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ARISTOTE ET LA CATÉGORIE DE QUANTITÉ DIVISIONS DE LA QUANTITÉ Author(s): D. O'Brien Reviewed work(s): Source: Les Études philosophiques, No. 1, ARISTOTE ET L'ARISTOTÉLISME (JANVIER-MARS 1978), pp. 25-40 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20847453 . Accessed: 09/03/2012 09:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques. http://www.jstor.org

Aristote Et La Catégorie de Quantité Divisions de La Quantité

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ARISTOTE ET LA CATÉGORIE DE QUANTITÉ DIVISIONS DE LA QUANTITÉAuthor(s): D. O'BrienReviewed work(s):Source: Les Études philosophiques, No. 1, ARISTOTE ET L'ARISTOTÉLISME (JANVIER-MARS1978), pp. 25-40Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/20847453 .Accessed: 09/03/2012 09:11

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ARISTOTE ET LA CAT?GORIE DE QUANTIT? DIVISIONS DE LA QUANTIT?

L'analyse de la quantit?, au chapitre 6 des Cat?gories, se fonde prin cipalement sur la distinction entre ce qui est discret et ce qui est continu (4 b 20 sqq.). La quantit? discr?te est repr?sent?e par le nombre et par le logos; la quantit? continue, quant ? elle, est repr?sent?e princi palement par la ligne, la surface et le corps, et d'une fa?on compl?men taire (cf. a a a a) par le temps et le lieu (4^20-25).

Dans ce texte il ne faut pas traduire (4^22-25), comme le font

Barth?l?my Saint-Hilaire et plusieurs auteurs plus r?cents :

? La quantit? d?finie est,par exemple, le nombre et la parole... ?

(p. 73 : c'est moi qui souligne).

Le terme d'? exemple ? est ambigu. Certes, la ligne, la surface, le lieu et le temps sont tous des ? exemples ? de la quantit? continue. Mais la phrase ? par exemple ? signifie toujours, me semble-t-il, que la liste

qui s'ensuit ne sera pas exhaustive. On ne dit pas : ? mes enfants, par

exemple Jean et Jacques ?, quand on n'en a pas d'autres, bien que Jean et Jacques soit chacun un ? exemple ? de ces enfants. Or, apr?s son analyse

pr?liminaire, Aristote nous dit, de fa?on explicite, qu'il n'y a pas d'autres

quantit?s que celles qu'il a nomm?es.

? Seules ( a) sont appel?es quantit?s au sens propre ( ) les choses dont nous venons de parler; tout le reste l'est seu

lement par ? accident ? ? (5 a 38-39, traduction Tricot; c'est moi

qui souligne).

J'en conclus que la traduction que nous donne Saint-Hilaire du mot au commencement du chapitre est erron?e. La ligne, la surface et

le corps, avec le lieu et le temps, ne sont pas des exemples de la quantit?, au sens o? ils en seraient des exemples choisis parmi d'autres. Au contraire,

Les Etudes philosophiques. n? 1/1978

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Aristote donne, semble-t-il, une liste qui ?puise, ou qui renferme, toutes les quantit?s. Il faut traduire par ? ? savoir ? : ? il existe la quantit? continue, ? savoir la ligne, la surface ?, etc. (b 22-25)1.

C'est l? un point de traduction important. Albert le Grand (De praedicamentis, tract. Ill, chap, ) signale l'absence d'une d?finition de la quantit?, absence d'autant plus frappante que l'analyse de la substance, de la relation et de la qualit? (dont la premi?re pr?c?de celle de la quantit?, alors que les deux autres lui succ?dent) d?bute par des formules ayant, plus ou moins, le caract?re d'une d?finition : la substance, chap. 5, 2^11-13; les relatifs, chap. 7, 6*736-37; la qualit?, chap. 8, 8^25. Il est vrai que, dans les deux premiers passages, on trouve le mot olov dans un contexte qui permet, et m?me exige, la traduction ? par exemple ? : la substance ? ... par exemple ( ) l'individu, homme ou cheval ?

(za 13-14); le relatif ? ... par exemple ( ) ce qui est plus grand ?

(6 a 37-38). Mais, selon saint Albert, la division de la quantit?, entre le continu et le discret, remplace la d?finition. L'?num?ration compl?te des quantit?s est li?e, ? mon avis, ? ce remplacement.

Bref, Aristote ne d?finit pas (ou ne sait pas d?finir) la quantit?. Il ne nous offre pas quelques exemples servant ? illustrer une d?finition (ou l'esquisse d'une d?finition). Il nous offre plut?t une ?num?ration d'entit?s

qui serait, au moins pour la quantit? continue, complete. L'absence, soit d'une d?finition, soit d'une formule de pr?sentation unifi?e, est impor tante, me semble-t-il, pour une recherche de la m?thode adopt?e par

Aristote dans son analyse de la quantit?2.

. La traduction de J. Barth?l?my Saint-Hilaire, Paris, 1844, est identique ? celle des Allemands (zum Beispiel), S. Maimon, Berlin, 1794, 27, A. Heydemann, Berlin, 1834, 8, H. Bender, Stuttgart, 1872, 15, J. H. von Kirchmann, Leipzig, 1876, io-ii, E. Rolfes, Leipzig, 1920, 45, et P. Gohlke, Paderborn, 1951, 30, ainsi qu'? la traduction italienne de G. Colli, Torino, 1955, 16 (adesempio).

Une certaine ambigu?t? s'attache ?galement ? la traduction ? exemples ?, que donne J. Tricot, Paris, 1936, 20. Cette formule est r?p?t?e dans les traductions italiennes (esempi) de D. Pesce, Padova, 1967, 5/, et de D. Antiseri, Bergamo, 1971, 55, dans la traduction roumaine de M. Florian, Bucarest, 1957, 138 (exemple), et dans la traduction anglaise de Le Roy F. Smith, Californie, 1959, // (examples). Le m?me sens se retrouve, avec une tour nure l?g?rement diff?rente, dans la traduction d'Oxford des uvres d'Aristote (1928) (instances), par Mlle E. M. Edghill, dont la traduction est reprise par H. P. Cook, dans la collection ? Loeb Classical Library ?, 1938, 3 (we may here instance).

La faute pourtant avait ?t? signal?e tr?s clairement par T. Waitz, Aristotelis Organon, Leipzig, 1844, 280, 293, dont le jugement est repris dans Ylndex Aristotelicus de H. Bonitz, Berlin, 1870, 501 h 43

- 502 a 27, notamment 502 a 9. Les deux sens du mot (? par exemple ?

et ? ? savoir ?) sont distingu?s dans le lexique de Liddell, Scott et Jones s. v. (? ? savoir ? = V, 2 e).

