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Marie-Blanche TAHON Professeure titulaire, département de sociologie, Université d’Ottawa (1994) “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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Marie-Blanche TAHONProfesseure titulaire, département de sociologie, Université d’Ottawa

(1994)

“L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.”

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

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http://classiques.uqac.ca/

Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès, fondée au Cégep de Chicoutimi en 1993 et développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC) de-puis 2000.

http://bibliotheque.uqac.ca/

En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 4

Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur associé, Université du Québec à ChicoutimiCourriel: [email protected] Site web pédagogique : http://jmt-sociologue.uqac.ca/à partir du texte de :

Marie-Blanche TAHON,

“L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.”

In ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993, pp. 425-434. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1994, 574 pp.

La présidente de l’ACSALF, Mme Marguerite Soulière, nous a accordé le 20 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Clas-siques des sciences sociales.

Courriel: La présidente de l’ACSALF, Marguerite Soulière :professeure, École de Service sociale, Université d’Ottawa :[email protected] Marie-Blanche Tahon: [email protected]

Police de caractères utilisés :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 15 avril 1919 à Chicoutimi, Québec.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 5

Marie-Blanche TAHONProfesseure titulaire, département de sociologie, Université d’Ottawa

“L'affirmation politique des femmeset le postféminisme.”

In ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993, pp. 425-434. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1994, 574 pp.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 6

La présidente de l’ACSALF, Mme Marguerite Soulière, nous a accordé le 20 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Clas-siques des sciences sociales.

Courriel :

La présidente de l’ACSALF, Marguerite Soulière : professeure, École de Service sociale, Université d’Ottawa : [email protected]

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 7

Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.

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[425]

Entre tradition et universalisme.Recueil d’articles suite au Colloque Entre tradition et universalisme

tenu à Rimouski par l’ACSALF du 18 au 20 mai 1993.DEUXIÈME PARTIE

D. RELIGIONS DES DROITS :ENTRE COMMUNAUTARISME ET INDIVIDUALISME

29“L'affirmation politique des femmes

et le postféminisme.”Par Marie-Blanche TAHON

Département de sociologie. Université d'Ottawa

Je voudrais immédiatement mieux préciser le titre que m'a proposé M. Elbaz et aussitôt le rectifier. Le plus facile d'abord : quitte à intro-duire un nouveau barbarisme, je préfère post-néo-féminisme à postfé-minisme pour marquer la période postérieure au néo-féminisme des années 1960 et 1970, celui-ci distingué d'un féminisme premier, que l'on peut faire remonter à la Révolution française et qui peut être trop rapidement étiqueté comme celui des suffragistes 1. Il s'agit donc d'une précision qui n'engage pas à grand-chose : elle se contente de signifier

1 Il y a lieu d'être plus nuancé, y compris dans la perspective adoptée ici. Par exemple, pour la France, L. Klejman et F. Rochefort montrent bien dans L'égalité en marche (Paris, Presses de la Fondation nationale de science politique, Ed. des femmes, 1989) comment le féminisme sous la IIIe Répu-blique fit des va-et-vient constants entre la revendication pour la capacité civique (droit de vote) et pour la capacité civile (ex. revendications pour le divorce). On se souvient que George Sand s'opposa aux féministes de 1848 sur ce point : elle considérait que la revendication des droits politiques était prématurée tant que l'égalité des droits civils n'était pas proclamée. Elle n'avait sans doute pas formellement tort, il n'empêche que les femmes eurent la pleine capacité civique avant d'avoir la pleine capacité civile. On y revien-dra.

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que le féminisme des années 1960 et 1970 n'est pas le premier mouve-ment féministe. Dans cette précision est pourtant marquée l'historicité du féminisme ; ce qui, à mes yeux, indique aussi le rejet de son carac-tère essentialiste. Caractère essentialiste du féminisme ici empirique-ment défini comme l'expression de la croyance selon laquelle les femmes seraient porteuses du meilleur ; ce caractère essentialiste af-fleure, par exemple, dans l'écoféminisme 2. Le meilleur reposant sur un amalgame d'un retour inavoué à la Nature 3 et d'un pari sociohisto-rique assez simpliste : elles ne peuvent faire pire, elles peuvent donc faire mieux... Caractère essentialiste qui affleure encore dans les vel-léités de faire du féminisme une éthique.

