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Approche anthropologique des repre ´sentations parentales actuelles des convulsions chez l’enfant Anthropological approach to current parental perceptions of children’s seizures C. Tison-Chambellan a, *, A. Fine b , C. Cances a , Y. Chaix a , I. Claudet c a Service de neurope ´diatrie, ho ˆpital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, 31059 Toulouse cedex 9, France b E ´ cole des hautes e ´tudes en sciences sociales, centre d’anthropologie sociale UTM, Maison de la recherche, 31058 Toulouse, France c POSU pe ´diatrique, ho ˆpital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, 31059 Toulouse cedex 9, France Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Summary Pediatric seizures are a common symptom, especially when asso- ciated with fever. This phenomenon is still shocking and traumatic for parents. The study analyzed current parental perceptions of seizures in order to improve the quality of management, care, and explanations provided to families at our emergency unit. Methods. Using an anthropological approach, we analyzed 28 interviews of 37 parents whose child was admitted to our pediatric emergency unit between November 2007 and August 2008 due to a first seizure. Results. The parental experience of the crisis was marked by upsetting memories of a ‘‘scary’’-looking body and the perception of imminent death. Parental interpretations of the pathophysiology of the event were often wrong; very few mentioned the possibility of its cerebral origin, leading to inappropriate rescue attempts (e.g., giving CPR). The meaning attributed by parents to the word ‘‘seizure’’ and ‘‘epilepsy’’ usually referred to an exact clinical description of the phenomenon, but many admitted being unfamiliar with the term or at least its origin. Many studies have found the expectation of imminent death as well as inappropriate behaviors. This is the first study to consider interpretations expressed by parents around the convulsive phenomenon and to confirm a low level of knowledge of the symptom. Some historical interpretations persisted (e.g., the influence of excessive mood, anger, menstruation, demonic possession). Conclusion. Understanding and integrating these parental inter- pretations seems essential to improving care for families who first experience this symptom. This study motivated the implementation of a special educational workshop on seizures in 2010. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Re ´sume ´ Les convulsions de l’enfant sont un sympto ˆme fre ´quent et toujours mal ve ´cu par les parents. L’objectif de cette e ´tude e ´tait de connaı ˆtre les repre ´sentations parentales actuelles de ces convulsions afin d’ame ´liorer l’accueil, la prise en charge et les explications dispense ´es aux familles. Me ´thodes. Au moyen d’une approche anthropologique, nous avons analyse ´ 28 entretiens enregistre ´s de 37 parents pour une premie `re crise convulsive chez leur enfant admis entre novembre 2007 et aou ˆt 2008 au service des urgences pe ´diatriques. Re ´sultats. Le ve ´cu de la crise e ´tait douloureux, par le souvenir d’un corps a ` l’allure terrifiante et la perception d’une mort imminente. Les interpre ´tations physiopathologiques des parents e ´taient souvent erro- ne ´es, tre `s peu e ´voquaient la possibilite ´ d’un phe ´nome `ne d’origine ce ´re ´brale, rendant les conduites de secourisme inadapte ´es. La signi- fication attribue ´e par les parents aux mots « convulsion » et« e ´pilepsie » renvoyait de fac ¸on assez juste a ` l’expression clinique du phe ´nome `ne mais beaucoup avouaient ne pas connaı ˆtre le terme ou du moins sa signification. De nombreuses e ´tudes de ´ja ` anciennes ont rapporte ´ cette impression de mort imminente de l’enfant de me ˆme que les conduites inadapte ´es. A ` notre connaissance, cette e ´tude est la premie `re a ` envi- sager les repre ´sentations singulie `res exprime ´esparlesparentsautourdu phe ´nome `ne convulsif, permettant de relever un faible niveau de connaissances autour de ce sympto ˆme. Des repre ´sentations historiques persistaient (exce `s d’humeur, cole `res, menstruations, possession). Conclusion. Appre ´hender ces repre ´sentations parentales paraıˆt indispensable pour ame ´liorer la prise en charge des familles hospita- lise ´es pour ce sympto ˆme. Ce travail a permis l’e ´laboration en 2010 d’un atelier e ´ducatif spe ´cifique actuellement tre `s appre ´cie ´ des parents. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] Rec ¸u le : 22 septembre 2011 Accepte ´ le : 3 juillet 2013 Disponible en ligne 7 aou ˆt 2013 Me ´moire original 1075 0929-693X/$ - see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.07.001 Archives de Pe ´diatrie 2013;20:1075-1082

Approche anthropologique des représentations parentales actuelles des convulsions chez l’enfant

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Page 1: Approche anthropologique des représentations parentales actuelles des convulsions chez l’enfant

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Approche anthropologique desrepresentations parentales actuelles desconvulsions chez l’enfant

Anthropological approach to current parental perceptionsof children’s seizures

C. Tison-Chambellana,*, A. Fineb, C. Cancesa, Y. Chaixa, I. Claudetc

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Recu le :22 septembre 2011Accepte le :3 juillet 2013Disponible en ligne7 aout 2013

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a Service de neuropediatrie, hopital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, 31059Toulouse cedex 9, Franceb Ecole des hautes etudes en sciences sociales, centre d’anthropologie sociale UTM, Maison dela recherche, 31058 Toulouse, Francec POSU pediatrique, hopital des Enfants, 330, avenue de Grande-Bretagne, 31059 Toulousecedex 9, France

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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SummaryPediatric seizures are a common symptom, especially when asso-

ciated with fever. This phenomenon is still shocking and traumatic

for parents. The study analyzed current parental perceptions of

seizures in order to improve the quality of management, care, and

explanations provided to families at our emergency unit.

Methods. Using an anthropological approach, we analyzed 28

interviews of 37 parents whose child was admitted to our pediatric

emergency unit between November 2007 and August 2008 due to a

first seizure.

