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1 Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme Sur l’ésotérisme islamique LIVRES W.B Seabrook : Aventures en Arabie (Gallimard, Paris). Ce livre, comme ceux du même auteur qui ont été déjà traduits précédemment ( L’Ile magique et Les secrets de la jungle), se distingue avantageusement des habituels « récits de voyageurs » ; sans doute est-ce parce que nous avons affaire ici à quelqu’un qui ne porte pas partout avec lui certaines idées préconçues, et qui, surtout, n’est nullement persuadé que les Occidentaux soient supérieurs à tous les autres peuples. Il y a bien parfois quelques naïvetés, de singuliers étonnements devant des choses très simples et très élémentaires ; mais cela même nous paraît être, en somme, une garantie de sincérité. – A la vérité, le titre est quelque peu trompeur car l’auteur n’a pas été en Arabie proprement dite, mais seulement dans les régions situées immédiatement au nord de celle-ci. Disons aussi, pour en finir tout de suite avec les critiques, que les mots arabes sont parfois bizarrement déformés, comme par quelqu’un qui essaierait de transcrire approximativement les sons qu’il entend sans se préoccuper d’une orthographe quelconque, et que quelques phrases citées sont traduites d’une façon plutôt fantaisiste. Enfin, nous avons pu faire une fois de plus une remarque assez curieuse : c’est que, dans les livres occidentaux destinés au « grand public », la shahâdah n’est pour ainsi dire jamais reproduite exactement ; est-ce purement accidentel, ou ne serait-on pas plutôt tenté de penser que quelque chose s’oppose à ce qu’elle puisse être prononcée par la masse des lecteurs hostiles ou simplement indifférents. – La première partie, qui est la plus longue, concerne la vie chez les Bédouins et est presque uniquement descriptive, ce qui ne veut certes pas dire qu’elle soit sans intérêt ; mais, dans les suivantes, il y a quelque chose de plus. L’une d’elles, où il est question des Derviches, contient notamment des propos d’un cheikh Mawlawi dont le sens est, sans aucun doute, fidèlement reproduit : ainsi, pour dissiper l’incompréhension que l’auteur manifeste à l’égard de certaines turuq, ce cheikh lui explique qu’« il n’y a pas pour aller à Dieu une voie unique étroite et directe, mais un nombre infini de sentiers » ; il est dommage qu’il n’ait pas eu l’occasion de lui faire comprendre aussi que le soufisme n’a rien de commun avec le panthéisme ni avec l’hétérodoxie… Par contre, c’est bien de sectes hétérodoxes, et de plus passablement énigmatiques, qu’il s’agit dans les deux autres parties : les Druses et les Yézidis ; et, sur les uns et les autres, il y a là des informations intéressantes, sans d’ailleurs aucune prétention de tout faire connaître et de tout expliquer. En ce qui concerne les Druses, un point qui reste particulièrement obscur, c’est le culte qu’ils passent pour rendre à un « veau d’or » ou à une « tête de veau » ; il y a là quelque chose qui pourrait peut être donner lieu à bien des rapprochements, dont l’auteur semble avoir seulement entrevu quelques-uns ; du moins a-t-il compris que symbolisme n’est pas idolâtrie… Quant aux Yézidis, on en aura une idée passablement différente de celle que donnait la conférence dont nous avons parlé dernièrement dans nos comptes rendus des revues (numéro de novembre) : ici, il n’est plus question de « Mazdéisme » à leur propos, et, sous ce rapport du moins, c’est sûrement plus exact ; mais l’« adoration du diable » pourrait susciter des discussions plus difficiles à trancher, et la vraie nature du Malak Tâwûs demeure encore un mystère. Ce qui est peut-être le plus digne d’intérêt, à l’insu de l’auteur qui, malgré ce qu’il a vu, se refuse à y croire, c’est ce qui concerne les « sept tours du diable », centres de projection des influences sataniques à travers le monde ; qu’une de ces tours soit située chez les Yézidis, cela ne prouve d’ailleurs point que ceux-ci soient eux-mêmes des « satanistes », mais seulement que, comme beaucoup de sectes hétérodoxes, ils peuvent être utilisés pour

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    Aperus sur lsotrisme islamique et le taosme

    Sur lsotrisme islamique

    LIVRES

    W.B Seabrook : Aventures en Arabie

    (Gallimard, Paris).

    Ce livre, comme ceux du mme auteur qui ont t dj traduits prcdemment (LIle magique et Les secrets de la jungle), se distingue avantageusement des habituels rcits de voyageurs ; sans doute est-ce parce que nous avons affaire ici quelquun qui ne porte pas partout avec lui certaines ides prconues, et qui, surtout, nest nullement persuad que les Occidentaux soient suprieurs tous les autres peuples. Il y a bien parfois quelques navets, de singuliers tonnements devant des choses trs simples et trs lmentaires ; mais cela mme nous parat tre, en somme, une garantie de sincrit. A la vrit, le titre est quelque peu trompeur car lauteur na pas t en Arabie proprement dite, mais seulement dans les rgions situes immdiatement au nord de celle-ci. Disons aussi, pour en finir tout de suite avec les critiques, que les mots arabes sont parfois bizarrement dforms, comme par quelquun qui essaierait de transcrire approximativement les sons quil entend sans se proccuper dune orthographe quelconque, et que quelques phrases cites sont traduites dune faon plutt fantaisiste. Enfin, nous avons pu faire une fois de plus une remarque assez curieuse : cest que, dans les livres occidentaux destins au grand public , la shahdah nest pour ainsi dire jamais reproduite exactement ; est-ce purement accidentel, ou ne serait-on pas plutt tent de penser que quelque chose soppose ce quelle puisse tre prononce par la masse des lecteurs hostiles ou simplement indiffrents. La premire partie, qui est la plus longue, concerne la vie chez les Bdouins et est presque uniquement descriptive, ce qui ne veut certes pas dire quelle soit sans intrt ; mais, dans les suivantes, il y a quelque chose de plus. Lune delles, o il est question des Derviches, contient notamment des propos dun cheikh Mawlawi dont le sens est, sans aucun doute, fidlement reproduit : ainsi, pour dissiper lincomprhension que lauteur manifeste lgard de certaines turuq, ce cheikh lui explique qu il ny a pas pour aller Dieu une voie unique troite et directe, mais un nombre infini de sentiers ; il est dommage quil nait pas eu loccasion de lui faire comprendre aussi que le soufisme na rien de commun avec le panthisme ni avec lhtrodoxie Par contre, cest bien de sectes htrodoxes, et de plus passablement nigmatiques, quil sagit dans les deux autres parties : les Druses et les Yzidis ; et, sur les uns et les autres, il y a l des informations intressantes, sans dailleurs aucune prtention de tout faire connatre et de tout expliquer. En ce qui concerne les Druses, un point qui reste particulirement obscur, cest le culte quils passent pour rendre un veau dor ou une tte de veau ; il y a l quelque chose qui pourrait peut tre donner lieu bien des rapprochements, dont lauteur semble avoir seulement entrevu quelques-uns ; du moins a-t-il compris que symbolisme nest pas idoltrie Quant aux Yzidis, on en aura une ide passablement diffrente de celle que donnait la confrence dont nous avons parl dernirement dans nos comptes rendus des revues (numro de novembre) : ici, il nest plus question de Mazdisme leur propos, et, sous ce rapport du moins, cest srement plus exact ; mais l adoration du diable pourrait susciter des discussions plus difficiles trancher, et la vraie nature du Malak Tws demeure encore un mystre. Ce qui est peut-tre le plus digne dintrt, linsu de lauteur qui, malgr ce quil a vu, se refuse y croire, cest ce qui concerne les sept tours du diable , centres de projection des influences sataniques travers le monde ; quune de ces tours soit situe chez les Yzidis, cela ne prouve dailleurs point que ceux-ci soient eux-mmes des satanistes , mais seulement que, comme beaucoup de sectes htrodoxes, ils peuvent tre utiliss pour

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    faciliter laction de forces quils ignorent. Il est significatif, cet gard, que les prtres rguliers yzidis sabstiennent daller accomplir des rites quelconques dans cette tour, tandis que des sortes de magiciens errants viennent souvent y passer plusieurs jours ; que reprsentent au juste ces derniers personnages ? En tout cas, il nest point ncessaire que la tour soit habite dune faon permanente, si elle nest autre chose que le support tangible et localis dun des centres de la contre-initiation , auxquels prsident les awliya es-Shaytn ; et ceux-ci, par la constitution de ces sept centres prtendent sopposer linfluence des sept Aqtb ou Ples terrestres subordonns au Ple suprme, bien que cette opposition ne puisse dailleurs tre quillusoire, le domaine spirituel tant ncessairement ferm la contre-initiation .

    E.T., 1935, p. 42-43.

    Khan Sahib Khaja Khan : The Secret of Anal Haqq

    (The Hogarth Press, Madras).

    Ce livre est la traduction dun ouvrage persan, Irshdatul Arifn, du Sheikh Ibrahim Gazuri-Elahi de Shakarkote, mais une traduction arrange en chapitres de faon runir tout ce qui se rapporte une mme question, afin den rendre la comprhension plus facile. Lauteur, en expliquant ses intentions, parle bien malencontreusement de propagande des enseignements sotriques de lIslam , comme si lsotrisme pouvait se prter une propagande quelconque ; si tel a t rellement son but, nous ne pouvons dailleurs pas dire quil ait russi cet gard, car les lecteurs qui nont aucune connaissance pralable de taawwuf auront sans doute bien de la peine dcouvrir le vritable sens sous une expression anglaise qui, trop souvent, est terriblement dfectueuse et plus quinexacte. Ce dfaut, auquel sajoute, en ce qui concerne les citations arabes, celui dune transcription qui les dfigure trangement, est fort regrettable, car, pour qui sait dj de quoi il sagit, il y a l des choses du plus grand intrt. Le point central de ces enseignements, cest la doctrine de l Identit Suprme , comme lindique dailleurs le titre, qui a seulement le tort de paratre la rattacher une formule spciale, celle dEl-Hallj, alors que rien de tel napparat dans le texte mme. Cette doctrine claire et commande en quelque sorte toutes les considrations qui se rapportent diffrents sujets, tels que les degrs de lExistence, les attributs divins, el-fan et el-baq, les mthodes et les stades du dveloppement initiatique, et bien dautres questions encore. La lecture de cet ouvrage est recommander, non point ceux qui pourrait vouloir sadresser une propagande qui serait dailleurs tout fait hors de propos, mais au contraire ceux qui possdent dj des connaissances suffisantes pour en tirer un rel profit.

    E.T., 1937, p. 266.

    Edward Jabra Jurji : Illumination in Islamic Mysticism; a translation and notes, based upon a critical edition of Abu-al Mawahib al-Shdhilis treatise entittled Qawnn Hikam al-Ishrq

    (Princeton University Press. Princeton, New Jersey).