Rectifier féminisme en néo-féminisme n'engage à rien sur le post. Je dois avouer mon indifférence, momentanée en tout cas 4, à ce pré-fixe. Pour l'instant, il me paraît commode pour dire après. Incontesta-blement, nous ne sommes plus dans la période du néo-féminisme des années 1960 et 1970. [426] Cela n'implique pas de décréter la mort du néo-féminisme, comme certaines de ses militantes effarouchées se plaisent à dénoncer cette posture dès qu'il est question d'une historisa-tion du mouvement. On pourrait s'en tenir à considérer que les idées ne meurent pas... Voilà pour le second membre du titre.

Le premier maintenant : l'affirmation politique des femmes. Au risque de me faire taxer à mon tour d'essentialiste, je préfère parler de

2 Cela dit, je ne partage pas le point de vue à partir duquel Luc Ferry critique les écoféministes dans Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, 1992. Voir mon intervention à la table ronde. L'écologie  : un nouvel ordre ?, Uni-versité d'Ottawa, Département de sociologie, 15 février 1993, « Le bon fé-minisme républicain selon St-Luc », 8 p.

3 À l'œuvre, par exemple, dans la critique tous azimuts des nouvelles techno-logies de reproduction. A contrario, voir les divers articles de M.J. Dhaver-nas. Aussi celui de F. Héritier-Augé, « Don et utilisation de sperme et d'ovo-cytes. Mères de substitution. Un point de vue fondé sur l'anthropologie so-ciale », dans Génétique, procréation et droit, Arles, Actes Sud, 1985, 237-253, qui relativise la « nouveauté » du phénomène en le replaçant en son assise anthropologique. Voir encore l'article de N. Fresco, « Pour échapper aux pères, évitons les fils », dans Le Père, Métaphore paternelle et fonctions du père : l'Interdit, la Filiation, la Transmission, Paris, Denoël, 1989, 409-423.

4 Mais la belle préface que F. Collin a donnée au livre de D. Lamoureux, Fragments et collages, Montréal, Remue-ménage, 1986 : « Le féminisme et la crise du moderne », pp. 7-16, emporte en grande partie mon adhésion.

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l'affirmation politique de la femme. Notamment pour souligner que mon propos relève plus de l'anthropologie politique que de la sociolo-gie, si la sociologie doit signifier le recensement statistique des places occupées par les femmes dans les diverses instances de la scène pu-blique. Ce qui n'est pas mon terrain.

Au singulier - la femme -, il me paraît possible de parler de son affirmation politique. En effet, je suis tentée de considérer que « la femme » a une existence extrêmement récente, quelques années, sans doute pas quelques décennies. Nous entrons ici dans le vif du sujet. Je dois encore préciser que les considérations qui suivent ne prennent place qu'en Occident. Je ne préjuge de rien pour d'autres régions du monde. On aura compris que cette précaution n'est pas seulement géo-graphique 5. Je dois aussi préciser que ce qui suit relève de l'hypothèse théorique et de ce fait manque de nuances indispensables. Il pourrait apparaître que je divise le temps historique en deux : ce qui précède le troisième tiers ou même le troisième quart du vingtième siècle et après... Il y aurait incontestablement lieu d'être plus nuancé !

Je dirais que la femme n'a une existence politique, n'a une exis-tence dans la cité, que depuis qu'il est possible de la désincorporer 6 de la mère. Tant que femme et mère ne faisaient qu'un - ce qui était le cas tant que n'était pas admise la reconnaissance du contrôle par la femme de sa fécondité -, la femme n'était pas un individu social. Ce n'est que depuis qu'elle dispose du contrôle de sa fécondité que la femme dis-pose de la pleine capacité civique et civile, soit dans les années 1970

5 Voir « Une anomalie algérienne ? Femmes et islamisme », pages 215-236 du présent ouvrage.

6 Faire référence au corps n'implique pas ipso facto que l'on adhère à une vision naturaliste du social, cela va sans dire mais il est peut-être nécessaire de le rappeler. Voir P. Bourdieu lorsqu'il écrit : « Le corps croit en ce qu'il joue [...]. Ce qui est appris par corps [...] est [...] quelque chose que l'on est. ». Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 123.

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et même 1980. « L'absorption de la femme dans l'individu abstrait 7 » suppose le droit à la non-maternité 8.

