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Étude thermodynamique des acides phtalique, isophtalique et téréphtalique Raphaël Sabbah et Laurence Perez Résumé : Dans le présent travail a été réalisée l’étude thermodynamique des acides phtalique, isophtalique et téréphtalique de formule générale C 8 H 6 O 4 par calorimétrie de sublimation et par analyse thermique différentielle. En empruntant à la littérature les valeurs des enthalpies de combustion, nous avons pu calculer les enthalpies de formation à l’état gazeux et à 298,15 K de ces acides ainsi que leurs énergies de conjugaison. À partir de ces valeurs, nous avons effectué une étude sur la stabilité relative de ces composés, d’une part, et de divers dérivés du benzène disubstitué, d’autre part. À partir de l’enthalpie de sublimation, nous avons pu déterminer la part énergétique des différentes forces intermoléculaires dans les cristaux de ces trois acides. Mots clés : thermodynamique, calorimétrie, analyse thermique différentielle, acides phtalique, isophtalique, téréphtalique, enthalpie de fusion, de sublimation, de formation, de liaisons intermoléculaires, énergie de conjugaison, température du point triple. Abstract: A thermodynamic study of phthalic, isophthalic, and terephthalic acids (general formula: C 8 H 6 O 4 ) was carried out by sublimation calorimetry and differential thermal analysis. With values of combustion enthalpy taken from the literature, it was possible to determine their enthalpies of formation in the gaseous state and at 298.15 K and their resonance energy. The results enabled us to do a comparative study of the relative stability of the three acids, on the one hand, and of different benzene disubstituted derivatives, on the other hand. From the enthalpy of sublimation, it was possible to determine the energetic contribution of the different intermolecular forces in the crystals of the three acids. Key words: thermodynamic, calorimetry, differential thermal analysis, phthalic, isophthalic, terephthalic acids, enthalpy of fusion, of sublimation, of formation, of intermolecular bonds, resonance energy, triple point temperature. Sabbah et Perez 1513 1. Introduction Cette étude s’inscrit dans la continuité de celles qui ont été entreprises au laboratoire depuis quelques années sur les dérivés disubstitués du benzène (1–6). Les résultats obtenus, ajoutés à ceux qui ont été précédemment obtenus au labora- toire, nous ont permis de réaliser, dans ce mémoire, une étude comparative sur la stabilité des isomères d’une même série et sur celle des dérivés de séries différentes. Toutes ces études s’inscrivent dans le cadre de notre thème de re- cherche « Énergétique des liaisons inter- et intramoléculai- res » visant la mise en évidence du lien existant entre grandeurs énergétiques et structure. Les données thermodynamiques de la littérature relatives à la combustion des acides phtalique, isophtalique et téréph- talique sont très cohérentes (7). Aussi, n’avons-nous pas jugé utile de refaire des mesures de l’enthalpie de combus- tion. En revanche, on ne trouve que quelques rares résultats divergeants relatifs à l’enthalpie de sublimation des acides isophtalique (8) et téréphtalique (8–10) obtenus par métho- des indirectes à partir de mesure de pression de vapeur en fonction de la température. En conséquence, nous avons étu- dié ces trois acides par calorimétrie de sublimation. Ce tra- vail a été complété par une analyse thermique différentielle de ces acides qui nous a permis de déterminer leurs enthal- pies de fusion et la température de leur point triple. Comme il sera précisé plus loin dans le texte, nous avons rencontré avec cette technique des difficultés expérimentales lors de l’étude de l’acide téréphtalique. Par ailleurs, nous n’avons trouvé aucune donnée dans la littérature concernant les en- thalpies de fusion de ces acides. Notons que les travaux sur leur structure cristalline sont peu nombreux et concernent les trois isomères (11–13). Du point de vue pratique, signalons, au passage, que l’acide téréphtalique est un important intermédiaire chi- mique dans la synthèse de polymères. 2. Partie expérimentale 2.1. Produits utilisés Les acides phtalique et isophtalique sont des produits Aldrich de pureté 99,5 % et 99 %, l’acide téréphtalique est un produit Fluka de pureté >99 %. Ce dernier, se décompo- sant à la fusion avec bris d’ampoule, n’a pu être étudié par analyse thermique différentielle. Par ailleurs, le degré de pu- reté du produit commercial nous a paru suffisamment élevé pour l’utiliser tel quel. L’analyse thermique différentielle de Can. J. Chem. 77: 1508–1513 (1999) © 1999 CNRC Canada 1508 Reçu le 26 mars 1999. R. Sabbah 1 et L. Perez. Centre de thermodynamique et de microcalorimétrie du Centre national de la recherche scientifique, 26, rue du 141ème RIA, 13331 - Marseille, Cedex 03, France. 1. Auteur auquel la correspondance doit être adressée. Tél. : 33 4 91 28 20 62. Téléc. : 33 4 91 50 38 29. Mél. : [email protected]

