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formation zoom 27 Actualités pharmaceutiques n° 507 Juin 2011 © Fotolia.com/Maxim Tupikov Après la déferlante médiatique, l’accalmie La campagne de presse, début 2011, sur les effets et méfaits du Médiator ® , puis la publication de la liste de 77 produits dits “dangereux” ont semé une certaine confusion dans les esprits. Ces événements ont soulevé des questions sur l’organisation actuelle de la pharmacovigilance. A u total, 2,6 millions de patients diabétiques ont été traités par le benfluorex (Médiator ® ), 145 millions de boîtes ont été dispensées en 33 ans de commercialisation. Ce médicament serait à l’origine de 465 décès, 3 500 hospitalisations pour insuffisance valvulaire et 1 750 chirurgies cardiaques (chiffres obtenus après cinq années de suivi). Des médicaments sur la sellette Ce sont les études Cnamts 1 et 2 qui ont publié des chiffres relatifs aux conséquences de la prise de benfluorex. La première étude met en évidence chez les diabétiques exposés au benfluorex en 2006, par rapport aux diabétiques non-exposés, entre 2006 et 2009, un risque d’hospitalisation pour valvulopathie multiplié par 3,1 et un risque d’intervention chirurgi- cale pour cette affection multiplié par 4,4. Ainsi, il peut être estimé que le risque global de décès est lui aussi multiplié par 3,1. La deuxième étude, intitulée Benfluorex, valvulopathies cardiaques et décès, réali- sée à la demande de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), a été suivie d’une commission nationale de pharmacovigilance exceptionnelle qui s’est tenue le 15 novembre 2010. Lors de cette séance, il a été reconnu que le risque d’atteinte cardiaque est accru lors de l’utilisation du benfluorex, ce qui avait déjà conduit au retrait de Médiator ® et de ses génériques, fin novembre 2009. Cependant, un an plus tard, ces études ont conduit l’Afssaps à renouveler ses recommandations aux

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Après la déferlante médiatique, l’accalmie

La campagne de presse, début 2011, sur les effets et méfaits du Médiator®,

puis la publication de la liste de 77 produits dits “dangereux” ont semé

une certaine confusion dans les esprits. Ces événements ont soulevé des questions

sur l’organisation actuelle de la pharmacovigilance.

Au total, 2,6 millions de patients diabétiques ont été traités par le benfluorex (Médiator®), 145 millions de boîtes ont été dispensées en

33 ans de commercialisation. Ce médicament serait à l’origine de 465 décès, 3 500 hospitalisations pour insuf fisance valvulaire et 1 750 chirurgies cardiaques (chiffres obtenus après cinq années de suivi).

Des médicaments sur la selletteCe sont les études Cnamts 1 et 2 qui ont publié

des chiffres relatifs aux conséquences de la prise

de benfluorex. La première étude met en évidence chez les diabétiques exposés au benfluorex en 2006, par rapport aux diabétiques non-exposés, entre 2006 et 2009, un risque d’hospitalisation pour valvulo pathie

multiplié par 3,1 et un risque d’intervention chirurgi-cale pour cette affection multiplié par 4,4. Ainsi, il peut être estimé que le risque global de décès est lui aussi multiplié par 3,1. La deuxième étude, intitulée Benfluorex, valvulo pathies cardiaques et décès, réali-sée à la demande de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), a été suivie d’une commission nationale de pharmacovigilance exceptionnelle qui s’est tenue le 15 novembre 2010. Lors de cette séance, il a été reconnu que le risque d’atteinte cardiaque est accru lors de l’utilisation du benfluorex, ce qui avait déjà conduit au retrait de Médiator® et de ses génériques, fin novembre 2009. Cependant, un an plus tard, ces études ont conduit l’Afssaps à renouveler ses recommandations aux

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patients ayant été traités par benfluorex, ce qui a déclenché une déferlante médiatique. Cette affaire est subitement devenue une cause nationale au détour de laquelle certains découvrent l’existence de la pharmaco vigilance, tandis que d’autres considèrent que notre système de protection sanitaire manque de transparence et de compétence.

