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51 RUE DE VIVIENNE 75095 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 55 00 FEV 11 Mensuel OJD : 41210 Surface approx. (cm²) : 2195 N° de page : 76-79 Page 1/4 MEDICIS 0406596200501/CLA/OTO/2 Eléments de recherche : VILLA MEDICIS : uniquement la résidence d'artistes à Rome (Italie), passages significatifs art et société texte Damien Sausset L e punk n'est pas mort II revit dans mille oeuvres, contaminant de façon souterraine chaque pli de notre culture : mode, design, graphis- me, arts plastiques. Certes, il fut d'abord une musique à l'histoire assez brève. 1975-1978 nous disent les versions offi- cielles, soit les dates d'existence des Sex Pistols. Punk le mot prête à confu- Art et punk, l'alliance iconoclaste Mouvement musical d'une radicalité sans précédent, le punk fut et demeure un modèle pour nombre de créateurs et d'artistes. C'est ce que démontre actuellement l'exposition « Europunk » à la Villa Médicis de Rome. sion, son histoire aussi. Longtemps, ce fut simplement une musique, celle de ce groupe anglais mené par Johnny Rot- ten et Sid Vicious Trois ans d'existen- ce, un seul album et surtout un brûlot : God Save thé Qutm qui, en 1977, révo- lutionne le rock. La folie de leurs concerts, l'outrance verbale et vestimentaire, la volonté de cho- quer en s'attaquant à tous les symboles de la culture, mon- trant aussi que des petits blancs irrévérencieux pou- vaient inventer une nouvel- le musique, tout cela avait de quoi fasciner et sédui- re une population d'ado- lescents en révolte con- tre un monde figé sur ses vieux principes mais qui ne pouvait plus se contenter de cet idéalisme béat propre aux hippies et à cette jeunesse dorée qui igno- rait les ravages de la crise et du chôma- ge. Dès lors, le punk avait tout pour devenir un symbole. Les versions cano- niques de cette histoire ne manquent pas de mentionner l'homme qui aurait tout imaginé • Malcolm McLaren Ce démiurge aurait repéré les futurs Sex Pistols, puis les aurait contraints à se produire, avant de définir la fameuse tenue - cheveux teints, T-shirt déchiré, tatouages et épingles a nourrice, la cou- pe à l'iroquoise étant apparue un peu plus tard La suite est connue Le bra- sier initial allait donner naissance à mil- le formations éphémères dont seules quelques-unes connaîtraient une forme de reconnaissance : The Clash, Buzz- cocks, The Saint... Évidemment, la mo- de et la publicité s'empareraient vite des signes les plus visibles et outranciers du mouvement C'est ainsi que les années 1990 (avec ce besoin continuel de nostal- gie) allaient recycler abondamment les oripeaux du punk. Le punk deviendrait alors une figure icomque que I on convo- que, détourne, déguise pour la plus gran- En haut : Jamie Reid, Sex Pistols - God Save thé Queen, 1977, pochette de disque, 18 x 18 cm (collée, privée, Rome/Pans). Ci-contre The Clash, Tommy Cun, 1978, pochette de disque, 18 x 18 cm (collée, privée). Page de droite : 25/34 Photographes, Scody, Cross, 1988 (©Ralf Marsault/Collec. Maison européenne de la photographie, Pans).

Art et punk, l'alliance iconoclaste · sa femme Vivienne Westwood Le punk devient des lors un mouve-ment musical à l'iconographie codifiée, figée Mais en parallèle, mille formes

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Page 1: Art et punk, l'alliance iconoclaste · sa femme Vivienne Westwood Le punk devient des lors un mouve-ment musical à l'iconographie codifiée, figée Mais en parallèle, mille formes

51 RUE DE VIVIENNE75095 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 55 00

FEV 11Mensuel

OJD : 41210

Surface approx. (cm²) : 2195N° de page : 76-79

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Eléments de recherche : VILLA MEDICIS : uniquement la résidence d'artistes à Rome (Italie), passages significatifs

art et société

texte Damien Sausset

Le punk n'est pas mort II revitdans mille œuvres, contaminantde façon souterraine chaque pli

de notre culture : mode, design, graphis-me, arts plastiques. Certes, il fut d'abordune musique à l'histoire assez brève.1975-1978 nous disent les versions offi-cielles, soit les dates d'existence desSex Pistols. Punk le motprête à confu-

Art et punk,l'allianceiconoclasteMouvement musical d'une radicalité sans précédent, le

punk fut et demeure un modèle pour nombre de créateurs

et d'artistes. C'est ce que démontre actuellement

l'exposition « Europunk » à la Villa Médicis de Rome.

