96
Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 1 http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011 Lire - Actes 1-2 L e prologue des Actes des Apôtres semble n’avoir d’autre fonction que de lier fortement l’ouvrage au «premier livre» consacré par le même auteur – qui s’exprime à la première personne – à l’ensei- gnement de Jésus, et dédié au même Théophile, ce qui signifie «ami de Dieu» (Luc 1,3 ; Actes 1,1). De fait, par une sorte d’effet de tuilage, le dernier récit de l’Évangile selon Luc – les instructions laissées aux apôtres et l’Ascension (Luc 24,44-52) – est aussi le premier des Actes (1,2-14). Il va donc toujours être question de la prédication de Jésus, relayée à présent par ceux qui «l’ont accompagné tout le temps qu’il a vécu parmi nous» (1,21). Tout au début du livre, la dernière phrase de Jésus donne en quelque sorte son objet et son plan : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre». Commencé à Jérusalem, lieu de la Révélation, le livre raconte la course du témoignage – par la parole et par le sang – porté dans tout Israël, puis dans le Bassin méditerranéen et jusqu’à Rome, capitale de l’Empire, où s’achève son récit. De ce mouvement d’extension de la Parole «jusqu’aux extrémités de la terre», les articulations apparaissent assez clairement : la première partie du récit (1-15), dominée par la figure de Pierre, traite de la première communauté de Jérusalem, jusqu’au «concile» qui entérine l’ouverture aux païens ; puis sa seconde (15-28) se centre sur la personne de Paul et ses voyages missionnaires. Au sein de la pre- mière partie, l’articulation manifeste une tension déjà perceptible : les chapitres 1 à 5 sont centrés sur la communauté primitive, dont les membres sont presque tous d’origine juive, tandis qu’après les dis- sensions ayant provoqué le choix de sept diacres hellénistes et après la première persécution (6-7), un second temps (8-15) montre déjà l’ouverture de la communauté aux païens et l’extension de la Parole en Samarie et jusqu’à Antioche. Il est remarquable de voir comment les difficultés ou oppositions, bien loin d’arrêter l’action de l’Esprit, conduisent à trouver des solutions nouvelles qui relancent l’activité missionnaire et font croître l’Église. * Nous ne lirons, en ce premier atelier, que les deux premiers chapitres qui, après un nouveau ré- cit de l’Ascension (1,2-14), décrivent les premiers pas de la communauté de Jérusalem qui se reforme (1,15-26) ; puis reçoit le don de l’Esprit (2,1-13) et donne, par la voix de Pierre, son premier témoi- gnage (2,14-41). La conclusion est ce que l’on appelle un «sommaire» qui présente le modèle idéal de la communauté (2,42-47). ATELIER BIBLIQUE EN LIGNE Lire les Actes des Apôtres

ATELIER BIBLIquE EN LIgNE Lire les Actes des Apôtresdata.over-blog-kiwi.com/2/02/36/23/20161004/ob_6fab37_atelier... · e prologue des Actes des Apôtres semble n’avoir d’autre

Embed Size (px)

Citation preview

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 1

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 1-2

Le prologue des Actes des Apôtres semble n’avoir d’autre fonction que de lier fortement l’ouvrage au «premier livre» consacré par le même auteur – qui s’exprime à la première personne – à l’ensei-gnement de Jésus, et dédié au même Théophile, ce qui signifie «ami de Dieu» (Luc 1,3 ; Actes 1,1).

De fait, par une sorte d’effet de tuilage, le dernier récit de l’Évangile selon Luc – les instructions laissées aux apôtres et l’Ascension (Luc 24,44-52) – est aussi le premier des Actes (1,2-14). Il va donc toujours être question de la prédication de Jésus, relayée à présent par ceux qui «l’ont accompagné tout le temps qu’il a vécu parmi nous» (1,21).

Tout au début du livre, la dernière phrase de Jésus donne en quelque sorte son objet et son plan : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre». Commencé à Jérusalem, lieu de la Révélation, le livre raconte la course du témoignage – par la parole et par le sang – porté dans tout Israël, puis dans le Bassin méditerranéen et jusqu’à Rome, capitale de l’Empire, où s’achève son récit.

De ce mouvement d’extension de la Parole «jusqu’aux extrémités de la terre», les articulations apparaissent assez clairement : la première partie du récit (1-15), dominée par la figure de Pierre, traite de la première communauté de Jérusalem, jusqu’au «concile» qui entérine l’ouverture aux païens ; puis sa seconde (15-28) se centre sur la personne de Paul et ses voyages missionnaires. Au sein de la pre-mière partie, l’articulation manifeste une tension déjà perceptible : les chapitres 1 à 5 sont centrés sur la communauté primitive, dont les membres sont presque tous d’origine juive, tandis qu’après les dis-sensions ayant provoqué le choix de sept diacres hellénistes et après la première persécution (6-7), un second temps (8-15) montre déjà l’ouverture de la communauté aux païens et l’extension de la Parole en Samarie et jusqu’à Antioche. Il est remarquable de voir comment les difficultés ou oppositions, bien loin d’arrêter l’action de l’Esprit, conduisent à trouver des solutions nouvelles qui relancent l’activité missionnaire et font croître l’Église.

*

Nous ne lirons, en ce premier atelier, que les deux premiers chapitres qui, après un nouveau ré-cit de l’Ascension (1,2-14), décrivent les premiers pas de la communauté de Jérusalem qui se reforme (1,15-26) ; puis reçoit le don de l’Esprit (2,1-13) et donne, par la voix de Pierre, son premier témoi-gnage (2,14-41). La conclusion est ce que l’on appelle un «sommaire» qui présente le modèle idéal de la communauté (2,42-47).

ATELIER BIBLIquE EN LIgNE

Lire les Actesdes Apôtres

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 2

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

L’introduction montre donc Jésus rassemblant ses disciples, avant d’être, tel un nouvel Élie, «enlevé» à leur regard (1,2-14). Cet événement, on l’a vu, a déjà été raconté dans le dernier chapitre de l’Évangile ; mais, alors que le chapitre 24 de Luc ramassait tout, de la Résurrection à l’Ascension, en une seule journée, ici il est question d’apparitions «pendant quarante jours» (1,3). C’est que le Ressuscité est à présent hors de toute temporalité, mais surtout que le projecteur se fixe maintenant sur les apôtres qui reçoivent, pendant cette durée traditionnelle, ses derniers enseignements. C’est pourquoi les Onze sont à nouveau nommés, un par un, (1,13), comme lors de leur appel, avant leur premier envoi en mis-sion (Luc 6,14-16), et présentés «assidus à la prière» (Actes 1,14) en une sorte de retraite préparatoire à leur prédication – qui n’est pas sans rappeler les quarante jours de Jésus au désert, avant le début de son ministère public (Luc 4,1-2).

Le premier acte du groupe des apôtres va être de se mettre en ordre pour la mission. La transition : «en ces jours-là» (1,18), qu’on retrouvera en 6,1, montre qu’une étape s’ouvre. Elle commen-ce par la constitution du collège des témoins : un discours de Pierre (1,15-22) – dont la prééminence, bien indiquée en Luc 22,32 («Toi, affermis tes frères»), est d’emblée réaffirmée –, invite à compléter le collège apostolique pour que le nombre 12, indiquant la totalité et rappelant les 12 tribus d’Israël, soit à nouveau atteint.

Suit l’élection de Matthias (1,23-26), par un tirage au sort qui, loin d’être un procédé désinvolte ou superstitieux, laisse déjà toute sa place au jeu de l’Esprit Saint.

Le deuxième acte du groupe des apôtres ne concerne plus seulement la communauté, mais est tourné vers l’extérieur. Il est provoqué par un événement annoncé par Jésus (1,8) et cependant inat-tendu : le don de l’Esprit (2,1-13) – passage qui fait l’objet de la partie «Méditer» de cet atelier. L’Esprit Saint apparaît ainsi comme le personnage principal des Actes des Apôtres : c’est lui qui va impulser et guider la mission, aider aux choix décisifs et provoquer incessamment l’ouverture et la création.

Le second discours de Pierre (2,14-36) commente et explique alors cet événement à l’intention des spectateurs «stupéfaits» (2,7.12) ; il inaugure du même coup un type de prédication missionnaire qui s’appuie sur des citations de l’Écriture (ici Joël 3 et les psaumes 16 et 110) pour montrer la messianité de Jésus – on se situe encore dans un contexte juif – et affirmer ce qu’on appelle le kérygme (du verbe kerussô, «proclamer»), c’est-à-dire l’affirmation du cœur de la foi de l’Église : «Dieu l’a ressuscité… Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus…» (2,32.36).

La parole de Pierre inspirée par l’Esprit montre immédiatement sa fécondité (2,37-41) : un grand nombre d’hommes est baptisé – 3.000, dit Luc, qui note régulièrement l’accroissement numérique de l’Église – ; non plus uniquement d’un baptême de pénitence, mais «au nom de Jésus Christ» (2,38), en confessant donc sa messianité et sa divinité.

Le chapitre se clôt par une description de la vie de la première communauté (2,42-47), qui indique clairement les fondements de toute communauté chrétienne : l’enseignement (la Parole), la communion fraternelle (l’amour), la prière et l’Eucharistie (2,42). Deux autres traits distinctifs sont soulignés : la charité qui pousse à tout partager «selon les besoins de chacun» (2,45) ; et la joie qui nourrit la louange et donne à toute la vie un caractère liturgique. Amour et joie qui donnent, par eux-mêmes, le témoignage le plus fécond (2,47).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 3

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - La Pentecôte (2,1-13)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Ce récit bien connu de l’événement survenu à Jérusalem, «le jour de la Pentecôte», donne une dou-ble réponse. Il réalise la promesse de Jésus à la fin de l’Évangile : «Et voici que moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Vous donc, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus

de la force d’en haut» (Luc 24,19). Et il répond, en la rectifiant, à la question des disciples : «Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ?» (Actes 1,6). Avec la venue de l’Esprit sur les apôtres, c’est bien le Royaume qui commence à advenir sur la terre.

Pour relater l’expérience de cette première effusion de l’Esprit dans l’Église, Luc colore son récit de réminiscences vétéro-testamentaires en s’appuyant sur deux modèles littéraires issus de la Première Alliance : la théophanie du Sinaï et la construction de la tour de Babel ; cela de façon à montrer com-ment l’histoire biblique est assumée, pour être accomplie ou redressée, dans l’alliance nouvelle. Au Sinaï, en effet, Dieu s’était manifesté au peuple élu en lui donnant la Loi ; à la Pentecôte, c’est l’Esprit qui est donné par Dieu et répandu sur tous les peuples. Alors qu’à Babel, l’échec de la construction humaine présomptueuse avait conduit à la dispersion des hommes sur la terre et à la confusion des langues, ici le don gracieux de Dieu rassemble tous les hommes et leur permet, par-delà langues et cultures, de se comprendre. N’est-ce pas le propre de Dieu d’inscrire son alliance dans la continuité de l’histoire, mais en même temps de «faire toute chose nouvelle» ?

2 [1] Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous en-semble dans un même lieu, [2] quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. [3] Ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. [4] Tous fu-rent alors remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.

[5] Or il y avait, demeurant à Jérusalem, des hommes dévots de tou-tes les nations qui sont sous le ciel. [6] Au bruit qui se produisit, la multi-tude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome. [7] Ils étaient stupéfaits, et, tout étonnés, ils disaient : «Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous galiléens ? [8] Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel ? [9] Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et d’Asie, [10] de Phrygie et de Pam-phylie, d’Égypte et de cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, Romains en résidence, [11] tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu !» [12] Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l’un à l’autre : «que peut bien être cela ?» [13] D’autres encore disaient en se moquant : «Ils sont pleins de vin doux !»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 4

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Pentecôte» : la fête de Shavouot, l’une des trois grandes fêtes du judaïsme, était, à l’origine, une fête agricole de moisson (Exode 23,16), appelée aussi fête des Semaines (Exode 34,22) et liée à l’offrande des prémices (Nombres 28,26). Dans la diaspora juive hellénisée, elle avait pris le nom grec de Pentekostè (cinquantaine) car elle se fêtait cinquante jours après Pâques. Cette fête commé-more aussi le don de la Loi, reçue par Moïse au Si-naï, et célèbre «le jour de l’assemblée» où la Loi fut promulguée pour le peuple (Deutéronome 9,10 ; 18,16). Luc situe bien l’événement de la Pentecôte dans ce contexte de convocation de tout le peu-ple pour recevoir la Loi (Exode 19,16-20 ; Deuté-ronome 4,10-14), et fait de nombreux emprunts littéraires au récit de l’Exode.

«arrivé» : le verbe utilisé (sunplèrousthai) a un sens très fort d’accomplissement. La même racine donne le terme de plèrôma, que l’on traduit par «plénitude» (cf, par exemple Colossiens 2,9-10). Luc emploie ce même verbe, en 9,51, au début de la grande marche vers Jérusalem (cf. Atelier bibli-que sur Luc n°5) pour indiquer que «s’accomplit» l’heure où Jésus va être «enlevé» vers le Père. Il n’y a donc pas ici une simple indication de date, mais l’affirmation que ce qui arrive récapitule l’histoire de l’alliance et ouvre à une nouveauté absolue.

«tous ensemble» : il s’agit du groupe des apôtres et de leurs familiers, dont il est fait mention en Actes 1,13-14, et qui ont l’habitude «tous d’un même cœur» de se réunir pour prier. Leur unité est fortement marquée, comme l’était celle du peuple devant le Sinaï, attendant la Loi «d’un com-mun accord» (Exode 19,1-8).

«dans un même lieu» : encore une expression qui manifeste la communion profonde qui les unit. D’autant que ce lieu est «la chambre haute où ils se tenaient habituellement» (Actes 1,13) que la Tradition assimile à «la grande pièce à l’étage» (Luc 22,12) où Jésus a célébré le dernier repas pascal, avant sa Passion, avec ses disciples.

«un bruit» : pour décrire cet événement extraordi-naire, Luc reprend les images bibliques habituelles pour raconter les théophanies (manifestations de Dieu), en particulier celle du Sinaï où Dieu se mani-feste avant de donner la Loi à Moïse : coup de ton-nerre, éclairs, nuée sur la montagne, puissant son de

trompe, feu, tremblement, voix, en Exode 19,16-18 ; et ici : bruit, violent coup de vent qui fait trem-bler la maison, langues de feu, voix (traduit ici par «bruit»)… Dans les deux cas, le message vient «du ciel» : «Du ciel il t’a fait entendre sa voix pour t’instruire, et sur la terre il t’a fait voir son grand feu, et du mi-lieu du feu tu as entendu ses paroles» (Deutéronome 4,36). Mais on peut remarquer que, si Luc utilise ce cadre littéraire, il garde aussi une certaine distance par rapport à lui, en indiquant bien qu’il ne s’agit que d’images («tel que…», «qu’on eût dites…»), re-joignant ainsi l’auteur de la Lettre aux Hébreux : «Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpa-ble : feu ardent, obscurité, ténèbres, ouragan, bruit de trompette, et clameur de paroles (…) Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste…» (12,18…22).

«vent» : c’est le même mot, en hébreu (ruah) comme en grec (pneuma) qui désigne l’esprit et le souffle. Le vent est donc un symbole privilégié de l’Esprit et de son action, parfois comme ici «violen-te», la plupart du temps légère (cf. 1 Rois 19,12) et discrète (cf. Jean 3,8 : «Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit»). Il apporte toujours la délivrance (cf. le passage de la mer asséchée par «un fort vent d’est», Exode 14,22) et la vie (cf. les ossements desséchés de la vision d’Ézéchiel 37 : «Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent»). Sa venue est ainsi si-gnifiée par ce vent qui «remplit» la maison, comme il va «remplir» tous ceux qui le reçoivent : Pierre (Actes 4,8) ; tous les apôtres (4,31) ; Étienne (6,5 et 9,55) ; Saul à son baptême (9,17), etc.

«des langues qu’on eût dites de feu» : le feu est aussi un symbole de la puissance de Dieu et plus par-ticulièrement de sa Parole (cf. Isaïe 6,6-7). C’est pourquoi, en jouant aussi sur la ressemblance for-melle entre flamme et langue (cf. Isaïe 5,24), il est associé au don des langues. En arrière-plan de cet-te comparaison (car Luc ne parle pas de «langues de feu», mais de «langues qu’on eût dites de feu»), il y aussi sans doute la tradition juive disant qu’au Sinaï, la voix de Dieu, sortant de la nuée, s’était di-visée en 70, de façon à ce que chaque peuple l’en-tende dans sa langue (puisqu’en s’appuyant sur le texte de genèse 10, qui recense les descendants des fils de Noé, on supposait qu’il y avait dans le monde 70 nations).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 5

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«remplis de l’Esprit Saint» : Luc reprend donc claire-ment la symbolique de la théophanie du Sinaï où le peuple a reçu la Loi, pour décrire l’effusion de l’Es-prit Saint. C’est bien en ce point que réside «l’ac-complissement» : le peuple, dont les apôtres sont les prémices, est renouvelé par le baptême dans l’Esprit Saint, selon la promesse de Jésus avant son ascension (Actes 1,5), comme lui-même l’a été au début de sa vie publique (Luc 3,21-22). Ou dit plus directement : le don de l’Esprit «accomplit» (au sens de parachever, parfaire) le don de la Loi. Paul revient souvent sur cette thématique (cf. par exemple 2 Corinthiens 3,5-18 : «Notre capacité vient de Dieu, qui nous a rendus capables d’être minis-tres d’une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, l’Esprit vivifie.»). Là est bien le centre du récit de Luc : l’Esprit s’empare des disciples pour donner la vie à un peuple nouveau.

«parler en d’autres langues» : c’est là l’effet visible de la grâce invisible du don de l’Esprit qui vient de leur être fait. Conformément à la promesse de Jésus, les apôtres reçoivent une «force» (Luc 24,49 ; Actes 1,5) qui leur donne de devenir, à leur tour, porteurs du Verbe. Parlent-ils réellement en des dialectes étrangers ? Ou s’agit-il plutôt du phé-nomène du «parler en langues», courant dans la prière des premières communautés chrétiennes et que le Renouveau charismatique a retrouvé en notre temps, que l’on appelle «charisme de glos-solalie» ? Les Actes font plusieurs fois allusion à ce charisme et le présentent comme la réaction habi-tuelle de celui qui a reçu l’Esprit, en même temps que la preuve concrète, pour les observateurs, que l’Esprit a bien été donné (cf. le baptême du centu-rion Corneille et de sa famille en 10,44-46 ; celui des «johannites» d’Éphèse en 19,6). Paul le présente comme un «don spirituel» qui permet de «parler à Dieu», mais doit «être interprété» pour pouvoir «édi-fier l’assemblée» (1 Corinthiens 14,1-19). À ce stade du récit, peu importe. Ici, Luc se réfère, par-delà le modèle du Sinaï, à celui de Babel : alors la confusion des langues avait rendu les hommes incapables de se comprendre et les avait dispersés sur la terre (genèse 11,7-9) ; maintenant l’Esprit donne à cha-cun de pouvoir se faire comprendre de tous et ras-semble tous les hommes en un seul peuple.

«à Jérusalem» : on sait l’importance de la Ville sain-te dans l’Évangile de Luc (cf. Ateliers bibliques sur Luc, particulièrement n°5 et 9). Elle est ici de nou-

veau manifeste : si les nations vont toutes progres-sivement être touchées par le message de l’Es-prit, c’est grâce à leur rassemblement à Jérusalem que la prédication peut commencer. Luc s’inscrit là dans la postérité des oracles universalistes du troisième Isaïe : «Debout, Jérusalem ! Resplendis ! car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire du Sei-gneur. Tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre et l’obscurité sur les peuples, sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire sur toi paraît. Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante. Lève les yeux aux alentours et regarde : tous sont rassemblés, ils viennent à toi» (Isaïe 60,1-4) ; «Moi je viendrai rassembler toutes les nations et toutes les langues, et elles viendront voir ma gloire. Je mettrai chez elles un signe et j’enverrai de leurs survivants vers les nations : vers Tarsis, Put, Lud, Méshek, Tubal et Yavân, vers les îles éloignées qui n’ont pas entendu parler de moi, et qui n’ont pas vu ma gloire. Ils feront connaître ma gloire aux nations» (Isaïe 66,18-19).

«des hommes dévots» : les conditions sont remplies pour que la malédiction de Babel prenne fin : il y a non plus divergence à partir du lieu où était entreprise une œuvre dirigée contre Dieu, mais au contraire convergence vers la ville sainte où Dieu a choisi de faire habiter son Nom (Deutéronome 12,5s). Et convergence d’hommes pieux, venus rencontrer et adorer Dieu, et donc capables d’ac-cueillir sa manifestation avec un cœur disponible.

«toutes les nations qui sont sous le ciel» : il semble que Luc ait repris ici l’énumération d’un ancien calen-drier astrologique où les peuples étaient décrits globalement d’est en ouest et du nord au sud ; c’est pour lui simplement une description commode des peuples connus alors, destinée à montrer surtout l’universalité du message. Aux douze nations citées d’abord, il ajoute les Romains vers qui Paul part à la fin des Actes ; il prend en compte aussi l’origine religieuse (juifs et prosélytes) et géographique (les îles, telle la Crète, et le désert d’Arabie). On peut aussi remarquer que la Judée (au milieu de la liste) ne jouit d’aucune prérogative.

«chacun de nous» : qu’il s’agisse ou non d’un mira-cle de diction, il y a, en tous les cas, miracle d’audi-tion puisque chacun comprend ce que disent les apôtres. À noter que le mot traduit par «bruit», au début de ce verset 6, comme au verset 2, est, en grec, phônè qui a le sens premier de «voix». Au

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 6

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Sinaï, le peuple, selon la traduction littérale, «voyait la voix» (Exode 20,18) ; il est donc suggéré que, de même que le peuple était instruit par la voix de Dieu venue de la montagne, à présent cette voix, par l’Esprit, s’élève des apôtres, c’est-à-dire qu’elle vient de l’Église et s’adresse à tous les hommes. Le vrai miracle, c’est que la Parole, par sa puissance, est capable de toucher tout homme, quelle que soit sa culture.

«idiome maternel» : l’expression «langue maternel-le» est courante, mais ici elle peut de plus indiquer quelque chose de la vocation de l’Église, repré-sentée par ses prémices que sont les apôtres : l’Église Mère doit s’adresser à chacun dans un lan-gage qu’il puisse comprendre, pour être vraiment, selon la formule de Jean XXIII, mater et magistra («mère et maîtresse»).

«prosélytes» : le terme désigne ceux qui, sans être d’origine juive, ont embrassé la foi au Dieu unique et, par la circoncision, se sont agrégés au peuple élu. Dans les Actes, mention est faite de «Nicolas, un prosélyte d’Antioche», élu parmi les Sept (6,5), ainsi que des «juifs et des prosélytes qui adoraient Dieu» écoutant Paul et Barnabé dans la synagogue d’Antioche de Pisidie (13,43). Les termes «juif» et «prosélyte» ne désignent pas ici, à proprement parler, des populations différentes (comme les Parthes les Mèdes, etc), mais plutôt l’origine des membre des différents peuples présents à Jérusa-lem pour la fête.

«merveilles de Dieu» : la première prière inspirée par l’Esprit est la louange, mouvement que retrou-vent les assemblées du Renouveau charismatique. Paul l’explique ainsi : «L’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même in-tercède pour nous en des gémissements ineffables» (Romains 8,26) ; et encore : «Tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père !» (8,14-15);

«stupéfaits» : littéralement «remplis de confusion», comme le furent les constructeurs de la tour de Babel. Luc fait donc une nouvelle allusion à la «confusion» des langues due à l’orgueil de l’hom-me (genèse 11,7.9), et ici effacée par l’action de

l’Esprit qui permet de rejoindre tous les hommes dans la diversité de leurs expressions.

«en se moquant» : ces réactions diverses anticipent sur celles qui apparaîtront dans tout le livre. Ainsi les Athéniens auxquels s’adresse Paul sont partagés entre le désir de comprendre et le sarcasme : «Pour-rions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes ? Car ce sont d’étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire» (17,19-20) ; «À ces mots de résurrec-tion des morts, les uns se moquaient, les autres disaient : ‘Nous t’entendrons là-dessus une autre fois’» (17,32).

«pleins de vin doux» : la moquerie justifie le raison-nement de Paul expliquant aux Corinthiens que le parler en langues peut ne pas édifier, mais avoir un effet contraire : «Si donc l’Église entière se réu-nit ensemble et que tous parlent en langues, et qu’il entre des non-initiés ou des infidèles, ne diront-ils pas que vous êtes fous ?» (1 Corinthiens 14,23) ; c’est pourquoi il demande que les paroles en langues soient «interprétées, pour que l’assemblée en tire édification» (14,5). Le discours de Pierre, qui suit immédiatement le récit de la Pentecôte, a précisé-ment cette fonction d’explication, en rapprochant l’événement qui vient de se produire de la pro-phétie de Joël : «Il se fera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes» (Actes 2,17, citant Joël 3,1) et en prêchant Jésus mort et ressuscité, de façon si inspirée que «eux donc, accueillant sa parole, se firent baptiser. Il s’adjoignit (à la communauté) ce jour-là environ 3.000 âmes» (2,41).Mais, en un sens non plus pastoral mais mystique, la remarque peut paraître très juste, quoiqu’in-volontairement. En effet, dans la Bible, le vin ren-voie à la joie, et plus particulièrement à la joie de la Parole de Dieu : «Qu’il me baise des baisers de sa bouche. Tes amours sont plus délicieuses que le vin», dit l’amante du Cantique (1,2) ; et le pro-phète Zacharie annonce : «Ephraïm sera comme un vaillant et leur cœur se réjouira comme sous l’ef-fet du vin ; leurs fils regarderont et se réjouiront, leur cœur exultera dans le Seigneur» (10,7). Les apôtres sont enivrés de la joie, qui est un fruit de l’Esprit (galates 5,22), et réjouis de ce don qui leur per-met de comprendre et d’annoncer la Parole avec assurance (cf. Actes 4,31).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 7

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Sois béni, Père saint, pour le don de ton Esprit,Esprit d’amour que tu répands à profusion dans le monde.Sois béni, Seigneur Christ, pour nous avoir envoyé d’auprès du Pèrecet Esprit qui, désormais, depuis ton retour dans la gloire,vient murmurer ta Parole au fond de nos cœurs.Sois béni, Esprit du Père et du Fils,qui animes nos vies et guides au long du temps la marche de l’Église. Pour ce grand don, nous voulons te louer et exulterdans la joie que tu mets en nous de nous reconnaître fils d’un même Père,frères unis dans une même communion de pensée et d’action.Viens, Esprit Saint consolateur,viens planer, comme au commencement,sur le monde blessé et lui apporter la consolationet la force de se construire dans la vérité et la justice.Toi qui mets sur nos lèvres et dans notre cœur un langage nouveau,garde-nous dans la joie de ta présence,dans la docilité à ton action,dans l’attente ardente des cieux nouveauxet de la terre nouvelle où tu nous introduirasdans le partage de l’amour que tu es éternellement,dans la communion du Père et du Fils. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Notre Théophile est d’emblée bouleversé par ces débuts de l’Église de Jérusalem où deux choses surtout le frappent : la puissance du don de l’Esprit et la communion fraternelle qui s’établit dans la communauté.

Avec le nom grec qu’il porte, c’était sans doute un prosélyte ; peut-être était-il mêlé à la foule de ceux qui étaient montés pour la fête à Jérusalem adorer le Dieu unique. Et il a vu soudain, sortant du Cénacle des hommes transformés.

«Ô cénacle, pétrin où fut jeté le levain qui fit lever l’univers tout entier ! Cénacle, mère de toutes les Égli-ses. Sein admirable qui mit au monde des temples pour la prière. Cénacle qui vit le miracle du buisson. Cénacle qui étonna Jérusalem par un prodige bien plus grand que celui de la fournaise qui émerveilla les habitants de Babylone ! Le feu de la fournaise brûlait ceux qui étaient autour, mais protégeait ceux qui étaient au milieu de lui. Le feu du Cénacle rassemble ceux du dehors qui désirent le voir tandis qu’il réconforte ceux qui le reçoivent. Ô feu dont la venue est parole, dont le silence est lumière. Feu qui établis les cœurs dans l’action de grâces !» (Saint Éphrem, IVe siècle).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 janvier 2011 | 8

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Il a vu sortir du Cénacle des hommes débordants de joie dans le Seigneur, qui exultaient des merveilles de Dieu et désiraient conduire chacun à la source de leur joie. Des hommes qui, dans la force de l’Esprit, parlaient de mort vaincue et de gloire venue pour «ce Jésus» qu’ils annonçaient.

Voilà ce qui a saisi Théophile, la sagesse de cet Esprit qui «enseigne tout ce qu’il faut dire» (Luc 11,12). La joie de cet Esprit qui fait du repentir et de la conversion un chemin de vie. La force de cet Esprit qui transforme :

«Voyez l’Esprit à l’œuvre : s’il trouve des pêcheurs, il les fait prendre au filet par le Christ: et il les envoie capturer l’univers entier dans le filet de la Parole de Dieu. S’il découvre des publicains, il les ‘gagne’ et les adjoint au Christ, comme disciples, il en fait des ‘marchands’ d’âmes... S’il aperçoit d’ardents persécuteurs, il transforme le sens de leur zèle : il fait Paul avec ce qui était Saul» (Saint grégoire de Nazianze, IVe siècle).

Théophile peut-il alors faire autre chose que prier pour que ce grand don lui advienne aussi et transforme sa vie ?

«Viens, lumière véritable. Viens, vie éternelle. Viens, mystère caché. Viens, trésor sans nom, Viens, réalité ineffable. Viens, personne inconcevable. Viens, félicité sans fin. Viens, lumière sans couchant. Viens, attente infailli-ble de tous ceux qui doivent être sauvés. Viens, réveil de ceux qui sont couchés, Viens, résurrection des morts. Viens, ô Puissant, qui toujours tout fais et refais et transformes par ton seul vouloir. Viens, joie éternelle. Viens, toi qui m’as séparé de tout et fait solitaire en ce monde. Viens, toi devenu toi-même en moi désir, qui m’as fait te désirer toi l’au-delà de tout. Viens, mon souffle et ma vie. Viens, consolation de mon âme. Viens, ma joie, ma gloire, mes délices sans fin» (Saint Syméon le Nouveau Théologien, Xe siècle).

*

La seconde chose qui frappe Théophile est la façon étrange qu’ont ces gens de vivre : une vie sous le signe de l’amour fraternel qui manifeste qu’un homme nouveau est bien rené de l’eau du baptême. Un homme nouveau qui saurait suffisamment qu’il est aimé de Dieu son Père, pour dépasser rivalités et avidités. un homme nouveau qui serait assez comblé de vraie joie pour devenir capable de partager et de créer une société qui ne connaîtrait ni misère ni richesse excessive, qui prendrait au sérieux l’en-seignement de Jésus sur l’argent – «Nul ne peut servir deux maîtres…» (Luc 16,13) – et ferait de celui-ci un simple instrument au service de tous.

«Ne vivons pas uniquement selon la chair, vivons selon Dieu... La miséricorde et la bienfaisance sont les amies de Dieu. Et si elles viennent s’établir au cœur d’un homme, elles le divinisent et le modèlent à la res-semblance du souverain Bien afin qu’il soit l’image de l’essence première et sans mélange qui surpasse toute connaissance. (…) Limitez-vous dans 1’usage des biens de la vie. Tout ne vous appartient pas ; qu’une part aussi soit laissée pour les pauvres qui sont aimés de Dieu car tout est à Dieu, notre Père commun, et nous sommes des frères de race. Pour des frères, l’idéal le plus juste serait que chacun jouît d’une part égale de l’héritage ; mais à défaut de cela, si certains s’attribuent le plus gros de cet héritage, que tous les autres en obtiennent au moins une part» (Saint grégoire de Nysse, IVe siècle).

Mais cette communauté, sans doute d’ailleurs plus idéale qu’historique, Théophile le comprend bien, ne peut tenir que parce qu’elle repose sur la Parole et le Pain, sur le partage d’abord de cette nourriture quotidienne donnée par le Seigneur. Ce n’est qu’en puisant à cette source que l’on peut vivre en frères «avec allégresse et simplicité de cœur». Et Théophile brûle, lui aussi, de participer à cette communion, de s’agréger à une communauté de louange et de partage qui l’aide à orienter sa vie vers Dieu et vers les autres, qui l’aide à apprendre à aimer. Il brûle de contribuer à construire cette com-munauté, toujours fragile et changeante, comme le cœur de l’homme, mais toujours solide et vivante, comme l’amour du Seigneur.

Puisse notre Théophile intérieur, cet «ami de Dieu» qui vit en nous, qu’il dorme ou qu’il veille, aspirer lui aussi à recevoir en plénitude le don de l’Esprit, et travailler à bâtir, en Église, la communauté fraternelle des hommes.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 9

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 3-5

Après les événements fondateurs relatés dans les deux premiers chapitres des Actes des Apôtres – l’élection de Matthias pour compléter le collège des Douze, l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte, les premières conversions –, les chapitres 3 à 5 que nous lisons ce mois-ci poursuivent la descrip-

tion de la vie de la communauté de Jérusalem qui reçoit, pour la première fois, en 5,11, le nom d’Église.

Le chapitre 3 est composé comme le précédent : il articule un événement – ici la guérison de l’impotent qui se tenait à la porte du Temple (3,1-10) –, et un discours de Pierre qui explique par l’Écri-ture le sens de cet événement et appelle à la conversion (3,11-26). S’ensuit, débordant sur le chapitre 4, la réaction des autorités religieuses et la notification du nombre de conversions (4,1-4), de même que 2,37-41 notait la réaction des auditeurs et le nombre des convertis.

Pierre et Jean apparaissent comme les personnages principaux de cette séquence, représentant le collège des Douze et, plus largement, tous les «témoins». Ils guérissent un boiteux – figure de ceux qui ne peuvent se tenir devant Dieu et sont de ce fait mis à l’écart de l’alliance, puisque les infirmes n’avaient pas le droit de pénétrer dans le Temple. Ils le guérissent en réitérant les paroles et les gestes qu’il ont vu accomplir par Jésus, et «au nom de Jésus», c’est-à-dire par la puissance de sa grâce qui s’exprime à présent à travers les apôtres. Ainsi est accompli l’un des signes messianiques donné par les prophètes puisque le boiteux peut «marcher, gambader et louer Dieu» (3,8 ; cf. Isaïe 35,6 ; Luc 7,22), et la délivrance de cet homme annonce la restauration du peuple tout entier comme sujet de l’alliance nouvelle.

Le discours de Pierre (3,11-26), passage que nous méditons de façon plus approfondie ce mois-ci, explicite ces significations en appuyant sa démonstration sur cinq citations du Pentateuque – alors que le premier discours citait de préférence les prophètes et les psaumes – ; et en présentant Jésus comme «le Serviteur» (3,13.26), accomplissant le dessein de Dieu – tandis que le premier discours aboutissait à donner à Jésus le titre de «Seigneur et Christ» (2,36).

La conclusion du passage (4,1-4) ne relate pas, comme à la fin du chapitre 2, le repentir et la conversion des auditeurs, mais, par un échange semblable à celui qui s’est accompli en Jésus, les apôtres qui ont libéré un homme se trouvent emprisonnés. Les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, ne peuvent que s’opposer à la prédication de Pierre ; tirant leur richesse des sacrifices du Temple, ils ne peuvent que résister à tout ce qui paraît nouveau. Les apôtres sont donc mis en prison, lieu fréquem-ment assigné aux missionnaires dans les Actes, comme annoncé par Jésus. Mais «la parole» n’en perd pas pour autant son efficacité puisque 5.000 hommes (à partir de cinq paroles) se convertissent, comme à la fin du premier discours où 3.000 avaient été convertis (2,4).

La suite du chapitre 4 et le chapitre 5 sont composés de manière presque symétrique : deux comparutions devant le Sanhédrin, celle de Pierre et Jean après la guérison de l’impotent (4,5-31), et celle de tous les apôtres prêchant le Nom de Jésus (5,17-42), ouvrent et ferment ces chapitres. Ces deux séquences se composent d’éléments analogues : l’arrestation des apôtres (4,5-7 et 5,17-28 avec en plus, dans ce second épisode, leur délivrance par un ange) ; des discours de Pierre montrant en Jésus le Sauveur (4,8-12 et 5,28-32) ; la délibération des juges (4,13-23 et 5,33-40 avec, dans le second cas, l’intervention décisive de Gamaliel) ; la prière des apôtres après leur libération (4,32-31 où le récit décrit une nouvelle Pentecôte, et 5,41-42).

Entre ces deux récits, un tableau de la communauté de Jérusalem (4,32-5,16) qui, lui aussi, peut s’analyser en épisodes parallèles : deux «sommaires» – comparables à celui de 2,42-46 – décrivent la communauté, le premier insistant sur la mise en commun des biens (4,32-35), et le second sur «les si-gnes et les prodiges» accomplis par les apôtres (5,12-16). Tandis qu’entre ces deux sommaires, un double exemple antagoniste est apporté : celui de la générosité de Joseph (4,36-37) et, à l’inverse, celui de la duplicité d’Ananie et Saphire (5,1-11). Faute de pouvoir développer le détail de tous ces épisodes com-plexes, soulignons simplement quelques éléments intéressants ou plus problématiques.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 10

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lors de leur première comparution devant le Sanhédrin (4,5-31), Pierre et Jean redonnent une lecture du miracle de la guérison du boiteux centrée autour de la puissance du Nom de Jésus (4,10.12) et illustrée, cette fois-ci, par une citation du psaume 118 montrant un nouvel aspect du mystère de Jésus : «la pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre d’angle» (4,11).