    La dnomination de mysticisme islamique , mise la mode par Nicholson et quelques autres orientalistes, est fcheusement inexacte, comme nous lavons dj expliqu diverses reprises : en fait, cest de taawwuf quil sagit, cest--dire de quelque chose qui est de dordre essentiellement initiatique et non point mystique. Lauteur de ce livre semble dailleurs suivre trop facilement les autorits occidentales, ce qui lamne dire parfois des choses quelque peu tranges, par exemple qu il est tabli maintenant que le Soufisme a tel ou tel caractre ; on dirait vraiment quil sagit dtudier quelque doctrine ancienne et disparue depuis longtemps ; mais le Soufisme existe actuellement et, par consquent, peut toujours tre connu directement, de sorte quil ny a rien tablir son sujet. De mme, il est la fois naf et choquant de dire que des membres de la fraternit shdhilite ont t rcemment observs en Syrie ; nous aurions cru quil tait bien connu que cette tariqah, dans lune des nombreuses branches, tait plus ou moins rpandue dans tous les pays islamiques, dautant plus quelle na certes jamais song se

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    dissimuler ; mais cette malencontreuse observation pourrait lgitimement amener se demander quelle singulire sorte despionnage certains orientalistes peuvent bien se livrer ! Il y a la des nuances qui chapperont probablement aux lecteurs amricains ou europens ; mais nous aurions pens quun Syrien, qui, ft-il chrtien, est tout de mme ibn el-Arab, et d avoir un peu plus de sensibilit orientale Pour en venir dautres points plus importants quant au fond, il est regrettable de voir lauteur admettre la thorie des emprunts et du syncrtisme ; sil est difficile de dterminer les commencements du Soufisme dans lIslam , cest que, traditionnellement, il na et ne peut avoir dautre commencement que celui de lIslam lui-mme, et cest dans des questions de ce genre quil conviendrait tout particulirement de se mfier des abus de la moderne mthode historique . Dautre part, la doctrine ishrqiyah, au sens propre de ce mot, ne reprsente quun point de vue assez spcial, celui dune certaine cole qui se rattache principalement Abul-Futh es-Suhrawardi (quil ne faut pas confondre avec le fondateur de la tarqah qui porte le mme nom), cole qui ne peut tre regarde comme entirement orthodoxe, et laquelle certains dnient mme tout lien rel avec le taawwuf, mme par dviation, la considrant plutt comme simplement philosophique ; il est plutt tonnant quon prtende la faire remonter Mohyiddin in Arabi lui-mme, et il ne lest pas moins quon veuille en faire driver, si indirectement que ce soit, la tarqah shdhilite. Quand on rencontre quelque part le mot ishrq, comme dans le trait traduit ici, on nest pas autoris pour cela conclure quil sagit de la doctrine ishrqiyah, pas plus que, partout o se trouve son quivalent occidental d illumination , on nest en droit de parler d illuminisme ; plus forte raison une ide comme telle de tawhd na-t-elle pas t tire de cette doctrine particulire, car cest l une ide tout fait essentielle lIslam en gnral, mme dans son aspect exotrique (il y a une branche dtudes dsigne comme il m atmtawhd parmi les ulm ez-zher, cest--dire les sciences qui sont enseignes publiquement dans les Universits islamiques). Lintroduction tout entire nest en somme btie que sur un malentendu caus par lemploi du terme ishrq ; et le contenu mme du trait ne justifie nullement une semblable interprtation, car, en ralit, il ne sy trouve rien qui ne soit du taawwuf parfaitement orthodoxe. Heureusement, la traduction elle-mme, qui est la partie la plus importante du livre, est de beaucoup meilleure que les considrations qui la prcdent ; il est sans doute difficile, en labsence du texte, de vrifier entirement son exactitude, mais on peut cependant sen rendre compte dans une assez large mesure par lindication dun grand nombre de termes arabes, qui sont gnralement trs bien rendus. Il y a pourtant quelques mots qui appelleraient certaines rserves : ainsi, mukshafah nest pas proprement rvlation , mais plutt intuition ; plus prcisment, cest une perception dordre subtil (multafah, traduit ici dune faon assez extraordinaire par amiability), infrieure, du moins quand le mot est pris dans son sens strict, la contemplation pure (mushhadah). Nous ne pouvons comprendre la traduction de muthl, qui implique essentiellement une ide de similitude , par attendance, dautant plus qulam el muthl est habituellement le monde des archtypes ; baq est plutt permanence que subsistance ; dn ne saurait tre rendu par foi , qui en arabe est imn ; kanz el-asrr er-rabbniyah nest pas les secrets du trsor divin (qui serait asrr el-kanz el-ilh), mais le trsor des secrets dominicaux (il y a une diffrence importante dans la terminologie technique , entre ilh et rabbn). On pourrait sans doute relever encore quelques autres inexactitudes du mme genre ; mais, somme toute, tout cela est assez peu de chose dans lensemble, et, le trait traduit tant dailleurs dun intrt incontestable, le livre, lexception de son introduction, mrite en dfinitive dtre recommand tous ceux qui tudient lsotrisme islamique.

    E.T., 1940, p. 166-168.

    Emile Dermenghem : Contes Kabyles

    (Charlot, Alger).

    Ce qui fait surtout lintrt de ce recueil de contes populaires de lAfrique du Nord, notre point de vue, cest lintroduction et les notes qui les accompagnent, et o sont

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    exposes des vues gnrales sur la nature du folklore universel . Lauteur fait remarquer trs justement que le vritable intrt des littratures populaires est ailleurs que dans les filiations, les influences et les dpendances externes , quil rside surtout en ce quelles tmoignent en faveur de lunit des traditions . Il fait ressortir linsuffisance du point de vue rationaliste et volutionniste auquel sen tiennent la plupart des folkloristes et des ethnologues, avec leurs thories sur les rites saisonniers et autres choses du mme ordre ; et il rappelle, au sujet de la signification proprement symboliques des contes et du caractre vritablement transcendant de leur contenu, certaines des considrations que nous-mme et quelques-uns de nos collaborateurs avons exposes ici mme. Toutefois, il est regretter quil ait cru devoir malgr tout faire une part plus ou moins large des conceptions fort peu compatibles avec celles-l : entre les prtendus rites saisonniers et les rites initiatiques, entre la soi-disant initiation tribale des ethnologues et la vritable initiation, il faut ncessairement choisir ; mme sil est vrai et normal que lsotrisme ait son reflet et sa correspondance dans le ct exotrique des traditions, il faut en tout cas se garder de mettre sur le mme plan le principe et ses applications secondaires, et, en ce qui concerne celles-ci, il faudrait aussi, dans le cas prsent, les envisager entirement en dehors des ides antitraditionnelles de nos contemporains sur les socits primitives ; et que dire dautre part de linterprtation psychanalytique, qui, en ralit, aboutit tout simplement nier le superconscient en le confondant avec le subconscient ? Ajoutons encore que linitiation, entendue dans son vritable sens, na et ne saurait avoir absolument rien de mystique ; il est particulirement fcheux de voir cette quivoque se perptuer en dpit de toutes les explications que nous avons pu donner ce sujet Les notes et les commentaires montrent surtout les multiples similitudes qui existent entre les contes kabyles et ceux dautres pays trs divers, et il est peine besoin de dire que ces rapprochements prsentent un intrt particulier comme illustrations de luniversalit du folklore. Une dernire note traite des formules initiales et finales des contes, correspondant manifestement celles qui marquent, dune faon gnrale, le dbut et la fin de laccomplissement dun rite, et qui sont en rapport, ainsi que nous lavons expliqu ailleurs, avec la coagulation et la solution hermtiques. Quant aux contes eux-mmes, ils semblent rendus aussi fidlement que le permet une traduction, et, de plus, ils se lisent fort agrablement.

    Emile Dermenghem : Le Mythe de Psych dans le folklore nord-africain

    (Socit Historique Algrienne, Alger).

    Dans cette tude folklorique, il sagit des nombreux contes o, dans lAfrique du Nord comme dailleurs en bien dautres pays, on retrouve runis ou pars les principaux traits du mythe bien connu de Psych ; il nest pour ainsi dire pas un de ces traits qui ne suggre un sens initiatique et rituel ; il nen est pas un non plus que nous ne puissions retrouver dans le folklore universel . Il y a aussi des variantes, dont la plus remarquable est la forme inverse dans laquelle ltre mystique pous est fminin ; les contes de ce type semblent insister sur le ct actif, le ct conqute, comme sils reprsentaient laspect effort humain plutt que laspect passif ou thocentriste ; ces deux aspects sont videmment complmentaires lun de lautre. Maintenant, quApule, qui na certes pas invent le mythe, ait pu sinspirer, pour certains dtails de la version quil en donne dans son ne dOr, dune tradition orale populaire africaine , cela nest pas impossible ; mais il ne faut cependant pas oublier que des figurations se rapportant ce mythe se rencontrent dj sur des monuments grecs antrieurs de plusieurs sicles ; cette question des sources importe dailleurs dautant moins au fond que la diffusion mme du mythe indique quil faudrait remonter beaucoup plus loin pour en trouver lorigine, si toutefois lon peut parler proprement dune origine en pareil cas ; du reste, le folklore comme tel ne peut jamais tre le point de dpart de quoi que ce soit, car il nest au contraire fait que de survivances , ce qui est mme sa raison dtre. Dautre part, le fait que certains traits correspondent des usages, interdictions ou autres, qui ont effectivement exist en relation avec le mariage dans tel ou tel pays, ne prouve absolument rien contre lexistence

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    dun sens suprieur, dont nous dirions mme plutt, pour notre part, que ces usages eux-mmes ont pu tre drivs, toujours pour la raison que lexotrisme a son principe dans lsotrisme de sorte que ce sens suprieur et initiatique, bien loin dtre surajout aprs coup, est au contraire celui qui est vritablement primordial en ralit. Lexamen des rapports du mythe de Psych et des contes qui lui sont apparents avec les mystres antiques, sur lequel se termine ltude de M. Dermenghem, est particulirement digne dintrt, ainsi que lindication de certains rapprochements avec le taawwuf ; nous ajouterons seulement, ce propos, que des similitudes comme celles quon peut remarquer entre la terminologie de celui-ci et le vocabulaire platonicien ne doivent nullement tre prises pour des marques dun emprunt quelconque, car le taawwuf est proprement et essentiellement islamique, et les rapprochements de ce genre ne font rien dautre que daffirmer aussi nettement que possible l unanimit de la tradition universelle sous toutes ses formes.

    E.T., 1947, p. 90-91.

    Henry Corbin : Suhrawardi dAlep, fondateur de la doctrine illuminative (ishrqi)

    (G.-P. Maisonneuve, Paris).

    Suhrawardi dAlep, qui est consacre cette brochure, est celui quon a souvent appel Esh-Sheikh el-maqtl pour le distinguer de ses homonymes, bien que, vrai dire, on ne sache pas exactement sil fut tu en effet ou sil se laissa mourir de faim en prison. La partie proprement historique est consciencieusement faite et donne un bon aperu de sa vie et de ses uvres ; mais il y a bien des rserves faire sur certaines interprtations, ainsi que sur certaines affirmations concernant de prtendues sources des plus hypothtiques : nous retrouverons notamment ici cette ide singulire, laquelle nous avons fait allusion dans un rcent article, que toute anglologie tire forcment son origine du Mazdisme. Dautre part, lauteur na pas su faire comme il convient la distinction entre cette doctrine ishrqiyah, qui ne se rattache aucune silsilah rgulire, et le vritable taawwuf ; il est bien hasard de dire, sur la foi de quelques similitudes extrieures, que Suhraward est dans la ligne dEl-Hallaj ; et il ne faudrait assurment pas prendre la lettre la parole dun de ses admirateurs le dsignant comme le matre de linstant , car de telles expressions sont souvent employes ainsi dune faon tout hyperbolique. Sans doute, il a d tre influenc dans une certaine mesure par le taawwuf, mais, au fond, il semble bien stre inspire dides noplatoniciennes quil a revtues dune forme islamique, et cest pourquoi sa doctrine est gnralement regarde comme ne relevant vritablement que de la philosophie ; mais les orientalistes ont-ils jamais pu comprendre la diffrence profonde qui spare le taawwuf de toute philosophie ? Enfin, bien que ceci nait en somme quune importance secondaire, nous nous demandons pourquoi M. Corbin a prouv parfois le besoin dimiter, tel point quon pourrait sy mprendre, le style compliqu et passablement obscur de M. Massignon.

