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Lydia JAEGER, “Dieu comme seule source de la connaissance — l’apologétique de Cornelius Van Til”, Théologie Évangélique I, 2002, p. 27-46. DIEU COMME SEULE SOURCE DE LA CONNAISSANCE — L’APOLOGETIQUE DE CORNELIUS VAN TIL La foi au début de l’apologétique « Quand on vous demande pourquoi vous espérez, soyez toujours prêts à donner des explications » (1 Pi 3.15) : dès les premiers temps de l’Église, l’apologétique, c’est-à-dire la défense raisonnée de la foi face aux arguments du non croyant a constitué une partie intégrante de l’annonce de l’Évangile. Elle est indispensable si la foi doit se distinguer de la crédulité ; sans elle, la conversion relèverait d’un choix arbitraire, et le croyant ne pourrait pas aimer Dieu « de toute sa pensée » (Luc 10.27). Mais avant qu’on avance tel ou tel argument en faveur de la foi chrétienne, il faut poser la question de la méthode : Quels types d’argument utiliser ? Quelle est la bonne démarche pour « prouver » la vérité du christianisme ? Et en particulier : Quelle place accorder à la foi en Dieu dans la démarche apologétique elle-même ? L’oeuvre du théologien néo-calviniste 1 Cornelius Van Til s’inscrit dans la réflexion aux fondements de l’apologétique. Né en 1895 dans une famille d’agriculteurs aux Pays-Bas, il émigra avec ses parents à l’âge de 10 ans aux États-Unis. Il reçut sa formation à la Calvin Preparatory School, au Calvin College et Calvin Theological Seminary (Grand Rapids) et au Princeton Theological Seminary, toutes à l’époque institutions calvinistes orthodoxes. En plus de ses études de théologie, il acheva une thèse de doctorat en philosophie à la Princeton University en 1927. Après une année dans le pastorat, Van Til retourna en 1928 au Princeton Seminary, pour y enseigner l’apologétique. Quand le séminaire prit des positions libéralisantes, Van Til accepta l’invitation d’enseigner l’apologétique dans l’institution dissidente nouvellement fondée, le Westminster Theological Seminary, à partir de 1929. Il y resta jusqu’à sa retraite en 1972 2 . La conviction fondamentale de l’apologète néo-calviniste est aussi surprenante que révolutionnaire : en opposition consciente à la méthode traditionnelle (qu’elle soit thomiste ou 1 Le terme néo-calviniste désigne un mouvement de pensée né au XIX e siècle aux Pays-Bas. Tout en s’inscrivant dans l’orthodoxie réformée, il met l’accent sur quelques thèmes spécifiques : la foi précédant toute démarche théorique et pratique, excluant ainsi toute neutralité en matière de connaissance ; la pluralité, à l’intérieur de la création, de sphères autonomes les unes par rapport aux autres ; la grâce commune qui permet à l’homme même non-régénéré des exploits scientifiques et artistiques. Van Til lui-même considérait que son apologétique n’était que la conséquence logique du calvinisme traditionnel (Sylvain ROMEROWSKI, communication orale, 2002). On peut alors se demander s’il aurait été heureux de l’appelation néo-calviniste. L’affinité de sa pensée avec le mouvement de pensée dont Guillaume Groen van Prinsterer (1801 - 1876) fut le précurseur est pourtant indéniable, et Van Til se réfère souvent, entre autres, à ses deux figures de proue qu’étaient Abraham Kuyper (1837 - 1920) et Herman Dooyeweerd (1894 - 1977). 2 Les renseignements biographiques proviennent de John FRAME, « Cornelius Van Til », Handbook of evangelical theologians, sous dir. Walter A. ELWELL, Grand Rapids : Baker, 1993, p. 156-159.

Apologétique de Cornelius Van Til

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Apologétique de Cornelius Van Til

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Lydia JAEGER, Dieu comme seule source de la connaissance lapologtique de Cornelius Van Til, Thologie vanglique I, 2002, p. 27-46. DIEU COMME SEULE SOURCE DE LA CONNAISSANCE LAPOLOGETIQUE DE CORNELIUS VAN TIL La foi au dbut de lapologtique Quand on vous demande pourquoi vous esprez, soyez toujours prts donner des explications (1 Pi 3.15) :dslespremierstempsdelglise,lapologtique,cest--direla dfenseraisonnedelafoifaceauxargumentsdunoncroyantaconstituunepartie intgrante de lannonce de lvangile. Elle est indispensable si la foi doit se distinguer de la crdulit ;sanselle,laconversionrelveraitdunchoixarbitraire,etlecroyantnepourrait pasaimerDieu detoutesapense (Luc10.27).Maisavantquonavanceteloutel argument en faveur de la foi chrtienne, il faut poser la question de la mthode : Quels types dargumentutiliser ?Quelleestlabonnedmarchepour prouver lavritdu christianisme ?Etenparticulier :QuelleplaceaccorderlafoienDieudansladmarche apologtique elle-mme ? Luvreduthologienno-calviniste1Cornelius VanTilsinscritdanslarflexionaux fondementsdelapologtique.Nen1895dansunefamilledagriculteursauxPays-Bas,il migra avec ses parents lge de 10 ans aux tats-Unis. Il reut sa formation la Calvin Preparatory School, au Calvin College et Calvin Theological Seminary (Grand Rapids) et au PrincetonTheologicalSeminary,touteslpoqueinstitutionscalvinistesorthodoxes.En plusdesestudesdethologie,ilachevaunethsededoctoratenphilosophiela PrincetonUniversityen1927.Aprsuneanne danslepastorat,Van Tilretournaen1928 auPrincetonSeminary,pouryenseignerlapologtique.Quandlesminairepritdes positionslibralisantes,VanTilacceptalinvitationdenseignerlapologtiquedans linstitution dissidente nouvellement fonde, le Westminster Theological Seminary, partir de 1929. Il y resta jusqu sa retraite en 19722. Laconvictionfondamentaledelapologteno-calvinisteestaussisurprenanteque rvolutionnaire : en opposition consciente la mthode traditionnelle (quelle soit thomiste ou 1Letermeno-calvinistedsigneunmouvementdepensenauXIXesicleauxPays-Bas.Toutensinscrivantdans lorthodoxie rforme, il met laccent sur quelques thmes spcifiques : la foi prcdant toute dmarche thorique et pratique, excluant ainsi toute neutralit en matire de connaissance ; la pluralit, lintrieur de la cration, de sphres autonomes les unesparrapportauxautres ;lagrcecommunequipermetlhommemmenon-rgnrdesexploitsscientifiqueset artistiques. Van Til lui-mme considrait que son apologtique ntait que la consquence logique du calvinisme traditionnel (SylvainROMEROWSKI,communicationorale,2002).Onpeutalorssedemandersilauraittheureuxdelappelation no-calviniste. Laffinit de sa pense avec le mouvement de pense dont Guillaume Groen van Prinsterer (1801 - 1876) fut leprcurseurestpourtantindniable,etVanTilserfresouvent,entreautres,sesdeuxfiguresdeprouequtaient Abraham Kuyper (1837 - 1920) et Herman Dooyeweerd (1894 - 1977). 2LesrenseignementsbiographiquesproviennentdeJohnFRAME, CorneliusVanTil ,Handbookofevangelical theologians, sous dir. Walter A. ELWELL, Grand Rapids : Baker, 1993, p. 156-159. 