20
Alain BIHR et Roland PFEFFERKORN sociologue français se revendiquant du communisme libertaire professeur des universités à l'université de Franche-Comté. (1995) “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http ://classiques.uqac.ca/

“Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain BIHR et Roland PFEFFERKORNsociologue français se revendiquant du communisme libertaire

professeur des universités à l'université de Franche-Comté.

(1995)

“Statistiques et idéologie.

Ces chiffres qui masquentles réalités sociales.”

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp   ://classiques.uqac.ca/

Page 2: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 2

http   ://classiques.uqac.ca/

Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès, fondée au Cégep de Chicoutimi en 1993 et développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC) de-puis 2000.

http   ://bibliotheque.uqac.ca/

En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

Page 3: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 3

Politique d'utilisationde la bibliothèque des Classiques

Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for-melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue.

Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle :

- être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques.

- servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...),

Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Clas-siques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif composé exclusivement de bénévoles.

Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et person-nelle et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des fins commerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est également strictement interdite.

L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisa-teurs. C'est notre mission.

Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

Page 4: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 4

Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur associé, Université du Québec à ChicoutimiCourriel : [email protected] Site web pédagogique : http   ://jmt-sociologue.uqac.ca/ à partir du texte de :

Alain BIHRet Roland Pfefferkorn

“Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.”

Un article publié dans Le Monde diplomatique, Paris, février 1995, p. 19.

L’auteur nous a accordé le 28 novembre 2018 son autorisation de diffuser en accès libre à tous ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.

Courriel : Alain Bihr : [email protected]

Polices de caractères utilisée :

Pour le texte : Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 20 avril 2020 à Chicoutimi, Québec.

Page 5: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 5

Alain BIHR et Roland Pfefferkornsociologue français se revendiquant du communisme libertaire

professeur des universités à l'université de Franche-Comté.

“Statistiques et idéologie.Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.”

Un article publié dans Le Monde diplomatique,Paris, février 1995, p. 19.

Page 6: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 6

Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.

Page 7: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 7

[19]

Alain BIHR et Roland Pfefferkorn *

sociologue français se revendiquant du communisme libertaireprofesseur des universités à l'université de Franche-Comté.

“Statistiques et idéologie.Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.”

Un article publié dans Le Monde diplomatique, Paris, février 1995, p. 19.

RésuméQue savons-nous des inégalités sociales en France ? Avant de

disparaître, sanctionné pour son indépendance, le Centre d’études des revenus et des coûts (CERC) révèle et mesure, dans son tout dernier rapport, la forte progression des revenus du capital au cours de ces dernières années de crise. Ce type d’information n’est pas fréquent : quand on cherche à réunir des éléments de connaissance dans l’énorme masse de données disponibles, on y découvre de stupéfiantes lacunes, qui ne sont pas toujours dépourvues de signi-fication politique.

Mots-clés : ▪ France ▪ Économie ▪ Inégalités

La connaissance statistique de la réalité socio-économique, et celle des inégalités sociales en particulier, comprend des zones d’ombre quelquefois surprenantes 1. Ainsi est-il impossible de connaître le taux de chômage de longue durée (plus d’un an) ou de très longue durée (plus de deux ans) par catégorie socioprofessionnelle 2. De même, les données sur les revenus des professions indépendantes, les dividendes

* Auteurs de "Déchiffrer les inégalités", Syros, Paris, 1995.1 Les exemples qui vont suivre ont été extraits de notre ouvrage Déchiffrer les

inégalités, Syros, Paris, à paraître le 14 février 1995, 592 pages, 95 F.2 Cf. Dominique Rouault-Galdo, "Sortir du chômage : un parcours à handicap",

in Economie et Statistique, n° 249, décembre 1991.

Page 8: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 8

d’actions, les intérêts des obligations, les plus-values boursières, etc., continuent à être entachées de lacunes et d’approximations de l’avis même des organismes qui les fournissent. Le Centre d’études des re-venus et des coûts (CERC) concluait, par exemple, qu’il convenait de multiplier par 1,5 à 2 le revenu fiscal des professions indépendantes pour obtenir une approximation satisfaisante de la réalité 3. Dans sa dernière analyse disponible sur les revenus fiscaux, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) parvenait en gros aux mêmes estimations 4. Aussi ne connaît-on à peu près rien des très hauts revenus 5. Autant dire que toutes les enquêtes sur les inégalités s’en trouvent faussées.

Quand ils existent, les éléments statistiques sont souvent hétéro-gènes : produits par une multitude d’organismes, ils résultent d’en-quêtes disparates, portant sur des champs d’étude différents et conduites avec des méthodologies variées. Dispersées dans l’espace institutionnel, les données ne le sont pas moins, quelquefois, dans le temps, parce que produites à l’occasion de recherches isolées qui n’ont pas connu de postérité. Ainsi la dernière enquête sur les taux réels de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) acquittée par les ménages des différentes catégories sociales (rapport de la TVA à leur revenu disponible) date-t-elle de 1984 et est-elle fondée sur des chiffres re-montant à 1975 6 !