2. Je parle de ? l'esquisse d'une d?finition ? ou d'? une formule de pr?sentation unifi?e ? : dans les trois exemples cit?s, le terme a' n'est employ? que r?trospectivement, quand il s'agit de la d?finition liminaire du relatif (chap. 7, 8 a 29, 33, qui renvoie ? 6 a 36-37). Le commentaire d'Albert le Grand sur l'absence d'une d?finition de la quantit? a ?t? signal? par D. F. Scholz, Laval tbe'ologique et philosophique, 1963, 19, 229 sqq.

Je laisse de c?t?, dans cet expos?, l'analyse de la quantit? qui se trouve dans la M?ta

physique, livre , chap. 13. Cependant, notons en passant que l'analyse de la quantit? dans ce trait? d?bute par une ? d?finition ?, 1020 a 7-8, mais que l'auteur n'indique plus, maintenant, que la liste des quantit?s soit exhaustive.

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La cat?gorie de quantit? *7

Autre probl?me de traduction : selon Tricot (p. 20), les trois premiers ? exemples ? de la quantit? continue seraient la ligne, la surface et le solide. Mais au commencement du chapitre Aristote parle non pas du solide ( e e ), mais du corps ( a, 4 b 24). Certes, dans son analyse de la position, quelques lignes plus loin, ce sera l'inverse : Aristote

parlera non pas du corps, mais du solide ( e e , 5 a 23). Mais je ne

crois pas que l'emploi des deux mots, dans les textes cit?s, soit d? au

hasard. Dans son analyse de la position, Aristote parlera de la superficie ( e , 5 a 19 et 21), tandis que dans son premier ?nonc? il parle de la surface (e a e a, 4 b 24). De ces deux mots, le premier, e ,

s'emploie surtout dans un contexte g?om?trique, par exemple dans les textes o? Aristote accuse Platon d'avoir franchi ill?gitimement le seuil

qui s?pare la g?om?trie du monde sensible, en construisant des corps ?

partir des surfaces (par exemple dans le trait? Ou ciel, III, 1, 299 a 1 sqq.). En revanche, quand on emploie le mot a e a, on est d?j? dans le monde sensible en ce sens que le mot - a e a d?signe surtout, en

raison de son ?tymologie m?me, la surface visible ou apparente. Il est

donc normal que, dans son premier ?nonc?, Aristote parle ? la fois du

corps et de la surface ( a et a e a, 4 b 24, cf. 5 a 4-6), tandis que, dans son analyse ult?rieure, il parle du solide et de la superficie ( e e et e , 5 a 19, 21, 23). (Je distingue, par une convention arbitraire, les deux mots fran?ais pour signaler la diff?rence qui existe en grec entre a e a et e ).

Il s'ensuit que la traduction de Tricot confond la physique et la

g?om?trie dans la d?monstration de la continuit? des parties du corps

(5 a 4-6). Tricot (p. 21) se sert ? la fois du solide et du corps, l? o? Aristote ne parle que du corps. Dans la traduction de Tricot l'argument d'Aristote devient un non se qui tur.

? Quant ? la ligne, c'est une quantit? continue, car il est

possible de concevoir une limite commune o? ses parties se

touchent : c'est le point. ... Il en est de m?me pour le solide :

on peut concevoir une limite commune, ligne ou surface, o? les parties du corps sont en contact ? (5 a 1-6, Tricot, p. 21 :

c'est moi qui souligne)3.

Une erreur du m?me genre, mais qui va dans le sens oppos?, se trouve

dans la traduction d'Ackrill, o? les mots signifiant ligne, surface et

$. Je ne veux pas exag?rer la coh?rence de la terminologie aristot?licienne. Dans le texte

cit?, les deux termes ? surface ? et ? superficie ? s'emploient d'une fa?on apparemment syno nyme

? ? moins que, ce qui serait une distinction r?elle, pour ?tablir la nature d'une ? sur

face ? (e a e a, 5 c 2-3), Aristote n'ait fait appel ? la propri?t? g?om?trique d'une ? super

ficie^) ( e , } a 3-4).

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28 D. O'Brien

corps (4^23-24) apparaissent au pluriel (p. 12)4. Cette inexactitude

pourrait sembler, au premier abord, sans importance. Mais, comme

Aristote le remarque tr?s justement, dans le trait? Du ciel (I, 5, 271 h 8-9), une faute minime, faite au commencement d'une enqu?te, ? se multiplie mille fois ? quand on avance dans l'analyse. En traduisant ces mots au

pluriel, Ackrill ne fait en effet que renforcer (peut-?tre sans m?me y

prendre garde) son propre sentiment que, dans le cas du nombre, Aristote ne parle pas des nombres, mais des ? agr?gats nombrables ?.

? Quand Aristote range les nombres dans la m?me liste que les lignes et les surfaces, etc., c'est qu'il pense ? coup s?r aux

agr?gats nombrables (it is surely numerable aggregates that he has in mind), et non pas au nombre 3 ou au nombre 4 ? (p. 93).

? ... C'est d'agr?gats qu'Aristote devrait parler (should be

speaking) ? (p. 94).

Notons, dans le premier passage, le glissement entre ce qui est dit

explicitement dans le texte d'Aristote, et ce que le lecteur est en droit

d'y ajouter (surely... must). Notons ?galement, dans le second passage, que M. Ackrill n'a pas distingu? entre ce dont Aristote a parl? et ce

dont, en bon philosophe, il aurait d? parler (should). Notons finalement le peu de coh?rence entre les deux passages. Dans le premier passage,

M. Ackrill affirme qu'Aristote ? pense ? coup s?r aux agr?gats ?; et

pourtant il reconna?t, dans son commentaire sur le second passage, qu'il n'en a pas parl?. Mais si Aristote n'a pas parl? d'agr?gats, est-il bien s?r qu'il soit tenu de les avoir ? l'esprit?

