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Descripcion antologxa_poesxa_Edad_Media_XVI.
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Dossier 1 : Moyen Âge et XVIe siècle
1. Mo yen Âge
1. Quand le vilain va au marché,
il n'y va pas pour marchander
mais pour surveiller sa femme,
de peur qu'on ne la lui séduise.
Je les ai au cœur, les jolis maux,
comment en pourrais-je guérir ?
Vilain, ôtez-vous donc de là
car votre haleine me tuera.
Je le sais bien: votre amour
et le mien se sépareront encore !
Je les ai au cœur, les jolis maux,
comment en pourrais-je guérir ?
Vilain, croyez-vous tout posséder:
et belle dame et grande fortune ?
Vous aurez la corde au cou
et mon ami la jouissance !
Je les ai au cœur, les jolis maux,
comment en pourrais-je guérir ?
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, Chansons de trouvères, Paris,
Le Livre de Poche, 1995)
2. Je suis charmante et mignonnette, donc j’aimerai.
Hier matin, je me suis levée au point du jour,
je suis entrée dans le verger tout fleuri de mon père,
plus de cent fois j'ai souhaité y voir mon ami.
Je suis charmante et mignonnette, donc j'aimerai.
J'aimerai mon ami qui m'en a priée ;
il est beau, il est courtois, il l'a bien mérité.
Je lui donnerai mon tendre cœur malgré père et mère.
Je suis charmante et mignonnette, donc j'aimerai.
Ma chanson, je t'envoie à tous les amants parfaits et loyaux
qu'ils se gardent bien des hypocrites, mauvais et médisants;
pour moi, si fort est mon amour, je sais que je ne pourrai le cacher !
Je suis charmante et mignonnette, donc j'aimerai.
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op. cit.)
3. Ne me battez pas,
mari de malheur !
Vous ne m'avez pas élevée !
2
L'autre jour au point du jour,
je chevauchais mon chemin ;
je trouvai une jeune mariée,
près d'un bois feuillu,
que son mari avait battue.
Elle en avait le cœur chagrin,
ainsi donc elle allait disant
ces vers dans sa fureur:
Ne me battez pas,
mari de malheur !
Vous ne m'avez pas élevée !
Elle dit: « On m'a donnée à vous,
vilain, voilà qui me chagrine.
Mais par la Vierge qu'on honore,
puisque vous me maltraitez ainsi,
je choisirai un amant nouveau.
Peu importe à qui cela déplaira !
Lui et moi, nous nous aimerons,
et notre jouissance sera double. »
Ne me battez pas,
mari de malheur !
Vous ne m'avez pas élevée !
Le vilain, qui n'apprécie pas du tout
l'insulte, lui ordonne:
« Passe la première » ; il lui a assené
une grande gifle, puis il lui dit
en la saisissant par la main:
« Recommence un peu ta chanson, maintenant,
et puisse Dieu m'envoyer grande douleur
si je ne te châtie pas comme il le faut! »
Ne me battez pas,
mari de malheur !
Vous ne m'avez pas élevée !
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op. cit.)
4. En un verger, près d’une source,
–l’eau y coule sur les cailloux blancs–
est assise la fille du roi, la tête dans ses mains :
en soupirant elle appelle son doux ami :
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris !
Comte Gui, mon ami, cruel est mon destin !
Mon père m’a donnée à un vieillard,
qui me tient enfermée dans cette maison ;
ni nuit ni jour je n’en puis sortir.
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
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pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris !
Le mauvais mari a entendu sa plainte.
Il entre au verger, détache sa ceinture.
Il l’a tant battue, sa peau en est toute bleuie et meurtrie.
Pour un peu, il l’aurait tuée à ses pieds.
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris.
Le mauvais mari, quand il l’a bien battue,
Le voilà qui se repent : il a fait une folie,
Lui qui faisait jadis partie des hommes de son père.
Il sait bien, quoi qu’il dise, qu’elle est fille de roi.
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris !.
La belle est revenue à elle.
Du fond de son cœur, elle s’adresse à Dieu :
« Beau doux Seigneur, vous qui m’avez créée,
faites que mon ami ne m’oublie pas
et qu’il me revienne avant la fin du jour ! »
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
Pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris !
Notre Seigneur a entendu sa plainte :
voici son ami qui la réconforte,
ils se sont assis à l’ombre d’une ente.
Que de larmes d’amour ont alors coulé !
Hélas ! Comte Gui, mon ami,
Pour l’amour de vous j’ai perdu et la joie et les ris !
(Traduction d’Emmanuelle Baumgartner et Françoise Ferrand, Poèmes d’amour des
XIIe et XIIIe siècles, Paris, UGE, 1983)
5. Belle Yolande, dans une chambre tranquille,
Déplie des étoffes sur ses genoux.
Elle coud un fil d’or, l’autre de soie.
Sa mauvaise mère lui fait des reproches.
Je vous en fais reproche, belle Yolande.
Belle Yolande, je vous fais des reproches :
vous êtes ma fille, je dois le faire.
– Ma mère, à quel sujet ?
–Je vais vous le dire, par ma foi.
Je vous en fais reproche, belle Yolande.
–Mère, que me reprochez-vous ?
Est-ce de coudre ou de couper,
Ou de filer, ou de broder,
Ou est-ce de trop dormir ?
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–Je vous en fais reproche, belle Yolande.
Ni de coudre ni de couper,
Ni de filer, ni de broder,
Ni de trop dormir ;
Mais vous parlez trop au chevalier.
Je vous en fais reproche, belle Yolande.
Vous parlez trop au comte Mathieu,
Cela déplaît à votre mari.
Il en est très chagriné, je vous l’affirme.
Ne le faites plus, je vous en prie.
–Je vous en faire reproche, belle Yolande.
–Si mon mari l’avait juré,
Lui et toute sa parenté,
Même si cela lui déplaît,
Je ne renoncerai pas à l’aimer.
–Fais à ton gré, belle Yolande.
(Traduction d’Anne Berthelot, Littérature, Textes et Documents, Moyen Âge.XVIe,
Nathan)
6. Gace Brulé ?
Quand je vois l’aube venir,
Comment, plus que tout, ne pas la haïr,
elle qui oblige mon ami à me quitter,
lui, mon seul amour ?
Je ne hais rien tant que le jour,
ami, qui me sépare de vous.
Le jour, je ne puis vous voir
tant je redoute d’être surprise.
J’en suis sûre, croyez-moi,
les médisants nous guettent.
Je ne hais rien tant que le jour,
ami, qui me sépare de vous.
Quand je suis étendue dans mon lit,
que je regarde à mes côtés,
nulle trace de mon ami.
Amants sincères, écoutez ma plainte !
je ne hais rien tant que le jour,
ami, qui me sépare de vous.
Mon bel, mon doux ami, il faut partir.
allez en la garde de Dieu !
En son nom, je vous en prie, ne m’oubliez pas,
moi qui n’aime personne autant que vous.
Je ne hais rien tant que le jour,
ami, qui me sépare de vous.
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À tous les amants sincères je demande
qu’ils s’en aillent répétant ma chanson,
sans se soucier des médisants
ni des maris jaloux et méchants.
Je ne hais rien tant que le jour,
ami, qui me sépare de vous.
(Traduction d’Emmanuelle Baumgartner et Françoise Ferrand, op. cit.)
7. Thibaut de Champagne
Je suis semblable à la licorne
fascinée en sa contemplation
lorsqu’elle regarde la jeune fille.
Elle est si ravie de son tourment
qu’elle tombe évanouie sur le sein de la vierge.
Alors traîtreusement on la tue.
Moi aussi, j’ai été tué, et de la même façon,
par Amour et ma dame, c’est vérité :
ils détiennent mon cœur, je ne peux le reprendre.
Dame, quand je me trouvais devant vous,
quand je vous vis pour la première fois,
mon cœur tremblant bondit si fort
qu’il resta auprès de vous quand je m’en fus.
Alors on l’emmena sans accepter de rançon,
captif dans la douce prison
dont les piliers sont faits de désir,
les portes de belle vision
et les anneaux de non espoir.
La clef de cette prison, Amour la détient
et il y a placé trois gardiens :
Beau Semblant est le nom du premier,
Amour leur a donné Beauté comme maître ;
devant, sur le seuil, il a mis Refus,
un répugnant traître, un rustre dégoûtant,
qui est très mauvais et méchant homme.
