et un lyrisme talentueux. Le fil conducteur de ces poèmes reste la fuite et l’impermanence des

choses (Le pont Mirabeau d’Apollinaire). A travers les siècles et les textes, le poète décrit la petitesse

de l’homme face au destin et au choix réduit qui lui est proposé. La thématique principale reste

cependant la résistance de l’homme face à l’inévitable et sa capacité permanente à s’émouvoir (A une

passante de Baudelaire). Bien que brisé par le poids des dieux qui lui impose des épreuves parfois

insurmontables, le poète puise dans ses ressources les plus profondes pour surpasser ces obstacles et

donner des textes sublimes qui serviront aux autres soit de bouclier soit de bâton pour avancer

(« Cénotaphe » de Francis Etienne Sicard). L’anthologie présentée au lecteur aborde tous ces thèmes

majeurs. L’ordre de ces poèmes présentés répond à un besoin lancinant de ressentir ce qu’a ressenti

l’auteur : le voyage (« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » et « Fantaisie »), l’amour

perdu (« Les séparés » et « Chanson » et « le pont Mirabeau »), la nostalgie d’un monde perdu

(« Cénotaphe », « coucher de soleil » et « aimez-vous le passé ») et enfin le lyrisme d’un idéal

inaccessible (« A une passante » et « A la marquise du Chatelet »).

On ne peut dissocier tous ces thèmes ; ils se parlent, correspondent, pour interpeller le lecteur et lui

proposer un suivi qui forcément n’est pas logique puisque tous les sentiments abordés relèvent de

l’irrationnel. La musicalité de chaque poème, les mots employés, les rimes sont étudiées afin

d’expliquer au mieux ce qu’a voulu dire, ce qu’a voulu laisser le poète à ceux qui le lisent. Cependant

à trop vouloir expliquer, on risque de dénaturer la pensée, on analyse les vers pour finalement réduire

le poème à de la simple musique littéraire. Tel n’est pas le but de cette anthologie. Ce recueil de textes

a pour simple but de sublimer au contraire un sentiment particulier qui fait partie de l’Homme, à savoir

la nostalgie qui n’est en définitive que le reflet à jamais enfoui d’un paradis perdu. Mais au-delà de la

tristesse, ces poèmes redonnent à l’Homme toute sa dignité, loin de tomber et de baisser la tête.

Revenir à ces textes permet à l’anonyme de s’identifier pleinement à l’auteur et par-delà le temps de

reconnaitre son frère.

3

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,

Que des palais Romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Joachim DU BELLAY

4

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » est un poème de Joachim du Bellay publié en

1558 et issu du recueil Les Regrets. Joachim du Bellay (1522-1560) est un poète. Il fit la rencontre la

plus importante de sa vie, celle de Pierre de Ronsard. Il crée la Pléiade au XVIème siècle (groupe de

poètes talentueux). Son œuvre la plus célèbre reste Les regrets. Ce poème est un sonnet (deux

quatrains et deux tercets) très évocateur qui incite à la rêverie et à la mélancolie. C'est presque un

poème romantique. Dans son poème, l'auteur évoque son voyage à Rome dont il est revenu après

quatre ans. Il compare cette ville à sa région natale d'Anjou. Il préfère son petit village à Rome. En

effet, Du Bellay a beaucoup voyagé et Rome qualifiée par « l'air marin » fait référence aux voyages

D'Ulysse et à Jason (personnages mythiques) qui revinrent « plein d'usage et raison ». Du Bellay

utilise des antithèses en établissant un contraste entre Rome et son pays natal : « marbre dur »

contraste avec « ardoise fine » vers 11, « air marin » avec « douceur angevine » vers 14, ou encore « le

mont Palatin » et « mon petit Liré » vers 13. Les mots employés pour définir son pays natal sont plus

doux que ceux employés pour définir Rome. Il passe d'un mélange d'images violentes (Rome) à des

visions angevines (sa région natale). Il y exprime son besoin de rejoindre son village au plus vite. Cet

éloignement provoque la nostalgie d'un endroit où il a longtemps vécu. Ce poème exprime une

certaine forme de lyrisme qui est démontré par l'attachement aux racines que l'auteur éprouve après un

long voyage (vers 1). L'auteur, dans ce poème très intime, emploie des termes qui accentuent ses

sentiments : « Hélas » au vers 5, l'emploi du « je » et la répétition de « reverrai-je » aux vers 5 et 7

soulignent sa souffrance. L'évocation d'un paysage champêtre et rassurant « mon petit village » au

vers 5, « fumer la cheminée » au vers 6, montrent son souhait de rentrer auprès des siens. Le poème

laisse un sentiment de plénitude dans les derniers vers (« douceur angevine » au vers 14) et la douceur

d'un foyer que l'on quitte dans savoir que l'on perd un trésor.