M. le Pr Ackrill enseigne actuellement la philosophie ancienne ? Oxford. Or, ? l'origine de ce type de remarques, dont je n'ai cit? ici

qu'un exemple, se trouvent, ? mon avis, les ? peu pr?s dont se satisfait

trop souvent une certaine tradition de l'histoire de la philosophie en

Angleterre, surtout ? Oxford. Certes, il peut ?tre revigorant ? ou tout

au moins rafra?chissant ? de pr?tendre lire Aristote d'un point de vue

purement philosophique. Mais le critique est facilement induit en erreur

quand il ne veut pas distinguer entre ce qui est ?vident pour nous

(cf. surely... must) et ce qui l'?tait pour les philosophes du monde antique. Mais revenons au texte. Aristote parle de la ligne, de la surface et du

corps, au singulier, parce qu'il introduit, d'une fa?on g?n?rique, les trois manifestations primordiales de la quantit? continue. Dans le cas de la

quantit? discr?te, il n'est pas du tout ?vident qu'il parle des choses, ou

des agr?gats nombr?s ou nombrables, et qu'il ne parle pas, d'une fa?on ?galement g?n?rique, du nombre.

La nature du ? nombre ? dont Aristote nous parle est un probl?me

4? J. L. AcKRiLL, Aristotle's 'Categories'... translated with notes, dans la collection ? Clarendon Aristotle series ?, Oxford, 1963. J. Duerlinger parle de ? la traduction excellente ? et de ? l'analyse p?n?trante ? de cet ouvrage, Phronesis, 1970, 75, 179. Cependant un jugement diff?rent se dessine dans la critique de G. H. Apostle, New scholasticism, 1976, 50, 204-211.

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La cat?gorie de quantit? 29

auquel il faudra revenir, sans avoir pr?jug? de notre analyse ?ventuelle

par une traduction peu exacte du commencement du chapitre. Pour le

moment, notons en passant la diff?rence d'approche chez les deux

auteurs, Ackrill et Tricot. En supposant qu'Aristote parle ^agr?gats nombrables, et non pas de nombres, Ackrill voudra tenir l'analyse de la

quantit? ? l'?cart de la math?matique, alors que Tricot, anim? d'un

esprit plut?t intellectualiste, fait redescendre la g?om?trie jusqu'au monde

sensible, en parlant du solide l? o? Aristote ne parle que du corps. Chez le commentateur anglo-saxon, nous voyons, me semble-t-il, les traces de l'empirisme, tandis que dans la traduction de Tricot nous voyons

plut?t, si je ne me trompe, l'influence de Descartes, pour lequel l'?tendue

g?om?trique sert de base ? l'explication des apparences sensibles. Dans l'un et l'autre cas nous risquons de fausser la pens?e d'Aristote, en introduisant des pr?suppos?s qui lui sont ?trangers.

Il existe une autre difficult? de traduction par rapport au deuxi?me membre de la quantit? discr?te : le logos. Tricot (p. 20) traduit ? discours ?. Ackrill (p. 12) traduit language. La difficult? n'est pas uniquement une

difficult? de traduction. Ackrill s'exprime de la fa?on suivante :

? L'introduction par Aristote de la cha?ne parl?e comme ?tant une quantit? primaire nous para?t bizarre. La longueur d'une syllabe

? ce que nous appelons encore aujourd'hui sa ? quantit? ? ? provient de la dur?e requise pour la prononcer. La cha?ne parl?e n'est donc pas le sujet primaire (et non d?riv?) des propri?t?s quantitatives ? (p. 93 : je traduis par le terme,

technique en linguistique, de ? cha?ne parl?e ? les mots anglais spoken language utilis?s par Ackrill).

Notons d'abord l'incoh?rence entre la traduction d'Ackrill et son commentaire. Ackrill a traduit logos par language : l'ensemble des mots. Sa critique s'attache aux ?l?ments des mots : les syllabes. De quoi s'agit-il :

mots ou syllabes ? Ce n'est ni l'un ni l'autre : ? mon avis, l'analyse aris tot?licienne ne prend, en effet, pour sujet ni les mots ni les syllabes, mais le mot, au singulier.

Consid?rons de plus pr?s ce que nous dit Aristote au sujet de l'unit? du logos.

Le logos est une quantit? discr?te : ? ... car il n'y a aucune limite o? ses parties soient en contact : il n'y a pas de limite commune o? les syllabes se rencontrent, mais chacune d'elles est distincte en elle-m?me et par soi ? (4 b 35-37 : trad. Tricot).

La comparaison se fait avec la ligne, qui est continue :

?... car il est possible de concevoir une limite commune? dans la ligne ? o? ses parties se touchent : c'est le point ? (5 a 1-2).

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3? D. O'Brien

Il est par trop ?vident, me semble-t-il, que les syllabes des mots

divers ne doivent pas avoir de point commun par o? elles s'uniraient les unes aux autres. Les mots divers peuvent exister ? ils peuvent ?tre prononc?s

? isol?ment l'un de l'autre. L'essentiel, dans l'analyse d'Aristote, est de montrer que les syllabes d'un seul mot font une unit?, mais une unit? dont les parties ne se r?unissent pas en quelque limite commune. Il n'existe, dans le mot, rien d'analogue ? ce qui serait le

point pour la ligne. Mais dans les deux cas il s'agit d'une unit?, une

ligne, un mot, et non pas des entit?s plurielles, des lignes, des mots. Et cependant la diff?rence entre singulier et pluriel pourra sembler

minime, et m?me fugitive. Admettons que, dans la comparaison entre le logos et la ligne, Aristote pense ? un seul mot (4 b 32-5 a 2) : est-ce encore le cas dans la suite de son analyse (5 a 33-36)? En effet, aux deux

endroits, la traduction au singulier est essentielle, me semble-t-il, si nous esp?rons saisir la port?e exacte de la pens?e aristot?licienne. J'ai propos? de consid?rer la liste des quantit?s comme ?tant exhaustive. En ce qui concerne la quantit? continue on pourrait bien penser

? du moins on con?oit bien comment certains ont pu se le figurer

? que la

ligne, la surface et le corps, et en outre le temps et le lieu, renferment, et ?puisent, toutes les possibilit?s. Mais comment pourrait-il en ?tre de m?me avec la quantit? discr?te ? Au premier abord, il est invraisem blable que le nombre et le mot puissent ?tre les seules quantit?s discr?tes, tant ? cause de leur h?t?rog?n?it?, que du caract?re inattendu, dans ce

contexte, du logos ? de sa ? bizarrerie ? pour reprendre le mot d'Ackrill.