Results. The parental experience of the crisis was marked by

upsetting memories of a ‘‘scary’’-looking body and the perception

of imminent death. Parental interpretations of the pathophysiology of

the event were often wrong; very few mentioned the possibility of its

cerebral origin, leading to inappropriate rescue attempts (e.g., giving

CPR). The meaning attributed by parents to the word ‘‘seizure’’ and

‘‘epilepsy’’ usually referred to an exact clinical description of the

phenomenon, but many admitted being unfamiliar with the term or at

least its origin. Many studies have found the expectation of imminent

death as well as inappropriate behaviors. This is the first study to

consider interpretations expressed by parents around the convulsive

phenomenon and to confirm a low level of knowledge of the symptom.

Some historical interpretations persisted (e.g., the influence of

excessive mood, anger, menstruation, demonic possession).

Conclusion. Understanding and integrating these parental inter-

pretations seems essential to improving care for families who first

experience this symptom. This study motivated the implementation

of a special educational workshop on seizures in 2010.

� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ResumeLes convulsions de l’enfant sont un symptome frequent et toujours mal

vecu par les parents. L’objectif de cette etude etait de connaıtre les

representations parentalesactuellesdeces convulsions afin d’ameliorer

l’accueil, la prise en charge et les explications dispensees aux familles.

Methodes. Au moyen d’une approche anthropologique, nous avons

analyse 28 entretiens enregistres de 37 parents pour une premiere

crise convulsive chez leur enfant admis entre novembre 2007 et aout

2008 au service des urgences pediatriques.

Resultats. Le vecu de la crise etait douloureux, par le souvenir d’un

corps a l’allure terrifiante et la perception d’une mort imminente. Les

interpretations physiopathologiques des parents etaient souvent erro-

nees, tres peu evoquaient la possibilite d’un phenomene d’origine

cerebrale, rendant les conduites de secourisme inadaptees. La signi-

ficationattribuee par les parents aux mots« convulsion » et« epilepsie »

renvoyait de facon assez juste a l’expression clinique du phenomene

mais beaucoup avouaient ne pas connaıtre le terme ou du moins sa

signification. De nombreuses etudes deja anciennes ont rapporte cette

impression de mort imminente de l’enfant de meme que les conduites

inadaptees. A notre connaissance, cette etude est la premiere a envi-

sager les representationssingulieresexprimeespar lesparentsautourdu

phenomene convulsif, permettant de relever un faible niveau de

connaissances autour de ce symptome. Des representations historiques

persistaient (exces d’humeur, coleres, menstruations, possession).

Conclusion. Apprehender ces representations parentales paraıt

indispensable pour ameliorer la prise en charge des familles hospita-

lisees pour ce symptome. Ce travail a permis l’elaboration en 2010 d’un

atelier educatif specifique actuellement tres apprecie des parents.

� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

* Auteur correspondant.e-mail : [email protected]

1075

0929-693X/$ - see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.07.001 Archives de Pediatrie 2013;20:1075-1082

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C. Tison-Chambellan et al. Archives de Pediatrie 2013;20:1075-1082

1. IntroductionLes convulsions sont un motif frequent d’admission dans lesservices d’urgences pediatriques. Leurs causes sont multiples,souvent benignes – comme les convulsions febriles (2 a 5 %des enfants) –, parfois plus graves, revelant par exemple uneencephalite. Quatre a 500 enfants sont admis annuellementau service des urgences pediatriques du centre hospitalieruniversitaire (CHU) de Toulouse pour ce motif qui est al’origine de 5 % des appels au service mobile d’urgence etde reanimation (SMUR) pediatrique de Toulouse (4116 appelsen 9 mois en 2007–2008). Le caractere impressionnant etsoudain de cette manifestation rend sa regulation et la priseen charge des familles delicates. Une approche anthropolo-gique medicale, en devoilant des representations tantotattendues, tantot plus inedites, nous a permis de mieuxcomprendre le vecu parental de la crise et des soins apportesa leur enfant.Le but de cette etude etait de mieux apprehender les repre-sentations de la crise et celles suscitees par le terme« convulsions », pour permettre une amelioration del’accompagnement des familles au cours de la gestion descrises convulsives de l’enfant.

2. Population et methodes

2.1. PopulationIl s’est agi d’une etude prospective menee de novembre2007 a aout 2008 incluant les parents dont l’enfant avaitete hospitalise a l’hopital des Enfants du CHU de Toulousepour une premiere crise convulsive generalisee, quelle qu’ensoit la cause, et quel que soit l’age de l’enfant, a condition queces parents aient assiste a ce symptome et acceptent departiciper. Toutes les categories socioculturelles et economi-ques etaient representees (tableau I). Dans les 3 j suivant lacrise convulsive, nous avons procede a 28 entretiens de37 parents (meres seules [n = 16], peres seuls [n = 2], couples[n = 9]). D’une duree moyenne de 30 min chacun, ces entre-tiens ont ete enregistres a l’aide d’un dictaphone numerique,pose dans la piece a distance des parents, afin de faciliter lenaturel des recits. Nous avons ensuite retranscrit par ecrit cesenregistrements dans leur integralite afin d’en faire l’analyse.

2.2. Approche anthropologiqueLe choix de l’approche anthropologique a ete lie a la volonted’aborder la representation de chaque parent. Un question-naire ecrit n’aurait pas permis une telle analyse. L’originalitede notre sujet a reside dans l’approche personnalisee desrepresentations et des comportements parentaux face a desconvulsions, ou la singularite d’une representation a autantde valeur que le caractere generalement retrouve pourd’autres. Ce qui importe dans l’etude anthropologique, c’estde mettre a jour un eventail des possibles, revelant la diversite

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de la pensee humaine face a un symptome. Par ailleurs, lesentretiens a visee anthropologique ont pour objectif de laisserune plus grande part au recit spontane, que nous avonscomplete par des questions suivant une grille construite auprealable.