Ce poème rappelle une chanson plus récente de Georges Brassens, « Auprès de mon arbre, je vivais

heureux ».

5

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

Un air très-vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit :

C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que dans une autre existence peut-être,

J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

Gérard de NERVAL

6

« Fantaisie » est un poème de Gérard de Nerval publié en 1831 et issu du recueil Odelettes rythmiques

et lyriques. Ce recueil est composé d'odes (faites pour être chantées) qui parlent du passé et des rêves.

Gérard de Nerval (1808-1855) est à la fois un poète et un écrivain. C'est un aristocrate qui fait partie

du mouvement du Romantisme du XIXème siècle. Il a écrit plusieurs poèmes qui l'aidaient

psychologiquement. En effet, il souffrait de troubles mentaux qui pouvaient entraîner des crises de

folie et croyait également à la métempsychose, c'est à dire en la réincarnation. Nerval écrit ce poème

avec un sentiment de nostalgie du passé. Fantaisie est un poème écrit en décasyllabes et composé de

quatre quatrains (1er quatrain : rimes embrassées ; reste du poème : rimes croisées). Dans ce poème, le

poète croit se souvenir d'un temps où il rencontra une femme issue de la haute noblesse (dernière

strophe). Il plante un décor romantique « un château de brique à coins de pierre », « Ceint de grands

parcs, avec une rivière ». La linéarité du poème et l'intensité des mots font que le poème monte en

puissance comme une musique et se termine par une image sublimée de cette dame, comme une note

qui dure « Puis une dame [...] dont je me souviens ! » aux vers 13-16. Gérard de Nerval fait figure d'un

compositeur de musique puisque dans ses premiers vers il cite des musiciens célèbres « Tout Rossini,

tout Mozart et tout Weber » au vers 2. « Fantaisie » est le titre d'une composition de Mozart (musicien

du XVIIIème siècle). La musicalité du poème permet une association d'idées qui incite à la rêverie

nostalgique d'une époque lointaine. En décrivant la dame à sa fenêtre comme une statue parfaite,

l'auteur idéalise l'amour éternel « Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens » au vers 14. C'est aussi

un chant désespéré, une ode à un paradis perdu. Le vocabulaire simple et la mystique du poème,

touchent le lecteur dans son intimité profonde et permettent de faire naître un sentiment de nostalgie

infini.

Baudelaire a également repris cette idée d'une vie précédemment vécue dans son poème « La vie

antérieure ».

7

Les séparés (N'écris pas...)

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.

Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.

J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,

Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau.

N'écris pas !

N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.

Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !

Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,

C'est entendre le ciel sans y monter jamais.

N'écris pas !

N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.

Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.

Une chère écriture est un portrait vivant.

N'écris pas !

N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;

Que je les vois brûler à travers ton sourire ;

Il semble qu'un baiser les empreint sur mon cœur.

N'écris pas !

Marceline Desbordes-Valmore

8

Chagrin d'amour de Nadyn Kuntz, Huile sur toile de 2011 (60 x81 cm)

9

« Les séparés » est un poème lyrique de Marceline Desbordes-Valmore publié en 1830 et issu du

recueil Poésies inédites. Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est une poétesse. Elle est

surnommée Notre-Dame-Des-Pleurs. En effet, elle vécut de nombreux drames tout au long de sa vie

(perte de quatre enfants). L’histoire de sa vie se ressent beaucoup dans ses poèmes, elle y exprime

avec grâce et mélancolie ses tristesses et ses douleurs. Ce poème est composé de quatre quatrains et est

