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© Lili Obone Nguema, 2020
Apprentissage de l'histoire et éducation à la citoyenneté : comprendre le rapport au savoir historique des élèves gabonais du cycle secondaire à l'aide d'une approche
socio-historique
Thèse
Lili Obone Nguema
Doctorat en didactique
Philosophiæ doctor (Ph. D.)
Québec, Canada
iii
Résumé
La question du sens des savoirs historiques, posée du point de vue des élèves telle
que nous l’avons expérimentée dans cette thèse, met en évidence leur rapport au savoir. Pour
cerner cette problématique du rapport au savoir, nous l’avons construite suivant une double
démarche dont l’une, significative, vise à faire émerger la pertinence sociologique des savoirs
scolaires, l’autre, compréhensive, tente de mieux appréhender ce qu’est l’éducation aux
sciences historiques. Le regard critique que nous avons posé sur l’acte d’apprendre dans le
contexte actuel de l’éducation a permis d’apprécier l’apprentissage de l’histoire comme une
réalité bien plus complexe que ne le laissent croire les seules méthodes didactiques. D’abord,
parce qu’apprendre est une question multiforme renvoyant à diverses manifestations du sens
des savoirs, et qu’en l’occurrence, le processus d’apprentissage interpelle, entre autres, la
subjectivité de l’élève pour la relier aux enjeux de l’éducation à la citoyenneté.
Sur la base des réflexions construites autour du rapport au savoir (Charlot, 1997 ; Lahire &
Johsua, 1999 ; Joigneaux & Rochex, 2008 ; Demba, 2010 ; Lésogho, 2014), un cadre
conceptuel élaboré au croisement de la didactique et de la sociologie, a permis d’éclairer les
relations des élèves aux savoirs. Ce cadre de pensée hybride a suscité l’ouverture d’un nouvel
espace d’analyse et d’accès à d’autres possibles pour penser, aborder et comprendre
l’apprentissage historique. La combinaison d’enjeux conceptuels, qui au final a orienté notre
propos de recherche vers des enjeux sociodidactiques du rapport au savoir historiques, est
l’une des principales contributions de cette thèse.
Sur le plan méthodologique, le paradigme compréhensif s’est révélé être un choix intéressant
pour se démarquer d’une lecture en négatif des situations d’apprentissage au profit d’une
lecture en positif qui rend compte de l’expérience subjective de l’élève. À la lumière des
apports théoriques et conceptuels, des angles de réflexion novateurs formulés ont permis de
mettre en lumière des sujets singuliers situés dans une historicité, mais capables de s’en
distancier de manière réflexive grâce à une lecture plurielle de l’histoire. L’étude confirme
des situations et des conditions agissant sur la construction du rapport au savoir et à l’école
des élèves.
iv
vi
Abstract
This thesis argues that the question of the meaning of historical knowledge, posed
from the students point of view, can shed light on their relation to knowledge and to school.
To define this problematic of the relationship to knowledge, we have constructed it following
a double approach, one of which, significant, aims to bring out the sociological relevance of
school knowledge, the other, comprehensive, tries to better understand what is education in
the historical sciences. The critical view we have taken of the act of learning in the current
context of education has made it possible to appreciate historical learning as a much more
complex reality than the teaching methods alone suggest. Firstly, because learning is a
multifaceted question referring to various manifestations of the meaning of knowledge, and
in this case, the learning process involves, among other things, the subjectivity of the student
to relate it to the issues at stake. citizenship education.
In the wake of what the authors suggest about the relationship to knowledge (Charlot 1997;
Lahire & Johsua 1999; Joigneaux & Rochex 2008; Demba 2010; Lésogho 2014), we have
developed a conceptual framework at the crossroads of didactic and sociology in order to
illuminate the relationship of students to knowledge. This hybrid framework of thought has
opened up a new space of analysis and access to other possibilities for thinking, addressing
and understanding historical learning. The combination of conceptual issues, which in the
end has turned our research focus towards sociodidactic issues of relation to knowledge, is
one of the main contributions of this thesis.
On the methodological level, the comprehensive paradigm has proved to be an interesting
choice to stand out from a negative reading of learning situations to a positive reading that
reflects the student's subjective experience. In the light of the theoretical and conceptual
contributions, innovative angles of thought formulated made it possible to highlight singular
subjects situated in a historicity, but able to distance themselves from them in a reflexive way
thanks to a contradictory reading of history. The study confirms situations and conditions
affecting the construction of students' relationship to knowledge and school.
viii
TABLE DES MATIÈRES Résumé .................................................................................................................................. iii
Abstract .................................................................................................................................. vi
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... viii
Liste des tableaux ................................................................................................................ xiii
Liste des figures .................................................................................................................... xv
Liste des acronymes............................................................................................................ xvii
Remerciements .................................................................................................................... xxi
INTRODUCTION .................................................................................................................. 1
CHAPITRE 1 : LA PROBLÉMATIQUE .............................................................................. 7
1.1. Le contexte actuel de l’éducation à la citoyenneté ............................................... 8
1.1.1. La question des savoirs à l’école aujourd’hui .................................................. 8
1.1.2. La hiérarchie des savoirs remise en question ................................................. 11
1.1.3. Histoire et éducation à la citoyenneté : regard général ................................... 12
1.1.4. Histoire et éducation à la citoyenneté à l’école gabonaise ............................. 15
1.1.4.1. L’articulation mémoire et esprit critique, sa complexité ............................ 17
1.1.4.2. Le paradoxe gabonais : un pays riche et pauvre ......................................... 18
1.2. Le manque d’intérêt des élèves face à l’histoire ................................................ 21
1.2.1. La question du sens des savoirs du point de vue des élèves ........................... 25
1.2.2. La pertinence sociale du rapport au savoir des élèves .................................... 25
CHAPITRE 2 : LE CADRE CONCEPTUEL ...................................................................... 28
2.1. La définition des enjeux liés à la construction du rapport au savoir .................. 29
2.1.1. Le rapport au savoir, un processus pour construire du sens ........................... 30
2.1.1.1. Les enjeux sociologiques du rapport au savoir ........................................... 33
2.1.1.2. La relation de sens entre le sujet et le savoir .............................................. 36
2.1.1.3. Les apports significatifs des bilans de savoirs ............................................ 38
2.1.1.4. En guise de résumé ..................................................................................... 41
2.1.2. Les enjeux didactiques du rapport au savoir .................................................. 44
2.1.2.1. La problématique de l’apprentissage historique ......................................... 44
2.1.2.2. L’histoire dans les configurations didactiques ............................................ 52
2.1.2.3. La perspective de l’éducation à la citoyenneté ........................................... 56
2.1.2.4. La pensée historique, un processus pour donner sens au passé .................. 59
2.1.3.1. Les QSSV à l’école, leur traitement didactique .......................................... 71
2.1.3.2. Pensée et rapport, deux processus liés ....................................................... 73
2.2. Un cadre d’interaction entre le rapport au savoir et la pensée historique .......... 74
2.2.1. La pauvreté au Gabon, un aperçu historico-sociologique .............................. 75
2.2.2. La situation coloniale selon Georges Balandier ............................................. 77
2.2.3. La situation d’oppression selon Paulo Freire ................................................. 80
2.2.3.1. La contradiction oppresseur/opprimé ......................................................... 81
2.2.3.2. Des modèles d’éducation divers ................................................................. 83
2.2.3.3. Les principes fondateurs d’une éducation formatrice ................................. 87
2.3. Retour sur l’objectif et les angles spécifiques de recherche ............................... 87
CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE .............................................................................. 91
3.1. Le modèle d’investigation empirique ................................................................. 92
3.1.1. Le premier scénario d’enquête : le questionnaire ........................................... 93
3.1.3. Le terrain d’investigation empirique .............................................................. 97
ix
3.1.2. Le second scénario d’enquête : les entrevues ................................................. 97
3.1.3.1. Le cadre institutionnel d’investigation ..................................................... 103
3.1.3.2. Le choix de la population cible ................................................................. 105
3.1.4. Les étapes de la cueillette des données ......................................................... 106
3.1.4.1. La prise de connaissance du paradoxe gabonais en matière de pauvreté . 108
3.1.4.2. La prise de conscience de la dimension historique de la pauvreté………….109
3.1.4.3. La formulation des hypothèses et l’analyse du problème ......................... 116
3.1.4.4. L’explication du problème ........................................................................ 119
3.1.4.5. En guise de résumé ................................................................................... 120
3.2. Le modèle d’investigation analytique .............................................................. 121
3.2.1. Le modèle d’analyse adopté ......................................................................... 122
3.2.2. Transcription et codification des données .................................................... 123
3.2.2.1. La catégorisation des données issues du questionnaire ............................ 123
3.2.2.2. La catégorisation des données issues des entrevues ................................. 124
3.2.3. L’analyse des corpus de données ................................................................. 125
3.2.3.1. L’analyse des données issues du questionnaire ........................................ 125
3.2.3.2. L’analyse des données issues des entrevues ............................................. 127
CHAPITRE 4 : LES RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE ............................................ 131
4.1. La présentation des données ............................................................................. 133
4.1.1. La pauvreté ................................................................................................... 133
4.1.1.1. Ce que la pauvreté du Gabon veut dire… ................................................. 134
4.1.1.2. Des solutions pour sortir le Gabon de la pauvreté .................................... 135
4.1.2.1. Ce qu’apprendre signifie… ....................................................................... 137
4.1.2.2. Les différentes manières d’apprendre ....................................................... 139
4.1.3. Apprendre l’histoire ...................................................................................... 141
4.1.3.1. Ce qu’apprendre l’histoire veut dire… ..................................................... 142
4.1.3.2. Les élèves rencontrent des difficultés pour apprendre l’histoire .............. 144
4.1.4. L’avenir ou les projets de l’élève ................................................................. 146
4.1.4.1. La vie future des élèves ............................................................................ 147
4.1.4.2. Les liens entre l’histoire et les projets de vie ............................................ 148
4.1.5. L’engagement des futurs citoyens ................................................................ 149
4.1.5.1. Du sens de la pauvreté au sens de l’engagement ...................................... 150
4.1.5.2. Des logiques d’engagement diverses ........................................................ 151
4.1.6. Le rapport à l’histoire ................................................................................... 152
4.1.6.1. À propos du lien histoire/pauvreté ............................................................ 153
4.1.6.2. La pauvreté du Gabon et ses origines ....................................................... 154
4.2. Analyse et interprétation des données .............................................................. 158
4.2.1. La conscience des élèves face à la question de la pauvreté .......................... 159
4.2.1.1. Le rapport des élèves à leur environnement politique .............................. 160
4.2.1.2. Un sens relié aux attentes des élèves ........................................................ 163
4.2.2. L’identité des élèves face au phénomène de pauvreté .................................. 165
4.2.2.1. La clarté des buts donne du sens à l’école ................................................ 166
4.2.2.2. Ce qui est utile a du sens ........................................................................... 167
4.2.2.3. Le sens vient de l’expérience subjective ................................................... 168
4.2.2.4. La valorisation de soi donne du sens ........................................................ 169
4.2.3. Des rapports divers au savoir historique....................................................... 169
x
4.2.3.1. La caractérisation des élèves idéaltypes face à l’histoire.......................... 170
4.3. Le bilan des résultats du questionnaire ............................................................ 172
CHAPITRE 5 : LES EFFETS DE LA PENSÉE HISTORIQUE ....................................... 173
5.1. Présentation et analyse des résultats................................................................. 177
5.1.1. L’histoire-mémoire relatée par les jeunes Gabonais .................................... 179
5.1.1.1. Des pratiques coloniales révélatrices de l’oppression .............................. 179
5.1.1.2. Les actions de lutte contre l’oppression .................................................... 192
5.1.1.3. Les facteurs qui maintiennent le Gabon en état de pauvreté .................... 196
5.1.1.4. Quel bilan au sujet de la mémoire collective du Gabon?.......................... 200
5.1.2. La reproduction de l’oppression expliquée par nos répondants ................... 202
5.1.2.1. Les mécanismes qui reproduisent l’oppression ........................................ 202
5.1.2.2. La prise de conscience pour transformer la réalité ................................... 208
5.1.2.3. Des pratiques éducatives libératrices ou aliénantes .................................. 211
5.1.2.4. Quelques principes pour une éducation plus réfléchie ............................. 216
5.2. La compétence des participants à penser historiquement la pauvreté .............. 217
5.2.1. Le parcours interprétatif de Jonel ................................................................. 220
5.2.1.1. Une influence certaine des référents mémoriels ....................................... 220
5.2.1.2. Un jugement normatif face aux réalités sociales ...................................... 223
5.2.1.3. L’impact de l’histoire-mémoire et des usages publics de l’histoire ......... 225
5.2.1.4. L’impression générale du discours de Jonel ............................................. 228
5.2.2. Le parcours interprétatif de Warren.............................................................. 228
5.2.2.1. Une conception philosophique de l’autorité pour expliquer le présent .... 229
5.2.2.2. De nouvelles curiosités sur la particularité des sociétés anciennes .......... 232
5.2.2.3. La complexité des notions de temps et de durée ...................................... 234
5.2.2.4. L’impression générale du discours de Warren ......................................... 235
5.2.3. Le parcours interprétatif de Camille ............................................................. 236
5.2.3.1. Quand l’expérience subjective sous-tend l’interprétation ........................ 237
5.2.3.2. Une approche de l’histoire qui garantit la pluralité .................................. 240
5.3.3.3. Des pistes pour éduquer à la citoyenneté en classe d’histoire .................. 242
5.2.3.4. L’impression générale du discours de Camille ......................................... 243
5.2.4. Le parcours interprétatif de Kriss ................................................................. 244
5.2.4.1. Une interprétation singulière pour reconstruire le sens ............................ 245
5.2.4.2. Une relecture l’histoire pour se construire une conscience critique ......... 248
5.2.4.3. Quand l’élève construit un rapport réflexif au passé ................................ 251
5.2.4.4. L’impression générale du discours de Kriss ............................................. 253
5.2.5. Que retenir des quatre parcours interprétatifs ? ............................................ 254
5.3. Quel bilan sur les effets de la pensée historique ?............................................ 255
CHAPITRE 6 : LA SYNTHÈSE ........................................................................................ 258
6.1. La synthèse sur le rapport au savoir et à l’école .............................................. 260
6.1.1. Le rapport social au savoir............................................................................ 260
6.1.2. Le rapport à soi ............................................................................................. 262
6.1.3. Le rapport aux autres .................................................................................... 263
6.2. La synthèse sur le rapport au savoir historique ................................................ 265
6.2.1. De la pensée historique au rapport au savoir historique .............................. 266
6.2.2.1. Comment se construit le rapport identitaire au savoir historique ? .......... 269
6.2.2.2. Comment se construit le rapport altéritaire au savoir historique ? ........... 271
xi
6.2.2.3. Comment le citoyen construit-il sa relation au savoir historique ? ........... 275
6.3. La synthèse de la thèse ..................................................................................... 281
CONCLUSION .................................................................................................................. 283
C1. Bilan rétrospectif des grandes articulations de la thèse ........................................ 283
C2. L’apport de la recherche ....................................................................................... 285
C3. Les difficultés rencontrées et les limites de la recherche ..................................... 287
C4. Les voies de recherche futures .............................................................................. 288
C4.1. L’influence des ressources mobilisées .............................................................. 288
C4.2. Le rôle de la réflexivité ..................................................................................... 288
C4.3. La complexification de l’interprétation ............................................................ 289
C4.4. Un modèle d’interaction entre la pensée historique et le rapport au savoir ...... 289
C4.5. L’examen du rapport aux savoirs historiques des enseignants ......................... 290
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ........................................................................... 291
ANNEXES ......................................................................................................................... 322
xiii
Liste des tableaux
Tableau n°1: Les indicateurs de l’oppression 86
Tableau n°2: Canevas des questions du premier scénario d’enquête 96
Tableau n°3: Déroulement de la recherche 108
Tableau n°4: Les critères pour évaluer la pensée historique 120
Tableau n°5: Symboles et significations 124
Tableau n°6: Conventions et transcription 124
Tableau n°7: Codes et significations 125
Tableau n°8: La pauvreté au Gabon, sa coloration 134
Tableau n°9: Le rapport à l’avenir 147
Tableau n°10: Les changements la suite de l’installation française 183
Tableau n°11: La dichotomie des stéréotypes dans la situation coloniale 189
Tableau n°12: Les facteurs de dépendance 197
xv
Liste des figures
Figure n°1: Les étapes de l’analyse 125
Figure n°2: Le rapport à l’apprendre 137
Figure n°3: Les différentes manières d’apprendre 139
Figure n°4: Les significations associées à l’apprentissage de l’histoire 142
Figure n°5: Ce qui fait l’intérêt d’un cours d’histoire 143
Figure n°6: Les obstacles à l’apprentissage de l’histoire 145
Figure n°7: Ce que être pauvre veut dire… 150
Figure n°8: Les domaines d’intervention future 151
Figure n°9: Liens passé-présent-avenir 153
Figure n°10: Les origines de la pauvreté 155
Figure n°11: Les actions pour transformer la situation 157
Figure n°12: Les rapports d’oppression 180
xvii
Liste des acronymes
BAD : Banque Africaine de Développement
ESCOL : Education Scolarisation
ENS : École Normale Supérieure
FBCF : Formation Brute du Capitale Fixe
FCFA : Franc de la Communauté Financière Africaine
FMI : Fonds Monétaire International
ICC : Institut Immaculée Conception
IDH : Indice de Développement Humain
IEC : Information/Éducation/Communication
IPAM : Institut Pédagogique Africain et Malgache
IPN : Institut Pédagogique National
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
OMS : Organisation mondiale de la Santé
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONUSIDA : Programme des Nations Unies pour lutter contre le Sida
PAS : Programmes d’Ajustements Structurels
PIB : Produit Intérieur Brut
PNB : Produit National Brut
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
QSV : Question Socialement Vive
SIDA : Syndrome de l’Immunodéficience Acquise
SMI : Système Monétaire International
SVT : Sciences de la Vie et de Terre
TVA : Taxe sur la Valeur Ajoutée
UOB : Université Omar Bongo
UNESCO : United Nations Education, Scientific and Cultural Organisation, en français
Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture
UNFPA : United Nations Population Fund
USA : United States of America, en français États-Unis d’Amérique
VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine
xix
À Chancia, ma fille, ma belle-surprise du lycée devenue le pilier de ma vie, ma
marraine. Si ton bon sens de la vie a tendance à m’effrayer, il m’a surtout appris à feindre la
faiblesse pour espérer les horizons inespérés.
À Christ Aurel, mon fils, mon soutien inconditionnel, le chant que chante mon âme au
quotidien. De ta vision du monde, de ton cœur aimant, de ton courage, pour ton si jeune âge,
j’en apprends énormément.
À Edou, mon frère-père, mon guide, mon havre de paix, ma lumière. Et quand soudain, la
lumière s’éteint, c’est le bouillard ! Désormais, ma vie se vit dans l’ici et l’ailleurs. Je tente
de poursuivre ton œuvre, oh combien difficile !
À Hono, ma sœur-mère, le don de la maison de mon père, celle qui s’est donnée pour l’amour
des siens, mon « héros sans victoire », la mère de ma fille, mon admiration s’étend au-delà
des mots.
xxi
Remerciements
En premier lieu, j’adresse mes remerciements à mon directeur, Monsieur Jean-
François Cardin, pour la plus belle et la plus fructueuse des aventures intellectuelles qu’il
m’a fait vivre. Je lui suis très reconnaissante pour son rôle de mentor dans mon immersion
au monde de la recherche et de la didactique de l’histoire en particulier. Je veux encore et
davantage lui témoigner ma reconnaissance pour le don qu’il a de faire sortir le meilleur de
moi. Sa bienveillante, sa patience, son ingéniosité m’ont fait prendre conscience de l’idée du
mérite au-delà des délais formels. Il est mon maître, le maître de ma pensée didactique, celui
mon rapport actuel au savoir.
Je veux tout spécialement remercier Monsieur Louis Levasseur, enseignant chevronné et
inspirant, pour son sens partagé du rapport au savoir dont le cadre de pensée allait désormais
susciter mon nomadisme intellectuel. L’enthousiasme que vous avez souvent manifesté
devant le savoir m’a conduite à rechercher, et avec certitude, la pleine signification de mon
rapport au savoir.
Je tiens à exprimer ma gratitude à Madame Catherine Duquette dont la contribution a été très
bénéfique pour la réalisation de cette thèse. Dès les débuts pour mon parcours doctoral, vous
m’avez guidée vers l’essentiel de mon propos de recherche. Comme prélectrice de la thèse,
vos corrections, remarques et suggestions m’ont amenée à traiter les résultats avec clarté et
à présenter une synthèse qui en permet la pertinence.
Je remercie très chaleureusement Madame Marie-Claude Bernard pour son soutien et son
engagement à me tenir la main comme à la fin d’une longue et pénible course de résistance.
La lecture minutieuse que vous avez faite de cette thèse, en allant pratiquement mot par mot,
m’amène aujourd’hui à présenter un document avec une bibliographie dans les normes
requises pour un travail d’une telle envergure.
xxii
Je remercie également Monsieur Rufin Didzambou d’avoir accepté de faire partie de mon
comite de thèse. Malgré le temps écoulé, votre décision de m’accompagner jusqu’à la fin n’a
nullement failli.
J’exprime une reconnaissance certaine à l’ensemble des élèves de la classe de Première S2
de l’Institut Immaculée Conception (IIC), année scolaire 2012-2013, pour m’avoir accueillie,
acceptée et intégrée parmi vous. Veuillez trouver en ce propos, toute ma gratitude pour les
données probantes que vous m’avez fournies et qui ont fait de cette thèse un sujet singulier.
Terminer cette thèse, la soutenir et en faire le dépôt final aujourd’hui, est pour moi, une façon
de rendre hommage à mes parents, mon père Édouard Nguema Assoume et ma mère Cécile
Obone Zué, dont la descendance, plus que jamais, a conscience des fondamentaux de
l’éducation. Également, je rends hommage à tous ceux qui ont le don de voir le meilleur en
chacun et le font prospérer. A vous qui donnez les clés du monde à ces personnes « sans
nom » et sorties de « nulle part », de tout cœur, merci. A toi, Jeanne Gallagher, à la manière
de Jésus Christ, le maître-serviteur de ses disciples, tu Es mon modèle. Merci de nous
accepter sans condition. Merci d’être ce que tu Es.
Au moment où je m’apprêter à effectuer le dépôt final de ma thèse, je voudrais témoigner de
ma gratitude au CRIFPE-Laval pour le cadre de travail inégalé qu’il offre à l’ensemble de
ses membres. J’ai vécu et côtoyé un espace où la bienveillance et la convivialité sont de mise.
Infiniment merci.
1
INTRODUCTION
Cette thèse rend compte du rapport au savoir historique des jeunes Gabonais dans
une optique d’éducation à la citoyenneté. Pour mieux comprendre ce dont il est question,
nous commencerons par retracer l’itinéraire de nos questions de recherche dont l’évolution
éclaire la spécificité de notre objet d’étude construit entre les enjeux épistémologiques de
l’histoire, et ce que d’aucuns désignent par les enjeux de développement de la personne
sociale liés à l’éducation à la citoyenneté (; Jutras, 2010 ; Justras & Guay, 2004).
Depuis notre initiation en didactique il y a près de deux décennies, nous sommes passée par
divers questionnements liés à l’exercice de notre profession d’enseignante d’histoire au
secondaire. Nous avons porté une attention particulière aux différents débats sur l’histoire
scolaire, à la diversité de significations que peut revêtir le terme histoire considérée comme
une science de l’interprétation (Marrou, 1954 ; Booth, 1983 ; Laville, 1984 ; Moniot, 1993 ;
Boutonnet, Cardin & Ethier, 2011) ainsi qu’à la notion de vérité dans cette discipline.
Autour de cet objet d’apprentissage désormais mieux circonscrit, nous nous sommes
progressivement intéressée aux discours des populations, des historiens, des didacticiens, des
enseignants, des médias, des instances politiques et bien sûr des élèves. Cet intérêt nous a
conduite à travailler d’abord sous un angle didactique, puis, à intégrer progressivement des
préoccupations d’ordre sociologique, les interprétations des faits historiques étant
hétérogènes et faisant intervenir de multiples points de vue. Ce parcours explique
l’élaboration du questionnement à la suite, la dernière question étant celle à laquelle nous
tentons de répondre dans cette étude.
1. Comment enseigner un fait historique tout en favorisant une prise de conscience chez les
élèves ?
2. Quel élément du passé enseigner qui puisse agir sur la conscience des élèves ?
2
3. Que signifie éduquer à la citoyenneté à travers une réalité historique ayant des implications
sociales ?
4. Comment concilier les phénomènes de socialisation et d’individualisation qui sont au cœur
de la problématique citoyenne en éducation aux sciences historiques ?
5. Dans quelle mesure la formation historique peut-elle aider les élèves à réfléchir à la
question de la citoyenneté et à s’y impliquer davantage ?
6. Quel est le rapport au savoir historique des élèves au regard de la lecture singulière que
chacun d’eux fait de l’histoire ?
Ce questionnement traduit un tour d’horizon qui nous a amenée à nous intéresser à l’histoire
comme un modèle disciplinaire dont l’apprentissage nécessite un certain relativisme des
savoirs (Audigier, 1995), une pluralité des interprétations et des représentations du monde1.
Également, cette logique nous a permis de traiter de la question du sens et de la valeur des
savoirs ainsi que de l’idée de négociation dans la construction de ces derniers. Comme nous
l’annoncions précédemment, les différentes interrogations liées à un modèle de circulation
sociale des savoirs historiques viennent d’une certaine prise de conscience en relation avec
notre formation en didactique.
À l’époque où nous amorcions notre formation en didactique au printemps 1999, nous
développions certaines aptitudes dans le cadre de nombreux séminaires et prenions
conscience de l’impérieuse nécessité de revoir l’enseignement de l’histoire autrement. Nous
avons appris à questionner nos anciennes pratiques et cette capacité réflexive nous a conduite
à reconsidérer tout ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, particulièrement en contexte
gabonais, et ce, pour diverses raisons. La raison principale étant que l’enseignant gabonais
était formé de manière à ce que le maitre soit le seul détenteur du savoir et l’élève se devait
de le tenir pour acquis. L’idée du maitre qui s’efface pour mettre l’élève au centre de
l’apprentissage nous était totalement inconnue. C’est ce virage épistémologique vers un
1Du mot cosmos en grec, le monde désigne l’influence d’un système de valeur, de croyance, de pensée et
d’habitude en vigueur.
3
modèle d’enseignement et de cognition socioconstructiviste, et surtout le culte de
l’engagement à la mentalité toute nord-américaine, qui oriente aujourd’hui nos intérêts de
recherche. La première phase de ce parcours s’est achevée en 2005 par la rédaction d’un essai
dans lequel nous avons identifié les représentations du savoir véhiculées par un manuel
d’histoire au Gabon (Obone Nguema, 2005).
Nous nous sommes intéressée au fondement épistémologique des contenus historiques du
manuel et aux effets présumés du discours officiel de former des sujets conscients de leurs
responsabilités et réconciliés avec leur histoire (Dodo-Bouguendza, 2000). Nous trouvions
pertinent de voir comment l’histoire participe à la réalisation de ces finalités puisqu’elle est
l’un des domaines importants dans la formation des jeunes (Ministère de l'éducation du
Gabon, 1983, 2010). Pour des fins d’analyse, nous avons élaboré des grilles en nous inspirant
en grande partie d’un modèle conçu par Mathy (1997). Cette dernière suggère plusieurs pistes
pour concevoir des outils d’analyse du matériel pédagogique et débusquer, méthodiquement,
les conceptions 2 épistémologiques qui sous-tendent les thèmes choisis. À partir de cette
première étude, nous avons dressé une première écologie des savoirs (Chevallard, 1985 ;
Charbonnier & Kreplak, 2012) liée à l’enseignement de l’histoire. Nous avons montré que
les savoirs historiques tels que présentés dans le manuel, sans liaison aucun avec le contexte
sociohistorique de leur élaboration, peuvent difficilement amener les élèves à développer leur
pensée critique. De cette expérience, nous sommes sortie convaincue que les difficultés
qu’éprouvent les élèves à apprendre l’histoire ne pouvaient dépendre uniquement de
l’inefficacité des méthodes didactiques, mais qu’elles peuvent tout aussi résulter, pour
reprendre Legendre (1994), d’un manque d’intérêt généré par la confrontation à cette
discipline. Nous y reviendrons.
L’apprentissage de l’histoire qui s’inscrit dans le contexte plus large de l’éducation aux
sciences historiques ne relève pas uniquement de l’école. Comme cela est soutenu dans
2En histoire, deux grandes conceptions du savoir se distinguent : une première se définissant comme un
ensemble de savoirs non problématisés, vrais, et pouvant difficilement être remis en cause ; une seconde se
définissant comme une construction sociale où les contradictions et les contre-histoires sont des occasions
fructueuses pour comprendre l’élaboration des savoirs historiques.
4
nombre d’écrits (Conseil Supérieur de l’Éducation, 1990 ; Legendre, 1994), d’autres milieux
éducatifs, d’autres sources d’informations contribuent à éveiller la curiosité des élèves et à
développer leur esprit critique. Ces écoles-parallèles, qui offrent d’autres manières
d’apprendre, suscitent l’intérêt des élèves à l’égard de l’histoire. En des termes plus clairs,
reposons-nous cette question ayant orienté l’ordre éducationnel depuis l’Antiquité grecque :
qu’est-ce qui vaut la peine d’être enseigné à l’école ? Question à laquelle Forquin (1997)
ajoute un second volet : qu’est-ce qui peut être transmis par d’autres canaux, d’autres réseaux
que l’école ? Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire abstraction de tous ces acquis
extrascolaires. Aussi, importe-t-il à l’école d’établir une nouvelle approche du rapport que
les élèves ont avec les savoirs et, particulièrement en classe d’histoire où tout savoir est
interprétation.
L’étude s’articule autour de six chapitres. Le premier présente le cadre de réflexion à partir
duquel nous avons conceptualisé une approche interdisciplinaire pour cerner la
problématique du rapport au savoir dans le contexte actuel de l’éducation. La question des
savoirs sera d’abord située dans un cadre général avant d’être portée sur la discipline
historique où le sens et la valeur des savoirs seront interrogés. Le but ne serait pas de faire
un inventaire complet de la situation, mais de montrer en quoi les visées d’éducation à la
citoyenneté assignées à cette discipline, ont tendance à être minorées au profit d’un
apprentissage normatif et transmissif de la mémoire collective.
Le deuxième chapitre traite du cadre conceptuel à partir duquel nous entendons explorer la
question du sens des savoirs en histoire. Ce qui permet de faire ressortir le caractère
multidimensionnel de la notion de sens et de soutenir que si l’approche de la pensée
historique est importante pour saisir le sens que l’élève donne aux savoirs historiques, il ne
s’agit peut-être que d’une partie du problème, d’une face de la médaille (Demba, 2010). Afin
de cerner la question du sens dans ses dimensions sociologique et didactique, nous faisons
un bref portrait des significations associées au rapport au savoir. Puis, nous situons le concept
de pensée historique au croisement des postulats didactiques et des enjeux de l’éducation à
la citoyenneté en classe d’histoire. C’est dans ce chapitre que l’approche historico-
sociologique des réalités sociales invite à porter un regard sur une perspective de longue
5
durée, regard qui sera porté dans cette recherche sur un enjeu citoyen, soit la question de la
pauvreté. À la suite d’un double éclairage théorique combinant les enjeux didactiques et
sociologiques et prenant appui sur des questions scientifiques socialement vives (QSSV),
nous formulerons notre objectif de recherche et les angles spécifiques qui lui sont associés.
Le troisième chapitre justifie des orientations méthodologiques données à la présente étude
et les choix auxquels ils ont présidé quant à la cueillette et à l’analyse des données. Il est
question de relier à l’approche sociodidactique qui oriente notre propos de recherche, une
posture d’investigation qui donne l’occasion aux élèves d’exprimer leur analyse de la réalité
étudiée. Après la présentation des outils d’enquête, soit le questionnaire et les entrevues ainsi
que les enjeux épistémologiques qui leur sont reliés, nous aborderons cette dimension de
notre posture analytique qui cherche à comprendre les points de vue des élèves plutôt que de
les juger (Bourdieu, 1993). Cette posture implique également de se donner des outils
d’analyse qui rendent compte de l’expérience sociale et scolaire des élèves.
Le quatrième et le cinquième chapitres présentent les résultats produits dans les deux
scénarios d’enquête ainsi que l’analyse qui en est faite. Le quatrième chapitre traite des
données du questionnaire dont les six (6) thèmes abordés sont à considérer dans leur
dynamisme et non en morceaux isolés les uns des autres. D’une part, il s’agira de mettre en
lumière la question du sens dans ses multiréférentialités et de dégager une compréhension
plus fine du sujet-acteur qu’est l’élève quant à son intérêt d’aller à l’école, d’y acquérir des
savoirs – en particulier les savoirs historiques – et ainsi se préparer pour sa vie de futur
citoyen. Pour mettre en phase le rapport des élèves aux savoirs, il importe de lier les discours
produits au contexte sociopolitique auquel ces derniers se réfèrent pour donner sens aux
situations. D’autre part, il sera question de brosser un tableau rapide du passé et de la
compréhension générale que les élèves interrogés ont de la discipline historique. Quant au
cinquième chapitre, la perspective historique adoptée pour cerner la question de la pauvreté
dans ses ancrages sociohistoriques permet d’établir comment les élèves conçoivent le passé
et quels liens moraux ou identitaires ils utilisent pour expliquer leur présent. Le chapitre 5
nous ramène à l’intérêt premier qui a suscité notre projet de recherche en ce qu’il permet de
comprendre ce qui donne à un savoir une valeur formatrice et, comment une éducation d’un
6
modèle passif s’est forgée chez les citoyens gabonais au fil du temps. Cette perspective rend
compte de la complexité du social dans les savoirs produits par des sujets historiquement
situés.
Les principaux résultats des chapitres 4 et 5 font l’objet d’une synthèse présentée au chapitre
6. La synthèse faite permet de mettre en lumière quelques contraintes de la mémoire
collective au sujet de la pauvreté dont le traitement reste indissociable des référents
socioculturels. On verra que les rapports aux savoirs historiques des jeunes Gabonais restent
ancrés dans le jeu des rapports sociaux tant d’ordre civilisationnel et racial – en lien avec la
situation coloniale – que sociopolitique – en lien avec les enjeux de pouvoir actuels.
7
CHAPITRE 1 : LA PROBLÉMATIQUE
8
Ce premier chapitre de la thèse a pour but de cerner la question du rapport au savoir
à l’école, notre objet d’étude. La première articulation pose d’abord la question du sens et de
la valeur des savoirs en relation aux enjeux actuels d’éducation à citoyenneté, puis, sera
dressé un portrait général de cette question en histoire avant de la situer dans le cas plus
spécifique du Gabon. La deuxième articulation fait un état de lieu de notre problème de
recherche, soit le manque d’intérêt des élèves face à l’histoire, et, justifie la pertinence sociale
de l’étude axée sur le rapport au savoir.
1.1. Le contexte actuel de l’éducation à la citoyenneté
Dans l’intérêt de mieux cerner la question du rapport au savoir à l’école et surtout
d’en saisir la pertinence liée aux enjeux de l’éducation à la citoyenneté, nous avons jugé
nécessaire de mettre un accent particulier, en premier lieu, sur la question des savoirs. Cette
question, telle qu’elle se discute à l’école aujourd’hui, suscite une remise en cause de la
hiérarchie des savoirs. Nous dresserons par la suite un état plus situé de cette question des
savoirs en histoire scolaire avant de nous pencher sur l’état actuel de cette discipline au
Gabon.
1.1.1. La question des savoirs à l’école aujourd’hui
Nous avons abordé la problématique du rapport au savoir en nous intéressant à la
valeur formatrice3 des savoirs et en tentant de cerner la question de la citoyenneté au Gabon.
Plus précisément, nous cherchions à comprendre comment l’éducation des citoyens gabonais,
tant décriés passifs par nombre d’auteurs gabonais, s’est forgée au fil du temps et à travers
l’apprentissage de l’histoire. L’éducation étant censée répondre en bonne partie à une
3Dans la perspective de l’école obligatoire du XIXe siècle et selon Fabre (2003), créer un habitus moral chez
les élèves donnait au savoir scolaire une valeur de formation. La valeur de formation ainsi donnée faisait
référence à une disposition générale de l’esprit qui fasse voir aux élèves les choses sous un jour déterminé.
Aujourd’hui, l’ordre sociétal étant différent, comment juger de la valeur formatrice d’un savoir scolaire ?
9
nécessité d’ordre social (Levasseur, 2006), qu’est-ce qui, dans le contexte de cette ancienne
colonie française, donne valeur de formation à un savoir ?
Fort de cet intérêt et pour nous donner une cadre de réflexion, nous avons puisé dans les
champs de la sociologie de l’éducation et de la didactique, deux domaines dont les travaux
sont de notre point de vue d’un apport capital sur le sujet. À la suite des travaux effectués
dans ces deux domaines, nous avons mis en relation les concepts de culture, de savoir et de
société dans le but de comprendre ce qui fait la valeur formatrice des savoirs dans les sociétés
postmodernes. En convoquant la question des savoirs, nous sommes partie de cette question
fondamentale qui guide le monde de l’éducation depuis l’Antiquité grecque et dont nous
faisions récemment mention dans nos propos introductifs : que doit-on transmettre à l’école ?
Une question qui, d’après Foucault (1969, 1973), Forquin (1984) et bien d’autres, donne
pouvoir et droit de vérité à certains savoirs selon les époques, les contextes, les écoles de
pensée. Dans le contexte actuel où l’on note une accélération prodigieuse des savoirs, nous
trouvions d’une nécessité impérieuse de réfléchir sur les savoirs qu’il est pertinent
d’enseigner étant donné le caractère pluriel des sociétés, des cultures et, bien sûr, des savoirs.
Cela dit, pour nous permettre d’aller plus de l’avant, revenons à la définition des concepts et
commençons par celui de la culture. Nous nous sommes appuyée sur la conception de Young
(2007) pour qui la culture est la résultante d’une construction sociale au sens que les critères
qui déterminent sa légitimité sont arrimés à des intérêts sociaux. Dans le discours humaniste
au contraire, la culture est un corpus de grandes œuvres rendant l’Homme plus humain,
construisant son identité et transformant sa base naturelle pour en faire un Homme fin et
subtil (Côté, 2008). En mettant l’être humain au contact des produits culturels universels, on
note là un désir de faire de la culture un complément harmonieux de la nature humaine. Dans
sa conception, Young montre le caractère arbitraire ou relatif de la culture tandis que la
conception humaniste renvoie à une vision unitaire et transcendante du concept. Quant à
nous, considérant la variabilité des intérêts sociaux, c’est à raison que nous nous inscrivons
plutôt dans la conception de Young.
10
En ce qui concerne le savoir, nous nous sommes intéressée à la conception de Fourez et ses
collaborateurs qui donnent à ce concept une orientation liée à l’insertion de l’Homme dans
l’histoire de l’humanité (Fourez, Englebert-Lecompte & Mathy, 1997). Les auteurs insistent
sur le fait que les savoirs sont des représentations, des modèles servant à communiquer avec
d’autres à propos des situations que l’on rencontre, des décisions que l’on veut prendre et de
ce qui est possible. En ce sens, savoir et culture se combinent aux valeurs d’autonomie, de
communication, de négociation et d’exercice de l’esprit critique. De ce point de vue, savoir
et culture sont soumis à certains intérêts sans pour cela être simplement utilitaires dans le
sens étroit du mot. La société vient ainsi englober les deux concepts précités, car se rapportant
à l’ensemble des mœurs et coutumes partagées par une population. En tant que création
humaine, la société suppose un choix d’organisation sociale des valeurs et des normes.
À partir de ces définitions, revenons à la question qui nous préoccupe et qui établit les liens
entre ces trois concepts : considérant que tout savoir prône ou véhicule une ou des valeurs
culturelles, que peut-on retenir de la question des savoirs en enseignement dans les sociétés
actuelles ?
Parler des savoirs dans les sociétés actuelles revient à justifier la place, la valeur et le sens
des savoirs dans un contexte où l’on veut que les citoyens aient davantage de sens critique.
Cette question constitue actuellement l’une des préoccupations en éducation. Depuis les
années 1960, la sociologie de l’éducation s’est efforcée de rendre compte de la distribution
inégale des capitaux culturels laissant peu de place à la critique des savoirs scolaires. Comme
le souligne Forquin (2008), les contenus d’apprentissage constitués en un cadre donné
d’avance sont restés pendant longtemps, la parente pauvre des réflexions éducatives. Les
discussions sur l’école se développèrent, « soit du côté d’analyse des structures des
institutions éducatives dans leur rapport aux structures sociales, soit du côté d’une description
des interactions au sein d’un monde scolaire considéré comme monde social » (p. 7).
Contrairement à cette orientation, les nouvelles approches éducatives se centrent beaucoup
plus sur la problématique des savoirs, leur substance et leur structure ainsi que sur la façon
11
dont ils sont sélectionnés, organisés, validés. Ce qui fait la spécificité des réflexions centrées
sur les savoirs, c’est ce regard critique qu’elles portent sur les contenus véhiculés par le
curriculum. L’histoire nous apprend qu’après la crise de l’humanisme des années 1960 et
l’émergence du postmodernisme, il y a eu une explosion des discours sur le monde (Jolibert,
1987 ; Forquin, 1989 ; Gadamer, 1996 ; Audigier, 2001 ; Kamboucher & Meirieu, 2001 ;
Fabre, 2003 ; Simard, 2004). Ce qui a créé une espèce de déstabilisation des cultures dites
dominantes, une relativisation et un affaiblissement des savoirs dits universels. Plusieurs
tinrent pour acquis que la culture scolaire n’était qu’arbitraire.
Ces transformations de la société ont rendu possible l’intégration à l’école d’un type de
savoirs longtemps exclus de la sphère scolaire. À l’exemple des questions scientifiques
socialement vives (QSSV) qui montrent que les acteurs, au quotidien, produisent eux aussi
des savoirs et des manières de faire (Certeau, 1990), une nouvelle approche de l’éducation
suscite une remise en question du pouvoir, voire de l’hégémonie des savoirs disciplinaires.
1.1.2. La hiérarchie des savoirs remise en question
Nous avons parlé d’une crise que le monde de l’éducation a connue à partir des
années 1960, laquelle a favorisé l’intégration de nouveaux savoirs à l’école et une rupture
avec les cultures dites dominantes. Mais peut-on vraiment parler d’une réelle rupture avec
cette conception même du savoir dans la mesure où le système méritocratique accorda, lui
aussi, une autorité certaine aux savoirs scientifiques ?
Notre réflexion au sujet de la hiérarchie sociale des savoirs s’inspire largement du sociologue
Michel Foucault (1971) dont les travaux ont montré que l’on ne peut traiter du savoir sans
convoquer la question du pouvoir. Des didacticiens, à l’instar de Larochelle et Desautels
(2006), abondent dans le même sens soutenant de tels propos qui en permettent une mise en
contexte :
12
À chaque époque, dans chaque société, parmi tous les discours qu’il est possible
de produire, seul un certain nombre d’entre eux seront dits légitimes, et ce, en
fonction de la place qu’on leur attribue dans la hiérarchie des savoirs qui y est
promue, et, en conséquence, dans la hiérarchie des pouvoirs qu’ils confèrent à
ceux et à celles qui les détiennent (p. 61).
Qu’il s’agisse des réflexions sociologiques ou didactiques sur les savoirs, les auteurs parlent
d’une volonté de vérité qui sous-tend les savoirs scientifiques comme constituant une
prodigieuse machinerie de mise en ordre du monde et des individus. Comme l’observent
Larochelle et Desautels (2006), « avec la montée en puissance du discours sur la rationalité,
tout se passe comme si on donnait les clés du monde aux scientifiques pour l’ordonner selon
des catégories qui consacrent des monopoles et des exclusions : scientifiques et non
scientifiques, rationnels et non rationnels, experts et amateurs » (p. 66). Foucault définissait
ainsi la forme scolaire comme un dispositif servant à maintenir le pouvoir des savoirs
scientifiques. L’ensemble des règles identifiées y servent de normes auxquelles l’élève doit
être assujetti. Un type de relation s’y déploie selon une répartition graduelle dans l’année, le
mois, la semaine lui rappelant comment se conduire. Foucault (1971) parle d’une emprise
totale sur l’être qui en serait au cœur.
En donnant la primauté à une seule manière de dire le monde plutôt qu’à tant d’autres, la
norme scolaire non seulement forme à l’agilité de l’esprit, mais également établit une certaine
hiérarchie entre les savoirs (Martinand, 1986). Une telle tradition scolaire longtemps
maintenue dans le système éducatif reste encore très marquante en histoire. Dans ce qui va
suivre, nous traitons de cette particularité des savoirs historiques, et plus précisément, dans
leurs rapports avec les finalités de l’éducation à la citoyenneté.
1.1.3. Histoire et éducation à la citoyenneté : regard général
Il s’agit ici de resituer la question du sens et de la valeur des savoirs en histoire dans
le contexte actuel des grandes réformes en éducation. Nous montrerons en quoi cette matière,
qui touche à l’identité — individuelle et collective — des personnes, rend difficile la mission
d’éducation à la citoyenneté qui lui est assignée.
13
Le choix de l’histoire comme discipline par excellence – mais pas nécessairement unique —
pour éduquer à la citoyenneté est l’une des modifications importantes ayant été apportées
dans les curriculums de plusieurs sociétés (Seixas, 2000 ; Audigier, 2003 ; Sandwell, 2005 ;
Laville, 2011). L’intérêt porté sur l’histoire trouve sa pertinence dans les enjeux auxquels les
sociétés démocratiques actuelles font face (Case & Denos, 2006 ; Laville, 2006 ; Cardin,
2010). Un sociologue de l’éducation résumait ainsi un discours récurrent dans le cas de la
société québécoise :
L’école a un rôle social de premier plan à jouer à l’égard de la violence des élèves,
de leurs incivilités et plus largement de la désaffection de la jeunesse pour le
politique et la culture, de l’éventuelle dérive individualiste qui résulterait en un
affaiblissement du tissu social, du lien social qui ne tiendrait plus qu’aux
stratégies des uns et des autres et des valeurs éducatives qui se dégraderaient au
profit de l’utilitarisme. Ce discours ambiant assigne à l’école la mission de
contrer cette délitescence du lien social, de former des citoyens avertis,
compétents et engagés, de discipliner une jeunesse dite à la fois indolente et
rebelle. À cet égard, il reviendrait à l’éducation à la citoyenneté plus qu’aux
autres cours de résoudre une partie de ces problèmes sociaux (Levasseur, 2006,
p. 611).
A l’instar de Levasseur, d’autres auteurs soutiennent qu’une des valeurs centrales liées à
l’éducation à la citoyenneté est d’amener les individus à s’engager à tous les niveaux de la
société (Pagé, 2001 ; Weinstock, 2000 ; Charland, 2003 ; Pilote, 2006). Plus précisément,
une conception plus sociale de la citoyenneté « mettrait l’accent sur le développement de
l’individu, de ses valeurs, de sa psyché, de son moi » (Cardin, 2004, p. 47). C’est à ce titre
que la pensée historique prend toute son importance puisqu’elle permet à l’élève de mieux
gérer la pluralité des savoirs grâce à un usage critique des ressources. Au Québec, le
renouveau pédagogique associant l’histoire à l’éducation à la citoyenneté en est un modèle.
Le citoyen idéal y est décrit tel un sujet-acteur capable de se distancier de la mémoire
collective et de la culture de l’instant (Martineau, 2010).
Toutefois, l’histoire à l’école est loin de faciliter un consensus entre la communauté
scientifique et le grand public qui poursuivent des idéaux contradictoires. Chez le second, la
prise en compte de la diversité des interprétations en histoire rencontre encore des résistances
14
parce qu’elle touche à la mémoire collective (Levasseur & Cardin, 2013), ce que la sociologie
critique nomme généralement l’ordre symbolique des savoirs. Ces incompréhensions
rappellent les propos de Perrot (2000) dont la thèse soutient que « l’histoire dans sa mission
d’éducation à la citoyenneté constitue une opération complexe où interfèrent des systèmes
de croyances de longue durée et un regard du présent » (p. 277).
Des débats révélateurs de représentations sociales 4 montrent à l’échelle internationale
comment l’histoire associée à l’éducation à la citoyenneté a été abordée selon des points de
vue contradictoires. Ainsi, Cusso (2011) soutient-il l’idée d’une solidarité réciproque entre
ces deux ordres d’enseignement en proposant de dépasser graduellement les canons
ethnocentriques et d’harmoniser la spécificité de chacune des disciplines. Allard (2011), au
contraire, parle d’un mariage impossible entre ces deux disciplines craignant de dénaturer
l’histoire ou d’en faire un instrument de propagande ou d’endoctrinement. Pour Laville et
Martineau (1998), l’histoire ne devient porteuse d’apprentissages riches pour l’éducation des
citoyens que si la discipline s’apparente à l’histoire dite critique. Selon Seixas (2000),
Sandwell (2005), Case & Denos (2006), l’histoire critique ne présente pas de facto un volet
citoyen. Dans cette veine en effet, nombres d’écrits militent pour l’absence du
volet citoyenneté dans les cours d’histoire (Lee, 1998, 2002 ; Lee, Ashby & Dickinson, 2000,
1998). Cardin (2006, 2010), de son côté, reprend les visées d’apprentissage des programmes
d’histoire du Québec depuis 1982 et met en lumière les appels incessants des gouvernements
à former des citoyens bien outillés pour agir en société (Conseil Supérieur de l’Éducation,
1982. Dans ces débats, il a parfois été question de défendre son territoire vu le reproche
provenant de l’enseignement de l’éthique. Selon ces spécialistes de l’enseignement moral,
l’éducation du futur citoyen constitue un territoire qui leur revient de droit (Cardin, 2004).
Comme nous le verrons au prochain chapitre, certains écrits proposent de rétablir des
orientations mises à mal dans les programmes jumelant histoire et éducation à la citoyenneté
(Granatstein, 1998 ; Guay, 2006). D’autres au contraire proposent quelques adaptations
4Le concept sera compris ici dans son acceptation la plus générale, c’est-à-dire comme ce qui est à l’éducation
et aux normes sociales. En histoire plus précisément, les représentations sociales désignent une forme de pensée
sociale, un savoir commun, un genre de conformisme.
15
rendues nécessaires dans le contexte sociétal actuel (Audigier, 1995 ; Laville & Martineau,
1998 ; Tutiaux-Guillon, 2005 ; Cardin, 2010 ; Levasseur, Moisan & Cardin, 2013). Dans ces
débats, une question reste fondamentale : dans quelle mesure l’apprentissage historique peut
rendre compte à soi, aux autres et au monde de l’apport particulier du regard historien sur le
monde ?
À l’instar de Martineau (2010), Laville (2006) et de bien d’autres, nous soutenons un
apprentissage de l’histoire tenant compte des adaptations rendues nécessaires dans le
contexte éducationnel actuel. C’est en effet dans ce contexte que les élèves peuvent réfléchir
sur les savoirs et se construire un sens critique à leur propos. Comme l’affirme Tutiaux-
Guillon (2005), la temporalité critique se construit dans un rapport entre le champ
d’expérience qu’est le passé, le temps de l’initiative qu’est le présent et le futur comme
horizon d’attente. A ce titre, il apparait plus fertile de traiter des multiples facettes de
l’histoire et de comprendre comment l’élève arrive à la compréhension de soi, de l’autre et
du monde.
Dans le cadre de la présente étude, il serait alors intéressant de traiter de la QSSV qu’est la
pauvreté, une réalité sociale qui reste directement reliée à la mémoire collective du Gabon,
pour voir comment le jeune Gabonais se construit une conscience face à ce phénomène. Pour
mieux cerner notre propos, nous commencerons par situer l’histoire scolaire en lien avec
l’éducation à la citoyenneté dans le contexte plus spécifique de ce pays.
1.1.4. Histoire et éducation à la citoyenneté à l’école gabonaise
Selon Galichet (2002), il est peu aisé de concevoir un projet d’éducation à la
citoyenneté en faisant abstraction du contexte sociopolitique, économique, moral ou religieux
qui lui donne forme. Dans le contexte du Gabon, où les valeurs occidentales introduites par
le colonisateur français ont profondément modifié les structures sociales anciennes, l’école
devient le principal mode d’acquisition des savoirs. Pour allier école et développement, une
des valeurs essentielles du monde contemporain, l’État gabonais accorde une primauté à
16
l’éducation depuis 1960, date de son accession à l’indépendance. Cependant, plus d’un demi-
siècle plus tard, le pays demeure toujours un État pauvre malgré d’énormes potentialités
économiques5et d’intelligences humaines, posant ainsi la question de la citoyenneté. Les
auteurs gabonais qui se sont intéressés à cette question dans ce pays, mettent au centre des
facteurs de résistance au développement, la qualité de l’éducation reçue par les citoyens.
Disons qu’en contexte gabonais, la question de la citoyenneté devenue un sujet crucial,
alimente les débats intellectuels, les médias et presque toutes les sphères de la société en sont
concernées. Dans les milieux éducatifs, la passivité des citoyens gabonais et la façon dont
l’histoire est enseignée sont l’objet de nombre d’études (Mba Essogho, 2009 ;
Bissiélou, 2011 ; Assoume Mendene, 2012, Ségna, 2013). Comment l’éducation du peuple
gabonais s’est-elle forgée au fil du temps ? De quelle manière l’histoire a-t-elle participé à la
formation des citoyens passifs ? Telles sont les interrogations auxquelles les auteurs ont tenté
de répondre.
Nombre d’écrits dénoncent une volonté de former à une citoyenneté normative dans les
manuels et les programmes d’enseignement (Mombo & N’dimina-Mougala, 2001 ; Obone
Nguema, 2005 ; Assoume Mendene, 2012). Certains portent un regard critique sur l’histoire
et son enseignement dans ce pays et parlent des contenus scolaires peu propices à la formation
de citoyens critiques (Assoume Mendene, 2012). Une très grande surcharge des programmes
pousserait les enseignants à privilégier la transmission des connaissances factuelles plutôt
que la construction de sens à leur sujet dans une démarche critique de projet et de débat.
Étant donné qu’apprendre implique un changement conceptuel, comment dans le cas du
Gabon, l’apprentissage de l’histoire peut-il permettre aux jeunes Gabonais de parvenir à ce
5En général, les budgets de l’État gabonais oscillent entre 150 et 250 milliards de dollars US pour une population
de moins de moins de deux millions d’habitants. D’où la notion de paradoxe d’un pays riche de ses richesses,
mais pauvre de sa population. Nous ne pouvons quantifier toutes ses ressources (pétrole, gaz naturel, fer,
uranium, bauxite, zinc, niobium...), nous n’en ferons qu’une énumération sommaire de quelques-unes à
l’exemple du manganèse dont la production atteignait les 2,8 millions de tonnes en 2005. Son système
hydrographique qui couvre la quasi-totalité du territoire constitue une source d’alimentation importante pour
les habitants. Sa forêt, composée d’une faune et d’une flore d’une variété exceptionnelle, est un atout pour
l’économie du pays.
17
que F. Dumont (1968) appelle, passer de la culture première à la culture seconde ? Plus
précisément, comment dans ce contexte précis, les élèves pourront-ils développer leur esprit
critique face aux récits et mythes véhiculés dans la mémoire collective ? Pour cerner
davantage la problématique de la citoyenneté au Gabon, nous procéderons par une mise en
lumière du problème incontournable que pose la fonction éducative de l’histoire, notamment
celui d’articuler mémoire et esprit critique.
1.1.4.1. L’articulation mémoire et esprit critique, sa complexité
Comme le soutient Ségal (1990), la tentative de concilier mémoire et pensée critique
est d’un enjeu considérable en classe d’histoire. Nous commencerons par traiter de ces deux
fonctions peu compatibles en rappelant la place dérisoire qu’occupe le Gabon comme objet
d’étude dans son programme 6 d’enseignement au secondaire, puis, nous esquisserons
quelques enjeux épistémologiques reliés à la fonction éducative de l’histoire.
Dans les programmes scolaires réformés de 2010, pour ne s’en tenir qu’à ces derniers,
l’histoire occupe une heure en moyenne par semaine sur chacun des sept niveaux d’étude que
compte le cycle secondaire. À cette place, que d’aucuns jugent dérisoire, s’ajoute le niveau
de congruence entre la loi d’orientation et les contenus des programmes d’histoire. En son
article 5, cette loi stipule que les programmes seront établis en fonction des conditions
socioéconomiques du pays. Cependant, une lecture exploratoire des programmes
d’enseignement met en évidence un manque d’adaptation entre les connaissances que les
élèves doivent acquérir et les réalités locales. Le lien société/école qui devrait unir les élèves
à leur environnement et leur permettre de s’y adapter est presque inexistant. Ainsi, les
apprenants qui sont en âge d’adolescence ne pourront appréhender les réalités de leur pays
que de façon parcellaire ou à travers les représentations imaginaires (Mba Essogho, 2009).
6Voir les détails du programme d’histoire (ANNEXE B, pp. 324-334) dans Clotaire Assoume Mendene (2012).
Les représentations des élèves du Gabon sur la démocratie au sortir du cycle secondaire. Thèse de doctorat.
Québec : Université Laval.
18
Par ailleurs, comment comprendre que le programme d’enseignement omette des valeurs
socioculturelles propres au Gabon ? Comment, dans ce cas précis, l’école gabonaise peut-
elle apprendre aux futurs citoyens à valoriser les cultures qui sont les leurs ? Mba Essogho,
(2009) qui a suffisamment documenté cette question note la charge négative des groupes
ethnoculturels Pygmées et Fang présentés dans le programme comme étant des peuples
primitifs et barbares. Notons par ailleurs que ces deux communautés socioculturelles sont les
seules à faire partie du programme alors que le Gabon en compte plus d’une cinquantaine.
L’on s’interroge sur une telle démarche qui peut difficilement soutenir la cohésion sociale
tant souhaitée pour un peuple aussi pluriel et diversifié que celui du Gabon. L’examen que
nous faisons des préoccupations évoquées montre la difficulté des élèves à développer un
esprit critique face aux référents mémoriels.
Rappelons que dans la mesure où l’histoire d’un pays reste indissociable de sa mémoire
collective, il y a lieu d’éclairer le sens et la valeur que les jeunes donnent au savoir historique.
Sachant qu’en dehors de l’école il se transmet des perceptions du temps et des représentations
du passé, il importe de conférer à l’apprentissage historique une plus-value éducative qui
intègre un sens dynamique et actuel des réalités du passé. Aussi, un effort de distanciation
quant aux contenus mémoriels devrait-il y être inséré étant donné que, comme nous l’avons
dit, des écoles parallèles offrent aux élèves d’autres manières d’entrer en histoire. En effet,
si l’on veut favoriser l’esprit critique des élèves dans un contexte comme le Gabon qui
présente un paradoxe en matière de pauvreté, il serait important de mettre en évidence cette
particularité.
1.1.4.2. Le paradoxe gabonais : un pays riche et pauvre
Comme cela a été souligné plus haut, le Gabon demeure un Etat pauvre malgré ces
énormes potentialités économiques. Il faut dire que nombre de dysfonctionnements
constituent autant d’obstacles à son développement. Divers écrits d’auteurs gabonais donnent
à voir un portrait sombre de la situation sociopolitique du pays (Assoume Mendene, 2012).
Du détournement des deniers publics à l’indélogeable des dirigeants au pouvoir, de
19
l’endettement chronique aux inégalités sociales frappantes, ce paysage suscite des
questionnements quant à l’enracinement des principes démocratiques. Mais de tous les maux
qui minent le pays, la permanence de son état de pauvreté apparait plus fondamentale. Et
parce que cette réalité interpelle l’engagement des citoyens en tant qu’agents de
transformation sociale, le phénomène de pauvreté demeure la problématique sociale sur
laquelle nous nous sommes penchée dans cette recherche.
De toutes les études ayant abordé cette question au Gabon, seules celles du PNUD et de
Backiny-Yetna et Wodon réalisées respectivement en 2004 et 2009, présentent un état des
lieux objectif du phénomène. En effet, lorsque les chiffres officiels du gouvernement situent
à 33 % le taux des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, une analyse qualitative
déployée dans les deux études précitées décrit la mesure du phénomène à 81 % de la
population en se basant sur les points de vue des habitants (Sen, 2009). Ces deux perspectives
mises en relief par l’économiste Sen (1997) nous ont été particulièrement utiles pour
comprendre le glissement sémantique distinguant deux dimensions de la pauvreté : la
dimension économique et la dimension non économique. La dimension économique de la
pauvreté privilégie le niveau de vie à partir de la consommation réelle des biens et des
services. La dimension non économique, quant à elle, tient compte de la privation des droits
et de déficit d’opportunités. La deuxième perspective rend bien compte de quelle manière
l’incapacité à défendre ses droits d’accès aux ressources publiques peut se traduire en une
forme de pauvreté. La situation du Gabon prouve à suffisance que la démocratie est une
réalité bien exigeante qui doit faire appel à des individus formés et informés (Martineau,
1997), de même qu’elle met en cause le choix du pays en matière de justice sociale
(Martineau, 1991).
Dans le cas du Gabon où le phénomène de pauvreté est directement branché à la mémoire
collective de sa population, on est en droit de se demander de quelle manière l’éducation aux
sciences historiques telle que pratiquée, peut-elle répondre au besoin de former à la
conscience critique. Une préoccupation que Ségal (1990) explicite en ces termes :
20
L’histoire n’a guère d’application pratique […]. Par contre, entreprises et
administrations profitent de la qualité de formation de leurs cadres ;
particulièrement quand ceux-ci ont acquis un certain sens de l’histoire, des
conditions du changement, de la force du temps, et un ensemble de connaissances
de type historien qui assurent et élargissent leur jugement professionnel. Les
grands employeurs éprouvent de plus en plus le besoin d’un personnel doté d’une
forte culture générale […]. En ce sens, les fonctionnements économiques et
politiques bénéficient de l’éducation historique, de la même manière que le
travailleur, le consommateur, le citoyen (p. 10).
Selon le Conseil Supérieur de l’Éducation (2005), l’histoire « se démarque par ce réel désir
de former des citoyens capables d’une participation éclairée » (p. 338), en faisant de la pensée
historique un outil capable de contrer la manipulation d’une conscience naïve. Reprenant la
thèse du pédagogue brésilien Paulo Freire (1973) laquelle soutient que l’éducation peut
élever la pensée vers un niveau de conscience critique, Martineau (1997) montre
l’importance d’inclure une culture historique dans la formation des élèves. Le manque de
culture historique, soutient-il, priverait « les citoyens de la perspective indispensable pour
dépasser leur situation immédiate de survie biologique et limite leur capacité de prendre en
charge leur destinée et celle de leur société » (p. 190).
L’importance accordée à la formation historique dans la vie du futur citoyen suffit-elle à
susciter son intérêt à apprendre l’histoire ? Nombre de recherches soutiennent au contraire
un manque d’intérêt des élèves face à cette discipline. Comment expliquer le manque
d’intérêt des élèves face à l’histoire ? Tel est le problème à la résolution duquel nous voulons
contribuer.
21
1.2. Le manque d’intérêt des élèves face à l’histoire
Nombre de travaux sur les manières d’apprendre en histoire mettent en évidence une
série de facteurs susceptibles d’expliquer le manque d’intérêt des élèves face à cette
discipline. Il s’agit également d’un problème dont nous avons nous-mêmes constaté
l’existence durant une dizaine d’années en tant qu’enseignante d’histoire-géographie au
secondaire. Selon la documentation consultée, ce problème viendrait comme une variable
supplémentaire résultant de deux facteurs : 1) l’utilisation inadéquate des méthodes
didactiques ; 2) l’impact des facteurs externes.
L’utilisation inadéquate des méthodes didactiques
Depuis les années 1960, période lors de laquelle la didactique prit son envol en histoire, deux
tendances de recherche se sont dessinées dont l’une centrée sur la construction des savoirs,
c’est-à-dire la pensée historique, l’autre sur la mémorisation des savoirs. Concernant les
recherches centrées sur la pensée historique, les théories de développement piagétiennes de
la pensée logique auraient été un modèle adéquat pour décrire et mesurer l’accès à la pensée
historique :
elle correspond à trois préoccupations interreliées : a) l’éducation historique doit
former les capacités intellectuelles d’individus autonomes et critiques ; b) pour
cela, faire acquérir le mode de construction des savoirs-processus-doit primer sur
l’acquisition des savoirs construits-le produit ; c) la théorie de Piaget des stades
du développement de la pensée logique (préopératoire, opératoire concret,
opératoire formel) serait un modèle adéquat pour décrire et mesurer l’accès au
processus, c’est-à-dire à la pensée historique (Laville, 2004, p. 2).
Hallam (1970, cité par Laville, 2004) fut le premier à appliquer à l’histoire les conclusions
des théories piagétiennes. Sa recherche vise à mesurer la capacité des élèves à construire les
savoirs historiques. Les résultats non concluants de ces études, basées sur les récits des
manuels, font douter de la capacité des jeunes enfants à effectuer les raisonnements déductifs,
un des attributs de la pensée formelle d’après Piaget.
22
Les conclusions de Hallam amènent Laville et Rosenzweil (1982) à réorienter leur recherche
et à fournir aux élèves des données brutes et non des récits des manuels. Cette fois encore,
les auteurs soulignent la complexité de l’histoire et des tâches demandées aux élèves :
« l’histoire, faut-il le rappeler, n’est pas une science facile. Surtout pour des intelligences
inachevées. [...] un tel exercice demande beaucoup de maturité, de jugement et
d’expérience » (Laville, 1984, p. 6). Laville (1975) explique combien il est difficile pour
l’élève de se libérer du concret pour aborder l’abstrait en travaillant sa capacité d’analogie.
C’est en ces termes que Laville (1984) justifie les difficultés reliées à l’apprentissage de
l’histoire :
On peut supposer, dans l’état actuel des connaissances, que ce retard à accéder à
la pensée formelle en histoire résulte, en partie du moins, de ce que les tenants
des théories piagétiennes appellent un décalage horizontal, c’est-à-dire une
application omise de principes par ailleurs compris. Le degré d’abstraction de
l’histoire et son manque de résonances concrètes dans l’expérience vécue de
l’adolescent permettent d’envisager sérieusement une telle hypothèse (p. 8).
Malgré les insuccès des nombreuses études sur la pensée historique montrant que
l’objectivité de la méthode ne peut suffire à elle seule à garantir l’intérêt des élèves à
apprendre l’histoire, ce mode de pensée reste néanmoins la pierre angulaire de
l’apprentissage de cette discipline.
Signalons toutefois que les succès non escomptés de la pensée historique ont donné voie à
une autre perspective de recherche s’étant démarquée des théories piagétiennes pour se
centrer sur la mémorisation des savoirs. Selon les auteurs, les élèves n’ont pas à construire
leurs propres récits de l’histoire. Il serait naïf, soutiennent-ils, de croire que l’apprentissage
de cette discipline formera les citoyens critiques étant donné leur difficulté à se libérer des
représentations dominantes (Lee, Ashby & Dickinson, 1998). Cette conception de
l’apprentissage qui s’éloigne des principes de l’éducation à la citoyenneté n’a pu trouver gain
d’intérêt dans le contexte éducationnel actuel.
23
C’est dans ce contexte qu’émergent les recherches sur la conscience historique. Dans le souci
de rendre l’apprentissage de l’histoire plus efficace et durable, certains tels Seixas (2006),
Tutiaux-Guillon (2005) et bien d’autres, y voient un élément central pouvant permettre à
l’élève de comprendre le présent grâce à une analyse du passé et pour envisager l’avenir.
Pour Laville (2005) au contraire, la conscience historique suscite une soumission à l’ordre
institué, « cette généalogique de la nation disant au citoyen ce qui est bien de savoir et,
implicitement de penser et de sentir » (p. 14). L’auteur établit des liens entre le malaise
historien et le postmodernisme rappelant qu’il faut miser sur la formation des citoyens
capables d’une participation éclairée en démocratie (Laville, 1979). L’apprentissage de la
conscience historique a-t-il suscité l’intérêt à l’apprentissage de l’histoire ? Si les conclusions
tirées des études menées n’ont pu le garantir, les auteurs ont tout de même soutenu l’impact
des représentations sur la compréhension que les élèves ont de l’histoire.
Les représentations communes dans la compréhension de l’histoire
Les recherches sur les représentations dominantes des élèves tentent de reconsidérer le
complexe enchevêtrement qui les conduit à donner sens à l’histoire (Barton, 1997, 2002).
Cette tendance de recherche s’éloigne des instruments trop restrictifs des méthodes
d’apprentissage (Booth, 1983, 1987) en s’intéressant à comprendre comment l’élève, qui
n’arrive pas à l’école comme une tabula rasa, pense l’histoire (Moisan, 2012, 2015). De
telles recherches montrent que faire de l’histoire ne se résume pas à un processus de pensée
hypothéticodéductive retrouvé dans les sciences de la nature. Comme cela est soutenu dans
les travaux de Moisan (2012, 2015) et dans bien d’autres, des facteurs externes influencent
la compréhension que les élèves et la population en général ont de l’histoire (Barton, 2001,
2002 ; Tutiaux-Guillon, 2003).
Les travaux sur l’impact des représentations effectués dans les familles montrent combien
l’histoire scolaire résiste mal à la concurrence de ces écoles-parallèles (Seixas, 1997 ;
Wineburg, 2001 ; Cardin, Levasseur & Moisan, 2013). De telles études établissent une
distance considérable entre la conscience que les peuples ont de leur passé et l’histoire
24
apprise à l’école. De telles perspectives de recherche donnent voie à des travaux de grand
intérêt du fait de la diversité des publics scolaires. L’impact de la mémoire collective dans
les représentations sociales révèle la particularité de l’histoire dont la compréhension est
fortement ancrée dans le présent de l’élève (Moisan, 2012 ; Levasseur & al., 2013). Les
résultats montrent néanmoins la capacité des élèves à faire de l’histoire peu importe leur âge.
Plus récemment, les didacticiens optent pour une combinaison d’approches entre les
méthodes didactiques et les facteurs externes influençant la compréhension de l’histoire. Les
recherches doctorales réalisées respectivement en 1997 et 2011 par Martineau et Duquette
en sont des exemples. Leurs apports sont remarquables en raison de la qualité des facteurs
explicatifs du problème énoncé et des solutions originales proposées. Les chercheurs ont su
situer la didactique au carrefour des disciplines comme l’épistémologie, la psychopédagogie,
la psychologie cognitive tout en tirant profit de l’abondante documentation offerte. Ils s’en
sont servis pour vérifier sur le terrain les conditions favorables à un apprentissage critique.
Les résultats indiquent la capacité à développer la pensée historique variant d’un élève à un
autre.
Prenant appui sur des études similaires, Gagnon (2011) va s’intéresser au point de vue des
élèves du Québec pour comprendre leur intérêt à apprendre l’histoire. Plus de la moitié dit
ne s’être jamais, ou très rarement, fait expliquer la raison d’être de l’histoire. Dans une
proportion analogue, les mêmes élèves soutiennent n’avoir jamais eu l’occasion de constater
à quel point apprendre l’histoire leur était utile pour leur vie. La majorité affirme se soucier
uniquement d’obtenir la note de passage aux examens. Chez les jeunes Gabonais, le manque
d’intérêt pour l’histoire se laisse apparaitre dans les notes relevées aux examens nationaux
(Demba, 2010) où l’histoire apparait comme étant l’une des disciplines ayant un taux de
réussite parmi les plus bas.
L’utilisation inadéquate des méthodes didactiques et l’impact des représentations dominantes
constituent-ils des facteurs susceptibles d’expliquer le manque d’intérêt des élèves face à
l’histoire ? Qu’est-ce qui a valeur d’intérêt pour l’élève lorsqu’il apprend l’histoire ? Est-ce
25
cette valeur d’intérêt qui donne valeur de formation aux savoirs ? Que signifie apprendre
l’histoire pour l’élève ? Autant d’interrogations qui nécessitent de comprendre le sens et la
valeur des savoirs historiques de son point de vue.
1.2.1. La question du sens des savoirs du point de vue des élèves
La communauté des didacticiens considère la pensée historique comme un des
pivots autour duquel l’élève donne sens au passé (GRECEH, 2011). Ces réflexions
didactiques ont souvent porté leur attention sur les modes d’opérations historiques et les
difficultés reliées à leur apprentissage, laissant de côté les recherches compréhensives qui
s’appuient sur le rapport au savoir (Charlot & al., 1992 ; Rochex, 1995 ; Charlot, 1999 et
2001 ; Jellab, 2001, 2004 ; Lahire, 2007 ; Demba, 2010 ; Lésogho, 2014). Nombre d’enjeux
sur la construction des savoirs exposés dans la partie théorique de cette étude révèlent tout
l’intérêt de reconstruire un autre langage à l’éducation aux sciences historiques. Ce langage
orienté dans la perspective du rapport au savoir donne à l’élève la possibilité de devenir
auteur de sa compréhension de l’histoire. Aussi, l’apprentissage de l’histoire ne sera plus
seulement de l’ordre des méthodes didactiques, mais il est dans l’expérience personnelle de
la réflexivité sans laquelle le savoir ne sera qu’extérieur, artificiel et peut-être même source
d’angoisse (Pourtois & Desmet, 2004). La question du sens prend alors toute son importance
si l’on en croit Forquin (1989) qui soutient que tout savoir est inséparable de l’idée de valeur
que lui accorde ou non l’individu. A ce titre et pour rejoindre Denzin (1992), le sens que
l’acteur donne à ses savoirs est largement tributaire des expériences vécues. Nous pensons
qu’une prise en compte effective de l’élève en tant qu’acteur générateur de sens jouant un
rôle dans la dynamique sociale serait d’un apport fécond aux enjeux soulevés jusqu’ici. À
l’instar de Charlot (1997) et Lahire (2007), nous prenons pour acquis que le réel connaissable
est celui que le sujet expérimente et transforme par ses propres représentations. La
problématique du rapport au savoir est nécessaire lorsque l’on aborde la construction des
savoirs.
1.2.2. La pertinence sociale du rapport au savoir des élèves
26
Dans un contexte comme celui du Gabon où 81 % des habitants déclarent vivre dans
la pauvreté, faire de la recherche implique de produire des connaissances dans la dynamique
du changement. Notre ambition est de contribuer, même modestement, au bien-être des
populations à un moment de l’histoire du Gabon où la recherche se préoccupe de produire
des savoirs d’action. Le contexte spécifique où cette recherche s’élabore invite à s’interroger
sur une pratique d’enseignement-apprentissage visant dans son ensemble à produire des
connaissances susceptibles de contribuer à la lutte des pauvres contre leur situation de
pauvreté. Nous souhaitons fonder notre recherche sur la reconstruction d’un rapport critique
au savoir dans une démarche d’éducation à la citoyenneté.
En faisant le choix de nous attaquer aux racines du phénomène de pauvreté, nous désirons
contribuer à une éducation de qualité en considérant l’effort de recherche comme une
stratégie de sortie de crise pouvant relever les défis du Gabon actuel. Il est indispensable,
voire impérieux, de redonner toute la place à l’effort méthodique d’investigation et aux
analyses empiriques rigoureuses à partir de la réalité du terrain scolaire, là où les futurs
citoyens gabonais sont formés. Au-delà du discours normatif, il s’agit de porter un regard
autre sur l’éducation et de fournir des données significatives ainsi que des résultats probants
sur lesquels prendre appui pour repenser les solutions concrètes aux problèmes soulevés.
Même si la présente étude est née d’un contexte particulier, soit celui du Gabon, elle semble
porteuse des préoccupations qui en transcendent les limites géographiques et rejoignent les
interrogations actuelles sur l’apprentissage de l’histoire de façon générale.