3. Resultats

L’analyse du recit parental de la crise, puis des reponses auxquestions que nous avions posees, a permis la selection desrepresentations les plus souvent rapportees ou les plus mar-quantes.

3.1. Description de la crise par les parents

Plusieurs parents ont utilise des termes pour decrire l’enfanten crise relevant du champ lexical du monstrueux, de latransformation, du difforme : « Tout d’un coup, il s’esttransforme », « (. . .), « Il etait tout deforme. . . Il regardaitvers la gauche, tout le cote etait bloque, (. . .) il faisait peur ».Des adjectifs comme « terrible », « horrible », « atroce »,« violent » ont ete utilises a de tres nombreuses reprises lorsdes descriptions. Les parents ne reconnaissaient plus leurenfant, et insistaient sur ce fait : « Ca n’etait plus mon bebe,(. . .) », « Je ne le reconnaissais pas », « une seconde apres, can’etait plus le meme. . . ».Les parents ont ete nombreux a insister sur cette imagetraumatisante du regard de l’enfant, transforme par la crise.Il s’agissait souvent du tout premier signe d’alerte : fixes,revulses ou devies, ces yeux etaient le temoin de la perte decontact avec l’enfant et participaient a cette vision terrifiantede la metamorphose. « Ce qui me restera, ce que je n’oublieraijamais, ce sont ses yeux ». Les expressions etaient multiples etrecurrentes : « les yeux qui partaient », « tout retournes », « lesyeux qui se levent », « un regard noir, lointain « « les yeuxcompletement revulses », « ce regard qu’il avait. . . il avait l’airtellement effraye », « le regard vide », « completementabsent », « un regard de peur », « ses yeux grands ouvertsqui me fixaient mais qui ne me voyaient pas », « les yeuxouverts qui clignotaient ». Mais aussi « les yeux vers le haut,ca fait peur (. . .) Quand quelqu’un retourne ses yeux, c’estqu’il est en train de mourir. . . ».Beaucoup ont mentionne spontanement la couleur du visagede leur enfant en crise : ils decrivaient le plus souvent unegrande paleur (« tres blanc », « blanc. . .et un peu jaune aussi »,« blanc, blanc, blanc »). Pour d’autres, il s’agissait d’un teintcyanique, source d’angoisse car assimile a une suffocation. Labouche aussi changeait d’aspect en cours de crise, et lessecretions qui en sortaient faisaient l’objet d’une attentiontoute particuliere, voire de degout : « les levres figees », « leslevres violettes », « plein de glaires qui sortaient par labouche », certains « bavaient beaucoup », « le drap pleinde salive », « dans une mare de bave ou de vomi ». Parfois cetenfant en transformation emettait des bruits respiratoires

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Representations parentales des convulsions de l’enfant

Tableau IRepartition de la population interrogee selon sexe, age, niveau d’etude, profession et lieu de vie.Parents Sexe Age (ans) Niveau etudes Profession Lieu de vieParent 1 F 39 College (5e) Au foyer Cite urbaineParent 2 M 43 College (3e) Agent de securite Cite urbaineParent 3 F 22 BAC Interimaire Semi-ruralParent 4 M 28 CAP Manutentionnaire Semi-ruralParent 5 F 38 DEA Ingenieur UrbainParent 6 M 40 DEA Bibliothecaire RuralParent 7 F 34 BAC +4 Assistante commerciale Semi-ruralParent 8 M 37 BAC +5 Cadre bancaire Semi-ruralParent 9 F 30 BAC +2 Vendeuse UrbainParent 10 F 36 BEPC Aide-soignante Semi-urbainParent 11 F 26 CAT Au foyer Cite urbaineParent 12 M 28 BEPC Macon Cite urbaineParent 13 F 47 CAP Technicienne UrbainParent 14 F 35 BEP Ouvriere RuralParent 15 M 36 CAP Cuisinier RuralParent 16 F 45 Aucun Au foyer RuralParent 17 F 39 BEP Aide-menagere UrbainParent 18 M 38 BEPC Militaire UrbainParent 19 M 33 Doctorat Chercheur UrbainParent 20 F 20 BEP Aide a domicile UrbainParent 21 F 28 BAC +2 Educatrice specialisee RuralParent 22 F 26 BAC Secretaire Semi-ruralParent 23 F 30 BAC +4 Professeur des ecoles RuralParent 24 F 33 BAC +2 Chargee de clientele UrbainParent 25 F 44 CAP Aide maternelle Semi-urbainParent 26 F 37 BAC Au foyer RuralParent 27 F 33 BAC +3 Vendeuse Semi-ruralParent 28 F 29 Lycee (2nde) Au foyer Semi-ruralParent 29 M 43 Lycee (2nde) Plaquiste Semi-ruralParent 30 F 25 BEP Au foyer RuralParent 31 F 35 BAC +4 Professeur des ecoles RuralParent 32 F 32 BAC +3 Infirmiere RuralParent 33 M 36 BEPC Technicien RuralParent 34 F 31 BAC +5 Au foyer UrbainParent 35 M 31 BAC +5 Ingenieur UrbainParent 36 F 29 BAC +2 Aide a domicile Semi-urbainParent 37 F 36 BAC +2 Agent de voyage Semi-urbainF : feminin ; M : masculin ; BAC : baccalaureat ; BEP : brevet d’enseignement professionnel ; BEPC : brevet d’etudes du premier cycle ; CAP : certificat d’aptitude professionnelle ; CAT :certificat d’aptitude technique ; DEA : diplome d’etudes approfondies.