Il ne m'est pas ici possible de retracer les diverses assises qui per-mettent de cerner pourquoi la mère n'est pas une citoyenne, ne peut-être une citoyenne 9. Je dirai trop rapidement que la Mère - avec un M majuscule - est l'irreprésentable du politique ou que le politique a été « inventé » pour faire place à la Mère. C'est ainsi que j'interprète l'af-firmation de Pierre Legendre 10 : « la Mère est la trame du tissu poli-tique ». Ou que je lis 11 la dernière phrase de Structure du sérail  : « Dans l'ombre du harem, veillant sur [427] le sceau, la Mère triomphe 12. » ou la conclusion, pour la Grèce classique, du livre de Nicole Loraux, Les mères en deuil 13. La Mère doit être cachée, doit rester dans l'ombre, car son triomphe renvoie à l'apolitique « nostalgie de l'indifférencié 14 ». Pour que le politique advienne, U faut que s'ins-taure le principe différenciateur, occidentalement appelé le principe du Père. C'est le prix à payer pour entrevoir l'autonomie du sujet. Y compris du sujet politique.

7 P. Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992, p. 140. Il écrit aussi à propos de la période de la Révolution : « La femme a été d'autant moins reconnue comme individu qu'elle était de plus en plus considérée comme une personne. » Cette proposition devrait être travaillée en se réfé-rant, malgré - et à cause de - son mutisme et sur la femme et sur la mère et sur la relation mère-enfant, au travail extrêmement stimulant de J.-P. Baud, L'affaire de la main volée, Une histoire juridique du corps, Paris, Seuil, 1993.

8 Voir ma communication, à paraître, au colloque Brésil-Québec, Mouve-ments sociaux et représentation politique, UQAM, février 1991.

9 Voir « les mères ne sont pas des citoyennes », communication, UQAM, Séminaire UNESCO, 6 mai 1992, 19 p.

10 Dans L'inestimable objet de la transmission, Paris, Fayard, 1985. C'est à cet auteur que ma réflexion est la plus redevable.

11 Ces deux ouvrages ne visent pas l'ère romano-chrétienne et même si je viens d'affirmer que les considérations proposées dans ce texte ne prennent place que dans ce que l'on appelle l'Occident, il me paraît pourtant légitime, à propos de la Mère - et de son rapport au politique - d'universaliser le point d'ancrage.

12 A. Grosrichard, Structure du sérail, La fiction du despotisme asiatique dans l'Occident classique, Paris, Seuil, 1979, p. 232.

13 N. Loraux, Les mères en deuil, Paris, Seuil, 1990, en particulier, « La Mère sur l'Agora », pp. 101-119.

14 P. Legendre, Les enfants du texte, Paris, Fayard, 1992, p. 43.

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Jusqu'à présent, je me situais dans l'ordre des majuscules. La Mère, comme l'Objet majuscule. Le principe du Père comme LE principe différenciateur. Au ciel des majuscules, cette division a du sens. Le problème réside en ce que le ciel des majuscules travaille aussi la terre des minuscules.

Le « reflet » du ciel sur la terre n'a pas été perturbé tant que « fonc-tionnait » le patriarcat. Ne me demandez pas quand il débuta. Je n'en sais rien et il n'est pas très important de dater son origine dans la pers-pective dans laquelle je me situe. L'enjeu se noue quant à sa fin. Parce qu'il est fini, même si son agonie fut longue. Le patriarcat est fini, même si tous les problèmes ne se sont pas évanouis pour autant. Ce qui indiquerait qu'il faille chercher aussi d'autres causes à l'infériorisa-tion des femmes. Et non paresseusement continuer à exhiber ce fan-tôme...

Le patriarcat est un mode de régulation sociopolitique particulière-ment habile. Son habileté tient notamment à son utilisation de la patri-linéarité. Il fut un temps où patriarcat et patrilinéarité pouvaient se confondre. Or, la patrilinéarité est une invention géniale de l'humanité. Elle est l'artifice le plus simple 15 par lequel l'humain est humain, par lequel l'humain rompt avec l'animalité.

La patrilinéarité est l'institution qui représente merveilleusement la transmission ou encore la loi de l'échange que Mauss exprima par donner-recevoir-rendre. Avec l'échange, avec l'humain, on est dans l'ordre du trinaire, de la trinité. La transmission, c'est pour un individu, pouvoir/devoir se situer à la fois comme fils de et père de. Trouver sa place en occupant les deux occurrences. Dédoublement en quelque sorte qui suppose l'inscription dans la chaîne en amont et en aval : c'est parce qu'il est reconnu fils de qu'il pourra être père de. Le « il » se constitue d'être à la fois fils de et père de. Il s'agit donc d'une struc-ture trinitaire : dans nos pauvres mots du registre familial occidental : le grand-père, le père, le petit-fils.

