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L e thème de cet article, la cindynique, repose sur une idée simple mais pas toujours évidente in situ : une crise est le fruit de la désorganisation des parties pre- nantes à une situation et engendre souvent une forme d’incapacité à réagir. S’y préparer permet de ne pas se laisser submerger, lors de la survenance de l’événement, par ses émotions. Derrière ce terme abscons et fort récent, puisqu’il n’est apparu qu’en 1987 à l’occasion d’un colloque à l’UNESCO, une réalité de terrain maintes fois vérifiée : pour améliorer la lisibilité d’une opération, il convient selon moi d’en décomposer les phases en séquences clairement identifiées pour chaque aspect de la mission ou du projet à remplir : accès, présence, briefing, débriefing, communication, transport, opéra- tion, logistique (préparatifs, véhi- cules, chauffeurs…) ; présentation (recherche informatisée, documen- tation…) et bilan. La rigueur comportementale dans l'accom- plissement de ces tâches est un point central des cindyniques qui peut préserver nombre de situations ; le contenu technique sera bien sûr dépendant du cadre, mais l’esprit qui doit guider la méthode est le même quel que soit le contexte : dérouler un scénario pour mettre à nu les événements non souhaités (ENS) possibles et ce, en utilisant notamment les retours d’expé- rience (Rex ou Retex). Les plus grands professionnels peuvent être déstabilisés face à un problème non envisagé, c’est bien sûr aussi une question de sang froid, mais nous ne sommes pas nécessai- rement en présence de personnels du GIGN chez qui cela est un des traits caractéristiques. De manière pratique, cela se matérialise par l’utilisation de procédés simples, ce que j’appelle des fondamentaux, comme le STAR système qui consiste à prendre une feuille de papier et à y inscrire cet acronyme pour : Situation Tâche Action Résultat, et de renseigner chacune des cases pour chacune des phases de la mission. Il est possible de doubler cela par l’utilisation de code couleurs pour rendre plus graphique la progression vers le but à atteindre. La répétition de tout élément de sécurité à l’intérieur d’un cadre temporel précis permet de limiter l’effet de panique accompagnant la crise et annihilant les moyens humains. Aujourd’hui, ce plan ou schéma heuristique est réalisable informa- tiquement dans des proportions très intéressantes et permet de regrouper L’objectif de cet article est de présenter les cindyniques non pas de manière théorique, mais telles que j’ai pu avoir à les mettre en œuvre notamment sur des théâtres d’opérations humanitaires, parfois dans des zones de guerre. Par leur application concrète au quotidien de ces périodes de stress intense, j’ai réussi à faire face à un certain nombre de situations présentant un danger réel. Thème 6 N° 578 - Juillet/Août 2010 LES CINDYNIQUES Les cindyniques pour faire face au danger dans l’humanitaire d’urgence Risque = Menaces x Vulnérabilités x p Laurent Delhalle Laurent Delhalle a une expérience d’une vingtaine d’années en gestion de projets. Responsable de l’aide d’urgence et des zones de guerre pour l’UNICEF de 1991 à 1993, il a ensuite été membre de cabinets ministériels, période pendant laquelle il fit une mission de longue durée lors de l’élection de Nelson Mandela. De 1997 à 2001, il fut chargé de coopération à l’Ambassade de France à Moscou avant d’être nommé Délégué à la Sécurité Economique à la Défense Nationale. En 2007, il fut nommé Responsable de l’intelligence économique en tant que Chef de Bureau Régional de la Défense Nationale pour les Régions Rhône- Alpes et Auvergne. En 2009, il a décidé de mettre son expérience au service de la formation et il intervient dans plusieurs universités et grandes écoles.

Article Centrale Lyon cindyniques juillet-août 2010-1

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L e thème de cet article, lacindynique, repose sur une idée

simple mais pas toujours évidente insitu : une crise est le fruit de ladésorganisation des parties pre-nantes à une situation et engendresouvent une forme d’incapacité àréagir. S’y préparer permet de ne passe laisser submerger, lors de lasurvenance de l’événement, par sesémotions.

Derrière ce terme abscons et fortrécent, puisqu’il n’est apparu qu’en1987 à l’occasion d’un colloque àl’UNESCO, une réalité de terrainmaintes fois vérifiée :

• pour améliorer la lisibilité d’uneopération, il convient selon moid’en décomposer les phases enséquences clairement identifiéespour chaque aspect de la missionou du projet à remplir : accès,présence, briefing, débriefing,communication, transport, opéra-tion, logistique (préparatifs, véhi-cules, chauffeurs…) ; présentation(recherche informatisée, documen-tation…) et bilan. La rigueurcomportementale dans l'accom-plissement de ces tâches est unpoint central des cindyniques quipeut préserver nombre desituations ;

• le contenu technique sera bien sûrdépendant du cadre, mais l’espritqui doit guider la méthode est le

même quel que soit le contexte :dérouler un scénario pour mettre ànu les événements non souhaités(ENS) possibles et ce, en utilisantnotamment les retours d’expé-rience (Rex ou Retex). Les plusgrands professionnels peuvent êtredéstabilisés face à un problèmenon envisagé, c’est bien sûr aussiune question de sang froid, maisnous ne sommes pas nécessai-rement en présence de personnelsdu GIGN chez qui cela est un destraits caractéristiques.

De manière pratique, cela sematérialise par l’utilisation deprocédés simples, ce que j’appelledes fondamentaux, comme le STARsystème qui consiste à prendre unefeuille de papier et à y inscrire cetacronyme pour : Situation TâcheAction Résultat, et de renseignerchacune des cases pour chacunedes phases de la mission. Il estpossible de doubler cela parl’utilisation de code couleurs pourrendre plus graphique la progressionvers le but à atteindre. La répétitionde tout élément de sécurité àl’intérieur d’un cadre temporel précispermet de limiter l’effet de paniqueaccompagnant la crise et annihilantles moyens humains.