sion, son histoire aussi. Longtemps, cefut simplement une musique, celle dece groupe anglais mené par Johnny Rot-ten et Sid Vicious Trois ans d'existen-ce, un seul album et surtout un brûlot :God Save thé Qutm qui, en 1977, révo-

lutionne le rock. La folie de leursconcerts, l'outrance verbale etvestimentaire, la volonté de cho-quer en s'attaquant à tous lessymboles de la culture, mon-trant aussi que des petitsblancs irrévérencieux pou-vaient inventer une nouvel-le musique, tout cela avaitde quoi fasciner et sédui-re une population d'ado-lescents en révolte con-tre un monde figé surses vieux principesmais qui ne pouvaitplus se contenter decet idéalisme béatpropre aux hippieset à cette jeunessedorée qui igno-rait les ravages

de la crise et du chôma-ge. Dès lors, le punk avait tout pour

devenir un symbole. Les versions cano-niques de cette histoire ne manquent

pas de mentionner l'homme qui auraittout imaginé • Malcolm McLaren Cedémiurge aurait repéré les futurs SexPistols, puis les aurait contraints à seproduire, avant de définir la fameusetenue - cheveux teints, T-shirt déchiré,tatouages et épingles a nourrice, la cou-pe à l'iroquoise étant apparue un peuplus tard La suite est connue Le bra-sier initial allait donner naissance à mil-le formations éphémères dont seulesquelques-unes connaîtraient une formede reconnaissance : The Clash, Buzz-cocks, The Saint... Évidemment, la mo-de et la publicité s'empareraient vite dessignes les plus visibles et outranciers dumouvement C'est ainsi que les années1990 (avec ce besoin continuel de nostal-gie) allaient recycler abondamment lesoripeaux du punk. Le punk deviendraitalors une figure icomque que I on convo-que, détourne, déguise pour la plus gran-

En haut : Jamie Reid, Sex Pistols - God Save

thé Queen, 1977, pochette de disque,

18 x 18 cm (collée, privée, Rome/Pans).

Ci-contre The Clash, Tommy Cun, 1978, pochette

de disque, 18 x 18 cm (collée, privée).

Page de droite : 25/34 Photographes, Scody,

Cross, 1988 (©Ralf Marsault/Collec. Maison

européenne de la photographie, Pans).

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SoHo brille demille feux avecses artistes, -écrivains, pau-més, junkies,musiciens -les exclus de

de joie desconsom-mateu r sL'apothéosede ce recycla-ge intervientau début desannées 2000lors les défilésde John Galhanoou Alexander MeQueen.

Choquerle bourgeois »En fait, le punk fut bien plus quecela Comme toute musique « po-pulaire », il absorbait et accompa-gnait un nombre incalculable deproblématiques et de tensions deson époque. Le punk eut une in-fluence ma]eure sur les arts, noncomme un style ou une esthétique particulière, maisbien comme une attitude,comme une forme per-mettant de retrouver l'es-prit iconoclaste de Dadaet sa volonté de « choquerle bourgeois ». Le punks'incarna alors en nul-le possibilités plasti-ques qui, delà peinture au graphisme del'installation à ladanse, définiraientune partie de l'es-thétique des an-nées 1980-1990 Toutesavaient en commun de refuser l'ordreétabli, de vouloir ouvrir de nouveauxchamps, convoquant au passage lesmultiples expressions de la culturepopulaire.Un mouvement précurseur avait déjàsurgi à New York vers 1973 Le groupeMC5 de Détroit (séparé en 1972) avaitlui aussi ouvert la voie la légende veutque le mot même de punk (« sans va-leur » en anglais) ait été utilisé pour lapremière fois à leur sujet par le critiqueLester Bang. En ces années 1973-1974,

ment des jeunes au rock sauvage Mal-com McLaren, de passage a New York,saura s'en souvenir, s'imprégnant à lafois des outrances des groupes maisaussi des réalisations plastiques qu'il dé-couvre Chacun invente à sa manièreune contre-culture, un art contraire àtoute possibilité de récupération Larévolte sans le succès, la protestationsans l'enrichissement financier C'estcela que Malcom McLaren mettra enforme à son retour à Londres, aide parsa femme Vivienne Westwood Lepunk devient des lors un mouve-ment musical à l'iconographiecodifiée, figée Mais en parallèle,mille formes d'expression s'yagrègent qui toutes cherchent àinventer un modèle libertaire,alternatif. Ce sera notamment lecas des Français de Bazooka, cecollectif de graphistes forméentre autres d'Olivia Clavel,Kiki Picasso, Loulou Picasso,qui prennent d'assaut les pa-

ges de « Libération » en 1980,caviardant le journal de centaines de

dessins, semant ici et là des motsd'ordre virulents. Quant aux Frè-

res Ripoulm, artistes français (dontClaude Closky et Pierre Huyghe)

investissant les murs des villes, ilsélaborent des affiches surchargées aux

contenus corrosifs eti

l'Amérique ceuxqui refusent cette fascinationbéate pour le futur. Dans cetteBabylone tout devient possibleDe ce terreau surgiront KeithHanng, Barbara Kruger, Jean-Michel Basquiat, Cmdy Sher-man... Tous investissent les mursdes immeubles pouilleux brouillent les signes Des figures impro-bables les accompagnent, notam-