Dans ce contexte et pour répondre à une exigence

européenne, le ministre en charge de la Santé,

Xavier Bertrand, a demandé la publication d’une

liste qui identifie les médicaments placés sous

surveillan ce renforcée et qui rassemble 77 médica-ments et 12 classes thérapeutiques (figure 1). Toutefois, par manque de clairvoyance et de pédago-gie, cette liste a été publiée sans explication, ce qui a pu entraîner des comportements à risque de la part des patients. Craignant de mettre leur vie en danger en utilisant ces médicaments, certains patients ont simplement interrompu leur traitement.Établie dans l’urgence, cette liste a-t-elle été érigée dans de bonnes conditions ? Fait-elle preuve de véra-cité ? Selon l’opinion du professeur Bernard Debré, député de Paris, auteur, avec le profes seur Philippe Even, président de l’Institut Necker , à Paris, du Rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments, remis le 17 mars 2011, elle est totalement erronée. De nombreux médicaments

n’y apparaissent pas, tandis que certains, parmi les produits mentionnés, n’ont aucun caractère dangereux.

L’organisation actuelle de la pharmacovigilanceDans cette avalanche d’informations, plus contradictoi-res les unes que les autres, il est bien difficile de trouver une réponse claire et précise aux nombreuses inter-rogations : que signifie l’expression “surveillan ce ren-forcée des médicaments” ? À quoi sert la pharmaco-vigilance ? Quel est le rôle de l’Afssaps ?C’est le retrait de la spécialité pharmaceutique Vioxx® (rofécoxib), en 2004, qui a conduit à la mise en place du système de surveillance renforcée, post-AMM, des médi-caments.

Après l’obtention de leur autorisation de mise sur le marché (AMM), les médicaments entrent dans la phase IV. Bien qu’ils aient subi toute une batterie de tests, d’études et d’évaluations avant de décrocher cette AMM, ce n’est qu’après une utilisation à grande échelle qu’il est possible de mieux connaître leur profil de tolérance. Ainsi, dès leur commercialisation, leurs effets indésirables font l’objet d’une surveillance : c’est le rôle de la pharmacovigilance. Certains de ces médicaments bénéficient même d’une surveillance renforcée ou particulière :– soit parce qu’il s’agit d’une nouvelle substance active ou d’une nouvelle classe pharmacologique ;

Recommandations pour l’emploi des coxibs actuellement

disponibles, Célebrex® (célécoxib), Dynastat® (parécoxib) et

Arcoxia® (étoricoxib) :

prescrite ;

À savoir

Figure 1 : Représentativité des laboratoires dans la liste des 77 médicaments. Les 9 principes actifs de la liste (médicaments contenant du dextropropoxyphène, fentanyl, isotrétinoïne, MEOPA, méthadone AP-HP sirop et gélules, méthylphénidate, nitrofurantoine, pholcodine, tramadol) ne sont pas indiqués dans ce graphique

Le saviez-vous ?Le rofécoxib (Vioxx®

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– soit en raison de la détection de nouveaux signaux de pharmacovigilance pour un médicament déjà commercialisé, qui nécessite une analyse approfondie et, le cas échéant, la prise de mesures adaptées.La pharmacovigilance est un système bien défini, qui se décline en plusieurs niveaux : régional, national et européen, chacun d’eux jouant des rôles précis (figure 2).

À l’échelon européen

Le groupe de travail, dit Pharmacovigilance working party est un véritable forum de discussions et d’échanges qui peut être saisi à la demande du Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP) de European Medicines Agency (EMA) ou des états membres. Il peut aborder aussi bien les problèmes de sécurité d’emploi rencontrés après l’AMM qu’en cours d’évaluation des dossiers d’AMM si besoin. Il permet également des échanges réguliers avec l’administration américaine.Ce système européen permet :– une identification rapide et efficace des problèmes ;– une coopération dans l’évaluation des risques liés à l’utilisation des médicaments ;– la prise de mesures pour répondre à un problème donné ;– la diffusion d’une information commune sur les spécialités.Par ailleurs, il existe une base de données européenne, l’EudraVigilance, dont l’objectif est :– de développer des outils permettant le traite-ment et la transmission électronique d’observations individuelles ;– d’améliorer la communication et faciliter la coopé-ration entre les autorités compétentes.