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Étude thermodynamique des acides phtalique,isophtalique et téréphtalique

Raphaël Sabbah et Laurence Perez

Résumé: Dans le présent travail a été réalisée l’étude thermodynamique des acides phtalique, isophtalique ettéréphtalique de formule générale C8H6O4 par calorimétrie de sublimation et par analyse thermique différentielle. Enempruntant à la littérature les valeurs des enthalpies de combustion, nous avons pu calculer les enthalpies de formationà l’état gazeux et à 298,15 K de ces acides ainsi que leurs énergies de conjugaison. À partir de ces valeurs, nousavons effectué une étude sur la stabilité relative de ces composés, d’une part, et de divers dérivés du benzènedisubstitué, d’autre part. À partir de l’enthalpie de sublimation, nous avons pu déterminer la part énergétique desdifférentes forces intermoléculaires dans les cristaux de ces trois acides.

Mots clés: thermodynamique, calorimétrie, analyse thermique différentielle, acides phtalique, isophtalique,téréphtalique, enthalpie de fusion, de sublimation, de formation, de liaisons intermoléculaires, énergie de conjugaison,température du point triple.

Abstract: A thermodynamic study of phthalic, isophthalic, and terephthalic acids (general formula: C8H6O4) wascarried out by sublimation calorimetry and differential thermal analysis. With values of combustion enthalpy takenfrom the literature, it was possible to determine their enthalpies of formation in the gaseous state and at 298.15 K andtheir resonance energy. The results enabled us to do a comparative study of the relative stability of the three acids, onthe one hand, and of different benzene disubstituted derivatives, on the other hand. From the enthalpy of sublimation,it was possible to determine the energetic contribution of the different intermolecular forces in the crystals of the threeacids.

Key words: thermodynamic, calorimetry, differential thermal analysis, phthalic, isophthalic, terephthalic acids, enthalpyof fusion, of sublimation, of formation, of intermolecular bonds, resonance energy, triple point temperature.Sabbah

et Perez 1513

1. Introduction

Cette étude s’inscrit dans la continuité de celles qui ontété entreprises au laboratoire depuis quelques années sur lesdérivés disubstitués du benzène (1–6). Les résultats obtenus,ajoutés à ceux qui ont été précédemment obtenus au labora-toire, nous ont permis de réaliser, dans ce mémoire, uneétude comparative sur la stabilité des isomères d’une mêmesérie et sur celle des dérivés de séries différentes. Toutes cesétudes s’inscrivent dans le cadre de notre thème de re-cherche « Énergétique des liaisons inter- et intramoléculai-res » visant la mise en évidence du lien existant entregrandeurs énergétiques et structure.

Les données thermodynamiques de la littérature relativesà la combustion des acides phtalique, isophtalique et téréph-talique sont très cohérentes (7). Aussi, n’avons-nous pasjugé utile de refaire des mesures de l’enthalpie de combus-tion. En revanche, on ne trouve que quelques rares résultatsdivergeants relatifs à l’enthalpie de sublimation des acides

isophtalique (8) et téréphtalique (8–10) obtenus par métho-des indirectes à partir de mesure de pression de vapeur enfonction de la température. En conséquence, nous avons étu-dié ces trois acides par calorimétrie de sublimation. Ce tra-vail a été complété par une analyse thermique différentiellede ces acides qui nous a permis de déterminer leurs enthal-pies de fusion et la température de leur point triple. Commeil sera précisé plus loin dans le texte, nous avons rencontréavec cette technique des difficultés expérimentales lors del’étude de l’acide téréphtalique. Par ailleurs, nous n’avonstrouvé aucune donnée dans la littérature concernant les en-thalpies de fusion de ces acides.