Mais rappelons le souci majeur d'Aristote ? ce propos : ?viter, dans sa th?orie de la mati?re et du corps, les deux erreurs fondamentales qu'il voyait dans les syst?mes de ses devanciers. A cet ?gard, les syst?mes les plus avanc?s dans la doxographie d'Aristote sont ceux de Platon et de D?mocrite. Chez Platon, les entit?s g?om?triques (les points, les

lignes, les surfaces) aboutiraient ? d'apr?s la critique qu'en fait

Aristote ? ? faire ressortir le monde mat?riel (les corps : par exemple, Du ciel, III, , 299 a 1-300 a 19). Par contre, D?mocrite essaie de fonder l'existence des substances physiques sur des solides, mais des solides

qui sont indivisibles (par exemple, Du ciel, III, 4, 303 a 3-8). De ce

point de vue l? les deux syst?mes sont bien diff?rents l'un de l'autre, et pourtant dans les deux cas l'erreur radicale, d'apr?s le Stagirite, serait la m?me. Pour Platon, les corps sont produits par la composition des

surfaces, les surfaces sont faites de lignes, et les lignes sont faites de points. Mais si les lignes sont faites de points, les points devront ?tre ?tendus, tout en gardant

? ?tant des points ? leur indivisibilit?. Le monde

mat?riel serait donc fait, pour Platon, de ? longueurs indivisibles ?

(a a e a , 299 a 11), de la m?me fa?on que, pour les Atomistes, le monde sera fait de ? grandeurs indivisibles ? ( e ... a a e a, 303 a 5-6). Mais dans la pens?e d'Aristote, les deux caract?res, extension et indivisibilit?, sont inconciliables. Dans ce contexte, les seules entit?s

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La cat?gorie de quantit? 31

qui seraient indivisibles, selon lui, seraient le point en g?om?trie, instant dans la mesure du temps, et Vunit? en arithm?tique. Toute entit? ?tendue

serait, en tant que telle, divisible. Pour en revenir donc au texte des Cat?gories, le point et l'instant ne

sont que les divisions de la quantit? continue : la ligne ou le temps. Mais l'unit? ne sert pas ? diviser le nombre. Le nombre, ou plus exacte

ment les nombres, sont compos?s d'unit?s. Il s'ensuit que le nombre

serait, pour Aristote, la seule entit? discr?te, en ce sens que ses parties ne sont ni ?tendues dans l'espace ni continues dans le temps

? elles ne

peuvent donc pas ?tre ? en contact ?, et ne peuvent ? se r?unir en une

limite commune ? (cf. 4^25-30). Certes, les corps sont discrets, aussi

bien que les ?v?nements, en ce sens qu'ils peuvent exister isol?ment

l'un de l'autre; mais chacun d'entre eux, de sa propre nature, est une

quantit? continue, ou bien dans l'espace, ou bien dans le temps. D'o? vient donc l'importance du logos? Ce qui fait la particularit?

du ? mot ? c'est que les parties individuelles du mot, les syllabes, prises isol?ment, sont continues dans le temps, tandis que chaque partie, tout

en composant une unit?, le mot, est discr?te. Voil? pourquoi il est

important, me semble-t-il, de prendre logos dans le sens d'un mot, au

singulier, et non pas des mots, au pluriel. Au pluriel, les mots seraient ? discrets ?, c'est-?-dire s?par?s les uns des autres, comme les corps ou

les ?v?nements. Mais ? l'int?rieur m?me d'un mot les parties, les syllabes,

peuvent ?tre discr?tes, tout en constituant une unit? : le mot.

Cela explique ?galement l'erreur d'Ackrill, dans la note (p. 93) que j'ai traduite, quand il veut r?duire le logos ? l'exemple du temps. Il est bien vrai que les syllabes, prises isol?ment, poss?dent chacune une

continuit? dans le temps. Mais ce ne sont pas les syllabes isol?es qui

repr?sentent, pour Aristote, la quantit? discontinue. C'est du mot qu'il serait important de montrer qu'il pourrait ?tre une entit? o? la quantit? se compose d'?l?ments discrets, lesquels cependant, par opposition au

nombre, sont, quant ? eux, continus.

Bref, dans la conception du Stagirite, ce dont les parties ne sont

?tendues ni dans l'espace ni dans le temps ? ? savoir le nombre ? ne

serait pas une quantit? continue; par contre, ce dont les parties sont

?tendues, soit dans l'espace soit dans le temps, pourrait ?tre ou bien une

quantit? continue ? la ligne, la surface, le corps, le temps ? ou bien

une quantit? discr?te ? le mot.

Cependant, il existe toujours une difficult? dans ce texte (4^32 sqq.). Tout en voulant mettre en ?vidence le caract?re singulier du logos, o?

les parties sont discr?tes, tandis que chacune, prise isol?ment, est continue,

je ne me suis pas servi de la diff?rence qui est signal?e en 4 b 32-34, au

sujet de la longueur des syllabes. On pourrait croire, dans ce texte-l?, que la diff?rence de longueur

sert ? souligner la discontinuit? des syllabes : c'est-?-dire que les syllabes sont discr?tes parce que leur diff?rence de longueur ne leur permet

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3* D. O'Brien

pas d'etre continues (cf. l'analyse de la discontinuit? dans le mouve

ment, Phys., V 4, 228 a 19 sqq.). Cependant, je suis port? ? croire que Mme Zaslawsky a raison en proposant de traiter les lignes, e a

a e a a e e a a a? a a a

? a e a (4 b 32-34) comme ?tant une glose5. Cette phrase a pour intention de montrer que le logos est une quantit?, tandis que dans le contexte il

s'agit plut?t de montrer que le logos est discret (cf. 4 b 32 : a e a e ). On pourrait objecter que l'auteur fait

un pas en arri?re, si je puis dite, pour montrer d'avance que le logos est une quantit?, en laissant de c?t?, pour l'instant, la question de savoir s'il s'agit d'une quantit? discr?te ou continue. Il semble pourtant anormal

que, pour montrer que le logos est une quantit?, il invoque son caract?re

continu, l? o? il s'agit plut?t de justifier son classement aupr?s du nombre,

qui est discret. Pour revenir ? l'essentiel : je conclus qu'avec le logos le nombre des

cas possibles de la quantit?, tant discr?te que continue, est ?puis?. La

quantit? continue est compos?e des entit?s o? les parties se r?unissent en une limite commune; la quantit? discr?te se manifeste ou bien par le

nombre, o? les parties ne sont ni ?tendues dans l'espace ni continues dans le temps, ou bien par le logos, o? les parties sont bien continues dans le temps, mais discr?tes l'une de l'autre.

