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Architectecture et nature Le rapport entre l’édifice et son sol: Comment la distanciation de l’architecture vis- à-vis de la nature se traduit-elle dans le rapport au sol chez Souto de Moura ? Guillemette Poirier Mémoire de master Janvier 2011 Directeurs de mémoire Jean-François Blassel Juliette Pommier Ecole d'architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée Document soumis au droit d'auteur

Architectecture et nature Le rapport entre l’édifice et ...mes.marnelavallee.archi.fr/mes/072010333.pdf · (habitations individuelles) de l’architecte portugais Eduardo Souto

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Architectecture et natureLe rapport entre l’édifice et son sol:Comment la distanciation de l’architecture vis-

à-vis de la nature se traduit-elle dans le rapport

au sol chez Souto de Moura ?

Guillemette Poirier

Mémoire de masterJanvier 2011

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Juliette Pommier

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Le thème «architecture et nature» est abordé à travers le rapport qu’entretient un édifice avec le sol. La nature comme sol représente les fondations de l’architecture. Aujourd’hui ces deux entités sont considérées comme distinctes : comment cette distanciation se traduit-elle dans le rapport au sol?Cette question est d’abord brièvement illustrée par des réalisations de différentes cultures et époques, puis développée par l’analyse de trois projets contemporains (habitations individuelles) de l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura.

Deux niveaux de distanciation sont ainsi distingués: une séparation affichée entre les deux entités d’une part, et une fusion apparente d’autre part mais dans laquelle il existe toujours une opposition, plus subtile.Dans le premier cas, l’étude des maisons de Ponte de Lima et de Cascais montre que les bâtiments se libèrent à première vue des contraintes gravitaires : ils semblent posés dans une pente sans glisser ou flottent au-dessus d’un terrain irrégulier (le sol naturel est alors aménagé comme un étage de l’habitat avec une terrasse ou une piscine). Ce contraste est renforcé par la recherche d’abstraction dans la matérialité des maisons - des cubes blancs. Le détachement des édifices vis-à-vis du contexte est perceptible à l’intérieur car les vues sont cadrées sur le paysage lointain. Les différents traitements de sol, depuis l’extérieur naturel à l’intérieur artificiel, permettent également de générer l’opposition architecture / nature.Dans le second cas, la maison de Moledo disparaît dans les courbes du paysage qu’elle met en valeur car ses murs prolongent les terrassements agricoles de la montagne. La topographie du terrain est soulignée par l’intégration du bâtiment qui utilise la matérialité du sol à son édification. Mais c’est l’action de l’homme qui la transforme en matière à construire. La limite entre les deux entités, nature et architecture, est volontairement gommée mais quelques indices permettent encore de différencier la nature sauvage de la nature artificielle, comme l’affleurement de roches granitiques mis en vitrine derrière une paroi vitrée.

Résumé

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The subject «architecture and nature» is treated through the relations that a building has with the ground. The nature as a ground represents the foundation of the architecture. Currently, these entities are distinct: how this separation is conveyed in the relations with the ground?At first, this question is briefly illustrated with realizations of different cultures and times. Then it is developped with the analysis of three contemporary projects (single dwellings) built by the Portuguese architect Eduardo Souto de Moura.

Two levels of detachment are distinguished: a declared separation between the two entities on the one hand, and an apparent fusion on the second hand but always with an opposition, more subtle.In the first case, the study of the houses in Ponte de Lima and Cascais shows that buildings seem released from the gravitational constraints: they are put on a slope without slipping or they are floating over an uneven terrain (the natural soil is then laid out as a floor housing with a terrace or a swimming pool). This contrast is strengthened by the research of abstraction in the materiality of the houses - white cubes. The detachment of the buildings towards the environment is dicernible from the inside because the views are centered on the distant landscape. The various treatments of the soil, from the natural outside to the artificial inside, enable also to generate opposition between architecture and nature.In the second case, the house in Moledo disappears in the curves of the landscape it highlights because its walls extend the agricultural terracing of the mountain. The topography is emphasized by the integration of the building that uses the materiality of the soil. But it is the action of the man which transformed it into building materials. The boundary between the two entities - nature and architecture - is voluntarily erased, but some clues still allow to differentiate the wild nature from the man-made nature, as the outcrop of granite rocks showcased behind a glass wall.

Abstract

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Mémoire de master Matières à penserJanvier 2011

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Introduction 7

1. Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

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1.1 L’édifice est posé sur le sol 13

Opposition entre perception extérieure et structure révélatrice 15

Depuis l’intérieur : organisation spatiale et traitement de la relation au sol 21

Transition entre extérieur et intérieur (nature/architecture) : une continuité rompue?

23

1.2 L’édifice est détaché du sol 25

Opposition entre perception extérieure et structure révélatrice 27

Depuis l’intérieur : organisation spatiale et traitement de la relation au sol 31

Transition progressive entre extérieur et intérieur 31

2. Une distanciation subtile: la réalisation du lien entre nature et architecture 35

2.1 Deux catégories liées 35

L’édifice est intégré dans le sol 36

L’édifice expose le sol 38

2.2 L’illusion d’une apparente fusion 41

Depuis l’extérieur : une nature artificielle 42

A l’intérieur : contraste entre nature et artefact 43

Transition entre extérieur et intérieur : propagation de la nature dans l’architecture

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Conclusion 49

Bibliographie 53

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Ce mémoire s’inscrit dans le thème du séminaire « nature, architecture et culture » qui s’interroge sur les différents rapports entre l’architecture et la nature : des rapports de mimétisme (la nature comme modèle dans ses formes ou dans sa logique mécanique), des rapports abstraits (la nature vue à travers les cultures traditionnelles), des rapports plus concrets, comme l’usage des ressources naturelles en architecture ou la construction dans des situations extrêmes (mer, montagne…).

D’après le théoricien Gottfried Semper, l’architecture est formée de quatre éléments : les fondations, le foyer, la structure-toiture et la membrane légère des parois1. Les fondations représentent l’assise de base pour un édifice, le lien entre sol et architecture. Pour Merleau-Ponty, « la nature est un objet énigmatique, un objet qui n’est pas tout fait objet ; elle n’est pas tout à fait devant nous. Elle est notre sol, non pas ce qui est devant, mais ce qui nous porte. »2. La nature en tant que sol semble donc représenter les fondements de l’architecture, une base indispensable, à l’origine de son existence. C’est pourquoi j’ai choisi d’aborder le thème architecture et nature à travers le rapport au sol, c’est-à-dire les modalités d’insertion de l’architecture dans la nature, ainsi que sa position dans son site d’implantation. La liaison entre le bâtiment et le sol peut être influencée par les caractéristiques du terrain : culture, conditions climatiques du site, caractéristiques topographiques et matérielles du sol. Dans ce mémoire, je m’intéresse à la distanciation théorique et concrète de l’architecture vis-à-vis de la nature dans laquelle elle s’implante. Ce terme provient de l’allemand « Verfremdung » qui désigne le mouvement fait pour prendre du recul et caractérise le théâtre épique de Brecht3, dans lequel le jeu de l’acteur, la scénographie et la musique mettent en place une distance entre les évènements et le spectateur, permettant à ce dernier de conserver sa position d’observateur et sa liberté critique vis à vis du récit.

1 Semper G., Du style et de l’architecture [Ecrits 1834-1869], éditions Parenthèses, Marseille, 20072 Merleau-Ponty M., La nature – notes, Paris, cours du Collège de France, 1995, pp.19-20.3 Encylopaedia Universalis, Paris, éditions Universalis, 1996.

Introduction

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En architecture, cette distanciation par rapport à la nature est caractéristique du travail de certains architectes du mouvement Moderne, qui – comme le Post-modernisme - n’utilise pas le vocabulaire qui existe dans la culture traditionnelle et cherche à recréer un nouveau langage. D’où la provocation de ruptures. Dans l’avant-propos de son ouvrage Anachroniques d’architecture, le théoricien et architecte Bernard Huet parle de « signes abstraits qui n’ont plus aucun rapport avec la culture matérielle qui les a fait surgir »1 .

En effet, architecture et nature sont considérées aujourd’hui comme deux entités séparées, et dans ce mémoire, j’étudierai cette distanciation dans le cas du rapport au sol. Dans l’architecture vernaculaire, le terrain devient l’édifice et les deux sont indifférenciés, mais actuellement, un bâtiment peut être détaché du sol ou bien fusionner – en apparence - avec son environnement. Je distinguerai différents niveaux de distanciation entre architecture et nature et j’observerai la façon dont ils sont réalisés. Ils possèdent tous un artifice, que ce soit dans l’opposition assumée ou dans l’apparente symbiose : l’architecture comme rempart ou comme observatoire de la nature, où observatoire implique cadre et filtre entre l’homme et la nature.

Je m’appuierai sur le travail contemporain de l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura. Il revendique un rapport particulier entre architecture et nature, utilisant des artifices pour une bonne intégration de l’édifice dans son environnement. D’autre part, ses projets ont une présence forte dans le paysage et certaines de ses maisons individuelles ont de nombreux points communs avec les villas blanches de Le Corbusier ou la maison Farnsworth de Mies van der Rohe.« Ce besoin de fusionner artificiel et naturel – que je pense être à la base de l’architecture – est la modernité. »2, E. Souto de Moura.

Comment la distanciation de l’architecture vis-à-vis de la nature se traduit-elle dans le rapport au sol chez Souto de Moura ?

Pour situer les projets de l’architecte portugais dans leur contexte et dans son travail, il est nécessaire de présenter succinctement les différents mouvements et personnages qui l’ont influencé. Souto de Moura a fait ses études à l’Ecole des Beaux-arts de Porto dans les années 1970, au moment où l’école effectue des recherches sur la compréhension historique et culturelle du site, le rapport entre l’objet et le contexte dans l’art et l’architecture. Déjà à partir des années 1960, après le rejet des idées du mouvement Moderne et la critique de la doctrine des CIAM, Porto fonde ses études sur deux idées directrices : le lien au site (culture sociale et historique) et la tradition empirique de l’adaptation anthropologique au contexte physique (topographie et climat). A cette période, Souto de Moura suit

1 Huet B., Anachroniques d’architecture, Bruxelles, éditions Archives d’Architecture Moderne, 1981, p. 8.

2 « Esta necesidad o propuesta de fundir lo artificial y lo natural, que yo creo que debe estar en la base de la arquitectura, […] es la modernidad. », Gili M., Eduardo Souto de Moura: Obra reciente, Barcelone, éditions Gustavo Gili, 1998., p. 136.