inquietants, plusieurs parents ayant tente de les imiter :paradoxalement, cette respiration tres presente signifiaitpour eux son arret imminent.L’angoisse majeure provenait du fait que les parents avaientete confrontes pour la premiere fois a la perte complete deconnaissance qui caracterise une crise convulsive generalisee :« il n’etait plus la », « il etait absent, on avait son corps entreles mains, mais lui. . . », « Il ne repondait plus, « il etait la sansetre la », « il n’y avait plus aucune communication ». Cettedisparition de « vie de relation » participait beaucoup au vecud’une « petite mort » : « ce qui etait le plus impressionnant, can’etait pas ses mouvements saccades, c’etait surtout soninconscience. . . ». L’enfant n’etait donc plus qu’un corps,deshumanise, reduit a l’etat d’objet, tel un pantindesarticule : « comme un chiffon, inerte », « je lui prenais

la main et elle retombait aussitot », « le cou tombait, les brastombaient, tout tombait ! ».Les mouvements convulsifs ont rarement ete cites en premierlieu, les parents ayant surtout ete marques par les modifica-tions du visage. Les parents decrivaient parfois des« tremblements », « des petits soubresauts », unenfant qui « s’est raidi », « un peu contracte », « crispe, ilsursautait », « avec les membres qui se durcissent », un enfantqui « se secouait des membres inferieurs ». Les termes etaientparfois plus precis : « spasmes », « tete rejetee en arriere »,enfant « arque », « membres qui se contractent de maniereincontrolee », « des mouvements saccades », « comme elec-trocutee en permanence ». Certains parents, alors memequ’ils n’en connaissaient pas reellement la definition, disaientavoir spontanement evoque « des convulsions ».

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Quelques parents ont ete tres choques par la phase post-critique, relatee comme « la mort qui finissait par l’emporter »,« on s’est dit : c’est encore pire, il vaut mieux qu’ilreconvulse ! », « j’ai cru qu’il etait mort », « voila, on croyaitqu’il partait, je criais : « Il part ! Il part ! », « Tant qu’il bougeait,je ne pensais pas qu’il allait mourir parce qu’il bougeait, ilconvulsait. . . Il n’etait pas la, mais il bougeait, donc il etaitvivant. C’est apres, j’ai cru qu’il allait mourir parce que, voila, ilne faisait plus rien ». « Il y a ce rappel d’un corps inerte, pesant,comme ca, qu’on voit et qui evoque evidemment un corpsmort », « (. . .) tout mou, comme un cadavre. . . ». La vision decette phase postcritique, au lieu de rassurer comme temoin dela fin du malaise, etait vecue comme un choc tel que lesparents souhaitaient que la phase convulsivante reprenne paranalogie a : « le mouvement, c’est la vie ».Au cours de nos entretiens, quasiment tous les parents ontpense que leur enfant allait mourir.Deux situations ont emerge dans ces entretiens : celle ou lesparents prononcaient d’emblee le mot « mort », et celle ou lamort etait sans cesse sous-entendue, comme un sujet tabou,exprimee uniquement lorsque nous avons souleve la ques-tion. Quand le sujet etait evoque par les parents, il l’etait tressouvent d’emblee, comme un fardeau que l’on depose avantde pouvoir passer a autre chose dans l’entretien : « J’ai appelel’infirmiere, j’ai eu peur, j’ai cru que ma fille etait en train demourir », « Et ben j’ai cru qu’il mourait, je vous le dis toutde suite, j’ai cru qu’il etait en train de mourir !! ». A ce proposles parents d’origine maghrebine avaient plus de facilite aprononcer ce mot que les parents de culture francaise.D’autres parents l’ont evoque rapidement : « J’avais peurqu’elle meure, c’etait terrible. . . », « C’etait fini, il etait entrain de nous. . . de nous lacher. . . de mourir, quoi », « On atoujours pense qu’il etait en train de mourir, oui, il allaitmourir ». Pourtant au cours de nombreux entretiens, la mortn’etait pas si clairement exprimee, sous-entendue par unchamp lexical detourne mais sans ambiguıte : « il etaitparti ! », « j’ai cru qu’il ne reviendrait plus, quoi, qu’il etaitparti », « ca y est, c’est la fin », « oui, j’ai pense au pire », « j’aieu peur de le perdre ». Parfois, il nous a fallu insister pour queles mots terribles soient enfin prononces, source de liberationou de sanglots. Seuls 4 parents n’ont pas evoque la possibilited’avoir cru leur enfant mourant. Dans ces entretiens, l’enfanten crise avait pour la majorite des parents l’aspect physiqued’un enfant mourant, et ils ont ete nombreux a avoir craintune issue fatale par epuisement ou par etouffement tant lacrise leur avait semble violente pour le corps, ou longue :« mais dans un moment il n’en pourra plus. . . », « Oui,evidemment, on pense que le terme, c’est forcement quel’enfant meure. . . », « C’est apres, quand ca s’est arrete que j’aicru qu’il etait mort ou qu’il allait mourir ». Pour plusieursparents, impressionnes par l’hypersalivation ou les bruitsrespiratoires de leur enfant en crise, l’idee de la mort paretouffement s’etait imposee. « Il etait dans une mare de bave,ou de vomi, j’ai fait le 15 et la seule chose que j’ai su dire, c’est

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« Mon fils etouffe ! Mon fils etouffe ! » Cette impressiond’etouffement a alors conduit plusieurs parents a des condui-tes inadaptees visant a ouvrir la bouche avec des objets quiauraient pu s’averer dangereux (cuillere, baton par exemple).Un petit nombre de parents ont montre une certaine confu-sion face au retour rapide de leur enfant a un etat anterieursans aucune sequelle : cela ne releverait-il pas d’un pheno-mene paranormal ? Ou a-t-on simplement vecu « une vue del’esprit », un cauchemar ? Ce phenomene, classique dans lescrises convulsives de l’enfant, a parfois perturbe les parentsjusqu’a les faire douter de ce qu’ils venaient de vivre, rendantle phenomene proche d’une hallucination ! « C’est tresetonnant. . . parce qu’apres, il va bien. . . On ne sait pas tropou se situer. . . « Est-ce que je dois, est-ce que je ne dois pas ? »« Et puis le lendemain, le voir jouer, tout ca, mais je me suis dit« comment on peut avoir vecu un truc pareil, et lelendemain. . . voila, c’est un contraste, qui est. . . sans quasi-ment d’intermediaire. . . ».