En considération de tout ce qui précède, la position théorique que nous adopterons pour
penser notre étude tentera d’intégrer une vision, notamment celle de prendre en compte les
représentations sociales dans l’action éducative (Moscovici, 1986). Deux questions générales
de recherche sont ainsi formulées pour associer cette vision aux enjeux de l’éducation à la
citoyenneté.
1. Quel sens et quelle valeur les élèves donnent-ils aux savoirs historiques au regard des
interprétations qu’ils font de l’histoire ?
27
2. Comment les jeunes Gabonais parviennent-ils à se construire une conscience
citoyenne face au phénomène de pauvreté dont les ancrages historiques restent
indissociables de la mémoire collective de leur pays ?
Dans le chapitre suivant, nous forgerons le cadre théorique et conceptuel à partir duquel nous
transformerons la problématique que nous venons d’exposer en assises plus opérationnelles
pour orienter notre recherche.
28
CHAPITRE 2 : LE CADRE CONCEPTUEL
29
Ce chapitre vise à déterminer les fondements théoriques et conceptuels qui font le
pont entre la problématique exposée au chapitre précédent et le cadre méthodologique suivant
lequel vont s’opérer la cueillette et l’analyse des données. Plus concrètement, le chapitre
précise la spécificité de notre propos de recherche centré sur la question du sens des savoirs
du point de vue des élèves. Aussi sera-t-il élaboré un modèle conceptuel hybride combinant
enjeux sociologiques et didactiques du rapport au savoir. Dans ce cadre de pensée inspiré des
travaux effectués dans la perspective sociodidactique (Lahire & Johsua, 1999 ; Joigneaux &
Rochex, 2008 ; Demba, 2010 ; Lésogho, 2014), il sera particulièrement question d’interroger
le sens des savoirs sous l’angle de la construction d’un rapport à soi, à l’autre et au monde
en vue de revisiter la problématique de l’apprentissage historique.
Le cadre de pensée établi pour la présente étude se construit à trois niveaux : un premier
niveau tente de définir le concept de rapport au savoir ainsi que les enjeux sociologiques et
didactiques liés à sa construction. En référence à la perspective du rapport au savoir, la pensée
historique et les QSSV seront abordés suivant une double démarche : une démarche
signifiante qui vise à faire émerger la pertinence sociologique des savoirs en vue de la mettre
en lien avec la trajectoire scolaire et sociale de l’élève (Lahire & Johsua, 1999 ; Lahire, 2007 ;
Demba, 2010 ; Lésogho, 2014). Une démarche compréhensive qui tente de mieux
appréhender ce qu’est l’éducation aux sciences historiques dans ses différentes approches
conceptuelles et didactiques. À la suite de ce double éclairage théorique et les éléments mis
de l’avant dans la problématique, la recherche sera orientée vers des enjeux sociodidactiques
du rapport au savoir, soit la perspective qui guide notre propos de recherche. Le deuxième
niveau du chapitre fixe le cadre d’interaction entre rapport au savoir et pensée historique en
référence à la particularité du phénomène de pauvreté au Gabon. Nous tenterons de montrer
qu’une telle orientation, non seulement devrait tenir compte de l’expérience subjective de
l’élève dans le processus d’apprentissage, mais également, suscite une lecture en positif du
sens que ce dernier donne au savoir. Au troisième niveau, nous revenons sur l’objectif
spécifique de la recherche et les angles qui lui sont associés.
2.1. La définition des enjeux liés à la construction du rapport au savoir
30
Cette première partie du chapitre aborde le concept de rapport au savoir ainsi que
les enjeux sociologiques et didactiques liés à sa construction. Concept foncièrement pluriel,
le rapport au savoir est comme le rappellent Bernard et ses collègues, un processus
d’« organisation des savoirs où les sphères du « vivant », de l’humain et du social se croisent,
se déploient et se complexifient (Bernard, Savard & Beaucher, 2014, p. 2). Un premier volet
s’intéressera à présenter les éléments sociologiques du rapport au savoir en vue de cerner les
manières subjectives des élèves à apprendre les savoirs. Dans un second volet, seront traités
les enjeux didactiques du rapport au savoir, et par ricochet, l’apprentissage de la pensée
historique. Cela en vue d’appréhender ce qu’est l’éducation aux sciences historiques dans ses
différentes approches conceptuelles et surtout en référence aux enjeux d’éducation à la
citoyenneté. En dernier lieu, nous aborderons les enjeux sociodidactiques du rapport au
savoir par l’apprentissage des QSSV afin de permettre une vision plus élaborée du
phénomène de pauvreté dans le contexte spécifique du Gabon.
2.1.1. Le rapport au savoir, un processus pour construire du sens
Le rapport au savoir, dans son acceptation la plus générale, est ce processus de
construction des savoirs mettant en relief la question du sens, question centrale pour cerner
de l’intérieur les enjeux de savoirs dans la classe (Dubet, 1191, 1994). Ce processus permet
de comprendre les manières d’apprendre des élèves en se basant sur des enjeux sociaux des
savoirs en construction (Dubet & Martucceli, 1996). Ainsi que l’affirme Perrenoud (1994),
à savoir que l’apprentissage n’est pas seulement lié au sens des savoirs, mais il relève
également de la relation de sens entre la personne et la situation. Et que dans la même veine,
Lahire (2007) met en évidence le fait « que les savoirs ont une histoire, que les apprentissages
s’inscrivent dans un contexte, que les apprenants ont des ancrages culturels et sociaux variés,
que leurs appropriations peuvent être socialement différenciées » (p. 73). A ce titre, la
perspective du rapport au savoir permet d’avoir une vue plus claire de l’élève en train
d’apprendre (Lahire, 1997). Objet à entrées multiples comme nous l’avons récemment
relevé, les spécificités du rapport au savoir dont nous rendons succinctement compte
viennent d’une synthèse d’écrits effectués dans cette perspective (Charlot, 2003 ; Ben
Abderrahman, 2005 ; Demba, 2010 ; Lésogho, 2014).
31
Dans la sociologie de la reproduction de Bourdieu et Passeron (1966, 1970), le rapport au
savoir désigne la transmission du capital culturel. Selon les auteurs qui raisonnent en termes
d’héritiers, les résultats scolaires des enfants reflèteraient les origines sociales de leurs
parents. Ces derniers établissent une relation directe entre la position sociale des parents et
les performances scolaires de l’enfant. Comme on peut le voir, la dominante de cette
approche du rapport au savoir est déterministe.
À l’autre bout du spectre, la théorie clinique du rapport au savoir inspirée de Freud, qu’ont
mis au point Beillerot (1996) et ses collaborateurs, diffère considérablement de celle de
Bourdieu et Passeron (1966, 1970) à forte dominance macrosociologique. Selon cet angle
d’approche, apprendre, c’est investir du désir dans un objet de savoir (Beillerot, 2000). Ici,
le rapport au savoir se réfère à un sujet désirant avec ses dimensions conscientes et
inconscientes et, est à la fois, produit et processus. Le concept est produit en ce sens qu’il est
relatif à la personnalité et à l’histoire du sujet. Les auteurs font mention des attentes de
l’élève, de sa conception de la vie, de ses rapports aux autres, de l’image qu’il a de lui-même
et de celle qu’il veut donner aux autres. En l’occurrence, il peut être aussi vu comme un
processus au sens où l’élève est le moteur de nouveaux apprentissages. L’élève, en tant que
sujet-acteur, acquiert les savoirs pour produire des savoirs singuliers lui permettant
d’appréhender le monde naturel et social qui l’entoure. Ainsi défini, l’entrée du rapport au
savoir se fait du côté du sujet psychique.
Quant à la posture microsociologique qui s’intéresse à la singularité du sujet et à la relation
de sens existant entre ce dernier et les savoirs, elle se démarque non seulement des théories
déterministes de la reproduction, mais aussi de l’approche clinique précédemment évoquée.
Pour Bernard Charlot qui en est l’auteur, le rapport au savoir est un ensemble organisé de
relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir. Les objets
de savoir, les contenus, les activités, les évènements, les situations sont tous liés de
différentes façons à l’apprendre et au savoir. C’est cette perspective de Charlot qui vint
bousculer les représentations communes sur l’échec scolaire et les théories déterministes les
sous-tendant en faisant de tout sujet, auteur — et auteur seul — de son savoir. Charlot affirme
qu’un individu se construit en se confrontant avec autrui, avec des objets culturels du savoir
32
et à travers des projets personnels, des aspirations professionnelles et sociales. L’auteur qui
met en exergue le rôle de l’interaction entre le social et l’individuel souligne avec force le
caractère dynamique et évolutif du rapport au savoir. Dans cette approche, l’entrée du rapport
au savoir se fait du côté du sujet psychosocial.
C’est sous un angle culturel que Hayder (1997) étudie le rapport au savoir. L’auteur qui
s’appuie sur des travaux japonais, indiens et sud-africains repose le problème du rapport que
peuvent entretenir des élèves non occidentaux avec des savoirs scolaires d’origine
occidentale. Il en conclut que ce rapport érigé en rapport d’adhésion reste fondamentalement
instrumental. L’approche culturelle du rapport au savoir entreprise par Hayder serait
particulièrement intéressante pour notre étude effectuée au Gabon où le système éducatif
bénéficie des apports significatifs provenant de la culture française. Dans la perspective
culturelle, le rapport au savoir à forte dominance anthropologique fait référence au rapport à
la culture sociale d’origine.
Le courant du rapport institutionnel au savoir développé par Chevallard (1989, 1992, 2003)
se distingue des précédents par la prise en compte de la relation qu’entretient un sujet ou un
groupe d’individus avec une institution ou un objet de savoir. L’auteur distingue les rapports
individuels et les rapports institutionnels pour chaque institution. Le terme institution
recouvre les institutions éducatives à l’exemple de la classe, de l’école, de la famille. Ainsi
que le soutient Boltanski (1982), l’individu ou l’institution ne connait un objet que s’il existe
une relation, quelle qu’elle soit, entre cet objet et l’individu ou l’institution. En ce sens,
apprendre un objet de savoir pour un individu revient à rendre conforme son rapport
personnel avec cet objet au rapport institutionnel. Dans cette approche, on note la
prééminence du sujet cognitif.
Par ailleurs, des études sur le rapport au savoir n’ont pas seulement porté sur les champs
culturel, anthropologique et sociologique, elles ont aussi touché le domaine de la didactique.
Il en est ainsi des travaux de Chartrain (1998) et Caillot (2000) où le rapport au savoir
s’apprécie à travers les particularités disciplinaires. Le rapport aux mathématiques diffère du
33
rapport à l’histoire du fait que les deux disciplines présentent des différences de nature qu’il
convient de prendre en compte. L’approche didactique du rapport au savoir passe du savoir
en général aux savoirs spécifiques des disciplines scolaires. Dans cette approche, l’entrée du
rapport au savoir se fait du côté du savoir disciplinaire.
En considération de ce qui précède, le concept de rapport au savoir, comme objet à multiples
entrées, semble une piste prometteuse pour une étude des phénomènes éducatifs comme la
nôtre. Mais pour la spécificité de notre propos de recherche, nous nous intéresserons
davantage à la perspective microsociologique et à celle didactique du rapport au savoir.
D’une part, la perspective microsociologique semble plus féconde pour comprendre la
trajectoire sociale et scolaire des élèves et pour appréhender la singularité des rapports établis
entre ces derniers et les savoirs historiques. D’autre part, la perspective didactique permettra
d’identifier les critères à partir desquels le rapport au savoir historique se détermine et
s’apprécie.
2.1.1.1. Les enjeux sociologiques du rapport au savoir
Dans son article « Le rapport au savoir, nouveau handicap », Bernardin (2003)
retrace l’évolution du concept de rapport au savoir depuis son origine jusqu’à son acceptation
actuelle. Ainsi, le concept serait-il né avec la démocratisation scolaire des années 1960 et la
nécessité d’expliquer l’échec scolaire. Les recherches effectuées dans cette perspective se
démarquent des théories de dons et de la reproduction sociale assurée par l’école. Prenant
appui sur l’illusion qui consistait à croire que l’égalité d’accès à l’école suffirait à assurer
l’égalité de succès scolaires, les études démentent le postulat de l’égalité des chances. D’où
la remise en question de la démocratisation de l’école dans des systèmes éducatifs qui ont vu
leurs effectifs se multiplier.
En effet, avant les années 1960, les études sociologiques parlent de dons pour justifier des
performances scolaires. Durant les années 1970, une posture plus critique s’éloigne de la
théorie des dons pour mettre en avant la reproduction sociale face au savoir. Selon la théorie
34
de la reproduction, la ségrégation sociale ne peut assurer les effets escomptés parce que
corrélée à l’origine sociale des élèves. À la théorie de la reproduction qui succède à celle des
dons pour expliquer des performances scolaires, Bourdieu rend compte de la théorie
de l’habitus pour justifier une façon de penser le monde. Selon Bourdieu et Passeron (1970),
pionniers de ce mode de pensée, la reproduction établie dans un système éducatif
transformerait les injustices sociales en inégalités scolaires. Aussi, l’école générerait-elle
des inégalités en se voulant égalitaire.
Nombre d’enquêtes font ressortir cette composante culturelle pesant sur les comportements
et les performances scolaires. À l’instar de Bernstein (1975) qui intègre dans une approche
culturaliste des façons de structurer l’expérience qu’on a du monde à travers des modes de
rapport au langage spécifique, Lautrey (1980) étudie les effets cognitifs de divers styles
éducatifs parentaux. Cependant, de telles approches sociocentrées qui ne cherchaient
les manques que du côté de l’enfant ou de sa famille, se sont montrées insuffisantes pour
expliquer des cas atypiques des enfants issus des milieux défavorisés ayant de bons résultats
scolaires. C’est dans ce contexte qu’émerge à partir des années 1980 la sociologie du sujet,
et donc des approches plus microsociologiques, qui s’attardent à comprendre les processus
dans lesquels se génèrent les différences scolaires.
Contrairement à la sociologie de la différence qui justifie les résultats scolaires par le don ou
le handicap, la sociologie du sujet tente de comprendre l’échec ou la réussite scolaire en tant
qu’expérience singulière, et ce, en donnant toute la place au sujet, à sa subjectivité et aux
processus à l’œuvre au quotidien (Charlot, Bautier & Rochex, 1998). Comme le soutient
Bernardin (2003), c’est dans l’article « Je serai ouvrier comme papa, alors à quoi ça me sert
d’apprendre », que Charlot (1997) jetait les bases du rapport au savoir. Au départ, la notion
constituait un ensemble d’images, d’attentes et de jugements portant sur la fonction sociale
de l’école, le sens des savoirs disciplinaires et les situations d’apprentissage. Au fur et à
mesure, le rapport au savoir évolua vers une relation de sens, et donc de valeur, entre un
individu et les processus ou produits du savoir. Les rapports établis entre un apprenant et le
savoir s’étant avérés pluriels et variables, le rapport au savoir prit finalement le sens d’un
ensemble organisé de relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre
35
et du savoir. Confronté à la nécessité d’apprendre, le sujet établirait une triple relation au
savoir : le rapport à soi, le rapport à l’autre et le rapport au monde. Les bilans de savoirs que
nous reprenons dans la suite témoignent des expériences et des histoires singulières des
élèves dans leurs manières d’apprendre.
S’agissant des manières d’apprendre, les études montrent comment les élèves en difficulté
entretiennent un rapport au savoir et à l’école distinct de celui des apprenants ayant de
meilleures performances scolaires (Charlot, 1992 ; Charlot & al., 1992 ; Charlot, 1997 ;
Bautier & Rochex, 1998 ; Rochex, 2000). Selon ce que rapporte Bernardin (2003) ainsi que
nombre d’études examinées, les élèves en difficulté auraient une relation au savoir et à l’école
instrumentée en fonction du projet professionnel. Ces derniers ne s’y investissent que dans
ce qui leur apparait utile. Sous cet angle, savoir n’a pas forcément de lien avec apprendre,
les règles du jeu scolaire revenant à faire ce que demande l’enseignant (Charlot, 2000b). Les
activités éducatives, vécues sans lien aucun avec le contenu ou le domaine spécifique,
expriment une dépendance excessive face à l’enseignant dont cette catégorie d’élèves attend
tout.
À l’inverse, les élèves en réussite auraient tendance à élaborer des projets professionnels au
gré des expériences scolaires et des centres d’intérêt qui s’y développent. Un savoir, qui
pourtant parait peu important, peut toutefois être utile pour réfléchir et comprendre le monde
dans lequel on vit (Bautier & Rochex, 1998). Savoir signifierait alors le résultat d’une activité
faite de recherches, de tâtonnements et d’erreurs rectifiées. Quant à apprendre, il impliquerait
surtout de comprendre une réalité, de pouvoir l’expliquer et d’être à même de l’appliquer
dans la vie sociale (Rochex, 1994). Les élèves ayant de meilleures performances scolaires
auraient cette capacité à se décentrer des informations, à prendre de la distance face à leurs
sources et à évaluer leur propre compréhension.
Selon la perspective microsociologique développée par Charlot, la singularité des sujets qui
transcende l’origine sociale des élèves échapperait aux déterminismes classiques. En effet,
soutient-il, le rapport au savoir peut se transformer dans une construction progressive pour
36
autant que l’expérience scolaire le permette. Pour être plus précis, une activité scolaire
mettant à l’épreuve le rapport au savoir des élèves, peut contribuer à le perpétuer ou à le
déconstruire (Lahire, 1997). C’est dans cette veine que nombres d’études proposent de
négocier les savoirs, de revisiter les certitudes et de faire de l’apprentissage un moment
propice permettant à l’élève de sortir de la passivité (Lahire, 1997). Comme le soutiennent
Charlot & al. (1992), apprendre n’a d’intérêt qu’en tant qu’il bouscule nos certitudes, notre
façon de voir ou d’être au monde. Le savoir, lorsqu’il est négocié et vécu comme une aventure
humaine, renouvèle notre perception du réel en plus d’éclairer sur le monde. Les bilans de
savoirs examinés à la suite, montrent comment le futur professionnel qui se joue sur une
valeur d’échange entre le sujet et le savoir, reste déterminant pour renforcer sa mobilisation
à l’école ou inversement. D’où la relation de sens que nombres d’auteurs identifient entre le
sujet et le savoir.
2.1.1.2. La relation de sens entre le sujet et le savoir
Comme nous pouvons l’avoir compris, la perspective du rapport au savoir suppose
que le savoir ne fait pas immédiatement sens et qu’il détermine la relation entre un individu
et les produits de savoir (Charlot & al., 1992). Charlot (2000a) affirme qu’apprendre repose
sur la dialectique entre intériorité et extériorité, entre sens et efficacité, ou comme le soutient
Rochex (1995), entre activité et subjectivité. Pour cerner les mobiles d’un sujet en train
d’apprendre, il importe de s’interroger sur le sens que l’école et le savoir représentent pour
lui. Plus précisément, il s’agit de chercher à comprendre l’intérêt qu’a l’élève le fait d’aller à
l’école, de s’y investir et d’y apprendre des choses. Le sens de la relation entre le sujet et le
savoir serait alors fécond pour décrire et objectiver les situations observées. Tant sur le plan
théorique que méthodologique, la perspective du rapport au savoir est en rupture avec les
théories de la reproduction pour lesquelles le sujet apprenant n’est pas central (Charlot & al.,
1992 ; Bautier & Rochex, 1998 ; Rochex, 2004). La question du sens, posée du point de vue
de l’apprenant, conduit à une lecture en positif de la réalité scolaire où on se refuse une
interprétation des réalités en termes de manques, de lacunes, de handicaps (Charlot & al.,
1992).
37
Sur la base du rapport au savoir, l’équipe ESCOL s’empare de la problématique de l’échec
scolaire en alliant position sociale, historicité et activité (Charlot, 2003, 2005). Ladite
orientation passe d’une théorie de la différence à une théorie du sujet. Dans son livre, Du
rapport au savoir, éléments pour une théorie, Charlot (1997) transgresse le tabou du
déterminisme social attirant ainsi l’attention sur le sens et la valeur entre un individu et le
savoir. À partir d’études menées sur 170 000 enfants d’ouvriers inscrits à l’université dans la
France métropolitaine et représentant 13,2 % de la population estudiantine totale en 1994, les
réflexions percutantes de l’auteur montrent les limites de la sociologie de la différence. Selon
Charlot, l’existence même de ces 13,2 % donne voie à une autre analyse. Un autre exemple
pris sur deux enfants issus de la même famille qui obtiennent des résultats très différents
nourrit les réflexions sociologiques de Charlot. Sa thèse sur les réussites paradoxales (celles
des élèves issus des milieux défavorisés) et les échecs paradoxaux (ceux d’élèves issus des
milieux favorisés) est assez édifiante. Elle prouve à suffisance que l’origine sociale ne peut
pas toujours expliquer pourquoi certains enfants parviennent à de meilleurs résultats scolaires
tandis que d’autres sombrent dans l’indifférence ou la violence.
Charlot et d’autres chercheurs du groupe ESCOL proposent de chercher à comprendre les
processus dans lesquels se génèrent les différences scolaires en examinant les conditions
d’appropriation d’une activité par les élèves. Ils en tirent la conclusion suivante : pour qu’il
y ait activité, il faut que l’élève se mobilise, et pour qu’il se mobilise, il faut que la situation
présente pour lui un sens. Charlot (1997) parle bien de se mobiliser et non de se motiver, la
mobilisation renvoyant à la capacité à mettre des ressources en mouvement. Pour se
mobiliser, il faut que le but soit mobilisateur d’action. L’enfant se mobilise dans une activité
lorsqu’il s’y investit en faisant usage de soi. Cet usage de soi est une ressource qui lui permet
de mettre en mouvement des mobiles renvoyant au sens, à la valeur des savoirs. L’activité
est employée ici au sens d’un exercice interne au sujet. C’est dans de tels cas que l’élève
entre en rapport avec de nouvelles choses de sa vie, des choses qu’il a déjà pensées, des
questions qu’il s’est déjà posées. Comme le souligne l’auteur, le savoir a du sens pour l’élève
parce qu’elle crée une intelligibilité qui éclaire quelque chose sur le monde. En l’occurrence,
ce qui mobilise l’individu dans une activité, c’est ce qui l’inscrit dans ce nœud de désir qu’est
l’individu. D’où son affirmation selon laquelle il n’est pas de savoir sans rapport au savoir.
38
Aussi, les bilans de savoirs offrent-ils des avancées significatives pour comprendre les
situations d’apprentissage.
2.1.1.3. Les apports significatifs des bilans de savoirs
Un bilan de savoirs traite des histoires singulières des élèves (Charlot, 1999a,
1999b). Il représente un ensemble de représentations révélatrices des rapports que
l’apprenant entretient avec les savoirs. Cet ensemble de représentations renvoie à des mobiles
pour apprendre dans le cadre des activités mettant en jeu des savoirs. Selon Bru et ses
collaborateurs, les bilans de savoirs peuvent être envisagés comme de possibles organisateurs
des pratiques d’apprentissage (Bru, Pastre & Vinatier (2007). Nombre de didacticiens ayant
repris à leur compte la perspective du rapport au savoir décrivent avec une précision certaine
les manières des élèves à apprendre. Dans ce qui suit, nous présentons les bilans de savoirs
issus du groupe ESCOL et d’autres travaux effectués en didactique des sciences.
Les études conduites par l’équipe ESCOL
Comme cela a déjà été mentionné, la notion de rapport au savoir a émergé dans la mouvance
des critiques que les théories déterministes avaient suscitées. Cette posture particulière qui
ne vise pas la recherche des lacunes conduisant à l’échec s’oriente vers une lecture en
positif de l’histoire personnelle du sujet.
Dans le but d’avoir une meilleure compréhension du rapport que les élèves entretiennent avec
les savoirs, l’équipe ESCOL mit au point un mode de cueillette de données. Les élèves
avaient à répondre par écrit aux questions suivantes : J’ai… ans. J’ai appris des choses, chez
moi, dans la cité, à l’école, ailleurs. Qu’est-ce qui est important pour moi dans tout ça ? Et
maintenant qu’est-ce que j’en attends ? Pour l’élève, la question qui se pose alors est « parler
de quoi, en parler comment, produire quel type de texte » (Charlot & al., 1992, p. 134).
Comme le soutiennent les chercheurs, de telles problématiques exigent de recueillir et
d’interpréter des données susceptibles de rendre compte du sens que le sujet donne à l’école,
39
aux activités qu’il y mène et à ce qu’il apprend. L’objectif était d’identifier les phénomènes
intervenant dans la mobilisation scolaire : l’action de travailler à l’école, les relations
élève/élève, élève/enseignant, élève/famille. Les représentations d’une discipline et les
opérations cognitives constituent également des phénomènes susceptibles de rendre compte
de la mobilisation vis-à-vis de l’apprentissage.
Pour cerner ces phénomènes, les chercheurs procèdent par une combinaison d’approches
entre l’analyse qualitative des pratiques langagières et l’investigation quantitative classique.
Les résultats montrent certains phénomènes liés à d’autres. Sur la base des cohérences
regroupées, les chercheurs construisent des ensembles de phénomènes dont les typologies
sont constituées en « outils conceptuels pour penser les groupes et les individus sans épuiser
leur singularité » (Charlot & al., 1992, p. 41). Ces typologies présentées sous forme
d’idéaltype forment des tableaux de pensée homogènes « que l’on trouve tantôt en grand
nombre, tantôt en petit nombre et par endroits » (Charlot & al., 1992, p. 41).
Les différentes manières d’apprendre y sont définies (Venturini & Cappiello, 2009). Pour les
enfants issus des milieux populaires, « l’école fait sens en référence au bon métier que l’on
obtient en allant le plus loin possible (Charlot, 1999a, p. 4) ». Ce qui revient à dire que lorsque
ces enfants dominés socialement sont admis dans un lycée professionnel, les représentations
sociales concourent à leur faire croire qu’ils ne peuvent plus envisager de faire de longues
études. Au terme de leur recherche, il appert que les hypothèses sur lesquelles les chercheurs
sont partis se sont révélées concluantes. Le rapport au savoir est une relation de sens et de
valeur : « l’individu valorise ou dévalorise les savoirs en fonction du sens qu’il lui confère et
se mobilise ou non pour les apprendre » (Bautier & Rochex, 1998, p. 34). D’un point de vue
similaire, les recherches en didactique des sciences concluent à la nature relationnelle du sens
entre les apprenants et les savoirs.
Les études effectuées en sciences
40
La multiplicité des travaux sur l’attitude des élèves envers les sciences montre l’intérêt que
les didacticiens de cette discipline portent à la question du sens et à la valeur des savoirs
scientifiques du point de vue des apprenants. Les études en didactique qui ont souvent
envisagé l’élève sous l’angle purement épistémique, s’avèrent limitées lorsqu’il faut rendre
compte de l’ensemble de la réalité (Maury & Caillot, 2003). Pour tenter de pallier ces limites,
les didacticiens des sciences se sont intéressés de manière plus spécifique aux rapports que
les apprenants entretiennent avec les savoirs scientifiques (Venturini & Albe, 2002a, 2002
b). Ils ont mis au point un mode de cueillette de données inspiré du groupe ESCOL. Après
l’avoir enrichi de questions supplémentaires, la formulation usuelle des bilans de savoirs est
devenue : j’ai appris des choses en physique à l’école et ailleurs. Qu’est-ce qui est important
pour moi dans tout ça ? Et maintenant qu’est-ce que j’en attends ?
Pour cerner la dimension sociale du rapport au savoir, les élèves ont dû répondre au cours
des entretiens individuels à des questions ponctuelles telles que : quelle valeur vos parents
donnent-ils à la science physique ? Est-ce que vous discutez de savoirs en SVT ? Est-ce que
vos parents sont attentifs ? Est-ce que ça les intéresse ? Comment réagissent-ils devant vos
performances scolaires en sciences ?
Les résultats font ressortir quatre profils d’élèves pouvant être regroupés en deux catégories
: une première catégorie, composée de la majorité d’élèves ayant une faible maitrise
conceptuelle, entretient un rapport dominé par une composante utilitaire avec les savoirs
scientifiques. Cette catégorie d’élèves qui a des objectifs scolaires à court terme se contente
d’acquérir des compétences procédurales sans s’intéresser au sens des outils qu’ils utilisent.
Selon les auteurs, l’objectif à court terme explique la faiblesse de leur maitrise conceptuelle.
Pour la minorité restante, si le rapport que les élèves ont avec les savoirs scientifiques
comporte une composante utilitaire, cette utilité reste influencée par le plaisir qu’ils ont à
comprendre les sciences. Ces facteurs amèneraient cette catégorie d’élèves à rechercher le
sens des savoirs scientifiques et à construire des compétences plus larges. Comme cela venait
d’être souligné, quatre élèves idéaltypes sont identifiés par le sens et la valeur qu’ils donnent
aux savoirs scientifiques :
41
1. Le premier élève idéaltype donne une grande importance aux savoirs scientifiques.
On note une forte mobilisation à apprendre les sciences.
2. Le second élève idéaltype donne une importance certaine aux savoirs scientifiques
en raison de son projet. Il est mobilisé à apprendre les sciences.
3. Le troisième élève idéaltype se mobilise de manière intermittente, souvent pour
améliorer ses résultats scolaires.
4. Le quatrième élève idéaltype ne donne de l’importance ni aux sciences ni aux
savoirs scientifiques. Il est faiblement mobilisé à apprendre les sciences.
Ainsi, les chercheurs distinguent divers rapports aux savoirs scientifiques entre les élèves
ayant un projet professionnel nécessitant de bons résultats en sciences des autres n’ayant
d’objectifs à long terme avec les savoirs scientifiques. Les deux premiers élèves idéaltypes
manifestent un grand intérêt pour les sciences, lequel intérêt constitue une source de
mobilisation pour apprendre les sciences. Quant aux deux derniers qui sont peu mobilisés
vis-à-vis de ces disciplines, leur intérêt pour les sciences est bien moindre. Comme dans le
programme ESCOL, les conclusions soutiennent également un savoir scientifique n’ayant de
sens en lui-même. C’est la relation qui s’établit entre l’élève et le savoir qui lui en donne un.
D’où l’intérêt associé au savoir constituant la condition pour se mobiliser dans les
apprentissages.
2.1.1.4. En guise de résumé
Comme l’ont montré les études précédemment examinées, le sens n’est ni dans le
savoir, ni dans le sujet, mais il est dans la relation que le sujet entretient avec le savoir. Dans
la même veine, Develay (1999) soutient que le sens ne git pas dans les situations, il ne réside
pas non plus dans les contextes, mais il se trouve dans le rapport qu’un sujet vit avec un
contexte. Par conséquent, un texte n’aura du sens pour le lecteur que s’il fait vibrer en lui
quelque chose qui a sans doute à voir avec son rapport au monde, son rapport à lui-même ou
son rapport aux autres. Pour bien cerner la nature relationnelle du sens, nous commencerons
par relever l’ambivalence de cette notion qui fait référence à ce qui est caché derrière ce qui
42
est apparent (Develay, 1995, 2012). Ainsi, l’on parle de la signification d’un propos du fait
qu’une situation vécue ait ou non du sens pour celui qui la vit (Jellah, 2001). Pour en venir à
la relation pédagogique, l’élève ne trouve du sens à l’école qu’à la condition que les situations
d’apprentissages éclairent le rapport qu’il peut vivre à lui-même, aux autres et au monde
(Charlot, 2001).
Cette conception des savoirs soutient une école de débat où chacun pourrait mieux se
comprendre. Selon Rochex (1995), il s’agit plus précisément de mettre en place des modèles
d’apprentissage où la quête de sens consiste à faire émerger l’historicité de l’apprenant,
laquelle laisse entendre l’écho d’une histoire qui le déborde (Develay, 2012). Cette quête de
sens non acquise à l’avance, est d’une nécessité impérieuse pour que l’école apparaisse à
ceux qui la perpétueront comme un espace où l’on se construit une direction. Ce qui suppose
d’inscrire le sens dans le rapport passé, présent et futur ou de le construire lorsqu’il n’est pas
donné. Apprendre implique donc, d’entrer dans un système de rapport par lequel l’élève se
construit. « Ce mouvement long, complexe, jamais complètement achevé qu’on appelle
éducation, est impossible si le sujet à éduquer ne s’investit pas lui-même dans le processus
qui l’éduque » (Charlot, 1997, p. 70).
Comme les bilans de savoirs ont permis de comprendre, les élèves entretiennent des rapports
différents à l’école et au savoir, et comme le disait Deleuze (1969), le sens est dans ce qui
peut unir l’Homme à une situation et qui établit son rapport à soi, aux autres et au monde.
Dans le même ordre d’idées, Ubaldi (2009) rend compte des relations multiples et complexes
qui peuvent unir un élève au savoir. Il définit des rapports subjectifs à l’école et au savoir qui
dessinent les contours d’une expérience scolaire obligeant l’apprenant à une mobilisation de
soi : 1) le sens est intimement inscrit dans l’histoire des sujets. Il revêt un versant fonctionnel
lié aux pratiques et un autre plus symbolique lié à la personne. 2) La perception d’un intérêt
est génératrice de sens. Cela signifie que ce qui est utile fait sens et que tout apprentissage
mérite d’avoir un intérêt pour l’élève. 3) Le sens se construit aussi à travers le système
d’attente et le jeu des attitudes du milieu familial envers l’école. Mais l’enfant n’est pas
surdéterminé par sa famille, il peut échapper à son destin. 4) La question du sens s’inscrit
dans le plaisir de faire, dans l’émotion et les sensations que procure l’action. 5) Le sens
43
renvoie à un processus de valorisation de soi. 6) Ce qui fait sens est de l’ordre de la culture,
laquelle fournit aux élèves un système de référence avec lequel ces derniers pensent, agissent,
communiquent. À l’exemple du phénomène de la pauvreté qui a ses particularités au Gabon,
les savoirs historiques propres à ce pays auraient en eux-mêmes des vertus attractives parce
qu’ils font partie intégrante de la culture des jeunes Gabonais. 7) Le sens est toujours lié à la
clarté des buts, lesquels provoquent de l’intérêt lorsqu’ils sont clairs, signifiants, accessibles.
8) Le sens passe par une activité réfléchie de l’élève et renvoie à la signification que l’on
donne aux objets ; il est dans l’interprétation et la prise de conscience. 9) Le sens est une
relation au savoir à construire. Il est dans le rapport que l’on installe aux objets et non dans
les objets eux-mêmes.
Au sujet des enjeux sociologiques du rapport au savoir passés en revue, il en ressort trois
idées essentielles : le sens est, soit lié à la question de l’intérêt ou bien il est à construire, soit
il réside dans la relation que l’individu entretient avec le contexte. Ce sens qui n’existe pas
en soi est dans la capacité qu’a l’élève à relier ce qu’il fait à l’école avec ce qu’il se propose
d’être. De fait, apprendre découle de la clarification des relations que le sujet entretient avec
les objets auxquels il est confronté. Si les études sur le rapport au savoir s’intéressent à la
relation de sens des élèves aux savoirs, elles tiennent aussi compte de la dimension
épistémique des savoirs en construction. Aussi convient-il d’admettre qu’au-delà des enjeux
sociologiques du rapport au savoir mettant l’accent sur la trajectoire sociale et scolaire de
l’élève, il serait aussi important d’examiner les enjeux didactiques contribuant à cette
construction. C’est à cet examen que nous consacrons la section qui suit.
44
2.1.2. Les enjeux didactiques du rapport au savoir
L’exposé ici tente de resituer la question du sens et de la valeur des savoirs en
histoire, cette matière qui touche à l’identité individuelle et collective des personnes. Comme
nous l’avons vu avec Chartrain (1998) et Caillot (2000), c’est ici que sera appréciée la
particularité des savoirs historiques et des rapports que les élèves entretiennent avec ces
derniers. Quatre points seront abordés : la problématique de l’apprentissage historique,
l’histoire dans les configurations didactiques, la perspective de l’éducation à la citoyenneté,
la pensée historique comme processus donnant sens au passé
2.1.2.1. La problématique de l’apprentissage historique
Cette section tente de cerner quelques problèmes d'ordre épistémologique,
didactique et socioculturels mettant en difficulté l’apprentissage historique. L’exposé se
structure autour des points suivants : la notion de vérité en histoire, la nature du savoir
historique, l’écart entre l’histoire savante et l’histoire scolaire, la structure scolaire des
savoirs d’histoire. L’objectif ne sera pas d’en faire état de façon exhaustive, mais de souligner
le caractère complexe et multidimensionnel du sens des savoirs historiques.
La vérité, une notion complexe en histoire
Selon Prost (1996), établir le rapport à la vérité en histoire est l’une des caractéristiques
essentielles pour clarifier la complexité des interprétations entre le passé et le présent.
Comme l’ont montré certains écrits examinés au chapitre précédent, la compréhension que
les élèves ont de l’histoire peut s’appuyer sur l’apprentissage scolaire tout comme elle peut
dériver des écoles-parallèles. Dans la mesure où l’on souhaite que les élèves construisent un
rapport réflexif au passé, il importe de savoir quels contenus d’histoire privilégier et selon
quelles démarches d’apprentissage.
45
Pour des besoins de clarté et compte tenu de la spécificité de la présente étude, la réflexion
de l’historien belge Stengers (2004) nous servira de fil conducteur pour soutenir notre propos.
En tant qu’enseignante d’histoire, il va de soi que, lorsque nous situons l’apprentissage
historique dans le contexte éducationnel actuel, c’est en rapport aux enjeux d’éducation à la
citoyenneté que nous l’abordons.
En partant des fonctions de l’histoire, Stengers (2004), à l’instar d’autres auteurs (Audigier,
2003 ; Martineau, 2010 ; Laville, 2011), en associe plusieurs à l’histoire, entendue comme la
connaissance du passé. Quelle portée peut avoir pour la société le fait de connaitre le passé à
la fois par son exemple et par son influence, se demande-t-il ? Il en voit trois : 1) les fonctions
fondées sur des illusions, mais des illusions qui peuvent être socialement nécessaires dans
certains cas ; 2) des fonctions qu’il qualifie de perverses, parce que dénaturant l’image
authentique du passé, et parce qu’étant en contradiction avec la notion même de vérité ; 3)
les fonctions utiles ou légitimes caractérisées par un ensemble de besoins.
En ce qui concerne les fonctions fondées sur des illusions, l’auteur montre que pour celui qui
cherche à comprendre le monde actuel, ce qui importe de connaitre, ce n’est pas le passé
reconstitué par l’historien, mais l’image que les hommes se font du passé. Le seul élément
qui conditionne le présent et qui agisse sur la conscience des hommes, c’est la représentation
que l’on se fait du passé. Or, cette représentation peut être tout à fait distincte de l’histoire
des historiens. À l’instar de Wineburg (2001), Stengers (2004) observe une distance
considérable entre la réalité du passé et ses représentations qui peuvent varier d’un groupe
social à l’autre, d’une école de pensée à l’autre.
À chaque moment du passé qu’on étudie, c’est en effet la représentation qu’on se faisait à ce
moment que l’on se doit de prendre en considération pour pénétrer la psychologie des
hommes de l’époque. Etant donné que cette image évolue, c’est cette variabilité des
représentations qu’il faut prendre en considération. En prenant d’abord l’exemple de la
Première Guerre mondiale, il montre des images contrastées de cet évènement entre la France
et l’Allemagne, images qui elles-mêmes ont évolué dans les deux pays aujourd’hui
46
(Heimberg & De Cock, 2014). Toujours pour illustrer son propos, il montre qu’il est
impossible de comprendre la politique de décolonisation si l’on ne prend pas en compte le
fait que l’émancipation des peuples coloniaux correspondait à une nécessité de l’histoire.
Qu’en est-il des fonctions perverses ?
S’agissant des fonctions perverses, l’auteur fait ressortir que, dès l’instant où l’on demande
à l’histoire de servir une cause, on demande par le fait même de mettre en valeur les éléments
du passé qui peuvent être utiles à cette cause. Par exemple, si l’histoire doit servir à maintenir
l’entente entre les peuples, il faut dans ce cas mettre l’accent sur tout ce qui dans le passé
concerne leurs collaborations plutôt que sur leurs affrontements. Ce qui revient à dire qu’il
faut nécessairement sélectionner les faits en ayant en vue cet objectif. Par conséquent, la
connaissance du passé est pervertie. Que retenir des fonctions dites légitimes ?
Les fonctions légitimes sont, selon Stengers (2004), celles qui caractérisent l’ensemble des
besoins qu’on attribue à l’histoire dans la société et qui, à notre sens, se complètent les uns
les autres. L’auteur dénombre un large éventail de fonctions parfaitement légitimes, mais
nous n’en retiendrons que quatre qui se rapportent spécifiquement à nos objectifs de
recherche. Le premier besoin que nous retenons et que l’auteur estime à la fois le plus
élémentaire et le plus évident, c’est l’affirmation de son identité. Il se manifeste par la volonté
de se situer par rapport à soi-même et aux autres, de savoir d’où on vient et qui on entend
être. Ce besoin est plus manifeste quand votre histoire vous a été enlevée ou quand on cherche
à la maquiller. Le second besoin concerne l’intégration sociale, en ce que grâce à l’histoire,
il est possible d’accéder à un fond commun de connaissances faisant partie intégrante de la
culture commune d’une société. De fait, un minimum de connaissances historiques serait
essentiel pour celui qui cherche à intégrer une société où ce minimum fait partie des
conventions sociales.
Le troisième besoin se caractérise par une quête permanente d’enrichir l’expérience humaine.
Sans l’histoire, on ne peut pas savoir ce qu’a été l’esclavage ni ce que recouvre la notion de
l’impérialisme colonial pour ne prendre que ces exemples. Ce besoin confère à l’histoire
47
l’allure d’un réservoir pour apprendre à connaitre un maximum de caractères communs, de
relations individuelles et sociales, de situations et d’évolutions qui contribuent à forger la
physionomie de la société ou de la collectivité. Enfin, l’histoire constitue une source
d’inspiration par des exemples et des modèles qu’on peut y trouver même s’il s’agit parfois
de modèles fort fâcheux ou de sources d’inspiration déplorables, étant entendu que ce que
l’on prend pour modèle utile ou néfaste du passé est profondément lié aux valeurs auxquelles
on adhère.
De la réflexion de Stengers (2004), succinctement présentée, nous en retenons que dans
l’édifice des valeurs — où l’on rencontre souvent des valeurs contradictoires — la
connaissance de l’histoire ne peut se faire sans un esprit critique. Au cours de l’évolution des
sociétés, où forcément tout est appelé à changer, y compris les valeurs les plus fondamentales,
aucun savoir ne peut être véritablement élaboré sans en développer une pensée critique à
propos. D’où l’intérêt de faire émerger la notion de vérité en ce qui concerne l’étude du passé
en classe (Prost, 1996 ; Heimberg, 2013). C’est aussi ce que propose Martineau (1997) pour
qui l’histoire est une méthode de l’intelligence du social. Pour emprunter de nouveau à
Stengers (2004), il importe d’amener l’élève à prendre conscience de la notion de vérité et
de l’image qu’il se fait du passé, le seul élément qui puisse agir sur sa conscience, et au
besoin, la modifier. Mais l’enseignement de l’histoire, qui peine à sortir du paradigme de la
transmission-mémorisation, peut-il réellement permettre à l’élève de développer pleinement
sa pensée critique ? Le savoir historique révélé en classe sans problématisation aucune,
masque à coup sûr les valeurs prises en compte dans sa construction. Aussi, la nature du
savoir historique suscite-t-elle de profondes remises en question du canon traditionnel de son
apprentissage.
48
Le savoir historique scientifiquement élaboré
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les élèves éprouvent des difficultés à
apprendre l’histoire. Certaines de ces difficultés peuvent être reliées à la nature même du
savoir historique et au rôle qu’y jouent les modèles théoriques sous-tendant sa construction
(Fourez, Englebert-Lecompte, Grootaers, Mathy & Tilman, 1994). Cet aspect aussi bien
d’ordre épistémologique que didactique concerne les valeurs rattachées à l’élaboration de
l’histoire savante. Ce n’est pas seulement le contenu qui influence l’apprentissage de l’élève,
la façon dont l’histoire est enseignée et les modèles théoriques qui y sont véhiculés y
contribuent également. Or, les stratégies didactiques adoptées en classe ne reflètent pas
souvent la nature même du savoir historique (Martineau, 1997 ; Laville, 2004 ; Boilley & al.,
2004 ; Messi Me Nang, 2006). Tels que présentés aux élèves, les savoirs historiques sont
révélés sans problématisation. De telles pratiques enseignantes ont tendance à minimiser le
rôle des modèles théoriques (Barre-De Miniac, 2000 ; Berthelot, 2008), et ce faisant, donnent
aux savoirs historiques un statut de neutralité. Cette tendance à oublier qu’une entreprise
historique a mis en œuvre une vision théorique pouvant rendre compte des faits sur lesquels
des historiens se sont mis d’accord, masque le caractère social et construit de l’histoire.
Comme l’a souligné Stengers (2004), la démarche historienne, qui ne se réduit pas à relater
les faits, met en opération des modèles pour en éprouver les limites. Dans le même sens,
Martineau (1997) soutient que l’apprentissage historique en classe se réduit souvent à un
exercice superficiel qui consiste à appliquer une série d’étapes prédéterminées. Comme le
relève l’auteur et comme cela a été mentionné au chapitre précédent, les activités organisées
en classe, le sont rarement dans le sens d’une véritable démarche de résolution de problèmes.
En conséquence, les élèves se soucient davantage à mémoriser les faits – qui semblent vrais
— plutôt que de construire du sens à leur propos.
Comme on peut le voir dans les manuels et d’autres livres d’histoire, les valeurs rattachées à
l’élaboration du savoir historique transparaissent de manière implicite dans les exemples
choisis (Lautier, 1997 ; Jonnaert & Laurin, 2001 ; Fourez, 2002). En classe, les valeurs
49
socioculturelles se retrouvent entremêlées dans les stratégies enseignantes et le type de
rapport que l’enseignant établit avec les savoirs et avec ses élèves (Fourez & al., 1994 ;
Martineau, 1997). Comme nous l’avons déjà souligné, ces pratiques enseignantes, souvent
éloignées de la conception scientifique du savoir historique, présentent les faits
indépendamment de tout projet. Omettre de conférer au savoir historique sa socialité laisse
croire que les critères qui président au choix des concepts ne relèvent pas des décisions liées
à un contexte particulier (Fourez & al., 1994 ; Klein & Laurin, 1999 ; Merenne, 2005). Dans
les programmes et les manuels scolaires, ces aspects sociaux des savoirs historiques y sont
peu abordés comme des principes organisateurs de l’entreprise historique (Lautier, 1997 ;
Jonnaert & Laurin, 2001 ; Martineau & Presseau, 2003 ; Verhaeghe, 2004). D’où l’écart
observé entre l’histoire savante et l’histoire scolaire.
L’écart entre l’histoire savante et l’histoire scolaire
Un autre aspect aussi bien socioculturel que didactique et qui rend peu favorable
l’apprentissage historique concerne le passage de l’histoire savante à l’histoire scolaire
(Fourez & al., 1997 ; Martineau, 1997). Comme cela a déjà été souligné, la production de
l’histoire savante se situe dans un contexte particulier qui la soumet à des contraintes
particulières (Astolfi, 1993 ; Astolfi & Develay, 2002). Or, le contexte scolaire dans lequel
ce savoir est diffusé, diffère considérablement du contexte dans lequel il est produit (Boiley
& Thioub, 2004). L’histoire savante étant moins l’œuvre d’individus isolés, son caractère
éminemment social diffère de l’apprentissage des savoirs dans le contexte scolaire habituel
(Martineau, 1997 ; Martineau & Presseau, 2003 ; Fourez, 2006). En classe, les élèves ont peu
d’occasions de mettre en commun leurs points de vue dans les situations réelles de résolution
de problèmes (Legendre, 1994). Le schéma traditionnel de transmission de celui qui sait à
celui qui ignore étant encore prédominant. L’apprentissage de l’histoire, qui n’a pas pour but
principal la mémorisation des savoirs factuels, est inhérent aux processus d’élaboration des
savoirs et à la confrontation de points de vue (Jetté, 1971 ; Merenne, 2005 ; Martineau, 2010).
Ce processus ne peut passer outre tous les enjeux épistémologiques qui concourent à la
construction du savoir historique. L’histoire scolaire, qui à son tour est nécessairement
50
modifiée à travers divers filtres organisationnels, fait intervenir des négociations entre
groupes d’intérêts variés (Fourez & al., 1997 ; Verhaeghe, 2004).
Le passage du savoir savant à l’objet d’apprentissage que le didacticien Chevallard (1985)
appelle la transposition didactique 7 et qui vise à faciliter l’apprentissage complique
davantage la construction du sens chez les élèves. Sachant qu’un même savoir peut obéir à
des finalités très différentes suivant les contextes et les objectifs qui s’y rattachent, une
confusion des sens peut déformer la nature du problème à résoudre. Par ailleurs,
l’apprentissage de l’histoire requiert que l’élève mémorise un grand nombre de faits dont les
significations ne lui sont généralement pas évidentes. Ce dernier va se contenter de
mémoriser des faits historiques sans nécessairement y développer une compréhension
conceptuelle (Fourez & al., 1997 ; Fourez, 2002). Sachant qu’un fait peut renvoyer à des
significations différentes, cette polysémie peut constituer une source de difficulté à apprendre
l’histoire.
Plusieurs recherches (Martineau, 1997 ; Duquette, 2011) portant sur la maitrise des schèmes
opératoires jugés indispensables à la compréhension de l’histoire indiquent qu’un bon
nombre d’élèves n’utilisent pas les outils intellectuels nécessaires à l’apprentissage. Or, c’est
à travers la pensée opératoire que l’on peut favoriser les capacités propres à la pensée
formelle telle que Piaget l’a décrite. Développer les habiletés de raisonnement historique
implique de catégoriser les problèmes et de les décoder (Fourez & al., 1994 ; Verhaeghe,
2004 ; Fourez, 2006). Comme nous l’avons déjà vu, les recherches sur les manières
d’apprendre l’histoire en arrivent à la conclusion selon laquelle, les représentations
spontanées des élèves ont un impact sur leur apprentissage.
Nous voulons toutefois souligner que ce n’est pas seulement le caractère formel ou abstrait
des concepts enseignés qui les rend difficiles d’accès, mais l’absence de correspondance entre
7A l’origine, l’expression est du sociologue Michel Verret qui, peu satisfait d’une image assez vague des
contenus d’enseignement et des formes scolaires de relations d’apprentissage, en parla pour désigner la
nécessaire transformation des objets de savoir en savoirs enseignés.
51
les savoirs spontanés et les concepts scientifiques. Comme cela est généralement soutenu
dans nombre d’études, une part importante des difficultés reliées à l’apprentissage scolaire
est due au manque de clarifications entre les savoirs spontanés et les contenus enseignés en
classe. Les savoirs spontanés qui souvent sont en contradiction avec les savoirs enseignés,
sont très peu modifiés dans le processus d’apprentissage (Fourez & al., 1997 ; Lautier, 1997
; Verhaeghe, 2004). Il peut même arriver que deux types de représentations coexistent dans
l’esprit de l’élève sans qu’il ait conscience de leur contradiction. D’où sa difficulté à
s’approprier les savoirs qui lui sont enseignés à l’école faute de pouvoir leur donner un sens.
Il est utile voir impérieux pour l’élève de s’approprier la signification des faits historiques,
de les reconstruire et de les mettre en réseau à partir de ses connaissances antérieures.
Apprendre suppose des représentations renouvelées et un changement conceptuel chez
l’apprenant. Or les savoirs historiques tels que structurés dans les contenus scolaires peuvent
difficilement permettre à l’élève de complexifier ses connaissances.
La structure scolaire des savoirs d’histoire
L’apprentissage de l’histoire devrait idéalement favoriser le développement d’un savoir
significatif, structuré et transférable. Cet objectif conduit à privilégier le développement
d’habiletés et d’attitudes fondamentales plutôt que l’accumulation d’un grand nombre de
contenus. Ce type d’apprentissage exige des tâches éducatives en faveur du développement
intellectuel de l’élève. La question est de savoir dans quelle mesure les savoirs historiques
tant par leur structure que par l’approche didactique qui y est préconisée pour les aborder,
peuvent répondre à cet objectif de formation citoyenne ?
Comme nous l’avons relevé au chapitre précédent, la tendance à surcharger les programmes
oblige les éducateurs à mettre l’accent sur la mémorisation des savoirs plutôt que d’endosser
une approche plus centrée sur la résolution des problèmes. L’on a cru simplifier le processus
d’apprentissage en fournissant des réponses toutes faites à l’élève sans se soucier des
questions que ce dernier peut se poser. L’on pensait faciliter l’apprentissage en faisant le
choix de découper les programmes selon une logique disciplinaire rigide et fermée (Conseil
52
Supérieur de l’Éducation, 1991) au lieu d’adopter une approche axée sur l’approfondissement
des concepts. À ce titre, Fourez (2002) suggère de recourir à des modèles didactiques qui
peuvent constituer des ponts entre les représentations spontanées de l’élève et les avoirs de
la discipline de référence. Si l’on souhaite que l’élève développe une compréhension
conceptuelle des savoirs, les contenus scolaires devraient être repensés en relation avec des
objectifs qui leur confèrent une cohérence d’ensemble.
Pour clore cette section consacrée à la problématique de l’apprentissage historique, nous
réitérons soutenir un apprentissage scolaire contribuant à susciter l’intérêt des élèves face à
l’histoire et au développement de leur esprit critique. À la lumière de ce qui précède, il nous
apparaît nécessaire que l’école établisse un nouveau mode de rapport avec le savoir historique
afin de définir la spécificité de son rôle par rapport à d’autres lieux d’apprentissage qu’elle
ne peut ignorer. Comme cela a déjà été souligné, établir ce rapport particulier au savoir et à
l’école nous semble justifié dans la mesure où des écoles-parallèles contribuent à modifier
le format traditionnel d’apprentissage en offrant aux apprenants d’autres manières de savoir.
Pour mieux cerner les enjeux didactiques du rapport au savoir historique, nous voudrions
bien revenir sur les représentations sociales autour de l’histoire et situer cette discipline dans
les configurations didactiques.
2.1.2.2. L’histoire dans les configurations didactiques
Les modèles didactiques de l’histoire ont été évoqués de manière implicite
précédemment, notamment dans la section relative à la nature du savoir historique et aux
modèles théoriques qui sous-tendent sa construction. Dans les lignes qui suivent, nous
souhaitons élargir notre réflexion à ce propos en apportant un éclairage sur les relations entre
le citoyen et l’histoire ainsi que les postulats didactiques soutenant l’apprentissage de cette
discipline. Nous tenterons de montrer que les finalités éducatives attribuées à l’histoire et les
postulats didactiques préconisés pour cette matière scolaire reposent — mais pas uniquement
— sur des conceptions plus ou moins explicites du citoyen que l’école est susceptible de
former (Moisan, 2012, 2015). Les postulats épistémologiques qui orientent les conceptions
53
du citoyen et de l’histoire seront succinctement exposés ainsi que le type de rapport au savoir
historique que l’on pense souhaitable chez l’élève. Les limites d’un enseignement basé sur
l’histoire-mémoire seront d’abord présentées en vue de les confronter ensuite à l’histoire-
critique qui est l’approche didactique que nous privilégions.
Disons d’une manière générale que l’histoire peut être abordée selon différentes perspectives,
mais que le but de son apprentissage demeure avant tout, et depuis toujours, la formation de
l’élève dans son rôle de futur citoyen (Cardin, 2010). Considérant le caractère dualiste de
l’histoire, une des fonctions réduit cette discipline à un récit unique du passé à travers lequel
le développement du sens critique des élèves n’est pas recherché. Étant une matière qui
touche à la fibre identitaire des personnes, l’histoire, celle enseignée précisément au
secondaire, donne parfois lieu à des controverses entre enseignants, parents, gouvernants,
historiens, didacticiens (Laville, 2006).
Notons au départ que le malentendu autour de l’histoire scolaire se pose de façon récurrente
parce que bon nombre de personnes ne parviennent souvent pas à distinguer le concept
d’histoire de celui de mémoire collective. Voyons à distinguer ce qui caractérise chacun
d’eux avant d’en dégager les implications épistémologiques.
Comme le soutient Bloch (1941) ainsi que d’autres auteurs, l’histoire est la science qui se
consacre à l’étude des changements. Cette science s’intéresse, selon Laville (1984), aux
facteurs qui constamment détruisent et reconstruisent l’équilibre entre les diverses forces
humaines et l’évolution de cet équilibre. Quant à la mémoire collective, elle renvoie aux
mythes — entendues dans le sens de récits —, mais aussi aux traditions sur le passé que les
membres d’une même société ont en partage (Laville & Martineau, 1998 ; Cardin, 2004 ;
Heimberg, 2001 ; Heimberg, Fink, Opériol, Panagiotounakos & Sousa, 2013). La référence
à la mémoire collective – souvent désignée en termes de devoir de mémoire — amène
souvent les peuples à n’en prendre que les éléments positifs et à passer sous silence les
périodes déshonorantes (Ricœur, 2003). À l’inverse, si cela sert les intérêts du présent, les
peuples pourront survaloriser les évènements douloureux de leur passé (Cardin, 2004). Une
54
telle attitude qui se traduit généralement dans les formules ou slogans simplistes et réducteurs
est discutable d’autant qu’elle confère à la mémoire collective un caractère figé et une
fonction utilitaire du présent.
C’est entre ces deux conceptions de l’histoire et de la mémoire collective qu’a dû se définir
l’histoire scolaire. Ces conceptions ont ainsi donné lieu à ce que nous nommons l’histoire-
mémoire, laquelle a longtemps inspiré l’éducation historique même s’il ne s’agissait pas
toujours d’un choix conscient de la part des enseignants. Elle soutenait ainsi l’enseignement
de l’histoire dite patriotique dont le but premier était l’adhésion de la jeunesse à la nation
(Nora, 1984 ; Sandwell, 2005). L’histoire était alors présentée aux élèves comme un récit
unique, véridique, et de ce fait, inchangeable autour de grands personnages et évènements
politiques qui ont contribué à faire progresser leur nation. L’histoire à visée patriotique se
centrait donc sur un récit canonique transmis en héritage, c’est-à-dire une mémoire collective
validée par l’État et les élites qu’il convenait de préserver dans le but de susciter une adhésion
à leur conception hégémonique de la nation.
Aujourd’hui, l’apprentissage de l’histoire fondé sur l’histoire-mémoire est de plus en plus
remis en question dans les réflexions didactiques menées ces trente dernières années. Les
études jugent l’apprentissage d’un récit unique et patriotique peu en accord avec l’évolution
scientifique de la discipline et les mutations qui affectent les sociétés plurielles (Seixas,
2000). La conception scientifique de l’histoire, sans toutefois atteindre la vérité, a l’avantage
d’être composée de multiples récits et d’interprétations sur le passé plutôt que d’imposer la
bonne version de l’histoire.
Une autre limite de l’histoire-mémoire tient au fait qu’en sélectionnant qu’un seul récit, elle
prend davantage l’allure d’un apprentissage de traditions et de conformité plutôt que celui
d’une discipline à caractère ouvert et complexe (Moniot, 1991). À ce titre et pour reprendre
les thèses argumentatives de Lowenthal (1985) et de Karmis (2005), il ne s’agit plus
d’histoire, mais bien d’un récit véridique immuable que l’on veut faire accepter à la
55
population hors de tout sens critique. L’élève étant alors un spectateur passif établit un
rapport peu réflexif au passé (Seixas, 2005).
C’est en raison des limites dont témoigne la perspective de l’histoire-mémoire que nous
venons d’examiner qu’une autre approche privilégiant l’histoire-critique est envisagée.
Prenant le contrepied de la précédente, l’histoire devient un construit et non un donné
(Laville, 1984 ; Lacoursière, 1996 ; Seixas, 2005 ; Duquette, 2011). Dans cette perspective,
le savoir historique n’est plus un simple produit à absorber, mais suppose – sans pourtant s’y
restreindre — l’ensemble du processus que l’on emprunte pour y arriver (Dalongeville,
2000).
Comme nous l’avons déjà mentionné, le savoir historique qui se veut critique s’élabore à
partir des critères, des présupposés, des pratiques et des théories propres à l’histoire. Nombre
d’auteurs, notamment ceux du Rapport Lacoursière (1996), situent l’origine de cette
conception de l’histoire dans la seconde moitié du XXe siècle. En effet, au cours de cette
période, les historiens commencent à se préoccuper de la distance existante entre l’histoire
savante et l’histoire enseignée. Comme cela est soutenu dans nombre de travaux en
didactique, l’histoire enseignée n’aurait pas suivi l’évolution de l’histoire savante portée par
les idées nouvelles qui provenaient de l’école des Annales. L’histoire savante, s’étant
davantage tournée vers une problématique à caractère social, le but premier de son
enseignement n’était plus de transmettre un héritage commun mais de former à l’esprit
critique. Les tenants de l’approche critique de l’histoire militent en faveur d’un enseignement
basé sur les différents récits que véhicule l’historiographie (Sandwell, 2005).
Notons toutefois que si aujourd’hui, l’enseignement de l’histoire à visée patriotique ne fait
plus l’unanimité, il faut reconnaitre que l’histoire critique fait, elle aussi, l’objet de certains
reproches. On l’accuse notamment de se départir trop radicalement de la mémoire collective
(Jadoulle, Bouhon & Nys, 2004). Selon les auteurs tels Seixas (2005), Farr Darling & Wright
(2004), il conviendrait de prendre en compte la mémoire collective au risque de voir les
élèves se tourner vers des sources parallèles de l’histoire scolaire. Pour emprunter à
56
Wineburg (2001), une histoire qui n’a d’autre but que de former la pensée critique court le
risque de tomber dans un relativisme qui rende les élèves prisonniers du moment présent.
À la lumière de ces enjeux, il en ressort une difficulté à concilier ces deux visions de l’histoire
scolaire. Dans la mesure où il n’est pas facile d’opérer un choix net et définitif entre elles et
tout en reconnaissant la pertinence des reproches faits à l’histoire critique, d’aucuns à l’instar
de Laville (2011), proposent que l’on tienne compte des enjeux de l’éducation à la
citoyenneté. Comme nous le verrons par la suite, la perspective de l’éducation à la
citoyenneté stipule un apprentissage critique de l’histoire, l’éducation ne pouvant se limiter
à l’accumulation de connaissances factuelles :
L’éducation […] tend à développer toutes les facultés par lesquelles l’éduqué
s’adapte à l’environnement naturel et social et devient capable d’y jouer un rôle
personnel et conscient. L’éducation est inévitablement transmission de la culture
sociale et donc instrument de reproduction de la collectivité. Mais elle est aussi
nécessairement et prioritairement construction de la culture personnelle, donc de
l’autonomie de l’individu. Éduquer, c’est conduire hors de soi, hors de
l’expérience immédiate, hors de ce que certains nomment avec délectation le
« vécu » personnel (Ségal, 1990, p. 9).
En des termes plus clairs, éduquer en histoire revient à s’ouvrir à un savoir extérieur, celui
dont on hérite parce qu’il vient des générations précédentes et celui qu’on emprunte parce
qu’il vient d’un monde étranger.
Cette section a mis en évidence les relations étroites entre des conceptions différenciées de
l’histoire enseignée. Les finalités éducatives qui ont pu être attribuées à l’histoire scolaire,
ainsi que les différentes modalités d’intervention préconisées, reposent sur la culture
historique qu’il convient de faire acquérir au futur citoyen. Il serait intéressant dans ce
contexte de s’interroger sur les enjeux d’éducation à la citoyenneté intégrés à l’apprentissage
de cette discipline scolaire. C’est à cette tâche que nous allons nous consacrer dans les lignes
qui suivent.
2.1.2.3. La perspective de l’éducation à la citoyenneté
57
Deux conceptions de l’histoire scolaire précédemment mises en évidence sous-
tendent la formation des futurs citoyens et la façon dont on pense le rapport au savoir
historique de ces derniers : l’histoire-mémoire suscitant une appartenance identitaire à travers
laquelle le sens critique des savoirs n’est pas recherché ; l’histoire-critique ayant pour but la
formation à l’esprit critique chez les élèves. Comme nous pouvons l’avoir constaté, les choix
curriculaires dans bon nombre de pays ont associé l’histoire à l’éducation à la citoyenneté.
Un tel choix présente certains enjeux que nombre d’études ont tenté de mettre en lumière.
L’étude menée par Cardin et ses collaborateurs (2011) sur les représentations sociales autour
de l’histoire scolaire au Québec révèle les deux postures épistémologiques précédemment
définies dont l’une vise l’appartenance identitaire et l’autre la formation à l’esprit critique
(Cardin, Lefrançois & Ethier, 2011). Les chercheurs reposent le problème du rapport au
savoir historique quant à la place des représentations sociales et tout le contexte didactique
dans lequel peut s’inscrire la formation des citoyens. Une soixantaine (60) d’articles analysés
à cet effet mettent évidence un modèle disciplinaire dont l’enseignement fonctionne à la
rencontre des contenus, des finalités et des méthodes (Chervel, 1998). Les résultats rendent
explicites les vues, les intentions et les visées quant aux rapports aux savoirs historiques que
l’on pense souhaitables chez les élèves.
Deux positions définissent clairement la problématique de l’éducation à la citoyenneté en
classe d’histoire : la position soutenant l’histoire critique, dont les tenants sont les
didacticiens (79 %), s’appuie sur une conception interprétative du savoir historique. La
position soutenant l’histoire-mémoire dont les tenants sont les historiens, les enseignants et
les journalistes, insiste davantage sur la prépondérance d’une trame évènementielle qu’il
convient de faire connaitre à l’élève. Les tenants de l’histoire-mémoire ne semblent pas se
soucier des questions que l’élève peut se poser. La mémoire serait-elle au-dessus des
croyances singulières ? Dans le contexte sociétal actuel où chacun peut inventer le récit de
sa propre vie, la mémoire peut-elle encore s’imposer comme un savoir de formation
supérieure ?
58
Cardin & al. (2011) précisent que le rapport au savoir historique qu’ils ont tenté de cerner
n’est pas celui que l’élève établit lui-même avec le savoir historique. Les auteurs n’ont pas
non plus analysé les représentations du savoir historique chez l’élève. Ce qu’ils ont dégagé,
c’est le type de rapport au savoir valorisé par un échantillon de personnes tel qu’il s’exprime
dans leurs écrits polémiques. Les représentations sociales recensées dans cet échantillon
montrent l’étroite relation quant à la conception de l’histoire, de son enseignement et du profil
de citoyen que l’école est susceptible de former. Or, aborder l’éducation aux sciences
historiques dans la perspective de l’éducation à la citoyenneté implique de dépasser les
appartenances identitaires pour développer l’esprit critique. Comme le soutient Boltkanski
(Boltanski, 1999), le monde est entré dans une phase critique où tout doit être légitimé. Pour
créer un ordre scolaire, il faut le justifier.
La perspective de l’éducation à la citoyenneté invite à s’interroger sur les compréhensions
subjectives – c’est-à-dire — comment le sujet interprète son rapport au monde, à autrui et à
soi ? (Lacoursière, 1996 ; Laville & Martineau, 1998 ; Conseil Supérieur de l’Éducation,
2004 ; Lévesque, 2005). L’histoire-mémoire n’étant plus en arrière-plan de la situation
didactique, il convient d’y intégrer un processus réflexif au travers duquel l’élève se
transforme et se comprend. En l’occurrence, la réflexivité qui en est au cœur ne peut en être
une variable supplémentaire (Lacoursière, 1996 ; Conseil Supérieur de Éducation, 2004 ;
Lévesque, 2005 ; Charland, Ethier & Cardin, 2010 ; Cardin, Ethier & Meunier, 2010 ; Cardin
& al., 2011 ; GRECEH, 2011 ; Boutonnet & al., 2011). Un apprentissage réflexif de l’histoire
se démarque de la mémorisation des récits uniques du passé, et bien sûr, laisse aux élèves la
possibilité de se construire eux-mêmes des représentations qui leur sont propres.
La perspective de l’éducation à la citoyenneté rompt donc avec un apprentissage de l’histoire
empreint d’autoritarisme et de dogmatisme (Lacoursière, 1996 ; Laville & Martineau, 1998 ;
Conseil Supérieur de l’Éducation, 1991 ; Lévesque, 2005 ; GRECEH, 2011). L’école
répressive d’hier avec ses formes de contrôle et de pratiques d’ordre dont le but était
de discipliner les conduites sociales change de caractère. Si une certaine conception de
l’apprentissage historique reposait sur la transmission d’un héritage culturel unique et
inaltérable, celle privilégiée dans cette étude, se donne pour objectif de rendre compte d’une
59
histoire complexe, ouverte et plurielle. Dans cette marge de manœuvre, l’on mise sur la
construction sociale des savoirs, l’on s’interroge sur le sens des savoirs enseignés.
Les transformations sociales qui ont entrainé des changements dans la conception même de
l’apprentissage et du citoyen impliquent également de passer d’un enseignement normatif à
un enseignement subjectif dont la fonction ultime est de faire des individus libres, des
penseurs libres. Cette perspective donne des repères ou plutôt propose différentes lectures
possibles de l’histoire et c’est à l’élève de faire son choix, un choix qu’il doit être capable de
justifier (Levasseur, 2006). Dans ce cas de figure, c’est la conscience individuelle ou encore
la conscience citoyenne qui est important à consolider (Obone Nguema, 2012). Cette façon
d’aborder l’histoire permet aux élèves de discuter entre eux dans le plus grand respect de
l’autre. L’apprentissage d’une histoire plurielle, semble-t-il, aurait des effets sur le rapport
au passé et à l’histoire.
À l’éducation à la citoyenneté, il est donc reconnu le rôle de développer des compétences
nécessaires à l’ensemble des citoyens. Nombres d’auteurs lui attribuent la capacité d’amener
les élèves à s’interroger sur des controverses contemporaines et à en débattre de façon
tolérante (Lacoursière, 1996; Conseil Supérieur de l’Éducation, 1991; Lévesque, 2005 ;
GRECEH, 2011). Dans cette marge de manœuvre, soutient Laville (2001), l’élève devient
capable d’expliquer, de comprendre et de générer des interprétations sur le passé. D’aucuns
évoquent l’intérêt pour les élèves de nuancer différents récits de l’histoire (Cardin, Levasseur
& Moisan, 2013) et de développer des compétences de type délibératif. D’autres y voient la
recherche de sens du point de vue de l’élève. La perspective de l’éducation à la citoyenneté
donnerait à l’histoire sa socialité en ce qu’elle offre à l’élève l’occasion de faire de l’histoire
et non de mémoriser une série de faits non problématisés. C’est donc en termes d’utilité
sociale que les didacticiens soutiennent l’apprentissage de l’histoire. A ce titre, la pensée
historique devient le processus au travers duquel l’élève donne sens au passé et se construit
sa compréhension du monde.
2.1.2.4. La pensée historique, un processus pour donner sens au passé
60
La pensée historique, prise comme pierre angulaire en apprentissage historique, est
ce processus permettant aux élèves de se construire du sens en histoire. Nombre de
didacticiens structurent ce concept en différentes opérations (Laville, 1984, 2004 ; Martineau,
1999 ; Wineburg, 2001 ; Sandwell, 2005 ; Case & Denos, 2006 ; Seixas, 2006 ; Duquette,
2011). Laville (2004) l’associe à deux composantes : la perspective historique et la méthode
historique 8 . Martineau (1999) configure différemment le concept en y ajoutant une
composante complémentaire, soit le langage historique. Ce que Laville appelle la perspective
historique devient l’attitude historique 9 chez Martineau. Dans la même veine, Idrissi (2005)
résume sa réflexion en trois étapes : la problématisation 10 , l’identification 11 et
l’explication12. Dalongeville (2000), quant à lui, développe le concept en quatre temps : 1) la
prise de connaissance du problème ; 2) la phase de la recherche ; 3) l’analyse des données ;
4) l’explication du problème. Les projets de l’American Historical Association et de
Historical ThinkingProjet, entendus comme des références dans ce domaine, proposent une
série d’opérations pour développer la pensée historique.
L’American Historical Association structure son modèle de pensée autour des cinq C : 1)
continuité et le changement ; 2) causalité ; 3) contexte ; 4) complexité ; 5) contingence. Cette
définition rejoint celle de Historical Thinking Project qui s’appuie sur une conceptualisation
en six étapes : 1) établir la pertinence historique ; 2) recourir aux faits découlant des sources
premières ; 3) dégager la continuité et le changement ; 4) analyser les causes et les
conséquences, 5) adopter une perspective historique ; 6) comprendre la dimension éthique de
l’histoire (Seixas, 2000). Dans un cas comme dans l’autre, les définitions prennent appui sur
des verbes d’action relevant des processus situés « où les composantes se combinent et
s’alimentent à l’intérieur d’un processus dynamique » (Gagnon, 2011, p. 437).
8L’élève est amené à prendre en compte la question, à poser des hypothèses, à analyser les sources et autres
données pour être en mesure de prouver ou rectifier ses hypothèses de départ. 9 Par attitude historique, Martineau entend une conception dynamique de l’histoire et une connaissance du rôle
de la pensée dans la production de l’histoire. 10 Transformer un objet d’étude en un problème historique requérant une explication. 11Eclairer le problème, le conceptualiser, le documenter et effectuer une synthèse. 12Être capable d’expliquer le problème.
61
Disons d’une manière générale que les différentes démarches entretiennent des similarités et
supposent que l’élève puisse réinvestir les différentes opérations dans sa manière de penser
le monde. Pour la spécificité de notre étude qui consiste à interroger le sens des savoirs du
point de vue des élèves, nous nous intéresserons davantage à la perspective de Heimberg
(2002).
La pensée historique selon Heimberg
Selon Heimberg, le développement de la pensée historique ne fait pas vraisemblablement
référence à une série d’opérations structurées. L’essentiel repose sur l’idée que l’élève soit
en mesure : 1) de fournir une critique des usages dont l’histoire fait l’objet ; 2) d’expliquer
le présent par le passé ; 3) de considérer ce qui est particulier au passé ; 4) de reconnaitre la
complexité des temps et des durées ; 5) de distinguer l’histoire de la mémoire collective.
Dans un cadre idéologique donné, les usages publics de l’histoire dont l’objectif est la
nationalisation des masses, sont susceptibles de rendre compréhensible un passé et les
différentes articulations qui lui sont reliées. La fonction critique de l’histoire prend ainsi toute
son importance. En effet, elle devrait permettre de comprendre de quelle construction
résultent certains usages du passé (Heimberg, 2013) au lieu de les promouvoir en leur
conférant un statut de vérité. Plusieurs cas de figure peuvent y être dégagés. On peut penser
à la manière dont les milieux dirigeants ont tendance à mobiliser une certaine forme de
mémoire (Heimberg, 2012). Du point de vue critique, tous les usages publics d’histoire n’ont
donc pas la même valeur et ne sont pas à mettre sur le même plan. Certains sont, bien sûr,
susceptibles de nourrir les réflexions sur le passé, le présent et l’avenir.
Concernant l’intelligibilité du passé, l’auteur met l’accent sur l’importance des apprenants à
donner du sens au présent en se référant au passé. En des termes plus clairs, il est d’intérêt
que les élèves apprennent à construire un dialogue qui soit utile entre les réalités du présent
et celles du passé. C’est la raison pour laquelle Heimberg (2015) met en garde contre le risque
d’utiliser l’intelligibilité du présent pour expliquer le passé ou le faire glisser dans le sens
62
commun. Par exemple, si les élèves sont appelés à interroger certains droits qui paraissent
aller de soi aujourd’hui, cette interrogation impliquerait de faire l’histoire de la citoyenneté
et des pratiques associatives qu’elle a suscitées. Également, s’interroger sur l’origine de ces
droits suppose de faire l’histoire du mouvement social, des formes de son affirmation, de ses
contradictions. Le sens commun pourrait facilement négliger l’imprévisibilité des
évènements et faire tomber ces acquis sociaux dans une causalité linéaire. Également, l’on
ne devrait pas s’en tenir qu’à ce seul aspect de l’histoire, mais le compléter par d’autres
dimensions comme la contextualisation ou la pluralité des durées. Selon Heimberg (2011),
l’idée de donner du sens au présent à partir des références au passé est au cœur même de
l’utilité sociale de l’histoire. C’est aussi une posture qui rend impossible toute prétention à
un discours historiographique définitif dans la mesure où les questions posées au passé ne
cessent d’évoluer.