Au niveau national

L’Afssaps est l’autorité compétente en matière de pharmacovigilance. Elle veille à la sécurité de l’emploi des médicaments et contribue à leur bon usage. Elle assure la mise en œuvre et coordonne le système national. Cette veille sanitaire repose sur :– le signalement des effets indésirables par les profes-sion nels de santé et les industriels ;– le recueil, l’exploitation et l’évaluation de toute infor-mation concernant les risques d’effets indésirables ;– la réalisation d’études ou de travaux les concernant ;– la mise en place d’actions nécessaires à l’exercice de la pharmacovigilance ;– la prise de mesures correctives ou préventives.Ces missions sont assurées, en son sein, par le Département de l’évaluation thérapeutique de la Direction de l’évaluation des médicaments et des

produits biologiques (Demeb) dont le rôle consiste notamment à :– évaluer toutes les déclarations d’effets indésirables qui lui parviennent ;– informer les professionnels de santé des procédu-res et des recommandations établies ;– coordonner l’activité des centres régionaux de pharmaco vigilance (CRPV) ;– mettre en place des groupes de réflexion scientifi-que et méthodologique ;– assurer le secrétariat du Comité technique et de la Commission nationale de pharmacovigilance ;– être en liaison permanente avec les autres directions de l’Afssaps, le Comité de coordination des vigilan-ces et les autres unités de vigilance (matériovigilance, hémovigilance, réactovigilance, biovigilance…). La Commission nationale de pharmacovigilance

a pour mission :– d’évaluer les informations sur les spécialités et produits à usage humain ;– de proposer des enquêtes et des travaux ;– de donner un avis au directeur général de l’Afssaps sur les mesures à prendre pour faire cesser les acci-dents et accidents liés à l’emploi des médicaments et produits de santé. Le Comité technique est chargé de :

– coordonner et évaluer les informations relatives aux effets indésirables des produits de santé ;– proposer, mettre en place et évaluer les enquêtes demandées aux CRPV et industriels.

Au niveau régional

Les 31 CRPV se situent au cœur du système de déclaration puisqu’ils assurent le recueil et la trans-mission des effets indésirables à l’Afssaps. Ils ont la charge de remplir une mission d’expertise au sein

Figure 2 : Organisation actuelle de la pharmacovigilance.

DEMEB : Direction

de l’évaluation des

médicaments et des

produits biologiques

DGS : Direction

générale de la santé

DHOS : Direction de

l’hospitalisation et de

l’organisation des soins

Afssaps : Agence

française de sécurité

sanitaire des produits

de santé

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du système national de pharmaco vigilance en condui-sant les enquêtes et/ou en assurant une évaluation de dossiers (demande d’AMM, demande de modification d’information…). Ils assurent également une mission d’information en renseignant les professionnels de santé et en participant à leur formation. Les professionnels de santé, dès qu’ils soupçon-

nent un lien, même s’il n’est pas avéré, doivent, sans délai, adresser au CRPV une déclaration d’effets indé-sirables graves ou inattendus susceptibles d’être en lien avec la prise d’un médicament. Les laboratoires pharmaceutiques doivent mettre

en place leur propre service de pharmacovigilance dans le but d’assurer le recueil, l’enregistrement et l’évaluation des informations relatives aux effets indé-sirables des médicaments qu’ils commercialisent. Les patients ou associations de patients peuvent

se rapprocher d’un professionnel de santé afin de remplir une déclaration de pharmacovigilance dans le cas où ils pensent être victimes de la survenue d’un effet indésirable susceptible d’être dû à un médicament.