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l’enseignement d’Alvaro Siza qui commence à se faire une place sur la scène internationale de l’architecture. Il réalise sous sa direction son premier projet, le marché de Braga. Le travail de Souto de Moura se caractérise par la recherche d’un point de contact avec des situations spécifiques – l’insertion de l’architecture dans un contexte est pour lui le point de départ du projet - et un contraste technologique entre innovation et tradition. La qualité matérielle qui prédomine dans son travail suscite l’intérêt de la scène internationale dans les années 1980 car l’architecture portugaise est alors caractérisée par un régionalisme marqué. Aujourd’hui Eduardo Souto de Moura questionne à travers ses projets la définition des valeurs locales, culturelles et ethniques.1

Pour développer la problématique citée précédemment, j’analyserai trois projets de l’architecte - des habitations individuelles construites entre 1991 et 2002 au Portugal, à Ponte de Lima, Cascais et Moledo – en me basant sur deux points : d’une part l’opposition entre les relations formelles (perçues depuis l’extérieur) et physiques (réelles, structurelles) qu’entretient un bâtiment avec le sol, et d’autre part l’omniprésence de la distanciation entre architecture et nature, soit explicite soit dissimulée ou maquillée par un artifice.

« Je crois que c’est Saint Thomas d’Aquin qui a dit que la beauté, c’est le rapport entre des choses différentes, c’est-à-dire que l’objet en lui-même n’est pas important, la nature n’est pas importante, mais c’est le rapport de l’objet à la nature qui compte. »2 E. Souto de Moura

Je comparerai tout d’abord la perception extérieure qu’on a de ces édifices et le rapport structurel entretenu avec le sol (en regardant la topographie du terrain, la matérialité du sol et celle du bâtiment, la végétation du site, la perception du volume, de son poids et de sa stabilité, la mesure du décollement ou des surfaces en contact avec le terrain). Puis je m’intéresserai au rapport au sol que l’on perçoit depuis l’intérieur des maisons (avec l’organisation des espaces de l’habitation, le cadrage de la vue sur l’extérieur, les matériaux visibles dans la maison). Enfin j’analyserai la transition entre le sol naturel extérieur et les espaces intérieurs de l’habitation (le nombre d’accès, la mesure et le type du joint, les matériaux de liaison, les différents parcours et les séquences entre dehors et dedans).Pour cela, je m’appuierai essentiellement sur des coupes transversales de l’édifice, mais également sur des photographies (des espaces habités, des vues du paysage et du bâtiment), des croquis et des écrits de l’architecte, des plans, élévations et détails structurels ou matériels au niveau du sol.

Dans la première partie de ce mémoire, j’étudierai différents cas où l’architecture s’oppose à la nature, elle affiche dans le rapport au sol une distanciation évidente vis-à-vis de celle-ci. L’édifice semble indépendant du sol sur lequel il s’implante

1 Trigueiros L., Eduardo Souto de Moura, Lisbonne, éditions Blau, 1996.2 « Une architecture entre nature et culture », Construction moderne n°123, septembre 2006,

p.31.

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comme si la pesanteur n’avait pas d’effet sur lui, la matérialité du site contraste avec l’abstraction du bâtiment, les cadrages sur le paysage nient le lien au sol depuis l’intérieur, ou encore le traitement du seuil de l’habitation souligne une absence de continuité entre extérieur naturel et intérieur construit.

Dans la seconde partie, j’analyserai la position inverse : la recherche de fusion entre nature et architecture et nous montrerons qu’il existe tout de même un contraste entre les deux : un second niveau de distanciation, plus subtil, moins marqué, qui est souvent l’œuvre d’un artifice. L’édifice s’inscrit dans les lignes du paysage et exploite la matérialité du sol - pratique dont la signification, d’après Vittorio Gregotti, « s’est perdue maintenant à cause de la dématérialisation produite dans les matériaux par leurs spécifications technologiques»1 . De plus, les cadrages intérieurs soulignent cette proximité avec le sol et la transition extérieur/intérieur marque une continuité entre nature et architecture. Mais l’action de l’homme est omniprésente dans le remodelage de la topographie et dans la transformation du sol en matière à construire.

1 Gregotti V., Le territoire de l’architecture, L’Equerre, Paris, 1982 [1966].

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1. Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

Dans cette première partie, nous étudierons deux catégories où l’architecture est considérée comme un objet indépendant de l’environnement dans lequel il s’insère : l’édifice est posé sur le sol (comme un volume apporté par l’homme sur un terrain, le seul contact entre sol et objet se transmet par une face), ou l’édifice est décollé du sol (un volume n’ayant aucune face en contact avec le sol, un vide sépare les deux entités).Ces « typologies » sont illustrées par des projets d’Eduardo Souto de Moura : deux maisons à Ponte de Lima et une habitation à Cascais. A travers ces réalisations nous chercherons si la distanciation entre nature et architecture est présente à tous les niveaux (visuel, structurel, matériel…).

1.1 L’édifice est posé sur le sol

En opposition avec la plupart des architectures vernaculaires, l’édifice et le sol peuvent être considérés comme deux entités différentes. Cette position affirme une indépendance entre nature et architecture qui peut se traduire par l’utilisation de matières en contraste avec les ressources du site, par des cadrages de vues dissimulant le sol proche, ou encore par un positionnement du volume construit dans la topographie donnant l’impression que l’action du poids sur le bâtiment n’est pas liée au site ; l’ouvrage construit utilise simplement le sol comme support pour s’installer et ses fondations forment l’unique lien entre les deux.

L’architecture est également présentée comme un objet, une sculpture, posée sur le terrain (comme les pyramides égyptiennes), érigée pour marquer un lieu et affirmer la présence de l’homme en apportant un sentiment de masse et de pérennité. L’objet peut être souligné par un socle afin de marquer la domination de l’architecture sur son environnement ou simplement pour le contempler (à la manière des temples grecs ou romains et des villas de Palladio).

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier 14

11. Photographie des deux maisons de Ponte de LimaLa première maison s’élève au-dessus de la pente, prête à basculer et la seconde suit la déclivité du terrain.Rubio J.M., Eduardo Souto de Moura : obra reciente, Valencia, Ediciones generales de la construccion, 2004.

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15Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

Opposition entre perception extérieure et structure révélatrice

Les projets choisis pour illustrer cette première catégorie de rapport au sol sont les deux maisons réalisées par Eduardo Souto de Moura en 2001 à Ponte de Lima, une petite ville au nord du Portugal. (illustration 1)La région est vallonnée et les deux habitations sont construites sur une parcelle escarpée en contrebas d’une route qui dessert le terrain. Au nord, la bande supérieure qui borde la route est presque horizontale sur quelques mètres puis le sol forme une pente de 32° qui descend vers le sud. Ce terrain naturellement gazonné offre une vue privilégiée sur le paysage environnant avec un espace boisé en bas de la pente, au sud-ouest du terrain.Le programme est identique pour chacun des deux projets : une maison de vacances avec un séjour, quatre chambres et une piscine. Les deux habitations sont similaires par leur volume et leur couleur : deux parallélépipèdes blancs qui diffèrent seulement par leur position sur le terrain.

La première maison s’élève au-dessus de la pente, elle semble prête à basculer en avant tant la surface du volume en contact avec la partie plane du terrain est faible par rapport à celle en porte-à-faux. La seconde habitation est posée plus bas sur le terrain et suit la pente : elle semble avoir tenté le même défi d’équilibre sans y parvenir, elle a basculé et n’est en apparence retenue à rien, elle est comparable à une boîte posée dans la pente et qui pourrait continuer à glisser.Par leur position sur le terrain, ces deux parallélépipèdes montrent des faces que nous ne sommes pas habitués à voir : la toiture plane de l’habitation basculée est visible depuis la route, en haut du terrain ; quant à la première maison, la partie de terrain horizontale sous le porte-à-faux est accessible, car la piscine y est installée. Cet espace est traité comme une salle ouverte sur le paysage naturel, adossée à la pente et couverte par la maison. La face inférieure de la boîte sert donc de toit et le rapport entre le cube habitable et la piscine est insolite, en effet le volume en équilibre qui la surplombe semble presque menaçant.

Le béton peint des maisons renforce l’impression de boîtes monolithiques, blanches et lisses, presque abstraites – l’une posée, l’autre sur le point de tomber dans la pente - ce qui renforce leur indépendance vis-à-vis de la nature. Les maisons semblent effleurer le sol sans le creuser. De plus l’abstraction de ces volumes est renforcée par l’intégrité des parois qui ne sont jamais percées : pour Souto de Moura « la transparence c’est le non-mur, le mur c’est la non-fenêtre1 » . Le mur est interrompu pour aménager une vue ou bien remplacé par une grande baie sur toute sa longueur, mais il n’est jamais ouvert par un cadre vitré à un mètre du plancher.

Pourtant ces deux objets sont soumis à la pesanteur et ne sont donc pas totalement étrangers à leur contexte. Souto de Moura joue sur la perception du

1 Conférence d’Eduardo Souto de Moura à Chaillot le 16 octobre 2006, in Eduardo Souto de Moura : estadio de braga, fenêtres, Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2006.

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2. Coupe transversale sur la maison 1La structure permettant le porte-à-faux est dissimulée dans la pente.3. Coupe transversale sur la maison 2La seconde maison est en réalité imbriquée dans la pente.4. Croquis de la maison en porte-à-faux par Souto de MouraPremière esquisse de structure.Rubio J.M., op. cit.5. Fonctionnement structurel de la maison en porte-à-fauxL’équilibre du volume extérieur en porte-à-faux est permis par les refends enterrés qui le liaisonnent à la dalle de fondation.

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17Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

poids, des forces gravitaires dans ces réalisations : l’absence d’indice de cheminement des efforts gravitationnels au sein de la structure amplifie l’effet d’instabilité que procure leur position sur la pente : un volume appuyé légèrement sur le sol pour se projeter horizontalement dans le vide sans aucun élément porteur apparent et l’autre qui adhère à la pente sans glisser en donnant un effet de basculement. Cet effet d’instabilité interpelle l’observateur car il est inhabituel, voire dérangeant, vis-à-vis de l’usage auquel est destinée la construction : il va à l’encontre du sentiment de protection, d’abri sécuritaire que procure généralement une maison.