Heimberg (2003) rajoute qu’il est essentiel que l’on prenne en considération les particularités
et l’originalité des civilisations anciennes qui ne peuvent être ramenées au temps présent.
Cette capacité à s’intéresser aux sociétés des temps anciens constitue un moyen pour
apprendre à contextualiser les situations en vue d’éviter des analogies et des mises à plat
simplificatrices qui ne font guère avancer la compréhension du monde. Dans la même
perspective, Moisan (2015) soutient que l’on ne se contente pas seulement de l’histoire des
dominants, mais qu’également, il importe de prêter attention à la pluralité de l’histoire. Dans
l’interprétation des faits historiques, cet intérêt devrait inciter à considérer la
complémentarité des échelles entre le plus proche et le plus lointain, entre le local et le
mondial. Heimberg (2002) insiste sur le fait qu’avoir de l’intérêt pour l’autre est aussi une
manière de mieux se connaître soi-même, d’assimiler l’autre à soi et de l’expliquer à partir
de ses propres références. Aussi, la connaissance d’autrui déterminerait-elle sa propre identité
et la connaissance qu’on a de soi.
La question du temps, telle que la représente Heimberg (2002), permet de donner du sens le
mieux possible à l’histoire en désignant ses grands chapitres et ses ruptures majeures. Dans
la perspective d’une compréhension plus globale, la question du temps mobilise les liens
passé-présent-avenir et permet d’appréhender le rythme de l’évolution des réalités. Selon
63
l’auteur, problématiser la complexité des durées en s’appropriant la diversité des temps parait
sans doute nécessaire pour construire des points de repère et pour avoir une vision générale
de l’histoire humaine. La problématisation des temps et des durées s’avère utile pour
relativiser leur caractère figé et des récits basés sur les causalités linéaires.
Heimberg (2002) distingue l’histoire de la mémoire collective posant surtout le problème du
passage d’un usage critique à celui d’abus éventuels. Un débat sur les faits du passé serait
important pour déterminer les évènements qu’il convient de commémorer et d’éviter une
mémoire figée qui finit par perdre son sens critique et nuire à la cause qu’elle entend
défendre. Faut-il commémorer un évènement qui revêt une signification absolue et définitive,
ou au contraire, lui attribuer une signification raisonnée qui suscite des leçons du présent ?
Telle est la question que se pose Heimberg (2012) qui, sans nier l’utilité que peut revêtir une
mémoire partagée, propose de soumettre toutes manifestations de la mémoire collective à
une analyse qui en déconstruit les représentations mythiques. Avec quelle intensité les jeunes
se nourrissent-ils de cette mythologie ? Quelques travaux examinés sur l’apprentissage
historique au cours secondaire en donnent un aperçu.
L’apprentissage de la pensée historique au secondaire : apports et limites
Comme nous l’avons vu, les représentations sociales autour de l’histoire scolaire ont été
révélatrices de deux conceptions de l’histoire et des rapports aux savoirs historiques que l’on
pense souhaitables chez les élèves. Si ces deux conceptions sont présentes dans les rapports
au passé qu’entretiennent les apprenants, le processus de la pensée historique parait
déterminant pour transformer les représentations communes sur l’histoire et pour construire
un rapport critique au passé. Pour cerner le processus dans lequel les représentations des
élèves se transforment, nous nous sommes référée à deux études mettant en application les
trois compétences de la pensée historique proposées dans les programmes d’histoire au
Québec :
Interroger les réalités sociales dans une perspective historique ;
64
Interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique ;
Construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire.
L’étude de Duquette (2011) dont objectif était de voir dans quelle mesure les élèves pourront
développer ces trois compétences s’est effectuée selon un protocole en trois étapes. Une étape
de préenquête interrogeant les représentations initiales des élèves sur la pauvreté en Afrique
montre un niveau de conscience historique faible chez la majorité d’élèves. Sur un total de
80 élèves interrogés, 25 % attribuent des causes naturelles à la pauvreté, 52 % cherchent des
coupables, 8 % y fournissent des raisons économiques. Seuls 16 % des participants ont tenté
un raisonnement historique pour expliquer le phénomène. Une seconde étape au cours de
laquelle les documents historiques ont été soumis à l’interprétation des élèves visait à activer
la pensée historique. Lors des entrevues qui ont suivi à la troisième étape, la chercheure a pu
constater que la majorité d’élèves étaient parvenus à un niveau de conscience historique plus
élevé. Une minorité quant à elle, semblait conserver le même niveau ou parfois régressaient
à un niveau moins critique. Les données indiquent d’une manière générale des changements
opérés quant aux représentations des élèves au cours du processus d’apprentissage. Une
pensée historique élevée justifie également un niveau de conscience historique élevé. Les
participants dont le niveau de conscience n’a pas évolué sont aussi ceux qui considèrent
l’histoire comme un récit véridique et inchangeable du passé.
L’étude de Gagnon (2010) centrée sur les pratiques des élèves de quatrième année du
secondaire dans le cadre de deux activités13 d’apprentissage par problème, fait ressortir
13 Voici la description de la première activité :
Les élèves étaient invités à définir le concept de patrimoine par le biais d’une discussion initiale
alimentée par des questions générales du chercheur. Par la suite, une série de documents était distribuée
aux élèves sur lesquels se retrouvaient : 1) la définition du groupe-conseil sur la politique du patrimoine
culturel du Québec ; 2) un modèle, sous forme de pyramide inversée, présentant l’évolution concept de
patrimoine et de la loi sur les biens culturels du Québec ; et 3) un organigramme présentant les diverses
catégories de biens culturels patrimoniaux. Après avoir consulté ces informations complémentaires, les
élèves recevaient un document sur lequel étaient présentés trente-quatre items et deux questions à court
développement. En sous-groupe, les élèves devaient déterminer lesquels des items proposés devraient,
selon eux, faire partie de patrimoine québécois. Ils devaient par la suite répondre aux questions
suivantes : Quels sont les critères qui permettent de déterminer si un objet (matériel ou non) a une valeur
patrimoniale ? Pourquoi s’intéresser au patrimoine (Gagnon, 2010, p.173).
65
plusieurs interventions accompagnées d’une pratique réflexive. Le chercheur observe des
points de vue mieux argumentés lorsque s’exprime un désaccord, c’est-à-dire, lorsque les
élèves devaient discuter de la provenance et de l’authenticité d’un item avant de déterminer
s’il devait faire partie ou non du patrimoine québécois. Ce qui confirme à nouveau
l’hypothèse selon laquelle la confrontation des points de vue contribue de manière
significative à la construction d’une pensée critique.
Sur la base du critère de spécificité qui fut central à la recherche, l’auteur observe que les
élèves ont fait preuve d’une pensée à tendance critériée. Les attitudes d’autocritique et
d’autocorrection, si elles ne contribuent pas à soutenir que les élèves ont exercé une pensée
critique, ont eu l’avantage d’avoir alimenté les moments de désaccords dans le processus de
résolution de problème. Gagnon ne note aucune intervention visant à évaluer la crédibilité
des sources et des informations. Les élèves s’en remettaient systématiquement aux
définitions ainsi qu’aux items catégorisés par le groupe-conseil. Ce manque de distance
critique, à l’égard des sources, montre de manière évidente le statut que les élèves attribuent
aux savoirs historiques reposant ainsi le problème du rapport à la vérité face au passé.
Les résultats de ces deux études essentiellement portées sur la dimension épistémique des
savoirs historiques constituent une avancée significative dans le domaine de la didactique de
l’histoire. À partir de l’étude de Duquette (2011), on peut conclure que le rapport aux savoirs
historiques des élèves n’est pas figé et qu’il peut se raffiner dans un processus qui favorise le
développement de la pensée. Cette conclusion rejoint celle de l’étude de Gagnon (2010) sur
les mécanismes qui concourent à la construction d’un rapport critique au passé et où la
confrontation des points de vue argumentés a contribué à complexifier la compréhension du
sujet abordé. Pour des fins de leurs recherches, il est normal que les auteurs s’en soient tenus
uniquement à l’aspect épistémique des savoirs historiques. Mais ce faisant, il est alors
difficile de saisir le sens et la valeur que les élèves donnent aux savoirs, les particularités
liées à l’apprentissage de ces derniers et les obstacles auxquels ils sont confrontés.
Notre modèle d’apprentissage historique
66
Pour soutenir le développement de la pensée historique, les didacticiens à l’instar de
Martineau (2010) s’appuient sur l’initiation des élèves aux méthodes didactiques. Si cette
initiation aux méthodes est fondée, elle connaitra sans doute des limites si elle doit évacuer
la subjectivité des élèves. Comme nous le verrons plus loin, le traitement de la pauvreté, vue
comme un support précieux de médiation entre mémoire et histoire, a pu donner lieu à
diverses interprétations et conduire les élèves à complexifier leur compréhension du sujet.
Privilégier les méthodes didactiques au détriment de la subjectivité des sujets-acteurs
implique de reléguer l’activité de l’élève au second plan. L’histoire ne peut véritablement
faire l’objet d’apprentissage si les méthodes didactiques ignorent les différences subjectives.
Dans sa lecture de l’histoire, l’élève ne peut s’abstenir de projeter quelques valeurs éthiques,
affectives ou sociales. C’est dans cette optique qu’apprendre l’histoire produit d’effet
durable, c’est-à-dire, lorsque l’élève s’approprie les ancrages historiques d’une réalité sociale
et interagit avec le passé. L’histoire scolaire ne peut ignorer la réalité des apprentissages
culturellement et socialement situés. Traiter de la pauvreté du Gabon a révélé dans quelle
mesure les élèves sont libres ou non de se conformer aux référents mémoriels pour faire
valoir leur propre compréhension.
A ce titre, évaluer l’apprentissage historique chez les élèves implique de prendre en compte
la diversité et la mobilité des sens tout en considérant le document historique comme un pur
artéfact dénué de signification tant qu’il n’est pas soumis à l’interprétation. Le modèle
d’apprentissage que nous proposons apparait nécessaire pour rendre compte à la fois de la
dimension épistémique des savoirs et de la trajectoire sociale et scolaire des élèves. Comme
l’ont montré les débats sur l’histoire, les représentations sociales indiquent différents niveaux
de pensée en histoire. Nous faisons l’hypothèse que chaque niveau puisse faire la différence
entre les savoirs émanant de la mémoire et ceux provenant de l’histoire critique.
Les différents niveaux de la pensée en histoire
67
Pour élaborer les différents niveaux de la pensée en histoire, nous nous référerons d’abord au
modèle proposé dans le mini-guide de la pensée critique (Paul & Elder, 2008) pour ensuite
le compléter avec la taxonomie de Rüsen (2004). Le mini-guide de la pensée critique propose
trois niveaux de la pensée. Au niveau 1, la pensée dépend fréquemment de l’intuition, elle
est largement basée sur des émotions. Au niveau 2, la pensée est sélectivement réfléchie et
inconstante. Elle peut être douée de sophisme. Au niveau 3, la pensée est explicitement
réfléchie. Le niveau 1 se distingue nettement du niveau 3, mais le niveau 2 peut être équitable
ou inéquitable.
Ramenée à l’histoire, cette perspective présuppose que certains accordent une part importante
aux référents mémoriels pour expliquer le présent. Cette caractéristique le distingue
nettement des autres qui portent un regard critique sur les référents mémoriels pour tenter de
donner sens au présent. À un niveau intermédiaire, les élèves mettent à distance la mémoire
collective, et ce, de façon intermittente. Au niveau intermédiaire également, la
compréhension peut partir d’un récit de vie pour orienter l’interprétation du présent par le
passé. Dans ce cas de figure, la pensée va dépendre de la trajectoire sociale de l’individu et
produire une compréhension subjective qui peut se transformer pour autant que le processus
d’apprentissage le permette.
La caractérisation que nous venons d’effectuer a le double avantage de distinguer quatre
niveaux de la pensée tout en déterminant le lien que chaque niveau entretient avec le passé :
pensée critique, pensée non critique, pensée intermittente, pensée prenant appui sur une
expérience personnelle. Dans une certaine mesure, les quatre modèles évoqués rejoignent la
taxonomie de Rüsen (2004) 14 où quatre niveaux de la pensée historique sont proposés : le
niveau traditionnel, le niveau exemplaire, le niveau critique et le niveau génétique. Au niveau
traditionnel, les récits de mémoire sont compris comme des vérités absolues. Au niveau
exemplaire, le passé et le présent sont compris comme un cycle d’évènements qui est appelé
à se répéter. Au niveau critique, le passé est perçu comme étant étranger au présent. Au
14Rüsen (2004) ne parle pas précisément de pensée historique, mais de conscience historique. Nous faisons
l’hypothèse que, si l’on se réfère à l’étude de Duquette (2011), le niveau de pensée historique reflète le niveau
de conscience historique.
68
niveau génétique, l’histoire est une interprétation du présent. Dans cette marge de manœuvre,
la démarche sociodidactique combinant les enjeux didactiques et sociologiques du rapport au
savoir s’avère nécessaire pour cerner au mieux les processus dans lesquels s’opèrent les
différents niveaux de pensée.
2.1.3. Les enjeux sociodidactiques du rapport au savoir
Dans cette section, nous tentons d’articuler les enjeux sociologiques et didactiques
du rapport au savoir dans un cadre systémique plus large. Plus précisément, il serait question
de relier quelques assises épistémologiques et praxéologiques qui mettent en interaction les
savoirs historiques et leur composante sociale. La perspective sociodidactique envisagée
s’inspire des recherches interdisciplinaires (Charaudeau, 2010), lesquelles s’avèrent
nécessaires à la saisie les phénomènes complexes (Hamel, 1995 ; Mathurin, 1995) comme
l’apprentissage. Pour emprunter à Proust (1992), l’interdisciplinarité implique de recomposer
l’unité de l’Homme fracturé en différentes spécialités disciplinaires (Hamel, 1995). Cette
posture de recherche permet des ponts entre les théories des disciplines contributoires
(Hamel, 1997 ; Resweber, 2000). En plus des enjeux épistémologiques que comporte la
perspective interdisciplinaire, son axe praxéologique justifie qu’un espace commun de travail
(Gusdorf, 1988) et un métissage de pratiques (Bibeau, 1991) soient établis entre diverses
disciplines. Cet environnement de travail partagé serait nécessaire à la mobilisation des
savoirs provenant de diverses sources (Klein, 1996) et pour faire émerger les pans de
langages communs (Faure, 1992).
Si l’on s’en tient au propos de Resweber (2000), l’approche sociodidactique des savoirs parait
être un processus à même d’amener les élèves à réfléchir de façon novatrice sur une réalité
qui les engage dans la résolution de problème. Son locus unificateur intégrant simultanément
les éléments sociologiques à la dimension didactique des savoirs et, touchant à la question
du sens des savoirs permet de cerner de l’intérieur, les enjeux historico-sociologiques du
phénomène de pauvreté dans le contexte particulier du Gabon. La perspective
sociodidactique serait d’une certaine pertinence pour montrer que l’apprentissage n’est pas
69
seulement lié au sens des savoirs, mais qu’il revêt aussi, comme l’a dit Perrenoud (1994),
une relation de sens et de valeur entre la personne et la situation. Aussi, serait-il intéressant
de voir dans quelle mesure cette perspective constitue une alternative pouvant dépasser le
seul cadre de la didactique.
Sous l’angle sociologique et comme nous l’avons déjà vu, les travaux prenant en compte la
trajectoire sociale et scolaire de l’élève montrent tout l’intérêt qu’il y a à tirer profit des
potentialités d’interprétations offertes. Les études rendent compte du rapport au savoir et à
l’école et des mobiles des élèves à apprendre une discipline. Comme l’affirme Venturini,
cette caractéristique donne « une intelligibilité à ce qui se passe dans la classe » (2007, p. 5).
L’approche sociologique des savoirs complète en cela les travaux didactiques dont la seule
composante souvent prise en compte est épistémique. Chercher à cerner le sens sociologique
des savoirs scolaires dans les études didactiques, c’est en somme tenter d’éclairer un certain
nombre de situations chez les élèves en train d’apprendre.
Sous l’angle didactique, la pensée historique donne du sens et de l’épaisseur aux réalités
sociales. L’élève développe sa pensée en se situant de manière critique face aux problèmes
de société (Lautier, 2001). Dans ce processus, il nourrit sa culture historique des
connaissances factuelles et d’une conscience de la manière dont l’histoire est produite. Cette
capacité à construire une temporalité critique des usages dont l’histoire fait l’objet donne,
comme le souligne Prost (2000), un sens dynamique aux savoirs historiques en leur conférant
une valeur éducative. Selon Prost (2000) en effet, répondre à ces exigences, revient à faire
une description dense des réalités sociales et à construire un rapport critique au passé.
Pour en venir aux enjeux sociodidactiques du rapport au savoir, il convient de rappeler que
la composante sociale souvent mise en marge dans les travaux didactiques entre en
contradiction avec les études sociologiques. Comme nous l’avons vu, les recherches en
sociologie ont montré l’impact du social sur le rapport au savoir et à l’école des élèves. Dans
le cadre de cette étude, la dimension sociale privilégiée dans la théorisation du sujet reste à
examiner en profondeur pour montrer en quoi le social conditionne les phénomènes
70
épistémiques et identitaires en relation avec l’apprentissage historique. Comme nous l’avons
fait observer plus haut, les études didactiques s’intéressent essentiellement à la dimension
épistémique des savoirs historiques donnant peu d’intérêt à leur dimension sociale.
Aussi, l’originalité de cette étude tient-elle au fait qu’elle tente un cousinage entre la
didactique et la sociologie (Lahire & Johsua, 1999) afin de cerner les multiples sens des
savoirs historiques. Plus concrètement, œuvrer dans la perspective sociodidactique implique
de travailler sur le rapport au savoir en acte et de rendre compte de la part du social dans
l’apprentissage de l’histoire (De Léonardis, Laterrasse & Hermet, 2002). Notre approche des
savoirs en appui sur les concepts du rapport au savoir et de la pensée historique, en ce qu’elle
met de l’avant ce qui fait sens aux savoirs (Lésogho, 2014), s’avère capitale pour cerner les
manières des élèves à apprendre l’histoire. Puiser dans les disciplines convoquées pourrait,
nous le souhaitons, apporter de possibles éclairages quant aux multiples significations
conditionnant l’apprentissage de l’histoire en classe (Lahire & Johsua, 1999 ; Lésogho,
2014). Ce regard particulier sur les savoirs se démarque d’une lecture en négatif des
situations d’apprentissage au profit d’une lecture en positif éloignée de jugements, de
sentences, de réification. Le traitement des QSSV et en l’occurrence celui du thème de
pauvreté proposé dans cette étude s’inscrit dans cette vision, notamment celle de comprendre
ce qui se passe chez un élève lorsqu’il s’approprie les savoirs historiques.
71
2.1.3.1. Les QSSV à l’école, leur traitement didactique
Dans la présente étude, les QSSV seront prises dans leur sens le plus général, c’est-
à-dire comme des sujets multiréférentiels (Alpe & Barthes, 2013). Sur le plan scientifique,
traiter de tels sujets demande que des experts d’intérêts divers soient contraints de s’assoir
ensemble pour négocier des savoirs. Legardez et Simonneaux (2006) soutiennent ainsi cette
conception des savoirs ayant bousculé les frontières établies entre les différentes sphères du
savoir. Il n’est plus possible d’imposer son point de vue d’autorité, il faut le justifier. D’où
l’expression selon laquelle l’expertise tend à se démocratiser :
Les scientifiques n’étant plus les seuls à revendiquer la vérité sur le monde et à
prétendre configurer son devenir. Ils doivent composer avec d’autres expertises,
d’autres savoirs, d’autres récits, d’autres problèmes et questions […]. Cette
nouvelle conception des savoirs recouvre certes des enjeux de « savoir-pouvoir »
aussi importants, mais encourage néanmoins le croisement et le métissage des
savoirs. Cette combinaison fait émerger une […] « connivence élargie » quant
aux manières de penser le monde, de s’y allier et d’y conjuguer le vivre ensemble.
(Larochelle & Désautels, 2006, p. 66).
L’intégration des QSSV à l’école donne voie à la conception interdisciplinaire des savoirs.
Pour traiter de ce type de question en classe, la didactique prend une toute autre orientation,
en ce sens qu’elle ne peut être qu’un carrefour interdisciplinaire où elle emprunte les concepts
des disciplines contributoires et les remodèle pour les besoins d’apprentissage (Alpe &
Barthes, 2013). Ainsi, la tendance perpétuelle de l’école à l’autoréférence (Martinand, 2003)
perd quelque peu de sa primauté. Sous l’angle éducationnel, cette perspective des savoirs
s’appuie sur des compétences indispensables à la vie du futur citoyen. En sociologie comme
en didactique, le caractère intangible des savoirs disciplinaires est aussi contesté que
l’ensemble des connaissances déconnectées de la vie sociale. Selon Young (2007) qui rejoint
Forquin (1997) dans cette conception, les savoirs scolaires ne constituent pas la seule
couverture symbolique qui légitime la réussite sociale. À l’intérieur des savoirs traditionnels,
soutient Musgrove (1968), l’on peut identifier des contenus et des valeurs indispensables
pour comprendre et progresser socialement. Ce qui importe c’est de s’assurer que les
membres d’une génération puissent acquérir autant que possible les savoirs qui amènent
72
l’être au-delà de son expérience personnelle (Alpe & Barthes, 2013). Perrenoud (2008) plaide
ainsi pour des savoirs qui soient beaucoup plus pilotés en référence à la vie sociale.
Traiter didactiquement des QSSV en classe permet de considérer à la suite d’Audigier (1995),
la question des savoirs et partant de l’éducation, selon trois angles : (1) la construction des
modèles interdisciplinaires nécessitant un certain relativisme des savoirs ; (2) la
reconnaissance des savoirs pluriels et des représentations du monde ; (3) la nécessité de
soumettre la diversité des discours aux valeurs de vérité qui fondent la vie collective. Sur
cette base, il s’agit d’éclairer la relation de sens et de valeur des savoirs entre l’individu et
les savoirs d’une part, et de l’autre, de négocier les éventuels conflits pour le vivre ensemble
(Martinand, 1989). Pour citer un sociologue de l’éducation :
L’éducation, en s’insérant dans un cadre social, doit résoudre des contradictions
qui se vivent sur le plan collectif, consolider ou transformer les structures, former
la jeunesse pour qu’elle puisse agir dans un monde préexistant tout en ayant la
capacité de le modifier. Cette insertion sociale de l’école peut se traduire par une
visée de reproduction […] ou, tout au contraire, de transformation de la société
[…]. Dans un cas comme dans l’autre toutefois, il existe un arrimage entre l’école
et la société (Levasseur, 2006, p. 611).
Si l’on s’appuie sur cette affirmation et que l’on tente un arrimage entre l’école et la société,
on en arrive à la question du contrôle et de la valeur des savoirs : qui décide de la valeur
formatrice des savoirs — par exemple d’un savoir historique — dans la mesure où cette
décision est extérieure à l’élève ? Qu’est-ce qui donne à un savoir une valeur de formation ?
Si l’on peut savoir ce dont un élève a besoin sur le plan social, jusqu’où peut-on cerner son
monde intérieur ? Au regard du type de relation que l’on souhaite promouvoir entre l’élève
et le savoir, nous pensons qu’il est nécessaire — voire impérieux — de comprendre comment
le sujet construit son rapport au savoir. A l’instar de Martineau (2010), nombre d’auteurs
(Astolfi & Develay, 2002) affirment que, ce que l’école doit faire apprendre aux élèves, c’est
la construction du rapport à la vérité. Apprendre à construire ce rapport à la vérité signifie
pour l’apprenant de savoir relativiser — de savoir renoncer aux préjugés —, de sursoir à son
jugement et de savoir changer d’avis (Lange, Zougrana & Yaro, 2006).
73
Dans ce qui suit, nous tenterons de montrer comment le rapport au savoir et la pensée
historique, bien que distincts par la nature des éléments du savoir que chacun des processus
prend en compte, se combinent et mettent en action les enjeux de savoirs en construction
dans une classe d’histoire.
2.1.3.2. Pensée et rapport, deux processus liés
Dans cette section, nous identifierons plus spécifiquement le lien étroit que la pensée
historique entretient avec le rapport au savoir. L’histoire sera particulièrement considérée
dans sa relation avec la mémoire. Le savoir historique étant à la fois objet et rapport, cette
conception s’inspire de la distinction que Dumont (1968) établit entre la culture première et
la culture seconde. La culture première est un donné, un déjà-là grâce auquel on interprète
spontanément le monde. La culture seconde, plus réflexive, fait appel à une interprétation
critique des œuvres et les pratiques symboliques. Le passage de la culture première à la
culture seconde est défini comme « un mouvement réflexif qui amène l’individu à s’ouvrir à
des cercles de culture seconde et à adopter un point de vue plus distancié à l’égard des objets
et des pratiques constituant sa culture première » (Simard, Falardeau, Émery-Bruneau &
Côté, 2007, p. 289). Voyons comment cela nous aide à mieux cerner le concept de rapport
au savoir et celui de la pensée historique ainsi que nos intentions de recherche.
En tant qu’objet, le savoir sur le passé s’appuie de manière plus ou moins consciente sur les
référents mémoriels à partir desquels l’élève fait une interprétation spontanée des réalités
sociales. À l’opposé, le savoir historique en tant que rapport s’élabore dans un cadre
d’apprentissage dans lequel l’élève prend conscience de la complexité du temps historique
en posant un regard nuancé sur le passé. Dans ce processus, l’apprenant arrive à comprendre
qu’il n’existe pas de vérité historique unique et totalisante (Côté & Duquette, 2010). Le savoir
historique pensé comme rapport s’appuie sur la thèse de la triple relation au savoir
développée par Charlot (1997). En ce sens, le savoir historique n’est plus un objet désincarné
que certains élèves réussiraient à cerner ou non, mais il témoigne d’une relation que ces
derniers entretiennent avec l’histoire (Moniot, 2006).
74
Œuvrer à la construction de cette relation au savoir c’est, à notre sens, prévoir des modèles
d’apprentissage où les élèves seront invités à faire un usage critique des référents mémoriels.
Dans la mesure où ce processus ne se rapporte pas uniquement à une série d’habiletés
intellectuelles, il parait nécessaire de les soumettre à des activités de résolution de problèmes
et de leur apprendre à se construire un rapport critique à la vérité (Reuter, 2007). Comme
cela a déjà été soutenu, les élèves établissent ce rapport à la vérité en apprenant à relativiser,
à renoncer à leurs points de vue, à changer d’avis, à sursoir à leurs jugements, à renoncer aux
préjugés. Gagnon (2010) qui en a fait l’expérience note que le rapport aux sources
d’informations touche inévitablement aux valeurs de vérité des savoirs sur le passé.
La section à la suite fixe le cadre dans lequel faire émerger le rapport au savoir historique des
élèves. Comme nous l’avons déjà souligné, traiter d’une QSSV suppose de considérer la
didactique comme un carrefour interdisciplinaire où la tendance à l’autoréférence perd de sa
primauté (Martinand, 2003).
2.2. Un cadre d’interaction entre le rapport au savoir et la pensée historique
Dans la partie précédente, nous avons émis l’idée de combiner le processus du
rapport au savoir et celui de la pensée historique afin d’éviter une vision abstraite et limitée
du phénomène de pauvreté. Dans celle-ci, l’objectif sera de mobiliser les savoirs provenant
de différentes sources Gusdorf (1988) et d’apprécier la dimension historico-sociologique de
ce phénomène dans le contexte gabonais. Ce que Faure (1992) entend parfaire émerger des
pans de langages communs sur une problématique sociale.
Dans le concept de pauvreté, comme le soutient le sociologue Missie (2011), quel que soit le
sens que l’on peut lui attribuer, on retrouve toujours à la base les notions de sous-équipement,
de pénurie, de dénuement, de précarité, de misère. Lorsque dans une société donnée ces
problèmes perdurent, il s’ensuit une chaine de conséquences négatives : frustrations,
revendications, indignation. Ce sociologue africain qui s’est intéressé aux échecs incessants
des programmes de lutte contre la pauvreté en Afrique place au centre des facteurs de
75
résistance au changement, le déterminisme de la stratification sociale. Pour paraphraser
Messie, la stratification sociale est déterministe du simple fait que les oppresseurs
apparaissent toujours comme ceux qui élaborent les discours de justification de domination,
d’exploitation.
Parler du déterminisme de la stratification sociale au Gabon nous renvoie au système colonial
où les discours de domination et d’exploitation s’étaient d’abord élaborés (Harmand, 1910).
Pour comprendre la permanence du phénomène de pauvreté dans ce pays, nous nous
intéresserons particulièrement à l’impact du système colonial sur les situations postcoloniales
et tenterons une réflexion sur les rapports de force établis depuis les anciennes colonies. Plus
précisément, il s’agira de mettre en lumière les mécanismes d’inégalités et d’injustices
régissant les rapports humains et les processus menant à un type de rapport à l’autorité. Selon
Freire (1983), ces processus constitueraient autant d’indicateurs pour perpétuer les modes
d’être et de gestion comme ceux en héritage au Gabon. Des éléments d’apports sociologiques
qui nous ont paru utiles pour investiguer la recherche sur le terrain.
En premier lieu, il s’agira de tenter une approche historico-sociologique de la pauvreté en
resituant le contexte colonial dans lequel le phénomène de pauvreté prit forme au Gabon. En
second lieu et dans la continuité des réflexions ouvertes par Georges Balandier (1951, 1999)
sur la situation coloniale, nous nous attarderons sur ce que sous-tend une approche de cette
réalité fondée sur une histoire sociale de la colonisation. Au troisième point, nous aborderons
une analyse de la situation d’oppression et des fondements de l’éducation selon un modèle
de réflexion proposé par l’auteur brésilien Paolo Freire. Les rapports de force typifiés dans
la situation coloniale et les similitudes que l’on peut établir avec les périodes postcoloniales
seront abordés comme des indicateurs susceptibles de maintenir le Gabon en état de pauvreté.
2.2.1. La pauvreté au Gabon, un aperçu historico-sociologique
Comme nous l’annoncions précédemment, il est question ici de resituer le contexte
sociohistorique dans lequel le phénomène de pauvreté prend naissance au Gabon. Ce bref
détour permettra de mettre un accent particulier sur les rapports de forces établis depuis le
76
système colonial et sur la manière dont l’élite africaine s’est approprié cet héritage. Comment
l’approche historico-sociologique envisagée peut-elle aider à cerner le déterminisme de la
stratification sociale, facteur central au maintien de la pauvreté au Gabon ?
Si l’on se réfère à Harang (2010), la sociologie nourrit l’histoire par leur objectif commun de
comprendre comment les catégories sociales se sont constituées et comment les individus se
les représentent. L’auteur souligne le bénéfice du concept de l’habitus qui rappelle que
chaque individu est le fruit d’une histoire, d’une éducation. La possibilité de travailler en
histoire avec le concept d’habitus emprunté à la sociologie évoque la recherche des lieux qui
ont façonné les habitudes au Gabon. À ce titre, d’aucuns proposent une analyse du présent
conduisant à considérer le postcolonialisme, non comme une rupture avec le colonialisme,
mais comme une tentative des acteurs africains de se réapproprier les instruments d’une
histoire purement occidentale (Petithomme, 2007 ; Gall, 1994 ; Winock, 2005 ; Pervillé,
1975). Du système colonial seraient nées des structures politiques dotées de déficit de
légitimité que les élites postcoloniales ont tenté d’instrumentaliser dans leurs intérêts en
suivant la logique propre à la domination coloniale (Winock, 2005 ; Pervillé, 1975). On ne
pouvait espérer, soutient Petithomme (2007), que les dirigeants africains entreprennent de
modifier les formes économiques dont les forces sociales les maintiennent au pouvoir. Il
semble que dans le cas du Gabon dont l’histoire se mêle à l’histoire générale de l’Afrique,
cerner les réalités sociopolitiques actuelles requiert une conceptualisation de la genèse
historique des structures politiques coloniales (Gall, 1994 ; Winock, 2005 ; Pervillé, 1975).
Dans l’interprétation dominante de l’histoire africaine, le phénomène de pauvreté comme
bon nombre de dégâts sont imputés à la conquête européenne : traite des Noirs, pillage des
matières premières, imposition du prêt-à-penser occidental. L’expansion coloniale, en
voulant s’assurer l’accès aux matières premières, aurait entremêlé des mobiles divers :
mercantile, idéologique, politique, religieux (Pervillé, 1975). Durant les conquêtes
coloniales, les moyens d’existence réorganisés étaient essentiellement basés sur l’usage de la
monnaie.
Les cités européennes, s’étant constituées en marge des sociétés locales, voulaient structurer
celles-ci de l’extérieur sans trop les pénétrer. Le quotidien dans les colonies était tel que les
77
modes de vie traditionnels devaient être maintenus à l’usage des populations autochtones,
ceux du colonisateur paraissant comme meilleurs (Gall, 1994 ; Winock, 2005 ; Pervillé,
1975). Ce fut-là, l’origine des villes coloniales avec des sociétés blanches séparées de celles
indigènes. Des discriminations, qui aujourd’hui, sont perçues comme insultantes. Pour des
besoins d’éducation et d’administration, une langue commune fut imposée avec l’aura d’une
identité culturelle commune contenant en germe l’idée d’une nation et de son unité. Des
frontières arbitrairement tracées à cette époque conservent aujourd’hui un contenu réel
(Winock, 2005 ; Pervillé, 1975). Les conceptions humanistes de la culture occidentale qui y
ont façonné l’habitus y servent toujours de référence et de norme. Comment le colonisé vit
subjectivement la situation qui lui est faite ? Ce que tente de comprendre Balandier qui
découvre l’Afrique au terme de sa longue période de colonisation.
2.2.2. La situation coloniale selon Georges Balandier
Georges Léon Émile Balandier (1920-2016) était un anthropologue et un sociologue
français spécialiste des questions africaines. Réfractaire à toute forme de dictature et toujours
imprégné des expériences du résistant, il participe activement au processus de décolonisation des pays
du tiers monde, terme qu’il définit avec Alfred Sauvy en 1952. Sa notion de situation
coloniale, transversale à sa pensée, rend compte de la dynamique du social dans le rapport
dominants/dominés.
Selon Georges Balandier (1951, 2002, 2007), la situation coloniale englobe tout : les heurts
de contact, le compromis racial, l’écart entre colons et indigènes. La perspective de Balandier
se démarque des approches disciplinaires soucieuses de limiter la connaissance du fait
colonial à leurs champs de recherche respectifs. L’auteur rend compte de différents écrits sur
la colonisation en les intégrant dans une approche plus globale. Pour ne citer que l’exemple
de l’histoire et de la sociologie, Balandier reprend notamment des écrits d’historiens se
limitant à évoquer le décalage de la mission civilisatrice et leur engagement sans faille aux
côtés des peuples victimes de la colonisation (Gall, 1994 ; Pervillé, 1975 ; Winock, 2005). Il
s’en sert pour nourrir sa démarche des réflexions sociologiques portant sur la supériorité
78
héroïque de la minorité blanche. Les études qui, dans cette perspective s’orientent à partir de
la race, tendent à confondre la notion de race avec celle des classes sociales. L’accent y est
davantage mis sur un type de rapport exploitant/exploité établi entre la minorité européenne
et les masses autochtones. Les écrits percutants de Delavignette (1939) lui servent d’appui
pour témoigner d’une invasion de la culture européenne qui conférait au peuple dominé une
condition à la fois d’égalité et d’assujettissement.
Une lecture globale du fait colonial permet surtout à Balandier de comprendre comment les
indigènes vivent la situation qui leur est faite (1951, 2002). Son approche par la globalité,
qui ne peut se faire sans tenir compte de la double réalité qu’est la colonie et la situation
créée, montre l’intérêt d’une démarche singulière née d’un croisement de données
(anthropologique15, psychologique16, marxiste17, géographique18, historienne, sociologique).
La question centrale de son œuvre est de savoir ce qui pousse les dominés à accepter la
domination, à s’assujettir et à obéir.
L’on pourrait, dans une large mesure, soutenir que la conception de Balandier couvre la
totalité dans l’univers colonial. Comme nous le verrons dans la partie méthodologique au
chapitre suivant, sa démarche met en évidence des positions épistémologiques auxquelles
renvoient les recherches compréhensives. Cette perspective pose le problème des unités
pertinentes d’analyse que l’on peut convoquer pour approfondir la connaissance d’un
phénomène multidimensionnel comme la pauvreté. Comme le soutient (Copans, 2001), la
démarche de Balandier ne se limite pas à alimenter une compréhension actuelle de la situation
coloniale, mais au contraire, cherche à considérer son impact sur les sociétés contemporaines
15 Les anthropologues analysent les processus d’adaptation, de refus et les conduites novatrices nées de la
destruction des modèles sociaux traditionnels. Ils s’intéressent à la domination coloniale qui cherche
constamment à se justifier : supériorité de la race blanche, despotisme des chefs traditionnels, incapacité des
indigènes à se gouverner. 16Le psychologue Mannoni (1950, cité par Delbracio, 2015) définit la situation coloniale comme une situation
d’incompréhension, de malentendu et de complexes entre le colonisé et le colonisateur. 17 Les marxistes établissent le lien entre capitalisme et expansion coloniale en comparant la question sociale à
la question coloniale. 18 La pensée géographique de Pierre Gourou (1947) révèle un pessimisme qui laisse voir un Tiers Monde mal
parti. L’auteur évoque la décomposition et la dépossession foncière entrainant la prolétarisation et le
déracinement des territoires colonisés.
79
(Balandier, 2002, 2013). La sociologie dynamiste qu’il propose suggère des pistes
opératoires pour penser la pauvreté comme un effet d’héritage colonial dans les situations
postcoloniales.
S’intéresser à une situation comme cela est soutenu dans les recherches qualitatives, et
comme nous verrons au prochain chapitre, implique de s’intéresser à la perception que
l’acteur a lui-même de la situation qui lui est faite. Dans le contexte de cette étude, il s’agira
de s’interroger sur la pertinence de l’histoire coloniale à travers divers exemples de conflits,
de violences ou de contradictions. Par ailleurs, cette interrogation portée sur la situation faite
aux indigènes permet de centrer l’attention sur la façon dont l’élève peut avoir appréhendé
ce qu’ont constitué la société coloniale et les liens sociaux qu’elle recouvre : ségrégations,
collaborations, évitements ou adhésions. L’enjeu d’une telle démarche est de revenir sur la
complexité des pratiques coloniales dans leur quotidien pour saisir au mieux les modèles
d’éducation qui ont forgé les habitudes au Gabon. Le corpus de documents historiques
présenté au chapitre prochain s’appuie en quelque sorte sur de tels phénomènes de
domination typifiés par Balandier dans son étude de la situation coloniale : sujétion politique,
exploitation économique, clivages sociaux et raciaux, idéologie justificatrice, inégalité de
développement. Ces documents évoquent des rapports de dominant/dominé qui se sont
construits depuis le système colonial : il y avait d’un côté, ceux qui organisent et gèrent la
vie et de l’autre, ceux qui acquiescent, se soumettent et se laissent assujettir. Une thèse qui,
sans doute rejoint celle du déterminisme de la stratification sociale, facteur central au
maintien du phénomène de pauvreté, tel que le définit le sociologue Messie (2011).
Comme le soutient l’approche psychologique de la situation coloniale, les rapports de force
établis entre ces peuples appartenant à des civilisations différentes s’étaient organisés autour
d’une dépendance mutuelle : le dominé dépendant du dominant et le dominant ayant besoin
d’avoir une emprise sur le dominé. Si l’on s’en tient à cette approche psychologique des
rapports de force et, pour paraphraser Delbracio (2015), il y a derrière le dominant, une
souffrance liée à la peur d’être soi-même dominé ou rejeté. Pour se sentir rassuré, le dominant
devait établir une relation de pouvoir avec le dominé. En des termes plus clairs, le
colonisateur avait besoin de contrôler le colonisé et de le soumettre pour le maitriser. C’est à
80
ces types de rapports de domination et surtout à la situation d’oppression manifeste dans les
rapports de force — et à bien d’autres de même nature — que l’auteur brésilien Paulo Freire
a consacrés ses travaux.
2.2.3. La situation d’oppression selon Paulo Freire
Paulo Freire (1921-1997) était un pédagogue engagé et un théoricien de l'éducation
au Brésil son pays natal. Dès son jeune âge, il évolue dans un environnement où les paysans,
privés du droit de vote et exploités par les grands propriétaires terriens, étaient privés de tout
pouvoir sur les décisions politiques les concernant. L’auteur est surtout connu pour sa
réflexion sur la situation d’oppression et ses efforts d'alphabétisation des adultes des milieux
pauvres. Son approche pédagogique, plus qu’une alphabétisation militante, est un moyen de
conscientiser les opprimés à prendre du pouvoir sur leurs conditions.
La réflexion de Freire sur les rapports d’oppression se trouve exposée dans La pédagogie des
opprimés publiée en français en 1983. Freire exprime sa conception des relations humaines
qui est au fondement de l’éducation. Rédigé il y a près d’un demi-siècle, l’ouvrage offre une
analyse des rapports de force à travers laquelle l’auteur s’efforce de préciser les attitudes
relationnelles qui éclaircissent ou obscurcissent la conscience personnelle et collective. La
conscientisation en est un préalable à toute transformation. Les principes de l’éducation
exposés dans cette œuvre, bien qu’historiquement et géographiquement situés, peuvent être
transposables dans le contexte actuel du Gabon où pauvres et riches se retrouvent dans une
situation d’oppression similaire à la situation coloniale. L’œuvre de Freire, qui offre un cadre
de réflexion pour transformer les rapports humains, peut vraisemblablement éclairer un projet
d’éducation à la citoyenneté comme le nôtre.
Ces principes d’action transposables ont particulièrement été documentés par le réseau des
écoles citoyennes (Minot, 2003) où la pensée de Freire se trouve structurée en trois angles :
Un premier angle traite de la relation dans laquelle s’exprime la contradiction
opprimé/oppresseur. Un second met en exergue des modèles éducationnels contradictoires
81
en accordant une place centrale au dialogue, entendu comme une praxis pour libérer les
peuples de l’oppression. Le troisième angle propose des principes fondamentaux à une
éducation libératrice. Les pratiques éducatives qui conditionnent des modes d’être diffèrent
selon que l’on soit dans une situation d’oppression ou dans un cadre dialogique. Dans une
situation d’oppression, les actes éducatifs sont menés pour diriger la pensée de l’élève. Dans
un échange dialogique au contraire, les actions éducatives sont entreprises pour permettre à
l’éduqué de construire sa pensée et de participer à sa libération.
2.2.3.1. La contradiction oppresseur/opprimé
Pour éclairer la contradiction entre oppresseur et opprimé, Freire définit l’opprimé
comme un être double ayant accueilli en lui la pensée de l’oppresseur. Du fait de la très forte
admiration qu’il a de la personne de l’oppresseur et parce qu’il veut accéder à son mode de
vie, l’opprimé devient à la fois lui-même et l’autre. Il fait sienne la vision du monde de
l’oppresseur en intériorisant son jugement. Dans ce mouvement de dépréciation, l’opprimé a
tendance à s’adapter à la situation qui lui est faite. Il ne veut courir de risque, encore moins
celui de l’autonomie. Freire soutient que tant que l’opprimé n’a pas conscience de son
immersion dans cet ordre, ni localisé en lui la présence de l’oppresseur, il sombre dans le
fatalisme. Souvent, il arrive que l’enfant renvoie sur ses camarades ou ses parents, la violence
de la situation qu’il a accueillie en lui. D’où l’affirmation : l’opprimé devient à son tour
oppresseur.
Pour ce qui est de la situation de confort de l’oppresseur, Freire la résume comme reposant
sur une injustice imposée à l’opprimé. Toute personne, qui a intérêt à ce que la situation
d’oppression perdure pour conserver ses acquis, détient une part de responsabilité quant à la
violence faite à l’opprimé, qu’elle en soit consciente ou non. Le dominant établit tout à son
avantage. Le fait d’accorder les mêmes droits à tous représente pour lui une grande menace
craignant une réduction de son droit personnel. Dans ce système déshumanisant l’opprimé,
l’oppresseur transforme tout en objet de domination. Il croit avoir atteint le degré d’humanité
le plus élevé, et à ce titre, considère les opprimés comme des moins-êtres, leur humanité
82
n’étant que subversion. Afin de garder les personnes opprimées en état d’infériorité,
l’oppresseur a besoin de les chosifier en niant leur liberté de conscience. Dans cet ordre social
établi à son avantage, l’argent devient la mesure de toute chose.
Après avoir défini la situation d’oppression, Freire expose les conditions pour transformer
ou dépasser les relations d’oppression. Ce processus s’effectue en passant de la relation
domination/dépendance à une relation de type dialogique et se réalise à travers une prise de
conscience que l’auteur appelle un travail d’insertion critique dans la réalité. Il s’agit en fait,
pour les opprimés de se libérer eux-mêmes de la situation d’oppression en développant une
conscience critique de la réalité. C’est à partir de cette prise de conscience que le sujet peut
se comprendre et agir sur une réalité d’une façon qui soit à la fois subjective et objective. Au
centre de ce processus se trouvent des pratiques éducatives qui, partant de la réalité de
l’éduqué, l’amènent à un engagement personnel. Une telle vision du monde passe par un
changement d’attitude des deux côtés : l’opprimé participant activement à sa libération,
l’oppresseur voyant en l’opprimé un sujet libre et conscient.
La situation d’oppression dans laquelle s’exprime la contradiction opprimé/oppresseur
déshumanise l’homme. Cette situation qui n’est pas une fatalité peut être inversée par un
travail éducatif capable d’éclairer les déformations de l’analyse du monde et de soi. Opprimé
et oppresseur semblent dans des modes d’être et des visions du monde dont ils n’ont pas
forcément conscience. Une nécessaire prise de conscience est à même de transformer le type
relations qu’entretiennent ces deux peuples.
Si l’on part du principe qu’une méthode éducative n’est jamais neutre, mais qu’elle reflète
un certain type de rapports humains, une réelle transformation ne peut être effective qu’en
l’inscrivant dans un projet de libération. De même que tout acte éducatif pratiqué dans une
situation d’oppression porte en lui les germes d’aliénation, toute action dialogique est
porteuse de libération. D’où l’intime liaison que l’auteur établit entre les pratiques éducatives
et les actions transformatrices de la réalité.
83
2.2.3.2. Des modèles d’éducation divers
Freire définit trois conceptions de l’éducation et ce qu’elles mettent en jeu en termes
de savoir et de relation entre éducateur et éduqué : la conception bancaire de l’éducation,
l’éducation libératrice, le dialogue comme une praxis à la fois action et réflexion.
La conception bancaire de l’éducation
La conception bancaire sous-tendant les pratiques éducatives dans une situation d’oppression
s’identifie à un acte de dépôt d’une matière prédéfinie dans un contenant vide. La relation
éducateur/éduqué se résume à « ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ; ceux qui parlent
et ceux qui écoutent ; ceux qui déposent et ceux qui sont censés archiver puis mémoriser »
(Minot, 2003, p. 5). Dans cette réalité coupée de tout élément existentiel et global qui lui
donne un sens, il n’y a ni créativité, ni transformation, ni savoir. Tout acte éducatif pratiqué
dans une situation d’oppression rend passive la personne éduquée qui ne peut développer sa
conscience critique. Tout rapport d’oppression, quel qu’il soit, rend impossible un savoir
formateur.
La conception bancaire de l’éducation prétend une dichotomie homme/monde où les hommes
seraient des spectateurs au lieu d’être les co-créateurs du monde. Suivant cette logique, les
hommes recevraient passivement le monde, et à ce titre, seraient des êtres passifs. Du point
de vue bancaire, les hommes sont éduqués parce qu’ils se sont ajustés au monde (De Loye,
2014). Aussi, les oppresseurs seraient-ils moins préoccupés si l’on ne remettait pas le monde
en question. L’éducation bancaire ne peut comprendre que chercher à être avec les autres
implique le vivre ensemble. Si les élèves ne sont appelés qu’à mettre en mémoire ce que
raconte l’éducateur, les actes éducatifs ne peuvent être mus par le désir de libérer la pensée.
La conception d’éducation libératrice
84
L’éducation libératrice situe la dialectique éducateur/éduqué à la rencontre de deux sujets qui
s’éduquent mutuellement dans une analyse critique de la réalité. Le savoir n’est plus la
propriété de l’éducateur, mais un objet de médiation entre deux sujets. L’éducation libératrice
est conscientisante et imprégnée d’une croyance envers le pouvoir créateur des hommes. Elle
exige de l’éducateur d’être le compagnon de l’élève. Si l’on veut libérer les hommes, on ne
peut commencer par les maintenir en état d’aliénation. La libération vient d’une action
réflexive des hommes sur la situation à transformer (Chambat, 2015). Elle ne peut être ni un
acte de dépôt, ni un acte de transfert de savoirs et de valeurs chez l’élève. Dans une action
transformatrice, l’éducateur sert d’intermédiaire entre le savoir et les éduqués. Pour dépasser
la situation d’oppression, l’éducation se devrait d’être cet instrument de cognition où le
dialogue sert de canal pour progresser. Pour représenter l’autorité dans cet ordre
éducationnel, il faut être du côté des libertés des consciences et non contre elles. Ce modèle
d’éducation refuse un Homme abstrait, isolé et coupé du monde et de la réalité. La relation
éducateur/élève basée sur le dialogue que met de l’avant Freire suppose une façon de penser,
d’agir et de réfléchir sur soi et sur le monde.
Le dialogue, une praxis à la fois action et réflexion
Le dialogue est l’un des fondements philosophiques de l’éducation et de l’organisation des
relations humaines que promeut Freire. Phénomène typiquement humain dont la parole en
est l’essence, le dialogue revêt deux dimensions : l’action et la réflexion. L’interaction
absolue entre l’action et la réflexion donne au dialogue sa plénitude. Si l’on prive le dialogue
de l’une de ses dimensions, il devient aliénant. Plus précisément, ôter une des dimensions de
la parole empêche un dialogue véritable. Le dialogue est une exigence existentielle à travers
laquelle les hommes se rencontrent par l’intermédiaire d’un monde (Chambat, 2015). Lors
de cette rencontre, ils ont conscience de leur action sur ce monde, et en l’occurrence, situent
leur centre de décision en eux-mêmes et dans leur relation aux autres.
Le dialogue exige l’humilité, l’espérance et la confiance, exigences sans lesquelles aucune
solidarité entre les hommes n’est possible. Instaurer un dialogue dans une action éducative,
85
c’est libérer les potentialités de l’Homme en partant de sa réalité concrète et en suscitant chez
ce dernier un changement conceptuel sur la question étudiée. Selon Freire, ce qui éduque, ce
n’est pas d’abord le savoir, mais la nature des relations par lesquelles les hommes peuvent
parvenir à une compréhension profonde de la réalité. Ce qui suppose d’envisager une réalité
en devenir en refusant de s’accommoder à quelque chose de stabilisé. En somme, le dialogue
offre un cadre où les hommes deviennent capables d’imprégner le monde et de créer
l’histoire.
Freire oppose la théorie antidialogique sous-tendant une situation d’oppression à une
approche dialogique visant à libérer les hommes. La théorie antidialogique est menée par les
oppresseurs qui acceptent difficilement – voire refusent — la transformation de la structure.
Pour ce mobile, l’action antidialogique telle que résumée dans le Tableau n°1 ci-dessous,
aboutit à la conquête des masses populaires, à la division, à la manipulation et à l’invasion
culturelle. Les institutions éducatives telles que les familles, les écoles, les universités
constituent des foyers favorables à l’invasion culturelle et donc à la formation des futurs
oppresseurs.
86
Tableau n°1: Les indicateurs de l’oppression
L’attitude de
conquête
Dépouiller le faible de sa parole, de ses moyens d’expression, de sa culture ;
créer un monde d’illusions où la mythification devient la norme
La division
Elle sert à l’oppresseur pour maintenir les masses divisées
La manipulation
Ce sont des moyens pervers pour contraindre les opprimés à adhérer
L’invasion culturelle Détruire la vision du monde du faible en envahissant son contexte culturel
avec des modèles et des valeurs d’ailleurs.
La théorie dialogique, quant à elle et comme son nom l’indique, va à l’encontre de l’action
antidialogique. En effet, la théorie dialogique n’admet ni un sujet dominant, ni un sujet
dominé, mais des sujets qui se rencontrent pour déchiffrer le monde et le transformer. Cette
théorie donne à l’opprimé le moyen de transformer la réalité et repose essentiellement sur
l’union, la coopération et l’organisation. Les peuples venus des mondes différents
s’organisent et coopèrent dans une relation de confiance où l’opprimé participe activement à
sa libération. Freire parle de l’organisation entre les leadeurs et le peuple pour dire ensemble
le monde. L’action dialogique refuse tout dirigisme de conscience plaidant en faveur d’une
synthèse culturelle. Tout en respectant l’univers populaire, les leadeurs viennent pour
construire le monde avec le peuple et non pour le lui enseigner. Dans cet enrichissement
mutuel, leadeurs et peuples imprégnés des différences culturelles, s’appuient sur cette
diversité pour créer un programme d’action pouvant résoudre leurs contradictions (De Loye,
2014). C’est la raison pour laquelle Freire s’attarde longuement aux responsabilités des
éducateurs en les mettant en garde contre les mythes dont l’Homme est nourri depuis
l’enfance. La transformation profonde des modes d’action habituels nécessite de cesser d’être
au-dessus comme cela a été le cas des colonisateurs, pour être avec comme des sujets
connaissants. Une synthèse culturelle aurait rendu explicites les désirs des colonisés, leurs
doutes, leurs espérances, leurs perceptions du monde, leur fatalisme à propos de la réalité
coloniale. Il s’agit là des principes de base qui servent d’assise à une éducation porteuse de
libération.
87
2.2.3.3. Les principes fondateurs d’une éducation formatrice
Après avoir analysé les théories qui sous-tendent l’éducation selon Freire, le réseau
des écoles citoyennes propose trois principes fondateurs de l’éducation libératrice.
Premièrement, la nécessité de tenir compte de l’éduqué, de considérer ses connaissances, son
expérience et sa vision du monde. Deuxièmement, dans une relation éducative, il importe à
l’éduqué d’avoir conscience de sa situation objective et de ses valeurs culturelles. Il ne peut
y avoir de solidarité réelle avec l’opprimé sans une transformation profonde chez
l’oppresseur dans le regard qu’il porte sur l’autre. La transformation du monde par
l’éducation ne peut être possible qu’avec l’exigence, pour l’éduqué, d’une prise de
conscience de soi et de la vision du monde qui en découle.
Troisièmement, l’éducation est d’abord et avant tout, un acte de relation et de dialogue. Elle
ne peut se concevoir en dehors de cette relation. On ne peut apprendre qu’en étant acteur de
son apprentissage. Comme cela a déjà été soutenu, l’acte d’apprendre qui ne peut se limiter
à consommer les savoirs, demande de produire des nouveaux savoirs qui permettent un
changement conceptuel et témoignent d’un rapport réflexif au savoir. L’apprentissage ne se
résumant pas à un processus de transmission/réception d’un contenu extérieur, exige de
transformer un objet de savoir dans une action réflexive. Dans une action d’éducation
porteuse de libération, les sujets s’éduquent mutuellement et transforment leur conscience
par l’intermédiaire d’une compréhension mutuelle du monde. En accord avec l’approche
microsociologique du rapport au savoir que nous privilégions et en référence à la pensée de
Balandier et celle de Freire, nous précisons, dans la section suivante, notre objectif spécifique
de recherche et les angles qui lui sont associés.
2.3. Retour sur l’objectif et les angles spécifiques de recherche
Dans cette étude, nous nous sommes donnée pour objectif d’identifier le rapport
au savoir historique des élèves gabonais lorsqu’ils font usage de leur pensée historique
au sujet de la pauvreté, et ce, dans la perspective d’éducation à la citoyenneté. Notre
88
posture de recherche, qui s’intéresse tant au sujet, aux savoirs ainsi qu’à la relation de sens
établie entre les deux, implique de tenir compte des valeurs et des représentations sociales
dans l’action éducative.
Le problème qu’il y a à considérer dans cette étude est celui que pose le thème de pauvreté,
un phénomène qui dans le contexte du Gabon, reste indissociable de sa mémoire. Comme
nous l’avons déjà soutenu dans cette étude, l’enracinement de l’histoire des peuples dans leur
mémoire collective engendre l’ambigüité fondamentale à concilier le besoin d’identification
et celui de distanciation. Pour reprendre Ségal (1990), l’enjeu est considérable dans l’un et
l’autre sens de la culture :
La culture d’un groupe, son imaginaire, le système de référence commun qui aide
à sa cohésion sociale sont fortement tributaires du rapport qu’il entretient avec le
passé, sous forme de mémoire ou d’histoire. La culture personnelle [...], comme
« aptitude de la personne à dépasser son expérience propre et son environnement
immédiat », se bâtit fondamentalement par le contact avec les sociétés d’autres
temps et d’autres lieux (p. 6).
Pour revenir au développement de la pensée historique et comme cela a déjà relevé, la
capacité des élèves à concilier les besoins d’identification et de distanciation peut être évaluée
à partir des cinq éléments constitutifs proposés par Heimberg (2002) :
- La critique des usages publics de l’histoire
- Le passé qui explique le présent
- Considérer ce qui est particulier au passé
- La complexité des temps et des durées
- Distinguer la mémoire collective de l’histoire
89
Cette capacité devrait être appréciée en tenant compte de la particularité du phénomène de
pauvreté en contexte gabonais et en référence aux trois dimensions constitutives du rapport
au savoir. Venons maintenant à préciser les dimensions du rapport au savoir historique sur la
base de ce propose Bernard Charlot (1997).
La dimension identitaire du rapport au savoir historique concerne l’usage que les élèves font
de l’histoire-mémoire lorsqu’ils sont appelés à développer leur pensée historique. Plus
précisément, il s’agit de l’appropriation que l’élève se fait des contenus mémoriels qui lui
sont présentés. Sous cet angle, apprendre, c’est passer de la non-possession à la possession
de l’histoire-mémoire. Le rapport identitaire au savoir historique correspond à des
apprentissages exécutés dans l’ensemble du domaine considéré et caractérise les
apprentissages particulièrement liés aux connaissances sociopolitiques.
En ce qui concerne la dimension altéritaire du rapport au savoir, Charlot (1997) parle du
passage de la non-maitrise à la maitrise d’une activité où l’élève se rend capable d’utiliser un
objet de façon pertinente. Cette dimension correspond en quelque sorte à un savoir-faire et
s’applique davantage à des habiletés cognitives qui touchent à la résolution de problème et
au sens critique.
Pour en venir à la dimension sociale du rapport au savoir, elle s’identifie à un savoir-être.
Comme le souligne Charlot (1997), « apprendre, c’est peut-être aussi apprendre à être
solidaire, méfiant, responsable, patient…, à mentir, à se battre, à aider les autres…, bref à
comprendre les gens, connaitre la vie, savoir qui on est. » (p. 82). Cette dimension qui porte
sur la construction de la relation au savoir renvoie au rapport de soi à soi, de soi aux autres,
de soi à travers le rapport au monde. Les valeurs qui correspondent à cette forme de rapport
au savoir concernent l’engagement, la participation et la responsabilité. De telles valeurs font
entrer l’élève dans un dispositif relationnel favorable à la construction réflexive d’une image
de soi. La dimension sociale du rapport au savoir comporte à la fois une dimension
épistémique et une dimension identitaire au sens qu’« apprendre fait sens en référence à
90
l’histoire du sujet, à ses attentes, à ses repères, à sa conception de la vie, à ses rapports aux
autres, à l’image qu’il a de lui-même et à celle qu’il veut donner aux autres » (p. 85).
À partir de cette brève description des formes de rapport au savoir, l’on peut soutenir que
l’apprentissage de l’histoire qui couvre un ensemble de dimensions, nécessite chacune une
configuration didactique particulière. Ainsi, l’appropriation de contenus mémoriels, la
résolution des problèmes ou la construction d’un système relationnel de valeurs réfèrent
chacun à des processus d’apprentissage différents.
Au terme de la présentation du cadre théorique et conceptuel que nous avons circonscrit pour
penser notre objet de recherche, nous rappelons que la question du sens, analysée du point de
vue des participants, a été mise de l’avant. La posture sociodidactique qui informe notre
propos sur le rapport historique des élèves invite également à réfléchir aux enjeux
méthodologiques qui lui sont reliés. C’est à cette tâche que sera consacré le chapitre suivant.
91
CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE
92
La présente étude, comme cela a maintes fois été mentionné, explore le rapport au
savoir des élèves au sujet de la pauvreté du Gabon selon les enjeux actuels d’éducation à la
citoyenneté. Cet objectif nous conduit à nous intéresser à l’élève, aux savoirs et à la relation
qui s’établit entre eux. Du point de vue méthodologique plus précisément, la démarche
empruntée offre la possibilité aux acteurs et actrices concernés par la problématique traitée
d’exprimer leurs points de vue et leur analyse du sujet (Moscovici & Buschini, 2003).
Deux parties structurent ce chapitre consacré aux orientations méthodologiques données à
notre étude. La première partie présente la posture d’investigation empirique adoptée pour la
cueillette des données. Deux outils de recherche y sont privilégiés, soit le questionnaire et les
entrevues ainsi que les enjeux épistémologiques qui leur sont reliés. Il s’agira également de
rendre compte du cadre institutionnel qui a servi d’investigation empirique et du corpus de
documents soumis à l’analyse des participants pour développer leur pensée historique au
sujet de la pauvreté. Quant à la deuxième partie, elle sera consacrée au modèle d’investigation
analytique retenu pour donner du sens à nos données.
3.1. Le modèle d’investigation empirique
Comme annoncé, cette partie expose nos outils de recherche et les enjeux
épistémologiques qui les sous-tendent. Notre posture d’investigation empirique implique
d’explorer la question du sens du point de vue de l’élève. En cela, elle privilégie les méthodes
d’enquête qui invitent les acteurs de terrain à exprimer leur définition de la situation, et ce,
en fonction du contexte social qui est le leur (Bertaux, 1997). Selon Demazière et Dubar
(2004), la notion de définition des situations est essentielle pour comprendre le statut qu’on
accorde à la parole écrite ou orale. Ainsi que Balandier s’est intéressé à la situation coloniale
pour comprendre comment les indigènes vivaient eux-mêmes la situation qui leur était faite,
nous avions besoin de saisir la définition que les élèves donnent au phénomène de pauvreté
et l’interprétation du monde qui est le leur. Comme le soutient Demba (2010), les propos
d’élèves constituent l’expression de ce qu’ils vivent ou ont vécu, leur point de vue sur une
situation.
93
Définir un phénomène aussi complexe que la pauvreté peut s’avérer imprévisible selon les
différents regards que peuvent avoir les acteurs concernés. La complexité et l’imprévisibilité
à étudier une situation aussi paradoxale comme celle du Gabon, un pays à la fois riche et
pauvre, nous conduit à opter pour la recherche qualitative. Le paradigme qualitatif lié à la
pensée de Max Weber (1864-1920, cité par Crotty, 1998) tente de saisir au mieux le sens
qu’une personne donne à son expérience (Van Der Maren, 2010).
La recherche qualitative prend forme aux États-Unis dans un contexte social critique où les
conditions de vie d’une grande partie de la population étaient alarmantes : inégalités sociales
frappantes, pauvreté, marginalité, criminalité (Anadón, 2006). Comme le soutient l’auteure,
lesdites recherches se préoccupent de comprendre les problèmes sociaux d’un point de vue
qui dépasse l’analyse statistique (Anadón, 2001, 2002). Inspirée de telles études et en vue de
mettre en évidence une situation qui a besoin d’un changement social, nous avons élaboré un
dispositif de cueillette de données basé sur la complémentarité de deux méthodes : le
questionnaire et les entrevues.
3.1.1. Le premier scénario d’enquête : le questionnaire
L’enquête par questionnaire a été notre premier scénario de cueillette de données
sur le terrain. Composé essentiellement de questions ouvertes, le questionnaire que nous
avons fait passer à un échantillon représentatif de la population étudiée comporte l’avantage
de ne pas induire de réponses préétablies. Ce qui laisse aux participants la possibilité
d’exprimer leurs points de vue et l’analyse qu’ils font du sujet. Les données recueillies, parce
qu’elles sont porteuses d’une grande part d’imprévisibilité, nous ont conduit à construire
notre objet d’étude au fur et à mesure. Comme l’a fait Goffman (1961) lorsqu’il cherchait à
comprendre certains aspects de la vie sociale des malades mentaux, la méthode que nous
envisageons se propose de décrire les situations du point de vue de l’acteur. Une approche
qui aurait permis à Goffman (1999) de mettre l’accent sur la manière dont les malades
mentaux vivent subjectivement leur rapport à leur environnement immédiat.
94
Dans une recension d’écrits, Dion (1969) montre comment Goffman (1974) a pu dégager les
propriétés et les caractéristiques sociologiques dans l’univers hospitalier. Selon cet auteur, la
démarche de Goffman (1961) qui cherche à comprendre comment les malades vivent la
situation qui leur est faite, peut être qualifiée de totale si l’on admet que son cadre
d’investigation est plus large que le corpus empirique. Cette posture de recherche couvre tout
dans un univers de travail en ce qu’elle met en évidence des positions épistémologiques
auxquelles renvoie la catégorie des méthodes dites compréhensives sur lesquelles nous
revenons plus loin.
Les questions ouvertes telles que nous les avons proposées passent directement le corpus
empirique à un niveau théorique global où l’analyste précise de quoi il est composé et quelles
en sont les caractéristiques. C’est donc à raison que nous inscrivons notre recherche en
continuité avec la méthode de Goffman (1999) qui semble pertinente pour faire émerger
l’analyse que les jeunes Gabonais font de leur expérience de la situation de pauvreté dans
leur pays.
Pour être en phase avec le cadre d’analyse des interactions de Goffman ainsi qu’avec notre
perspective du rapport au savoir, nous avons opté pour des bilans de savoirs afin d’explorer
la question du sens des savoirs à partir de ce que pense l’élève. Le savoir dont il est question
ici est celui que ce dernier acquiert à travers son expérience sociale et scolaire. Selon De
Léonardis et ses collaborateurs (2002), « le savoir n’acquiert réalité et efficacité que s’il est
saisi par un sujet pour lequel il prend sens » (p. 42). Dans un sens plus large, envisager le
savoir comme une information appropriée par le sujet implique de traiter de son rapport au
savoir en lien aux apprentissages de la vie (Charlot, 1997). Les questions de nature ouverte
posées dans le questionnaire ont été utilisées à des fins similaires bien que notre approche ait
été quelque peu différente de celle du programme ESCOL.
Le Tableau n°2, apparaissant un plus loin, présente les six thèmes abordés dans le
questionnaire : pauvreté, apprendre, apprendre l’histoire, l’avenir ou les projets de l’élève,
l’engagement citoyen, le rapport à l’histoire. Comme nous l’avons vu avec Charlot (1997),
95
le rapport au savoir est un ensemble de relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève
de l’apprendre et du savoir. Chacun des thèmes du questionnaire, qu’il soit un objet de savoir,
un contenu, une activité, un évènement, une situation, est lié à sa manière à l’apprendre et
au savoir. Dans ce premier scénario d’enquête, le questionnaire est utilisé à des fins
exploratoires aux fins de recueillir les représentations initiales des élèves au sujet de la
pauvreté et aussi pour comprendre le sens qu’ils donnent au savoir et à l’école. Les questions
qui y sont posées ont pour but d’éclairer l’idée que le répondant se fait de sa présence au
monde. Ces questions du type, qu’est-ce que cela signifie pour toi, consistent à faire émerger
son rapport au savoir.
96
Tableau n°2: Canevas des questions du premier scénario d’enquête
Thèmes Questions Objectifs
Pauvreté
Tu as… ans. Tu as appris des
choses sur la pauvreté au Gabon,
chez moi, dans la cité, à l’école,
ailleurs. Qu’est-ce que cela
signifie pour toi d’être citoyen
d’un pays riche à la fois riche et
pauvre ? Et maintenant, qu’est-ce
que tu en attends ?
Explorer le sens que les élèves
donnent à cette situation.
Apprendre
Qu’est-ce que cela signifie pour
toi apprendre au lycée ou
collège ? Apprendre pour toi
c’est quoi faire ? Comment tu t’y
prends ?
Explorer ce qu’apprendre signifie
pour les élèves.
Apprendre l’histoire
En dehors de vouloir obtenir une
bonne note, qu’est-ce que cela
signifie pour toi d’apprendre
l’histoire au lycée ou au collège ?
Aimes-tu tes cours d’histoire ?
Qu’est-ce que tu aimes ou qu’est-
ce que tu n’aimes pas dans tes
cours d’histoire ?
Explorer le sens que les élèves
donnent aux savoirs historiques.
L’avenir ou les projets de l’élève
Qu’est-ce qui va se passer après
ton admission au baccalauréat,
comment vois-tu ton avenir ?
Vois-tu un quelconque lien entre
tes projets de vie et le fait
d’apprendre l’histoire ?
Explorer le rapport à l’avenir des
élèves.
L’engagement citoyen
Aimerais-tu que tes enfants
vivent dans la pauvreté ? Qu’est-
ce que tu ferais pour changer la
situation du Gabon ?
Explorer comment les élèves se
construisent leur conscience
citoyenne.
Le rapport à l’histoire
Certains pensent qu’il est mieux
de regarder dans son passé afin de
mieux comprendre son présent et
de mieux préparer ton avenir, es-
tu d’accord avec cela ?
Explorer la conscience historique
des élèves
Le premier scénario de cueillette de données nous semblait important pour comprendre
comment les élèves construisent leurs rapports aux situations éducatives et sociales
significatives de leurs expériences subjectives. Les données y sont recueillies pour mieux
adapter le développement de la pensée historique, exercice sur la base duquel les entrevues
97
ont été menées. Disons qu’un moyen de cerner la question de la pauvreté a été de partir des
représentations dominantes des élèves afin d’envisager sur quoi pourrait se fonder une
compréhension plus approfondie de cette réalité. Ainsi, durant le deuxième scénario de
cueillette de données, les entrevues permettent de rendre compte du point de vue des
répondants au sujet du phénomène de pauvreté au Gabon, et selon quels critères, juger de sa
construction et de sa pérennité dans ce pays.
3.1.3. Le terrain d’investigation empirique
Il est question dans cette section de rendre compte du cadre institutionnel dans lequel
l’investigation empirique a été réalisée. Comme nous l’avons vu, investiguer la question du
rapport au savoir implique d’entrer en dialogue avec les acteurs concernés par le problème
social afin de faire une analyse plus élaborée de leurs points de vue. Selon Hugues (1996), la
descente sur le terrain, dont le but est d’observer de près les comportements humains, permet
de faire une description des données qui soit utile pour la recherche en sciences sociales.
Cette étape est d’un enjeu majeur dans la réalisation des projets de recherche. L’enquête sur
le terrain permet de rencontrer les acteurs là où ils se trouvent, de rester en leur compagnie
et de jouer un rôle qui soit acceptable pour eux (Van Der Maren, 2010). Le cadre
institutionnel où l’enquête a été menée sera d’abord présenté, puis s’en suivra, la présentation
de l’échantillon choisi pour la cueillette des données.
3.1.2. Le second scénario d’enquête : les entrevues
Les entrevues qui ont constitué notre deuxième scénario d’enquête montrent tout
l’intérêt d’entrer en interaction avec les acteurs concernés. Au sens que lui donnent les
auteurs tels Blumer (1969) et Fourez & al. (1994), l’interaction constitue le moyen par
excellence pour appréhender à la fois les situations éducatives et sociales dans la construction
ou la co-construction des savoirs et du sens. À l’instar de Kerbrat-Orecchioni (1990, 2001,
2005) et de Salazar Orvig (2003), Demba (2010) observe que toute interaction est
socialement marquée :
98
Toute interaction […] ne peut se réduire à une simple séquence d’actions-
réactions limitées dans le temps et dans l’espace. Il y a toujours en jeu un certain
type d’ordre social […] Autrement dit, les sujets ne sont pas vus comme des
sujets quelconques. Ils sont plutôt vus comme des « sujets situés », c’est-à-dire
que ce qu’ils peuvent dire, dans un entretien, dans une interaction et une situation
donnée, n’est pas étranger à leur milieu social, à leur passé, à leur expérience,
mais aussi à leur compréhension de la situation immédiate (et de ce qui peut y
être dit). Ils sont aussi vus comme des sujets réflexifs qui, par exemple, peuvent
revenir sur leurs dires en cours d’entretien, manifestant ainsi des compétences de
rationalisation (Demba, p. 95).
Dans le souci d’accorder un intérêt certain au mode d’interaction et à l’historicité des sujets
et en vue de comprendre comment les contraintes liées à l’environnement social agissent
dans l’engagement des acteurs sociaux, nous avons eu recours à différentes théories soutenant
la socialité des savoirs : le paradigme qualitatif, le paradigme compréhensif, le
constructivisme social, l’interactionnisme historico-social, les théories de l’habitus et de
l’éducation implicite, le paradigme de la transaction sociale. L’objectif n’était pas d’en faire
état de façon exhaustive, mais d’en souligner leur complémentarité en ce qui a trait à la
socialité des savoirs
D’emblée, soulignons que notre recherche centrée sur la question du sens se doit de tenir
compte du rapport des élèves aux situations éducatives et sociales. Ce qui, de fait, l’inscrit
dans une approche qualitative qui « ne peut pas se contenter d’observer de l’extérieur la
conduite des acteurs, car elle perdrait ce qui fait le propre du sujet humain : la réflexivité dans
un système d’échanges symboliques » (Van Der Maren, 1996, p. 7). Selon Van Der Maren
(1996) en effet, différentes caractéristiques associées à la recherche qualitative peuvent
permettre de comprendre un phénomène de façon riche à partir des significations que lui
donnent les acteurs concernés. Pour mieux situer la recherche qualitative dans le cadre de
cette étude et la mettre en lien avec nos objectifs de recherche, nous avons particulièrement
puisé dans sa posture compréhensive. Le didacticien Demba (2010) explique dans sa thèse
sur la face subjective de l’échec scolaire que :
Pour comprendre un phénomène ou « les mondes particuliers » des individus, il
faut leur donner l’occasion de s’exprimer, de décrire par eux-mêmes leur vie
99
quotidienne, leur pratique, leur manière d’analyser le monde qui les entoure,
d’autant plus que, par la description qu’ils font de leur monde […] ces individus
deviennent des sujets réflexifs du monde dans lequel ils vivent. Autrement dit, le
chercheur a devant lui non pas seulement des « sujets empiriques » qui livrent
une information intéressante pour sa recherche, mais aussi des « sujets
analytiques » qui montrent comment ils analysent leur vie quotidienne afin de lui
donner sens et de prendre des décisions, en fonction des contextes, en fonction
de leur définition des situations (p. 96).
La recherche qualitative met nécessairement en évidence la dimension sociale du sens dans
la construction des savoirs (Vigotsky, 1978 ; Astolfi, 1992, 1995, 2000 ; Mucchielli, 2005).
Savoie-Zajc (2004) qui fait sienne cette posture de recherche reprend diverses
caractéristiques du paradigme qualitatif auxquelles elle associe « l’épithète interprétatif
soutenant que l’épistémologie sous-jacente est interprétative » (p. 126). En référence à ce que
Strauss et Corbin (1990) nomment la définition des contrastes, l’auteure met en opposition
les recherches de type qualitatif et celles de type quantitatif dont la nature des données n’est
autre que statistique. Comme le soutient Paillé (2006), les recherches qualitatives permettent
de faire ressortir les sensibilités du point de vue des acteurs. Savoie-Zajc (2004) propose ainsi
une méthodologie évolutive et itérative inscrite dans un espace dialogique de potentialité
plutôt que dans une logique de vérification de preuves. Inspirées des études de Pirès (1997)
dont les données décrivent en profondeur plusieurs aspects de culture, ses analyses mettent
en éclairage l’expérience vécue dans les savoirs construits (Savoie-Zajc, 2009). En
l’occurrence, l’approche qualitative nous semble appropriée pour comprendre comment nos
répondants construisent leur rapport au savoir et à l’école, et plus encore, leurs rapports aux
savoirs historiques au sujet de la pauvreté au Gabon.