Enfin, les éléments disponibles sont quelquefois proprement insi-gnifiants et n’apportent rien à la connaissance purement intuitive de la réalité. Destiné à masquer la vacuité des résultats, le commentaire qui les accompagne mériterait alors de figurer dans une anthologie des lapalissades. Telle cette conclusion dégagée au terme d’une exploita-tion mathématique fort complexe des résultats de l’enquête "Actifs financiers" menée par l’Insee en 1986 : "En un mot, ce sont les gens qui n’ont pas d’argent qui ont le plus souvent peur d’en manquer, ou

3 Cf. "Le revenu des non-salariés", document du CERC, n° 53, Paris, La Docu-mentation française, 1980.

4 Cf. ministère de l’économie et des finances, les Notes bleues de Bercy, n° 15, mai 1993.

5 Yves Chassard et Pierre Concialdi, les Revenus en France, La Découverte, Paris, 1989, p. 51.

6 Cf. Jacques Cohen, "La TVA, un impôt inégalitaire mal connu", Consomma-tion, n° 1, Credoc, Paris, 1984.

Page 9: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 9

du moins qui considèrent le plus qu’il est essentiel d’en avoir de cô-té 7." Truisme à rapprocher de cette remarque proprement tautologique figurant en gras dans un rapport du CERC, habituellement mieux ins-piré : "La chute du niveau de vie du ménage en situation d’instabilité professionnelle ou de chômage se traduit donc par de grandes difficul-tés financières 8."

Les riches, loin des regards indiscrets

ALORS que les recherches sur les pauvres et la pauvreté n’ont ces-sé de se multiplier, celles sur les riches et la richesse se comptent sur les doigts d’une main 9. La "haute société" demeure largement une ter-ra incognita des sciences sociales, ses membres exprimant une volonté farouche de demeurer "entre soi", à l’abri de tout regard indiscret. L’immense majorité des spécialistes des sciences sociales se sont taci-tement conformés à cette injonction, au nom d’une prétendue neutrali-té. Il est vrai que le thème est explosif, comme l’ont montré récem-ment les déboires du CERC.

Promptes à minimiser les inégalités sociales 10, les enquêtes statis-tiques ne le sont pas moins, inversement, à exagérer l’ampleur des actions correctrices. Pour définir le revenu disponible des ménages, on calcule leurs revenus primaires (professionnels et patrimoniaux) dont on soustrait les prélèvements obligatoires (impôts directs et indirects, cotisations sociales) et auxquels on ajoute les prestations sociales. Les chercheurs insistent sur la réduction des inégalités qui s’opérerait par le biais de ce mécanisme de redistribution. Pourtant, ils oublient deux éléments cruciaux. Les revenus primaires pris en considération sont nets de cotisations sociales, ce qui conduit à masquer le poids très in-égal de ces dernières ; et on ne tient pas davantage compte de la ma-nière - non moins inégale - dont les revenus disponibles se trouvent 7 Insee, Economie et Statistique, n° 202, septembre 1987, p. 77.8 "Précarité et risque d’exclusion", document du CERC n° 109, La Documenta-

tion française, Paris, 1994, pp. 57 et 64.9 Cf. notamment les travaux de Béatrix Le Witta, Ni vue ni connue. Approche

ethnographique de la culture bourgeoise, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 1988 ; et de Michel Pincon et Monique Charlot-Pincon, Dans les beaux quartiers, Le Seuil, 1989.

10 Cf. pour un exemple, Insee, Données sociales 1993, Paris, 1993, p. 385 et sq.

Page 10: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 10

amputés par les impôts indirects, notamment par la TVA. On occulte ainsi plus de 70% des prélèvements obligatoires, tout en tenant compte de l’intégralité des transferts sociaux ! Autrement dit, on ne comptabilise que 30% de ce qui est soustrait aux ménages, mais 100% de ce qui leur est alloué.

L’approche statistique, par sa nature même, est condamnée à sous-estimer les inégalités. La grille d’analyse la plus couramment utilisée est la nomenclature des catégories socioprofessionnelles de l’Insee 11. Ce découpage-montage de la réalité (notamment des classes sociales) occulte les groupes situés aux deux extrémités de la hiérarchie soit en les dispersant entre différentes catégories, soit en les fondant dans des ensembles plus vastes, avec évidemment pour effet, dans les deux cas, de réduire les disparités entre les extrêmes.

Ainsi, par exemple, la bourgeoisie n’apparaît à aucun moment 12 : elle se trouve éparpillée entre les "agriculteurs exploitants", les "chefs d’entreprise", eux-mêmes mélangés aux "artisans et commerçants", les "cadres et professions intellectuelles supérieures", sans qu’il soit toujours possible d’isoler les cadres dirigeants, ces "fonctionnaires de l’accumulation du capital", comme les nommait Karl Marx. Les ren-tiers vivant grâce à un patrimoine de rapport important se retrouvent dans la catégorie fourre-tout des "inactifs".