2 empiriste),ilaffirmequelafoinedoitpasseulementsesituerlaboutissementde lapologtique, mais galement et fondamentalement son dbut. La crainte du Seigneur estlecommencementdelasagesse (Prov 1.7) :Dieutantlasourcedetoute connaissance,toutraisonnementprsupposesonexistence.Lecroyantnedoit,nepeut alorsseplacersurunterrain neutre aveclincroyantpourexplorerlesdonnesqui parlent en faveur de la foi. Lapologtique consiste plutt dnoncer la folie de lincrdulit (Ps 14.1),montrerqueledoute,voirelerefusdecroirenaaucunsenssilsne prsupposentpas,malgreux,implicitementlexistencedeDieu3.Aulieudevouloirfaire abstraction de la foi pour rejoindre le non croyant dans ses questions (comme le prconise la mthode traditionnelle), le chrtien doit dune manire consciente partir de sa foi ; car sans elleaucuneconnaissancenestpossible.Lenisicredideritis,nonintelligitis4deSaint Augustinetlecredoutintelligam5deSaintAnselmetrouventleurexpressionradicaleet contemporaine dans lapologtique vantilienne. Le Dieu auto-suffisant de la Bible La rupture avec la mthode traditionnelle se fonde, pour Van Til, sur une recherche de cohrence :ladmarchequechoisitlapologtenedoitpascontredirelecontenudelafoi quilcherchedfendre.CestaunomduDieuCrateurqueVanTilrcuselidedun terrain neutre :aucuneparcelledelaralitnepeutsepenserindpendammentdu Seigneur qui est lorigine de tout ce qui existe. Si Dieu est Celui que lcriture nous prsente auto-suffisant, transcendant et la source de toute ralit , un exercice autonome de la raison,telquelerecherchelapologtiqueclassique,relveduneprtentionsuicidaire. Aucunfaitbrutnexiste,comprhensibleindpendammentdeDieu6 ;carseulela dpendance par rapport au Crateur confre la crature son existence et son sens : SiDieuestautosuffisant,ilestseulauto-explicatif.Etsilestseulauto-explicatif,ildoittrelultimerfrenceentoutjugementhumaindattribution.Il estcomparableausoleildonttouslesluminairesterrestrestirentlepouvoir dclairer. Vous ne vous servez pas dune bougie la recherche du soleil. Lide delabougiedrivedusoleil.Lidemmedetoutfaitdanslunivers,cestquil est driv. Dieu la cre. Il ne peut pas advenir par lui-mme, ou par hasard. Dieu lui-mme est la source de toute possibilit, et, par consquent, de toute factualit spatio-temporelle7. VouloirtablirlexistencedeDieuetlavritdelafoichrtiennepartirde faits connus en dehors de lafoi quivaut chercher teindre le soleil et sinterroger devant la 3 Cornelius VAN TIL, A Christian theory of knowledge, Nutley (N.J.) : Presbyterian and Reformed, 1969, p. 13, 308 (cit ci-aprs comme CTK). 4 Si vous ne croyez pas dabord, vous ne pourrez pas comprendre (traduction ds 7.9 dans la Vetus Latina). 5 Je crois pour comprendre. 6 Il ny a pas de faits bruts, [] tous les faits appartiennent la rvlation du vrai Dieu (Cornelius VAN TIL, Common grace and the gospel, Nutley (N.J.) : Presbyterian and Reformed, 1974, p. 70 ; cit ci-aprs CGG). 7 CTK, p. 12. 3 lumire dune bougie sile soleil existe8.Mettre la foi seulement la fin et non au dbut de toute dmarche apologtique revient ainsi une ngation implicite du monothisme ; Dieu et le monde se situeraient alors dans un environment commun qui rendrait compte de lun et de lautre, et la Parole du Seigneur ne serait plus lautorit suprme :SiDieu[]nestpluslultimerfrencedanslejugementhumaindattribution []Dieuetlhommedeviennentpartenairesdansleffortpourexpliquerun environnementcommun.[]LhommepeutalorsrecourirDieucommeun expertquiauneplusgrandeexpriencequelui-mme,maisilnapasbesoin damener toute pense captive lobissance au Christ9. Enparticulier,lanotiondepossibilitsefondeenDieului-mme ;cestunnon-sensde demandersilestpossible,ncessaireouprobablequeDieuexistevuteloutelfait ;car aucuncalculdeprobabilitnesauraitsesituerau-dessusdeDieu,sourcedetoute modalit10.Lamthodeapologtiquetraditionnelleestdoncaumieuxincohrente,aupire auto-destructrice :siellerussissaitlaborerunepreuvedelafoi,elleauraitdefait dmentilarvlationbiblique.CarleDieuauquelelleaboutiraitneseraitjamaisleDieu transcendant de la Bible, mais un dieu fini11. Cest ainsi que Van Til rcuse la question mme de la vrit de la foi. Lhomme ne peut pas mener une enqute ouverte sur lexistence et le caractre de Dieu. De telles questions sont dnues de sens : dans la mesure o tout reoit son tre de Dieu, lhomme sinterroge dans le vide sil senquiert sur quelque chose en faisant abstraction du Crateur. Pire encore, elles constituent une rbellion contre Celui dont la crature tient tout : Un enfant qui demande si ses parents, avec qui il vit depuis quil est n, sont ses parents nest pas neutre lgard de ses parents. Il les insulte. Cest seulement comme transgresseur de lalliance que lhomme se demande si le Dieu trinitaire de la Bible existe12. Lhommeseleurresilpensepouvoirexaminerlavritdelafoichrtiennedemanire neutre.Ilnyapasdezonegriseentresoumissionetrbellionconsciente.Mmeceluiqui pense sincrement chercher Dieu tmoigne, par sa recherche mme, de son loignement du Crateur, et manifeste ainsi son tat dhomme pcheur. Lunit de la foi chrtienne lexemple du Rformateur genevois Jean Calvin, la conviction de la souverainet de DieumarqueprofondmentlapensedeVanTil.Ellesesitueaucurdesonprojet 8 CTK, p. 348. 9 CTK, p. 12 ; cf. p. 297. 10 CTK, p. 251. Quand on commence parler du possible, on commence parler de Dieu. Ou bien Dieu est lasource du possible, ou bien il est issu lui-mme de la pure possibilit (In defense of biblical Christianity, vol. II, A survey of Christian epistemology, Den Dulk Christian Foundation, 1969, p. 107; cit ci-aprs SCE,). Van Til en dduit que le champ du possible est limit ce qui saccorde avec la volont et la nature de Dieu (SCE p. 189) ; cf. The defense of the faith, Philipsburg (N.J.) :PresbyterianandReformed,19673,p. 235 ;citci-aprsDF.Calvinendistingueuneautreformedepossibilit daprslanaturedeschosescres(Institutiondelareligionchrtienne,dJeanCadieretPierreMarcel,1955,vol. I, ch. XVI, par. 9, p. 158). 11 CGG, p. 8 ; CTK, p. 301. 12 CTK, p. 263. Cf. SCE, p. 196: Un enfant chez lui ne demande pas sil a un pre. . 4 apologtique. Et il est important de comprendre que, pour lui, il sagit du Dieu qui sest rvl danslaBible,etnondu Dieudesphilosophes ,rsultatdespculationsabstraites : NotrerecherchenecommencepassansDieupourtrouverleconceptphilosophique suprmequinousserviradeclpourinterprterlaralit,etqualorsnouslappellerons divin13. ; nous recevons au contraire notre concept de Dieu de lcriture.Ce concept scripturaire forme une unit qui ne souffre pas de sparation en plusieurs morceaux.LapologtedeWestminstermetengardecontreunepensethoriquequi chercheraitsparerle que du quoi :affirmerlexistenceoulavritdequelque choseestvidedesenssijenepeuxpasprciserdequoiilsagit14.Ainsiilrefuseune apologtiqueendeuxtapes :prouverdabordlavritduthismeetseulementensuite enqutersurlechristianisme.LeDieuquelarflexiondoitprsupposeretauquelelledoit aboutir est toujours le Dieu trinitaire, Crateur et Rdempteur15. LecaractretrinitaireduDieubibliqueintervientenparticulierdansletraitement vantilien du problme pistmologique de lUn et du Multiple : toute rflexion consquente se trouve devant le dfi dunifier la multiplicit de lexprience humaine. Quels sont les principes unificateurs qui permettent de reconnatre ce qui est constant dans le flux des sensations ? Platonavaitcherchrpondrecettequestionauxfondementsdelathoriedela connaissance,enfaisantappelaumondedesIdesserefltantimparfaitementdansle monde sensible. Pourtant, cette construction napporte pas de solution au problme de lUn etduMultiple ;illaissedanslombrelelienquirelielesIdesauxobjetsmatrielsetest victime de largument dit du troisime homme16. Dans la mesure o, dans la Trinit, lUn et le Multiple sunissent harmonieusement, le christianisme offre la (seule) rponse au dilemme qui avait hant la pense spculative ds sa naissance dans la Grce antique. Van Til rsume la solution quapporte la Trinit dans le slogan : Dieu est notre universel concret , c'est--dire danslaTrinitontologiquelharmonieestcomplteentrelUnetleMultiple, galementultimes.LespersonnesdelaTrinitsepossdenttotalementlune lautre et la nature divine. En tant quultimes, lUn et le Multiple sont absolument gaux : voil ce que nous ne pouvons jamais trop souligner17. 