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reprenant dans une large mesure l'esthé-tique des pochettes punks anglaises ima-ginées par Jamie Reid. Ces tendancesque l'on retrouve dans toute l'Europe etaux États-Unis prennent véritablementleur essor dans les années 1980. Bienqu'aucun artiste de ces années-là ne puis-se être considéré comme punk, beaucoups'inspirent des modes d'expression plas-tique qui accompagnaient le mouvement.La tentation était d'autant plus grandequ'elle permettait de rompre avec l'artminimal et de retrouver ainsi une puis-sance immédiate, fondée sur le refus desidéologies.

Un pouvoir brut et dévastateurII faut attendre une seconde génération,apparue vers la fin des années 1980, pourcomprendre combien le punk a consti-tué un modèle puissant. Tous ces ar-tistes ont découvert le mouvement punkadolescents, comprenant que cette mu-sique était comme une secousse tellu-rique, comme si elle se devait de couvrirle bruit du monde. Pour eux, le punk,c'est l'expérience brute, directe, immé-diate. Sa violence est celle de notre quo-tidien, de cette culture où, sous couvertde liberté, rien ne semble permis, si cen'est d'être obéissant et bon consomma-teur. Le punk se présente à eux commeun absolu désespéré, sans retour, sansrédemption. En cela, il reste un modè-

Ci-contre, en haut : Kendell Geers, Free Speech,

2007, néon, 160 cm. En bas : Nick van Woert,

To 6e Tit/ed, 2010, polyuréthane plastique,

marbre, résine, 97,8 x 88,9 x 35,6 cm

(les deux : galerie Yvon Lambert, Paris).

Page de gauche, de haut en bas : Bazooka,

dessin publié dans « L'Écho des savanes », n° 37,

1977 (collée, privée Rome/Paris). Éric Débris,

/Me'tol Urboin, Paris Maquis, 1977, pochette àe

disque, 18 x 18 cm (collée, privée Rome/Paris).

Malcom McLaren et Vivienne Westwood,

TwoCowboys, 1975-1977, mouchoir, impression

sur coton (collée. Stolper Wilson).

Jamie Reid, affiche pour la sortie de The Sex

Pistols, Anarchy in thé UK, 1976, 42 x 62 cm,

impression sur papier (collée. Stolper Wilson).

Linder, Real Li/e, 1978, pochette de disque,

30 x 30 cm (collée, privée Rome/Paris).

le artistique, presque une éthique. Par-lez-en à Claude Lévêque, Saâdane Afif,Christopher Wool, Doug Aitkcn, MikeKelley, Christian Marclay, au cinéaste F.J.Ossang... Tous vous avoueront que lepunk est une manière de se positionnerface au monde sur un mode politique,mais débarrassé de toutes les utopies etidéologies, refusant le romantisme faciledu nihilisme. C'est une façon de pren-dre le monde à bras le corps, comme lefait Douglas Gordon. Lorsqu'il détruitpar le feu des portraits de stars puis lesexpose, nous retrouvons le geste initial,iconoclaste de refus des valeurs établies,de mise à bas des icônes de la culture.Kendell Geers fonctionne de même avecune approche plus politique, répondantà la violence imposée par l'État avec desmoyens largement empruntés à la stra-tégie punk. Ses œuvres brutes (ou ins-tallations) convoquent une expérienceimmédiate, véritable coup de poing vi-suel ne transigeant sur rien. Dès lors, cene sont pas les artistes historiques es-

tampillés punk qui comptent, ni mêmecette iconographie puérile à force d'êtredéclinée, mais bien ce que le punkinduit comme rapport à la société. Là setrouve la raison de l'extrême diversitédes productions contemporaines :vidéos, installations, films ou collectionsde mode. En toute logique, cet espriticonoclaste ne pouvait que ressurgir denos jours, en cette période de crise, aumoment même ou le capitalisme sem-ble à la dérive. « Raw Power » : pouvoirbrut, cru, dévastant tout. Telle est laleçon actuelle du punk. •

À VOIR

• « Europunk. La culture visuelle punk enEurope, 1976-1980 », à l'Académie de Franceà Rome, Villa Médias, Viale Trmità deiMonti, i (39 06 67611 - www.villamedici.it)du 2i janvier au 20 mars.

À LIRE

• Le catalogue de l'exposition, en trois langues(français, italien et anglais) aux éditions Drago.