écrit en rimes croisées. Il exprime la tristesse de Marceline Desbordes-Valmore à la suite de sa

séparation avec son amant qu’elle aimait d’un amour passionné. C'est un poème d’amour, une

complainte dans laquelle la poétesse supplie son amant lointain de l’oublier et de ne plus lui écrire car

cela lui cause trop de peine. Elle assimile son écriture à un portrait de lui qui raviverait son souvenir et

la douleur de son absence « N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre » vers 1. La poétesse a

voulu nous démontrer sa douleur lancinante, autant physique que morale. En effet, elle nous fait part

de sa solitude « J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre » au vers 3. De plus, elle utilise un

rythme haché voire saccadé afin de nous dévoiler sa blessure intérieure :« Les beaux étés sans toi, c'est

la nuit sans flambeau » au vers 2. Au cours de ce poème, elle nous montre également qu’après avoir

tant souffert, ses sentiments se sont estompés, qu’elle ne peut plus aimer « Et frapper mon cœur, c’est

frapper au tombeau ». Son amour est inaccessible :

Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,

C'est entendre le ciel sans y monter jamais.

La poétesse, emploie l’antépiphore « N’écris pas ! » située au début et à la fin de chaque strophe. Elle

supplie son amant, dans cette litote, de ne pas raviver la plaie de son absence qui la fait tant souffrir.

Elle veut faire le deuil de sa relation en bannissant tout ce qui peut s’y rattacher, malgré les

souffrances qu’elle éprouve en faisant cela.

10

Chanson

Ta voix est un savant poème…

Charme fragile de l’esprit,

Désespoir de l’âme, je t’aime

Comme une douleur qu’on chérit.

Dans ta grâce longue et blêmie,

Tu revins du fond de jadis…

O ma blanche et lointaine amie,

Je t’adore comme les lys!

On dit qu’un souvenir s’émousse,

Mais comment oublier jamais

Que ta voix se faisait très douce

Pour me dire que tu m’aimais?

Renée Vivien

11

« Chanson » est un poème de Renée Vivien publié 1901 et issu du recueil Études et Préludes. Renée

Vivien (1887-1909) est une poétesse britannique de langue française et fait partie du mouvement du

Parnasse de la Belle époque (fin du XIXème siècle à 1914). Ce poème est composé de trois quatrains

et écrit en rimes croisées. Dans ce poème Renée Vivien exprime la nostalgie d’un amour perdu. En

effet, René Vivien écrit ce poème suite à la rupture amoureuse vécue avec son amante. René Vivien

était l’une des rares poétesses homosexuelles. Elle utilise des métaphores : « Ta voix est un savant

poème » au vers 1, et crée un éloge autour de cet être tant aimé (« ta voix est un savant poète ») puis

crie son malheur « Désespoir de l’âme, je t’aime » au vers 3, et montre son anéantissement. Renée

Vivien exprime un sentiment de tristesse extrême ressentie par le lecteur. Elle est consciente

d'entretenir sa douleur mais refuse d'oublier cette forte passion. De ce fait elle fait référence au passé

tout au long de ce poème. En effet, de par l'évocation des souvenirs « Que ta voix se faisait très

douce » au vers 11, les indicateurs temporels « Tu revins du fond de jadis » au vers 6, l'utilisation de

l’imparfait en insistant sans cesse sur cette notion de tristesse et de manque perpétuel « Pour me dire

que tu m’aimais ? ». La poétesse semble perdue, sans aucun repère.

12

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire

13

Le Pont Mirabeau

Paris XV et XVI, 27 Janvier 2012 (Wikimedia Commons)

14

« Le pont Mirabeau » est un poème de Guillaume Apollinaire publié en 1913 et issu du recueil

Alcools. Apollinaire (1880-1918) est un poète qui fait partie du mouvement symboliste. Il a écrit ce

recueil après sa rupture avec la peintre Marie Laurencin. « Le Pont Mirabeau » raconte justement une

rupture amoureuse et la tristesse infinie qui en découle. Le pont Mirabeau a été choisi par l'auteur car

il l'avait emprunté lorsqu'il rentrait de chez Marie Laurencin. Ce poème est composé de quatre

quatrains et d’un refrain sous forme de distique. Le poète évoque beaucoup de nostalgie à l'égard de

cette époque où il était heureux avec sa maîtresse. Ce sentiment est accentué lorsqu'il dit se souvenir

de son histoire d'amour « Faut-il qu'il m'en souvienne », au vers 3. Les images empruntées par l'auteur,

(« Le pont de nos bras » au vers 9) rappellent le pont qui est le symbole d'un amour durable. Le fleuve,

la Seine, passe sous le pont comme l'amour qui fuit : « L'amour s'en va comme une eau courante » au

vers 13. Le temps et les souvenirs rythment les vers comme la diminution progressive des sentiments.