    E.T., 1947, p. 92.

    Marie-Louise Dubouloz-Laffin : Le Bou-Mergoud, Folklore tunisien

    (G.P. Maisonneuve, Paris).

    Ce gros volume illustr de dessins et de photographies, se rapporte plus spcialement, comme lindique son sous-titre aux croyances et coutumes populaires de Sfax et de sa rgion : il tmoigne, et ce nest pas l son moindre mrite, dun esprit beaucoup plus sympathique quil nen est le plus habituellement dans ces sortes d enqutes , qui, il faut bien le dire, ont trop souvent comme un faux air d espionnage . Cest dailleurs pourquoi les informateurs sont si difficiles trouver, et nous comprenons fort bien la rpugnance quprouvent la plupart des gens rpondre des questionnaires plus ou moins indiscrets, dautant plus quils ne peuvent naturellement deviner les raisons dune telle curiosit lgard de choses qui sont pour eux tout ordinaires. Mme Duboulaz-Laffin, tant par ses fonctions de professeur que par sa mentalit plus comprhensive, tait certainement mieux place que beaucoup dautres pour obtenir des rsultats satisfaisants,

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    et lon peut dire que, dune faon gnrale, elle a fort bien russi mener bonne fin la tche quelle stait assigne. Ce nest pas dire cependant que tout soit ici sans dfauts, et cela tait sans doute invitable dans une certaine mesure : notre avis, lun des principaux est de sembler prsenter comme ayant un caractre purement rgional bien des choses qui sont en ralit communes, soit toute lAfrique du Nord, soit mme au monde islamique tout entier. Dautre part, dans certains chapitres, ce qui concerne les lments musulmans et juifs de la population se trouve ml dune faon quelque peu confuse ; il aurait t utile, non seulement de le sparer plus nettement, mais aussi, pour ce qui est des Juifs tunisiens, de marquer une distinction entre ce qui leur appartient en propre et ce qui nest chez eux quemprunts au milieu musulman qui les entoure. Une autre chose qui nest assurment quun dtail secondaire, mais qui rend la lecture du livre un peu difficile, cest que les mots arabes y sont donns avec une orthographe vraiment extraordinaire, qui prsente manifestement une prononciation locale entendue et note dune manire trs approximative ; mme si lon jugeait propos de conserver ces formes bizarres, quoique nous nen voyions pas trs bien lintrt, il aurait du moins t bon dindiquer ct les formes correctes, en labsence desquelles certains mots sont peu prs mconnaissables. Nous ajouterons aussi quelques remarques qui se rapportent plutt la conception du folklore en gnral : on a pris lhabitude dy faire rentrer des choses fort disparates, et cela peut se justifier plus ou moins bien suivant les cas ; mais ce qui nous parat tout fait inexplicable, cest quon y range aussi des faits qui se sont rellement produits dans des circonstances connues, et sans qui ni croyances ni coutumes y soient pour rien ; nous trouvons ici mme quelques exemples de ce genre, et cest ainsi que, notamment, nous ne voyons pas du tout quel titre un cas rcent et dment constat de possession ou de maison hante peut bien relever du folklore. Une autre singularit est ltonnement que manifestent toujours les Europens devant les choses qui, dans un milieu autre que le leur, sont tout fait normales et courantes, tel point quon ny prte mme aucune attention ; on sent mme souvent que, sils nont pas eu loccasion de les constater par eux-mmes, ils ont beaucoup de peine croire ce qui leur en est dit ; de cet tat desprit aussi, nous avons remarqu et l quelques traces dans cet ouvrage, quoique moins accentues que dans dautres du mme genre. Quant au contenu mme du livre, la plus grande partie concerne dabord les jnoun (jinn) et leurs interventions diverses dans la vie des humains, puis, sujet plus ou moins connexe de celui-l, la magie et la sorcellerie, auxquelles se trouve aussi incorpore la mdecine ; peut-tre la place accorde aux choses de cet ordre est-elle un peu excessive, et il est regretter que, par contre, il ny ait peu prs rien sur les contes populaires , qui pourtant ne doivent pas manquer dans la rgion tudie aussi bien que partout ailleurs, car il nous semble que cest l, en dfinitive, ce qui fait le fond mme du vritable folklore entendu dans son sens le plus strict. La dernire partie, consacre aux marabouts , est plutt sommaire, et cest certainement la moins satisfaisante, mme au simple point de vue documentaire ; il est vrai que, pour plus dune raison, ce sujet tait probablement le plus difficile traiter ; mais du moins ny retrouvons-nous pas le fcheux prjug, trop rpandu chez les Occidentaux, qui veut quil sagisse l de quelque chose dtranger lIslam, et qui sefforce mme dy dcouvrir, ce quoi il est toujours possible darriver avec un peu dimagination rudite , des vestiges de nous ne savons trop quels cultes disparus depuis plusieurs millnaires ?

    E.T., 1949, p. 45-46.

    REVUES

    Les tudes carmlitaines (numro davril) publient la traduction dune longue tude de M. Miguel Asin Palacios sur Ibn Abbad de Ronda, sous le titre : Un prcurseur hispano-musulman de saint Jean de la Croix. Cette tude est intressante surtout par les nombreux textes qui y sont cits, et dailleurs crite avec une sympathie dont la direction de la revue a cru devoir sexcuser par une note assez trange : on prie le lecteur de prendre garde de donner au mot prcurseur un sens trop tendu ; et il parat que, si certaines choses doivent tre dites, ce nest pas tant parce quelles sont vraies que parce

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    quon pourrait faire grief lglise de ne pas les reconnatre et sen servir contre elle ! Malheureusement, tout lexpos de lauteur est affect, dun bout lautre, dun dfaut capital : cest la confusion trop frquente de lsotrisme avec le mysticisme ; il ne parle mme pas du tout dsotrisme, il le prend pour du mysticisme, purement et simplement ; et cette erreur est encore aggrave par lemploi dun langage spcifiquement ecclsiastique , qui est tout ce quil y a de plus tranger lIslam en gnral et au fisme en particulier, et qui cause une certaine impression de malaise. Lcole shdhiliyah, laquelle appartenait Ibn Abbad, est essentiellement initiatique, et, sil y a avec des mystiques comme saint Jean de la Croix certaines similitudes extrieures, dans le vocabulaire par exemple, elles nempchent pas la diffrence profonde des points de vue : ainsi, le symbolisme de la nuit na certainement pas la mme signification de part et dautre, et le rejet des pouvoirs extrieurs ne suppose pas les mmes intentions ; au point de vue initiatique, la nuit correspond un tat de non-manifestation (donc suprieur aux tats manifests, reprsents par le jour : cest en somme le mme symbolisme que dans la doctrine hindoue), et, si les pouvoirs doivent effectivement tre carts, au moins en rgle gnrale, cest parce quils constituent un obstacle la pure connaissance ; nous ne pensons pas quil en soit tout fait de mme au point de vue des mystiques. Ceci appelle une remarque dordre gnral, pour laquelle, dailleurs, il est bien entendu que M. Asin Palacios doit tre mis tout fait hors de cause, car on ne saurait le rendre responsable dune certaine utilisation de ses travaux. La publication rgulire depuis quelque temps, dans les tudes carmlitaines, darticles consacrs aux doctrines orientales et dont le caractre le plus frappant est quon sefforce dy prsenter celles-ci comme mystiques , semble bien procder des mmes intentions que la traduction du livre du P. Dandoy dont nous parlons par ailleurs ; et un simple coup dil sur la liste des collaborateurs de cette revue justifie entirement cette impression. Si lon rapproche ces faits de la campagne anti-orientale que connaissent nos lecteurs, et dans laquelle des milieux catholiques jouent galement un rle, on ne peut, au premier abord, se dfendre dun certain tonnement, car il semble quil y ait l quelque incohrence ; mais, la rflexion, on en arrive se demander si une interprtation tendancieuse comme celle dont il sagit ne constituerait pas, elle aussi, quoique dune faon dtourne, un moyen de combat contre lOrient. Il est bien craindre, en tout cas, quune apparente sympathie ne recouvre quelque arrire-pense de proslytisme et, si lon peut dire, d annexionnisme ; nous connaissons trop lesprit occidental pour navoir aucune inquitude cet gard : Timeo Danaos et dona ferentes !

    V.I., 1932, p. 480-481.

    Les Nouvelles littraires (numro du 27 mai) ont publi une interview au cours de laquelle M. Elian J. Finbert a jug bon de se livrer sur notre compte des racontars aussi fantaisistes que dplaisants. Nous avons dj dit bien souvent ce que nous pensons de ces histoires personnelles : cela na pas le moindre intrt en soi, et, au regard de la doctrine, les individualits ne comptent pas et ne doivent jamais paratre ; en outre de cette question de principe, nous estimons que quiconque nest pas un malfaiteur a le droit le plus absolu ce que le secret de son existence prive soit respect et ce que rien de ce qui sy rapporte ne soit tal devant le public sans son consentement. Au surplus, si M. Finbert se complat ce genre danecdotes, il peut facilement trouver parmi les hommes de lettres , ses confrres, bien assez de gens dont la vanit ne demande qu se satisfaire de ces sottises, pour laisser en paix ceux qui cela ne saurait convenir et qui nentendent point servir amuser qui que ce soit. Quelque rpugnance que nous prouvions parler de ces choses, il nous faut, pour ldification de ceux de nos lecteurs qui auraient eu connaissance de linterview en question, rectifier tout au moins quelques-unes des inexactitudes (pour employer un euphmisme) dont fourmille ce rcit saugrenu. Tout dabord, nous devons dire que M. Finbert, lorsque nous le rencontrmes au Caire, ne commit point la grossire impolitesse dont il se vante : il ne nous demanda pas ce que nous venions faire en gypte , et il fit bien, car nous leussions promptement remis sa place ! Ensuite, comme il nous adressait la parole en franais , nous lui rpondmes de