Ces trois-là sont prompts et hardis ;
ils ont vite fait de s’emparer d’un homme.
Qui pourrait endurer les vexations
et les assauts de ces portiers ?
Jamais Roland ni Olivier
ne triomphèrent en si rudes batailles ;
eux vainquirent en combattant,
mais ces gardiens, on les vainc en s’humiliant.
Patience est notre porte-bannière
en cette lutte dont je vous parle,
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il n’y a de secours que dans la pitié.
Dame, maintenant je ne crains rien davantage
que de ne pas obtenir votre amour.
J’ai si bien appris à endurer
que je suis nécessairement tout à vous.
Même si cela vous pesait,
je ne peux plus m’en aller, rien n’y ferait,
sans en garder le souvenir,
sans que mon cœur reste toujours
dans la prison, tout en étant près de moi.
Dame, puisque je ne sais pas déguiser,
il serait temps d’avoir pitié de moi
qui soutiens un si lourd fardeau.
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op. cit.)
8. Gace Brulé
Quand reviendra l’été dans sa douceur,
quand l’eau des sources se fera transparente,
que les bois, les vergers, les prairies reverdiront,
en Mai, quand le rosier fleurira et grainera,
je chanterai, car l’angoisse et le tourment
m’ont fait au cœur une blessure trop vive,
et puis l’amant véritable, à tort soupçonné,
bien souvent s’inquiète au moindre signe.
En vérité, Amour m’a malmené au-delà de toute norme,
mais il me plaît qu’il agisse à son gré
car, si Dieu le veut, je serai récompensé
de ma souffrance et ma longue peine.
J’ai bien peur pourtant, que ma dame ne m’ait oublié,
influencée par les langues fourbes et perfides,
partout ici connues et dénoncées.
Comment leur échapper sans mourir ?
Douce dame, accordez-moi seulement, au nom de Dieu,
un doux regard de vous en la semaine.
Alors j’attendrai, en cette certitude,
la joie d’amour, si telle est ma fortune.
Souvenez-vous qu’il est cruel et infâme
de la part du seigneur de tuer son homme lige.
Douce dame, de l’orgueil défendez-vous,
sachez ne trahir ni votre bonté ni votre beauté.
Une longue expérience de l’amour m’a appris
que seul il peut me donner la certitude de la joie.
Je me suis tant plié tout à sa volonté,
aucune épreuve ne peut refréner mon désir :
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Amour peut me laisser troublé et égaré,
je me console en pensant à ses innombrables bienfaits.
Et vous, seigneurs, vous qui priez, vous qui aimez,
conduisez-vous de même, si vous voulez connaître la joie.
Douce dame, les faux amants, avec leurs langues trompeuses,
ont tant porté d’accusations contre moi, ils m’ont fait tant de mal,
pendant ma longue attente, j’ai failli y trouver la mort.
Que Dieu donne à ces médisants leur juste récompense !
Pourtant, malgré eux, je vous ai fait don de mon cœur,
plein d’un amour qui jamais ne s’en éloignera.
Devenu près de vous pareil à de l’or fin,
sa loyauté n’a pas d’égal de par le monde.
Fuyez, chanson, ne vous attardez pas ici,
allez auprès de monseigneur Noblet,
dites-lui que je suis né sous une mauvaise étoile,
moi qui aime toujours et ne serai jamais aimé.
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op. cit.)
9. Guillaume le Vinier et Thibaut de Champagne
« Sire, ne me le cachez pas :
quelle situation vous sera la plus agréable,
que votre amie vous demande un doux entretien,
nu à nue à ses côtés,
mais de nuit, de sorte que vous ne verrez rien,
ou qu’en plein jour elle vous embrasse et vous sourie,
en un beau pré
et vous enlace, mais je vous le dis,
sans qu’il soit question de rien de plus ?
– Guillaume, voilà une grande folie
d’avoir chanté un tel jeu-parti ;
le berger d’une abbaye
aurait parlé plus finement que vous.
Lorsque j’aurai tout contre moi
mon cœur, ma dame, mon amie,
que j’aurai toute ma vie
désirée,
je vous laisse les galants entretiens
et les conversations dans le pré.
–Sire, je vous le dis : c’est tout jeune
que l’on doit faire son apprentissage en amour ;
mais vous donnez bien mal l’apparence
d’en souffrir les douleurs ;
peu vous chaut l’été avec ses fleurs,
et le joli corps, la douce fréquentation,
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les beaux regards, le beau maintien
et le teint aux belles couleurs ;
vous ne connaissez pas l’abstinence ;
votre choix aurait été celui d’un prieur.
–Guillaume, qui se lance en cette entreprise,
est gouverné par la folie,
et il n’a guère de sagesse
celui qui ne s’en va pas tout droit au lit,
car sous de belles couvertures
on acquiert assez d’assurance
pour quitter le doute
et la frayeur ;
aussi longtemps que je serai dans l’incertitude,
mon cœur ne vivra pas sans peur.
–Sire, je ne voudrais pas pour rien au monde
que quelqu’un m’en fasse arriver là.
Si je voulais voir celle que j’aimerais
et qui m’aurait entièrement conquis,
et contempler son visage
et l’embrasser avec une grande joie
et, certes, l’enlacer
tant qu’il me plaît,
eh bien sachez-le : si je prenais l’autre parti,
je ne serais pas un ami.
–Guillaume, j’en prends Dieu à témoin,
ce que vous affirmez est fou,
car si je la tenais nue,
je ne la laisserais pas pour le Paradis
Jamais à regarder son visage,
je ne m’estimerais suffisamment payé
si je n’obtenais pas autre chose.
J’ai mieux choisi que vous ;
si à votre départ elle vous reconduit,
vous n’emporterez qu’un sourire trompeur.
–Sire, Amour m’a si bien séduit
que je lui appartiens où que je sois.
Je m’en remettrai à Gilles,
à son jugement :
qu’il nous signifie qui a choisi la meilleure voie
et qui la pire.
–Guillaume, vous resterez
fou et chagrin à chaque fois ;
celui qui fait ainsi l’amour
est bien misérable.
Je veux bien croire Gilles là-dessus
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mais je m’en suis remis à Jean.
(Traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op.cit.)
10. Henri III, duc de Brabant
L’autrier estoie montez
Seur mon palefroi anblant,
Et prist m’estoit volentez
De trouver un nouviau chant.
Tot esbanoiant (en me divertissant)
M’en aloie ;
Truis enmi ma voie (je trouve)
Pastore seant
Loing de gent.
Belement
La salu,
Puis li dis : “Vez ci vo dru ” (ami)
–Biau sire, trop vos hastez,
Dist la touse. J’ai amant. (jeune fille)
Il n’est gueres loing alez,
Il reviendra maintenant.
Chevauchiez avant !
Trop m’esfroie
Qu’il ne vos voie,
Trop est mescreant ;
Ne talent
Ne me prent
De vo ju :
Ailleurs ai mon cuer rendu.
–Damoisele, car creez
Mon conseil ; je vos creant, (promettre, garantir)
Jamés povre ne serez,
Ainz avrez a vo talent
Cote traïnant (avec une traîne)
Et coroie
Ouvree de soie
Cloee d’argent.”
Bonement
Se desfent
N’a valu
Quanque j’ai dit un festu. (tout ce que)
–Biau sire, car en alez,
Dist ele. C’est pour noient. (rien)
Vostre parole gastez
Que je ne prie mie un gant,
Ne vostre beubant (arrogance, faste, luxe)
N’ameroie ;
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Vo don ne prendroie
Ne si n’autrement ;
Vostre argent,
Vo present
N’ai eü.
Maint prameteus ai veü.
–Damoisele, car prenez
La çainture maintenant
Et le matin si ravrez
Trestout l’autre couvenant. (accord, promesse)
Lors va sozriant
et j’oi joie ;
Tant fis qu’ele otroie
Mon gré maintenant.
Le don prent
Bonnement,
S’ai sentu
De quel maniere ele fu.
(transcription de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op.cit.)
11. Enmi la rousee, que nest la flor,
que la rose est bele au point du jour,
par mi cele arbroie (lieu planté d’arbres)
cil oisellon s’envoisent (se réjouissent)
et mainent grant baudor; (joie, allégresse)
quant j’oi la leur joie
pour rien ne mi tendroie
d’amer bien par amors.
