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Compte-rendu de lecture : "Communautés de podcasts et prononciation de la langue seconde" Par Gillian Lord, (PhD de l’université de L’État de Pennsylvanie), professeur assistant despagnol et de linguistique à l’université de Gainesville, en Floride. Article publié en 2008, dans Foreign Language Annals • Vol. 41, No. 2, Pages : 374 - 389 Lien : http://www.clas.ufl.edu/users/glord/L2phonology/podcastingLord.pdf Présentation du projet Si la plupart des enseignants de langue prétendent que pour l’apprentissage d’une langue seconde, l’enseignement de la prononciation n’est ni prioritaire, ni déterminant, voire inutile, c’est souvent parce qu’ils estiment qu’ils ont déjà fort à faire avec la transmission des connaissances lexicales, grammaticales, culturelles, et le développement des 5 compétences définies par le CECRL. Ainsi, ils continuent à espérer que les étudiants amélioreront seuls leur prononciation, grâce à l’input croissant accumulé au cours de leurs années d’études. Pourtant tout étudiant en langue, même doué, sera immanquablement repéré comme non- natif, si sa prononciation reste approximative. Aussi l’apprentissage d’une langue seconde inclut-il désormais en plus des compétences fondamentales, également l’acquisition d’une bonne prononciation ; l’objectif étant non seulement de communiquer, mais également de pouvoir collaborer à un niveau international. À ce jour, il y a eu très peu de recherches qui ont tenté d’étudier quels liens positifs pouvaient être tissés entre les nouvelles technologies et l’entraînement phonologique, ou l’amélioration de l’intonation. Mais lorsqu’il y en a eu, leurs conclusions ont toutes évoqué des bénéfices, mais pas réellement d’améliorations significatives. Or, l’utilisation des TICE (forums de discussion, wikis, blogs, podcasts, etc.), se généralise dans l’environnement professionnel et éducatif, notamment grâce aux enseignants toujours plus nombreux à réaliser qu’ils ont là un réel moyen d’accroître l’input, l’interaction et la production, en classe de langue. Aussi, en s’appuyant sur des études, qui ont révélé qu’il est possible d’enseigner la prononciation en classe de langue, en privilégiant un enseignement explicite soutenu par des explications métalinguistiques, un processus d’autoévaluation, et un entraînement régulier, cet article présente un projet collaboratif, qui a séduit 16 étudiants âgés de 19 à 24 ans, qui sans être tous des hispanistes, s’étaient inscrits à un cours de phonétique espagnole de 1 er cycle, et

article critique Nina

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article critique Nina

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Compte-rendu de lecture :

"Communautés de podcasts et prononciation de la langue seconde" Par Gillian Lord, (PhD de l’université de L’État de Pennsylvanie), professeur assistant

d’espagnol et de linguistique à l’université de Gainesville, en Floride.

Article publié en 2008, dans Foreign Language Annals • Vol. 41, No. 2, Pages : 374 - 389

Lien : http://www.clas.ufl.edu/users/glord/L2phonology/podcastingLord.pdf

Présentation du projet

Si la plupart des enseignants de langue prétendent que pour l’apprentissage d’une

langue seconde, l’enseignement de la prononciation n’est ni prioritaire, ni déterminant, voire

inutile, c’est souvent parce qu’ils estiment qu’ils ont déjà fort à faire avec la transmission des

connaissances lexicales, grammaticales, culturelles, et le développement des 5 compétences

définies par le CECRL. Ainsi, ils continuent à espérer que les étudiants amélioreront seuls

leur prononciation, grâce à l’input croissant accumulé au cours de leurs années d’études.

Pourtant tout étudiant en langue, même doué, sera immanquablement repéré comme non-

natif, si sa prononciation reste approximative. Aussi l’apprentissage d’une langue seconde

inclut-il désormais en plus des compétences fondamentales, également l’acquisition d’une

bonne prononciation ; l’objectif étant non seulement de communiquer, mais également de

pouvoir collaborer à un niveau international.

À ce jour, il y a eu très peu de recherches qui ont tenté d’étudier quels liens positifs

pouvaient être tissés entre les nouvelles technologies et l’entraînement phonologique, ou

l’amélioration de l’intonation. Mais lorsqu’il y en a eu, leurs conclusions ont toutes évoqué

des bénéfices, mais pas réellement d’améliorations significatives. Or, l’utilisation des TICE

(forums de discussion, wikis, blogs, podcasts, etc.), se généralise dans l’environnement

professionnel et éducatif, notamment grâce aux enseignants toujours plus nombreux à réaliser

qu’ils ont là un réel moyen d’accroître l’input, l’interaction et la production, en classe de

langue. Aussi, en s’appuyant sur des études, qui ont révélé qu’il est possible d’enseigner la

prononciation en classe de langue, en privilégiant un enseignement explicite soutenu par des

explications métalinguistiques, un processus d’autoévaluation, et un entraînement régulier, cet

article présente un projet collaboratif, qui a séduit 16 étudiants âgés de 19 à 24 ans, qui sans

être tous des hispanistes, s’étaient inscrits à un cours de phonétique espagnole de 1er

cycle, et

qui ont accepté au printemps 2007, de participer à un projet qui allait représenter 30% de la

note finale de l’évaluation du cours, et impliquer l’utilisation de la baladodiffusion.