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    mme, et non point en arabe (et, par surcrot, tous ceux qui nous connaissent tant soit peu savent comme nous sommes capable de parler avec componction ! ; mais ce qui est vrai, nous le reconnaissons volontiers, cest que notre rponse dut tre hsitante Tout simplement parce que, connaissant la rputation dont jouit notre interlocuteur ( tort ou raison, ceci nest pas notre affaire), nous tions plutt gn la pense dtre vu en sa compagnie ; et cest prcisment pour viter le risque dune nouvelle rencontre au-dehors que nous acceptmes daller le voir la pension o il logeait. L, il nous arriva peut-tre, dans la conversation, de prononcer incidemment quelques mots arabes, ce qui navait rien de bien extraordinaire ; mais ce dont nous sommes parfaitement certain, cest quil ne fut aucunement question de confrries ( fermes ou non, mais en tout cas nullement mystiques ), car cest l un sujet que, pour de multiples raisons, nous navions pas aborder avec M. Finbert. Nous parlmes seulement, en termes trs vagues, de personnes qui possdaient certaines connaissances traditionnelles, sur quoi il nous dclara que nous lui faisions entrevoir l des choses dont il ignorait totalement lexistence (et il nous lcrivit mme encore aprs son retour en France). Il ne nous demanda dailleurs pas de le prsenter qui que ce soit, et encore bien moins de le conduire dans les confrries , de sorte que nous nemes pas le lui refuser ; il ne nous donna pas davantage lassurance quil tait initi (sic) depuis fort longtemps leurs pratiques et quil y tait considr comme un Musulman (!), et cest fort heureux pour nous, car nous naurions pu, en dpit de toutes les convenances, nous empcher dclater de rire ! A travers la suite, o il est question de mystique populaire (M. Finbert parat affectionner tout spcialement ce qualificatif), de concerts spirituels et dautres choses exprimes de faon aussi confuse quoccidentale, nous avons dml sans trop de peine o il avait pu pntrer : cela est tellement srieux quon y conduit mme les touristes ! Nous ajouterons seulement que, dans son dernier roman intitul Le Fou de Dieu (qui a servi de prtexte linterview), M. Finbert a donn la juste mesure de la connaissance quil peut avoir de lesprit de lIslam : il nest pas un seul Musulman au monde, si magzb et si ignorant quon veuille le supposer, qui puisse simaginer reconnatre le Mahdi (lequel ne doit nullement tre un nouveau Prophte ) dans la personne dun Juif Mais on pense videmment (et non sans quelque raison, hlas !) que le public sera assez mughaffal pour accepter nimporte quoi, ds lors que cela est affirm par un homme qui vint de lOrient mais qui nen connut jamais que le dcor extrieur. Si nous avions un conseil donner M. Finbert, ce serait de se consacrer crire des romans exclusivement juifs, o il serait certes beaucoup plus laise, et de ne plus soccuper de lIslam ni de lOrient non plus que de nous-mme. Shuf shughlek, y khawaga ! Autre histoire de tout aussi bon got : M. Pierre Mariel, lintime ami de feu Mariani , a fait paratre rcemment dans Le Temps une sorte de roman-feuilleton auquel il a donn un titre beaucoup trop beau pour ce dont il sagit : Lesprit souffle o il veut, et dont le but principal semble tre dexciter certaines haines occidentales ; nous ne le fliciterons pas de se prter cette jolie besogne Nous naurions pas parl de cette chose mprisable sil navait pas profit de loccasion pour se permettre notre gard une insolence toute gratuite, qui nous oblige lui rpondre ceci : 1 nous navons pas lui dire ce que nous avons pu franchir ou non, dautant plus quil ny comprendrait certainement rien, mais nous pouvons lassurer que nous ne faisons nulle part figure de postulant ; 2 sans vouloir mdire le moins du monde des Senoussis, il est permis de dire que ce nest certes pas eux que doivent sadresser ceux qui veulent recevoir des initiations suprieures ; 3 ce quil appelle, avec un plonasme assez comique, les derniers degrs de lchelle initiatique soufi (sic), et mme des degrs qui sont encore loin dtre les derniers, ne sobtiennent point par les moyens extrieurs et humains quil parat supposer, mais uniquement comme rsultat dun travail tout intrieur, et, ds lors que quelquun a t rattach la silsilah, il nest plus au pouvoir de personne de lempcher daccder tous les degrs sil en est capable ; 4 enfin, sil est une tradition o les questions de race et dorigine ninterviennent en aucune faon, cest certainement lIslam, qui, en fait, compte parmi ses adhrents des hommes appartenant aux races les plus diverses. Par ailleurs, on retrouve dans ce roman tous les clichs plus ou moins ineptes qui ont cours dans le public europen, y compris le Croissant et l tendard vert du Prophte ; mais quelle

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    connaissance des choses de lIslam pourrait-on bien attendre de quelquun qui, tout en prtendant videmment se rattacher au Catholicisme, connat assez mal celui-ci pour parler dun conclave pour la nomination de nouveaux cardinaux ? Cest mme sur cette perle (margaritas ante porcos, soit dit sans irrvrence pour ses lecteurs) que se termine son histoire, comme sil fallait voir l la marque du diable !

    V.I., 1933, p. 434-436.

    Dans Mesures (numro de juillet), M. mile Dermenghem tudie, en citant de nombreux exemples, L instant chez les mystiques et chez quelques potes ; peut-tre faut-il regretter quil nait pas distingu plus nettement, dans cet expos, trois degrs qui sont en ralit trs diffrents : dabord, le sens suprieur de l instant , dordre proprement mtaphysique et initiatique, qui est naturellement celui qui se rencontre notamment dans le Soufisme, et aussi dans le Zen japonais (dont le satori, en tant que procd technique de ralisation, est manifestement apparent certaines mthodes taostes) ; ensuite, le sens, dj amoindri ou restreint dans sa porte, quil prend chez les mystiques ; enfin, le reflet plus ou moins lointain qui peut en subsister encore chez certains potes profanes. Dautre part, nous pensons que le point essentiel, celui qui, dans le premier cas tout au moins, donne l instant sa valeur profonde, rside beaucoup moins dans sa soudainet (qui est dailleurs plus apparente que relle, ce qui se manifeste alors tant toujours, en fait, laboutissement dun travail pralable, parfois fort long, mais dont leffet tait demeur latent jusque-l) que dans son caractre dindivisibilit, car cest celui-ci qui permet sa transposition dans l intemporel , et, par suite, la transformation dun tat transitoire de ltre en une acquisition permanente et dfinitive.

    E.T., 1938, p. 423.

    Sur le Taosme

    LIVRES

    Henri Borel : Wu Wei ; traduit du hollandais par Mme Flicia Barbier

    (ditions du Nouveau Monde).

    La premire traduction franaise de ce petit livre tait puise depuis longtemps ; nous sommes heureux de signaler lapparition dune nouvelle traduction, car, sous son apparence simple et sans prtentions rudites , il est certainement une des meilleures choses qui aient t crites en Occident sur le Taosme. Le sous-titre : fantaisie inspire par la philosophie de Lao-tsz , risque peut-tre de lui faire quelque tort ; lauteur lexplique par certaines observations qui lui ont t adresses, mais dont il nous semble quil ntait point oblig de tenir compte, tant donn surtout la mdiocre estime en laquelle il tient, trs juste raison, les opinions des sinologues plus ou moins officiels . Je ne me suis attach, dit-il qu conserver, pure, lessence de la sagesse de Lao-tsz Luvre de Lao-tsz nest pas un trait de philosophie Ce que Lao-tsz nous apporte, ce ne sont ni des formes, ni des matrialisations ; ce sont des essences. Mon tude en est imprgne ; elle nen est point la traduction. Louvrage est divis en trois chapitres, o sont exposes sous la forme dentretiens avec un vieux sage, dabord lide mme du Tao , puis des applications particulires lArt et l Amour ; de cest deux derniers sujets, Lao-tseu lui-mme na jamais parl, mais ladaptation, pour tre un peu spciale peut-tre, nen est pas moins lgitime, puisque toutes choses dcoulent essentiellement du Principe universel. Dans le premier chapitre, quelques dveloppements sont inspirs ou mme partiellement traduit de Tchouang-tseu, dont le commentaire est certainement celui qui claire le mieux les formules si concises et si synthtiques de Lao-tseu. Lauteur pense avec raison quil est impossible de traduire exactement le terme Tao ; mais peut-tre ny a-t-il pas tant dinconvnients quil parat le croire le rendre par Voie qui est le sens littral, la condition de bien faire remarquer que ce nest l quune dsignation toute symbolique, et que dailleurs il ne saurait en tre autrement,

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    quelque mot que lon prenne, puisquil sagit de ce qui en ralit ne peut tre nomm. O nous approuvons entirement M. Borel, cest quand il proteste contre linterprtation que les sinologues donnent du terme Wu Wei , quils regardent comme un quivalent d inaction ou d inertie , alors que cest exactement le contraire quil faut y voir ; on pourra dailleurs se reporter ce que nous disons dautre part sur ce sujet. Nous citerons seulement ce passage, qui nous parat bien caractriser lesprit du livre : Lorsque tu sauras tre Wu Wei, Non-Agissant, au sens ordinaire et humain du terme, tu seras vraiment, et tu accompliras ton cycle vital avec la mme absence deffort que londe mouvante nos pieds. Rien ne troublera plus ta quitude. Ton sommeil sera sans rves, et ce qui entrera dans le champ de ta conscience ne te causera aucun souci. Tu verras tout en Tao, tu seras un avec tout ce qui existe, et la nature entire te sera proche comme une amie, comme ton propre moi. Acceptant sans tmouvoir les passages de la nuit au jour, de la vie trpas, port par le rythme ternel, tu entreras en Tao o rien ne change jamais, o tu retourneras aussi pur que tu en es sorti. Mais nous ne saurions trop engager lire le livre en entier ; et il se lit dailleurs fort agrablement, sans que cela te rien sa valeur de pense.

    V.I., 1932, p. 604-605.

    Bhikshu Wai-Tao and Dwight Goddard : Laotzus Tao and Wu-Wei, a new translation

    (Dwight Goddard, Santa Barbara, California ; Luzac and Co, London).

    Ce volume contient une traduction du Tao-te-King dont le principal dfaut, ce quil nous semble, est de revtir trop souvent une teinte sentimentale qui est fort loigne de lesprit du Taosme ; peut-tre est-il d pour une part aux tendances bouddhisantes de ses auteurs, du moins si lon en juge daprs leur introduction. Vient ensuite une traduction du Wu-Wei dHenry Borel, dont nous avons parl ici autrefois, par M.E. Reynolds. Enfin, le livre se termine par une esquisse historique du Taosme, par le Dr Kiang Kang-Hu, faite malheureusement dun point de vue bien extrieur : parler de philosophie et de religion , cest mconnatre compltement lessence initiatique du Taosme, soit en tant que doctrine purement mtaphysique, soit mme dans les applications diverses qui en sont drives dans lordre des sciences traditionnelles.

    V.I., 1936, p. 156.

    REVUES

    Le Lotus bleu (numro daot-septembre) publie, sous le titre : Rvlations sur le Bouddhisme japonais, une confrence de M. Steinilber-Oberlin sur les mthodes de dveloppement spirituel en usage dans la secte Zen (nom driv du sanscrit dhyna, contemplation , et non pas dziena, que nous voulons croire une simple faute dimpression) ; ces mthodes ne paraissent dailleurs point extraordinaires qui connat celles du Taosme, dont elles ont trs visiblement subi linfluence dans une large mesure. Quoi quil en soit, cela est assurment intressant ; mais pourquoi ce gros mot de rvlations qui ferait volontiers croire une trahison de quelque secret ?

    V.I., 1932.

    Le Larousse mensuel (numro de mars) contient un article sur la religion et la Pense chinoises ; ce titre mme est bien caractristique des ordinaires confusions occidentales. Cet article parat inspir pour une bonne part des travaux de M. Granet, mais non pas dans ce quils ont de meilleur, car, dans un semblable raccourci , la documentation est forcment bien rduite, et il reste surtout les interprtations contestables. Il est plutt amusant de voir traiter de croyances les connaissances traditionnelles de la plus scientifique prcision, ou encore affirmer que la sagesse chinoise reste trangre aux proccupations mtaphysiques Parce quelle nenvisage pas le dualisme cartsien de la matire et de lesprit et ne prtend pas opposer lhomme la nature ! Il est peine besoin de dire, aprs cela, que le Taosme est particulirement mal

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    compris : on simagine y trouver toute sorte de choses, except la doctrine purement mtaphysique quil est essentiellement en ralit

    E.T., 1936, p. 199.