Ce discours, comme les précédents, étonne par «l’assurance» (4,13 ; et aussi 4,29.31) dont font preuve les apôtres, qui ne peut s’expliquer que par le don de l’Esprit qu’ils ont reçu (4,8), selon la pro-messe de Jésus (cf. Luc 12,11 : «Lorsqu’on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne cherchez pas avec inquiétude comment vous défendre ou que dire, car le Saint Esprit vous enseignera à cette heure même ce qu’il faut dire»), et qui permet leur libération «après de nouvelles menaces» (4,21). C’est l’Esprit aussi qui les pousse, «une fois relâchés» (4,23), à retrouver leurs compagnons dans la prière pour louer ensemble le Seigneur, discerner quelle est sa volonté et le prier de poursuivre, à travers eux, son œuvre (4,24-30). C’est enfin l’Esprit qui exauce leur prière par une nouvelle effusion, semblable à celle de la Pentecôte (4,31a ; cf. 2,2-4), qui leur permet de continuer à «annoncer la parole de Dieu avec assurance» (4,31b).

Le description de la communauté des croyants qui suit (4,32-35) insiste sur la communion qui les unit, dont le signe tangible est la mise en commun des biens, soit que l’on partage leur usage (4,32), soit qu’on les vende pour en distribuer également le produit (4,35). Plus que d’un programme économique, il s’agit là d’un signe prophétique : les temps eschatologiques sont là, temps du partage et de la grâce.

Deux exemples opposés en sont alors donnés, l’un positif et succinct, l’autre beaucoup plus dé-veloppé et problématique. Joseph surnommé Barnabé est le premier personnage nommé dans les Actes qui n’appartient pas au collège des Douze ; on le retrouve dans plusieurs épisodes où sa droiture et sa fidélité sont toujours soulignées (9,27 ; 11,22-23 ; 13,12 ; 15,36-39…). Il apparaît ici (4,36-37) comme l’archétype du croyant accueillant la grâce et y répondant avec générosité.

L’histoire dramatique d’Ananie et Saphire en est le contre-exemple (5,1-11) : elle semble trop invraisemblable pour rapporter un événement précis survenu dans la première communauté ; sans doute rassemble-t-elle plutôt plusieurs incidents de façon à donner un avertissement clair : même dans la communauté de Jérusalem – a fortiori dans toute communauté – les fautes contre la communion apparaissent très vite et sont liées au désir de possession. On remarque en effet que, dans l’Écriture, tout don de Dieu est très vite suivi par une transgression, sorte de péché originel récurrent qui brouille le dessein de Dieu et coupe le fautif de l’accès au don : ainsi, après le don de la Loi, vient tout de suite l’épisode du veau d’or qui brise l’alliance en ramenant à l’idolâtrie (Exode 32) ; après l’entrée en Terre promise, c’est la violation du commandement de l’anathème par Akân qui, lui aussi, dérobe et ment, et ne peut donc vivre sur cette terre bénie de Dieu (Josué 7) ; de même, David, après son intronisation et les promesses transmises par le prophète Natân, convoite la femme d’Urie et attire le malheur sur sa maison (2 Samuel 11). Tous ces exemples renvoient, bien sûr, à la faute originelle d’Adam et Ève (Genèse 3), inspirée par «le père du mensonge» et la convoitise. Dans tous ces cas, on désire autre chose que ce que donne Dieu, en méprisant ou en contournant en quelque sorte le don de sa grâce et donc, finalement, en l’annulant. On a donc pu interpréter ce récit du «péché originel» de la communauté, perpétré aussi par un couple, comme la possibilité reconnue à l’Église naissante – le terme est utilisé pour la première fois en 5,11, juste à la fin de ce récit – de chasser, d’extirper d’elle-même (on dira plus tard : d’ex-communier) ceux qui, par leur convoitise, deviennent instruments de mort pour la communauté, au lieu d’y partager avec les autres le don de la vie divine.

Le sommaire qui suit ce double exemple contrasté (5,12-16), insiste sur «les signes et les prodiges» opérés par les apôtres, en particulier par Pierre, et même «l’ombre» de Pierre (5,15), en une image qui rappelle celle de la nuée manifestant, de l’Exode à la Transfiguration en passant par l’Annonciation, la présence efficiente de l’Esprit.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 11

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Intervient alors, à la fin du chapitre, la seconde arrestation des apôtres (5,17-21), tous les douze cette fois-ci, et leur délivrance miraculeuse par un ange qui les renvoie à leur mission d’annonce de la Parole (5,20). La seconde comparution devant le Sanhédrin et le discours de Pierre (5,27-33), ainsi que l’intervention de Gamaliel mettant en garde ses collègues contre le fait de «risquer de se trouver en guerre contre Dieu» (5,34-39), soulignent non plus le salut apporté par Jésus à tout le peuple et à ses no-tables, mais plutôt l’épreuve que représente cette annonce (cf. Luc 2,34 : «Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction»). Épreuve pour les chefs du peuple qui doivent se déterminer par rapport à ce don de Dieu et accepter de laisser bousculer leurs habitudes et leurs prérogatives. Épreuve aussi, en un autre sens, pour les apôtres qui sont «battus de verges» (5,40) et commencent à apprendre en leur chair ce qui signifie marcher à la suite du Christ Jésus.

Par l’Esprit et selon la promesse du Christ, les apôtres sont dans la joie, «tout heureux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom» (5,41), et leur vocation s’en trouve renouvelée (5,42). Ils partagent réellement le destin de leur Maître, rejetés par les hommes et bénis de Dieu. Mais cela sonne aussi la fin des commencements heureux. L’ombre de la croix se dessine, qui va s’imposer dans la section suivante et provoquer la dispersion de la communauté de Jérusalem.

Méditer - Le deuxième discours de Pierre (3,11-26)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Les premiers chapitres des Actes des Apôtres sont émaillés de discours de Pierre, établi dans sa primauté au sein du collège des apôtres par Jésus lui-même : «Toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères !» (Luc 22,32). Avant l’élection de Matthias au rang d’apôtre (Actes 1,16-22), après l’effusion

de l’Esprit à la Pentecôte (2,14-36) et la guérison du boiteux à la porte du Temple (3,12-26), devant le Sanhédrin (4,8-13 et 5,29-2), Pierre se lève et prend la parole. C’est le troisième de ces discours que nous lisons ce mois-ci, discours adressé «au peuple», c’est-à-dire à tous ceux qui sont présents dans le Temple et s’étonnent du relèvement du boiteux.

Ces discours, soigneusement composés par Luc, présentent une structure commune : après avoir rappelé l’événement qui vient de se produire, ils montrent, en s’appuyant sur des citations bibliques, que Jésus, en sa vie, sa mort et sa résurrection, a accompli les Écritures ; et ils se terminent par un appel au repentir et à la conversion. Le discours après la Pentecôte présentait, à l’aide de citations tirées des psaumes et des prophètes, Jésus comme «Seigneur» ; celui-ci, par des citations tirées du Pentateuque, met en lumière son rôle de «serviteur». Adressés à des juifs, les discours insistent sur l’accomplissement des Écritures, mais mettent aussi en leur cœur, l’affirmation de la foi primitive : «ce Jésus, Dieu l’a ressus-cité des morts : nous en sommes témoins» (2,24 ; 3,16). On voit là s’imbriquer la méthode de raisonnement des rabbins de l’antiquité et les premiers éléments de la nouvelle prédication missionnaire.

3 [11] Comme il ne lâchait pas Pierre et Jean, tous, hors d’eux-mêmes, accoururent vers eux au portique dit de Salomon. [12] À cette vue, Pierre s’adressa au peuple : «Hommes d’Israël, pourquoi vous étonner de cela ? Qu’avez-vous à nous regarder, comme si c’était par notre propre puissan-ce ou grâce à notre piété que nous avons fait marcher cet homme ? [13] Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pi-

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 12

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«il» : il s’agit de l’homme «impotent de naissance» (Actes 3,2) que Pierre vient de guérir et que tous reconnaissent, alors qu’il «marche, gambade et loue Dieu» (3,9) puisqu’il se tenait chaque jour devant le Temple pour mendier (cf. 3,10).

«Pierre et Jean» : cet épisode de la guérison du boiteux associe les deux apôtres (3,1.4.11), de même que leur comparution devant le Sanhédrin (4,13.19) et leur premier envoi en Samarie (8,14). D’autres apôtres ou missionnaires sont aussi, dans les Actes, nommés deux par deux : Barnabé et Saul (13,2), Jude et Silas (15,22), Paul et Silas, et Bar-nabé et Marc (15,39-40)… Comme si la première Église voulait imiter le geste de Jésus, rapporté par Luc, d’envoyer ses disciples deux par deux (10,1 ; et aussi 19,29, et 22,8 où ce sont déjà Pierre et Jean qui sont envoyés ensemble) : manière de dire

qu’ils n’agissent pas en leur nom propre, mais au nom de la communauté des disciples du Christ Jésus, comme témoins et envoyés.

«hors d’eux-mêmes» : devant le miracle – qui don-ne à voir l’un des signes messianiques annoncés par les prophètes (cf. Isaïe 35,6 : «alors le boiteux bondira comme un cerf…») –, le peuple est empli de «frayeur» (ce que signifie thambos en 3,10 ; ou ekthamboi, ici). C’était déjà la réaction que souli-gnait Luc, devant les paroles d’autorité de Jésus (Luc 4,36, après l’expulsion d’un démon) et les si-gnes accomplis (5,9, après la pêche miraculeuse). La puissance du Seigneur poursuit son œuvre «par les mains des apôtres» (Actes 5,12).

«portique dit de Salomon» : colonnade à l’est du Temple permettant le passage de la cour extérieu-

late, alors qu’il était décidé à le relâcher. [14] Mais vous, vous avez chargé le Saint et le juste ; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, [15] tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins. [16] Et par la foi en son nom, à cet homme que vous voyez et connaissez, ce nom même a rendu la force, et c’est la foi en lui qui, devant vous tous, l’a rétabli en pleine santé.

[17] Cependant, frères, je sais que c’est par ignorance que vous avez agi, ainsi d’ailleurs que vos chefs. [18] Dieu, lui, a ainsi accompli ce qu’il avait annoncé d’avance par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait. [19] Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés, [20] et qu’ainsi le Seigneur fasse venir le temps du répit. Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus, [21] celui que le ciel doit garder jusqu’aux temps de la restauration uni-verselle dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes. [22] Moïse, d’abord, a dit : ‘Le Seigneur Dieu vous suscitera d’entre vos frè-res un prophète semblable à moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira. [23] Quiconque n’écoutera pas ce prophète sera exterminé du sein du peuple.’ [24] Tous les prophètes, ensuite, qui ont parlé depuis Samuel et ses successeurs, ont pareillement annoncé ces jours-ci.

[25] «Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham : ‘Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre.’ [26] C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du mo-ment que chacun de vous se détourne de ses perversités.»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 13

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

re (le «parvis des Gentils», c’est-à-dire des païens) à la cour intérieure, réservée aux Juifs. Jean 10,23 situe au même endroit une altercation, lors de la fête de la Dédicace, entre Jésus et «les Juifs» à pro-pos de sa messianité.

«s’adressa» : il ne s’agit pas seulement de voir des signes ; encore faut-il en comprendre la significa-tion. C’est le propos du discours de Pierre – le deuxième après celui du jour de Pentecôte – montrant que ce boiteux relevé et redevenu capa-ble de louer Dieu dans le Temple (où les infirmes n’avaient pas le droit de pénétrer : cf. Lévitique 21,17-21 et 2 Samuel 5,8) est la figure du peuple appelé tout entier à être sauvé et à rendre grâce à Dieu.

«Hommes d’Israël…» : les cinq discours mission-naires mis par les Actes dans la bouche de Pier-re (2,14-39 ; 3,12-26 ; 4,9-12.19-20 ; 5,29-32 ; 10,34-43), conformes aux règles de la rhétorique du temps, sont tous construits de la même maniè-re : une introduction rappelant l’occasion concrète du discours (ici le miracle de guérison) ; la présen-tation du ministère de Jésus, de sa mort et de sa résurrection ; puis l’interprétation de sa résurrec-tion à partir de citations de l’Écriture, l’annonce du pardon des péchés et l’appel à la conversion.

«notre propre puissance» : la guérison a été opérée «au nom de Jésus». Les apôtres insistent toujours pour que les foules ne s’arrêtent pas à leur pou-voir thaumaturgique, mais reconnaissent à travers eux la puissance du Christ ressuscité (cf. Actes 14,15 ; 28,6…).

«Le Dieu d’Abraham…» : l’argumentation de Pierre procède à la manière rabbinique par association de citations de l’Écriture (on parle de «colliers») dont le rapprochement fait apparaître des signi-fications nouvelles. La première citation reprise d’Exode 3,6 fait allusion à l’apparition de Dieu à Moïse, dans le buisson ardent, où il se présente comme le Dieu des pères, «Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob». C’est-à-dire le Dieu de l’alliance et des promesses qui ont été renouvelées en Moïse et maintenant, comme veut le montrer Pierre, sont accomplies en Jésus. Dans l’évangile de Luc, Jésus utilise déjà cette citation pour démontrer aux Sadducéens la foi en la résurrection des morts (Luc 20,37-38).

«serviteur» : à la différence du premier discours (2,14-39) qui proclamait Jésus «Seigneur», le titre utilisé dans le deuxième discours est celui de «ser-viteur» (en grec : pais, qui signifie aussi «enfant») de Dieu (3,13.26). Ce titre qualifie fréquemment dans l’Écriture, ceux qui servent Dieu fidèlement, tels Abraham (Psaume 105,6.42) ou Job (1,8 ; 42,7-8), ou sont chargés d’une mission particulière, tels Moïse (Exode 14,31 ; Deutéronome 34,5), David (Psaume 89,4.21), les prophètes (Jérémie 7,25)… Mais il renvoie tout particulièrement à la figure du Serviteur décrite, par le second Isaïe, en 4 chants (42 ; 49 ; 50 ; 52-53), où elle évoque un prophète qui, devant l’infidélité du peuple, est suscité pour l’appeler à la conversion (Isaïe 42,1 ; 50,10), qui est rejeté, souffre et va jusqu’à la mort pour accom-plir sa mission (52,13-53,12).

«livré» : la double référence à Moïse et au Serviteur d’Isaïe permet l’évocation de Jésus, sauveur com-me Moïse (cf. Actes 3,16), mais surtout ici, comme le Serviteur, «livré à la mort alors qu’il portait le péché des multitudes» (Isaïe 53,12). Ce verset d’Isaïe est aussi souvent appliqué au Christ par Paul (cf. Ro-mains 4 ,25 ; Galates 2,20 ; Éphésiens 5,2.25).

«Pilate» : le procurateur de Judée devant qui Jésus a été déféré, après sa comparution devant la juridiction juive du Sanhédrin, est présenté par Luc comme un homme faible, désirant «relâcher Jésus» (Luc 23,20) et le déclarant, par trois fois, innocent (23,4.15-16.22), avant de «le livrer à leur bon plaisir» (23,25), par crain-te de la foule, et de gracier Barabbas.

«chargé» : ici, comme en Luc 23,2.5, l’accusation de Jésus pour sédition et rébellion envers l’empereur est imputée au Conseil des Anciens du peuple, re-présentant la nation juive, et donc au peuple tout entier.

«le Saint» : la sainteté est un attribut essentiel de Dieu (cf. Lévitique 19,2 ; Isaïe 6,2…). Ce titre est donné à Jésus en Luc par les anges (1,35) et les démons qui connaissent son identité : «Je sais qui tu es : le Saint de Dieu» (4,34). Le deuxième titre de «juste», associé à «saint», est donné aussi au Serviteur d’Isaïe (53,11) ; il qualifie, dans l’Écriture, celui qui s’ajuste à la volonté de Dieu.

«le prince de la vie» : troisième titre, original celui-ci, où «prince» a le sens de chef conduisant ses

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 14

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

sujets ou ses troupes. De même que Moïse était le chef du peuple pour le conduire, à travers l’eau, à la liberté, le Christ, par son passage à travers la mort, conduit tous les hommes à la vie (cf. aussi 5,31 ; et Hébreux 2,10).

«témoins» : selon la mission que leur a confiée Jé-sus (Luc 24,48 ; Actes 1,8), les apôtres portent té-moignage de sa résurrection (cf. Actes 2,32 ; 4,33 ; 5,22 ; 13,31…). Cette affirmation forme le noyau de la foi primitive qu’on appelle le «kérygme» (du verbe grec qui signifie «proclamer») : il ne s’agit pas d’abord de l’affirmation d’un dogme, mais d’une expérience de vie et de compagnonnage (cf. Actes 1,22-23 : «Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu’au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection»).

«par la foi en son nom» : «Au nom de Jésus le Nazo-réen, marche !», avait dit Pierre au boiteux, en le relevant (Actes 3,6). Il imitait là les gestes et les paroles de Jésus (cf. en particulier Luc 5,23-24) ; mais la guérison est maintenant opérée «au nom de Jésus». Le nom, dans la perspective biblique, c’est la personne même, avec tous ses attributs et toutes ses prérogatives (cf. en Exode 3,14, la révélation du Nom de Dieu à Moïse ; et, en Jean, l’usage qui est fait de ce Nom de Dieu «Je Suis» ap-pliqué à Jésus, particulièrement en Jean 8,24.27.58 ; 13,19 ; 18,5-6…). Invoquer le nom de Jésus revient ainsi à mettre en œuvre la puissance de Jésus (cf. Actes 3,6 ; 4,7.10.30 ; 10,43 ; 16,18), mais à condi-tion que ce soit dans un esprit de foi, et non com-me un rituel magique (Actes 19,13-17).

«par ignorance» : le second temps du discours de Pierre – qui commence en ce verset 17 – est une interpellation du peuple pour qu’il tire les consé-quences de l’événement de guérison du boiteux, tel qu’il vient de lui être expliqué à la lumière de la résurrection de Jésus, «serviteur» de Dieu. «L’igno-rance» peut représenter une circonstance atté-nuante (cf. Luc 23,34 : «Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font» ; et 1 Corinthiens 2,8 : «s’ils l’avaient connue (la sagesse de Dieu), ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire»). Mais, selon la loi juive, elle n’est pas une excuse, surtout lorsqu’elle résulte d’un manque d’étude de la Parole de Dieu (cf. Lévitique 5,17-19 : «Si quelqu’un pèche et fait

sans s’en apercevoir l’une des choses interdites par les commandements du Seigneur, il sera responsable et portera le poids de sa faute. Il amènera au prêtre à ti-tre de sacrifice de réparation un bélier sans défaut de son troupeau, sujet à estimation. Le prêtre fera sur lui le rite d’expiation pour l’inadvertance commise sans le savoir, et il lui sera pardonné. C’est un sacrifice de ré-paration, cet homme était certainement responsable envers le Seigneur»).

«accompli» : voilà quelle est, selon le raisonnement de Pierre, la faute du peuple juif et le point où leur ignorance est sans excuse : ils n’ont pas reconnu le dessein de Dieu qui était pourtant «annoncé par la bouche de tous les prophètes». S’ils avaient été attentifs à l’Écriture, si leurs yeux n’avaient pas été aveuglés (cf. Actes 28,27 reprenant la prophé-tie d’Isaïe 6,9-10), ils auraient reconnu en Jésus le «Serviteur» annoncé par Isaïe, et vu dans ses souf-frances l’accomplissement des prophéties.

«convertissez-vous» : l’appel à la conversion – c’est-à-dire à un retournement spirituel –, ne signifie pas ici, comme pour les païens, se détourner des idoles pour connaître le vrai Dieu, puisque le peu-ple juif croit déjà en lui ; mais, pour eux, il s’agit de reconnaître Jésus comme Seigneur à l’égal de Dieu (cf. 2 Corinthiens 3,15-16 : «Oui, jusqu’à ce jour, toutes les fois qu’on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur. C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé»). La première conséquence de cette conversion est l’effacement des péchés (avec, dans cette formule, une allusion aux rites du «grand jour des expiations» – le Yom Kippour – où les péchés sont purifiés : cf. Lévitique 16, surtout versets 29-31). La foi précède donc ici le pardon (comme en Luc 7,50 ou 8,48 : «Ta foi t’a sauvée»).

«le temps de la restauration universelle» : ces versets 20-21 reprennent des images tirées de l’histoire du prophète Élie : enlevé au ciel (2 Rois 2,11-12), il devait, selon les prophètes, revenir pour annoncer le Messie (cf. Malachie 3,23-24 : «Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le Jour du Seigneur, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème»). Jésus lui-même fait allusion à cette croyance, en identifiant Jean Baptiste à «cet Élie qui doit venir» (Matthieu 17,10-13 ; cf. Luc 1,17). Le «temps du répit» correspond donc au temps qui,

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 15

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

depuis la venue du Christ, nous est laissé pour que chacun puisse se convertir (cf. 2 Pierre 3,9 : «Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir»), jusqu’au «temps de la restauration universelle», c’est-à-dire à l’instauration du règne éternel du Christ (cf. 1 Corinthiens 15,24-28 : «Puis ce sera la fin, lorsqu’il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi détruit, c’est la Mort; car il a tout mis sous ses pieds…») et du renouvel-lement de toute la création (cf. Romains 8,19-21 ; 2 Pierre 3,11-12). De la même manière, les pro-phètes dont il est fait mention annonçaient que le retour de l’exil préfigurerait l’ère messianique où justice et paix règneraient enfin (Isaïe 11,1-9 ; 65,17-25 ; Osée 2,20-22 ; Michée 5,4-7…).

«un prophète semblable à moi» : ce second ensem-ble de citations commence par un emprunt à Deutéronome 18,16-19. Dans son grand discours, à la veille de sa mort et de l’entrée en Terre Pro-mise, Moise rappelle au peuple le jour de la ma-nifestation de Dieu où il avait dit : «Pour ne pas mourir, je n’écouterai plus la voix du Seigneur mon Dieu et je ne regarderai plus ce grand feu» (18,16) et où Dieu avait répondu par la promesse d’un autre prophète qui continuerait à guider le peuple. Dans le récit de la Transfiguration donné par Luc, la voix du Père désigne Jésus comme ce prophète qu’il faut «écouter» (Luc 9,33). Pierre veut donc mon-trer que la foi même en la parole de Moïse incite à reconnaître en Jésus le grand prophète attendu.

«sera exterminé» : à la citation du Deutéronome, Pierre associe une citation du Lévitique (23,29) qui s’applique au jour des expiations (où les péchés sont pardonnés si toutefois on respecte le jeûne obligatoire, et où, dans le cas contraire, on est «re-tranché du peuple» puisque l’on s’en met à part). L’interprétation qu’il fait de ce verset paraît très accommodatrice et audacieuse : elle signifie que ne pas «écouter» Jésus, nouveau Moïse – c’est-à-dire ne pas se convertir à lui –, est une faute aussi grave que celle de ne pas jeûner le jour du Yom Kippour et que cela revient à rejeter le pardon de Dieu.

«tous les prophètes» : manière synthétique de clore ce passage sur le dessein de Dieu, en affirmant

que Jésus est bien celui qui accomplit toutes les annonces prophétiques. Les autres discours des Actes en rappellent quelques-unes : il est le des-cendant de David (2,30), la pierre d’angle (4,11), le Fils de Dieu (2,36 ; 13,33)…

«les fils des prophètes» : la conclusion du discours montre comment le peuple, doit désormais se rassembler autour du «Serviteur» (v. 24), donné par Dieu selon les annonces prophétiques. Par-delà Moïse et sa Loi, désormais accomplie dans la loi nouvelle, on remonte à l’origine de l’alliance avec Abraham.

«bénies toutes les familles de la terre» : la dernière citation est empruntée à la Genèse (22,18). La réponse à l’écoute demandée est la bénédiction reçue. Israël est donc invité à entrer dans la nou-velle alliance, afin de demeurer pour le monde ce qu’il est par vocation : un lieu de bénédiction. Mais il n’est pas indifférent que la bénédiction – qui se trouve mentionnée en différents passages de l’his-toire d’Abraham – soit explicitement ici reprise de l’épisode du sacrifice d’Isaac : Abraham reçoit cette bénédiction, pour lui et, à travers lui, pour toute l’humanité, après avoir accepté de sacrifier son fils ; c’est par et à travers le nouvel Isaac, le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme et véritable «pos-térité» d’Abraham, que cette bénédiction pour les nations trouve sa réalisation plénière.

«pour vous» : par le jeu de mots entre «susciter» (verset 22) et ici «ressusciter» (qui sont, en grec, un même verbe), Pierre achève de montrer que les promesses de Dieu sont accomplies. Par la citation de cinq textes tirés du Pentateuque, il a relu et expliqué la mission de Jésus, Serviteur de Dieu, et l’a associé à la vocation du peuple en Abraham. La conversion demandée aux «fils de l’alliance» (ver-set 25) est donc d’accorder sa foi à Jésus qui est le prophète successeur de Moïse promis et, après Abraham, le médiateur de la bénédiction divine.

«se détourne» : dernier appel à la conversion : c’est en reconnaissant maintenant Jésus comme le Ser-viteur, que l’on écoute vraiment Moïse, que l’on est fidèle à l’alliance et que l’on fait partie du peuple pardonné qui, comme le boiteux guéri qui a été l’occasion de ce discours, peut entrer dans le Tem-ple, c’est-à-dire accomplir son service de louange au milieu des nations et permettre à la bénédiction de Dieu d’atteindre tous les hommes.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 16

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Seigneur Jésus, nous reconnaissons en toi le Christ de Dieu,le Seigneur qui a voulu se faire Serviteurpour établir une alliance nouvelleet nous renouveler dans notre vocation de fils créés pour chanter et louer Dieu.Nous te rendons grâce pour cette grande bénédictionque, par ta mort sur la croix, tu as répandu sur le mondeet qui rend la vie à tous les hommes.Renouvelle en nous le don de ton Esprit Saintpour que nous puissions porter ta parole avec assuranceet témoigner de la joie qu’il y a à te reconnaîtrecomme le Seigneur et le Maître de nos vies,comme Celui dont le nom est source de salut et de guérison.Mets en nous ton Esprit de forcepour que nous puissions marcher à ta suitepar le chemin que tu nous as ouvertet te suivre quoi qu’il en coûte, malgré les réticences et les oppositions,toi le Bien-aimé du Père, devenu pour nous le réprouvé,toi le Sauveur qui nous rétablis dans la communion avec Dieuet dans une fraternité nouvelle envers tous,toi qui es Dieu éternellement avec le Père et dans l’Esprit. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Devant ces événements qui se précipitent à Jérusalem, Théophile demeure dans l’émerveille-ment. Il connaissait le boiteux de la Belle Porte. Depuis le temps qu’il était là, tout le monde le connaissait. Il a vu la force et la douceur du geste de Pierre, il a entendu la fermeté de sa voix.

Et l’infirme s’est relevé. Il s’est mis à sauter, à gambader comme un enfant, lui qui avait plus de quarante ans… «Si vous ne redevenez semblables à des enfants…» Quarante ans, songe Théophile, le temps de la traversée du désert pour entrer en Terre promise. Quarante ans d’attentes et de vains espoirs, de révolte et de résignation, et, d’un coup, la résurrection. Quarante ans… cela signifie que tout homme peut aussi traverser son désert, sortir de ces années où il gît dans la faiblesse et l’impuissance, pour entrer, sautant et gambadant comme un enfant dans la terre de son salut. Pour moi aussi, le Nom de Jésus en a ouvert les portes !

Théophile s’émerveille aussi de l’éloquence soudaine de Pierre : ce pêcheur, aux mains calleuses et à l’accent galiléen, qui n’avait pas appris les lettres, le voici capable d’haranguer la foule, de citer l’Écri-ture avec tant de justesse, d’argumenter avec tant de clarté et de fougue qu’il retourne les cœurs. Ce pleutre qu’effrayait la voix d’une servante, le voilà capable de plaider devant les plus hautes autorités et sereinement d’envisager la mort plutôt que de trahir la vérité, qui est aussi son amour, Jésus.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 17

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Pierre était un pêcheur et, aujourd’hui, un orateur mérite une grande louange s’il peut comprendre ce pêcheur. Si le Christ avait commencé par choisir un orateur, l’orateur dirait : ‘J’ai été choisi à bon droit, à cause de mon éloquence’. S’il avait choisi un sénateur, le sénateur aurait dit : ‘C’est à cause de ma puissance que j’ai été choisi’. Qu’ils se taisent, ceux-là, qu’ils attendent ; qu’ils se taisent un petit moment ! (...) ‘Donne-moi, dit le Seigneur, donne-moi ce pêcheur, donne-moi ce pauvre homme, cet ignorant, celui auquel le sénateur ne daigne pas adresser la parole, serait-ce pour acheter un poisson. C’est celui-là, donne-le, lorsque je l’aurai rempli, il sera bien évident que c’est moi qui agis. Je pourrais en faire autant avec un orateur, un sénateur, un empereur. Il m’arrivera aussi de transformer un sénateur, mais avec un pêcheur, je me manifeste mieux’. Le sénateur peut se glorifier de lui-même, l’orateur le peut, l’empereur aussi. Mais un pêcheur ne peut se glorifier que du Christ. Qu’il arrive donc pour enseigner l’indispensable humilité, que le pêcheur vienne en premier ! L’empereur lui-même sera mieux amené par cet homme-là» (S. Augustin, IVe siècle).

*

Mais l’enthousiasme, en Théophile, se heurte aux interrogations et aux craintes que provoque le mal toujours à l’œuvre dans le monde. Comment est-il possible que, dans la même communauté, vivent ensemble un croyant aussi droit, aussi généreux que Barnabé, et des êtres tortueux et contra-dictoires tels Ananie et sa femme, qui donnent sans donner, dissimulent et s’aveuglent par leur convoi-tise ? Le mal, à l’œuvre aux premiers jours du monde, qui a fait perdre à l’homme et à la femme le chemin de l’arbre de la vie, peut-il encore gangrener les premiers jours de la création nouvelle, renée lorsque l’arbre sec de la croix a refleuri au matin de Pâques ? Le mal vaincu, demeurerait-il toujours là, tapi, jusqu’à la fin ?

«Approchez-vous, prêtez une oreille docile, et vous apprendrez tout ce que Dieu accorde à ceux qui l’aiment véritablement. Ils deviennent un jardin de délices ; un arbre chargé de fruits, à la sève vigoureuse, grandit en eux et ils sont ornés des plus riches fruits. Car c’est là le terrain où ont été plantés l’arbre de la science et l’arbre de la vie. Ce n’est pas l’arbre de la science qui tue ; c’est la désobéissance à Dieu qui donne la mort. Car ce n’est pas sans raison qu’il a été écrit que Dieu, au commencement, planta au milieu du Jardin l’arbre de la science et l’arbre de la vie, nous montrant dans la science l’accès à la vie. Les premiers hommes ne surent pas bien en user ; ils furent mis à nu par l’imposture du serpent. Car il n’y a pas de vie sans la science, ni de science sûre sans la vraie vie: c’est pourquoi les deux arbres ont été plantés l’un près de l’autre… Que la science s’iden-tifie à ton cœur : que le Verbe de vérité, reçu en toi, devienne ta Vie. Si cet arbre grandit en toi, si tu désires son fruit, tu ne cesseras de récolter ce qu’on souhaite recevoir de Dieu» (Épître à Diognète, IIe siècle).

Et que dire du mal extérieur à la communauté ? Théophile voit avec effarement les apôtres ar-rêtés pour prix de la libération qu’ils viennent d’accomplir. Il les voit être configurés à leur Maître et Seigneur. Comme lui, ils sont puissants en paroles et en actes ; comme lui, ils vont être traînés devant les tribunaux, jetés en prison, mis à mort peut-être. «Le disciple n’est pas au-dessus du maître. Tout disciple accompli sera comme son maître» (Luc 6,40). Théophile entrevoit en tremblant qu’être disciple conduit à marcher sur les traces de Jésus, jusqu’à la croix. Les paroles qu’il connaît bien prennent chair soudain, elles s’appliquent à Pierre, à Jean, à lui demain peut-être. «Il disait à tous : ‘Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera’» (Luc 9,23-24).

«Parole à première vue dure et pesante que cet ordre du Seigneur prescrivant à qui veut le suivre de se renier lui-même. Mais elle n’est ni dure ni pesante, puisque le Seigneur vient en aide à qui accomplit ce qu’il ordonne. En effet, ils sont vrais aussi ces mots qu’on lui adresse dans les psaumes : ‘À cause des paroles de tes lèvres, j’ai affronté de durs sentiers’ (Ps 16,4). Vrai encore ce qu’il a dit de lui-même : ‘Mon joug est doux et mon fardeau léger’ (Mt 11,30). L’amour transforme en douceur ce qui est difficile dans les commandements. Nous savons assez ce que peut faire l’amour ! Que de choses dures les hommes n’ont-ils pas souffert, combien d’épreuves intolérables, pour atteindre l’objet de leur amour ! Quelle sera donc la grande affaire de la vie ? Choi-sir ce qu’il faut aimer. Quoi d’étonnant dès lors, si celui qui aime le Christ et veut le suivre par amour renonce à soi-même ? Si l’homme meurt de s’aimer lui-même, il se trouvera en se reniant» (S. Augustin, IVe siècle).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 février 2011 | 18

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Théophile est bien prêt de trouver le chemin trop étroit et la mon-tée trop rude. Mais que voit-il ? Des apôtres transfigurés, «tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom» (Actes 5,41). Des témoins qui, dans leur prière commune, reçoivent à nouveau l’effusion de l’Esprit qui leur donne «d’annoncer la parole avec assurance» (4,31). L’Esprit de force et de joie, l’Esprit de Pentecôte, lui aussi à l’œuvre dans le monde.

«Aussi longtemps qu’il demeurait dans la chair auprès des croyants, Jésus apparaissait comme le donateur de tout bien. Mais lorsque viendrait le moment où il devrait monter vers son Père des cieux, il faudrait bien qu’il soit présent par son Esprit auprès de ses fidèles, qu’il ‘habite par la foi en nos cœurs’. Ainsi le possédant en nous-mêmes, nous pourrions crier avec confiance : ‘Abba, Père !’, nous porter facilement vers toutes les vertus et, en outre, montrer notre force contre tous les pièges du démon et toutes les attaques des hommes, puisque nous posséderions ‘l’autre Défen-seur’, le Paraclet, l’Esprit tout-puissant. Les hommes en qui l’Esprit est venu et a fait sa demeure sont transfor-més ; ils reçoivent de lui une vie nouvelle. Il fait passer facilement de la considération des choses terrestres à un regard dirigé vers les réalités célestes, d’une lâcheté honteuse à des projets héroïques. Nous constatons que ce changement s’est produit chez les disciples : fortifiés ainsi par l’Esprit, les assauts des persécuteurs ne les ont point paralysés ; au contraire, ils se sont attachés au Christ par un amour invincible» (S. Cyrille d’Alexandrie, Ve siècle).

*

Ainsi va Théophile, partagé entre la louange et la crainte, la foi en Jésus vainqueur du mal et le doute né de la présence encore si prégnante de ce mal, entre l’amour de ce Sauveur mort pour lui et la peur de tout lui donner jusqu’à sa propre vie. Ainsi en va-t-il de l’existence pascale du disciple qui a toujours à se fonder sur la logique paradoxale des béatitudes : «Et lui, levant les yeux sur ses disciples, disait : ‘Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront, quand ils vous frapperont d’exclusion et qu’ils insulteront et proscriront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d’allégresse, car voici que votre récompense sera grande dans le ciel.’» (Luc 6,22-23).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 19

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 6-8

Depuis le début des Actes des Apôtres, nous suivons la naissance et la croissance de la com-munauté de Jérusalem : effusion de l’Esprit, premières conversions et premières persécutions, tableaux de la vie de la première communauté, alternent. Dans une seconde partie, qui com-

mence avec le chapitre 6, tout va s’ouvrir et se mettre en mouvement : mouvement intérieur à la communauté, avec l’instauration de nouveaux ministères et l’émergence de nouveaux protagonistes – Étienne, Philippe… – qui n’appartiennent pas au groupe des apôtres ; mouvement extérieur déterminé par les persécutions qui dispersent la communauté et portent l’évangélisation, dans toute la Judée, en Samarie (8,1) et bien au-delà…

Le chapitre 6 commence par le récit d’une réorganisation institutionnelle de l’Église (6,1-7) qui rappelle son premier effort d’organisation (au chapitre 1). «En ces jours-là», était-il dit en 1,15, com-me en 6,1 : il s’agissait alors de compléter, sur la suggestion de Pierre, le collège apostolique ; ici il s’agit plutôt de régler une difficulté imprévue. Mais, dans les deux cas, l’autorité apostolique (Pierre en 1,16 ; les Douze en 6,2) propose une solution qui fait accomplir à l’Église un progrès. Un incident entre des convertis juifs d’origines géographique et culturelle différentes – «Hébreux» de Judée, parlant araméen, et «Hellénistes», de la diaspora, parlant grec – qui se traduit par des «murmures» (6,1, comme autrefois dans le désert, en Exode 15,24…) donne l’occasion de choisir et d’instituer des hommes qui ont des noms à consonance grecque, dont le dernier nommé, Nicolas, est même un prosélyte c’est-à-dire un païen d’abord converti au judaïsme, et dont le nombre de sept renvoie au chiffre traditionnel des na-tions (77). Ces hommes, préposés au service, non seulement de la charité, mais aussi, comme on le voit plus loin, de la Parole, et que, malgré leur nom de diakonos (serviteur), il faut se garder de confondre avec ce que seront, par la suite, les diacres, ces hommes nouveaux incarnent donc la nouvelle ouverture au monde de la communauté.

La fécondité renouvelée qui va en surgir est marquée en 6,7, par un nouveau refrain : Luc jusqu’alors mentionnait régulièrement l’augmentation des disciples (2,41 ; 4,4 ; 5,14 ; 6,1) ; il dit main-tenant que «la Parole croît» (6,7 ; et plus loin : 12,24 ; 19,20). Car c’est bien l’histoire de l’extension de la Parole que racontent les Actes, à travers de multiples témoins, bien plus encore que l’histoire des premiers disciples.