3.2. Interpretation parentale de la crise convulsiveLes parents ont ete pris, pour la plupart, d’une peur paniqueface a un phenomene qu’ils ne connaissaient pas. En effet,environ un tiers des parents n’avait jamais entendu ce mot,n’ayant donc aucune idee de sa signification ; un tiers connais-sait le mot sans pouvoir en donner une definition, et le tiersrestant pouvait associer a ce terme la notion de« tremblements », de « secousses » et de « fievre », sans pouvoirpour la plupart l’attribuer a une origine cerebrale. Parmi eux sedistinguaient ceux qui n’avaient fait aucun lien avec un dys-fonctionnement cerebral de ceux qui l’avaient percu. Parmiceux qui n’avaient pas fait de lien, la convulsion avait ete percuecomme « un etouffement » par un corps etranger, ou avec lalangue. Le risque d’etouffement avec la langue etait trespresent et expliquait pour ces parents le trismus buccal, lesbruits respiratoires et parfois la cyanose. Ce risque a pu genererdes comportements dangereux, comme mettre les doigts dansla bouche pour tirer la langue. Pour d’autres, la convulsion etaitle temoin d’une intoxication alimentaire (« la premiere chosequi m’est venue a l’esprit : il a mange quelque chose qu’il nefallait pas ») ou medicamenteuse, d’un malaise cardiaquevoire de la possession par des Djinns (mauvais esprits). Troisparents seulement avaient compris qu’il existait un lien pos-sible entre le malaise presente par l’enfant et une originecerebrale. De nombreux parents on dit avoir d’emblee evoquele mot « convulsions » alors qu’ils concedaient ne pas avoird’idee precise sur la signification de ce mot ! Pour la plupart, cesont les mouvements de l’enfant qui avaient permis l’identi-fication du phenomene : l’interpretation etait donc juste, maisla physiopathologie etait inconnue de la plupart.

3.3. Attitude des parents pendant la crise

Presque tous les parents avaient eu le reflexe d’appeler al’aide, seul geste d’urgence adapte : la plupart des parents

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Representations parentales des convulsions de l’enfant

etait trop paniquee pour entreprendre un geste quelconqueet beaucoup ont reconnu la une impuissance mal vecue etun sentiment d’intense culpabilite. Pour certains, c’est lavolonte de ne pas nuire qui les avait conduits a ne rien faire.Seuls 5 parents sur les 38 interroges avaient pense a mettrel’enfant en position laterale de securite. Beaucoup avaientcherche a retablir un contact avec l’enfant en lui parlantconstamment. D’autres methodes plus radicales avaientete employees, dans le but de stimuler l’enfant, comme lesecouer, appliquer un gant froid sur le visage, mettrel’enfant dans le bain ou sous une douche froide. La peurde l’asphyxie liee au trismus avait conduit plusieurs parentsa tout tenter pour ouvrir la bouche de l’enfant, risquant desblessures pour eux-memes ou pour l’enfant (introductiondes doigts, d’un baton ou d’une cuillere dans la bouche).Certains parents avaient essaye de le faire boire ou manger.Une mere, elle-meme epileptique, avait pense a proteger safille de l’environnement contre lequel elle pouvait se trau-matiser. Un seul parent avait effectue une manœuvre dereanimation par bouche a bouche. Enfin, un parent avaitecoute le cœur a travers la poitrine de l’enfant, ce qui l’avaitrassure et lui avait permis d’adopter une attitude plusadaptee. Trois parents avaient spontanement pense a mesu-rer la temperature de l’enfant dans l’hypothese d’un lien decause a effet. Enfin, certains avaient une difficulte a authen-tifier la perte de connaissance, lie a ce regard qui restait« yeux ouverts ».

3.4. Representation parentale du terme« convulsions »

Quatre groupes de parents ont pu etre identifies. Dans lepremier groupe, les parents n’avaient aucune connaissanceni du mot ni de sa signification : le terme « convulsions » avaitete entendu pour la premiere fois au cours de l’hospitalisationde l’enfant, et il avait alors pu prendre pour les parents dessignifications totalement erronees (« Convulser, c’esttousser ? », « Convulser ? Vomir. . . rendre. . . »). Dans le deu-xieme groupe, le terme etait connu, mais les parents n’avaientaucune idee precise de sa signification : il etait decrit comme unterme populaire, deja percu mais sans avoir suscite une curio-site qui aurait pousse les parents a en connaıtre le sens. Dans letroisieme groupe, le mot « convulsions » renvoyait a des ideescomme « fievre elevee », « agitation », « mouvementssaccades » ou « jeunes nourrissons ». Enfin, pour une minoritede parents, le mot « convulsions » renvoyait a « epilepsie », soiten tant que synonyme, soit en tant que phenomene moinsimpressionnant et plus court que les crises d’epilepsie : « despetits soubresauts, mais pas comme une crise d’epilepsie, pourmoi c’est different », « on tremble un peu ou on a les membresraidis, mais on ne bave pas, et on n’a pas les yeux revulsescomme dans une crise d’epilepsie », « Je savais qu’en cas de crised’epilepsie, on faisait des convulsions comme ca, mais pour moiune convulsion c’etait bref (. . .) quelques secondes (. . .) ».