Certes, on pourra critiquer la m?thode par laquelle je suis arriv? ? cette conclusion. Pour expliquer (bien que d'une fa?on tr?s sommaire) un certain probl?me dans les Cat?gories, j'ai utilis? (d'une fa?on que l'on pourra dire arbitraire) des textes tir?s d'autres trait?s de l' uvre aristot?licienne. A mon avis, c'est la grande erreur d'Ackrill d'avoir voulu commenter le texte des Cat?gories sans tenir compte des conceptions que l'on trouve, explicites ou pr?suppos?es, dans d'autres textes du

Stagirite6.

En m?me temps qu'il introduit la distinction entre quantit? continue et quantit? discr?te, Aristote annonce une autre distinction, entre

pr?sence et absence d'une position (? savoir une position spatiale) r?ciproque entre les parties d'une quantit? ( , 4 b 21-22). Cette distinction est ?labor?e dans la deuxi?me section du chapitre sur la

quantit? (5 a 15-37), o? l'on apprend que les quantit?s dont les parties

5? Cette interpr?tation a ?t? propos?e lors d'une s?ance dans le Centre L?on-Robin, ? la Sorbonne. La phrase cit?e et celle qui suit (4 b 34-3 5 : a e a

e ) sont mises entre parenth?ses dans l'?dition de L. Minio-Paluello (Oxford, 1949).

6. Certes, Ackrill fait de rares allusions aux textes de la M?taphysique, mais m?me les paral l?les les plus frappants ne sont pas discut?s chez lui d'une fa?on d?taill?e. Ce caract?re cursif du commentaire a ?t? d?j? signal? par le Pr A. C. Lloyd, dans un compte rendu de l'ouvrage d'Ackrill, The philosophical quarterly, 1966, 16, 258-267, cf. 266. Mais Lloyd semble consi d?rer comme une vertu ce qui me para?t ?tre une faute de m?thode radicale.

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La cat?gorie de quantit?

n'ont pas de position r?ciproque manifestent la succession ou l'ordre

( a , 5 a 28-37). La diff?rence entre les deux classifications est centr?e sur le temps. Les parties de la ligne, de la surface et du corps ont une position r?ciproque; les parties du nombre, du mot et du temps n'en ont pas. Le temps se range donc avec les quantit?s continues dans la premi?re classification, mais avec les quantit?s dont les parties n'ont pas de position r?ciproque dans la seconde.

M. Ackrill critique l'incoh?rence de cette double distinction.

? Il est ?tonnant qu'Aristote fasse appel ? la dur?e limit?e des parties du temps et des mots pour d?montrer l'absence d'une position r?ciproque. L'argument ? Comment une entit? d'une dur?e limit?e pourrait-elle avoir une position r?ci

proque ? ? n'a gu?re la force d?finitive et apparente que lui voudrait Aristote ? (p. 94).

La critique est banale. Certes, il est ?vident qu'une entit? pourrait avoir une position par rapport ? autre chose, m?me si cette entit? ?tait d'une dur?e limit?e : par exemple, le fait que ma pr?sence dans cette

pi?ce soit d'une dur?e limit?e n'a rien ? voir avec ma position par rapport ? celui qui se trouve en face de moi. Mais dans le contexte o? Aristote

propose une dur?e limit?e comme preuve d'une absence de position (5 a 23 sqq.), il est bien ?vident qu'il s'agit des parties successives d'une seule entit?. C'est comme si une deuxi?me personne ne pouvait entrer dans la pi?ce avant que je m'en sois retir?. Les parties du temps, comme les parties du mot, les syllabes, ne peuvent exister que l'une apr?s l'autre.

Dans cette circonstance, il est tout ? fair clair, ? mon avis, que la limi tation de la dur?e est une condition suffisante de l'absence d'une position r?ciproque. En effet, la critique d'Ackrill requiert une explicitation de

l'argument, que l'on ne trouve nulle part dans les ?crits ?sot?riques d'Aristote.

Cependant, l'erreur d'Ackrill sur les parties successives du temps, bien qu'elle soit en elle-m?me assez banale, ?claircit l'incoh?rence que j'ai d?j? signal?e dans son analyse du nombre. Ackrill suppose, je l'ai d?j? not?, que dans son premier ?nonc? Aristote a dans l'esprit les agr?gats nombrables et non pas les nombres abstraits (si je comprends bien ce que veut dire, chez Ackrill, ? le nombre 3 ? et ? le nombre 4 ?, p. 93). Mais dans son commentaire Ackrill critique Aristote d'avoir introduit des

arguments qui conviennent pour les nombres abstraits, et non pas pour les agr?gats (p. 94). L'erreur saute aux yeux. Si les arguments d'Aristote ne conviennent que pour le nombre abstrait, pourquoi supposer que ce dernier ne soit pas l'objet de son analyse ? En effet, Ackrill, dans les

phrases d?j? cit?es, suppose que ce sont les agr?gats qu'Aristote ? est tenu ? d'avoir ? l'esprit, parce que le nombre est introduit ? c?t? ? des

lignes, des surfaces, etc. ? (p. 93 du commentaire d'Ackrill). Mais la traduction d'Ackrill (p. 12) est incorrecte. Aristote ne parle pas des lignes

?T. ? 2

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34 D. O'Brien

et des surfaces. Il parle de ? la ? ligne et de ? la ? surface, c'est-?-dire que ces mots, en grec, sont pris au singulier.

L'analyse des parties successives du temps confirme bien que nous devons rejeter l'argument d'Ackrill. Celui-ci admet, en effet, que les

agr?gats nombrables, c'est-?-dire, si je l'ai bien compris, les choses que l'on peut nombrer, peuvent ?tre en contact, et peuvent avoir une posi tion r?ciproque. Par contre, ce dont les parties ne sont pas en contact,

mais se succ?dent, sans avoir pour autant une position r?ciproque, c'est le

temps et ce sont les nombres. Il est donc assez ?vident que dans l'analyse du Stagirite, m?me au commencement du chapitre, ce ne sont pas les

agr?gats nombrables qui sont introduits ? c?t? de la surface et de la

ligne, mais plut?t le nombre, en tant que tel.