La fin du chapitre 6 et tout le chapitre 7 sont consacrés à l’un de ces témoins, Étienne, présenté comme le chef des Sept et qui va être, dans son martyre, comme configuré à Jésus. La geste d’Étienne s’ouvre et se ferme par deux récits : celui de son arrestation (6,8-15) et de sa lapidation (7,55-60), entre lesquels s’insère son long discours (7,2-53), le plus long des Actes.

Lors de son arrestation, Étienne est présenté, à l’instar des apôtres, comme opérant «de grands prodiges et signes» (6,8). De même que les grandes familles sacerdotales de Jérusalem s’étaient opposées à la prédication des apôtres (cf. chapitres 4 et 5), de même Étienne va rencontrer la contradiction de la part des Juifs de la diaspora, parlant grec comme lui. À l’Esprit qui assiste Étienne, selon la promesse de Jésus (Luc 21,15), ne peuvent être opposés que de faux témoignages : cette notation (6,13), les propos blasphématoires qu’on lui prête (6,14), et jusqu’à sa comparution devant le Sanhédrin, tout concourt à identifier Étienne à son maître (cf. Luc 22,66-71) qu’il va suivre jusqu’en sa Passion.

Le chapitre 7 est presque entièrement occupé par son discours devant le Sanhédrin (7,2-53). Au lieu de répondre directement aux accusations portées contre lui, comme l’y invite le grand prêtre (7,1), Étienne se livre à une relecture complexe de l’histoire d’Israël, qui fait d’abord mémoire de l’alliance de Dieu avec «les pères», centrée sur trois figures successives : Abraham (7,2-8), Joseph (7,9-12) et Moïse (7,17-1) ; puis, dans un second temps, interprète cette histoire comme une désobéissance constante au dessein de Dieu, de la part du peuple qui a «renié» Moïse (7,35-39a), est retourné à l’idolâtrie (7,39b-43), a méconnu la présence de Dieu parmi eux dans l’Arche, puis le Temple (7,44-50). Cette relecture de

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 20

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

l’histoire débouche sur une péroraison d’une violence digne du langage des prophètes, qui applique à la situation présente les leçons de cet échec de l’alliance : de même que «les pères» ont persécuté les prophètes envoyés par Dieu, de même ils ont «trahi et assassiné… le Juste» (7,52).

S’il semblait habile d’évoquer devant cet auditoire pieux les relations entre le Seigneur et son peuple, pour rappeler quel peuple il s’est choisi, quel service il en attend et comment il l’a rassemblé par le don de la Loi, l’interprétation que donne Étienne devient une accusation contre ce peuple qui n’a pas su répondre au don de Dieu. La conclusion qu’il en tire est péremptoire : «Le Seigneur n’habite pas dans des demeures faites de main d’homme» (7,48) ; elle récuse donc la présence de Dieu parmi son peuple et remet en question le culte comme tout le système du Temple qui profitait surtout aux Sadducéens, nombreux à siéger au Sanhédrin. Au terme de sa démonstration, l’accusation est retournée : ce n’est pas lui, Étienne, qui a tenu des propos blasphématoires contre le Temple et la Loi, comme on l’en accuse (cf. 6,13), mais ce sont eux, membres du Sanhédrin, qui ont dévoyé le culte et violé la Loi (7,53). Son langage vigoureux emprunte les images de la Torah : «nuques raides» (cf. Exode 32,9 ; 33,3.5…) et des prophètes : «cœurs incirconcis» (Isaïe 6,9-10 ; Jérémie 6,10 ; 9,25). Et Jésus qui est ici seulement nommé «le Juste», est situé dans la ligne des anciens prophètes persécutés (7,52).

Ce n’est pas dans cette longue plaidoirie qu’il faut chercher la nouveauté absolue de l’Esprit Saint, mais dans le récit de la mort d’Étienne qui clôt le chapitre (7,54-60). Si la réaction d’exaspération des juges est attendue (7,54), elle est immédiatement recouverte par la vision d’Étienne : «Je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu» (7,55-56). Étienne dont «le visage apparaît semblable à celui d’un ange» (6,15) et qui est «rempli d’Esprit Saint» (7,55), qui parle donc en tant que messager de Dieu, prophétise en des termes empruntés aux prophètes (Isaïe 63,19 ; Daniel 7,13) le jugement qui manifestera l’accomplissement de toute l’histoire d’Israël – jugement déjà évoqué par Jésus devant ce même Sanhédrin, presque dans les mêmes termes (Luc 22,69) et qui avait déclenché contre lui l’accu-sation de blasphème (Luc 22,71 ; Actes 7,37).

Car Étienne, en sa passion, est de plus en plus configuré à son maître : s’il est lapidé sans réel jugement, il prie en remettant l’Esprit, comme Jésus en croix (Luc 24,46 ; Actes 7,59) et en pardonnant à ses bourreaux (Luc 24,34 ; Actes 7,60), et meurt en poussant un grand cri (Luc 24,48 ; Actes 7,60). Étienne meurt en témoin non d’un jugement de condamnation, mais d’un jugement de pardon et de grâce, comme le montre la double allusion à Saul (7,58 ; 8,1) qui «approuvait ce meurtre» mais dont la conversion sera contée quelques chapitres plus loin.

La mort de celui qu’on nomme le «proto-martyr» (littéralement en grec : «le premier témoin»), détermine désormais une farouche opposition entre les chefs du peuple et les disciples et va avoir im-médiatement, comme le montre le chapitre 8, des conséquences montrant la grâce à l’œuvre même dans la contradiction. Une brève introduction prévient, de façon assez neutre, que la persécution contre l’Église de Jérusalem qui suit la lapidation d’Étienne, provoque sa dispersion. Mais c’est pour mieux faire ressortir, dans la suite du chapitre, le caractère providentiel de cette dispersion qui permet à la Parole de grandir et de se répandre. Car ce chapitre 8 présente une double anticipation de l’accomplissement des promesses messianiques concernant la réunification du peuple – puisque les Samaritains accueillent la Parole et entrent dans le peuple nouveau (8,4-25) – et le lieu de la Présence de Dieu, qui n’est plus limité au Temple mais devient tout être croyant – comme l’indique le baptême de l’eunuque éthiopien (8,24-40).

L’évangélisation de la Samarie (8,4-25) forme un récit complexe qui mêle l’action de Philippe d’abord (8,4-13), puis de Pierre et Jean ensuite (8,14-25), à leurs démêlés avec Simon le magicien (8,9-11.13 et 8,18-24). Le baptême des Samaritains s’opère en effet en deux temps : Philippe – qui est comme Étienne, l’un des Sept institués en 6,5-6 – «proclame le Christ» (8,5) et accomplit des signes tels qu’ils se font baptiser, d’un baptême de conversion, donné «au nom du Seigneur Jésus» (8,11.14). Mais il revient à deux apôtres, Pierre et Jean, restés à Jérusalem (cf. 8,1c), de venir leur imposer les mains, afin

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 21

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

qu’ils reçoivent l’Esprit Saint (8,15-17). Ainsi sont-ils pleinement intégrés au peuple nouveau : ce que Jésus, dans l’évangile de Jean, annonçait comme la moisson déjà mûre des Samaritains (Jean 4,35), est ici accompli.

L’histoire du magicien Simon, qui vient s’intercaler dans ce récit de conversion, trouve peut-être là son sens, car ce Simon «tenait (les Samaritains) émerveillés par ses sortilèges» (8,11) : ils reçoivent donc d’abord, par le ministère de Philippe, une grâce de libération qui les détourne de l’idolâtrie. Simon ce-pendant, lui aussi a reçu ce baptême de conversion (8,11), mais dans le but de renforcer ses pouvoirs, comme le montre sa tentative pour acheter aux apôtres le don de l’Esprit (8,18-19) ; c’est alors aux apôtres Pierre et Jean qu’il revient d’opérer le discernement des esprits, de dénoncer «le lien d’iniquité» (8,22) qui enserre encore Simon, et de conférer au contraire «le bon esprit» (Luc 11,13), l’Esprit Saint, au peuple des Samaritains, purifié et confessant Jésus.

Le baptême de l’eunuque éthiopien (8,26-41), à nouveau conféré par Philippe, est le passage que nous méditons de façon plus approfondie ce mois-ci. Il élargit encore la perspective puisque la Bonne Nouvelle est reçue là, non plus par des schismatiques (comme l’étaient les Samaritains), mais par un étranger qui, de plus, était exclu par son état d’eunuque de toute possibilité d’entrer dans le peuple de la Première Alliance. La Bonne Nouvelle, selon un thème amorcé ici, et qui va de plus en plus s’imposer, «continue sa route» (8,40) ; elle va, de proche en proche, gagner tout l’Empire.

Méditer - Le baptême de l’eunuque éthiopien (8,26-40)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Les Actes des Apôtres montrent la course de la Parole s’étendant, depuis Jérusalem, à tout l’Empire. Si les premiers chapitres se déroulent au cœur de la Ville sainte où, après le don de l’Esprit, la première communauté se forme et se structure, très vite les premières persécutions éclatent et

conduisent à la dispersion des disciples en Judée et en Samarie. Ainsi l’action même qui avait voulu par la violence étouffer la Parole, a comme résultat de permettre sa diffusion.

La Parole ainsi fait route à travers toute la Terre Sainte, et même bien au-delà puisque, dans l’épisode que nous méditons ce mois-ci, elle vient toucher, par l’intermédiaire du diacre Philippe, un Africain. Le premier étranger, qui va la colporter jusqu’en la lointaine Éthiopie. Le premier aussi dont est rapporté le baptême dans l’eau et l’Esprit, qui suit sa confession de foi, premier élément d’un rituel sacramentel qui se met en place. Le premier en tout cela, mais surtout un disciple qui, comme ceux qui l’ont précédé, voit sa vie renouvelée par la rencontre du Ressuscité et connaît la joie de la foi.

8 [26] L’Ange du Seigneur s’adressa à Philippe et lui dit : «Pars et va-t’en, à l’heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte.» [27] Il partit donc et s’y rendit. Justement un Éthiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d’Éthiopie, et surinten-dant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à Jérusalem, [28] s’en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe. [29] L’Esprit dit à Philippe : «Avance et rattrape ce char.» [30] Philippe y courut, et il entendit que l’eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda : «Com-prends-tu donc ce que tu lis ?» - [31] «Et comment le pourrais-je, dit-il,

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 22

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«L’Ange du Seigneur» : selon le sens premier de son nom, l’ange est celui qui vient porter un message de la part de Dieu. Luc montre les anges au ser-vice de la mission du Christ apportant la nouvelle de sa naissance (3,9-13), le réconfortant dans son agonie (22,43) et annonçant sa résurrection (24,4). Dans les Actes, les anges viennent en aide aux apôtres, pour les éclairer et les soutenir dans la persécution (1,10 ; 5,19 ; 10,3 ; 12,7-10). Dans son rôle d’inspirateur, l’Ange, dans les Actes, tend à être remplacé par l’Esprit (comparer 8,26 et 8,29 où ils jouent le même rôle) : le chrétien qui a reçu au baptême l’Esprit Saint est à présent animé intérieurement par lui.

«Philippe» : il ne s’agit pas de l’apôtre, qui apparaît dans les listes des Douze (Luc 6,18 et parallèles en Marc et Matthieu) et se trouve particulièrement mis en avant dans l’évangile de Jean (1,43-46 ; 6,5.7 ; 12,21-22, 14,8-9) ; mais de l’un des Sept, les «Hellé-nistes» institués par les apôtres pour le service des tables (diakonia, en grec, d’où l’appellation de diako-

nos, diacre, qui leur est donnée), en Actes 6,1-5. C’est déjà lui qui, en 8,5-8, a évangélisé la Samarie.

«la route» : idée et terme fréquents en Luc qui, rappelons-le, organise une grande partie de son évangile comme la route de Jésus vers Jérusalem (9,51s). Ici l’expression revient à plusieurs repri-ses : au sens propre en 8,26.36.39 et au sens figu-ré, en 8,31, puisque Philippe doit servir de «guide» (le terme en grec étant formé sur la même racine que «route») sur le chemin des Écritures.

«Gaza» : après l’expansion au nord de Jérusalem, vers la Samarie (Actes 8,5-8), voici que la Bonne Nouvelle prend la route du sud qui relie Jérusalem à l’Égypte et à l’Éthiopie, via Gaza, qui est mentionnée dans la Bible comme l’une des cinq villes philistines à l’époque de la royauté (Josué 13,2 ; 1 Samuel 6,17).

«déserte» : on peut admirer l’obéissance du disci-ple devant cet ordre apparemment absurde : par-tir à midi, l’heure la plus chaude, sur une route où

si personne ne me guide ?» Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir près de lui. [32] Le passage de l’Écriture qu’il lisait était le suivant :

«Comme une brebis il a été conduit à la boucherie ;comme un agneau muet devant celui qui le tond,ainsi il n’ouvre pas la bouche.[33] Dans son abaissement la justice lui a été déniée.Sa postérité, qui la racontera ?Car sa vie est retranchée de la terre.»

[34] S’adressant à Philippe, l’eunuque lui dit : «Je t’en prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ?» [35] Phi-lippe prit alors la parole et, partant de ce texte de l’Écriture, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus.

[36] Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d’eau, et l’eunuque dit : «Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ?» [38] Et il fit arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l’eau, Philippe avec l’eunu-que, et il le baptisa. [39] Mais, quand ils furent remontés de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l’eunuque ne le vit plus. Et il poursuivit son chemin tout joyeux. [40] Quant à Philippe, il se trouva à Azot ; continuant sa route, il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes qu’il tra-versait, jusqu’à ce qu’il arrivât à Césarée.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 23

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

il n’y a personne… Mais peut-être se souvient-il du Cantique : «Où mèneras-tu paître le troupeau, où le mettras-tu au repos à l’heure de midi ?» (Canti-que 1,8) ; et de la rencontre de Jésus avec la Sama-ritaine «à la sixième heure» (Jean 4,7). Midi, l’heure de la pleine lumière, est aussi l’heure de la révéla-tion… même au désert !

«un Éthiopien» : dans la Bible, le terme d’Éthio-pie désigne la Nubie (nord du Soudan actuel). La Parole qui a déjà été accueillie en Samarie – ac-complissant ainsi les oracles sur la réunification de toutes les tribus d’Israël (cf. Amos 9,11-12, cité en Actes 15,16-17) – est maintenant reçue par un Africain qui, à son tour, va la porter jusqu’en son pays. C’est bien la réalisation du programme défini en Actes 1,8 : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extré-mités de la terre». L’Éthiopie apparaissait déjà, dans certains oracles prophétiques, comme l’exemple de nations étrangères, souvent hostiles, mais pou-vant se convertir : cf. l’oracle contre Kush (ancien nom de l’Éthiopie) en Isaïe 18 ; ou Sophonie 3,10 : «De l’autre coté des fleuves d’Éthiopie, mes suppliants m’apporteront leurs offrandes».

«un eunuque» : le terme désigne, au sens large, un homme de confiance (comme on pouvait faire confiance aux eunuques chargés de surveiller les harems). Mais, alors que les non-juifs étaient ex-clus du culte, ainsi que les eunuques (cf. Deuté-ronome 23,2), on peut voir ici une réminiscence de l’oracle du Troisième Isaïe qui, pour annoncer la fin de toute exclusion, prophétisait que même les eunuques et les étrangers pouvaient devenir serviteurs du Seigneur et prier dans sa maison (Isaïe 56,2-7 : «...Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, et ma maison sera appe-lée maison de prière pour tous les peuples» ; cf. aussi Sagesse 3,14-15).

«Candace» : cet Éthiopien n’est pas n’importe qui : il occupe de hautes fonctions à la cour de la rei-ne Candace, ce qui n’est pas le nom propre de la reine, mais un titre (Kandaké) que portaient, dans le royaume nubien de Méroé, les reines-mères qui exerçaient en réalité le pouvoir.

«en pèlerinage» : cette démarche de pèlerinage intrigue : était-il d’origine juive ? (La tradition prête en effet une descendance à Ménélik, le fils de Salomon et de la reine de Saba, et à ses com-

pagnons – origine lointaine, et sans doute légen-daire, des Éthiopiens qu’on nomme aujourd’hui Falashas et qui sont reconnus par Israël comme juifs.) Ou faisait-il partie de ceux qu’on appelait «les craignant-Dieu», c’est-à-dire ceux qui, sans aller jusqu’à la démarche de conversion, se sentaient attirés par le Dieu d’Israël ? Il est en tout cas pré-senté comme un homme déjà dévot – car venir en pèlerinage d’aussi loin représente un signe de foi remarquable. Cet étranger est finalement le symbole de l’espérance eschatologique d’Israël en train de s’accomplir : tous viendront à Jérusa-lem, sur «la montagne sainte», adorer le vrai Dieu (cf. Isaïe 66,18-20 ; Zacharie 8,20-23 ; 14,16-21 ; et aussi Psaume 68,32 : «Depuis l’Égypte des grands viendront, l’Éthiopie tendra les mains vers Dieu»). Dans la structure des Actes, cet Éthiopien occupe une place intermédiaire entre les Samaritains, qui n’étaient que schismatiques et ont déjà accueilli la Bonne Nouvelle (8,5-8), et les Romains païens dont les premiers seront plus loin convertis, non par un simple diacre, mais par Pierre, le chef des apôtres (cf. Actes 10 et 11).

«lisant» : l’Éthiopien est finalement dans la situa-tion de tout homme de bonne volonté : la force de la Parole ouvre son cœur, mais il a besoin, pour bien la comprendre, d’être guidé dans une tradi-tion qui l’interprète.

«L’Esprit» : il joue, dans les Actes, depuis la Pente-côte un rôle prépondérant, à tel point que l’on a pu dire qu’il en était le personnage principal. C’est lui, en particulier, qui impulse, comme c’est le cas ici, les initiatives missionnaires (cf. 10,9 pour le baptême par Pierre du premier païen ; ou 13,2, pour l’envoi en mission de Saul et Barnabé).

«ce char» : la mention répétée du char (8,28.29.38) évoque le char de feu qui a emporté Élie, l’arra-chant à son disciple Élisée qui, empli de son Esprit, poursuit la mission de son maître (2 Rois 2,11s). Ici la situation est inversée : le char va emmener l’Éthiopien devenu disciple et ayant reçu l’Esprit Saint, tandis que Philippe va poursuivre sa tâche d’évangélisation, qui s’inscrit aussi dans la lignée du prophétisme (c’est d’ailleurs bien un livre pro-phétique que lit l’eunuque).

«entendit» : on lisait toujours à haute voix dans l’Anti-quité. Philippe, dans cette première partie de la ren-contre, mû intérieurement par l’Esprit, a l’initiative.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 24

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«guide» : pour connaître – c’est le sens premier du verbe du verset 30, traduit ici par «comprendre» –, l’ignorant a besoin d’être conduit par un guide qui a reçu la lumière. Cf. Luc 6,3 : «Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?» ; et Romains 10,14 : «Comment l’invoquer sans croire d’abord en lui ? Et comment croire en lui sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ?»

«invita» : ce passage a de nombreux contacts avec l’histoire des pèlerins d’Emmaüs (Luc 24,13-35) : catéchèse qui «explique les Écritures en chemin» (Luc 24,32) et «interprète» ce qui concerne Jésus (24,27) ; invitation à rester (24,29) ; accomplisse-ment de la connaissance ou de la reconnaissance par un sacrement (l’eucharistie en Luc 24,30-31, le baptême ici en Actes 8,38). Cependant pour les pèlerins d’Emmaüs, il s’agissait d’une anamnèse, du rappel des annonces de la Passion et de la Cène ; ici, Philippe fait plutôt de l’exégèse : il rend un texte intelligible et amène ainsi à la confession de la foi.

«Le passage de l’Écriture» : il s’agit d’un extrait du Quatrième chant du Serviteur (Isaïe 53,78), cité d’après la version de la Septante (traduction de la Bible hébraïque en grec, effectuée en milieu juif, à Alexandrie, vers le IIIe siècle avant J.-C., qui dif-fère de celle de nos traductions actuelles faites sur l’hébreu). Ces quatre chants parlent d’un mys-térieux serviteur, élu du Seigneur (Isaïe 42,1) et établi «lumière des nations» (42,6), qui, persécuté «à cause de nos fautes» (Isaïe 53,5), va offrir sa vie en sacrifice (53,10) et valoir à tous la guérison et la justification (53,5-11). De même le Ressuscité commençait sa catéchèse aux pèlerins d’Emmaüs en parlant des souffrances qu’il fallait que «le Christ endurât pour entrer dans la gloire» (Luc 24,26).

«quelqu’un d’autre» : l’interprétation juive habituelle des chants du Serviteur est de voir en ce serviteur persécuté le petit reste du peuple, fidèle au Sei-gneur, qui, à la fin de ses épreuves, «verra la lumière et sera comblé» (Isaïe 53,11). La question de l’Éthio-pien ouvre à une autre interprétation. Pour un chrétien, l’accomplissement plénier de la prophé-tie d’Isaïe se lit dans la Passion et la mort de Jésus venu habiter la souffrance des hommes et la pren-dre sur lui pour nous en arracher. «Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, dans ses blessures nous trouvons la guérison» (Isaie 53,5) : non parce qu’il en est mort, mais parce qu’il a traversé la mort pour ressusciter et nous ressusciter en lui.

«prit la parole» : littéralement : «ouvrit la bouche». Jésus, le serviteur de Dieu, a été, selon la pro-phétie d’Isaïe, réduit au silence («Il n’ouvre pas la bouche», Isaïe 53,78, cité au v. 32). Mais après sa Résurrection et le don de l’Esprit, ce sont ses té-moins qui parlent pour lui (Philippe ici et Pierre, avec la même expression en 10,34).

«la Bonne Nouvelle» : Philippe est «parti de ce texte de l’Écriture», c’est-à-dire que, comme en Luc 24, il a poursuivi sa catéchèse jusqu’à l’annonce de la résurrection de Jésus et du salut apporté à tous. C’est pourquoi, bien que le texte d’Isaïe parle d’un serviteur maltraité (v. 32) et humilié (v. 33), il s’agit d’une «bonne nouvelle» (en grec : euangelion, «évan-gile»). Sans doute particulièrement pour ceux qui, comme cet étranger eunuque, sont exclus du culte d’Israël, bien que croyants. Ce thème était déjà amorcé dans le discours d’Étienne, au chapi-tre précédent, qui citait Isaïe 66,1 : «Quelle maison me bâtirez-vous ? dit le Seigneur, et quel sera le lieu de mon repos ?» (Actes 7,49). Car l’oracle d’Isaïe cité par Étienne se poursuivait ainsi : «Mais celui sur qui je porte les yeux, c’est le pauvre et l’humilié, celui qui tremble à ma parole» (Isaïe 66,2b). Cet oracle s’accomplit aujourd’hui pour cet homme assidu à lire les prophètes et assez humble pour chercher à comprendre à travers eux la voix de Dieu.

«un point d’eau» : une nouvelle mention de la route ouvre la dernière partie du récit où l’insistance est mise sur l’eau (v. 36, 38, 39). Elle évoque, dans la grande vision d’Ézéchiel, l’eau «sortant de des-sous le seuil du Temple», qui coule jusque dans la mer Morte pour qu’à nouveau la vie s’y développe (Ézéchiel 47,1-12). Cf. aussi Joël 4,18 ; et surtout Zacharie 13,1 : «En ce jour-là il y aura une fontaine ouverte (…) pour laver péché et souillure».

«empêche» : dans cette dernière partie de la ren-contre, c’est l’eunuque, et non plus Philippe, qui a l’initiative, et c’est lui qui demande librement à être baptisé. La formule : «qu’est-ce qui empêche…» est la même que celle utilisée par Pierre face au centurion Corneille et à sa famille : «Peut-on refu-ser (littéralement : empêcher) l’eau du baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint aussi bien que nous ?» (Actes 10,47). Mais, si les paroles sont identiques, on remarque que les chemins sont différents : pour l’Éthiopien, c’est la connaissance des Écritures et l’ouverture à leur intelligence plénière qui conduit au baptême, tandis que, dans le cas de Corneille,

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 25

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

c’est l’effusion de l’Esprit qu’il a reçue, qui l’y pré-pare. Dans le premier cas, il s’agit du chemin de conversion que peut suivre un juif (cf. les disciples d’Emmaüs qui font un chemin semblable) ; dans le second cas, de la conversion d’un païen.

«baptisé» : si le geste du baptême d’eau est évo-qué en Luc, c’est à propos de Jean Baptiste et en l’opposant au baptême «dans l’Esprit Saint et le feu» qui doit plus tard être instauré (Luc 3,16). Cette opposition se retrouve au début des Actes : «Jean, lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Es-prit Saint que vous serez baptisés» (Actes 1,5) ; et Pierre, dans son premier discours après la Pen-tecôte, parle seulement de baptême «au nom de Jésus Christ» (2,38), sans précision sur la forme du rite. C’est donc la première fois qu’est mention-née l’utilisation de l’eau qui devient vite la norme des premières communautés (cf. Actes 10,47 qui parle de «l’eau du baptême»).

«descendirent» : la scène évoque celle de la guéri-son de Naaman le Syrien – un étranger lui aussi – à qui le prophète Élisée avait demandé d’aller se baigner dans le Jourdain pour être purifié de sa lèpre, symbole biblique du péché. Naaman arrive, lui aussi, dans son char (2 Rois 5,9) : «Il descendit et se plongea (c’est le sens premier du verbe bap-tizein, «baptiser») sept fois dans le Jourdain, selon la parole d’Élisée : sa chair redevint nette comme la chair d’un petit enfant» (2 Rois 5,14). Jésus assume cette scène en descendant lui aussi dans le Jour-dain, avec Jean Baptiste, pour recevoir le baptême de pénitence ; mais l’accent, dans les évangiles, est mis sur l’effusion de l’Esprit lorsqu’il «remonte de l’eau» (Matthieu 3,16 ; Luc 3,21-22). Le baptême n’a pas à purifier celui qui est sans péché (cf. Mat-thieu 3,15) : c’est lui qui, par sa chair glorifiée par l’Esprit, a purifié l’eau de nos baptêmes.

«l’Esprit du Seigneur» : l’Esprit se manifeste à la remontée de l’eau, comme lors du baptême de Jésus (Matthieu 3,16 ; Luc 3,21) ; mais son action ici est double : il emplit l’eunuque qui a reçu le baptême – ceci paraît si évident au rédacteur qu’il ne le mentionne pas explicitement – et il enlève Philippe, c’est-à-dire qu’il le met en situation de poursuivre sa mission. L’Esprit, on l’a dit, apparaît comme un acteur à part entière des Actes, qui gui-de la marche de l’évangélisation, par les consignes qu’il fait comprendre aux apôtres (cf. par exemple Actes 16,6-10 où «le Saint Esprit les (Paul et Timo-

thée) empêche d’annoncer la Parole en Asie» et où une vision convainc Paul de se tourner vers l’Eu-rope : «Aussitôt après cette vision, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu nous y appelait à porter la Bonne Nouvelle»).

«ne le vit plus» : le schéma est bien le même que dans l’épisode des pèlerins d’Emmaüs : la catéchèse a été couronnée par un sacrement (l’eucharistie en Luc 24,30 ; le baptême ici) ; une expérience de reconnaissance a été faite (reconnaissance du Ressuscité en Luc 24,31-35 ; ici, identification du Serviteur souffrant à Jésus) ; et de même que le Ressuscité devient invisible lorsque les yeux des disciples s’ouvrent (Luc 24,31), ici l’évangélisateur s’efface lorsque le baptisé est entré en relation avec le Christ et l’Esprit qui désormais habite en lui.

«tout joyeux» : ce n’est en rien une notation psy-chologique : l’eunuque devrait plutôt être attristé de voir si vite disparaître son initiateur et de de-voir continuer à vivre sa foi seul. Cheminer dans la joie évoque directement les oracles du retour de l’exil (cf. Isaïe 35,1-10 : «Ceux qu’a libérés le Seigneur reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant avec eux une joie éternelle. La joie et l’allégresse les accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront»). Plus globalement, la joie – qui est nommée par Paul parmi les fruits de l’Esprit (Galates 5,22) – apparaît dans les Actes comme la marque de la foi authentique (cf. 2,46 ; 8,8 ; 13,48.52…), à tel point qu’elle est mentionnée même dans des situations qui se prêtent peu à la gaieté (cf. 5,41 : «tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom»).

«à Césarée» : le chapitre est clos par un verset qui est comme le résumé des Actes qui racontent la course de la Parole et son extension depuis Jéru-salem jusqu’à Rome (comme Césarée : la ville de César) où ils s’achèvent (28,30-31). À partir de Jé-rusalem, la Samarie a été évangélisée et les schis-matiques ont été réunis au peuple messianique ; puis, sur la route allant vers le sud, un croyant, doublement exclu du Temple, puisqu’étranger et eunuque, a reçu le baptême qui lui permet de célébrer le culte nouveau. La Parole, dans son extension, va toucher le cœur de Saul (dont la conversion est racontée au chapitre suivant) et le transformer en l’apôtre Paul qui part annoncer le Christ aux Juifs d’abord, aux païens ensuite, et ceci jusqu’à Rome.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 26

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Sois béni, Père saint, qui veilles sur tes enfants, dans les oppositions et les contradictions,et, de tout, veux faire surgir un plus grand bien.Sois béni, Seigneur Christ, qui as livré ta viepour que la Bonne Nouvelle de ta victoire sur le mal et la mortatteigne tout homme, si éloigné, si étranger qu’il soit,et rassemble en un même peuple les frères dispersés.Sois béni, Esprit de Dieu, qui fais toutes choses nouvelles,et ne cesse de conduire plus au large l’Église.Mets en nos cœurs purifiés et renouvelés par l’eau du baptêmela confiance, au lieu de la peur, l’audace, au lieu du repliement,pour que toujours nous sachions accueillir la résurrectionqui déjà germe en nos vies, en nos communautés, en notre histoire.Pour que nous sachions te reconnaître à l’œuvre,même en ce qui nous surprend, nous déroute ou nous ferait douter de ta bonté.Pour que nous ne confondions jamais ta vérité, éternellement neuve,avec nos habitudes ou nos attentes.Toi qui es notre Dieu trois fois saint, maintenant et pour les siècles. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Cette fois-ci les choses vont vraiment un peu vite, et Théophile croit vivre un mauvais rêve : cette communauté nouvellement née, si belle, si attachante, qu’il a vu se former et grandir, voilà qu’elle se trouve attaquée de toutes parts. Attaquée de l’intérieur par des dissensions, pour des ques-

tions de langue et de biens, alors que tous n’avaient «qu’un cœur et qu’une âme» et mettaient tout en commun (Actes 4,32). Attaquée de l’extérieur par l’opposition des plus conservateurs et des puissants membres du Sanhédrin, alors qu’ils «louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple» (2,47). Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il pour que la communauté se déchire et que la persécution se lève, si violente qu’elle verse le sang et disperse les disciples, comme une volée de moineaux effrayés ?

Qu’a-t-il pu se passer pour que prenne corps ce mauvais rêve ? Mais n’est-ce pas plutôt aupara-vant qu’il vivait dans un rêve, alors qu’il pensait que le monde changeait ? A-t-on jamais vu des nations diverses se rassembler dans la paix ? des ignorants tenir tête aux tribunaux ? des hommes durablement unis dans la joie ? N’est-il pas temps de laisser retomber l’enthousiasme un peu naïf qui l’avait saisi et de considérer à nouveau la réalité des choses, telles que toujours elles sont advenues ?

Pauvre Théophile, qui se croit raisonnable, alors seulement qu’en perdant cœur, il perd aussi la foi ! Pauvre Théophile qui n’a pas compris encore qu’à la croix, un temps nouveau s’est ouvert, tant il peine à en déchiffrer les signes !

*

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 27

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«En ces jours-là» (Actes 6,1)… Ces jours si gris sont cependant signalés, par cette expression, comme des jours messianiques. En ces jours-là cependant, l’aventure qui, humainement, aurait dû tour-ner court, se poursuit. La Parole qu’on tente d’étouffer retentit plus fort que jamais. Théophile peu à peu comprend qu’à nouveau, mais de façon plus discrète, plus inattendue, à la manière du vent soufflant où il veut (cf. Jean 3,8), l’Esprit toujours est à l’œuvre. Que l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles, sculpte le matériau des faiblesses humaines et des impasses humaines, pour inventer quelque chose de neuf, pour ouvrir une route inattendue.

À partir des discussions dans la communauté s’invente une meilleure organisation de l’Église, qui fait émerger aux côtés des apôtres d’autres hommes aux talents divers. Car la liberté de l’Esprit ne ramène pas l’unité à l’uniformité et suscite des façons différentes d’être frères.

«La vertu n’a pas qu’un seul visage (…) Les apôtres n’ont pas estimé préférable de délaisser la parole de Dieu et de servir aux tables. Mais les deux choses sont œuvre de sagesse ; car Étienne lui aussi, était rempli de sagesse et fut choisi comme serviteur. Donc que celui qui sert s’en réfère à celui qui enseigne, et que le docteur exhorte et anime celui qui sert. Car le corps de l’Église est un ; et si ses membres sont divers, c’est qu’ils ont besoin l’un de l’autre. ‘L’œil ne saurait dire à la main : Je n’ai pas besoin de tes services ; ni la tête de même aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous’ (1 Co 12,21). ; et l’oreille ne saurait nier qu’elle ne soit du corps. Le vrai sage est celui dont l’esprit est dans le Christ et dont l’œil intérieur est levé vers les hauteurs.» (S. Ambroise de Milan, IVe siècle)

Des persécutions sanglantes qui dispersent la communauté de Jérusalem naît un éclatement, un éparpillement de ses membres qui, loin de l’affaiblir, lui offre de nouveaux champs d’évangélisation. La mort d’Étienne qui, dans sa passion, a été si évidemment configuré au Christ, pour tragique qu’elle soit, révèle immédiatement sa fécondité.

«La charité qui a fait descendre le Christ du ciel sur la terre, c’est elle qui a élevé Étienne de la terre jusqu’au ciel. La charité, qui existait d’abord chez le Roi, c’est elle qui, à sa suite, a resplendi chez le soldat. Étienne, pour obtenir de recevoir la couronne que signifie son nom, avait pour armes la charité, et grâce à elle il était entièrement vainqueur. Par l’amour de Dieu, il n’a pas reculé devant l’hostilité du Sanhédrin ; par l’amour du prochain, il a intercédé pour ceux qui le lapidaient. Par cette charité, il leur reprochait leur erreur, afin qu’ils se corrigent ; par cette charité, il priait pour ceux qui le lapidaient, afin que le châtiment leur soit épargné. Fortifié par la charité, il a vaincu Saul qui s’opposait cruellement à lui et, après l’avoir eu comme persécuteur sur terre, il a obtenu de l’avoir pour compagnon dans le ciel. Sa sainte et persé-vérante charité désirait gagner à lui par la prière ceux qu’il n’avait pu convertir par ses avertissements. Et voici que maintenant Paul partage la joie d’Étienne, il jouit avec Étienne de la gloire du Christ, il exulte avec Étienne, il règne avec lui. Là où Étienne est allé le premier, mis à mort par la lapidation de Paul, c’est là que Paul l’a suivi, secouru par les prières d’Étienne» (Fulgence de Ruspe, IVe siècle).

Si la grâce doit encore cheminer pour atteindre Saul le pharisien, elle touche d’emblée les Samaritains : ceux-là même qui n’avaient pas voulu recevoir Jésus

parce qu’il «faisait route vers Jérusalem» (Luc 9,53), accueillent à présent le disciple venu de Jérusalem qui leur annonce sa Parole de Vie.

La grâce de Jésus, le Serviteur souffrant et humilié, vient aussi toucher l’humilié, l’exclu malgré sa richesse, l’étranger, et «par le bain d’eau qu’une parole accompagne» (Éphésiens 5,28), voici qu’il devient un homme nouveau, purifié, intégré dans l’Église. Dans ce sacrement où s’expérimente comme physiquement, par

l’immersion, le passage nécessaire par la mort pour aller vers la vie. «Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés ?» (Romains 6,3).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mars 2011 | 28

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Vous avez été conduits près de la sainte piscine du divin baptême, comme le Christ de sa croix au tombeau tout proche. Et chacun fut interrogé : croyait-il au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ? Et vous avez professé la profession salvatrice : par trois fois vous vous êtes plongés dans l’eau et en avez émergé, symbolisant ainsi le triduum du Christ au tombeau. Comme notre Sauveur en effet a passé trois jours et trois nuits au sein de la terre, ainsi, vous aussi, vous avez imité, dans votre première sortie de l’eau, le premier jour du Christ dans la terre comme dans votre première immersion sa première nuit. Qui est dans la nuit ne voit plus ; qui au contraire est dans le jour vit dans la lumière : ainsi quand vous avez été immergés, vous étiez dans la nuit et vous n’avez plus rien vu, tandis que sortant de l’eau, vous vous trouviez comme en plein jour. Et dans le même acte, vous mouriez et vous naissiez : cette eau salutaire devenait à la fois votre tombe et votre mère. Ce que Salomon disait à propos de circonstances différentes pourrait s’adapter à votre cas : ‘Il y a, disait-il, un temps pour mettre au monde et un temps pour mourir’ (Qo,3,2). Pour vous au contraire, le temps de la mort est aussi celui de la naissance. Un seul et même temps a réalisé ces deux événements : votre naissance à vous a coïncidé avec votre mort» (S. Cyrille de Jérusalem, IVe siècle).

*

Près de ce point d’eau devenu fontaine baptismale, Théophile entrevoit comment des fêlures d’une communauté risquant de se replier sur elle-même peut naître une véritable communion, riche des dons divers de l’Esprit ; comment de la mort de Jésus, et, à sa suite, de la mort d’Étienne et de tant d’autres, naît à la vraie vie, un peuple rassemblé. Et, par dessus tout, dans l’exubérance de l’Esprit, il voit la course joyeuse, libre, de la Parole s’étendant sur la Terre Sainte, sur toute terre qui devient sainte de l’accueillir.