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    tudes sur lHindouisme

    LIVRES

    Anne 1929

    Joseph Arthur de Gobineau : Les religions et les philosophies dans lAsie centrale.

    (1 vol. de la Bibliothque des Lettrs .)

    Cest une excellente ide que davoir rdit un des plus intressants ouvrages du comte de Gobineau, crivain qui est jusquici demeur trop peu connu en France ; on en parle beaucoup, certes, depuis quelque temps du moins, mais le plus souvent sans lavoir lu. Il en est tout autrement en Allemagne, o sont exploites, pour des fins politiques, ses thories sur les races, thories qui peuvent contenir une part de vrit, mais mlange beaucoup de fantaisie. Lide dun indo-germanisme ne rsiste pas lexamen, car, entre lInde et lAllemagne, il ny a absolument rien de commun, pas plus intellectuellement qu tout autre point de vue. Cependant, les ides du comte de Gobineau, mme quand elles sont fausses ou chimriques, ne sont jamais indiffrentes ; elles peuvent toujours donner matire rflexion, et cest dj beaucoup, alors que de la lecture de tant dautres auteurs on ne retire quune impression de vide.

    Ici, dailleurs, ce nest pas tant de thories quil sagit que dun expos de faits que lauteur a pu connatre assez directement pendant les sjours quil fit en Perse. Le titre pourrait induire en erreur sur le contenu de louvrage : il ny est nullement question des rgions assez varies que lon runit habituellement sous le nom dAsie centrale, mais uniquement de la Perse ; et les religions et philosophies , dont il est trait se rduisent en somme aux formes plus ou moins spciales prises par lIslam dans ce pays. La partie principale et centrale du livre est constitue par lhistoire de cette hrsie musulmane que fut le Bbisme ; et il est bon de lire cette histoire pour voir combien ce Bbisme ressemblait peu sa prtendue continuation, nous voulons dire l adaptation , sentimentale et humanitaire quon en a faite, sous le nom de Bhasme, lusage des Occidentaux, et particulirement des Anglo-Saxons. Cette partie est encadre entre deux autres, dont la premire renferme des considrations gnrales sur lIslam persan, tandis que la dernire est consacre au thtre en Perse ; lintrt de celle-ci rside surtout en ce quelle montre nettement que, l comme dans la Grce antique et comme au moyen ge europen, les origines du thtre sont essentiellement religieuses. Nous pensons mme que cette constatation pourrait tre encore gnralise, et il y aurait sans doute beaucoup dire l-dessus ; la cration dun thtre profane apparat en quelque sorte comme une dviation ou une dgnrescence ; et ny aurait-il pas quelque chose danalogue pour tous les arts ?

    Quant aux considrations gnrales du dbut, elles demanderaient tre discutes beaucoup plus longuement que nous ne pouvons songer le faire ici ; nous devons nous borner signaler quelques-uns des points les plus importants. Une vue des plus contestables est celle qui consiste expliquer les particularits de lIslam en Perse par une sorte de survivance du Mazdisme ; nous ne voyons, pour notre part, aucune trace un peu prcise dune telle influence, qui demeure purement hypothtique et mme assez peu vraisemblable. Ces particularits sexpliquent suffisamment par les diffrences ethniques et mentales qui existent entre les Persans et les Arabes, comme celles quon peut remarquer dans lAfrique du Nord sexpliquent par les caractres propres aux races berbres ; lIslam, beaucoup plus universaliste quon ne le croit communment, porte en lui-mme la possibilit de telles adaptations, sans quil y ait lieu de faire appel des infiltrations trangres. Du reste, la division des Musulmans en Sunnites et Shiites est fort loin davoir la rigueur que lui attribuent les conceptions simplistes qui ont cours en Occident ; le Shiisme a bien des degrs, et il est si loin dtre exclusivement propre la

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    Perse quon pourrait dire que, en un certain sens, tous les Musulmans sont plus ou moins shiites ; mais ceci nous entranerait de trop longs dveloppements. Pour ce qui est du Soufisme, cest--dire de lsotrisme musulman, il existe tout aussi bien chez les Arabes que chez les Persans, et, en dpit de toutes les assertions des critiques europens, il se rattache aux origines mmes de lIslam : il est dit, en effet, que le Prophte enseigna la science secrte Abou-Bekr et Ali, et cest de ceux-ci que procdent les diffrentes coles. Dune faon gnrale, les coles arabes se recommandent surtout dAbou-Bekr, et les coles persanes dAli ; et la principale diffrence est que, dans celles-ci, lsotrisme revt une forme plus mystique , au sens que ce mot a pris en Occident, tandis que, dans les premires, il demeure plus purement intellectuel et mtaphysique ; ici encore, les tendances de chacune des races suffisent rendre compte dune telle diffrence, qui, dailleurs, est beaucoup plus dans la forme que dans le fond mme de lenseignement, du moins tant que celui-ci demeure conforme lorthodoxie traditionnelle.

    Maintenant, on peut se demander jusqu quel point le comte de Gobineau tait parvenu pntrer lesprit oriental ; il fut certainement ce quon peut appeler un bon observateur, mais nous ne croyons pas tre injuste son gard en disant quil resta toujours un observateur du dehors . Ainsi, il a remarqu que les Orientaux passent facilement dune forme doctrinale une autre, adoptant celle-ci ou celle-l suivant les circonstances ; mais il na vu l que leffet dune aptitude la dissimulation . Que, dans certains cas, la prudence impose effectivement une sorte de dissimulation, ou ce qui peut passer pour tel, cela nest pas niable, et lon pourrait en trouver bien des exemples ailleurs mme quen Orient ; le langage de Dante et dautres crivains du moyen ge en fournirait en abondance ; mais il y a aussi, aux faits de ce genre, une tout autre raison, dun ordre beaucoup plus profond, et qui semble chapper compltement aux Occidentaux modernes. La vrit est que ce dtachement des formes extrieures implique toujours, au moins quelque degr, la conscience de lunit essentielle qui se dissimule sous la diversit de ces formes ; cest l bien autre chose quune hypocrisie qui, dans ces conditions, ne peut plus exister, mme o lobservateur superficiel en dcouvre lapparence, puisque passer dune forme une autre na alors gure plus dimportance que de changer de vtement selon les temps ou les lieux, ou de parler des langues diffrentes selon les interlocuteurs auxquels on a affaire. Cela, le comte de Gobineau ne la certes pas compris, et on ne saurait dailleurs lui en faire grief ; mais un livre qui soulve de telles questions, mme linsu de son auteur, ne peut pas tre un livre indiffrent, et cest la justification de ce que nous disions au dbut, quon peut toujours y trouver rflchir, ce qui est, somme toute, le plus grand profit quune lecture puisse et doive nous procurer.

    S. Radhakrishna : LHindouisme et la Vie, traduit par P. Masson-Oursel

    LOrient quon prsente aux Occidentaux na souvent que de bien lointains rapports avec le vritable Orient, et cela mme quand la prsentation est faite par des gens qui sont cependant des Orientaux de naissance, mais plus ou moins compltement occidentaliss. Tel est le cas de ce petit livre ; les opinions critiques des rudits europens, et aussi les tendances du protestantisme anglo-saxon, avec son moralisme et son exprience religieuse , tiennent assurment une bien plus grande place que lhindouisme orthodoxe dans les ides de lauteur, qui ne parat gure savoir ce quest lesprit traditionnel ; et cela nest pas pour surprendre quiconque connat le mouvement rformiste des Serviteurs de lInde auquel il est ml. Ce qui est particulirement fcheux cest que le fait quun ouvrage comme celui-l est sign dun nom hindou risque fort dinduire en erreur le public non averti et peut contribuer lui inculquer toutes sortes de fausses conceptions. La meilleure partie, ou plutt la moins mauvaise, est celle qui, vers la fin, traite de linstitution des castes ; encore les raisons profondes de celle-ci sont-elles loin de sen dgager nettement. La traduction est parfois bien dfectueuse : ainsi, p. 34, on ne dit pas en franais les tenanciers , mais les tenants dune opinion ; p. 40, le mot anglais immaterial ne devait pas se traduire par immatrielles mais par sans importance , ce qui nest pas du tout la mme chose ; p. 47, on ne joint pas un argument, on le rfute ; p. 65, les mots intransigeance et privation , sont

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    employs dune faon qui est tout fait inintelligible ; p. 93, occupationnelles est un pur barbarisme, etc.

    Franois Arouet. La fin dune parade philosophique : le Bergsonisme. Si peu solide que soit la philosophie bergsonienne, nous ne pensons pas quon puisse en venir bout par des plaisanteries douteuses, ou en lui opposant des conceptions encore plus vides et plus nbuleuses quelle-mme. Lauteur de cette brochure, qui a trouv bon de prendre pour pseudonyme le nom authentique de Voltaire, semble avoir des ides si confuses que nous navons pas pu savoir ce quil entendait par concret et par abstrait , bien que ces mots reviennent chaque instant sous sa plume. Au fond, les vraies raisons de la haine (le mot nest pas trop fort) quil a voue M. Bergson sont beaucoup plus politiques quintellectuelles, comme on sen rend compte la fin de sa diatribe : ce quil lui reproche en dfinitive, cest dtre un philosophe bourgeois et davoir jou pendant la guerre le rle d un pantin dont ltat-Major tirait les ficelles ; tout cela est bien peu intressant.

    Anne 1932

    G. Dandoy, S.J : LOntologie du Vdnta, traduit de langlais par Louis-Marcel Gauthier

    (Descle de Brouwer et Cie).

    Nous avions entendu parler du P. Dandoy, qui dirige Calcutta la revue Light of the East, comme ayant tudi les doctrines hindoues avec sympathie et en dehors des habituels prjugs des orientalistes ; aussi nous attendions-nous trouver dans son livre un expos vraiment comprhensif dun aspect du Vdnta, mais nous devons, dire que nous avons t quelque peu du. Ce nest pas quil ny ait, ct de certaines erreurs et confusions, des vues intressantes, quoique parfois exprimes avec une terminologie contestable ; mais, dans lensemble, le point de vue de lauteur est dform par une intention de controverse. Le fait mme de se limiter lontologie (et encore aurait-il fallu ne pas y faire entrer de force des choses qui en ralit dpassent ce domaine) ne peut sexpliquer que par la volont dtablir une comparaison avec la scolastique, qui effectivement ne va pas plus loin ; et, ce propos, nous devons faire une remarque : si nous avons crit, comme le traducteur le rappelle dans sa prface, que le langage scolastique est le moins inadquat de tous ceux que lOccident met notre disposition pour traduire certaines ides orientales, nous navons nullement voulu dire par l quil soit parfaitement adquat, et, en tout cas, il ne sapplique plus au-del dun certain point o sarrtent les correspondances quon peut lgitimement tablir. Le P. Dandoy discute comme sil sagissait simplement de philosophie et de thologie, et bien quil avoue assez explicitement son embarras rfuter le Vdnta, il est entendu quil doit conclure lavantage de la scolastique. Pourtant, comme il ne peut passer sous silence lexistence de la ralisation , il crit lui-mme que, puisque cest une intuition directe et indpendante, elle nest pas affecte par des limitations dessence philosophique et na pas rsoudre de difficults dordre philosophique ; cette seule phrase devrait suffire couper court toute discussion et en montrer linanit. Chose curieuse, M. Maritain, dans des commentaires placs la fin du volume, reconnat pour sa part que la plus profonde signification du Vdnta nest pas philosophique, rationnelle ou spculative ; rien nest plus vrai, mais nest-ce pas l rduire nant toute la thse de lauteur ? M. Maritain, lui, attribue au Vdnta une valeur essentiellement pragmatiste , ce qui est un mot au moins malheureux quand il sagit de lordre purement spirituel, qui na rien voir avec laction, et une signification religieuse et mystique , confusion qui nest gure moins grave que celle qui consiste en faire une philosophie : cest toujours la mme incapacit sortir des points de vue occidentaux Mais il y a encore autre chose : M. Maritain dclare que ce serait une duperie (sic) de prendre, comme nous le proposent certains des plus zls interprtes occidentaux de lhindouisme, la pense vdntine pour le pur type de la mtaphysique par excellence . Nous ne croyons pas quaucun interprte occidental ait jamais dit cela ; en revanche, nous avons dit nous-mme quelque chose de ce genre, mais en donnant au mot mtaphysique un tout autre sens