Les participants ont d’abord suivi une formation technique avec l’enseignant, en

dehors des cours, pour pouvoir notamment se créer un compte, s’enregistrer, et pouvoir

ajouter des commentaires sur les podcasts produits ; puis l’enseignant n’est ensuite plus du

tout intervenu, et ils ont travaillé, en développant seuls leurs propres communautés

d’apprentissage. Il s’agissait pour eux de former des groupes de 4, et de créer et entretenir une

chaîne de podcast grâce à Odeo, qui propose un service gratuit de baladodiffusion. En

s’abonnant aux chaînes ainsi créées, chaque étudiant a automatiquement reçu les

enregistrements individuels réalisés par les membres de son groupe. Dès le premier jour, a été

abordée en cours l’importance d’acquérir une prononciation espagnole semblable à celle d’un

natif, et on a distribué aux étudiants un questionnaire auquel était associée une échelle de 1 à

5, leur permettant d’exprimer leur degré d’accord ou de désaccord avec 12 affirmations

majoritairement positives, abordant chacune un aspect spécifique de la question. De même le

dernier jour, un bilan leur a été proposé, et l’enseignant leur a soumis 4 questions ouvertes, les

autorisant à ajouter d’éventuelles remarques, après avoir précisé ce qui leur avait plu et déplu

dans le projet, et ce qu’ils auraient souhaité modifier s’ils avaient eu la possibilité de

recommencer l’expérience.

Au départ, le projet prévoyait l’accomplissement d’une série de tâches orales en

dehors de la classe : la réalisation de 6 enregistrements en espagnol, à podcaster ensuite en

moyenne tous les 15 jours, pour que les autres membres du groupe puissent les écouter et les

commenter. Directement liée au contenu du cours, chaque tâche abordait un aspect particulier

de la prononciation de la langue espagnole. La 1ère

prévoyait la lecture d’un court extrait de

La lluva amarilla, un roman de l’auteur espagnol Julio Llamazares, publié en 1998. Pour la

2ème

, les apprenants devaient expliquer et résumer en espagnol depuis quand, et dans quel(s)

contexte(s) ils avaient étudié cette langue, en précisant aussi ce qu’ils pensaient de leur

prononciation. La 3ème

et la 4ème

tâche proposaient de se pencher sur la prononciation de

certaines consonnes, avant de lire une série de virelangues. Dans la 5ème

, il s’agissait de

privilégier la prononciation des voyelles et diphtongues, et de la relier cette fois encore, à la

lecture d’une série de virelangues et d’aphorismes espagnols couramment employés. Enfin, la

6ème

et dernière tâche invitait les étudiants à lire à haute voix, le même extrait de roman

enregistré en début de semestre pour la 1ère

tâche, et de répondre à une série de questions

courtes, en vue de décrire leur réaction au projet et aux enregistrements. Une fois leur tâche

accomplie, les étudiants avaient une semaine pour écouter les enregistrements de leur groupe,

et podcaster ensuite des retours produits librement, avec néanmoins une consigne : inclure

pour tout podcast commenté, au moins une remarque positive, et un élément de critique

constructive. Focalisée strictement sur la prononciation, l’évaluation entre pairs devait

s’appuyer sur les concepts et points phonologiques abordés en cours. Ainsi, entre le podcast

validant la réalisation de la tâche, et celui des commentaires, les participants étaient assurés de

produire régulièrement —environ chaque semaine— un fichier pour le groupe. Hélas, une

semaine avant le démarrage du projet, un problème technique n’a pas permis d’ajouter de

commentaires audio aux podcasts, et seuls des retours écrits, immédiatement visibles sur le

site Odeo, ont dû être envisagés.

Plusieurs constats étaient à l’origine de ce projet : le fait que les compétences

phonologiques soient habituellement négligées en classe de langue, et l’enjeu pour les

enseignants de néanmoins sensibiliser les apprenants, en intégrant et en concevant, à l’aide

des nouvelles technologies, des activités spécifiques et pertinentes, permettant une

amélioration progressive de la prononciation. Ainsi, la baladodiffusion facilitant réellement

l’organisation d’activités interactives et collaboratives : s’enregistrer et accéder en continu à

des ressources audiovisuelles, en s’abonnant à des podcasts, amène les étudiants à partager

leurs savoirs, voire à développer des communautés d’apprentissage, en dehors de la classe.

Cet aspect communautaire nous a semblé bénéfique pour favoriser le développement social et

cognitif des apprenants, —que l’on peut observer lorsqu’ils interagissent notamment sur des

messageries synchrones, ou un forum de discussion—, et nous a paru constituer un bon point

de départ pour l’élaboration de notre projet, dont l’un des principaux objectifs était d’évaluer

également les motivations et l’attitude des apprenants envers la prononciation de la langue

cible —ici l’espagnol—, et de voir surtout si celles-ci pouvaient évoluer, et être influencées

par l’organisation sur un semestre, d’activités impliquant la baladodiffusion.