«Vivante est la Parole de Dieu, efficace et plus acérée qu’une épée à deux tranchants.’ Le Verbe, de même éternité que le Père, et avec lui dès le principe, s’est révélé aux Apôtres à l’époque fixée par lui. Ensuite les apôtres l’ont annoncé au monde, et la foi des peuples croyants l’a reçu en toute humilité. Il est donc le Verbe auprès du Père, le Verbe en la bouche des apôtres, le Verbe en nos cœurs.

Et cette Parole de Dieu est vivante puisque le Père lui a donné d’avoir en elle la vie, comme le Père a la vie en lui-même. Aussi n’est-elle pas seulement une Parole vivante, mais elle est la vie. Quand on prêche cette Parole, elle donne par cette prédication, à la parole extérieurement audible, la puissance même de sa parole intérieurement perçue. Dès lors les morts ressuscitent et ce témoignage fait surgir de nouveaux fils d’Abraham. Elle est donc vivante, cette Parole. Vivante dans le cœur du Père, vivante sur les lèvres du prédicateur et vivante dans les cœurs remplis de foi et d’amour» (Baudouin de Ford, XIIe siècle).

Non, il ne s’agissait pas d’un rêve. Mais pas non plus d’un idéal trop figé dans sa perfection. Il s’agit de la vie, du torrent impétueux de l’Esprit qui charrie tout, emporte tout plus loin et va partout porter la vie. Que Théophile – et nous, qui sommes souvent frileux devant la nouveauté, avec lui – goûte la joie de la foi ! Car notre Dieu est celui qui fait toutes choses nouvelles, dans son Église et en chaque cœur. Il est le Dieu de la Résurrection !

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 29

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 9-12

Le mouvement d’ouverture, que nous avions vu s’initier à partir du chapitre 6 et conduire les pre-mières missions, s’accentue en ces chapitres 9 à 12 qui relatent quelques événements décisifs : conversion de Saul qui deviendra l’Apôtre des nations ; baptême à Césarée des premiers païens,

qui, pour être conféré par Pierre lui-même, n’en entraîne pas moins des discussions sur les conditions nécessaires pour devenir chrétien ; fondation de l’Église d’Antioche, la première communauté établie hors de Terre Sainte, qui va devenir un grand centre liturgique et missionnaire.

La Parole de Dieu, selon le refrain, déjà plusieurs fois mentionné, qui clôt cette section, «la parole de Dieu croît et se multiplie» (Actes 12,24). De Jérusalem, la ville choisie par Dieu pour y faire habiter son nom (Deutéronome 12,5), elle est parvenue jusqu’à Césarée, la ville de César symbolisant les nations païennes et plus loin encore…

Le chapitre 9 fait intervenir un nouveau protagoniste qui va acquérir, au fil des chapitres, un statut de plus en plus important : celui qui s’appelle encore Saul et dont la conversion-vocation va être relatée pour la première fois (9,1-19a), ainsi que ses tentatives pour intégrer la communauté de Damas (9,19b-25), puis celle de Jérusalem (9,24-30).

Mais il s’agit d’un chapitre charnière qui, après une pause au verset 31 – un constat rappelant les sommaires de la première partie –, enchaîne sur le récit de l’activité missionnaire de Pierre, opérant des miracles de guérison (9,33-35) et même de résurrection (9,36-42), à Lydda et à Joppé. Manière de dire qu’il est bien le chef de l’Église, qui agit avec la puissance du Seigneur, et aussi de montrer que le champ de l’Église s’étend maintenant à toute la Judée et la Galilée.

Sans revenir sur l’épisode de la conversion de Saul, qui fait l’objet de la méditation de ce mois, on peut noter qu’à Damas, puis à Jérusalem, les versets suivants donnent déjà la tonalité de ce que sera le ministère de l’apôtre Paul : il proclame la divinité de Jésus (9,20) ; il prêche à partir des Écritures, devant les Juifs de Damas (9,23) comme devant les Hellénistes de Jérusalem (9,29) ; déjà il est en butte à la persécution, puisqu’on doit lui faire quitter Damas où on cherche à le tuer (9,23-24), puis Jérusalem où on «machine sa perte» (9,29). Après quelques hésitations, et grâce à Barnabé qui joue ici pleinement son rôle de «fils d’encouragement» (9,27 ; cf. 4,36), il est reconnu par les apôtres comme l’un des leurs puisque lui aussi «prêche avec assurance au nom du Seigneur» (9,27-28 ; cf. 4,13.30).

Saul étant reparti pour sa ville natale de Tarse (9,30) d’où, si l’on suit les données de la lettre aux Galates, il part en mission en Syrie et en Cilicie pendant trois années (Galates 1,21), la seconde partie du chapitre (9,32-43) se consacre de nouveau aux gestes de Pierre. L’Église est en paix, non que les persécutions aient cessé, mais parce qu’elle vit du don de l’Esprit qui affermit sa fécondité. C’est dans cette fécondité que s’inscrivent les deux miracles de vie opérés par Pierre qui guérit un paralytique à Lydda (9,31) et ressuscite une femme à Joppé (9,41). Ces miracles, outre qu’ils rappellent certains traits de la geste d’Élie et de son disciple Élisée (cf. 1 Rois 17,17-24 ; 2 Rois 14,18-37), se placent dans la conti-nuité de l’œuvre de Jésus, annonçant la venue des temps messianiques. C’est la puissance du Ressuscité qui agit par son disciple (cf. 9,32 : «Énée, Jésus Christ te guérit» ; en 9,41, le geste de prendre la main qui rappelle celui de Jésus en Luc 8,52…) ; et les signes accomplis poussent les habitants de ces confins de la Galilée à se tourner vers le Seigneur (9,35.42), intégrant ainsi la communauté messianique.

Mais c’est au chapitre 10 qu’est longuement montrée l’avancée décisive de l’Église qui s’ac-complit par la rencontre de Pierre et du centurion Corneille. On peut remarquer que déjà dans l’évan-gile de Luc la figure de Pierre, l’un des Douze choisis par le Messie d’Israël, présentée en 5,1-11, était confrontée à la figure d’un centurion apparaissant en 7,1-10 comme représentant des étrangers se tournant vers Israël pour recevoir la vie.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 30

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Sur le plan formel, ce chapitre se compose d’abord d’un récit qui croise – comme dans le cas de Saul et d’Ananie – deux visions, celle de Corneille à Césarée (10,1-8) et celle de Pierre à Joppé (10,10-16) ; puis relate la rencontre de Pierre avec les envoyés de Corneille (10,17-23) et sa venue chez Corneille lui-même (10,24-33). Le chapitre se poursuit par un discours de Pierre (10,34-43) compara-ble à ceux qui ponctuent les premiers chapitres des Actes, et se conclut après cette longue préparation, par le baptême des premiers païens (10,44-48) après que l’Esprit Saint a encore donné un signe clair de sa volonté.

L’Esprit apparaît bien comme celui qui, de bout en bout, conduit toute l’action : il inspire à Cor-neille, présenté comme «pieux et craignant Dieu» (10,1), le désir de faire venir à lui «Simon surnommé Pierre» (10,5) ; il fait comprendre à Pierre, par l’image des animaux impurs selon la Loi qu’il lui est de-mandé de manger, (10,11-13), que la conception de la pureté rituelle doit être dépassée : «Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas impur» (10,15). L’Esprit prépare ainsi les cœurs à la rencontre et autorise d’une certaine façon Pierre à entrer chez un païen, contrairement aux usages imposés par la Loi (10,28).

C’est encore l’Esprit Saint qui inspire à Pierre son discours catéchétique, rappelant à Corneille et aux siens «la Bonne Nouvelle» (10,34) dont il est le témoin, Bonne Nouvelle de la résurrection du Christ et de la rémission des péchés qu’elle procure, qui atteint maintenant «quiconque croit en lui» (10,43). C’est enfin l’Esprit qui appose son sceau, pourrait-on dire, sur cette démarche en «tombant» (10,44) sur Corneille et sa famille, qui se mettent à parler en langues, comme les disciples au matin de Pentecôte (10,46 ; cf. 2,4). Pierre ne peut que prendre acte du fait que ces incirconcis sont bien entrés dans la communauté messianique des croyants : le baptême d’eau qu’il leur confère n’en est qu’une confirmation (10,47).

Le chapitre 11 peut alors déployer les conséquences de cet événement fondateur. Elles concer-nent d’abord, à l’intérieur, la communauté des apôtres et des «frères de Judée», à laquelle Pierre doit apporter des explications (11,1-18) ; et, à l’extérieur pourrait-on dire, le développement de nouvelles communautés qui ne comportent plus uniquement des Juifs et à qui l’Église fondée à Antioche sert de prototype (11,19-26). Communautés nouvelles mais restant liées à l’Église-mère de Jérusalem, comme le montre en conclusion l’envoi de secours qui lui est fait (11,27-30).

L’événement qui vient de se dérouler à Césarée paraît si nouveau, si extraordinaire, que «les cir-concis» (11,2) ne peuvent que demander à Pierre de justifier sa conduite. Moins d’ailleurs parce qu’il a administré le baptême à des païens que parce qu’il a enfreint les lois juives de pureté (11,3). Ceci permet au rédacteur de reprendre pour la deuxième – voire la troisième – fois le récit des circonstances qui ont permis ce baptême. La relecture qu’en fait Pierre (11,5-17) met l’accent sur son propre désir d’obser-vance de la Loi (11,8) et l’intervention puissante de l’Esprit (11,12.15) auquel il n’a pu s’opposer (11,17). Cette relecture de l’événement en donne en même temps le sens : de même que l’Esprit est descendu sur Jésus à son baptême au commencement de sa vie publique, de même il est venu sur les apôtres «au début» (11,15) : il s’agit donc ici d’un nouveau commencement, du «début» pour les païens.

Ce «début» se trouve concrétisé par le récit de la fondation de l’Église d’Antioche qui suit (11,19-24), récit placé ici intentionnellement après l’entrée «officielle» des païens dans l’Église, alors qu’il est rattaché chronologiquement à la dispersion ayant suivi le martyre d’Étienne, racontée trois chapitres plus haut (8,1). La communauté qui se forme à Antioche s’affirme d’emblée composite, à l’image de cette grande ville de Syrie, où Juifs d’abord (11,19), puis Grecs (11,20) accueillent la Bonne Nouvelle. Non sans que cela suppose un discernement de la part de l’Église de Jérusalem (11,22) qui, bien que décimée par la persécution, reste l’Église mère. Le délégué qu’elle envoie à Antioche, Barnabé, reconnaît dans cette situation inédite la grâce de Dieu à l’œuvre – comme le montre le signe messia-nique de la joie (11,23) – et transforme sa mission en campagne d’évangélisation qu’il mène avec l’aide de Saul (11,26). Celui qui avait été un modèle de communion fraternelle dans la première communauté (cf. 4,16-17) montre là encore sa capacité à entrer en communion, même avec les plus éloignés.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 31

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

L’expérience est si nouvelle qu’elle suscite un mot nouveau : ces Grecs et ces Juifs devenus frères, adoptant des usages communs au nom du Christ, deviennent pour ceux qui les observent des «chrétiens» (11,26).

Le va-et-vient entre Jérusalem et Antioche va se poursuivre de ce chapitre 11 jusqu’à la fin du chapitre 12, signe des liens qui se tissent entre les Églises, symbole aussi du double mouvement défi-nissant l’évangélisation, qui porte la Parole le plus loin possible, puis revient vérifier ses intuitions et se ressourcer auprès de la communauté des apôtres.

C’est le prétexte matériel d’une aide à apporter à Jérusalem, menacée par la famine, qui justifie le retour de Barnabé accompagné de Saul, à la Ville Sainte (11,27-30) : ce «service» (diakonia) rendu aux «frères de Judée» (11,29) vérifie l’authenticité de la communion ecclésiale (koinonia).

Le chapitre 12 se situe donc à nouveau à Jérusalem : manière inclusive de clore la deuxième section des Actes relatant les premières missions (ch. 6-12), là même où celles-ci avaient débuté, Luc ordonnant les événements selon la logique de sa démonstration plus qu’en suivant une chronologie précise.

Les persécutions qui avaient provoqué la première dispersion n’ont pas cessé et se sont même ag-gravées avec l’arrivée au pouvoir d’Hérode Agrippa Ier. Elles sont rapidement évoquées dans la première partie du chapitre (12,1-2) qui se concentre surtout sur l’arrestation et la délivrance miraculeuse de Pierre (12,3-19) ; puis conte, dans un style qui rappelle le livre des Martyrs d’Israël (2 Maccabées 9,5-28), la mort du roi Hérode (12,20-23), avant que la conclusion-charnière ne ramène à Antioche (12,24-25).

Hérode, pour plaire aux Juifs, paraît vouloir détruire la communauté de Jérusalem en s’en prenant à des personnages importants : Jacques «frère de Jean» qu’il fait décapiter (12,2), et Pierre, emprisonné «les jours des Azymes» (12,3). Mais Pierre, arrêté le même jour que Jésus, va, à la suite de son maître, vivre sa pâque : l’ange du Seigneur le réveille, la nuit pascale, et lui dit de se ceindre, comme les Hébreux pendant la nuit de leur libération d’Égypte (12,7-8 ; cf. Exode 12). Comme eux, Pierre est libéré des chaînes de l’esclavage et mis en route (12,10). Et, s’il va en porter la nouvelle dans une maison amie, celle de la mère de Jean Marc, où se célèbre la liturgie pascale (12,12), s’il se montre libre à la grande stupé-faction de tous et demande qu’on en informe les autorités de l’Église, dont Jacques «frère du Seigneur» (12,16-17), c’est pour ensuite reprendre la route (12,17). Pierre accomplit sa pâque, mais contrairement aux Hébreux qui se dirigeaient vers la Terre Promise, lui, comprenant que les attentes messianiques tra-ditionnelles sont maintenant dépassées (12,11), quitte Jérusalem : c’est plus loin que doit le porter son ministère. C’est à la suite de Jésus – plus encore que du peuple hébreu – qu’il a vécu cette délivrance et, comme le Ressuscité, il part «en un autre lieu» (12,17).

Dans la deuxième partie du chapitre (12,20-23), le récit de la mort d’Hérode, opposé à celui de l’arrestation de Pierre, en confirme le sens : un ange est toujours à l’œuvre (12,23), mais pour une œuvre de mort, et non de vie ; il ne s’agit plus du prisonnier, dévêtu au fond de son cachot, mais du roi qui l’a fait arrêter, paré de ses plus beaux habits, monté sur une tribune (12,21), et qui veut, au lieu de rendre gloire à Dieu, en usurper la gloire (12,22-23). Le premier est parti vers la vie ; le second trouve la mort.

Les deux derniers versets (12,24-25) représentent à la fois une conclusion et une ouverture. Conclusion qui clôt les premières sections des Actes par le refrain indiquant la «croissance» de la Parole (12,24 ; déjà en 6,7). Mais ouverture à une croissance plus étonnante encore, puisque Pierre a déjà quitté Jérusalem (12,17) et qu’est là mentionné le retour de Barnabé et Saul à Antioche (12,25) : leur «service» à Jérusalem est terminé (le dernier verset de ce chapitre 12 forme ainsi une inclusion avec le dernier verset du chapitre 11) et, avec Jean Marc le jérusalémite – comme un témoin de la première communauté –, ils vont bientôt partir pour de nouvelles missions d’une toute autre ampleur. C’est ce qui sera narré dans la section suivante qui s’ouvre au chapitre 13.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 32

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - La vocation de Saül (9,1-19)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Le récit, bien connu, de la conversion de Saul sur le chemin de Damas, marque une étape importan-te du récit des Actes des Apôtres qui, peu à peu, va faire de l’apôtre Paul son personnage principal. L’événement en lui-même paraît à Luc si fondateur pour le devenir de l’Église qu’il est relaté à trois

reprises : sous la forme d’un récit de l’événement, au chapitre 9 que nous allons méditer ce mois-ci ; et en deux discours de Paul lui-même : au chapitre 22, devant les Juifs de Jérusalem, et au chapitre 26, au tribunal, en présence du roi Agrippa.

Il s’agit bien d’une conversion, au sens d’un retournement, le pharisien zélé pour la Loi et per-sécuteur des chrétiens, devenant un disciple brûlant d’amour pour le Christ qu’il reconnaît comme Seigneur. Mais plus encore, il s’agit là d’un récit de vocation dont la structure et les termes rappellent ceux de la Première Alliance, de la vocation de Moïse à celle des prophètes Isaïe et Jérémie. Car Saul reçoit vocation à devenir, selon le thème de la lumière et de l’aveuglement qui court au long du récit, l’instrument de la grâce qui apporte aux nations la lumière de l’Évangile.

9 [1] Cependant Saul, ne respirant toujours que menaces et car-nage à l’égard des disciples du Seigneur, alla trouver le grand prêtre [2] et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait quelques adeptes de la Voie, hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à Jérusalem. [3] Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l’enveloppa de sa clarté. [4] Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : «Saoul, Saoul, pourquoi me persé-cutes-tu ?» - [5] «Qui es-tu, Seigneur ?» demanda-t-il. Et lui : «Je suis Jésus que tu persécutes. [6] Mais relève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire.» [7] Ses compagnons de route s’étaient arrêtés, muets de stupeur : ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne. [8] Saul se releva de terre, mais, quoiqu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. On le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas. [9] Trois jours durant, il resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien.

[10] Il y avait à Damas un disciple du nom d’Ananie. Le Seigneur l’ap-pela dans une vision : «Ananie !» - «Me voici, Seigneur», répondit-il. - [11] «Pars, reprit le Seigneur, va dans la rue Droite et demande, dans la mai-son de Judas, un nommé Saul de Tarse. Car le voilà qui prie [12] et qui a vu un homme du nom d’Ananie entrer et lui imposer les mains pour lui rendre la vue.» [13] Ananie répondit : «Seigneur, j’ai entendu beaucoup de monde parler de cet homme et dire tout le mal qu’il a fait à tes saints à Jérusalem. [14] Et il est ici avec pleins pouvoirs des grands prêtres pour enchaîner tous ceux qui invoquent ton nom.» [15] Mais le Seigneur lui dit : «Va, car cet homme m’est un instrument de choix pour porter mon

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 33

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Saul» : le personnage a été introduit dans les cha-pitres précédents où il est présenté comme «un jeune homme» gardant les vêtements de ceux qui lapidaient Étienne (7,5.8). S’il n’a pas pris directe-ment part à la lapidation, Luc précise qu’il «approu-vait ce meurtre» (8,1).

«menaces et carnages» : nulle trace historique n’a été conservée des entreprises menées par Saul contre la première communauté de Jérusalem. Il se pré-sente lui-même comme plein de zèle, «persécuteur de l’Église» (Philippiens 3,6), et décrit sa «conduite dans le judaïsme» comme «une persécution effrénée contre l’Église de Dieu», lui causant «des ravages» (Galates 1,13). Luc a donc repris sur ce point le vocabulaire qu’il a dû entendre de la bouche même de Paul. Il s’inscrit là dans une tradition biblique de violences sanglantes exercées pour l’honneur de Dieu, depuis Pinhas, meurtrier par «jalousie pour son Dieu» (Nombres 25,13), jusqu’à Mattathias, animé du même «zèle pour la Loi» (1 Maccabées 2,25-26). Cependant Paul parle aussi ses «progrès dans le ju-daïsme où il surpassait bien des compatriotes de son âge» (Galates 1,14) et dit être venu à Jérusalem étudier «aux pieds de Gamaliel» (Actes 22,3). Ce Gamaliel connu historiquement pour ses interpré-tations peu rigoristes de la Loi et qui, précisément, dans les Actes conseille aux Sanhédrites de relâ-cher Pierre et Jean pour «ne pas risquer de se trouver en guerre contre Dieu» (5,3-4.19) : tout le contraire donc d’un fanatique ! Bien qu’il avoue à plusieurs reprises avoir «persécuté l’Église de Dieu» (1 Corin-thiens 15,9 ; cf. aussi 1 Timothée 1,13), Saul semble avoir davantage le profil d’un docteur de la Loi pha-risien que d’un homme de main.

«lettres» : les disciples de Jésus étant, aux yeux de l’occupant romain, des Juifs comme les autres, ils relèvent de la juridiction religieuse qui leur a été

concédée. C‘est donc avec l’autorisation expresse du Sanhédrin, la plus haute autorité juridique du judaïsme, que Saul peut opérer des arrestations, muni de ces «lettres», sorte de mandat d’arrêt. Cet-te situation a perduré encore des années, jusqu’à l’exclusion totale des synagogues. Paul lui-même a été soumis à ce droit religieux : «cinq fois j’ai reçu les 39 coups de fouet» – châtiment juif distingué de la flagellation romaine (2 Corinthiens 11,24 ; cf. Deu-téronome 25,2-3).

«Damas» : une des villes du territoire de la Déca-pole, qui appartenait à la vaste province romaine de Syrie, mais jouissait d’une certaine autonomie. Il s’agit pour Saul d’aller y traquer les disciples qui ont fui Jérusalem après le meurtre d’Étienne et les premières persécutions (cf. Actes 8,1).

«la Voie» : l’expression d’«adeptes de la Voie» (le ter-me étant employé de façon absolue) est propre aux Actes (18,25-26 ; 19,9.23 ; 22,4 ; 24,14.22). Mais le thème en est ancien : il définit, dans la Première Al-liance, la conduite de l’homme qui obéit à la loi de Dieu (cf. par exemple Psaume 119,1) ; dans la Nou-velle Alliance, il devient la conformité au Christ qui s’est dit lui-même «Voie» (Jean 14,6) et dont l’imita-tion règle la conduite (cf. Matthieu 7,13-14 ; 1 Co-rinthiens 12,31 ; Hébreux 10,19 ; 2 Pierre 2,2…)

«à Jérusalem» : le pouvoir romain laissait quelque la-titude à la juridiction religieuse juive. Le droit d’ex-tradition est attesté en 1 Maccabées 15,21 : «Si donc des gens pernicieux se sont enfuis de leur pays pour se réfugier chez vous, livrez-les au grand prêtre Simon pour qu’il les punisse suivant leurs lois» (dans une lettre du consul romain Lucius, au roi d’Égypte Ptolémée).

«lumière» : l’événement survenu sur la route de Da-mas est raconté à l’aide de motifs bibliques tradi-

nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites. [16] Moi-même, en effet, je lui montrerai tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom.» [17] Alors Ananie partit, entra dans la maison, imposa les mains à Saul et lui dit : «Saoul, mon frère, celui qui m’envoie, c’est le Seigneur, ce Jésus qui t’est apparu sur le chemin par où tu venais ; et c’est afin que tu recouvres la vue et sois rempli de l’Esprit Saint.» [18] Aussitôt il lui tomba des yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. Sur-le-champ il fut baptisé ; [19] puis il prit de la nourriture, et les forces lui revinrent.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 34

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

tionnels : la lumière caractérise toutes les théopha-nies, depuis l’apparition du Sinaï (Exode 34,16-17) jusqu’à la Transfiguration (Matthieu 17,12). D’après ce récit, il ne s’agit pas à proprement parler d’une apparition du Ressuscité, mais d’une manifestation de Dieu comparable à celles de la Première Allian-ce. Ce qui d’ailleurs était adapté à la personne de ce Juif fervent qu’était Saul, invité à reconnaître en Jésus le Dieu de ses pères. Cependant Paul, dans ses récits ou allusions à cet événement, utilise par la suite le vocabulaire des apparitions : «En tout der-nier lieu, il m’est apparu (littéralement : il fut vu) à moi aussi; comme à l’avorton» (1 Corinthiens 15,8).

«Tombant à terre» : réaction d’adoration et de crain-te caractéristique de passages bibliques à tonalité apocalyptique (cf. par exemple Daniel 8,7 ; 10,9). On voit qu’il n’est pas question de cheval – bien que la plupart des peintres en aient doté Saul –… mais que Luc a repris littéralement les construc-tions et le vocabulaire bibliques. Le parallèle le plus frappant est avec la théophanie d’Ézéchiel 1,28 où on retrouve la lumière, la voix et la chute, et qui se présente aussi comme un récit de vocation : «Je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour ; l’aspect de cette lueur, tout autour, était comme l’as-pect de l’arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C’était quelque chose qui ressemblait à la gloire de YHWH. Je regardai, et je tombai la face contre ter-re ; et j’entendis la voix de quelqu’un qui me parlait.»

«une voix» : après la lumière, la voix est le second élément caractéristique des théophanies. Cf. Deu-téronome 4,12 : «YHWH vous parla alors du milieu du feu ; vous entendiez le son des paroles, mais vous n’aperceviez aucune forme, rien qu’une voix.»

«Saoul» : forme araméenne du nom de Saul dont la racine signifie «demander», «questionner». C’était le nom du premier roi que le peuple avait «demandé» au prophète Samuel (1 Samuel 8,5 ; 9,17). Ici c’est plutôt le Seigneur qui «questionne» Saul.La double interpellation qui ouvre le dialogue est aussi reprise des apparitions bibliques : Abraham est ainsi appelé en Genèse 22,1 ; Jacob en Genèse 46,2 ; Moïse en Exode 3,4 ; Samuel en 1 Samuel 3,4. Dans tous les cas, il s’agit d’annonces d’épreuves (la ligature d’Isaac, le départ de Jacob pour l’Égyp-te, l’envoi de Moïse à Pharaon, l’envoi de Samuel au du prêtre Eli pour lui signifier la condamnation de sa maison…) ; mais d’épreuves qui vont déboucher sur le salut. L’appel de Saul est donc fermement

inscrit par Luc dans les traditions des patriarches et des prophètes, et annonce une mission difficile mais féconde pour l’Église.

«me» : voilà dans ce dialogue, à la tonalité vétéro-testamentaire, l’irruption de la nouveauté absolue. Celui qui se manifeste à Saul avec les attributs de la divinité s’identifie aux persécutés (cf. Mat-thieu 25,40 : «En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.»)

«Qui» : la question fait écho à celles de Jacob au torrent du Yabboq (Genèse 32,23), de Moise face au buisson ardent (Exode 3,13) ou de Manoah de-vant l’ange apparu à sa femme pour annoncer la naissance de Samuel (Juges 13,17) : «Quel est ton nom ?» On retrouve donc là l’inspiration biblique. Le caractère personnel de l’apparition – qui n’est pas confondue avec un quelconque phénomène surnaturel – est d’emblée reconnu.

«Jésus» : l’énoncé de ce simple nom – qui n’est associé à aucun titre – a plusieurs significations. Conformément à l’affirmation évangélique, Jé-sus s’identifie à ses disciples de telle manière que le sort qu’on leur réserve est aussi le sien : «Qui vous écoute m’écoute ; qui vous rejette me rejette» (Luc 10,18). Il est donc présent en ceux que Saul veut arrêter, comme il l’était en Étienne en son martyre. Bien plus, Celui qui parle ainsi se présente comme un vivant qui fait corps avec ses disciples ; sans doute est-ce cette expérience qui a permis plus tard à l’apôtre Paul de développer la compa-raison du corps pour expliquer les relations entre Jésus et ses disciples (cf. Romains 12,4-5 ; 1 Corin-thiens 12,12-30 : «Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa part»). Enfin, ce vivant se présente en reprenant le Nom de Dieu révélé à Moïse : «Je Suis» (Exode 3,14) : il s’identifie donc, en un écart vertigineux, à la fois au Dieu Très-Haut qui s’est révélé aux pères, et aux plus petits souffrants (cf. Matthieu 25,31-43).

«relève-toi» : comme dans les autres récits bibliques de vocation, l’apparition se termine par un envoi en mission. Ainsi en est-il pour Moïse : «Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon pour faire sortir d’Égypte mon peuple» (Exode 3,11) ; ou pour Jérémie : «Vers ceux à qui je t’enverrai tu iras, et tout ce que je t’ordon-nerai tu le diras» (Jérémie 1,7). Et plus encore pour Ézéchiel : «Il me dit : ‘Fils d’homme, tiens-toi debout…

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 35

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Je t’envoie vers les Israélites, vers les rebelles qui se sont rebellés contre moi’» (Ézéchiel 12,1.3). Mais l’originalité ici est dans la médiation humaine qui est annoncée : «on te dira ce que tu dois faire».

«compagnons» : ceux qui accompagnent Saul res-tent en dehors de l’événement. Dans ce passage, ils entendent sans voir ; dans le récit que Paul fait de l’événement bien plus tard à Jérusalem, au contraire «ils voient bien la lumière, mais n’entendent pas la voix» (Actes 22,9). Ils se rendent compte que quelque chose d’inhabituel se produit – comme les compagnons de Daniel : «Seul, moi Daniel, je contem-plais cette apparition; les hommes qui étaient avec moi ne voyaient pas la vision, mais un grand tremblement s’abattit sur eux et ils s’enfuirent pour se cacher» (Da-niel 10,7) – ; mais ils ne sont pas concernés par le phénomène. De la même manière le livre de la Sagesse commentant l’Exode oppose «les saints» pour qui «il y avait une très grande lumière» et les Égyptiens qui «entendaient leur voix sans voir leur fi-gure» (Sagesse 18,1 ; cf. Exode 10,23).

«ne voyait rien» : le thème de l’aveuglement est dans l’Écriture fréquemment associé à l’endurcissement du cœur. Ainsi Isaïe est envoyé à un peuple qui ne l’écoutera pas et restera aveugle : «Regardez, re-gardez et ne discernez pas» (Isaïe 6,9 ; cité en Ac-tes 28,26). Mais l’aveuglement de Saul ici est moins un châtiment infligé au persécuteur qu’une grâce offerte à celui qui va désormais porter la parole de Dieu. C’est l’occasion pour lui d’expérimenter qu’il a besoin d’abord d’être guéri et renouvelé pour remplir sa mission. Isaïe l’avait déjà pressen-ti : «Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils ne connaissent pas, par des sentiers qu’ils ne connaissent pas je les ferai cheminer, devant eux je changerai l’obs-curité en lumière et les fondrières en surface unie» (Isaïe 42,16). Saul revit ici personnellement quel-que chose de la repentance qui était demandée à Israël (Isaïe 42,18-25 ; 43,8-12).

«par la main» : Saul le persécuteur doit faire cette expérience de l’humiliation et de la dépendance, lui qui va devenir «instrument de choix» du Seigneur.

«Trois jours durant» : 3 est, dans l’Écriture, le nombre correspondant à un temps d’épreuve débouchant sur le salut. Cf. Genèse 22,4 où Abraham mar-che trois jours vers le lieu où il va sacrifier Isaac. Cf. Osée 6,1-2 : «Venez, retournons vers le Seigneur. Il a déchiré, il nous guérira ; il a frappé, il pansera nos

plaies ; après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence.» Cf. Jonas «dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits» (Jonas 1,17) que Matthieu cite comme «signe» prophétisant l’ensevelissement du «Fils de l’homme, trois jours et trois nuits dans le sein de la terre» (Matthieu 12,40). Trois jours, Saul est donc comme mort – sans manger ni boire – : il vit un temps de pénitence, mais surtout il revit le mys-tère de la mort et de la résurrection de Jésus.

«Ananie» : après Saul, voici l’entrée en scène, bien soulignée sur le plan narratif, du second person-nage important de ce passage. Lui aussi porte un nom significatif : «Dieu fait grâce». Ainsi la grâce du Seigneur en faveur du persécuteur passe par les disciples pourchassés.

«vision» : deux visions parallèles sont en fait néces-saires pour que le persécuteur devienne disciple. Le procédé est destiné à montrer la cohérence et la force du dessein de Dieu : ces deux expériences spi-rituelles, vécues dans des cadres différents et par des personnages bien distincts, voire opposés (le disciple et le persécuteur), n’en sont pas moins ordonnées l’une à l’autre en vue d’un but bien précis déterminé par le Seigneur. Le même procédé est utilisé au cha-pitre suivant pour les visions parallèles de Corneille (Actes 10,3s) et de Pierre (10,10s) qui permettent, pour la première fois, l’entrée officielle des païens dans l’Église. Dans les deux cas, l’Esprit Saint est donc à l’œuvre pour permettre l’avancée de l’Église.

«Me voici» : on retrouve le cadre littéraire des théophanies de la Première Alliance : à l’appel du Seigneur – qui avait été adressé de la même fa-çon à Abraham (Genèse 22,1), Jacob (46,2), Moïse (Exode 3,4), Samuel (1 Samuel 3,4.6.10) –, Ananie, comme eux, répond par l’affirmation de sa dispo-nibilité. Il se situe donc dans la lignée de ceux qui sont appelés à collaborer au plan divin de salut, lui qui est effectivement présenté par Paul, dans son discours de Jérusalem, comme «un homme dévot selon la Loi et jouissant du bon témoignage de tous les Juifs de la ville» (Actes 22,12).

«Pars…» : la mission qui est confiée à Ananie de-mande un certain courage, comme le montrent ses objections : il est invité à accueillir dans la commu-nauté celui qui cherchait à la détruire – d’où l’im-portance de la vision parallèle accordée à Saul, lui montrant qu’à cet ennemi aussi, le Seigneur parle.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 36

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Pierre devra faire preuve du même courage pour entrer, en violant la lettre de la Loi, chez un païen, et il lui faudra aussi la confirmation de la vision reçue par Corneille pour qu’il entreprenne cette démarche (cf. Actes 10,22).

«a vu» : cette seconde vision de Saul, rapportée beaucoup plus sobrement que la première sur la route, n’est pas une théophanie, mais une pro-phétie répondant à sa prière et lui annonçant la guérison qui va lui être octroyée par le ministère d’Ananie. Paul relate ainsi fréquemment les visions, le plus souvent nocturnes, qui lui sont accordées pour aider à son discernement (cf. par exemple Actes 16,9 ; 18,9-10 ; 23,11 ; 27,24).

«répondit» : comme dans les envois en mission bibliques, Ananie commence par exposer ses ré-ticences. Mais alors que souvent les objections portent sur la personne même de l’envoyé – ainsi Moïse dit qu’il n’est «pas doué pour la parole» (Exo-de 4,10), Jérémie se plaint de n’être «qu’un enfant» (Jérémie 1,6) –, elle concerne plutôt ici l’objet de la mission. De même que Moïse risquait de se heur-ter au scepticisme du peuple (Exode 3,13 ; 4,1) et qu’Isaïe était envoyé à un peuple impur et rebelle (Isaïe 6,4.9-10), de même Ananie ne croit pas à la conversion du persécuteur.

«tes saints» : Dieu étant le Saint (Isaïe 6,3), ceux qui lui appartiennent participent à sa sainteté. Dans la Première Alliance, le peuple est saint (cf. Exode 19,6) et fermement invité à agir comme tel : «Soyez saints car moi YHWH votre Dieu, je suis saint» (Lévitique 19,1). Le terme prend chez les prophè-tes un caractère eschatologique : «Ceux qui verront le Royaume sont les saints» (Daniel 7,18 ; cf. Isaïe 4,3). Aussi dans les écrits apostoliques, cette appellation est-elle appliquée aux disciples du Christ, «saints par vocation» (Romains 1,7), formant le nouveau peuple saint (1 Pierre 2,9) ; elle devient une façon habituelle de nommer les chrétiens de Palestine (Actes 9,32 ; Romains 15,26 ; 1 Corinthiens 4,1…), puis de toutes les Églises (Romains 8,27 ; 16,2.15 ; 1 Corinthiens 6,1 ; 14,33 ; 2 Corinthiens 1,1…)

«ceux qui invoquent ton nom» : autre périphrase pour désigner les croyants, en relation avec le premier discours de Pierre à la Pentecôte : «Quiconque in-voquera le nom du Seigneur sera sauvé» (Actes 2,21, citant Joël 3,5). L’expression est reprise en Actes 14,21 ; 1 Corinthiens 1,2 ; 2 Thessaloniciens 2,12…

«instrument de choix» : plus littéralement, «objet d’élection». Le verbe au présent montre que ce choix gratuit vient de Dieu sans que Saul ait encore fait quoi que ce soit pour le mériter. De la même façon Jérémie est «consacré dès le sein maternel» (Jérémie 1,5), encore que son appel ait été diffé-rent. Paul reprend cette formule de Jérémie, en la modifiant pour l’appliquer à son propre cas et faire ressortir la grâce particulière dont il a été l’objet : «Quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce, daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens…» (Galates 1,15). L’élection – comme celle du peuple d’Israël – est toujours gratuite, mais elle implique un surcroît de responsabilité (cf. 1 Corinthiens 15,2-10).

«porter mon nom» : la grâce est aussi une charge. L’expression définit la mission qui va revenir à Paul, d’annoncer le Christ, puisque dans la culture sémite, le nom s’identifie à la personne. Mais le verbe «porter» est celui qu’on utilise aussi pour les fardeaux. Là encore un rapprochement peut être fait avec Jérémie qui, à la demande de Dieu, se fait un joug et le met sur sa nuque pour symboliser l’esclavage futur d’Israël (Jérémie 27,2), mais aussi sa propre charge de prophète qu’il supporte dif-ficilement (cf. Jérémie 15,10-18, où l’on retrouve l’expression : «C’est ton Nom que je portais»).

«nations païennes» : encore un rappel de Jérémie 1,10. Les deux autres récits de la conversion de Saul dans les Actes insistent sur l’universalité de la mission de Paul (Actes 22,15 ; 26,17 où le discours est prononcé devant un «roi») ; et lui-même expli-cite de la même manière sa vocation (cf. Galates 1,16, et surtout 2,7-9 : «Voyant que l’évangélisation des incirconcis m’était confiée comme à Pierre celle des circoncis – car Celui qui avait agi en Pierre pour faire de lui un apôtre des circoncis, avait pareillement agi en moi en faveur des païens – et reconnaissant la grâce qui m’avait été départie, Jacques, Céphas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion : nous irions, nous aux païens, eux à la Circoncision.»)