Le paradigme compréhensif qui, en ce sens sous-tend l’approche qualitative, renvoie à la
croyance en la capacité réflexive de l’acteur. Selon Schurmans (2006), cette première
dimension du paradigme compréhensif implique d’envisager la personne humaine en tant
qu’acteur capable de donner sens aux situations. Nombre d’auteurs (Schurmans, 2003 ;
Charmillot & Dayer, 2007) abondant dans ce sens soutiennent que si les déterminismes
sociaux existent, ils ne suffisent pas à saisir la production de sens qui caractérise chaque
acteur. Il est donc d’intérêt que l’on se focalise sur la mise au jour des significations que
100
chacun attribue à son action. Comme l’affirme Schurmans (2008), si les êtres humains
réagissent certes par rapport aux déterminismes qui pèsent sur eux, ils sont toutefois les
créateurs d’une partie de ces déterminismes.
Une seconde dimension du paradigme compréhensif implique de dépasser la querelle
explication/compréhension. Selon Appel (2000), la compréhension suppose : 1) un sujet-
acteur producteur de sens ; 2) des savoirs construits par le biais de la négociation ; 3) un
rapport émancipatoire aux savoirs. La posture compréhensive peut en cela être rapprochée
des nouvelles sociologies constructivistes. Définies comme une théorie de la connaissance,
les nouvelles sociologies dites socioconstructivistes ou du constructivisme social, permettent
d’appréhender les réalités sociales telles des constructions historiques et quotidiennes des
acteurs individuels et collectifs. Les auteurs Masciotra et Medzo (2005), Corcuff (2007)
insistent sur la prise en compte de l’expérience de l’élève et du mode d’interaction du monde
dans lequel il vit.
Selon le constructivisme social, traiter des problématiques sociales signifie appréhender et
comprendre les situations nouvelles en partant de ce que l’élève sait déjà. En d’autres termes,
l’apprenant acquiert des connaissances dont la construction reste liée au contexte
socioculturel et historique dans lequel il évolue. Harris (2010) situe ce qu’il
nomme interpretive social constructionism dans les interactions sociales et la capacité
réflexive qu’a l’élève à donner sens aux situations. Ce sens qui n’est pas inhérent aux choses
prend toute son importante du fait que l’élève « a une connaissance de l’intérieur de la
situation » (Anadôn & L’Hostie, 2001, p. 54). Une posture de compréhension qui, quelque
part, rejoint la philosophie pragmatique de Mead (1934) dans laquelle la centration sur
l’acteur tient compte du processus réflexif associé à soi et à la capacité à être à la fois sujet
pensant et objet de sa propre conscience. Comme l’affirme Corcuff (1995, 2007), la
réflexivité est une compétence reconnue à l’élève, entendue comme sa capacité de s’exprimer
sur les circonstances de son action et de celle des autres.
101
Le constructivisme social tout comme le paradigme qualitatif soutiennent l’idée de dépasser
un individu en réaction à des forces extérieures pour l’envisager comme un acteur capable
de décider d’une ligne de conduite. Inviter le jeune Gabonais à un échange dialogique pour
investiguer la question de la pauvreté implique d’avoir besoin de son point de vue et de son
analyse du sujet pour comprendre la définition qu’il donne à la situation qui lui est faite. Ce
processus interactionnel joue un rôle primordial dans la construction des connaissances et de
soi. L’expérience vécue parait essentielle dans les considérations épistémologiques
précédemment élucidées pour appréhender la signification des situations à la fois sociales et
éducatives dans la construction des savoirs.
En matière de recherche, deux postures se distinguent : l’une faisant l’impasse à des degrés
divers sur le passé de l’acteur, l’autre accordant une place essentielle à l’histoire (Anadón,
2001 ; Anadôn & L’Hostie, 2001 ; Corcuff, 1995, 2007). Dans le cas que nous récusons,
c’est-à-dire celui faisant l’impasse sur le passé, le sujet connaissant est une entité pure
(Glasersfeld, 1994). À la suite de Berger et Luckmann (1967) et de Mannheim (1936) qui
considèrent les objets sociaux comme des construits et non des donnés, nous concédons à
l’historicité un intérêt certain dans la construction des savoirs. La conception
socioconstructiviste des savoirs à laquelle nous adhérons repose sur la critique des savoirs
ainsi que leur spécificité socioculturelle. En cela, le paradigme compréhensif rejoint le
socioconstructivisme considérant le savoir comme le produit d’une activité et non quelque
chose que l’on reçoit passivement. Plus précisément, le savoir est construit activement par le
sujet, et ce, en fonction d’un but, d’un projet, d’une expérience.
L’importance accordée à l’historicité est aussi soutenue dans les théories de l’habitus, de
l’interactionnisme historico-social, théories auxquelles nous nous référons également pour
explorer le sens que les sujets donnent aux situations. Selon Charmillot et Dayer (2007), il
s’agit de saisir dans quelle mesure se construit le monde de la vie quotidienne, comment le
passé nous devient présent, comment l’histoire collective s’incorpore dans les significations
que les hommes produisent par rapport à leur environnement. Ces approches qualifiées
de sensibilité théorique par Demazière et Dubar (2004) restent directement liées à nos
objectifs de recherche.
102
La théorie de l’éducation implicite développée par Pourtois et Desmet (2004) se réfère
également aux théories de l’habitus et de l’interactionnisme historico-social tout
particulièrement. Les auteurs affirment à la suite de Pierre Bourdieu que l’éducation qui puise
sa force au sein des institutions éducatives (famille, école, université) est une persuasion
clandestine. Selon ces auteurs, le pouvoir de l’éducation soutenu dans ses rapports de force
serait méconnu. Tout se passerait comme dans le refoulement du modèle freudien où le
pouvoir agit d’autant plus qu’il est invisible. Sans cette méconnaissance, la persuasion de
l’éducation serait inopérante et l’individu conscient s’y opposerait. Pourtois et Desmet (2004)
soutiennent qu’une prise de conscience de ses propres habitus constitue un préalable pour
modifier les rapports de force. La conscientisation, comme nous l’avons vu au chapitre
précédent, c’est aussi ce que suggère Freire pour transformer les situations d’oppression. Il
s’agit d’un modèle d’analyse dont nous nous sommes inspirée pour traiter de la condition du
pauvre au Gabon. La prise de conscience en vue de contrer la persuasion clandestine de
l’éducation et de libérer les peuples opprimés constitue, à notre sens, un point de repère
essentiel pour éduquer à une citoyenneté plus réfléchie, un des buts dont l’atteinte sera
essentielle pour la présente étude.
L’éducation implicite mise en relation avec les théories de l’habitus et de l’interactionnisme
historico-social fournit, à travers la notion du monde vécu ou celle de la réflexivité sociale,
des interprétations liées à l’environnement immédiat. L’individu peut cependant se défaire
de la réflexivité sociale suite à un décalage découlant de la façon dont ce dernier appréhende
le monde et se représente le réel. Comment l’individu se défait-il de la réflexivité sociale qui
a forgé son habitus ?
Comme l’expliquent Pourtois et Desmet (2004), l’individu se défait de la réflexivité sociale
grâce à l’évolution des idées ou aux crises sociales qui sont autant d’éléments susceptibles
d’influencer sa réflexivité individuelle. C’est en intériorisant les segments de réflexivité
provenant d’autres sphères sociales qu’il devient possible à l’individu de se défaire de la
réflexivité sociale. Comme entité isolée, l’individu devient la clé explicative des
changements sociaux au travers desquels il établit une réflexivité individuelle, c’est-à-dire
un monde intérieur qui lui est propre.
103
Pour mieux comprendre comment certaines contraintes liées à l’environnement social
agissent dans l’engagement des acteurs sociaux, nous avons eu recours au paradigme de la
transaction sociale. Rattaché à l’interactionnisme historico-social et au constructivisme
social, le paradigme de la transaction sociale situe au fondement de sa réflexion, la relation
sujet-objet-autrui. Les études menées sous cet angle sont de l’ordre de la compréhension en
ce qu’elles visent, à la fois, l’interprétation et la définition des situations. Centrées sur un
changement en train de se faire, elles prennent en compte la complexité du social en
articulant production de sens et historicité (Schurmans, 2001). Trois niveaux d’analyse y sont
à considérer : le soi, autrui et le monde, une triple thèse sur laquelle s’appuie également
Bernard Charlot (1997) et dont le cadre de recherche sert de référence à cette étude. En appui
à l’interactionnisme historico-social, au constructivisme social ainsi qu’aux théories de
l’habitus de Pierre Bourdieu, les auteurs définissent les fondements de la transaction sociale
en articulant passé et avenir, partiel et global, individuel et collectif.
De tels enjeux épistémologiques sont révélateurs du modèle d’éducation qui s’est forgé chez
le citoyen gabonais au cours de l’histoire, notamment dans le jeu des rapports de force,
l’intérêt initial qui a orienté la présente recherche. Les mêmes enjeux peuvent aussi aider à
mettre en lumière les mécanismes qui concourent à reproduire les situations d’oppression au
Gabon malgré la diversité des systèmes politiques, des réformes et des contextes sociaux.
L’Institut Immaculée Conception (IIC), un établissement d’enseignement secondaire fondé
depuis le système colonial nous a servi de cadre pour investiguer la recherche sur le terrain.
3.1.3.1. Le cadre institutionnel d’investigation
L’Institut Immaculée Conception (IIC) de Libreville a été notre terrain d’enquête.
L’établissement fait partie des premiers collèges d’enseignement catholique créés par des
missionnaires à partir de 1948. À l’exemple du Collège Bessieux fondé en 1949 pour
l’enseignement général des garçons, l’IIC fut fondé en 1957 dans le même esprit pour les
filles. Dirigé par la Mère Jean Gabriel et les Sœurs de l’immaculée, l’IIC constituait
une œuvre éducative dont l’enjeu véritable était de maintenir l’influence de l’église
104
catholique sur la population gabonaise (Drevet, 2002). Cette influence était tenue d’être
beaucoup plus durable et solide que celle exercée auparavant sur les humbles 19 . Les
responsables religieux défendaient avec détermination la conception d’un enseignement
néfaste pour l’Homme si Dieu était absent. En fait, il était mal vu de ne pas faire allusion à
Dieu dans les disciplines où le Destin de l’Homme entrait en jeu comme la philosophie,
l’histoire, la littérature (Drevet, 2002).
Comme cela a déjà été souligné, le groupe d’établissements auquel appartient l’IIC servait à
maintenir la prépondérance de l’enseignement catholique au Gabon. Le plus important était
que les jeunes Gabonais s’approprient inconsciemment la culture française (Drevet, 2002).
Une culture que les enseignants présentaient explicitement à travers la foi séculaire de la
Métropole. Le corps enseignant, composé majoritairement d’expatriés français, orientait
toute activité éducative en montrant implicitement ce qu’il y a d’universel dans la civilisation
française. Cette philosophie catholique est-elle toujours à la base du fonctionnement de
l’IIC ? Si nous ne pouvons l’affirmer faute de données scientifiques auxquelles nous référer,
nous pouvons tout de même dire que notre démarche empirique a d’abord nécessité un
important travail d’immersion dans cet univers scolaire. Nous avons dû nous conformer à de
nombreuses réalités : laisser les élèves se tenir en rang avant d’entrer en classe, dire une
prière en chaque début de journée. Par ailleurs, nous avons pu percevoir entre autres les
valeurs comme la crainte de Dieu, l’obéissance et le sens du respect de l’autorité, la ferme
volonté des élèves à s’engager dans le projet. Comme le souligne Santelli (2010), un tel cadre
de travail nous a obligée à doubler de rigueur et à élaborer un dispositif d’enquête efficient.
Que dire des modalités d’enquête ?
Pour mener à bien l’investigation empirique, nous avons au préalable sollicité une rencontre
avec les responsables pédagogiques afin de leur faire part du projet de recherche. Le contact
avec le proviseur qui se trouvait hors du Gabon lors de notre arrivée dans l’établissement
aurait été des plus contraignants. Les élèves au contraire ont accepté de faire partie d’une
19Au XIXe siècle, les humbles étaient des personnes qui, se sentant interpelées par l’évangile de Jésus-Christ,
décident de s’engager à le faire connaitre, soit par la prédication, soit par des œuvres caritatives, éducatives et
autres.
105
aventure dont ils ne pouvaient saisir tous les enjeux. À la lumière de ce que préconise
Blanchet, 1997), la rencontre avec les participants nécessitait une relation de confiance entre
ces derniers et la chercheure. Notre rôle en tant que chercheure impliquait donc de préciser
aux enquêtés le motif et l’objet du projet, le motif répondant au pourquoi de la recherche et
l’objet renvoyant au thème à l’étude. Étant donné que les entrevues allaient faire l’objet
d’enregistrement, cette consigne a également été évoquée dès notre premier contact avec les
élèves. Un équilibre se devait d’être maintenu entre les intérêts des participants et les nôtres.
La perspective d’éduquer à la citoyenneté étant à sa phase exploratoire au Gabon, nous avons
choisi de tenter notre expérience dans une classe de niveau Première20 de la série scientifique.
3.1.3.2. Le choix de la population cible
Selon Bertaux (1980), la définition de la population cible constitue un aspect majeur
de la recherche, en ce qu’elle est susceptible d’influencer la validité des données. Pour
déterminer les acteurs et les actrices capables de produire des réponses aux questions posées,
la collaboration des responsables pédagogiques nous a été d’un apport indéniable. Comme le
suggèrent Blanchet et Godman (2006), nous avons choisi un échantillon de recherche en
fonction de la maturité intellectuelle 21 des participants qui devrait être suffisante pour
développer un discours réflexif sur la situation à analyser. La constitution de l’échantillon de
recherche a également obéi à une stratégie de la réputation. Cela signifiant que les
participants nous ont été recommandés par les enseignants et les responsables pédagogiques
de l’établissement.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le jumelage histoire/éducation à la citoyenneté n’étant
qu’à sa phase exploratoire, nous nous sommes proposée de tenter l’expérience dans un
20Si l’on tient compte des sept niveaux d’étude que compte le cycle secondaire au Gabon, une classe de niveau
Première correspondrait la première année de CEGEP du système éducatif québécois. 21 La « maturité intellectuelle », ici l’expression sera à considérer en référence au niveau intellectuel que peut
voir un public scolaire comme celui de l’IIC. Contrairement aux élèves des classes antérieures, les élèves des
classes de Première qui sont à une année d’entrer à l’université et qui côtoient le fléau de pauvreté dans leur
quotidien, sont plus susceptibles de tenir un discours réflexif à ce propos.
106
groupe-classe qui comportait l’avantage de répondre aux visées de la recherche. D’abord, la
classe de première S2 ciblée se trouvait être une classe de taille réduite avec un effectif total
d’à peine 25 élèves. Ce qui est rare dans le contexte du Gabon où les effectifs dépassent
généralement les 60 élèves par classe. Puis, travailler avec un effectif réduit offrait une
meilleure représentativité de l’échantillonnage et la possibilité d’entrer en communication
avec chacun des participants. En fin de compte, le groupe-classe comporte l’avantage d’être
constitué d’un public scolaire hétérogène composé de filles et de garçons, des moins âgés au
plus âgés, des enfants issus des classes sociales diversifiées. Choisir certains participants au
détriment d’autres, aurait pu créer quelques frustrations entre les élèves.
Par ailleurs, signalons que ces élèves déjà orientés en série scientifique ont presque terminé
leur cycle secondaire et sont à une année d’entrer à l’université. Nous supposons qu’ils ont
conscience de ce qu’est leur vie actuelle et que certainement, ils ont une idée de ce qu’ils
souhaitent pour leur vie future. Ces critères paraissent utiles pour mesurer le niveau
d’engagement de ces citoyens en devenir, surtout en ce qui a trait à la lutte contre la pauvreté
dans leur pays. Comme nous l’avons précédemment signifié, les participants ont été choisis
en fonction de leur capacité à développer un discours réflexif sur la question étudiée. Dans
ce qui suit seront présentées les étapes de cueillette de données.
3.1.4. Les étapes de la cueillette des données
Comme le montre le Tableau n°3 à la suite, les étapes de la recherche reposent sur
quelques principes alternant les activités individuelles et les activités en groupe. Les élèves
réunis en groupe de trois ou quatre ont d’abord travaillé de manière individuelle avant de
confronter leurs points de vue lors des activités collaboratives. La mise en application des
trois compétences de la pensée historique proposées dans les programmes d’histoire au
Québec oriente pour l’essentiel l’exercice proposé aux élèves :
Interroger les réalités sociales dans une perspective historique ;
107
Interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique ;
Construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire.
En prenant appui sur ces trois compétences à développer, nous avons combiné différents
modèles de développement de la pensée historique retrouvés dans la documentation
scientifique. D’abord, nous nous sommes inspirée des trois phases proposées par Idrissi
(2005) : la problématisation, l’identification et l’explication. Comme nous l’avons vu avec
Idrissi (2005), le développement de la pensée historique consiste : 1) à transformer l’objet
d’étude en un problème requérant une explication ; 2) à le conceptualiser, à le documenter et
à effectuer une synthèse ; 3) à fournir une explication au problème soulevé. Ensuite, nous
avons scindé la phase d’identification en deux périodes d’activités pour rejoindre la
perspective de Dalongeville (2000)22 qui propose une structure de recherche en quatre étapes.
Enfin, pour constituer les bilans de savoirs, nous empruntons à Duquette (2011) l’idée de
commencer notre cueillette de données par un questionnaire et de la terminer par des
entrevues.
22Dalongeville propose quatre phases pour développer la pensée historique : 1) prendre connaissance du
problème ; 2) émettre des hypothèses et faire la recherche ; 3) analyser les données ; 4) expliquer le problème.
108
Tableau n°3: Déroulement de la recherche
Tâches proposées
aux élèves
Modalité de
réalisation
Visées de la tâche
Etape 1
Questionnaire :
Premier scénario de
cueillette de
données
La prise de connaissance du
paradoxe gabonais en matière
de pauvreté
Activité
individuelle
Faire émerger les conceptions
spontanées des élèves sur la
pauvreté et leur rapport initial
au savoir
Etape 2
La prise de conscience de la
dimension historique du
phénomène de pauvreté
Activité
individuelle
Initier le raisonnement
historique
Etape 3
La formulation des hypothèses
et l’analyse du problème
Activité
collaborative
Les élèves développent les
modes de pensée de nature
historique
Etape 3
Entrevue :
2e scénario de
cueillette de données
L’explication du problème
Activité
individuelle
Distinguer les aspects
communs des aspects
singuliers du rapport au savoir
historique
3.1.4.1. La prise de connaissance du paradoxe gabonais en matière de pauvreté
Comme cela a déjà été signifié, l’étape du questionnaire nous sert de premier
scénario de cueillette de données. Les participants prennent connaissance du paradoxe
gabonais en matière de pauvreté et de façon individuelle répondent aux questions. L’objectif
de cette activité est de cerner leurs représentations initiales au sujet de la pauvreté et le sens
qu’ils donnent au savoir et à l’école. À titre de rappel, les six thèmes abordés dans le
questionnaire sont tous liés de différentes façons à l’apprendre et au savoir. Le Gabon y est
succinctement présenté comme étant un pays à la fois riche et pauvre. Telle que libellée, la
situation paradoxale du pays en matière de pauvreté s’avère un thème déclencheur pouvant
mobiliser l’intérêt des jeunes Gabonais à l’apprentissage. Les bilans de savoirs constitués y
apportent un éclairage sur l’idée que les élèves se font de leur présence au monde faisant
109
ainsi émerger leur rapport au savoir et à l’école. Un intervalle23 de deux semaines entre les
deux premières étapes nous a paru utile pour prendre connaissance des conceptions
spontanées des élèves et pour envisager sur quoi pourrait se fonder leur renouvèlement.
L’activité proposée devait être réalisée en une séquence de 55 minutes. Les élèves avaient
environs 9 minutes pour traiter chaque thème.
3.1.4.2. La prise de conscience de la dimension historique de la pauvreté
Individuellement, les élèves interprètent les documents qui leur sont fournis. Cette
activité qui initie un raisonnement historique sur la pauvreté se compose de deux séquences
de 55 minutes étalées sur deux semaines. L’objectif est de les amener à prendre conscience
de la dimension historique du problème abordé et à complexifier leur compréhension à ce
sujet. À cette étape de la recherche, le rôle de la chercheure est d’aider les participants à
mieux exprimer leurs interprétations des documents fournis.
Pour élaborer ces séquences d’activités, un des enjeux était d’assurer aux élèves la possibilité
de s’approprier des savoirs ouverts. L’activité proposée a donc été organisée selon un
dispositif didactique favorisant le travail autonome du participant sur un thème déclencheur
dont les ancrages historiques sont en lien direct avec la situation coloniale. Les participants
étaient invités à y développer des connaissances et des compétences faisant appel au sens
critique. Dans la mesure où la question de la pauvreté du Gabon reste directement liée à ses
référents mémoriels, l’activité se devait de soutenir la capacité des participants à dépasser
leur appartenance identitaire. Le processus d’apprentissage pouvant amener les élèves à
complexifier leurs représentations s’est donc appuyé sur quelques éléments proposés par
Heimberg (2002) :
23Pour envisager sur quoi pourrait se fonder le renouvèlement des représentations initiales des élèves, nous
empruntons également à Duquette (2011) l’idée de laisser un intervalle entre l’étape 1 et l’étape 2.
110
Aller à la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures ou d’époques différentes en
s’intéressant à leur manière de penser et de vivre ;
Construire des points de repère sur l’histoire de l’humanité et tisser des liens entre les
évènements, les époques ou les civilisations.
Comprendre l’époque et le monde dans lequel on vit en se posant les questions sur le
passé ;
Comprendre un document historique, le situer dans une époque et dans un lieu,
l’analyser et en connaitre les limites ;
Comprendre qu’il existe plusieurs manières de percevoir le temps et la chronologie ;
Se rendre compte de ce que les livres, les films, les tableaux et les médias apportent
à la connaissance historique.
C’est suite aux réponses recueillies du questionnaire qu’un corpus documentaire tenant
compte des nombreuses questions analytiques et épistémologiques déjà soulevées a été remis
aux élèves. L’approche historico-sociologique de la pauvreté adoptée invite à porter une
attention sur une période de longue durée et à penser d’une façon particulière ce phénomène
dont le Gabon semble hériter de la situation coloniale. Comme le soutient Heimberg (2002),
l’élaboration d’une telle activité demande une réflexion préalable sur les documents
d’histoire susceptibles d’illustrer à la fois une connaissance du passé et un sens critique.
Le corpus des documents historiques soumis
Les documents historiques soumis à l’analyse des jeunes Gabonais ont déjà fait l’objet d’une
recherche doctorale auprès des élèves québécois. En effet, ce corpus documentaire avait été
constitué par Duquette (2011) lors de son projet de thèse. Les documents dans leur ensemble
évoquent des rapports de dominant/dominé qui se sont construits entre colonisateurs et
colonisés. Il en ressort des rapports de force établis entre ces peuples appartenant à des
civilisations différentes. Le choix de partir plus volontiers de ces sources historiques
authentiques témoigne de notre volonté à cerner la complexité du social dans la construction
111
des savoirs des sujets socialement et historiquement situés. Également et comme le soutient
Copans (2001), ce choix permet d’orienter une analyse des pratiques coloniales vers leur
impact sur les sociétés contemporaines.
Nous souhaitions que les élèves deviennent les acteurs de leurs savoirs. Aussi, était-il
nécessaire de conserver à l’histoire un caractère ouvert et critique et de mettre en place un
cadre d’apprentissage de nature socioconstructiviste (Heimberg, 2002, 2015). Comme nous
pouvons l’avoir remarqué, le sens que les élèves occidentaux donnent à la pauvreté diffère
considérablement du regard que les enfants gabonais qui vivent ce phénomène de l’intérieur
portent sur la situation sociale au Gabon. Quand les jeunes Québécois expliquent la pauvreté
en Afrique par des conditions climatiques défavorables ou en cherchant des coupables, la
réaction des jeunes Gabonais se résume à ce que Balandier (1950) appelle la situation
coloniale et que Freire traduit par la situation d’oppression. Les deux études mettent en
évidence ce que soutenait Lahire (2007), à savoir que les savoirs ont une histoire, que les
apprenants ont des ancrages culturels et sociaux variés et que les apprentissages sont
socialement différenciés. Notre étude, mettant en évidence des savoirs historiques
socialement situés sur la question de la pauvreté, renseigne à suffisance sur l’impact du
modèle colonial en héritage au Gabon.
L’ensemble documentaire constitué de trois documents principaux se subdivise en divers
petits textes et d’un extrait de la bande dessinée de la série Tintin au Congo (voir annexe).
Bien que les documents originaux ne contiennent pas de titre, nous en avons attribué un à
chacun en fonction de son contenu et avons résumé les idées principales véhiculées.
Document 1 : la situation coloniale
Il se compose de plusieurs petits documents :
L’article « nègre » paru dans le Grand Dictionnaire universel du 19e siècle (réédité en
1974) dont Pierre Larousse en est l’auteur ;
112
Complexe de supériorité de l’Homme blanc ;
Le cerveau des Noirs est plus rétréci, léger et moins volumineux ;
Cette supériorité soi-disant donne-t-elle le droit d’exploiter, de réduire en esclavage
la race inférieure ;
Un langage qui exprime le non-respect de la différence et le manque de considération
envers autrui ;
Plutôt que faire dans le mépris, l’auteur propose d’élever les nègres à leur niveau en
nouant d’autres types de relation avec les peuples noirs ;
La position du supérieur, loin de nous conférer le droit d’abuser des faibles, impose
le devoir de les aider et de les protéger ;
Travail dans les mines de diamants vers 1900 ;
L’auteur, Harry Hamilton, décrit un véritable pénitencier après avoir examiné les conditions
dans lesquelles les mineurs travaillent. Les mineurs n’ont aucun contact avec l’extérieur tant
qu’ils sont sous contrat. Le salaire est raisonnable, mais les Blancs gagnent dix fois plus que
les Noirs.
Le plus gros diamant du monde ;
Découvert en 1905 dans une mine d’Afrique du Sud, le Cullinan est le plus gros
diamant brut jamais trouvé. On en a tiré plusieurs pierres taillées. La plus grosse
d’entre elles est le Cullinan I ou Grande Étoile d’Afrique qui orne le sceptre royal
britannique ;
Dirigeant noir du Cameroun (colonie allemande, 1885) ;
Pour bien paraitre devant les autorités coloniales, les dirigeants autochtones
adoptaient souvent les attributs européens. L’exemple d’un chef du Cameroun qui
porte une veste en haut-de-forme et une canne ;
113
Un dimanche aux courses à Lagos (1928) ;
La société coloniale est très fermée : les blancs côtoient très peu les Noirs. Les Noirs
qui obtiennent des postes plus élevés doivent s’adapter aux usages occidentaux en
matière de langue, de vêtements, de coutumes ;
« La couleur de la peau, les peuples arriérés et nos relations avec eux », est le titre
d’un article d’Harry Hamilton paru en 1920.
La principale et évidente distinction entre les peuples arriérés et les peuples avancés
est que les premiers (…) ont la peau foncée alors que les seconds ont la peau blanche.
C’est le cas avec les Japonais et les habitants du nord de la Chine, presque blanche ;
« Se vêtir à la française, Instructions pour la pacification de Madagascar » (Joseph
Gallieni, 1898) ;
Inciter les chefs locaux à adopter les vêtements et les coutumes à l’occidentale. Inciter
leurs femmes à s’habiller à la française ;
Susciter la vanité et l’esprit d’imitation ;
Engager les Africains à adopter le mode de vie des Européens, leurs croyances,
habillement, nourriture, logement.
Document 2 : la situation postcoloniale
« Des richesses pour tous », cet article d’Albert Sarrant paru en 1931 dans Grandeurs et
servitudes coloniales, stipule que :
La nature a distribué inégalement la richesse : le génie inventif et créatif en Europe,
vaste réservoir des matières premières en Afrique, les Asies tropicales, les Océanies
équatoriales ;
L’humanité totale doit pouvoir jouir de la richesse répandue sur la planète. Cette
richesse est le trésor commun de l’humanité ;
114
En ce qui concerne l’invention des frontières des pays en Afrique, elles ont été fixées
arbitrairement au profit des intérêts des colons ;
Un ancien royaume africain et le territoire d’une ethnie peuvent se trouver séparés
entre deux colonies rivales ;
Les habitants doivent soudainement apprendre à composer avec les barrières qui
n’existaient pas auparavant ;
Il ne leur est plus possible de visiter librement les membres de leur famille ou de
continuer à faire affaire avec un village où des liens traditionnels s’étaient tissés ;
Inversement, la division des nouveaux territoires oblige certaines tribus ennemies ou
qui n’avaient aucun lien entre elles à vivre ensemble et à partager un même État ;
Les pays africains portent encore aujourd’hui les marques des décisions arbitraires
des pays européens qui ont établi leurs frontières ;
L’explosion urbaine (Source: Estimates and protentions of urban rural end city
population, 1950- 2035: the 1982 assesment, Nations unies, 1985);
En Afrique, l’explosion urbaine sans plan d’urbanisation préalable est passée de 6,6
à 19, 8 en 20 ans (1970 à 2000). Pour l’ensemble du tiers monde, elle est passée de
13,2 à 23, 2 alors que pour les pays dits développés, le rythme s’est presque maintenu.
Le phénomène de l’exode rural est un véritable fait social ;
L’indépendance des anciennes colonies ne règle pas tous leurs problèmes (Le Petit
Journal) ;
Ceux qui parviennent à s’emparer du pouvoir installent des régimes totalitaires qui
s’appuient sur l’armée ;
Une minorité de privilégiés accaparent l’essentiel des richesses du pays tandis que la
population vit dans des conditions misérables ;
115
Une minorité de riches cohabite avec la grande majorité de la population qui elle vit
dans l’indigence la plus totale ;
Les riches y sont plus riches qu’ailleurs et les pauvres plus pauvres ;
Il n’y a pas de classe sociale moyenne. Cette caractéristique la distingue des sociétés
riches ;
Le chômage est un facteur très important de sous-développement. Il restreint le
pouvoir d’achat de la population limitant ainsi l’expansion du marché intérieur ;
La main-d’œuvre est à la fois si abondante et si bon marché qu’il ne servirait à rien
de moderniser l’industrie même si on en avait les moyens. Pour les mêmes raisons,
les salaires demeurent très bas. Les syndicats, lorsqu’il y en a, ne sont pas de taille ;
La présence des pays étrangers est omniprésente dans la réalité agricole et industrielle
des pays sous-développés. Ce sont eux qui fixent les prix des ressources naturelles
qu’ils transforment en produits finis. Par conséquent, les pertes sont supérieures à
l’aide financière que les pays riches leur fournissent. Ce qui entraine un déficit
économique structurel permanent ;
La France apporte la civilisation, la richesse et la paix (Le Petit Journal, 1911).
Avec la colonisation, les nations européennes affirment apporter la civilisation. Les
populations locales devaient ainsi connaitre la richesse et l’abondance. En l’absence des
Africains eux-mêmes, les Européens se réunissent pour parler de l’Afrique.
Document 3 : le fait colonial et les effets d’héritage
Le document est un extrait de la bande dessinée intitulée Tintin au Congo, œuvre de Hergé
ou Georges Remis de son vrai nom. L’auteur présente de manière caricaturale les relations
entre la métropole et la colonie durant l’entre-deux-guerres, période de grande crise
économique en Europe. Le Congo, territoire au sous-sol extrêmement riche, représentait un
véritable Eldorado pour la Belgique sa métropole. L’œuvre est remplie de stéréotypes
typiques de la vision qu’avaient les Européens de l’Afrique à cette époque. Les préjugés
116
auxquels il fait allusion ont été à la l’origine de la condamnation de l’œuvre pour son contenu
raciste. Hergé dut défendre son ouvrage en soutenant que les personnages étaient des Noirs
de fantaisie et que la vision de Tintin au Congo était de lutter contre le mal incarné par le
mauvais blanc. Par conséquent, le Congolais pouvait y trouver matière à se moquer de
l’Homme blanc qui le voyait ainsi.
Cette étape où les élèves interprètent individuellement les documents donne suite à une
seconde période d’activités intermédiaires durant laquelle ces derniers confrontent leurs
points de vue en groupe.
3.1.4.3. La formulation des hypothèses et l’analyse du problème
Cette étape est elle aussi constituée de deux séquences de 55 minutes étalées sur
deux semaines. C’est un travail collaboratif dont l’objectif est d’amener les élèves à
confronter leurs points de vue et leurs interprétations des documents. À cette étape de la
recherche, le rôle de la chercheure est d’étayer les débats révélateurs des représentations
sociales (Anadón, 2002) et des rapports que les élèves établissent avec le passé. Cinq
groupes24 ont servi d’assise aux discussions entre les membres. Pour orienter les discussions
en groupe, les élèves interprètent les documents et ensemble répondent aux questions qui
suivent :
La situation coloniale
De quel système politique s’agit-il ici ? Relevez trois passages marquants du texte et
expliquez pourquoi.
Quel est le mode de gestion des richesses mis en place par les colons ?
24Il y a eu cinq groupes au total : 3 groupes de 4 ; 1 groupe de 4 et 1 groupe de 5. La constitution des groupes
n’a obéi à aucun critère prédéfini. Certains ont été constitués par affinité, d’autres en se référant à la liste des
élèves.
117
Qu’est-ce qui, selon vous, a changé par rapport à ce mode de gestion des richesses
aujourd’hui ?
Pourquoi le peuple reste-t-il pauvre dans ce système ? Pourquoi sa condition reste-t-
elle défavorable ?
La situation postcoloniale
Le mode de gestion des richesses a-t-il changé après l’indépendance des anciennes
colonies, pourquoi ?
Peut-on dire qu’il existe des similitudes ou des différences entre le mode de gestion
des richesses de l’époque coloniale et celui des systèmes dictatoriaux ? Si oui,
lesquelles ?
L’instauration de la démocratie dans les anciennes anciennes a-t-elle réglé tous les
problèmes ? Justifiez votre réponse.
Comment expliqueriez-vous la permanence de la pauvreté dans la plupart des
anciennes colonies d’Afrique Noire et en l’occurrence le Gabon ?
Les effets d’héritage colonial
Le document présente des personnages appartenant à des catégories sociales
différentes, lesquels ?
Peut-on parler dans ce cas de figure de l’exploitation de l’Homme par l’Homme ?
Justifiez votre réponse ?
La place du pauvre est-elle différente aujourd’hui ? Le pauvre peut-il sortir de sa
position d’infériorité ? Si oui, de quelle manière ?
Une fois le travail de groupe complété, les élèves étaient invités lors de l’entrevue à expliciter
leurs points de vue et à approfondir leur compréhension du phénomène de pauvreté. C’est
118
donc suite aux nouvelles représentations que chacun des participants aurait construites du
sujet étudié qu’il passe l’entrevue.
119
3.1.4.4. L’explication du problème
Les entrevues, comme nous l’avons mentionné en début de chapitre, nous servent
de second scénario de cueillette de données. Dans le contexte de cette étude, les entrevues
sont plutôt vues comme des entretiens d’explicitation étant donné tout le travail fait en amont.
Pour passer cet entretien d’explication, le participant devait avoir rempli le questionnaire et
participé aux différentes activités intermédiaires. Dans l’ensemble, 21 élèves ont passé les
entrevues. Pour les 4 élèves restants, un était absent lors de l’activité du questionnaire pour
des raisons de santé. Les 2 responsables de classe dont l’un a manifesté son intérêt à prendre
part à l’entrevue ont manqué quelques activités pour des raisons administratives. Les deux
autres élèves prenaient part à une compétition sportive et n’ont pas pu assister à certaines
séquences d’activités.
Les entrevues s’inspirent également des bilans de savoirs du programme ESCOL, et ce, en
adaptant les catégories à nos objectifs de recherche. Les catégories adaptées ont été proposées
aux élèves à partir des réflexions suivantes : tu as déjà eu à répondre aux questions sur la
pauvreté et sur ton engagement en tant que citoyen dans le questionnaire, qu’est-ce que ces
documents historiques et tes connaissances antérieures t’ont appris de plus sur ce phénomène
au Gabon ? Qu’est-ce que tu comprends de la pauvreté qui se reproduit dans ce pays ?
Pourquoi, selon toi, il en est ainsi ?
Nous voulons toutefois signaler que les questions n’étaient pas nécessairement planifiées par
la chercheure. Son rôle était de les articuler de manière à amener les élèves à clarifier leurs
propos et à établir des corrélations entre les faits évoqués (voir Tableau n°4 à la suite). Deux
objectifs y sont principalement poursuivis :
Comprendre quels liens les élèves établissent entre la pauvreté et la situation
coloniale ;
Comprendre comment les élèves expliquent la permanence de la pauvreté après le
système colonial.
120
Les critères ci-dessous ont été retenus pour cerner la dimension subjective du processus
interprétatif au travers duquel l’élève se transforme et se comprend comme un citoyen
critique. La capacité des participants à prendre de la distance face aux référents mémoriels
constitue l’élément principal sur lequel a porté l’évaluation.
Tableau n°4: Les critères pour évaluer la pensée historique
Critères L’évaluation du raisonnement
Clarté Peux-tu en expliquer davantage ? Peux-tu en donner un exemple ?
Peux-tu illustrer ce que tu veux dire ?
Précision Peux-tu être plus précis ? Peux-tu en donner plus de détails ?
Pertinence
Quel rapport cela a-t-il avec le problème ? Comment cela peut-il nous
aider à mieux comprendre ?
Ampleur Est-il possible de regarder les choses d’une perspective différente ? A-
t-on besoin de considérer les choses d’un autre point de vue ?
Signification Est-ce le problème le plus important à considérer ? Est-ce l’idée
centrale sur laquelle se concentrer ?
Pour la caractérisation des parcours interprétatifs, un premier groupe d’élèves, entretenant un
rapport peu critique au passé, accorde une part importante aux référents mémoriels pour
donner sens au présent. Cette caractéristique le distingue nettement d’une seconde catégorie
d’élèves qui, pour comprendre le monde, reformule les problèmes soulevés pour arriver à des
conclusions raisonnées. À un niveau intermédiaire, soit les élèves mettent à distance la
mémoire collective de façon concomitante, soit leur raisonnement historique se mêle à des
récits de vie ou à des expériences personnelles.
3.1.4.5. En guise de résumé
Avant de passer à la phase d’investigation analytique, nous voudrons bien rappeler
que la cueillette des données s’est structurée en une alternance entre les activités individuelles
et les activités collaboratives. Après l’étape du questionnaire, les élèves interprètent les
documents de manière individuelle, puis, confrontent leurs points de vue avec la diversité
des interprétations. Les modes de pensée opératoires sont formalisés dans les modes
121
historiques de raisonnement. Nous faisons l’hypothèse que les modes de pensée historiques
sont mobilisés par rapport aux documents fournis, mais aussi par rapport aux discours des
pairs et de la chercheure. Nous avons opté pour des échanges dialogiques afin de recueillir
les interprétations subjectives des élèves plutôt que celles posant des jugements sur les
documents. Le travail en groupe qui constitue un genre scolaire ouvert à la pluralité des sens
devait permettre aux élèves d’interpréter les documents et de négocier les savoirs. Les débats
— étayés par la chercheure – ont été révélateurs des représentations et des rapports que les
élèves entretiennent avec les savoirs. Comme nous l’avons vu, le premier scénario de collecte
de données dure 55 minutes. L’étape 1 et l’étape 2 sont considérées comme des périodes
d’activités intermédiaires25 étalées sur quatre semaines. On dénombre alors quatre séquences
d’activités intermédiaires de 55 minutes chacune. Quant au second scénario de cueillette de
données, 30 minutes étaient accordées à chaque élève pour passer l’entrevue.
3.2. Le modèle d’investigation analytique
Dans cette étude nous cherchons à comprendre la question de la pauvreté au Gabon
selon ce qu’en disent les élèves du secondaire. Cette posture implique de mettre en place un
modèle d’investigation analytique où s’articulent des productions écrites et des productions
orales. Selon Moeschler et Auchlin (2009), l’articulation du langage verbal au discours écrit
parait pertinente pour prélever dans les propos d’élèves des indices relevant de l’oral et
d’identifier ce qui de l’oral est transféré au texte écrit, et, corrélativement. Le paradigme
compréhensif qui sous-tend notre propos de recherche accorde une place importante à
la parole des gens26 et donc à la question du sens de leurs points de vue (Poirier, Clapier-
Valladon & Raybaut, 1993 ; Bertaux, 1997 ; Demazière & Dubar, 2004). Comment donc
aborder la question du sens selon un regard croisé de deux modèles d’analyse ? Comme le
25Les activités intermédiaires pouvaient être discutées entre élèves en dehors de la classe, poursuivies à la
maison ou encore complétées par des recherches personnelles. Ce qui peut expliquer des points de vue
suffisamment argumentés et parfois soutenus par des exemples pris sur internet, dans les livres, les cours
antérieurs, les discussions en famille. 26Charlot (1997) propose de faire une lecture en positif des propos d’élèves et de s’éloigner des jugements, de
la réification pour reconstruire leurs points de vue des sujets.
122
soutient Demba (2010), le point de départ serait de prendre de conscience que les propos
obtenus au moyen d’un dialogue sont porteurs de sens.
3.2.1. Le modèle d’analyse adopté
Pour l’analyse des données, nous avons d’abord eu recours à l’analyse de contenu
qui a consisté à coder les segments de textes avec un système de catégories organisées. Les
données codées, qu’elles soient verbales ou écrites, ont d’abord été traitées à partir de la
matrice théorique et classées dans des tableaux de manière synchronique. Nous avons ensuite
complété l’analyse de contenu par une analyse de discours en considérant l’ensemble des
données comme le fruit d’un dialogue. Comme le soutiennent Larochelle et Désautels (2001),
les outils de cueillette de données offrent aux élèves un espace de confrontation et
d’élaboration de sens. Plus encore et c’est ce que souligne Salazar Orvig (2003), les questions
ouvertes leur ont donné l’occasion de se construire en tant qu’acteurs sociaux définissant
leurs relations au monde, à l’école et à l’environnement sociopolitique dans lequel ils
évoluent.
Dans ce sens, l’analyse du discours dialogique qui ne peut se limiter à l’autoréférence adopte
une démarche interdisciplinaire susceptible de cerner les conditions dans lesquelles le
discours est produit (Martinand, 1981 ; Maingueneau, 1976). La reconstruction du sens qui
est y privilégiée s’intéresse à la dimension sociale des propos pour saisir ce que peut
comporter ce discours27. Les expressions, les pronoms et les voix employés peuvent être
autant d’indications pour se référer à soi-même ou au groupe auquel on s’identifie. L’emploi
du pronom on ayant des contours complexes n’apparait pas toujours transparent : il y a des
voix que le locuteur assume et celle dont il se distancie. « C’est donc en tenant compte du
discours dans sa globalité que l’on peut en venir à cerner les diverses énonciations en jeu »
(Demba, 2010, p. 116).
27Par exemple, les participants usent de façon récurrente du pronom nous pour parler des indigènes dans la
situation coloniale.
123
3.2.2. Transcription et codification des données
La transcription et la codification des données ont été effectuées selon une
classification qui prenait en compte les éléments provenant du cadre théorique en laissant
toutefois la possibilité de développer les catégories émergentes. Les discours des élèves ont
été retranscrits tels quels : nous n’avons pas corrigé les erreurs linguistiques et textuelles. Par
contre, dans les extraits retenus des discours d’élèves, les passages, les mots et les expressions
surlignés en gras relèvent de notre intervention.
3.2.2.1. La catégorisation des données issues du questionnaire
Les données du questionnaire, transcrites selon un modèle qui vise à identifier le
sens du matériel analysé à l’aide des groupements, ont été classées en énoncés dans un
ensemble de catégories (L’Écuyer, 1990). Pour être conforme à la démarche de L’Écuyer
(1990), nous avons d’abord effectué une lecture flottante des propos d’élèves, puis les avons
regroupés pour retenir les énoncés porteurs de sens. Les extraits découpés en unité de sens
sont des énoncés de longueur variable qui représentent un sens complet en eux-mêmes. Le
sens est déterminé en fonction des questions de recherche et de la signification générale du
discours analysé. Les unités obtenues ont été classifiées à partir des catégories préétablies et
doublées dans des catégories dont le sens émerge au fil de l’analyse. Il nous est arrivé
également d’apporter quelques changements à notre première liste en modifiant quelques-
unes et en ayant recours à des catégories émergentes. Quand nos catégories étaient définies,
l’ensemble des énoncés retenus pouvait être classifié pour dégager la relation de sens au
propos. La codification des données a été faite suivant l’ordre de lecture du questionnaire. Le
Tableau n°5 à la suite illustre les symboles utilisés : la lettre E représente l’élève ; le code E1,
le premier élève dont le questionnaire a été lu, le code E2, le deuxième élève dont le
questionnaire a été lu, etc.
124
Tableau n°5: Symboles et significations
Symboles Significations du symbole
E1 Le 1er élève dont le questionnaire a été lu
E2 Le 2e élève dont le questionnaire a été lu
E3 Le 3e élève dont le questionnaire a été lu
E4 Le 4e élève dont le questionnaire été lu
E5 Le 5e élève dont questionnaire a été lu
3.2.2.2. La catégorisation des données issues des entrevues
La catégorisation des données issues des entrevues, faite conformément aux
suggestions de nombre d’auteurs (Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut, 1993 ; Salazar
Orvig, 2003 ; Sanséau, 2005), transcrit les propos en se plongeant d’emblée dans l’analyse
au fur et à mesure de l’évolution des transcriptions. Les annotations faites aux documents
transcrits, lorsqu’elles ne précisent pas le sens du propos, entourent les fragments de discours
dont le sens émerge au fur et à mesure de l’analyse. Le Tableau n°6 ci-dessous adopte
quelques signes conventionnels auxquels recourent certains chercheurs (Blanchet &
Godman, 2006) pour traduire la parole orale en texte écrit.
Tableau n°6: Conventions et transcription
Symboles Significations
E Élève
C Chercheure
L Numéro de la ligne à partir de laquelle le propos est extrait
[…] Les trois points avec crochets indiquent une coupure du propos ou des sons
inaudibles
… Les points de suspension indiquent un temps de silence ou une hésitation
, . ; Ces points indiquent, soit un arrêt, soit une baisse d’intonation ou la fin d’une
phrase
Pour la codification des données issues des entrevues, le groupe de travail et l’ordre passage
de l’élève à l’entrevue constituent les éléments de base auxquels nous avons attribué des
numéros. Le dernier numéro du code représente la ligne à partir de laquelle le propos retenu
est extrait. À titre d’exemple, le code Group4/4-L6, signifie que le propos est du 4e élève du
125
groupe 4 à passer l’entrevue. L6, est la ligne 6, c’est-à-dire, celle à partir de laquelle l’extrait
a été retenu.
Tableau n°7: Codes et significations
Codes Significations du code
Group4 Le groupe n°4
Group4/4 4e élève du groupe n°4
L6 Le propos retenu est extrait à partir de la ligne n°6
Group4/4-L6 Le 4e élève du groupe n°4 à passer l’entrevue, le propos retenu est extrait à partir
de la ligne n°6
Group1/1-L5 Le 1er élève du groupe n°1 à passer l’entrevue, le propos retenu est extrait à partir
de la ligne n°5
3.2.3. L’analyse des corpus de données
La Figure n°1 ci-dessous résume l’analyse des données en deux étapes : la première
étape permet de préciser le rapport au savoir des élèves au sujet de la pauvreté à partir
résultats du questionnaire. La seconde, menée sur des données issues des entrevues, a pour
but d’identifier le rapport au savoir historique à ce propos.
Figure 1: Les étapes de l’analyse inspirées de Duquette (2011)
3.2.3.1. L’analyse des données issues du questionnaire
126
Pour traiter les données du questionnaire (cf. chapitre 4), nous les avons organisées
en assemblage d’informations avant de les analyser. Selon Lessard-Hébert, Goyette & Boutin
(1996), la présentation des données dans un espace visuel offre l’avantage de faciliter leur
usage dans le rapport d’analyse. Dans la continuité des considérations épistémologiques et
méthodologiques établies pour penser la présente étude, cette présentation fait vite prendre
conscience de la complexité et de l’imprévisibilité des données obtenues. Miles et Huberman
(2003) proposent « de les accepter et finalement de les transmettre au lecteur en les clarifiant
et en les approfondissant » (p. 459).
En accord avec la thèse de Queloz (1987) selon laquelle « le chercheur comme individu
social, ne se retire pas derrière le paravent fictif de la neutralité et de l’objectivité » (p. 48),
nous avons tenté de rendre compte du rapport au savoir des élèves. Selon Miles et Huberman
(2003), l’analyse qualitative permet de se plonger aussi longtemps que possible dans les
propos obtenus et d’approfondir la complexité et l’imprévisibilité des résultats produits. En
tant qu’analyste, adopter cette posture implique, pour reprendre Bourdieu (1993), « de faire
de son point de vue, un point de vue sur un point de vue » (p. 325). Ce point de vue
compréhensif pour emprunter de nouveau à Bourdieu signifie, « ne pas déplorer, ne pas rire,
ne pas détester, mais comprendre » (p. 327). Adopter une telle attitude signifie pour Charlot
(1997), faire une lecture en positif des réponses obtenues des élèves.
Maingueneau (1998) met en évidence la relation de sens dégagés des propos d’acteurs,
perspective que nous avons mise en lien avec l’environnement sociopolitique dans lequel les
élèves produisent leurs discours. Chanfrault-Duchet (1987, 1988) rend compte des implicites
du discours, une approche dont nous nous sommes inspirée pour comprendre les expériences
singulières des élèves et le jeu de relation entre ces derniers et la société. Les résultats
décrivent ce que soutient Kerbrat-Orecchioni (2005), c’est-à-dire, des situations particulières
qui se construisent à travers des histoires personnelles, familiales, sociales ou scolaires.
Les six dimensions abordées dans le questionnaire mettent en relief, chacune à un niveau, ce
qui mobilise, mais aussi démobilise l’élève à l’école et sur l’école. Si passer en classe
127
supérieure, avoir un projet professionnel, espérer une mobilité sociale... sont autant de
sources de mobilisation pour apprendre, sortir de la situation d’humiliation que procure la
pauvreté constitue un élément central pour aller à l’école. Une autre dimension explorant le
rapport à l’école montre différentes figures de l’apprendre qui, selon le cas, se révèlent plus
ou moins pertinentes. Par exemple, les figures qui s’appuient sur l’imposition des cours
d’histoire paraissant inutiles pour les élèves semblent peu pertinentes pour susciter leur
intérêt à apprendre cette discipline. D’autres figures s’orientant vers une interaction avec le
passé tentent de mieux négocier le monde dans lequel les élèves évoluent. Une autre des
dimensions montre comment les interprétations au sujet de la pauvreté restent
essentiellement marquées dans un jeu des rapports sociaux et un passé humiliant qu’en vient
à faire revivre la situation coloniale. Dépasser les rapports d’oppression constituerait un défi
à relever pour apprendre et réussir à s’assurer une ascension sociale.
3.2.3.2. L’analyse des données issues des entrevues
Comme nous le verrons au chapitre 5, l’analyse des données issues des entrevues
met en scène la problématique de la pauvreté pendant et après l’instauration du système
colonial au Gabon. Cette étape d’analyse a nécessité le recours à des procédés en lien avec
l’objet d’étude : le rapport au savoir. Également, le modèle d’investigation analytique adopté
s’est avéré judicieux pour prendre en compte tant la société considérée que la singularité de
l’élève et le rapport qu’il entretient avec l’environnement social dans lequel il vit. Les auteurs
Charlot (1997) et Lahire et Johsua (1999) invitent à voir en l’élève, un sujet singulier inscrit
dans des rapports sociaux. De même, Rochex (2001a, 2001b, 2004) propose de tenir compte
de ce caractère à la fois singulier et social de l’élève afin d’éclairer certaines facettes de son
expérience sociale ou scolaire et de sa compréhension du monde. Comme nous l’avons vu,
les questions du type — qu’est-ce que cela signifie pour toi – s’inscrivent d’emblée dans
l’histoire du sujet et permettent d’éclairer l’idée qu’il se fait de sa présence au monde. C’est
dans cette optique qu’il nous a paru intéressant de croiser les propos d’explicitation et d’en
effectuer l’analyse à deux niveaux : 1) la problématique de la pauvreté au Gabon ; 2) la
compétence des élèves à penser historiquement.
128
La problématique de la pauvreté au Gabon
Ce premier niveau d’analyse, dit de thématisation, a consisté à repérer les éléments relatifs
au contexte d’apparition de la pauvreté au Gabon d’une part, et de l’autre, à caractériser les
mécanismes qui concourent à la reproduction de ce phénomène dans ce pays. Les discours
des élèves portent sur des phénomènes de domination typifiés par Balandier dans son étude
de la situation coloniale : sujétion, exploitation, clivages sociaux ou raciaux... La pauvreté et
sa reproduction au Gabon ainsi que la passivité des citoyens gabonais sont comprises comme
résultant d’un modèle d’éducation hérité du système colonial. Les élèves ne se limitent pas à
alimenter leurs discours des écarts considérables entre colons et indigènes. Ils peuvent
appréhender, pour reprendre Balandier (1950), ce qu’ont constitué le système colonial et les
liens sociaux qu’il recouvre : division, manipulation, ségrégations, évitements ou adhésions.
Les reconstitutions historiques des évènements, si elles ne traduisent pas toujours un rapport
critique au passé, témoignent néanmoins d’un mimétisme des pratiques coloniales et des
dispositifs mis en place pour maintenir le Gabon en état de pauvreté. La réflexion de Paolo
Freire sur la situation d’oppression nous a servi d’approche pour explorer la complexité des
relations humaines dans la continuité du système colonial. L’analyse des discours fait
ressortir quatre types de parcours interprétatifs graduellement empreints de référents
mémoriels. Quels modes opératoires liés à la pensée historique sont employés par les
participants ? De quelle manière les documents sont-ils interprétés ? Comment les élèves font
l’histoire ? Ces interrogations ont guidé l’analyse périphérique que nous avons faite de la
compétence des élèves à penser historiquement à un second niveau.
129
La compétence des élèves à penser historiquement.
À ce niveau d’analyse, il a fallu relever les segments les plus significatifs du discours en
sélectionnant les indicateurs temporels afin d’établir une sorte de montage du parcours
interprétatif (Maingueneau, 1976). Nous avons commencé par repérer les moments
charnières où les interprétations ont été reformulées, explicitées ou complexifiées, puis,
avons procédé à un montage de segments à analyser. Les segments relevés devaient orienter
une dynamique d’ensemble et rendre intelligible le point de vue du participant ainsi que
l’impact de la diversité interprétative dans la compréhension du présent. L’idée était de voir
si l’élève atteint les différentes composantes du développement réflexif proposées par
Sauvaire (2013):
S’il prend de la distance face aux référents mémoriels ;
S’il considère la diversité interprétative de manière critique ;
S’il fait des retours sur soi ;
S’il produit une interprétation pertinente à partir des différents discours.
En nous appuyant sur la taxonomie de Rüsen (2004) et en référence au type de récit relaté
par l’élève, nous avons fait le choix d’étudier en profondeur quatre parcours interprétatifs qui
paraissaient plus ou moins représentatifs de l’ensemble du corpus analysé. Pour la
compétence des élèves à penser historiquement, nous utilisons des sigles afin d’alléger le
texte : EXP (pour explicitation). Les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros de la
ligne de transcription du discours. C’est à ce niveau d’analyse qu’il nous a été possible
d’identifier les différents rapports au savoir historique des élèves quand ils font usage de leur
pensée historique au sujet de la pauvreté. Comme cela a déjà été souligné, les quatre types
de discours se distinguent les uns les autres par la capacité à mettre à distance les référents
mémoriels et à développer un rapport critique au passé :
130
Un type de discours empreint de référents mémoriels rend un héritage colonial
responsable de la situation actuelle du Gabon ;
Un second subit une influence intermittente des référents mémoriels pour se
construire une compréhension du présent.
Un troisième construit son interprétation sur la base des récits de vie et des
expériences personnelles,
Un quatrième, plus réflexif, tente de se réaliser dans le présent en remontant
la chaine des représentations reliant l’Homme à son histoire et en se projetant
vers l’avenir.
Dans la perspective du rapport au savoir qui oriente cette étude, il convient de comprendre
que les discours des uns et des autres sont relatifs à leur personnalité et à leur histoire. Ainsi,
les différents discours reflèteraient les attentes des élèves, leurs conceptions de la vie, leurs
rapports aux autres, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de celle qu’ils veulent donner aux
autres. Disons que les différents discours sont des processus à travers lesquels ces derniers
produisent des savoirs singuliers qui leur permettent d’appréhender le monde.
Les orientations méthodologiques données à la présente étude se situent dans la continuité
des approches qualitatives qui postulent « que la réalité est incertaine, diversifiée et
subjective, ce qui demande une pluralité de lectures » (Anadón, 2006, p. 17). Vandenberghe
(2010) soutient la nécessité d’un paradigme de recherche en accord avec la complexité et
l’imprévisibilité des situations étudiées. Ce qui permet de valider ce que Van Der Maren
(1996) entend par une démarche qui ne peut « se contenter d’observer de l’extérieur la
conduite des acteurs » (p. 7). Le modèle d’analyse transférant les indices de l’oral à l’écrit et
inversement s’est avéré pertinent pour articuler le langage verbal au discours écrit. Les deux
scénarios d’enquête ont offert une dimension réflexive à l’étude et donné l’opportunité aux
élèves de concilier les phénomènes de socialisation et d’individualisation qui sont au cœur
de la problématique citoyenne à l’école.
131
CHAPITRE 4 : LES RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE
132
La construction identitaire des élèves et la conscience que ces derniers ont face au
phénomène de pauvreté, au regard du rôle qu’ils doivent jouer en tant que futurs citoyens,
orientent pour l’essentiel l’analyse et l’interprétation que nous faisons des données obtenues
dans ce premier scénario d’enquête. Une analyse et une interprétation qui, en référence aux
propos d’Ubaldi (2009) particulièrement, tentent d’éclairer la nature relationnelle du sens des
propos recueillis. Comme cela a été soutenu dans la partie théorique de cette étude, le sens ne
git pas dans les situations, mais il se trouve dans le rapport qu’un sujet vit avec un contexte.
Rappelons que la cueillette de données par questionnaire visait à dégager une compréhension
plus fine du sujet-acteur qu’est l’élève quant à son intérêt d’aller à l’école, d’y acquérir des
savoirs – en particulier les savoirs historiques – et ainsi se préparer pour sa vie de futur
citoyen.
Au regard de la relation au sens des savoirs identifiée dans les données, il importe de lier les
discours produits au contexte sociopolitique auquel l’élève se réfère pour donner sens aux
situations. En l’occurrence, cette perspective implique de mettre en relation les six thèmes
abordés les uns les autres afin de mieux saisir le dynamisme des résultats. Pour revenir au
contenu du questionnaire qui a déjà été présenté au chapitre précédent, les six thèmes à traiter
sont : pauvreté, apprendre, apprendre l’histoire, l’avenir ou les projets de vie des élèves,
l’engagement du citoyen, le rapport à l’histoire. Les élèves avaient 55 minutes pour répondre
aux questions. Le traitement de chaque thème devait prendre environ 9 à 10 minutes. Sur un
échantillon de 25 élèves, 24 répondants ont pris part à cette activité.
Le chapitre se compose de trois parties : une première partie présente les données regroupées
en assemblage d’informations en vue de faciliter leur usage dans le rapport d’analyse. Une
seconde, consacrée à l’analyse effective des données, fait une reconstruction de la conscience
citoyenne et identitaire qui se dégage quant à la complexité de la notion de sens. Sont
également analysés de façon exploratoire, les divers rapports des élèves aux savoirs
historiques ainsi que la caractérisation des élèves idéaltypes face à l’histoire et où la question
de l’intérêt reste centrale. La troisième partie dresse un bilan des conclusions tirées de ce
premier scénario d’enquête.
133
4.1. La présentation des données
Dans le but de faciliter la compréhension des résultats du questionnaire et surtout
pour en saisir la pertinence quant à la problématique du rapport au savoir et à l’école, nous
avons jugé indispensable de faire une description plus impartiale des données obtenues dans
chacun des thèmes. Par souci de clarté et de concision, nous rappelons en premier lieu
l’objectif poursuivi ainsi que la question telle qu’elle a été libellée dans le questionnaire. Un
récapitulatif de données est généralement présenté dans un tableau ou une figure, suivi de la
synthèse qui en est faite. S’agissant des tableaux, ils sont composés de catégories émergentes
suivant l’ordre d’importance des réponses et en fonction des pourcentages d’occurrence.
Quant aux figures, elles présentent dans des diagrammes en bâtons, les différentes idées
notées selon leur hiérarchie.
4.1.1. La pauvreté
La pauvreté au Gabon est le premier thème abordé dans le questionnaire. L’objectif
poursuivi était d’explorer le sens que les élèves donnent à cette réalité sociale qui fait partie
intégrante de leur quotidien. La question suivante servait d’assise pour l’atteinte de cet
objectif : Tu as appris des choses sur la pauvreté au Gabon, chez toi, dans la cité, à l’école,
ailleurs. Qu’est-ce que cela signifie pour toi d’être citoyen d’un pays à la fois riche et pauvre ?
Et maintenant, qu’est-ce que tu en attends ? Telle que libellée, la question suggérait aux
élèves d’évoquer les raisons qui expliqueraient la pauvreté du Gabon d’une part, et de l’autre,
de proposer les solutions envisageables pour sortir le pays de cette situation.
134
4.1.1.1. Ce que la pauvreté du Gabon veut dire…
Les élèves associent différentes significations à la pauvreté. Que ce phénomène soit
une fatalité ou qu’il dépende d’un mode de gestion des richesses déplorable ou d’un problème
d’éducation, la pauvreté constitue pour la majorité d’élèves, un obstacle au développement
du Gabon. Le Tableau n°8 ci-dessous regroupe en pourcentage les catégories émergentes des
différentes réponses.
Tableau n°8: La pauvreté au Gabon, les catégories émergentes
Pauvreté veut dire Nombre
(n = 24)
% Solutions envisagées Nombre
(n = 24)
%
Mauvaise gestion du gouvernement
Honte et déception
Fatalité
Education
Prise de conscience
11
5
4
2
2
45,83 %
20,83 %
16,66 %
8,33 %
8,33 %
Gouvernement
Gouv. + population
Education
Former les élites
Changement
12
6
3
2
1
50 %
25 %
12,50 %
8,33 %
4,16 %
D’après les réponses obtenues dans notre échantillon d’élèves (n=24), l’État gabonais
apparait comme étant le premier responsable de la pauvreté du pays. En effet, près de la
moitié des élèves interrogés, soit 45,83 %, attribuent cette responsabilité aux autorités
dirigeantes incapables d’assurer une répartition équitable des richesses et ainsi garantir le
mieux-être des citoyens :
C’est un paradoxe de vivre dans un tel pays. On ne peut pas être citoyen d’un
pays riche et être pauvre, pourtant c’est ce qui caractérise le Gabon. Être dans
une telle situation ne montre qu’une chose, le pays est mal organisé. Sur le plan
économique, le pays semble fleurissant, néanmoins, sur le plan social, on
remarque une immense précarité des situations sociales (E3).
Contrairement aux 20,83% des répondants qui ont déclaré être déçus de cette image honteuse
qui caractérise leur pays, 16,66 % présentent plutôt cette problématique sociale telle une
fatalité à laquelle il faut s’adapter :
135
Pour moi, être un citoyen d’un pays à la fois riche et pauvre c’est pouvoir
s’adapter aux conditions de vie de notre pays, c’est-à-dire s’adapter à la
pauvreté du Gabon comme aux moyens de transport, aux problèmes de route et
aussi s’adapter à la richesse du Gabon tel que dans les domaines pétrolier, minier
(E1).
Deux des participants (8,33%), quant à eux, mettent l’accent sur un problème d’éducation
qui serait à l’origine de toutes les difficultés que rencontre la nation gabonaise. Et pour deux
autres des élèves interrogés (8,33%), la situation catastrophique du pays sur le plan
socioéconomique devrait plutôt favoriser une prise de conscience de la part de tous les
citoyens gabonais. Un autre volet de la question était de savoir quelles solutions les élèves
proposent pour sortir le Gabon de la pauvreté.
4.1.1.2. Des solutions pour sortir le Gabon de la pauvreté
Les solutions envisageables restent en phase avec les causes de la pauvreté évoquées
dans la section précédente. Aussi, 50 % des répondants sont-ils d’avis que c’est au
gouvernement que revient le rôle de rendre la vie sociale plus égalitaire par une répartition
équitable des biens et des richesses de la nation. L’extrait qui suit illustre mieux cette
position :
Personnellement, j’attends que des dirigeants de bonne volonté fassent leur
apparition au sein du gouvernement tout comme le président du Gabon. Des
dirigeants qui ne lésineront pas sur les moyens pour le développement du
pays. Et pour que cela se réalise, l’honnêteté est de rigueur ainsi que la
responsabilité et le dévouement patriotique. Choses qui manquent à certains de
nos actuels dirigeants et dirigeantes (E5).
Pour cette majorité, il incombe aux autorités dirigeantes d’assurer une justice sociale au
peuple gabonais. Cependant, 25 % de répondants attribuent la responsabilité de sortir le
Gabon de la pauvreté tant au gouvernement qu’à chacun des citoyens et en appellent à
l’engagement de tous :
136
J’attends tout simplement que les dirigeants du pays traitent le problème de la
pauvreté et que la population gabonaise joue aussi son rôle dans l’éradication
de la pauvreté au Gabon (E14).
Un seul des élèves propose le changement sans en expliquer davantage. Pour le quart des
répondants, soit 12,50 % de l’échantillon qui recommandent de mettre un accent particulier
sur l’école, l’éducation constitu le fondement de tout progrès social. Quant aux 8,33 %
restants, le Gabon doit former une élite dirigeante qui saurait mener le pays à des jours
meilleurs :
Cela montre que le pays n’est pas épanoui et pour ce faire il faudrait une
éducation rigoureuse qui entrainera la formation des élites qui pourront
répondre aux manquements du pays (E16).
En somme, concernant le thème pauvreté, les réponses obtenues montrent tout l’intérêt que
portent les élèves à la question de la pauvreté dans leur pays. Bien que les réponses soient
ancrées dans le présent et ne se réfèrent nullement au passé, ce qui semble être une limite par
rapport aux objectifs de notre étude, elles offrent vraisemblablement une vue d’ensemble sur
la façon dont ces futurs citoyens envisagent cette réalité sociale. Il ressort de cela qu’en dépit
des richesses dont regorge le pays, l’on ne ressent pas le fruit de l’essor économique dans le
quotidien gabonais. Les services sociaux dispensés ou à dispenser par l’État demeurent une
préoccupation majeure de même que les écarts de revenus trop importants. Dans ces
conditions, il semble à travers les lunettes de nos répondants que beaucoup de Gabonais se
sentent marginalisés et éprouvent de la difficulté à prendre part au progrès. Réduire les
inégalités sociales et promouvoir un vivre ensemble seraient donc une exigence de
transformation sociale qui placerait le citoyen au centre de l’action en tant qu’acteur et
bénéficiaire de la croissance économique. Maintenant que nous avons une certaine idée du
sens que les élèves de notre enquête donnent à la pauvreté, il convient de voir quel sens ils
attribuent au fait d’apprendre à l’école.
137
4.1.2. Apprendre
Pour les besoins de notre recherche, le détour par le thème apprendre nous a paru
essentiel pour cerner le sens que l’acteur donne à son action. Les différentes significations
associées à ce thème nous ont permis de comprendre pourquoi certains élèves s’investissent
ou non dans des activités en classe. Pour ce faire, nous avons voulu comprendre le sens que
l’élève gabonais donne à l’acte d’apprendre ou à celui d’aller à l’école et la manière dont il
s’y prend pour l’atteinte de ses objectifs. La question qui suit nous a servi de base pour
explorer ce thème : qu’est-ce que cela signifie pour toi apprendre au lycée ou au collège ?
Apprendre pour toi, c’est quoi faire exactement ? Comment tu t’y prends ?
4.1.2.1. Ce qu’apprendre signifie…
Comme nous le mentionnons précédemment, différentes significations sont
associées à l’acte d’apprendre. Nous en dénombrons une quinzaine parmi lesquelles
s’instruire (24 élèves sur 24) et se préparer pour l’avenir (24 élèves sur 24) en constituent le
sens le plus commun. La Figure n°2 ci-dessous indique par ordre d’importance les différentes
idées ayant émergé du corpus de données.
Figure n°2: Le rapport à l’apprendre
0
5
10
15
20
25
30
138
D’après les données obtenues, nous notons que chacun des élèves semble avoir une idée
précise de sa raison d’être à l’école. L’institution scolaire y est généralement désignée comme
un lieu privilégié pour recevoir une formation de base nécessaire à toute vie future. L’extrait
qui suit témoigne de ce fait :
Pour moi apprendre dans un lycée ou collège signifie que j’acquière des
connaissances venant de mes professeurs dans toutes les matières. Pour moi,
apprendre, c’est travailler continuellement en m’organisant, c’est étudier mes
cours, mes leçons afin d’avoir de bonnes notes et pouvoir construire mon avenir
(E24).
Ainsi, apprendre prend un tout premier sens, celui de parvenir à atteindre ce que l’école attend
des élèves : adopter un comportement responsable et réaliser un travail sérieux. Les uns
l’envisagent dans le court terme tandis que d’autres le situent dans le long terme. Dans le
court terme, apprendre signifie chercher à comprendre les enseignements donnés par un
travail scolaire régulier afin de réussir ses examens et par ricochet son passage en classe
supérieure. Dans le long terme, apprendre au lycée ou au collège constitue surtout une
condition indispensable pour un avenir réussi. Comme le fait ressortir le récapitulatif des
réponses obtenues, les élèves apprennent pour s’instruire (24 élèves sur 24), se socialiser (5
élèves sur 24), enrichir leur intelligence (17 élèves sur 24), quitter l’ignorance (6 élèves sur
24). D’autres voient dans le fait d’apprendre une façon de se préparer à être des citoyens
responsables (15 élèves sur 24) :
Selon moi, apprendre au lycée revient à montrer ou à démontrer à toute
personne que telle ou telle personne est apte à prendre en charge, plus tard,
le développement de son pays (E5).
Une minorité de répondants trouve dans l’acte d’apprendre une chance qui leur est offerte
pour créer leur destin (2 élèves sur 24). Comment s’y prennent-ils pour apprendre et surtout
pour parvenir à l’atteinte des objectifs assignés ?
139
4.1.2.2. Les différentes manières d’apprendre
Les modes d’organisation pour apprendre diffèrent d’un apprenant à un autre. La
Figure n°3 ci-dessous constitue un récapitulatif des représentations que les élèves ont de leur
fonction dans la société. Assumer son rôle d’élève recouvre tout un tas d’exigences, de
travail, de connaissances, de savoir-faire, de comportements comme par exemple étudier
régulièrement ses leçons (22 élèves sur 24), être obéissant envers ses enseignants (17 élèves
sur 24), cultiver l’envie de s’améliorer (5 élèves sur 24).
Figure n°3: Les différentes manières d’apprendre
Dans notre échantillon, une composante cerne mieux l’ensemble de contraintes et de
comportements que l’élève tente de prendre en considération pour jouer pleinement son rôle.
Dans le contexte de l’IIC28, être obéissant reviendrait à être respectueux envers Dieu et envers
28Comme nous l’avons vu au chapitre 3, l’IIC est un établissement d’enseignement secondaire d’obédience
catholique. Les notions d’obéissance et de respect à l’autorité y sont d’une importance capitale pour l’œuvre de
Dieu.
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140
tout le personnel administratif et enseignant. L’obéissance signifie qu’il faut être attentif aux
règles de vie de l’établissement, de savoir écouter ce que disent les enseignants, de prendre
en note les travaux à réaliser à la maison et de faire ses exercices :
Pour apprendre, je vais à l’école, j’écoute et fais tout ce que mes professeurs
me disent de faire. J’écoute attentivement les explications des professeurs et
en rentrant le soir à la maison, je m’exerce, je fais plein d’exercices. Afin de
pouvoir mieux comprendre la leçon du jour, j’étudie régulièrement mes cours. Si
je ne comprends pas certains cours, je demande à mon entourage de m’expliquer
(E1).
L’extrait reproduit ici une vision habituellement attendue d’un élève modèle. Une exigence
qui, dans un établissement scolaire de type confessionnel comme l’IIC, rend l’obéissance et
la discipline de rigueur. Au lycée ou au collège, selon nos répondants, l’élève se doit
d’acquérir des connaissances, de développer des compétences et de réaliser des activités
d’apprentissage. De telles activités comportent l’avantage de permettre à l’élève de
complexifier ses représentations initiales par un échange d’idées (9 élèves sur 24).
Pour moi apprendre ne veut pas dire enregistrer des connaissances, mais
connaitre les autres également, les comprendre, interagir dans une perspective
avec eux (E3).
C’est surtout au niveau du travail fait à la maison que se situe toute la différence. L’élève y
est tenu de compléter les apprentissages faits à l’école afin de consolider son sens des
responsabilités et son sentiment de compétence. Tandis que les uns se contentent d’étudier
régulièrement leurs leçons dans le but de les reproduire lors des examens (22 élèves sur 24),
d’autres au contraire approfondissent leurs connaissances par des recherches ou en se faisant
aider par l’entourage (6 élèves sur 24). D’après nos données, apprendre signifie certes
s’instruire et se socialiser, mais apprendre fait surtout référence à la vie future (24 élèves sur
24). Ce que d’autres études avant nous avaient déjà montré (Charlot, 1999a ; Charlot, et al.,
1992 ; Demba, 2010).
141
J’apprends pour devenir plus tard une personne instruite, une personne
capable de résoudre n’importe quel problème, et aussi, pour pouvoir exercer
un métier plus tard et gagner ma vie (E1).
En définitive, concernant l’idée d’apprendre, nous dirions que l’élève a conscience de son
rôle d’élève pour atteindre l’objectif consistant à s’assurer une situation stable et durable à
l’avenir. Cependant, les modalités d’organisation du travail pour apprendre diffèrent d’un
élève à un autre. Qu’en est-il d’apprendre l’histoire à l’école ?
4.1.3. Apprendre l’histoire
La question suivante a été posée aux élèves : qu’est-ce que cela signifie pour toi
apprendre l’histoire au lycée ou au collège ? Apprendre l’histoire pour toi, c’est quoi faire
exactement ? Qu’est-ce que tu aimes ou qu’est-ce que tu n’aimes pas dans tes cours
d’histoire ? L’objectif était de savoir le sens que revêt pour eux le fait d’apprendre l’histoire
à l’école.
Trois idées essentielles en ressortent : premièrement, ce que représente le fait d’apprendre
l’histoire à l’école. Deuxièmement, les propos obtenus restent largement en lien avec les
besoins de l’histoire : affirmer son identité, assurer son intégration sociale, enrichir
l’expérience humaine, avoir une source d’inspiration. Troisièmement, certains cours
d’histoire apparaissent comme n’ayant pas d’intérêt tant par leur forme que par leur contenu.
Les deux premières idées ont été regroupées en une première section en ce que la signification
que l’élève donne au fait d’apprendre l’histoire, c’est aussi ce qu’il aimerait retrouver dans
un cours d’histoire. Une seconde section traite des difficultés reliées à l’apprentissage de
l’histoire du fait que certains cours manquent d’intérêt selon les propos obtenus.