À propos des 77 médicaments placés sous surveillance renforcéeAu sein de la liste des 77 médicaments et 12 classes thérapeutiques placés sous surveillance renfor-cée établie à la demande de Xavier Bertrand, les médicaments peuvent être classés selon quatre critères :– retirés ou susceptibles d’être retirés du marché ;– réévaluation du rapport bénéfice/risque ;– examen par le Comité technique de pharmaco-vigilance ;– maintien de la surveillance ou à une surveillance renforcée (tableau 1).À travers cinq spécialités, qui sont ou seront retirées du marché très prochainement (Célance®, Diantalvic® et Propofan®, Fonzylane® et Noctran®), il est possible de mieux comprendre la procédure.

Célance®

Le pergolide (Célance®) a été retiré du marché en mai 2011. Cette spécialité était suivie en pharmaco-vigilance depuis 2003. Dès la fin de l’année 2004, sa prescription connaissait un encadrement très strict en raison de la survenue de valvulopathie chez les patients exposés à la molécule.En décembre 2004, l’AMM de Célance® a été modifiée. Ce médicament est dès lors indiqué en traitement de dernière intention chez des patients qui connaissent un échec à toutes les autres alternatives thérapeu-tiques aux autres dopaminergiques. Il doit être initié par un neurologue. Enfin, en raison d’un effet indési-rable notoire, une surveillance devient impérative avec l’obligation de réaliser une échographie cardiaque avant et pendant le traitement.La prescription devenant ainsi très encadrée, le nombre de patients traités par Célance® a inexora-blement chuté, passant de 14 000 en 2004 à environ 1 000 en 2010.En janvier 2011, la Commission de transparence a jugé le service médical rendu (SMR) de ce médica-ment insuffisant. Il ne peut donc plus prétendre à un remboursement par l’Assurance maladie.Par ailleurs, des alternatives thérapeutiques existent puisque d’autres dopaminergiques sont disponibles sur le marché pour traiter la maladie de Parkinson.Ce médicament, lancé sur le marché en 2000, arrivait en fin de cycle de vie. Les laboratoires Lilly avaient prévu à moyen terme de cesser sa commercialisation.

Diantalvic® et Propofan®

Les médicaments contenant du dextropropoxyphène, comme Diantalvic® et Propofan®, ont tous été retirés du marché le 1er mars 2011. L’Afssaps a proposé ce retrait à la suite d’une décision européenne, mais aussi en rai-son d’une étude communiquée, le 19 novembre 2010, par la Food and Drug Administration (FDA). En effet, de nouvel les données suggèrent un risque d’allonge-ment de l’intervalle QT1, connu en cas de surdosage. Ce risque peut survenir à des doses de l’ordre du double des posologies quotidiennes maximales recommandées

®

À savoir

Tableau 1 : Liste des médicaments retirés,

susceptibles d’être retirés du marché ou en cours de réévaluation

Retirés ou susceptibles d’être retirés du marché

Réévaluation du rapport bénéfice/risque

Examen par le Comité technique de pharmacovigilance

Maintien de la surveillance ou à une surveillance renforcée

Célance®, Diantalvic® et

Propofan®, Fonzylane®,

Lipiocis®, Noctran®

Actos®, Alli®,

Hexaquine®,

Ketum®,

Mynocine®,

Multaq®, Nexen®,

Parlodel®,

Tysabri®, Vastarel®

Arcoxia®, Arixtra®, Byetta®, Champix®, Cimzia®,

Cymbalta®, Efient®, Ellaone®, Equanil®,

Ferristat®, Galvus® et Eucreas®, Glivec®,

Lyrica®, Mepronizine®, Meopa®, Ritaline®,

Onglyza®, Pédea®, Pradaxa®, Procoralan®,

Protopic®, Roacterma®, Rohypnol®, Soriatane®,

Stablon®, Stelara®, Stilnox®, Subutex®,

Thalidomide Celgene®, Toctino®, Trivastal®,

Vfend®, Xarelto®, Zypadhera®, Zyloxid®

Cervarix®, Exjade®,

Isentress®,

Protelos®, Revlimid®,

Xyrem®, agonistes

dopaminergiques,

biphosphonates, vaccins

antigrippe H1N

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Actualités pharmaceutiques n° 507 Juin 2011