On peut ainsi appréhender le rapport qu’entretient un bâtiment avec le sol d’un point de vue perceptif, en observant l’édifice de l’extérieur. Mais quelle relation existe-t-il entre l’image perçue du rapport au sol et sa réalité structurelle ? Il faut considérer l’expression de la gravité comme une solidité visuelle différente de la solidité réelle des édifices.1

Les deux volumes de Ponte de Lima sont identiques : des parallélépipèdes de dix-huit par douze par trois mètres en béton armé qui forment un ensemble monolithique tridimensionnel (pas de poteaux, ni de poutres : les murs et dalles sont porteurs).Dans la première maison, les deux-tiers de la boîte sont en porte-à-faux: une longueur de huit mètres au-dessus du vide contre quatre mètres seulement en contact avec le sol (illustration 2). Comment est réalisé un tel équilibre ? La maison ne peut pas être simplement posée sur une si faible surface de terrain, elle devrait tomber.Un croquis de Souto de Moura pour une première esquisse du projet nous donne un indice quant à la structure porteuse car il révèle la présence de refends (ou de poteaux ?) qui supportent le volume habitable (illustration 4). Dans cette version, la position de la boîte en porte-à-faux n’est pas présentée comme un défi car sa structure est apparente et l’observateur n’a pas d’interrogation. En revanche, dans le projet construit, les fondations porteuses du volume émergent sont dissimulées.

L’exploit est révélé sur les coupes descriptives du projet : un voile en béton armé est incliné selon la pente et relie le volume en porte-à-faux à une semelle de fondation (illustration 5). Le centre de gravité de cette boîte étant extérieur à ses points d’appui au sol, les charges sont reportées sur cette dalle diagonale qui transmet les efforts à la semelle horizontale enterrée, alignée sur le centre de gravité de l’édifice. On observe en coupe que le niveau du terrain naturel (avant la construction des maisons) ne correspond pas exactement à la pente de cette dalle, elle a donc été enterrée puis engazonnée pour dissimuler le système. Extérieurement la maison semble se poser sur une surface minimum de sol, elle pourrait être retirée, le terrain n’en garderait aucune trace comme si sa présence

1 Koetz L., « Expression de la gravité et représentation de la construction : deux maisons à Ponte de Lima », article inédit.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier 18

6. Mur treillis de la maison basculée à Ponte de LimaLe mur constituant la façade arrière ne repose pas sur le sol: il est formé d’un treillis métallique et non pas de béton, ce qui permet de l’alléger.

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19Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

n’avait jamais existé. En réalité, l’enterrement des fondations a nécessité des travaux de terrassements importants afin de modifier les courbes topographiques de la parcelle.

La maison basculée répond à la topographie de manière plus littérale en se posant le plus simplement possible sur la pente, mais elle paraît alors plus artificielle car elle appelle l’observateur à se questionner sur la réalité structurelle. La coupe indique que la maison possède un espace à l’arrière, en partie imbriqué dans la pente (illustration 3). Une semelle de fondation l’ancre également au terrain et ce sont les murs intérieurs de refend qui lui transmettent les efforts. On retrouve un grand porte-à-faux de quatre mètres qui rappelle le fonctionnement structurel de la première habitation : les deux projets ne sont pas si différents.

Le mur formant la face inclinée supérieure de cette boîte basculée n’est pas en béton comme le reste de l’habitation : il est formé d’un treillis métallique, de laine de roche, de polystyrène et de plaques de plâtre, le tout est peint pour dissimuler l’artifice. On remarque en effet d’après les coupes détaillées que ce mur est plus volumineux que les autres façades de la maison (46 centimètres d’épaisseur est en effet peu courant pour un simple mur en béton isolé de maison individuelle). Cet allégement lui permet de franchir dix-huit mètres sans toucher le sol : en effet, cette couronne inclinée qui entoure l’espace habité est décollée du sol à l’arrière de la maison pour y permettre l’accès. Cette couronne décorative – autant par sa fonction que par ses caractéristiques structurelles vis-à-vis de l’édifice – crée l’illusion de la boîte posée sur la pente. D’une manière générale, la structure de l’édifice est bien plus compliquée qu’elle n’y paraît depuis l’extérieur.

Dans ces deux projets, la perception de la logique structurelle du bâtiment est brouillée extérieurement, il est difficile de saisir la relation entre portant et porté, ainsi que le cheminement des efforts pondéraux vers le sol, sans consulter les coupes du projet. Depuis l’intérieur de l’habitation, ce lien structurel fort avec le sous-sol n’est pas compréhensible car les murs de refend qui transmettent les efforts aux fondations sont « maquillés » en simples séparations de pièces. Le rapport au sol perçu est très différent du rapport réel entretenu par les fondations de ces ouvrages. L’architecte prend de la distance par rapport à l’idée d’expression constructive. Ces deux exemples illustrent sa volonté d’afficher une opposition forte entre architecture et nature en dissimulant les liens existants avec le sol et en renforçant l’effet général du contraste entre ces deux entités par des parois extérieures lisses, blanches et intègres.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier 20

7. Plans des deux habitationsL’habitation en porte-à-faux s’organise sur un niveau et les pièces principales bénéficient de la vue sur les montagnes.. La maison basculée s’étale sur deux étages: séjour et chambres profitent d’une vue privilégiée et les espaces de services occupent la partie enterrée.

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21Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

Depuis l’intérieur : organisation spatiale et traitement de la relation au sol

Les organisations en plan de ces deux maisons sont assez similaires (illustration 7): l’entrée se fait côté nord-est par la façade arrière (en haut de la pente, à proximité de la route qui dessert la parcelle) et l’usager pénètre directement dans le séjour ou la salle à manger – espaces de vie commune les plus grands et les plus fréquentés. Les pièces sont divisées en deux parties, jour et nuit, et un couloir central dessert les chambres d’un côté et les pièces d’eau de l’autre.

Le rapport au paysage depuis les espaces intérieurs est généreux : la vue est mono-orientée dans les deux maisons puisque les espaces de vie (chambres et séjours) sont ouverts par des baies vitrées toute hauteur au sud-ouest et font face aux montagnes et au bois qui borde le bas du terrain. La nature est présentée ici comme un cadrage lointain, cette position est renforcée par la présence de terrasses et loggias qui font transition entre intérieur et extérieur. La paroi sud-ouest n’est pas un mur de béton percé d’ouvertures, c’est un mur de verre : le vitrage s’étend du sol au plafond sur toute la longueur des pièces et le cadre est réduit au strict minimum (deux centimètres d’épaisseur). Souto de Moura fait référence ici à Mies van der Rohe1 , il ne dessine pas des fenêtres mais supprime le mur lorsqu’il recherche la transparence.

Dans la maison en porte-à-faux, la façade vitrée s’enfonce dans le volume, ce qui protège les chambres et le séjour du soleil, et d’autre part empêche la vue du terrain en contrebas : seul le paysage lointain est visible. Pour l’habitation basculée, on pourrait croire que la vue –comme la maison – colle à la pente et au sol. Au contraire, depuis l’intérieur le terrain est caché par la face inclinée de la boîte qui n’est pas percée de fenêtres et la vue est dirigée en hauteur : comme pour la première habitation, les ouvertures offrent une vue distante sur la montagne et le sol n’est pas visible (illustration 8).Dans cette seconde habitation, les deux murs inclinés sont fondamentaux : depuis l’extérieur ils donnent au volume la géométrie d’un objet régulier tombé sur une pente, et depuis l’intérieur ils créent des cadrages particuliers. En effet, l’organisation des espaces habitables ne suit pas la déclivité de l’enveloppe en béton : les pièces sont réparties sur deux niveaux, et l’étage bas (séjour et chambres) est enterré dans le sol du côté nord-est. C’est pourquoi, au sud, le mur incliné bloque la vision basse et au nord le second mur penché empêche la vision haute. C’est à cet endroit que sont placés les espace servants (cuisine, buanderie), ils ne profitent ainsi que d’une vue partielle, rabattue sur le sol, bien que la façade arrière soit vitrée sur toute sa hauteur. Ce ne sont pas les fenêtres qui réalisent le cadrage mais d’autres éléments (les parois inclinées ici, ou le débord de toiture et le sol de la loggia dans l’autre maison).

L’enfouissement de la maison côté nord est perceptible depuis l’intérieur car l’escalier descendant vers le séjour à double hauteur est placé contre le mur

1 Conférence d’Eduardo Souto de Moura, op. cit.

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8. Photographie: vue depuis le séjour dans la maison basculéeDepuis les pièces principales, la vue est cadrée sur le paysage lointain et le sol du terrain n’est pas visible.Rubio J.M., op. cit.

9. Photographie: vue depuis le séjour dans la maison basculéeL’enterrement de la maison dans la pente est perceptible depuis le séjour.Rubio J.M., op. cit.

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23Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

enterré dans la pente : il est possible de sentir l’enfoncement dans le sol naturel au fur et à mesure de la descente. Ici, l’architecte utilise un traitement matériel pour souligner cet effet puisqu’un parement en pierre recouvre le mur nord et les marches de l’escalier semblent s’en extruder, à la manière des constructions traditionnelles de la région (illustration 9).

En revanche, dans la maison en porte-à-faux les espaces de services situés au nord-est ne possèdent pas de vue vers l’extérieur : un bandeau vitré en partie supérieure permet de les éclairer naturellement mais la vue est pratiquement impossible. Ce sont les seuls pièces situées dans la partie du volume en contact avec le sol et paradoxalement, tout lien visuel avec le terrain est coupé.

Par les cadrages sur le paysage extérieur, cette habitation est « coupée » du sol, alors que dans la maison basculée le rapport structurel qu’elle entretient avec le sol est révélé.

Transition entre extérieur et intérieur (nature/architecture) : une continuité rompue?

Dans les deux projets, le bâtiment et le sol naturel sont considérés comme deux entités collées côte à côte (un volume posé sur l’herbe) : comment s’effectue le passage de l’une à l’autre ? Quelle typologie de jonction a été mise en place ?

Deux chemins en pierre descendent depuis la route qui dessert la parcelle et longent les habitations pour déboucher sur l’espace terrassé de la piscine en contrebas (voir plan). Elles ne possèdent qu’un unique accès sur la face arrière (nord-est) qui permet le passage de l’extérieur vers l’intérieur et il n’existe pas de sortie menant à la piscine depuis la façade avant (sud-ouest). Pour la maison en porte-à-faux, une dalle a été posée à l’écart du chemin pour faire face à la porte d’entrée et une marche de 20cm – taillée dans un bloc de granite - est placée devant, comme si l’accès à l’habitation avait été pensé ultérieurement. Cet élément - dotée du même vocabulaire formel que la boîte habitée - fait le lien entre le sol naturel et le plancher du bâtiment, distants de quarante centimètres. L’entrée est presque dissimulée car elle est toujours dans l’ombre : la façade arrière est creusée sur une bande large d’un mètre, sorte de longue véranda et le débord de toiture cache les ouvertures de la façade (un bandeau supérieur vitré qui éclaire les pièces de service, cuisine et salles de bains).