La pastore ert bele et avenant,
ele a les euz verz, la bouche riant.
Benoet soit li mestre
qui tele la fist nestre,
bien est a mon talent. (goût)
Je m’assis a destre,
si li dis : « Damoiselle,
vostre amor vous demant. »
Ele me respont : « Sire champenois,
pas vostre folie ne n’avrois des mois,
car je suis amie
au filz dame Marie,
Robinet le courtois
qui me chauce et me lie
et si ne me let mie (laisse)
sanz biau chapiau d’orfrois ».
Quant vi que proiere ne m’i vaut noient,
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couchai la a terre tout maintenant,
levai li le chainse, (chemise)
si vi la char blanche,
tant fuis je plus ardant :
fis li la folie,
el nel contredist mie,
ainz le vout bonement.
Quand de la pastore oi fet mon talent,
sus mon palefroi montai maintenant,
et ele s’escrie :
« Au filz sainte Marie,
chevalier vous commant ;
ne m’oubliez mie,
car je suis vostre amie,
mes revenez souvent »
(transcription de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op.cit)
12. Thibaut de Champagne
L’autrier par la matinee,
Entre un bois et un vergier,
Une pastore ai trouvee
Chantant por soi envoisier, (se divertir)
Et disoit en son premier :
« Ci me tient li maus d’amours. »
Tantost cele part me tor
Que je l’oï desresnier,
Si li dis sans delaier : (retard)
Bele, Deus vos doint bon jour. »
Mon salu sans demoree
Me rendi et sanz targier ;
Mult ert fresche, coloree,
Si mi plot à acointier. (il me plaisait de faire sa connaissance)
« Bele, vostre amor vos quier,
S’avrez de moi riche ator. »
Ele respont : « Tricheor
Sont mes trop li chevalier ;
Melz aim Perrin mon bergier
Que riche honme menteor. »
–Bele, ce ne dites mie.
Chevalier sont trop vaillant.
Qui set donc avoir amie
Ne servir a son talent
Fors chevalier et tel gent ?
Mais l’amor d’un bergeton
Certes ne vaut un bouton.
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Partez vos en a itant (tout de suite)
Et m’amez : je vos creant (promets)
De moi avrés riche don.
–Sire, par sainte Marie,
Vos en parlés por noient.
Mainte dame avront trichie (trompée)
Cil chevalier soudoiant ; (séducteurs)
Trop sont faus et mal pensant,
Pis valent que Guenelon.
J’en m’en revois en maison,
car Perrinés qui m’atent
M’aime de cuer loiaument.
Abaisiés vostre raison.
G’entendi bien la bergiere,
Qu’ele me veut eschaper ;
Mult li fis longue priere,
Mais n’i poi riens conquester. (pus)
Lors la pris a acoler
Et ele gete un haut cri :
« Perrinet, traï ! traï ! » (trahison ! trahison !)
Dou bois prennent à huper. (crier)
Je la lez sans demorer,
Seur mon cheval m’en parti.
Quant ele m’en vit aller,
Ele dist par ranponer: (railler)
“Chevalier son trop hardi”
(transcription de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op.cit)
13. Watriquet de Couvin
Hé, charmante, au corps gracieux,
Quand aurez-vous pitié de moi ?
Hé charmante au corps gracieux,
Un loup à la queue d’argent
A le ventre si engourdi
Qu’il n’a qu’un œil et qu’une dent ;
Et quand il vient parmi les hommes,
Il a vite fait d’endormir Dieu
Et de faire, par affection pour moi,
Un si puissant moulin à vent
Sous le pied d’une fourmi
Que le claquet dit. « Hersent,
Quand aurez-vous pitié de moi ? »
13
14. Ni chant de singe ni poire mal pelée
Ne me font recommencer à chanter,
Mais ma dame qui est bien mal lessivée
Me fait chanter Audigier le martyr.
Je ne peux tenir sur mes jambes
Quand elle tend le cou vers moi ;
Mon cœur en éprouve une si grande joie
Que peut s’en faut que je ne me tue
Pour son amour.
Elle est toute plaisante, elle ressemble à une folle furieuse,
Elle me fait souvent cadeau d’un soupir si profond
Qu’il vaudrait bien une éructation et demie
Si on était libre de faire cet échange.
Que Dieu la veuille récompenser
De tous les biens qu’elle m’envoie,
Car même si j’étais muet,
Je lui dirais ces mots :
« Dame, merci beaucoup ».
Dame pleine d’honneur, blanche comme de la poix chaude,
Je ne vais pas mentir en vous louant.
Vous avez le visage noir et brun, tout ridé ;
Qui vous voit au matin, le soir devra mourir.
Cela me fait ressouvenir
Que je me conduirais fort mal envers vous
Si je manquais à votre service
Car vous m’avez enrichi
En faisant de moi un misérable.
Vingt ans et cinq mois avant votre naissance,
Votre beauté m’est rentrée dedans
Si rudement que j’en ai la panse enflée.
Même en rêve je ne peux me souvenir
De vous tant je vous désire ;
Certes, si j’avais les fièvres,
Dame, je vous en ferais cadeau
Volontiers, de cœur aimable.
N’est-ce pas là un don d’amant ?
Et je vous donne aussi, dame toute déguenillée,
De mes trésors –je ne veux plus les garder–
Boutons mal cuits, prunelles échaudées,
Tout cela de bon, à votre profit, pour tousser.
Quand je vous vois venir près de moi,
Il s’en faut peu que je renie Dieu,
Car je verrais plus volontiers
Venir un loup devant moi !
J’en rends grâces à Amour !
14
( traduction de Samuel N. Rosenberg et Hans Tischler, op.cit)
Guillaume Machaut
15. Rose, liz, printemps, verdure.
Fleur, baume et tres douce odour.
Belle, passes en doucour.
Et tous les biens de Nature
Avez, dont je vous aour. (adore)
Rose, liz, printemps, verdure.
Fleur, baume et tres douce odour;
Et quant toute creature
Seurmonte vostre valour.
Bien puis dire et par honnour:
Rose, liz, printemps, verdure.
Fleur, baume et tres douce odour.
Belle, passes en doucour.
Eustache Deschamps
16. Ballade de la vie dolente
Je hais mes jours et ma vie dolente,
Et si maudis l'heure que je fus né,
Et à la mort humblement me présente
Pour les tourments dont je suis fortuné.
Je hais ma conception
Et si maudis la constellation
Où Fortune me fit naître premier,
Quand je me vois de tous maux parsonnier. (participant)
Car pauvreté chaque jour me tourmente:
Par son fait suis haï et diffamé;
Chacun me fuit, ne nul ne me parente (traite)
Les riches vois trop bien emparentés;
Ceux-là ont indignation
De moi voir, de quelle création
Je suis extrait, si suis plus bas que biers, ( berceau)
Quand je me vois de tous maux parsonnier.
Hélas! il n'est nul, tant sage se sente,
Si riche n'est, qui ja soit honoré.
Mais d'un homme à trois cents livres de rente,
Tant soit cocart, chacun sera paré (niais)
En dissimulation
De lui faire grande inclination.
Or sui pauvre, je vis à grand danger
15
Quand je me vois de tous maux parsonnier.
Christine de Pisan
17. Cy commencent Cent Balades d’Amant et de Dame
Quoy que n’eusse corage ne pensée
Quant a present, de dits amoureus faire,
Car autre part adés suis apensée,
Par le command de personne qui plaire
Doit bien a tous, ay empris a parfaire
D’un amoureux et sa dame ensement, (également)
Pour obeïr a autrui et complaire
Cent balades d’amoureux sentement.
Et tout comment ont leur vie passée
Ou fait d’amours, qui maint mal leur fist traire,
Et mainte joye, aussi, entrelassée
De pointure, d’ennuy et de contraire, (blessure, douleur aiguë)
Tout me convient conter, sans m’en retraire,
En ce livret ycy presentement
Ou j’escripray, de joye et du contraire,
Cent balades d’amoureus sentement.
Or pry je a Dieu que n’en soye lassée
Car mieulx me pleust entendre a autre afaire
De trop greigneur estude, mais taussée (plus grande) (imposée)
M’i a personne doulce et debonnaire
Pour amende de ce qu’ay dit que traire
En sus se doit d’amoureux pensement
Toute dame d’onneur ; si m’en fault traire
Cent balades d’amoureux sentement.