142
4.1.3.1. Ce qu’apprendre l’histoire veut dire…
Pour les élèves de notre échantillon, apprendre l’histoire revient à trouver des
repères (24 élèves sur 24), acquérir de nouvelles connaissances (21 élèves sur 24), interagir
avec le passé (7 élèves sur 24). La Figure n°4 à la suite regroupe par ordre d’importance les
différentes idées ayant émergé des données.
Figure n°4: Les significations associées à l’apprentissage de l’histoire
Les élèves qui ont participé à notre étude semblent avoir compris la raison d’être de l’histoire
à l’école. Nombre d’entre eux lui reconnaissent certaines fonctions qui lui sont légitimes et
la place qu’elle occupe dans leur formation de base en tant que futurs citoyens. Ils manifestent
avant tout le besoin élémentaire qu’est l’affirmation de l’identité en l’associant à la curiosité
de mieux de se connaître (24 élèves sur 24), de trouver ses repères (24 élèves sur 24) et de
savoir son patrimoine culturel (23 élèves sur 24). De fait, certains élèves souhaitent d’abord
connaitre l’histoire de leur pays avant d’étudier celle des autres (3 élèves sur 24). Outre ce
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trouver desrepères
la curiosité demieux connaitre
savoir sonpatrimoine
acquérir denouvelles
connaissances
déveloper saculture générale
interagir avec lepassé
143
besoin élémentaire, les élèves aimeraient donner sens aux événements actuels (23 élèves sur
24), confronter les différents points de vue sur des questions abordées (9 élèves sur 24).
Comme nous l’avons déjà mentionné, le sens que l’élève donne à l’histoire à école va de pair
avec son intérêt à apprendre cette discipline. La Figure n°5 à la suite indique par ordre
d’importance ce que les élèves aimeraient retrouver dans leurs cours d’histoire.
Figure n°5: Ce qui fait l’intérêt d’un cours d’histoire
Comme on peut l’avoir lu à travers la Figure n°5 ci-dessus, les élèves aimeraient se
comprendre (24 élèves sur 24), donner sens aux évènements actuels (21 élèves sur 24),
connaitre l’histoire de leur pays. Ils ressentent le besoin d’affirmer leur identité à travers
l’étendue des connaissances que leur offre l’histoire. Aussi, attendent-ils d’un cours
d’histoire qu’il leur permette de se situer dans le temps, de savoir d’où ils viennent. Ce qu’un
répondant exprime en ces termes :
D’une part, je dirai que j’aime mes cours d’histoire parce qu’ils me
permettent d’avoir une culture générale sur l’histoire du monde. D’autre part,
je dirai que je n’aime pas les cours d’histoire parce qu’ils sont trop longs.
J’aime mes cours d’histoire parce qu’ils m’ont par exemple appris l’histoire de
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Comprendrequi suis-je
comprendrele monde
actuel
donner sensaux
événementsactuels
interpréterles élémentsdu présent
confronter lespoints de vue
enrichir saculture
étudierd'abord
l'histoire deson pays
144
mon pays, l’origine des peuples qui composent mon pays et aussi sur le pays qui
l’a colonisé. Ils m’ont également montré l’évolution de l’homme, le passage de
la société agricole à la société mécanisée. Bref, les cours d’histoire m’ont
permis de découvrir des choses qui ont été découvertes par les scientifiques.
Donc, j’aime mes cours d’histoire à cause de l’étendue des connaissances qu’ils
m’offrent (E5).
Outre l’affirmation de l’identité, l’histoire offre aux élèves un réservoir de connaissances qui
leur permet de développer et d’enrichir leur culture générale pour ainsi favoriser leur
intégration sociale. C’est au travers de l’apprentissage historique que l’on peut accéder au
fond commun de connaissances qui font partie intégrante de la culture d’une société. Un autre
besoin exprimé par les élèves est de donner sens aux évènements passés pour comprendre le
monde actuel.
S’il est admis que l’histoire revêt d’une grande importance dans la formation des élèves,
nombreuses difficultés cependant mettent à mal la volonté des élèves à apprendre cette
discipline à l’école.
4.1.3.2. Les élèves rencontrent des difficultés pour apprendre l’histoire
Nombre de difficultés font entrave à la volonté des élèves à apprendre l’histoire. Les
réponses obtenues font notamment mention de cours dictés (24 élèves sur 24), du bavardage
inutile (18 élèves sur 24), parler trop des autres (4 élèves sur 24). La Figure n°6 à la suite
regroupe par ordre d’importance les difficultés reliées à l’apprentissage de l’histoire.
145
Figure n°6: Les obstacles à l’apprentissage de l’histoire
L’un des problèmes déjà évoqués au chapitre 1 est la place insignifiante qu’occupe le Gabon
comme objet d’étude dans son programme d’enseignement du secondaire. Pour ces élèves
qui envisagent de jouer un rôle par des actions réfléchies dans leur vie future, une meilleure
connaissance de l’histoire de leur pays leur aurait permis de développer un sens critique face
aux questions de société. L’extrait qui suit est assez représentatif des propos obtenus à cet
effet :
Apprendre l’histoire au lycée ne signifie rien pour moi, car au lycée on nous
enseigne l’histoire des autres pays et non celle de notre pays. On ne peut pas
se dire Gabonais et nous ne connaissons pas notre histoire. Nous ne sommes
pas contre, mais il faut parler aussi de notre histoire (E5).
La quasi-absence des sujets portant sur le Gabon expliquerait en partie le fait que beaucoup
de cours traités en classe soient sans grand intérêt pour nos répondants :
Je ne les aime pas parce qu’il y en a certains qui sont selon moi d’une portée qui
ne servira pas dans notre avenir comme l’étude de Madagascar. En tant que
Gabonaise, je ne vois pas ce que cela pourra apporter à mon avenir (E5).
Cela étant dit, le problème le plus important évoqué reste avant tout en référence à la façon
dont les cours sont enseignés :
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les cours dictés les cours troplongs
les cours quifont dormir
les cours sansintérêt
le bavardageinutile
parler trop desautres
146
Ça dépend, il y a des profs quand ils expliquent bien les cours, on a le gout de
suivre du coup on aime. Mais si c’est un prof qui n’explique pas bien, il n’y a
pas vraiment l’envie d’aimer le cours (E20).
Comme on peut le comprendre à travers la Figure n°6 ci-dessus, les réponses obtenues font
parfois mention de « cours trop longs » (E6), de « cours dictés » (E10), ou encore de
« cours qui font dormir » (E5). Les cours d’histoire où l’interaction n’est pas favorisée ne
donnent pas l’occasion aux élèves d’approfondir leur compréhension de la question abordée.
Au lieu « d’un bavardage inutile » (E20), les élèves souhaitent plutôt « interagir avec le
passé » (E2), « confronter différents points de vue » (E18) et « comprendre le monde dans
lequel ils vivent » (E5).
En somme, pour nos participants déjà orientés en série scientifique, apprendre l’histoire n’a
pas un rapport direct avec un emploi futur, mais parce qu’ils souhaitent être de citoyens
modèles, la connaissance de l’histoire leur apparait plus que nécessaire. À la lecture des
réponses du questionnaire, nous prenons conscience que l’histoire constitue un réservoir de
connaissances pour enrichir son expérience humaine, un autre des besoins de l’histoire défini
par Stengers (2004). Comme nous l’avons déjà dit, l’intérêt porté à un cours d’histoire reste
surtout en rapport avec le cadre d’apprentissage dans lequel les élèves peuvent construire
eux-mêmes le sens des savoirs. L’élève établit-il un lien entre le fait d’apprendre l’histoire et
ses projets de vie ?
4.1.4. L’avenir ou les projets de l’élève
Mettre en relation le fait d’apprendre l’histoire et l’avenir ou les projets de vie de
l’élève cadre directement avec l’approche conceptuelle de cette étude. En effet, la façon dont
l’élève envisage son avenir ou ses projets de vie peut l’amener à s’investir davantage ou non
dans ses études. Aussi, la question suivante nous a-t-elle servi d’appui pour explorer le
rapport à l’avenir de l’élève : qu’est-ce qui va se passer après ton admission au baccalauréat,
comment tu vois ton avenir ? Vois-tu un quelconque lien entre tes projets de vie et le fait
147
d’apprendre l’histoire ? Prévois-tu agir ou intervenir activement dans les affaires de la société
gabonaise ? Peux-tu en donner des exemples ?
Le Tableau n°9 à la suite montre des réponses s’orientant dans deux directions : les
professions que comptent exercer les élèves et leurs domaines d’interventions futures. Près
de 70 % des élèves voient un lien entre le fait d’apprendre l’histoire et leur vie future tandis
qu’environ 30 % n’en ont vu aucun.
Tableau n°9: Le rapport à l’avenir
Emplois futurs Lien avec
l’histoire
Interventions futures
Médecin……………………………………50 %
Ingénieur…………………………………...37 %
Informaticien, pilote…………...…................5 %
Un avenir déjà tracé…………………………2 %
Faire ses études à l’étranger……...................2 %
Architecte, Enseignante…………………….2 %
Exercer une profession de choix……………2 %
Lien
(69,66 %)
Aucun
(30,34 %)
Offrir une vie de qualité………………50 %
Créer une entreprise…………………..10 %
Arranger les routes……………………10 %
Accès au logement décent…………….10 %
Lutter contre le favoritisme…………….5 %
Aider les jeunes
délinquants……………………………...5 %
Interviendra si possible…..……………..5 %
N’interviendra pas……………………...5 %
4.1.4.1. La vie future des élèves
À la lumière de ce tableau, les projets professionnels des élèves sont multiples et
variés. Certains projettent être architecte, enseignant, pilote, informaticien. Les plus grandes
proportions se concentrent dans la médecine (50 %) et l’ingénierie (37 %). La diversité
s’observe également au niveau des projets d’interventions futures. Les engagements diffèrent
d’un élève à l’autre et paraissent correspondre aux sensibilités de chacun. Dans l’ensemble,
les élèves prévoient de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie au Gabon en sauvant
des vies, en arrangeant des routes pour les uns, en luttant contre la corruption et le chômage
pour les autres. L’extrait qui suit justifie de tels engagements :
148
Je prévois agir ou intervenir activement dans les affaires de la société gabonaise
en faisant de la politique afin de pouvoir aider les populations qui ont besoin
d’aide. Et étant médecin, je compte aider les personnes qui auront besoin des
soins, mais qui n’y arriveront pas à cause de leur pauvreté (E1).
La réintégration sociale des jeunes délinquants (5%) et l’accès aux logements décents (10%)
semblent également au cœur des préoccupations de beaucoup d’entre eux :
Il y a un sujet qui me tient beaucoup à cœur c’est l’influence des jeunes surtout
des garçons qui trainent nuit et jour à la recherche d’un travail comme boy
chauffeur. Je me demande souvent s’ils ont des parents, pourquoi ils ne sont pas
à l’école (E15).
La plupart des carrières envisagées par nos participants sont surtout à vocation scientifique.
Mais le cas particulier d’une élève qui dit vouloir poursuivre son rêve d’étudier les langues
nous a sans doute édifiée sur le fait que certains peuvent avoir été orientés en série
scientifique sous la pression des parents ou de la direction de l’établissement. À la question
de savoir si leur vie future a un lien avec l’apprentissage de l’histoire, certains en trouvent
tandis que d’autres n’y voient aucun.
4.1.4.2. Les liens entre l’histoire et les projets de vie
Il est certain qu’apprendre l’histoire conserve toute son importance pour les élèves
de notre enquête bien qu’ils soient déjà engagés à poursuivre des études scientifiques. La
majorité, soit près de 70%, établit un lien entre le fait d’apprendre l’histoire à l’école et les
projets de vie qui sont les leurs. Ils voient en cette discipline un vaste réservoir d’informations
du monde passé dont la connaissance fera d’eux de meilleurs citoyens. Pour ces jeunes qui
se voient déjà jouer un rôle actif voire déterminant dans la société, il est important de se doter
des connaissances requises pour savoir comment le monde a évolué dans le temps et dans
l’espace. Les élèves qui comptent œuvrer dans la médecine puisent des exemples dans la
révolution industrielle pour vanter les mérites des inventions et des progrès médicaux à cette
époque. Généralement, le lien qu’ils font entre l’apprentissage de l’histoire et leurs projets
149
de vie est en référence aux œuvres des grands inventeurs du passé. Les propos de cet élève
résument bien cette pensée :
J’observe un grand lien entre mes projets de vie et l’apprentissage de
l’histoire. Après tout, ce sont des hommes de science qui nous ont permis de
viser plus loin que ce que nous avons. Pour moi, être ingénieur, c’est plus
qu’un métier, c’est une passion. Entendre parler de Einstein, Watt qui ont
révolutionné le monde de la science me pousse à m’accrocher à ce rêve (E3).
Selon nos répondants qui pensent être à même de changer les choses par leurs métiers ou
professions futurs, mieux connaitre le monde auquel ils appartiennent les aidera à bâtir un
avenir meilleur. L’histoire leur fournit nombre d’exemples d’hommes illustres ou d’actions
morales qui constituent autant de modèles à suivre :
En histoire, il y a beaucoup de personnes qui par leur métier ont pu changer le
monde. La médecine permit la création de médicaments lors de la révolution
industrielle. L’architecture permit la création et la construction de monument
historique comme les pyramides d’Égypte et BIBBEN, l’horloge géante de
Londres (E8).
Dans ce qui va suivre, d’une certaine manière, nous traitons de ce sens de l’engagement que
nous avons pu cerner chez ces futurs citoyens par rapport à la lutte contre la pauvreté.
4.1.5. L’engagement des futurs citoyens
Dans le but d’explorer le sens que les participants donnent à l’engagement et de
quelle manière ces derniers construisent leur conscience citoyenne face au phénomène de
pauvreté au Gabon, la question suivante leur a été posée : aimerais-tu que tes enfants vivent
dans la pauvreté, pourquoi ? Qu’est-ce que tu ferais pour changer la situation du Gabon sur
ce plan ? Selon les réponses obtenues, leur engagement s’intègre aux programmes de lutte
contre la pauvreté d’envergure internationale.
150
4.1.5.1. Du sens de la pauvreté au sens de l’engagement
Trois faits sont relevés des réponses obtenues : a) le rejet catégorique de l’idée de
pauvreté ; b) les significations associées au fait d’être pauvre ; c) la façon dont l’élève pense
le changement. La Figure n°7 ci-dessous est un récapitulatif des synonymes au phénomène
de pauvreté.
Figure n°7: Ce que être pauvre veut dire…
Compte tenu du libellé du premier volet de la question, un rejet unanime de la pauvreté ne
peut nullement surprendre. Il importait cependant de voir comment les élèves structurent leur
pensée à ce sujet. De façon générale, ils ont conscience des méfaits de ce fléau et du rôle
qu’ils ont à jouer pour changer cet état de choses au Gabon :
Bien sûr que non, aucun parent ne peut aimer voir ses enfants vivre dans la
pauvreté. Parce que vivre dans la pauvreté est un échec (E21).
Pour l’ensemble des répondants, vivre dans la pauvreté est synonyme d’échec. Il va sans dire
que nombre d’entre eux se définissent déjà comme de futurs acteurs de changement. La
question de la pauvreté ne les laisse pas du tout indifférents. La délinquance (22 élèves sur
24), les conflits (19 élèves sur 24), le manque d’éducation (9 élèves sur 24), le problème de
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nourriture (18 élèves sur 24), le phénomène des enfants de la rue (5 élèves sur 24), sont autant
de termes auxquels les élèves associent ce fléau. Au-delà de cet apparent consensus face au
problème de pauvreté, nous identifions des représentations et des logiques d’engagement
diverses et complexes.
4.1.5.2. Des logiques d’engagement diverses
D’après les réponses obtenues, les jeunes Gabonais de notre échantillon comptent
intervenir dans des domaines variés pour combattre la pauvreté dans leur pays. Comme
l’indique la Figure n°8 à la suite, ils optent avant tout pour la méritocratie (24 élèves sur 24).
Certains parlent de lutter contre la corruption (22 élèves sur 24), d’autres condamnent le
favoritisme (21 élèves sur 24). Ce qui revient à dire qu’en tant qu’élève, il convient de prendre
d’abord ses études au sérieux afin de devenir un adulte socialement et économiquement
responsable (23 élèves sur 24). Un citoyen engagé est de prime abord un adulte qui assume
les responsabilités qui sont les siennes.
Figure n°8: Les domaines d’intervention future
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D’aucuns envisagent de sensibiliser la population sur les méfaits des déchets et leur impact
sur la santé et l’environnement (5 élèves sur 24). D’autres se proposent de diminuer le coût
de la vie par la baisse des prix des produits de première nécessité. Plusieurs élèves n’ont pas
fait état de leurs actions personnelles, mais prônent une gestion équitable des richesses du
pays et en appellent à la responsabilité de l’État. Des données obtenues, il en ressort que les
élèves entretiennent des rapports différents, voire polarisés, avec le sujet. Pour certains, sortir
de la pauvreté n’est qu’une question de volonté : « n’est pauvre que celui qui veut être
pauvre » (E3). Pour d’autres, au contraire, la pauvreté semble être une fatalité dont on ne
peut se défaire.
En outre, il faut bien le dire, les élèves manifestent des sensibilités différentes à l’égard du
phénomène de pauvreté. L’élève qui n’a jamais connu la pauvreté pense d’abord construire
un avenir solide pour lui et ses enfants avant de poser des actions pour le développement du
pays. Quant à l’élève qui vit une situation de pauvreté, son objectif est avant tout « d’offrir à
ses enfants tout ce que leur père n’a jamais eu » (E9).
Cette section a tenté de cerner ce que les jeunes Gabonais de notre enquête pensent de leur
présent et de quelle manière ils envisagent leur avenir au sujet de la pauvreté. Aucun élève
ne projette vivre dans la pauvreté et encore moins la faire subir à ses enfants. Chacun a
conscience du rôle qu’il doit jouer pour prendre en main sa destinée et celle du Gabon. Dans
ce qui va suivre, nous examinons le lien que les élèves établissent entre la pauvreté et
l’histoire.
4.1.6. Le rapport à l’histoire
Dans le but d’explorer le lien que les élèves établissent entre le passé, le présent et
le futur au sujet de la pauvreté du Gabon, nous leur avons posé cette question : certains
pensent qu’il est avantageux de regarder dans son passé afin de comprendre son présent et de
mieux préparer son avenir. Es-tu d’accord avec cela, pourquoi ? Penses-tu qu’un regard sur
notre histoire peut nous aider à mieux cerner la question de la pauvreté au Gabon et en
153
l’occurrence envisager des jours meilleurs pour notre pays ? Trois idées ressortent
essentiellement des réponses obtenues : a) L’importance de connaitre son passé ; b) les
origines attribuées au phénomène de pauvreté ; c) les actions pour transformer la situation au
Gabon.
4.1.6.1. À propos du lien histoire/pauvreté
La question de la pauvreté mise en rapport avec le passé du Gabon diffère de celle
posée au premier thème29 en ce qu’elle oblige le répondant à aborder un raisonnement
historique pour cibler l’origine du problème. Pourquoi la connaissance du passé est-elle
importante pour le présent et le futur ? La Figure n°9 à la suite donne un récapitulatif des
liens que les élèves font entre le passé, le présent et le futur.
Figure n°9: Liens passé-présent-avenir
29La pauvreté est le premier thème abordé dans le questionnaire et dont l’objectif était d’explorer le sens que
les élèves donnent à cette problématique sociale qui fait partie intégrante de leur quotidien. Le libellé de la
question suggérait aux élèves d’évoquer les raisons qui expliqueraient la pauvreté du Gabon et de proposer les
solutions pour lutter contre ce fléau (Cf. section 4.1).
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Savoir qui noussommes
Savoir où l'onvient
Comprendreson présent
Préparer sonavenir
Déceler seserreurs
Saisir lesmentalités
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Dans l’ensemble, les élèves interrogés accordent beaucoup d’intérêt au rapport Passé-
Présent-Futur bien qu’ils restent quelque peu vagues dans leurs explications. Connaitre son
histoire permet de savoir qui l’on est (24 sur 24), d’où l’on vient (23 sur 24) afin de mieux
se préparer pour l’avenir (19 sur24) et agir en société en connaissance de cause. Encore une
fois, les élèves manifestent un sentiment d’appartenance, un besoin de retrouver des repères
pour affirmer leur identité :
Tout un chacun devrait se baser sur son histoire pour s’affirmer dans sa vie et
choisir le chemin qu’il veut. Sinon, on se perd (E3).
Ils ont fort conscience du caractère dynamique des sociétés, disons de l’humanité en général
et de la nécessité d’approfondir la compréhension du son présent par un retour au passé.
D’une part, ils expriment un devoir de mémoire en ce que les objectifs que l’on se fixe pour
l’avenir doivent être éclairés par les erreurs du passé : « quand on sait d’où vient le problème,
on sait ce qu’il faut corriger » (E22). Ainsi, l’on peut tirer des leçons, transmettre des idées
et même de réhabiliter certaines expériences. D’autre part, les répondants ont soutenu l’idée
d’un rapport plus réflexif au passé, idée qui, en plus de prendre en compte la simple volonté
de se souvenir des évènements passés, amène à observer un jugement critique par rapport à
ces faits. C’est la raison pour laquelle ces derniers expriment le besoin d’interagir avec le
passé, de complexifier leurs points de vue et de comprendre le présent (19 élèves sur 34). À
quelles origines les élèves de notre échantillon attribuent-ils la pauvreté du Gabon ?
4.1.6.2. La pauvreté du Gabon et ses origines
Selon nos répondants, la pauvreté du Gabon à diverses origines dont les principales
sont d’une part, les pratiques coloniales qui n’ont pas été à l’avantage du développement du
Gabon (11 élèves sur 24), et de l’autre, nos dirigeants qui n’ont rien fait pour arranger la
situation (17 sur 24). L’extrait qui suit illustre bien cela :
Oui, si on regardait l’histoire du pays on se rendrait compte qu’après la
colonisation et même pendant, les Européens nous ont pillé et ont assuré leurs
155
arrières avec la signature abusée de nombreux traités avec les chefs traditionnels
pour pouvoir toujours avoir la main large et la totale emprise sur nos ressources
naturelles. Nos dirigeants après les indépendances ont également eu du mal
avec la gestion des richesses et l’ont inégalement répartie. Cette inégalité se
poursuit de nos jours (E16).
Certes, il est admis que l’histoire ne se répète pas à l’identique du fait des contextes et des
conditions qui sont différents. Tout de même, il est significatif que les élèves aient pu tracer
des parallèles entre le fait colonial et les effets d’héritage colonial. La Figure n°10 à la suite
donne un récapitulatif des diverses origines attribuées à la pauvreté.
Figure n°10: Les origines de la pauvreté
D’après nos données et comme on peut le lire à travers la Figure n°10 ci-dessus, la paresse
des Gabonais (7 sur 24) serait également à l’origine de l’état de pauvreté du pays. À bien
comprendre les participants à notre enquête, les citoyens gabonais font preuve de mauvaise
volonté en se contentant d’attendre des solutions toutes faites du gouvernement. La Figure
n°11 à la suite montre des actions transformatrices qui pourraient changer l’état de pauvreté
du Gabon. D’aucuns souhaitent un changement de mentalités (7 élèves sur 24), lequel
pourrait être un moteur dans la mise en place des transformations futures. Les citoyens
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Les abus des dirigeants Les pratiques coloniales La paresse des gabonais les mentalités descitoyens
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gabonais dans l’ensemble sont donc invités à une remise en question de leurs mentalités afin
d’agir et de sortir le Gabon de la pauvreté.
157
Figure n°11: Les actions pour transformer la situation
Comme cela a déjà été proposé dans les sections précédentes, les élèves recommandent au
gouvernement de bien gérer les richesses de l’Etat (24 élèves sur 24). Pour certains, une prise
de conscience permettra de palier au phénomène (22 élèves sur 24). Pour d’autres, la lutte
contre ce fléau demande l’engagement de tous (19 élèves sur 24).
À la question de savoir si un regard sur notre histoire peut nous aider à mieux comprendre la
question de la pauvreté au Gabon, une réponse atypique a retenu notre attention : « non, parce
que la question de la pauvreté au Gabon ne s’étudie pas au niveau historique » (E9).
Cette réponse loin de nous surprendre, nous a plutôt interpelée en tant qu’enseignante – tout
comme l’ensemble du système éducatif pourrions-nous dire –, quant à la nécessité d’habituer
les élèves à penser historiquement les phénomènes de société. De fait, elle rejoint une
préoccupation déjà relavée au thème 1 où les réponses étaient principalement ancrées dans
le présent.
Après cette description des données du questionnaire, quelle analyse et quelle interprétation
donnons-nous aux propos des élèves de notre enquête ? Cette question nous ramène en bonne
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Bien gérer les richesses Prise de conscience L'engagement de tous Changer les mentalités
158
partie à la notion de sens dans ses multidimensionnalités. C’est de ces multiples dimensions
du sens, celles données à nos résultats, que nous traitons dans ce qui va suivre.
4.2. Analyse et interprétation des données
Dans cette deuxième partie du chapitre, nous interrogeons le sens des propos
d’élèves et touchons directement à l’aspect central de la recherche. Les résultats présentés
dans la première partie donnent un aperçu des propos obtenus des thèmes traités : pauvreté,
apprendre, apprendre l’histoire, l’avenir ou les projets de vie des élèves, l’engagement du
citoyen, le rapport à l’histoire. Rappelons également que les différents thèmes abordés sont
tous liés, de quelque manière, au savoir et à l’apprendre. Cerner donc la question du sens,
comme nous l’avons déjà souligné, implique de considérer les données du questionnaire dans
une dynamique d’ensemble et non de les disséquer en morceaux isolés sans relation les uns
avec les autres. L’objectif dans cette deuxième partie du chapitre était de rendre explicite le
sens que les élèves donnent à leur situation sociale et scolaire. Comment l’apprenant donne-
t-il sens aux savoirs et à l’école ?
Comme nous l’avons vu, les savoirs peuvent prendre des sens multiples. Pour ne reprendre
que quelques exemples recensés par Ubaldi (2009) ayant servi d’appui à notre analyse, le
sens peut être intimement inscrit dans l’histoire du sujet tout comme il peut se construire à
travers le système d’attente et le jeu des attitudes du milieu familial envers l’école. Que le
sens renvoie à un processus de valorisation de soi ou qu’il s’inscrive dans le sentiment de
compétence que l’on peut tirer de son action, la quête du sens de nos résultats s’est avérée
difficilement acquise à l’avance. De fait, nous ne pouvions aborder la question du sens
uniformément. Sur la base des questions du type qu’est-ce que cela signifie pour toi,
lesquelles inscrivent les réponses dans l’histoire du sujet et en référence aux travaux
d’Ubaldi, nous nous sommes efforcée de dégager un cadre de traitement que nous voulions
opérationnel pour les fins de recherche. Nous avons également pris appui sur ces propos de
Develay (1999) selon lequel, le sens est ce qui est caché derrière ce qui est apparent, ce qui
est invisible derrière ce qui est visible, ce qui est enfoui derrière émerge. L’auteur soutenait
159
sa thèse affirmant qu’un propos a une signification du fait qu’une situation ait du sens ou non
pour celui qui la vit.
Selon l’interprétation que nous faisons des données issues de ce premier scénario d’enquête,
le sens des propos reste en général lié au contexte sociopolitique du Gabon. Les questions du
type qu’est-ce que cela signifie pour toi, comme nous l’avons indiqué au chapitre 3 et comme
nous venons de le mentionner, inscrivent d’emblée les réponses dans l’histoire du sujet. Ce
qui permet d’avoir un éclairage sur l’idée que l’élève se fait de sa présence au monde. Dans
les données obtenues, nous avons relevé des significations recouvrant diverses réalités en
lien avec l’environnement sociopolitique dans lequel les répondants évoluent.
C’est autour de trois articulations que l’analyse des données du questionnaire s’est
structurée : sur la base des types de rapport identifiés entre les élèves et leur contexte de vie,
l’on pouvait mieux cerner comment ces derniers construisent leur conscience citoyenne face
à la pauvreté (articulation 1). Sur cette base également, nous avons pu cerner la façon dont
se manifestent leur construction identitaire (articulation 2) et leurs rapports aux savoirs
historiques (articulation 3). À la fin de chacune de ces composantes, nous dresserons un court
bilan d’étape.
4.2.1. La conscience des élèves face à la question de la pauvreté
Chercher à comprendre de quelle manière les élèves gabonais construisent leur
conscience face au phénomène de pauvreté implique de saisir comment ces derniers donnent
sens à cette problématique sociale et au type de rapports qu’ils établissent avec leur
environnement sociopolitique. Il importe donc de remonter à la situation sociale, économique
et politique du pays pour mieux cerner le regard que les élèves de notre échantillon portent à
la question sociale dans leur pays. Lors de nos entrevues qui ont suivi l’étape du questionnaire
et qui leur offraient l’occasion d’expliciter leur point de vue, les participants ont dénoncé, et
avec vigueur, l’attitude des Institutions Internationales qui ne tiennent compte que des
compilations économiques globales pour placer le Gabon parmi les pays à revenu
160
intermédiaire. Presque tous sont revenus sur le potentiel économique du pays en comparaison
à sa population30 peu nombreuse. Un des participants qui avait en sa possession le rapport de
la Banque Mondiale laissant entrevoir un PIB de 12 746 USD par habitant et classant le
Gabon au 2è rang parmi les pays d’Afrique noire, s’en est servi pour justifier son propos.
Au dire de nos répondants, l’image gratifiante dont le Gabon bénéficie au plan international
est loin de refléter la réalité du quotidien gabonais. Si l’on s’en tient aux différents discours,
les indicateurs sociaux demeureraient en décalage avec le potentiel économique du pays :
une bonne partie de la population gabonaise vivrait en dessous du seuil de pauvreté
(Ministère de la Planification et de la Programmation du Développement du Gabon, 2005).
Une condition sociale qui se caractériserait par une forte précarité. Dans le contexte du
Gabon, le phénomène de pauvreté serait alors un paradoxe (Ministère de l’Economie du
Gabon, 2014).. Dans ce cas précis, quelle interprétation peut-on faire de la réaction des élèves
face à cette situation ?
4.2.1.1. Le rapport des élèves à leur environnement politique
Comme nous l’avons déjà mentionné, les élèves de notre échantillon de recherche
portent un grand intérêt à la question de la pauvreté du Gabon. Leurs propos s’accordent sur
le fait que la population ne ressente pas au quotidien les fruits du développement économique
du pays. Nous ne pouvons passer en revue tous les aspects évoqués dans les différents
discours. Mais la description qu’ils en font laisse entrevoir une insuffisance certaine des
infrastructures sociales (hôpitaux, logement…) en dépit des moyens et des programmes mis
en place pour les rendre accessibles. Les propos ci-dessous sont représentatifs de cette
tendance :
L’État ne fait pas assez d’efforts, en tout cas ça ne suffit pas. Les gens ont
toujours du mal à se soigner, ils ont des problèmes pour se loger, pour s’habiller
même pour se nourrir. Y a certains quartiers ici où les gens passent des jours et
30 Moins de deux millions d’habitants.
161
des jours sans l’eau. Les gens sont obligés d’utiliser l’eau des rivières alors
qu’elle est sale. Et après c’est quoi, c’est les maladies encore (E5).
Nos répondants sont loin d’accorder une grande confiance aux dirigeants politiques actuels
de leurs pays qu’ils accusent d’accaparer les richesses du pays et de laisser le peuple sombrer
dans la misère. C’est un fait bien connu des autorités politiques, notamment celui d’utiliser
les institutions gouvernementales pour servir leurs propres intérêts et non les intérêts du
peuple (Assoume Mendene, 2012). Pour une bonne majorité de participants, la vie sociale au
Gabon telle que décrite n’est que la conséquence de la mauvaise gestion des richesses du
pays par les autorités dirigeantes. L’accès limité aux minimums sociaux et aux infrastructures
de base, à savoir la santé, l’éducation et les services sociaux essentiels demeure une des
préoccupations majeures.
De fait, le portrait que les élèves font des conditions de vie au Gabon va à l’encontre des
rapports émis par les Institutions Internationales qui classent le Gabon au 2e rang parmi les
pays d’Afrique noire, en ne tenant compte que de l’IDH. Selon nos répondants, le pays
présente en fait un panorama social peu agréable : inégalités persistantes, écarts significatifs
entre les niveaux de vie. Les élèves font mention des problèmes liés au chômage, à la
précarité du logement, à l’absence d’infrastructures sanitaires, scolaires et routières. À leurs
yeux, le rapport des Nations Unies ne colle nullement à la réalité gabonaise. Si les élèves
reconnaissent que le pays est riche en matières premières, ils ont toutefois souligné que les
indicateurs sociaux ne sont pas en cohésion avec les indicateurs économiques et financiers.
D’où la honte et la déception qu’éprouvent 20 % des répondants. À coup sûr, les élèves de
notre échantillon rejettent l’image d’un riche eldorado attribuée au Gabon au plan
international. C’est en de tels propos qu’un participant l’a exprimé :
Être citoyen dans un pays à la fois riche et pauvre pour moi c’est une très grande
déception et une honte à la fois parce que mon pays est sur une mauvaise
gouvernance et parce que la population de mon pays souffre dans la pauvreté
alors que le pays où vivent les gens est bourré de richesses économique et
agricole qu’il ne bénéficie pas (E11).
162
Face au contraste de vivre dans un pays qui soit à la fois riche et pauvre, d’aucuns se résignent
à croire que la pauvreté est une fatalité à laquelle il faut s’adapter. Les 16 % d’élèves ayant
porté leur attention dans ce sens l’ont exprimé ainsi :
Pour moi être un citoyen d’un pays à la fois riche et pauvre c’est pouvoir
s’adapter aux conditions de vie de notre pays, c’est-à-dire s’adapter à la
pauvreté du Gabon comme aux moyens de transport, aux problèmes de route, et
aussi s’adapter à la richesse du Gabon tel que dans les domaines pétroliers,
miniers... (E1).
La question est de savoir comment faire comprendre à un jeune Gabonais qui vit dans la
pauvreté qu’il est potentiellement riche surtout lorsque certains se résignent à penser qu’il
faille accepter la situation telle quelle. Il semble normal de s’adapter à la richesse du Gabon
des domaines pétrolier, minier... De quelle manière les convaincre du contraire lorsque ces
jeunes côtoient au quotidien une minorité qui vit dans l’opulence et qui parfois n’a pas fourni
plus d’efforts physique ou intellectuel pour entrer en possession d’autant de richesses ? Pour
cette catégorie d’élèves, tout est question de destin : les pauvres doivent s’adapter à la
pauvreté et les riches à la richesse. Il ne saurait en être autrement. Des propos de cette
catégorie d’élèves, nous avons compris que la pauvreté du Gabon peut parfois prendre le sens
d’un déterminisme auquel on peut difficilement échapper surtout si l’éducation reçue à
l’école n’a pas eu d’effets escomptés.
À ce propos, le seul des participants qui soutient qu’un problème d’éducation expliquerait la
permanence de la pauvreté au Gabon n’est pas allé au bout de sa pensée. De l’analyse que
nous faisons de sa réponse, le propos suggère que l’éducation31 tente d’outiller la population
à prendre conscience du malaise causé par le fléau de pauvreté. Par ailleurs, l’éducation
devrait amener les dirigeants à cerner les principes fondamentaux d’une société
démocratique. Grâce à l’éducation, avons-nous compris, le peuple arrivera à changer les
mentalités jugées rétrogrades et parviendra à prendre conscience de son rôle et être à même
de revendiquer ce qui lui revient de droit. Pour les élèves qui l’ont exprimé, le changement
31Nous faisons bien allusion à l’éducation porteuse de libération comme nous l’avons vu avec Freire.
163
de mentalités engendrerait une conscience citoyenne forte. Cette solution est envisageable
pour un Gabon avec moins de pauvreté. Les attentes des élèves sont nombreuses et les
responsabilités partagées.
4.2.1.2. Un sens relié aux attentes des élèves
Les réponses obtenues ont fait ressortir un nombre important d’urgences sociales
concernant aussi bien l’éducation, la protection sociale, l’égalité face à la maladie, l’accès à
l’eau potable et au logement décent ainsi que les opportunités de travail. À la question de
savoir comment sortir le Gabon de la pauvreté, les élèves ont proposé une diversité de
solutions. Ils refusent surtout l’image d’un Gabon réputé riche. Dans l’ensemble, leurs
propositions vont dans le sens de réduire les inégalités et de promouvoir la solidarité dont le
fondement est le vivre ensemble. La responsabilité d’assurer une justice sociale au Gabon
revient en priorité à l’État. En ce sens, ils prônent la bonne gouvernance, dénoncent le
détournement, la corruption et le favoritisme. L’extrait qui suit illustre bien cette position :
En tout cas, tous ces ministres-là, ils ont appris, ils savent que la démocratie c’est
pas ça […]. Ils font le désordre, ils utilisent l’argent du pays pour faire leurs
choses [...]. À l’Immaculée encore ça va, mais ailleurs, dans les autres lycées, ils
sont 100 parfois dans la classe. [...]. On dit de faire des efforts, mais les jeunes
diplômés n’ont pas de travail. Dire qu’on va créer les universités, il faut aussi
voir les besoins. Nous, ça ne nous met pas en confiance. On fait des efforts,
mais on ne sait même pas si on aura le travail. (E6).
Les participants ont exprimé des inquiétudes face à l’avenir. Ils se sont montrés très sensibles
à la question du chômage qui, d’après la Banque Africaine de Développement (BAD),
touchait plus de 27 % de la population active en 2012. Les élèves souhaitent que l’État
finance en priorité les filières de formation qui correspondent aux besoins du marché de
l’emploi. Les discours expriment l’impératif de moderniser les infrastructures de formation,
de construire de nouveaux établissements scolaires afin de réduire les effectifs dans les
classes. Comme le soutient cet élève, le projet de création des universités dans chacune des
provinces du Gabon devrait être repensé en fonction des besoins du pays et en rapport aux
réalités du milieu du travail local.
164
Concernant la santé, nombre de répondants se réfèrent en priorité à la pandémie du SIDA qui
touche encore 7 % de la population. Selon eux, des mesures de prévention et de traitement
devraient être mises en œuvre de manière à inverser la tendance actuelle. Au-delà des MST
en général, leur intérêt porte surtout sur l’ensemble du système de santé qui se caractérise par
de faibles indicateurs de performance. Selon nos répondants, il serait nécessaire de se
concentrer sur l’amélioration et l’accès aux soins de santé. Et pour ce faire, il importe de
cibler en priorité les couches vulnérables : handicapés, enfants défavorisés, personnes âgées,
chômeurs. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement constitue un droit fondamental pour
tout citoyen. Quant à l’habitat, les élèves sont convaincus que le gouvernement dispose des
moyens pouvant permettre à tout citoyen d’avoir un logement décent.
En somme, les propos relevés reflètent un rapport intime avec l’environnement dans lequel
les jeunes Gabonais de notre échantillon de recherche évoluent. Nous le mentionnons
précédemment, le parallèle entre la faible population et le potentiel économique ne suffit pas
à classer le Gabon parmi les pays à revenu intermédiaire. Pourquoi les Gabonais restent-ils
pauvres alors que le Gabon est riche ?
D’après les données issues du questionnaire, les élèves portent un regard accusateur envers
autrui, soit envers les autorités politiques, soit envers la population. Nous n’avons
vraisemblablement pas noté une autre alternative pouvant justifier la pauvreté du pays.
Comme nous le verrons au chapitre prochain, un regard sur le passé leur permettra de raffiner
leur compréhension du sujet. En effet, une analyse des réalités historiques les aurait amenés
à mettre un accent particulier sur les effets d’héritage colonial, lesquels seraient susceptibles
de maintenir le Gabon en état de pauvreté. En dépit des raisons évoquées plus haut, les élèves
auraient pris conscience entre autres, des rapports de force entre dominant/dominé, de la
détérioration des termes d’échange 32 , aspects sur lesquels nous revenons au prochain
chapitre.
32 Les élèves font référence au cours d’échanges internationaux dont ils ne semblent pas maitriser les
mécanismes de fonctionnement.
165
Pour revenir à la condition sociale au Gabon qui a déjà été décrite, nos répondants la résument
en un échec. Échec pour les autorités politiques qui s’imposent au pouvoir pour servir leurs
propres intérêts. Apparemment, les dirigeants politiques du Gabon semblent avoir peu
conscience des principes fondamentaux d’un État démocratique où le pouvoir appartient au
peuple. Échec également pour le peuple non seulement en raison de sa paresse, mais aussi
parce qu’il se montre incapable de se construire une conscience critique face aux maux qui
minent la société gabonaise en faisant valoir ses droits dans les décisions politiques. En
d’autres termes, vivre dans la pauvreté est un échec que les élèves veulent éviter à tout prix
pour eux-mêmes et leurs futures familles. L’école constitue à cet effet le canal par lequel il
leur est possible d’atteindre l’objectif de construire une identité tant au niveau personnel que
sur le plan social.
Le portrait décrit par nos répondants constitue autant de mobiles pour se donner une direction
à suivre. Dans une certaine mesure, ce décor amène aussi à repenser le modèle d’éducation
qui a façonné les modes d’être et de gestion au Gabon. Au prochain chapitre, nous tenterons
de donner suite à la question de savoir si l’éducation en vigueur dans ce pays a souvent été
pratiquée selon un modèle qui libère la pensée et forme à la conscience critique. Une analyse
des fondements des rapports humains et de l’éducation sur la base de la réflexion de Freire
pourrait davantage nous édifier à ce sujet. Comment les participants de notre échantillon de
recherche construisent-ils leur identité sociale ou individuelle ?
4.2.2. L’identité des élèves face au phénomène de pauvreté
La construction identitaire sera comprise ici dans son acceptation la plus générale et
la plus commune, c’est-à-dire un processus au cours duquel la personne se définit et se
reconnait par sa façon de réfléchir et d’agir dans le contexte social environnemental où elle
évolue. Comme nous l’avons souligné à maintes reprises, les thèmes abordés ainsi que les
questions posées donnaient l’occasion aux élèves de réfléchir sur leur présence au monde.
Les objectifs poursuivis mettaient au cœur de ce processus la construction de leur identité
tant sociale qu’individuelle. Une fois encore, tout est question de sens, et ce, en fonction de
166
l’environnement où interagissent les situations sociales et les élèves. Dans ce qui va suivre
et toujours en référence aux travaux d’Ubaldi (2009), nous verrons que le sens des propos
recueillis est, soit inscrit dans la clarté des buts, soit lié à ce qui est utile ou à la dimension
subjective, ou encore, au processus de valorisation de soi.
4.2.2.1. La clarté des buts donne du sens à l’école
Dans la présentation des données, nous avons souligné le fait que les élèves de notre
échantillon aient une idée précise de leur présence à l’école, lieu d’appropriation des savoirs
qui vise leur intégration sociale. Aussi, assumer et réussir son métier d’élève s’avère-t-il utile
en ce qu’il constitue l’étape fondamentale pour tout autre métier à venir. 50% des répondants
envisagent d’ores et déjà exercer le métier de médecin, 37% celui d’ingénieur, d’autres
souhaitent faire carrière dans l’enseignement. Le sens ici s’est avéré lié à la clarté des buts
poursuivis. Quelles qu’en soient les carrières envisagées, la clarté des buts provoque l’intérêt
de s’investir à l’école. En plus d’avoir une belle carrière, nos répondants s’identifient à des
citoyens modèles dont le pays a besoin pour se développer. Aller à l’école et y apprendre des
savoirs constitue une direction à suivre pour l’atteinte des objectifs assignés. Il s’agit d’une
certaine vision dans laquelle le projet de vie donne sens aux savoirs et à l’école.
Par ailleurs, la perception d’un avenir probable reste étroitement liée au sens des
responsabilités futures. Ce sens des responsabilités, l’élève le manifeste d’abord en écartant
sa future famille des affres de la pauvreté, puis, en s’engageant à intervenir dans les affaires
de l’État. Les discours révèlent ce que soutient Osborne (2005) à savoir qu’un bon citoyen
possède des principes moraux, la volonté et la capacité de jouer un rôle actif en étant engagé
dans les affaires publiques. Si on se réfère aux réponses obtenues sur l’engagement citoyen,
les élèves souhaitent intervenir dans des domaines variés : l’accès aux soins médicaux et au
logement ; la réintégration sociale des jeunes de la rue ; la protection de l’environnement,
etc. L’importance accordée à ces objectifs s’avère être une composante essentielle pour
susciter l’intérêt d’aller à l’école et d’y apprendre les savoirs nécessaires à son avenir. C’est
de cette utilité dont il est question dans ce qui va suivre.
167
4.2.2.2. Ce qui est utile a du sens
Comme cela a été relevé dans d’autres études notamment celles du programme
ESCOL et la recherche doctorale menée par Demba (2010), la perception d’un intérêt
quelconque par l’élève est génératrice de sens. Tout apprentissage porteur d’intérêt est utile
et crée du sens. Les participants l’ont manifestement mieux exprimé au thème 3 traitant
d’apprendre l’histoire à l’école, la discipline scolaire à l’honneur dans cette étude. Nous y
reviendrons abondamment au point 4.3. Pour l’instant, notons que ce qu’apprendre l’histoire
à l’école signifie pour ces jeunes Gabonais, est également ce qu’ils aimeraient retrouver en
classe d’histoire. Les élèves apprennent l’histoire pour acquérir de nouvelles connaissances,
développer la culture générale, interagir avec le passé, connaitre leur patrimoine culturel...
Pour les élèves interrogés, un cours d’histoire sera utile à la seule condition qu’il leur
permette de donner sens aux évènements actuels, d’enrichir leur culture, de confronter les
points de vue sur un sujet donné.
Dans cette veine, les savoirs historiques spécifiques au Gabon portent en eux des vertus
attractives parce qu’ils font partie intégrante de la culture patrimoniale à travers laquelle ces
jeunes Gabonais comprennent qui ils sont. Ici, deux faits se retrouvent à la croisée des
chemins dans un cours d’histoire : ce qui est utile à savoir et la façon dont le cours répond à
leurs interrogations. Cela signifie que pour apprendre, il faut certes percevoir ce qui est utile,
mais apprendre peut aussi susciter de l’intérêt, et en l’occurrence, donner du sens grâce aux
nouvelles compréhensions et aux nouvelles significations que l’on peut construire lors d’un
processus d’apprentissage. Le sens passe alors par une activité réfléchie de l’élève. Nous en
retiendrons qu’il est important de faire en sorte que l’élève se développe à travers des
représentations complexifiées. Cette relation à construire semble primordiale dans la
construction du sens. D’où la question du rapport au savoir et la définition qu’en donne
Charlot (1997), c’est-à-dire un ensemble de relations de sens entre un individu et les
processus ou les produits de savoir. Si d’une façon générale l’intérêt donne sens aux savoirs
et à l’école, ce qui fait sens reste avant tout de l’ordre du subjectif.
168
4.2.2.3. Le sens vient de l’expérience subjective
Comme le soutient Demba (2010), la dimension subjective est une part de
l’expérience quotidienne des élèves qui ne se laisse pas appréhender seulement par les
rationalités didactiques. Selon les écrits examinés sur le rapport au savoir, l’élève trouve du
sens à l’école à la condition que les situations d’apprentissage éclairent le rapport qu’il peut
vivre à lui-même, aux autres et au monde. Les deux extraits à la suite illustrent ce sens au-
delà du visible. Le premier témoigne d’un type de rapport subjectif à l’école différent du
second :
Selon moi, apprendre au lycée revient à montrer ou à démontrer à toute personne
que telle ou telle personne est apte à prendre en charge, plus tard, le
développement de son pays (E5).
Le rapport à l’école de cet élève diffère de celui pour qui :
Apprendre, c’est travailler continuellement en m’organisant, c’est étudier mes
cours, mes leçons afin d’avoir de bonnes notes et pouvoir construire mon avenir
(E24).
Dans le premier cas, l’élève (E5) pense avoir une part de responsabilité dans le
développement de son pays. Le sens qu’il donne à l’apprendre va au-delà de l’appropriation
des savoirs scolaires. Le rapport à l’école dans ce premier cas diffère de la seule condition
d’un rapport à un emploi futur pour apprendre, une logique dans laquelle s’inscrit le propos
du second élève (E24). Selon Ubaldi (2009), c’est sur ce versant opaque de chacun des élèves
que la perspective du rapport au savoir porte son regard. Aussi l’auteur se demande-t-il, si
l’école doit laisser cette dimension subjective de chaque apprenant déterminer ses choix ou
encore les justifier. Pour notre part, il importe de ramener la question du sens de la dimension
sociologique à la dimension didactique et de proposer des modèles d’apprentissage qui
s’apparenteront à des processus de valorisation de soi. C’est du moins, ce que nous
comprenons des élèves de la Première S2, la classe dans laquelle nous avons mené notre
enquête.
169
4.2.2.4. La valorisation de soi donne du sens
La confiance en soi semble être une composante indispensable de la réussite
scolaire. Comme cela a déjà été souligné, l’IIC où nous avons mené notre enquête, est l’un
des établissements secondaires les plus convoités au Gabon. Si étudier dans ce cadre
prestigieux est déjà gratifiant, être dans une série scientifique33 l’est davantage. La conviction
de réussir sa vie future est très présente chez les élèves interrogés. Ces derniers donnent
parfois l’impression d’être des ayant -droits à la réussite. Bien que certains élèves considèrent
la pauvreté comme une fatalité ou que d’autres ressentent le chômage des jeunes diplômés
comme un malaise, nous n’avons noté aucune forme de pessimisme quant à leur engagement
pour l’avenir. Ces élèves accordent de la valeur à l’école parce qu’ils croient en leur chance
de réussir. C’est cette croyance en la réussite qui suscite leur investissement personnel.
Nos répondants estiment faire partie de l’élite dirigeante de demain. Ce groupe
d’appartenance semble constituer un cadre de référence avec lequel ils pensent, agissent et
communiquent. Les rapports au savoir et à l’école identifiés dans leurs propos paraissent se
construire à travers ce système d’attente entre l’institution scolaire et le milieu familial.
Sachant que la question du sens ne peut se penser en dehors des objets de savoir, nous
pourrions conclure que l’espérance d’une réussite certaine préside à leur action. Là encore,
il faut que les savoirs — et en particulier les savoirs historiques — attisent la curiosité des
élèves. C’est de cette particularité des savoirs historiques dont nous traitons dans ce qui va
suivre.
4.2.3. Des rapports divers au savoir historique
33Il faut dire que déjà leur programme d’études est assez particulier. Il comprend d’abord des enseignements de
culture générale : français, histoire-géographie, éducation physique et sportive, langues vivantes, etc. À ces
enseignements de culture générale s’ajoutent des enseignements spécifiques parmi lesquels les mathématiques ;
la physique-chimie ; les SVT, les sciences de l’ingénieur, etc. S’il est possible de partir de la série scientifique
pour faire des études littéraires après le baccalauréat, l’inverse est impossible. Par ailleurs, les études
scientifiques offrent un large éventail en possibilités d’emploi.
170
Pour des besoins de clarté et pour éviter la redondance dans nos propos, nous
n’allons plus nous attarder sur le sens que les élèves donnent au fait d’apprendre l’histoire à
l’école. En complément de l’analyse faite à ce sujet (au point 4.2.2.2), nous procèderons ici
à une caractérisation des rapports aux savoirs historiques des élèves ayant participé à
l’enquête.
4.2.3.1. La caractérisation des élèves idéaltypes face à l’histoire
Pour caractériser les différents profils chez les élèves, nous avons pris appui sur les
travaux effectués par d’Albe & al. (2002) sur le rapport au savoir en sciences. Comme nous
l’avons vu à la section 2.1.1.4, les auteurs distinguent des rapports différents aux savoirs
scientifiques entre les élèves qui ont un projet professionnel nécessitant de réussir dans les
matières scientifiques, des autres n’ayant pas d’objectifs à long terme avec ces disciplines.
Ainsi l’on notera une mobilisation graduelle chez les élèves en train d’apprendre les sciences.
Comme cela a été le cas pour le groupe ESCOL, les didacticiens des sciences en concluaient
que le savoir n’avait pas de sens en lui-même. C’est le rapport que l’élève établit avec ce
savoir qui lui en donne un et conditionne sa mobilisation dans les apprentissages. Pour revenir
à l’histoire, quatre élèves idéaltypes ont été identifiés par le sens et la valeur qu’ils donnent
aux savoirs historiques :
1. Le premier élève idéaltype donne une grande importance aux savoirs historiques. La
volonté de comprendre le monde dans ses multiples facettes suscite en lui l’envie
d’interagir avec le passé, y compris à l’extérieur de la classe. Il est fortement mobilisé
à apprendre l’histoire.
2. Le second élève idéaltype donne aux savoirs historiques une importance bien moindre
que le précédent. La recherche de compréhension y est présente en raison de son
projet de vie. En conséquence, on peut noter une mobilisation significative à
apprendre l’histoire.
3. Pour le troisième élève idéaltype, les savoirs historiques ont une importance
intermittente selon que le cours porte sur le Gabon ou qu’il s’agisse d’améliorer ses
résultats scolaires. L’élève se mobilise faiblement en histoire et de manière
épisodique.
171
4. Le quatrième élève idéaltype ne donne de l’importance ni aux savoirs historiques ni
à la discipline. Il peut néanmoins se mobiliser sur l’histoire si l’apprentissage porte
sur un thème d’intérêt comme la pauvreté.
Comme on peut le comprendre, les élèves entretiennent des rapports différents avec les
savoirs historiques. Si notre échantillon de recherche est représentatif, cette caractérisation
des élèves idéaltypes face à l’histoire montre la prédominance des mobiles utilitaires dans la
décision d’apprendre cette discipline. Sachant que la question de l’intérêt est une source de
mobilisation pour l’apprentissage et la construction du rapport au savoir, attardons-nous
quelque peu sur le profil d’élève de type2 qui donne de l’importance aux savoirs historiques
en raison de l’utilité stratégique pour sa vie de futur citoyen.
4.2.3.2. L’élève idéaltype 2 et sa spécification
L’élève a déjà un projet de vie et l’idée qu’il a de son identité sociale future semble
aussi bien définie. L’objectif d’agir dans la société comme un citoyen modèle constitue un
mobile pour apprendre l’histoire. La connaissance de l’histoire lui est indispensable pour
développer son esprit critique grâce auquel il pourra poser des actions plus réfléchies :
« imaginez un médecin qui ne connait même pas l’histoire de son pays » (E10). Les élèves
de cette catégorie manifestent souvent des interrogations liées au contenu des cours dont ils
obtiennent des réponses qui les satisfont ou non. Selon Albe & al. (2002), ils apprécient
notamment certaines activités proposées en classes et particulièrement les travaux pratiques
et dirigés. Les cours jugés intéressants prennent en compte les faits d’actualité et les exposés
donnent l’occasion d’entrer en contact avec le passé.
Rappelons qu’à partir des réponses issues du questionnaire, nous avons identifié de façon
exploratoire une diversité des rapports établis entre les élèves et les savoirs historiques. Pour
une compréhension plus approfondie des élèves idéaltypes face à l’histoire, nous reprenons
cette caractérisation au prochain chapitre dans la deuxième partie traitant de la compétence
des élèves à penser historiquement. Quel bilan pouvons-nous dresser des résultats du
questionnaire. C’est ce dont nous traitons dans ce qui suit.
172
4.3. Le bilan des résultats du questionnaire
Au terme de ce chapitre, nous retenons que l’analyse des données issues du
questionnaire a fait ressortir que le sens n’existe pas en soi mais qu’il est soit lié à la question
de l’intérêt, soit il est à construire. Le sens est dans la capacité qu’a l’élève de relier ce qu’il
fait à l’école avec ce qu’il se propose d’être. Aussi, apprendre découlerait-il de la clarification
de la relation que le sujet entretient avec les objets auxquels il est confronté.
Avant de conclure ce chapitre consacré aux représentations spontanées des répondants, nous
voulons revenir sur le rapport au savoir historique tel que nos données l’ont fait ressortir.
Nous retenons d’abord que ce qui mobilise ou non les élèves à suivre un cours d’histoire,
c’est l’intérêt qu’ils accordent à ce cours. Cet intérêt qui s’exprime ici par son utilité crée une
intelligibilité qui donne sens aux savoirs historiques. Etant donné que ces cours traitent des
questions auxquelles les élèves veulent avoir des réponses, cet intérêt utilitaire crée du sens
aux savoirs relatifs au passé.
À la lumière des données présentées, nous notons une nette différence entre apprendre (de
façon générale) et apprendre l’histoire. Apprendre d’une façon générale fait référence à un
passage obligatoire pour obtenir un emploi, une situation sociale meilleure dans sa vie future.
Apprendre l’histoire ne revêt pas ce caractère obligatoire pour tous les élèves dans la mesure
où beaucoup ne le font pas dans l’objectif d’y faire forcément carrière. Apprendre l’histoire
pour l’élève est plutôt un moment de plaisir où il va à la rencontre de l’inconnu, cet inconnu
qui devrait lui donner des réponses à certaines questions qu’il se pose. Apprendre l’histoire
s’avère utile pour la majorité des participants par l’étendue des savoirs qu’elle offre et dont
la connaissance fera d’eux des citoyens plus complets.
Le citoyen complet est d’abord et avant tout quelqu’un qui possède une vaste culture générale
et qui peut aborder avec aisance des questions citoyennes et donner un point de vue critique
sur les affaires de la cité. D’après les réponses obtenues, nous dégageons deux logiques pour
comprendre le rapport aux savoirs historiques déclarés des élèves : la logique d’imposition
173
(par rapport au fait que certains cours d’histoire leur sont imposés à l’exemple de l’histoire
de Madagascar qui ne revêt que très peu d’intérêt pour eux) et la logique d’appropriation (par
rapport à ce qui est réellement approprié par l’élève). Au prisme de ces deux logiques, on
peut voir pourquoi certains savoirs historiques peuvent avoir si peu d’intérêt pour les élèves
gabonais.
Au chapitre prochain, l’enjeu serait de traiter d’un thème d’intérêt comme la pauvreté, et de
mettre en place des situations d’apprentissage qui aideraient à changer le statut de l’élève, de
le faire passer de la position de consommateur à celle d’auteur ou de coauteur de ses savoirs.
Comme le soutiennent Laville et Martineau (1998), il s’agit moins de transmettre un récit,
mais de comprendre comment l’élève fait l’histoire et construit son rapport aux savoirs
historiques. Les effets de la pensée historique analysés tenteront, soit d’apporter un éclairage
aux résultats de l’enquête par questionnaire, soit de les nuancer, ou au mieux, de les enrichir.
173
CHAPITRE 5 : LES EFFETS DE LA PENSÉE HISTORIQUE
174
Ce cinquième chapitre nous ramène à l’intérêt premier qui a suscité la présente
étude. Comme nous l’annoncions dans notre problématique au chapitre 1, nous voulions
comprendre, ce qui d’une part, donne au savoir une valeur de formation et de l’autre,
comment une éducation d’un modèle passif s’est forgée chez le citoyen gabonais au fil du
temps. Cet intérêt premier qui a orienté notre recherche vers la compréhension du rapport au
savoir des élèves, nous a conduite inévitablement vers un modèle d’analyse compréhensif
des discours de nos participants. La perspective compréhensive d’analyse, qui ne pouvait se
contenter d’observer de l’extérieur la conduite des acteurs concernés, se devait de rendre
compte de la complexité du social et du sens produit par ces derniers dans le cadre d’un
échange dialogique.
Pour donner suite à cet intérêt premier ayant suscité notre étude, nous procédons au traitement
des données obtenues par le biais d’entrevues, notre deuxième scénario d’enquête. En amont
de ces entrevues, un travail individuel et collaboratif d’interprétation des documents
historiques avait été planifié afin d’amener les participants à complexifier leur
compréhension du phénomène de pauvreté. Au préalable, nous avons mis en place une
enquête par questionnaire qui nous a permis de prendre connaissance des représentations
initiales des élèves quant à la problématique sociale étudiée. Les résultats produits dans ce
chapitre 5 sont donc la suite logique du traitement de la pauvreté amorcée au chapitre 4.
Reprécisons le lien entre les résultats du questionnaire et ceux issus des entrevues.
Au chapitre 4, les élèves participants ont fait preuve d’un engagement citoyen face à la
pauvreté au Gabon, et à ce titre, l’éducation34 constituait le canal dont ils peuvent se servir
pour se construire un avenir meilleur et de passer outre à tout état de pauvreté. On peut
s’apercevoir qu’à l’étape du questionnaire, il leur manquait un savoir global capable
d’éclairer leurs représentations initiales, et par extension, les actions transformatrices
qu’appelle l’éducation à une citoyenneté plus réfléchie. Par exemple, en leur présentant la
34A titre de rappel, les réponses au questionnaire traduisent les représentations dominantes des élèves au sujet
de l’éducation, c’est-à-dire, leur conception quant au fait d’aller à l’école et d’y recevoir une éducation à une
citoyenneté plus réfléchie.
175
pauvreté comme un phénomène multidimensionnel ne pouvant être réduit aux seules
dimensions économiques, nos répondants pouvaient difficilement évoquer les interrelations
entre les différentes facettes de cette problématique afin d’en saisir la complexité et
d’expliciter leur position. En d’autres termes, le fait que la majorité d’élèves se soit peu
référée dans leurs réponses au questionnaire à la dimension historique du problème est
révélateur et s’avère une différence notable par comparaison avec les résultats des entrevues.
L’on peut dire que l’exercice de la pensée historique a soutenu une compréhension plus
approfondie chez les élèves au sujet de la pauvreté.
Comme nous le soutenions dans la section 3.1.4.3 relative aux étapes de la recherche, nous
faisons l’hypothèse que les modes de pensée historique sont mobilisés non seulement en
relation aux documents historiques soumis et aux discours entre pairs, mais aussi en référence
aux discussions avec la chercheure. Le travail collaboratif ouvert à la pluralité des sens et les
débats étayés par la chercheure ainsi que les entretiens d’explicitation ont permis de recueillir
les interprétations subjectives des élèves, leur analyse de la situation sociale au Gabon et les
rapports qu’ils entretiennent avec les savoirs historiques.
Trois parties structurent ce chapitre : la première présente les résultats et propose, en deux
mouvements, une mise en scène de la problématique de la pauvreté depuis le système colonial
jusqu’à nos jours. Un premier mouvement analyse la pauvreté des masses populaires et les
situations d’oppression dans lesquelles ce phénomène se reproduit selon les systèmes
politiques qui, bien que différents par nature, conservent le même postulat de
fonctionnement. Les résultats montrent des reconstitutions historiques des évènements
témoignant des référents mémoriels en lien avec la question de la pauvreté. Les rapports de
force entre groupes humains, qu’ils soient différents par la race, la culture ou les positions
176
sociales, sont particulièrement analysés selon un modèle typifié par Balandier (1950)35 et
pensé tel un phénomène hérité de la colonisation.
Un second mouvement traite globalement des mécanismes qui concourent à reproduire la
pauvreté et les situations d’oppression ainsi qu’un type de rapport au monde tel qu’il s’est
construit chez le citoyen gabonais au fil du temps. Le modèle colonial d’éducation ayant
sous-tendu sa construction en est également élucidé. Dans une réflexion similaire à celle du
pédagogue Paolo Freire, les élèves proposent des principes pour éduquer à une citoyenneté
plus réfléchie. Ces principes s’inscrivent dans une optique de libération des pauvres de leur
situation de pauvreté. Tout en se référant aux propos de nos répondants, l’analyse s’est
appuyée sur un modèle proposé par Freire sur la situation d’oppression. Le premier
mouvement tente de répondre au pourquoi de la pauvreté par une analyse axée sur les
rapports d’oppression et du modèle éducationnel d’aliénation qui en découle. Dans une
perspective analogue, le second tend à justifier le comment du maintien et de la permanence
de la pauvreté en se basant notamment sur des modes d’être et de gestion hérités du système
colonial qui assurent la pérennité de ce phénomène au Gabon.
La deuxième partie du chapitre vise à voir comment les rapports au savoir historique des
participants au sujet de la pauvreté est traduit en action. Ainsi, une analyse de la compétence
des élèves à penser historiquement est menée en vue d’identifier les aspects singuliers des
rapports établis entre les élèves et les savoirs historiques. Quatre parcours interprétatifs sont
ainsi isolés et analysés en vue d’apprécier l’influence relative des référents mémoriels quant
à la compréhension que les uns et les autres ont du présent. Comme dans le parcours de
Camille, cette influence peut parfois être soutenue par l’impact des expériences subjectives.
Pour éviter la confusion et la redondance dans nos propos, les résultats et l’analyse qui en est
faite seront présentés simultanément. Certains extraits de dialogue sont rapportés pour des
35À titre de rappel. Balandier évoque des relations qui se sont construites dans un rapport de dominant/dominé
entre colonisateur et colonisé. Le colonisateur était celui qui organise et gère la vie, le colonisé celui qui
acquiesce, se soumet et se laisse assujettir.
177
besoins de clarté. Au troisième point, nous dressons un bilan des résultats de la deuxième
phase d’enquête.
5.1. Présentation et analyse des résultats
Cette première partie du chapitre est une mise en scène horizontale des effets de la
pensée historique en vue de rendre compte des dénominateurs communs que l’on peut cerner
dans les discours d’élèves. Rappelons que pour l’exercice de la pensée historique, cinq
groupes de travail ont servi d’assise aux discussions entre élèves (voir section 3.1.4.2). Des
documents historiques y étaient soumis pour permettre à la fois une compréhension
individuelle et une diversité interprétative. Après les discussions entre membres du groupe,
les entrevues devaient permettre aux élèves d’expliciter leur compréhension du présent, le
lien qu’ils établissent entre l’histoire du Gabon et la pérennité du phénomène de pauvreté
dans ce pays.
Comme nous l’avons déjà expliqué, les entrevues passées avec des élèves sont considérées
comme des entretiens d’explicitation pour recueillir les interprétations subjectives
révélatrices des rapports établis entre ces derniers et les savoirs historiques. En d’autres
termes, les élèves étaient invités lors de l’entrevue à expliciter leur point de vue et leur
compréhension de la question abordée. 21 élèves ont participé à cette activité sur un
échantillon de 25. Pour la réalisation de cette activité, 30 minutes étaient accordées à chaque
élève.
Nous voulons par ailleurs rappeler que les entrevues que nous menons avec les élèves sont
inspirées des bilans de savoirs mis en place par les chercheurs du groupe ESCOL (voir la
section 3.1.4.2). Les catégories adaptées à nos objectifs de recherche ont été proposées à
partir des réflexions suivantes sur la situation sociale au Gabon depuis le système colonial :
qu’est-ce que les documents historiques et tes connaissances antérieures t’ont appris de plus
sur la pauvreté au Gabon ? Qu’est-ce que tu comprends finalement du phénomène de
pauvreté qui se reproduit systématiquement dans ce pays ? Comme cela a déjà été mentionné,
178
les questions n’étaient pas nécessairement planifiées, mais elles devaient s’articuler de
manière à permettre aux élèves de clarifier leur compréhension du présent selon les critères
de clarté, précision, pertinence (voir Tableau n°4). Deux objectifs y étaient
poursuivis principalement :
Comprendre quels liens les élèves établissent entre la pauvreté et la situation
coloniale ;
Comprendre comment les élèves expliquent la permanence de la pauvreté à partir
du système colonial.
Les critères retenus invitaient à s’interroger sur la dimension subjective du processus
interprétatif au travers duquel l’élève devrait se comprendre comme un citoyen critique. Sa
capacité à prendre de la distance face aux référents mémoriels constituait un des éléments sur
lequel sa compétence à penser historiquement était évaluée.
Les documents historiques soumis à l’interprétation ne traitaient pas spécifiquement de la
colonisation du Gabon. Mais l’interprétation qu’en font les jeunes Gabonais montre toute la
complexité du social dans les savoirs construits au sujet de la pauvreté. Comme cela a été
relevé dans les résultats issus du questionnaire, les significations associées à la situation
sociale du Gabon recouvrent diverses réalités, mais demeurent toujours en lien avec
l’environnement sociopolitique dans lequel les répondants évoluent. Les discours produits
sont des reconstitutions historiques des évènements en lien avec la colonisation. Les rapports
de force y sont principalement identifiés entre groupes humains, différents par la race, la
culture et/ou la position sociale. On note une remise en question d’un modèle colonial
d’éducation conditionnant la reproduction des modes d’être et de gestion dans ce pays. Des
principes pour éduquer à une citoyenneté plus réfléchie y sont proposés. Comme dans les
données du questionnaire, la quête du sens s’est avérée difficilement acquise à l’avance. En
appui à Develay (2012) qui soutient qu’un propos a une signification du fait qu’une situation
ait du sens ou non pour celui qui la vit, nous avons pu dégager un cadre de traitement
opérationnel pouvant répondre au mieux à notre étude.
179
Comme nous le soulignions précédemment, cette première partie propose une analyse des
données en deux mouvements : un premier mouvement analyse la pauvreté des masses
populaires et les situations d’oppression dans lesquelles le phénomène de pauvreté se
reproduit dans les différents systèmes politiques. Les énoncés recensés sont des
reconstructions historiques des évènements autour de la mémoire collective qui tentent de
répondre au pourquoi de la pauvreté. Le second mouvement, axé spécifiquement sur la
reproduction des rapports de force, tente de justifier le comment du maintien du phénomène
de pauvreté au Gabon. L’on retiendra qu’une compréhension plus globale du phénomène de
pauvreté a permis aux élèves de soutenir que, dans la relation dominant/dominé, le jeu des
rapports de force constitue un élément spécifique pour reproduire les situations d’oppression.
5.1.1. L’histoire-mémoire relatée par les jeunes Gabonais
Dans cette section, il est question du sens que les élèves confèrent aux situations
d’oppression identifiées dans les trois systèmes politiques qui se sont succédés au Gabon (le
système colonial, le système dictatorial et le système démocratique actuel) et de la façon dont
ils s’approprient les référents mémoriels. Les évènements historiques reconstruits autour de
la mémoire collective structurent pour l’essentiel l’exposé : les indicateurs de l’oppression ;
les insuccès de la lutte contre la pauvreté ; les facteurs du maintien de la pauvreté.
5.1.1.1. Des pratiques coloniales révélatrices de l’oppression
La présente section rend compte à la fois des conditions concrètes dans lesquelles
s’est accomplie l’histoire du peuple gabonais et la compréhension que les élèves ont de la
situation qui est faite aux indigènes. Le regard que les jeunes Gabonais portent sur cet épisode
de l’histoire de l’humanité les oblige à une façon particulière de penser la question de la
pauvreté. Les répondants évoquent globalement les heurts de contact entre civilisations
étrangères et dressent un bilan mitigé du modèle colonial dont divers aspects semblent avoir
entravé le décollage économique du Gabon. Selon les jeunes Gabonais de notre échantillon
de recherche, la pauvreté du Gabon trouverait son origine dans la situation coloniale dans
180
laquelle la contradiction dominant/dominé s’est d’abord exprimée. Leurs discours mettent en
évidence une minorité d’étrangers imposant sa domination sur une majorité d’autochtones.
Les répondants identifient l’attitude de conquête et l’invasion culturelle comme des
indicateurs de l’oppression, repères utiles pour retracer les lignes essentielles de ce qu’a été
la situation coloniale. Un croisement des différents points de vue émis a paru indispensable
pour examiner ce que l’on peut retenir des regards particuliers des répondants. La domination
étrangère, qu’elle soit d’ordre civilisationnel ou racial, traduit des rapports d’un type
particulier entre dominant et dominé. La Figure n°12 ci-dessous recense 54 % d’énoncés
exprimant la forte préoccupation des élèves pour les rapports entre civilisations étrangères.
Presque à parts égales, près de 46 % des énoncés viennent des répondants qui sont restés
attachés aux rapports de force entre races. Autant d’analyses qui constituent divers éclairages
pour saisir la nature des relations qu’entretenait la Métropole avec sa colonie.
Figure 12: Les rapports d’oppression
Ordre civilisationnel Orde racial
181
Les rapports d’oppression d’ordre civilisationnel
Pour l’ensemble de nos répondants ayant une forte préoccupation pour les rapports de force
entre civilisations étrangères, parler de la colonisation dans le contexte spécifique du Gabon,
revient à parler de la conquête française dans ce territoire. Leur analyse reste marquée en
grande partie par un engagement sans faille aux côtés des indigènes. L’attitude de conquête
qu’ils évoquent s’est traduite par la destruction quasi totale des structures sociales anciennes.
Ils portent une attention toute particulière sur l’invasion culturelle du colonisateur qui a
détruit la vision du monde du colonisé. L’extrait ci-dessous en est une illustration :
E : Ils ont carrément tout détruit quoi. Nos choses, nos traditions qu’on avait
avant. On n’a plus rien. Pour nous imposer leurs affaires [...]. Je pense que les
deux ne se comprenaient pas [...]. D’un côté, bon, les Noirs avaient leurs choses,
leur mode de vie et tout ça. Les colons de leur côté viennent avec leurs choses
qu’ils imposent aux Noirs [...]. Moi, je vois que les Noirs étaient traumatisés.
Parce que, le fait que les colons viennent tout bouleverser comme ça. Toutes les
structures qui existaient, on change tout. Bon, je crois que…, que, ça peut faire
un choc. Group5/4-L6
L’aspect psychologique qu’on perçoit dans ce message met en évidence ce que Mannoni,
(1950, cité par Delbracio, 2015) qualifie de complexe entre le colonisateur et le colonisé.
Cette dimension psychologique évoquée par la majorité des répondants semble indispensable
pour mettre en relief le genre de relations que les deux peuples entretenaient. Toutefois, le
seul aspect psychologique parait insuffisant pour une minorité, qui à l’inverse, propose de
considérer l’ensemble de la situation imposée aux indigènes afin de la saisir dans sa globalité.
L’ensemble ou la globalité dont il est question ici fait référence à la totalité dont parle
Balandier (1950). C’est du moins ce que nous retenons de cet extrait du dialogue :
E : Ce que je comprends de cette situation, c’est que les colons avaient tout à leur
avantage. Ils se sont imposés chez nous [...]. Ils avaient tout, les machines et tout
ça, il y avait déjà eu la révolution industrielle au XVIIIe chez eux, donc au
XIXe siècle, quand ils viennent chez nous, ils sont déjà bien évolués parce qu’en
3e on avait vu que l’installation française, c’est en 1837 [...]. Le problème,
c’est que y a pas un seul côté qu’il faut voir. On doit considérer tous les côtés.
182
Parce que dans tous les sens, ils peuvent bien nous dominer. Il faut l’avouer, on
était faible devant eux. On ne peut pas lutter.
C : Tu dis qu’il faut considérer tous les côtés, tu dis aussi qu’il faut voir ça dans
tous les sens, peux-tu expliquer davantage et peux-tu justifier ce que tu dis ?
E : Oui, je peux m’expliquer. Par exemple dans le document, on voit bien qu’ils
ne nous considèrent, mais ils viennent quand même prendre nos richesses. Quand
les indigènes et les Blancs font le même travail, les Blancs sont payés dix fois
plus [...]. Dans un autre document, on dit que la société coloniale est très fermée,
les colons côtoient très peu les Noirs. Il faut que les Noirs s’habillent comme les
colons, ils parlent de nous avec un ton moqueur, ce sont eux qui commandent,
tout leur est permis, ils sont conscients de nos faiblesses [...]. Les choses nous
appartiennent, mais c’est eux qui commandent. Group1/3-L5
Comme dans la majorité des cas, ce genre de propos relaté hors de tout sens critique est censé
traduire une vérité immuable. En général, au début des entretiens, les discours prennent
l’allure de cette interprétation de tradition et de conformité plutôt que celle d’une histoire
ouverte à la complexité (Moniot, 2001). Convaincus de connaitre la bonne version de
l’histoire en relatant les heurts survenus à la suite de l’installation française au Gabon, les
élèves expriment un rapport au passé soutenu dans l’histoire-mémoire.