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    que M. Maritain, qui ny voit que spculation pure et, au fond, simple philosophie. Nous avons expliqu maintes fois que la mtaphysique vraie est essentiellement supra-rationnelle , et que, au sens originel qui est ici le seul dont nous tenions compte, mtaphysique est en somme synonyme de surnaturel ; mais surnaturel ne veut pas ncessairement dire mystique , nen dplaise M. Maritain. Si nous insistons l-dessus, cest que nous napercevons que trop clairement le parti que certains peuvent songer tirer de la publication dun livre comme celui-l : le P. Dandoy lui-mme semble rver de substituer dans lInde la scolastique au Vdnta, car il crit qu on ne supprime que ce que lon remplace , ce qui est un aveu assez brutal ; mais il y a peut-tre chez dautres une intention plus subtile : pourquoi narriverait-on pas accommoder le Vdnta de telle faon que le thomisme puisse labsorber comme il a absorb laristotlisme ? Le cas est entirement diffrent, car laristotlisme nest aprs tout quune philosophie, et le Vdnta est tout autre chose ; du reste, les doctrines orientales, dune faon gnrale, sont telles quelles dfient toute tentative dannexion ou dassimilation ; mais cela ne veut pas dire que certains ne puissent pas sy essayer, et lintrt subit quils manifestent pour ces doctrines nest pas de nature nous inspirer une confiance illimite. Dailleurs, voici qui ne justifie que trop ces soupons : la R. I. S. S., dans son n du 1er avril dernier, a publi un loge du livre du P. Dandoy, en prtendant expressment lopposer nos propres ouvrages ; elle ajoutait que ce livre peut tre consult en confiance parce quil est luvre dun catholique , ce qui est une singulire garantie de comptence en ce qui concerne les doctrines hindoues (faudrait-il, pour un expos de doctrine catholique, accorder la prfrence un Brhmane ?), tout en tant crit avec une impartialit laquelle les pandits hindous eux-mmes ont rendu hommage . On a en effet pris soin de faire figurer dans la prface le tmoignage dun pandit ; malheureusement, cette approbation (dont la porte relle est dailleurs bien rduite pour qui connat les usages de la politesse orientale) se rapporte, non pas au livre du P. Dandoy, mais un travail de son collgue le P. Johanns publi dans la revue Light of the East ! Navons-nous pas dans tout cela quelques bonnes raisons de nous tenir sur une rserve teinte de quelque mfiance ? Et quon ne stonne pas que nous nous tendions davantage sur ces choses que sur ce qua crit le P. Dandoy, qui personnellement ny est sans doute pour rien : le livre na pas une trs grande importance en lui-mme, il a surtout celle que veulent lui donner ses prsentateurs .

    Anne 1933

    Henri Valentino : Le voyage dun plerin chinois dans lInde des Bouddhas

    (ditions G. P. Maisonneuve, Paris).

    Cest le rcit du clbre voyage accompli par Hiuen-tsang au VIIe sicle de lre chrtienne, rcit arrang daprs les traductions de Stanislas Julien, ce qui nest pas une garantie de parfaite exactitude, et autour duquel, en outre, il semble bien quon ait mis quelque peu de littrature ; quoi quil en soit, cela se lit assez agrablement. Malheureusement, louvrage est prcd dun expos des doctrines de lInde antique sur la vie et la mort , cest--dire, en ralit, dune sorte de rsum de tout ce quil a plu aux orientalistes de raconter l-dessus ; il faut voir ces interprtations ainsi prsentes en raccourci , si lon peut dire, pour en apprcier toute lincroyable fantaisie ; mme quand on y est habitu, on ne peut se dfendre dun certain tonnement devant laccumulation de toutes les tiquettes en isme inventes par les Occidentaux pour leur propre usage, et appliques tort et travers ce quoi elles ne conviennent nullement, ou encore devant les innombrables confusions produites par lemploi de lunique mot me pour dsigner indistinctement les lments les plus disparates de ltre humain. Du reste, toute question de dtail tant mise a part, il suffit, pour apprcier lesprit dans lequel est fait cet expos, de dire que la notion mme de tradition en est totalement absente, que lhtrodoxie y est mise sur le mme pied que lorthodoxie, le tout tant trait comme un ensemble de spculations purement humaines, qui se sont formes telle ou telle poque, qui ont volu , et ainsi de suite ; entre une telle faon de voir et celle qui est conforme la

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    vrit, nul compromis nest possible, et peut-tre ce livre na-t-il pas de plus grande utilit que de le faire apparatre si clairement.

    Anne 1935

    Hari Prasad Shastri : Teachings from the Bhagawadgita : translation, introduction and comments

    (Luzac and Co., London).

    Il existe dj de nombreuses traductions de la Bhagavad-Git dans les diverses langues occidentales ; celle-ci est incomplte, son auteur ayant supprim les passages qui lui paraissent se rapporter des conditions plus particulires lInde, pour ne garder que ce quil estime avoir la valeur dun enseignement universel ; nous pensons, pour notre part, que cette mutilation est plutt regrettable. De plus, domin par une ide de simplicit excessive, il ne donne quun sens assez extrieur, qui ne laisse rien transparatre des significations plus profondes ; et ses commentaires se rduisent en somme assez peu de chose. On pourrait aussi relever des dfauts de terminologie qui ne sont pas toujours sans importance ; contentons-nous de signaler, cet gard, une confusion entre non-dualisme et monisme . Ce livre napportera certainement rien de nouveau ceux qui connaissent dj tant soit peu les doctrines hindoues ; mais peut-tre pourra-t-il du moins contribuer amener leur tude quelques-uns de ceux qui ne les connaissent pas encore.

    Hari Prasad Shastri : The Avadhut Gita : translation and introduction

    (Chez lauteur, 30, Landsdowne Crescent, London, W. II).

    Ce petit volume est beaucoup plus intressant que le prcdent, car il sagit ici dun texte peu connu ; le mot avadhut est peu prs synonyme de jvanmukta, de sorte que le titre pourrait se traduire par Chant du Dlivr , lauteur est appel Dattatreya, mais aucun autre crit ne lui est attribu, et on ne sait pas exactement o ni quand il a vcu. En labsence du texte, nous ne pouvons naturellement vrifier lexactitude de la traduction dans le dtail ; nous pouvons tout au moins relever une erreur en ce qui concerne ksha qui est en ralit l ther , et non point l espace (en sanscrit dish) ; et nous nous demandons pourquoi Brahma, dans ce livre comme dans lautre, est constamment orthographi Brhama. Mais, bien que nous ne voyions pas comment le traducteur a pu trouver une ide d amour dans ce qui est une uvre de pure Connaissance , lesprit du texte est, dune faon gnrale, visiblement bien conserv et bien rendu dans la traduction. Cest l un trs remarquable expos de doctrine adwaita, qui, ainsi quil est dit dans lintroduction, respire le plus pur esprit des Upanishads et de Shr Shankarchrya et qui rappelle notamment ltm-Bodha de celui-ci ; aussi la lecture ne saurait-elle en tre trop recommande.

    Paul Brunton : A Search in secret India

    (Rider and Co., London).

    Ce rcit dun voyage dans lInde, et de rencontres avec des personnages de caractre fort vari, est intressant et agrable lire, quoique le ton, au dbut surtout, nous rappelle peut-tre un peu trop que lauteur est un journaliste de profession. Contrairement ce qui a lieu trop souvent dans les ouvrages occidentaux de ce genre, les histoires de phnomnes ny tiennent pas une place excessive ; lauteur nous assure dailleurs que ce nest pas l ce qui lintresse spcialement, et sans doute est-ce pour cette raison quil lui a t possible dentrer en contact avec certaines choses dun autre ordre, en dpit dun esprit critique qui, pouss un tel point, semble assez difficilement conciliable avec de profondes aspirations spirituelles. Il y a l quelque chose qui est assez curieux comme exemple de ractions spcifiquement occidentales, et mme plus proprement anglo-saxonnes, en prsence de lOrient ; notamment, la difficult dadmettre lexistence et la

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    valeur dune activit non-agissante est tout fait caractristique cet gard. Ces rsistances, avec les luttes et les hsitations quelles entranent, durent jusquau jour o elles sont enfin vaincues par linfluence du mystrieux personnage quon surnomme le Maharishee ; les pages consacres ce dernier sont certainement les plus remarquables de tout le livre, que nous ne pouvons songer rsumer, mais qui vaut srement mieux, dans son ensemble, que beaucoup dautres ouvrages dallure plus prtentieuse, et qui ne peut que contribuer veiller chez ses lecteurs une sympathie pour la spiritualit orientale, et peut-tre, chez quelques-uns dentre eux, un intrt dordre plus profond.

    Hari Prasad Shastri : Book of Ram, The Bible of India by Mahtma Tulsidas rendered into English

    (Luzac and Co., London).

    Ce livre de Rma , crit en hindi au XVIe sicle de lre chrtienne, ne doit pas tre confondu avec lantique Rmyana sanscrit de Vlmiki ; bien quil soit dit avoir t inspir Tulsidas par Rma lui-mme, lappellation de Bible de lInde est assez impropre, car, videmment, elle sappliquerait beaucoup mieux au Vda. Dans ce livre, la voie de bhakti est surtout prconise, ainsi quil convient dailleurs dans un crit qui sadresse au plus grand nombre ; cependant, lenseignement en est incontestablement non-dualiste et indique nettement l Identit Suprme comme le but ultime de toute ralisation . La traduction ne comporte que des extraits, mais choisis de faon donner lessentiel au point de vue doctrinal ; les notes qui laccompagnent sont gnralement claires, bien que lon puisse y relever quelques confusions, notamment en ce qui concerne les priodes cycliques. Il est regrettable, dautre part, quon ait voulu traduire tous les termes, mme ceux qui, nayant pas dquivalent rel dans les langues occidentales, devraient tre conservs tels quels en y joignant une explication ; il en rsulte parfois dassez tranges assimilations : faut-il faire remarquer, par exemple, que la Trimrti est tout fait autre chose que la Sainte Trinit ?

    Ananda K. Coomaraswamy : The Darker Side of Dawn

    (Smithsonian Miscellaneous Collections, Washington).

    Cette brochure contient de fort intressantes remarques sur les dualits cosmogoniques, principalement en tant quelles sont reprsentes par une opposition entre lumire et tnbres et sur certaines questions connexes, entre autres le symbolisme du serpent. Notons aussi un rapprochement fort curieux entre le sujet du Mahbhrata et le conflit vdique des Dvas et des Asuras, qui pourrait voquer galement des similitudes avec ce qui se rencontre dans dautres formes traditionnelles, de mme dailleurs que ce qui concerne la couleur noire comme symbole du non-manifest. Il est seulement regretter que lauteur se soit born indiquer toutes ces considrations dune faon un peu trop succincte, en une vingtaine de pages peine, et nous ne pouvons que souhaiter quil ait loccasion dy revenir et de les dvelopper davantage dans des travaux ultrieurs.