Notons que les travaux sur leur structure cristalline sontpeu nombreux et concernent les trois isomères (11–13).

Du point de vue pratique, signalons, au passage, quel’acide téréphtalique est un important intermédiaire chi-mique dans la synthèse de polymères.

2. Partie expérimentale

2.1. Produits utilisésLes acides phtalique et isophtalique sont des produits

Aldrich de pureté 99,5 % et 99 %, l’acide téréphtalique estun produit Fluka de pureté >99 %. Ce dernier, se décompo-sant à la fusion avec bris d’ampoule, n’a pu être étudié paranalyse thermique différentielle. Par ailleurs, le degré de pu-reté du produit commercial nous a paru suffisamment élevépour l’utiliser tel quel. L’analyse thermique différentielle de

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Reçu le 26 mars 1999.

R. Sabbah1 et L. Perez. Centre de thermodynamique et demicrocalorimétrie du Centre national de la recherchescientifique, 26, rue du 141ème RIA, 13331 - Marseille,Cedex 03, France.1. Auteur auquel la correspondance doit être adressée.Tél. : 33 4 91 28 20 62. Téléc. : 33 4 91 50 38 29.Mél. : [email protected]

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l’acide isophtalique commercial ayant révélé un degré depureté jugé suffisant, nous n’avons pas procédé à sa purifi-cation. Par contre, nous avons repurifié l’acide phtalique parsublimation à 373 K et sous une pression résiduelle de 1,3Pa. Les résultats de l’analyse thermique sont consignés dansle tableau 1.

2.2. Appareillages, techniques et modes opératoires

2.2.1. Analyse thermique différentielleNous avons utilisé la version moyenne température de

l’analyseur thermique différentiel du laboratoire et les cellu-les en verre décrites dans la référence 14.

Dans toutes nos expériences : (i) la vitesse de montée entempérature du four a été de 0,2 K min–1; (ii ) la masse desubstance utilisée a été d’environ 100 mg, déterminée pardouble pesée à l’aide d’une balance Mettler, type M5, sen-sible auµg et dont l’exactitude des pesées est de ±2µg;(iii ) la préparation des échantillons et leur mise en containeront été conduites de la façon décrite dans la référence 14.

La mesure des températures a été faite à l’aide de deuxthermocouples (thermocoax, type 2ABI 15); l’un est soli-daire de l’échantillon, l’autre de la référence (alumine-α). Ladifférence entre les f.e.m délivrées par ces deux thermocou-ples est amplifiée par un microvoltmètre AOIP, type EVA,sensibilité 100µV pleine échelle. Le signal ainsi amplifié estenvoyé simultanément sur un enregistreur Sefram, type Gé-pérac, pour le visualiser et sur un multimètre Keithley, mo-dèle 175, pour le numériser. Un autre multimètre Keithley,modèle 196, sensibilité 300 mV (résolution 100 nV) est uti-lisé pour mesurer la f.e.m. correspondant à la température del’échantillon. Les données issues de ces deux multimètressont envoyées vers un ordinateur en vue de leur traitement àl’aide d’un programme écrit et mis au point au laboratoire.En appliquant l’équation de Clausius–Clapeyron et la loi deRaoult, ce programme permet de déterminer la pureté del’échantillon, son enthalpie de fusion ainsi que la tempéra-ture de son point triple.

Comme indiqué dans la référence 14, l’étalonnage en tem-pérature de notre analyseur thermique a été réalisé à partird’échantillons rigoureusement purs de naphtalène, de fluo-rène, d’acides benzoïque, diphénylacétique et anisique, decarbazole et d’anthraquinone, dont la température de leurpoint triple est bien connue dans la littérature. Quant à sonétalonnage en énergie, il a été fait à partir d’échantillons ri-goureusement purs de naphtalène, de fluorène, d’acides ben-zoïque et diphénylacétique, dont l’enthalpie de fusion estbien connue dans la littérature.

2.2.2. Calorimétrie de sublimationNous avons utilisé un calorimètre Tian–Calvet (sensibilité

0,0149 V W–1 à 415 K et 0,0628 V W–1 à 437,2 K) associé àun montage différentiel doté de cellules d’effusion de Knud-sen pour déterminer les enthalpies de sublimation de noscomposés. L’étalonnage de notre système calorimétrique aété réalisé par effet Joule avant et après chaque séried’expériences. Le mode opératoire a été décrit dans la réfé-rence 15. Précisons que :

(i) le signal issu du calorimètre est amplifié par un nano-voltmètre Keithley modèle 147, sensibilité 30 ou 100µVpleine échelle suivant le cas, puis numérisé par un multi-

mètre numérique Keithley modèle 175 et enregistré sur unenregistreur potentiométrique Sefram, modèle Servotrace.