en France. Par ailleurs, en raison d’une diminution de l’élimination hépatique et rénale, le sujet âgé pourrait être exposé à un risque de modification de l’électrocar-diogramme (ECG) aux doses thérapeutiques maximales de dextro propoxyphène recommandées en France. En 2004, la réévaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments contenant du dextropropoxyphène a conduit la Suède et le Royaume-Uni à retirer du marché l’association dextropropoxyphène-paracé-tamol (DXP/PC). Cette décision a été motivée par le nombre important de décès constatés dans ces deux pays (200 par an en Suède ; 300 à 400 par an au Royaume-Uni), dans un contexte d’intoxications, souvent volontaires.

Fonzylane®

Le buflomédil (Fonzylane®) est un vasodilatateur périphérique indiqué dans le traitement des symptô-mes de la claudication intermittente provoquée par l’obstruc tion des artères des membres inférieurs. Il est à l’origine, en cas de mésusage ou d’intoxica-tions volontaires ou accidentelles, de troubles neuro-lo gi ques et cardiaques.Trois enquêtes ont été diligentées à la demande de l’Afssaps, en 1997, 2005 et 2010.À la suite de la première, des mesures visant à enca-drer la prescription de Fonzylane® ont été adoptées :– diminution de la dose chez les patients souffrant d’insuffisance rénale ;– réduction du nombre de comprimés par boîte ;– étude du rapport bénéfice/risque demandée au laboratoire titulaire de son AMM.La deuxième enquête a mis à nouveau en évidence un mésusage important de ce médicament. Ainsi, Fonzy-lane® dosé à 300 mg a été retiré du marché. Enfin, à l’issue de la dernière étude, devant la persis tan ce du mésusage, le non-respect de la dose, l’absen ce de surveillance de la fonction rénale et une mortalité par intoxication, la Commission nationale de pharmaco-vigilance a conclu que le rapport bénéfice/risque était inacceptable. Le 27 janvier 2010, la Commission d’AMM votait à l’unanimité contre le maintien sur le marché du buflomédil.

Noctran®

Noctran® est une association de trois principes actifs hypnotiques et sédatifs : clorazépate dipotassique, acépromazine et acéprométazine. Ce médicament est ainsi une association de principes actifs qui additionnent tous les effets indésirables des benzo-diazépines et des phénothiazines. Il s’agit d’une “soupe” d’hypno tiques indiquée, depuis 1988, dans les troubles sévères du sommeil, en cas d’insomnie occasionnelle ou transitoire.

Il n’est donc pas surprenant que la Commission d’AMM ait considéré le bénéfice/risque de Noctran® défavorable et voté contre son maintien sur le marché , pour les raisons suivantes :– l’association des trois principes actifs n’a pas démontré d’intérêt en termes de bénéfice par rapport à un seul principe actif à dose adaptée ;– les données fournies mettent en évidence une importante utilisation chronique (contraire aux indi-cations de l’AMM) ;– Noctran® est prescrit le plus souvent à des individus de plus de 65 ans à une dose de plus de 10 mg/jour alors que la posologie recommandée dans cette population est de 5 mg/jour.Des effets indésirables graves neurologiques et psychia triques ont été notifiés : confusion mentale, somnolence et syndrome parkinsonien.

Vers une nouvelle organisation de la pharmacovigilance française ?L’Afssaps et l’organisation de la pharmacovigilance se sont trouvées vivement critiquées en raison « d’un manque de compétence et de transparence » tant dans l’affaire Médiator® qu’à propos de la publi-cation de la liste des médicaments placés sous surveillan ce renforcée. Le Rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments, remis, en mars dernier, par les profes-seurs Bernard Debré et Philippe Even, affirme que les experts de l’Afssaps manquent d’expérience et que la “liste des 77” est « un terrible aveu involontaire et pathé-tique d’incompétences ». Ses auteurs proposent une nouvelle organisation du système français d’évaluation et de surveillance des médicaments (figure 3).