Aujourd’hui, ce plan ou schémaheuristique est réalisable informa-tiquement dans des proportions trèsintéressantes et permet de regrouper

L’objectif de cet article est de présenter les cindyniques non pas de manière théorique,

mais telles que j’ai pu avoir à les mettre en œuvre notamment sur des théâtres

d’opérations humanitaires, parfois dans des zones de guerre. Par leur application concrète

au quotidien de ces périodes de stress intense, j’ai réussi à faire face à un certain nombre

de situations présentant un danger réel.

Thème

6 N° 578 - Juillet/Août 2010

LES CINDYNIQUES

Les cindyniques pour faire face audanger dans l’humanitaire d’urgenceRisque = Menaces x Vulnérabilités x p

Laurent Delhalle

Laurent Delhalle a une expérienced’une vingtaine d’années engestion de projets.

Responsable de l’aide d’urgenceet des zones de guerre pourl’UNICEF de 1991 à 1993, il aensuite été membre de cabinetsministériels, période pendantlaquelle il fit une mission delongue durée lors de l’électionde Nelson Mandela.

De 1997 à 2001, il fut chargé decoopération à l’Ambassade deFrance à Moscou avant d’êtrenommé Délégué à la SécuritéEconomique à la DéfenseNationale.

En 2007, il fut nomméResponsable de l’intelligenceéconomique en tant que Chef deBureau Régional de la DéfenseNationale pour les Régions Rhône-Alpes et Auvergne.

En 2009, il a décidé de mettreson expérience au service de laformation et il intervient dansplusieurs universités et grandesécoles.

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sur un support unique l’ensembledes données d’une même situationprésentant des aspects plus oumoins complexes. C’est pour lesanglo-saxons du « Mind-mapping ».Ces mêmes anglo-saxons utilisentégalement la technique fort utile decodage des priorités en couleurs dite« Trafic light System » dont onretrouve le principe simplifié dansnos maternelles sous formes degommettes : vert acquis, orange encours d’acquisition et rouge nonacquis.

Alors bien sûr, au milieu d’une villeassiégée, bombardée, il est peu aiséde déployer ses cartes en couleursremplies de gommettes, mais avoirposé sur le papier (ou l’écranaujourd’hui) ces éléments avant derentrer dans l’action peut éviter deperdre ses moyens.

Si le danger est une situationsusceptible d'engendrer des événe-ments indésirables, le risque lui n’estqu’une mesure du niveau de danger,qui est fonction de la probabilitéd'occurrence de l'événement indési-rable et de ses conséquences. Tropsouvent, ces deux notions sontconfondues tout comme la sécuritéqui peut être définie commel’ensemble des actions destinées àassurer la protection des personneset de leurs biens contre les dangers,et la sûreté qui elle peut se définircomme l’ensemble des mesures àprendre dans les installations contrela malveillance.

L'analyse des risques repose essen-tiellement sur deux paramètres :d'une part, l'identification des causesdu risque et d'autre part, ladétermination du niveau de risque.Cela revient souvent à parler de la« dangerosité » d’une situation.

L’observation et le bon sens auservice d’une prise de décisionfaisant appel à une voie médianecompensant astucieusement lesexcès de protection de la voie courte(amygdale : centrale des émotionssollicitée notamment pour protégernos fonctions vitales) et les tentativesde médiation opérées par la voiehaute, la route de la raison

empruntant le cortex et permettantnotamment la gestion émotionnelled’une situation.

Constamment en déséquilibre entreces deux options, l’Humain hésite àprendre son chemin, mais il peutveiller à sa propre sécurité enanalysant les paramètres objectifscomme subjectifs d’un mêmeépisode. En cela, les cindyniquesfournissent des clés supplémentairespour faire face à la complexité desituations peu confortables.

L’effort de répétition des mesuresd’un plan d’alerte ou de sécurité visece même objectif sans qu’il soitpossible de formuler toutes lesoptions possibles, la préparation àl’exposition au risque est au centrede sa maîtrise.

Dubrovnik en 1991 ou Sarajevo en1992 étaient des villes assiégées, enproie à l’effroi et au milieu des tirs desnipers, il fallait néanmoins répondreaux besoins primaires de cespopulations plongées dans unetourmente inhabituelle. Après delongs palabres, les autorités ontpermis de dessiner des corridorshumanitaires – y compris maritimesdans le cas de Dubrovnik – pour nepas laisser à l’abandon des milliersde personnes.

Leningrad en 1991 était aussi un pro-blème pour l’humanitaire d’urgence

tant les besoins, notamment dans leshôpitaux, y étaient importants à lasuite de l’effondrement de l’URSS etdes ruptures d’approvisionnementconsécutives à ce cataclysme cul-turel pour le monde soviétique. Làaussi, il a fallu convaincre de lanécessité de laisser de côté lesprérogatives politiques pour untemps : celui de l’immédiat besoin.

Finalement, nous pensons que si lescindyniques n’apportent pas deréponse, elles sont plus une méthodeavec des outils qui permettent dedivertir l’attention du phénomène dela crise pour la faire se porter sur desactions opérationnelles essentielleset déjà, c’est là une forme de victoire.

Les cindyniques seront également làle jour venu pour faire que l’on oublieson réflexe pour faire place à un acteplus réfléchi et conséquent dans unemanœuvre délicate à mettre enœuvre ; tout cela permet de faire facedans le calme en domptant certainsde nos mécanismes pas toujoursadéquats.

7N° 578 - Juillet/Août 2010

crédits photo : UNICEF/Laurent Delhalle