Je ne suppose pas que ces remarques pr?liminaires suffiront ? ?claircir toute la difficult? de la conception aristot?licienne du nombre, dans

l'analyse de la quantit?. Mais le probl?me ne se pose pas de savoir com ment les choses nombr?es peuvent ?tre consid?r?es comme n'?tant pas en contact, ou comme ?tant successives. Les arguments t?tonnants et tortueux d'Ackrill ? ce propos (pp. 93 et 94-95) passent ? c?t? du vrai

probl?me, qui est plut?t de savoir comment ce qui est pour nous un

moyen de mesure ou de calcul peut ?tre consid?r? comme ?tant lui-m?me une quantit?, alors qu'on aurait pens? que la quantit? devrait ?tre plut?t l'objet de la mesure ou du calcul. Ce probl?me est capital pour une analyse de la quantit? chez Aristote. En particulier, ce probl?me nous impose une lecture attentive des critiques qu'Aristote adresse aux th?ories

platoniciennes du nombre, surtout dans les deux derniers livres de la

M?taphysique, o? nous trouvons une distinction qui s'av?re cruciale ? ce propos, entre l'unit? et le nombre, dont la premi?re sert ? la mesure de la pluralit?, tandis que le nombre ne s'identifie qu'? la pluralit? qui est

objet de mesure (Met. N, 1, 1088 a 4-8). Une seconde distinction est essentielle ? ce propos. Jusqu'ici j'ai

simplifi? le probl?me en n'admettant que la distinction entre les choses nombr?es et le nombre en tant que tel. En effet, dans la pens?e du

Stagirite, on distingue plut?t le nombre nombr? et le nombre nombrant. Cette distinction se trouve, par exemple, dans l'analyse du temps dans la Physique, IV, 11, 219 b 5-9 : ? Le nombre existe de deux mani?res; nous appelons ? nombre ? ce qui est nombr? ( a e ) et ce

qui est nombrable ( a ) d'une part, d'autre part le nombre que nous utilisons pour nombrer ( a e )... < le nombre > que nous utilisons pour nombrer est tout autre que < le nombre > qui est nombr?. ?

Cette distinction sert ? expliquer la difficult? ressentie par Waitz : ? Au sujet du nombre et du temps, une difficult? provient du fait que, dans la Physique, le temps est d?fini comme ?tant ? le nombre du mouve ment ?, d'o? il suit que le temps et le nombre seront ou bien discrets

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La cat?gorie de quantit? 35

tous deux ou bien tous deux continus; je ne saurais dire comment

Aristote a pu r?soudre cette difficult? ? (I, 293 : je traduis du latin :

pour la d?finition du temps dont il est question voir Phys., IV, 11, 220 b 24-26). La solution se trouve, en principe, dans le scholie publi?

par Waitz lui-m?me (I, 33) ? propos du mot a (5 a 32) : ? Le a

remplace le a ? : en effet le nombre nombrant ( a a ) n'aura pas de position, tandis que le nombre nombr? ( a ?

a e ), puisqu'il est identique aux corps ( e a a e [sic]), en a une. ? Si nous appliquons cette distinction au temps

? sans aller

jusqu'? dire, comme l'a fait l'auteur de ce scholie, que les nombres

nombr?s ? sont ? les corps ? alors le temps sera le nombre nombr?, et

non pas le nombre nombrant, parce que celui-ci ne serait pas continu.

Le temps sera, si l'on veut, Vordre continu (cf. a , 5 a 28 sqq.), tandis

que le nombre sera Vordre discret. L'ordre continu (le temps ou le nombre

nombr?) et l'ordre discret (le nombre nombrant) ne pourraient s'identifier, sans

que le temps ne devienne discret, ou que le nombre ne devienne continu.

Bref, si je regroupe les textes de la M?taphysique et de la Physique,

pour arriver ? un aper?u, provisoire et r?visible, de la pens?e d'Aristote

sur ce point, il faut distinguer, en premier lieu, Vunit? qui sert ? la mesure

de la pluralit? et le nombre qui ? ?tant compos? d'unit?s ? s'identifie

? la pluralit?, et serait donc plut?t l'objet de la mesure; on distingue, en

second lieu, ? l'int?rieur m?me du nombre, d'une part le nombre nombr?,

qui pourrait s'identifier au temps, dans la mesure o? le temps est d?fini

comme ?tant ? le nombre du mouvement ?, et qui serait donc, en ce cas, une quantit? continue, et d'autre part le nombre nombrant qui serait plut?t, dans l'analyse des Cat?gories, une quantit? discr?te.

Apr?s avoir ?labor? la distinction entre quantit? continue et quantit? discr?te, et la distinction entre pr?sence et absence d'une position r?ci

proque entre les parties d'une seule quantit?, Aristote ajoute quelques

remarques pour distinguer entre la quantit? au sens strict du mot ( ), la quantit? disons primaire, et la quantit? accidentelle ( a a ?e? ,

5 a $%-b 10). J'ai d?j? utilis? cette distinction pour sugg?rer que les

quantit?s cit?es par Aristote n'?taient pas des ? exemples ?, dans le sens

de sp?cimens destin?s ? illustrer une d?finition, comme le serait ? le

plus grand ? par rapport ? la relation : elles sont plut?t les seules quan tit?s (cf. a, 5 a 38), dont l'?num?ration puisse remplacer une d?finition.

Ackrill est d'accord pour penser qu'Aristote a voulu donner une

liste compl?te des quantit?s, ou plut?t une liste compl?te des ? posses seurs des propri?t?s quantitatives ? (p. 91). Mais il le critique de n'y ?tre

pas arriv?. ? Aristote ne r?ussit pas ? ?num?rer les possesseurs de

propri?t?s quantitatives, de mani?re ? pouvoir ?tablir une

classification exhaustive de ces propri?t?s ? (p. 92).

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36 D. O'Brien

En particulier, Ackrill accuse Aristote d'avoir n?glig? la pesanteur.

Aristote ? n'a pas eu de terme qui soit ? la pesanteur ce que la ? ligne ? est ? la longueur ? (p. 92).

Ces deux remarques sont li?es. Selon Ackrill, Aristote aurait n?glig? les propri?t?s quantitatives en faveur, si je puis dire, des ? possesseurs ?

des propri?t?s quantitatives. C'est-?-dire que le proc?d? d'Aristote serait d'?num?rer les possesseurs des propri?t?s quantitatives, afin d'?puiser les propri?t?s quantitatives elles-m?mes. Mais, d'apr?s Ackrill, ce proc?d? serait inad?quat. Dans le cas de la pesanteur (qui est le seul cit? par

Ackrill pour montrer la lacune qu'il voit dans l'analyse des Cat?gories), il n'existe pas de terme qui serve ? isoler le possesseur de la propri?t? quantitative. Il s'ensuit que la m?thode d'Aristote le conduirait ? n?gliger la propri?t? elle-m?me; ce qui expliquerait l'absence de la pesanteur dans son analyse de la quantit?.