Recommandations aux patients

Figure 3 : Nouvelle organisation des structures de surveillance et d’évaluation des médicaments.

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Actualités pharmaceutiques n° 507 Juin 2011

Tout d’abord, il serait, selon eux, urgent d’adapter les agences à leurs missions. Chaque structure doit avoir un objectif assigné : un objectif, une agence, trois objectifs, trois agences.

La Haute Autorité de santé serait recentrée sur la mission stratégique globale qui vise à guider et régu-ler l’exercice pratique de la médecine, l’organisation de soins et les actions collectives de santé publi-que et de prévention, en se fondant sur des données scientifiques et économiques. Une Agence du médicament en charge de l’éva-

luation et de la surveillance du médicament serait amenée à remplacer l’Afssaps. Cette structure aban-donnerait tout ce qui concerne le sang, les produits dérivés et l’hémovigilance. Elle devrait être dirigée par un médecin de haut niveau, ne déclarant aucun conflit d’intérêt, qui coordonnerait deux agences autonomes et complémentaires : l’Agence d’évaluation du médica-

ment et des produits de santé, l’AEM(PS), et l’Agence nationale de pharmacovigilance, l’ANPV.L’AEM réunirait les missions des commissions d’AMM et de la transparence : missions d’analyse scientifi-que de haut niveau des dossiers et essais clini ques présentés par les firmes pour obtenir l’AMM ou son renouvellement. Par ailleurs, elle aurait en charge la mission d’évaluation comparative et de classement des molécules en cinq groupes d’amélioration du service médical rendu (ASMR) qui conditionnent le taux de remboursement.L’ANPV, dont la mission serait l’analyse rapide et réactive de terrain, devrait être « rigoureuse, intègre, experte et surtout rapide ». Elle aurait pour rôle d’ana-lyser les informations issues de l’industrie pharma-ceutique et des alertes venues du terrain (pharma-ciens et médecins). Les alertes graves et urgentes devraient être traitées immédiatement. Les alertes de

Actualités pharmaceutiques : Pourquoi

avez-vous accepté, avec le professeur

Bernard Debré, d’écrire un rapport sur

les dysfonctionnements de l’Agence

française de sécurité sanitaire des

produits de santé (Afssaps) ?

Philippe Even : Depuis dix ans, j’ai écrit et coécrit de nombreux livres et des préfa-ces concernant l’industrie pharmaceutique et le système de suivi des médicaments. L’affaire Médiator® nous a mis en position d’être écoutés par les pouvoirs publics qui étaient inquiets. Rapidement, le prési-dent de la République, Nicolas Sarkozy, et son ministre en charge de la Santé, Xavier Bertrand, ont souhaité une réforme du sys-tème de contrôle des médicaments. Xavier Bertrand nous a confié une mission très importante. Nicolas Sarkozy a souhaité que nous allions très vite et, en moins de deux mois, nous avons rédigé ce rapport1 qui, je l’espè re, servira de base à la rédac-tion d’une loi qui devrait paraître courant septem bre- oc to bre 2011. Par ailleurs, Xavier Bertrand a lancé les Assises du médicament qui ont dû réfléchir sur les problèmes posés par Médiator®. Deux mis-sions, au Sénat et à l’Assemblée nationale, portent également sur ce sujet. L’ensem-ble – ces missions et notre rapport – doit permettre de formuler les conclusions nécessaires à l’évolution de notre système d’évaluation des médicaments.

AP : Votre rapport se montre très viru-

lent, pour quelle raison ?