13 CGG, p. 8. 14 CTK, p. 31, 269 ; SCE, p. 118. 15 SCE, p. 222. 16 Si on explique le trait commun entre tous les objets grands en faisant appel lIde de grandeur, la logique de la position amne postuler une troisime entit au-del des objets grands et de lIde de grandeur, pour expliquer la ressemblance entre cettedernireetlesobjetssensibleslarefltant.Ainsileralismelgarddesuniversauxengagelepenseurdansune rgressioninfinie.AristotebranditcetargumentcontresonmatrePlatonchezquiillavaitenfaitappris.Lasolutionque propose Aristote (les universauxexistent seulement dans les objets particuliers) nvite pourtant pas lemme cueil : si les universauxontuneconsistancesuffisantepourassurerlelienentrediversparticuliers,lombredutroisimehommesurgit invitablement.Nerestequelenominalismecommeoptionrivale ;celui-civitecerteslargressioninfinie,maisdefait noffreplusdexplicationlaressemblancequemanifestent,dansnotreexprience,diversparticuliers.Cf.SCE,p. 43 : Toute penseantithiste doit faire face largument du troisime homme. 17 CGG, p. 8. La mme expression se trouve par ex. dans SCE, p. 54. Cf. SCE, p. 47 : La Trinit est, pour Augustin et pour tous les chrtiens orthodoxes, une conception sans laquelle la connaissance serait impossible lhomme. [] Ds laube de la pense rflchie, lhomme sest efforc de trouver lunit dans le multiple. [] [S]i lon commence [] par considrer la pluralitcommeultime,onnarriverajamaisuneunitgalementfondamentale.Delautrect,siloncommenceen supposantcommeultimeuneunitabstraite,impersonnelle,onnepeutpasrendrecomptedufaitdelapluralit.Aucun systme nchappe ce dilemme [] De nombreux systmes ont supprim lun des termes du dilemme,mais ils nont pas 5 IlfautavoirprouvletiraillemententrelemondestatiquedeParmnideetleflux perptuel dHraclite, pour savourer le repos que le concept de la Trinit apporte la pense philosophique18.Nanmoins,lasatisfactiondavoirtrouvlasolutionnedoitpasamener renverserlordredesaffirmations :cenestpaslebesoindetrouverunesolutionau problme de lUn et du Multiple qui sert de base la confession de la Trinit et qui prouverait cettedoctrine.Nouslarecevonsdescrituressaintesetlaffirmonsennoussoumettant leurautorit.Cestseulementaposterioriquenousnousrjouissonsdesonrlepivoten thorie de la connaissance :Accepterfranchementnotrepositionsurlautoritcequideprimeabord, causedenotretendanceinvtrepenserdefaonnon-chrtienne,parat impliquer le rejet immdiat et total de toute philosophie accepter franchement lautoritest,philosophiquement,notresalut.Psychologiquement,lacceptation prcdelargumentphilosophique ;maisquand,instruitsetmrisquantaux thoriesdelaconnaissance,nousexaminonsnotrepropreposition,nous dcouvrons que, sans le prsuppos dun Dieu tel que nous lavons accept en vertudelautorit,leMoment[c'est--direlemondedelexpriencehumaine] naura aucun sens. Le Dieu que les philosophes de tous les ges ont cherch, le Dieu en qui lUn et le Multiple sont galement ultimes, le Dieu inconnu , nous estconnupargrce.Aulongdessiclescequonacherch,lide-clpour interprter, nous lavons reu par grce19. LaforteconvictiondelunitdumessagechrtienamneVanTilgalement considrerlaffirmationdelinerrancebibliquecommepartieintgrantedetoutedfensede la foi : Que nous commencions par la notion dun Dieuabsolu ou par celle dune Bible absolue,celanefaitpasgrandediffrence.Ilyadrivation.Lesdeuxsont impliquesensembledanslavisionchrtiennedelavie.Oubien,par consquent,nousdfendonsletout,ounousnedfendonsrien.[]LaBible doit tre vraie parce quelle seule parle dun Dieu asolu. Et il est galement vrai que nous croyons en un Dieu absolu parce que la Bible nous en parle20. obtenu par l dautre soulagement que celui de lautruche cachant sa tte dans le sable. Cf. SCE, p. 66, o Van Til souligne la solidarit de la doctrine de la Trinit avec celle de la cration ex nihilo et montre comment elles mettent fin au danger la foisduraisonnementpurementempiriqueetduraisonnementpurementabstraitsurlabasedumondedesIdes.Cf.SCE, p. 216s. 18ThmegalementmisenvaleurparHermanDooyeweerd( Labasereligieusedelaphilosophiegrecque ,Revue Rforme X, 3, 1959, p. 20-34), dont la pense manifeste des parallles trs marqus avec luvre de Van Til. 19 CGG, p. 8s ; cf. SCE, p. 97. Cf. CTK, p. 5 : Le christianisme a la rponse que la pense moderne cherche en vain. En dpitdelatournurephilosophiqueetabstraitedelaplupartdesescrits,VanTilrefuseconsciemmentlaspculation mtaphysique .Nonlarigueurdelarflexionthorique,maislafidlitlenseignementbibliquedoitguiderlapense chrtienne : Un chrtien [] nlabore pas sa pense en commenant par Dieu comme concept directeur pour en dduire un systmedevrit.Penser,pourlui,cesttoujoursetseulementtenterdintgrerlesdiversaspectsdelenseignement biblique.Cefaisant,ilestprofondmentconscientdufaitquetoutconceptdontilusedoittrelimitpartoutautre concept dont il use, et quainsi son systme est un effort pour reformuler dans sa confession la vrit qui est en Jesus (SCE, p. 20 ; cf. CTK, p. 28). Pour la notion de systme etde concept limite chez Van Til, cf. John FRAME, The problem oftheologicalparadox ,dansFoundationsofChristianScholarship :essaysintheVanTilperspective,sousdir.Gary NORTH, Vallecito (Cal.) : Ross House, 1976, p. 295-330. 20 SCE, p. 12. De mme, Van Til souligne quon ne peut saluer lenseignant moral en Jsus, si on refuse de se soumettre sans rservelautoritbiblique ;carJsusexigeunetellesoumission(SCE,p. 176).Lechrtienneconfessepaslinerrance biblique sur la base dune preuve empirique ; plutt, sans la doctrine de linerrance, la recherche des faits, dans nimporte queldomaine,nepourrapasaboutir (CTK,p. 36).LefaitqueseulelaBibleprsentelhommeaveclesexigencesdune autoritabsoluesertdfendrelavaliditdelafoichrtienne,facedautrestraditionsreligieuses(Christian-Theistic Evidences, Philadelphie : Westminster Theological Seminary, 1961, p. 54). 6 De mme, on ne peut partir dune affirmation faible de lautorit biblique, c'est--dire de safiabilitgnrale,pouraboutirensuitelaffirmationfortedesoninerrance21.Lafoi chrtienne (que Van Til comprend toujours selon les lignes de lorthodoxie calviniste) forme un tout : celui qui en retranche un lment ne peut maintenir le reste de sa confession, sous peinedincohrence : Lesensdechaqueaspectoudechaquelmentduthisme chrtiendpenddecethismechrtienentantquun.