Pour la maison basculée, le chemin en pierre bifurque pour permettre l’accès à l’habitation : il faut rentrer sous la boîte pour trouver la porte, en passant sous le mur incliné. Celui-ci abrite un espace extérieur à moitié clos et couvert, et camoufle l’entrée : elle n’est pas visible depuis la route en haut du terrain. Ensuite le dernier seuil à franchir pour entrer dans la maison est la porte elle-même : contrairement à la première habitation, le plancher est au même niveau que le gazon. Aucun élément n’est ajouté, le lien s’effectue par la continuité des niveaux de sol.

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10. Maison dans les arbres en Nouvelle-GuinéeLe décollement du sol isole l’habitation des prédateurs et des risques d’inondation.Rudofsky B., Architecture without architects, New York, Doubleday and Compagny, 1964.

11. Auberge Robinson en 1848, déjeuner dans les arbresou l’utopie du retour à la vie sauvage.Boyer M.F., Le génie des cabanes, Londres, éditions Thames & Hudson, 1993.

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25Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

Dans les deux projets, l’architecte appuie l’impression de volumes «purs » posés ou tombés sur le sol en dissimulant la porte qui trahit leur réelle fonction d’habitation.

Par l’étude de ces projets à Ponte de Lima, nous avons remarqué que l’architecte mène un double jeu en différenciant les rapports au sol perçus de l’extérieur du bâtiment et ceux ressentis à l’intérieur ou créés par les fondations. La distanciation vis-à-vis de la nature est clairement affichée par le rapport au sol que l’on constate en observant les maisons au dehors. En revanche une étude plus poussée de la structure révèle les ancrages importants que la structure entretient avec le sol pour permettre ces équilibres visuels. Depuis les espaces intérieurs, l’architecte a choisi de montrer ou non ces deux niveaux de rapport au sol, par les cadrages, les matériaux et la transition entre extérieur et intérieur. A proximité de l’entrée, la relation entre maison et terrain se clarifie : pour l’habitation en porte-à-faux, toute continuité est rompue (que ce soir par les différents niveaux de sol ou par l’absence de vue sur le terrain depuis la façade arrière) alors que la maison basculée révèle le lien qu’elle entretient avec le terrain par son semi-enterrement (grâce à la continuité des sols intérieur et extérieur, et par la vue plaquée sur le sol qu’on a depuis l’entrée).

1.2 L’édifice est détaché du sol

La volonté de rupture entre l’architecture et son site s’amplifie lorsque le bâtiment s’élève au-dessus du sol. On retrouve cet effet de suspension dans diverses architectures primitives, comme en Asie du sud-est (illustration 10): les pilotis sont utilisés depuis des siècles dans un but purement pragmatique afin de protéger l’habitation des risques naturels (l’humidité, les inondations, les séismes au Japon…), des prédateurs, mais aussi pour libérer l’espace et aménager un abri pour les animaux (c’est le cas des huttes de Bornéo) ou stocker des objets1. Au nord de l’Australie où le climat est semi-tropical, les constructions vernaculaires sont perchées sur des pilotis de deux mètres de haut et sont ouvertes au vent : celui-ci circule sous l’habitation et à l’intérieur afin de chasser l’humidité.

A partir du XVIIe siècle, l’idée de construire au-dessus du sol est également signe d’une utopie, celle de la cabane dans l’arbre. A l’origine, l’arbre est un abri naturel, puis il devient un symbole religieux pour certaines cultures : l’arbre représente le temple, la maison des dieux2. Dans l’exemple du déjeuner dans les arbres à l’auberge Robinson (illustration 11), on peut considérer l’attirance pour la vie en hauteur comme une sorte de régression sociologique socialement admise : « l’homme des villes confronté aux capricieuses bénédictions de la nature »3.

Au XIXe siècle, le développement des techniques constructives dû à la Révolution

1 Pezeu-Masabuau J., La Maison Japonaise, Paris, Publication orientalistes de France, 1981.2 Rudofsky B., L’Architecture insolite, Tallandier, Paris, 1979.3 Ibid., p.49.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier 26

Industrielle permet de travailler sur l’allègement des structures, et le traitement du vide. Les édifices de cette période marquent alors la volonté de s’affranchir de la pesanteur et de renforcer l’indépendance entre nature et architecture, mais contrairement aux architectures vernaculaires, sans lien avec les conditions climatiques du site ou avec une volonté de respect vis-à-vis de l’environnement dans lequel l’édifice s’insère. Ainsi, avec les structures métalliques, les ouvrages s’allègent et franchissent des portées de plus en plus grandes en ne s’appuyant que ponctuellement sur le sol.

Puis au début du XXe siècle, on retrouve cette émancipation du sol chez certains architectes modernes qui cherchent la disjonction entre l’édifice et son contexte ; c’est le cas de Le Corbusier, de Mies van der Rohe, ou encore de Walter Gropius. Bernard Huet évoque cette rupture en commentant les cinq points de l’architecture moderne : « Ce qui me frappe chez Le Corbusier, c’est qu’il parle de la maison à l’aide de cinq principes négatifs qui sont point par point, l’inverse de ce que le gens pensent quand ils pensent “maison”. Ils pensent “ancrages au sol”, “caves”, “soubassements” et il propose “pilotis” »1.Cette architecture mène une quête contradictoire avec la logique de l’habitat vernaculaire - marquée par une continuité de matière depuis le sol naturel jusqu’à l’émergence construite - car c’est le vide et non plus une assise pérenne qui supporte l’édifice : « au lieu d’ancrer profondément de lourds édifices dans le sol avec des fondations massives, la nouvelle architecture les pose légèrement sur la surface de la terre »2, Walter Gropius.Par cette absence de contact avec le sol, le bâtiment doit créer le sien, en général sous la forme d’une plateforme sur pilotis. Ceux-ci laissent tout de même supposer une prolongation souterraine de l’architecture comme des racines dans le sol.

On remarque que ce positionnement est utilisé chez les Modernes dans un site où le sol est peu marqué, neutre, la topographie est plane, non accidentée, comme un terrain après une tabula rasa. Cette façon de préserver la surface de terre au-dessus de laquelle on va construire (et non pas de la faire disparaître sous l’ouvrage) marque une volonté d’indépendance entre sol et construction qui s’exprime plus par l’expression architecturale que par les techniques structurelles mises en œuvre.

Chez ces architectes, on peut se demander si le projet moderne accorde une place à la nature et à la culture locale. Par exemple, les Unités d’Habitation de Le Corbusier révèlent la rupture du rapport traditionnel entre typologie architecturale et contexte, et elles dissimulent les liens entre les émergences et le site en affichant une apparente autonomie face à l’environnement. Le cas de la maison Farnsworth de Mies van der Rohe est assez différent : bien que posée sur

1 Huet B., op. cit., p.177.2 Gropius W., The new architecture & the Bauhaus, Londres, éditions Faber & Faber, 1935, in

Choay F, L’urbanisme utopies et réalités : une anthologie, Paris, éditions du Seuil, 1965, p.227.

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des pilotis, l’habitation s’ouvre sur son environnement par des baies vitrées toute hauteur qui entourent l’édifice. La séparation visuelle engendrée habituellement par des façades en partie opaques disparaît ici et la transition entre espaces extérieurs et intérieurs réside dans le décollement du sol avec ses deux hauteurs de plancher qui permettent d’entrer progressivement dans l’habitation. On peut comparer cet édifice aux maisons traditionnelles japonaises qui utilisent une hiérarchie particulière du sol avec trois niveaux et trois matérialités différents pour opérer ce passage du dehors au dedans : d’abord la terre battue que l’on retrouve dans la rue et dans la cour de l’habitation, puis un plancher en bois surélevé qui entoure la maison comme une longue véranda et enfin les tatamis pour les espaces intérieurs. Les panneaux coulissants permettent ensuite d’ouvrir la façade et de conserver un lien visuel avec la nature depuis les espaces de vie.

Plus récemment, les interventions contemporaines de l’architecte australien Glenn Murcutt semblent revenir aux origines pragmatiques du détachement du sol dans l’architecture vernaculaire - la recherche de protection face à une nature hostile - mais elles témoignent encore plus d’une volonté de conserver le site naturel en posant l’architecture au-dessus d’un sol qui n’est pas touché. Prenons l’exemple de la Ball-Eastaway House près de Sydney : la maison est posée dans la nature sur des pilotis, au milieu d’une forêt d’eucalyptus. L’architecte recherche un contact minimum avec le terrain et une intervention la plus légère possible sur le site. L’environnement existant n’est pas perturbé, et l’affleurement rocheux qui caractérise le terrain n’est pas cassé. Même la flore a été conservée sous l’habitation. Les pilotis permettent ainsi d’implanter l’édifice sur un terrain très irrégulier sans en modifier la topographie: « la maison est comparable à un bâtiment qui serait amarré, aurait sorti sa passerelle comme un navire et serait prêt à repartir. J’ai essayé de réduire l’impact de cette construction sur le site. Elle est posée au-dessus du sol et y est reliée le moins possible. »1, Glenn Murcutt.Dans cet exemple, le décollement du sol est également lié aux conditions climatiques du site : la région est sèche et les températures sont élevées, ainsi l’air peut circuler sous l’habitation pour la rafraîchir et la maison se protège de l’incendie en se détachant de la végétation.

Opposition entre perception extérieure et structure révélatrice

En 2002, Souto de Moura construit une maison avec vue sur l’océan Atlantique à Cascais, dans le Sud du Portugal près de Lisbonne (illustration 12). La végétation du site est caractéristique du sud du pays assez aride: une terre rouge, peu d’herbe et des pins. Sur la parcelle, la topographie est irrégulière : le sol forme un premier plateau puis une pente ponctuée d’émergences rocheuses mène vers une seconde partie plane en contrebas.

1 « The house is like a building that has docked, put out its bridge like a ship, and is ready to go away. I tried to reduce the impact of this building on the land. It is set clear of the ground and makes minimal connection with it. », Beck H., Cooper J., Glenn Murcutt, a singular architectural practice, Victoria, The Images Publishing Group Pty, 2002, p.69.