P. E. : L’Afssaps est une illusion. L’affaire Médiator® et, plus encore, la diffusion sans explication de la liste des 77 médi-caments prouvent la faillite de cette ins-titution. D’ailleurs, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en a analysé toutes les étapes. Tout va de travers à l’Afssaps. Il n’y a jamais eu de vérita-ble audit. Deux rapports de la Cour de Comptes et un du Sénat ont prouvé la défaillance de cette agence et des hom-mes qui y travaillent. Il s’agit d’une impor-tante machine administrative scindée en 102 structures différentes et cloisonnées, sans communication entre elles et, pire, placées en concurrence. Les “experts” qui y travaillent ne sont pas qualifiés pour les missions qui leur sont confiées. N’importe quel jeune pharmacien ou médecin peut y devenir expert.

AP : Comment recruter des experts

qualifiés ?

P. E. : Ceci est très simple. Il suffit de nommer des individus en fonction de ce qu’ils ont fait. Il peut s’agir d’universitaires qui sont reconnus pour leur travail et leurs publications. Il faut dire que les praticiens hospitaliers ont trois missions : les soins, l’enseignement et la recherche. Mais il faut y adjoindre une quatrième mission , qui

serait peut-être la plus importante : l’éva-luation de l’efficacité et de la sécurité des médicaments. Ces experts seraient donc nommés en fonction de leurs compéten-ces et de leur indépendance. Par ailleurs, leurs décisions devraient obligatoirement être motivées et diffu sées. Cette dispo-sition incite à faire preuve de bien plus de responsabilité que lorsque la décision reste anonyme et collective. Aujourd’hui, certains “experts” prennent des positions sur des sujets qu’ils ne maîtrisent même pas. Nous, ce que nous souhaitons, c’est du haut de gamme !

AP : Vous souhaitez que l’Agence du

médicament soit dirigée par un méde-

cin. Pourquoi un médecin plutôt qu’un

pharmacien ?

P. E. : Quand nous citons “médecin”, nous parlons au sens large. Il est évident qu’un pharmacien pourrait être à la tête de cette agence. Quoique ! Même si les pharmaciens sont reconnus comme les experts du médicament, ils ne maîtrisent pas assez les pathologies. Les médecins ont l’avantage d’être des praticiens de terrain qui connaissent les maladies, leurs étiologies ainsi que les thérapeuti-ques. Ainsi, nous pensons qu’un méde-cin serait le mieux qualifié pour assurer cette fonction. Mais, je me contenterai d’un pharmacien.

La parole au professeur Philippe Even

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Actualités pharmaceutiques n° 507 Juin 2011

terrain, nombreuses (une toutes les trente secondes), devraient être simplifiées, électroniques, centralisées à Paris et traitées par un algorithme informatique. « Tout doit être fait pour accroître la réactivité et la vitesse. » Les CRPV ne seraient plus impliqués dans le

proces sus déclaratif, mais resteraient chargés de missions d’expertise complémentaires et d’évaluation auprès des médecins et pharmaciens régionaux.Par ailleurs, les auteurs de ce rapport insistent sur la compétence des experts nommés dans ces agences. Ils souhaitent un modèle d’agence s’appuyant sur un petit nombre de “surexperts” internes, sans conflit d’intérêt, un à deux par discipline médicale, soit 20 à 40 de haut niveau, bien rémunérés et détachés des universités. Leur recrutement s’effectuerait par appel d’offres, sur des critères scientifiques, biologiques ou cliniques d’excellence.

Les Prs Debré et Even appellent également de leurs vœux l’indépendance des experts, des membres des commis-sions et des directions internes de l’Agence à l’égard des firmes pharmaceutiques, ce qui supposerait :– la déclaration publique obligatoire et bilatérale de tous les liens entre médecins et firmes ;– la mise en place d’une cellule déontologique.Enfin, il serait judicieux que les agences et leurs experts aient le « courage d’assumer les responsa-bilités de leurs décisions ». Ainsi, ils proposent que toute décision prise soit accompagnée de la signature de celui qui en prend la responsabilité, tous les avis et décisions des agences devant donc être pris et assumés en toute clarté. �

Yannick Frullani

Docteur en pharmacie, Argentat (19)

[email protected]

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

AP : En terme de pharmacovigilance,

vous souhaitez que les informations

soient traitées beaucoup plus rapide-

ment qu’elles ne le sont actuellement.