Pour le moment, je ne prends que la pr?misse majeure de cet argu ment. Aristote a choisi d'?num?rer, non pas les propri?t?s quantitatives, mais les ? possesseurs de ces propri?t?s ?. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Pour r?pondre ? cette question, Ackrill remarque :

? Il n'y avait pas ?, dans le grec du ive si?cle, ? pour d?signer les diff?rents pr?dicats de quantit? de nombreux noms abstraits, comme c'?tait au contraire le cas pour les pr?dicats de qualit? ?

(p. 91).

Consid?rons de plus pr?s ce que veut dire cette remarque. Dans

l'analyse de la qualit? (chap. 8, 8 b 25 sqq.), Aristote introduit de nombreux termes abstraits correspondant ? des adjectifs : a ,

, e , a a , , e a, e , e a a, etc.

Mais il ne faut pas se laisser obnubiler par cette diversit?, quand il

s'agit de faire une comparaison entre qualit? et quantit?. Si nous prenons des adjectifs signifiant les quantit?s, ou ce que je me permets d'appeler les relations quantitatives, il existe ?galement des noms abstraits, au

moins pour la plupart d'entre eux : a / , e / ;

/ , / ; a /? a , /? a ; a / e , a / e ; ?a / a e , ?a / a e . Je ne crois pas

que la raret? relative d'un terme dans cette liste (? a ) ait quelque

importance dans notre contexte. Je suis m?me port? ? croire que M. Ackrill a confondu deux choses : premi?rement, la correspondance entre un adjectif (par exemple a , e ) et le nom abstrait qui lui

correspond ( , e ); et, deuxi?mement, le fait que les adjectifs

quantitatifs sont relativement peu nombreux, par rapport aux adjectifs signalant ce qu'Aristote appellera la qualit?, dont il mettra en ?vidence la richesse (cf. e e e a e , 8 b 6). Si nous prenons, comme le voudrait M. Ackrill (p. 91), la correspon dance entre les ? noms abstraits ? et les ? divers pr?dicats quantitatifs ?,

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La cat?gorie de quantit? 37

la quantit? s'av?re aussi bien pourvue, dans sa terminologie, que Test la qualit?.

Cependant M. Ackrill a raison de croire, me semble-t-il, que l'analyse faite par Aristote de la quantit? se fonde, dans une certaine mesure, sur le

langage. Mais tout en cherchant ? expliquer la classification aristot?

licienne ? partir des ? faits linguistiques ? (cf. p. 91), M. Ackrill a ignor?, me semble-t-il, et dans les exemples m?mes qu'il propose, le fait le plus saillant. M. Ackrill a voulu, si je l'ai bien compris, expliquer l'analyse aristot?licienne de la quantit? ? partir de la pauvret? du vocabulaire dont

disposait le Stagirite pour d?signer la quantit?, par rapport ? la termino

logie beaucoup plus diverse dont il disposait dans son analyse de la

qualit?. Je crois qu'en fait c'est plut?t l'inverse. Ce n'est pas la pauvret? de la terminologie d?signant la quantit? qui pourrait expliquer le proc?d? d'Aristote; mais plut?t sa richesse.

Dans les deux cas, celui de la quantit? et celui de la qualit?, il existe, en effet, des adjectifs oppos?s et des noms abstraits correspondants ( a / , e / e , etc.). Mais dans le domaine de la

quantit? il existe ?galement une s?rie de termes, lexicalement ind?pen dants, qui d?signent, non pas une propri?t?, mais une entit? qui manifeste

la propri?t? d'une fa?on exemplaire ou exclusive : la ligne par rapport ? la longueur, la surface par rapport ? la largeur, le solide ou le corps

par rapport ? la profondeur, et le nombre par rapport ? la pluralit? (en grec : a , a , e a e a ou e , a ou e e ; dans

les deux derniers cas on peut comparer les termes plut?t archa?ques de et de ). Or de tels termes n'existent pas, et voil? l'essentiel,

pour les qualit?s. M?me la vertu, qui est lexicalement ind?pendante, en

grec, de l'adjectif correspondant (a e / a , cf. chap. 8, 10 b 5-11), ne signifie pas ce qui serait essentiellement vertueux : Yar?t? ne signifie que ce qu'aurait signifi? le terme, inconnu ou insolite ? l'?poque o?

?crivait Aristote, de a .

Cette divergence est ?clairante, me semble-t-il, pour la distinction entre la quantit? disons primaire (cf. ) et celle qui est accidentelle; elle l'est aussi pour l'omission de la pesanteur. Si l'on cherche le sujet du pr?dicat a , on trouve, ? c?t? de l'abstraction , un terme, lexicalement ind?pendant qui, par sa signification, lui est li? d'une fa?on

sp?cifique et m?me exclusive, le mot a : tandis que, si l'on cherche

? pr?diquer les adjectifs lourd et l?ger on ne trouve d'autre sujet que celui que Ton aura d?j? d?sign? comme appartenant aux autres adjectifs, les adjectifs de la quantit?, ? savoir a. De ce point de vue l? la pesan teur devra se ranger non pas parmi les quantit?s, mais parmi les qualit?s. Lourd, l?ger, aussi bien que blanc et noir, chaud et froid, mou et dur, ne suscitent pas de termes qui d?signeraient une chose qui soit sp?cifi quement ou chaude ou froide, etc., sans avoir d'autres rapports qui lui

soient ?galement attach?s. Bref, les adjectifs de qualit?, y compris les

adjectifs lourd, l?ger, sont pr?diqu?s de sujets qui sont d?j? attach?s

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38 D. O'Brien

aux quantit?s. La surface est large ou ?troite, elle est aussi ou blanche ou noire, etc. Le corps est profond ou peu profond, mou ou dur, lourd ou l?ger.

Je conclus donc que la pesanteur ne devrait pas ?tre, en prin cipe, tout ? fait exclue de l'analyse aristot?licienne. La pesanteur n'est

pas une quantit? ? au sens propre ? ( ), parce que, dans la

conception d'Aristote, elle devrait ?tre, ? mon avis, une quantit? acci

dentelle, telle que la couleur ou l'action, les deux exemples choisis par Aristote (5 a 39-^ io)7.

Mais notons-le bien, cette analyse impose l'emploi, non pas des termes

g?om?triques, de superficie et de solide ( e , e e ), mais des termes plut?t physiques, de surface et de corps (e a e a, a). La

couleur ne peut pas ?tre attribu?e ? la superficie ( e ) ; la chaleur,

pour prendre cet exemple, ne peut pas ?tre attribu?e au ? solide ?, si nous prenons ce terme dans son sens g?om?trique. Ce sera seulement de la surface ( a e a) et du corps qu'on pourra pr?diquer les quantit?s accidentelles.