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14. Croquis de la maison par Souto de MouraUne esquisse très «corbuséenne» de l’habitation.Rubio J.M., op. cit.

13. Coupe transversale sur la maisonLa maison est portée par un volume plus petit rassemblant des espaces de service. L’habitation flotte au-dessus des roches affleurantes.

12. Photographie de la maison de CascaisLe long parallélépipède formant l’habitation est décollé du sol irrégulier.Rubio J.M., op. cit.

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15. Photographie de la véranda d’entréeNature sauvage (terre rouge) versus nature artificielle (chemin d’accès en pierre).Rubio J.M., op. cit.

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29Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

Le volume de l’habitation est un long parallélépipède qui flotte au-dessus de la pente, à la manière d’un cadre clos, autonome, en lévitation ; même la partie posée en haut du terrain, sur le plat, semble n’avoir aucun contact avec le sol puisque la maison est surélevée d’environ quatre-vingts centimètres. Comme dans la première maison de Ponte de Lima, on retrouve ici cette impression de boîte posée dans un site et d’opposition entre architecture et nature mais le contexte est différent. Le terrain se compose de deux parties planes et la pente les reliant est très faible : le volume de l’habitation se prolonge en porte-à-faux au-dessus d’une terrasse aménagée dans la partie basse du terrain (la face inférieure qui couvre la terrasse est ainsi visible) et il s’inscrit entre les arbres.

Cette boîte en béton ne vole pas véritablement au-dessus du sol, sa structure porteuse est évidemment visible mais elle est habilement dissimulée dans le paysage grâce à un jeu de couleurs : le volume de l’habitation est gris clair, alors que les pilotis sont gris foncés et se confondent avec le tronc des pins proches de la maison ; le volume rassemblant les espaces de services (buanderie, garage) de la même teinte foncée est encastré dans la pente et disparaît dans l’ombre de la boîte claire qu’il supporte (illustration 13). Le lien au sol n’est pas dissimulé comme à Ponte de Lima mais il est traité différemment du volume supporté. Pour cela, Souto de Moura joue également sur les matériaux qu’il utilise en parement. Le volume semi-enterré portant l’habitation est revêtu de la pierre granitique locale gris cendré : Azulinos de Cascais. Il traite donc cette partie comme un soubassement et le différencie du volume soulevé par sa couleur et ses matériaux, car il fait intervenir d’autres gris pour le revêtement de la partie supérieure : aluminiums mat et brillant, inox dont la rugosité a été travaillée au jet de sable.Le volume en contact avec le terrain utilise sa matérialité – la pierre – même si ce n’est qu’en parement, tandis que le volume décollé du sol contraste avec ses matériaux fabriqués par l’homme.

Pour cette habitation de Cascais, on sent l’influence des Modernes chez Souto de Moura: on retrouve les cinq points de l’architecture qui sont à l’origine de la rupture avec l’architecture traditionnelle et de la disjonction recherchée entre l’édifice et son contexte : les pilotis, le plan libre qui en résulte, la façade libre, au lieu des fenêtres en bandeau il n’y a pas de fenêtres du tout chez l’architecte portugais mais des interruptions de murs, puis la toiture terrasse (non accessible ici). De plus, le procédé visant à marquer le détachement du sol en noyant le volume du garage sous la maison blanche rappelle la villa Savoye de Le Corbusier (même si Eduardo Souto de Moura se dit surtout inspiré par Mies van der Rohe). Un premier croquis du projet présente en effet une esquisse du bâtiment très « corbuséenne » avec la voiture descendant vers le niveau bas abritant le garage et l’émergence en toiture de volumes blancs s’apparentant à des cheminées ou des puits de lumière (illustration 14). A Cascais, le détachement du sol permet de placer le garage sous la maison et d’aménager un espace couvert pour une terrasse extérieure : le sol situé sous le volume blanc prend le statut d’un étage d’habitation.

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15. Plan de l’habitationLes espaces de vie profitent de la vue principale au sud et sont protégés du soleil par les vérandas. Les espaces servants ont de petites ouvertures côté nord à l’arrière du terrain.

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31Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

On remarque que Souto de Moura a accordé une attention particulière aux différents traitements du sol (illustration 15): tous les cheminements sur le terrain et les espaces accessibles (la partie plane permettant l’accès à l’habitation, la partie basse horizontale autour de la piscine) sont recouverts de gazon ras ou d’un dallage de pierres irrégulières qui ont la couleur des roches inscrites dans la pente du terrain (comme si elles avaient été fabriquées à partir des ressources du site). En revanche, les espaces non accessibles sous le volume détaché du sol sont laissés tels quels : de la terre rouge et des affleurements rocheux, plus clairs. De cette façon, l’architecte souligne d’une part le contraste entre nature « sauvage » (dans le sens transformée par l’intervention humaine) et nature « domestiquée » ou « artificielle », et d’autre part l’opposition entre l’architecture de cette boîte orthogonale et les irrégularités du sol naturel.

Depuis l’intérieur : organisation spatiale et traitement de la relation au sol

L’organisation des espaces intérieurs est proche de celle observée dans les deux maisons de Ponte de Lima : les espaces de vie – séjour et chambres – jouissent de la vue principale au sud et les espaces servants (cuisine, salles d’eau, dressing) sont situés au nord et séparés des premiers par une circulation (illustration 16).De la même façon qu’à Ponte de Lima, une véranda longe toute la façade sud et crée une transition entre les espaces intérieurs et extérieurs et le débord de toiture protège du soleil. Les baies vitrées des pièces principales au sud cadrent de longues vues horizontales : l’architecte ouvre le regard sur l’immense étendue océanique qui, selon lui, est « toujours pareille, toujours différente ». On remarque en coupe, que la surélévation du bâtiment permet à la vue de passer au-dessus de la haute barrière qui entoure toute la parcelle. Ainsi, la position en hauteur par rapport au sol des espaces habités et le cadrage sur le paysage lointain nient la présence du terrain depuis l’intérieur. Quant aux pièces orientées au nord, les percements sont réduits (contrairement à la façade sud entièrement vitrées sur toute sa longueur) et cadrent une nature plus proche, broussailleuse qui longe la parcelle. La présence de ces ouvertures justifie plutôt un apport de lumière qu’une recherche de vue. Cette face nord au langage puriste contribue à l’expression des parois dans leur intégrité : elle est recouverte de céramiques à l’intérieur comme à l’extérieur, s’insère dans le cadre structurel que forment la toiture et le plancher avec les faces est et ouest, et s’interrompt pour ménager des ouvertures verticales.

Transition progressive entre extérieur et intérieur

L’entrée de l’habitation n’est pas dissimulée comme à Ponte de Lima. Au contraire la succession de séquences permettant de passer de l’extérieur à l’intérieur est clairement définie. Après avoir passé le portail du terrain, une allée pavée de pierres irrégulières conduit directement à un escalier - taillé dans un monolithe gris – permettant d’accéder à la véranda : on passe d’un matériau naturel quasiment brut à une roche finement travaillée par l’homme.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier 32

L’entrée se fait par la véranda, séparée du séjour par une grande baie vitrée. La même roche grise est utilisée pour l’escalier, le sol de la véranda et celui du séjour. La disjonction entre l’escalier et le sol de la véranda est signifiée par un vide (l’escalier est une marche plus bas) et la séparation entre l’espace ouvert de la véranda et celui clos du séjour est physique mais non visuel (la baie vitrée).

La transition entre l’édifice et le sol naturel peut être assimilée à un joint creux : le sol de la maison est à quatre-vingts centimètres du sol naturel. Et c’est un élément possédant les mêmes caractéristiques que le bâtiment - l’escalier - qui permet le passage de l’un à l’autre. Il renforce l’impression de décollement du sol car il apparaît comme détaché, en apesanteur à quelques centimètres au-dessus, et ne touche pas la maison : ces quatre marches constituent un objet qui demeure indépendant de l’habitation et du sol mais permet de lier les deux par sa fonction. Le traitement des sols aux abords de l’escalier renforce ce contraste : la coupure est nette entre la terre ocre symbolisant le sol naturel et le dallage qui mène à la maison, installé par l’homme. L‘escalier souligne cette scission, comme s’il avait été sectionné pour qu’il n’y ait aucune intervention humaine dans la zone « sauvage ».Cette transition par les sols est comparable au travail de Mies van der Rohe dans la maison Farnsworth et aux habitations traditionnelles japonaises. Dans le premier cas, la terrasse qui est à un niveau intermédiaire entre le sol extérieur naturel et le plancher des espaces habités permet de passer de l’un à l’autre ; ces trois plans de l’espace ne se touchent pas. Dans le second cas, la transition se fait encore par différents niveaux de sol, mais aussi par une succession de plusieurs matérialités. A Cascais on retrouve ces deux types de traitement de sol : le niveau intermédiaire de l’escalier et le passage de la pierre presque naturelle à la pierre usinée. Un autre parallèle peut être réalisé entre la maison japonaise et le projet de Souto de Moura sur le statut accordé au sol naturel : dans la partie haute du terrain, le sol sous l’habitation est inaccessible et inutilisable, donc laissé tel quel, intouché.

Dans ce projet de Cascais, l’architecte affiche une distanciation claire de l’architecture vis-à-vis de son terrain car elle s’élève au-dessus du sol, mais il ne cherche pas à dissimuler les liens structurels nécessaires que ce décollement engendre. Par un traitement matériel, les volumes assurant la liaison entre terre et habitation (pilotis et garage) utilisent les caractéristiques du sol pour mieux se détacher du volume qu’ils supportent et qui doit apparaître comme autonome. De plus, la transition entre sol naturel et sol artificiel (dans l’habitation) se fait progressivement et en parallèle avec le passage depuis l’extérieur vers des niveaux d’intériorité de plus en plus grands.Il faut noter que l’intervention sur le sol n’a pas été si minimale car la topographie de la parcelle a été retravaillée pour aplanir le terrain aux abords de la maison afin d’aménager une piscine ; cela a permis de mettre en valeur les roches qui sont sous la maison en les faisant émerger de terre1.