(ii ) L’isomère ortho a été étudié à 415,0 K alors que lesdeux autres isomères l’ont été à 437,2 K en raison de leurfaible pression de vapeur saturantePs (cf. tableau 2). Comptetenu de ces faibles valeurs, nous avons admis l’identité∆subHm(T) ; ∆subH°m(T).

(iii ) D’après les résultats de la littérature, l’acide téréphta-lique existerait sous deux formes cristallines (13, 16) dont latempérature de transition serait située à 423 K (16). Enconséquence, nos expériences ont été vraisemblablementréalisées avec la forme dite « haute température » de cetacide.

(iv) Le diamètre des trous d’effusion pratiqués dans desjoints métalliques de 0,1 mm d’épaisseur est de 0,7, 0,7 et3 mm respectivement dans le cas des acides phtalique,isophtalique et téréphtalique.

(v) Toutes les pesées ont été effectuées à l’aide d’une ba-lance « Mettler », type UM3 équipée d’un jeu de poids éta-lonnés par le NIST (sensibilité 0,1µg, exactitude ±0,2µgsur une pesée de quelques milligrammes, portée 3 g).

L’acquisition et le traitement des données ont été réalisésà l’aide de l’ordinateur et d’un programme conçu et mis aupoint au laboratoire. Il permet, entre autres, de déterminer lapression de vapeur saturante, l’aire des thermogrammes et, àpartir du coefficient d’étalonnage, l’enthalpie molaire de su-blimation de nos composés à la température de l’expérience∆subH°m (T).

2.2.3. Mesure des capacités calorifiquesPour calculer∆subH°m (298,15 K) à partir de∆subH°m (T),

il est nécessaire de connaître :(i) le comportement thermique de nos substances entre

298,15 K etT. Nous nous sommes donc assurés qu’elles neprésentaient aucun changement de phase dans cet intervalle;

(ii ) la capacité calorifique à pression constante des phasescondensée et gazeuse des substances étudiées à 298,15 K etT de façon à pouvoir appliquer la relation suivante :

∆sub m(298, 15 K)H °

= (g) (cr) dsub m ,m ,m∆ H T C C Tp p

T

K

° + ° − °∫( ) [ ],298 15

La différence enthalpiqueH°m(T) – H°m(298,15 K) àl’état solide a été calculée par la méthode de chute à l’aided’un calorimètre Tian–Calvet et d’un four maintenus respec-tivement à 298,15 K etT. Le calorimètre a été préalablementétalonné en utilisant des échantillons d’alumine-α (6d).

Quant aux valeurs des capacités calorifiques à l’état ga-zeux C°p,m(g) et aux températures 298,15 K etT, elles ontété déterminées à partir d’une méthode incrémentale en utili-sant, à chacune de ces deux températures, les capacités calo-rifiques à l’état gazeux des molécules de benzène et d’acidebenzoïque (17), ce qui nous a permis, dans un premier tempset à chacune de ces deux températures, de déterminer la partdu chaînon COOH puis de calculer une valeur moyenne deC°p,m pour les trois acides étudiés en ajoutant cette quantitéau C°p,m de l’acide benzoïque.

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Les différents calorimètres et analyseur thermique, leurspériphériques ainsi que les balances, sont placés dans dessalles thermorégulées à (19,0 ± 0,2)°C.

3. Résultats

3.1. Analyse thermique différentielleLes résultats obtenus sont consignés dans le tableau 1. Les

isomèresortho et métase décomposent à la fusion (8, 18) enprenant une légère coloration brune. Quant à l’isomèrepara,comme signalé dans le paragraphe 2.1, il n’a pu être étudiécar sa décomposition à la fusion s’accompagne du bris de lacellule.

Le manque de données de la littérature relatives àl’enthalpie de fusion ne nous a pas permis d’en faire unecomparaison avec nos résultats expérimentaux.