La rupture amoureuse est inévitable mais le poète tente d'y échapper comme il souhaite ne pas souffrir.

Mais il ne peut s'opposer au destin comme le courant du fleuve. Le poète se résigne et comme le pont

reste statique, « demeure ». Le poète nous donne une expression de l'amour inachevé. Chaque strophe

est composée de trois décasyllabes qui riment. La musicalité du poème, sans ponctuation, semble une

rengaine entêtante qui tourne en boucle avec un refrain (répétition) composé de vers impairs et des

heptasyllabes qui donnent une impression de monotonie mais tout aussi nostalgique :

« Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure »

Ce poème aborde les thèmes romantiques (amour, fuite du temps) mais aussi un thème cher aux grecs

et aux romains : la plainte de la perte de l'être aimé (tragédies antiques). Le poème étant fluide à sa

construction rappelle l'eau, la monotonie du fleuve qui s'écoule. L'emploi du présent de vérité générale

rend la scène plus plaignante. Le poète regarde fixement l'eau s'écouler et repense au passé. Du

premier au dernier vers, on passe de la douleur puissante à une sorte de détachement. Il demeure seul.

15

Cénotaphe

Sous le portique ancien d’un grand temple oriental

Repose l’or du temps et son précieux visage

Entre les pampres roux d’une vigne sauvage,

Dont les mèches de feu exhalent le santal.

Le sable des allées et son miroir fatal

Dévorent les années et leurs milliers d’images

D’une faim attisée par les baisers volages

Des alizés grisés au souffle du cristal.

Le damas bleu du ciel, brodé de rêveries,

Couvre les marbres bruts d’une guimpe de soie

Dont le soleil brûlant habille l’infini.

Car les dieux sont partis habiter d’autres îles,

Abandonnant ce lieu qu’un grand prêtre autrefois

Leur avait consacré comme terre d’asile.

Francis Étienne Sicard

16

« Cénotaphe » est un poème de Francis Étienne Sicard publié en 1995 et issu du recueil Odalisque.

Étienne Sicard est passionné par la littérature et devient enseignant. Il voyage beaucoup à travers

l'Europe. C'est un spécialiste d'Oscar Wilde (célèbre romancier) et participe parfois à des émissions de

France Musique. Ce poème est un sonnet qui évoque un temple abandonné sur une île telle que l'Inde

ou l'Indochine. L'auteur s'y promène comme un visiteur étonné et attristé. Le texte exprime une

immense mélancolie. On a l'impression que l'auteur a le vague à l’âme ; il contemple. Le milieu

semble un endroit exotique et oriental qui rappelle la vision des romantiques (Vigny, Chateaubriand).

Les mots employés incitent à la rêverie et appellent tous les sens du lecteur. L'odeur du santal

(principal composant de l'encens) plonge le promeneur dans une douce Inde mystérieuse. Par ailleurs,

les Égyptiens s'en servaient pour embaumer les momies d'où le titre « Cénotaphe ». Ce sonnet regorge

d'images : « l'or du temps » au vers 2, « le damas bleu du ciel » au vers 9, « les pampres roux » au vers

3, qui rendent au lieu sa splendeur d'autrefois. Elles accentuent la nostalgie d'un temps où devait

s'épanouir la vie dans ce temple. Les antithèses « les marbres bruts [...] guimpe de soie » donnent

l'impression que le passé se confronte au présent. L’expression de la sérénité est très présente dans ce

texte (« alizés », « santal », « soleil » aux vers 8, 4, 11). A la fin du poème la tristesse atteint son

apogée, les dieux ont abandonné l'île.