«souffrir pour mon nom» : comme encore Jérémie, Paul revient à plusieurs reprises dans ses lettres sur les souffrances de son ministère (cf. par exem-ple 2 Corinthiens 11,23-29). Mais la formulation de sa vocation dans le troisième passage rappor-tant sa conversion met en lumière un aspect diffé-rent : «Soutenu par la protection de Dieu, j’ai continué

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 37

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

jusqu’à ce jour à rendre mon témoignage devant petits et grands, sans jamais rien dire en dehors de ce que les prophètes et Moïse avaient déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d’entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes» (Actes 26,22-23). La formule montre clairement que c’est la mission même et la souffrance du Christ que son disciple est appelé à prolonger (cf. aussi Colossiens 1,24 : «Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église.»)

«imposa les mains» : rappel du geste que Jésus faisait sur les malades (Luc 4,40 ; 13,13). Ce geste a été repris dans les premières communautés chrétien-nes pour guérir (Actes 28,8), mais aussi conférer l’Esprit Saint après le baptême (8,17 ; 19,6…), pour confier les frères à la grâce de Dieu lors de leur départ en mission (13,3 : cf. 15,40) et, de façon plus solennelle, pour marquer la consécration en vue d’un ministère particulier (Actes 6,6 ; 1 Timothée 4,14 : «Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi, qui t’a été conféré par une intervention prophétique accompagnée de l’imposition des mains du collège des presbytres» ; 2 Timothée 1,6).

«celui qui m’envoie» : par le ministère d’Ananie est confirmée l’authenticité de l’apparition sur le che-min et l’élection de Saul, désormais appelé «frère», c’est-à-dire reconnu comme membre de la com-munauté des croyants (cf. Rm 8,29-30 : «Ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à re-produire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés»).

«tu recouvres la vue» : Saul est guéri de sa cécité physique, symbole de son aveuglement. Ce thème est amplifié dans la dernière recension de cet évé-nement où il est mis en relation avec la mission de Paul envoyé vers les nations païennes «pour leur ouvrir les yeux afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière» (Actes 26,18). Il sera développé dans les

épîtres de Paul (Éphésiens 5,8s ; Colossiens 1,13 ; 1 Thessaloniciens 5,4-6)…), en relation avec l’un des noms donnés par les premiers chrétiens au bap-tême : «l’illumination».

«rempli d’Esprit Saint» : l’expression, si fréquente chez Luc (Luc 1,15.41.67 ; Actes 2,4 ; 4,8.31…), prend dans ce contexte une portée particulière. Comme Jésus, au début de sa vie publique (Luc 4,18, citant Isaïe 61,1), Paul reçoit le charisme qui le rend capable d’accomplir sa mission.

«des écailles» : elles matérialisent en quelque sorte les obstacles qui empêchaient Saul de reconnaî-tre en Jésus le Seigneur. Mais la guérison est aussi racontée comme celle de Tobit (Tobie 11,12), qui prophétise la restauration de Jérusalem et le salut apporté aux nations (Tobie 14,5-7), ce qui précisé-ment est l’objet de la vocation de Saul.

«baptisé» : aucune indication n’est donnée sur le rituel d’eau qui a dû suivre le don de l’Esprit. Mais par là Saul, après l’avoir été directement par l’in-tervention divine, est sacramentellement introduit dans la communauté des croyants.

«nourriture» : s’agit-il simplement d’une indication matérielle pour manifester sa vitalité retrouvée, comme dans le cas de la petite fille de Jaïre pour qui Jésus ordonne, après l’avoir guérie, de «lui don-ner à manger» (Luc 8,55) ? Ou ne faut-il pas voir dans cette notation une allusion à l’Eucharistie ? Déjà en Actes 2,46, sont associés dans le même verset la nourriture et «la fraction du pain» (ex-pression qui désigne chez Luc l’Eucharistie : cf. Luc 24,35) ; ainsi qu’en Actes 20,11, lors d’une eucharistie à Troas, et en Actes 27,33-36, pendant la tempête. Signe sans doute que, dans la commu-nauté de Luc, les agapes (le repas fraternel) étaient encore reliées au rite eucharistique. Même si cela n’est que suggéré, il semble cohérent que Saul, dé-sormais appelé à vivre de la vie même du Christ, se nourrisse du «pain de vie» et y trouve les «for-ces» pour sa mission.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 38

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Esprit de Dieu, dans l’action de grâce nous te voyons à l’œuvrepour faire toute chose nouvelle.Nous reconnaissons ta force et ta douceurlorsque tu retournes les cœurs et les ouvres à ton éternelle nouveauté.Sois béni pour ta puissance qui renverse le persécuteur sur le cheminpour en faire un apôtre plein d’amour et de zèle.Sois béni pour ton don d’intelligence et de conseilqui emplit Pierre et les discipleset leur permet de reconnaître que tous sont frères, fils d’un même Père.Sois béni pour toutes les communautés qu’au long des siècles,tu as fait se rassembler et se tourner vers toi dans la louange et l’intercession.Sois béni pour le sceau du baptême que tu as apposé sur nouset qui nous fait devenir disciples du Christ, pour le temps et l’éternité.Viens planer sur ce monde encore brisé et divisé,viens ouvrir les cœurs et effacer les frontières,viens rassembler dans l’unité de l’amourtous les hommes qui ne savent ce qu’ils cherchent,mais portent en eux la grande nostalgie de ta force et de ta joie.Viens remplir toute chose de ta présence, toi qui es l’Amouréternellement donné par le Père et reçu par le Fils,et nous mènes à le partager dans les siècles sans fin. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

En Théophile renaît l’espérance. Une espérance plus forte que jamais. Certes les persécutions se poursuivent, mais même les persécuteurs peuvent être touchés par la grâce du Christ. Certes les discussions entre frères persistent, mais tous se mettent à l’écoute de ce que dit l’Esprit et

acceptent de faire taire leurs réticences et de s’ouvrir à sa nouveauté.

Il se passe décidément bien des choses sur les routes, se dit Théophile. En ce lieu de passage, lieu incertain entre deux cités bien définies, ce n’est pas seulement l’homme qui se déplace : ce sont aussi ses frontières intérieures qui bougent. Le cœur de l’eunuque avait été touché par la Parole sur la route de Gaza. Sur la route de Damas, le cœur de Saul est transpercé par la question douce et triste qui vient du ciel : «Pourquoi me persécutes-tu ?»

«La mémoire de sa conversion est grandement utile à ceux qui en célèbrent le souvenir. Car, en cette cé-lébration, le pécheur puise un espoir de pardon qui l’incite à la pénitence ; et celui qui s’est déjà repenti y trouve le modèle d’une conversion parfaite. Comment désespérer, quelle que soit l’énormité de ses fautes, quand on entend que ‘Saul ne respirant encore que menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur’, fut soudain changé en ‘un vase d’élection’ ? Qui pourrait dire sous le poids de son péché : Je ne puis me

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 39

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

relever pour mener une vie meilleure, lorsque sur la route même où son cœur était tout empli de poison, le persécuteur acharné devint subitement le plus fidèle prédicateur ? Cette seule conversion met donc en un jour magnifique la grandeur de la miséricorde de Dieu et la puissance de sa grâce.» (S. Bernard de Clairvaux, XIIe s.)

Les routes des hom-mes, ces routes diverses, pour peu qu’elles se lais-sent mener par l’Esprit, convergent finalement en une même trajectoire. De la persécution à Jérusalem provoquant la dispersion à l’accomplissement de la foi de l’eunuque craignant Dieu et au retournement de Saul le pharisien, la même puis-sance de rassemblement dans l’unité est à l’œuvre, plus forte que les exclu-sions, la même puissance de résurrection est à l’œu-vre, plus forte que les des-seins de mort ourdis par les hommes. À chacun, l’Esprit donne la lumière selon ce qu’il est capable d’en per-cevoir. Car il n’est pas plus facile à Ananie de reconnaî-tre un Saul un frère, qu’à Saul de reconnaître en Jésus son Seigneur ! Mais l’Esprit obstiné pousse encore sur la route, et Pierre qui «passe partout» (9,32), «en faisant le bien» comme son Maître (10,38), finit par arriver à Césarée, la ville de l’empereur, au cœur du paga-nisme ; et lui aussi bousculé par l’Esprit, doit dépasser ses valeurs apprises pour reconnaître le don de Dieu fait aux païens. Le baptême dans l’Esprit déjà reçu par un païen…

«Il est l’Esprit qui crée, recrée par le baptême et la résurrection, il est l’Esprit qui connaît toutes choses, qui enseigne, qui souffle où il veut et comme il veut, qui conduit, qui parle, qui envoie, qui met à part certains Apôtres qui s’irrite, qui révèle, qui illumine, qui donne la vie, ou plutôt qui est lui-même lumière et vie. Il fait de nous ses temples, il nous divinise, il est notre perfection si bien qu’il précède le baptême et qu’on a besoin de lui aussi après le baptême. Il distribue ses dons, il fait les apôtres, les prophètes et les évangélistes, il est intelligent, multiple, clair, pénétrant et pur, il ne connaît pas d’obstacles, il est la Sa-gesse très haute, il manifeste son action sous mille formes, il explique tout, il révèle tout, il ouvre tout…» (S. Grégoire de Nazianze, IVe s.)

*

Théophile, dont le nom grec indique qu’il vient de la gentilité, se réjouit particulièrement du bap-tême du centurion Corneille, qui ouvre la voie à ceux d’innombrables païens rejoignant leurs frères juifs

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 mai 2011 | 40

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

dans la confession de Jésus Sauveur. Comme il se réjouit à la naissance de cette communauté vivante et bigarrée d’Antioche, cette communauté improbable germée dans la riche et cosmopolite capitale de la Syrie romaine. Là se manifeste concrètement la surabondance du don de Dieu, la gratuité du choix de Dieu qui «ne fait pas acception des personnes» : c’est Pierre qui l’affirme, lui à qui l’Esprit l’a fait voir (1 Pierre 1,17 ; cf. Actes 10,34).

«Ce n’est pas parce qu’il avait besoin de notre service que le Père nous a commandé de suivre le Verbe, c’est pour nous procurer à nous-mêmes le salut. Car suivre le Sauveur, c’est avoir part au salut, comme suivre la lumière, c’est avoir part à la lumière. Ce ne sont pas les hommes qui font resplendir la lumière, mais ce sont eux qui sont illuminés et rendus resplendissants par elle. Loin de lui apporter quoi que ce soit, ce sont eux qui bénéficient de la lumière et qui sont illuminés. Ainsi en va-t-il du service de Dieu : à Dieu il n’apporte rien, car il n’a pas besoin du service des hommes. Mais à ceux qui le servent et qui le suivent, Dieu procure la vie, l’incorruptibilité et la gloire éternelle. Si Dieu sollicite le service des hommes, c’est pour pouvoir, lui qui est bon et miséricordieux, accorder ses bienfaits à ceux qui persévèrent dans son service. Car, de même que Dieu n’a besoin de rien, de même l’homme a besoin de la communion de Dieu. Car la gloire de l’homme, c’est qu’il persévère dans le service de Dieu. C’est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples : ‘Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis’. » (S. Irénée de Lyon, IIe s.)

Mais la grâce de Dieu, Théophile l’a bien remarqué, passe surtout, depuis les débuts de la jeune Église, à travers contradictions et oppositions. Après le martyre d’Étienne dont la fécondité a éclaté dans le retournement de Saul, après la mort de Jacques, c’est l’arrestation de Pierre qui en manifeste clairement le caractère pascal. Pierre, en ces jours bénis de fête revit en sa chair la pâque de ses pères, libérés des chaînes de leur esclavage par la main du Seigneur et constitués en peuple saint. Pierre, com-me eux en cette nuit, les reins ceints et les sandales aux pieds, est remis sur la route pour aller «en un autre lieu». La route, toujours… La route qui le fait plus encore communier à la pâque du Ressuscité.

«La Pâque célébrée par les Juifs symbolisait le salut de leurs premiers-nés. Mais celle que nous célébrons est la cause du salut de tous les hommes. Les réalités partielles et provisoires, images et figures des réa-lités parfaites et éternelles, préludaient, ainsi que des esquisses, à la Vérité qui s’est maintenant levée à l’horizon. Le nom même de la fête prend toute son excellence si on le traduit en l’appliquant à la Vérité. ‘Pâque’ en effet se traduit par ‘passage’ puisque l’Exterminateur qui frappait les premiers-nés ‘passait’ les maisons des Hébreux. Mais ce ‘passage’ de l’Exterminateur, c’est chez nous qu’il est véritable, lorsqu’une fois pour toutes, il ‘passe par dessus’ nous qui avons été ressuscités par le Christ pour la vie éternelle.» (Fulgence de Ruspe, VIe s.)

*

Au terme de sa lecture, le cœur de Théophile est empli d’un grand bonheur. La Parole l’a atteint. Jésus l’a sauvé. Il a reçu l’Esprit, le don de Dieu. Comme Saul et Pierre, comme Ananie et Corneille, il est disciple de ce Christos que les Juifs disent Messie. Comme les disciples d’Antioche, avec ceux qui les ont précédés à Jérusalem et avec tous ceux qui les suivront, il est «chrétien» !

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 41

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 13-15

Le mois dernier, notre itinéraire nous avait menés de Jérusalem à Jérusalem, en passant par Antio-che (ch. 9 à 12). Ce mois-ci, nous allons d’Antioche à Antioche, en passant par Jérusalem, signe que le centre de gravité de l’Église, peu à peu, se déplace. Si Jérusalem demeure l’Église-mère vers

laquelle on monte pour faire approuver les décisions ou régler les conflits, Antioche, communauté vi-vante et cosmopolite, devient le centre d’un mouvement d’évangélisation qui s’étend progressivement à Chypre et en Asie mineure.

Les chapitres 13 et 14 racontent en effet le premier voyage missionnaire de Paul et Barnabé, marquant une double évolution sur le plan de la pastorale et de la théologie. Pour la première fois, il s’agit d’une tournée d’évangélisation programmée, vers des territoires qui n’ont pas encore reçu la Bonne Nouvelle ; et d’une tournée qui touche et convertit des païens, posant ainsi une grave question d’inculturation de la foi à laquelle le chapitre 15, relatant l’assemblée de Jérusalem, tente d’apporter une solution.

Le début du chapitre 13 montre un nouveau départ (13,1-3) : l’Église «établie à Antioche» et dirigée, non plus par les apôtres, mais par des «prophètes» et des «docteurs» (13,1), au cours d’un «culte» (13,2) – d’un «service» (leitourgia), dit littéralement le texte, ce qui évoque le service liturgique du prêtre Zacharie au début de l’évangile (Luc 1,22) –, désigne et envoie deux des leurs, Barnabé et Saul, pour accomplir «l’œuvre» de l’Esprit Saint.

La suite du chapitre se présente donc comme le récit de leur voyage, à Chypre (13,4-12), puis en Pamphilie et à Antioche de Pisisdie (13,13-15) où Paul, deux sabbats de suite, prononce deux discours importants – le premier adressé aux Juifs (13,16-43), le second, beaucoup plus bref, à l’intention des païens, – ce qui suscite contre eux une forte opposition (13,44-51).

Les missionnaires sont donc partis à Chypre (13,4), destination choisie sans doute parce que c’était le pays d’origine de Barnabé (cf. 4,36), accompagnés de Jean (13,5b). Il est dit, sans plus d’expli-cations, qu’ils «prêchent la parole de Dieu dans les synagogues» (13,5a). Mais le récit se centre surtout sur l’action d’un magicien, proche du proconsul Sergius Paulus, et sur la conversion de ce dernier (13,6-12). Ce faux prophète juif s’oppose à la foi (13,8) – de la même manière que Simon le magicien s’était op-posé à Pierre (cf. 8,9-13) –, tandis que le magistrat romain s’ouvre à la parole de Dieu (13,12) – comme l’avait fait, devant le discours de Pierre, le centurion Corneille (10,44-48). Ces débuts missionnaires marquent aussi un passage important en ce que Saul, désormais appelé d’un nom romain, Paul (13,9), est dès lors constamment cité avant «ses compagnons» (13,13a). C’est en fait toute l’équipe missionnaire qui se réorganise puisqu’au même moment Jean les quitte pour retourner à Jérusalem (13,13b). La suite du chapitre, narrant la prédication en Asie mineure, est en effet entièrement dominée par la parole et l’action de Paul (13,14s).

À Antioche de Pisidie, il prononce à la synagogue un long discours, dans les Actes le seul discours de Paul adressé à des Juifs (13,16-41). Interpellant ses «frères» (13,16), il leur rappelle d’abord la préve-nance du Dieu pour Israël, pour leur présenter Jésus comme le Sauveur en qui s’accomplit la promesse faite à David (13,16-35) ; puis il leur annonce plus précisément le «message de salut» qu’est pour eux Jésus mort et ressuscité (13,26-31). Il termine par un appel à la foi (13,32-39) qui s’appuie sur l’exégèse de plusieurs passages bibliques – dont le psaume 16, déjà utilisé par Pierre dans son discours de la Pen-tecôte (2,27-32) – et annonce «l’entière justification» obtenue non par la Loi, mais par la foi. La mise en garde, qui sert de conclusion (13,40-41) et se fonde sur un oracle du prophète Habaquq, ne cache pas l’aspect scandaleux de «l’œuvre de la grâce de Dieu» qui vient d’être proclamée. Rien d’étonnant donc, si elle provoque dans l’auditoire interrogations et divisions (13,42-43).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 42

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

La dernière séquence du chapitre (13,44-51) se tient donc, naturellement, «le sabbat suivant» où tous veulent entendre «la parole de Dieu» (13,44) ; mais où Paul et Barnabé doivent aussi affronter «la jalousie» des dignitaires juifs (13,45), comme cela avait été le cas pour Pierre (5,17). De là naît leur décision de «se tourner vers les païens» (13,46), décision fondatrice qui va orienter toute la suite de l’apostolat de Paul. On reconnaît, dans cette succession d’événements, un schéma plusieurs fois utilisé par Luc, et en premier lieu lors de la prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth (Luc 4,16-20). Là aussi la parole est d’abord bien accueillie, puis suscite une opposition et, en réponse, le récit de la grâce faite aux païens, ce qui déclenche la persécution et le départ du prédicateur.

La prédication de Paul provoque la joie des païens – marque dans les Actes, on l’a déjà souligné, de l’Esprit Saint – et la conversion de certains d’entre eux, ce qui montre l’essor de la Parole (13,48-49). Corrélativement, elle déclenche la colère des Juifs qui chassent de leur ville les missionnaires (13,50-51).

Au chapitre 14, la mission en Asie se poursuit à Iconium (14,1-7), puis à Lystres où Paul guérit un impotent et manque d’être lapidé, avant de partir pour Derbé (14,8-20). Puis reprenant le même chemin et repassant par les villes qu’ils ont évangélisées, Paul et Barnabé retournent à Antioche pour rendre compte de leur mission (14,21-28). L’épisode d’Antioche de Pisidie, au chapitre précédent, a donné la tonalité de la mission : Paul appelle les Juifs à tirer les conclusions de l’Alliance en reconnais-sant Jésus comme Sauveur et à discerner l’œuvre de l’Esprit dans l’accueil que les païens réservent à la Parole. Mais partout son message provoque persécutions et rejet. Avec des circonstances diverses, la même séquence se répète dans toutes les villes où il passe.

À Iconium (14,1-7), le schéma : prédication dans la synagogue – divisions entre opposants et convertis – départ des missionnaires, n’est enrichi que de peu de détails concrets. Certaines nota-tions rappellent cependant la persécution subie à Jérusalem par Pierre et Jean : même coalition des Juifs et des païens autour de leurs chefs (4,25-28 ; 14,5), et même «assurance» des envoyés (parrhèsia : 4,13.29.31 ; 14,3), appuyée sur les «signes et prodiges» qu’ils accomplissent (4,16 ; 14,3). Mais l’enjeu vital de la mission se précise puisque, alors que les apôtres avaient été relâchés (4,21), eux manquent d’être lapidés (14,6).

Pour Lystres où ils s’enfuient, la séquence est plus longue et le récit devient plus concret : une guérison provoque l’enthousiasme de la foule qui prend les missionnaires pour des dieux (14,8-13). Paul réagit par un discours qui dissuade les habitants de leur offrir un sacrifice (14,14-18) ; mais, de nouveau, il est pris à partie et, cette fois-ci, lapidé, mais aussitôt miraculeusement relevé (14,19-21).

La guérison du boiteux, opérée dès l’arrivée des missionnaires à Lystres, (14,8-10) rappelle évi-demment celle qu’avait accomplie Pierre à la porte du Temple (3,4-8). Elle est racontée dans les termes d’une résurrection : «Lève-toi» (anasthèti), et déclenche chez les Lycaoniens une sorte de terreur sacrée. Contrairement aux Juifs mais de manière aussi inadéquate, ces païens, sacralisant tout, sont prêts à reconnaître en Paul et Barnabé des dieux qu’ils veulent se concilier par des sacrifices (14,11-13). La réaction des missionnaires – déchirer leurs vêtements (14,14) – est celle qui s’impose devant un blas-phème, car c’est bien d’un culte idolâtre qu’ils risquent d’être l’objet. Mais Paul en profite pour faire un discours (14,15-17) qui tente de les faire passer de l’admiration des messagers à l’écoute du message. L’argumentation, adaptée à l’auditoire, ne fait pas mention du Dieu révélé à Israël, mais du «Dieu vivant», créateur de toutes choses (14,15).

Survint alors, sans transition, l’épreuve qui identifie davantage le serviteur à son Seigneur : un complot qui gagne la foule (14,19), et Paul, lapidé, faisant en sa chair l’expérience du mystère de la mort-résurrection (cf. 2 Corinthiens 6,4-10 ; 11,25). Il l’avait annoncé à Antioche de Pisidie (13,28-30) ; il le vit ici par la grâce du Ressuscité (14,19-20). C’est sans doute à ce prix que l’évangélisation de Derbé se fait ensuite avec fruit (14,21a).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 43

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Le récit de ce premier voyage missionnaire se termine par le retour à Antioche (14,21b-28) où l’on voit Paul et Barnabé repasser par les villes qu’ils ont évangélisées pour «encourager» les commu-nautés (14,22) et les organiser en plaçant à leur tête des «anciens» (14,23). Averti par les péripéties qu’il vient de vivre, Paul peut leur délivrer un message spirituel : «Il faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu» (14,22 ; cf. 1 Thessaloniciens 3,2-4). C’est aussi une sorte de constante de la vie et de la mission du témoin du Christ qu’après Pierre emprisonné (12,3s) et Étienne lapidé (7,57-60), Paul vient de découvrir. Mais ce qui l’emporte, lors de leur retour à Antioche, est l’action de grâce pour «l’œuvre qu’ils venaient d’accomplir» (14,26) et la conversion d’un si grand nombre de païens à qui Dieu «avait ouvert la porte de la foi» (14,27). Cette action de grâce partagée par l’Église (14,28), rappelle celle des disciples envoyés en mission par Jésus (Luc 10,17-20) et, plus encore, celle de l’Église de Jérusalem au récit que leur a fait Pierre de la conversion du centurion Corneille (Actes 11,18).

Cependant ce sont ces conversions même, intervenues ici en nombre, qui vont être à la source d’un différend, né à Antioche et porté à Jérusalem : ce sera l’objet du chapitre 15 qui pose la question fondamentale de la cohabitation de Juifs et de païens au sein de la même Église. Une controverse éclate donc à Antioche à propos de ces païens convertis – faut-il les soumettre à la circoncision, c’est-à-dire les intégrer au peuple juif ? – ; elle se révèle suffisamment grave pour être débattue à Jérusalem avec les apôtres et les anciens de l’Église-mère (15,1-7). Ce que l’on nomme habituellement «l’assemblée de Jérusalem» est résumée à travers deux discours, celui de Pierre pour les apôtres (15,7-11), et celui de Jacques au nom des anciens (15,13-21), qui, tous deux, se prononcent dans le sens de l’ouverture. Les décisions de l’assemblée sont alors consignées en une lettre que les envoyés ont mission de faire connaître à Antioche et dans les communautés qui en dépendent (15,22-29). Le chapitre peut donc se clore à Antioche, où la lecture du décret apostolique fait abonder la joie, signe toujours que l’Esprit a bien été là aussi à l’œuvre (15,30-35).

Le passage central de ce chapitre 15 est plus particulièrement médité ce mois-ci. On ne reviendra donc pas sur la question théologique en jeu dans la querelle née à Antioche et débattue à Jérusalem ; mais on peut remarquer les déplacements qu’elle détermine. Paul et Barnabé «montent à Jérusalem» (15,2) pour faire arbitrer le litige par la première communauté, qui jouit donc d’une sorte de primauté d’honneur : c’est aux apôtres et aux anciens qui la dirigent que revient le discernement devant cette situation nouvelle, de même qu’en 8,14, Pierre et Jean étaient allés voir comment s’opérait l’évangéli-sation de la Samarie, et qu’en 11,22, Barnabé avait été envoyé pour observer la communauté naissante d’Antioche.

Puis, après la décision, lorsque tous se sont ralliés à la proposition de Jacques, ces envoyés d’An-tioche repartent dans leur communauté, accompagnés de Barsabbas et Silas, missionnés par l’Église de Jérusalem (15,22) : deux représentants de l’Église à dominante païenne (bien qu’eux-mêmes soient juifs) et deux représentants de la première communauté juive, garants ensemble de la communion souhaitée, à laquelle doivent permettre de parvenir les dispositions du décret dont ils sont porteurs (15,22-29). Ce texte, au ton solennel, invoque l’Esprit comme garant de la justesse de la décision, en une formule audacieuse : «L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé…» (15,28 ; cf. aussi la formule de Pierre en 5,32). Les règles proposées par Jacques – qui se réfèrent à la première alliance passée par le Seigneur avec Noé, après le déluge, antérieurement donc à l’alliance avec Israël –paraissent au rédacteur suffisamment importantes pour être répétées deux fois, dans le discours de Jacques, puis dans l’énoncé du décret (15,19-20 et 28-29) ; elles permettent aux Juifs et aux païens de pouvoir vivre ensemble, en particulier de participer à la même table fraternelle et eucharistique, tout en respectant les voies spécifiques par lesquelles ils sont venus à la foi.

La marque de l’Esprit se retrouve dans la joie (15,31) et la paix (15,33) qui règnent à nouveau dans la communauté, tandis que peut reprendre l’annonce de la Bonne Nouvelle (15,25). C’est ce que va développer la section suivante consacrée aux nouveaux voyages missionnaires de Paul.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 44

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - L’assemblée de Jérusalem (15,5-21)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

À l’exact milieu du livre des Actes des Apôtres, l’épisode que nous méditons ce mois-ci en consti-tue aussi le cœur. À partir de ce chapitre 15, le personnage de Pierre, qui a dominé toute la première partie s’efface, et celui de Paul va peu à peu prendre toute la place. Les Actes de Pierre

deviennent les Actes de Paul.

Tout se noue autour de l’événement que l’on a coutume d’appeler «l’assemblée de Jérusalem» – ou même parfois, un peu abusivement, «le concile de Jérusalem» –, qui rassemble ces deux grandes figures, et bien d’autres, pour examiner une question, pour nous tout à fait dépassée dans son objet immédiat – faut-il ou non que les convertis venus du paganisme passent par la circoncision ? –, mais dont l’enjeu se révèle crucial pour l’avenir de l’Église : faut-il, en effet, pour suivre Celui qui est venu accomplir la Loi et non l’abolir, en conserver toutes les prescriptions ? ou ne faut-il pas plutôt n’obéir qu’au comman-dement nouveau de l’amour qui résume toute la Loi ? À travers les discours de Pierre, puis de Jacques, c’est l’ouverture même de l’Église qui se joue : ouverture du peuple élu aux nations païennes, ouverture des communautés organisées à l’étranger, ouverture de chacun à la nouveauté de l’Esprit.

15 [5] Certaines gens du parti des Pharisiens qui étaient devenus croyants intervinrent pour déclarer qu’il fallait circoncire les païens et leur enjoindre d’observer la Loi de Moïse. [6] Alors les apôtres et les an-ciens se réunirent pour examiner cette question. [7] Après une longue discussion, Pierre se leva et dit :

«Frères, vous le savez : dès les premiers jours, Dieu m’a choisi parmi vous pour que les païens entendent de ma bouche la parole de la Bonne Nouvelle et embrassent la foi. [8] Et Dieu, qui connaît les cœurs, a témoi-gné en leur faveur, en leur donnant l’Esprit Saint tout comme à nous. [9] Et il n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi. [10] Pourquoi donc maintenant tentez-vous Dieu en voulant imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons eu la force de porter ? [11] D’ailleurs, c’est par la grâce du Sei-gneur Jésus que nous croyons être sauvés, exactement comme eux.»

[12] Alors toute l’assemblée fit silence. On écoutait Barnabé et Paul exposer tout ce que Dieu avait accompli par eux de signes et prodiges parmi les païens.

[13] Quand ils eurent cessé de parler, Jacques prit la parole et dit : «Frères, écoutez-moi. [14] Syméon a exposé comment, dès le début, Dieu a pris soin de tirer d’entre les païens un peuple réservé à son Nom. [15] Ce qui concorde avec les paroles des Prophètes, puisqu’il est écrit :

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 45

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«devenus croyants» : par cette expression curieuse, Luc veut désigner des Juifs pieux (puisqu’ils appar-tenaient au courant pharisien), réputé pour son observance rigoureuse de la Loi) qui ont reconnu Jésus comme le Messie attendu par Israël et ont donc reçu le baptême. Le terme de «parti» montre que les premières Églises ont eu tendance dès le début à créer des groupes selon l’origine (cf. en 6,1 déjà, l’opposition entre «Hébreux» et «Hellénis-tes» ; et, en 1 Corinthiens 1,10-13, les reproches qu’adresse Paul aux Corinthiens au sujet des divi-sions dans leur Église).

«intervinrent» : les discussions qui éclatent à Jé-rusalem ne sont en fait que les conséquences du différend qui, à Antioche, a opposé «certaines gens descendus de Judée» (15,1) – ces mêmes Pharisiens ou d’autres chrétiens de même origine – à Paul et Barnabé ; ceux-ci revenaient de leur premier voyage missionnaire à Antioche de Pisidie où, après l’échec de leur prédication à la synagogue, ils avaient déclaré «se tourner vers les païens» (13,26), puis à Iconium, Lystres, Derbé où, selon leurs pro-pos, Dieu «avait ouvert aux païens la porte de la foi» (14,27). C’est pour régler ce différend qu’ils sont «montés à Jérusalem» (15,2).

«la Loi de Moïse» : la question posée a en fait deux aspects : faut-il d’abord imposer aux païens d’être agrégés au peuple élu par la circoncision avant de les baptiser ? La circoncision dont l’obligation est rappelée en Lévitiques 12,3, avait été demandée par le Seigneur à Abraham pour qu’il «soit parfait» (Genèse 17,1) et présentée comme une obliga-tion pour faire partie du peuple de l’alliance («Mon

alliance sera marquée dans toute chair comme une alliance perpétuelle. L’incirconcis, cette vie-là, sera re-tranchée de sa parenté : il a violé mon alliance» : Ge-nèse 17,13-14). Faut-il ensuite les obliger à suivre les différents préceptes de la Loi, en particulier en ce qui concerne les interdits alimentaires ? L’enjeu est important car un Juif ne pouvant prendre ses repas avec un païen (cf. Actes 10,28), cela mettait gravement en péril la communion entre les mem-bres d’une même communauté d’origines diffé-rentes. Les prescriptions de la Loi s’étant alour-dies au cours du temps, elle comportait alors 613 commandements, dont 365 négatifs, de manière à obéir à Dieu chaque jour de l’année : on voit donc la difficulté qu’il y avait à les suivre, qu’on soit ou non circoncis.Selon l’épître aux Galates, où Paul rapporte un peu différemment ces événements que Luc, sem-ble-t-il, a synthétisé en une seule assemblée à Jéru-salem, c’est Tite, un de ses compagnons, non men-tionné par Luc, mais, selon Paul, monté lui aussi à Jérusalem, qui était plus particulièrement visé par ces exigences (Galates 2,1-5). Quoi qu’il en soit, l’enjeu est donc double : il s’agit à la fois de la pos-sibilité pour les non-circoncis d’être sauvés, et de la manière d’assurer l’unité des croyants.

«les anciens» : alors que les apôtres semblent de plus en plus exercer un ministère itinérant d’évan-gélisation, la communauté restée à Jérusalem est maintenant dirigée par des «anciens» (presbuteroi, d’où vient le terme «prêtre»), tous venus du ju-daïsme. Ils sont les représentants de l’Église-mère vers qui on se tourne pour exercer un discerne-ment (cf. 12,22). On peut remarquer l’évolution

[16] Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui était tombée ; je relèverai ses ruines et je la redresserai, [17] afin que le reste des hommes cherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations qui ont été consacrées à mon Nom, dit le Seigneur qui fait [18] connaître ces choses depuis des siècles.

[19] «C’est pourquoi je juge, moi, qu’il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu. [20] Qu’on leur mande seulement de s’abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, des unions illégitimes, des chairs étouffées et du sang. [21] Car depuis les temps anciens Moïse a dans chaque ville ses prédicateurs, qui le lisent dans les synagogues tous les jours de sabbat.»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 46

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

depuis le premier incident survenu à Jérusalem où ce sont les douze qui convoquent «l’assemblée des disciples» pour leur faire part de leur décision (6,2). Ici la décision sera prise collégialement, après l’écoute des arguments des uns et des autres.

«Pierre» : Pierre prend la parole au nom des apô-tres, comme Luc l’a déjà montré à plusieurs re-prises depuis la Pentecôte (2,14s ; 3,12s ; 4,8s…). Son discours ici est assez bref (v.7b-11) : il évoque l’œuvre que la grâce de Dieu a déjà accomplie pour les païens (v. 7-9) pour appuyer son discer-nement (v. 10-11) : seule la grâce par la méditation du Christ peut sauver (et non la circoncision).

«vous le savez» : allusion aux explications que Pierre avait déjà dû fournir aux «circoncis» (les ju-déo-chrétiens de Jérusalem), après le baptême du centurion Corneille (11,2-3). L’argumentation de Pierre va reposer sur cette expérience de Césa-rée qui lui a montré que «Dieu ne fait pas acception des personnes mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable» (10,34).

«m’a choisi» : allusion à la vision qu’a eue Pierre à Joppé (une nappe avec des animaux impurs qu’on lui ordonnait de manger), à trois reprises, pour lui faire comprendre le message : «Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé» (10,15). D’autres si-gnes du ciel ont été nécessaires pour venir à bout de ses réticences : une autre vision accordée à Corneille (10,30-33), et surtout la manifestation du don de l’Esprit à ces païens (10,44-47).

«de ma bouche» : selon les termes du début des Actes, Pierre a rempli son rôle de «témoin» (1,8) et exercé son «ministère apostolique» (2,15) en ca-téchisant Corneille et sa famille, en «leur annon-çant la Bonne Nouvelle de la paix» (10,36) et «la rémission des péchés» (10,43). Mais l’expression implique aussi que Pierre s’exprime comme un prophète (cf. Exode 4,11 où le Seigneur dit à Moï-se : «Va, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire»).

«connaît les cœurs» : c’était déjà une notation fré-quente dans la Première Alliance (cf. 1 Samuel 16,7 : «L’homme regarde à l’apparence, le Seigneur regarde le cœur» ; et aussi ; 1 Rois 8,39 ; Psaume 7,10 ; 44,22 ; Proverbes 15,11 ; Sagesse 1,6 ; Jéré-mie 11,20 ; 10,12…), Corneille est présenté com-me «pieux et craignant Dieu», faisant l’aumône et

«priant sans cesse» : le portrait en somme du juste à la foi droite et aux œuvres bonnes.

«témoigné» : le témoignage de Dieu en faveur de Corneille et sa famille s’est manifesté de façon éclatante : «Ils les entendirent parler en langues et glorifier Dieu» (10,46). Ce qui signifie qu’ils ont reçu le don de l’Esprit directement, sans la mé-diation de l’imposition des mains des apôtres (à comparer par exemple avec les Samaritains sur qui «l’Esprit n’était pas encore tombé», bien qu’ils aient reçu le baptême, en 8,15-17).

«comme à nous» : cette «Pentecôte» des païens à Césarée est mise par Pierre en relation avec la Pentecôte de Jérusalem où l’Esprit Saint est venu sur les apôtres avec les mêmes manifestations ex-térieures de parler en langues. Ce signe devient dès lors une sorte de confirmation que l’Esprit Saint a bien été reçu.

«purifié» : de même que dans l’évangile, on voit que la foi est requise pour obtenir le salut ma-nifesté par la guérison ou le pardon des péchés (cf. «Ta foi t’a sauvée» : à la femme pécheresse en Luc 7,50 ; à l’hémorroïsse en 8,48), de même ici la foi permet à Dieu de «purifier le cœur», sans qu’il soit plus nécessaire de pratiquer les purifications rituelles. C’est ce que la vision a fait comprendre à Pierre (cf. Actes 10,15 ; 11,9) : «Dieu vient de me montrer à moi qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur» (10,19). Ainsi les événements de Césarée ont montré que, s’ils adhèrent au Christ, les païens ont désormais part aux mêmes pro-messes que les Juifs. Ce qui avait d’ailleurs été confirmé immédiatement lorsque Pierre avait jus-tifié sa décision de baptiser des païens, devant la communauté de Jérusalem : «Ils glorifièrent Dieu en disant : ‘Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie !’» (11,18).

«la foi» : pour les païens, la foi ouvre au salut, puisqu’elle leur obtient le pardon des péchés (cf. 2,38) et le don de l’Esprit. La grâce ayant placé sur le même plan Juifs et païens, ils n’ont donc aucune raison de vivre séparés.

«tentez-vous» : c’est le péché commis par le peuple dès le passage de la mer Rouge : mettre Dieu à l’épreuve en exigeant de sa part un signe ou une intervention (cf. Exode 17,2.7 : «Les Israélites mi-rent le Seigneur à l’épreuve en disant : ‘Le Seigneur

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 47

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

est-il au milieu de nous ?’» ; et Deutéronome 6,16 ; Psaume 78,18-19 ; 95,9 ; 106,34…) Ici il s’agit plus précisément de ne pas assez tenir compte des si-gnes nombreux qu’a déjà donnés Dieu, en impo-sant aux païens des exigences inutiles.