Les representations physiques autour du mot « convulsions »revetaient quelques grands aspects communs : des mouve-ments anormaux (« bouger dans tous les sens », « une crise demouvements », « des sauts, des soubresauts des muscles »,« des secousses », « les membres se raidir, quelqu’un assezcrispe, panique, en train de trembler »), une revulsion oculaire,l’association a de la fievre, mais la perte de connaissancene faisait pas partie pour les parents du tableau cliniqued’une convulsion. Les representations autour du mot« epilepsie » etaient un peu differentes : il s’agissait d’unadulte ou d’un grand enfant, qui chutait au sol (« l’epilepsie,c’est quelqu’un qui tombe ») avec une machoire serree, unehypersalivation, une langue que « l’on risque d’avaler », desmouvements amples et violents incontroles.Plusieurs hypotheses physiopathologiques ont ete souleveespar les parents : « reaction corporelle » (et non cerebrale) aune forte fievre, aux pleurs, a un choc psychologique, auxemotions fortes (colere, joie), menstruations, origine car-diaque, empoisonnement, etc. Une maman marocaine avaitlivre une representation surnaturelle : la possession par lesesprits (Djinn) : chez les adultes, les personnes qui convulsentsont des « gens [qui] tombent et se mettent a crier n’importequoi, mais on a vraiment l’impression que c’est quelqu’und’autre qui parle a leur place. Et ils peuvent sauter aussi, c’estvraiment impressionnant. . . en fait, on pense que c’est lediable. On appelle ca les « Djinn », les mauvais esprits ». Cetterepresentation traditionnelle de la possession n’a pas etedecrite par d’autres : « mais c’est 2 choses differentes : lesconvulsions des enfants et les convulsions des adultes. . . Lesconvulsions des adultes, c’est plutot quelqu’un qui parle ».Quelques parents ont approche l’idee que la convulsion etaitun phenomene neurologique : caractere « nerveux » del’enfant, « anomalie des nerfs » dans le sens des nerfs peri-pheriques au sein des muscles, consequence d’un « esprit vif »chez un enfant precoce. Enfin, de rares parents avaientcompris l’origine cerebrale des convulsions : « Le mot« convulsions » je ne me l’expliquais pas. . . Je me doutaisque c’etait au niveau du cerveau, mais voila. . . », « quelquechose qui a pete dans la tete », « « Pour moi c’etait la fievre,(. . .) comme une tartine de pain grillee . . . Pour moi uneconvulsion c’est ca, c’est quand dans le cerveau ca bouillonne. . . », « Une deconnexion cerebrale », « peut-etre une compres-sion du cerveau », « une convulsion c’est une desorientationdu cerveau, mais due a quoi ? », « les neurones qui. . .couic ! »,« un court-circuit quoi, en gros » ; une seule maman en adonne une definition juste et precise.Trois parents, recontactes pour la suite des entretiens, avaientconstate une nette progression du developpement psycho-moteur ou un certain gain en maturite de leur enfant apres lacrise convulsive : « elle a fait de tres gros progres de langage,tout semble s’etre debloque, la prononciation est meilleure, levocabulaire s’enrichit ! », « il a carrement franchi un pallierdans son developpement ! (. . .) il est moins raleur, plus gai, ilmarche, il parle ! », « il est plus mur, plus pose, plus reflechi ».

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Un pere a evoque la possibilite de convulsions « necessaires »et « salvatrices » : il se demandait si lors des episodes febriles,les convulsions pouvaient aider a diminuer la temperaturecentrale : les convulsions auraient alors un role, une fonctionutile et ne seraient pas un evenement « parasite ».

4. Discussion

Les representations parentales du vecu et du terme« convulsions » etaient plutot pauvres dans cette populationfrancaise representative de toutes les categories socio-professionnelles, en ce sens que la majorite des parentsn’avaient pas d’idee de la signification ou de l’origine desconvulsions. Certaines d’entre elles rappelaient cependantles representations anciennes populaires ou medicales decri-tes depuis l’Antiquite [1]. Une dizaine de travaux parus entre1981 et 2001 se sont interesses au vecu familial des convul-sions chez les enfants, mais aucun n’a etudie de facon pros-pective les representations parentales face aux convulsionsde l’enfant en France [2–9]. Des etudes anthropologiques surl’epilepsie ont deja ete menees sur le continent africain,revelant la notion de possession par les esprits (Djinn, ritede la cle dans la main) au Maghreb [10], alors que la notionde contagiosite par l’etre humain ou certains animaux(maladie de l’oiseau) predominait en Afrique de l’Ouest[11,12]. Cette interpretation de la convulsion comme unepossession, decrite une seule fois au cours de nos entretiens,evoque les representations anciennes relayees par les Evan-giles ou la crise d’un enfant epileptique etait rattachee a unepossession par un esprit malin (Evangile selon Saint-Luc, 9 37–43). Jusqu’au Moyen Age, l’epileptique avait un statut depossede, d’etre impur. Les convulsions etaient l’expressiondu diable, du mal, du demon ou malleus malificarum (maldemoniaque). Le trait particulier par rapport aux autresmaladies residait dans le caractere brutal des convulsionssurvenant chez une personne saine jusqu’alors et disparais-sant avec retour a l’etat anterieur, d’ou leur caractere sur-naturel et impressionnant. Les exorcistes tireront profit decette vision, delaissant les theories d’Hippocrate qui contre-disaient depuis longtemps l’existence d’une origine divine del’affection ou maladie sacree [13,14].La representation la plus constante est celle de la mort : toutmedecin ayant accueilli, pris en charge ou regule l’appeld’une famille dont l’enfant convulsait a pu mesurer ceressenti de mort imminente de leur enfant. Cette represen-tation provient, en particulier, de l’aspect pris par l’enfant :le regard avec des yeux grand ouverts, fixes ou revulses,regard associe a celui d’un mort ou de sa representation. Dememe, la bouche encombree ou les machoires serrees gene-rent elles aussi l’angoisse de mort imminente, par asphyxieou etouffement, source de conduites de secourisme inad-aptees quant a la cause mais adaptees au vecu morbide desparents (instauration d’un massage cardiaque par exemple).