[][L]avaliditentireduthisme chrtien est en jeu dans tout dbat sur nimporte quel fait.22 Van Til sait, certes, saluer des incohrences heureuses , par lesquelles le croyant maintient une relation de soumission auSeigneursouverainmalgrsathologiedfaillante ;maislapologteno-calviniste cherche rendre un tel croyant conscient de ses incohrences et lamener rformer sa pense pour quelle saccorde pleinement avec lattachement de son cur au Seigneur23. Le caractre analogique de la connaissance humaine La place que Van Til accorde Dieu implique comme corollaire une vision spcifique de la connaissance humaine. Lhomme comme crature ne peut prtendre lautonomie ; sa pensenedoitjamaistresaproprenorme,ilestpluttappelpenserlespensesde Dieu aprs Lui. Il ne peut prtendre interprter lui-mme les faits : IlfautconsidrerDieucommedterminantlesobjetsdelaconnaissance.En dautrestermes,ilfaut[]leconsidrercommeleseulinterprteultime,et lhomme comme r-interprte fini24. PourdcrireladpendancedelapensehumaineparrapportauCrateur,lapologtede Westminsterutiliseletermedanalogie.tantdonnsavivecritiqueducadredepense thomiste,ilestvidentquilnefautpasconfondrelusagevantilienaveclanotionplus courante danalogia entis25. Lecaractreanalogiquedelaconnaissancehumaineauneconsquencedouble : dunct,lhommenepeutjamaisconnatre,niDieu,nilemonde,nilui-mme,dune manireexhaustive ;delautre,saconnaissancepeut,lintrieurdeseslimites,tre vraie26.Enfait,l insertion delaconnaissancehumainedanslecadrepluslargedela 21 CTK, p. 223, 227, 234, 248s. 22 Apologetics, Philadelphie (Pa.) : Westminster Theological Seminary, 1950, vol. 1, p. 70. 23 Cest en particulier son attitude vis--vis des arminiens (quil dsigne souvent par le terme dvangliques, contrairement lusagecourantquienglobedanscettederniredsignationtousleshritiersorthodoxesdelaRformeetdesrveils). Considrer que la libert humaine chappe la dtermination divine, revient en toute rigueur nier le monothisme biblique ; car on postule un deuxime principe ultime, ct de Dieu. Sa perspicacit tranchante nempche nanmoins pas Van Til de reconnatre de vrais croyants parmi les arminiens et de valoriser leur travail mme en matire dapologtique (DF, p. 146). 24 SCE, p. 203. 25 CTK, p. 134. Lanalogia entis, en franais lanalogie de ltre, sert dsigner, dans la scolastique mdivale, le rapport de ressemblance entre ltre ternel de Dieu et ltre temporel de la cration. Cette ide a reu sa formulation officielle en 1215 lors du quatrime concile de Latran. 26 SCE, p. 48. Il serait intressant de comparer la position de Van Til celle quadopta Galile. Contre les Aristotliciens de son temps, ce dernier maintint que la connaissance humaine de certaines propositions (en particulier celles de la gomtrie et delarithmtique) sgaleencertitudeobjectivelaconnaissancedivineparcequil[lintellecthumain]arriveen comprendre la ncessit et que cest l le plus haut degr de la certitude. La connaissance divine soppose au savoir humain dans son tendue (et son mode, intuitif et immdiat) ; mais la vrit dont les dmonstrations mathmatiques nous donnent 7 connaissancedivine,qui,elle,estcomplte,garantitlavritdelapremiremalgrson caractre fini : Ceuxdontlaconnaissanceestlamoindreontuneconnaissancevraie,tout autantqueceuxdontlaconnaissanceestlaplusgrande,pourvuqueleur connaissancesoitvraimentanalogique,c'est--direfondesurlaconnaissance que Dieu a de lui-mme et du monde27. Ainsilafranchereconnaissanceducaractredrivdelapensehumainelibrede lexigencerationalistedelaconnaissanceexhaustive,pourtoujoursau-deldesforces humaines28.Laraisonquiseveutautonomedoitchercherleprincipedindividuationdans une description complte de la part de lhomme29 : Silonneplacepaslaconnaissancehumainedansladpendancetotaledela connaissance que Dieu a originellement de lui-mme et de la rvlation quil en faitconsquemment,ilfaudraquelhommecherchelaconnaissanceenlui-mme,commerfrenceultime.[]Illuifaudraalorstenirquesilnepeut atteindreunetelleintelligenceexhaustivedelaralit,ilnaaucune connaissancevraiedequoiquecesoit.Oulhomme,alors,doittoutconnatre, ouilneconnatrien.Cestledilemmedanslequelestprisetoutethoriedela connaissance non-chrtienne30. Bienquelapenseautonomeexigelomniscience,pourrendrelaconnaissance possible,mmelincroyantestconscientdufaitquilnepourrajamaisatteindreunetelle connaissanceexhaustive31.Deplus,ilsaitquildoitfaireplacelanouveaut,souspeine danantirlexpriencedutempsetdelhistoire ;pourtant,aucunsystmerationaliste entirementtransparentnelepermet32.Lindividualitsansexplicationetlehasardabsolu fournissentalorslaseuleissueouverteaurationaliste,quisevoitainsipoussvers connaissance est celle mme que connat la sagesse divine (Dialogue des grands systmes, 1632, trad. Paul-Henri Michel, dans Dialogues Lettres choisies, Paris : Hermann, 1966, p. 218 ; le passage cit se situe la fin de la Premire journe ; cf. laprfacedePaul-HenriMICHEL,ibid.p. 15,etlintroductionauxlettresdeGiorgiodiSANTILLANA,ibid.p. 344).La possible identit de contenu entre la pense divine et celle de lhomme fut le sujet de la controverse qui opposa Van Til Gordon H. Clark. Le dni dune telle identit quavana Van Til dans le dbat reste pourtant dlicat interprter (FRAME, The problem of theological paradox , p. 313s). 27 SCE, p. 200. 28 CTK, p. 135 ; cf. p. 26. Van Til considre que la recherche de la connaissance totale fait partie de lidal scientifique : Le butquelasciencesestassigne[]estceluidelacomprhensioncomplte (Christian-TheisticEvidences,p. 57).Il critiqueenparticulierlasolutionkantiennequi,daprslui,pourrendrecomptedeslimitesdelaconnaissance,faitdela connaissanceexhaustiveuneidergulatrice,c'est--direunidalquiguidelactionhumaine,sanspourautantjamaistre atteint (ibid.). Il faudrait confronter cette prsentation avec celle faite par R.G. COLLINGWOOD, qui voit dans labandon de lidaldelaconnaissancecomplteunecaractristiquedelanouvelleattitudescientifiquedestempsmodernes : Les sciencesantiquesvisaientunobjectifsanslimite.Ellesledfinissaientpardesquestionsdugenre :Quest-cequela nature ?Quest-cequelhomme ?Quest-cequelavertu ?Larponsedetellesquestionsdevaitrevtirlaformede dfinitions. De la dfinition, qui devrait dire lessence de la chose dfini, on pouvait dduire ce qui tait impliqu, chaque implicationrevenantaffirmeruneproprit.[]Lidedescience,pourunGrecdelAntiquit,ntaitpasseulement lide de la science de x mais de la science totale de x. Dun objet donn il ne pouvait y avoir quune seule science : sauf saisirlessencedelobjet,ilnyavaitpassciencedelobjet,etunobjetnavaitquuneessence.Quandonavaitdcouvert celle-ci,onpouvaitendduiretouteslespropritsdelobjet (ThenewLeviathan :orman,society,civilizationand barbarism, Oxford :Clarendon, 1942, p. 253). 29Apologetics,p. 71.Ilseraitncessairedeconfrontercetteaffirmationcequenoussavonsdumondedesparticules microscopiques :danslemondequantique,onnepeutplustraiterlesparticulescommedesindividus,cequivaensemble avec limpossibilit de les distinguer par description. 30 CTK, p. 17 ; cf. CTK, p. 15 : Virtuellement lhomme [] doit rduire les faits quil a devant lui des relations logiques ; la chosit de chaque chose doit abandonner sa singularit pour pouvoir tre connue ; pour tre connue, une chose (ouun fait) doit tre entirement connue. 