Prince, bien voy qu’il se vauldroit mieux taire
Que ne parler a gré ; voy cy comment
Payer m’en fault, d’amende volontaire,
Cent balades d’amoureux sentement.
18. XXXVI La Dame
Puis qu’as d’obeïr voulenté,
Amis, soyes secret et sage,
Aimez moy bien parfaictement,
Gardez en tous cas mon honneur ;
Ensuivre honneur soit ton desir,
Ne sois mesdit en toi enté,
Hez mençonge et son labourage,
Tiens toy pour m’amour liement, (joyeusement)
16
Ayez loial et ferme cuer,
Se tu veulx faire mon plaisir.
Soyes large et entalenté (généreux et désireux)
De donner a joyeux visage
Selon pouoir, et bonement
Ayde a chascun, mais a nul fueur
Ne nuys a nul, prens desplaisir
En orgueil, et soyes renté (pourvu)
De courtoisie et en langaige
Doulz, salue amiablement,
Soyes aux dames serviteur,
Se tu veulx faire mon plaisir.
Tout vice mets en orphenté (état de celui qui est orphelin)
Hors de toy et de ton usage,
Penses de ton avancement
En vaillance plus qu’a faveur
D’argent n’a richesses saisir ;
Suis les bons et leur parenté,
Entreprens a ton avantage,
Net et propre en abillement,
Aimes bonté, fuis deshonneur,
Se tu veulz faire mon plaisir.
Et de faillir ayes cremeur, (crainte)
Se tu veulz faire mon plaisir.
19. XXXIX L’Amant et la Dame
-Or suis je vers vous venu,
Ma doulce loyal maistresse ;
Hé las ! et qui m’eust tenu
D’y venir, ma blonde tresse ?
Vous seule estes ma richesse,
Je n’ay autre bien, par m’ame !
Faictes moy joyeuse chiere.
Comment vous est il, ma dame ?
Baisiez moy, doulce amour chiere.
-Amis, t’est-il souvenu
Point de moy ? Dis-moy que d’esse (pourquoi est-ce que)
Que plus souvent et menu
Ne te voy ? As tu promesse
Fait a autre ou pour quoy esce ?
Ou c’est pour paour de mon blasme ? (peur)
Tirons nous vers la lumiere
Et m’acole, il n’y a ame,
Baisiez moy, doulce amour chiere.
17
-Dame, ne suis revenu
Plus tost vers vous, qui destresce
M’estoit grant, mais astenu
M’en suis pour la genglaresse (qui médit)
Langue d’aucun, qui me blesse,
Car doubtoie vos diffame.
Pour ce alay un pou arriere,
De ce, a vous, je me desblasme,
Baisiez moy, doulce amour chiere.
-Doulz ami, mon cuer se pasme
En tes bras ; t’alaine entiere
Me flaire plus doulz que basme ,
Baisiez moy, doulce amour chiere.
20. XCIV La Dame
Qui son chien veult tuer lui met la rage
Assus, dit on, ainsi me vuelz tu faire,
Faulx desloyal, qui dis que mon corage
Se vuelt de toy, pour autre amer, retraire.
Mais tu scez bien, certes, tout le contraire
Et qu’en mon cuer n’a grain de tricherie.
Mais cë es tu mauvais, tu t’as biau traire,
Qui deceveur es plain de menterie. (menteur)
Car onc en moy, n’en semblant n’en langaige,
Tu n’apperceuz chose qui fust contraire
A loyaulté, ce n’est pas mon usage.
Tu n’en fais pas doubte, mais pour moi traire
En sus de toy, tu veulz telz mots retraire
Pour mieulx couvrir ta faulse tromperie,
Mais ne suis si comme toy faulsaire,
Qui deceveur es plain de menterie.
Ha ! mirez vous, dames, en mon dommage,
Pour Dieu mercy, ne vous laissiez attraire
Par homme nul, tous sont de faulx plumage.
En ce cas cy, si fuiez leur affaire.
Au commencier font bien le debonnaire
Mais au derrain c’est toute mocquerie.
Ce fais tu, Dieu d’Amours, pour cuers detraire,
Qui deceveur es plain de menterie.
Mais or me dy, Amours, s’il me doit plaire
Que pour amer je doye estre perie,
Cë es tu dont, je voy bien l’exemplaire,
Qui deceveur es plain de menterie
18
Alain Chartier
21. LXXXIX L’Amant
« Je ne suis mie bon chanteur,
Aussi me duit mieulx le plourer. (convient)
Mais je ne fus oncques venteur : (vanteur, qui se vente)
J’ayme plus tost quoy demourer. (tranquille)
Nul ne se doit enamourer
S’il n’a cuer de celer l’emprise.
Car venteur n’est a honnorer,
Puis que sa langue le desprise. » (déprécie, enlève de la valeur)
22. XC La Dame
« Malebouche tient bien grant cour ;
Chascun a mesdire estudie.
Faulx amoureux au temps qui court
Servent tous de gouliardie. (libertinage)
Le plus secret veult bien qu’on die
Qu’il est d’aucune mescreu, (pas cru)
Et pour riens qu’omme a dame die
Il ne doit plus estre creu. »
23. XCI L’Amant
« D’ungs et d’autres est et sera,
La terre n’est pas toute unie.
Des bons le bien se moustrera
Et des mauvais la villenie.
Est ce droit, s’aucuns ont honnie (avili)
leur langue en mesdit eshonté,
que refus en excommenie
les bons avecques leur bonté ? »
24. XCII La Dame
« Quand meschans fol parler eussent
Ce meschief seroit pardonnez. (mallheur, infortune)
Mais ceulx qui mieulx faire deussent
Et que noblesce a ordonnez
D’estre mieulx condicionnez
Sont les plus avant en la fangue,
Et ont leurs cuers abandonnez
A courte foy et longue langue. »
25. XCIII L’Amant
« Or congnois je bien orendroit
Que pour bien faire on est honnis,
Puis que pitié, justice et droit
Sont de cuer de dame bannis.
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Fault il donc faire tous unis,
Les humbles servans et les faulx,
Et que les bons soient punis
Par le pechié des desloyaux ? »
26. XCIV La Dame
« Je n’ay le povoir de grever (gêner, importuner)
Ne de punir autre ne vous.
Mais, pour les mauvais eschiver,
Il se fait bon garder de tous.
Faulz semblant faut l’humble et le doulz
Pour prendre dames en aguet. (au piège)
Et pour ce chascune de nous
Y doit bien l’escoute et le guet. »
27. XCV L’Amant
« Puis que de grace .j. tout seul mot
De vostre rigoureux cuer n’ist, (sort)
J’appelle devant Dieu qui m’ot (entend)
De vo durté qui me honnist, (méprise)
Et me plaing qu’il ne parfornist (procure)
Pitié qu’en vous il oublia,
Ou que ma vie ne fenist
Que si tost mis en oubli a. »
28. XCVI La Dame
« Mon cuer et moy ne vous feismes
Onc rien dont plaindre vous doyez.
Riens ne vous nuit fors vous meismes.
De vous mesmes juge soyez.
Une fois pour toutes croyez
Que vous demourrez escondit. (refusé)
De tant redire m’ennoyez, (lassez)
Car je vous en ay assez dit. »
29. XCVII L’Acteur
Adonc le dolent se leva
Et part de la feste plourant.
A poy que son cuer ne creva
Comme a homme qui va mourant.
Et dist : « Mort, vien a moy courant
Ains que mon sens se descongnoisse, (me se reconnaisse plus)
Et abrege le demourant
De ma vie pleine d’angoisse. »
30. XCVIII L’Acteur
Depuis je ne sceu qu’il devint
Ne quel part il se transporta.
Mais a sa dame n’en souvint
Qui aux dances se deporta. (retourna à)
20
Et depuis on me raporta
Qu’il avoit ses cheveulx deroups, (arrachés)
Et que tant se desconforta (désola)
Qu’il en estoit mort de courroux.
31. XCIX
Sy vous prys, amoureux, fuyez
Ces vanteurs et ces mesdisans
Et comme infames les huyez.
Car ilz sont a vos fais nuisans.
Pour non faire les voir disans, (véridiques)
Reffus a ses chasteaulx bastis,
Car ilz ont trop mis, puis dix ans,
Le pais d’amours a pastis. (mettre a pastis : exploiter)
32. C
Et vous, dames et demoiselles,
En qui honneur naist et s’assemble,
Ne soiez mie si cruelles
Chascune ne toutes ensemble.