Au masculin, sans être facile, la transmission est représentable. Il se pourrait d'ailleurs que la transmission soit seulement représentable

15 La matrilinéarité est aussi une invention humaine par laquelle l'humain est humain, mais moins simple, plus complexe, puisque la transmission transi-tant de l'oncle au neveu, la représentation trinaire est un repère moins immé-diatement accessible pour la pensée.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 13

au masculin 16, sans qu'il faille y voir une manœuvre du viriarcat. Elle l'est en ce que le nom est le nom du père. Le nom du père est le moyen trouvé pour [428] indiquer que la transmission n'a rien à voir avec la viande ; qu'elle se joue dans l'espace de la parole.

La paternité est l'institution qui, via la parole, le nom, donne une place aux hommes. Elle n'existe qu'en fonction de la reconnaissance de la loi de l'espèce parlante. Elle est branchée sur la transmission, sur l'accueil du nouveau dans la chaîne, sur l'accueil du nouveau-né qui fait d'un fils un père.

La filiation ne transmet pas un bien physique à l'état brut - soit, la vie biologique d'une génération à l'autre la filiation transmet la repré-sentation qui marque ce bien de son sens, qui marque que ce bien est un bien transmis, ce bien transmis est figuré, par exemple, par un nom. On ne reste pas dans l'impayé. Le petit-fils a le sens du rendre dans la chaîne du don. En Occident, jusqu'il y a peu, la coutume don-nait même au petit-fils le prénom de son grand-père. Ce qui marquait clairement cette notion de rendu.

Le patriarcat, en se confondant avec la patrilinéarité, a pu s'exhiber comme porte-drapeau de l'humain. D'autant que si la trinité grand-père-père-petit-fils n'est pas unique, si elle-même, dans l'arrivance d'un enfant, doit composer avec une autre trinité mère-père-enfant, dans cette seconde trinité, c'est encore le père qui est le personnage central. Non parce qu'il est un homme, comme une réaction féministe paresseuse tendrait à le laisser croire. Dans la trinité enfant-père-mère, le père est là pour incarner l'interdit. Il est là pour dire à l'enfant qu'il ne forme pas un tout avec sa mère ; il est là pour permettre à l'enfant de se différencier, de ne pas succomber à la tentation de l'indifféren-cié, du vide comblé, pour prendre place, lui, dans la chaîne des hu-mains.

Cette capacité du patriarcat, en se confondant avec la patrilinéarité, de s'exhiber comme porte-drapeau de l'humain constitue une difficulté pour la pensée, une difficulté dont nous commençons seulement, dans nos sociétés démocratiques égalitaristes, à mesurer les lignes de fuite.

16 La question de la transmission au féminin a été posée par F. Collin dans « Héritage sans testament ». Les Cahiers du GRIF, n° 34, 1986, Les jeunes, la transmission, 81-92. Voir aussi D. Sibony, Entre-deux, l'origine en par-tage, Paris, Seuil, 1991.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 14

En effet, la nécessité que l'enfant puisse advenir à la position de sujet a pris la forme, sous le règne du patriarcat, de l'incorporation de la femme dans la mère. La nécessité de l'émergence à l'humain de l'en-fant via le nom du père ne s'est pas seulement jouée dans le refoule-ment de la mère, mais encore dans l'engloutissement de la femme dans la mère.

Pour refouler la mère, le moyen utilisé fut la construction sociale de la femme en tout point symétriquement inversée à la construction sociale de l'homme. L'émergence du père - indispensable pour que l'enfant advienne [429] à l'humain, puisse devenir un sujet - s'est aussi jouée sur la construction sociale de l'homme. Ce n'est pas le couple père-mère qui fut affronté par la pensée, il ne s'agit d'ailleurs pas d'un couple, il est impensable comme couple, c'est le couple homme-femme. Le père advint comme différenciateur de la mère en érigeant l'homme comme opposé symétrique de la femme.