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La phase postcritique renforce cette representation au lieude l’apaiser : le visage livide de l’enfant en fin de criserappelle le visage d’un mort, de meme que la perceptiond’un corps sans vie contraste avec les mouvements anor-maux qui l’envahissaient juste avant. Cette perceptiond’une mort imminente a ete decrite dans la litteraturemedicale : en 1978, Rutter et Metcalfe [2] l’ont objectiveepour la premiere fois : 30 % des parents avouaient sponta-nement avoir cru que l’enfant etait en train de mourir ouetait deja mort. En 1981, Baumer et al. [3] ont montre quecette perception concernait la majorite des parents, a condi-tion qu’on leur pose clairement la question. Dix ans plustard, au Danemark, Balslev ayant interroge par telephone52 familles a rapporte que 88 % des parents avaient penseque l’enfant allait mourir au cours de la convulsion (45 % lesignalant spontanement et 33 % apres question precise) [4].Aux Pays-Bas en 1999, ils etaient 47 % a evoquer sponta-nement la mort sur 181 questionnaires [5] et pres de 70 % des135 parents interroges en Suisse en 2001 [6]. Enfin, en Franceen 2004 un questionnaire ecrit sur le vecu familial desconvulsions febriles avait identifie ce sentiment chez 78 %des 45 parents interroges [7]. Notre travail confirme que laplupart des parents pense a la mort de l’enfant meme si tousne le verbalisent pas d’emblee, par tabous, culpabilite ousentiment de ridicule face a une equipe soignante peuinquiete. Avoir cru son enfant mort est source d’une anxieteintense immediate et future, susceptible d’evoluer vers unauthentique syndrome de stress post-traumatique. Aborderdirectement cette representation avec les familles sembledes lors le meilleur moyen d’apaiser les esprits, preambuleessentiel aux explications sur l’origine et la prise en chargedes convulsions. Cette approche est d’autant plus impor-tante que les familles se sentent generalement destabiliseespar l’apparente banalisation du symptome lors de l’hospi-talisation. Cette banalisation, outre qu’elle fait obstacle a laconfiance des parents envers les soignants, fait courir lerisque de sous-estimer le traumatisme familial et d’ennegliger l’existence et donc la prise en charge.L’originalite de cette etude est d’avoir pu, par l’approcheanthropologique, mettre en evidence des representationsinsoupconnees : le vecu d’une transformation monstrueusede l’enfant, le traumatisme parfois plus marque provoque parla phase postcritique, ce qui doit nous inciter a systemati-quement avertir les familles de sa survenue lors de regula-tions telephoniques, afin de diminuer l’anxiete parentale. Ladifficulte a admettre ce brutal retour a un etat de sante parfaitapres une convulsion pose la question d’un temps de recu-peration necessaire pour « realiser » ce qui vient de se passer :un temps de pause a l’hopital de quelques heures sembleindispensable meme pour une convulsion febrile simple. C’estun lieu ou les parents analysent le symptome et sa cause.Renvoyer les familles trop rapidement avec des propos recon-fortants et rassurants n’est pas forcement considere, de leurpoint de vue, comme une prise en charge securisante mais

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Representations parentales des convulsions de l’enfant

plutot comme une negation de l’intensite du traumatismevecu, a l’origine d’une anxiete parentale prolongee.Quelques etudes parmi celles precedemment citees se sontaussi interessees aux interpretations parentales du malaisede leur enfant : au Danemark en 1991, plus d’un tiers avaientevoque des convulsions febriles et 8 % avaient cru quel’enfant s’etouffait [4]. En Turquie en 1995, 18 % avaient pensea un etouffement, 7 % a un malaise cardiaque [8]. En Inde en2001, parmi les parents (60 %) qui n’avaient pas reconnu lephenomene convulsif, 30 % avaient cru qu’il s’agissait d’uneperte de connaissance profonde (type malaise vagal), 11 % d’unmalaise cardiaque, 10 % de frissons lies a la fievre, 6,5 % d’unetouffement, 3 % d’une tres grande fatigue et 1,5 % ont cruque leur enfant avait ete intoxique. Ces interpretationsn’etaient pas significativement differentes selon le genreparental [9]. En France en 2004, face a une convulsion febrilela moitie des parents avait pense a une detresse respiratoireaigue par suffocation, 11 % a une ingestion de corps etrangeret 30 % a une crise d’epilepsie (ce qui est finalement unebonne interpretation) [7].Au travers et contrairement a ce que l’on aurait pu penser, lesdifferentes representations evoquees dans les entretiensn’etaient pas correlees a un bas niveau socioculturel. Nousavons ete finalement surpris par la pauvrete des representa-tions a propos des convulsions, constat identique a celuid’autres etudes, suisse [6] et francaise [7], dans lesquellesrespectivement 44 % et 58 % des parents n’avaient aucuneconnaissance de l’existence des convulsions febriles. La ques-tion qui se pose est celle du manque d’informations donneespar les personnels de sante au public, defaut pouvant contri-buer indirectement a perenniser les traumatismes psychologi-ques parentaux apres la crise. Le carnet de sante remis a tous lesparents lors de la naissance de l’enfant – pourtant reactualisede facon attractive en 2006 – ne mentionne pas l’existence desconvulsions febriles chez le jeune enfant. Ce choix a peut etreete fait pour privilegier d’autres informations concernant dessymptomes plus courants, ou pour eviter d’angoisser desparents a propos d’un evenement relativement rare. En France,l’etude menee en 2004 mentionnait que parmi les parents(42 %) ayant deja eu des informations sur les convulsionsfebriles, 8 % de l’information provenaient de la presse (maga-zines feminins ou de vie parentale), 5 % de l’entourage, 14 % parantecedents familiaux, 8 % de la formation professionnelle etseulement 3 % d’un medecin [7]. Une etude danoise a montre defacon significative que les parents ayant recu une informationprealable sur l’existence des convulsions febriles avaient mieuxreagi face a la convulsion de leur enfant [4] : cela prouve qu’unprogramme de prevention primaire par education parentaleaux convulsions et a la prise en charge d’un episode febrilefacilite la gestion d’une eventuelle crise.Les representations physiques autour du mot « epilepsie »etaient un peu differentes de celles attribuees au terme« convulsion ». L’evocation concernait un adulte ou un grandenfant tombant sur le sol : cette representation rappelle celle