«joug» : expression fréquente dans l’Écriture (Jéré-mie 5,5 ; Lamentations 3,27 ; Osée 10,11…), pour désigner les commandements de la Loi de Moïse, même si le peuple a bien souvent été blâmé pour sa «nuque raide» (Exode 33,3-5 ; Deutéronome 9,6.13…), comme l’a rappelé Étienne devant le Sanhédrin (Actes 7,51).

«porter» : le raisonnement de Pierre ne veut pas discréditer la Loi : elle est une grâce donnée à Israël, même s’il s’est révélé incapable de l’obser-ver. Mais ce serait aller à l’encontre du dessein de Dieu que de l’imposer aussi aux païens puisque l’Esprit a abondamment montré qu’un autre che-min leur était ouvert par la foi. Le raisonnement est proche de celui que Paul développe longue-ment dans ses épîtres aux Romains et aux Galates (cf. Galates 2,15-21 ; 3,19-26 : «La Loi nous servit de pédagogue jusqu’au Christ pour que nous obtenions de la foi notre justification»).

«par la grâce» : Israël a en effet une claire conscien-ce d’être sauvé par la grâce de Dieu puisque c’est dans la délivrance de l’esclavage de l’Égypte et le passage de la mer Rouge que Dieu s’est révélé à lui. Mais ce Dieu qui sauve, il le rejoint désormais par la voie privilégiée de l’observance de la Loi. Pierre, en mettant sur le même plan «eux» (les païens) et «nous» (les Juifs), indique à la fois que les païens re-çoivent la grâce par d’autres moyens que la Loi, et que les Juifs doivent reconnaître en Jésus l’accom-plissement de cette Loi. En un raisonnement sem-blable, mais au ton plus polémique, Paul explique aux Romains que «la Loi est sainte» (7,11), mais que l’homme étant incapable de l’accomplir («La Loi est spirituelle, mais moi je suis un être de chair vendu au pouvoir du péché» : 7,14), le salut ne peut alors nous venir que par la médiation du Christ. «Car, explique-t-il encore, nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi. Ou alors Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement, et non point des païens ? Certes, également des païens ; puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu, qui justifiera les circoncis en vertu de la foi comme les incirconcis par le moyen de cette foi. Alors, par la foi nous privons la Loi de sa valeur ? Cer-tes non ! Nous la lui conférons» (3,28-31).

«Barnabé et Paul» : ce sont eux qui ont été délégués par l’Église d’Antioche pour la première mission d’évangélisation (13,2-3), «envoyés en mission par le Saint-Esprit» (13,4) ; tous deux d’origine juive, ils ont spontanément commencé à annoncer la Bonne Nouvelle dans les synagogues à Salamine (13,5), Antioche de Pisidie (13,14) et Iconium (14,1). C’est devant le refus (13,44) et les persécu-tions (14,2.5.19) des Juifs qu’ils se «tournent vers les païens» (13,46). C’est donc leur ministère qui est à l’origine du différend examiné par l’assemblée.

«signes et prodiges» : Paul et Barnabé ont déjà ren-du compte du résultat de leur mission à la com-munauté d’Antioche qui les avait envoyés : «À leur arrivée, ils réunirent l’Église...» (14,27). Ils ont fait un second exposé en arrivant à Jérusalem : «Ils furent accueillis par l’Église, les apôtres et les anciens, et ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux» (15,4). Mais ici il ne s’agit plus seulement d’expo-ser les faits. Pierre, avec son autorité apostolique, vient de donner une interprétation prophétique de l’œuvre du Saint-Esprit parmi les païens : ils peuvent donc se livrer à une relecture de ce qu’ils ont vécu, qui est moins le récit des événements qu’une interprétation de ce qui s’est passé, à par-tir de l’origine divine qui en a été reconnue. D’où l’utilisation de cette expression «signes et prodiges» qui qualifie, dans la Première Alliance, les hauts faits du Seigneur (cf. par exemple Psaume 135,9 : «Il envoya signes et prodiges, au milieu de toi Égypte, sur Pharaon et tous ses serviteurs»).

«Jacques» : ce Jacques qualifié souvent de «frère du Seigneur», ne doit pas être confondu avec les deux apôtres qui portent le même prénom : Jacques, frère de Jean et fils de Zébédée, qu’Hérode a déjà «fait périr par le glaive» (Actes 12,2), et Jacques fils d’Alphée, dont les Actes ne disent rien de par-ticulier. Il est donc de la parenté de Jésus, sans doute son cousin (cf. Matthieu 13,55 ; et Marc 6,3 : «N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon ?») ; celui dont la mère est restée parmi les saintes femmes à la crucifixion (cf. Mt 27,55 : «entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée» ; et Marc 15,40). À partir du moment où les apôtres quittent Jérusalem, il apparaît comme le chef de la communauté judéo-chrétienne qui y demeure. Son rôle est à plusieurs reprises souligné dans les Actes : par exemple en 12,17 lorsque Pierre, miraculeusement libéré de

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 48

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

sa prison, demande, avant de partir de Jérusalem : «Annoncez-le à Jacques et aux frères» ; mais aussi dans le récit que fait Paul de sa première visite à Jérusalem, après sa conversion : «…je montai à Jérusalem rendre visite à Céphas et demeurai auprès de lui quinze jours : je n’ai pas vu d’autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur» (Galates 1,18-19), et par sa mention d’une apparition par-ticulière du Ressuscité dont Jacques a été favorisé (1 Corinthiens 15,7). Jacques était connu pour continuer à pratiquer strictement les observances juives (cf. Galates 2,11) ; la position qu’il prend ici en est d’autant plus remarquable.

«écoutez-moi» : de même que Pierre s’était expri-mé, pour les apôtres, Jacques prend ici la parole au nom des anciens. Le discours de Pierre apparais-sait comme celui d’un prophète ; le discours de Jacques se présente comme celui d’un pasteur : il va traduire en directives concrètes l’orientation théologique donnée par Pierre. Leurs deux inter-ventions sont d’ailleurs composées de la même manière : un retour sur des faits passés montrant Dieu à l’œuvre (v. 7-9 et 14-17) et la déduction qu’ils en tirent pour résoudre le problème pré-sent (v. 1-11 et 18-21).

«Syméon» : forme sémitique du nom de Simon-Pierre. Jacques est présenté comme un authenti-que représentant des «Hébreux» (cf. 6,1), des ju-déo-chrétiens s’exprimant en araméen.

«un peuple» : s’appuyant sur l’expérience de Cé-sarée faite par Pierre, Jacques l’interprète comme une nouvelle élection qui ne supprime pas la pre-mière, mais la complète. De même que le Seigneur avait tiré les Hébreux d’Égypte pour en faire son peuple, de même d’entre les nations, il a «tiré un peuple». Non un second peuple, mais des person-nes agrégées à «son peuple», le terme étant utilisé dans le sens de l’appartenance au Seigneur com-me en 18,10 : «J’ai à moi un peuple nombreux dans cette ville». L’usage que fait Jacques du mot «Nom» qui, depuis la révélation du Nom de Dieu à Moïse (Exode 3,14), désigne souvent Dieu lui-même, montre bien que, dans sa perspective, il s’agit de continuité plus que de rupture. Les païens conver-tis appartiennent donc au peuple élu et consacré tout comme Israël (cf. déjà la prophétie de Za-charie 2,15 : «Des nations nombreuses s’attacheront au Seigneur en ce jour : elles seront pour lui un peu-ple»).

«Prophètes» : Jacques ne s’appuie pas comme Pierre sur une manifestation de l’Esprit Saint, mais, de manière significative, sur une citation de l’Écriture, ce qui affirme encore avec plus de force la continuité du dessein de Dieu. La phrase est tirée du prophète Amos (9,11-12), mais elle est citée d’après la version de la Septante qu’utilise habituellement Luc – c’est-à-dire la Bible hébraï-que traduite en grec dans la diaspora juive qui ne comprenait plus bien l’hébreu classique. Il est peu vraisemblable qu’un «Hébreu» cite l’Écriture en grec, mais l’idée et le vocabulaire sont, dans cette version, plus propices à sa démonstration (ou à celle de Luc !).

«la tente de David» : il s’agit en Amos d’un oracle de restauration du royaume de David, dont il ne reste plus qu’une «tente» fragile, puisqu’il a été di-visé en deux royaumes rivaux, Israël et Juda, et se trouve menacé par la puissance assyrienne. Dans le texte hébraïque, l’expression caractéristique «en ce jour-là» (remplacée ici par : «après cela») donne à l’oracle une portée eschatologique.

«ainsi que toutes les nations» : la version de la Sep-tante diffère ici de celle de la Bible hébraïque. Le texte dit : «afin qu’ils possèdent le reste d’Édom et toutes les nations qui furent appelées de mon nom», c’est-à-dire qui me sont consacrées. Il s’agit du seul passage de la Première Alliance où le nom de Dieu est appliqué aux nations païennes. La traduc-tion grecque lui donne une portée encore plus universaliste : «le reste», c’est-à-dire la part d’Israël resté fidèle, et les païens y sont placés sur un pied d’égalité («ainsi que»). Dans la perspective de Jac-ques – comme plus haut celle de Pierre –, cela signifie que tous forment un seul peuple apparte-nant au Seigneur, même si cette appartenance se réalise par des voies différentes.

«fait connaître» : déjà par les prophètes de la Pre-mière Alliance, Dieu a révélé qu’il voulait attirer tous les hommes à lui, par pure grâce, selon les modalités qu’il a choisies.

«moi» : la formule confirme l’autorité que Jacques exerce à cette époque sur la communauté de Jé-rusalem (cf. aussi Galates 2,9 où il est nommé en premier, avant Pierre et Jean). Il met fin au débat en fixant, au nom des anciens, des dispositions prati-ques qui seront adoptées dans leur communauté. Ces normes vont être ensuite entérinées par «les

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 49

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

apôtres, les anciens et l’Église tout entière» (15,22) et reprises dans la lettre que Paul et Barnabé vont être chargés de communiquer à la communauté d’Antioche (15,22-29).

«ne pas tracasser» : il s’agit d’une véritable dispo-sition juridique («je juge») qui donne aux païens agrégés au peuple de Dieu un statut propre et une place particulière dans l’histoire du salut (cf. Josué 24,25 : «Ce jour-là, Josué conclut une alliance pour le peuple, il lui fixa un statut et un droit»).

«mande seulement» : à première lecture, il pour-rait sembler qu’il y ait opposition avec le discours de Pierre – qui concluait qu’il ne fallait faire pe-ser aucune obligation sur les convertis venus du paganisme – et contradiction interne dans le dis-cours de Jacques lui-même, puisqu’il a commencé par approuver la position de «Syméon» : comment peut-il alors énumérer maintenant les règles aux-quelles doivent se soumettre les païens ? Mais la contradiction disparaît lorsqu’on se rend compte que ces règles renvoient à ce que le judaïsme ap-pelle les commandements noachiques, c’est-à-dire une sorte de loi naturelle qui s’impose à tous les fils de Noé – donc à tous les hommes – avec qui Dieu a passé, après le déluge, une alliance symbo-lisée par l’arc-en-ciel (Genèse 9,12-13). Il s’agit de dispositions très générales, touchant à l’idolâtrie et aux fautes sexuelles, que reprennent les cha-pitres 17 et 18 du Lévitique, en précisant qu’elles s’appliquent à «l’Israélite et à l’étranger qui réside parmi vous» (Lévitique 17,13). Ces lois noachiques ont donc été reprises par la Loi de Moïse pour permettre la coexistence des Juifs et des païens, ce qui est bien le but pratique visé par la position de Jacques.

«souillé par les idoles» : ce sont les viandes offertes en sacrifice dans les temples païens, dont le sur-plus se retrouvait sur les marchés et qu’on pou-vait donc être amené à consommer. Le problème devait être récurrent puisque Paul mène pour les Corinthiens une longue discussion sur ces «ido-lothytes» (1 Corinthiens 8-10) ; il conclut dans le sens de la liberté («Tout ce qui se vend au mar-

ché, mangez-le sans poser de questions pour motif de conscience» : 10,28), mais aussi de la charité en veillant à ne pas scandaliser ceux «qui n’ont pas la science» : «Si un aliment doit causer la chute de mon frère, je me passerai de viande à tout jamais pour ne pas causer la chute de mon frère» (8,13).

«du sang» : cela peut se comprendre de deux ma-nières : ne pas verser le sang, c’est-à-dire ne pas tuer, ce qui est bien sûr un principe noachique (en même temps qu’un article du Décalogue) ; ou, plus vraisemblablement dans cette discussion qui part d’une question de pureté rituelle : ne pas man-ger de la viande non saignée, selon l’interdit fait d’abord à Noé – «Tu ne mangeras pas la chair avec son âme, c’est-à-dire le sang» (Genèse 9,4s) –, et repris aussi dans la Loi de Moïse.

«Moïse» : on perçoit dans ce dernier verset du dis-cours, plus que dans les restrictions légères im-posées, que la position de Jacques reste en retrait par rapport à celle de Pierre (et surtout de Paul), sur la question du rapport au judaïsme. Tout en respectant la spécificité des convertis venus des nations et en proposant des dispositions permet-tant de rester en communion avec eux, il affirme en effet la pérennité des usages et de la liturgie juive (symbolisée par la lecture de la Loi à l’office du sabbat). Le peuple juif garde donc sa place par-ticulière dans le plan divin de salut du monde. On peut penser que si Jacques avait été plus écouté des communautés d’origine païenne, rapidement devenues majoritaires dans l’Église, peut-être se serait-on épargné des siècles d’incompréhension et de violences !La position de Paul – qui reconnaît cependant que «les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance» (Romains 11,29) – est beaucoup plus radicale (cf. Romains 9-11), et il se fait, dans l’épître aux Galates, l’écho de difficultés persistantes à propos de rites alimentaires, l’ayant opposé à Pierre, bien après, semble-t-il, l’assemblée de Jérusalem (Ga-lates 2,11-16). Malgré la position de conciliation dont Luc se fait ici l’écho, les difficultés entre ju-daïsme et christianisme ont bien perduré au cours des siècles !

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 50

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Dieu éternel, vivant et vrai,au commencement de l’humanité renée des eaux du déluge,tu as voulu faire alliance avec Noé et tous les fils des hommes nés de lui.Au commencement de l’histoire du peuple élu,tiré de l’esclavage à travers les eaux de la mer Rouge,tu as voulu lui donner en Moïse une Loi d’alliance.Et voici qu’à la plénitude des temps,dans l’alliance nouvelle et éternelle en ton Fils Jésus,des hommes de toutes races, langues et peuples renaissent des eaux du baptême.Sois béni, Seigneur, pour ce signe qui fait de tous,juifs et païens, hommes et femmes, riches et pauvres,tes fils et tes filles également bien-aiméset des frères et sœurs qui ensemble se retrouvent pour te louer.Sois béni pour l’œuvre de grâce de ton Esprit Saintqui, des quatre vents, rassemble en ton Église tous ceux qui s’ouvrent à lui. Sois béni pour la fidélité du peuple juif qui, au long des siècles,a gardé tes commandements dans l’attente de la venue de ton Messie.Et pardonne-nous tout ce qui, en ton Église, olivier sauvage greffé sur l’olivier franc (Romains 11),a été incompréhension, mépris et persécutions de ces frères aînés dans la foi.Fais de nous en vérité des frères, heureux de partagerla table de ta Parole et de ton Pain,prémices du banquet des noces éternellesoù tu nous convies et veux sans fin nous rassasier,dans la communion de ton amour. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Théophile, au nom grec, s’était senti fort concerné par la formation de la communauté d’Antioche, la ville où est sans doute né son ami Luc ; il avait été rempli de joie en apprenant que l’Esprit Saint avait répandu ses dons sur la famille de Corneille le centurion, obligeant en quelque sorte Pierre

à les baptiser. Comment à présent n’aurait-il le cœur gonflé d’espérance, à l’image de la voile du bateau qui emporte les premiers missionnaires vers l’île de Chypre ? Voici que la Parole atteint de nouveaux rivages, voici qu’elle vient toucher un magistrat romain aussi bien que des Juifs asiates, les habitants des villes de Galatie comme les paysans lycaoniens, et que, par la grâce du Seigneur, à la parole des envoyés, des hommes, des femmes embrassent la foi au Christ, des communautés nouvelles se forment et s’or-ganisent par le ministère de ces envoyés.

«Ces hommes inspirés et vraiment dignes de Dieu que sont les apôtres du Christ ont été extrêmement purifiés dans leur vie, la grâce ornant leur âme de toutes les vertus. C’est par la puissance divine, seule

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 51

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

capable de réaliser des prodiges qu’ils étaient forts. Ce n’est pas par la persuasion et l’art du discours qu’ils savaient expliquer les enseignements de leur Maître ; ils ne l’essayaient même pas. Seules, la démonstration de l’Esprit divin qui collaborait avec eux, et la puissance thaumaturgique du Christ qui agissait par eux leur étaient utiles. Ils annonçaient la connaissance du Royaume des cieux à toute la terre habitée, sans se soucier d’écrire des livres ! Ils agissaient ainsi parce qu’ils étaient requis pour un service qui est plus grand, au-dessus de l’homme.» (Eusèbe de Césarée, IVe s.)

Mais Théophile a bien entendu aussi l’enseignement de Paul : «Il faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu» (14,22). Il se souvient : Jésus redressant la femme courbée et sus-citant l’indignation dans la synagogue (Luc 13,10-14) ; Pierre, relevant le boiteux devant la Belle Porte (Actes 3,4-8), et emprisonné (4,1-4) ; et maintenant Paul guérissant un impotent (14,8-10) et lapidé (14,19). Partout les disciples expérimentent en leur chair le passage par la mort, à la suite du Christ, vers la résurrection. Partout l’annonce de la Bonne Nouvelle suscite la contradiction ; les signes même du salut font lever l’opposition. «Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre ? avait pré-venu Jésus. Non, je vous le dis, mais bien la division» (Luc 12,51).

«Tout ce que le Fils de Dieu a fait et enseigné pour la réconciliation du monde, nous ne le connaissons pas seulement, par l’histoire du passé, mais nous l’expérimentons aussi par la puissance de ses œuvres présentes. C’est avec lui que souffre non seulement le courage glorieux des martyrs, mais aussi la foi de tous ceux qui renaissent au bain de la régénération. Lorsqu’en effet on renonce au diable pour croire en Dieu, lorsqu’on passe de la vétusté au renouvellement lorsqu’on dépose l’image de l’homme terrestre pour revêtir la forme céleste, il se produit comme une sorte de mort et comme une espèce de résurrec-tion ; si bien que celui qui est reçu par le Christ et qui reçoit le Christ n’est plus, après le bain du baptême, ce qu’il était avant, mais le corps du régénéré devient la chair du Crucifié.» (S. Léon le Grand, Ve s.)

Cette division, qui nous confor-me au Crucifié, songe Théophile, ne passe pas seulement entre ceux qui l’acceptent ou le rejettent, entre ceux qui se laissent toucher par la Parole et ceux qui préfèrent écouter les faux prophètes, tel Elymas de Paphos (13,6s), entre ceux qui s’ouvrent à la nouveau-té de l’Esprit et ceux qui ne veulent en rien voir remis en cause leurs croyan-ces ou leurs privilèges. Syméon l’avait prophétisé dans le Temple : «Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction (…) afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs» (Luc 2,34-35). Cette di-vision, si visible extérieurement, passe aussi à l’intérieur de chacun et révèle nos déchirements intérieurs, nos réti-cences et nos refus ; elle suppose qu’en nous se poursuive l’œuvre de discer-nement de l’Esprit.

«C’est une lumière de vraie connaissance que de discerner sans erreur le bien du mal ; car alors le chemin de la justice, qui mène l’esprit vers le soleil de justice, l’introduit dans l’illumination infinie de la connaissance, parce qu’il cherche désormais résolument la charité (…) C’est seulement au Saint-Esprit

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 17 juin 2011 | 52

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

qu’il appartient de purifier l’esprit. Il faut donc par tous les moyens, et spécialement par la paix de l’âme, lui offrir un gîte, afin d’avoir la lampe de la connaissance toujours brillante en nous ; car si elle rayonne sans cesse dans les replis de l’âme, non seulement toutes ces dures et sombres insinuations des démons deviennent évidentes, mais encore elles s’affaiblissent considérablement, confondues par cette sainte et glorieuse lumière. Aussi l’Apôtre dit-il : ‘N’éteignez pas l’Esprit’, c’est-à-dire : N’allez pas par vos mauvai-ses actions et vos mauvaises pensées, contrister la bonté du Saint-Esprit, afin de ne pas vous priver du secours de cette clarté. Car celui qui est éternel et vivifiant ne s’éteint pas, mais sa tristesse, c’est-à-dire son éloignement, abandonne l’esprit dans l’obscurité, sans la lumière de la connaissance.» (Diadoque de Photicé, Ve s.)

*

Mais voilà que la division se fait douloureusement présente entre ceux qui ont suivi le long che-minement de la fidélité à la Loi de Moïse, pour reconnaître en Jésus le Messie tant attendu, et ceux qui, comme Théophile, ont d’un coup été éblouis par la lumière du Ressuscité. Faudrait-il qu’en sa chair il reçoive le signe de l’alliance, lui qui déjà se sent uni par son baptême à «la chair du Crucifié» ? Faudrait-il que, pour être sauvé par la grâce du Christ, il revive d’abord les étapes de l’histoire du peuple élu ? L’Esprit n’a-t-il pas montré en Corneille et en bien d’autres, qu’il ne s’embarrassait guère d’interdits et savait bousculer formes et rites ? Certes Théophile éprouve un immense respect pour ce peuple fidèle et obstiné qui, si souvent maltraité, déporté, exilé, a gardé au cœur l’amour du Dieu unique qui s’était révélé à lui. Qui a veillé jalousement, comme on garde un trésor, sur son élection, au prix d’un peu de fierté et d’innombrables souffrances. Qui a traversé les douleurs de l’histoire, porté par «l’amour des premiers jours» (Jérémie 2,2) et par l’attente invincible de l’accomplissement des promesses. Mais comme il est soulagé et heureux d’entendre Pierre l’apôtre et Jacques l’ancien rappeler, chacun à sa manière, qu’aux païens aussi est «ouverte la porte de la foi» (Actes 14,27), qu’avant l’alliance du Sinaï, une autre alliance, plus large et plus légère à la fois, avait été passée par Dieu, aux temps immémoriaux du déluge, avec tout homme désirant, comme Noé, «marcher avec lui» (Genèse 6,9). Comme il est joyeux, de la joie de l’Esprit, d’entendre que la communion est possible, que ses frères venus du judaïsme ou convertis du paganisme, tous deviennent un en Christ.

«Hommes, femmes, enfants, profondément divisés sous le rapport de la race, de la nation, de la langue, du genre de vie, du travail de la science, de la dignité de la fortune, tous, l’Église les recrée dans l’Esprit. À tous également elle imprime une force divine. Tous reçoivent d’elle une nature unique, impossible à rompre une nature qui ne permet plus qu’on ait désormais égard aux multiples et profondes différences qui les affectent. En elle, nul n’est le moins du monde séparé de la communauté, tous se fondent, pour ainsi dire, les uns dans les autres par la force simple et indivisible de la foi. Le Christ est aussi tout en tous, lui qui enferme tout en lui selon la puissance unique, infinie, où convergent les lignes. C’est pourquoi les créatures du Dieu unique ne demeurent point étrangères ou ennemies les unes par rapport aux autres, ce qui serait si elles n’avaient pas de lieu commun où manifester leur amitié et leur paix.» (Maxime le Confesseur, VIIe s.)

Cette perspective a de quoi dilater le cœur ! Mais Théophile songe aussi à la parabole que son ami Luc est le seul à rapporter : celle du Père si aimant et de ses deux fils qui, chacun à leur façon, ne savent pas aimer (Luc 15,11-32). Il se sent, lui, comme le cadet parti bien loin en ignorant son Père, mais qui a su revenir et a reçu d’un coup la tunique et l’anneau, le festin et les baisers, signes de la miséri-corde surabondante de Dieu. Et il prie pour son frère juif, le fils aîné, si obéissant, qui ne comprend pas la générosité insensée de son Père et qui, pour un peu, se sentirait lésé, alors qu’il lui est tendrement dit : «Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi» (15,31). Il prie pour qu’aîné et cadet, le raisonnable devenu fou de la folie de Dieu, et l’insensé accueilli par la sagesse de Dieu, oubliant injustices et rancunes, entrent ensemble pour festoyer dans la demeure du Père.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 53

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 15,36-19,20

Après l’assemblée de Jérusalem qui a solennellement accepté que Juifs et païens, recevant la Bon-ne Nouvelle du salut, forment ensemble une même communauté de frères, et qui a promulgué quelques dispositions pratiques permettant la vie en commun, une nouvelle étape peut s’ouvrir

dans l’œuvre d’évangélisation. Une nouvelle partie commence donc, dans le récit des Actes, centrée sur les missions de Paul. Celui-ci est désormais le protagoniste principal, accompagné de quelques disci-ples : Silas (15,40), Timothée (16,1-3), Aquilas et Priscille (18,2-3), et sans doute Luc lui-même puisqu’on trouve, en 16,10-15, le premier de ces «passages en ‘nous’», comme disent les exégètes, qui font penser que Luc a bien participé au voyage et a été le témoin direct des événements qu’il raconte.

Nouvelle ère aussi, car la mission se déroule maintenant dans un milieu presque exclusivement grec, où les liaisons sont surtout maritimes, l’évangélisation gagnant ainsi de port en port. Si l’on consi-dère que la première mission de Paul, en compagnie de Barnabé, avait été celle qui l’avait conduit à par-tir d’Antioche vers Chypre, la Pamphilie et la Lycaonie (ch. 13-14), c’est une seconde mission qui com-mence ici et va le mener, toujours au départ d’Antioche, vers l’Europe (15,36-18,23) ; puis une troisième qui va le conduire d’abord à Éphèse (18,24-19,20). Il ne faut pas attendre un récit circonstancié de ces missions ; Luc se contente d’indiquer les villes étapes, en notant surtout les oppositions rencontrées, et résume la prédication de Paul en un grand discours adressé aux Athéniens sur l’Aréopage (17,22-31).

La deuxième mission de Paul constitue donc la part la plus importante des chapitres que nous lisons ce mois-ci (15,36-18,23). Après une longue introduction relatant le départ d’Antioche en compagnie de Silas (15,36-40), le passage par les cités d’Asie déjà évangélisées (15,41-16,5) et l’inter-vention décisive de l’Esprit Saint leur enjoignant d’aller en Macédoine (16,5-10), trois étapes principales structurent le voyage : Philippes où Paul, après avoir opéré quelques conversions et une délivrance, est emprisonné (16,11-40) ; Thessalonique, Bérée et Athènes où les difficultés avec les Juifs se précisent et où Paul s’essaie à un dialogue avec les philosophes (17,1-34) ; Corinthe enfin, où la prédication se heurte à l’opposition des Juifs et à l’indifférence du magistrat romain (18,1-17).

Ces trois étapes où la Parole est donc confrontée tour à tour à la religion juive, à la philosophie grecque et au droit romain, semblent déboucher sur des échecs et des départs forcés, bien que des conversions, parfois nombreuses, soient cependant signalées en chaque ville (16,14.34 ; 17,4.12.34 ; 18,8). Mais, selon le schéma des Actes, la Parole poursuit sa course en des terres de plus en plus éloi-gnées géographiquement et culturellement de Jérusalem. Deux visions encadrent le voyage et montrent que Dieu est bien toujours à l’œuvre avec les missionnaires : au début, celle du Macédonien demandant de l’aide, qui détermine l’itinéraire par l’action de l’Esprit Saint (16,9-10) ; vers la fin, celle du Seigneur lui-même, venu conforter Paul dans la poursuite de sa mission (18,9-10).

Les débuts de la troisième mission sont plus flous : de Corinthe, Paul retourne à Antioche, avant de repartir en passant à nouveau – comme cela avait été le cas au début de son périple précé-dent (15,34-41) – par les villes déjà évangélisées (18,18-23). Le début de la mission proprement dite, qui conduit Paul cette fois en Asie, a pour cadre la grande ville d’Éphèse. Après une notice présentant le personnage d’Apollos ( 18,24-29), est relatée une nouvelle Pentecôte destinée aux Asiates (19,1-7) que l’on peut comparer à la «Pentecôte des païens» en 10,44-49. Elle précède la fondation de l’Église d’Éphèse (19,8-10) dont le commencement est marqué par des exorcismes délivrant la population des pratiques magiques (19,10-19).

Il serait fastidieux de détailler toutes les étapes de cet itinéraire. Arrêtons-nous seulement aux épisodes les plus significatifs.

*

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 54

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

L’appel du Macédonien est le premier d’entre eux (16,9-10). Alors que le périple avait com-mencé par une visite des communautés fondées lors de la première mission et qu’il semblait s’agir, non plus de fonder, mais d’«affermir» les Églises (15,40 ; 16,5), on pouvait s’attendre à ce qu’il se poursuive vers la Phrygie et la Galatie, plus au nord. Mais Luc indique à deux reprises, sans plus de commentaire, que l’Esprit – «le Saint-Esprit» (16,6), «l’Esprit de Jésus» (16,7) – s’oppose à ces projets.

Au terme d’un long voyage qui tient en trois versets, mais représente quelques 1.500 kilomètres, c’est une vision de Paul qui indique plus positivement le dessein de Dieu. De même que Pierre avait été préparé par une vision au ministère qu’il devait accomplir auprès de Corneille et des siens (10,9-16), Paul est convié à passer en Europe par la vision d’un Macédonien l’appelant au secours (16,9). Alors qu’il s’est toujours jusque-là adressé d’abord aux Juifs dans les synagogues, c’est maintenant vers des peuples de religion et de culture différentes qu’il est envoyé. L’Esprit Saint, divers dans ses manifestations mais toujours efficace dans ses interventions, demeure bien l’acteur principal de l’œuvre d’évangélisation.

Il est remarquable que la première rencontre faite par Paul et ses compagnons à Philippes, la pre-mière ville de Macédoine qu’ils atteignent (16,12), soit celle de femmes en train de prier (16,13). Elles vont former, autour de Lydie qui «adorait Dieu» (16,14) le noyau de la communauté de Philippes, restée chère au cœur de Paul, comme le montre l’épître qui lui est adressée. De la même manière, autour de Marie, «quelques femmes» ont présidé dans la prière aux débuts de la communauté de Jérusalem (1,14).

Après l’emprisonnement de Paul et Silas, que nous méditons plus particulièrement ce mois-ci, deux autres épisodes importants se jouent l’un face aux docteurs juifs, à Thessalonique et Bérée (17,1-15), l’autre face aux philosophes grecs, à Athènes (17,26-32).

C’est la Parole de Dieu qui demeure, pour les Juifs de la diaspora, la pierre d’achoppement. Paul, Juif pieux parmi les autres, sanctifie le sabbat en discutant «d’après les Écritures» (17,2) ; mais il s’en sert pour établir que «le Christ, c’est ce Jésus (qu’il) annonce» (17,3). Sa prédication à Thessalonique suscite quelque intérêt (16,4), mais surtout beaucoup d’hostilité due à «la jalousie» (16,5). Le même schéma qu’à Antioche de Pisidie (13,14-51) se reproduit : la Parole est mieux accueillie par les Grecs que par les Juifs, et les missionnaires doivent quitter la cité. À Bérée en revanche, l’accueil est plus favorable : les Juifs étudient «chaque jour» avec Paul et «examinent les Écritures pour voir si tout était exact» (17,11) ; aussi les conversions sont-elles nombreuses (17,12), avant que n’éclatent de nouveaux troubles (17,13).

Pour les philosophes que rencontre ensuite Paul, parvenu seul à Athènes (17,16), autre est la pierre d’achoppement et autre la méthode pastorale de l’apôtre. La prédication se déplace de la synago-gue à l’agora ; la démonstration ne se fait plus en s’appuyant sur l’Écriture, mais en partant de la sagesse profane pour essayer de trouver une nouvelle manière de dire la Révélation. À vrai dire, la réussite n’est pas plus manifeste qu’avec les Juifs, ce qui ne montre pas, comme on pourrait le conclure un peu vite, qu’il ne faut pas tenter de présenter au monde «le langage de la croix» (1 Corinthiens 1,18), mais ce qui confirme que le témoignage, à la suite de Jésus, passe nécessairement par l’humiliation de la croix : Paul est traité de «perroquet» (littéralement : «picoreur de graines», quolibet qui se retrouve chez des auteurs grecs : 17,14) et moqué lorsqu’il parle de résurrection (17,32).

Luc traite plus longuement cette séquence car il y donne un exemple de la prédication de Paul aux Grecs (17,22-31), comme il l’avait fait pour la prédication aux Juifs en 13,16-41. Balancé selon les règles de la rhétorique, le discours de Paul commence par une captatio benevolentiæ (17,22) qui flatte les auditeurs et pique leur intérêt pour ce «Dieu inconnu» que Paul dit annoncer (17,23). Il annonce ef-fectivement un Dieu créateur de l’univers (17,24-25) et de l’homme, rendu ainsi capable de le chercher (17,26-29), avant d’appeler au repentir en vue du jugement (17,30-31). Le raisonnement laisse la place à la foi, ce qui ne suscite que moquerie ou dédain (17,32). Cet échec dans l’adaptation de la Révélation chrétienne à la pensée grecque a sans doute détourné Paul des discours de sagesse, comme il l’expli-que aux Corinthiens (1 Corinthiens 1,18-2,16) ; mais on assiste néanmoins ici à la première tentative d’inculturation de la foi, mouvement qui ne va plus cesser dans l’Église.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 55

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

L’étape suivante de Corinthe où Paul rencontre Aquilas et Priscille, Juifs originaires du Pont mais venant de Rome (18,2), offre un visage contrasté : des Juifs, dont le chef de la synagogue, et des Grecs se convertissent et se font baptiser (18,8) ; mais l’hostilité de la plupart est telle qu’elle devient blasphématoire et provoque le geste, recommandé par Jésus aux missionnaires mal reçus (Luc 10,10-11), de secouer la poussière de ses vêtements (Actes 18,6). À Corinthe, Paul est conforté dans sa mission par une vision (18,9-10), et il peut séjourner un certain temps, sans être inquiété – un an et demi, est-il pré-cisé (18,11), à comparer avec l’année passée à Antioche (11,26) et aux deux années d’Éphèse (19,10) – ; mais à Corinthe aussi, on le traîne une fois de plus devant le tribunal (18,12-13) où il ne doit sa libération qu’à l’absence de griefs juridiques fondés contre lui et à l’indifférence du proconsul Gallion (18,14-15).

Le début de la troisième mission se déroule à Éphèse où Paul aborde une première fois (18,19) – avant de repartir à Antioche pour clore son second périple –, puis revient (19,1) pour y fonder la dernière Église mentionnée par les Actes (19,8-10). Entre ces deux passages, est présentée l’action d’Apollos (18,24-28), qui semble préparer la sienne, à la manière d’un Jean Baptiste, dont il a reçu d’ailleurs le baptême (18,25). Apollos, présenté comme un Juif d’Alexandrie, une des grandes métropoles culturelles de l’Empire, montre par son érudition et son éloquence «la Voie du Seigneur» (18,29), comme l’avait prêché Jean le Baptiste (Luc 3,4) ; et comme Jean l’avait fait pour Jésus, il prépare la mission de Paul. Bien qu’il soit plusieurs fois mentionné par Paul dans ses lettres (1 Corinthiens 1,12 ; 3,4-6.22 ; 16,12 ; Tite 3,13), le rédacteur lui fait quitter la scène au moment où Paul lui-même arrive à Éphèse, de la même manière que, dans l’évangile, il faisait sortir de l’histoire le personnage de Jean, en mentionnant brièvement son arrestation (Luc 3,20), avant de commencer à raconter les débuts du ministère de Jésus.

C’est peut-être Apollos qui a baptisé les «disciples» que Paul – contrairement à son habitude qui le conduit d’abord dans les synagogues – rencontre dès son arrivée à Éphèse (19,1). Ceux-ci en effet n’ont été baptisés que du baptême de Jean et n’ont pas reçu l’effusion de l’Esprit (19,2-3). Comme cela s’était passé lors des premières conversions en Samarie, où les apôtres Pierre et Jean étaient venus imposer les mains aux nouveaux baptisés (8,14-17), ils doivent recevoir l’imposition des mains de Paul pour que les promesses messianiques s’accomplissent pleinement pour eux et que le don de l’Esprit se manifeste par le signe habituel du charisme des langues (19,5-6). Il est précisé qu’ils sont «une douzaine» (19,7), lors de cette petite Pentecôte de l’Asie, référence appuyée aux Douze qui, ayant reçu l’Esprit de Pentecôte (2,1-4), ont formé la première communauté de Jérusalem. Ils sont bien en effet les prémisses de l’Église d’Éphèse ; celle-ci se forme dans la continuité, mais aussi dans la rupture puisque Paul, devant les critiques des Juifs, quitte la synagogue, au bout de trois mois, et prêche désormais dans un lieu public païen : «l’école de Tyrannos» (19,8-9).

C’est aussi un rappel de la puissance du Nom de Jésus, expérimentée par les apôtres à Jérusalem, dans la guérison du boiteux (3,6) et la parole de Pierre (4,10-12), qui se lit dans le dernier épisode (19,11-19). Paul, comme l’avait fait Pierre, accomplit lui aussi des actes de puissance, guérisons et déli-vrances (19,11-12 ; cf. 5,12.15-16) ; mais l’usage du Nom de Jésus suppose que l’on croit en lui et qu’on se laisse habiter tout entier par la Parole : c’est ce qu’apprennent à leurs dépens les «exorcistes juifs» qui avaient réduit ce Nom à une simple formule magique et sont malmenés par l’esprit mauvais qu’ils tentaient de chasser (19,16). Car, comme l’évangile l’avait déjà noté à plusieurs reprises (par exemple Luc 4,34.41), le démon «connaît» Jésus et «sait qui est» Paul qui a livré sa vie au Christ (19,15). La mésa-venture sert finalement à la glorification du Nom de Jésus (19,17), dont le signe concret est l’abandon par tous des pratiques magiques (19,18-19), sa puissance de vie triomphant des forces de mort.