Certes, la structure g?om?trique de la superficie et du solide pourra

expliquer, semble-t-il, dans l'analyse d'Aristote, la nature des quantit?s, quant ? la continuit?, ou non, de ses parties (5 15 sqq.). Il reste donc, dans l'analyse du Stagirite, une certaine ambigu?t? dans les rapports entre la g?om?trie et la physique. Rappelons-nous, dans ce contexte,

qu'Aristote est l'h?ritier de Platon, m?me ou surtout quand il l'attaque. En essayant de mettre en ?vidence la n?cessit? du corps et de la surface

pour distinguer, sous la forme o? je les ai pr?sent?es, entre quantit? primaire et quantit? accidentelle, je n'ai pas voulu cacher cette ambi

gu?t? ?

que je ne pense d'ailleurs pas avoir encore expliqu?e. C'est un probl?me fondamental auquel il faudra revenir, en tenant compte de la conclusion actuelle.

M. Ackrill termine ses remarques au sujet de la pesanteur, en ?crivant :

? Il faut chercher la vraie explication du fait que nous voulons distinguer entre plusieurs types de propri?t?s quantita tives... dans les d?couvertes progressives de la science ? (p. 92).

Je ne voudrais pas minimiser, chez le Stagirite, le fond empirique de sa th?orie physique, et m?me de ses th?ories logiques, au sens plus large du terme. Mais si ce n'est pas une remarque peu r?fl?chie de la

. Bien qu'il n'existe pas de terme qui serait ? la lourdeur ce que la ligne est ? la longueur, il taut prendre conscience du terme ? . Ce terme ne distingue pas entre la propri?t? et son

possesseur. Il distingue plut?t la pesanteur, ou le pesant, de son exercice. Au commencement de son trait? sur la pesanteur (le livre IV du De caelo) Aristote remarque qu'il n'existe pas de ? nom ? pour l'actualisation du lourd et du l?ger, ? sauf si l'on admettait que ce soit ?

(IV, i, 3o7? 52-33).

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La cat?gorie de quantit? 39

part de M. Ackrill je trouve, dans ce contexte, l'appel ? la science, et au ? progr?s ? de la science, d'une na?vet? surprenante. Il est d'autant

plus ?tonnant que, tout en voulant chercher l'origine de la classification aristot?licienne de la quantit? dans des ? faits linguistiques ?, et en faisant

appel, pour expliquer les distinctions que nous faisons, ou que nous

n?gligeons de faire, dans le domaine de la quantit?, aux ? d?couvertes

progressives de la science ?, M. Ackrill semble ignorer compl?tement aussi bien les commentateurs grecs sur Aristote que les rapports qui auraient pu exister entre Aristote et ses devanciers.

Une grande partie du commentaire de Simplicius sur la premi?re partie du chapitre 6 des Cat?gories est consacr?e au d?bat suscit? dans

l'Antiquit? par la pesanteur (CAG, VIII, 128.5-129.7). On est tr?s mal renseign? sur les th?ories de la pesanteur ? l'?poque o? ?crivaient les ex?g?tes cit?s par Simplicius. (Ath?nodore, Ptol?m?e et Jamblique voulaient faire de la pesanteur une troisi?me division de la quantit?; leur opinion fut contest?e par Porphyre et Cornutus.) Je ne crois pas, pourtant, que ce furent des ? d?couvertes ?, ni m?me des exp?riences, qui auraient motiv? ce d?saccord entre Aristote et quelques-uns de ses

ex?g?tes les plus habiles. En outre, la conception de la pesanteur comme ?tant une quantit?,

ou comme ?tant quantitative, n'?tait pas inconnue des pr?d?cesseurs d'Aristote. Bien que ce probl?me soit un des plus ?pineux dans l'?tude de la philosophie pr?socratique, et malgr? le d?saccord entre les sp?cia listes, je crois que l'on peut entrevoir, ? travers les malentendus des

doxographies p?ripat?ticiennes et sto?cisantes, une th?orie coh?rente de la pesanteur chez D?mocrite, o? l'opposition lourd/l?ger serait li?e ? la grandeur. Chose plus importante pour l'interpr?tation des Cat?gories, la th?orie atomiste a ?t? d?tourn?e, dans le Tim?e, dans un sens qui conduira ? la conception de la pesanteur comme ?tant, au moins en ce

qui concerne le rapport des ?l?ments l'un ? l'autre, une distinction quali tative. Le pas n'est pas franchi, du moins d'une fa?on ?vidente, par Platon; mais, dans le trait? Du ciel d'Aristote, la chose est faite. La

pesanteur est li?e, non pas ? la grandeur, ni ? ce que nous appellerions la masse d'un corps, mais ? une d?termination qualitative8.

Dans ce sens, il y aura une ?volution dans la pens?e. La classification de la quantit? dans les Cat?gories s'explique, d'une part, par les faits

linguistiques : je suis d'accord sur ce point. Mais elle s'explique ?gale ment, me semble-t-il, ? partir des th?ories que l'on trouve ailleurs dans l' uvre aristot?licienne, y compris les trait?s physiques sp?ciaux. Et ces th?ories-l? s'expliquent, ? leur tour, au moins en partie par les

rapports tr?s intimes qui existent entre la pens?e d'Aristote et celle de

8. J'ai abord? ce probl?me dans un article : ? Heavy and light in Democritus and Aris totle : two conceptions of change and identity ?, Journal of Hellenic Studies, 1977, 97, 64-74, qui r?sume une recherche plus longue sur les th?ories anciennes de la pesanteur.

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ses devanciers, surtout Platon, mais aussi celle des philosophes du si?cle

pr?c?dent. Dans ce cadre, il existe un ? progr?s ? dans la pens?e, si Ton

peut employer ce mot dans un sens non finaliste. Mais quant au? progr?s ?

de la science, ou des d?couvertes scientifiques, dans ce contexte, je n'y crois pas9.

D. O'Brien.

9? Cet article r?sume quelques ?l?ments d'une communication, donn?e au Centre L?on Robin de la Sorbonne, et faisant partie d'une ?tude collective sur les Cat?gories, qui a ?t?

entreprise sous les auspices du Centre national de la Recherche scientifique. Je remercie vivement tous ceux qui ont anim? la discussion de mon expos?, et notamment Mme F. Zas

lawsky qui a ?t? tr?s aimable d'avoir apport? en suppl?ment des critiques bien utiles ? la version ?crite.