Que ja nulle de vous resemble
Celle que m’oyez nommer cy
Qu’on appelera, ce me semble,
La belle dame sans merci.
(Édition d’Arthur Piaget : La belle damne sans merci, Droz, 1949)
Charles d’Orléans : ballades et rondeaux
33. Le beau soleil, le jour saint Valentin
Qui apportait sa chandelle allumée,
N’a pas longtemps, entra un beau matin
Privéement en ma chambre fermée.
Cette clarté, qu'il avait apportée,
Si m'éveilla du somme de Souci
Où j’avaye toute la nuit dormi
Sur le dur lit d’Ennuyeuse Pensée.
Ce jour aussi, pour partir leur butin
Des biens d'Amour, faisayent assemblée
Tous les oiseaux, qui parlant leur latin,
Criayent fort, demandant la livrée
Que Nature leur avait ordonnée :
C’était d’un pair, comme chacun choisit. (compagnon, compagne)
Si ne me peux rendormir, pour leur cri,
Sur le dur lit d’Ennuyeuse Pensée.
Lors, en mouillant de larmes mon coussin,
Je regrettais ma dure destinée,
Disant : « Oiseaux, je vous vois en chemin
21
De tout plaisir et joye désirée.
Chacun de vous a pair qui lui agrée,
Et point n’en ai, car Mort, qui m'a trahi,
A pris mon pair, dont en deuil je languis
Sur le dur lit d’Ennuyeuse Pensée.
Saint Valentin choisissent cette année
Ceux et celles de l’amoureux parti ;
Seul me tiendrai,de Confort dégarni,
Sur le dur lit d’Ennuyeuse Pensée.
(traduction/adaptation de Jacques Charpier, Charles d’Orléans, Seghers, 1958)
34. Quand Souvenir me ramentait (rappelait)
La grand beauté dont était pleine
Celle que mon cœur appelait
Sa seule Dame souveraine,
De tous biens vraye fontaine,
Qui est morte nouvellement,
Je dis, en pleurant tendrement :
Ce monde n’est que chose vaine.
Au vieux temps grand renom courait
De Cressida, Yseut, Hélène
Et maintes autres qu’on nommait
Parfaites en beauté hautaine.
Mais, à la fin, en son domaine
La Mort les prit piteusement ;
Par quoi l’on peut voir clairement
Ce monde n’est que chose vaine.
La Mort a voulu et voudrait.
Bien le connais, mettre en sa peine
De détruire, s’elle pouvait,
Liesse, et Plaisance Mondaine,
Quand tant de belles dames mène
Hors du monde ; car vrayement
Sans elles, à mon jugement,
Ce monde n’est que chose vaine.
Amour, pour vérité certaine,
Mort vous guerroye fellement ; (cruellement)
Si n’y trouvez amendement ;
Ce monde n’est que chose vaine.
(traduction/adaptation de Jacques Charpier, op.cit.)
35. Mon cœur est devenu ermite
En l’ermitage de Pensée;
Car Fortune, la très-depite (la très odieuse)
Qui l’a haï mainte journée, (longtemps, un grand nombre de journées)
22
S’est nouvellement alliée
Contre lui, avecques Tristesse, (avec)
Et l’ont banni hors de Liesse ; (joie)
Place n’a où peut demeurer,
Fors au bois de Mélancolie : (sauf)
Il est content de s’y loger ;
Si lui dis-je que c’est folie. (Et pourtant je lui dis que c’est folie.)
Mainte parole lui ai dite,
Mais il ne l’a point écoutée ;
Mon parler rien ne lui profite,
Sa volonté y est fermée, (décidée)
De léger ne serait changée. (facilement)
Il se gouverne par Détresse
Qui, contre son profit, ne cesse,
Nuit et jour, de le conseiller ;
De si près lui tient compagnie
Qu’il ne peut ennui délaisser : (abandonner, se délivrer de)
Si lui dis-je que c’est folie. (Et pourtant je lui dis que c’est folie.)
Pour ce, sachez, je m’en acquitte,
Belle très loyalement aimée,
Si lettre ne lui ai écrite
Par vous ou nouvelle mandée, (envoyée)
Dont sa douleur soit allégée,
Il a fait son vœu et promesse
De renoncer à la richesse
De Plaisir et de Doux Penser,
Et, après ce, toute sa vie,
L’habit de Déconfort porter : (découragement, accablement, affliction)
Si lui dis-je que c’est folie. (Et pourtant je lui dis que c’est folie.)
Si par vous n’est, Belle sans pair,
Pour quelque chose que lui die, (dise)
Mon cœur ne se veut conforter ;
Si lui dis-je que c’est folie. (Et pourtant je lui dis que c’est folie.)
36. Le truchement de ma pensée
Qui parle maint divers langage
M’a rapporté chose sauvage
Que je n’ai point accoutumée.
En français me l’a translatée,
Comme très suffisant et sage,
Le truchement de ma pensé,
Qui parle maint divers langage.
Quand mon cœur l’a bien écoutée,
Il lui a dit: Vous faites rage, (Vous êtes fou)
23
Onques mas n’ouïs tel message;
Venez-vous d’étrange contrée
Le truchement de ma pensé?
(traduction/adaptation de Jacques Charpier, op.cit.)
37. Au puits profond de ma mélancolie
L’eaue d’Espoir que ne cesse tirer,
Soif de Confort me la fait désirer,
Quoique souvent je la trouve tarie.
Nette la voie un temps et éclaircie,
Et puis après troubler et empirer,
Au puits profond de ma mélancolie
L’eaue d’Espoir que ne cesse tirer.
D’elle trempe mon encre d’estudie, (étude)
Quand j’en écris, mais pour mon cœur irer, (mettre en colère)
Fortune vient mon papier déchirer,
Et tout jette par sa grand félonie
Au puits profond de ma mélancolie !
(traduction/adaptation de Jacques Charpier, op.cit.)
Francois Villon
38. I
En l’an de mon trentième âge,
Que toutes mes hontes j’eus bues,
Ni du tout fol ni du tout sage,
Nonobstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ai toutes reçues
Sous la main Thibaut d’Aussigny…
S’évêque est, signant les rues,
Qu’il soit le mien, je le reni[e] !
39. XVII
Au temps qu’Alexandre régna,
Un hom’ nommé Diomédès
Devant lui on lui amena,
Engrilloné pouces et dès (doigts)
Comme un larron, car il fut des
Écumeurs que voyons courir. (pirate)
Si fut mis devant ce cadès, (juge)
Pour être jugé à mourir.
40. XVII
L’empereur si l’araisonna :
« Pourquoi es-tu larron en mer ? »
L’autre réponse lui donna :
24
« Pourquoi larron me fais nommer ?
Pour ce qu’on me voit écumer (piller)
En une petiote fuste ? (bateau)
Si comme toi me pusse armer,
Comme toi empereur je fusse.
41. XIX
« Mais que veux-tu. De ma fortune,
Contre qui ne puis bonnement,
Qui si faussement me fortune,
Me vient tout ce gouvernement.
Excuse-moi aucunement,
Et sache qu’en grand pauvreté,
Ce mot se dit communément,
Ne gît pas grande loyauté.
42. XX
Quand l’empereur eut remiré
De Diomédès tout le dit :
« Ta fortune je muerai
Mauvaise en bonne », si lui dit.
Si fit-il. Onc puis ne médit
À personne, mais fut vrai homme,
Valère pour vrai le baudit, (atteste)
Qui fut nommé le Grand à Rome.
43. XXI
Si Dieu m’eût donné rencontrer
Un autre piteux Alexandre
Qui m’eût fait en bon heur entrer,
Et lors qui m’eût vu condescendre
À mal, être ars et mis en cendre (brûlé)
Jugé je me fusse de ma voix.
Nécessité fait gens mesprendre (mal agir)
Et faim saillir le loup di bois.
44. XXII
Je plains le temps de ma jeunesse,
(Auquel j’ai plus qu’autre galé
Jusqu’à l’entrée de vieillesse)
Qui son partement m’a celé :
Il ne s’en est à pied allé
N’a cheval : hélas ! comment don[c] ?
Soudainement s’en est volé
Et ne m’a laissé quelque don.