Quant aux températures de leur point triple, la référence18 indique les valeurs suivantes : acide phtalique : 464 K entube scellé; acide isophtalique : 621 K (614–616 K d’aprèsle catalogue Aldrich); acide téréphtalique : >573 K (698 Ken tube scellé d’après la référence 16).

Comme nous pouvons le constater, nos résultats expéri-mentaux sont tout à fait compatibles avec ces données.

3.2. Calorimétrie de sublimationL’ensemble des résultats est consigné dans le tableau 2.

La littérature mentionne quelques valeurs de l’enthalpie desublimation des isomèresméta et para obtenues par mé-thode indirecte à partir de mesures de pression de vapeur enfonction de la température :

Isomèreméta: 106,7 kJ mol–1 à 523 K (8), valeur consignéedans la compilation de Pedley et al. (7).

Isomèrepara : 98,2 kJ mol–1 à 392≤ T/K ≤ 425 (9), va-leur consignée dans la compilation de Pedley et al. (7); 131kJ mol–1 à 573 K (8); 139,3 kJ mol–1 à 568≤ T/K ≤ 675 (10).

Signalons que la masse molaire des trois acides phtalique,isophtalique et téréphtalique a été calculée à partir desmasses atomiques de 1993 (19); elle est égale à 166,1332 g mol–1.

Dans le présent travail, l’incertitude qui accompagne lesrésultats expérimentaux représente l’écart moyen,σm =± { ∑ (x – x0)

2 / n(n – 1)}1/2, x étant chacune desn valeurs en-trant dans le calcul de la moyennex0. Lorsque la valeur ex-périmentale est fonction de plusieurs variables, l’incertitude

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1510 Can. J. Chem. Vol. 77, 1999

Pureté Tpta ∆fusHm

Isomère (mol %) (K) (kJ mol–1)

ortho 99,87±0,02 463,45±0,01 36,5±1,2méta 99,96±0,01 617,41±0,04 43,2±1,2

aTempératures du point triple définies par rapport à l’EIT-90.

Tableau 1. Analyse thermique différentielle des acides phtalique et isophtalique.

T m ∆subHm(T) ∆subHm(T) C TpK

T°∫ ,, m(g)d

298 15C TpK

T°∫ ,,

(m cr)d298 15 ∆subH°m(298,15 K) Ps(T)

Isomère (K) (mg) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (Pa)

7,3909 117,4710,4831 120,139,9502 119,06

ortho 415,0 9,8570 121,63 119,06±0,58 17,32±0,15 28,05±0,03 129,79±0,60 0,5410,9237 116,4110,7016 118,7610,6619 120,3311,5716 118,70

9,0287 128,5016,2983 128,3616,6923 126,74

méta 437,2 12,0605 129,48 129,23±0,70 21,17±0,15 33,95±0,09 142,01±0,72 0,5616,8728 131,7215,6264 131,6213,8197 128,20

10,3810 134,089,8084 136,13

para 437,2 9,1905 135,14 134,81±0,47 21,17±0,15 32,94±0,05 146,58±0,50 0,0239,9593 133,039,4610 133,63

10,3788 135,3912,5141 136,29

Tableau 2. Sublimation des acides étudiés.

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calculée tient compte de l’erreur sur chacune de ces varia-bles.

4. Discussion

Les principales fonctions thermodynamiques des trois aci-des étudiés dans ce mémoire sont rassemblées dans le ta-bleau 3.

4.1. Enthalpie de formation à l’état gazeuxNous avons voulu comparer entre elles les valeurs de

l’enthalpie de formation à l’état gazeux et à 298,15 K destrois isomères de divers dérivés du benzène disubstitué sedifférenciant par la nature du substituant. Ces différentes va-leurs sont rassemblées dans le tableau 4. Cette comparaisonnous permet de faire les constatations suivantes :

1. Les substances étudiées dans ce travail sont les plusstables. En effet, les valeurs de leur∆fH°m(g, 298,15 K) sontnégatives et élevées (en valeur absolue). La stabilité sembledécroître dans l’ordre suivant : benzènediacides carboxyli-ques, dihydroxybenzènes et benzènediamines.

2. Quelle que soit la famille considérée, l’isomèreorthoparaît être le moins stable. Ceci peut s’expliquer par l’effetstérique provoqué par les deux substituants adjacents.