    Ananda K. Coomaraswamy : The Rig-Veda as Land-Nma-Bk

    (Luzac and Co., London).

    Ce titre fait allusion un ancien livre islandais, littralement Livre de la prise de la terre , considr ici comme comparable au Rig-Vda sous certains rapports : il ne sagit pas simplement dune prise de possession par des conqurants, mais la thse de lauteur, qui nous semble parfaitement juste, est que, dans tous les crits traditionnels de cette sorte, ce qui est dcrit en ralit est la manifestation mme des tres lorigine et leur tablissement dans un monde dsign symboliquement comme une terre , de sorte que les allusions gographiques et historiques, sil y en a, nont elles-mmes quune valeur de symbole et danalogie, comme tout vnement peut lavoir effectivement en raison des

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    correspondances macrocosmiques et microcosmiques. Ces vues sont appuyes par lexamen de la signification dun certain nombre de termes frquents et caractristiques ce qui donne lieu des considrations fort intressantes touchant maints points doctrinaux ; nous sommes ici bien loin des interprtations grossirement matrielles des orientalistes ; ceux-ci consentiront-ils du moins y rflchir un peu ?

    Sri Ramana Maharshi : Five Hymns to Sri Arunachala

    (Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, South India).

    Lauteur de ces hymnes nest autre que le Maharishee dont parle M. Paul Brunton dans son livre, A Search in secret India, dont nous avons rendu compte ici il y a quelque temps. Arunachala est le nom dune montagne considre comme lieu sacr et symbole du Cur du Monde ; il reprsente limmanence de la Conscience Suprme dans tous les tres. Ces hymnes respirent une incontestable spiritualit ; au dbut, on pourrait croire quil sagit seulement dune voie de bhakti, mais le dernier englobe toutes les voies diverses, mais nullement exclusives, dans lunit dune synthse procdant dun point de vue vraiment universel. Dans la prface de cette traduction, M. Grant Duff oppose dheureuse faon la spiritualit orientale la philosophie occidentale ; il nest que trop vrai que les subtilits de la dialectique ne servent gure qu faire perdre du temps !

    Anne 1936

    Hari Prasad Shastri : A Path to God-Realization

    (The Shanti-Sadan Publishing Committee, London).

    Lauteur dclare que les ides formules dans ce petit livre lui sont venues en mditant les enseignements de Lao-Tseu ; on ny trouve cependant, vrai dire, rien qui soit dinspiration spcifiquement taoste, mais plutt lesquisse lmentaire dune mthode prparatoire qui pourrait sappliquer indpendamment de toute forme traditionnelle dfinie. Les prescriptions dun caractre moral et dvotionnel y tiennent une place peut-tre excessive, alors que ce qui se rapporte la connaissance, et qui devrait tre lessentiel, se rduit assez peu de chose. Il y a aussi, au point de dpart, une notion de la spiritualit qui nous parat plutt vague et insuffisante ; mais o nous ne pouvons quapprouver entirement lauteur, cest quand il dclare que les phnomnes psychiques ne doivent pas tre associs avec la vie spirituelle , rappelant que Tulsidas, dans son Rmyana, demande tre prserv de la tentation des prtendus pouvoirs , et que Shankarchrya avertit quils ne constituent quun pige auquel il est difficile dchapper.

    Ananda K. Coomaraswamy : Angel and Titan : An Essay in Vedic Ontology

    (Extrait du Journal of the American Oriental Society, vol. 55, n 4).

    Cette importante tude fait suite The Darker Side of the Dawn, dont nous avons rendu compte prcdemment ; lide principale que lauteur y dveloppe est que les Dvas ou Anges et les Asuras ou Titans , respectivement puissances de Lumire et puissances de Tnbres dans le Rig-Vda, bien quopposs dans leur action, nen sont pas moins dune mme essence, leur distinction portant en ralit sur leur orientation ou leur tat. LAsura est un Dva en puissance, le Dva est encore un Asura par sa nature originelle ; et les deux dsignations peuvent tre appliques une seule et mme entit suivant son mode dopration, comme on le voit par exemple dans le cas de Varuna. Dautre part, tandis que les Dvas sont reprsents habituellement sous des formes dhommes et doiseaux, les Asuras le sont sous celles danimaux et particulirement de serpents ; de l une srie de considrations du plus grand intrt sur les divers aspects du symbolisme du serpent, principalement au point de vue cosmogonique. Bien dautres questions sont abordes au cours de ce travail, et nous ne pouvons les numrer toutes en dtail : citons seulement la nature dAgni et ses rapports avec Indra, la signification du

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    sacrifice, celle du Soma, le symbolisme du Soleil et de ses rayons, de laraigne et de sa toile, etc. Le tout est envisag dans un esprit nettement traditionnel, comme le montreront ces quelques phrases que nous extrayons de la conclusion : Ce qui doit tre regard du dehors et logiquement comme une double opration de sommeil et dveil alterns, de potentialit et dacte, est intrieurement et rellement la pure et simple nature de lIdentit Suprme Ni lontologie vdique ni les formules par lesquelles elle est exprime ne sont dailleurs particulires au Rig-Vda, mais elles peuvent tout aussi bien tre reconnues dans toutes les formes extra-indiennes de la tradition universelle et unanime.

    Sri Ramana Maharshi : Truth Revealed (Sad-Vidy)

    (Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, South India).

    Nous avons signal, il y a quelques mois, la traduction des cinq hymnes du Maharshi ; nous avons ici celle dune uvre portant plus directement sur les principes doctrinaux, et condensant, sous la forme dune brve srie daphorismes, lenseignement essentiel concernant la Ralit Suprme , ou la Conscience Absolue qui doit tre ralise comme le Soi .

    Kavyakanta Ganapati Muni : Sri Ramana Gita

    (Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, South India).

    Cet autre petit livre contient une srie dentretiens du Maharshi avec quelques-uns de ses disciples, parmi lesquels lauteur lui-mme, sur diverses questions touchant la ralisation spirituelle et aux moyens dy parvenir ; nous signalerons spcialement les chapitres concernant hridaya-vidy, le contrle du mental , les rapports de jnna et siddha, et ltat du jvanmukta. Tout cela, qui ne saurait tre rsum, peut, comme le contenu du prcdent volume, fournir dexcellents points de dpart pour la mditation.

    Mrs Rhys Davids : The Birth of Indian Psychology and its development in Buddhism

    (Luzac and Co., London).

    Il nous parat fort douteux, mme aprs avoir lu ce livre, quil ait jamais exist quelque chose quon puisse appeler une psychologie indienne , ou, en dautres termes, que le point de vue psychologique , tel que lentendent les Occidentaux modernes, ait jamais t envisag dans lInde. Lauteur reconnat que ltude de ltre humain y a toujours t faite en procdant de lintrieur lextrieur, et non pas dans le sens inverse comme en Occident ; mais cest prcisment pour cela que la psychologie, qui se borne analyser indfiniment quelques modifications superficielles de ltre, ne pouvait y tre lobjet du moindre intrt. Cest seulement dans le Bouddhisme, et sans doute comme consquence de sa tendance nier ou tout au moins ignorer les principes transcendants, que lon rencontre des considrations qui pourraient se prter, dans une certaine mesure, tre interprtes en termes de psychologie ; mais encore ne faudrait-il pas, mme l, pousser les rapprochements trop loin. Quant vouloir trouver de la psychologie jusque dans les Upanishads, cest l faire preuve dune parfaite incomprhension, qui ne se manifeste dailleurs que trop clairement par dincroyables confusions de langage : l me , l esprit , le moi , le soi , l homme , tous ces termes sont, chaque instant, employs indistinctement et comme sils dsignaient une seule et mme chose ! Il est peine besoin de dire quon voit ici saffirmer constamment le parti pris, commun tous les orientalistes, de tout rduire une pense purement humaine, qui aurait commenc par une sorte dtat d enfance , et qui aurait ensuite volu progressivement ; entre un tel point de vue et celui de la tradition, il ny a videmment aucun terrain dentente possible La soi-disant mthode historique est dailleurs, en fait, bien loin dexclure les hypothses plus ou moins fantaisistes : cest ainsi que Mrs. Rhys Davids a imagin, sous le nom de Sakya, quelque chose quelle croit avoir t le Bouddhisme originel, et quelle pense pouvoir reconstituer en liminant purement et simplement, comme des adjonctions tardives , tout ce qui ne saccorde pas avec la conception quelle se fait des

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    dbuts de ce quelle appelle une world-religion, et, en premier lieu, tout ce qui parat prsenter un caractre monastique ; ce quun pareil procd peut prouver en ralit, cest seulement quelle-mme est affecte dun violent prjug anti-monastique ! Nous nen finirions dailleurs pas si nous voulions relever, dans ses interprtations, les traces de ses propres prfrences religieuses ou philosophiques ; mais, comme elle est bien persuade que quiconque ne les partage pas est par l mme dpourvu de tout esprit critique , cela ne servirait assurment rien Quoi quil en soit, aprs la lecture dun ouvrage de ce genre, nous sommes certainement beaucoup mieux renseigns sur ce que pense lauteur que sur ce quont vraiment pu penser ceux quil sest propos dtudier historiquement ; et cela du moins nest pas sans offrir un certain intrt psychologique !

    Hari Prasad Shastri : Meditation, its Theory and Practice

    (The Shanti-Sadan Publishing Committee, London).

    Ce petit livre contient un expos assez simple, mais nanmoins exact dans son ensemble, de ce que sont la concentration et la mditation, et de la faon dont on peut sy exercer progressivement. Lauteur fait dailleurs remarquer trs justement que la mditation nest point un but en elle-mme, mais seulement une mthode pour atteindre la Connaissance, qui, au fond, nest elle-mme pas autre chose que la ralisation du Soi . Il insiste aussi avec beaucoup de raison sur la ncessit de lenseignement traditionnel ; mais un peu plus de prcision et t souhaitable ici, car bien des lecteurs pourront croire quil suffit de se rattacher idalement une tradition, ft-ce simplement en en tudiant les enseignements dans des livres, alors quil nen est rien et quil faut que le rattachement soit direct et effectif. Dans le mme ordre dides, nous noterons encore une autre lacune : il est trs vrai que les mantras ne sont valables que sils sont prononcs dans la langue sacre de la tradition laquelle ils appartiennent, et non pas traduits en un autre langage quelconque ; mais pourquoi ne pas avertir que, en outre, ils ne peuvent avoir leur pleine efficacit que sils ont t communiqus par une transmission rgulire et selon les rites prescrits traditionnellement ? Peut-tre est-ce pour ne pas trop risquer de dcourager les Occidentaux, pour qui cette condition ne saurait tre remplie ; nous pensons cependant, quant nous, quil vaut encore mieux les prvenir de la limitation des rsultats quils peuvent normalement esprer que de les exposer prouver par la suite de plus fcheuses dceptions.

    Ananda K. Coomaraswamy : Elements of Buddhist Iconography

    (Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts).