45. XXIII
Allé s’en est, et je demeure,
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, failli, plus noir que meure, (abattu)
25
Qui n’ai cens, ni rente, n’avoir; (fermage)
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s’avance, (renier)
Oubliant naturel devoir
Par faute d’un peu de chevance. (biens)
46. XXV
Bien est verté que j’ai aimé
Et aimeroie volontiers ;
Mais triste cœur, ventre affamé
Qui n’est rassasié au tiers,
M’ôte des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu’un s’en récompense
Qui est rempli sur les chantiers ! (dans les chais, dans les caves)
Car de la panse vient la danse.
47. XXVI
Hé ! Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié,
J’eusse maison et couche molle.
Mais quoi ! je fuyais l’école
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le cœur ne me fend.
48. XXVII
Mes jours s’en sont allés errant,
Comme, dit Job, d’une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille :
Lors, s’il y a nul bout qui saille,
Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m’assaille,
Car à la mort tout s’assouvit. (finit)
49. XXXIX
Je connais que pauvres et riches,
Sages et fous, prêtres et lais, (laïcs)
Nobles, vilains, larges et chiches,
Petits et grands, et beaux et laids,
Dames à rebrassés collets, (haut collets)
De quelconque condition,
Portant atours et bourrelets, (parures et rembourures)
Mort saisit sans exception.
50. XL
Et meure Pâris ou Hélène,
Quiconque meurt, meurt à douleur
Telle qu’il perd vent et haleine ;
26
Son fiel se crève sur son cœur,
Puis sue Dieu sait quel sueur !
Et n’est qui de ses maux l’allège,
Car enfant n’a, frère ni sœur,
Qui lors voulût être son pleige. (garant)
51. XLI
La mort le fait frémir, pâlir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, la chair mollir,
Jointes et nerfs croître et étendre.
Corps féminin, qui tant es tendre,
Poli, souef, si précieux,
Te faudra il ces maux attendre ?
Oui, ou tout vif aller ès cieux.
52. Ballade des dames du temps jadis
Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiade, ni Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Écho, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs[e],
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine. (blessure, mutilation)
Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
La reine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Biétris, Alis,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Prince, n'enquerrez de semaine (ne demandez)
Où elles sont, ni de cet an,
Qu’à ce refrain ne vous ramène :
Mais où sont les neiges d'antan ?
27
53. Les regrets de la belle heaumière
XLVII
Avis m'est que j'oy regretter
La belle qui fut hëaumière,
Soi jeune fille souhaiter
Et parler en cette manière:
« Ha! vieillesse félonne et fière,
Pourquoi m'as si tôt abattue?
Qui me tient que je ne me fière,
Et qu’à ce coup je ne me tue?
XLVIII
Tolu m'as la haute franchise
Que beauté m'avait ordonné[e]
Sur clercs, marchands et gens d'Église:
Car alors il n’était homme né
Qui tout le sien ne m'eût donné,
Quoi qu'il en fût des repentailles,
Mais que lui eusse abandonne
Ce que refusent truandailles. (truands)
XLIX
À maint homme l'ai refusé
(Qui n'était à moi grand sagesse)
Pour l'amour d'un garçon rusé,
Auquel j'en fis grande largesse.
À qui que je fisse finesse, (Si j’en ai abusé beaucoup)
Par mon âme, je l'aimais bien!
Or ne me faisait que rudesse,
Et ne m'aimait que pour le mien.
L
Si ne me sut tant détrainer,
Fouler aux pieds, que ne l'aimasse,
Et m'eût-il fait les reins traîner,
S'il m'eût dit que je le baisasse
Que tous mes maux je n’oubliasse;
Le glouton, de mal entiché (incité par le mal)
M'embrassait... J'en suis bien plus grasse!
Que m'en reste-il? Honte et péché.
LI
Or il est mort, passé trente ans,
Et je remains vieille, chenue. (reste)
Quand je pense, lasse! au bon temps,
Quelle fus, quelle devenue !
Quand me regarde toute nue,
Et je me vois si très changée,
28
Pauvre, sèche, maigre, menue,
Je suis presque toute enragée.
LII
Qu'est devenu ce front poli,
Ces cheveux blonds, sourcils voutis, (arqués)
Grand entroeil, le regard joli,
Dont je prenais les plus soubtis;
Ce beau nez droit, grand ni petit[s];
Ces petites jointes oreilles,
Menton fourchu, clair vis traictis, (visage beau)
Et ces belles lèvres vermeilles?
LIII
Ces gentes épaules menues,
Ces bras longs et ces mains traitisses;
Petits tétins, hanches charnues,
Élevées, propres, faitisses (bien faites)
À tenir amoureuses lices
Ces larges reins, ce sadinet, (gracieux, charmant, gentil, sexe de la femme)
Assis sur grosses fermes cuisses,
Dedans son joli jardinet?
LIV
Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcils chus, les yeux éteints
Qui faisaient regards et ris,
Dont maints marchands furent atteints;
Nez courbe, de beauté lointain[s];
Oreilles pendantes et moussues;
Le vis pâli, mort et déteint[s];
Menton froncé, lèvres peaussues:
LV
C'est d'humaine beauté l'issue!
Les bras courts et les mains contraites,
Les épaules toutes bossues;
Mamelles, quoi! toutes retraites;
Telles les hanches que les tettes.
Du sadinet, fi! Quand des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissettes
Grivelees comme des saucisses. (marbrées)
LVI
Ainsi le bon temps regrettons
Entre nous, pauvres vieilles sottes,
Assises bas, à croupetons,
Tout en un tas comme pelotes,
À petit feu de chenevottes (chanvre)
Tôt allumées, tôt éteintes ;
29
Et jadis fûmes si mignotes ! (mignonnes)
Ainsi en prend à maints et maintes. »
54. Ballade pour prier Notre-Dame
Dame du ciel, régente terrienne,
Emperière des infernaux palus, (marais)
Recevez-moi, votre humble chrétienne,
Que comprise soie entre vos élus,
Ce nonobstant qu'oncques rien ne valus.
Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse,
Sont trop plus grands que ne suis pécheresse,
Sans lesquels biens âme ne peut mérir, (mériter)
N'avoir les cieux. Je n'en suis jangleresse. (menteuse)
En cette foi je veux vivre et mourir.
À votre Fils dites que je suis sienne;
De lui soient mes péchés abolus: (pardonnés)
Pardonne-moi comme à l'Égyptienne,
Ou comme il fit au clerc Théophilus,
Lequel par vous fut quitte et absolus, (absous)
Combien qu'il eût au diable fait promesse.
Préservez-moi de faire jamais ce,
Vierge portant, sans rompure encourir,
Le sacrement qu'on célèbre à la messe.
En cette foi je veux vivre et mourir.
Femme je suis pauvrette et ancienne,
Qui riens ne sais; oncques lettre ne lus ;
Au moutier vois, dont suis paroissienne, (église)
Paradis peint, où sont harpes et luths,
Et un enfer où damnés sont boullus : (bouillis)
L'un me fait peur, l'autre joie et liesse,
La joie avoir me fais, haute Déesse,
À qui pécheurs doivent tous recourir,
Comblés de foi, sans feinte ne paresse.
En cette foi je veux vivre et mourir.
Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Jésus régnant, qui n'a ni fin ni cesse.
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieux et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très chère jeunesse.
Notre Seigneur tel est, tel le confesse,
En cette foi je veux vivre et mourir.
55. Les contredits de Franc Gontier
Sur mol duvet assis, un gras chanoine,
30
Lès un brasier, en chambre bien nattée,
À son coté gisant dame Sidoine,
Blanche, tendre, polie et attintée, (épilée et fardée)
Boire hypocras à jour et à nuitée,
Rire, jouer, mignonner et baiser, (se carresser)
Et nu à nu, pour mieux des corps s'aiser, (jouir des corps)
Les vis tous deux par un trou de mortaise.
Lors je connus que, pour deuil apaiser,
Il n'est trésor que de vivre à son aise.
Si Franc Gontier et sa compagne Hélène
Eussent ceste douce vie hantée, (fréquentée, pratiquée)
D'oignons, civots, qui causent forte haleine, (ciboules)
N'acontassent une bise tostée. (n’auraient pas valu [pour eux] une tranche rôtie de pain bis)
Tout leur maton ne toute leur potée, (lait caillé) (noiser : chercher querelle, se disputer)
Ne prise un ail, je le dis sans noiser. (valent moins pour moi qu’une gousse d’ail)
Si se vantent coucher sous le rosier !