Le tableau n°10 qui suit fait la synthèse des représentations des participants au regard des
changements survenus durant la domination coloniale au Gabon : mise en valeur du territoire
effectuées en faveur des intérêts du colonisateur, exploitation économique de nature
impérialiste, transformation du droit traditionnel, remise en discussion du droit de propriété
des richesses.
183
Tableau n°10: Les changements à la suite de l’installation française
Des changements opérés
sur… Extraits types
Le plan sociopolitique « Ils ont détruit le droit traditionnel ; après ils ont introduit leurs lois
à eux [...]. Alors, ils ont porté atteinte à nos lois ». Group1/3-L5
Le plan économique
« Par exemple, ils ont amené l’argent, avant on ne fonctionnait pas avec
l’argent [...]. Ils ont introduit de nouveaux modes de production ; le
travail à l’usine, ils ont créé un genre d’économie pour bien profiter ».
Group3/2-L15
Le plan socioculturel
« Ils nous ont imposé le Français pour apprendre à l’école ; après c’est
quoi ? C’est les classes sociales qui se forment, ils encouragent la
division entre les ethnies [...]. Eux les colons, ils font seulement ce qui
leur donne la valeur, ils ont la considération dans la société. La
discrimination seulement à partir de la peau. Pour ceux qui
n’avaient pas le statut, c’est le travail forcé. Obligatoire, les indigènes
doivent se convertir à la religion des colons, sinon, on est rejeté ».
Group1/3-L20
Les répondants qui ont particulièrement centré leur attention sur la destruction des structures
sociales anciennes montrent comment l’isolement des indigènes a été brisé par le jeu d’une
histoire sur laquelle ces derniers n’avaient aucune prise. Pour justifier le décalage entre les
valeurs véhiculées dans la mission civilisatrice et les faits, ils adoptent un raisonnement
d’historien et relatent une doctrine française qui s’est imposée sous des formes généreuses :
E : Les indigènes ne pouvaient pas grand-chose contre les colons. C’est une
situation qui s’est ben…, imposée à eux [...]. Je pense que quand les chefs
traditionnels avaient signé les contrats avec les Français en pensant qu’ils
allaient gagner quelque chose de bien pour l’éducation, le développement, ils
n’avaient pas vraiment mesuré les conséquences [...]. Group1/2-L20
Le propos à la suite met surtout en présence un système politique qui a assuré la paix et la
rentabilité de la France. En de tels propos, une bonne majorité des répondants, soit 80 % des
énoncés retenus, attire l’attention sur le fait que la colonisation a été une véritable épreuve
pour les indigènes. Ils montrent en l’occurrence comment le colonisateur français s’est inséré
au sein de la société gabonaise :
184
E : J’imagine que c’était dur pour les chefs traditionnels, pour les indigènes en
fait [...]. Le contrat disait que le territoire gabonais devait revenir aux Français.
En échange, les Français devaient assurer la protection du pays. En fait, tout
dépend comment les Français ont présenté les choses aux indigènes [...]. Ils
les ont amadoués en leur faisant croire qu’ils allaient leur apporter la
civilisation... Mais dans les actes, ce n’est pas tout à fait ce qu’ils font. Group1/1-
L2
Cet extrait comme bien d’autres sont indispensables pour penser l’histoire du Gabon colonial
construite en fonction de la présence française et les différents aspects pris par cette dernière.
L’un des aspects évoqués par les élèves concerne également les mesures audacieuses prises
par les colonisateurs dans le sens de leurs intérêts : déplacements de populations,
transformation du droit traditionnel, remise en discussion de la propriété des richesses,
politique de rendement :
E : On voit bien que, ce sont les richesses qui les intéressent. Et là, ils sont prêts
à tout [...]. Ils tracent les frontières n’importe où, ils inventent les lois. Tout ça
pour être sûr que tout va fonctionner. Ils avaient des objectifs en venant en
Afrique. En fait, les Européens ne choisissent pas de s’installer quelque part
par hasard. Ils savaient que la zone du Gabon avait beaucoup de richesses et ils
avaient besoin de ces richesses pour développer leur pays [...]. Maintenant, il
fallait seulement savoir comment s’y prendre. Et là, on déplace les gens, on
change tout, tout c’est le profit, c’est ça, le profit. Group4/2-L6
La plupart des analyses menées sur la destruction des structures sociales anciennes indiquent
l’état de crise latent dans lequel le Gabon s’est retrouvé à un moment donné de son histoire.
Cependant, on peut noter quelques divergences dans les réactions des élèves face à la
situation coloniale. Dans les 75 % des énoncés relatant les heurts de contact entre civilisations
étrangères, la colonisation a été une épreuve imposée aux populations autochtones et dont
aucune retombée n’est avantageuse pour le Gabon. Dans le quart des énoncés restants, les
élèves relatent quelques conduites novatrices nées des transformations sociales anciennes :
la construction des écoles, des routes, des chemins de fer. Disons d’une manière générale et
indépendamment des jugements moraux qu’elles provoquent, que chacune des réactions à la
185
situation coloniale que nous avons recueillies, constitue autant de points de vue à partir
desquels le problème de la pauvreté peut être envisagé.
Comme nous l’avons compris jusqu’ici, les répondants évoquent les conséquences néfastes
de l’installation française au Gabon. Presque tous font allusion à l’imposition de nouvelles
frontières qui n’a pas tenu compte des peuples heurtés. Les élèves interrogés n’omettent
surtout pas de rappeler que les nations africaines actuelles en général, et celle du Gabon en
particulier, résultent des ambitions économiques de la Métropole que trois forces coloniales
ont contribuées à assurer :
E : [...]. Y avait par exemple la religion, il fallait que tout le monde se convertisse,
que tout le monde devient chrétien. Donc nos religions, nos traditions comme
le Djembè, le Bwiti, il fallait laisser tout, ce n’était pas bien. En fait, rien de ce
qu’on faisait nous-mêmes ne les convenait. Y a par exemple, par rapport à
l’économie, les nouvelles choses qui arrivent avec les colons : la monnaie, le
travail à l’usine, dans les mines. Même la façon de faire l’agriculture ça va
changer [...]. L’avantage qu’ils avaient aussi, c’est qu’ils étaient bien organisés,
tout se gérait au niveau de l’administration. Group4/4L15
Une des dimensions de l’expansion coloniale qu’a particulièrement exprimée l’ensemble de
nos répondants relève du domaine économique. Pour en expliquer les faits, ils ont été
conduits à privilégier cet aspect pour établir de possibles comparaisons entre les rapports
Métropole-colonie et les rapports dominant/dominé. Les propos mettent en relation étroite
les aspects économiques du système colonial et sa politique raciale :
E : [...]. Qu’on parle des blancs et des noirs, des colons et des indigènes, c’est
pareil ! Pour moi, ça veut tout simplement dire, il y a ceux qui commandent et
ceux qui sont rien [...]. Les Noirs, les indigènes, ou je ne sais quel nom, sont là
pour travailler. Tant pis, s’ils sont fatigués, s’ils sont mal payés [...]. Ils savent
qu’ils sont méprisés par les colons, mais, ils doivent travailler pour eux, pour que
eux, ils s’enrichissent, pendant que nous, nous sommes dans la misère [...]. J’ai
bien compris ça dans le film Sarafina, par rapport à ce qui se passait en Afrique
du Sud. Dans le document qu’on a commenté aussi, c’est la même chose. C’est
même bien écrit la société coloniale est très fermée, les Blancs côtoient très peu
les Noirs [...]. Alors, ils ne veulent pas de nous, mais… ils ont besoin de nous
pour leurs travaux de manœuvre. Est-ce que c’est ça les valeurs ? Group2/3-L32
186
Aux dires de nos répondants, l’impérialisme colonial serait une manifestation de
l’impérialisme économique. Ceux qui suivent ces schèmes d’analyse marxiste, soit 50 % des
énoncés relevés, se réfèrent aux liens étroits entre le capitalisme et l’expansion coloniale
comparant la question coloniale à la question sociale. L’extrait précédent traduit plus
clairement la pensée des élèves à ce propos. Les indigènes constitués en classe opprimée,
c’est-à-dire une population qui ne sert qu’à produire les richesses, restent exclus de tous les
avantages politiques et économiques.
Notons toutefois que si les élèves donnent une place importante aux faits économiques
comme l’une des forces principales ayant occasionné des difficultés sociales, leurs
interventions ne dépassent pas la simple description des changements survenus. Comme
l’indique le Tableau n°10 relatif aux transformations sociales, l’énumération des problèmes
reste en général reliée aux changements affectant les structures anciennes. Les discours font
référence à une économie monétaire qui a bouleversé les rapports humains. Selon les
répondants, les nouvelles conditions de vie ayant fait de l’argent la mesure de toute chose,
ont donné naissance à la nouvelle hiérarchie, et de fait, porté atteinte à la hiérarchie propre
au peuple indigène :
E : [...]. Ils ont amené l’argent, maintenant les petits ne respectent plus les grands.
Ya plus le droit d’ainesse, c’est celui qui a l’argent qu’on respecte.
Aujourd’hui, personne ne respecte personne, sauf celui qui a l’argent. On voit ça
même dans les familles, les jeunes font la loi, ils méprisent les personnes âgées.
Group4/2-26
Si l’installation des Européens en terre africaine s’est souvent passée sans heurts, d’autres
situations ont parfois donné lieu à des tensions ou à des conflits. Deux élèves portent un
regard sur cet aspect de la colonisation et abordent les mouvements de résistance à la
conquête coloniale :
E : [...]. Beaucoup n’acceptaient pas ça. C’est à cause de ça que y a eu les conflits,
les combats. Est-ce que c’est normal ? Tu viens chez les gens, tu viens imposer
ta loi [...]. En tout cas, moi je ne devais pas accepter ça. S’ils sont ce qu’ils sont,
187
pourquoi ils ne restent pas chez eux ? Ils viennent chez les gens, ils prennent tout,
ils deviennent propriétaires, nous-mêmes on mendie. Group3/2-22
C’est généralement en ce sens que sont menées les analyses sur les bases raciales données à
l’organisation économique durant le système colonial. Ces analyses qui sont plus d’ordre
sociopolitique portent davantage sur la colonie en tant que territoire où s’est établi un rapport
exploitant/exploité entre une minorité blanche et la masse indigène.
Les rapports d’oppression d’ordre racial
Les fondements raciaux de l’organisation socioéconomique dans les territoires soumis
semblent bien connus de nos répondants. En témoigne la situation relative à l’Afrique du Sud
souvent prise en exemple. Les travailleurs noirs y auraient été réduits aux seules tâches de
manœuvre :
E : [...]. Dans le film Sarafina, on voit ce qui se passait en Afrique du Sud. C’est
une situation qui crée les problèmes, comment dirais-je ? Les frustrations
quoi ! Parce que les uns sont là pour travailler pendant que d’autres en
profitent. Même si les Noirs n’ont pas la possibilité de revendiquer. Mais ils se
sentent quand même frustrés [...]. Ce sont quand même leurs richesses que les
étrangers viennent prendre avec mépris. Les gens qui ne les considèrent même
pas. Group3/3-L26.
Les répondants qui sont restés spécifiquement attachés aux relations d’ordre racial ont
particulièrement développé la dichotomie des stéréotypes dans la situation coloniale : « les
colons ne veulent pas être mêlés aux indigènes, mais ils ont besoin d’eux pour leur main-
d’œuvre » Group6/3-L10. Les analyses orientées sous cet angle relèvent généralement de
telles contradictions d’une politique qui organise la discrimination. Sur des indications
similaires, les répondants font référence à un cadre de vie où se côtoient des gens de couleurs
différentes en donnant une définition de la situation coloniale empreinte de stéréotypes.
L’idée de deux communautés entretenant des relations à base raciale revient souvent dans les
propos recueillis. Il en ressort qu’une minorité d’Européens agit sur une majorité
d’autochtones. Ce qu’exprime le propos qui suit :
188
E : [...]. C’est vrai que les indigènes étaient nombreux, mais c’est les colons qui
commandent même s’ils sont peu. Les deux sont contraints de cohabiter. Je
dis contraint parce qu’ils ne s’aiment pas vraiment. Les colons ne veulent pas de
nous. Nous aussi, au fond, on ne les aime pas [...]. Ils sont conscients de leur
supériorité. Group3/4-L26
Le portrait de la situation coloniale que décrivent les répondants est révélateur d’une politique
dont la race constitue le principe de fonctionnement. Cette description montre comment la
minorité blanche qui, assise sur une supériorité matérielle, s’est imposée à la majorité
d’indigènes :
E : [...]. Ils se disent, nous sommes supérieurs…, ils sont en confiance. Ils
changent les règles, ils considèrent que leur culture c’est la meilleure, donc
forcément, faut copier leur mode de vie, se convertir, s’habiller comme eux [...].
Ils encouragent les divisions pour inciter les gens à faire ce qu’ils veulent.
Group4/3-L21
Le système colonial se serait appuyé sur un état de droit qu’il aurait établi à son avantage.
De même, il aurait imposé les postulats de l’excellence de la race blanche et de la médiocrité
de la race noire :
E : [...]. Tout ce qui vient des colons est excellent et tout ce qui vient des Noirs
est nul, primitif, sans valeur, rien ! Voilà pourquoi ils ne cherchent pas à
comprendre. C’est un manque de considération. Voilà pourquoi ils détruisent
tout, les structures, tout ce qu’ils ont trouvé, parce c’est sans importance [...].
Comment on va comprendre les autres si on ne les respecte pas ? Tous font
pareil, ceux qui parlent de Dieu, ceux qui font le commerce, tous sont pareils.
Tout le monde profite des indigènes. Les exploiter oui, mais pas de mélange.
Group4/4-L14
Selon ce que l’élève exprime dans cet extrait, chaque groupe composant la société coloniale,
qu’il soit politique, religieux ou économique, exerçait sa domination sur les indigènes. La
minorité blanche aurait exigé le prestige et la distance avec la population indigène. Ce qui ne
facilitait pas une compréhension mutuelle entre les deux peuples. Pour expliquer ces
incompréhensions, les élèves recourent facilement à une dichotomie stéréotypée telle que
résumée dans le Tableau n°11 ci-dessous.
189
Tableau n°11: La dichotomie des stéréotypes dans la situation coloniale
Société colonisatrice Société colonisée
Blancs Noirs
Colons Indigènes
Civilisations techniques Civilisations arriérées
Cultures valorisées Cultures attardées
Chrétiens Païens
Peuples civilisés Peuples primitifs
Excellence Médiocrité
Selon nos répondants, la population indigène n’était qu’un instrument producteur de richesse.
Les autochtones ressentaient mieux leur condition de subordination en raison de leur manque
d’organisation. La minorité blanche avait prééminence sur elle :
E : [...]. En fait, si les colons ont réussi à faire la loi, c’est juste parce qu’ils sont
bien organisés alors que chez les indigènes, c’est le désordre. Le fait qu’il y avait
plusieurs ethnies, ils ont profité de ça. Et puis, les ethnies ne s’entendaient pas
vraiment. Tout ça a fait que les indigènes n’étaient pas unis. Les colons ont
profité de ces mésententes pour les noyer plus [...]. Pour mettre les uns contre les
autres. Ils valorisaient ceux qui étaient prêts à se convertir. Group1/2-L12
La division et la manipulation reviennent généralement dans les propos d’élèves comme des
indicateurs de l’oppression. Ces indicateurs de l’oppression auraient constitué les armes dont
se servait le colonisateur pour maintenir son pouvoir. Le colonisateur qui avait pris
conscience des divisions entre les groupes ethniques, en aurait profité pour les manipuler et
les contraindre à adhérer à sa vision du monde. Par ailleurs, les divisions auraient été
délibérément maintenues pour orienter les relations que chaque ethnie devait entretenir avec
190
la société blanche : « les myènès36 étaient les premiers à accueillir les Blancs, ils étaient plus
favorisés ». Group5/2-L41
À l’exemple de la communauté ethnoculturelle myènè au Gabon, les populations côtières ont
servi d’intermédiaires entre les peuples de l’hinterland et les Européens depuis la Traite des
Noirs :
E : [...]. Dans les autres classes, on a appris que les myènès faisaient le
commerce avec le Blanc, ils se sont enrichis avec ça [...]. Ils ont vendu leurs
frères à cause de l’argent. Mais ils ne sont pas différents. Ce sont les Noirs
comme tout le monde, même s’ils veulent parfois se comporter en chef.
Group5/2-L124
Comme nous l’avons vu avec Balandier, les peuples côtiers se sont majoritairement enrichis
au contact des Européens. Les participants qualifient le peuple myènè d’assimilationniste. Ils
ont également soutenu que pour encourager les divisions sur le plan religieux, le colonisateur
oppose les religions animistes à la religion chrétienne, une situation qui n’a eu pour effet que
de créer la confusion dans le développement moral du citoyen Gabonais :
E : [...]. On a perdu nos religions, donc quelque part, on a perdu nos repères.
Aujourd’hui, y a les gens qui ont honte de parler leur langue. Ils font semblant
de ne rien savoir. On ne veut même plus rien savoir du Bwiti, du djembé, Ikokou,
les choses de notre propre culture, c’est nos religions ! Tout ça pourquoi ? Parce
qu’on a honte, alors qu’ils vont s’initier en cachette. Group4/2-L124
Si la société blanche se distingue du peuple indigène par des modes culturels, l’on relève
fréquemment dans le langage des répondants, les oppositions primitif-civilisé, païen/chrétien
passées en revue au Tableau n°11. Ce qui de l’intérieur montre comment les jeunes Gabonais
de notre échantillon de recherche ont intégré à leur histoire, l’épisode qu’a été la situation
36La communauté Myènè fait partie des peuples côtiers du Gabon.
191
coloniale. Ce sont là, des aspects de l’histoire qui traduisent un rapport collectif à la mémoire
du Gabon.
Dans cette première articulation centrée sur les contraintes de la mémoire collective, les
participants ont présenté les heurts de contact comme une posture privilégiée à travers
laquelle ils étaient à même de saisir l’évolution des structures sociales indigènes. Ils ont fait
mention du fondement racial des rapports humains et à la coloration raciste donnée aux
structures économiques et politiques. Des faits incontournables qui traduisent l’interprétation
des rapports d’oppression dans la situation coloniale. La domination imposée à une majorité
autochtone entraine la mise en rapport de deux civilisations dont la race constitue la base de
distinction : une civilisation à économie puissante d’origine chrétienne, et, une civilisation à
économie traditionnelle d’origine païenne.
Le rôle d’instrument producteur de richesses auquel était condamné le peuple indigène
explique les relations antagonistes dans la situation coloniale. Cette situation d’oppression
justifie à suffisance la nécessité de recourir à des comportements stéréotypés. À la faveur des
points de vue particuliers adoptés, les élèves font une analyse en référence aux différents
éléments qui composent la situation coloniale, éléments en fonction desquels le problème de
pauvreté peut être décrit et compris. Bien que de façon approximative, ils ont su relier ces
différents éléments, et en l’occurrence, montré l’apparition du phénomène de pauvreté dans
ce contexte. Dans la mesure où la présence du colonisateur s’opposait à l’émancipation des
territoires soumis, le besoin d’indépendance apparaissait comme une nécessité pour sortir les
masses indigènes de la pauvreté. Acquérir leur indépendance politique et économique était
pour les colonies, une solution de lutte contre la pauvreté dans son sens le plus large.
La pauvreté, phénomène qui semble avoir pris naissance avec la situation coloniale s’accroit
après la décolonisation. C’est du moins ce que soutient l’ensemble des répondants. Pour lutter
contre la pauvreté, il convenait de mettre en place un mode de gestion qui se démarque du
modèle colonial. Était-il évident pour l’élite dirigeante africaine, élève de l’école coloniale,
de se défaire facilement du modèle éducationnel qui a façonné son habitus ?
192
5.1.1.2. Les actions de lutte contre l’oppression
Il s’agit dans cette section de questionner les répondants sur la persistance des actes
d’oppression après l’abolition du système colonial. L’enquête orientée dans l’optique d’y
cerner ces pratiques oppressives s’est articulée autour des interrogations suivantes : pourquoi
était-il important pour le Gabon d’acquérir son autonomie ? Et comment pourriez-vous
encore justifier son état de pauvreté après le départ des Européens ?
Les insuccès de lutte contre la pauvreté
Aux dires des participants, le besoin d’autonomie s’expliquait par une conception d’ensemble
du développement du Gabon. Les changements envisagés allaient faire de la pauvreté un
problème devant être réglé par un décollage économique imminent. Ladite image suffit à elle
seule pour rendre compte de la compréhension que les élèves ont de cette période de
l’histoire :
E : Je pense que les Africains voulaient eux-mêmes gérer leurs richesses parce
que c’est quand même ridicule que les étrangers viennent s’accaparer de ton pays
[...]. S’ils obtiennent l’indépendance, ils vont arranger leur situation, il n’y
aura plus de pauvreté. Group1/2-L16
La recherche d’autonomie laisse entrevoir que tous les problèmes du Gabon allaient être
réglés par une croissance économique qui se ferait en faveur de la majorité noire. Le terme
pauvreté, humiliant, rappelle une caractéristique principale de la domination coloniale. Ce
qui laisse entendre que sans la colonisation, il n’y aurait pas eu des gens dans le besoin. La
pauvreté devient-elle un phénomène anhistorique lié à la seule période coloniale ?
Pour qualifier la notion de besoin et attribuer cette responsabilité à l’action coloniale, certains
élèves n’hésitent pas à utiliser des terminologies telles que démunis, défavorisé ou prolétaire,
mais rarement celle de pauvreté : « y avait peut-être les gens dans le besoin, les familles
défavorisées, mais la pauvreté, pas vraiment en tant que telle » Group1/2-L20. D’autres
193
font usage des termes comme nécessiteux, sans revenus ou sans ressources pour assigner
l’apparition du fléau au système colonial : « Je ne dis pas que tout le monde était riche avant.
Y avait les nécessiteux, c’est vrai, mais pas comme aujourd’hui » Group1/3-L32.
Nos répondants confèrent d’emblée un sens politique à la pauvreté. La lutte contre ce
phénomène s’identifie à la lutte pour la dignité de l’Homme noir. La pauvreté serait l’une des
conséquences de l’exploitation de l’Homme par l’Homme établie par le système colonial.
Ainsi, la pauvreté du Gabon résulterait d’une injustice sociale : « gérer ses affaires, c’est la
moindre des choses, c’est injuste ce qu’ils ont fait [...]. On retrouve quand même sa
dignité » Group1/2-L22. Quant au terme de dignité, les discours semblent l’associer à la
satisfaction des besoins matériels et moraux axée sur la justice sociale. D’après nos
répondants, la lutte contre la pauvreté était une condition à la base de différents projets
sociopolitiques au terme de la période coloniale.
La grande majorité des répondants (environ 90%) soutient qu’après son accession à
l’indépendance, l’un des problèmes majeurs que dut affronter l’administration gabonaise fut
la pauvreté généralisée de sa population37. Avant les indépendances, deux classes sociales se
distinguaient : celle des indigènes et celle des colonisateurs. Une telle distinction n’avait plus
lieu d’être après le départ de la communauté blanche : « tout le peuple était pauvre, enfin
presque. C’était la première chose à faire, éradiquer la pauvreté, les autres projets viennent
après » Group1/2-L24. Comme l’exprime l’élève, la lutte contre la pauvreté généralisée était
telle que tout projet naissant en devient prisonnier. Aussi, toute action de transformation
sociale s’intégrait-elle dans la conception d’une économie forte et la protection contre les
envahisseurs extérieurs.
Pour assurer le développement économique, certains discours mettent en évidence qu’un
moyen privilégié d’y parvenir était de relever le niveau de l’éducation de la population, et
donc, de sa qualification : « je pense que les dirigeants devaient d’abord développer
37Rappelons que le Gabon n’est pas un cas isolé. Il en était ainsi dans la plupart des anciennes colonies
nouvellement indépendantes.
194
l’éducation [...], donner aux Gabonais la dignité » Group1/3-L25. L’extrait qui suit va dans
ce sens, le sens d’une justice sociale prônant le rétablissement historique du peuple gabonais
dans ses droits à une vie meilleure : « les Gabonais, c’est aussi les gens, les gens qui ont
aussi le droit d’avoir une bonne vie [...]. C’était trop » Group1/3-L28 !
Par contre, dans le propos qui suit, l’élève est loin de partager l’enthousiasme d’un décollage
économique imminent qui ne repose sur aucune formation véritable. Son doute reste relié
aux impératifs de performance qu’exige une main-d’œuvre qualifiée pouvant mener à bien
de tels projets de développement :
E : Pour ça, je doute un peu [...]. Parce que…, c’est vrai que les Gabonais avaient
droit à une vie meilleure, mais le développement, ça demande beaucoup de
choses. Est-ce qu’ils étaient prêts ? Comment ils allaient faire? Pour assumer
tout ça, ça demande beaucoup de choses pour reconstruire un pays, l’éducation,
la qualification, des gens formés et tout, des moyens, beaucoup de moyens.
Group2/3-L23
Le souci de qualification de la main-d’œuvre qu’exprime cet élève aurait été l’une des réalités
les plus déterminantes qui finalement allait l’emporter sur la conception d’une vie meilleure
soutenue par d’autres répondants. À cette étape de l’histoire du Gabon, la préoccupation
n’était plus de supprimer l’exploitation de l’Homme par l’Homme, mais celle d’encourager
une action prometteuse qui garantirait le changement. Les élèves en font un bilan mitigé. La
situation postcoloniale, qui n’a pas été à la mesure des espoirs suscités, entretiendrait des
similitudes avec la situation coloniale.
Les élèves établissent des similitudes avec la situation coloniale
La décolonisation n’a pas eu d’effets escomptés. C’est en ces termes que les élèves résument
cette période de l’histoire de leur pays. Des similitudes sont établies avec la situation
coloniale en rapport aux modes de gestion des richesses : « comme avec les colons, un petit
groupe s’accapare les richesses alors que le peuple vit dans la misère » Group3/3-L17. Les
exigences de la période postcoloniale au Gabon n’ont pas été à la mesure des espoirs suscités.
195
L’instauration d’un système politique d’inspiration coloniale aurait rapidement inspiré
l’avènement d’un État dictatorial. Pour la grande majorité des répondants, environ 80 %,
l’échec de la décolonisation incomberait à la puissance colonisatrice qui s’est contentée de
déposséder le Gabon de ses richesses. Le colonisateur aurait instillé les mêmes attitudes chez
les gouvernants gabonais : « c’est comme ça qu’ils nous ont formés [...]. Le chef et ses amis
doivent tout prendre, juste parce qu’il est chef » Group3/3-L17. Ce propos juge insuffisantes
les compétences des dirigeants locaux tout en induisant une condamnation du colonisateur
qui aurait cultivé à dessein la politique des différences : « eux-mêmes fonctionnaient comme
ça, les riches, les pauvres, les blancs les Noirs, diviser les gens, garder tout pour eux »
Group3/3-L23. L’accession à l’indépendance a-t-elle été une garantie pour assurer le
changement et la cohésion sociale ?
Nos répondants soutiennent le contraire. Ils parlent d’un système dictatorial qui a remplacé
un système colonial avec des modes de fonctionnement similaires. Les discours décrivent un
Gabon postcolonial empreint de rivalités ethniques, un terrain politique où le pouvoir est
détenu par un clan : « aujourd’hui, qu’est-ce qu’on voit ? L’ethnie qui est au pouvoir, ce
sont les gens de là-bas qui ont tous les avantages » Group2/3-L23. Aussi toutes les actions
de lutte contre la pauvreté se seraient-elles révélées impuissantes pour régulariser la situation
postcoloniale.
La majorité d’élèves, soit 70%, dénonce des mises en valeur des richesses en faveur de la
métropole. La minorité, quant à elle, tente de nuancer ce propos au regard des potentialités
de développement léguées par la puissance coloniale : « oui, c’est les colons qui ont tout pris,
mais qu’est-ce que nous on a fait de ce qu’ils nous ont laissé, le chemin de fer, les routes et
le reste ? Rien » Group1/3-L23 ! Cette minorité d’élèves qui se garde d’attribuer toute la
responsabilité aux colonisateurs quant à l’état de pauvreté du Gabon, admet que le pays
pouvait tirer parti des infrastructures industrielles mises en place par la puissance
colonisatrice : ports, routes, voies ferrées, aménagements hydrauliques.
196
En définitive, selon nos répondants, la décolonisation n’a nullement signifié la maitrise de la
pauvreté du Gabon ni la rupture des liens de dépendance de ce pays avec la France, aspect
sur lequel nous revenons à la suite. Ces derniers remettent en question des modes d’être et de
gestion hérités de la colonisation, des facteurs qui font perdurer le phénomène de pauvreté
au Gabon.
5.1.1.3. Les facteurs qui maintiennent le Gabon en état de pauvreté
Les répondants ont déjà traité des causes38 de la pauvreté dans le questionnaire. Un
des objectifs poursuivis à cette étape de notre recherche est de mesurer les changements
conceptuels chez ces derniers suite à l’interprétation des documents. D’après l’analyse qu’ils
font de la réalité sociale au Gabon, les origines de la pauvreté remontent à la période
coloniale. Une fois le système colonial aboli, la permanence de l’état de pauvreté pose la
question des facteurs qui nourrissent ce phénomène. Identifier ces facteurs était l’objectif que
nous cherchions spécifiquement à atteindre en revenant sur le sujet. Les réponses tournent
autour de plusieurs facteurs dont la forte prégnance des réalités historiques dans l’état actuel
des choses au Gabon. Par souci de clarté, nous avons procédé à une distinction entre l’état de
dépendance sur lequel est revenu l’ensemble des élèves et les comportements témoignant
d’un manque d’intégrité sociale ou professionnelle.
La dépendance du Gabon face à la puissance colonisatrice
Selon nos répondants, la dépendance du Gabon face à la France est l’un des principaux
facteurs qui maintient le Gabon en état de pauvreté. Bien que les discours paraissent peu
justifiés au regard des faits, on pouvait au moins distinguer les arguments soutenant une
dépendance politique des autres à caractère économique et culturel. Le Tableau n°12 ci-
dessous situe la dépendance du Gabon à différents niveaux.
38À ce stade de la recherche, les élèves étaient à même de nuancer entre es causes à l’origine de l’apparition du
phénomène de pauvreté et les facteurs contribuant à le nourrir.
197
Tableau n°12: Les facteurs de dépendance
Situation Niveau Citations représentatives
L’état de dépendance
actuel du Gabon
Politique
« Les Français viennent trop s’ingérer dans nos affaires.
À chaque fois qu’il y a des élections ici, il faut toujours
contrôler les choses. Nous, on ne se mêle pas de leurs
affaires » ? Group2/1-L2
économique
« Ce sont eux qui fixent les prix pour acheter nos
matières premières. Ce sont eux qui décident de tout.
Les sociétés pétrolières sont à eux, ils s’enrichissent, la
population a quoi là-dedans » ? Group5/2-L17
culturel
« Ce qui vient de chez nous n’est pas valorisé. C’est tout
ça qui fait qu’on dépend d’eux. Les colons nous ont
appris à nous dévaloriser, nous-mêmes on fait la même
chose. On dénigre nos cultures. On valorise leurs
cultures. C’est à cause de ça qu’on manque de repères.
Y a même les gens qui ont honte de parler leur langue
maternelle ». Group3/3-L25
Les élèves dénoncent une domination politique masquée par une façade de protection de la
France. Ils relèvent certains traits de la situation coloniale du fait qu’une minorité blanche
occupe toujours une place privilégiée au Gabon. En temps de crise, la libre gouvernance
ferait souvent place à une véritable ingérence de la France. Plusieurs interventions françaises
au Gabon seraient souvent justifiées par un appel à l’aide du gouvernement :
E : [...]. En tout cas, tout le monde sait que la France a toujours son mot à dire
dans les affaires du Gabon, l’élection des présidents [...]. Toujours, il faut
d’abord penser aux intérêts de la France. Il faut que le nouveau président
conserve bien tous les intérêts de la France. C’est comme si le Gabon a un
pacte avec la France. C’est loin de finir. Group2/4-L26
Les répondants expriment la dépendance économique du Gabon face à la France avec plus
de netteté : « quand même, c’est le Gabon qui te vend ses matières premières, mais c’est elle
qui fixe ses prix » Group2/4-L28. Les élèves ne semblent pas avoir conscience que la
situation économique dépend des fluctuations des cours internationaux sur lesquels le Gabon
n’a aucune prise : « depuis quand c’est l’acheteur qui fixe le prix » Group2/4-L30. Comme
pour la majorité des pays africains, le développement industriel du Gabon est encore lié à
198
l’aide extérieur. C’est la rentabilité escomptée par les pays prêteurs qui détermine les
domaines dans lesquels seront investis les capitaux prêtés, le volume et la durée de cette aide.
Cette politique empêcherait un décollage économique véritable dans les secteurs de base qui
présentent moins d’intérêt pour les investisseurs étrangers. Au Gabon, la rentabilité des
investissements étrangers expliquerait une croissance rapide du PNB sans que cela
n’aboutisse à une transformation profonde des structures de base. Ce que tente d’illustrer
l’extrait à la suite :
E : [...]. Si on prend le cas de Port-Gentil, en quoi toutes ces sociétés qui
profitent du pétrole du Gabon sont utiles ? Est-ce que vraiment les populations
profitent de tout le pétrole qui est produit chez eux ? Rien du tout ! On ne voit
aucun changement à Port-Gentil. Les maisons, les écoles, y a rien [...]. Les
entreprises sont là pour leur « biz ». Tant que y a le pétrole, ils restent, ils sont
là. Mais le jour qu’il n’aura plus de pétrole, ils iront chez eux, un point ! Un trait !
La même chose qu’à l’époque coloniale, aucune différence dans le fond.
Group3/3-L25
Ce discours récurrent explique une réalité déjà évoquée au chapitre 4, celle des masses
populaires qui ne profitent aucunement les richesses produites dans leur pays. Les entreprises
étrangères, qui investissent leurs capitaux en fonction d’une stratégie économique à l’échelle
internationale, doivent malheureusement voisiner avec des secteurs archaïques autochtones.
Si la dépendance du Gabon face à la France est politique et économique, elle a aussi un
caractère culturel.
Sur le plan culturel, le mode de vie de référence au Gabon est celui de l’ancienne métropole.
Selon les répondants, la société gabonaise se conforme au modèle occidental, à ses loisirs, et
ce, sans un esprit critique. Même les programmes scolaires sont calqués sur des modèles
européens, un fait qui a déjà été relevé : « on voit plus les choses de l’Europe en classe que
les choses du Gabon » Group2/3-L19. Les élèves dénoncent une invasion culturelle qui
entrainerait des complexes et des frustrations entre une minorité de riches et la majorité des
pauvres :
199
E : [...]. Ce qui se passait à l’époque coloniale, c’est pratiquement ce qui se passe
aujourd’hui. Y avait un petit groupe de privilégiés qui menait une vie tranquille.
Les indigènes eux, ils vivaient mal. Avant, c’était entre les Blancs et les Noirs,
maintnant, c’est entre les riches et les pauvres [...]. C’est frustrant que les gens
s’affichent avec fierté alors qu’ils n’ont rien fait pour mériter ça. Ils sont quand
même fiers. Group1/1-L21
Une forme de domination étrangère qu’ont relevée les élèves concerne les politiques de
coopération et d’entraide internationales destinées aux pays sous-développés. Les discours
évoquent des modèles de développement qui ne tiennent pas compte des réalités locales :
E : [...]. Quand ils disent qu’ils veulent nous aider, en réalité, ils font que ce qui
les arrange. Quand tu veux vraiment aider quelqu’un, il faut lui donner ce
qui peut vraiment l’aider. Par exemple, on parlait dans une émission des
programmes d’ajustements structurels. Les pays développés ont dit qu’ils
veulent aider les pays pauvres. Eux-mêmes, ils ont élaboré des programmes
qu’ils sont venus introduire. Mais, ça n’a pas marché [...]. Quand je suis allé bien
chercher sur le net, en fait, ça a échoué parce qu’on n’a pas tenu compte des
réalités du terrain. Group1/1-L16
Pour soutenir son propos, l’élève prend en exemple les programmes d’ajustements structurels
(PAS) comme l’un des plans d’aide étrangère, qui souvent, ne tiennent pas compte des
réalités sociales. D’où l’impact du système colonial relevé dans ce propos : « depuis la
colonisation, est-ce qu’ils ont vraiment cherché à savoir ce que nous on veut ? Et ça
continue » Group1/1-L30. Selon nos répondants, le phénomène de pauvreté nourri par la
supériorité technique des anciennes puissances découlerait d’une situation historique
prolongée. Ce qui parait les contrarier davantage, c’est que l’on ne tienne compte que des
compilations économiques globales pour mesurer le niveau de vie du Gabon. Sur le plan
social, la croissance économique serait corrélative à une détérioration du niveau de vie du
plus grand nombre. C’est généralement en ce sens qu’ils remettent en question les modes
d’être et de gestion d’un modèle colonial en héritage au Gabon.
La remise en question des modes d’être et de gestion
200
Cette section est une sorte de résumé des facteurs qui nourrissent l’état de pauvreté actuel du
Gabon. Dans l’ensemble, les répondants dénoncent une stratification sociale fondée sur des
critères arbitraires. L’on distingue nettement les causes de la pauvreté évoquées dans le
questionnaire des facteurs qui la font perdurer. Parmi les facteurs qui nourrissent l’état de
pauvreté du Gabon, il y a la malhonnêteté. Ce facteur qui témoigne d’un manque d’intégrité
sociale ou professionnelle est à l’origine des cas de corruption, de détournement, d’extorsion
et de vol. Les élèves dénoncent le détournement des ressources destinées au bien-être des
populations : « en tout cas, chez nous, l’essentiel c’est d’être riche, peu importe comment
tu as eu cet argent » Group1/1-L34.
Les répondants s’interrogent sur l’attitude fataliste des citoyens gabonais qui les rend
incapables d’agir. Les propos font éventuellement référence à un savoir-être qui donne un
certain pouvoir à l’Homme pour dépasser sa condition : « beaucoup de Gabonais ignorent
qu’ils sont capables de changer les choses, ils préfèrent subir » Group1/3-L30. Loin de
partager ce sentiment d’impuissance qui se traduit par l’apathie ou l’indifférence, les
participants remettent plutôt en question le modèle d’éducation qui a façonné les modes
d’être et de gestion au Gabon. Dans la mesure où les rapports d’oppression se reproduisent
malgré les différents systèmes politiques, l’on comprendra à la suite de Freire que l’éducation
pratiquée dans une situation d’oppression ne peut être porteuse de libération pour transformer
la réalité sociale qu’est la pauvreté.
5.1.1.4. Quel bilan au sujet de la mémoire collective du Gabon?
Nous dressons ici un bilan des discours de nos répondants quant aux trois systèmes
politiques qui se sont succédés au Gabon : le système colonial, le système dictatorial et le
système démocratique actuel. S’agissant du système colonial, les élèves interrogés ont
évoqué les heurts de civilisations et de races. Ils ont montré comment ces heurts se sont
produits dans des conditions marquées par la domination d’une minorité étrangère
techniquement supérieure sur une majorité autochtone matériellement inférieure. La pauvreté
des masses autochtones caractérise le rapport économique et social durant cette époque.
201
Concernant la période postcoloniale, c’est-à-dire celle durant laquelle le système dictatorial
s’est imposé au Gabon, les répondants ont soutenu que l’indépendance des anciennes
colonies n’a pas réglé tous les problèmes. La plupart de ceux qui parviennent à la tête des
États s’emparent du pouvoir et installent des régimes dictatoriaux. Une minorité de
privilégiés s’accaparent l’essentiel des richesses laissant le reste de la population vivre dans
des conditions difficiles. Dans l’état actuel de la condition sociale au Gabon, les discours des
participants mettent l’emphase sur une minorité de riches qui voisine avec la grande majorité
de la population, qui elle, vit dans l’indigence la plus totale. À la suite de nos répondants, il
serait possible d’affirmer que dans l’histoire du Gabon, si les systèmes politiques ont varié
dans le temps et selon les époques, les modes d’être et la gestion des richesses sont restés
sensiblement les mêmes.
Cette caractéristique commune à tous les systèmes politiques est-elle une fatalité, une donnée
d’ordre ontologique qui ne peut être inversée ? Les interprétations des élèves et les principes
d’éducation à la citoyenneté exposés plus loin tendent à soutenir le contraire. Comment
transformer les rapports de force au Gabon ? Comment le pauvre peut-il parvenir à se libérer
de sa condition de pauvreté ? Les principes pour transformer la réalité sociale actuelle
s’inscrivent dans une optique de libération des pauvres de leur situation de pauvreté. La
question du rapport au savoir est mise en relation avec les théories de l’habitus et de
l’interactionnisme historico-social pour rendre compte de la complexité du social dans la
production de sens.
À la suite de Pierre Bourdieu, les auteurs de la théorie de l’éducation implicite (Pourtois &
Desmet, 2004) confirment la persuasion clandestine de l’éducation qui, en se présentant avec
toutes les apparences du naturel, puise sa force au sein des institutions éducatives. Sans la
méconnaissance de cette domination naturelle qui n’a d’égale que la soumission naturelle,
la violence symbolique de l’éducation serait inopérante et l’individu conscient s’y opposerait.
La prise de conscience de l’arbitraire peut diminuer la force symbolique de l’éducation et
modifier les rapports de force. Comment une éducation d’un modèle colonial en héritage au
Gabon a-t-il forgé l’habitus dans ce pays ? C’est l’objet de la section qui va suivre.
202
5.1.2. La reproduction de l’oppression expliquée par nos répondants
La présente section poursuit un double objectif : premièrement, comprendre
comment les élèves expliquent la permanence de la pauvreté à partir de l’interprétation qu’ils
font des documents soumis, et deuxièmement, comprendre comment le modèle colonial en
héritage au Gabon a façonné les habitudes dans ce pays. En appui aux théories de l’habitus,
de l’interactionnisme historico-social et de l’éducation implicite et en référence à la réflexion
de Freire, nous tenterons de cerner les mécanismes qui concourent à reproduire le phénomène
de pauvreté. À partir des propos obtenus, nous verrons dans quelle mesure nos répondants
parviennent – ou non – à en prendre conscience en tant que futurs citoyens.
Le premier et le second volet mettent respectivement en scène différentes situations
d’oppression dans laquelle s’exprime la contradiction dominant/dominé et la prise de
conscience devenant la condition sine qua non pour transformer la réalité. Le troisième volet
permet une mise en opposition, à partir des propos d’élèves, des pratiques éducatives
porteuses de libération, et des actes éducatifs d’aliénation. En dernier lieu et toujours en se
basant sur nos données, nous faisons une sorte de synthèse des principes que les élèves
mettent comme fondement de l’éducation à une citoyenneté plus réfléchie.
5.1.2.1. Les mécanismes qui reproduisent l’oppression
Il est question ici d’une mise en scène de la façon dont une situation d’oppression,
telle qu’évoquée par nos répondants, est susceptible de se reproduire, parfois de façon
inconsciente quel que soit le système politique. Pour la majorité d’élèves interrogés, soit 17
élèves sur 21, rendre compte de la permanence du phénomène de pauvreté au Gabon, c’est
expliquer pourquoi — et parfois comment — les hommes sont amenés à occuper telle ou
telle position dans ce pays :
E : Je pense que c’est un peu normal parce que les riches eux… ils peuvent bien
assurer l’éducation de leurs enfants [...]. Ils peuvent les mettre dans les
bonnes écoles, les bonnes universités. Ils peuvent envoyer leurs enfants en
203
France, aux États-Unis, au Canada suivre les formations qui sont quand même
intéressantes par rapport ici à l’UOB. Bon, c’est normal quand ils vont revenir
avec les diplômes, forcément ils vont occuper les bons postes. Ils ne vont
jamais connaitre la pauvreté. Les enfants des pauvres n’ont pas cette chance-là
Group4/1-L110.
Chez cette majorité des répondants, de tels propos soutiennent l’idée de reproduction qui
trouve sa forme la plus accomplie dans l’œuvre de Bourdieu. Ainsi, pour comprendre la
position sociale future des uns et des autres, l’élève la compare à la position sociale des
parents et explique comment s’opère la différence. Les répondants cherchent à montrer de
façon claire et irréfutable qu’il existe une corrélation entre la position sociale des parents et
celle de leurs enfants. Cette corrélation, bien qu’importante, peut-elle expliquer pourquoi les
opprimés d’hier deviennent des oppresseurs d’aujourd’hui ? Si une approche de la
permanence de la pauvreté, en termes de positions sociales, peut justifier en partie la
transposition des systèmes de différences, elle se heurte pour intéressante qu’elle soit, à des
limites qu’elle ne peut dépasser. Ce sont ces limites qui nous conduisent à poser le problème
en termes de rapport au savoir. Comment le citoyen gabonais construit-il son rapport au
savoir, étant entendu que le rapport au savoir est à la fois, rapport à soi, rapport l’autre et
rapport au monde ? Comment le modèle éducationnel en vigueur a-t-il façonné son habitus ?
En de termes plus clairs, il s’agit de reconsidérer les processus dans lesquels se génère la
reproduction : « il faut déjà voir comment les colons se comportaient avec les indigènes et
comment les riches se comportent avec les pauvres » Group2/1-L188. Dans cet ordre
d’idées, les processus de reproduction sont analysés selon une approche historico-
sociologique des rapports humains : « si le colon respectait l’indigène, il allait peut-être
chercher à le comprendre » Group1/3-L110. Ces analyses restent principalement centrées
sur la situation d’oppression dans laquelle dominants et dominés sont immergés, et en cela,
mettent en lumière les mécanismes qui concourent à reproduire le phénomène de pauvreté au
Gabon.
La situation d’oppression est, en effet, analysée par les répondants comme mettant le
dominant et le dominé dans des modes d’être et des visions du monde et d’eux-mêmes dont
204
ils n’ont pas conscience. La prise de conscience de cet ordre d’injustice serait le premier pas
vers la transformation de la réalité sociale et la libération des pauvres de leurs conditions de
pauvreté. Ce cheminement nécessiterait un accompagnement : « il faut que les gens prennent
conscience. On doit peut-être les sensibiliser si on veut que ça change » Group1/1-L115. La
perspective du rapport au savoir, parce qu’elle s’intéresse au sujet, au savoir et à la relation
sujet/savoir a été nécessaire pour cerner les processus d’aliénation ou de libération par
lesquels les pratiques éducatives sont posées depuis le système colonial. Pour libérer les
forces transformatrices, une réflexion sur les actes éducatifs semble nécessaire pour éclairer
les déformations de l’analyse du monde et de soi-même qu’entraine la situation d’oppression.
Comment les actions éducatives libèrent-elle ou aliènent-elle par le type de relation qu’elles
instaurent entre l’éducateur et l’éduqué ? Qu’est-ce qui caractérise une situation
d’oppression ?
La situation d’oppression résulterait d’une stratification sociale qui, selon nos répondants,
repose sur la fortune, le prestige ou le niveau d’instruction : « les colons étaient fortunés,
ils menaient une vie de prestige. Alors ils dominent » Group3/4-L94. L’intérêt porté à la
situation d’oppression se justifie par le type de rapports de force existant entre les deux
mondes auxquels appartiennent opprimé et oppresseur. Pour y parvenir, nous y sommes
allées de quelques réflexions : qu’est-ce que la situation d’oppression et comment s’exprime-
t-elle dans la contradiction colon/indigène ? Peut-on dépasser la situation d’oppression et à
quelles conditions ? À la suite de Freire, de tels questionnements nous ont servi de base à
l’analyse des principes d’éducation à la citoyenneté tels qu’exposés dans la suite. Comment
les dominés se définissent-ils dans une situation d’oppression ?
Qui sont les dominés, pourquoi leur situation est-elle aliénante ?
Dans la catégorie des dominés, les élèves considèrent toute personne opprimée face à
l’oppresseur, c’est-à-dire l’indigène (face au colonisateur), l’éduqué ou l’élève (face à
l’éducateur ou le maitre) et tous ceux qui vivent une situation de pauvreté (face aux personnes
205
nanties). Comment l’indigène, l’éduqué ou le pauvre construit-il son rapport au savoir ? Tel
est l’objectif poursuivi à cette étape de la recherche.
Nous éclairons ici l’image que nos répondants ont de l’indigène, du faible et de la personne
opprimée de façon générale. Durant la période coloniale, la quasi-totalité des peuples dits
attardés, archaïques ou primitifs vivant dans des sociétés sans machinisme constituait pour
l’essentiel des peuples opprimés. Comment nos participants pensent-ils le rapport à soi, à
l’autre et au monde de l’opprimé ? L’extrait qui suit résume assez clairement leurs
représentations à ce propos :
E : [...]. Moi, je pense que l’indigène, il sait bien qu’il est marginalisé. Depuis la
colonisation, on a mis dans leur tête qu’ils sont des moins que rien. On ne les
valorisait pas. Au contraire, on les méprisait. Ils étaient bons seulement pour
travailler. En plus, ils travaillaient fort pour un salaire de misère. Si un noir
refusait de travailler ou quoi, on le fouettait sur la place publique. L’indigène
veut avoir la même vie que le colon [...]. Il a des rêves, il veut aussi avoir tout
ce que le colon a, mais c’est presqu’impossible. Il n’a même pas droit à la
parole. Il n’a pas confiance en lui. Group1/4-L134
A l’instar de ce que soutenait Freire, ce propos indique que l’indigène est un être double qui
a accueilli en lui la conception du monde de l’oppresseur. Du fait de sa situation, il est à la
fois lui-même et l’autre. L’indigène est fortement attiré par la personne du colonisateur et
son mode de vie. Il voudrait accéder à ce mode de vie et à l’être du colonisateur. Ce qui
revient à dire que l’indigène a fait sienne la vision du monde du colonisateur.
Inconsciemment, l’indigène se déprécie en intériorisant le jugement de l’oppresseur et en se
croyant incapable. Bien que dénonçant la situation d’oppression dans laquelle il est immergé,
l’indigène d’hier ou le pauvre d’aujourd’hui, a peur de courir le risque de l’autonomie. La
personne opprimée a plutôt tendance à s’adapter : « le pauvre ne peut que s’adapter, il n’a
pas de choix » Group 4/1-L134. D’où, pour Freire (1983), l’opprimé veut être, mais a peur
d’être et reste immergé dans l’ordre établi par l’oppresseur à son profit. Tant que l’opprimé
n’a pas localisé en lui-même la présence de l’oppresseur et tant qu’il n’a pas acquis sa propre
206
conscience, il aura des attitudes fatalistes face à sa propre situation. Comment les élèves
interrogés définissent-ils les dominants ?
Qui sont les dominants ? Qu’est-ce qui les identifie ?
Selon nos répondants, le dominant appartient par son statut social à la classe dirigeante. Il a
tout à son avantage. Pendant le système colonial, les dominants font partie de la minorité
blanche. Dans la situation actuelle, les élèves interrogés les comparent à l’élite dirigeante.
Les différents discours révèlent une injustice imposée par la situation de confort qui les
caractérise :
E : [...]. Ce sont tous ces gens qui détournent l’argent du peuple pour leur
propre gloire. C’est la même chose que les colons faisaient aussi. Ils prenaient
nos richesses pour aller développer chez eux [...]. Pour moi, n’y a aucune
différence. Tout ça, c’est de l’injustice. Ils s’imposent aux plus faibles. Ils
savent qu’ils ne sont même pas capables de se défendre. Si y a que les riches,
cette situation peut durer pour toujours, pourvu qu’on conserve ses avantages.
Group4/1-L122
Pour ce jeune Gabonais, toute personne qui profite du pouvoir en place est complice de
l’oppression faite à l’opprimé :
E : [...]. Je pense que les riches n’imaginent pas la situation autrement [...]. Dans
les documents, même avant, dans mes lectures, on disait que les colons pour bien
garder leur place, ils étaient obligés d’abolir le droit traditionnel pour imposer
leurs règles. Au moins, ils étaient sûrs de tout contrôler. C’est la même chose
aujourd’hui. Quand les gens arrivent au pouvoir, ils changent les lois, si le mandat
présidentiel était à 5 ans, ils mettent 7 ans. Ils ne voient que ce qui les arrange.
Group5/1-L117
Le propos relate ce que soutenait déjà Freire, l’application du droit pour tous signifie des
restrictions importantes à la liberté du dominant. Le dominant ne peut se concevoir en dehors
de la possession et de la domination matérielle et des hommes. En d’autres termes, celui qui
veut dominer transforme tout en objet de domination et voit tout en termes de profit : « à
cause de ça, ils prennent tout l’argent du pays pour se glorifier, ils se sentent importants »
207
Group5/4-L102. Tout comme Balandier (1950), Freire (1983) faisait mention de tels
phénomènes de domination où l’argent devient la mesure de toute chose. Dans sa position de
dominant, le colonisateur pense avoir atteint un degré élevé d’humanité qui lui est
naturellement réservé. Une telle conception les aurait amenés à douter de la conscience des
indigènes. Les colonisateurs ont ainsi chosifié les colonisés en les niant en tant que sujets
libres et conscients :
E : [...]. Ce qui les intéresse, c’est de garder les gens en état d’infériorité parce
qu’ils ont besoin de ça pour avoir la domination. Ils font semblant de se
montrer généreux en leur donnant des faux trucs. Les Français pour s’accaparer
de notre territoire, pour prendre nos richesses, ils ont dit, on va vous faire ceci
cela [...]. C’est la même chose que les hommes politiques font. Quand y a les
élections, ils promettent monts et merveilles, après ils donnent un peu de
nourriture et les gens acceptent parce qu’ils ont faim. Group3/3-L123
L’élève analyse ici les relations objectives dans lesquelles dominants et dominés sont
enfermés. Comment transformer les relations dominant/dominé qui sont si naturellement
inscrites dans le quotidien de l’Homme ? Comment libérer le dominé de la situation de
domination, comment dépasser l’oppression dans les rapports humains ? Diverses questions
étaient posées telles quelles aux répondants. Nous les reformulions parfois dans un langage
peu soutenu afin de les rendre plus explicites et facilement accessibles.
À ce sujet, nous avons enregistré tout type de réponses. Une catégorie d’élèves (soit 12
élèves) propose de changer catégoriquement de gouvernants et de les remplacer par des
dirigeants intègres : « il faut enlever les gens malhonnêtes et mettre les personnes qui sont
capables » Group5/3-L123. Une autre catégorie (6 élèves au total) envisage que l’on redonne
à l’éducation une valeur importante dans la société : « quand les gens ont fait les bonnes
formations, ils savent se comporter » Group4/3-L108. L’éducation proposée comme un
moyen pour sortir le Gabon de la pauvreté, bien qu’intéressante par des changements qu’elle
peut apporter à la société, parait toutefois hasardeuse pour cerner les mécanismes qui
reproduisent l’oppression.
208
Le dialogue proposé par deux élèves dont l’interprétation s’est portée sur la nature des
relations humaines rejoint davantage notre perspective d’analyse. Selon ces deux répondants,
un cadre d’échange dialogique aurait suscité une compréhension mutuelle entre colonisateur
et indigène durant la période coloniale où ont pris naissance les rapports d’oppression : « si
les colons avaient pris les indigènes pour discuter, peut-être qu’ils pouvaient se
comprendre » Group1/1-L118. Le principe qui veut que l’on change de gouvernants pour les
remplacer par d’autres ayant un rapport à l’autorité semblable, repose sur des rapports
humains de même nature. Cela a été le cas dans la situation postcoloniale où les espoirs
suscités par la décolonisation avaient connu un échec. Comme le souligne Freire, une action
de libération ne peut utiliser les mêmes procédés qu’une action d’oppression même avec des
buts contraires :
E : [...]. Ce que je pense, c’est que, si y a toujours les dominés et les dominants,
on ne peut pas s’en sortir. Parce que… on voit par exemple ceux qui étaient
pauvres hier, quand ils deviennent riches, ils font la même chose [...]. Quand
on discute avec les gens, on les comprend. Ça met en confiance, on est
conscient. Group3/2-L115
Selon ce que soutient cet élève, un échange dialogique peut permettre aux personnes
opprimées de faire une analyse critique de la situation dans laquelle elles vivent et d’en
prendre conscience. Au sens que lui donne l’élève dans ce propos, la prise de conscience
s’identifie à un travail d’insertion critique où l’Homme se comprend et agit par rapport à la
compréhension qu’il a de sa réalité.
5.1.2.2. La prise de conscience pour transformer la réalité
Au cours des entrevues, nous avions pris l’habitude de comparer l’oppression
relative à la relation maitre/élève au rapport colonisateur/colonisé. Dans différents exemples,
les participants dénoncent un genre d’oppression dans les situations d’apprentissage en
classe. Les uns, soit 6 élèves sur 21, proposent que les apprentissages partent de la réalité de
l’apprenant afin de le mener à un engagement personnel. D’autres, soit 11 sur 21 élèves,
209
pensent à un changement d’attitude du côté de l’éducateur. Ce que l’élève exprime en ces
termes :
E : [...]. Quand tu sais que le prof te qualifie déjà d’incapable, ça ne te pousse
pas à faire des efforts. Par contre, quand tu es sûr que le prof te fait confiance, ça
te pousse à faire des efforts. Même si tu n’as pas bien compris, tu vas aller
discuter avec lui sans complexe [...]. Avec les explications, tu vas t’améliorer. Tu
sais que tu ne seras pas jugé. Group3/3-L120
Cet extrait de discours éclaire sur la façon dont le répondant se représente la transformation
qui peut être menée. Certains élèves (12 sur 21) insistent sur la participation active et libre
de l’opprimé pour transformer les rapports d’oppression. Pour d’autres, soit 18 élèves sur 21,
une action de libération implique un changement d’attitude de celui qui accompagne
l’opprimé. Les deux conceptions combinées résument l’expression de Freire selon laquelle
« personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble »
(Minot, 2005, p. 6).
Les discours rendent compte d’un type de relation sur lequel reposent les rapports de force
et montrent comment l’oppression déshumanise. Comme le soutient le propos à la suite, la
lutte pour supprimer l’injustice, si elle ne tend qu’à inverser les rapports de force, ne résoudra
pas les choses. On peut donc comprendre la remarque formulée : « les gens qui étaient
d’abord pauvres, quand ils ont maintenant la richesse, ils font pareil » Group5/3-L120. Le
propos suppose que pour dépasser la situation d’oppression, il importe de modifier le type de
rapport que les uns entretiennent avec eux-mêmes, avec les autres et avec le monde. En
conséquence, la transformation des rapports de force commencerait par une prise de
conscience. Nos répondants sont-ils parvenus à cette prise de conscience pour transformer
les rapports d’oppression dans toute situation ?
Comme le soutenait également Pierre Bourdieu, la prise de conscience de ses propres habitus
peut diminuer l’arbitraire et soutenir une réflexion critique sur sa propre condition. Une
condition sine qua non qui permettrait de modifier les rapports de force comme suggère le
propos à la suite :
210
E : [...]. Quand je me suis dit que moi aussi je suis une personne, j’ai pris la
décision que je ne voulais me faire maltraiter parce que je suis Noire, ça a changé.
Avoir le pouvoir, ça ne veut dire mépriser les autres forcément [...]. Tu te dis :
ça ne peut pas continuer ! Ça fait mal de se sentir diminué. Ils ne sont pas
conscients de ce qu’ils font. Group4/4-L130
Dans cet extrait, nous sommes parvenue à saisir la structure complexe du discours et la forte
prégnance des expériences personnelles dans l’analyse des réalités sociales au Gabon. Le
rejet dont l’élève a été victime lui a certainement valu ce regard sur le monde.
C : Est-ce que… c’est parce qu’il existe les dominants et les dominés que la
pauvreté se reproduit. Je n’ai pas encore bien compris.
E : Euh…, oui, bien sûr ! Les oppresseurs y en a partout [...]. Pendant la
colonisation, d’un côté, y a les colons, les riches, les plus importants. De l’autre
côté, y a des indigènes, les noirs, les moins importants. Or ce sont tous les
humains.
C : Tu dis qu’il y en a partout, pourquoi ?
E : Oui, même si la colonisation est finie, y a toujours les riches et les pauvres.
Même en classe, y a des élèves qui se sentent plus importants. Surtout ceux qui
sont bons en maths. Ils me mettent mal à l’aise. Enfin, c’est aussi les profs qui
encouragent ça. On veut qu’on progresse comment si on traite les gens mal.
Group4/4-L153
Comme dans ce cas précis, l’analyse de la pauvreté et la permanence du phénomène au Gabon
se complexifiait au fur et à mesure par une double identification de la relation d’oppression :
la domination de l’un implique l’assujettissement de l’autre. Vers la fin de l’entrevue, plus
de la moitié des élèves interrogés parvenait à cerner la reproduction de la pauvreté dans le
sens d’un modèle de rapport à l’autorité constitué au fil du temps : « c’est comme ça qu’on
les a éduqués. Si tu es au pouvoir, tu t’accapares de tout » Group4/2-L123. Toutefois, seule
une minorité, soit 3 élèves sur 21, est parvenue à évoquer plus clairement la double hypothèse
générée par la situation d’oppression : la cohabitation de deux mondes opposés —
dominant/dominé — et — l’oppression exercée sur les plus faibles. S’il a fallu différents
détours pour amener la majorité d’élèves à cerner les mécanismes qui reproduisent la
211
pauvreté, cette minorité au contraire est parvenue à montrer avec facilité comment
l’oppression s’inscrit naturellement dans les rapports de force : « il faut voir comment les
plus forts se comportent avec les plus faibles, c’est la base du problème » Group2/3-L133 !
Pour expliciter cette position, les élèves opposent les actions éducatives qui forment à la
conscience critique à d’autres qui aliènent la pensée.
5.1.2.3. Des pratiques éducatives libératrices ou aliénantes
Comme les élèves l’ont soutenu précédemment, l’opprimé peut réaliser sa
transformation à travers une analyse critique de sa propre situation dans la réalité. Aussi, la
libération des pauvres commencerait par une compréhension profonde de la réalité dans
laquelle ils sont immergés :
E : [...] Il faut que les pauvres prennent conscience qu’ils peuvent agir [...]. Les
pauvres doivent comprendre qu’ils ont leur part de responsabilité. C’est trop
facile, tout le tort sur les autres. Changer les gouvernements, ce n’est pas ça la
solution. Il faut voir la solution au niveau de l’éducation [...]. Les indigènes,
ils connaissaient des choses, il fallait parler avec eux au lieu de les prendre pour
des nuls. Group4/1-L165
Selon cet élève, le colonisateur aurait mieux fait de partir de la réalité de l’indigène pour
l’amener à une analyse critique de la situation. Ce qui impliquerait un changement d’attitude
du côté du colonisateur. L’attitude du colonisateur est souvent comparée à celle de certains
enseignants : « c’est comme certains profs s’intéressent seulement aux bons élèves dans
leurs matières » Group2/1-L165. Les discours mettent en lumière le regard que l’on porte sur
le plus faible. Les enseignants qui s’intéressent uniquement aux bons élèves ne feront pas
progresser les plus faibles. Une attitude contraire peut permettre de tirer le meilleur des élèves
en difficulté : « si tu sais que le prof t’encourage, ça te pousse à faire des efforts » Group2/1-
L167. Comme dans la plupart des cas, de tels propos tentent de montrer comment l’attitude
de l’enseignant peut aider l’élève à améliorer ses performances scolaires ou non. Ainsi, les
rapports enseignant/élève auraient un impact sur le rapport au savoir et à l’école de l’élève.
212
E : [...]. La maitresse ne voulait jamais considérer ce que je dis. Quand je suis
à côté d’une personne qui me juge, je n’arrive pas à réfléchir, je me sens bloquée.
Elle ne me félicitait jamais même quand je faisais les efforts. Mais elle faisait
toujours des éloges à celle qui était assise à côté de moi [...]. On m’a mis dans
une autre classe. Là, mon maitre m’encourageait, j’avais maintenant les bonnes
notes. Quand tu te sens bien avec une personne, tu participes, tu t’améliores aussi.
Group4/4-L145
L’attitude de l’enseignante traduit une certaine conception du savoir qui ne prend pas en
compte les connaissances antérieures de l’élève : « je voulais poser une question, elle a dit,
contente-toi d’écouter » Group4/4-L170. Ici l’apprentissage est considéré comme un acte
de dépôt d’une matière prédéfinie et l’apprenant comme un contenant prêt à recevoir. Comme
dans la situation coloniale, la relation éducateur/éduqué est une relation à sens unique : « les
colons se disaient qu’ils n’avaient rien à apprendre des indigènes » Group5/5-L184. Cette
conception de l’éducation suppose que l’on s’adresse à un Homme abstrait qui
subjectivement n’existe pas puisqu’il n’existe que d’hommes concrets. Aussi, le colonisateur
tente-t-il de transmettre aux indigènes une réalité coupée de la réalité globale qui lui donne
sens : « les indigènes se résignent parce qu’on ne leur a jamais donné l’occasion de
s’exprimer » Group2/1-L174. L’éducation coloniale rend passif parce qu’elle ne tient pas
compte de la personne éduquée qui ne peut alors développer sa conscience critique : « ils
n’ont pas vraiment maitrisé les choses, ils ont seulement copié sans comprendre » Group3/3-
L130. Dans la situation coloniale, les pratiques éducatives rendent impossible un savoir
formateur.
Une action éducative ayant une valeur formatrice établit des relations d’un type particulier
entre l’éducateur et l’éduqué. Elle met en dialogue deux sujets qui s’éduquent mutuellement :
« si vraiment les colons avaient agi autrement, la situation serait peut-être différente
aujourd’hui. Les indigènes aussi avaient des choses à apprendre aux colons » Group1/2-
L115. Dans un cadre d’échange dialogique, il n’y a pas deux entités opposées, mais des sujets
qui ensemble analysent la réalité. Le savoir n’est plus la propriété de l’éducateur, mais un
objet de médiation entre les sujets. C’est dans une relation dialogique que l’Homme se définit
: « c’est important de laisser l’autre s’exprimer » Group2/4-L170. Par manque de dialogue
213
dans la situation coloniale, l’apprentissage ne partait pas de la réalité de l’indigène : « il faut
d’abord considérer l’autre pour prendre la peine de discuter avec lui » Group3/1-L120.
Selon les répondants, entrer en dialogue avec autrui permet de prendre en compte les
situations concrètes de vie des personnes à former. Ce qui éduque, ce n’est pas d’abord le
contenu des savoirs, mais le type de relation établi entre l’éducateur et l’éduqué : « c’est bien
si le prof cherche à comprendre ce que je pense, mon point de vue » Group4/2-L144. La
parole que l’on donne à l’élève permet de saisir les conditions dans lesquelles se structure sa
pensée. Cet échange rend possible une lecture en positif des situations et des visions du
monde. C’est dans ce sens que les discours se sont élargis à ce que Freire appelle l’invasion
culturelle globale : « ils nous ont envahis avec leurs modes de vie » Group4/3-L150.
Les heurts de contact évoqués par les répondants constituent des indicateurs qui à eux seuls
expliquent l’oppression : « la personne qui veut faire la force, ne veut pas discuter »
Group2/1-L155. Les promesses du colonisateur sont qualifiées d’illusions et les divisions
ethniques de manipulations. Le colonisateur a envahi le contexte culturel du colonisé avec
ses modes de vie et ses valeurs : « leur façon était meilleure, donc on a copié » Group2/3-
L160. Le colonisé qui est resté immergé dans la culture européenne la croit supérieure à la
sienne Il a fini par se voir lui-même avec les yeux du colonisateur : « si tu sais que tu vaux
rien, alors tout ce que t’as, ça n’a pas de valeur ».
Le propos qui suit fait une critique d’un modèle colonial d’éducation qui assure la pérennité
des rapports de force au Gabon : « ils ont appris que la richesse appartient à celui qui
commande » Group3/4-L160. Ce modèle d’éducation coloniale en héritage au Gabon
formerait-il de futurs oppresseurs ? Les extraits de dialogue à la suite tentent une réponse :
C : [...] Tu n’as rien trouvé de positif dans les contacts colons/indigènes ?
E : Non, non !!! Pas vraiment, non ! […]. Tout ce que moi j’ai vu, c’est les
illusions. Vous aurez ceci, cela, les mêmes droits, on va vous protéger, on va
214
construire des écoles. Il faut se convertir parce que nous on a le vrai Dieu. Tout,
c’est, illusion, mensonge, manipulation.
C : Mais, ils ont quand même fait les routes, le chemin de fer. Est-ce
qu’aujourd’hui c’est eux aussi qui doivent venir encore arranger chez nous ?
E : C’est justement ça le problème. Ils nous ont éduqués comment ? D’abord,
même les routes et autres, dans le fond, ils ont fait ça, parce que eux-mêmes, ils
avaient besoin pour leur commerce [...]. Ils n’ont vraiment pas fait les routes et
les chemins de fer parce qu’ils voulaient développer le Gabon. Group3/1-L175
Comme l’affirme Freire, un monde d’illusion aurait été imposé par le colonisateur qui ne
cherchait qu’à détruire la vision du monde du colonisé. La France dont la révolution des idées
a conquis le monde aurait vendu la colonisation sur des valeurs généreuses : « la France
prétendait avoir la mission d’émanciper les gens, Révolution, Siècle des Lumières, tout ça,
rien » Group3/4-L166 ! L’empire français constitué grâce à la Révolution de 1789 lui
conférait la mission d’émanciper les populations attardées. En effet, la France aurait exprimé
un besoin de coloniser pour la liberté des peuples encore esclaves de l’ignorance : « de quelle
ignorance elle parlait ? Voilà pourquoi on a du mal à avancer, parce qu’ils nous ont appris
à piller » Group5/2-L150. Les répondants ne voient que de la manipulation dans cette
ambition de créer une société plus juste : « est-ce que c’est ça les droits pour tous, la division,
la manipulation » Group5/1-L170 ? Aussi, relèvent-ils des attitudes contraires à la mission
civilisatrice. Des illusions qui prouvent à suffisance que la colonisation n’a pas assuré sa
mission. Les jeunes Gabonais parlent de la religion chrétienne comme une autre des illusions
dont on ne demandait qu’à suivre les instructions :
E : Quel Dieu, ils sont venus conquérir le monde […]. Ils écrivent les relations
entre les peuples arriérés et nous. Et on dit, il faut juste croire en Dieu. Qu’est-
ce qu’on peut recevoir de ces gens ? J’essaie de me mettre à la place des indigènes
[…]. Est-ce que les gens qui croient en Dieu traitent les autres mal ? Un chrétien
veut l’entente, mais eux, ils divisent. Group5/4-L160
S’agissant de la division, le colonisateur aurait divisé les différentes ethniques pour mieux
régner : « les colons ont profité des conflits entre les ethnies pour encourager les
215
divisions » Group2/1-L160. Cette pratique aurait été une manière d’inciter les autochtones à
une obéissance aveugle. Ainsi, ils pouvaient docilement amener la majorité à se convertir à
la foi chrétienne et à adopter des modes de vie européens. Les indigènes, qualifiés d’attardés,
devaient se conformer aux objectifs de la métropole : « quand on ne veut pas que quelqu’un
réfléchit beaucoup, on fait tout pour l’anéantir » Group3/2-L160. Le dirigeant colonial
aurait profité de la position de faiblesse de l’indigène pour l’empêcher de penser de façon
autonome. « Ils travaillaient pour rendre leur pays riche, ça les arrangeait de voir les
autochtones comme des gens sans culture […]. Les résultats sont là aujourd’hui, on n’a pas
avancé » Group5/4-L200. Si l’on en croit Freire, l’oppression qui sous-tendait l’éducation
coloniale ne pouvait donner lieu à un savoir formateur : « si on fait la même chose qu’on
faisait dans le système colonial, forcément on aura les mêmes résultats » Group4/2-L192.
Un dialogue aurait favorisé une lecture en positif des valeurs et des modes de vie autochtones.
C’est ce qui ressort de l’extrait de discours qui suit :
E : Comment on voulait que les indigènes comprennent, ils n’avaient même
pas une vraie relation. Chacun vivait de son côté. Les relations de mépris [...].
Les colons se sentaient supérieurs. Ils ont imposé leur loi. Ils ont tout changé à
leur avantage. Ils n’avaient rien à savoir des indigènes [...]. Ils attendaient
seulement qu’ils travaillent pour les rendre riches. L’autre aussi connait quand
même quelque chose, cherche quand même à savoir ce que lui aussi connait.
À aucun moment, ils ont pensé qu’ils avaient affaire à des humains. Group1/3-
L165
Aux dires de nos répondants, l’objectif du colonisateur n’était pas d’assurer un savoir
formateur aux indigènes. Si tel avait été le cas, les deux seraient entrés en dialogue pour se
comprendre et coopérer. C’est aussi ce que soutient Freire dans son action dialogique et que
recommande Charlot dans sa lecture en positif. L’action dialogique, tout comme la lecture
en positif, repose sur la rencontre de deux sujets et sur la participation active de chacun à sa
formation. Au lieu de sous-estimer la capacité réflexive du colonisé, le colonisateur aurait
cherché à organiser les activités éducatives à traiter en tâche commune. Au lieu d’envahir le
contexte culturel des indigènes en leur déniant toute légitimité, un cadre d’échange
dialogique aurait permis une synthèse culturelle : « pourquoi imposer son point de vue ?
On doit discuter » Group2/3-L160 ! Le respect de la différence, si elle avait servi de repère,
216
aurait favorisé une lecture en positif des réalités culturelles autochtones : « faut seulement
considérer que on est tous des hommes même si on est différent » Group4/3-L153. La
synthèse culturelle soutenue dans ce propos suppose de changer les modes d’action et de
pensée habituels. Dans cet ordre d’idées, les jeunes Gabonais interrogés proposent des
principes pour éduquer à une citoyenneté plus réfléchie.
5.1.2.4. Quelques principes pour une éducation plus réfléchie
Les discours analysés placent les rapports humains au fondement de l’éducation des
citoyens. Au final, c’est en lien au maintien d’un modèle de rapport à l’autorité hérité de la
colonisation que les élèves interrogés ont compris la reproduction de la pauvreté en contexte
gabonais tout particulièrement. Pendant plus d’un siècle, l’expansion française au Gabon
impose dans ce territoire une évolution d’un type bien particulier. Nombre de maux sont
imputés au système colonial d’où ont pris naissance les relations d’oppression établies entre
les hommes au Gabon. À l’instar de certains spécialistes de l’histoire coloniale (Petithomme,
2007 ; Gall, 1994 ; Winock, 2005 ; Pervillé, 1975), les jeunes Gabonais qui ont participé à
notre enquête l’accusent d’avoir imposé un prêt-à-penser occidental dans ce pays, d’avoir
pillé ses richesses et de continuer à nourrir son état de pauvreté. Pour des mobiles
impérialistes, ont-ils soutenu, le système colonial a détruit les cadres sociaux traditionnels du
Gabon en tentant de les structurer de l’extérieur sans trop les pénétrer. Les besoins
d’administration et d’évangélisation y ont imposé la nécessité de valoriser les ressources
humaines vers un modèle d’éducation porteur d’aliénation dont le Gabon en est l’héritier. Ce
modèle colonial d’éducation expliquerait les similitudes établies entre le rapport
colon/indigène d’hier et la relation riche/pauvre d’aujourd’hui et serait en partie responsable
de la passivité des citoyens gabonais.
Les élèves ont proposé des actions pour dépasser les situations d’oppression. Ces actions
rejoignent dans une large mesure les principes que Freire situe au fondement d’une éducation
porteuse de libération. Il s’agit de la nécessité de reconsidérer le rapport éducateur/éduqué et
de tenir compte de la réalité de l’éduqué, de ses connaissances, de ses expériences, de sa
217
vision du monde. Les différentes propositions mettent en valeur une prise de conscience du
faible de sa situation objective, de sa culture et de ses tendances dans un échange dialogique.
Une transformation profonde chez l’oppresseur, l’éducateur ou le riche commence par un
changement d’attitude dans son rapport à l’autre et par l’établissement d’une solidarité réelle
avec l’opprimé, l’éduqué ou le pauvre.