« Car les dieux sont partis habiter d’autres îles,

Abandonnant ce lieu qu’un grand prêtre autrefois

Leur avait consacré comme terre d’asile. »

L'abandon cher aux romantiques, a été repris dans ce poème. Ce sentiment est poussé jusqu'à la perte

de tout espoir de retour. Pour finir, ce poème est empreint d'une profonde nostalgie ayant des strophes

très évocatrices. Le départ des dieux rend le lecteur nostalgique d'une époque heureuse où l'harmonie

régnait. Ce poème rappelle « A une ville morte » d'Heredia.

17

Le coucher du soleil

Si j’ose comparer le déclin de ma vie

A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t’envie.

Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :

Elle renaît immense avec l’immense azur.

De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,

Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,

Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore

Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore,

Est triste infiniment, mais n’est pas un adieu.

René-François Sully Prudhomme

18

« Le coucher du soleil » est un poème de René-François Sully-Prudhomme publié en 1908 et issu du

recueil Les épaves. René François Sully Prudhomme (1839-1907) est un poète et écrivain français.

C’est le premier lauréat du Prix Nobel de littérature en 1901. Ce poème est écrit en rimes plates. Tout

au long du texte le poète aimerait que le déclin de sa vie se déroule avec autant de grâce et de cachet

que celui du soleil couchant. Il envie le soleil de renaître avec autant de splendeur qu'à son coucher :

« Elle renaît immense avec l’immense azur » au vers 4, et d'avoir un période sombre uniquement

temporaire, « Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr » au vers 3. Le poète se rend compte que sa

vie est unique et ne peut donc uniquement garder la nostalgie de souvenirs impossibles à revivre. Au

cours du poème, le poète crée une glorification de ce coucher de soleil en lui attribuant des

personnifications, « le regard funèbre où luit ton dernier feu » au vers 6, et use de métaphores

colorées, « Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore » au vers 8, pour décrire son déclin mais aussi sa

renaissance.

Nous pouvons imaginer que cette glorification autour du soleil cherche à indirectement décrire ce

qu'aurait été sa vie. Malheureusement elle est l'opposé de celle-ci, « Est triste infiniment, mais n’est

pas un adieu » au vers 9. Ainsi l'auteur montre la tristesse qu'il éprouve face à la nostalgie du temps

qui passe et qui ne reviendra pas.

19

Aimez-vous le passé

Aimez-vous le passé

Et rêver d’histoires

Évocatoires

Aux contours effacés ?

Les vieilles chambres

Veuves de pas

Qui sentent tout bas

L’iris et l’ambre ;

La pâleur des portraits,

Les reliques usées

Que des morts ont baisées,

Chère, je voudrais

Qu’elles vous soient chères,

Et vous parlent un peu

D’un cœur poussiéreux

Et plein de mystère.

Paul-Jean Toulet

20

Le peintre de Marc Chagall, Huile sur toile du XIXème

siècle

21

« Aimez-vous le passé » est un poème de Jean Paul Toulet publié en 1920 et issu du recueil Chansons.

Jean Paul Toulet (1867-1920) est un poète et un écrivain. Il crée les « Contrerimes » (quatrain

composé de rimes embrassées et de mètres croisés, ce qui donne une impression de déséquilibre dans

le poème) qui vont faire son succès. Dans ce poème (qui peut être chanté), J.P Toulet y introduit sa

définition du passé et de l’importance du souvenir et des valeurs de l'ancien. Il questionne son

interlocuteur sur son goût d'apprécier le fait de se remémorer des histoires rappelant des choses

enfouies, des troubles, destinés à être oubliés. La nostalgie se révèle lorsqu'il décrit ce qui semble être

les fragments d'une histoire d'amour révolue :

« Les vieilles chambres

Veuves de pas » vers 5-6.

Enfin, l'auteur cherche à aller à l'encontre de la superficialité des goûts de sa belle et à lui montrer

l'importance et la valeur des œuvres passées :

« Chère, je voudrais

Qu’elles vous soient chères » vers 12-13.

Il cherche à lui prouver que l'ancien peut faire surgir de nouvelles émotions et faire tomber tous les

préjugés :

« D’un cœur poussiéreux

Et plein de mystère» vers 15-16.

Cela montre qu'il serait tombé éperdument amoureux d'une femme bien plus jeune que lui.