Lequel vaut mieux ? Lit côtoyé de chaise ?
Qu'en dites-vous ? Faut-il à ce muser ? (s’attarder)
Il n'est trésor que de vivre à son aise.
De gros pain bis vivent, d'orge et avoine,
Et boivent eau tout au long de l'année ;
Tous les oiseaux d’ici à Babiloine
À tel escot une seule journée (à pareil régime)
Ne me tiendraient, non une matinée.
Or s'ébatte, de par Dieu, Franc Goutier,
Hélène o lui, sous le bel églantier ;
Si bien leur est, cause n'ai qu'il me poise,
Mais quoi que soit du laboureux métier,
Il n'est trésor que de vivre à son aise.
Prince, jugez, pour tôt nous accorder !
Quant est à moi, mais qu'à nul ne déplaise,
Petit enfant, j'ay ouï recorder :
Il n'est trésor que de vivre à son aise.
56. Ballade de la Grosse Margot
Si j'aime et sers la belle de bon hait, (de bon cœur)
M'en devez-vous tenir ni vil ni sot ?
Elle a en soi des biens à fin souhait;
Pour son amour ceins boucler et passot. (dague)
Quant viennent gens, je cours et happe un pot,
Au vin m'en vais, sans démener grand bruit ;
Je leur tends eau, fromage, pain et fruit.
S'ils paient bien, je leur dis : «Bene stat,
Retournez ci, quand vous serez en ruyt, (rut)
En ce bordeau où tenons nostre estat. » (bordel) (notre profession, notre cour)
31
Mais adoncques, il y a grand déhait (colère)
Quant sans argent s'en vient coucher Margot ;
Voir ne la puis, mon cœur à mort la hait.
Sa robe prends, demi-ceint et surcot, (ceinture)
Si lui jure qu'il tiendra pour l'escot. (le gain qu’elle aurait dû faire)
Par les côtes se prend, c'est Antécrist,
Crie et jure, par la mort Jésus-Christ
Que non fera. Lors empoigne un éclat, (fragment de bois, bâton)
Dessus son nez lui en fais un écrit,
En ce bordeau où tenons nostre estat. » (bordel) (notre profession, notre cour)
Puis paix se fait, et me fait un gros pet,
Plus enflé qu'un venimeux escarbot. (bousier, sorte de coléoptère)
Riant, m'assied son poing sur mon sommet,
« Gogo ! » me dit, et me fiert le jambot ; (frappe la cuisse)
Tous deux ivres dormons comme un sabot.
Et au réveil, quand le ventre lui bruit,
Monte sur moi, que ne gaste son fruit, (pour que je/elle ne fasse pas de mal à son fruit)
Sous elle geins, plus qu'un ais me fait plat ; (planche)
De paillarder tout elle me détruit,
En ce bordeau ou tenons nostre estat. » (bordel) (notre profession, notre cour)
Vente, grêle, gèle, j'ai mon pain cuit.
Je suis paillard, la paillarde me suit.
Lequel vaut mieux ? Chacun bien s'entresuit,
L'un vaut l'autre, c'est à mau rat mau chat.
Ordure aimons, ordure nous assuit,
Nous défuyons honneur, il nous défuit
En ce bordeau ou tenons nostre estat. » (bordel) (notre profession, notre cour)
57. Ballade finale
Ici se clôt le testament
Et finit du pauvre Villon
Venez à son enterrement,
Quand vous orrez le carillon,
Vêtus rouge comme vermillon,
Car en amours mourut martyr ;
Ce jura-t-il sur son couillon,
Quant de ce monde voult partir.
Et je crois bien que pas n'en ment ;
Car chassé fut comme un souillon,
De ses amours haineusement,
Tant que, d'ici à Roussillon
Brosses n'y a ni broussillon (il n’y a ni broussaille ni broussaillon)
Qui n'eût, ce dit-il sans mentir,
Un lambeau de son cotillon, (petite cotte, sorte de blouse)
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Quant de ce monde voult partir.
Il est ainsi et tellement :
Quant mourut n'avait qu'un haillon ;
Qui plus, en mourant, malement
L'époignait d'Amours l'aiguillon ;
Plus aigu que le ranguillon (ardillon)
D'un baudrier lui faisait sentir (bande qui soutient l’épée)
- C'est de quoi nous émerveillon[s] -,
Quant de ce monde voult partir.
Prince gent comme émerillon,
Sachez qu'il fit au départir :
Un trait but de vin morillon,
Quant de ce monde voult partir.
Fragments du Testament, édition de Claude Pinganaud, Aléa, 2010 ; avec des
corrections)
58. Ballade du concours de Blois
Je meurs de soif auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre lointaine ;
Lès un brasier frissonne tout ardent ;
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
Confort reprends en triste désespoir ;
Je m'éjouis et n'ai plaisir aucun ;
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun. (repoussé)
Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ;
Obscur, fors ce qui est tout évident ;
Doute ne fais, fors en chose certaine ;
Science tiens à soudain accident ;
Je gagne tout et demeure perdant ;
Au point du jour dis : « Dieu vous doint bon soir ! » (donne)
Gisant envers, j'ai grand paour de choir ; (couché sur le dos)
J'ai bien de quoi et si n'en ai pas un ;
Échoite attends et d'homme ne suis hoir, (héritage) (héritier)
Bien recueilli, débouté de chacun. (repoussé)
De rien n'ai soin, si mets toute ma peine
D'acquérir biens et n'y suis prétendant ;
Qui mieux me dit, c'est cil qui plus m'ataine, (m’offense)
Et qui plus vrai, lors plus me va bourdant ;
Mon ami est, qui me fait entendant
D'un cygne blanc que c'est un corbeau noir ;
Et qui me nuit, crois qu'il m'aide à pourvoir ; (me pourvoir)
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Bourde, verté, aujourd'hui m'est tout un ;
Je retiens tout, rien ne sait concevoir,
Bien recueilli, débouté de chacun. (repoussé)
Prince clément, or vous plaise savoir
Que j'entends mout et n'ai sens ne savoir :
Partial suis, à toutes lois commun. (je fais à ma guise, suivant les lois de tous)
Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages ravoir,
Bien recueilli, débouté de chacun. (repoussé)
59. Quatrain
Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris, emprès Pontoise
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise.
60. Ballade des pendus
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci[s].
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie, (depuis longtemps)
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis (tués)
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis. (ne sont pas pleins de bon sens)
Excusez-nous, puisque sommes transis, (morts)
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie, (harcèle, tourmente)
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés, (trempés)
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés, (creuser)
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
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Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
À lui n'ayons que faire ni que soudre. (acquitter, payer)
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
2. XVI siècle
Clément Marot
1. Anne par jeu me jeta de la neige,
Que je cuidais froide, certainement : (croyais)
Mais c’était feu, l’expérience en ai-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouverai-je place
Pour n’ardre point ? Anne, ta seule grâce (brûler)
Éteindre peut le feu que je sens bien,
Non point par eau, par neige ni par glace,
Mais par sentir un feu pareil au mien.
2. Le beau tétin
Tétin refait, plus blanc qu’un œuf,
Tétin de satin blanc tout neuf,
Tétin qui fais honte à la rose,
Tétin plus beau que nulle chose ;
Tétin dur, non pas Tétin, voire,
Mais petite boule d’ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraise, ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu’il est ainsi.
Tétin donc au petit bout rouge,
Tétin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tétin gauche, Tétin mignon,
Toujours loin de son compagnon,
Tétin qui portes témoignage
Du demeurant du personnage.
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
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De te tâter, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D’en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendrait une autre envie.
Ô Tétin ni grand ni petit,
Tétin mûr, Tétin, d’appétit,
Tétin qui nuit et jour criez :
« Mariez-moi, tôt mariez ! »
Tétin qui t’enfles, et repousses
Ton gorgerin de deux bons pouces, (pièce de vêtement féminin recouvrant la poitrine)
À bon droit heureux on dira
Celui qui de lait t’emplira,
Faisant d’un Tétin de pucelle
Tétin de femme entière et belle.
Maurice Scève (Délie)
3. Sans lésion le Serpent Royal vit (salamandre)
Dedans le chaud de la flamme luisante,
Et en l’ardeur qui a toi me ravit
Tu te nourris sans offense cuisante ; (blessure)
Et bien que soit sa qualité nuisante,
Tu t’y complais comme en ta nourriture.