La transformation du monde par l’éducation ne peut être possible qu’avec l’exigence, pour
l’éduqué, d’une prise de conscience de sa situation objective et de la vision de soi qu’elle
entraine. L’acte éducatif étant avant tout un acte de relation et de dialogue, l’apprentissage
ne peut se concevoir en dehors de cette relation. Une éducation porteuse de formation ne se
limite pas à la consommation d’idées, mais elle est une condition pour construire les savoirs
et les transformer par une action réflexive. Comme le soutenais déjà Freire (1983), cette
action réflexive est une occasion offerte aux sujets pour s’éduquer mutuellement et de
transformer leur conscience.
Comment les élèves interrogés interprètent-ils les documents ? Parviennent-ils à mettre à
distance les référents mémoriels pour complexifier leur compréhension du présent ? Sur
quels critères construisent-ils leurs rapports au savoir historique au sujet de la pauvreté ? En
somme, comment les élèves font-ils de l’histoire et pensent-ils historiquement ? Autant
d’interrogations auxquelles la seconde partie du chapitre tente d’apporter réponse.
5.2. La compétence des participants à penser historiquement la pauvreté
Cette seconde partie du chapitre est une mise en scène verticale des effets de la
pensée historique en vue de rendre compte des aspects singuliers que l’on peut cerner dans
les discours d’élèves. Au chapitre 2, nous avons relevé le problème qui est à considérer dans
le cadre de la présente étude, notamment celui de la pauvreté, un phénomène qui, dans le
contexte du Gabon, reste indissociable de sa mémoire (cf. section 2.3). Nous soutenions que
l’enracinement de l’histoire du Gabon dans sa mémoire engendre l’ambigüité fondamentale
de la fonction éducative : répondre au besoin d’identification tout en développant la faculté
218
de distanciation. Pour reprendre Ségal (1990), l’enjeu est considérable au sens que la culture
historique d’un groupe est fortement tributaire du rapport que les individus entretiennent avec
le passé, sous forme de mémoire ou d’histoire. Au chapitre 3, considérant que la culture
personnelle se bâtit par le contact avec les sociétés d’autres temps et d’autres lieux, nous
avons organisé une activité pouvant amener les participants à dépasser leur environnement
immédiat. L’idée était de les orienter à faire usage de leur esprit critique et de construire un
rapport réflexif au passé à partir des cinq éléments constitutifs de la pensée historique
proposés par Heimberg (2002) :
La critique des usages publics de l’histoire
Le passé qui explique le présent
Considérer ce qui est particulier au passé
La complexité des temps et des durées
Distinguer la mémoire collective de l’histoire
Comme nous l’avons vu, Heimberg (2002) ne fait pas forcément référence à une méthode de
recherche lorsqu’il parle de la pensée historique. Selon cet auteur, amener l’élève à
développer sa pensée historique revient à s’assurer que ce dernier soit en mesure de
comprendre la différence entre le passé et le présent, de développer son intérêt face à
l’histoire, de se décentrer de son présent, de comprendre la complexité du temps et d’être
capable de faire une critique des usages publics de l’histoire. En de termes plus clairs, le
répondant devrait, dans son parcours interprétatif, prendre en compte la question étudiée,
poser des hypothèses, analyser les sources et autres données pour être en mesure de prouver
ou nuancer ses hypothèses de départ.
Sur la base des éléments proposés par Heimberg (2002), nous avons emprunté à Duquette
(2011) un corpus documentaire au travers duquel les répondants devaient procéder à la
219
compréhension du présent (cf. section 3.1.4.2). Précisons que les différentes opérations
proposées par Heimberg devaient être complétées de manière autonome par les répondants
pendant les entrevues. L’analyse des parcours interprétatifs est donc menée pour mieux
cerner leur compréhension du présent. Si l’on s’en tient à la perspective du rapport au savoir
qui oriente notre posture d’analyse, les modes opératoires enclenchés par chacun des élèves
reflèteraient sa personnalité, son histoire, ses attentes, sa conception de la vie, ses rapports
aux autres et au monde. C’est dans cette dynamique d’ensemble qu’il produit des savoirs
historiques qui lui sont singuliers et donne sens au monde social qui l’entoure.
L’exposé retrace, comme nous l’avons signalé au chapitre 3, quatre modèles de parcours
suivant lesquels les élèves concernés se construisent leur compréhension du présent à partir
d’une analyse du passé. Le premier parcours retenu, celui de Jonel39, est davantage une
chronique politique et sociale qui dresse un bilan négatif de l’action politique au Gabon
depuis la fin du système colonial. L’interprétation de Jonel reste prioritairement centrée sur
la critique des réformes qui restent sans incidence majeure sur le développement d’un pays
regorgeant d’énormes potentialités économiques et d’intelligences humaines. Le second
parcours, celui de Warren, est une analyse philosophique du rapport à l’autorité hérité du
système colonial. Il traite notamment de l’abus de pouvoir et de l’oppression de ceux qui
l’exercent.
Le troisième parcours, celui de Camille, reste marqué par une forte prégnance des rapports
humains qui sont en lien direct avec le modèle colonial d’éducation en héritage au Gabon.
Camille s’intéresse particulièrement à la situation d’oppression dans laquelle la contradiction
dominant/dominé s’exprime. Le quatrième parcours interprétatif retenu est celui de Kriss.
Kriss ne veut condamner personne et ne se positionne pas en victime. Mais il se questionne
sur les représentations qu’avaient les uns envers les autres et comment celles-ci ont
grandement évolué depuis l’époque coloniale. La relecture de l’histoire qu’entreprend Kriss
39Nous avons choisi des prénoms fictifs.
220
pour comprendre l’évolution des relations entre le Gabon et la France lui a d’ailleurs valu
quelques réactions violentes de certains membres de son groupe, nous a-t-il rapporté.
C’est à l’aide de ces quatre parcours interprétatifs que nous avons pu identifier plus
clairement les principes qui fondent une éducation à la citoyenneté libératrice comme celle
promue par Paolo Freire que nous avons présentée au chapitre 2.
5.2.1. Le parcours interprétatif de Jonel
Jonel est un élève chaleureux et très apprécié qui ne s’assoit presque jamais à côté
des mêmes personnes aux dires de ses camarades de classe. D’après son enseignant, il est
plutôt un élève moyen par rapport à l’ensemble de la classe et il éprouve beaucoup de
difficultés en rédaction. À l’oral en revanche et toujours selon la même source, Jonel parle
plus aisément sans nécessairement développer sa pensée. Lors de l’entrevue cependant, ce
participant a offert une solide interprétation des modèles d’autorité dont les dirigeants
politiques ont hérité de la colonisation et qui concourent au maintien des rapports de force au
Gabon. Son parcours interprétatif montre comment un élève en difficulté, mais ayant des
ressources subjectives nombreuses, peut avoir développé de nouvelles habiletés pour
produire une interprétation riche et complexe propre à une situation. Nonobstant sa ferme
volonté d’affirmer son appartenance identitaire et de tout justifier à partir de la colonisation,
on notera dans son discours, un certain équilibre entre la dimension subjective et la dimension
argumentative.
5.2.1.1. Une influence certaine des référents mémoriels
Tel qu’évoqué précédemment, l’interprétation de Jonel est davantage une chronique
politique et sociale qui dresse un bilan négatif de l’action politique au Gabon malgré son
potentiel économique. Les modes d’être et de gestion du système colonial dont le Gabon est
l’héritier sont au centre de son analyse de la permanence du phénomène de pauvreté dans ce
pays. Il enrichit sa compréhension du passé par une quête permanente des modèles qu’il peut
221
y trouver même s’il s’agit parfois de sources d’inspiration déplorables, car ce que notre
répondant considère comme utile ou néfaste est profondément lié aux valeurs auxquelles il
adhère. Selon Jonel, la faible population du Gabon aurait pu faire de ce pays l’un des plus
enviés au monde. Les multiples réformes structurelle, économique et politique n’ont pas
porté de fruit jusqu’à maintenant parce que n’allant pas dans le sens d’une justice sociale en
vue de la répartition équitable des richesses :
E : [...]. C’est parce qu’on gère mal. Depuis la colonisation, les gens qui sont au
pouvoir abusent. Aujourd’hui encore, c’est pareil. Toutes les réformes, on ne voit
rien. Rien n’avance. Au Gabon, on fait du surplace. Nous ne sommes même
pas nombreux. On devrait être bien au Gabon avec autant de richesses. Je
me demande à quoi ça sert toutes ces réformes ? [EXP, 21- 41]
La lecture de l’histoire qu’entreprend le répondant n’est pas celle qui consiste à pénétrer la
psychologie des hommes du passé pour comprendre la représentation que l’on se faisait à
cette époque. Il n’essaie pas non plus de prendre en considération la variabilité des
représentations pour suivre leur évolution. Jonel établit une comparaison entre le passé et le
présent en décrivant une caste des privilégiés très proches du pouvoir politique qui semble
avoir le droit de vivre décemment en bénéficiant des richesses du pays. À l’inverse, la grande
majorité du peuple vit dans la précarité. D’où notre répondant s’interroge sur l’impact des
multiples réformes qui n’aboutissent à rien vu la stagnation des besoins primaires dont
chaque Gabonais devrait bénéficier. A l’instar du sociologue africain Missie (2011), Jonel
met au centre de son interprétation et des facteurs de résistance au changement, le
déterminisme de la stratification sociale :
E : [...]. Si les dirigeants prennent tout pour eux, le peuple ne peut pas s’en sortir.
Revenir sur le passé, ça m’a aidé à comprendre le mauvais traitement que les
indigènes ont subi avec les colons, la même chose continue [...]. On n’avance
pas. Je me pose des questions, j’ai un peu le doute, parce que même si on
apprend, on ne fait pas ça avec conviction. On voit comment les chefs se
préoccupent de leurs intérêts. Les comportements des gens qui ne changent pas,
y a toujours les victimes. [EXP, 42-52]
222
L’élève exprime un profond besoin de l’histoire pour se comprendre et comprendre le monde.
Il use du passé et parfois en abuse notamment parce qu’il y cherche de quoi donner sens à ce
qu’il vit au présent, aux actions qu’il mène. Ce qui est d’autant vrai quand on traverse une
période de doutes ou de remises en question. Un retour au passé pouvant donner de la
substance aux réalités du présent constitue une prise de conscience de la manière dont les
hommes d’hier et d’aujourd’hui s’organisent pour défendre leurs intérêts. Cette prise de
conscience est une réponse aux questions qui préoccupent Jonel sur le sens de la vie et la
transmission des héritages :
E : [...]. Mais, c’est de ça qu’on hérite : la mauvaise gestion. La preuve, bientôt
50 ans, c’est toujours pareil ? Enfin, je crois que c’est même pire. Il y a forcément
quelque chose qui ne va pas [...]. Avec tout ça, on a du mal à envisager son
avenir ici ! Déjà cette histoire de coopération France-Afrique qui ne finit pas.
Les comportements qui ne changent pas. [EXP, 11-32]
La question du temps est au cœur du raisonnement de Jonel : « ce qui se passait hier, c’est ce
qui se passe aujourd’hui. Les images sont claires, dans les journaux, à la télé, sur le net, tout
ça » [EXP, 5-6]. Les informations historiques qu’il a tirées des journaux, de la télévision ou
de l’internet viennent confirmer ses convictions. Cependant, il ne semble pas en mesure
d’expliquer les situations complexes qui transcendent le passé et le présent. La description
d’un cercle vicieux où les mêmes évènements sont condamnés à se répéter à travers le temps
montre la difficulté de l’élève à cerner l’évolution des phénomènes. Selon l’interprétation de
Jonel, la pauvreté est un phénomène intemporel qui n’évolue pas à travers le temps. La notion
de temps de ce participant correspond à son incapacité à concevoir les différentes durées et
la relation entre le présent, le passé et le futur : « avec tout ça, je me dis, on va où » [EXP,
111-112] ? C’est la capacité à concevoir les ruptures et les continuités qui rendent nécessaire
une perception dynamique du temps. La question du temps est d’autant plus importante que
l’élève peine à se profiler dans l’avenir, notamment parce qu’il éprouve un sentiment
d’incertitude : « si les choses ont toujours été dans ce sens, est-ce que ça peut changer »
[EXP, 66-67] ? Notre répondant qui est à la recherche des ruptures et des continuités
s’interroge sur les liens sociaux et leur évolution dans le temps pour comprendre la manière
dont les individus peuvent être solidaires ou pas les uns envers les autres.
223
Toutefois, Jonel ne semble pas prêt à s’ouvrir à d’autres manières de comprendre : « Bon,
c’est ça notre histoire, c’est la vérité, qu’est-ce qu’on peut y faire » [EXP, 68-69] ? Il n’est
pas évident de s’en tenir à une vérité historique totalisante dans la mesure où l’histoire n’est
jamais à l’abri de certaines manipulations voire de graves contre-vérités : « les documents
sont assez clairs, les colons méprisaient les indigènes, les riches méprisent les pauvres »
[EXP, 125-126]. Ce propos illustre une compréhension de l’histoire basée sur des faits et des
documents utilisés sans discernement. L’élève ne tient pas compte des contextes et des
échelles dans lesquels les faits s’inscrivent. Ce qui prouve une fois de plus sa difficulté à
préciser sur quoi se fondent ses affirmations.
Au cours de l’entrevue, lorsque Jonel était invité à envisager la situation selon une
perspective différente, il prenait position en posant quand même le problème de manière
nuancée et suivant les circonstances : « quelquefois, je me dis que la vie c’est un choix. On
choisit d’être ce qu’on veut être. Si les autres s’en sortent, je peux aussi m’en sortir et
contribuer valablement pour mon pays » [EXP, 151-153]. Dès lors, il vaudrait mieux que ce
citoyen en devenir, pour autant qu’il ait su prendre en compte la complexité du problème,
sache expliciter ses choix que son implication citoyenne rend nécessaire au sein de la société :
E : [...]. Je me dis parfois que y a des gens qui ont eu pratiquement les mêmes
problèmes que nous dans le passé. Aujourd’hui, ils sont à un autre niveau [...].
Mais j’ai du mal à oublier ce qui s’est passé. Quand même, la colonisation a duré
plus d’un siècle, de 1837 à 1960, ça fait plus de cent ans. C’est vrai nous, par
rapport aux indigènes, on a quand même des droits, eux, ils n’avaient pas de
choix. Aujourd’hui, on peut travailler fort pour atteindre ton objectif, être utile
pour ses enfants, pour la société. [EXP, 106 -122]
La position de Jonel peut parfois être difficile à cerner par des approches et des focales
d’observations qu’il mobilise. Le regard critique auquel il s’ouvre rend nécessaire un effort
de clarification autour de la fonction sociale de l’histoire. On pourra même ajouter que la
visibilité actuelle du rapport entre lui et la société devrait l’inciter lui-même à réfléchir
davantage aux problèmes qu’il soulève.
5.2.1.2. Un jugement normatif face aux réalités sociales
224
À certains moments, le large bilan d’interrogations, de doutes et de renouvèlements
qui marquent la pensée de Jonel peut parfois se traduire par une remise en question des grands
paradigmes que ce répondant adopte pour définir les situations. D’autres fois, il revient sur
quelques grands auteurs de l’histoire du Gabon et a du mal à mettre à distance les référents
mémoriels :
E :]. [...]. C’est vraiment pas évident quand on sait comment ça a commencé
depuis le système colonial, la dictature [...]. La révolution des étudiants en 1990,
c’est important. Parce que c’est à nous de changer les choses. [EXP, 131-144]
Le rappel des grands évènements met en évidence la fonction civique de l’histoire. Même si
c’est d’une manière qui pourrait paraitre trop normative, le propos répond à la finalité de
préparer le futur citoyen à son engagement social bien qu’il s’agisse d’un progrès ordonné
où le changement peut être perçu sans la moindre appréhension. Cette vision typique de
l’histoire-mémoire soumettant le raisonnement historique à une causalité linéaire est souvent
liée à la construction d’un passé national conçu essentiellement du point de vue des grands
hommes qui l’ont façonné : « voilà, c’est ce que nous sommes. C’est ainsi et rien d’autre »
[EXP, 120-121]. L’élève développe là des représentations communes de la mémoire du
Gabon. La prétention à une vérité inchangeable dont il fait montre parait toutefois illusoire
si elle ne consiste qu’à l’enfermer dans une interprétation unique :
E : [...]. Je me dis, je sais ce qui s’est passé, je sais comment ça a évolué, donc je
connais mes responsabilités, je sais ce que j’ai à faire. Le tout n’est pas de
dominer. Quand on veut maintenir les gens dans la dépendance, c’est une
façon de vouloir dominer les gens. Les gens qui veulent dominer, au point de
rendre l’autre comme rien, de réduire l’autre en rien [...]. Pourquoi, on a besoin
de détruire l’autre ? [EXP, 19-45]
Jonel est certainement à une période de doutes et d’incertitudes qui mobilise les questions
fondamentales qui le préoccupent. Toutefois, l’on s’interroge sur la théorie didactique qui a
façonné ses représentations face à l’histoire. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet
en parlant des usages publics dont l’histoire fait l’objet et les réflexions que la discipline rend
nécessaires par sa visibilité actuelle. S’il arrive à notre répondant de nourrir son interprétation
225
par des questionnements sur les hommes et à travers le temps, il parvient difficilement à
établir des comparaisons éclairantes entre les différents contextes. Sa réflexion s’exerce de
moins en moins sur des significations potentielles et des enjeux du développement pour le
temps présent. Ce qui serait d’ailleurs une raison supplémentaire pour que ce citoyen en
devenir sache se démarquer des simplifications caricaturales et qu’il prenne en compte la
complexité du vivre ensemble. En se démarquant des simplifications caricaturales, il pourra
se construire une compréhension plus élaborée autour d’une histoire suffisamment ouverte
qui n’entache en rien la diversité des points de vue.
5.2.1.3. L’impact de l’histoire-mémoire et des usages publics de l’histoire
La lecture de l’histoire de Jonel correspond visiblement à celle du champ médiatique
(journalisme, télévision, publicité) et culturel (théâtre, littérature, cinéma), mais aussi à celle
de l’enseignement de l’histoire-mémoire. Cette lecture peut parfois prendre la forme d’un
jugement normatif portant sur des faits historiques.
E : [...]. Si je prends le cas de la France, elle ne fait rien pour rien. Voici le
document que j’ai sur moi. Ce sont des informations que j’ai eues en ligne [...].
C’est écrit : un pays riche qui exporte plus de treize-milliards de dollars de
pétrole brut par an ? Voilà où en est le Gabon, la chasse gardée de la France.
[EXP, 115-127]
Dans les domaines contribuant à former l’opinion publique, le recours à l’histoire parait
nécessaire pour éviter les manipulations et les analogies. Notre répondant tire d’une
évocation du passé un constat qui vaille pour le présent et qui illustre les effets de mémoire.
Son analyse de la situation actuelle est celle souvent adoptée dans une querelle
contemporaine où les positions sont révélatrices de représentations sociales :
E : [...]. Je me demande quel genre de personnes sont les Français ? Je me
demande comment on peut être comme ça. Mais, c’est vraiment ancré dans la
mentalité de nos colons [...] que chez les nègres, les primitifs, les indigènes, les
arriérés, tous ces noms qu’ils nous donnent, là-bas, c’est différent, c’est normal
la corruption, la guerre, la violence. [EXP, 130-140]
226
En principe, les différents usages dont l’histoire fait l’objet ne devraient pas poser problème
dans la mesure où ils peuvent expliciter certaines situations du passé : l’histoire n’est jamais
neutre, elle dépend du contexte social et culturel dans lequel elle est produite :
E : [...]. Quand je relis tout ce qui est dans les documents, c’est révoltant ! C’est
carrément le contraire de tout ce que les Français avaient promis. [...]. Leur truc,
c’est amadouer, ils ne savent pas faire autrement : nègre, cerveau noir rétréci,
léger, moins volumineux, réduire la race inférieure en esclavage, les Blancs
ont dix fois plus que les Noirs. La société coloniale est très fermée : les Blancs
côtoient très peu les Noirs. [EXP, 145-161]
Une des pratiques de l’histoire qui lui donne de la substance est la prise en compte les
représentations reliées au contexte social, politique et économique de l’époque. Jonel ne
semble pas parvenir à développer l’habileté à percevoir l’histoire dans toute sa complexité
pour comprendre les valeurs véhiculées selon les contextes, les époques. Il juge les
évènements du passé à partir des valeurs soutenues dans le présent. Compte tenu de la
diversité des formes d’expression de l’histoire et de la nécessaire pluralité des savoirs
produits, il parait pertinent de désigner les multiples liens qui peuvent exister entre l’histoire
et son contexte de production. C’est dans ce sens que l’histoire-critique prend toute son
importance puisqu’au travers d’elle, on peut savoir de quelle construction résultent certains
usages du passé et non se contenter de les promouvoir en leur conférant un statut de vérité.
L’extrait à la suite illustre comment Jonel explique un évènement récent à partir d’un
jugement moral :
E : [...]. Vraiment, je ne comprends rien avec ce qui se passe au Gabon. Là,
maintenant, ce n’est plus les Français. C’est des gens bizarres [...] qui viennent
comme ça au Gabon pour exploiter notre bois, piller nos richesses. Le secteur
du bois est complètement aux mains des étrangers. [EXP, 170-80]
Pour faire mention de la nouvelle vague d’exploitants forestiers au Gabon, le répondant
appose au passé les valeurs véhiculées au présent. Il juge l’événement à partir de son système
de valeurs et semble moins capable de s’en distancier pour définir la complexité de la
situation. Ce cas de figure souvent dégagé de l’influence des usages publics de l’histoire fait
penser à la manière dont les médias ont tendance à mobiliser une certaine forme de mémoire.
227
Certes, toute nation a recours au registre des mythes pour pouvoir disposer d’un passé
commun pouvant assurer sa cohésion, mais la question est de savoir avec quelle intensité les
plus jeunes nourrissent leurs représentations de ces mythes. Toutefois, l’on peut soutenir que
l’élève a procédé à un transfert des connaissances en proposant une analogie avec
l’exploitation actuelle du bois au Gabon.
Tous les référents mémoriels n’ont pas la même valeur et ne sont pas à mettre sur le même
plan. Certains sont susceptibles de faire avancer la connaissance du passé et nourrir les
réflexions sur le présent et l’avenir. L’histoire n’aurait guère de sens si elle n’était pas
constamment mise en relation avec un contexte sociopolitique par son rapport particulier
avec les enjeux du passé, du présent et de l’avenir. Il n’est pas évident pour Jonel de faire le
tri des référents mémoriels. Il relève tout ce qui dans la relation France/Gabon renforce son
rapport au passé :
E : [...]. La France n’a pas encore fini de piller même après un siècle de
colonisation. Est-ce que c’est ça sa mission civilisatrice de 1789 ? Le Gabon
c’est un pays où tout le monde doit venir faire ce qu’il veut. Le pillage a
commencé depuis la colonisation. Le territoire est libre, tout le monde vient
exploiter à son tour [...]. Dans tout ça, il faut d’abord écarter la France. Tout le
monde sait comment la France a construit son empire [...]. On ne peut pas
continuer à nous malmener. [EXP, 190-199]
Une des caractéristiques essentielles indiquant une compréhension critique du passé est la
clarification des relations complexes entre interprétations du passé, perceptions du présent et
espoir pour l’avenir. Pour soutenir sa conception de l’histoire, notre répondant a besoin de
relater la manière dont la puissance française s’est bâtie, comment elle a nourri sa prospérité
des richesses détournées. S’il est possible de soutenir que sa pensée historique s’appuie sur
l’histoire-mémoire, il convient de souligner qu’elle semble davantage dériver des usages
publics de l’histoire. Son interprétation met en valeur les éléments utiles à un rapport au passé
qui repose avant tout sur les principes de la mémoire. Jonel ressent le besoin de revenir sur
tout ce qui dans le passé du Gabon justifie l’incompatibilité avec l’idéal de 1789. La sélection
des faits utiles à la position que l’on défend rappelle les fonctions perverses de l’histoire dont
parle Stengers (2004).
228
5.2.1.4. L’impression générale du discours de Jonel
Lorsqu’on s’interroge sur le discours de Jonel, on s’aperçoit combien l’expérience
de l’histoire-mémoire a laissé des souvenirs plus proches du pensum : restitution hâtive des
données factuelles et chronologiques, assimilation d’une vérité définitive. Son discours se
caractérise par une interprétation ancrée dans le présent. L’élève semble bien capable
d’accomplir certaines tâches d’interprétation en parvenant à identifier les concepts clés du
corpus documentaire. Toutefois, les tâches d’interprétation plus complexes sont moins
fréquentes. Les acteurs représentés dans les documents sont peu identifiés. Il parvient
difficilement à faire des liens entre les informations dégagées de sa lecture et d’autres faits
historiques. Il revient systématiquement à sa réponse de départ même à la suite des questions
l’amenant à complexifier son point de vue. Barton (1997) explique de telles lacunes par
l’importance que les élèves accordent aux informations provenant de leurs connaissances
antérieures. Les élèves ayant des parcours similaires à celui de Jonel ne sont pas parvenus à
se distancier de leur présent lorsqu’ils interprètent le passé. Ils s’insurgent contre les
informations historiques contenues dans les documents à interpréter au lieu de se questionner
sur les mentalités de l’époque à laquelle datent les sources.
Si l’histoire enseignée entend vraiment répondre aux finalités d’éducation à la citoyenneté,
il convient d’apprendre aux élèves à situer les enjeux de mémoire face à la compréhension
critique du passé. L’histoire scolaire ne peut se réfugier dans le récit d’une histoire lisse qui
évite les controverses et les contradictions. Pourquoi voudrait-on que Jonel apprenne à penser
l’histoire lorsqu’on lui a appris à établir des reconstitutions historiques des évènements et à
mémoriser les dates ? Comment s’attendre à ce que ce citoyen en devenir développe un esprit
critique alors que l’école l’a formé au profit d’un enseignement normatif ?
5.2.2. Le parcours interprétatif de Warren
Nous avons choisi le cas de Warren qui a manifesté son intérêt à prendre part à
l’entrevue malgré son absence à quelques activités intermédiaires. Son parcours interprétatif
229
durant lequel s’opère un changement conceptuel est d’autant plus intéressant par la capacité
de l’élève à se distancier graduellement des référents mémoriels et à proposer une synthèse
critique de la réalité sociale au Gabon. Croyant et plutôt réservé, Warren est un élève plutôt
studieux, voire perfectionniste qui vise toujours l’excellence de ses résultats scolaires.
D’après son enseignant, il juge sévèrement les notes moyennes qu’il obtient aux évaluations.
Ce répondant, bien que s’exprimant peu à l’oral, fait partie des meilleurs élèves dans sa
discipline. Warren serait, selon la même source, l’un des éléments régulièrement sollicités en
classe pour donner son opinion sur des questions d’histoire ou des sujets d’actualité.
Comme cela a déjà été souligné, le parcours traite davantage de l’abus de pouvoir et
l’oppression de ceux qui l’exercent sur le peuple. Warren s’emploie à contester la notion
d’autorité tout en jouant de la polysémie de ce terme. Il s’interroge sur l’origine de la notion
d’autorité. Son interprétation de la situation sociopolitique au Gabon reste influencée par des
recherches effectuées sur internet. Ce répondant est parti de la conception de l’autorité de
Diderot40 dont il s’inspire pour condamner tout exercice arbitraire de l’autorité.
5.2.2.1. Une conception philosophique de l’autorité pour expliquer le présent
Warren expose sa conception du pouvoir et de l’autorité en soulevant quels liens
étroits unissent les pratiques des hommes, les questions qu’ils se posent et les réalités du
présent : « ce que je ne conçois pas, c’est l’abus de pouvoir, personne n’a le droit de
commander l’autre sans son consentement » [EXP, 22-24]. Son interprétation, bien que
présentant quelques risques de confusion, est une opportunité pour tenter de donner du sens
au présent en se référant au passé et en rappelant qu’il s’agit du passé des hommes et des
40Warren ne s’est pas contenté de puiser dans des sources en histoire pour tenir un raisonnement historique. Des
recherches effectuées sur internet lui ont permis de s’inspirer de la conception philosophique de Diderot de
l’autorité. Selon cette conception, l’autorité aurait deux origines : une origine naturelle et une autre non
naturelle. L’autorité naturelle est celle qui revient d’emblée aux parents. L’autorité non naturelle, quant à elle,
s’obtient, soit par la force ou la violence, soit par consentement.
230
sociétés humaines. Il s’efforce de construire une sorte de dialogue entre les réalités du présent
et celles du passé, un dialogue qui soit utile à la préparation de l’avenir :
E : [...]. Je dirai que si on revient toujours à la case de départ, c’est parce que,
l’Homme veut toujours abuser de sa position dans la société. Pendant la
colonisation, c’est ce qui se passait. Les colons étaient tellement conscients de
leur supériorité, qu’ils ont pensé qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Ils ont
pillé les richesses avec tout le mépris qu’ils avaient pour les indigènes. La même
chose s’est produite quand les Africains eux-mêmes ont pris le pouvoir.
C’était le moment ou jamais pour s’enrichir [...]. Au moins, ils allaient avoir la
même vie que les colons. Aujourd’hui, c’est pareil. C’est ça la gestion du pouvoir
chez nous. Une fois tu as le pouvoir, tout te revient de droit. Mais, est-ce que
c’est vraiment ça l’autorité ? Le pouvoir ? Il faut bien voir si on veut que les
choses marchent à l’avenir. [EXP, 5-16]
Le mode de pensée historique de Warren a en réalité une dimension classique dans la mesure
où il consiste pour une part à établir les relations de cause à effet entre des constats établis
pour des périodes successives. Ce participant s’inspire de la conception philosophique de
l’autorité afin d’en faire une condamnation du pouvoir autoritaire :
E : [...]. Je suis tout à fait d’accord avec ce que Diderot dit. Quand on nait, on
nait libres et égaux. Aucun Homme n’a reçu de la nature le droit de dominer
les autres. La liberté nous vient tout droit du ciel. Quand un enfant vient au
monde, seuls ses parents ont autorité sur lui. Les parents vont accompagner
l’enfant jusqu’à ce qu’il devient grand, autonome [...]. En dehors de ça, personne
n’a le droit d’abuser des autres. À l’origine, seuls ton père ou ta mère doit te
commander, et là, ça ne dure pas toute la vie, les parents, ça dure jusqu’à ce que
tu deviens grand [...]. Les gens qui sont au pouvoir savent qu’on ne les a pas élus,
ils s’en foutent. Tout ce qui les intéresse, c’est d’avoir l’autorité, le pouvoir pour
profiter à volonté des richesses du pays. Est-ce que c’est ça un dirigeant ? Moi,
j’aurai honte à leur place. Le pays sombre dans la misère, et eux, ils sont heureux.
[EXP, 15-26]
De son point de vue, la dimension philosophique de l’autorité donne sens au monde dans
lequel il vit. Dans cette posture, on peut observer combien le factuel prédomine au détriment
de l’explicatif. D’où le risque d’utiliser l’intelligibilité du présent pour expliquer ou illustrer
le passé et le faire glisser dans le sens commun. Selon Warren, présent et passé sont en réalité
très liés l’un à l’autre puisqu’ils relèvent tous deux de la comparaison. Présent et passé sont
231
complémentaires et même proches à tel point qu’ils devraient l’un ou l’autre consister à
diriger son regard et ses questions vers le passé. Il use assez du vocabulaire philosophique de
l’autorité et de la liberté pour désigner toutes les mesures de protection des plus faibles qui
sont malmenés. L’élève évoque également des mesures qui n’ont jamais pu être instaurées à
l’avantage d’une économie en développement. Évidemment, un tel usage sémantique n’est
pas neutre puisqu’il rappelle explicitement que de telles mesures n’ont pas toujours existé et
qu’il faut nécessairement passer par tout un processus d’engagement pour parvenir à les
introduire. S’interroger sur l’origine de certains droits qui paraissent aller de soi aujourd’hui,
c’est aussi faire l’histoire de la citoyenneté, des pratiques associatives et des contradictions
qu’elle a suscitées.
Notre répondant oriente sa réflexion vers le rejet des régimes totalitaires en exprimant les
idées audacieuses qui démentent de manière catégorique l’existence d’une autorité non
consentie. La seule autorité naturelle, est celle exercée par les parents, autorité à laquelle il
apporte certaines limites dénonçant par la même occasion, la force et la violence pour diriger
une nation sans le consentement du peuple.
E : [...]. J’ai même l’impression qu’au Gabon, on confond tout. Apparemment,
on est une monarchie. L’autorité politique passe du père au fils. Même s’il
faut passer par la force, la violence, pourvu que le pouvoir reste dans la famille.
Un jour ! Juste le temps que ceux qui sont encore plus forts viennent leur
arracher ce pouvoir. Si c’est par la violence qu’il faut pour avoir le pouvoir,
alors, tout le monde va faire la violence [...]. Nous avons tous des droits, donc,
il faut des lois qui s’appliquent à tous, les droits et les lois sont les mêmes pour
tout le monde. Même le chef doit connaitre ses limites. C’est important les droits
pour garantir la liberté des hommes. Les indigènes n’avaient pas de droit. Nous,
aujourd’hui, on a des droits, mais ils ne sont pas respectés. [EXP, 27-36]
Le cas particulier des droits et de liberté auquel se réfère Warren, à priori favorable, l’entraine
toutefois dans un récit normatif un peu désuet faisant entendre que l’histoire des hommes
serait celle d’un progrès avec ses hauts et ses bas : « enfin, c’est un peu ça la vie, parfois ça
va, parfois on lutte » [EXP, 46-47]. Ce serait alors tomber dans les pièges et la facilité de la
causalité linéaire en négligeant la complexité et l’imprévisibilité. Il est important que l’on
mette en évidence l’origine historique des droits acquis et des libertés conquises afin d’éviter
232
le double écueil des simplifications et des anachronismes non contrôlés. Pour éviter de tels
anachronismes, il faudrait surtout de ne pas s’en tenir à ce seul aspect de l’histoire. L’idée
étant de contextualiser, il importe de le compléter par l’intérêt pour d’autres sociétés et
d’autres époques.
Selon Warren, l’autorité qui s’impose par la violence est arbitraire et renvoie à la tyrannie.
Les limites de cette autorité découlent de la nature même de la force. Il qualifie l’autorité par
la force d’usurpation au sens où elle est régie par la loi du plus fort. Ce pouvoir est injuste
au sens qu’un Homme commande les autres sans leur consentement. On peut aussi remarquer
que notre répondant abuse volontairement des termes de droit et loi, car l’autorité arbitraire
n’est qu’un rapport sans contrat de réciprocité. L’autorité qui repose sur un contrat entre le
peuple et leur dirigeant a un rapport de légitimité.
E : [...]. On dirige un peuple quand il t’a accepté. C’est ce qui s’est passé en
Libye, les mouvements et tout, en Égypte aussi, Tunisie. Parce que, quand les
gens ne veulent plus, ils en ont marre, ils posent les actes, ça montre qu’ils n’en
peuvent plus, supporter les mêmes choses [...]. Au Gabon, c’est les grèves par-
ci, par-là. Les gens ne veulent plus. Ils ne sont pas contents. Pendant la
colonisation, les gens étaient obligés de subir, sinon on les fouettait. Mais au
fond, il ne s’agit pas vraiment du respect, c’est la peur ! Aujourd’hui quand
même, on peut parler, les gens s’expriment. [EXP, 99-108]
L’idée de donner du sens au présent à partir des références au passé est au cœur même de
l’utilité sociale de l’histoire. C’est aussi une posture qui rend impossible toute prétention à
un discours historiographique définitif dans la mesure où les questions posées sur le passé ne
cessent d’évoluer : « par rapport à notre histoire, ce qu’il faut se dire, c’est, qu’est-ce qu’il
nous faut pour avancer » [EXP, 63-68] ? Ce participant cherche à lier de nouvelles
curiosités aux angoisses et aux espoirs du présent, de nouvelles problématiques qui ne cessent
d’émerger et qui suscitent d’autres questions sur le passé. Dans cette veine, il n’est pas
étonnant que Warren veuille se poser des questions d’une tout autre nature.
5.2.2.2. De nouvelles curiosités sur la particularité des sociétés anciennes
233
Warren prend parfois conscience du fait qu’une compréhension du présent ne
signifie pas pour autant qu’il faille tout ramener au présent : « enfin, disons que, c’est pas
tout à fait la même chose, le passé et le présent » [EXP, 109-110]. Le raisonnement qu’il
adopte exige de sa part qu’il s’intéresse aux particularités et à l’originalité des peuples
anciens qui ne peuvent être ramenées aux mentalités du présent : « les pauvres d’aujourd’hui
n’ont pas forcément les mêmes mentalités que les indigènes. Les contextes sont quand
même différents » [EXP, 202-203]. La capacité à s’intéresser aux sociétés des temps anciens
témoigne également d’une prise en compte des différences existant entre un contexte
temporel et un autre. C’est également une manière de se sensibiliser sur la nécessaire
distinction entre le passé et le présent et d’apprendre à déjouer les nombreux anachronismes
qui pourraient être induits par des liens entre les deux contextes. L’élève apprend à
contextualiser les situations que l’histoire des hommes lui fait rencontrer évitant par là des
analogies, des mises à plat simplificatrices qui ne font guère avancer sa compréhension du
monde.
Vouloir considérer ce qui est particulier au passé amène le participant à promouvoir la
dimension altéritaire, entendue comme une empathie, un respect certain pour l’autre : « s’il
faut toujours voir le mauvais côté, on va manquer du respect aux autres » [EXP, 110-111].
L’élève ne se contente pas non plus de l’histoire des dominants mais prête attention à
différentes dimensions de l’histoire ainsi qu’à l’intérêt manifeste qu’il y aurait à effectuer des
comparaisons : « dans tout ça, les colons ont leur part de responsabilité, nous aussi, on a
notre part de responsabilité » [EXP, 115-116]. Il importe pour notre répondant de savoir se
montrer attentif à la diversité des héritages et de refaire une lecture de l’histoire qui tienne
compte à la fois des intérêts des colons et ceux des indigènes :
E : [...]. C’est sûr que, les colons, les indigènes, chacun a sa version des faits,
bon, son point de vue qu’il peut défendre [...]. Ce qui est sûr, si on demande à
certains Français de parler de la colonisation au Gabon, ils vont valoriser
certains trucs, ce qui est positif surtout, ce qu’ils ont réalisé. [EXP, 120-136]
L’intérêt pour Warren de comprendre ce qui est particulier au passé l’incite à valoriser une
posture plurielle faisant référence aux situations historiques. Dans ce domaine essentiel de la
234
pluralité des points de vue, Warren a par exemple beaucoup à apprendre sur l’utilité de la
relativisation des représentations communes sur l’histoire africaine : « j’ai lu un article de
quelqu’un qui défendait tout le côté positif de la colonisation, ça a failli me convaincre »
[EXP, 219-221]. L’élève enrichit son interprétation et surtout renouvèle sa manière de
comprendre à partir d’un article mettant en valeur tout ce qui dans le passé France/Afrique
traduit les collaborations et les coopérations. À ce stade, la relecture de l’histoire du
répondant passe par une adhésion caricaturale et sans nuance qui ne peut faciliter des
synthèses critiques. Relativiser en histoire, c’est un passage obligé, une étape nécessaire afin
de s’engager dans des synthèses plus créatives.
Il nous faut insister sur le fait que l’intérêt pour l’autre est aussi une manière de mieux se
connaitre soi-même : « En même temps, ça m’a permis de bien comprendre les choses, de
mieux me comprendre aussi » [EXP, 345-347]. La compréhension de soi renvoie aux liens
entre passé et présent qui se trouveraient très appauvris s’ils devaient se limiter à l’histoire-
mémoire : « c’est vrai, je suis Noir, donc je me sens proche des indigènes, en même temps,
quand je compare les colons et les indigènes, ça fait que, je peux mieux me situer » [EXP,
349-351]. Warren peut relire l’histoire autrement et montrer que l’on ne néglige pas
forcément la mémoire collective de son pays en étudiant la version de l’histoire des autres.
Plus précisément, exercer sa curiosité sur le passé lointain et connaitre autant que possible
l’histoire selon différents points de vue, ramène aussi à la complexité des savoirs qui ne
devraient plus être morcelés et compartimentés. Comment Warren est-il arrivé à comprendre
l’autre ? C’est en assimilant l’autre à soi d’un côté, et de l’autre, en réassurant son
appartenance identitaire. La connaissance d’autrui dépend de sa propre identité et détermine
la connaissance qu’il a de lui-même.
5.2.2.3. La complexité des notions de temps et de durée
Concevoir l’histoire de manière plurielle est au cœur de l’attitude qu’adopte Warren
au fur et à mesure de sa compréhension du présent par le passé : « pour bien comprendre, je
prends par exemple là où ça a commencé jusque maintenant. Je vois le genre de relation que
235
les gens ont, ce qui est pareil, ce qui change » [EXP, 360-361]. L’élève donne sens à
l’histoire, c’est-à-dire aux changements et aux ruptures le mieux possible à partir d’une
chronologie de la complexité des temps qu’il parvient à organiser. Dans sa compréhension
globale du temps et des hommes, la chronologie mobilise les relations qui peuvent être
établies entre passé, présent et avenir. Cette compréhension générale met surtout en évidence
la complexité et l’imprévisibilité des temps et des durées :
E : [...]. Les colons sont restés pendant un siècle, mais après le Gabon a continué.
En 50 ans, y a eu d’autres choses. C’est trop facile les explications simples. On
doit prendre en compte beaucoup de choses [...]. S’il faut comparer avec les
dictatures, même là, il ne s’agit pas de la même chose. On était qu’au début. On
devait encore apprendre à gérer. Y a des gens qui ont connu pire que ça ! On se
contente d’accuser les autres, alors que, il faut prendre conscience, il faut
changer, poser les actes [EXP, 370-380].
Dans l’interprétation de Warren, la question du temps a l’avantage de susciter une
reconnaissance du caractère complexe de la notion de temps et durée. Il s’approprie
progressivement la diversité des durées dans une perspective heuristique à partir de laquelle
il peut se construire des points de repère et une vision générale de l’histoire. Le répondant a
reconstruit à partir d’un aperçu sociohistorique des contextes, une problématique de la réalité
sociale étudiée en partant de ses connaissances antérieures. Dans cette démarche de
compréhension globale, la prise en compte du temps pluriel lui a été utile pour appréhender
l’évolution des réalités du temps présent et relativiser le caractère figé de l’histoire. Une
position renouvelée qui remettrait en question les récits historiques basés sur des causalités
linéaires. Cet aspect particulier du mode de pensée historique rappelle combien une approche
plurielle de la durée devrait aussi être celle des aspects contradictoires à toute hypothèse
d’explication. Loin de perdre Warren dans l’incertitude, tenir compte de la complexité des
temps et des durées a plutôt fait en sorte qu’il s’ouvre à des connaissances diversifiées et
qu’il se construise une compréhension critique du présent.
5.2.2.4. L’impression générale du discours de Warren
236
Warren aborde son interprétation par la situation d’oppression telle qu’elle se
manifeste dans les régimes politiques où le pouvoir est arbitraire. Sa critique de l’autorité
non consentie est qu’elle n’est pas naturelle. Au pouvoir non consenti où l’autorité est acquise
par la force, il oppose une autorité qui émane du consentement du peuple. C’est à cette
dernière qu’il donne toute l’importance de manière à critiquer les abus d’autorité et
l’oppression du pouvoir arbitraire. Son raisonnement fait apparaitre sa pensée, son point de
vue, son espoir pour maintenir une situation plus juste. Le répondant développe une logique
philosophique de l’autorité contestant la légitimité de l’autorité non consentie en la
substituant à l’idée de liberté et de démocratie.
Au fur et à mesure de son interprétation, il finit par aborder ces contraintes de la mémoire
collective du Gabon avec prudence et fait en sorte qu’elles servent à alimenter le débat sur le
passé, le présent et l’avenir. Sans nier l’utilité que peut revêtir l’existence d’une mémoire
partagée pour contribuer à faire tenir ensemble toutes les composantes de la nation, Warren
soumet aux manifestations de la mémoire, une analyse qui en déconstruit la part des
représentations mythiques. Toute expression de la mémoire n’étant pas à mettre sur le même
plan, la position critique qu’adopte notre participant consiste à se distancier des référents
mémoriels et à proposer une synthèse qui n’esquive ni la complexité des faits ni leur réalité.
5.2.3. Le parcours interprétatif de Camille
Camille est née en France où elle a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans. Au moment de
notre passage au collège IIC, cette jeune Gabonaise ne connaissait son pays où elle
entreprenait ses études secondaires que depuis deux ans. D’après son enseignant qui l’a tenue
dans une classe antérieure, c’est une élève réservée qui parle très peu en classe, mais qui au
contraire prend beaucoup de notes pendant les cours. Camille a cette particularité d’être à
même de mieux exprimer son point de vue à l’écrit. Il peut toutefois en être le cas si elle se
sent en confiance dans une activité orale. Son expérience d’enfant immigrant lui a
certainement valu un autre regard sur les rapports humains. Le parcours interprétatif qu’elle
237
offre est fortement imprégné de la situation d’oppression dans laquelle s’exprime le rapport
dominant/dominé.
Au début de l’entrevue, Camille semble quelque peu stressée malgré la consigne de ne pas
être évaluée. Elle prend plus de temps à répondre aux questions, limitant ses réponses à des
oui, des non ou des peut-être. Une fois décontractée, son propos s’étend. Au départ, nous
avons eu du mal à cerner si elle hésitait à exprimer son point de vue ou si elle éprouvait des
difficultés à faire part de son analyse de la situation.
5.2.3.1. Quand l’expérience subjective sous-tend l’interprétation
C’est à partir d’une expérience personnelle du racisme que Camille formule son
interprétation de la réalité sociale au Gabon. L’entrevue lui aurait donné l’occasion de dire
son monde quant au lien qu’elle peut établir entre les rapports humains et les situations
d’oppression : « disons que le travail avec les documents a fait remonter les émotions, ça
m’a rappelé des choses » [EXP, 6-7].
La structure des documents qui se présente comme un récit rétrospectif de la situation
coloniale a constitué le point de départ de son hypothèse. Après avoir lu les documents à
plusieurs reprises et discuté avec ses camarades de groupe, la répondante identifie deux
problématiques qui mobilisent son interprétation : « j’ai pris en compte deux choses, le
racisme et le rejet de l’autre » [EXP, 7-8]. Elle aurait compris que le rapport
dominant/dominé est plus à même de reproduire les situations d’oppression :
E : [...] Quand on compare les indigènes avec les colons, c’est la même chose
que les riches et les pauvres. Les indigènes se sentaient méprisés par les colons,
les pauvres sont méprisés par les riches [...]. Plus, je voulais comprendre, plus je
me rendais compte que si tu ne considères pas l’autre parce qu’il est différent
de toi, est-ce que ça peut vraiment marcher ? [EXP, 10-16]
Camille a du mal à tolérer les rapports d’oppression qu’elle juge sévèrement. Le rejet dont
elle a été victime est abordé sous la forme d’un questionnement sur la valeur et le respect de
238
la différence. L’élève qui a fait l’expérience de discrimination en tant qu’enfant d’immigrants
s’est montrée sensible à cette problématique. Le racisme qui est finalement devenu le thème
catalyseur pour comprendre le monde de Camille est abordé en référence à la diversité
socioculturelle.
Dès le début de l’entrevue, la participante met en relation son expérience du racisme et les
informations contenues dans les documents : « les moments où je me suis sentie mal… c’est
là où il y a un langage de raciste, je me suis reconnue dans ça, et puis… » [EXP, 3-4]. Ici
le processus cognitif soutenu par une imagerie mentale et par une projection dans la situation
coloniale repose sur un sentiment d’empathie vis-à-vis des indigènes : « c’est un peu normal
si je me sens proche des indigènes » [EXP, 6-7]. Camille établit une correspondance entre
son expérience et le traitement infligé aux indigènes. Cependant, l’identification n’est pas
totale car elle refuse de s’identifier en victime. Elle préfère souligner son côté vindicatif :
« au contraire, ça m’a rendue forte, ça a forgé mon caractère, aujourd’hui ce que les autres
disent de moi, ça ne me touche plus » [EXP, 8-10]. L’expérience du racisme semble avoir
favorisé la compréhension soutenant ainsi une comparaison avec les victimes de la
colonisation. Durant l’entrevue, nous l’avons interrogée sur les mobiles qui l’avaient poussée
à partager son récit de vie. Camille a exprimé un sentiment d’injustice, de révolte et de colère
lié à un système de valeurs qui se construit sur les positions sociales et les différences
socioculturelles. Comme cela a déjà été souligné, la mobilisation des ressources subjectives
a soutenu son discours et permis de formuler l’hypothèse de son interprétation.
Pour passer son entrevue, Camille dit avoir puisé ses idées dans les lectures et les réflexions
personnelles. L’entrevue lui aurait offert l’opportunité de verbaliser les émotions ressenties
lors de la lecture des documents : « j’ai compris que on se méfie de celui qui est différent.
En fait, on a peur, donc on garde ses distances [EXP, 47-49] ». « Les gens racistes me rendent
en colère, parce que ça ne veut rien dire, c’est injuste » [EXP, 50-51]. L’élève dit
avoir « ressenti de la colère en lisant les documents » [EXP, 22-23], mais qu’en parlant de
ce qu’elle a vécu, elle s’est sentie soulagée. Le travail en groupe a constitué une activité
réflexive pour Camille, puisque dans ce processus, elle a pu prendre conscience de la
dimension subjective de sa compréhension.
239
L’élève se rend capable de tirer profit de son investissement subjectif, lequel vient renforcer
sa compréhension portée sur le seul thème du racisme. Elle tient son discours sous la forme
d’une analyse démonstrative : « on ne peut pas vivre ensemble, si on ne respecte pas les gens
parce qu’ils sont différents » [EXP, 88-89]. « Le rejet de l’autre, on doit comprendre que
ça fait mal » [EXP, 101-102]. L’emploi des mots tels que le « vivre ensemble » et le « rejet
de l’autre » démontre une appropriation des modes opératoires de nature historique.
Expliciter son point de vue sur les relations humaines est déjà une façon de mettre à distance
les récits mémoriels pour s’en tenir aux enjeux historiques : « j’ai lu les passages qui
montraient le racisme, donc, j’ai fait la comparaison entre moi et les indigènes » [EXP, 116-
117].
Camille a formulé son hypothèse en réaction au discours raciste des documents et en
établissant un rapport avec son histoire personnelle. Elle trouve ainsi des similitudes entre la
situation sociale actuelle au Gabon et celle qui prévalait durant le système colonial. Ce
procédé explicite le mode opératoire historique consistant à sélectionner dans le passé les
faits servant à la cause que l’on veut défendre : « si la même chose se répète, je me dis, y a
problème. Pour moi, le problème c’est la façon que tu considères l’autre » [EXP, 138-139].
La lecture de certains passages à plusieurs reprises justifie un défi cognitif et un savoir-faire
en histoire : « j’ai lu les passages sur le racisme plusieurs fois, parce que…, je voulais
comprendre, je trouve que ça a des conséquences » [EXP, 198-190]. Camille affirme
également avoir relu les documents de manière fragmentée et non linéaire : « J’ai lu un
passage à la fois, pas vraiment dans l’ordre » [EXP, 191-192]. Autrement dit, elle
a sélectionné des passages qui lui paraissaient significatifs en fonction de l’objectif.
Le parcours de Camille peut paraitre bien modeste, mais son discours montre qu’elle a acquis
une nouvelle habileté en analyse historique. Cette élève qui, elle-même a souffert de
discrimination en raison de la couleur de sa peau, a un autre regard sur le vivre ensemble. La
particularité de son interprétation s’exprime à travers cette sensibilité singulière. Toutefois,
la question du racisme ne recouvre qu’un aspect du thème abordé et ne peut à elle seule
constituer une interprétation de la réalité actuelle au Gabon. Comment Camille est-elle passée
240
de sa première hypothèse concernant le racisme à la reformulation d’une interprétation plus
complexe ?
5.2.3.2. Une approche de l’histoire qui garantit la pluralité
D’emblée, il faut dire que le discours de Camille offre l’avantage de ne pas s’orienter
vers des repères chronologiques des évènements passés. Son parcours interprétatif ne semble
pas refléter les finalités de l’apprentissage de l’histoire-mémoire qui consistent à accumuler
et à mémoriser les connaissances factuelles avant de développer la pensée critique :
E : [...]. La colonisation, c’est classique, c’est une histoire que tout le monde
connait, au Gabon, en France partout. Tout ce qu’on a lu dans les documents, ça
ne surprend personne. Revenir sur ça, ça sert à quoi ? Moi, j’ai surtout compris
pourquoi il y a la pauvreté en permanence au Gabon. Et je sais que, enfin, c’est
presque… une certitude, que si on continue dans ce sens, rien ne va changer
[...]. Pour ça, le travail avec les documents, c’était très utile pour moi, pour voir
la base, d’où vient le problème. [EXP, 210-229]
La compréhension du présent de Camille ne semble pas s’en tenir aux reconstitutions
historiques des évènements : « on ne peut pas revenir sur tout ce qui s’est passé [...]. Je crois
que ce qui est important, c’est savoir, pourquoi ça n’a pas marché jusqu’aujourd’hui,
pour voir comment on peut corriger les erreurs » [EXP, 210-229]. Les représentations de
l’élève n’expriment vraisemblablement pas une certaine nostalgie basée sur des données
factuelles. La voie interprétative qu’elle emprunte, moins portée sur la mémorisation des faits
passés, témoigne d’un certain rapport émancipatoire aux savoirs historiques. Elle construit
une pensée historique en ébauchant une analyse critique de la situation étudiée : « on n’est
plus à l’école primaire où on récite les leçons comme les récitations, maintenant on doit
chercher pourquoi les choses se passent comme ça » [EXP, 242-244]. L’élève construit sa
compréhension de la réalité sociale actuelle, non pas à partir de l’accumulation des
connaissances factuelles, mais par la perception de l’utilité sociale et le plaisir qu’il y a à
déceler les questions qui se posent au présent :
241
E : [...]. Si on veut changer, il savoir dans quoi on doit changer. On voit bien
que, y a des réformes et ça ne va pas toujours. Donc, si on veut qu’on évolue.
Parce que même après les réformes, rien ne bouge. Ça veut dire on ne fait pas
encore les choses dans le bon ordre [...]. Pour bien faire, il faut étudier le
problème à la base. [EXP, 250-260]
La participante entreprend une relecture de l’histoire que l’on pense souhaitable pour la
didactique renouvelée. Ce renouvellement de la didactique parait nécessaire pour savoir
quelle culture commune transmettre aux élèves en histoire. À ce sujet, Lahire et Johsua
(1999) évoquent un socle de culture commune aux fins de soutenir l’interaction entre
différentes lectures du monde. L’auteur nuançait entre la culture que chacun déduit de sa
propre expérience et celle soumise par des voies institutionnelles. Il souhaitait ainsi une
combinaison entre les éléments construits par des acteurs et les produits socialement
transmis. Dans ce discours, la lecture que l’élève fait de la réalité repose sur des expériences
de la vie courante. Ainsi, des actions peuvent être menées pour transformer la réalité ou la
dépasser. Comment peut-on qualifier le récit de vie de l’élève ? Quels liens sont-ils tissés
entre l’apprentissage historique et l’expérience vécue ?
La manière dont la répondante conçoit le temps semble indispensable pour partir d’une
expérience vécue et élargir sa compréhension : « ce que j’ai vécu, c’est rien par rapport à ce
que les indigènes ont subi » [EXP, 265-266]. Par rapport à l’espace et par rapport au temps,
elle tente de s’ouvrir à la fois à la diversité des expériences et à la pluralité des opinions :
« ce n’est pas nouveau le problème des différences entre les races, les riches, les
pauvres… » [EXP, 267-268]. En somme, l’élève applique à l’histoire les critères de
contextualisation en les explicitant les uns les autres : « on compare souvent indigène/colon,
riche/pauvre, noir/blanc, mais en fait les situations ne sont pas exactement pareilles [...], y a
des points communs, mais, comment tu vois l’autre » [EXP, 281-285] ? Cette interprétation
n’inscrit pas l’histoire des hommes dans des échelles plus vastes pour reconstruire un récit
historique fermé qui reproduirait les représentations communes. Il s’agit de pouvoir passer
d’une échelle à l’autre en garantissant la possibilité constante d’un va-et-vient entre les
échelles, d’un espace à l’autre. Ces va-et-vient suscitent une construction délibérée des
échelles dans la mesure où les pratiques courantes d’enseignement ne le garantissent pas :
242
E : [...]. Entre les trois systèmes politiques, y a peut-être des liens, mais les
époques, ne sont pas pareilles, les contextes, ne sont pas les mêmes [...].
Aujourd’hui, on est en démocratie, l’époque coloniale, c’est autre chose, la
dictature, c’est différent. Quand même, y a un point commun. C’est là qu’il faut
agir. [EXP, 231-240]
L’élève prend en compte la diversité des situations historiques pour soutenir une construction
des savoirs qui garantisse une approche plurielle de l’histoire. La mise en scène de la diversité
des savoirs dans l’interprétation des faits du passé rappelle qu’elle étudie des situations de
société complexes qui peuvent mobiliser des intérêts et des légitimités contradictoires. La
référence à la notion de diversité est un moyen de suggérer que l’histoire devrait davantage
mener à des questions ouvertes qu’à des réponses fermées.
5.3.3.3. Des pistes pour éduquer à la citoyenneté en classe d’histoire
Le parcours interprétatif de Camille offre un moyen d’élaborer une didactique de
l’histoire qui tienne compte des représentations des élèves afin de répondre aux visées
d’éducation à la citoyenneté. Comme dans ce discours, un processus d’apprentissage
historique pourrait partir du sens commun ou des représentations spontanées des apprenants
: « je ne sais pas si j’allais comprendre les choses de cette façon si je n’avais pas subi le
racisme, la discrimination quoi » [EXP, 291-293] ! Pour une didactique renouvelée de
l’histoire qui prendrait en compte des représentations dominantes des élèves, il s’agira de
décrire les pratiques les plus courantes de l’apprentissage de cette discipline. Ce
renouvèlement pourrait se fonder sur de tels propos : « ce que j’ai aimé avec le travail avec
les documents, c’est qu’après on discute, on parle, on dit ce qu’on pense, on dit pourquoi
on dit ça… » [EXP, 295-297]. Il serait souhaitable d’élaborer une didactique de l’histoire
qui tienne compte de tels enjeux et qui cerne au mieux les obstacles auxquels s’affronte
l’élève lorsqu’il cherche à développer sa pensée historique : « on peut avoir sa façon de
comprendre. Quand on laisse les gens parler, on peut expliquer pourquoi on dit telle ou
telle chose [...], surtout si on ne juge pas ». [EXP, 298-299]
243
Le présent discours montre à plus d’un titre qu’il n’est nullement nécessaire que les élèves
acquièrent d’abord des connaissances de base avant de développer l’esprit critique. On voit
mal comment la conception qui postule les bases d’abord pourrait se concilier avec une
histoire enseignée qui s’efforce de développer le sens critique chez les élèves. Le
raisonnement historique de Camille n’inscrit pas les données factuelles dans leur époque en
tentant de proposer des analogies à travers le temps. Il lui parait juste utile d’avoir pleinement
conscience de leur existence : « pour moi le plus important, c’est connaitre les systèmes
politiques, faire les liens, ce qui est pareil, ce qui n’est pas pareil » [EXP, 310-311]. L’élève
construit sa compréhension en établissant des liens entre les évènements et entre les époques :
« c’est surtout quand on comprend le lien entre pauvreté, colonisation, le comportement
des gens qui sont au pouvoir… » [EXP, 315-316]. Comme nous l’avons vu, le racisme a été
un élément déclencheur à travers lequel elle a construit sa conception des relations humaines :
E : [...]. Y a beaucoup d’exemples que les autres ont pris. Dans les documents, y
avait beaucoup d’infos, les propos racistes, le mépris pour les indigènes. On
devait répondre aux questions, donc, on réfléchissait d’abord, on n’était pas
toujours d’accord. Certains voulaient imposer leur point de vue [...]. Moi, c’est
vraiment mon expérience qui a tout déclenché [EXP, 326-332].
La série de documents présentés et les questions portant sur le thème à l’étude ont paru
indispensables à l’élève pour accéder à la connaissance d’une l’histoire plus dynamique,
vivante et ouverte. Le modèle d’apprentissage qui est le sien semble prometteur pour sortir
d’une histoire totale dans laquelle s’insèrent les récits linéaires et fermés se référant
davantage à la mémoire collective. Il serait nécessaire que des réflexions construites autour
des expériences subjectives soient validées par le traitement didactique. Cette conception
didactique envisagée condamne pour l’essentiel les références à des récits inchangeables et
chronologiques. Elle passe d’une histoire linéaire et cumulative à une histoire ouverte et
plurielle qui pose des questions sur le monde.
5.2.3.4. L’impression générale du discours de Camille
244
L’interprétation de Camille offre la possibilité de savoir quels critères établir pour
l’apprentissage historique dans le contexte actuel de l’éducation à la citoyenneté. Sa lecture
de l’histoire n’est pas constituée d’un corpus de savoirs dont elle décrit la construction par
étapes successives : « ce qui s’est passé avant ou après, c’est bien, mais ce qui m’intéresse,
c’est le lien » [EXP, 312-113]. C’est en faisant des liens entre les évènements, les situations,
les époques et donc dans la complexité des temps que l’élève développe son sens critique.
Par conséquent, rien ne justifie qu’il soit pertinent d’aborder l’apprentissage de l’histoire en
partant des sociétés anciennes à celles plus récentes. Le concept de représentation peut être
traité en relation avec la variation des temps et des ruptures qu’il suscite. Ce qui ne change
rien à la validité, pour l’histoire enseignée, de réfléchir sur le rapport que Vygotsky (1978)
établit entre les concepts spontanés et les concepts scientifiques (Heimberg, 2001).
Le parcours de Camille renforce l’idée selon laquelle les rapports établis entre les
représentations spontanées et les concepts scientifiques sont dynamiques, complexes et
interactifs. À ce titre, Vygotsky (1978) notait l’importance d’insister sur les concepts
spontanés en apprentissage à l’école. Alors que les postulats didactiques accordent plus
d’intérêt à l’appropriation des concepts scientifiques, l’histoire enseignée devrait renvoyer à
des modes de compréhension du monde. L’auteur voulait mettre en évidence le fait que
l’appropriation des savoirs se poursuit au-delà de la classe et qu’à ce titre, elle nécessite un
certain travail personnel (Heimberg, 2001). Or, un apprentissage qui se contenterait
d’accumuler les données factuelles pourrait difficilement orienter la compréhension vers la
complexité et l’imprévisibilité des savoirs.
5.2.4. Le parcours interprétatif de Kriss
Kriss est un Gabonais d’origine libanaise. Cette variable a peut-être été d’un enjeu
majeur dans la position qu’il adopte pour raisonner sur la situation sociale au Gabon. Né au
Gabon où il a toujours vécu, Kriss se sent partie prenante de l’histoire de l’humanité et
entretient un rapport réflexif au passé. Il se situe d’abord individuellement, puis
collectivement dans un monde où il pose un regard nuancé sur les faits de société. À l’instar
245
du rapport au langage qui l’engage dans cette humanité, son interprétation recouvre une
posture à partir de laquelle il construit son sens de l’histoire. Selon ce répondant, l’histoire
est une matière intéressante, non au sens que lui donnent ses pairs, mais au sens où cette
discipline possède des fonctions d’identification et de socialisation. Il aime interagir avec le
passé pour se situer dans le temps par rapport aux autres, et, situer les autres par rapport à soi
et par rapport au monde. Son interprétation des documents est une relecture de l’histoire qui
lui permet de reconstruire du sens.
5.2.4.1. Une interprétation singulière pour reconstruire le sens
Selon Kriss, l’histoire est une filiation à la fois individuelle et collective.
L’apprentissage qu’il en fait constitue un moyen d’échange et de communication pour penser
le monde et la vie en général. La fonction identitaire joue assez peu dans la construction du
rapport que cet élève privilégie au passé. Dans cette perspective, l’histoire peut paraitre
inutile si l’on se contente d’une description des faits appartenant à un passé révolu et donc
sans intérêt. Cette fonction essentiellement existentielle rendrait parfois les élèves
indifférents face aux savoirs historiques.
E : [...]. Je m’interroge, j’essaie de comprendre ce genre de comportement. Je ne
condamne pas, j’essaie seulement d’imaginer la vie à cette époque. Parfois, je
me mets à la place des colons et je vois jusqu’où on peut abuser des autres quand
on a le pouvoir. Parfois, je me mets à la place des indigènes et je vois aussi
comment on agit quand on est en position de faiblesse [...]. Comment faire pour
changer la situation ? Quel rôle nous on joue. Dans tout ça, je suis quoi, mon rôle
c’est quoi là-dedans. C’est ce qui est intéressant avec l’histoire, on peut aller dans
le passé pour avoir des réponses. [EXP, 10-22]
Pour construire une temporalité critique, Kriss préfère entretenir un rapport à l’histoire qui
repose sur la pleine implication de soi et un rapprochement subjectif avec les hommes du
passé. Il construit un rapport pertinent à l’histoire au travers d’une décentration de soi et une
mise à distance des référents mémoriels. Entretenir ce rapport implique également de mettre
à distance les hommes du passé et pouvoir se situer par rapport à eux. La décentration pose
une double question identitaire à Kriss. Est-il au monde en tant que maillon de la chaine de
246
l’humanité et héritier des hommes dont il décrit les agissements ? Qui est-il en tant qu’acteur
définissant une situation ? L’interprétation de Kriss, porteuse de réflexion, est celle d’un sujet
qui se construit dans le temps.
E : [...]. Comment les gens qui ont lutté pour avoir des droits font le contraire
chez les autres ? En 1789, la Révolution française et tout ça. En plus, au
XVIIIe siècle ? Le Siècle des Lumières ? Avec toutes les transformations que
l’Europe connait à cette époque, je me suis toujours demandé ce que moi j’allais
faire dans ces conditions [...]. Ces gens qui connaissent le Dieu miséricordieux,
le Dieu bon, ils prennent les hommes pour des animaux. [EXP, 30-41]
Kriss se projette à la Révolution Française de 1789 et plus précisément au Siècle des
Lumières pour se demander si dans cette situation il aurait résisté. Ce qui fait sens, c’est la
situation dans laquelle l’histoire se précise avec ce qui l’identifie et qui témoigne d’un rapport
réflexif au passé. L’élève profite de l’entrevue pour s’interroger sur la question de
l’engagement si importante au moment de son entrée dans l’âge adulte. Il montre que
l’histoire contribue fortement à une décentration qui l’invite à sortir de lui-même pour
questionner le rapport qu’il peut entretenir avec les hommes du passé et pour se penser dans
l’histoire humaine.
E : [...]. On doit travailler ensemble, mais dès que tu commences à parler,
personne ne veut t’écouter. Tout le monde doit penser la même chose. Même s’il
faut condamner, en quoi on avance. Je me mets à la place des indigènes qui
subissent les colons. Ils sont chez eux, mais leurs biens, ils n’ont rien à dire.
Parfois, j’essaie de me mettre à la place des colons, quelle image ils avaient des
Noirs [...] ! Mais je comprends que le monde a évolué, on ne pense plus de la
même façon. [EXP, 50-51]
Kriss organise son interprétation à partir d’un questionnement sur soi qui acquiert
progressivement une valeur universelle. Son point de vue constitue le point de départ à partir
duquel il peut argumenter sa compréhension de l’histoire. De son interprétation, on peut en
tirer trois enseignements. Le premier enseignement est que son langage révèle un dialogue
intérieur structuré et la généralisation d’un moi à la fois individuel et distancé. Le second
enseignement est qu’il confirme la nécessité de construire un rapport critique à l’histoire pour
questionner les réalités sociales. Sa compréhension de l’histoire passe par la double
247
identification de la situation coloniale : les rapports colons/indigènes et la situation que leur
rencontre crée. Troisièmement, Kriss reconstruit sa conscience des rapports de force à travers
la dualité dans laquelle la contradiction dominants/dominés s’exprime.
248
5.2.4.2. Une relecture l’histoire pour se construire une conscience critique
La démarche de compréhension historique entreprise par Kriss l’a conduit à se
questionner sur son identité. À l’instar du corpus documentaire soumis à l’interprétation et
aux différents récits rapportés, l’histoire offre un substitut d’expérience à travers laquelle le
répondant nourrit sa compréhension de la réalité actuelle.
E : [...]. On ne peut pas toujours se contenter de dire voilà, tout c’est à cause
de la colonisation. Parce qu’on peut aussi se demander pourquoi les choses
n’ont pas évolué depuis que les colons sont partis. Dans ce cas, on va
condamner qui ? À quoi ça va nous servir, en quoi ça nous fait avancer ? Ils sont
choqués à cause de ce qui est écrit dans les documents, mais c’est au XIXe siècle
que c’était permis, aujourd’hui, on ne peut plus voir ça. Il y a des lois contre le
racisme. C’est là où il faut voir que le monde évolue. [EXP, 15-22]
L’interprétation de Kriss montre en quoi un questionnement historique est indispensable.
L’élève a cette capacité de se situer dans le temps et de fixer l’historicité du présent par une
mise à distance de tout ce qui lui est livré par le passé humain. Il établit un lien entre le présent
et le passé à partir duquel il reconstruit l’histoire. Cette opération consiste à atteindre
l’expérience humaine et à reconstituer les intentions à l’origine des agissements des hommes
à partir des traces qu’ils ont laissées.
E : [...]. Quand on travaillait ensemble, c’était ça, condamner ! Condamner !
Condamner ! Presque tout le monde, les colons ont fait ceci, les colons ont fait
cela. C’est à cause de ça qu’on n’a pas bien travaillé. [EXP, 66-82]
L’élève réalise sa projection de soi vers le passé en remontant la chaine de la tradition qui le
relie au passé. Kriss est avant tout un sujet de l’histoire qui tente de se réaliser dans le présent
avant de se tourner vers le futur. Il articule passé-présent-futur au regard de l’analyse qu’il
fait de la situation coloniale. Cette lecture de l’histoire renvoie à une conscience de soi qui
remonte le temps pour y voir le plus important de ce qu’il veut pour son futur. Il a besoin de
regarder du côté de ses ancêtres pour savoir qui ils étaient, qui ont fait de lui ce qu’il est
aujourd’hui. Détenir ce savoir semble important pour la vie qu’il veut mener. Comment Kriss
249
pense le passé pour se comprendre en tant que sujet de l’histoire ? Comment une meilleure
compréhension de soi soutient-elle le développement de sa pensée ?
C : Est-ce que je dois comprendre que tu as rejeté tout ce que les membres de ton
groupe ont dit ? E : Non au contraire, je suis d’accord avec eux [...]. Ce qui s’est
passé, c’est l’histoire du Gabon, je ne peux pas le nier. Je sais que, y a eu des
abus, la colonisation a fait des choses…, qui ne sont pas normales. C’est
l’histoire, c’est passé, on ne peut pas changer ça, on doit faire avec [...]. Je dis
seulement que…, ça ne sert à rien de ressasser tout ça. Si on veut changer, on
doit voir les erreurs des gens du passé, parce que nous aussi, on fait les mêmes
choses, c’est ça qui fait qu’on n’avance pas. [EXP, 95-107]
L’analyse de Kriss met en évidence le développement réflexif de sa pensée. Sa capacité à se
défaire des contraintes de la mémoire collective et à mettre en relation les pensées des autres
s’est révélée indispensable pour se comprendre, comprendre les autres et le monde. Il effectue
des retours sur soi pour avoir une meilleure représentation de lui-même en tant qu’acteur
jouant un rôle dans la dynamique sociale. Kriss peut mettre à distance des interprétations des
autres, parvenir à identifier la part du subjectif dans celles-ci et les expliciter. On peut
considérer qu’il s’est construit une capacité réflexive au travers des compétences
interprétatives qu’il a développées. À plus d’un titre, l’entrevue semble avoir été un outil
d’apprentissage susceptible de mettre au jour les compétences d’analyse souvent inexploitées
des élèves.
Le développement réflexif peut varier d’une activité à une autre, d’une question à une autre.
Dans le parcours interprétatif de Kriss, nous identifions sa capacité réflexive à trois niveaux :
1) il met en relation les discours d’autrui et son discours ; 2) il est capable de mettre à distance
la diversité interprétative ; 3) il fait des retours sur soi pour expliciter la relation entre les
interprétations diverses et les informations historiques. La mise en relation des discours
d’autrui concerne sa capacité à évaluer la pertinence de son interprétation à partir de critères
explicites. Le répondant peut comparer les interprétations divergentes et déterminer leur
validité pour les hiérarchiser. La définition qu’il donne à la situation coloniale au Gabon
repose sur un rapport complexe entre les référents mémoriels et sa capacité métacognitive.
Cette définition consiste à recomposer rétrospectivement les moments charnières de
250
l’apprentissage, à rétablir la compréhension et abandonner certaines pistes invalidées pour
produire de nouvelles interprétations.
C : Tu n’es pas d’accord avec quoi dans tout ce que les autres ont dit ?
E : Ils ont dit par exemple que les colons ne nous ont pas bien formés. C’est vrai,
mais moi je me suis dit, au moins ils ont amené l’École au Gabon [...]. Ils ont
dit, ils ont pillé nos richesses, ça aussi c’est vrai, mais je me suis dit, avec la
colonisation, on a eu le chemin de fer, tout ça, l’industrialisation, au moins,
on avait quelque chose quand même [...]. Au lieu de continuer à pleurnicher,
on pouvait partir de là et être loin aujourd’hui. Tout ce qu’on fait, c’est du
surplace. [EXP, 113-122]
L’interprétation de Kriss prend souvent la forme d’un récit où les marqueurs temporels et
leur évolution sont souvent nombreux et significatifs. La capacité qu’il a à mettre en relation
les discours d’autrui est essentielle pour produire de nouvelles interprétations. À un second
degré, cette capacité à reproduire de nouvelles interprétations consiste à reconstruire le
cheminement interprétatif lors des interactions. Kriss explicite les modes opératoires pour
effectuer des retours sur soi et reformuler une représentation de soi. Si l’on procédait à une
analyse transversale de son parcours interprétatif, l’on constaterait que sa réflexion constitue
un indice des compétences interprétatives. En effet, au travers des interprétations multiples
et complexes qu’il produit, Kriss atteint trois niveaux essentiels du développement réflexif.
Déjà, il a une capacité à s’interroger sur les interprétations d’autrui et à dégager la part des
référents mémoriels dans ce processus. Puis, sa conscience affirmée de lui-même dans la
diversité des interprétations se fait de manière critique. Finalement, il manifeste un degré de
conceptualisation du processus interprétatif qui soit des plus remarquables.
Kriss a une conscience de son rôle dans la production des différentes interprétations et une
forte représentation de soi en tant qu’acteur de changement. Sa conscience à évaluer la
diversité interprétative, à conceptualiser le problème et à relativiser les différents points de
vue, le distingue des autres élèves. La capacité à analyser son propre parcours constitue un
enjeu particulièrement crucial dans l’apprentissage de l’histoire. La plupart des discours
251
analysés indiquent un niveau de réflexivité qui n’atteint que très rarement ce degré de la
conceptualisation.
5.2.4.3. Quand l’élève construit un rapport réflexif au passé
Kriss constate que les propos de ses pairs sont toujours rapportés aux référents
mémoriels et aux interprétations qui peuvent en être faites. Pourtant, il peut légitimement
s’interroger sur la part de responsabilité des uns et des autres hormis la seule volonté
d’affirmer son appartenance identitaire et de susciter le partage des représentations.