Luc ne dit finalement pas grand chose de ce long ministère de Paul à Éphèse, qui a duré deux ans (19,10). Mais le verset de conclusion (19,20) reprend la constatation qui scande, tel un refrain, les différentes étapes de la course de la Parole : non seulement elle croît, comme cela est dit dès le début des Actes, mais elle «s’affermit», ce qui est propre à cette section (16,5 ; 18,23 ; 19,20). Tout est en place pour la dernière et longue étape qui va mener Paul jusqu’au cœur de l’Empire, à Rome.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 56

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - La délivrance de Paul et Silas (16,25-34)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Au cours de ses missions, Paul, comme tous les apôtres avant lui, rencontre l’opposition, l’hostilité, les sévices. Dans le passage que nous méditons ce mois-ci, nous

le retrouvons, avec Silas son compagnon, dans la prison de Philippes. Mais, au milieu de la nuit, un tremblement de terre ouvre la porte et délivre les prisonniers. S’agit-il du récit d’une délivrance miraculeuse, comme celle qu’a connue Pierre à Jé-rusalem ? Luc a-t-il seulement voulu montrer que ce que le Seigneur avait fait pour Pierre, il l’accomplit pareillement pour Paul ?

Un détail cependant interdit d’assimiler ces deux ré-cits l’un à l’autre : c’est qu’ici les prisonniers ne s’évadent pas, mais l’intérêt se porte sur le geôlier apeuré, puis repentant et converti. Ainsi la mission des apôtres ne s’interrompt pas, quelles que soient les difficultés, voire les persécutions ren-contrées ; celles-ci, loin de les décourager, les configurent plus étroitement au Christ pascal et ravivent la grâce du baptême dans sa mort et sa résurrection. Dans sa tâche d’évangélisation, l’apôtre est assuré de la présence efficace du Seigneur qui construit son Église par les sacrements et ne cesse d’y appeler de nouveaux membres, jusqu’à ce que tous soient rassemblés pour festoyer dans la joie, dans la maison du Père.

16 [25] Vers minuit, Paul et Silas, en prière, chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les écoutaient. [26] Tout à coup, il se produisit un si violent tremblement de terre que les fondements de la prison en furent ébranlés. À l’instant, toutes les portes s’ouvrirent, et les liens de tous les prisonniers se détachèrent. [27] Tiré de son sommeil et voyant ouvertes les portes de la prison, le geôlier sortit son glaive ; il allait se tuer, à l’idée que les prisonniers s’étaient évadés. [28] Mais Paul cria d’une voix forte : «Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici.»

[29] Le geôlier demanda de la lumière, accourut et, tout tremblant, se jeta aux pieds de Paul et de Silas. [30] Puis il les fit sortir et dit : «Seigneurs, que me faut-il faire pour être sauvé ?» [31] Ils répondirent : «Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et les tiens.» [32] Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison. [33] Le geôlier les prit avec lui à l’heure même, en pleine nuit, lava leurs plaies et sur-le-champ reçut le baptême, lui et tous les siens. [34] Il les fit alors monter dans sa maison, dressa la table, et il se réjouit avec tous les siens d’avoir cru en Dieu.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 57

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«minuit» : l’Écriture montre souvent les grands événements de libération et de salut se déroulant en pleine nuit, depuis le départ de l’Égypte vers la Terre promise (Exode 12,42), jusqu’à la nuit de la Nativité (Luc 2,7) et à celle de la Résurrection. C’est aussi au milieu de la nuit que le Seigneur re-viendra : «Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller !» (Luc 12,27).

«Silas» : c’était l’un des hommes désignés par les apôtres et les anciens de Jérusalem pour porter le décret de l’assemblée à la communauté d’Antioche (Actes 15,22). Silas, appelé Silvain dans les épîtres (2 Corinthiens 1,19 ; 1 Thessaloniciens 1,1 ; 2 Thes-saloniciens 1,1 ; 1 Pierre 5,12), est donc un Juif origi-naire de Jérusalem. Mais, une fois sa mission accom-plie, il va rester à Antioche et, après la dispute entre Barnabé et Paul (15,36-39), devenir le compagnon de ce dernier au cours de ses missions (15,40). Se-lon les Actes, il va accompagner Paul jusqu’à Corin-the (18,5), c’est-à-dire pendant près de trois ans.

«louanges» : littéralement, des hymnes. Le même terme en Hébreux 12,2 introduit une citation du Psaume 22,13 : «J’annoncerai ton nom à mes frères, en pleine assemblée je te louerai». Il rappelle aussi l’attitude prêtée à David par le Psaume 119,62 : «Je me lève à minuit, te rendant grâce pour tes justes jugements». Mais, si le mot est rare, l’attitude qu’il exprime paraît constante chez Paul. Cf. par exem-ple Colossiens 3,16 : «Que la Parole du Christ réside chez vous en abondance : instruisez-vous en toute sagesse par des admonitions réciproques. Chantez à Dieu de tout votre cœur avec reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés.»

«prisonniers» : en grec, desmios. Le texte grec mul-tiplie les termes (traduits par cachot, geôlier, liens) venant de la même racine qui signifie «lier». On est bien ici en présence d’un récit de délivrance. Paul et Silas, à leur arrivée à Philippes en Macédoine, ont d’abord cherché à annoncer la Bonne Nouvelle aux Juifs de la ville (16,13) ; mais, ayant délivré une servante d’un «esprit divinateur» (16,16), ils sont dé-noncés par ses maîtres, qui en tiraient profit, aux autorités romaines, sous prétexte qu’ils «jettent le trouble dans notre ville» (16,20). C’est ainsi qu’après avoir été battu de verges, ils se retrouvent, au mi-lieu d’autres prisonniers de droit commun, enfer-més dans «le cachot intérieur» (16,24) et confiés au geôlier. On se souvient que, dans des circonstances semblables, Pierre et Jean avaient été emprisonnés

après avoir guéri le boiteux qui se tenait devant la Belle Porte du Temple de Jérusalem (3,3-8 ; 4,1-3).

«Tout à coup» : le rapprochement s’impose avec Ac-tes 2,2 : «Tout à coup vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent…» Après la Pentecôte de Jérusalem, c’est bien à une autre Pentecôte que l’on assiste maintenant, et elle touche l’Europe. L’Esprit qui a conduit Paul à y venir, par la vision du Macédo-nien demandant son aide (16,9-10), manifeste claire-ment sa présence auprès des missionnaires et son action efficace pour les aider. On se souvient que la libération de Pierre et Jean, emprisonnés par le Sanhédrin, avait été aussi accompagnée d’une autre petite Pentecôte intervenue, comme ici, pendant la prière commune : «Tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance» (4,31).

«tremblement de terre» : comme dans le récit de la Pentecôte, Luc n’accentue pas l’aspect de mer-veilleux et utilise un vocabulaire un peu distancié – ce n’étaient pas des langues de feu, mais «des langues qu’on eût dites de feu» (2,3) qui s’étaient posées sur les apôtres –, ou un vocabulaire tout à fait naturel : «un violent coup de vent» (2,2), et ici «un violent trem-blement de terre» (dont on sait qu’ils sont fréquents dans cette région). Phénomène naturel ou surnatu-rel ? Luc laisse son lecteur libre d’en juger. Mais on sait que ces phénomènes cosmologiques signalent, dans la Première Alliance, la présence de Dieu, de-puis la théophanie dont Moïse a été le bénéficiaire lors de l’alliance passée au Sinaï (Exode 19,16s). Dans les livres prophétiques, ils annoncent la ve-nue du Seigneur, au jour du Jugement (Isaïe 2,10 ; Joël 4,16 : Habaquq 3,6…). En lien avec la manifes-tation de la puissance de l’Esprit, le tremblement de terre semble donc, dans les Actes, une sorte de métaphore du jugement : il apporte aux uns «l’assu-rance» (4,31) qui leur permet d’évangéliser puisque le Seigneur est là, à leur côté ; il remplit les autres de crainte devant ce phénomène transcendant et les pousse à une attitude de conversion.

«s’ouvrirent» : les portes du cachot s’ouvrent com-me la porte de la prison s’était ouverte devant Pierre, emprisonné par Hérode, au moment de la Pâque (Actes 12,10) ; et comme «les liens des prison-niers se détachent», de même «les chaînes» étaient «tombées des mains» de Pierre (12,6-7). On est bien, comme au chapitre 12, dans le cas d’une dé-

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 58

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

livrance miraculeuse. Mais, malgré la similitude des situations, il ne s’agit pas de deux récits parallèles, ayant la même signification : il n’y a pas ici d’ange envoyé pour expliquer le phénomène et conduire l’apôtre vers la liberté (12,7-8) ; au contraire les prisonniers ne sortent pas et demeurent dans le cachot : leur libération est toute intérieure.

«se détachèrent» : la délivrance n’est pas due à l’in-tervention d’un ange – comme cela avait été le cas pour Pierre (12,7) –, mais elle est mise en rela-tion avec la prière des prisonniers. On peut voir ici comme un accomplissement de la prophétie de Zacharie, au tout début de l’évangile (Luc 1,78-79) sur «l’Astre d’en haut venu nous visiter pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort» ; mais aussi une annonce de ce qui va suivre : la Parole qui a délivré les prisonniers qui la priaient, va être portée par les missionnaires de ville en ville, et partout elle va libérer les hommes aliénés.

«sommeil» : le geôlier est éveillé par le tremble-ment de terre et, voyant les portes ouvertes, croit évidemment à une évasion des prisonniers. La scè-ne est à double titre différente de celle qui avait Pierre pour héros : car Pierre s’était bel et bien évadé, mais sa disparition n’avait été constatée par les gardes endormis qu’au matin (12,18-19).

«se tuer» : les gardiens de Pierre avaient bel et bien été exécutés sur les ordres d’Hérode (12,19). Les gardes étant responsables des prisonniers qui leur étaient confiés, devaient en effet subir, en cas d’éva-sion, la peine prévue pour ceux-ci (cf. aussi 27,42). Le geôlier de Paul préfère devancer le jugement et se donner lui-même la mort, pour échapper au déshonneur et aux tortures.

«aucun mal» : là encore, à la différence du récit de la délivrance de Pierre, le geôlier n’est pas présen-té comme un soldat romain anonyme dont l’exé-cution n’est pas commentée, car elle se situe dans la logique de l’occupant et que seul Hérode en est responsable ; mais il est vu comme un être humain qui a droit, comme tout autre, à la compassion, et surtout à ce qu’on lui apporte la bonne nouvelle du salut. Car, comme l’explique Paul à Timothée, Dieu «veut que tous les hommes soient sauvés et par-viennent à la connaissance de la vérité» (1 Tm 2,4).

«tous ici» : il faut croire que la veillée de prière a déjà manifesté la puissance de la Parole de Dieu puisque

tous les prisonniers, à l’écoute de Paul et Silas, se sont convertis : aucun n’a cherché à s’évader !

«lumière» : Paul et Silas avaient été placés dans «le cachot intérieur» (16,24). Comment ne pas voir dans ce cachot sans lumière, image de l’enfermement, la réplique du tombeau taillé dans le roc et fermé par une grosse pierre où est descendu le corps de Jé-sus ? Et comment ne pas se souvenir du signe de Jo-nas donné par le Seigneur lui-même (Luc 11,29-30) ? Jonas, envoyé à Ninive prêcher la conversion et englouti dans les entrailles du poisson (Jonas 2,1), était revenu à la vie, et tous les Ninivites avec lui, puisqu’à l’écoute de sa prédication, ils s’étaient re-pentis et avaient échappé au châtiment (3,10). De même Jésus, l’Envoyé du Père, est sorti du tombeau dans la lumière de Pâques, remontant des ténèbres où la mort avait voulu l’emprisonner, pour appor-ter à tous les hommes le pardon et leur rouvrir le chemin de la Maison du Père. C’est bien le même parcours que suivent les disciples, du profond du cachot à la lumière, puis à la maison où les fait mon-ter le geôlier. Devenus par leur baptême d’autres Christs, baptisés dans sa mort et sa résurrection (cf. Romains 6,3-4), ils peuvent, dans leur remontée à la lumière, accompagner le geôlier et les siens, dans leur conversion, vers leur propre baptême.

«tremblant» : il est peut-être tremblant de peur parce qu’il se rend compte qu’il a maltraité des personnages importants. Mais, plus encore, parce qu’il est saisi du même tremblement que Moïse devant le buisson ardent, s’il faut en croire le dis-cours d’Étienne (Actes 7,32) ; tremblement qui manifeste la crainte qui étreint l’homme en pré-sence de Dieu.

«se jeta aux pieds» : c’est la réaction de l’homme confronté soudain, par un phénomène extraor-dinaire, à la transcendance de Dieu. De même Pierre s’était «jeté aux genoux» de Jésus, après la pêche miraculeuse (Luc 5,8-9). C’est en somme l’expression physique de la «crainte de Dieu» qui est un des dons de l’Esprit (Isaïe 11,2).

«que faut-il faire» : c’est la question des conver-tis qui viennent, sans bien le comprendre encore, d’être touchés par la puissance de Dieu. C’était la question posée aux apôtres, au matin de Pen-tecôte, par ceux qui venaient d’être témoins du miracle des langues et d’entendre le discours de Pierre (Actes 2,37).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 59

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Ici la question précise : «pour être sauvé». Ce qui peut s’entendre à deux niveaux : matériellement, pour être sauvé du châtiment ; ou, plus fondamen-talement, parce que cette approche de la divinité, que vient d’expérimenter le geôlier, a déjà changé ses valeurs. Quelques versets plus haut, une ser-vante possédée d’un «esprit divinateur» avait pro-phétisé à propos de Paul et Silas : «ils vous annon-cent la voie du salut» (16,17).

«Crois» : le salut est apporté par les missionnai-res annonçant la Parole de Dieu, mais il ne peut devenir effectif que si chacun, par la foi, décide de l’accueillir. La foi est même parfois présentée comme un préalable appelant la grâce (cf. la guéri-son de l’impotent par Paul : «voyant qu’il avait la foi pour être guéri…», 14,9). La foi demandée comme condition du salut est ici accordée, non seulement à Dieu, mais plus précisément «au Seigneur Jésus» dont la divinité est ainsi clairement affirmée.

«annoncèrent» : contrairement aux convertis déjà rencontrés dans les Actes – l’eunuque qui allait prier à Jérusalem et lisait l’Écriture (8,27-28) ou Corneille présenté comme un «craignant Dieu» (10,2), déjà instruit donc dans la foi juive –, le geô-lier est tout à fait ignorant du Dieu révélé. Une ca-téchèse rapide est donc nécessaire pour lui, ainsi que pour toute sa famille.

«prit avec lui» : le geôlier, lui aussi, comme ses pri-sonniers, connaissait un enfermement : celui des obligations de la vie sociale, de sa propre peur de-vant les autorités, devant les conséquences que pouvaient avoir ses manquements au règlement, pour sa situation et même sa vie. Et cette peur déshumanisait sa conduite, la rendait inutilement cruelle. Lui aussi sort du «cachot intérieur» (16,24) par le passage du Seigneur qui se révèle à travers les manifestations cosmiques, puis à travers la pa-role des envoyés. C’est Pâques pour lui. Il s’est cru perdu, il prend conscience qu’il est en manque de salut. Il a vu les signes, il est prêt à croire par la médiation de ceux que le Seigneur lui a envoyés.

«à l’heure même» : ces adverbes de temps (un peu plus loin, on trouve aussi : «sur le champ») disent l’urgence de l’évangélisation. «Annoncer l’Évangile en effet, affirme Paul aux Corinthiens, n’est pas pour moi un titre de gloire ; c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile» (1 Corinthiens 9,15-16).

«lava leurs plaies» : le geôlier a déjà reçu l’Esprit de Jésus, de façon moins visible que Corneille et les siens (cf. Actes 10,44-45), mais tout aussi efficace-ment puisqu’il est déjà transformé de l’intérieur. Il n’a pas reçu de charismes éclatants, mais s’exprime en lui le premier fruit de l’Esprit qui est l’amour (cf. Galates 5,22). Il agit maintenant comme le Samari-tain de la parabole de Luc qui, «pris de pitié», bande les plaies du blessé rencontré sur la route de Jé-richo (Luc 10,33-34) ; ce Samaritain dont Jésus dit qu’il «s’est montré le prochain» de l’homme et qu’il conseille d’imiter (10,36-37). En ce Samaritain, les Pères ont vu la figure de Jésus lui-même, descendu relever et guérir l’homme blessé par le péché.

«le baptême» : le geôlier agit déjà comme un disci-ple : il peut donc, à son tour, être lavé de ses péchés et recevoir la vie nouvelle du Christ. Rien n’est dit ici du rituel de ce baptême, mais les exemples déjà rencontrés dans les Actes montrent qu’il est donné «dans l’eau et l’Esprit» (1,8) et «au nom de Jésus Christ» (2,38).

«la table» : tout le vocabulaire de ces versets a de fortes connotations sacramentelles. Il ne semble pas s’agir du banquet eucharistique, à proprement parler, mais le partage messianique de la vie nou-velle et de la fraternité retrouvée en est l’une des marques.

«se réjouit» : la joie, comme on l’a déjà noté à plusieurs reprises, est toujours, dans les Actes, la marque de la foi : elle accompagne les conversions (8,8 ; 13,48), remplit les disciples (2,42), dans l’Es-prit Saint (13,52). Car, dit Paul aux Galates, la joie, après l’amour, est «fruit de l’Esprit» (5,22). Mais ici le verbe employé peut se traduire littéralement par «tressaillir d’allégresse» : il est utilisé par Luc pour décrire la joie de Marie chantant son Magni-ficat (Luc 2,47), la joie de Jean Baptiste dans le sein de sa mère (2,44), la joie de Jésus dans l’Esprit en constatant que le Père se révèle aux «tout-petits» (10,21). Et la joie que, selon le discours de Pierre à la Pentecôte, éprouvait David en prophétisant la résurrection (Actes 2,23, citant Psaume 16,9). Cette joie, éprouvée par le geôlier et toute sa fa-mille, comme conséquence de leur foi (v. 31 et 34), le place, lui, le païen et le tortionnaire, au même rang que ces modèles des croyants que sont David ou Jean Baptiste ! «En vérité Dieu ne fait pas accep-tion des personnes» (Actes 10,34) : c’est ce que dé-montrent tout du long les missions de Paul.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 60

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Dieu Très-Haut, créateur de l’univers,toi qui as fait et le ciel et la terre et la mer,sois béni d’avoir mis en l’homme, créé à ton image,le goût et le désir de te chercherfût-ce au travers de pratiques magiques ou de réflexions philosophiques,car toi seul es assez grand pour combler son cœur.Sois béni d’avoir mis au cœur de certainsle désir de t’annoncer et de révéler ton vrai visage de Père.Sois béni pour Paul l’apôtre, pour Silas et Timothée,pour tous les témoins qui, à la suite du Fils unique,ont livré leur vie pour faire connaître à leurs frères la Bonne Nouvelle du salut.Sois béni pour Priscille, pour Lydie et Damaris,pour ces femmes qui, dans le silence et la prière,ont travaillé à l’enfantement des Églises nouvelles,de ton Église peu à peu répandue sur la face du monde.Inspire-nous ce même désir missionnairecar tant de frontières restent encore à passerpour porter aux nations les plus lointaineset aux replis les plus secrets du cœur de l’hommel’Évangile de Dieu, la Bonne Nouvelle de l’amourdont toi, Dieu notre Père, tu nous aimes chacun de préférence,et de la vie dont tu veux nous combler dans une éternité de délices. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

La joie qui avait envahi le cœur de Théophile, à la lecture du décret pris par l’assemblée de Jérusa-lem, ne se dissipe pas. Car «la porte de la foi» avait bien été ouverte aux païens, et maintenant ce sont ses conséquences concrètes qu’il voit se déployer, partout où se portent les pas des mission-

naires. Sur les rivages de la Méditerranée et dans «les îles lointaines» (Isaïe 49,1), partout le Nom de Jésus est proclamé et partout éclosent des Églises nouvelles.

Théophile s’épuise à suivre les pérégrinations des envoyés, les longues marches à pied et les embarquements, sous la motion douce et ferme de l’Esprit qui les guide. Il n’a d’yeux que pour ce per-sonnage étonnant qui se fait à présent nommer Paul. Il est bien tel que son ami Luc le lui avait dépeint : pétri de contradictions et porté par le seul amour du Christ, humble et sûr de lui, ingénieux jusqu’à la ruse et s’engageant au mépris de tout calcul, subissant tout et avançant toujours, comme il l’avoue aux Corinthiens : «Souvent j’ai été à la mort. Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois j’ai été battu de verges ; une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage. Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme ! Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 61

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité ! Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Églises !» (2 Corinthiens 11,24-28).

«Nous avons une première raison de l’admirer : ardent comme il l’était, avec cette surabondance, il ne sentait pas le mal qu’il se donnait pour atteindre la perfection, mais nous en avons une autre encore, c’est qu’il n’était pas poussé par l’appât d’une récompense quand il tendait à ce but. Or, nous autres, on a beau nous proposer un salaire, nous ne supportons pas de nous dépenser pour y arriver ! Lui aimait cette perfection, il se plaisait avec elle, indépendamment même de toute récompense, et tout ce qui passe pour être un obstacle, il sautait par-dessus avec une totale facilité, sans s’en prendre à la faiblesse de son corps, ni aux affaires qui l’assaillaient, ni aux nécessités impérieuses de la nature, ou à quoi que ce soit d’autre. Et pourtant, chargé de soucis plus lourds que n’en ont les généraux et les rois, il était chaque jour dans la plénitude de sa force et les dangers avaient beau croître, il se présentait avec une énergie renouvelée. Cela éclate dans ces mots : ‘Sans penser au chemin que j’ai derrière moi, je suis tout tendu pour aller de l’avant’ (Philippiens 3,13)» (S. Jean Chrysostome, IVe s.)

Mais ce qui impressionne le plus Théophile est que ce Paul, si entier et si excessif, si exclusivement amoureux de l’Unique, sait aussi s’adresser à tous. Renouvelant sans cesse le miracle de Pentecôte, c’est dans la langue de cha-cun qu’il publie les merveilles de Dieu (cf. Actes 2,11). Il scrute les Écritures avec les docteurs juifs de Thessalonique ou de Bérée (17,2.11) ; et il entre en dialogue sur l’agora d’Athènes avec les philoso-phes épicuriens et stoïciens (17,18). Il se fait exégète avec les uns, pour dévoiler le sens plénier des prophéties annonçant le Christ (17,3) ; il parle en rhéteur devant les autres, invoquant le principe du mou-vement et de l’être et citant le poète Ara-tos (17,28). Aux premiers, il montre que Dieu, dans sa condescendance, a voulu se faire homme ; aux seconds, il démontre que l’homme, «de la race de Dieu», est ap-pelé à vivre éternellement en lui. Sa com-passion, sa sollicitude pastorale le poussent à se faire «tout en tous» : «Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs ; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi – moi, qui ne suis pas sujet de la Loi – afin de gagner les sujets de la Loi. Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi – moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ – afin de gagner les sans-loi. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns» (1 Corinthiens 9,19-22).

«Admirez-le donc, admirez-le qui cherche à éviter les périls, admirez-le qui s’expose aux périls : s’il y a ici un trait de courage, il n’y en a pas moins là une marque de sagesse. Admirez-le qui parle haut et fort, admirez-le pareillement qui fait entendre une voix plus discrète : s’il y a ici un trait d’humilité, il n’y en pas moins là une marque de grandeur. Admirez-le qui se glorifie, admirez-le pareillement qui se dérobe aux éloges : s’il y a ici le signe d’un esprit dépourvu d’orgueil, il n’y en a pas moins là un trait de son amour et de sa dilection pour les hommes. C’est comme comptable du salut de la multitude qu’il agissait ainsi. Voilà ce qui lui fait dire : ‘Si nous avons été hors de sens, c’était pour Dieu ; si nous sommes raisonnables, c’est pour vous’ (2 Corinthiens 5,13). Et qui eut autant d’occasions que lui de s’abandonner irrésistiblement à un fol orgueil, qui fut, autant que lui, pur de toute vanité ?» (S. Jean Chrysostome, IVe s.)

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 juillet 2011 | 62

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Paul apparaît à Théophile, affronté à toutes les puissances du monde, confronté à Thessalonique à la rigidité de la religion juive, à Athènes au rationalisme de la philosophie grecque, à Corinthe à l’in-flexibilité du droit romain, et même, à Philippes, à la séduction de «l’argent trompeur» (cf. Luc 16,9.11). Comment, malgré sa souplesse, pourrait-il adoucir le rigorisme juif et désarmer l’ironie grecque ? Jésus en avait tressailli d’allégresse : «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits» (Luc 10,21). Mais Paul l’expérimente douloureusement : «les sages et les intelligents», empêtrés dans leurs lois et leurs raisonnements, déforment le visage du Dieu-Père et le caricaturent en juge ou en concept. Quelle âpreté se cache dans le rejet violent du Juif, tant il refuse de s’ouvrir à l’accomplissement de sa foi qui lui est proposé ! Quelle tristesse se lit dans la curiosité du Grec qui se transmue en dérision, tant il se révèle incapable de s’ouvrir à l’espérance qui lui est offerte ! Et, de la part de l’un et l’autre, quel aveuglement sur l’amour !

Car Dieu, pense Théophile, ne saurait se laisser résumer à une loi ou enfermer dans une idée. Ce n’est pas un concept qui l’a converti, il le sait bien ; c’est Jésus, cet homme humble et doux, qui l’a touché au cœur, et c’est le cœur habité de sa présence que, désormais, il contemple le monde avec des yeux nouveaux.

«Je ne doute pas, je suis sûr dans ma conscience, Seigneur, que je t’aime.Tu as frappé mon cœur de ton verbe et je t’ai aimé.D’ailleurs, et ciel et terre et tout ce qui est en eux,les voici de partout qui me disent de t’aimer,et ils ne cessent de le dire à tous les hommes‘pour qu’ils soient sans excuse’ (Romains 1,20).Or qu’est-ce que j’aime quand je t’aime ? (…)Ce n’est pas la beauté d’un corps, ni le charme d’un temps,ni l’éclat de la lumière, amical à mes yeux d’ici-bas,ni les douces mélodies des cantilènes de tout mode,ni la suave odeur des fleurs, des parfums, des aromates,ni la manne ou le miel,ni les membres accueillants aux étreintes de la chair :ce n’est pas cela que j’aime quand j’aime mon Dieu.Et pourtant, j’aime certaine lumière et certaine voix,certain parfum et certain aliment et certaine étreintequand j’aime mon Dieu :lumière, voix, parfum, aliment, étreintede l’homme intérieur qui est en moi,où brille pour mon âme ce que l’espace ne saisit pas,où résonne ce que le temps ne prend pas,où s’exhale un parfum que le vent ne disperse pas,où se savoure un mets que la voracité ne réduit pas,où se noue une étreinte que la satiété ne desserre pas.C’est cela que j’aime quand j’aime mon Dieu.» (S. Augustin d’Hippone, IVe s.)

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 63

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 19,21-22,29

Nous voici presque arrivés au terme des missions de Paul. L’Église d’Éphèse, la dernière qu’il ait fondée, n’est pas – loin s’en faut – la plus éloignée d’Antioche, son point de départ, mais peut-être la plus emblématique par l’importance de la ville, capitale de la province d’Asie, et ses

résistances à l’œuvre d’évangélisation, tant du côté des Juifs que des païens. C’est à partir de cette mé-tropole que Luc fait débuter le voyage de Paul vers Jérusalem, qui représente aussi sa dernière mission, à travers la Macédoine, l’Achaïe, à nouveau la Macédoine et la Syrie (19,21-21,14). Voyage qui, comme il l’avait annoncé, s’achève, presque dès son arrivée dans la Ville sainte, par son arrestation dans le Temple et un discours aux Juifs de Jérusalem qui n’a d’autre résultat que de le faire enfermer dans la forteresse Antonia sous garde romaine (21,15-22,29). On est donc là dans une section charnière, difficile d’ailleurs à délimiter tant Luc utilise un procédé de tuilage entre les épisodes qu’il raconte où Paul le missionnaire devient Paul le prisonnier.

La première partie (19,21-21,14) relate donc le voyage de Paul vers Jérusalem à partir d’Éphèse. Deux versets d’introduction (19,21-22) indiquent ses projets, d’une façon solennelle qui rap-pelle le début de la grande section de l’Évangile de Luc sur la montée de Jésus à Jérusalem (Luc 9,51s). Sur les pas de Jésus, Paul part, comme lui, vers la Ville sainte pour y être emprisonné et «livré aux mains des païens» (cf. Luc 18,31-33) ; et comme Jésus, il envoie des disciples en avant (19,27 ; Luc 9,52). La montée est d’ailleurs ponctuée d’allusions au mystère pascal qui en découpent la chronologie : «le jour des Azymes» (20,6), «le premier jour de la semaine» (20,7), «le jour de Pentecôte» (20,11).

Mais, avant la mise en route, un épisode longuement raconté (19,23-40) clôt son séjour à Éphèse, ainsi que le chapitre 19. Paul n’apparaît pas directement mêlé à cette émeute fomentée par les orfèvres craignant que la foi qu’il prêche détourne leurs citoyens des idoles et «jette le discrédit sur leur profession» (19,27) ; Paul n’apparaît pas car «les disciples l’en empêchèrent» (19,30), comme si déjà sa liberté d’action et de parole était entravée. L’incident est raconté en trois points : un discours du chef des orfèvres qui provoque le désordre (19,24-27) ; une description de la confusion et du tumulte qui s’établissent dans la ville (19,28-34) ; un second discours, celui d’un magistrat, qui ramène le calme (19,35-40). On peut voir, dans cette histoire apparemment anecdotique, comme un contrepoint au mi-nistère de Paul, tel qu’il a été exposé plus haut : «la grande déesse Artémis» (19,27), que veulent défendre les orfèvres, est opposée à la puissance du «Nom du Seigneur Jésus» (19,17) ; contre la croissance de la parole du Seigneur (19,20) s’élèvent les clameurs confuses des émeutiers païens (19,32). Mais alors que la prédication de Paul amenait la guérison (19,11-12) et la paix, l’idolâtrie ne fait qu’attiser l’appât du gain (19,24-27) et la violence aveugle (19,32.40). Indirectement il est donc montré que les disciples «ne sont pas coupables de sacrilège» (19,37) et qu’au contraire la parole qu’ils portent libère des liens pervers qui entremêlent l’argent et le sacré. Bien que Paul ne se montre pas, c’est bien là déjà aussi une anticipation des cris et de la confusion, de la collusion entre Juifs et Romains qui marqueront son arrestation à Jérusalem.

Au chapitre 20 commence véritablement le voyage vers Jérusalem, mais il prend au début un tour assez curieux puisque, désireux de revoir les communautés qu’il a fondées, Paul, depuis Éphèse, prend d’abord la route exactement opposée et repart vers la Macédoine et la Grèce.

Les étapes de ce voyage un peu chaotique sont brièvement énumérées (20,1-6 et 13-16) ; et deux d’entre elles plus précisément évoquées : celle de Troas où Paul participe à une liturgie et opère une résurrection (20,7-12), et celle de Milet où il convoque les anciens de l’Église d’Éphèse pour leur faire ses adieux (20,17-38).

Ce voyage, qui représente pourtant près de 3.500 km, se résume à quelques noms de lieux ; mais il explicite surtout, à chaque étape, le sens de ce retour à Jérusalem, en renvoyant constamment

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 64

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

au récit que fait l’Évangile de Luc de la montée de Jésus vers la ville de sa Passion. Dans ses premières étapes (20,1-6) qui le ramène, à travers la Macédoine, vers les communautés les plus occidentales qu’il ait fondées, (Athènes, Corinthe), Paul est accompagné, comme Jésus l’était de ses apôtres, de sept com-pagnons originaires de ces différentes Églises (20,4).

La halte à Troas (20,7-12) présente une forte tonalité pascale : «le premier jour de la semaine» (20,7), il célèbre l’Eucharistie, dans «la chambre haute» (20,8) – autant d’allusions à la Cène (Luc 22,19s) et à la prière de la première communauté de Jérusalem (1,13 ; 2,46), ainsi qu’à la résurrection de Tabitha qu’avait opérée Pierre à Joppé (9,37). De fait un enfant, tombé par la fenêtre, est ramené à la vie par Paul (20,10), avant qu’il ne reprenne la liturgie, laissant ainsi à la communauté le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur toujours présent parmi eux, pour leur «consolation» (20,12).

La seconde halte importante, à Milet (20,17-38), est marquée par le discours d’adieu (20,18-35) que tient Paul aux anciens de l’Église d’Éphèse qu’il a envoyé chercher. Ce discours qui trace pour les anciens le modèle du pasteur, fait l’objet de la méditation plus détaillée de ce mois-ci. Nous n’y revien-drons donc pas. Il se termine par une prière (20,36-38) et des pleurs qui rappellent la lamentation des femmes de Jérusalem sur le chemin du Calvaire (Luc 23,28) ; mais le baiser échangé n’est pas ici de trahison (Lc 22,48), mais de communion.

Le chapitre 21 décrit la fin du voyage (21,1-14), puis l’arrivée de Paul à Jérusalem (21,15-26) et son arrestation (21,27-40). Le voyage par mer est ponctué par des escales à Tyr (21,3-6) et à Césarée (21,8-14) où, inspirés par l’Esprit, «les disciples» (21,4), puis le prophète Agabus (21,10) dévoilent le sort qui attend Paul et tentent de le détourner de ses projets (21,4.12). Il est remarquable que l’Esprit qui pousse Paul à aller à Jérusalem (cf. 20,22), conduise ici les disciples à le supplier de ne pas s’y rendre : belle démonstration de la liberté que laisse l’Esprit à chacun d’interpréter ses motions selon sa situa-tion et son appel !

À Césarée, c’est une histoire encore plus ancienne que celle des communautés fondées par Paul au cours de ses voyages, qui se referme : on y retrouve en effet le diacre Philippe, l’évangélisateur de la Samarie (Actes 8,5s), qui a «quatre filles vierges qui prophétisent» (21,9), signe que l’Esprit Saint a bien été reçu et qu’il a pris une dimension universelle. On y retrouve aussi, venu de Jérusalem, Agabus, le prophète qui déjà était allé jusqu’à Antioche prophétiser la famine prochaine et avait provoqué l’envoi de secours (11,29). Par une sorte de parabole mimée, comme le faisaient les prophètes de la Première Alliance (cf. par exemple Jérémie 13,1-11 ; Ézéchiel 12,1-7), il annonce l’emprisonnement de Paul, en des termes qui insistent sur son identification à Jésus (21,11 ; cf. Luc 9,44 ; 18,32). Mais ni à Tyr, ni à Césarée, les protestations des disciples ne parviennent à entamer la résolution de Paul (21,13 ; cf. Luc 22,33). Tout se résout cependant dans la prière (21,5) et, comme à Gethsémani, dans l’accueil de la volonté de Dieu (21,14 ; Luc 22,42).

La seconde grande partie (21,15-22,29) veut montrer, à travers les événements qui se suc-cèdent, l’oblation que Paul fait de lui-même à Jérusalem. Elle rapporte d’abord l’arrivée dans la ville et l’accueil de la communauté (21,15-26). Le «nous» qui avait accompagné le récit du voyage depuis Phi-lippes (20,5-6) est utilisé une dernière fois (21,15-17), puis il s’efface, comme si Paul devait à Jérusalem entrer dans la même solitude que Jésus.

Jacques, à la tête de la communauté, et les anciens, accueillant Paul, se réjouissent de la fécondité de son ministère (21,18-20a), comme ils l’avaient fait, plusieurs années auparavant, avant l’assemblée de Jérusalem (Actes 15,4-12) qui avait réglé au mieux la question des obligations à imposer aux païens convertis. Mais ils sont à présent préoccupés davantage par la situation des Juifs «ayant embrassé la foi» (21,20b) et, de façon à ce que Paul n’apparaisse pas à nouveau comme un facteur de division dans la communauté, les anciens lui proposent de poser un acte rituel, destiné à montrer qu’il «se conduit aussi en observateur de la loi» (21,24). Il s’agit de prendre à sa charge les frais des cérémonies de purification

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 65

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

de frères arrivant au terme d’un vœu – on se souvient que Paul lui-même s’était soumis à une telle cé-lébration à Cenchrées (18,18) –, ce qui est, pour lui, aussi une manière de partager les offrandes dont les Églises l’avaient chargé pour Jérusalem (cf. Actes 24,17) et d’accomplir sa propre purification. Bien que le décret concernant les païens soit rappelé (21,25 ; cf. 15,19-21 et 23-29), il s’agit ici de dispositions ne s’appliquant qu’à des Juifs, ce qui peut expliquer l’acceptation tacite de Paul qui apporte son concours aux préparatifs de l’oblation (21,26).

Mais l’oblation dans le Temple va devenir l’occasion de son arrestation (21,27-40). Paradoxale-ment, ce sont des Juifs d’Éphèse (21,27) qui le reconnaissent et l’accusent de profanation, alors qu’il est à Jérusalem et accomplit une purification rituelle ; devant celui qui a «ouvert aux nations la porte de la foi» (cf. 14,27), on ferme les portes du Temple (21,30) ; alors qu’il apportait l’oblation, le voilà prêt d’être lui-même «mis à mort» (21,31) et, comble de l’ironie, ce sont des soldats romains qui l’arrachent aux coups de ceux qui, comme lui, sont des Juifs de la diaspora (21,32). Comme Jésus, Paul est enchaîné par les soldats (21,33) et conspué par la foule qui réclame sa mort (21,36 ; cf. Luc 23,18). Et, comme lors de la Passion de Jésus, l’occupant romain se soucie surtout de maintenir l’ordre et la légalité de la procé-dure : aussi le tribun, après s’être assuré que Paul n’était pas le bandit qu’il recherchait – son Barabbas à lui ! –, l’autorise-t-il à parler à la foule (21,37-40).