qui designait l’epilepsie au Moyen Age. Parce que ce malfaisait tomber, on parlait de « mal caduc » (ou caduque) ou« morbus caductus » ou bien de « haut mal » car les patientstombaient de tout leur haut et de « mal de terre » car ceux quien etaient atteints tombaient a terre [15]. La decouverte laplus inattendue dans nos entretiens a ete de constater que,pour la grande majorite des parents, les convulsions n’etaientpas attribuees a un phenomene d’origine cerebrale. Le terme« convulsion » etait prononce pour signifier des mouvementsanormaux, sans en connaıtre l’origine, comme si ce motappartenait a l’inconscient collectif. Certains parents nousont avoue ne pas avoir compris pourquoi ils etaient hospita-lises dans un service de neuropediatrie, ou pourquoi lesmedecins s’interessaient tant au developpement psychomo-teur de leur enfant. Cela doit nous inciter a prendre le tempsd’expliquer en termes simples la relation convulsions-cerveau.Les interpretations parentales physiopathologiques ren-voyaient aux representations anciennes populaires oumedicales : les menstruations par exemple etaient souventcitees au XVIIIe siecle pour expliquer les convulsions : celles del’adolescente victime d’une crise, mais aussi celles de lanourrice, qui, alterant la qualite de son lait, entraınaientdes convulsions chez le nourrisson [16,17]. A cette epoque,les medecins rendaient souvent les emotions responsables deconvulsions : passions, colere, sautes d’humeur, vanite de lanourrice ou des enfants (frayeurs, rires, jeux excitants, mas-turbation) [16–18]. Les convulsions, consequences d’un carac-tere nerveux de l’enfant, citees par des parents, n’etaient passans faire reference aux ouvrages medicaux du XVIIIe et du XIXe

siecle : « les enfants sont forts sensibles et ont aisement lesnerfs entrepris. Ces attaques nerveuses sont proportionnel-lement plus vives chez eux que chez les adultes » [17].L’interpretation parentale de la convulsion comme pheno-mene nerveux fait analogie a la theorie des humeurs deGalien dans l’Antiquite, et la comparaison des nerfs auxcordes d’un instrument de musique : « Pour un homme quia des corps nerveux, comme sont les cordes de la lyre, parfoissi fortement tendus par l’intemperie excessive de l’airambiant qu’ils se rompent ». Dans l’etat de « vacuite » oude « repletion », les nerfs peuvent se rompre et provoquer lesspasmes musculaires [19]. Dans cette theorie, les convulsionssurvenaient lorsque les voies de conduction du fluide nerveuxetaient bouchees et retrecies, entraınant une congestion desvoies de distribution. Pour Hippocrate, la theorie des humeursconcernait le cerveau : en permettant l’evacuation du phle-gme cerebral en exces, la convulsion n’etait pas vue commeun evenement uniquement « parasite » [13,14]. Cette theorierejoint la notion parentale surprenante de convulsions« necessaires » et « salvatrices », les convulsions pouvantaider, par exemple, a diminuer la temperature centrale. Aucunparent n’a mentionne les poussees dentaires comme respon-sables de convulsions, alors que celles-ci avaient historique-ment la part belle des representations populaires (a l’originedu port des colliers d’ambre ou de pattes de taupe a

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visee protectrice) et des causes citees par les medecins du XIXe

siecle [20].Les resultats obtenus nous ont permis de mieux apprehen-der les angoisses parentales et de les prendre en conside-ration lors de la gestion d’une crise convulsive chez unenfant : comprendre parfaitement ce que les parents onten tete dans ce moment si stressant doit nous aider aadapter notre discours et nos explications et permettreainsi que les informations a donner aux familles soiententendues, comprises, acceptees et puissent alors les aidera surmonter le stress post-traumatique et a gerer de faconadaptee une eventuelle recidive.

5. Conclusion

L’approche anthropologique de parents ayant vecu pour lapremiere fois une crise convulsive generalisee chez leurenfant confirme le tres faible niveau de connaissances surce phenomene. Cette meconnaissance participe a l’entretiende l’anxiete parentale au cours et au decours d’une crise. Nousavons pu cibler les besoins de la population et optimiser lesmessages a transmettre, permettant a cette etude de repon-dre a 2 objectifs : aider les soignants a mieux comprendre lesfamilles et ameliorer ainsi leur accueil et leur prise en charge.A sa suite, un atelier educatif destine aux parents ayant vecuune convulsion a ete mis en place. Les themes abordes sont :l’origine physiopathologique simplifiee des convulsions, lescauses, l’aspect des crises convulsives, le risque de recidive, etla conduite a tenir (evaluation des parametres vitaux, instal-lation en position laterale de securite, administration dudiazepam intra-rectal, appel des secours). Cet atelier rencon-tre un vif succes, temoin d’une attente parentale probable-ment jusqu’alors sous-estimee.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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