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Apres Les Emergents
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Apres les émergents, le temps des divergents
Même si l’expression évoquait en Europe l’inquiétante montée en puissance de
nouvelles économies, sans pitié pour nos industries et nos emplois, parler de pays « émergents
» témoignait d’un double optimisme. Cela supposait d’une part l’idée d’un rattrapage : les
pays « émergents » allaient rejoindre la situation moyenne des pays développés, c’est-à-dire
s’aligner sur une norme, économique et politique, représentée par les pays occidentaux. La
métaphore donnait aussi l’image d’une sorte de convergence entre des pays aux intérêts
communs, unis dans un processus d’affirmation de leur puis - sance. Entre autres, les
emblématiques B RIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) semblaient participer ensemble au
bouleversement du rapport de force mondial, à mesure de leur contribution toujours plus
affirmée à l’économie globale.
Or si l’on observe la trajectoire de ces quatre pays, ce sont aujourd’hui les divergences
bien plus que les convergences qui sautent aux yeux. Tout d’abord, il n’est pas question pour
eux de se fixer sur un point de référence commun, même comme repoussoir : les États-Unis
ne sont plus l’hyperpuissance, le monde occidental n’a plus les moyens ni la légitimité
d’imposer ses préférences. Mais dans le chaos stratégique global, les émergents n’ont pas
imposé de voix alternative. Ils ne sont pas prêts à assumer les responsabilités d’une
diplomatie d’envergure mondiale. Et pour cause : ils ne partagent ni les mêmes intérêts ni les
mêmes visions de l’ordre inter - national. Les Chinois et les Russes, malgré les accords
commerciaux récents sur le gaz, n’ont pas de stratégie commune et ne s’allient que dans leur
peur des mouvements démocratiques à Kiev ou à Hong Kong. La Chine veut à tout prix éviter
une évolution à la russe, qui signifierait la fin du monopole du parti communiste. La Russie
s’engouffre dans une nouvelle idéologie nationaliste slave sans pouvoir d’attraction
d’envergure internationale. L’Inde et la Chine restent des rivaux asiatiques. Le Brésil, en plein
marasme écono - mique, est trop absorbé par ses difficultés internes pour s’imposer sur la
scène globale.
Le développement économique de ces pays est aussi divergent. Le Brésil et la Russie
subissent un ralentissement de leur déve - loppement, avec des économies très dépendantes
des matières premières ou des hydrocarbures, tandis que la Chine et l’Inde commencent à
élargir leurs capacités au-delà de la sous-traitance industrielle. Si le début de décollage
économique a permis à ces pays de faire sortir de larges parts de la population de la pauvreté,
il s’en faut de beaucoup pour que leur situation soit stabilisée. L’absence de protection
sociale, d’épargne et d’accès à l’éducation fait vite retomber les familles modestes dans la
pauvreté dès que l’économie ralentit.
Or ces classes moyennes émergentes devaient, dans un scénario optimiste de
convergence mondiale, créer les conditions d’une demande démocratique plus large. Là aussi,
la discorde s’impose. Alors que l’Inde et le Brésil ont connu des élections ces derniers mois,
la situation politique régresse dangereusement en Russie et en Chine. Confronté à de
mauvaises perspectives économiques, Poutine use de la propagande et de la menace pour
asseoir son avenir sur un nationalisme agressif. En Chine, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi
Jinping, la répression s’est accentuée contre les défenseurs des droits de l’homme et les
manifestants de Hong Kong ont été traités sans état d’âme. Du point de vue démocratique, il
n’y a pas de BRIC, pas de trajectoire uniforme ni même tangentielle aux normes européennes.
Mais l’Europe elle-même n’est pas à l’abri. La crise des dettes souveraines montre
que les économies de la zone euro n’ont pas convergé malgré la monnaie unique. Les normes
démocratiques, un socle fondateur de l’Union européenne, sont en outre aujourd’hui
ouvertement contestées par Viktor Orb án, le Premier ministre hongrois, qui n’hésite pas à
faire l’éloge du « capitalisme autori - taire » et de l’« État non libéral », comme s’il voulait
s’inspirer de Moscou et de Pékin… Une voie directe vers les États désunis d’Europe.
Esprit Novembre, 2014