22

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles BAUDELAIRE

23

« A une passante » est un poème de Charles Baudelaire publié en 1855 et issu du recueil Les Fleurs du

Mal. Baudelaire (1821-1867) est un poète voyageur qui annonce le mouvement symboliste et refuse

l'ordre établi. Baudelaire développe une nouvelle esthétique inspirée de romantisme. Ce poète majeur

du XIXème siècle écrit avec tourment. En effet, sa raison vacille parfois sous l'effet du hachisch et de

l'opium. Sa fin misérable provoque une grande émotion du fait son immense talent (il souffrait

d'hémiplégie, paralysie partielle du corps). « A une passante » est un sonnet (deux quatrains et deux

tercets) ; il s'agit d'une vision éphémère d'une femme entrevue dans une grande ville alors que le poète

est assis à une terrasse de café. Baudelaire est attiré par la beauté féminine. Dans ce poème est abordé

le thème de la rencontre de l'autre mais aussi la nostalgie presque instantanée de celle-ci. Cette

rencontre a lieu dans un contexte sonore ; un vacarme qui rend l'observation difficile « rue

assourdissante », « hurlait » au vers 1. Il semble que l'alcool exagère les bruits de la rue « je buvais

crispé comme un extravagant » au vers 6. La vision soudaine de cette femme « Un éclair... puis la

nuit ! » au vers 9 frappe le poète au plus profond de lui-même car il s'agit de « sa nuit ». Sa beauté lui

est inaccessible alors il cherche cette passante du regard. Celui-ci le fait presque « renaître » au vers

10. Pendant un instant, cette inconnue devient une femme proche. En effet, l'auteur se permet le

tutoiement : « j'ignore où tu fuis » au vers 13, et croit même deviner les sentiments de cette passante,

jusqu'à imaginer qu'elle aurait pu l'aimer : « Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! » au vers 14.

Les sentiments du poète sont forts et le dominent. Baudelaire croit qu'il retrouvera cette femme dans

une autre vie : « Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? » au vers 11. Le poète tourmenté retrouve

durant un bref instant l'envie d'aimer et d'être aimé à son tour. C'est un court moment de lumière avant

de retomber dans l'obscurité de son quotidien.

24

À la marquise du Châtelet

Ainsi donc cent beautés nouvelles

Vont fixer vos brillants esprits

Vous renoncez aux étincelles,

Aux feux follets de mes écrits

Pour des lumières immortelles ;

Et le sublime Maupertuis

Vient éclipser mes bagatelles.

Je n’en suis fâché ni surpris ;

Un esprit vrai doit être épris

Pour des vérités éternelles :

Mais ces vérités que sont-elles ?

Quel est leur usage et leur prix ?

Du vrai savant que je chéris

La raison ferme et lumineuse

Vous montrera les cieux décrits,

Et d’une main audacieuse

Vous dévoilera les replis

De la nature ténébreuse :

Mais, sans le secret d’être heureuse,

Il ne vous aura rien appris.

Voltaire

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La Gamme d'amour d’Antoine Watteau, Peinture à l'huile de 1717 (National Gallery, Londres)

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« A la Marquise du Chatelet » est un poème de Voltaire publié en 1778 et issu du recueil Poésies

complètes. Voltaire, de son vrai nom François-Marie Arouet (1694-1778), est un poète, un écrivain et

un philosophe des Lumières. Ce poème témoigne de l'amour profond qu'éprouvait Voltaire à l'égard de

la Marquise du Chatelet et de l'immense déception ressentie lorsqu'elle le trompa avec son professeur

de mathématiques Mr de Maupertuis.

Ici Voltaire lui fait part de sa nostalgie de leurs relations passionnées qui existaient entre eux avant que

la marquise ne se laisse tenter par l’infidélité.

Il tente de lui faire comprendre les réelles valeurs que constitue la vivacité de l'esprit par rapport au

besoin de combler ce qu'il nomme « la nature ténébreuse » et tente de ternir l'intérêt de la marquise

pour son savant amant. Dans ce poème, Voltaire annihile les futilités de la relation entre lui et Madame

du Châtelet (Il pénètre dans l'intimité profonde de la marquise preuve de leur proximité). De plus en la

questionnant il la met sur un pied d'égalité avec lui, ce qui prouve l'estime qu'il a pour elle, d'où le

regret nostalgique et le manque ressenti par Voltaire.