La nécessité de la différenciation informulable - ce qui se joue dans la trinité où il y a le père et la mère et l'enfant comme sujet auto-nome mais non autofondé - prit la forme de la domination de l'homme sur la femme. Le télescopage du principe trinaire nécessaire à la diffé-renciation et du principe binaire de la différence des sexes trouve dans la Nature le champ le plus fertile sur lequel l'établir : sur la terre, la mère n'est plus une représentante minuscule de l'Objet majuscule, elle est réduite à celle par qui, par un bout, la transmission touche au bio-logique. La domination de l'homme sur la femme peut être totale quand la femme est incorporée dans la mère seulement perçue comme porteuse de l'enfant du père.

On est donc face à deux principes : un principe binaire selon lequel la femme est construite comme l'opposé symétrique de l'homme et un principe trinaire dans lequel interviennent le père, la mère et l'enfant. Dans ce principe trinaire, la mère ne peut être construite comme l'op-posé symétrique du père. L'asymétrique relève de divers ordres, mais il s'impose, ne serait-ce que parce que chacun des termes est placé face à un troisième.

Le patriarcat a combiné ces deux principes incompatibles. Il a éri-gé la toute-puissance de l'homme sur le rôle du père et a réduit la femme minorisée à la mère de laquelle il fallait prendre distance.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 15

Le néo-féminisme - qui s'est employé à faire apparaître la construction sociale des sexes 17 mais à considérer que la maternité constituait le noyau dur de l'oppression des femmes - a combiné inver-sément ces deux principes. Il a pu le faire grâce à l'avènement du droit à la non-maternité, à la possibilité pour chaque femme de dire : « un enfant, si je veux, quand je veux ». L'avènement du contrôle de sa fé-condité par la femme et sa reconnaissance par la loi constituent proba-blement une révolution anthropologique dont nous mesurons encore mal les conséquences. Ils ont bouleversé « les structures élémentaires de la parenté ».

Avec l'avènement du contrôle de sa fécondité par la femme et sa reconnaissance par la loi, la femme est désincorporée de la mère. La femme devient un individu humain qui éventuellement choisit d'« avoir » un enfant. La femme devient citoyenne quand elle a conquis le droit à la non-maternité. [430] Je définis ici la citoyenneté comme la détention de la pleine capacité civique et civile.

Le néo-féminisme est le mouvement qui donne le coup de grâce au patriarcat en ce qu'il l'exprime. Il l'achève. Il est probable que le coup mortel lui fut asséné avec la mort du roi, pour reprendre, une fois n'est pas coutume, une thèse d'Elisabeth Badinter 18. L'agonie dura donc un quasi bicentenaire. Le néo-féminisme achève le patriarcat en ce que, ayant mis à jour la construction sociale de l'homme et de la femme, il peut la contester dans l'ordre binaire des rapports sociaux de sexe ; mais cette contestation, et en cela le néo-féminisme reproduit en l'in-versant le savoir-faire patriarcal, est menée au coeur des rapports tri-naires de parenté.

Dans l'opération, le père devient le géniteur et la porteuse de l'en-fant du père une gynéparentale. On est passé du trio patriarcal père- porteuse de l'enfant du père-enfant au trio néo-féministe géniteur-gy-népa- rentale-enfant. Dans le trio patriarcal, l'accès au symbolique se payait de la réduction de la mère au biologique, réduction rendue pos-sible par la construction sociale de la femme comme dominée ; dans le trio néo-féministe, le père est réduit au biologique, réduction qui em-porte la possibilité d'accès au symbolique, aussi la mère n'apparaît-elle

17 Voir des auteures, par ailleurs si différentes, comme Hélène Cixous, Fran-çoise Collin, Françoise Héritier, Luce Irigaray, Nicole-Claude Mathieu.

18 Dans L'un est l’autre, Paris, Odile Jacob, 1985.

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M.-B. Tahon, “L'affirmation politique des femmes et le postféminisme.” (1994) 16

pas plus, mais la femme, émancipée de la construction sociale qui la fait dominée, devient parent autonome, gynéparentale.

Je ne développerai pas ici mais je voudrais pourtant suggérer qu'il serait nécessaire de s'interroger sérieusement sur la notion de patriar-cat. Je suis tentée d'avancer que la relation du néo-féminisme à la no-tion de patriarcat en est une de fascination - au sens rappelé par Le-gendre à Simonis : « la fascination est un danger, parce qu'elle opère dans un univers déritualisé, où nous perdons le sens des apparences et du vrai 19. » - mais ce n'est toutefois pas le néo-féminisme qui a inven-té la notion de patriarcat. Quel investissement y ont mis les fils de sexe masculin qui ont forgé et reforgé ce terme, y compris à l'ère des frères ? Que voile-t-il ? Cela nous écarterait du sujet immédiat mais est sans doute incontournable pour creuser le rapport entre généalogie et politique.