31 Apologetics, p. 71. 32ThmegalementdveloppparKarlPOPPER,LUniversirrsolu,Plaidoyerpourlindterminisme,Paris :Hermann, 1984, sections 18, 21s, 26. 8 lirrationalisme33.Loscillationdelapenseautonomeentrerationalismeetirrationalisme rvle en fait son caractre apostat. Seul le recours lincomprhensibilit divine permet la pensehumainedesestabiliser :lhommepeutabandonnerlaprtentionlomniscience, sans verser dans lirrationalisme, dans la mesure o Dieu connat parfaitement la partie de la ralit qui chappe la connaissance humaine et en garantit le caractre ordonn34. LecaractreanaloguedelaconnaissancehumainevridiqueamneVanTil soulignerlerleindispensabledelarvlationverbale,ycomprisdanslconomie paradisiaque.Alorsquonassociepluscourammentlarvlationspcialela communicationduplandusalut,unefoislepchintervenu,lapologtedeWestminster soulignequemmelhommeparfaitavaitbesoindeconnatrelinterprtationdivinedu monde qui lentourait et de sa propre personne. Les faits bruts sont muets35 : lhomme ne peutpastrouverlui-mmelediscoursquiconvientauxfaits,maisdoitlerecevoirdu Crateur : Lebesoinduneauto-rvlationdeDieu,revtuedautorit,surunmode surnaturel,estinhrentlaconditionhumaine.Ilest naturel quilyait rvlationsurnaturelle.Avantlentredupchetindpendammentdupch, Dieu, de fait, parlait lhomme. [] La communication surnaturelle de la pense [deDieu],dsledbutdelhistoire,sajoutelarvlationparlesfaitsde luniverspoursignifierlhommesatcheculturelle.Laractionconscienteet dlibredelhomme,danslecadredelalliance,prsuppose quilreconnaisse lesfaitsdelhistoireetdelanaturecommeporteurs,directementetclairement, de la volont de Dieu36. Lhomme ne peut jamais faire uvre originale sil recherche la connaissance selon la vrit. Il doit penser les penses de Dieu aprs Lui : non pas interprter, mais r-interprter. Do la ncessitdelacommunicationverbaledelapartduCrateur,quiprcdetoute connaissance chez la crature finie quest ltre humain. En mme temps, cest justement le caractre driv de la pense humaine qui permet lhomme datteindre la vrit malgr ses limitations.Lasoumissionlautoritdivineconstituelevraibonheurdelhomme,etce jusque dans le domaine de la connaissance, comme Van Til ne se lasse pas de le rappeler. 33 CTK, p. 166, 168. 34VanTilsoulignegalementlimportanceducaractrepersonnelduprincipedernierdanslaconceptionchrtiennedu monde. Un environnement qui serait en fin de compte inpersonnel annulerait en dernire analyse le caractre personnel de la nature humaine : Une personnalit finie ne peut fonctionner que dams une atmosphre compltement personnaliste, et une telleatmosphrenepeutluitreassurequesisonexistencedpendentirementdelapersonnalitexhaustivedeDieu ; mmelarencontredunepersonnalitfinieavecuneautrepersonnalitfinieneseraitpasvraimentpersonnellesi latmosphre autour de lune ou lautre de ces personnalits, ou des deux, tait impersonnelle (SCE, p. 97). La thologie de lalliance procure la seule interprtation du rel qui soit pleinement personnaliste (ibid. p. 98). 35 Langlais permet un jeu de mots : Brute facts are mute facts. , CGG, p. 70. 36 CTK, p. 29 ; cf. p. 41 : Toute enqute rationnelle mene par lhomme avec succs prsupose la rvlation surnaturelle de Dieu. Ce principe vaut en particulier pour les normes thiques que lhomme doit recevoir de Dieu (SCE, p. 195s). Van Til souligne galement, bien entendu, la ncessit de la rvlation verbale pour lhomme pcheur (ibid. p. 123). 9 La situation de lincroyant Blaise Pascal parlait du pcheur comme de ce monstre incomprhensible 37. Quand on contemple la dpendance radicale de lhomme vis--vis de son Crateur, dans toutes les facettesdesontre,lepchrvleenfaitsoncaractreprofondmentparadoxal.Le pcheur prtend lautonomie, et vit en mme temps continuellement de la grce divine quil refoule.Cecaractreparadoxaldupchsemanifestegalementdansledomainedela connaissance.Danssarvolte,lhomme retientlavritcaptive ,selonlesparolesde laptre(Rm 1.20)illaconnatsanslareconnatre.Pourdcrirelasituationdelhomme pcheur,Van Tildveloppelethmedeladoubleconnaissance :lepcheurconnatetne connatpasDieu.Dunct,ilestenrebellioncontresonCrateur ;ilrefusedese soumettre Lui et Sa Parole. Comme il ne veut pas penser les penses de Dieu aprs Lui, il se ferme lui-mme laccs la connaissance vridique, et ce non seulement par rapport Dieu,maisaussiparrapportaumondeetlui-mme.Sonintelligenceestobscurcieetil ignorelavieselonDieu(p4.18).Maisdelautrect,facelarvlationdivinedansle mondequilentoureetdanssaconscienceintrieure,lhommenepeutjamaiseffacerle souvenirdesadpendancelgardduCrateur : Commelenfantprodiguedela parabole scripturaire, il ne peut pas oublier la voix du pre et la maison du pre38. En ligne avec le concept du sensus divinitatis [IC I, 3] chez Calvin, Van Til maintient que lorsquon interpelle les hommes en affirmant que la Bible est la Parole de Dieu, la dmarche provoque unerponseimmediateetinvitableauplusprofonddeleurtre.Leshommessavent aussitt quils devraient cder ; ils se savent des rebelles, dans lobligation de se soumettre nouveauleursouverainlgitime39. Ainsi, quandilspchent,ilssaventtoujoursmieux quils ne font40. Commentlecaractreparadoxaldelaconnaissancedelhommepcheurse manifeste-t-il dans le vcu ? Il est probablement impossible de donner une rponse valable pour toutes les situations. Et il faut reconnatre que les crits de Van Til naident gure en prciserlescontours41.Ilyauraitpourtanticiundomainedinvestigationimportantpourle dialogueapologtique.Peut-trecedomainerelve-t-ildavantagedudiscernementexerc dans lentretien personnel que de la dogmatique ; mais cela nenlve rien sa pertinence et ajoute, sans doute, sa difficult. Lecaractredrivdelaconnaissancehumaineimpliqueenparticulierquelhomme raisonne toujours partir de prsupposs ; sa rflexion sinscrit toujours dans une vision du 37Penses,textetabliparLonBRUNSCHWICG,intro.etnotesDominiqueDESCOTES,Paris :Flammarion,1976, n 420, p. 161. 38 CTK, p. 225. 39 CTK, p. 226. 40 CTK, p. 45. 41 Cf. John FRAME, Cornelius Van Til , p. 164s. 10 monde,quicolorelensembledesesraisonnements42.Enparticulier,larvoltecontre lautoritduSeigneurfaussefondamentalementlaperceptionqualepcheurdetoutela ralit.VanTilexprimecetteconvictiondansdesimagesparlantes : Toutparatjaune quisouffredejaunisse43. Ouencore : Toutpcheurregardetraversdeslunettes teintes. Et ces lunettes teintes lui sont cimentes sur le visage44. Il ne faut rien de moins que laction miraculeuse du Saint-Esprit pour lui enlever ces lunettes . Aupremierabord,lerledesprsupposssemblerendreimpossibletoutdialogue apologtique,etnelaisserquelaprirepourimplorerluvresurnaturelledelEspriten faveurdelinconverti.Maisilfautcomprendreque lhommedelarueestindividu complexe , il ne vit pas entirement selon son principe45. En fait, il ne le peut pas ; car, jusque dans sa rvolte, lhomme reste crature de Dieu, et il habite le monde qui ne cesse de rendre gloire son Crateur : Lhomme, en fait, ne vit jamais dans lindpendance quil simagine. Il demeure toujours accessible Dieu46. Et cest dans ces incohrences internes la pense et la vie du pcheur que le dialogue apologtique peut trouver son ancrage. Largument