    Cet important ouvrage contient linterprtation des principaux symboles employs par le Bouddhisme, mais qui, en fait, lui sont bien antrieurs et sont en ralit dorigine vdique, car, comme le dit trs justement lauteur, le Bouddhisme dans lInde reprsente un dveloppement htrodoxe, tout ce qui est mtaphysiquement correct dans son ontologie et son symbolisme tant driv de la tradition primordiale . Les symboles qui ont t appliqus au Bouddha sont principalement ceux de lAgni vdique, et cela non pas plus ou moins tardivement, mais, au contraire, ds lpoque o on ne le reprsentait pas encore sous la forme humaine. Ceux de ces symboles qui sont plus spcialement tudis ici (et dont les planches reproduisent une srie dexemples significatifs) sont : larbre, qui est, comme dans toutes les traditions, l Arbre de Vie ou l Arbre du Monde ; le vajra, avec son double sens de foudre et de diamant , ce dernier rpondant aux ides dindivisibilit et dimmutabilit ; le lotus, reprsentant le terrain ou le support de la manifestation ; la roue, qui, aussi bien comme roue de la Loi que comme roue cosmique , reprsente lopration des principes dans la manifestation. Lauteur insiste sur le rapport trs troit que ces divers symboles prsentent avec la conception de l Axe du Monde , et do il rsulte que les localisations gographiques elles-mmes, dans la lgende bouddhique, sont au fond purement analogiques. Il aborde en outre un grand nombre dautres points fort intressants, comme la similitude du symbole du vajra avec le

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    trishula, la signification des empreintes de pieds reprsentant les traces du principe dans le monde manifest, le pilier de feu comme symbole axial quivalant celui de larbre, le symbolisme du chariot et celui du trne, etc. Ce simple aperu suffira, pensons-nous, montrer que la porte de ce travail dpasse grandement celle dune tude sur le Bouddhisme ; la considration particulire de celui-ci, ainsi que le dit lauteur, nest proprement parler quun accident ; et cest bien du symbolisme traditionnel, dans son sens vraiment universel, quil sagit surtout en ralit. Ajoutons que ces considrations sont de nature modifier singulirement lide rationaliste que les Occidentaux se font du Bouddhisme primitif , qui peut-tre tait au contraire moins compltement htrodoxe que certains de ses drivs ultrieurs ; sil y a eu dgnrescence quelque part, ne serait-ce pas prcisment dans le sens inverse de celui que supposent les prjugs des orientalistes et leur naturelle sympathie de modernes pour tout ce qui saffirme comme antitraditionnel ?

    Jean Marqus-Rivire : Le Bouddhisme au Thibet

    (ditions Baudinire, Paris).

    La premire partie de cet ouvrage est un expos des ides fondamentales du Bouddhisme en gnral, et plus particulirement du Mahyna ; la seconde traite de la forme spciale revtue par le Bouddhisme thibtain ou Lamasme. Lauteur rectifie trs justement certaines ides errones qui ont cours en Occident, notamment au sujet du Tantrisme , et aussi en ce qui concerne les interprtations rincarnationnistes ; il nadmet pas non plus la conception qui prtend faire du Mahyna un Bouddhisme corrompu , ce qui implique, dit-il, une mconnaissance totale des doctrines de lOrient et de leur valeur propre . Son livre vaut donc certainement mieux, bien des gards, que les habituels travaux orientalistes ; et nous devons signaler, parmi les plus intressants, les chapitres consacrs la mditation, au symbolisme de la roue de la vie et la science du vide . Cependant, tout nest pas parfaitement clair, et il arrive mme quon retombe parfois sur quelques-unes des confusions courantes : le Bouddhisme nest point religieux au sens occidental de ce mot, et ce dont il sagit na certes rien voir avec le mysticisme ; cest dailleurs pourquoi il y a l une initiation et une mthode, videmment incompatibles avec tout mysticisme , et dont lauteur ne semble comprendre au fond ni le caractre ni la porte. Peut-tre cela est-il d en partie prcisment cette confusion, et en partie aussi lexagration de limportance des phnomnes et du dveloppement psychique , qui ne sont que des choses bien secondaires, encore quelles ne supposent pas uniquement une connaissance fort avance de la physiologie humaine ; mais, pourtant, ce dfaut de perspective ne suffit pas expliquer quon puisse aller jusqu parler dune conception toute mcaniste et matrialiste l o la notion mme de matire est absente, ou qualifier de purement humain ce qui, au contraire, implique essentiellement lintervention dlments supra-humains ; il y a l une ignorance de la vraie nature des influences spirituelles dont il est permis de stonner ! Mais la vrit est que les assertions que nous venons de citer se rattachent un ensemble de rflexions tendancieuses qui, chose curieuse, ne paraissent pas faire corps avec le reste de louvrage, car elles se trouvent presque invariablement comme ajoutes la fin des chapitres, et dont certaines tmoignent de proccupations apologtiques , voire mme missionnaires , dun ordre assez bas ; alors, ne pourrait-on pas lgitimement se demander si cette ignorance ne serait pas voulue dans une certaine mesure ? En tout cas, il est fort regrettable quun ouvrage qui a par ailleurs de trs rels mrites soit ainsi dfigur par lintrusion dun esprit que nous prfrons ne pas qualifier autrement que comme une des formes du proslytisme occidental, bien quun terme encore plus svre lui soit peut-tre mieux appropri

    Hari Prasad Shastri : Vedanta light, from Shri Dadaji Maharaj

    (The Shanti-Sadan Publishing Committee, London).

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    Cette brochure contient la traduction de quelques entretiens du guru de lauteur sur divers sujets se rapportant aux enseignements du Vdnta, notamment en ce qui concerne les moyens prparatoires de la ralisation spirituelle ; la forme en est simple et le contenu assez lmentaire, mais il ny a l rien qui puisse soulever de srieuses objections. Nous relverons seulement une assertion qui nous parat quelque peu contestable : comment et en quel sens peut-on attribuer Zoroastre lorigine du Karma-Yoga ?

    Ananda K. Coomaraswamy and Duggirala Gopalakrishnayya : The Mirror of Gesture, being the Abhinaya Darpana of Nandikeshwara, translated into English, with introduction and illustrations

    (E. Weyhe, New-York).

    Ce livre est la traduction dun ancien trait hindou sur lart du thtre et de la danse (lun et lautre sont dsigns, en sanscrit, par le mme mot ntya) ; il sagit ici, bien entendu, dun art strictement traditionnel, dont lorigine est rapporte Brahm lui-mme et au dbut du Trta-Yuga. Tout y a une signification prcise, et, par consquent, rien ne saurait tre abandonn la fantaisie individuelle ; les gestes (surtout les mudrs ou signes forms par la position des mains) constituent un vritable langage hiratique, quon retrouve dailleurs dans toute liconographie hindoue. Aussi ce trait doit-il, dans lintention de ses traducteurs, tre considr avant tout comme une illustration des principes gnraux dun art de la communication par gestes, et de tout art traditionnel et normal ; dailleurs, la division moderne de la vie en compartiments tanches et indpendants est une vritable aberration, et les arts traditionnels dun peuple ne sont pas une sorte dexcroissance, mais font partie intgrante de sa vie . la fin du volume se trouvent de trs belles planches reproduisant des exemples emprunts la sculpture et la peinture, ainsi que la figuration dun certain nombre dattitudes et de mudrs, qui facilite grandement lintelligence du texte.

    Anne 1937

    C. Kerneiz : Le Hatha-Yoga ou lart de vivre selon lInde mystrieuse

    (ditions Jules Tallandier, Paris).

    Ce livre est plus sens que ne le sont gnralement les publications occidentales qui prtendent traiter du mme sujet : il contient des rflexions trs justes sur linutile agitation de la vie moderne ; les exercices quil indique sont de ceux qui tout au moins ne prsentent aucun danger srieux, et, sur des questions comme celle du rgime alimentaire, il fait preuve dune modration qui contraste heureusement avec certaines outrances anglo-saxonnes Mais tout cela nest point le Hatha-Yoga ; cest, si lon veut, quelque chose qui sinspire de ses mthodes jusqu un certain point, mais pour les appliquer des fins entirement diffrentes. Le Hatha-Yoga, en effet, nest pas du tout un art de vivre ; il est un des modes de prparation au vritable Yoga, cest--dire la ralisation mtaphysique, et, sil peut produire certains effets dordre physiologique, il ne sy attache pas plus quil ne vise, comme dautres lont imagin, provoquer le dveloppement de pouvoirs psychiques ; tout cela nest qu accidents au sens le plus exact du mot. Cest dire quil ne saurait nullement tre considr comme une sorte de thrapeutique ; et, dailleurs, la meilleure preuve en est quune des conditions rigoureusement exiges de ceux qui veulent en entreprendre la pratique, cest dtre en parfait tat de sant. Nous remarquons dailleurs ici, ce propos, une mprise sur la signification mme du mot hatha : il veut bien dire force , mais dans le sens d effort et mme de violence , dans une acception comparable celle de la parole vanglique : Le Royaume des Cieux appartient aux violents ; et il contient encore bien dautres choses, car, symboliquement, ha est le Soleil et tha est la Lune, avec toutes leurs correspondances ; nous voil certes bien loin de la physiologie, de lhygine et de la thrapeutique Et cest encore une autre erreur de penser que le Hatha-Yoga, tel quil est rellement, peut sadresser ceux qui ne sont rattachs en aucune faon la tradition hindoue ; l comme en tout ce qui ne sen

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    tient pas la simple thorie, il y a une question de transmission rgulire qui joue un rle essentiel. Bien entendu, cette question na pas intervenir quand on na en vue, comme cest le cas ici, que des buts tout fait trangers la connaissance traditionnelle, mais, encore une fois, ce nest plus de Hatha-Yoga quil sagit alors, et il ne faudrait pas sillusionner ce sujet ; nous ne voulons pas y insister davantage, mais il nous a sembl que ces quelques prcisions ne seraient pas inutiles pour remettre un peu les choses au point.

    E. Techoueyres : la recherche de lUnit, essais de philosophie mdicale et scientifique.

    (Librairie J. -B. Baillire et Fils, Paris).

    Le premier essai qui donne son titre au volume, porte ce sous-titre assez significatif : Les aspirations de lme hindoue et les tendances de la science occidentale contemporaine ; il sagit donc l dune de ces tentatives de rapprochement dont nous avons dit souvent combien elles sont illusoires. Ici, dailleurs, cette tentative implique une mprise complte sur la nature des doctrines hindoues : lauteur ny voit que philosophie , que recherche et pense purement humaine, dont il croit quelles tendent aux mmes fins que la science profane ; il faut dire quil parat avoir t induit en erreur, cet gard, par ce quil appelle la pense moderne et syncrtique de lInde , cest--dire par les crits de quelques auteurs affects par les ides occidentales et qui nont gure dhindou que leur origine. Il y a l-dedans beaucoup de confusions, dont certaines sont assez tranges, comme celles qui consistent prendre le mental pour lesprit , croire que le cur reprsente le sentiment pour les Hindous comme pour les Occidentaux modernes, et, chose encore plus grave, voir dans lInde une philosophie du devenir qui communie troitement avec les ides directrices de William James et de Bergson ! Des autres essais qui sont consacrs surtout des questions de mthodologie scientifique, nous ne dirons que peu de chose : ils sont, dans leur ensemble, dinspiration trs bergsonnienne ; ce nest certes pas en confondant tout quon atteint lunit ; il faut au contraire savoir mettre chaque chose sa place, et les antagonismes eux-mmes ne sont point une erreur , pourvu quon en limite la porte au domaine o ils sappliquent rellement ; mais, comment pourrait-on comprendre lunit vritable quand on ne conoit rien au-del du devenir ?

    Paul Brunton :