C : [...]. Est-ce que tu crois qu’il peut en être autrement, au Gabon,
particulièrement ? E : je m’interroge, je me demande pourquoi on ne peut pas
voir les choses d’une autre façon. C’est toujours, on nous a fait ceci, on nous a
fait cela. On accuse les autres, on croit que dès qu’on a accusé les autres, c’est
ça la solution ? La faute, c’est les autres et nous, quelle est notre responsabilité
là-dedans ? Ce qui nous arrive aujourd’hui, c’est encore la faute de la
colonisation ? Mais on peut continuer à accuser jusqu’à l’infini, je ne vois pas en
quoi on va arranger la situation du Gabon [...]. Tout le monde ne vole pas, y en a
qui réussissent normalement [...]. Ce que je trouve bizarre, on veut que tout le
monde pense pareil. C’est pourquoi on ne s’entendait pas dans le groupe. [EXP,
131-147]
Le propos fait référence ici à l’influence de l’imaginaire collectif dans lequel s’inscrit le sens
que les jeunes Gabonais donnent aux réalités sociales au Gabon. La part de ces
représentations partagées est si forte que des interprétations d’une autre nature semblent leur
échapper. Kriss tente de penser autrement ces phénomènes mémoriels susceptibles de faire
l’objet d’un jugement normatif pour actualiser les savoirs historiques de ses pairs sans
nécessairement les hiérarchiser. Il reste que la question de l’histoire-mémoire induit souvent
le surgissement de la dualité historique qui recourt à la hiérarchisation des savoirs.
Comme nous pouvons l’avoir cerné du parcours de Kriss, son discours est envisagé par ses
pairs comme une source de malentendu par rapport à une lecture normative de la situation.
Si l’on veut formaliser davantage l’investissement subjectif dans l’apprentissage historique,
252
il nous semble essentiel de comprendre l’influence des ressources constitutives à la diversité
des lectures dans le processus d’interprétation.
C : si je comprends bien, ça ne s’est pas bien passé en groupe.
E : Euh ! Hum ! En fait non ! Quand on parlait dans le groupe, la vraie raison
de la pauvreté, c’est la colonisation [...]. Si tu essaies de dire autre chose, on
rejette, on ne considère pas ça. Donc du coup, on n’a pas bien travaillé. Ça ne
sert à rien si on ne peut pas discuter. Tout le monde doit avoir le même point de
vue [...]. Je ne vais pas changer mon point de vue. C : Alors, tu peux m’expliquer
ton point de vue. E : Avec ce qui s’est passé avant, au moins je comprends
comment ça a évolué. Les Français ne peuvent plus venir aujourd’hui comme
avant. Les choses ont changé. Ce qui était permis avant, on ne trouve plus ça
normal aujourd’hui. Les temps changent, il faut considérer tout ça si tu veux
bien comprendre [EXP, 177-196].
Kriss récuse une interprétation de l’histoire qui soit envisagée sur le mode du déjà-là, qu’il
s’agisse d’imaginaires préexistants ou de phénomènes de projection. Il réfute l’interprétation
de ses pairs qui se refusent de produire de nouvelles compréhensions. L’apprentissage de
l’histoire de ses pairs est celui d’une lecture qui confirme leur appartenance identitaire et la
projection de représentations partagées. Le point de vue de Kriss constitue une des
composantes subjectives qui influencent la complexification de son interprétation. Cette
complexification qui confirme que la mise à distance des interprétations reliées à
l’appartenance identitaire est susceptible de transformer les rapports des sujets à l’histoire.
Un apport éventuel du modèle d’apprentissage de Kriss consiste à mieux comprendre les
liens entre l’investissement subjectif de l’élève et sa réflexivité individuelle. Nous en
retenons que, pour être formatif, l’investissement subjectif a dû nécessairement faire l’objet
d’une réflexivité individuelle.
La nécessité d’approfondir la notion réflexivité est apparue à la lecture des données du
questionnaire où les réponses d’élèves sont restées superficielles. Lors des entrevues au
contraire, le parcours interprétatif, en ce qu’il intègre une mise à distance des représentations
partagées, est producteur de sens. On peut alors interroger les relations entre l’investissement
253
subjectif et la distanciation et mettre au centre de celle-ci la réflexivité la plus à même de
rendre compte du processus interprétatif. Dans le cadre de la formation, l’enjeu serait
d’expliciter la relation entre l’investissement subjectif et le développement réflexif :
C : [...]. Tu n’as pas aimé que les autres rejettent ta façon de voir les choses, c’est
ça ? E : Euh…, non, je n’ai pas aimé ça. Quand on discute en groupe, on doit
laisser l’autre s’exprimer. Ils voulaient pas m’écouter, je me suis tu, je n’ai plus
parlé. Ils estiment que c’est eux qui ont raison, je les ai laissés parler, je n’avais
plus rien à dire. Qu’est-ce que j’allais encore dire ? Puisque ce que je dis n’a
pas de sens. [EXP, 294-308]
Le parcours interprétatif de Kriss montre l’intérêt d’un processus interactionnel dans
l’apprentissage. L’interaction entre pairs a permis la production des interprétations diverses
sur une même réalité sociale et soutenu leur investissement subjectif. Le travail en groupe,
en tant qu’activité de partage et de mise à distance des interprétations, a constitué un
processus où les participants pouvaient confronter leurs points de vue. Comme plusieurs
recherches avant nous, notre étude soutient l’intérêt des activités de groupe susceptibles de
développer la compétence des élèves à penser historiquement.
5.2.4.4. L’impression générale du discours de Kriss
Kriss situe sa définition de la situation sociale du Gabon sur un modèle
d’intelligibilité et d’interprétation de sa manière d’être au monde. L’apport de son
interprétation à notre étude est d’avoir mis à distance les certitudes de la mémoire collective.
Sa posture interprétative fait penser à la formation du citoyen dans la mesure du changement.
L’interprétation de Kriss est un moyen privilégié dont il dispose pour élargir sa
compréhension de soi et du monde. Il formule des hypothèses à partir desquelles il interroge
son identité dans un monde où des citoyens ne peuvent plus se référer aux identités
collectives. De son propos, il en ressort que les individus peuvent se constituer en tant que
citoyens grâce à une interprétation renouvelée des récits mémoriels. Dès lors, l’histoire n’est
plus seulement une expression spécifique à un groupe donné, mais le lieu par excellence pour
254
reconfigurer les identités. Ce qui justifie son apprentissage distancé des référents mémoriels
et une relecture de l’histoire comme un moyen de comprendre le monde dans lequel il vit.
Le discours de Kriss peut se situer dans la continuité de l’approche sociodidactique des
savoirs. Dans la construction des savoirs en histoire, cette approche consiste à mettre en
évidence la perspective du rapport au savoir ainsi qu’une dialectique entre investissement
subjectif et distanciation. Il ne s’agit pas pour l’élève de rejeter la diversité des
interprétations, mais de les comprendre comme différentes lectures du passé.
5.2.5. Que retenir des quatre parcours interprétatifs ?
Comme nous l’avons vu, les différents discours analysés sont une traduction en acte
des rapports singuliers que les élèves entretiennent avec les savoirs historiques au sujet de la
pauvreté du Gabon. La perspective sociodidactique empruntée a permis de mettre en relation
la diversité des interprétations produites par des sujets socialement et historiquement situés.
L’élaboration d’un tel projet nécessitait d’analyser des discours individuels et contextualisés
afin de saisir les transformations au cours d’un processus d’apprentissage historique.
Les parcours individuels d’interprétation décrivent les lectures effectives des élèves et
permettent, comme nous le soutenions plus haut, de cerner l’approche didactique à
privilégier. La présente recherche ne prétend pas démontrer la pertinence absolue du modèle
d’apprentissage historique proposé. Néanmoins, elle tente une mise en évidence de la
cohérence et de la validité de notre projet. Comme le soutiennent Laville et Dionne (1996),
l’enjeu central d’un tel modèle d’apprentissage se situe davantage dans la compréhension du
sens que l’élève donne au savoir, des modalités d’interprétations qu’il propose et des
compétences dont il fait preuve. Certes, l’analyse qualitative de quelques discours d’élèves,
même si elle est soutenue par une approche sociodidactique des savoirs, ne peut prétendre à
un haut degré de généralisation. Nous espérons qu’en complémentarité avec les modèles
conceptuels et théoriques et les discours analysés en profondeur, nous aurons montré que la
255
formation historique et en particulier la perspective de l’éducation à la citoyenneté peuvent
être formalisées selon un modèle d’apprentissage sociodidactique.
5.3. Quel bilan sur les effets de la pensée historique ?
Le traitement de la pauvreté en classe d’histoire s’est révélé un support précieux de
médiation entre mémoire et histoire. L’apprentissage de cette problématique sociale a donné
lieu à une diversité d’interprétations. Dans une large mesure, l’activité s’est révélée très
formatrice, car ayant conduit chaque élève, non seulement à élargir sa compréhension du
monde, mais aussi à reconsidérer ses relations aux autres et à développer un rapport critique
au passé. Traiter de cette question sociale a aussi mis au jour des conflits interprétatifs et des
tensions que l’éducateur devrait pouvoir gérer. Si l’apprentissage de l’histoire est ce moment
où la réflexivité personnelle est permise, ce processus constitue un moment où la pensée peut
être reprise, reformulée, transformée, quelquefois contestée ou même ignorée (Langlade,
2000). À bien des égards, la compréhension du présent par le passé est révélatrice des
tensions entre les référents mémoriels légitimés par l’histoire-mémoire et les savoirs pluriels
valorisés par l’histoire-critique. Ainsi, l’apprentissage de l’histoire se pose en termes de
contradiction entre un récit unique et véridique du passé et la multiplicité des interprétations
contradictoires qui influencent la production du sens (Laville & Dionne, 1996).
Aussi, l’analyse de Fernand Dumont (1968) sur l’école comme lieu de mise à distance
critique conserve-elle toute son actualité. Élaborer des modèles d’apprentissage historique
qui assument la tension entre la culture première et la culture seconde 41 constitue un enjeu
majeur. En classe d’histoire, la médiation entre l’histoire-mémoire et l’histoire-critique est
plus complexe en ce sens qu’elle reste vraisemblablement liée aux référents mémoriels. Mais
les expériences subjectives des élèves ne peuvent pas former des ensembles homogènes de
significations historiques. Ainsi, l’école devrait se garder de contraindre les élèves à des
41A titre de rappel, Dumont (1968) définit la culture première comme un donné, un déjà-là grâce auquel on
interprète spontanément le monde et la culture seconde comme faisant appel à une interprétation critique des
œuvres et les pratiques symboliques.
256
jugements normatifs sur des réalités historiques (Langlade, 2001). C’est dans ce sens que
nous pensons que l’apprentissage historique au secondaire peut répondre aux exigences
d’éducation à la citoyenneté.
Comme l’ont prouvé les différents discours analysés, les expériences subjectives des élèves
sont multiples et mouvantes. Par conséquent, elles constituent une base pour l’appropriation
de savoirs historiques hétérogènes. De plus, si l’on conçoit que l’apprentissage est
interactionnel et dynamique, on ne peut le réduire à des ensembles homogènes de
significations historiques. La conception d’une histoire à la fois critique, réflexive et
hétérogène, est à notre sens, celle que l’institution scolaire devrait proposer aux futurs
citoyens qui cherchent leur modèle identitaire en dehors de l’école.
En référence à tout ce qui précède, une remise en question de l’homogénéité des
significations devrait permettre aux éducateurs d’aborder l’apprentissage historique en
complémentarité avec les quatre niveaux de la pensée proposée par Rüsen (2004) dans sa
taxonomie : le niveau traditionnel où les récits de mémoire sont compris comme des vérités
absolues ; le niveau exemplaire où le passé et le présent sont compris comme un cycle
d’évènements appelé à se répéter ; le niveau critique où le passé est perçu comme étant
étranger au présent, le niveau génétique où l’histoire est une interprétation du présent. Cette
perspective d’apprentissage, telle que nous l’avons expérimentée dans cette étude, a permis
la mise en évidence des rapports singuliers que les uns et les autres entretiennent avec
l’histoire. Au chapitre suivant dans lequel nous faisons la synthèse des principaux résultats
de l’étude, nous montrerons comment le modèle d’apprentissage préconisé est déterminant
pour identifier les différents types de rapports établis entre les élèves et les savoirs
historiques.
258
CHAPITRE 6 : LA SYNTHÈSE
259
Dans cette étude, nous nous sommes intéressée à la relation de sens établie entre
l’élève et les savoirs, et donc, à la question du rapport au savoir et à l’école. Comme nous
l’avons vu avec Charlot (1997), le rapport au savoir est un ensemble de relations qu’un sujet
entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir. Ce qui revient à dire que les
objets de savoir, les contenus, les activités, les évènements et les situations, sont tous liés de
différentes façons à l’apprendre et au savoir. Pour avoir une meilleure connaissance de la
relation que l’élève entretient avec les savoirs et à l’école, nous avons mené une enquête par
questionnaire qui nous a permis de dégager une compréhension plus fine du sujet-acteur
qu’est l’élève quant à son intérêt d’aller à l’école, d’y acquérir des savoirs et de se préparer
pour son avenir.
Les résultats issus des six thèmes qui étaient à considérer dans leur dynamisme ont été mis
en relation pour saisir au mieux la question du rapport au savoir et à l’école. L’analyse des
données a particulièrement été menée en référence aux travaux d’Ubaldi (2009) aux fins
d’éclairer la relation au sens des savoirs ayant émergé des propos recueillis. Comme l’affirme
Charlot (1997) et comme le soutient d’Ubaldi, les résultats montrent des discours en lien avec
le contexte sociopolitique auquel les élèves se réfèrent pour donner sens aux situations.
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, le rapport au savoir des élèves se
construit à travers diverses situations et dans le jeu des rapports sociaux que l’on peut faire
émerger des propos d’élèves. Il est en lien avec les évènements (cf. sections 5.1 ; 5.2),
l’environnement sociopolitique (cf. sections 4.1.1 ; 4.2.1 ; 4.2.2), le groupe social de
référence (cf. sections 4.2.1 ; 4.2.2), les savoirs scolaires (cf. sections 4.1.4).
La synthèse que nous faisons des résultats obtenus dans notre étude se structure autour de
trois points essentiels : premièrement, à l’aide d’éclairages conceptuels, nous nous proposons
de faire un retour sur les résultats afin de justifier de la pertinence de tenir compte du rapport
au savoir et à l’école. Deuxièmement, nous tenterons de donner suite à l’objectif spécifique
de notre recherche qui est celui d’identifier les différents rapports aux savoirs historiques des
élèves gabonais lorsqu’ils font usage de leur pensée historique dans une perspective
d’éducation à la citoyenneté. À ce propos, une réflexion critique sur l’apprentissage de
260
l’histoire sera faite en lien aux trois dimensions consécutives du rapport au savoir et en
référence aux modèles d’apprentissage promus dans les configurations didactiques. En
dernier point et sur la base de tout ce qui précède, nous terminerons le chapitre par une
synthèse sur ce que nous avons compris de l’apprentissage à l’école.
6.1. La synthèse sur le rapport au savoir et à l’école
Comme cela a été montré dans nombre d’études y compris la nôtre, la question du
sens est essentielle à la problématique du rapport au savoir. Nos résultats montrent que
l’apprentissage est une réalité bien plus complexe que ne le laissent croire les seules
méthodes didactiques. Selon nos données, ce processus qui interpelle l’expérience sociale et
scolaire de l’élève met en lumière ses intentions, sa marge de manœuvre, son pouvoir
d’action (Trottier, 1981). La dimension sociale y est centrale dans le sens que l’élève donne
à l’école et à ce qu’il apprend. Comme le montrent plusieurs recherches, y compris celle-ci,
on ne peut éclairer la question du rapport au savoir en éludant le jeu des rapports sociaux,
institutionnels et privés à partir desquels l’apprenant donne sens aux savoirs.
Avec Deleuze (1969) on verra que le sens est dans ce qui peut unir l’Homme à une situation
et établir son rapport à soi, aux autres et au monde. L’analyse des données a mis en scène des
capacités des sujets-acteurs à définir les situations. Ce qui a permis d’éclairer non seulement
le caractère situé de l’apprentissage, mais aussi la relation au sens des savoirs ainsi que le
triple rapport que l’élève construit au savoir : rapport social, rapport à soi, rapport aux autres.
6.1.1. Le rapport social au savoir
Comme le fait ressortir l’analyse des données, la dimension sociale du rapport au
savoir est liée à l’environnement auquel nos répondants se réfèrent pour donner sens aux
situations. Il faut remonter à la situation sociopolitique du Gabon pour mieux cerner le regard
qu’ils portent à la question sociale dans leur pays. En effet, nos répondants soutiennent que
les énormes potentialités économiques du Gabon ne reflètent pas la condition sociale dans ce
261
pays. Les autorités dirigeantes s’accapareraient des richesses du pays et laisseraient le peuple
vivre dans la pauvreté. Dans une large mesure, la pauvreté du Gabon serait due à une
répartition inégale des richesses :
On ne peut pas être citoyen d’un pays riche et être pauvre, pourtant c’est ce qui caractérise le
Gabon. « Être dans une telle situation ne montre qu’une chose, le pays est mal organisé. Sur
le plan économique, le pays semble fleurissant, néanmoins, sur le plan social, on remarque
une immense précarité des situations sociales (E3).
L’accès limité aux minimums sociaux demeure une des préoccupations majeures de la
condition sociale dans ce pays. La situation préoccupante du Gabon fait ressortir nombre
d’urgences sociales tant au niveau des infrastructures de base — l’éducation, la santé — qu’à
l’emploi. À la question de savoir comment sortir le Gabon de la pauvreté, la réduction des
inégalités sociales serait la condition sine qua non pour le vivre ensemble. Un des répondants
l’exprimait en ces termes :
J’attends que des dirigeants de bonne volonté fassent leur apparition au sein
du gouvernement tout comme le président du Gabon. Des dirigeants qui ne
lésineront pas sur les moyens pour le développement du pays. Et pour que
cela se réalise, l’honnêteté est de rigueur ainsi que la responsabilité et le
dévouement patriotique. Choses qui manquent à certains de nos dirigeants et
dirigeantes actuels (E5).
En priorité, la responsabilité d’assurer une justice sociale au Gabon revient à l’État qui doit
veiller à la bonne gouvernance en dénonçant les détournements des biens publics, la
corruption et le favoritisme. Les discours des élèves rejoignent ce que soutient Develay
(2012) à savoir que le sens se trouve dans le rapport qu’un sujet vit avec un contexte. Si le
rapport au savoir est social, il est aussi rapport à soi.
262
6.1.2. Le rapport à soi
Comme l’ont montré les recherches antérieures à la nôtre notamment celles du
programme ESCOL, des didacticiens des sciences (2002) et de Demba (2010), nos résultats
confirment un rapport au savoir relatif à la personnalité de l’élève, à ses attentes, à sa
conception de la vie. Ce rapport à soi se construit dans un processus au cours duquel l’élève
se définit et agit dans le contexte environnemental où il évolue. Au regard du type de rapport
qui s’établit entre l’élève et son contexte sociopolitique, aller à l’école et apprendre des
savoirs est générateur de sens pour se construire un avenir meilleur :
Pour moi, apprendre, c’est travailler continuellement en m’organisant, c’est
étudier mes cours, mes leçons afin d’avoir de bonnes notes et pouvoir construire
mon avenir (E24).
La perception d’un avenir probable est porteuse d’intérêt lié au sens des responsabilités
futures. Ce sens des responsabilités, l’élève le manifeste en apprenant pour s’écarter des
affres de la pauvreté, puis, en s’engageant à intervenir dans les affaires de l’Etat :
Apprendre au lycée revient à montrer ou à démontrer à toute personne que
telle ou telle personne est apte à prendre en charge, plus tard, le
développement de son pays (E5).
On conviendra avec Osborne (2005) qu’un bon citoyen possède des principes moraux, la
volonté et la capacité de jouer un rôle actif en étant engagé dans les affaires publiques. Cette
direction à suivre donne sens à l’école, lieu visant l’intégration sociale de l’élève. Assumer
son rôle d’élève aujourd’hui constitue une étape fondamentale pour sa vie future. D’ores et
déjà, 50 % des répondants envisagent d’exercer le métier de médecin, 37 % celui d’ingénieur.
La clarté de ces projets donne sens à l’école et aux apprentissages.
Comme le disait Ubaldi et comme le confirment nos résultats, le sens donné aux savoirs a
une dimension subjective qui ne se laisse pas appréhender par les rationalités didactiques. Ce
sens au-delà du visible constitue une composante importante pour la réussite scolaire. Outre
263
le rapport social et le rapport à soi, le rapport au savoir est aussi rapport aux autres, lequel
agit sur la mobilisation de l’élève à l’école. Il s’agit par exemple du rapport élève/élève, du
rapport élève/enseignant, et selon ce qui ressort de cette étude et qui rejoint l’approche
didactique du rapport au savoir développée par Chartrain (1998) et Caillot (2000), les élèves
entretiennent des rapports particuliers avec les savoirs disciplinaires.
6.1.3. Le rapport aux autres
Avant de nous appesantir sur les rapports élève/élève et les rapports
élève/enseignant, nous voudrions bien revenir sur la particularité des rapports que les élèves
entretiennent avec les savoirs historiques. Nos données montrent comment les discours des
élèves diffèrent les uns les autres sur le phénomène de pauvreté. L’analyse des quatre
parcours interprétatifs a permis de comprendre comment les élèves construisent des rapports
différents aux savoirs historiques. Nous y reviendrons.
S’agissant du rapport aux autres, nous nous attarderons particulièrement sur le rapport
élève/élève et sur le rapport élève/enseignant. Comme l’ont documenté plusieurs chercheurs
(Charlot & al.,1992 ; Charlot, 1999a ; Duru-Bellat & Zanten, 1999 ; Demba, 2010) et bien
d’autres, les relations aux autres jouent un rôle important dans l’intégration scolaire et la
mobilisation à l’école. Pour ce qui est des rapports élève/élève, les relations aux autres
auraient été moins profitables à ceux qui se sentent stigmatisés par leurs condisciples ayant
de bonnes performances scolaires. Certains répondants disent se sentir mal à l'aise en classe
à cause du manque d’humilité de leurs condisciples qui se sentent bons en mathématiques.
Ce qui pose non seulement un problème de complexe entre les élèves, mais aussi, établit une
certaine hiérarchie entre les disciplines. Les relations de compétition entre élèves, si elles
sont stimulantes pour d’aucuns, peuvent aussi être une source de difficultés pour d’autres.
En ce qui concerne le rapport élève/enseignant, les données font mention des relations de
confiance entre enseignant et élève qui seraient une source de mobilisation pour apprendre.
Par ailleurs, elles indiquent comment certaines pratiques enseignantes agissant sur le rapport
264
au savoir de l’élève peuvent paraitre déloyales. Les élèves ont par exemple parlé : 1) des
enseignants qui s’intéressent plus aux élèves qui sont bons dans leurs matières ; 2) de
certaines pratiques enseignantes qui ne tiennent pas compte des représentations spontanées
des élèves ; 3) de l’éducation coloniale qui ne prenait pas en compte la réalité des indigènes,
et qui en conséquence, ne pouvait former à la conscience critique. De telles pratiques
éducatives sont comparables aux rapports d’oppression. D’où Merle (2005) s’interroge sur
la maltraitance symbolique faite à la personne opprimée.
À la lumière du témoignage de Camille qui dit avoir été l’objet de discrimination raciale (cf.
section 5.2.3), l’indifférence de son enseignante face à ses performances scolaires n’aurait
pas été une source de mobilisation pour apprendre. De telles pratiques humiliantes posent
aussi le problème du respect de la personne de l’apprenant, de ses droits, mais également de
la justice face à l’éducation. Comme le soutient Derouet (1992), la justice procède de l’égalité
de traitement, de la reconnaissance et du respect des droits. On conviendra avec Dubet (2006)
qu’« une école qui humilierait les élèves ne serait certainement pas une école juste » (p. 38).
Également, l’on s’interrogera sur le modèle éducationnel sur lequel reposent ces pratiques
éducatives. Selon Lange & al. (2006), toute pratique humiliante serait une forme
d’oppression et constituerait un obstacle à l’émancipation de l’élève.
L’éducation d’oppression rompt avec le mode d’apprentissage en vigueur dans le contexte
actuel de l’éducation. Les relations d’oppression entre l’éducateur et l’éduqué ne répondent
vraisemblablement pas aux exigences d’une socialisation démocratique au sens que lui donne
Vincent (2008). Plus précisément, le contrat didactique qui a cours dans ce modèle
d’éducation ne serait pas étranger aux difficultés d’apprentissage (cf. section 4.1.3.2).
Comme nous l’avons compris avec le réseau des écoles citoyennes qui reprend la réflexion
freirienne sur les modèles éducationnels, l’une des spécificités de l’éducation d’oppression
est l’omniprésence des rapports d’aliénation régissant les acteurs en situation
d’apprentissage.
265
Le retour sur les résultats de la thèse que nous venons d’effectuer a permis de faire ressortir
que l’apprentissage peut être éclairé à partir du sens que l’élève construit dans sa triple
relation au savoir. La construction de ce sens qui ne s’effectue pas dans un vacuum dépend
de ce rapport social, intime et altéritaire au savoir. Cet espace peut être une source de
mobilisation ou de démobilisation pour apprendre. Dans ce qui va suivre, nous ferons la
synthèse sur le rapport au savoir historique et montrerons que les difficultés reliées à
l’apprentissage de l’histoire peuvent être éclairées par la distance qui, souvent, existe entre
le sens que l’élève donne aux savoirs historiques et le sens promu dans les formats
didactiques.
6.2. La synthèse sur le rapport au savoir historique
Cette section donne suite à l’objectif spécifique de notre recherche qui est celui
d’identifier les rapports aux savoirs historiques des élèves lorsqu’ils font usage de leur
pensée historique dans une perspective d’éducation à la citoyenneté. Trois angles ont été
spécifiquement définis à cet effet : 1) identifier la dimension identitaire du rapport au savoir
historique qui concerne l’usage que les élèves font de l’histoire-mémoire lorsqu’ils sont
appelés à développer leur pensée historique. Il s’agit précisément de la façon dont l’élève
s’approprie les contenus mémoriels qui lui sont présentés. Le rapport identitaire au savoir
historique se caractérise par les apprentissages liés aux connaissances sociopolitiques. 2)
Identifier la dimension altéritaire du rapport au savoir historique. Cette dimension touche à
la résolution des problèmes et au développement du sens critique. 3) Identifier la dimension
sociale du rapport au savoir historique qui fait entrer l’élève dans un dispositif relationnel
favorable à la construction réflexive à soi, à l’autre et au monde. Ainsi, la dimension sociale
du rapport au savoir comporte à la fois une dimension identitaire et une dimension altéritaire.
D’emblée, nous soulignerons que traiter du phénomène de pauvreté dont la pertinence
historique est en lien direct avec la mémoire du Gabon a mis en phase la difficulté des élèves
à concilier mémoire et esprit critique. Bien que l’apprentissage soit porté sur ce thème
d’intérêt, notre analyse des résultats indique que le niveau de pensée de l’élève témoigne de
266
son rapport au savoir historique. En d’autres termes, plus l’apprenant met à distance les
référents mémoriels, plus il développe un rapport critique au passé. En revanche et comme
cela a été montré dans les recherches antérieures, notamment celles de Martineau (1997), de
Duquette (2011) et bien d’autres, les répondants dont le rapport au passé n’évolue pas au
cours du processus apprentissage, sont également ceux qui ont tendance à comprendre
l’histoire comme une vérité totalisante.
6.2.1. De la pensée historique au rapport au savoir historique
Nos données relatives à l’usage que les participants ont fait de la pensée historique
confirment l’identification de quatre idéal-types d’élèves dont les caractéristiques sont
sensiblement les mêmes que celles évoqués au chapitre 4 (cf. section 4.3) :
1. Le premier élève idéaltype a une grande capacité à relire l’histoire, à reprendre les
diverses interprétations, à les complexifier, à effectuer des retours sur soi, à mettre à
distance les référents mémoriels afin de reconstruire sa compréhension du monde. Il
s’intéresse aux auteurs des documents qui lui sont soumis et à leur date de parution
pour prendre en compte leur contexte de production et le point de vue de leurs auteurs.
Pour cet élève qui a un regard très critique au passé, apprendre l’histoire, c’est entrer
dans un dispositif relationnel avec le savoir historique pour se construire une image
réflexive de soi. Son rapport au savoir historique, en plus de comporter une dimension
identitaire et altéritaire, renferme également une dimension sociale. Le discours de
Kriss correspond le mieux à ce profil d’élève.
2. Le deuxième élève idéaltype a une capacité moins importante que le premier à repartir
dans le passé, à miser sur ce qui lui semble important pour expliquer le présent et
raffiner sa compréhension. Il a un regard critique face à la mémoire collective mais
s’en démarque difficilement pour justifier son propos. Certes, il prend conscience de
l’autre différent de soi mais la polarisation identité/altérité reste fondamentalement
dualiste et se déploie sur des oppositions entre l’identique et le différent. Le rapport
qu’il établit avec le savoir historique a une dimension à forte dominante altéritaire.
Le discours de Warren correspond le mieux à ce profil d’élève.
3. Pour le troisième élève idéaltype, les référents mémoriels ont une importance
intermittente dans sa lecture de l’histoire. Si tout prend sens à partir des expériences
personnelles, il se rend néanmoins capable de les utiliser de façon pertinente pour
définir les situations. L’élève fait notamment preuve d’un savoir-faire en s’appliquant
267
à des habiletés cognitives qui touchent à la résolution de problème et au sens critique.
Son apprentissage polarise la différence entre le moi et l’autre. Cette catégorie
d’élèves entretient un rapport altéritaire au savoir historique dont la dominante est
subjective. Le discours de Camille correspond le mieux à ce profil d’élève.
4. Le quatrième élève idéaltype rend un mode d’éducation hérité de la colonisation
responsable de la situation actuelle du Gabon. L’élève a une ferme volonté d’affirmer
son appartenance à la nation gabonaise. La lecture qu’il fait de l’histoire est
particulièrement liée aux connaissances sociopolitiques. Son apprentissage historique
passe de la non-possession à la possession des contenus mémoriels dont il s’approprie
comme un récit véridique inchangeable. Sous cet angle, le rapport au savoir historique
à forte dominance épistémique a une dimension identitaire. Le discours de Jonel
correspond le mieux à ce profil d’élève.
De cette typologie construite à partir de nos données découlent trois types de rapports aux
savoirs historiques : Le rapport identitaire, un rapport altéritaire et un troisième type de
rapport qui est une polarisation des deux premiers. C’est dans cette polarisation
identité/altérité que l’élève construit sa triple relation au savoir : rapport à soi, rapport à
l’autre et rapport au monde.
Les trois types de rapports au savoir historique déterminent également trois manières
différentes d’éduquer à la citoyenneté et, ultimement, trois profils de citoyens, question sur
laquelle nous allons maintenant nous pencher.
À partir de l’analyse transversale des quatre parcours interprétatifs et des postulats
didactiques définis dans la partie théorique, nous évaluerons les mobiles qui poussent les
élèves de notre échantillon à donner sens au présent ainsi que les critères sur lesquels ils se
sont appuyés pour valider ou invalider leurs hypothèses. Ces critères sont-ils les mêmes que
ceux valorisés dans les formats didactiques ? À bien des égards, l’évaluation des diverses
interprétations enregistrées dans cette étude a mis à jour des tensions.
268
6.2.2. La synthèse critique sur la formation des citoyens en histoire : apport de la
sociologie à la compréhension
Comme nous l’avons suggéré au chapitre 2, la spécification des différentes formes
de rapport au savoir historique nécessite des postulats didactiques qui soient propres à leur
construction. Qu’il s’agisse d’apprendre l’histoire dans la perspective de l’identité, de
l’altérité ou qu’on l’intègre dans un système relationnel, chaque dimension réfère à des
processus d’apprentissage particuliers. Nos données, en appui sur les concepts didactiques
présentés au début de cette thèse, permettent d’identifier différents types de rapport au savoir
historique et d’y associer la figure du citoyen qui y est promue. C’est ce que nous allons
brièvement présenter. Nous discuterons notamment des modèles d’apprentissage de l’histoire
en fonction de la place accordée à l’activité de l’élève. L’histoire apprise dans la perspective
identitaire et altéritaire sera d’abord mise de l’avant pour être ensuite confrontée à la
perspective l’éducation à la citoyenneté qu’au terme de cette recherche nous valorisons :
l’éducation à la citoyenneté polarisant le lien identité/altérité et orientant la construction du
sens relationnel au savoir historique. Sur le plan théorique, comme nous l’avons vu au
chapitre 2, chaque type de rapports aux savoirs historiques résulte d’une articulation
particulière entre le profil du citoyen, la conception de l’histoire et son apprentissage. Sur le
plan pratique et comme le soutient Audigier (1995), l’histoire scolaire constitue un modèle
disciplinaire organisé entre les contenus, les finalités et les méthodes qui assurent la
coordination de ces deux entités.
La synthèse critique que nous faisons de l’apprentissage de l’histoire viendra en appui au
propos de Heimberg (2002) qui soutient qu’« une discipline qui entend s’adresser à tous,
parce qu’elle joue un rôle important pour la formation citoyenne, doit forcément s’interroger
sur ses pratiques pédagogiques et la manière dont elle s’adresse aux élèves » (p. 116). En
effet, si aujourd’hui, l’école constitue un passage obligatoire, soutient l’auteur, l’espoir
qu’elle permette une promotion sociale s’amenuise. Cette caractéristique doit être prise en
compte dans le contexte actuel de l’éducation. À la lumière du propos de Heimberg (2002)
et de ce que soutient Levasseur (2006) à savoir que l’école répond à une nécessité d’ordre
269
social, nous tenterons de comprendre à quel ordre social obéit la construction de chaque type
de rapport aux savoirs historiques.
6.2.2.1. Comment se construit le rapport identitaire au savoir historique ?
Comme nous l’avons vu dans la partie théorique de cette étude, la construction du
rapport identitaire au savoir historique résulte de l’apprentissage de l’histoire-mémoire. Des
quatre parcours analysés, celui de Jonel met plus de l’avant cette perspective fondamentale à
la construction d’une identité sociale unique et stable. L’apprentissage de l’histoire-mémoire
assure la permanence et le primat de l’identité sociale sur l’identité individuelle. Faire
correspondre les conduites individuelles et les logiques sociales en est la position privilégiée
(Martineau & Provost, 2004). Comme nous pouvons l’avoir compris avec le discours de
Jonel, l’histoire – et en particulier la lecture qu’il peut en faire — ne servent qu’à renforcer
une identité sociale autour d’un passé commun dont la mémoire constitue l’objet. Le système
de référence qui l’aide à affirmer son appartenance identitaire est fortement tributaire du
rapport qu’il entretient avec le passé sous forme de mémoire. Qu’il s’agisse des allusions
faites à propos de la stratification sociale ou des abus des dirigeants politiques, le besoin
d’affirmer son identité repose avant tout sur la correspondance entre son identité individuelle
et son identité sociale.
Dans les parcours de Warren et de Camille, deux paradigmes opposés se dessinent : l’identité
associée à l’unicité et à la permanence, l’altérité associée à la différence et au changement.
L’affirmation de l’identité chez ces répondants ouvre implicitement la voie à la pensée de
l’autre tout en la niant. En somme, c’est en soi que Warren et Camille trouvent l’existence
de l’autre puisque l’autre n’est compris que par analogie avec soi-même.
L’édifice de l’identité selon la tradition éducative
Dans la tradition éducative, les assises de l’histoire-mémoire qui ont favorisé l’intériorisation
des normes identitaires envisageaient la formation d’un citoyen idéal en ajustement au projet
270
social et éducatif (Martineau & Provost, 2004). L’unicité devait s’imposer à la diversité des
comportements et former des personnalités sociales. À ce titre, l’apprentissage de l’histoire
constituait le moyen de correspondre aux critères de l’identité. Le parcours de Jonel affirme
cette correspondance à l’identité du fait de la permanence et l’unicité de l’histoire qu’il relate.
Bien qu’il traverse une période d’incertitudes et exprime un profond besoin de l’histoire pour
comprendre le monde, notre répondant ne peut se référer qu’aux reconstitutions historiques
des évènements qu’il sélectionne pour renforcer son rapport identitaire à l’histoire. Plutôt que
de développer un esprit critique à leur propos, Jonel enrichit sa compréhension du présent
par une quête permanente des modèles du passé liés aux valeurs auxquelles il adhère.
Lorsque Jonel est au contact des sociétés d’autres temps et d’autres lieux, il éprouve
de la difficulté à dépasser son environnement immédiat. Son discours consacre le primat de
la mémoire sur les autres formes de récits historiques qui recèlent pourtant une quantité de
significations. Dans ce schéma, l’élève ne participe aucunement à l’élaboration du sens. Le
sens préexiste totalement à son interprétation. L’histoire a un sens en elle-même
indépendamment des sensibilités qui lui sont particulières. L’élève s’en tient à l’unicité du
sens que lui confère la permanence d’une histoire-mémoire à laquelle il est habitué. Dans une
telle configuration, son rôle d’élève ne consiste qu’à cerner une lecture fidèle de l’histoire
visant le sens permanent d’un passé commun. Sous l’angle de l’identité, l’apprentissage
historique devient le moyen de maintenir les valeurs et les habitus du groupe social qui en
est la cible. À l’exemple de Jonel, plusieurs élèves dans cette catégorie éprouvent de la
difficulté à percevoir l’histoire dans sa complexité et à prendre conscience de la variabilité
les valeurs véhiculées selon les contextes et les époques. D’une manière qui parait trop
normative, leurs discours empreints de référents mémoriels, répondent aux finalités de
préparer les futurs citoyens à l’engagement social. De telles idées se retrouvent généralement
dans les parcours des répondants ayant un profil similaire à celui de Jonel. Leurs discours
peinent à s’ouvrir à d’autres manières de comprendre, une perspective à laquelle ils n’ont pas
été habitués. Les modes de pensée de l’histoire peuvent-ils constituer une nouvelle manière
d’interroger son identité et son regard sur le monde ? S’interroge Heimberg (2003).
L’édifice de l’identité fragilisé par la démocratisation de l’école
271
La formation à l’identité normative s’est imposée en apprentissage de l’histoire pour assurer
l’unité de la nation. La structure scolaire qui consacrait l’unicité du citoyen et celle du sens
impliquait une méthode d’apprentissage objective. À l’exemple du parcours de Jonel, le sens
de l’histoire se construit, non pas dans la complexité des situations historiques, mais en
sélectionnant des faits utiles à un rapport au passé qui repose avant tout sur les principes de
la mémoire. Cependant, la diversité des interprétations enregistrée dans cette étude comme
dans bien d’autres, montre jusqu’où la logique de l’identité a imposé le caractère du même
là où il existait des différences et des variables.
Comme cela a déjà été dit, l’apprentissage d’une histoire-mémoire devait soutenir une
certaine correspondance de l’identité du citoyen à l’expression du génie collectif dans lequel
chacun pouvait se reconnaitre. Toutefois, l’édifice de l’identité fut ébranlé, parce que fragilisé
par la démocratisation de l’école qui accueillait des publics scolaires de plus en plus
hétérogènes (Berthelot, 2000). Par ailleurs, cette conception de l’histoire contestée par des
penseurs critiques de l’École des Annales fut remise en cause. En réponse à une histoire-
mémoire au-dessus des croyances singulières, l’histoire-critique repensée en tension avec
l’altérité s’est affirmée.
6.2.2.2. Comment se construit le rapport altéritaire au savoir historique ?
Eu égard à l’ouverture d’esprit dont certains de nos répondants ont fait montre, l’on
note une dialectique entre l’identité et l’altérité (Berthelot, 2000) et un rapport altéritaire au
savoir historique dont la construction tend vers l’apprentissage de l’historique-critique. Dans
les parcours de Camille, Warren et de Kriss, la représentation de l’autre témoigne d’une prise
de conscience de l’autre différent de soi. Si dans les cas de Camille et Warren, cette
polarisation est fondamentalement dualiste, ce dualisme se déploie selon un paradigme
structuré sur des oppositions entre l’identique et le différent. Pour ce qui est du cas de Kriss,
que l’identité absorbe in fine l’altérité en la niant ou que l’altérité endosse les caractéristiques
de l’identité, la conscience de soi apparait toujours en relation avec autrui. Sa lecture de
l’histoire se démarque du principe supérieur de la mémoire collective qui laisse croire qu’il
272
existerait une cohérence capable de conditionner les comportements. La voie interprétative
qu’il emprunte consiste à affirmer la différence en soi et à créer une identité hybride qui
totalise la somme de ces deux entités. Au-delà de leurs particularités, les quatre discours sur
une même histoire montrent le rôle fondamental de la réflexivité comme médiation
nécessaire à l’apparition de la conscience de soi.
La diversité des rapports au savoir historique sur la pauvreté s’observe avant tout dans la
diversité des ressources mobilisées pour interpréter les documents. Si les ressources
socioaffectives sont multiples et reliées, celles subjectives sont davantage mobilisées et
semblent avoir une influence significative sur la compréhension du présent. L’investissement
subjectif qui est une mise à distance des discours et un retour sur soi aurait constitué un axe
majeur de l’apprentissage historique. Dans ce qui va suivre, nous tenterons d’évaluer la
pertinence des postulats didactiques qui sous-tendent la formation historique des citoyens.
Nous montrerons que les configurations didactiques, qu’elles reposent sur l’identité ou
l’altérité, tendent à évacuer la subjectivité des élèves au profit des méthodes didactiques
(Langlade, 2001).
La subjectivité des élèves évacuée au profit des méthodes didactiques
Comme nous l’avons vu avec Audigier (1995), l’histoire scolaire est un modèle disciplinaire
qui assure la coordination entre les contenus, les finalités et les méthodes. Cette coordination
qui cherche dans l’objectivité des méthodes didactiques un moyen d’articuler l’histoire
savante et l’histoire scolaire met hors-sujet la lecture particulière de l’élève. Sur la base de
cette dialectique, l’approche didactique de l’altérité, même si elle poursuit un rapport plus
émancipatoire au savoir historique, tend à enfermer les sens singuliers dans une pensée
dualiste qui ne peut résoudre les tensions. Ainsi, les subjectivités qui sont singulières à la
diversité des acteurs s’en trouvent évacuées.
Dans ce cas de figure, l’on peut affirmer que si dans la perspective de l’identité, le sens de
l’histoire est unique, dans celle de l’altérité, le sens est pluriel, mais ramené à l’unicité de la
273
méthode didactique censée donner accès au sens. L’analyse transversale des quatre discours
ne peut soutenir un apprentissage de l’histoire à connivence méthodique. Nos résultats
suscitent une remise en question des procédures classiques des méthodes didactiques en
vigueur dans nos écoles. Pour soutenir le développement de la pensée historique, les
didacticiens à l’instar de Martineau (2010), proposent d’initier les élèves aux méthodes
historiques et/ou didactiques. Si cette proposition est pertinente, nos résultats montrent que
l’initiation aux méthodes historiques et/ou didactiques connaitra des limites si elle doit
évacuer la subjectivité des sujets.
En référence aux données obtenues dans cette étude, l’on peut soutenir que l’histoire-critique
peine à réaliser une implication pertinente à l’école en ce qu’elle se mêle au format de
l’histoire-mémoire dont elle pervertit la cohérence sans parvenir à lui substituer la sienne.
Dans les situations didactiques en vigueur, apprendre l’histoire suppose avant tout de lire le
document à la fois pour se former et s’informer. En ce sens, la priorité est d’abord mise sur
les méthodes plutôt que sur la pluralité du sens. Cette perspective ignore la construction du
sens par l’élève considérant l’histoire comme un système de sens clos sur lui-même. La
lecture singulière de l’élève devrait-elle être comprise comme un non-sens, un hors sujet ?
L’hétérogénéité des significations qui s’est observée dans cette étude peut conduire à
repenser la singularité des élèves.
L’interprétation singulière de l’élève n’est pas un non-sens
Disons d’emblée que le traitement de la QSSV qu’est la pauvreté a mis au jour des conflits
interprétatifs et des tensions normatives que l’éducateur devrait être à même de gérer.
Comme nous l’avons relevé des parcours interprétatifs analysés, les participants se rendent
capables de tirer profit de leur investissement subjectif en développant leur réflexivité
individuelle sur la réalité sociale au Gabon.
Jonel dresse un bilan négatif de l’action politique du pays depuis son accession à
l’indépendance. Malgré le besoin d’affirmer son identité sociale et son discours empreint de
274
référents mémoriels, on notera un certain équilibre entre la dimension subjective et la
capacité réflexive. Warren condamne l’abus de pouvoir et l’oppression de ceux qui l’exercent
sur le peuple. Il expose sa conception de l’autorité en soulevant quels liens étroits unissent
les pratiques des hommes, les questions qu’ils se posent et les réalités du présent. Son
parcours offre l’opportunité de donner du sens au présent en se référant au passé et en
rappelant qu’il s’agit là du passé des hommes et des sociétés humaines. Warren a construit
un dialogue qui soit utile à la préparation de l’avenir entre les réalités du présent et celles du
passé. La particularité de la démarche interprétative de Camille s’exprime à travers la
sensibilité singulière de cette élève qui a fait l’expérience du racisme. Elle a su tirer profit de
son récit de vie pour s’ouvrir à la diversité des situations historiques et soutenir une approche
de l’histoire qui garantisse la pluralité. La mise en scène des savoirs pluriels dont elle fait
montre rappelle qu’elle étudie des situations complexes qui peuvent mobiliser des intérêts et
des légitimités contradictoires. L’analyse que Kriss fait de la situation du Gabon se situe sur
un modèle d’intelligibilité de sa manière d’être au monde. Son discours qui consiste à mettre
à distance les certitudes et les fondements de l’identité collective fait penser à la formation
du citoyen dans la mesure du changement.
Le thème de la pauvreté traité en classe d’histoire s’est révélé un support précieux de
médiation entre mémoire et esprit critique. Son apprentissage a donné lieu à une diversité
d’interprétations. L’activité potentiellement formatrice, a pu conduire nombre d’élèves à
élargir leur compréhension du monde, à reconsidérer leurs relations aux autres et à
développer un rapport critique au passé.
Les résultats obtenus dans cette étude prouvent à suffisance que privilégier les méthodes
didactiques au détriment des subjectivités singulières relègue au second plan l’activité de
l’élève. Cette tendance qu’ont en commun les postulats didactiques d’ignorer les
particularités subjectives et socioculturelles des sujets légitime une histoire à connivence
identitaire. L’histoire-critique devrait compter aussi bien avec la diversification des publics
scolaires qu’avec la subjectivité des élèves.
275
Comme nous venons de le souligner, l’histoire ne peut véritablement faire l’objet
d’apprentissage si les méthodes didactiques ignorent les différences subjectives. Les
documents historiques confrontent l’élève à une analyse des situations sociales pouvant lui
permettre de construire le sens des savoirs. Comme nous l’avons compris des différents
parcours interprétatifs, l’élève ne peut s’abstenir de projeter dans sa lecture de l’histoire
quelques valeurs éthiques, affectives ou sociales.
D’après les résultats de la présente étude, nous comprenons que l’accent mis sur les méthodes
ne peut suffire à rendre efficace et durable l’apprentissage de l’histoire. Comme nos données
le font ressortir, l’apprentissage ne produit d’effet durable que si l’élève s’approprie les
ancrages historiques d’une réalité sociale, interagit avec le passé et l’intègre à son projet de
vie. Notre étude a permis de mettre en lumière des sujets cognitifs avec des affects, situés
historiquement, culturellement et socialement. L’histoire scolaire ne pourra ignorer les
réalités des apprentissages socioculturellement différenciés des élèves. Aussi, est-il possible
de soutenir que les difficultés d’apprentissage historique puissent être tributaires d’un
manque d’intérêt des sujets situés socialement. Pour permettre aux élèves de construire un
rapport réflexif au savoir historique, il serait souhaitable que les méthodes didactiques ne
contribuent pas à étioler l’intérêt des élèves face à l’histoire. Plus précisément, il serait
indispensable que l’approche didactique préconisée permette à l’élève de construire sa
relation au savoir.
6.2.2.3. Comment le citoyen construit-il sa relation au savoir historique ?
Comme cela a été soutenu dans la partie théorique de cette étude, la relation au
savoir historique se construit en rapport aux finalités de l’éducation à la citoyenneté. Au vu
des résultats obtenus, une interrogation à laquelle serait confrontée l’ampleur des défis
éducatifs actuels serait de savoir quelle conception de l’histoire proposer aux futurs citoyens
qui cherchent leur modèle identitaire en dehors de l’école ? Quelle place la formation
historique occupera-t-elle si l’on tient compte de la singularité des citoyens ? Selon Michel
Fabre (2011), « c’est bien la conjonction d’un sujet par essence incertain de lui-même et d’un
276
monde problématique qui rend particulièrement difficile la tâche formatrice d’aujourd’hui
[…], du point de vue du sujet, le problème éducatif devient : comment s’ouvrir à cette
diversité sans s’y perdre ? » (p. 62).
Comme l’ont montré nos résultats, en particulier les données issues des quatre parcours
interprétatifs, la singularité des citoyens n’est pas une variable supplémentaire de la situation
didactique. L’approche par la singularité questionne les dispositifs d’apprentissage de
l’histoire dans le sens d’une plus grande adaptation à la diversité des sujets. Un tel modèle
d’apprentissage ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les relations entre la conception
de l’histoire que l’école devrait développer, la définition du citoyen qu’elle souhaite former
et le dispositif d’apprentissage proposé aux élèves. Concevoir l’apprentissage de l’histoire
dans cette perspective permet de penser ce processus comme une relation au savoir historique
à construire.
En quoi la perspective de l’éducation à la citoyenneté rompt avec les fondements
ontologiques de l’identité ? Nous verrons que non seulement l’ouverture du citoyen à
l’interprétation est une caractéristique intrinsèque du sujet lui-même, mais que ce sujet-acteur
qui est à la fois social, singulier, pluriel, discontinu et mobile se construit réflexivement dans
l’expérience de l’interprétation (Langlade, 2001). Nous analyserons les conceptions du
citoyen à la lumière des recherches didactiques sur l’histoire exposée au chapitre 2 et verrons
dans quelle mesure ces modèles rejoignent ou non la vision de l’éducation à la citoyenneté.
En nous appuyant sur nos résultats, cela nous conduira à définir l’apprentissage de l’histoire
comme une expérience réflexive de l’interprétation et à préciser les modalités de l’activité
des citoyens en formation.
La perspective de l’éducation à la citoyenneté que nous mettons de l’avant au terme de ce
projet suppose une conception générale du citoyen et — de l’histoire — ainsi qu’au
changement du paradigme épistémologique sous-tendant l’apprentissage de cette discipline.
Il s’agit de rompre avec les fondements de l’identité pour redéfinir le citoyen comme un sujet
réflexif. Ces enjeux épistémologiques reposent sur une mise à l’épreuve du concept d’identité
277
à l’origine de la conception cartésienne du citoyen. S’inscrire dans cette épistémologie
signifie de rompre avec la définition d’un citoyen identique à soi, unitaire, homogène et
permanent. L’indétermination du sens serait d’un enjeu majeur pour mettre à l’épreuve les
méthodes didactiques destinées à tous les citoyens.
La question du sens à la croisée des méthodes didactiques
À la lumière des résultats obtenus dans cette étude, l’histoire scolaire peut être reconstruite
sur la base d’une réévaluation du rôle du citoyen dans l’appréhension d’une interprétation
plurielle de l’histoire. Comme l’ont montré les parcours interprétatifs analysés, l’histoire peut
désigner un ensemble de pratiques dont les enjeux engagent au-delà de la vision du citoyen.
Les conceptions épistémologiques qui sont à développer ont en commun deux postulats :
premièrement, prendre en considération l’indétermination du sens que seule la collaboration
de l’élève peut transformer en système de significations. Deuxièmement, substituer à
l’unicité méthodique la pluralité des sens actualisés par les citoyens gérant leurs parcours
interprétatifs. Seule cette perspective peut permettre d’explorer les tensions entre
l’objectivité du sens de l’histoire et la subjectivité des citoyens d’une part, et de l’autre, de
revisiter l’interprétation comme une activité de résolution de problème. À l’instar des
discours de Jonel, de Warren, de Camille et de Kriss, l’interprétation des documents s’avère
être une lecture sans contrainte de l’histoire qui s’ouvre à la multiplicité du sens.
L’interprétation, une lecture sans contrainte
Le traitement du phénomène de pauvreté a déterminé dans quelle mesure l’interprétation des
jeunes Gabonais est contrainte des référents mémoriels et dans quelle mesure ces derniers
sont libres ou non de s’y conformer pour faire valoir leur propre compréhension. Cette liberté
engage une certaine conception de l’histoire et du citoyen recoupant ainsi l’objectivité de
l’histoire et la subjectivité du citoyen. La difficulté serait alors de théoriser le citoyen du fait
que le sens de l’histoire soit pluriel, et donc, le produit de différentes lectures.
278
Si l’on se réfère aux différents discours analysés dans cette thèse, évaluer l’apprentissage de
l’histoire impliquerait de prendre en compte la diversité et la mobilité des sens, deux
dimensions ayant en commun de décrire le processus de construction des savoirs. Comme
nous l’avons déjà signifié, cela suppose que le document historique, tant qu’il n’est pas
soumis au processus d’interprétation, n’est qu’un pur artéfact dénué de signification.
Comme on peut l’avoir compris de la présente étude, les répondants définissent une situation
coloniale empreinte de stéréotypes en référence à leur cadre de vie où des peuples différents
se sont côtoyés : colons/indigènes, chrétiens/païens, Blancs/Noirs. Les documents soumis ne
parlaient pas spécifiquement de la situation coloniale au Gabon. Mais dès lors qu’il s’est agi
de la colonisation, l’histoire est rapidement devenue un objet dont les significations pouvaient
être référées à des schémas sémantiques propres au contexte gabonais. La construction du
sens, soumise à des systèmes sémantiques préexistants, s’est faite en référence à ces
phénomènes de stéréotypie.
Dans la plupart des cas, l’interprétation s’est constituée en un processus de reconnaissance
d’une matière préexistante. Sous la forme de discours normatif ou stéréotypique, les données
socioculturelles ont limité considérablement l’activité de construction de sens de certains
élèves. Si l’interprétation doit être un processus de reconnaissance des schémas sémantiques
préexistants, on est en droit de se demander quelle est la part de l’élève dans la construction
du sens. Plus précisément, en quoi l’interprétation de l’élève diffèrerait de la reproduction
des discours figés et sédimentés des programmes d’enseignement ?
Proposition d’un apprentissage renouvelé de l’histoire
À la lumière de nos résultats, il nous apparait nécessaire de construire des modèles
d’apprentissage qui prennent en compte la diversité des interprétations dans la classe. Le
renouveau pédagogique des dernières décennies a ouvert la voie à l’élaboration de tels
modèles d’apprentissage. Didacticiens et sociologues se sont efforcés de décrire la rencontre
des dimensions implicites des sujets singuliers à partir des expériences particulières. À
279
l’instar de Charlot (1997), nombre de chercheurs ont proposé de reconsidérer les mauvaises
réponses des élèves et d’en faire une lecture en positif. S’intéresser à l’interprétation du
citoyen pourrait inscrire ce processus dans une interaction entre l’élève et les œuvres
historiques. Dans cette veine, les didacticiens (Laville, 2005 ; Martineau, 1997 ; Tutiaux-
Guillon, 2005) défendent la thèse selon laquelle apprendre à faire l’histoire est une nécessité
fonctionnelle de l’apprentissage.
Le modèle du citoyen que nous envisageons s’inscrit triplement dans la perspective de
l’éducation à la citoyenneté. Premièrement, l’on postule que la diversité des interprétations
subjectives n’est appréhendable et analysable que dans les réalisations socioaffectives.
Deuxièmement, le citoyen est social, singulier, pluriel, discontinu et mobile. Dans les
parcours de Warren et Camille, il s’est agi de se référer à une identité mouvante faite de « moi
différents » qui surgit au fur et à mesure de l’activité et des circonstances. Dans le cas de
Camille, la singularité s’est inscrite dans une temporalité plus large renvoyant à un feuilletage
identitaire complexe où les fragments de sa propre histoire se sont mêlés à son interprétation
de la réalité. Les changements opérés dans les deux parcours précités montrent à suffisance
que l’élève est un citoyen qui se forme et se transforme au gré de la complexification de ses
interprétations et de sa relecture des réalités sociales. Ces enjeux de la dimension
interprétative sont directement liés à la formation du citoyen.
Le troisième ancrage de notre modèle du citoyen consiste à affirmer le caractère interprétatif
de la relation au savoir construite dans un espace d’échange dialogique. Dans le cas de Kriss,
l’interprétation se développe sur deux plans : un plan collectif qui envisage les similitudes
entre les interprétations fournies par ses pairs ; un plan individuel qui tient compte de la
diversité interprétative et de la complexification au fil du temps. L’approche sociodidactique
des savoirs qui est plus qu’une simple variable supplémentaire de la situation didactique peut
permettre d’élaborer un modèle d’apprentissage intégrant la diversité interprétative. Ce
modèle précise le profil du citoyen que nous souhaitons former, notre conception de l’histoire
et les dispositifs qui rendent effectif son apprentissage en classe.
280
Nous voudrons porter une attention toute particulière sur les pratiques d’évaluation dont les
modalités paraissent indispensables d’être diversifiées. L’évaluation formative qui prend en
considération les progrès des élèves et les démarches personnelles dans le processus
d’apprentissages en est un exemple. Ces démarches personnelles ont été utiles pour donner
une certaine cohérence à la compréhension que les élèves ont de l’histoire. Elles ont surtout
été indispensables pour rompre avec l’accumulation des connaissances factuelles qui a
toujours caractérisé l’apprentissage de l’histoire et le conditionne encore. Comme nous
l’avons vu dans les discours analysés, les remises en question des modes d’être et de gestion
en héritage au Gabon ont particulièrement rendu visibles les liens que les élèves entretiennent
avec l’histoire. Pour les participants, ces remises en question ont été utiles à une meilleure
connaissance du passé, à la compréhension qu’ils ont du présent et à la préparation de leur
avenir. Des réflexivités individuelles qui ont permis de concevoir la profondeur et la
consistance temporelle des évènements. L’apprentissage d’une histoire à la fois factuelle et
problématique a offert aux élèves l’opportunité de s’approprier des savoirs formateurs,
lesquels leur permettent d’accéder à des questionnements renouvelés en matière de
citoyenneté et au sens critique.
Alors qu’autrefois, les élèves étaient culturellement préparés à leur rôle de citoyen, soutient
Heimberg (2002), aujourd’hui trois conditions donnent accès à des connaissances
renouvelées sur le passé : 1) dépasser les pratiques éducatives cumulatives ; 2) diversifier les
modes d’apprentissage ; 3) mettre en place des dispositifs qui conditionnent la construction
des savoirs par les élèves eux-mêmes. Comme le font ressortir les résultats de la présente
étude, cette diversification didactique rend possible un modèle d’apprentissage susceptible
de faire émerger la pluralité des sens, la diversité des points de vue, la formation de l’esprit
critique et la promotion des valeurs humanistes. L’apprentissage ne peut être déterministe, il
est un processus d’imprévisibilité et d’interdépendance entre le sens objectif et le sens
subjectif des savoirs. Telle est la synthèse que nous faisons au terme de notre projet.
281
6.3. La synthèse de la thèse
Au terme de cette étude, quelle compréhension avons-nous de l’apprentissage – et
dans un sens plus large – du rapport au savoir ?
Pendant longtemps, l’on a cru que le savoir était un fait objectif et que son apprentissage
devait être observable, mesurable et prévisible. En l’occurrence, toute influence que l’élève
pouvait avoir sur le savoir s’exerçait uniquement par son action et non par sa réflexion :
l’apprentissage était considéré comme déterministe. Avec l’évolution des recherches en
sciences de l’éducation, on reconnait que le savoir a deux dimensions : l’une objective,
l’autre subjective. En essence, le subjectif du savoir ne remplace pas l’objectif mais le
transcende en élargissant son champ de connaissance. Au terme de ce parcours, nous faisons
nôtre trois conclusions que d’autres avant nous ont formulé à leur manière quant à une
meilleure compréhension du processus d’apprentissage :
L’élève fait partie du processus d’apprentissage ;
L’élève participe au changement de sa conception de la réalité ;
Le rapport au savoir est ce tout unifié entre l’élève et le savoir.
Ce qui fait de l’apprentissage un processus riche, complexe et profondément intime :
Au lieu d’une mémorisation des savoirs accumulés, il s’agit plutôt d’un processus de
relation entre l’élève et les savoirs ;
Au lieu d’une séparation de sens, il est plutôt question d’interdépendance entre le sens
objectif et le sens subjectif ;
Au lieu d’un apprentissage de prévisibilité, il s’agit plutôt d’un processus de
potentialité.
282
Quant à l’enseignement et à la planification des situations didactiques, au lieu de se contenter
d’une méthode et des étapes prédéterminées, on pensera plutôt à un processus
d’apprentissage dans lequel l’élève participe du simple fait de son existence. En effet, l’élève
participe activement du fait de la conscience qu’il a de la réalité et de l’interactivité subjective
qu’il a avec la réalité. Cela montre à quel point il est important de former les élèves à la
capacité de s’ouvrir à de nouvelles façons de penser. Si les élèves sont formés à le faire, ils
peuvent y arriver quand l’ouverture à d’autres possibles s’avère nécessaire. Du côté des
formateurs, cela demande de laisser tomber les vieux paradigmes de l’apprentissage qui n’ont
plus de pertinence dans le nouvel ordre sociétal et de commencer à poser les bonnes
questions.
283
CONCLUSION
Pour conclure cette étude dont l’objectif était d’identifier le rapport au savoir
historique des élèves gabonais lorsqu’ils font usage de leur pensée historique au sujet de la
pauvreté dans la perspective d’éducation à la citoyenneté, nous commencerons par dresser
un bilan rétrospectif des grandes articulations qui le constituent. Puis, nous traiterons des
principaux résultats de la thèse et des considérations critiques relatives aux limites avant de
proposer quelques pistes de recherche futures.
C1. Bilan rétrospectif des grandes articulations de la thèse
Dans cette recherche, nous avons posé la question du sens des savoirs du point de
vue des élèves afin de situer la problématique du rapport au savoir et à l’école dans le contexte
actuel de l’éducation à la citoyenneté. Cette perspective suscitée par le manque d’intérêt des
élèves face à l’histoire et renforcée par les succès modestes de la pensée historique a permis
de souligner la précarité des discours qui tendent à faire de l’apprentissage de l’histoire une
question liée aux seules méthodes didactiques.
Nous avons posé un regard critique sur l’acte d’apprendre dans notre cadre conceptuel et
avons montré que l’apprentissage historique est une réalité bien plus complexe que ne le
laissent croire les seules méthodes didactiques. D’abord, parce qu’apprendre est une question
multiforme renvoyant à diverses manifestations du sens, mais aussi parce que le processus
d’apprentissage interpelle la question de l’expérience sociale et scolaire pour la relier aux
enjeux de l’éducation à la citoyenneté. L’approche sociologique des savoirs a permis de faire
ressortir la problématique du rapport au savoir comme une des fonctions cachées de l’école.
Cette orientation donnée à l’étude nous a amenée à revisiter les représentations communes
sur les difficultés liées à l’apprentissage et à mettre en lumière les intentions des acteurs
sociaux, leurs marges de manœuvre et leur pouvoir d’action (Trottier, 1981). Comme cela
est soutenu dans plusieurs études y compris celle-ci, la recherche microsociologique qui
s’intéresse à la singularité des acteurs tente de comprendre les capacités de ces derniers à
définir les situations. Les bilans de savoirs qui y sont établis montrent le caractère situé de
284
l’apprentissage des savoirs. L’étude, en ce qu’elle donne la parole aux acteurs sociaux, tente
le mieux possible d’éclairer le rapport de chaque élève aux savoirs historiques ainsi que le
type de relation qui y prend forme.
Prenant appui sur une synthèse d’écrits autour du rapport au savoir (Lahire & Johsua, 1999 ;
Joigneaux & Rochex, 2008 ; Lésogho, 2014), nous avons construit un cadre conceptuel au
carrefour de la sociologie et de la didactique. Ce cadre hybride a suscité l’ouverture d’un
nouvel espace d’analyse et d’accès à d’autres possibles pour penser, aborder et comprendre
l’apprentissage historique. La combinaison des éléments sociologiques et didactiques des
savoirs qui, finalement, a orienté la recherche vers des enjeux sociodidactiques, est l’une des
contributions de cette thèse. Le regard sociodidactique s’est révélé être un choix
particulièrement fertile pour aborder l’apprentissage de l’histoire. Ce qui a permis de se
démarquer d’une lecture en négatif au profit d’une lecture en positif du sens que l’élève donne
aux savoirs. Cette perspective a apporté un éclairage sur la double expérience sociale et
scolaire de l’élève. À l’aide des apports théoriques et conceptuels que nous avons présentés
aux chapitres 1 et 2, des angles de réflexion novateurs ont été formulés en vue d’explorer les
situations qui conditionnent la construction du rapport au savoir et à l’école.
Pour faire émerger le rapport au savoir historique chez nos participants, nous les avons
confrontés au thème de la pauvreté au Gabon. En appui sur les modèles de Georges Balandier
et de Paulo Freire, l’analyse que nous avons faite des propos d’élèves sur la situation
coloniale a permis de cerner quelques principes fondateurs d’une éducation à la citoyenneté
plus réfléchie. De prime à bord, il est acquis que la relation éducateur/éduqué implique de
tenir compte des connaissances de l’éduqué sur la réalité, de son expérience et de sa vision
du monde. En termes plus clairs, il ne s’agit plus pour l’élève d’adhérer à un mode de pensée
mais d’en construire un grâce à une action réflexive.
285
C2. L’apport de la recherche
Au terme de cette recherche, nous souhaitons souligner que le sens recouvre
différentes réalités qu’il importe de clarifier. Sur le plan sociologique, le sens est un mode
d’intelligibilité de l’expérience humaine qui interroge la possibilité d’une conscience de soi.
Par conséquent, la relation d’un sujet aux savoirs ne peut être un simple contact entre des
entités homogènes et stables. Elle indique une signification entre une situation et celui qui la
vit. Comme nous l’avons précisément compris au chapitre 5 (cf. 5.2), le rapport au savoir
historique est à la fois produit et processus. Il représente une dynamique relationnelle et
interprétative au travers de laquelle l’élève – ou le citoyen dans un sens plus large — se
construit dans un contexte donné. Le citoyen, le sujet ou l’élève, en tant qu’être social et
singulier situé dans une historicité mais ouvert à un horizon de potentialité et de mobilité,
peut élargir sa compréhension de soi de manière transitoire et critique. L’apprentissage de
l’histoire dont les significations ne peuvent constituer un ensemble homogène est un
processus de compréhension de soi et du monde.
Sur le plan didactique, le sens renvoie à l’actualisation des significations plurielles au travers
desquelles l’élève se comprend réflexivement. En tant qu’activité interprétative,
l’apprentissage de l’histoire ne peut être appréhendé que dans un processus interactionnel
impliquant diverses interprétations du passé. La situation didactique implique donc de situer
ce processus dans un rapport d’échange intégrant différentes lectures de l’histoire.
Également, elle suppose de privilégier certaines pratiques enseignantes visant à guider l’élève
vers une compréhension critique de la réalité. Ce modèle d’apprentissage est un enjeu central
de formation en histoire.
Définir un modèle d’apprentissage de l’histoire dans la perspective de l’éducation à la
citoyenneté est un des objectifs de base de cette thèse. Valider ce modèle nous a conduite à
emprunter une démarche interdisciplinaire, seule susceptible – nous croyons l’avoir bien
démontré — de rendre compte des déplacements théoriques multiples et complexes auxquels
nous invite le regard sociodidactique. Également, cette perspective a permis de repenser le
286
citoyen comme partie prenante de ce processus d’apprentissage. Comme le soutient
Laplantine (2007), la recherche ne peut être menée qu’à partir du sujet et de ce qui le
constitue. C’est en ce sens que la critique des fondements ontologiques du citoyen qui remet
en cause une conception hégémonique de l’histoire, peut participer à la formation des
citoyens critiques. Ces détours visant un élargissement de la compréhension de soi, nous sont
apparus d’autant plus fructueux pour aborder l’histoire dans la perspective de l’éducation à
la citoyenneté.
La redéfinition des enjeux des savoirs que nous avons proposée en nous appuyant sur la
pensée historique et le rapport au savoir, nous a permis de montrer que la perspective
sociodidactique constitue un moyen privilégié de compréhension de soi. En cela, elle
contribue à renforcer la pertinence sociale de notre étude. L’importance que nous accordons
à la dimension réflexive en cours d’histoire démontre que la construction de sens et la
compréhension de soi sont concomitantes. Aussi, la formalisation de l’apprentissage
historique implique-t-elle la distanciation et l’investissement subjectif, le tout se combinant
dans un processus requis pour apprendre.
La lecture des quatre parcours interprétatifs distincts les uns les autres (chapitre 5) a contribué
à une meilleure compréhension de l’apprentissage historique. Nous avons pu relever la
mobilisation de diverses ressources subjectives et observer la très forte influence de
ressources psychoaffectives dans l’interaction entre le sujet et son passé, une des voies à
prospecter pour les recherches futures. Ces quatre études de cas ont révélé que les élèves ont
des capacités réflexives souvent sous-exploitées en classe. Celles-ci mériteraient d’être
davantage formalisées au regard des points de vue particuliers adoptés par les élèves et leur
impact sur l’investissement subjectif. Sur ce plan, la confrontation des points de vue s’est
avéré un outil indispensable pour développer les compétences interprétatives des élèves. Les
analyses que nous avons menées de leurs propos, concordent avec le dispositif
méthodologique mis au point pour concevoir les manières d’apprendre des élèves. En vue de
tenir compte de la pertinence sociologique de la singularité, nous avons opté pour une analyse
des récits écrits et oraux, selon un processus de va-et-vient entre le singulier et le collectif. Il
287
semble évident que l’on ne peut en faire l’économie si on veut au mieux comprendre les
situations d’apprentissage ou certaines facettes de l’expérience sociale et scolaire d’un élève.
C3. Les difficultés rencontrées et les limites de la recherche
La première difficulté que nous avons rencontrée concerne le choix de nous pencher
sur l’apprentissage de l’histoire et d’en faire un thème de recherche. L’un des défis que nous
avions à relever était de construire une problématique originale et pertinente de ce thème qui
semble avoir acquis une certaine évidence en sciences de l’éducation. Aussi, courions-nous
le risque d’être séduite par des discours ambiants sur cette question ou encore d’être tentée
de répondre à la demande sociale qui voudrait qu’on découvre la cause du problème (Charlot,
1997). Il a d’abord fallu requestionner l’apprentissage scolaire, puis le déconstruire et le
reconstruire pour afin le reconceptualiser sous la forme du rapport au savoir. Une autre des
difficultés à laquelle nous avons été confrontée concerne notre choix du thème de pauvreté
comme objet d’apprentissage. L’étude de ce phénomène dont les ancrages historiques allaient
directement brancher nos participants sur la mémoire collective de leur pays a ramené en
surface la difficulté de concilier identité sociale et esprit critique.
Pour en venir aux limites, il convient de mentionner en premier lieu, la présentation des deux
configurations didactiques qui peut laisser croire qu’elles se suivent de manière harmonieuse,
alors qu’en pratique, elles sont davantage agglomérées et entremêlées. Nous avons voulu
montrer que les postulats didactiques, qui ont fondé l’histoire-mémoire sur une conception
unitaire et homogène du citoyen, perdurent. À ce titre, la mise à plat des enjeux d’éducation
à la citoyenneté en classe d’histoire implique de questionner de manière critique la
permanence des postulats de l’identité collective dans les discours entourant l’histoire
scolaire. En second lieu, nous soutenons que l’apprentissage historique est une question
multidimensionnelle. Ce qui suppose une prise de conscience de la complexité de cette
problématique et les multiples interventions possibles. Pour avoir une compréhension du
manque d’intérêt des élèves face à l’histoire, il nous a fallu faire une analyse fondée de ce
288
problème en éclairant certaines facettes de celui-ci bien que d’autres dimensions soient
restées inexploitées.
C4. Les voies de recherche futures
Notre étude sur le rapport au savoir historique des élèves semble soulever autant de
questions qu’elle n’a apportées de réponses. Dans la continuité des principaux résultats
produits et des limites relevées, nous envisageons d’étudier en profondeur plusieurs aspects
de la formation historique des citoyens qui n’ont été qu’effleurés ou délibérément mis de côté
pour assurer la spécificité de notre propos de recherche.
C4.1. L’influence des ressources mobilisées
Nous avons remarqué que les ressources subjectives mobilisées par les élèves sont
diverses et fortement imbriquées entre elles. L’analyse des parcours interprétatifs montre
qu’elles sont plus susceptibles de soutenir la compréhension. Les difficultés d’apprentissage
de l’histoire semblent être liées, soit à l’incapacité de certains élèves à mettre à distance les
ressources qui influencent leur compréhension, soit à des contraintes intrinsèques et
extrinsèques à l’activité. Il nous semble fertile d’investiguer dans cette direction comme suite
de notre recherche.
C4.2. Le rôle de la réflexivité
Nos résultats montrent que la réflexivité se développe simultanément avec la
complexification des interprétations et la mise à distance des ressources subjectives. A
l’instar de Sauvaire (2013), nous avons relevé que la réflexivité est variable d’un sujet à un
autre, d’une activité à une autre mais qu’il est possible d’évaluer qualitativement son
développement. Comment le processus interprétatif permet-il à l’élève de se comprendre ?
Une meilleure compréhension des activités d’interprétation peut-elle soutenir leur
289
compétence à penser historiquement ? De telles interrogations peuvent constituer les voies
de recherche futures.
C4.3. La complexification de l’interprétation
La diversité des interprétations et l’analyse que nous en avons fait nous engagent à
investiguer vers une relecture autonome des faits d’histoire. Nous avons remarqué qu’au
début de l’entrevue, les élèves s’en remettent systématiquement aux référents mémoriels pour
exprimer leur analyse du sujet. C’est au fur et mesure que les échanges deviennent porteurs
de formation : plusieurs hypothèses émises ont donné lieu à des interprétations riches et
variées. Par ailleurs, les propos des participants ont fait apparaitre des tensions entre les
différentes interprétations et la nécessité de trouver une solution consensuelle. Si le conflit
interprétatif s’avère une condition d’apprentissage de l’histoire, il peut aussi être une source
d’inconfort intellectuel et affectif. Une recherche pour évaluer l’évolution des parcours
interprétatifs et leur pertinence semble utile pour comparer les critères par lesquels les élèves
justifient leurs interprétations.
C4.4. Un modèle d’interaction entre la pensée historique et le rapport au savoir
À ce stade de notre recherche, la relation entre la pensée historique et le rapport au
savoir demeure quelque peu hasardeuse. Il serait intéressant de proposer un modèle
d’interaction entre ces deux processus. Notre hypothèse est que le rapport au savoir historique
fasse la différence entre les récits provenant d’un abus de mémoire et que les savoirs
historiques soient relativisés. L’intérêt porté sur le rapport au savoir dans cette recherche se
fonde sur l’idée d’une meilleure compréhension de son lien avec la pensée historique. Si nous
croyons que le rapport au savoir historique peut devenir critique, il reste encore à définir
comment il le devient. Pour répondre à cette question, des auteurs tels Freire (1973), Rüsen
(2004), Seixas (2006), Duquette (2011) proposent des modèles de développement de la
pensée auxquels nous pourrions nous référer.
290
C4.5. L’examen du rapport aux savoirs historiques des enseignants
Nous ne pouvons conclure sur les voies de recherche à venir sans aborder certaines
variables ou contraintes agissant dans la construction du rapport au savoir des élèves. Une
recherche orientée vers la formation des citoyens doit nécessairement tenir compte du rôle
de l’enseignant, de sa subjectivité, de sa capacité à gérer l’imprévisibilité des interprétations
et de sa conception de la discipline. L’exploitation plus avant de cette liste qui ne prétend pas
être exhaustive permettrait, nous semble-t-il, de mieux saisir les contraintes qui peuvent peser
sur l’intervention des enseignants.
291
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