transcendental Contre celui que lon peut appeler le pre du no-calvinisme, le thologien et homme politiquenerlandaisAbrahamKuyper(1837-1920),VanTilmaintientlimportancede lapologtique dans le dialogue avec lincroyant. Certes, lhomme, raisonne toujours partir de prsupposs ; mais tous les prsupposs ne se valent pas. Dans la mesure o la raison reoit son tre du Seigneur, seule une pense qui se soumet son autorit est vraie. Seul le discours n de la foi concorde avec les faits que lon ne peut comprendre indpendamment delarelationauCrateur47.Loindeverserdanslerelativisme,lapologtique prsuppositionnalisteprsentelhommeenrbellioncontrelavritlaseulevisiondu monde vridique. Onpeutdistinguerdeuxlignesquelargumentapologtiquesuivradanslapproche prsuppositionnaliste.Ilyadabordlargumentdetypetranscendental.CommeKantavant lui,VanTilsinterrogesurlespossibilitsdelaconnaissancehumaine :quellessontles conditionsrequisespourquelhommepuisseconnatrequoiquecesoit ?Alorsquele philosophe des lumires avait cherch la rponse dans la pense autonome de lhomme (qui 42LethmecaractristiqueducerclehermneutiquechezMartinHeideggerconstitueunsouvenirdeladpendancede lhomme comme cr (cf. Merold WESTPHAL, Hermeutics as epistemology , dans The Blackwell guide to epistemology, sous dir. John GRECO, Ernest SOSA, Malden (Mass.) : Blackwell, 1999, p. 417-426). 43 CGG, p. 94s. 44 CTK, p. 295. 45 CTK, p. 225. 46SCE,p. 204 ;cf.p. 190.Pourexprimercefait,VanTilusedeladistinction mtaphysique et thique :lhomme pcheur est alin de Dieu sur un plan thique, mais non sur un plan mtaphysique (SCE, p. 197s, CTK, p. 293). 47 CTK, p. 234. 11 imposelaralitamorphesesstructures),lecredoutintelligamdiscerneenDieuleseul fondement possible de la connaissance vridique : Silonditaux[]adversairesduchristianismequesansDieuabsoluleurs propresquestionsetleursdoutesnauraientaucunsens,ilsnontrien rpondre.[]Toutchrtieninstruitsurlesthoriesdelaconnaissanceest fermementconvaincuquaucuntrehumainnepourraitprononceruneseule syllabe,pournieroupouraffirmer,siDieunexistaitpas.Ainsilargument transcendantalcherchequellesortedefondationsldificedelaconnaissance humaine doit avoir pour tre ce quil est. Il ne cherche pas savoir si ldifice a une fondation, il prsuppose quil en a un48. Lapensehumaineoscillerasanscesseentrerationalismeetirrationalismejusqu trouversonreposdansleCrateuromniscient ;lUnetleMultiplesaffronteronttoujours jusquleurrconciliationdansleDieutrinitaire.Seuleunetelledmarcheargumentative rend compte du caractre absolu de Dieu : Un Dieuvraiment transcendant et la mthode transcendantale vont ensemble49. Car si Dieu a la moindre importance pour un objet de connaissance,ilfautdembleprendreenconsidrationlarelationdeDieucetobjetde connaissance. Cest ce fait que la mthode transcendantale veut reconnatre50. Largumenttranscendentalseprsentesousuneformedouble :lafacepositive consistemontrerqueleDieubibliquerendpossiblelaconnaissancehumaine,laface ngativemetenlumirelefaitquetouslesautresfondementsnesontquedusable mouvant.Lattaquecontrelesbastionsdelincrdulitconsistedonc,enapologtique, rduiretouslessystmesdepenserivauxadabsurdum :tousceuxquirefusentdese soumettre lautorit du Dieu trinitaire doivent en fin de compte admettre quils ne peuvent rien connatre, sils acceptent seulement daller jusquau bout de la logique de leur systme depense.Lapdagogievantiliennecherchedoncmettreaujourlesincohrencesdes systmes adverses, qui seules permettent au pcheur de ne pas senfoncer dans le nant de labsurde.Librdesesfauxappuis,ildoitserendrelvidencequesonsalut(tant religieuxqupistmologique)nepeutconsisterquedanslasoumissionauDieuabsolu, seule source de vraie rationalit. Lastratgievantilienneseprotgedurelativismeenconduisantlarductionad absurdum sur la base des prsupposs de ladversaire : Nous devons montrer [ nos adversaires] que raisonner de faon univoque51 conduitdesoilauto-contradiction,nonseulementdunpointdevuethiste, maisaussibiendunpointdevuenonthiste.[][N]ousdevonsrencontrer ladversairesursonpropreterrain.[][N]ousargumentonsadhominem.Nous nargumenterionspasvraimentadhominemsinousnemontrionspasquesa positionimpliqueauto-contradiction,etilnyaauto-contradictionquesile 48 SCE, p. 11. Llaboration de cet argument doit pourtant tenir compte de la conviction vantilienne selon laquelle le que ne peut jamais tre spar du quoi . Donc il ne suffit pas de prsupposer abstraitement lexistence dun tre infini et tout-puissant, pour ensuite dduire de la possibilit de la connaissance humaine dautres attributs divins. Il sagit plutt de montrer comment le Dieu biblique est le seul prsuppos qui rend la connaissance possible. 49 Ibid. 50 SCE, p. 201 51 Le raisonnement univoque est loppos du raisonnement analogique, donc, dans le langage vantilien, un raisonnement qui se prtend autonome. 12 raisonnement contredit les propres prmisses du penseur, soit de faon directe, soit par les conclusions auxquelles il conduit52. Certes,lecroyantnepeut,aucunmoment,oublierquetoutraisonnementvridiquedoit tre analogique ; il se place sur le terrain adverse seulement pour la discussion 53. Lastratgietranscendentaleconstituecertainementunedescontributionslesplus orginalesdeVanTil.Larussitedesonprogrammedpenddelamaniredontonpeut honorer la promesse de la rduction ad absurdum de tout autre systme de pense que la foibiblique.DanslescritsdeVanTillui-mme,cesontenparticulierlesproblmes gnraux de la thorie de la connaissance qui servent tablir cette affirmation, comme le problmedelUnetduMultipleouencoreladifficultderaisonnerfacelacontingence humaine.Carsonuvreestavanttoutuneffortdedialogueaveclesphilosophiesnon-chrtiennes.Lenommmedeladmarchevient,bienentendu,duphilosophede Knigsberg.Commelarvolution copernicienne queKantopredanssapense (mettant lhomme au centre et non plus lobjet de connaissance) est fondatrice pour toute la philosophie moderne , lapologte no-calviniste cherche une mthode qui fait justement scrouler ce fondement mme.Pourtant,cettestratgietrsglobalenestpaslaseulequadmettelapologtique vantilienne. Mme sil dveloppe moins lautre ligne apologtique dans le concret (en accord avecsongniedabordspculatif),VanTilnoncelefondementthoriquedune apologtiquedesfaits,biendesgardsparalllelapologtiqueclassiquelaSaint Thomas ou la Butler54. Cette deuxime approche apologtique devient possible sur la base de la distinction entre le point de dpart prochain , ou immdiat , et le point de dpart ultime :BienqueDieusoitlepointdedpartultimedetoutraisonnementhumain,le fondementsanslequeltouterecherchedecohrencedanslereldevientimpossible, lhomme rflchit, dans le concret, partir dun point de dpart proche, c'est--dire dun fait dans lunivers cr55. En ralit, tout fait peut devenir, dans le dialogue apologtique, un tel pointdedpartproche,cartoutfaitparledesonCrateur56.Danscesens,VanTilpeut affirmer ( lencontre dun certain malentendu de sa mthode) que mtaphysiquement les croyantsetlesincroyantsontencommuntoutelaralit ;car lincroyantetlecroyant portent pareillement limage de Dieu. Ensemble, ils uvrent dans le monde que Dieu a cre et que le Christ a rachet57. 52 SCE, p. 205. 