Quel système souhaitez-vous mettre en

place pour y parvenir ?

P. E. : Avant de parler d’analyse, il faut évoquer la transmission des informations. Aujourd’hui, 10 % d’entre elles ne remontent pas au niveau national. Par ailleurs, la rédac-tion d’une déclaration de pharmacovigilance prend beaucoup trop de temps (environ une journée). Je pense que les médecins ont autre chose à faire. Il faut absolument simplifier la démarche qui ne devrait prendre qu’un quart d’heure, en tenant compte du nom du médicament en dénomination commu ne internationale (DCI), de la maladie du patient, des pathologies associées et de la nature des complications.La transmission des informations doit se faire de manière électronique et centra-li sée. Il n’est pas justifié de passer par les centres régionaux de pharmacovigi-lance (CRPV). Il faut mettre en place un système informatique et un moteur de recherche qui fonctionnerait à la manière de Google. Nous pouvons alors définir un seuil de déclenchement d’alerte. Une fois celle-ci lancée, il est possible de mettre en place une enquête de pharmacovigilance orchestrée par les hommes de terrain qui travaillent dans les CRPV. Ils seront chargés

d’analyser et de valider ces déclarations. S’ils considèrent qu’il existe effectivement un risque, ils devront en informer l’Agence du médicament. Les experts de l’Agence analyseront le dossier et prendront la déci-sion la plus adaptée, c’est-à-dire : retrait temporaire du médicament pour approfon-dir les investigations, demande de retrait auprès de l’agence européenne, simple modification ou précision(s) sur les condi-tions d’utilisation du médicament…Je dois ajouter qu’il est obligatoire de déclarer des effets indésirables ou inat-tendus. Pourtant, certains pharmaciens respon sa bles de la pharmacovigilance dans l’industrie pharmaceutique ne le font pas. Pourquoi à votre avis ? Tout simple-ment parce que leurs supérieurs hiérarchi-ques ne le veulent pas.

AP : Que pensez-vous de la liste des

77 médicaments ?

P. E. : Cette liste, c’est du n’importe quoi et elle démontre, elle aussi, la faillite de l’Afssaps . Elle a diffusé, sans prévenir les prescripteurs et les officinaux, une liste de médicaments qui sont, pour certains, dangereux et pour d’autres, non. Elle a prouvé qu’elle était inca-pable de hiérarchiser les risques et de com-muniquer. Par exemple, la spécia li té Nexen® est encore sous surveillan ce renforcée alors que nous savons tous très bien qu’elle est dangereuse. Il existe tant de médicaments

inutiles et inefficaces. L’Afssaps a laissé apparaître sur le marché les “me-too” et autres médicaments tout aussi inutiles que dangereux, comme les nouveaux antidia-bétiques oraux (gliptines et glitazones) alors que, dans ce cas précis, la metformine et les sulfa mi des hypoglycémiants sont les plus efficaces et présentent beaucoup moins d’effets secondaires.

AP : Pensez-vous que vos propositions

vont être appliquées ?

P. E. : Oui, une partie d’entre elles en tout cas. Xavier Bertrand souhaite vivement réformer notre système d’évaluation et de contrôle des médicaments. Déjà, je me réjouis que le nouveau directeur de l’Afssaps soit un médecin reconnu : le professeur Dominique Maraninchi. Ensuite, il faut absolument faire fusionner la commission de transparence et la commission d’AMM au sein de l’Agence du médicament. Xavier Bertrand souhaite mettre en place un système basé sur une politique très rigoureuse : une agence, une mission, avec des experts qui n’auraient aucun conflit d’intérêt. Enfin, avec le pro-fesseur Bernard Debré, nous préparons une proposition de loi qui devrait servir de base à l’élaboration d’un projet gouvernemental. �

Propos recueillis par Yannick Frullani

Note1. Cet intervalle

correspond au temps

de systole ventriculaire,

qui va du début

de l’excitation des

ventricules jusqu’à la fin

de leur relaxation