Ô fusses-tu par ta froide nature
La Salamandre en mon feu résidente !
Tu y aurais délectable pâture
Et éteindrais ma passion ardente.
4. Te voyant rire avec si grande grâce,
Ce doux souris me donne espoir de vie,
Et la douceur de cette tienne face
Me promet mieux de ce dont j’ai envie.
Mais la froideur de ton cœur me convie
À désespoir, mon dessein dissipant.
Puis ton parler, du miel participant,
Me remet sus le désir qui me mord.
Par quoi tu peux, mon bien anticipant,
En un moment ne donner vie et mort.
Louise Labé (Sonnets)
5. Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ; (subissant, souffrant)
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.
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Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure, (nombreux tourments)
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur, (destin, bonheur)
Il me remet en mon premier malheur.
6. Tout aussitôt que je commence à prendre
Dans le mol lit le repos désiré,
Mon triste espoir, hors de moi retiré,
S’en va vers toi incontinent se rendre.
Lors m’est avis que dedans mon sein tendre
Je tiens le bien où j’ai tant aspiré,
Et pour lequel j’ai si haut soupiré
Que de sanglots ai souvent cuidé fendre. (cru, pensé)
Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse !
Plaisant repos plein de tranquillité,
Continuez toutes les nuits mon songe ;
Et si jamais ma pauvre âme amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,
Faites au moins qu’elle en ait en mensonge.
7. Claire Vénus, qui erres par les Cieux,
Entends ma voix qui en plaints chantera,
Tant que ta face au haut du Ciel luira,
Son long travail et souci ennuyeux.
Mon oeil veillant s'attendrira bien mieux,
Et plus de pleurs te voyant jettera.
Mieux mon lit mol de larmes baignera,
De ses travaux voyant témoins tes yeux.
Donc des humains sont les lassés esprits
De doux repos et de sommeil épris.
J'endure mal tant que le soleil luit ;
Et quand je suis quasi toute cassée,
Et que me suis mise en mon lit lassée,
Crier me faut mon mal toute la nuit.
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8. Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé :
Si j'ai senti mile torches ardentes,
Mile travaux, mile douleurs mordantes :
Si en pleurant, j'ay mon tems consumé,
Las que mon nom n'en soit par vous blâmé.
Si j'ai failli, les peines sont présentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
Sans la beauté d'Adonis accuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses,
En ayant moins que moi d'occasion,
Et plus d'étrange et forte passion.
Et gardez-vous d'être plus malheureuses.
Du Bellay (les regrets)
9. Las, où est maintenant ce mépris de fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l’immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doux plaisirs, qu’au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la lune ?
Maintenant la fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur, qui soulait être maître de soi, (avait l’habitude de)
Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.
De la postérité je n’ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.
10. Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
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Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.
Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret :
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.
Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser
Que de papiers journaux ou bien de commentaires.
11. Si les larmes servaient de remède au malheur,
Et le pleurer pouvait la tristesse arrêter,
On devrait, Seigneur mien, les larmes acheter,
Et ne se trouverait rien si cher que le pleur.
Mais les pleurs en effet sont de nulle valeur :
Car soit qu’on ne se veuille en pleurant tourmenter,
Ou soit que nuit et jour on veuille lamenter,
On ne peut divertir le cours de la douleur.
Le cœur fait au cerveau cette humeur exhaler,
Et le cerveau la fait par les yeux dévaler,
Mais le mal par les yeux ne s’alambique pas. (se distille)
De quoi donques nous sert ce fâcheux larmoyer ?
De jeter, comme on dit, l’huile sur le foyer,
Et perdre sans profit le repos et repas.
Ronsard (Les amours)
12. Ces liens d'or, cette bouche vermeille,
Pleine de lis, de roses et d’œillets,
Et ces sourcils deux croissants nouvelets
Et cette joue à l'Aurore pareille ;
Ces mains, ce col, ce front, et cette oreille,
Et de ce sein les boutons verdelets,
Et de ces yeux les astres jumelets,
Qui font trembler les âmes de merveille,
Firent nicher Amour dedans mon sein,
Qui gros de germe avait le ventre plein
D’œufs non formés qu'en notre sang il couve.
Comment vivrai-je autrement qu'en langueur,
Quand une engeance immortelle je trouve (race, espèce)
D'Amours éclos et couvés en mon cœur ?
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13. Il faisait chaud, et le somme coulant
Se distillait dans mon âme songearde,
Quand l’incertain d’une idole gaillarde
Fut doucement mon dormir affolant.
Penchant sous moi son bel ivoire blanc,
Et m’y tirant sa langue frétillarde,
Me baisotait d’une lèvre mignarde,
Bouche sur bouche, et le flanc sur le flanc.
Que de corail, que de lis, que de roses,
Ce me semblait, à pleines mais décloses
Tâtai-je lors entre deux maniements !
Mon Dieu, mon Dieu, de quelle douce haleine
De quelle odeur était sa bouche pleine,
De quels rubis, et de quels diamants !
14. Ces flots jumeaux de lait bien épaissi
Vont et revont par leur blanche vallée,
Comme à son bord la marine salée,
Qui lente va, lente revient aussi.
Une distance entre eux se fait, ainsi
Qu’entre deux monts une sente égalée,
Blanche par tout de neige dévalée,
Quand en hiver le vent s’est adouci.
Là deux rubis haut élevés rougissent,
Dont les rayons cet ivoire finissent
De toutes parts uniment arrondis.
Là tout honneur, là toute grâce abonde,
Et la beauté, si quelqu’une est au monde,
Vole au séjour de ce beau paradis.
15. Comme un chevreuil quand le printemps détruit
Du froid hiver la poignante gelée,
Pour mieux brouter la feuille emmiellée,
Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit,
Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit,
Or’ sur un mont, or’ dans une vallée,
Or’ près d’une onde à l’écart recelée,
Libre, folâtre où son pied le conduit,
De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte
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Sinon alors que sa vie est atteinte
D’un trait meurtrier empourpré de son sang.
Ainsi j’allais sans espoir de dommage,
Le jour qu’on œil sur l’avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits en mon flanc.
16. Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ».
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, (écoutant)
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
17. Je veux mourir pour tes beautés, Maîtresse,
Pour ce bel œil qui me prit à son hain, (hameçon)
Pour ce doux ris, pour ce baiser tout plein (rire)
D'ambre et de musc, baiser d'une Déesse.
Je veux mourir pour cette blonde tresse,
Pour l'embonpoint de ce trop chaste sein,
Pour la rigueur de cette douce main,
Qui tout d'un coup me guérit et me blesse.
Je veux mourir pour le brun de ce teint,
Pour cette voix, dont le beau chant m'étreint
Si fort le cœur que seul il en dispose.
Je veux mourir ès amoureux combats,
Soûlant l'amour, qu'au sang je porte enclose,
Toute une nuit au milieu de tes bras.
18. Ah! traître Amour, donne-moi paix ou trêve,
Ou choisissant un autre trait plus fort,
Tranche ma vie, et m’avance la mort ;
Douce est la mort d’autant plus qu’elle est brève.
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Un soin fécond en mon penser s’élève, (tourment)
Qui mon sang hume, et l’esprit me remord,
Et d’Ixion me fait égal au sort, ( il fut attaché dans les Enfers à une roue enflammée)
De qui jamais la peine ne s’achève.
Que dois-je faire ? Amour me fait errer
Si hautement, que je n’ose espérer
De mon salut qu’une langueur extrême.
Puisque mon Dieu ne me veut secourir,
Pour me sauver il me plaît de mourir,
Et de tuer la mort par la mort même.
19 Rossignol mon mignon, qui par cette saulaie1
Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,
Et chantes à l’envi de moi qui vais chantant
Celle qu’il faut toujours que dans la bouche j’aie ;
Nous soupirons tous deux; ta douce voix s’essaie
De sonner l’amitié d’une qui t’aime tant,
Et moi triste je vais la beauté regrettant
Qui m’a fait dans le cœur une si aigre plaie.
Toutefois, Rossignol, nous différons d’un point,
C’est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux ayons les musiques pareilles,
Car tu fléchis t’amie2 au doux bruit de tes sons,
Mais la mienne qui prend à dépit mes chansons,
Pour ne les écouter se bouche les oreilles.
1 Saulaie : plantation de saules.
2 T’amie : ton amie.