53 Ibid. p. 206. 54Enfait,ledsaccordportemoinssurlesrsultatsquesurlamthode ;VanTilconsidrequilcontribue,avecses rflexionssurlamtaphysiquesous-jacente,lefondementquiseulpermetdejustifierlesrsultatsauxquelsaboutissentles apologtesclassiques : Nousnecherchonspasdprcierletravailquontfaitdespenseurscroyantsducamparminien. Nouscherchonspluttfaireunmeilleurusagedesmatriauxdontilssesontservis,enconstituantlessoubassements pistmologiquesetmtaphysiquesqui permettrontderendre plusefficacescesmatrieuxdansladiscussionaveclesnon-croyants (DF, p. 146 ; cf., p. 118). 55 SCE, p. 120. 56 SCE, p. 201, 204. 57 CTK, p. 258. 13 Ainsi,VanTilcritiquelargumentcartsien,quiconclutduconceptduparfaitdansla pense humaine lexistence de Dieu, non pour le fait mme de partir de la raison humaine, mais pour le fait que Descartes la fait intervenir comme un point de dpart ultime, au lieu de reconnatresoncaractredriv.Cesticiquesetrouveladiffrencefondamentaleentre largumentcartsienetlesConfessionsdeSaintAugustinainsiquelepremierchapitrede lInstitution chrtienne du Rformateur genevois, qui joignent tous deux connaissance de soi et connaissance de Dieu58. Decettemanire,lapologtedeWestminsterreconnatexplicitementlutilitde lapologtiquehistorique : Lamoindreparcellederecherchehistorique,quellesesitue directementdanslechampbiblique,enarchologie,ourelvedelhistoiregnrale,doit confirmerlavritdesaffirmationschrtiennes. Certes, ce quejeneveuxpas,ditVan Til, cest parler sans fin et toujours plus des faits, sans jamais mettre en cause la philosophie dufait quiestcelledunon-croyant. Maisdetellesinvestigationsparticipentlentreprise apologtique ;siellessontpratiquementabsentesdescritsdeVanTil,cestquilse reconnatdesdonsplusspculatifsetquilfaitconfianceses collguesdesautres dpartements de la facult o [ il] enseigne ; il considre qu ils font un meilleur travail qu[ il] nen serait capable59. lments de critique Comment oser critiquer la pense dun thologien dont lrudition et la perspicacit de pensedpassedeloinlesmiennes ?Les quelquesrflexions quisuivrontneveulenttre quun essai dapprciation ; car (parfois) celui qui est assis sur les paules dun gant russit voirunpeuplusloinquecedernier.Lappropriationpersonnelledunepensene prsuppose-t-ellepasleregardcritiquequiseulpermetdchappersoitlasuivance aveugle soit au rejet sans comprhension60 ? Les quelques interrogations qui concluent cet article se dgagent, de fait, sur un fond daccord fondamental, voire de reconnaissance pour lclairage reu de luvre apologtique de Van Til. Tout chrtien soucieux de fidlit lcriture doit saluer la volont vantilienne de faire accorder la dmarche apologtique avec le contenu de la foi. On ne peut accepter de renier (neceserait-cequimplicitement)lafoi,danslebutdeconvaincrelincroyant.Cestici linterrogationprincipalequelapologteno-calvinistesoulvefacelapologtique classique.SiDieuestvraimentDieu,c'est--direleCrateurtranscendantetseulauto- 58SCE,p. 132.Demme,lespreuvesclassiquesdelexistencedeDieugardentleurvaleursiseulementellessinscrivent dans un raisonnement analogique plutt quunivoque (CTK, p. 292 ; SCE, p. 109). 59 CTK, p. 293. Lamme raison explique, lavis de Frame, le peu dexgse biblique dans les crits vantilien ; l encore, lapologte se remettait la comptence de ses collgues, en particulier John Murray (FRAME, The problem of theological paradox , p. 320). 60 FRAME, ibid. p. 298s, n. 10, considre que la plupart des compte-rendus publis de la pense vantilienne sont tombs dans lun des deux piges. 14 suffisant,donttoutcequiexistetientsontre,commentvouloirraisonnerenfaisant abstractiondeLui ?Lathisme,mmemthodologique,nestpasuneoptionpourle chrtien61. Restepourtantlancessitdtablirqueposersimplementlaquestiondelexistence divineestdjunpch.Certes, linsensditensoncur :IlnyapasdeDieu. (Ps 14.1). Mais est-ce dj insens que de poser la simple question ? Tous ne suivent pas lintuitionanselmiennedaprslaquellepenserlanon-existencedeDieuest(logiquement) contradictoire62.VanTilaffirmeavecforcelecaractrencessaireduthismebiblique63 ; mais on pourrait souhaiter voir ici un appui plus approfondi sur les textes bibliques. Renvoyer lesoindelefaireauxexgtesnestprobablementpassuffisant.Quandlephilosophe chrtiendveloppesonsystmedepense,illuiincombedecontribuerlui-mme lexamen des textes bibliques ; car les questions quil pose exigent, la plupart du temps, un niveaudabstractionplusgrandetdpassentainsilecadreduneexgsequisecontente de coller de prs aux textes.Nous avons vu que lapologtique vantilienne accorde une place la dmonstration partir des faits. Si Van Til ne les dveloppe gure, il limpute dabord ses dons spcifiques quilontprdisposlaspculationmtaphysiqueplusqulexamendesquestionsde dtail (historiques par exemple). Il faut pourtant reconnatre quil laisse ici un champ dactivit importantexplorer.Renvoyerauxrsultatsdelapologtiqueclassiquenepeutsuffire.Si lesprsuppossjouentlerledterminantqueVanTilleuraccorde,lamthodologie particulire de son apologtique doit galement influer sur les rsultats.En particulier, je me demande sil ne cde pas un peu trop vite la critique antithiste dargumentsapologtiquesclassiques.Ainsiilnapastortdesoulignerqu ilesttoujours possible de demander quelle est la cause de la cause, jusqu svanouir dans la rgression infinie. Quandnousdisons,decette manirenave,queDieua faitle monde,lapetite fille nousdemande,etnousdemandejustetitre :QuiafaitDieu ?64. Etilestvraique lempiristepeutrpondrelapreuvehistoriquedelanaissancevirginaleetdela rsurrection : Nest-ilpasmerveilleux[]devoirquedeschosesextraordinairesarrivent auseindelaRalit.Voussembleztreuncollectionneurdtrangets65. Carlavision 61 Cette remarque vaut mme pour la mthode transcendantale que Van Til prconise. Mme lorsquon se place sur le terrain de lincroyant, pour raisonner partir de ses prsupposs et lui montrer ainsi lincohrence de sa position, on prsuppose de faitlexistenceduDieubiblique ;carautrementaucunraisonnementnestpossible.Cettedmarcheparadoxalerenvoieau paradoxe de lhomme pcheur lui-mme : limage de lenfant prodigue de la parabole, il ne cesse de vivre sur le capital emprunt son pre contre lequel il sest pourtant rebell. Dans son dbat avec Herman Dooyeweerd, Van Til a soulign explicitement que la mthode transcendantale dpend de Dieu ; il recuse le rationnalisme latent de ce premier quand celui-ci maintientlavaliditdelargumenttranscendantalenfaisantabstractiondelarvlationbiblique( [ResponsetoHerman Dooyeweerd] , dans Jerusalem and Athens : critical discussions on the theology and apologetics of Cornelius Van Til, sous dir. E.R. GEEHAN, Nutley (N.J.) : Presbyterian and Reformed, 1974, p. 89-99 ; cf. SCE, p. 205s, et John M. FRAME, The doctrine of the knowledge of God, Philipsburg (NJ) : Presbyterian & Reformed Publishing Company, 1987, p. 359s). 62CestparexemplelecasduphilosophePaulHelm,pourtantattachlorthodoxiecalviniste(communicationprive, sept. 1998). 63 SCE, p. 119, 191, DF, p. 251, CTK, p. 224. 64 SCE, p. 109 ; cf. Christian-Theistic Evidences, p. 31. 65 CTK, p. 297 ; cf. DF, p. 240 ; Christian-Theistic Evidences, p. 64. 