1 Conférence d’Eduardo Souto de Moura, op. cit.

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33Une distanciation affichée entre architecture et nature : architecture versus nature

A Ponte de Lima comme à Cascais, Souto de Moura utilise le rapport au poids, les matériaux et les volumes des constructions pour différencier nature et architecture. Un effet d’apesanteur, des volumes orthogonaux blancs ou gris clair en béton détachent les édifices du site. Seul le lien structurel demeure présent, mais il est soit effacé, soit traité différemment de la boîte qu’il soulève. Il faut noter également que si ces projets semblent rechercher le respect de leur environnement en intervenant au minimum sur le sol d’accueil, il n’en est rien car la topographie de tous les terrains a été transformée lors de la construction.

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2. Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

Il semblerait que l’architecture contemporaine ne travaille plus en contraste avec son environnement mais cherche à créer des liens avec le terrain dans lequel elle s’implante. Déjà chez les Modernes, il existe une série de positions différentes sur le rôle de la nature et de la culture locale dans les projets : en effet, la maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright instaure un lien fort entre site et architecture qui est absent dans les maisons Citrohan de Le Corbusier. Certains projets affichent une sensibilité à l’environnement immédiat ou régional qui contraste avec le Style International qui se développe essentiellement aux Etats-Unis. Pour l’architecte canadien Arthur Erickson, « l’architecture signifie unifier la dualité entre site et bâtiment, ce qui implique que l’édifice ne peut pas être retiré de son contexte et étudié comme une entité séparée. Le dialogue entre les constructions et leur environnement est l’essence même de l’architecture.1»

2.1 Deux catégories liées

Nous allons maintenant présenter deux catégories qui se redéveloppent depuis quelques années : l’intégration d’un bâtiment dans le sol (par l’utilisation de la matière et de la topographie du lieu), et le fait d’afficher la matérialité du terrain sur l’édifice (révéler la partie du sol qu’on ne peut pas voir habituellement). Nous analyserons le rapport entre l’édifice et le sol perçu visuellement depuis l’extérieur dans ces deux positions à travers l’étude d’un projet de Souto de Moura.Aujourd’hui, on note un retour à l’exploitation de la matière du terrain, par des moyens et pour des objectifs qui diffèrent des huttes primitives et de l’architecture vernaculaire qui utilisaient la matérialité du sol d’accueil pour édifier un abri. Est-ce une volonté d’insertion dans les lignes du paysage, un choix écologique d’emprunter les ressources qu’offre le site, ou encore un retour aux principes de construction traditionnels de la région ? L’affichage de la matérialité du sol dans un projet est réalisé le plus souvent artificiellement : cela traduit-il uniquement une imitation de la nature en surface et en apparence?

1 «Architecture means unifying the duality of site and building which implies tha the building cannot be removed from its setting and studies as a separate entity. It is the dialogue between buildings and setting that is the essence of architecture», Shim B., “Nature, culture of the local”, A+U n° 458 Dwelling and the land, 2008, p. 16.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier36

L’édifice est intégré dans le sol

Dans cette typologie, l’édifice cherche à se fondre dans le paysage comme un caméléon : il utilise les propriétés du site – la topographie et la matérialité du sol - pour une bonne intégration dans le terrain, voire pour disparaître. Le sol s’émancipe peu à peu de son statut premier de fondation pour l’architecture puisqu’il devient un milieu caractérisé par des propriétés particulières que l’édifice cherche à acquérir. Parfois, un remodelage artificiel du terrain au service de l’architecture est effectué pour encastrer l’édifice dans le sol ou créer de nouveaux reliefs. Cette technique s’est développée dans les années 1980 avec l’utilisation de la terre armée – procédé issu du génie civil - pour l’habitation1.

Le cas de l’architecture souterraine - déjà présent dans certaines architectures vernaculaires avec les habitations troglodytes par exemple (illustration 17) - se rattache à cette typologie mais pose d’autres questions : celle de la lumière, de la qualité architecturale et des ambiances de tels espaces. En effet aujourd’hui le sous-sol évoque un milieu humide, froid, sombre, voire hostile. Cette connotation péjorative est due en partie au fait que les constructions souterraines soient des espaces en marge (réseaux), synonymes d’insalubrité (parkings), ou dotés d’un rôle subalterne. Les espaces souterrains constituent pourtant la première partie construite d’un bâtiment (fondations et caves) et assurent sa pérennité :« Lorsque le temps aura passé, que l’herbe et la mousse auront envahi l’édifice, lorsque les vents auront balayé les murs, que la tempête les aura réduit à ruine, seule restera la cave comme témoin du passé, comme représentant de la construction, comme ultime signature. Sera-t-elle digne ?2»

Les ambiances souterraines sont caractérisées par des effets sensoriels contradictoires qu’engendre la surprotection par la matière. En effet, les usagers sont coupés des bruits et de la lumière de la surface mais ils développent une hyper sensorialité3. Par exemple, dans une grotte l’œil s’adapte à l’obscurité et l’oreille est attentive à chaque bruit. Le lien entre le « sur » et le « sous » sol peut être marqué comme une empreinte si la partie supérieure de la construction souterraine émerge et est traitée différemment du sol naturel. Ce lien peut être invisible dans le cas ou la construction n’émerge pas à la surface ou se confond avec le sol.Le bâtiment remplaçant un volume de terre perturbe le sol qui l’entoure car son comportement est différent de celui-ci : il cherche à se protéger des différents flux souterrains (eaux, faune, flore, déplacement des strates), c’est pourquoi son enveloppe et ses fondations agissent comme un filtre à l’environnement. La structure des espaces souterrains est fortement liée à la composition du terrain : sa nature et sa forme définissent son aptitude à résister aux pressions du sol.

1 Trebbi J.C., Bertholon P., Habiter le paysage, Paris, éditions Alternatives, 2007.2 Telam, Lehcim, Les palais de sable, Méditerranée sud, Paris, 1956 , in Von Meiss P., Radu F., Vingt

mille lieux sous les terres, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2004, p.12.

3 Ibid.

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37Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

17. Habitat troglodyte chinoisLes maisons sont totalement enterrées et reçoivent de la lumière par la cour à l’air libre.Rudofsky B., L’Architecture insolite, Tallandier, Paris, 1979.

18. Photographie de la maison de MoledoL’habitation s’intègre dans les terrassements de la montagne en reprenant la roche granitique grise.Gili M., Eduardo Souto de Moura, Obra reciente, Barcelone, éditions Gustavo Gili, 1998.

19. Photographie de la maison de MoledoL’habitation est repérable dans le paysage par la dalle blanche en béton qui constitue la toiture.Gili M., op. cit.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier38

La maison que construit Souto de Moura en 1998 à Moledo, au nord du Portugal, s’inscrit dans les terrassements traditionnels de la montagne (illustration 18): les pierres granitiques grises de la région servent de soutènement et forment des bandes d’un mètre cinquante de largeur qui rythment la topographie montagneuse. La maison est ainsi intégrée dans le sol, bordée de murs de granit qui retiennent les terres : Le volume rectangulaire de l’habitation est enfoncé dans le terrain parallèlement à la pente, et seule la grande baie vitrée permet de repérer la façade principale.Ce projet est caractéristique des réalisations de Souto de Moura dans les années quatre-vingt-dix : l’habitation est fortement liée à son contexte géographique par son insertion dans le paysage et par l’utilisation de matériaux en lien direct avec le site. La maison de Baiao ressemble à celle de Moledo car elle lui a servi de modèle : l’espace habitable est creusé dans la pente du terrain et l’habitation devient une terrasse. Vue de dessus, elle est difficilement repérable car la toiture est recouverte de végétation.

Ce n’est pas le cas à Moledo car la toiture est une dalle de béton blanche, non végétalisée, qui contraste avec les terrasses gazonnées sur lesquelles elle se pose (illustration 19). Vu de dessus, c’est donc le seul indice manifestant aux visiteurs la présence de l’habitation dans son environnement car l’accès au terrain se fait par le haut de la parcelle.Cette dalle - à la fois toit et sol - crée une horizontale forte qui fait écho à la vue que procure la maison sur l’océan et accentue la planéité des terrasses. Elle trouve ainsi sa place dans le paysage, même si sa couleur et sa matérialité la rendent étrangère au site : l’architecte la qualifie « d’objet tombé du ciel ». C’est donc le seul objet indépendant du site : cette surface lisse en béton – ponctuée de petits objets quadrangulaires métalliques (cheminées et bouches d’aération) - s’oppose au reste de son environnement, autant par sa forme que par ses matériaux et leur couleur.Cette dalle ne parait pas liée structurellement à la maison : elle est posée entre deux terrassements et protège l’espace habité. Le débord de toiture de part et d’autre des grandes baies vitrées (quatre-vingts centimètres) accentue cette impression. En réalité, elle est supportée par les cloisonnements en bois qui délimitent les différents espaces intérieurs de l’habitation et que nous évoquerons après.

L’édifice expose le sol

L’usage de la matérialité du sol n’est pas récent, il est déjà présent dans beaucoup d’architectures vernaculaires, mais il a été oublié avec l’apparition de nouvelles technologies. En effet elles ont permis tout d’abord d’imiter les matières naturelles, d’en créer une quantité supérieure à celle que l’on pouvait tirer du sol et d’améliorer leurs performances mécaniques, puis elles ont fabriqué des matériaux qui n’existaient pas dans la nature.

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39Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

Dans cette catégorie de rapport au sol, nous allons observer ce retour à l’utilisation des ressources qu’offre le site : l’architecture s’installe sur un sol dont la matérialité influe sur celle du bâtiment ; en effet il fournit les matériaux bruts avec lesquels l’édifice est créé. Le sol transforme la matière en matériau de construction et devient ainsi visible. On peut considérer l’architecture comme une « machine » présentant la nature souterraine du sol, invisible avant la construction de l’édifice : cette connexion visuelle fait du terrain environnant une entité indissociable de l’architecture. Celle-ci semble être une matière extrudée, une déformation, voire une dérivation du sol.

Il existe plusieurs façons d’exposer la matérialité du terrain sur (ou dans) lequel s’installe un édifice : en creusant le sol afin de dévoiler sa coupe géologique ; en construisant avec des matériaux provenant du site (c’est un retour aux principes vernaculaires, non pas dans un but pragmatique mais plutôt pour afficher ce recours aux ressources du terrain, souvent à une fin écologique) ; en simulant artificiellement l’assise naturelle par le traitement du soubassement de l’édifice (utilisation de la roche ou la terre, souvent seulement en parement). Nous avons vu dans les projets précédents que les caractéristiques du sol peuvent être révélées par le contraste existant entre les édifices et le terrain. Dans cette partie, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’exposition de sa matérialité dans la recherche de continuité et d’homogénéité entre nature et architecture. La construction est présentée comme une émergence géologique du sol et donnent l’impression de fusion entre les deux entités alors qu’il se crée en réalité une distanciation subtile par la transformation de la matière du sol en matériau de construction.