Comment peut-on alors percevoir les disparités de ressources ? Lorsque les "chefs d’entreprise" se trouvent amalgamés à la masse des "artisans et commerçants", le rapport entre leur patrimoine moyen et celui des ouvriers n’est que de 9,5 ; en revanche, lorsque les "indus-triels et gros commerçants" se trouvent isolés, ce même rapport s’élève à 50 13 !

Par définition, les moyennes masquent la dispersion. Or, au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie, la diversité au sein même

11 Pour une présentation d’ensemble de cette nomenclature et des problèmes que soulève sa constitution, cf. Alain Desronières et Laurent Thévenot, les Catégories socioprofessionnelles, La Découverte, 1989.

12 Cf. aussi Bernard Zarca, "Les patrons dans la statistique officielle française", Politix, n° 23, 1993 ; et Bruno Duriez et Jacques Ion, "La représentation so-ciale de l’élite dans les classifications socioprofessionnelles britanniques", Politix, n° 25, 1994, pour une comparaison avec d’autres taxinomies.

13 "Les Français et leurs revenus : le tournant des années 80", document du CERC, n° 94, La Documentation française, Paris.

Page 11: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 11

de chaque catégorie socioprofessionnelle s’accroît. Ainsi, en 1987, le bénéfice non commercial moyen déclaré d’un membre d’une profes-sion libérale exerçant à temps plein était de 300 000 francs ; mais les disparités entre les différents métiers étaient énormes : 926 400 francs en moyenne pour un avocat auprès du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, 180 000 francs pour un architecte 14. Les disparités au sein de chaque profession étaient encore plus importantes : en 1986, le rap-port entre le revenu des 10% les mieux rémunérés et celui des 10% les moins rémunérés était de 7,3 chez les notaires, de 8,8 chez les huis-siers, de 12,9 chez les avocats, et s’élevait jusqu’à 20 chez les conseils juridiques et fiscaux 15 ! Autrement dit, pour pleinement évaluer l’am-pleur des inégalités, il faudrait pouvoir disposer, ce qui est rarement le cas, d’indications précises sur les hiérarchies à l’intérieur de chaque catégorie.

La quasi-totalité des analyses statistiques souscrivent à la logique de spécialisation, qui prévaut largement dans le domaine des sciences sociales : la bonne connaissance doit se limiter à un "champ d’ana-lyse" étroitement circonscrit. D’où la tendance à occulter un aspect essentiel : l’accumulation des inégalités qui forment système, s’en-gendrent réciproquement et se renforcent. Ainsi, les handicaps, fac-teurs de disqualification, de dévalorisation et d’exclusion, se cumulent à l’une des extrémités du spectre social, tandis que les privilèges (en termes de revenu, de fortune, de pouvoir, de prestige) se concentrent à l’autre extrémité. De cette complexité, des approches parcellaires ne peuvent, par définition, rendre compte 16.

De plus, l’appareil statistique tend en effet à privilégier ce qui est immédiatement dénombrable, à s’intéresser en priorité aux éléments de nature juridique (les données de l’état civil, les titres de propriété), marchande (les revenus et les coûts), administrative (la nationalité, les diplômes) 17. Du coup se trouve délaissé ce qui n’est pas encore nor-14 Cf. Insee, Données sociales 1990, p. 155. Pour actualiser ces bénéfices décla-

rés en francs 1994, il convient de les multiplier par 1,18.15 "Les professions libérales juridiques et judiciaires : revenus et conditions

d’existence", document du CERC, n° 90, La Documentation française, Paris, 1988, p. 13.

16 Cf. cependant André Villeneuve, "Les formes multiples de la pauvreté et le rôle des difficultés de jeunesse", in Données sociales 1993, pp. 363-369.

17 Cf. François Heran, "L’assise statistique de la sociologie", Economie et Sta-tistique, n° 168, juillet-août 1984, pp. 23-35.

Page 12: “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les ...classiques.uqac.ca/.../Statistiques_et_ideologie.docx  · Web viewDe même, les données sur les revenus des professions

Alain Bihr, “Statistiques et idéologie. Ces chiffres qui masquent les réalités sociales.” (1995) 12

malisé. Comment rendre compte de la qualité d’un paysage, de la di-versité de l’espace public disponible, de la variété des parcours qu’il offre, de la fréquence plus ou moins grande des rencontres qu’il rend possibles, etc. ?

Aborder les inégalités par le biais de leur connaissance statistique revient à les soumettre à un filtre réducteur. On escamote, derrière un nombre froid, le drame social, avec ce qu’il implique de passion, de souffrance, de désespoir ou de révolte chez les uns, d’indifférence sa-tisfaite et de morgue chez les autres, de violence ouverte ou contenue entre les deux. Les chiffres, sous leur apparente scientificité, masquent souvent l’idéologie dominante, celle de la "pensée unique". Les pour-centages ignorent le vécu des inégalités, mais aussi les mille et une micro-stratégies que déploient leurs victimes, dans la vie quotidienne, pour tenter d’y faire face, d’y résister, d’y échapper.

Alain Bihr et Roland Pfefferkorn

Fin du texte