15 empiriste du monde, dans la mesure o elle exclut toute notion de cause et de loi, interdit de tirer quelque conclusion que ce soit de nimporte quel fait. Bienquilsoitncessairedereconnatrelapertinencedelarponseantithiste,ilne suffitpourtantpasdenresterl.Ilfautmontrerenquoielleestfausse,enquoiellene respecte pas les faits. Car largument antithiste nest valide qu lintrieur de ce cadre depense,quijustementtordlesensdelaralitetnarrivepasvoirlesfaitstelsquils sontenvrit,danslamesureolincroyantrefuseleurcaractrecr.Renvoyer simplementauxprsuppossdiffrentssous-jacentsauxattitudeschrtienneetnon-chrtienne serait une concession au relativisme. Il sagit de montrer concrtement comment les divers faits de lunivers rvlent la seigneurie divine66. Iciilconvientdesinterrogersurlaplaceexactedesprsuppossdanslapense vantilienne. Il me semble possible de dceler une certaine ambigut ce propos. Dun ct, lorientation fondamentale du cur vis--vis de Dieu tient une place si importante dans son systmequonenretientlimpressionquelledterminelapprciationdechaquefait.De lautrect,VanTilsembleconsidrerquilestpossibledemettreentreparenthsesses prsupposs, que pour la discussion le croyant peut raisonner partir des prsupposs delincroyantetvice-versa.Ladifficultdefaireunejusteplaceauxprsupposssans anantirfinalementlapossibilitdecommuniquerentreadeptesdesystmesdiffrentsse retrouvedanslesdiscussionsplusrcentesenphilosophiedessciences.ThomasKuhn avaitdabordparldelincommensurabilitdediffrentsparadigmesscientifiquesavec touteladifficultdedonneruneplacerationnelleauchoixentrecadresdepenses conflictuels67. Peut-tre peut-on rattacher cette ambigut la forte influence qua exerce lidalisme allemand et anglais sur Van Til. Dj le vocabulaire choisi montre quil dveloppe sa pense enrponsececourant.Kantetseshritiers(enparticulierHegeletsesdisciples)sont prsents en filigrane dans bien des pages de ses uvres. Bien que lenracinement biblique delapensevantiliennelamnesepositionnerenoppositionlidalisme,onaparfois limpression quil cde (malgr ses meilleures intentions) la tentation idaliste, c'est--dire quilneprendpastoujourssuffisammentencomptelastructureinhrentelaralit. Certes,contreleralismetraditionnel,lapensebibliquesoulignelecaractredrivde cette structure. Mais cela nenlve en rien au fait quil sagit dune structure appartenant au domaineducr.Lesfaitsnesontpasouvertsnimportequelleinterprtation ;seulle discourscroyantleurrendjustice.Bienentendu,lapologtedeWestminsterlesait 66Signalonslbauchederponseaupremierargumentantithistementionn,qulaborelenseignantnormalienPaul Clavier : on ne peut pas recourir une suite infinie de causes si on donne ce concept le sens fort de cause responsable. La notion de responsabilit permet (et mme exige) un premier moteur (Dieu sans barbe : vingt et une conversations instructives et amusantes sur la question trs dispute de lexistence de Dieu, Paris : La Table Ronde, 2002, p. 117-120). 67 Larry LAUDAN a travaill amliorer le compte-rendu kuhnien, en essayant de mettre en lumire comment les ides de base plus gnrales ninfluencent non seulement le regard sur les faits, mais aussi comment ces derniers exercent un contrle surlespremires(Scienceandvalues :theaimsofscienceandtheirroleinscientificdebate,Berkeley :Universityof California Press, 1984, ch. 3). 16 parfaitement68. Mais on peut se demander sil accorde toujours suffisamment dimportance ce thme. La validit dune apologtique base sur les faits en dpend.CetteinterrogationtrouveunappuidanslvaluationqueporteVan Tilsurlenfer.En accordavecundesthmespharesducourantno-calviniste,ilmontrecommentlagrce commune empche le pcheur daller jusquau bout de sa prtention suicidaire dautonomie. Lenferestpourluilelieuocettecontraintenestplusoprante ;leprincipedincrdulit aura finiparremporterlecontrleillimitsurle damn69 : Lauto-contradictiontotalenest possiblequenenfer,etlenferestlui-mmeuneauto-contradictionparcequilsenourrit ternellementdelangationduneaffirmationabsolue 70. Cettevisiondelenferparat pourtantimpossiblerconcilieraveclaffirmationbibliquedaprslaquellelepchnese commettra plus, mme pas en enfer. Lenfer nest pas la province des rebelles invtrs ; le Jugement dernier fera justement clater lvidence de la seigneurerie divine laquelle mme lincroyantnepourraplussopposer71.LuvreintrieuredelEsprit,sicrucialedansla conversion,nesemblegureyjouerderle72 ;cestlaforcedespreuvesparlesfaitsqui finira par remporter ladhsion de tous. Le Jugement dernier nous renvoie donc au caractre objectif de la structure du rel ; ce cas limite (hlas bien rel, daprs le tmoignage biblique) montrequemmeleprsupposincrduleleplusendurcifiniraparcderdevantlaforce despreuvesobjectives.lapologtiquedeprsenterdsaujourdhuicetteforcedes arguments. La rflexion sur le Jugement dernier nous conduit vers un autre thme biblique, qui me parat nglig dans la pense vantilienne : celui de la difficult dinterprter correctement les faits cause du caractre dchu du monde dans lequel nous vivons. Si aujourdhui lhomme peut refuser de croire en Dieu, cest aussi cause dune absence de preuve dfinitive telle quelleexisteraaudernierJour.Cetteabsencenejustifiepaslincrdulit ;lanatureetla consciencehumainerendentuntmoignagesuffisantpourrendreinexcusablelenon-croyant. Mais le dialogue apologtique, pour tre raliste, doit tenir compte de cet aspect de lconomieprsente,bienquoncomprennequelapologtesoittentdelocculterdansla mesure o il semble sopposer son intention damener lautre la foi. Lelecteursenrendbiencompte :lesremarquescritiquesconcluantlarticlene rvlentnullementundsaccorddeprincipe ;ellessontpluttdesretouchesdansune fresquequiimpressionneparsapertinenceetrichessequantauxfondementsde 68 Par ex. CTK, p. 44 : Lunivers est ce que lcriture le dit tre, et lhomme est ce que lcriture le dit tre. 69 CTK, p. 225 ; cf. p. 294. 70 SCE, p. 206. 71HenriBLOCHER, Ladoctrineduchtimentternel ,Ichthus32,1973,p. 7s,etLadoctrinedupchetdela rdemption, Vaux-sur-Seine : difac, 1997, vol. 1, p. 53. 72VanTilsouligne,contrelemysticisme,queletmoignageduSaint-Espritnerajoutepasdecontenucognitif,maislve lobstaclethiquechezlepcheurquilempchedereconnatrelinterprtationvridiquedesfaits(CTK,p. 33,228 ;cf. p. 235ss). Il faut pourtant se poser la question dans quelle mesure ce tmoignage ne pallie pas galement un certain manque de preuve objective et inclut une dimension mystique aprs tout. 17 lapologtique. Loin de remettre en cause le projet vantillien, elles sinspirent de son intention premire : amener toute pense captive lobissance au Christ73. 73 CTK, p. 12. La formule est reprise de 2 Co 10,5. Larticle est issu dun expos fait au sminaire de D.E.A. la F.L.T.E. le 19 dcembre 2001. Ma reconnaissance sadresse au professeur Henri Blocher. Il a t le premier veiller mon intrt pour la pense no-calviniste, et pour celle de Cornelius Van Til en particulier, et il ma guid dans la comprhension de ce systme depense.Latraductiondescitationsanglaisesdanscetarticleestlasienne.Larelectureattentivedumanuscritparle professeurSylvainRomerowskiapermisdliminercertaineserreurs.JeremerciegalementDanielHillionpourde nombreuses discussions stimulantes.