Toujours dans le cadre de l’intégration de l’architecture à son environnement, celle-ci peut se couvrir de la texture du sol sur lequel elle repose, comme une seconde peau. L’édifice semble alors injecté dans le sol : ce dernier est soulevé pour atteindre une hauteur suffisante à la création de l’espace, ce qui provoque le gonflement. La construction ainsi intégrée crée une topographie artificielle du terrain. L’architecture n’est pas un objet posé sur un sol, c’est une irrégularité du terrain.Les problématiques que soulèvent de telles réalisations sont proches de celles concernant les constructions souterraines ; la différence avec l’architecture souterraine est que celle-ci nécessite de creuser le sol pour s’y installer et que la topographie originale du site n’est pas ou peu altérée.Afin de conserver un lien avec l’extérieur, l’édifice peut élever le sol sans être enterré : le sol remplacé par la construction est rendu au territoire au-dessus du bâtiment, c’est-à-dire que celui-ci noie sa masse dans la terre extrudée et le tout ressemble à un plateau - au sens géographique du terme : un territoire plat surélevé. Le traitement du lien entre sol et construction est aussi important en partie inférieure (au niveau des fondations de l’ouvrage) qu’en partie supérieure (au niveau de la toiture) car il y a alors deux niveaux de sol. Et le bâtiment entier représente la liaison entre les deux sols.

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20. Château de Feckenstein (Alsace) 11e siècleLa forteresse est bâtie avec la roche de la montagne est semble être un pic naturel.Rudofsky B., L’Architecture insolite, op. cit.

21. Coupe transversale sur l’habitationLa maison n’est pas imbriquée dans la pente mais conserve un retrait vis-à-vis de la paroi rocheuse.

22. Photographie: vue de la roche depuis le couloirLa matérialité géologique de la montagne est mise à nue et présentée derrière la façade vitrée.Gili M., op. cit.

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41Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

Dans cette même idée d’élever le sol, l’architecture peut venir le prolonger, aussi bien matériellement que topographiquement. Ce rapport au sol est caractéristique des forteresses médiévales : Bernard Rudofsky parle « d’accents topographiques du paysage à l’échelle de leur environnement»1 pour désigner ce lien fort entre architecture et site. En effet les forteresses en pierre bâties sur des éperons rocheux utilisent la matière découlant du site et semblent être un prolongement vertical presque naturel du pic topographique (illustration 20).

Eduardo Souto de Moura attache beaucoup d’importance au transfert de l’utilisation traditionnelle de la pierre dans la construction d’aujourd’hui, c’est pourquoi il utilise souvent le granit portugais dans ses projets, sous forme de larges blocs, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur des habitations. Dans le projet de Moledo, réalisé entre 1991 et 1998, les murs de terrassement en granit dessinent le paysage, ils créent la topographie et la rythment. Ces murs de soutènement sont typiques du nord du pays et dessinent le paysage rural traditionnel ; ils marquent chez l’architecte la volonté de conserver une tradition régionale.

L’utilisation de la pierre du site à Moledo se remarque sous une autre forme également : la façade arrière de l’habitation se détache de la roche naturelle d’environ un mètre cinquante, elle est mise à distance de cette paroi irrégulière, comme pour l’observer (illustration 21). L’habitation donne à voir la matérialité du sol sous sa forme la plus primaire : la baie vitrée ouverte sur toute la longueur montre la matière du terrain, donc le sol non transformé, et non pas le matériau pierre qui en a été tiré pour dresser les murs de la façade avant et de tous les terrassements. La pente semble avoir été taillée grossièrement pour laisser place au volume de la maison, les rochers se sont éboulées, et la façade arrière offre une vue sur la géologie de la montagne (illustration 22).

Le projet de Moledo s’inscrit dans le cas d’une apparente fusion entre architecture et nature par l’insertion de l’édifice dans les terrassements traditionnels de la montagne et l’utilisation de la pierre granitique qui les forment pour dresser les murs de l’habitation. Mais dans l’exposition de cette matérialité, l’architecte opère déjà une mise à distance vis-à-vis de la nature en présentant les différences entre le sol originel et le sol transformé.

2.2 L’illusion d’une apparente fusion

Dans les cas où l’architecture cherche à s’intégrer dans son contexte, les différentes caractéristiques du sol influencent nécessairement celles du bâtiment. Une attention particulière est accordée au choix des matériaux et au détail des points de contact qui lient les deux entités. La distanciation réside dans l’artifice de cette apparente fusion. Pour créer l’illusion, les architectes jouent sur l’utilisation de la topographie et de la matérialité du sol dans l’édifice. Pour revenir au sens premier du terme « distanciation » dans le théâtre de Brecht, il s’agit

1 Rudofsky B., L’Architecture insolite, op. cit., p. 201.

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justement de montrer l’artifice, de dévoiler le rapport entre art et vie réelle.« Ce qui est fabriqué par l’homme n’est pas naturel. Je pense de plus en plus que l’on doit conserver une distance entre le naturel et l’artefact. Mais il doit aussi exister un dialogue entre les deux. L’architecture est issue des formes naturelles, mais transforme également la nature. »1, Alvaro Siza.

Dans cette dernière partie, nous allons analyser plus en profondeur l’expression de la matérialité du sol naturel dans le projet de Moledo. Nous montrerons en premier lieu que le sol exposé à l’extérieur par la maison n’est pas vierge de toute intervention humaine, puis nous soulignerons la présence d’un contraste entre nature et artefact dans les espaces intérieurs de l’habitation, enfin nous étudierons les procédés de transition utilisés entre extérieur et intérieur.

Depuis l’extérieur : une nature artificielle

Le point de départ du projet à Moledo est l’insertion de la maison dans le contexte environnemental. Le point de contact entre architecture et nature est la pierre granitique qui forme les murs de terrassement de la montagne. Ce sont des éléments fondamentaux dans la définition spatiale du site car ils dessinent et rythment la topographie.

Chez Souto de Moura, la réutilisation de matériaux du site qu’il transforme par la suite est un principe de composition fondamental. Cela lui permet de révéler les traces les plus minimales générant le paysage. Il exploite ici les caractéristiques physiques et esthétiques du granit (orientation du grain, motifs d’érosion et de déformation, coupe du matériau) venant de la région et utilisé dans les constructions traditionnelles. Dans ses projets, on a remarqué précédemment que les murs blancs en maçonnerie ou en béton expriment la nouveauté, alors qu’ici le granit gris est utilisé en blocs comme mimétisme de la nature, afin que la construction se fonde dans le paysage2.A Moledo, les blocs de pierre ont été prélevés directement sur le site pour dresser les murs de soutènement qui dissimulent l’habitation et protègent l’espace habité de la poussée des terres3. Mais en réalité, aucun des murs du terrain n’est ancien. En effet, les bandes de terrassement ne mesuraient qu’un mètre cinquante de large alors que la maison avait besoin de trois mètres supplémentaires pour se poser. Donc l’ensemble de la topographie a été redessiné pour inscrire l’habitation dans son environnement. Le territoire a été remodelé en conservant le principe de base du terrassement traditionnel de la montagne : c’est un artifice maximal afin de préserver un maximum de « naturalité » et de fusion avec le terrain4;

1 « What is made by men is not natural. More and more I think that there must be a certain distance between the natural and the manmade. But there must also be a dialogue between the two. Architecture comes from natural forms, but it also transforms nature. », Jodidio P., Architecture: nature, Munich, editions Prestel Verlag, 2006, p.48.

2 Trigueiros L., op. cit.3 Séron-Pierre C., « La cinquième façade », AMC n°102, novembre 1999.4 « Une architecture entre nature et culture », op. cit., pp.31-35.

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43Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

artifice auquel l’architecte a consacré sept années d’études et qui représente plus de la moitié du coût de la construction !

Souto de Moura n’hésite pas à modifier entièrement le paysage autour de l’édifice pour assurer la continuité entre l’architecture et son site par la matière et la forme. L’architecte adopte d’ailleurs une position de topographe au début de ses projets : « le projet pour moi démarre quand j’arpente le lieu alors même que le programme n’est pas précisément défini. »1, E. Souto de Moura.L’édifice devient donc l’expression des caractéristiques physiques et culturelles d’un site pré-existant, et le terrain prend les traces d’un nouveau passé. Cette apparente symbiose est en réalité une totale illusion d’architecture naturelle : « il est parfois nécessaire de bafouer la nature afin de créer l’architecture »2, E. Souto de Moura.

Lorsque l’on observe les murs de soutènement, on remarque que certains sont montés de façon traditionnelle : un simple empilement de pierres sèches, et la végétation pousse parfois entre les blocs. Mais dans les murs qui soutiennent les terres à proximité de l’habitation et ceux qui l’encadrent, les pierres sont scellées par du mortier. Les principes constructifs sont ajustés à l’édifice. Ainsi l’architecte donne aux murs récents l’aspect d’une construction vernaculaire et ils deviennent des éléments représentatifs du paysage comme s’ils étaient présents depuis des décennies. Il utilise le même artifice pour la maison de Baiao, où la pierre du site permet à la nouvelle habitation de se confondre avec la ruine contre laquelle elle s’adosse. Dans ces deux projets construits dans des terrassements montagneux, il y a un jeu de confusion entre nature sauvage et nature artificielle: « la nature offre en permanence formes et matériaux à l’architecture, et l’architecture ajuste la nature pour ses propres besoins. »3, E. Souto de Moura.L’image de la nature donnée par ses murs de soutènement en granit est en fait l’image du paysage rural, témoin d’une intervention humaine dans le territoire : la matière a été extraite, transformée en matériau de construction, puis utilisée pour modifier la topographie du lieu.« L’architecture ressemble à la nature et la nature semble artificielle »4 disait Eduardo Souto de Moura en faisant référence à un voyage au Pérou où il a visité les ruines incas du Macchu Pichu.

A l’intérieur : contraste entre nature et artefact

Depuis l’intérieur, l’habitation lovée dans la paroi rocheuse pourrait revêtir un caractère troglodyte. Au contraire, la maison est mise à distance de l’enrochement naturel visible depuis la façade arrière. La paroi vitrée est un filtre physique entre espace naturel et espace crée par l’homme. L’habitation se recule par rapport à la

1 « Histoires de sites », Techniques et architecture n°440, octobre-novembre 1998, p. 83.2 « Para hacer arquitectura es necesario a menudo violar a la naturaleza », Gili M., op. cit., p.135.3 « La naturaleza proporciona constantemente formas y materiales a la arquitectura y esta

interviene en la naturaleza para adecuarla a sus propios fines. », Ibid., p. 136.4 « La arquitectura parece naturaleza y la naturaleza parece artificial », Ibid., p. 134.