Ainsi, 3 étudiants hispanistes diplômés, bénéficiant de connaissances attestées en

phonétique et en phonologie, l’un étant un locuteur espagnol natif, et les deux autres des natifs

anglophones, ont procédé à une écoute aléatoire des 32 podcasts créés dans le cadre des

tâches #1 et #6. L’idée étant de focaliser uniquement sur la prononciation, de vérifier si les

participants avaient développé des aptitudes au cours du semestre, et de déterminer grâce à un

barème gradué de 1 à 5, dans quelle mesure la prononciation des étudiants, dans sa globalité,

était semblable à celle d’un natif.

Conclusions de l’étude

Grâce à une trame méthodologique mixte, des données qualitatives et quantitatives ont

bien été collectées et analysées, et les résultats de l’étude ont montré que dans 93,75% des

cas, soit pour 30 fichiers sur les 32 podcastés, et évalués, deux juges sur trois ont donné la

même appréciation, alors que dans seulement 7 cas sur 32 (qui représentent 21,88%), les trois

ont fourni exactement la même appréciation. Mais ce sont les réponses concernant l’attitude

des étudiants à l’égard de la prononciation —celles de l’enquête et du bilan, fournies en début

et en fin de semestre—, qui constituent en réalité les données les plus significatives de

l’étude ; puisqu’en suivant la méthodologie d’Elliott, les étudiants ont choisi 60 propositions

positives, contre 12 —soit 5 fois moins— réponses négatives. Par ailleurs, on observe que sur

les 16 participants, en dehors d’un étudiant sur qui le projet n’a eu aucun effet, et 4 étudiants,

dont la motivation et l’attitude positive envers la prononciation se sont étiolées, les 15 autres

étudiants les ont dans l’ensemble, plutôt accrues : ils se révèlent plus vigilants, s’auto-

corrigent et font de réels efforts pour que leurs productions orales ressemblent à celles d’un

natif.

Après l’analyse des 4 réponses apportées à la fin du semestre, l’auteur — conscient

que quelques points devraient être réexaminés, si l’expérience devait se renouveler — soulève

plusieurs questions : comment aider les élèves à s’auto-corriger ? Doit-on proposer un

enregistrement standard pour les virelangues par exemples ? La validation par les seuls pairs

suffit-elle ? Même si recevoir un feedback de ses pairs représente un moment agréable du

projet, il semblerait que les commentaires aient été trop superficiels, et qu’ils ne respectaient

plus vraiment les consignes. Ainsi, à la fin du semestre, leur absence de pertinence était telle,

que rares étaient ceux qui continuaient à les lire. (À ce propos, l’idée initiale d’enregistrer les

commentaires, au lieu de les écrire, était beaucoup plus cohérente, vu qu’on privilégie dans le

projet les compétences orales, et mériterait d’être réintroduite). Par ailleurs, vu que les

participants ont particulièrement apprécié d’avoir à développer leur sens critique lors de

l’écoute de leurs propres enregistrements, pourquoi ne pas prévoir de sensibiliser, et de mieux

préparer les étudiants à l’accomplissement de cette tâche, en la transformant en une activité

d’auto-correction, que les autres membres du groupe auraient ensuite plus à valider, qu’à

commenter ? On peut également se demander, s’il ne vaudrait pas mieux réduire le volume

des commentaires, et les rendre moins systématiques ? Les tâches associées aux virelangues

semblent en revanche tenir toutes leurs promesses puisqu’elles séduisent autant qu’elles ne

déplaisent. Quant au fait d’avoir à gérer les frustrations dues aux tracasseries techniques —

inhérentes à l’utilisation des TICE— ou de trouver désagréable le fait d’entendre sa propre

voix, il s’agit de réactions classiques, qui finissent par s’estomper avec la pratique.

En conclusion, même s’ils n’ont pas toujours eu de plaisir à les réaliser, les étudiants ont tous

reconnu que les retombées des tâches étaient bénéfiques, et bien qu’il n’y ait à ce jour que peu

de données empiriques pour attester de ces bienfaits, la baladodiffusion semble s’imposer

comme l’outil le plus approprié, pour faciliter l’enseignement immersif, et développer

l’ensemble des compétences orales —dont la prononciation—, quel que soit le niveau des

apprenants. Les podcasts sont non seulement faciles d’accès et simples à utiliser, mais ils

augmentent considérablement la durée d’exposition des apprenants à la langue cible,

notamment en leur permettant de travailler en dehors de la classe. La baladodiffusion permet

l’organisation d’activités qui motivent réellement les étudiants ; ils peuvent créer leurs

propres ressources, et se familiariser grâce à l’écoute, avec les contextes authentiques de la

langue étudiée.

Ainsi, comme le montre ce projet, on peut insister en classe, sur l’enseignement et les

compétences liés à la prononciation. L’apprentissage du système phonologique d’une langue

seconde est tout à fait motivant pour les apprenants, qui lorsqu’ils en comprennent l’intérêt,

modifient leur attitude, et cette attention, cette vigilance que les étudiants savent porter d’eux-

mêmes à la qualité de leur prononciation, s’inscrira ensuite dans la durée.