4.2. Energie de conjugaisonL’énergie de conjugaison est la différence entre l’énergie

réelle de la molécule et celle qu’elle aurait si les divers sys-tèmes insaturés qu’elle comporte étaient indépendants. Surle plan pratique, pour la déterminer, il suffit d’utiliser les en-thalpies standard de combustion à l’état gazeux de la molé-cule réelle et de la molécule fictive non conjuguée à 298,15K. La première de ces grandeurs s’obtient expérimentale-ment et la seconde nécessite le recours aux systématiques.En ce qui nous concerne, nous avons utilisé celle de Klagesqui est consignée dans la référence 20.

Les valeurs de l’énergie de conjugaison des acides phta-lique, isophtalique et téréphtalique sont consignées dans le

tableau 5 avec celles de divers dérivés du benzène disubsti-tué. Ce tableau nous permet de constater que :

(i) Les benzènediacides carboxyliques sont les dérivés lesplus conjugués. Ceci est vraisemblablement dû au fait queles groupements (COOH), donneurs d’électrons, consolidentla conjugaison du cycle.

(ii ) Comme dans le cas de l’enthalpie de formation à l’étatgazeux et pour la même raison, quelle que soit la familleconsidérée, l’isomèreortho paraît être le moins stable.

4.3. Liaisons intermoléculaires dans les acidesphtalique, isophtalique et téréphtalique

4.3.1. Liaisons hydrogène intermoléculairesL’enthalpie de sublimation d’une substance organique est

liée aux interactions intermoléculaires comprenant la parténergétique due aux forces de van der Waals (de dispersionet dipolaires) et, le cas échéant, celle qui est relative auxliaisons hydrogène.

Un procédé de calcul, plusieurs fois utilisé avec succès aulaboratoire (2, 3, 5, 21–25) nous a permis de déterminer lacontribution énergétique des liaisons hydrogène intermolé-culaires dans les cristaux d’acides phtalique, isophtalique ettéréphtalique. Il consiste, dans notre cas, à comparerl’enthalpie de sublimation des molécules de ces acides àcelle d’une molécule isoélectronique (ici la molécule de 1,4-dinitrobenzène) possédant les mêmes forces de dispersion etd’interactions dipolaires. Malheureusement, nous n’avonspas trouvé dans la littérature la valeur de l’enthalpie de su-blimation de cette molécule.

L’expérience acquise au laboratoire nous ayant montréque la différence entre les valeurs de l’enthalpie de sublima-tion des isomèresmétaet para d’une même série n’est quede quelques kJ mol–1, nous avons utilisé dans nos calculs lavaleur de l’enthalpie de sublimation de la molécule de 1,3-dinitrobenzène empruntée à la référence 7 (∆subH°m(298,15K) = (81,2 ± 1,7) kJ mol–1). Cette dernière valeur corres-pond, en première approximation, à la part des forces de dis-

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–∆cH°m(cr, 298,15 K)a ∆subH°m(298,15 K) –∆cH°m(g, 298,15 K) –∆fH°m(cr, 298,15 K)b –∆fH°m(g, 298,15 K)

Isomère (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1) (kJ mol–1)

ortho 3223,63±0,93 129,79±0,60 3353,42±1,11 782,0±0,9 652,2±1,1méta 3202,60±0,75 142,01±0,72 3344,61±1,04 803,0±0,8 661,0±1,1para 3189,45±0,60 146,58±0,50 3336,03±0,78 816,1±0,7 669,5±0,9

aMoyenne des résultats consignés dans la référence 7.bValeurs consignées dans la référence 7.

Tableau 3. Grandeurs thermodynamiques des acides étudiés à 298,15 K.

Dérivé ∆fH°m(g, 298,15 K)

(kJ mol–1)

ϕ (A,B) ortho méta para

A=B=COOH –652,2 ± 1,1 –661,0 ± 1,1 –669,5 ± 0,9A=B=OHa –274,8 ± 1,2 –284,7 ± 1,2 –277,0 ± 1,4A=B=NH2

b 92,0 ± 1,3 84,0 ± 1,4 88,7 ± 1,4aLes valeurs numériques sont consignées dans la référence 2.bLes valeurs numériques sont consignées dans la référence 3.

Tableau 4. Enthalpies de formation à l’état gazeux et à 298,15 Kde divers dérivés du benzène disubstitué.