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier44

23. Plan de l’habitationLes pièces principales profitent de la vue à l’ouest sur l’océan et les espaces servants font face aux murs granitiques ou à l’affleurement rocheux à l’est.

24. Photographie: granit des murs intérieurs et extérieursOn retrouve dans l’habitation la roche de la montagne utilisée pour les murs de terrassements.Gili M., op. cit.

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45Une distanciation subtile : la réalisation du lien entre architecture et nature

paroi rocheuse (d’un mètre cinquante environ) mais partage également son intimité par cette connexion visuelle. En effet, fidèle à sa définition de la fenêtre comme un « non-mur », l’architecte ouvre complètement la façade arrière par une baie vitrée toute hauteur et le cadre métallique des baies vitrées est affiné le plus possible comme pour s’effacer devant le véritable mur rocheux, opaque et dense.

L’organisation du plan souligne une hiérarchie des espaces, comme dans les projets présentés précédemment (illustration 23). Les espaces de vie sont orientés à l’ouest vers la vue principale sur le bas de la montagne terrassée et l’océan au loin alors que les espaces servants (cuisine et circulation desservant chambres, salle de bain et dressing) bénéficient à l’est de l’intimité rocheuse de la montagne, propre à leurs fonctions. Là encore, Souto de Moura joue sur le contraste entre naturel et artificiel : le mur rocheux derrière le mur de verre.

La maison n’est pas en contact direct avec la nature « sauvage » mais seulement avec la nature « artificielle » : celle des murs de soutènement dressés par l’homme qui la protègent des terres. A l’intérieur, la pierre de ces murs est visible car ils sont laissés nus (illustration 24). C’est l’introduction d’un matériau supplémentaire qui permet de délimiter les espaces intérieurs : des cloisons en bois entourent les chambres et forment des petites boîtes qui portent la toiture.

Transition entre extérieur et intérieur : propagation de la nature dans l’architecture

L’accès à la maison se fait par un petit chemin dans l’herbe qui longe la façade ouest en pierre pour arriver devant la grande baie vitrée qui ouvre tous les espaces de vie sur le paysage océanique. Une dalle en pierre au bout du chemin indique l’entrée vers le séjour et marque un premier seuil : à cet endroit, le cheminement change de direction. Jusque là, il s’effectuait du sud vers le nord, avec une large vue vers l’océan Atlantique côté ouest ; il va s’effectuer de l’ouest vers l’est, c’est-à-dire de l’extérieur vers une intériorité de plus en marquée.Le sol en pierre devient un plancher en bois après avoir passé la limite des murs de soutènement. Cette petite véranda est abritée par la toiture et longe toute la baie vitrée. Cette grande paroi de verre marque la limite physique entre espaces extérieurs et intérieurs. On observe, quant aux sols et aux murs, une continuité dans les niveaux et les matériaux : le plancher bois de la véranda se retrouve à l’intérieur et les murs en granit se prolongent de part et d’autre de la façade vitrée. L’architecte cherche à effacer le joint entre nature et architecture - omniprésent dans les trois projets précédents. Ici, le granit du sol naturel contamine les murs intérieurs, et inversement, l’artefact du bois se prolonge à l’extérieur sur la véranda.

Dans l’habitation, un second niveau d’intériorité est mis en place pour les espaces d’intimité (chambres, bureau, salles de bain, et dressing) car ils sont cloisonnés par des parois de bois. Quant aux cadrages sur le paysage naturel, ils changent d’échelle au fur et à mesure que l’on avance vers le fond de la maison (vers l’est).

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Le rapport entre l’édifice et son sol · Guillemette Poirier46

Sur la véranda, avant de pénétrer dans le séjour, la vue est large et lointaine sur l’océan (presque 180°) ; au milieu du séjour, la cloison en bois des chambres et le mur en granit de la façade ouest resserrent le cadrage ; enfin lorsqu’on recule jusqu’au couloir qui dessert les chambres, la vue sur l’extérieur est tout à coup centrée sur un élément très proche : l’affleurement rocheux de la montagne.

A Moledo le passage de l’extérieur à l’intérieur, de la nature au bâtiment, se caractérise donc par une recherche d’intimité grandissante - dans l’usage des espaces comme dans la vue offerte sur le contexte - mais aussi par une contamination réciproque des deux entités.

La fusion apparente au premier coup d’œil entre l’architecture de la maison de Moledo et son sol se révèle être le résultat d’une intervention importante sur le terrain, car toute la topographie du site a été redessinée pour permettre l’insertion de l’habitation entre les terrassements. D’autre part, à travers ce projet l’architecte joue sur différentes échelles : celle de l’ensemble du terrain puis celle de la matière constituant le sol.Dans les projets où l’édifice cherche à s’intégrer au sol - en s’enterrant dans celui-ci ou en se parant de sa matérialité –la distanciation de l’architecture vis-à-vis de la nature existe toujours : elle est dissimulée, plus subtile car elle réside essentiellement dans les décalages entre les différentes matérialités du sol (originelle ou transformée) et dans la succession de séquences formant la transition entre extérieur et intérieur.

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Conclusion

A travers l’étude de ces quatre projets d’Eduardo Souto de Moura, nous avons remarqué que la distanciation entre l’architecture et la nature dans le rapport au sol peut être de deux natures : affichée ou dissimulée. Elle se traduit par les différentes perceptions du poids de l’édifice vis-à-vis du terrain, par sa matérialité en lien ou non avec celle du sol, par l’inscription possible du volume dans les lignes topographiques, mais aussi par des cadrages intérieurs sur le paysage qui révèlent le rapport existant entre les deux entités – architecture et nature – et par un traitement particulier du seuil entre sol extérieur naturel et sol intérieur construit.

Les sols des différents sites possèdent des statuts particuliers qui découlent de la mesure du décollement, de la discontinuité ou bien de l’enterrement entre bâtiment et terrain. Dans les réalisations de Ponte de Lima, le sol sous la maison est considéré comme un étage (celui de la piscine), inclus dans les espaces de l’habitation. Il en va de même à Cascais, où une terrasse est aménagée sous le volume : l’espace laissé vide est appropriable car la hauteur du décollement est suffisante. En revanche le sol sous la maison aux abords de la véranda d’entrée ne possède pas le même statut : il est inutilisable, donc laissé sauvage, intouché. Dans le projet de Moledo, la situation est différente, car le sol s’est émancipé de son statut premier de fondation pour l’architecture, il est caractérisé par des propriétés que le bâtiment utilise afin de ne créer plus qu’une seule entité. En étant réemployé dans la maison, il est considéré comme une ressource précieuse, mise en vitrine.Nous avons remarqué également que l’architecte met en valeur la topographie du sol dans tous ses projets: le positionnement de l’architecture dans son site souligne les courbes du terrain ou bien contraste avec celles-ci.

Ce mémoire analyse la façon dont l’architecture de Souto de Moura s’insère dans un site, mais pourquoi choisit-il d’intervenir comme il le fait? Il ressort de l’étude des quatre projets que les choix de décollement ou de fusion correspondent aux caractères du site. En effet à Ponte de Lima, la parcelle est dégagée: c’est un pré en pente bordé par un bois, comme une grande clairière vierge, c’est pourquoi les

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maisons sont présentées comme des boîtes qui effleurent légèrement le sol. A Cascais, les pins qui occupent le terrain laissent apparaître le sol rocailleux car le volume du feuillage est en hauteur et le tronc est nu en partie inférieure, d’où le choix d’une habitation sur pilotis. Enfin, à Moledo la maison s’imprègne du caractère du site en devenant un terrassement de la montagne, mais en apparence uniquement: la toiture n’est pas transformée en terrasse gazonnée et la façade arrière n’est pas encastrée dans la roche.

Les effets et le sens qui résultent des deux degrés de distanciation dans le rapport au sol sont extrêmes chez Souto de Moura et caractérisent plus généralement le rapport de l’édifice à son contexte. Dans un premier cas, l’architecture est un volume pur, indépendant par rapport à son site, une petite machine qui fonctionne de manière autonome. Nature et architecture sont considérées comme deux entités bien différenciées. Dans un second cas, l’édifice est une continuité du paysage (même si ce prolongement résulte d’artifices) et émerge du sol. La nature est un matériau de construction qui permet de fabriquer l’architecture.Dans les projets étudiés, les différents rapports entre l’homme et la nature sont essentiellement exprimés à travers les vues : la nature est assimilée au paysage lointain caractérisant la région (mer, montagne ou forêt), ou bien la nature est plus proche et perçue comme un sol d’assise et comme matière à construire.

Dans la recherche d’homogénéité entre l’édifice et son terrain, l’architecte portugais travaille autant sur la forme (en modifiant la topographie pour mieux intégrer ou au contraire détacher ses projets du sol) que sur la matière. Il emploie à la fois les principes de l’architecture vernaculaire qui utilise les ressources du site et la texture du paysage comme substance de construction, mais aussi la définition de« l’architecture du XXIe » par Kengo Kuma qui considère le bâtiment comme un anti-objet n’affirmant pas son existence propre par rapport à la nature1. On peut également rapprocher son travail de celui d’un paysagiste lorsqu’il sculpte les courbes du sol à Moledo pour y intégrer sa maison.

Quand Souto de Moura recherche la fusion entre l’architecture et la nature, elle est toujours maximale, c’est-à-dire qu’il travaille la forme et la matière. Il n’existe pas d’entre-deux dans ses projets : le bâtiment disparaît dans le paysage. A l’inverse, pour détacher l’édifice du site et le présenter comme un objet indépendant, il rompt la continuité avec les courbes du sol et sa matérialité. On peut donc se demander pourquoi son architecture se situe dans ces cas extrêmes: n’existerait-il pas un positionnement intermédiaire visant à détacher l’architecture de son environnement (avec une matérialité différente), tout en respectant les propriétés topographiques du sol (en le prolongeant ou bien en s’y posant en suivant ses courbes, comme un négatif ) ?

1 Sakamoto T., « Anti-object: architecture that dissolves into environment », A+U n° 458, op. cit., p.10.

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Bibliographie

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Mémoires d’étudiants

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Vidéos

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