Revenons au sujet immédiat : l'affirmation politique de la femme et le post-néo-féminisme. Je dirais que le néo-féminisme est le mou-vement qui porte l'émancipation de la femme de la mère. Mouvement qui porte, il ne l'a pas provoquée, il ne l'a pas « faite », mais le néo-fé-minisme est le mouvement qui marque l'achèvement de la désincorpo-ration de la femme de la mère. Il a imposé la reconnaissance du contrôle de sa fécondité par la femme - « un enfant, si je veux, quand je veux » - tandis que les parlements s'empressaient de finaliser la re-connaissance de la capacité civile des femmes, [431] après la recon-naissance de leur capacité civique. Que les femmes n'aient pas suivi le même cheminement que les hommes - de la reconnaissance des droits civils à l'octroi de droits sociaux en passant par l'obtention des droits politiques - n'indique pas, me semble-t-il, que la citoyenneté des femmes est une « citoyenneté de seconde classe 20 » mais pointe préci-sément la difficulté de considérer la femme comme relevant de l'indi-vidu abstrait. Je l'ai dit, la condition pour que la femme soit absorbée dans l'individu abstrait suppose le droit à la non-maternité. Il est pos-sible que cette absorption transforme radicalement la citoyenneté ré-

19 Dans « L'image de ce qui ne peut être vu ». Anthropologie et sociétés, vol. 16, n° 1,1992, pp. 81-90.

20 Comme le prétend C. Pateman dans « The Patriarcal Welfare State », dans A. Gutmann, Democracy and the Welfare State, Princeton UP, 1988, point de vue que reprend D. Lamoureux, dans Citoyennes ?, Montréal, Remue-ménage, 1989.

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sultant de l'expulsion d'un reste interne (entre nationaux 21) qui dé-douane les femmes d'un statut problématique. Considérer qu'elles avaient celui d'ennemi intérieur est peut-être excessif, il n'est toutefois pas anodin que la correction du « retard » se soit jouée, en moins d'un quart de siècle, après la Deuxième Guerre mondiale, quand « on perd la figure de l'ennemi, on perd la guerre et peut-être, dès lors, la possi-bilité même du politique 22 ». Mais ceci obligerait à d'autres dévelop-pements.

Revenons donc à l'empressement des parlements incontestable-ment tortuesque au regard de l'histoire - près de deux siècles après les révolutions démocratiques - mais empressement pourtant accéléré en un laps de temps très court - moins de vingt ans - qui transforme une épouse soumise en une égale civile de son mari. En pleine efferves-cence néo-féministe certes, mais à qui a échappé cette revendication 23. Les parlements transforment l'autorité paternelle en autorité parentale quand les néo-féministes manifestent pour l'avortement libre et gra-tuit. Mais, cette fois, le décalage sera microscopique. En France, 1970, autorité parentale et 1975, loi Veil. Au Québec et au Canada, l'espace de temps sera un tout petit peu plus long mais accouchera d'une recon-naissance sans précédent : les femmes ont une conscience et c'est en fonction de leur conscience qu'elles décident ou non d'avorter. On n'est manifestement plus dans le registre de la boucherie mais dans celui de l'affirmation politique de la femme.

Celle-ci est, jusqu'à présent, peu gérée, par les néo-post-féministes notamment. Je ne fais toujours pas référence à la représentation poli-tique sexuée. Mais, même sur ce terrain, il deviendra de plus en plus difficile de prétendre qu'être une femme n'est pas un atout politique si

21 Ce point devrait être développé en tenant compte de l'apport de E. Balibar, « Droits de l'homme » et « droits du citoyen ». La dialectique moderne de l'égalité et de la liberté », dans Les frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992, pp. 124-150.

22 J. Derrida, « Donner la mort », p. 25, dans L'éthique du don, Jacques Derri-da et la pensée du don, Colloque de Royaumont, décembre 1990, Paris, Mé-tailié, 1992.

23 Voir M. Sineau, « Droit et démocratie », dans G. Duby, M. Perrot (dir.). Histoire des femmes, tome V, Le XXe siècle, sous la direction de F. Thébaud, Paris, Plon, pp. 471-497. Les revendications relatives à la capacité civile des femmes ont bien été défendues par des féministes mais, en dehors d'un mou-vement social.