Dérivé Econj(298,15 K)

(kJ mol–1)

ϕ (A,B) ortho méta para

A=B=COOH 293,4 299,2 307,8A=B=OHa 177,5 184,4 176,7A=B=NH2

b 165,1 170,1 165,4aLes valeurs numériques sont consignées dans la référence 2.bLes valeurs numériques sont consignées dans la référence 3.

Tableau 5. Energie de conjugaison à 298,15 K de divers dérivésdu benzène disubstitué.

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persion et dipolaires dans les cristaux des trois acidesétudiés dans ce mémoire. Malheureusement, il ne nous a pasété possible de départager ces deux types d’interaction. Eneffet, la littérature ne propose aucune valeur de l’enthalpiede sublimation de la molécule d’hydrocarbure isoélectro-nique

qui nous aurait permis de déterminer la part énergétique dueaux forces de dispersion dans les cristaux d’acides phtalique,isophtalique et téréphtalique. Il s’ensuit que la contributiondes liaisons hydrogène intermoléculaires dans les isomèresortho, métaet para est respectivement égale à 48,6 kJ mol–1,60,8 kJ mol–1 et 65,4 kJ mol–1.

Si l’on considère la molécule d’isomèrepara, qui est dé-pourvue de tout effet stérique dû aux substituants et dans la-quelle il ne peut y avoir que des liaisons hydrogèneintermoléculaires et compte tenu qu’il ne peut se former quedeux liaisons de ce type par molécule, il s’ensuit quel’enthalpie d’une liaison hydrogène intermoléculaire est en-viron égale à 32,7 kJ mol–1. Cette valeur est tout à fait com-patible avec celle que donnent Saska et Myerson (26) dansle cas des cristaux de cet acide (26,2 kJ mol–1) et celles quisont proposées dans celui des acides carboxyliques par Pi-mentel et Clellan (27).

Quant à la différence observée entre les valeurs del’enthalpie de sublimation des isomèresortho et para, onpourrait, à première vue, penser, comme c’est le cas pourd’autres isomères de dérivés disubstitués du benzène (acideshydroxybenzoïques (4) et aminobenzoïques (1)) que cettedifférence est due à une chélation entre les deux groupe-ments fonctionnels dans l’isomèreortho avec formation deliaison hydrogène intramoléculaire. En réalité, il n’en estrien compte tenu de la structure cristalline de l’acide phta-lique proposée par Küppers (11) dans laquelle les deux grou-pements fonctionnels sont perpendiculaires. Enconséquence, la valeur la plus basse de l’enthalpie de subli-mation observée pour cet isomère est vraisemblablement dueà un manque de liaison hydrogène dans ses cristaux en rai-son de l’effet stérique provoqué par les deux groupementsfonctionnels adjacents.

4.3.2. Calcul de l’enthalpie moyenne de sublimation destrois acides par voie incrémentale

La valeur moyenne de l’enthalpie de sublimation des troisacides étudiés dans ce mémoire est égale à 139,46 à 298,15 KkJ mol–1. Nous avons tenté de retrouver cette valeur par voieincrémentale. Pour cela, nous avons déterminé la contribu-tion du chaînon (COOH) en retranchant à la valeur de∆subH°m(298,15 K) de la molécule d’acide benzoïque (89,74kJ mol–1) (28) celle de la molécule de benzène. Cette der-nière est, en première approximation, calculée à partir de larelation :

∆subH°m(298,15 K)

= ∆fusHm(298,15 K) + ∆vapH°m(298,15 K)

où ∆fusH(298,15 K) est obtenue à l’aide de la règle de Sidg-wick (29) :

∆fusHm(298,15 K)

= ∆fusHm(Tfus) – 0,055 (Tfus – 298,15)

Les valeurs relatives à la molécule de benzène sont em-pruntées aux références 30 et 31. Après calcul, nous trou-vons ∆subH°m(298,15 K) = 44,88 kJ mol–1 pour cettemolécule. La part du chaînon (COOH) est donc estimée à44,88 kJ mol–1.

Il s’ensuit que l’enthalpie moyenne de sublimation destrois acides à 298,15 K, calculée en ajoutant à l’enthalpie desublimation du benzène deux fois la contribution énergé-tique du chaînon (COOH) à cette température, est égale à134,62 kJ mol–1. Elle diffère d’environ 3,5 % de la valeurmoyenne expérimentale.

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