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l'on considère la conjoncture canadienne actuelle... L'affirmation poli-tique de la femme - au sens où la femme est désincorporée de la mère - a eu un effet sociologique quasi immédiat : la diffusion de la famille gynéparentale, la famille monoparentale sous la responsabilité d'une femme seule. Que la moitié de ces familles vivent sous le seuil de la pauvreté ne dit pas totalement ni fondamentalement le prix payé. Moins par les femmes d'ailleurs que par les fils de l'un et l'autre sexe, « selon la vigoureuse formule classique » que Legendre rabâche si volontiers.

[432]D'une interrogation à mener sur le politique - l'avènement de la

citoyenne renvoie, dans l'ordre familial, à l'avènement de la gynépa-ren- tale -, on a fait une question sociale, gérée par des travailleuses sociales. Ce qui est peut-être inévitable, s'agissant d'un mouvement social. D'autant qu'à l'extérieur de ce mouvement, elle n'est pratique-ment pas abordée pour ce qu'elle est. Tout se passe comme si « la question des femmes » était condamnée à ne relever que du militan-tisme ou, à la rigueur, des tribunaux. Ce qui en dit long, me semble-t-il, sur l'état du débat démocratique, sur son espace discursif.

L'affirmation politique de la femme, qui prend place à la fin des années 1970 - début des années 1980, parce qu'elle a été considérée comme une concession, une rectification au retard mis pour lui recon-naître la qualité de citoyenne, en lui octroyant des droits en chaîne, n'a, jusqu'à présent, pas été l'occasion d'un débat sur le fondement du politique. Il ne suffit pas - même si c'est indispensable - de démon-trer 24 que les théoriciennes néo-féministes se sont enfermées dans une position sans issue en proclamant que le privé est politique, que le personnel est le politique. Encore faut-il déconstruire la gestion de la Mère qui, tant au niveau de l'État que de la société civile, ne relève pas que de la raison.

Cela dit, et pour en revenir au post-néo-féminisme et en terminer, il s'est englué dans une raison sociale qui lui permettait de se mainte-nir sur la place publique en se lançant dans une croisade sociale contre la violence domestique. Même la tragédie de Polytechnique a pu être

24 Voir J.-Y. Thériault, « De l'utilité de la distinction moderne privé/public ». Politique, 1992, n° 21, pp. 37-69.

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érigée en emblème de cette violence domestique 25. Ce qui constitue une illustration tangible de ce que l'affirmation politique de la femme n'est pas admise par les néo-féministes elles-mêmes.

La reconnaissance de la liberté d'avorter n'a pas été appréciée comme la condition de l'érection de la femme en sujet politique. Or, la reconnaissance de la liberté d'avorter touche à une face de l'Interdit. Elle brouille les repères quant à l'inceste - un enfant né a échappé à l'avortement de par la volonté de sa mère - et elle le fait en jouant avec le non-être du non-voulu. La reconnaissance de la liberté des femmes d'avorter devait toucher l'autre face de l'Interdit : le meurtre, la vio-lence. Et le Québec, qui est non seulement une société distincte mais aussi emblématique à ce chapitre, s'est offert, en moins d'une décen-nie, un Lortie, un Lépine et un Fabrikant. Ce dernier a tué parce qu'il ne pouvait pas apposer, seul, son nom, le nom de son père, au bas des articles qu'il écrivait...

Que « la violence domestique » ait remplacé dans nos journaux la rubrique des chiens écrasés illustre que nous - et dans ce nous ne sont pas seulement incluses les néo-féministes ni même les femmes - ne parvenons [433] pas à reconnaître l'affirmation politique de la femme et la part d'ombre qu'elle porte avec elle. Le droit à la sécurité est le premier droit de l'homme. Que les femmes ne puissent encore s'en prévaloir relève du questionnement du sens du politique, de l'anthro-pologie politique, et non du travail social.

NOTES

Les notes en fin de texte ont toute été converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page afin d’en faciliter la consultation. JMT.[434]

25 Par exemple, A. Saint-Jean, « L'enterrement de la parole des femmes : une analyse de l'attitude des médias », dans L. Malette et M. Chalouh (dir.), PO-LYTECHNIQUE, 6 décembre, Montréal, Remue-ménage, 1990, pp. 57-62, en particulier pp. 60 et p. 62.