Le chapitre 22 commence donc par une longue harangue de Paul à l’intention des Juifs hostiles (22,1-21), premier des quatre discours qui vont jalonner son emprisonnement et son procès. Contrai-rement aux prédications que prononçait le missionnaire Paul, il ne s’agit plus d’une démonstration ni d’une annonce messianique : il témoigne à présent moins par sa parole que par sa vie. Il s’agit donc plutôt d’une apologie, d’un rappel de sa propre vie et de sa vocation, qui invite son peuple à se montrer fidèle à l’appel de Dieu et à devenir lui aussi témoin du «Juste» (22,14). Au cœur de son discours, le récit de l’événement survenu sur la route de Damas (22,6-16) : l’éblouissement et la révélation de Jésus (22,6-10), l’aide des frères et d’Ananie, et le baptême (21,11-16). C’est le second récit qui est donné, dans les Actes de la conversion de Saul, après celui plus dramatique qui en a été fait en 9,1-11 (voir Atelier biblique n°4 du 10 mai 2011), et avant l’évocation, plus théologique, qu’en fera Paul lui-même devant le roi Agrippa (26,12-18). Le récit de cet événement survenu à Damas est encadré par deux évocations de Jérusalem : la ville où Paul a été formé à l’école de Gamaliel et a persécuté les premiers disciples (22,3-5) ; et le lieu d’une extase – dans le Temple d’où on vient précisément de le chasser – où le Seigneur lui a révélé sa mission d’apôtre des nations (22,17-21). L’allusion au martyre d’Étienne, presque à la péroraison (22,20), illustre bien la visée de cette harangue : montrer à ces Juifs de Jérusalem que même le zélote le plus endurci peut être purifié par le sang des témoins – le sang de Jésus, par-delà celui d’Étienne – et devenir apôtre de celui qu’il persécutait ; c’est, à travers son propre cas, l’histoire possible de la conversion de son peuple que veut décrire Paul.

Et le peuple ne s’y trompe pas, qui interrompt le discours et réitère de plus belle ses menaces de mort (22,23). La prière d’intercession de Paul (22,19) n’a déclenché que cris de violence et gestes de deuil. L’invitation à la conversion – semblable à celles qu’avait prononcées le Seigneur Jésus (cf. Luc 13,14-15 ; 19,41-42) – provoque même rejet et même condamnation.

La dernière petite séquence du chapitre montre ainsi les réactions différentes au discours de Paul : refus de la part des Juifs (22,22-23) et interrogatoire de la part des Romains (22,24-29). Menacé de la torture, (22,24), Paul dévoile sa qualité de citoyen romain (22,25). Le centurion (22,26), puis le tribun (22,27-29) en éprouvent une crainte, bonne auxiliatrice du droit puisqu’ils décident de soumettre leur prisonnier à la procédure légale.

C’est ce que va relater la section suivante qui montre Paul traîné devant le Sanhédrin, puis le gou-verneur romain, comme Jésus avait été renvoyé de la juridiction d’Hérode à celle de Pilate. À Jérusalem, sur les pas du Maître, la passion de Paul se poursuit.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 66

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - Les adieux aux anciens d’Éphèse (Actes 20,17-35)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Comme la première partie le faisait pour Pierre, la seconde partie des Actes donne à entendre plusieurs discours de Paul : discours aux Juifs dans la synagogue d’Antioche de Pisidie (13,16s) ; discours aux Grecs devant l’Aréopage d’Athènes (17,22s). Mais, en ce chapitre 20, il s’agit de l’unique discours dans les Ac-tes prononcé à l’intention d’une communauté chrétienne et, plus précisément, de ses pasteurs. Paroles d’exhortation adressées par le missionnaire à l’Église d’Éphèse et, à travers elle, à toutes les jeunes com-munautés qu’il a fondées ; mais aussi paroles d’adieu de celui qui, comme Jésus, monte à Jérusalem pour y être emprisonné. L’évangélisateur des nations ayant accompli sa mission, c’est son testament pastoral qu’il laisse ici, traçant du même coup, à partir de son propre exemple, le portrait du bon pasteur, attentif, désintéressé et charitable, digne de paître le troupeau de Dieu.

20 [17] De Milet, Paul envoya chercher à Éphèse les anciens de cette Église. [18] Quand ils furent arrivés auprès de lui, il leur dit : «Vous savez vous-mêmes de quelle façon, depuis le premier jour où j’ai mis le pied en Asie, je n’ai cessé de me comporter avec vous, [19] servant le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et au milieu des épreuves que m’ont occasionnées les machinations des Juifs. [20] Vous savez com-ment, en rien de ce qui vous était avantageux, je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé, [21] adjurant Juifs et Grecs de se repentir envers Dieu et de croire en Jésus, notre Seigneur.

[22] «Et maintenant voici qu’enchaîné par l’Esprit je me rends à Jé-rusalem, sans savoir ce qui m’y adviendra, [23] sinon que, de ville en ville, l’Esprit Saint m’avertit que chaînes et tribulations m’attendent. [24] Mais je n’attache aucun prix à ma propre vie, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus : rendre témoi-gnage à l’Évangile de la grâce de Dieu.

[25] «Et maintenant voici que, je le sais, vous ne reverrez plus mon visage, vous tous au milieu de qui j’ai passé en proclamant le Royaume. [26] C’est pourquoi je l’atteste aujourd’hui devant vous : je suis pur du sang de tous. [27] Car je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous annoncer toute la volonté de Dieu.

[28] «Soyez attentifs à vous-mêmes, et à tout le troupeau dont l’Es-prit Saint vous a établis gardiens pour paître l’Église de Dieu, qu’il s’est acquise par le sang de son propre Fils.

[29] «Je sais, moi, qu’après mon départ il s’introduira parmi vous des loups redoutables qui ne ménageront pas le troupeau, [30] et que

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 67

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Milet» : Paul, voulant «gagner Jérusalem» (19,29), entreprend depuis la Grèce son dernier voyage missionnaire, d’abord par la terre en traversant la Macédoine (20,3), puis par la mer (20,6) : de Philippes, il atteint la côte asiatique à Troas (20,6) d’où, en quelques jours de cabotage, il parvient à Milet. Ce port avait eu une certaine importance économique et culturelle (le fameux Thalès !) aux VIe et Ve siècles AC, avant d’être supplanté par Éphèse, toute proche. Il n’est pas précisé qu’il ait abrité une communauté chrétienne.

«Éphèse» : cette ville, la plus importante de la ré-gion, au carrefour des principales routes reliant Orient et Occident et devenue capitale de la province d’Asie proconsulaire, a été le lieu d’une nouvelle Pentecôte destinée aux Asiates (19,1-7) ; et c’est, selon les Actes, la dernière communauté fondée par Paul (19,8-10). Il y a séjourné long-temps – plus de deux ans selon 19,10 ; trois ans, selon 20,31. Luc semble accorder à cette ville une importance particulière en y situant des épisodes fondateurs, telle la décision d’enseigner non plus dans les synagogues, mais en un lieu païen (l’école de Tyrannos : 19,9) et en montrant longuement comment les puissances économiques et religieu-ses peuvent se liguer pour refuser la Bonne Nou-velle (cf. l’émeute des orfèvres en 19,23-40).

«anciens» : les Actes ont déjà montré, dès le pre-mier voyage missionnaire de Paul, comment celui-ci, repassant dans les villes déjà évangélisées, orga-

nisait les communautés en «désignant des anciens dans chaque Église» (14,23). Les anciens (presbute-roi) à la tête de la communauté remplissaient des fonctions juridiques, mais aussi liturgiques. Il est à noter que le terme de prêtre (hiereus) n’est pas utilisé, alors que, paradoxalement, le mot grec pres-buteros («ancien») a précisément donné en fran-çais… «prêtre». Si les anciens de l’Église d’Éphèse sont les premiers auditeurs du testament pastoral de Paul, à travers eux, c’est à tous les responsables d’Églises qu’il est adressé.

«dit» : plusieurs plans ont été proposés pour ce dis-cours soigneusement composé par l’auteur des Ac-tes. Si la première partie globalement concerne Paul et la seconde, les anciens, on peut remarquer qu’il suit les règles de la rhétorique classique : un exorde pour interpeller les auditeurs (20,18b-19) ; un récit exposant l’action de Paul au service de l’Évangile et les conséquences de son témoignage (20,20-27) ; une démonstration destinée à inciter les anciens à adopter le même comportement que lui pour remplir au mieux leur tâche de pasteur (20,28-34) ; une conclusion qui fonde tout ce qui précède sur la parole de Jésus (20,35). On peut aussi considé-rer qu’il comporte deux parties articulées autour du verset 28, central puisqu’il confirme les anciens dans leur service : la première partie considérant le travail évangélique de Paul dans le passé (20,18-21), sa montée actuelle à Jérusalem (20, 21-24) et les perspectives futures (20,25-27) ; tandis que, sy-métriquement, la seconde partie envisage l’avenir

du milieu même de vous se lèveront des hommes tenant des discours pervers dans le but d’entraîner les disciples à leur suite. [31] C’est pour-quoi soyez vigilants, vous souvenant que, trois années durant, nuit et jour, je n’ai cessé de reprendre avec larmes chacun d’entre vous.

[32] «Et à présent je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, qui a le pouvoir de bâtir l’édifice et de procurer l’héritage parmi tous les sanctifiés.

[33] «Argent, or, vêtements, je n’en ai convoité de personne : [34] vous savez vous-mêmes qu’à mes besoins et à ceux de mes compa-gnons ont pourvu les mains que voilà. [35] De toutes manières je vous l’ai montré : c’est en peinant ainsi qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 68

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

de la communauté et les dangers qu’elle va courir (20,29-31), la prière présente de Paul pour les an-ciens (20,32) et le rappel des exemples qu’il leur a donnés dans le passé (20,33-35).

«vous-mêmes» : Paul, dans son retour sur ses ac-tivités passées, prend les anciens à témoin : leur observation personnelle est le garant de la véra-cité de ses propos. La même formule («vous savez vous-mêmes»), avec la même finalité, se retrouve dans le dernier paragraphe du discours (20,34), en une belle inclusion.

«Asie» : ce raccourci désigne la province romaine d’Asie proconsulaire (partie occidentale de l’Asie mineure, dans l’actuelle Turquie) dont la capitale était Éphèse.

«comporter» : pour évoquer les années de labeur apostolique de Paul à Éphèse, Luc rappelle d’abord ses actes (20,19), puis sa prédication (20,20), en un vocabulaire proche de celui des épîtres (cf. par exemple 1 Thessaloniciens 1,5 : «Vous savez com-ment nous nous sommes comportés au milieu de vous pour votre service»).

«servant» : Paul s’est comporté en serviteur (doulos) du Seigneur, selon le commandement de Jésus : «Que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert» (Luc 22,26). Le début de ce discours d’adieu d’ailleurs présente de nombreux rappro-chements avec celui de Jésus avant sa Passion : de la même façon, celui-ci demandait aux apôtres de suivre son exemple : «Je suis au milieu de vous comme celui qui sert» (Luc 22,27), et il rappelait les difficultés qu’il avait dû affronter : «Vous êtes, vous, de ceux qui sont demeurés constamment avec moi dans mes épreuves» (22,28).

«humilité» : encore une notation montrant que le serviteur veut agir comme son Maître. Cf. Philip-piens 2,5s : «Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus (…) S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore…» Les humiliations pour Paul proviennent à la fois du comportement des chrétiens, provoquant ses «larmes», et des «machinations» des Juifs, repré-sentant ses «épreuves».

«larmes» : notation reprise en 20,31 et fréquente dans les épîtres pauliniennes pour exprimer son

souci pastoral (cf. 2 Corinthiens 2,4 : «C’est dans une grande tribulation et angoisse de cœur que je vous ai écrit, parmi bien des larmes…» ; Philippiens 3,1 : «Il en est beaucoup, je vous l’ai dit souvent et je le redis aujourd’hui avec larmes, qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ»…)

«épreuves» : les épîtres énumèrent à plusieurs repri-ses les «épreuves» traversées par Paul (cf. en parti-culier 2 Corinthiens 11,23-29, parmi lesquelles il relève les «dangers» venant de ses «compatriotes»), et l’on sait qu’elles ont été particulièrement vives à Éphèse (1 Corinthiens 15,32 : «j’ai livré combat contre les bêtes à Éphèse» ; 2 Corinthiens 1,8-10 : «la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l’excès…»). Les Actes, pour leur part, font allusion, à plusieurs reprises, à des «complots» de Juifs redoutant l’influence de Paul, et ce dès sa première prédication dans la synagogue de Da-mas (Actes 9,20-24), à tel point qu’on dut lui faire quitter la ville en le faisant descendre «dans une corbeille, le long de la muraille» (Actes 9,25 ; et aussi 2 Corinthiens 11,32-33). C’est aussi un «complot fomenté par les Juifs» (20,2), vient de rapporter Luc sans plus de précisions, qui a obligé Paul à retraver-ser la Macédoine au lieu de prendre directement un bateau depuis la Grèce pour la Syrie.

«prêcher» : l’humilité de Paul ne l’empêche pas de remplir la mission qui lui a été confiée («je ne me suis pas dérobé» : ici et en 20,27). C’est un ministè-re de la parole qui lui a été donné et qui le conduit à «prêcher» et à enseigner (cf. 1 Corinthiens 1,17 : «Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Évangile…»).

«Juifs et Grecs» : l’universalité de la mission de Paul à Éphèse a déjà été soulignée au chapitre précé-dent : «Chaque jour il les entretenait en sorte que tous les habitants de l’Asie, Juifs et Grecs, purent en-tendre la parole du Seigneur» (19,910).

«se repentir» : depuis le premier discours de Pierre à la Pentecôte, les deux mouvements sont asso-ciés dans les Actes : le repentir et la confession de foi (cf. 2,38) ; ils se retrouvent de même dans la prédication de Paul (cf. 17,30-31 et 26,20).

«Et maintenant» : le rappel du labeur passé de Paul laisse place à l’explication de sa situation actuelle. Le vocabulaire présente toujours des points de contact avec celui du discours d’adieu de Jésus en

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 69

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Luc : «Le Fils de l’homme va son chemin selon ce qui a été arrêté…» (22,22). Le disciple qui veut imiter son Maître et le suivre ne peut pas connaître un sort différent du sien.

«enchaîné» : en se laissant conduire par l’Esprit, comme il l’a fait durant tout son ministère (cf. par exemple Actes 16,6-7), Paul a entrepris un voyage qui doit s’achever par son emprisonnement : il est donc, d’une certaine manière, prisonnier de l’Esprit Saint. Mais il ne faudrait pas voir là un mé-pris de sa liberté. Il marche à la suite de Jésus et, comme lui, «va son chemin selon ce qui a été arrêté» (Luc 22,22), mais en ayant choisi de suivre son Maître jusqu’au bout et de partager son sort.

«à Jérusalem» : cette identification, ou plutôt ce choix de la même destinée que le Christ, conduit Paul à monter, comme lui, à Jérusalem (cf. Luc 9,51 ; 18,31-32 : «Voici que nous montons à Jérusalem et que s’accomplira tout ce qui a été écrit par les pro-phètes pour le Fils de l’homme. Il sera en effet livré aux païens…»). Paul va effectivement être arrêté et remis à la juridiction romaine (Actes 21,31s).

«m’avertit» : les notations se multiplient en effet au chapitre suivant. Ce sont d’abord des disciples, à Tyr, «poussés par l’Esprit Saint» qui disent à Paul «de ne pas monter à Jérusalem» (21,4) ; puis le pro-phète Agabus qui, à Césarée, accomplit un geste à la façon des prophètes de l’Ancienne Alliance (cf. par exemple Jérémie 13,1-11 ; Ézéchiel 12,1-7) en se liant les mains et les pieds avec la ceinture de Paul : «Voici ce que dit l’Esprit Saint : l’homme auquel appartient cette ceinture, les Juifs le lieront comme ceci à Jérusalem et ils le livreront aux mains des païens» (21,11 ; cf. Luc 18,32). En fait, Paul a déjà été éclairé sur son sort par l’Esprit et c’est lui qui ici en avertit les anciens.

«ma propre vie» : les apôtres et les anciens de Jéru-salem avaient déjà dit de Paul qu’il avait «voué sa vie au nom de notre Seigneur Jésus Christ» (Actes 15,26) ; celui-ci affirme effectivement, au chapitre suivant, qu’il est «prêt non seulement à (se) laisser lier, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur» (21,13). Luc ne fait ici que prêter à Paul un désir qui transparaît à plusieurs reprises dans ses épî-tres : cf. par exemple Philippiens 1,20-21 : «… cette fois-ci le Christ sera glorifié dans mon corps, soit que je vive, soit que je meure. Pour moi certes, la vie c’est le Christ et mourir représente un gain…»

«ma course» : les épîtres montrent cette même disposition d’esprit, que ce soient les lettres écri-tes alors que Paul était encore en pleine activité (cf. Philippiens 3,12 : «… non que je sois au bout ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus»), ou celles qui lui sont prêtées au soir de sa vie : «J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi…» (2 Timothée 4,7).

«témoignage» : Paul a toujours à porter témoi-gnage, mais son témoignage va à présent changer de forme : il ne va plus s’exercer seulement par la prédication (cf. 20,20-21), mais en choisissant de se laisser emprisonner, d’être comme son Maître «livré aux mains des païens» (21,11 ; cf. Luc 18,32). De manière non seulement à participer aux souf-frances du Christ (cf. Philippiens 3,10), mais en-core à être associé à sa mission rédemptrice : «En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l’Église» (Colossiens 1,24).

«l’Évangile de la grâce» : c’est paradoxalement par son emprisonnement que Paul peut témoigner de «la grâce de Dieu». Luc présentait en effet, au début de sa vie publique, Jésus comme venu dans la chair «porter la Bonne Nouvelle (euangelion, «l’évangile») aux pauvres… annoncer aux captifs la délivrance, proclamer une année de grâce du Sei-gneur» (4,18). En ce sens, l’emprisonnement des missionnaires à Philippes et leur délivrance mira-culeuse, qui débouchait non sur leur évasion mais sur la conversion du geôlier et de sa famille (Actes 16,25-34), était comme une parabole de leur des-tinée (cf. Atelier biblique n°6 du 10 juillet 2011).

«je le sais» : l’annonce de la montée à Jérusalem est suivie d’une prophétie. Paul ne veut pas attris-ter les anciens en leur communiquant un pressen-timent ; ce qu’il leur dit est pour lui une certitude venant de l’Esprit, et il désire, en toute connais-sance de cause, leur laisser son testament.

«mon visage» : l’expression utilisée par Luc semble ty-piquement paulinienne : cf. par exemple 1 Thessaloni-ciens 2,17 : «nous nous sommes sentis pressés de revoir votre visage» ; 3,10 : «Nuit et jour, nous lui demandions de revoir votre visage», etc. Mais elle fait écho aussi à l’atti-tude de Jésus «prenant résolument le chemin de Jérusa-lem», littéralement : «durcissant son visage» (Luc 9,51).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 70

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«j’ai passé» : la mission de Paul poursuit celle de Jésus qui «a passé en faisant le bien et en guéris-sant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du dia-ble» (Actes 10,38). De même que Jésus ressuscité apparaissant à ses apôtres «les avait entretenu du Royaume de Dieu» (1,3), de même Paul a proclamé à tous le Royaume.

«pur du sang» : l’expression signifie que l’on est dégagé de toute responsabilité envers quelqu’un ou quelque chose (cf. le cri de Daniel se désoli-darisant du jugement condamnant Suzanne : «Je suis pur du sang de cette femme», Daniel 13,46 ; ou l’attitude de Pilate se lavant les mains devant la foule demandant la crucifixion de Jésus : «Je ne suis pas responsable de ce sang», Matthieu 27,25). Paul affirme donc s’être pleinement acquitté de la tâche qui lui avait été confiée et qu’il remet main-tenant aux anciens.

«pas dérobé» : l’expression revient pour la seconde fois (cf. 20,20). Paul a rempli sa mission qui était de prêcher ; il l’accomplit maintenant jusqu’au bout en «annonçant la volonté de Dieu», c’est-à-dire en prophétisant sa mort prochaine et en laissant aux anciens la charge de poursuivre l’œuvre d’annon-cer le Royaume.

«attentifs» : ce verset charnière, très dense, pré-sente tout le mystère de l’Église. Il ne s’agit plus, à partir de là, de Paul, mais des anciens : il évo-que leur tâche et les qualités qu’ils doivent revêtir pour la remplir. L’expression «soyez attentifs…», littéralement «prenez garde à vous-mêmes», revient à plusieurs reprises en Luc (12,1 ; 17,3 ; 21,34 où elle introduit le dernier appel de Jésus à la vigi-lance). La vigilance doit d’abord s’exercer sur soi-même afin que le pasteur soit irréprochable pour pouvoir remplir correctement son rôle (cf. 1 Thessaloniciens 4,16 : «Veille sur ta personne et sur ton enseignement»).

«troupeau» : l’expression est courante dans le Pre-mier Testament pour désigner le peuple élu par Dieu, ainsi que l’appellation de berger pour dési-gner celui qu’il a placé à la tête de ce peuple (cf. par exemple Psaume 77,21 ; 95,7 ; Jérémie 23,1-6 ; Ezéchiel 34…) L’image, ainsi que le conseil, sont repris dans la 1ère épître de Pierre : «Paissez le trou-peau qui vous est confié… en devenant le modèle du troupeau» (1 Pierre 5,1-4).

«l’Esprit Saint» : on sait l’importance du rôle de l’Esprit dans les Actes. Ici la formule peut être rap-prochée de celle de Jésus, dans son discours après la Cène (dont on a déjà souligné de nombreux points de contact avec ce passage) : Jésus avait «disposé du Royaume» pour ses apôtres, jugeant les douze tribus d’Israël (Luc 22,19-30) ; ici l’Esprit «établit» (littéralement : «pose» les anciens pour «paître l’Église de Dieu». L’Esprit en somme conti-nue l’œuvre de Jésus en assignant des «gardiens» au troupeau. Cf. Luc 12,32 : «Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume».

«gardiens» : en grec episkopos, «épiscope», ce qui a donné en français le mot «évêque» ; littéralement : «celui qui veille sur». C’est l’unique emploi dans l’œuvre de Luc de ce terme qui, quelques géné-rations plus tard, désignera le responsable d’une Église locale. Ici il n’a pas encore de sens techni-que, mais il souligne la responsabilité des pasteurs vis-à-vis du troupeau.

«acquise» : la 1ère lettre de Pierre parle du «peu-ple que Dieu s’est acquis» (1 P 2,9), en citant Isaïe 43,21 : «Le peuple que je me suis formé publiera mes louanges» (cf. aussi Actes 15,14 : «Dieu a tiré d’entre les païens un peuple réservé à son nom»). Ici il est précisé que le peuple est constitué en «Église» (étymologiquement : «assemblée», ter-me qui qualifiait déjà dans la Première Alliance le rassemblement du peuple de Dieu). «L’Église» désigne d’abord la communauté des croyants de Jérusalem (Actes 5,11), puis l’expression est éten-due aux communautés implantées en divers lieux, avant de prendre un sens théologique, amorcé ici et amplement développé dans les lettres de Paul (Colossiens 1,18 ; Éphésiens 1,23 ; 5,23s).

«sang» : le passage de l’assemblée du peuple élu à l’Église de Dieu est la conséquence de la «nou-velle alliance» que Jésus a définie pour ses apôtres comme «l’Alliance en mon sang versé pour vous». Voici un nouveau point de contact avec le dis-cours après la Cène et une raison supplémentaire d’insister sur la responsabilité des pasteurs qui doivent, eux aussi, être prêts à verser leur sang pour le troupeau.On peut noter aussi la dimension trinitaire du verset qui se réfère à l’Esprit Saint, à l’Église de Dieu (le Père) et au sang du Fils.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 71

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Je sais» : seconde prophétie de Paul (qui reprend la même formule qu’en 20,25) ; elle concerne cette fois-ci, non l’avenir de Paul, mais celui de la communauté qu’il voit menacée par des dangers venus à la fois de l’extérieur et de l’intérieur.

«loups redoutables» : on pense à la mise en garde de Matthieu 7,15 : «Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces». Mais quels sont ces faux prophètes qui vont attaquer le troupeau et quel-les idées ou pratiques nocives tentent-il de répan-dre ? La formulation de Luc reste trop vague pour permettre de répondre à cette question.

«du milieu de vous» : un second danger, peut-être plus redoutable, consiste dans des déviances appa-rues au sein même de la communauté. La 2ème let-tre de Pierre met de la même manière en garde : «Il y a eu de faux prophètes dans le peuple, comme il y aura aussi parmi vous de faux docteurs qui introdui-ront des sectes pernicieuses et qui, reniant le Maître qui les a rachetés, attireront sur eux une prompte per-dition» (2 Pierre 2,1).

«discours pervers» : l’avertissement vaut d’abord pour les anciens qui risquent eux-mêmes de de-venir de mauvais gardiens dévoyant le troupeau. On peut penser aux «judaïsants» – «certaines gens du parti des Pharisiens qui étaient devenus croyants» (Actes 15,5) – dont l’assemblée de Jérusalem avait condamné les positions (cf. 15,1-28 ; Atelier biblique n°5 du 17 juin 2011). La lettre aux Ga-lates nous apprend qu’ils n’avaient pas désarmé : «Il y a des gens en train de jeter le trouble parmi vous et qui veulent bouleverser l’Évangile du Christ» (Galates 1,7), eux que Paul nomme encore «ces faux frères qui se sont glissés pour espionner la liberté que nous avons dans le Christ Jésus» (2,4).

«vigilants» : la vigilance est une qualité proprement chrétienne qui fait l’objet de la dernière recom-mandation de Jésus, en Luc, dans la finale du dis-cours eschatologique, juste avant le récit de la Passion : «Tenez-vous sur vos gardes… Veillez donc et priez en tout temps…» (Luc 21,34-36). C’est la qualité propre au bon serviteur dans l’attente du retour de son Maître (cf. Luc 12,31).

«souvenant» : le souvenir est une dimension essen-tielle de la foi biblique : le peuple est sans cesse appelé à se souvenir de l’alliance (Deutéronome 4,23…), des

hauts faits du Seigneur (Exode 14,8-9.14 ; Psaume 77,12-13 ; 78…), de sa sollicitude (Deutéronome 8,2-4 ; Psaume 105,5s…), pour continuer à marcher dans la voie qu’il lui a tracée. Ici la fidélité des anciens est invitée à s’appuyer sur l’enseignement de Paul (cf. 19,9-10) et sur sa prière d’intercession pour eux (dont les «larmes» font écho à celles de 20,19).

«confie» : l’affirmation se réfère à la pratique habi-tuelle de Paul, attestée dès la fin de son premier voyage missionnaire en compagnie de Barnabé. Repassant par les villes qu’ils ont évangélisées, ils en organisent les communautés en les confiant à Dieu : «Ils leur désignèrent des anciens dans chaque Église et, après avoir fait des prières accompagnées de jeûne, ils les confièrent au Seigneur en qui ils avaient mis leur foi» (Actes 14,23). Il est remarquable que Paul ne confie pas la Parole aux anciens, pour qu’ils la conservent, mais qu’il les confie eux-mêmes à «la parole de grâce» : ils ont moins à transmettre la littéralité d’un enseignement qu’à se remettre et à remettre constamment leur communauté à la Parole vivante, le Verbe de Dieu, qui l’a suscitée et saura en prendre soin. Comme au verset 28, on peut voir, surtout dans l’original grec, une allu-sion trinitaire, les anciens étant confiés à Dieu (le Père), à la «parole de la grâce» (le Fils) et à «celui qui a la puissance» (l’Esprit Saint).

«bâtir» : en ce temps d’après Pentecôte, l’œuvre du Saint-Esprit est la plus visible. Elle s’exprime ici au moyen de deux images : l’édifice et l’héritage. L’image de la construction est souvent reprise dans les épîtres pauliniennes ; cf. par exemple en Éphésiens 2,20-22 : «La construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et les prophètes et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même. En lui toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint dans le Seigneur ; en lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu dans l’Esprit.»

«héritage» : la notion était déjà bien présente dans le Premier Testament, depuis la promesse faite à Abraham (Genèse 12,7). Cf. les bénédictions de Moïse en Deutéronome 33,3-4 : «Toi qui aimes les ancêtres, tous les saints sont dans ta main… L’assem-blée de Jacob entre en ton héritage». L’Église (litté-ralement : «l’assemblée») est appelé à entrer dans l’héritage du Père, non parce qu’elle est compo-sée de «saints», mais parce que les croyants ont été «sanctifiés» par le sang du Fils et la puissance

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 72

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

de l’Esprit. C’est ce que Paul explique aux Gala-tes : «Si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse» (3,29) ; «aussi n’es-tu plus esclave mais fils, fils et donc héritier de par Dieu» (4,7).

«convoité» : après la vigilance, la deuxième qualité attendue des anciens est le désintéressement, à l’exemple de Paul lui-même. Ainsi que de Pierre qui déclarait au boiteux de la Belle Porte : «De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne» (Actes 3,6). On se souvient que cette question de l’argent était posée dès la première communauté de Jérusalem à partir de deux exem-ples antagonistes : la générosité de Barnabé qui «vendit son champ, apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres» (4,37), et la fraude d’Ananie et Saphire, punis pour avoir «détourné une partie du prix» de leur propriété, mais surtout pour avoir «menti à l’Esprit Saint» (5,2-3). Cet exemple du premier péché de la communauté, ainsi que les termes ici employés (argent, or, vêtement), évo-que le péché commis, juste après l’entrée en Terre Promise, par Akân qui avait pris dans le butin un manteau, de l’argent et de l’or (Josué 7,16-26). Sur ce «péché originel» de la communauté, que ne doit surtout pas reproduire l’Église d’Éphèse, voir l’Atelier biblique n°2 du 10 février 2011.

«mains» : Luc a déjà expliqué comment Paul s’était lié à Aquila et Priscille, au moment de la fonda-tion de l’Église de Corinthe : «comme ils étaient du même métier, il demeura chez eux et y travailla. Ils étaient de leur état fabricants de tentes» (Actes 18,3). Paul a donc effectivement eu l’habitude de travailler de ses mains. S’il affirme que les mission-naires accomplissent un véritable travail qui mé-rite salaire (cf. Luc 10,7) et que les communautés doivent donc les assister (cf. 1 Corinthiens 9,4-11 : «Si nous avons semé en vous les biens spirituels, est-ce extraordinaire que nous récoltions vos biens tempo-rels ?»), lui-même a toujours voulu travailler afin de «n’être à la charge de personne» (1 Thessaloni-ciens 2,9 ; 2 Thessaloniciens 3,8) et pour «annon-cer gratuitement l’Évangile de Dieu» (2 Corinthiens 11,7), de façon à répondre à la gratuité du don de Dieu (1 Corinthiens 9,15-18). De la même ma-nière, il demande aux «frères» de travailler pour «n’avoir besoin de personne» (1 Thessaloniciens 4,11) et «manger le pain qu’ils ont eux-mêmes ga-gné» (2 Thessaloniciens 3,10-12), mais aussi pour pouvoir «secourir les nécessiteux» (Éphésiens 4,28).

«faibles» : le terme peut renvoyer à un état de dé-ficience physique (maladie) ou économique (pau-vreté). De même que le travail ne suffit pas seule-ment à garantir l’autonomie de chacun, mais doit surtout être mis au service de la communauté en aidant à secourir les pauvres, de même les anciens ne doivent pas seulement être désintéressés, mais aussi charitables. La première communauté de Jé-rusalem a tout de suite compris et appliqué cette conséquence concrète du commandement de l’amour laissé par Jésus : «Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun… Aussi parmi eux nul n’était dans le besoin, car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun sui-vant ses besoins» (4,32.34-35). La doctrine sociale de l’Église ne date pas des temps modernes !

«parole du Seigneur» : qu’en dernier recours les re-commandations de Paul se fondent sur «la parole du Seigneur» n’a rien de surprenant. On peut en revanche être étonné par cette maxime qui ne se trouve pas dans les évangiles et n’est connue que par cette citation. Le quatrième Évangile nous avertit bien cependant que «Jésus a fait (et dit !) sous les yeux de ses disciples beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre» (Jean 20,30). On peut néanmoins constater la proximité entre cet-te maxime et certaines formules du discours des béatitudes en Luc : «Faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour… Donnez et l’on vous don-nera…» (6,35.38) ; ou encore : «Lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles : heureux seras-tu alors de ce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre» (14,13-14).

«donner» : la maxime se présente comme une béa-titude qui se situe bien dans la logique du Royau-me. Elle place dans le droit fil de l’imitation de celui qui «est venu en aide à Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde» (Luc 1,54) et «a fait miséricorde à nos pères» en se souvenant de son alliance (1,72) ; et elle fonde tout le discours qui met l’accent sur le don gratuit de Dieu (verset 24 : «l’Évangile de la grâce» ; verset 32 : «la parole de la grâce»…) Ainsi, par-delà l’exemple de Paul, les an-ciens sont-ils conviés à se référer en dernier lieu à la Parole de Dieu, qui est Dieu lui-même, et à qui ils ont été remis (20,32).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 73

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Seigneur Jésus, tu as pris résolument la route de Jérusalempour t’y livrer à ta Passion volontaireet réconcilier en ta chair les hommes entre eux et avec Dieu ;sois béni pour les témoins de ton amourqui à ta suite, dans le même élan,ont choisi de livrer leur vie pour leurs frères et pour toi.Tu es le Bon Pasteur qui connaît chacune de ses brebis par son nom,veille sur les plus faibles et se réjouit des bien portantes ;sois béni pour les pasteurs de ton Églisequi, à ta suite, prennent soin de leurs frères,en imitant ta douceur et ta bienveillance.Fais de toute notre vie un témoignage à la gloire de ton Nom,qui dise, par tous ses actes, la joie qu’il y a à se livrer à ton amouret à ne rien vouloir retenir qui puisse être donné.Jusqu’à ce que cette joie débordante de se savoir aimé de toisoit annoncée et partagée par touset que s’établisse, sur la terre comme au ciel,le Règne de ta douceur et de ta paix. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Paul emprisonné ? Théophile en est bouleversé et ne peut y croire. Ce «messager de la Bonne Nou-velle» qui, inlassablement, arpentait l’Asie et l’Europe, les îles et les terres, comment peut-il être enchaîné ? Ce héraut de l’Évangile qui parlait à tous avec la même fougue, argumentant avec les

Juifs et discutant avec les Grecs, si maladroit et si habile tout à la fois, brûlé par l’amour du Christ qu’il ne pouvait pas ne pas annoncer, se peut-il qu’on l’ait fait taire ?

«Dois-je rappeler les périls qu’il affronta, et tout le reste de ses tribulations ? Car les sujets de décourage-ment ne lui manquaient pas. Ne dit-il pas : ‘Qui est faible sans que je sois faible ? Qui vient à trébucher sans qu’un feu me brûle ?’ (2 Corinthiens 11,29). Cet homme qui, chaque jour de sa vie, souffrait, si j’ose dire, pour tous les habitants de la terre et pour tous les peuples, sans distinction, pour toutes les cités et pour chaque homme en particulier, à quoi pourrait-on le comparer ? À quelle sorte de fer ? À quelle sorte de diamant ? Par quels mots caractériser une personnalité de cette trempe ? Direz-vous que c’était du fer ? du diamant ? Car elle était plus résistante que toute espèce de diamant et plus précieuse que l’or, plus précieuse que les pierres précieuses. Car elle surpassait la robustesse de l’un et la valeur des autres. Cependant qu’ai-je à faire d’une telle comparaison ? En effet, s’il a donné plus de prix à l’amour du Seigneur qu’à la condition céleste et à tout ce qui est dans les cieux, combien le Seigneur, dont la bonté déborde celle de Paul, l’estimera à un prix plus haut que tous les cieux imaginables ! Car le Seigneur ne nous aime pas selon la même mesure que nous l’aimons, mais selon une mesure tellement supérieure que le langage même ne saurait nous en donner l’image. Voyez, en tous cas, de quelles faveurs le Sei-gneur l’a jugé digne, avant même la résurrection future : il l’a ravi en paradis, il l’a entraîné au troisième

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 74

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

ciel, il lui a donné d’être associé à des secrets sur lesquels nulle créature humaine n’a le droit de dire un mot (cf. 2 Corinthiens 12).» (S. Jean Chrysostome, IVe s.)

Théophile avait suivi Paul avec émotion, au long du parcours compliqué le ramenant à Jérusalem. Il s’identifiait si bien à son ami Luc participant à l’expédition ! Il voyait l’Apôtre, toujours sur les che-mins, empruntant les routes terrestres au mépris de la fatigue, et les routes maritimes, en ignorant les dangers, voulant dans chaque communauté revoir, une dernière fois, ses «petits enfants» (Galates 4,19) et leur dire adieu, déjouant les complots de ses adversaires et les incertitudes de la navigation. Il lui paraissait en tout si bien conseillé par l’Esprit, si assuré de sa trajectoire et de son but que Théophile ne pouvait croire à cette issue funeste, pourtant si souvent prédite.

Il se souvient pourtant, avec un serrement de cœur, que Jésus lui aussi avait annoncé à ses apôtres qu’il montait à Jérusalem et que son visage résolu lorsqu’il avait pris la route (Luc 9,51) laissait bien entendre qu’il savait que Jérusalem, la ville qui «tue les prophètes et lapide les envoyés» (13,34), apprêtait pour lui les clous et la croix.

«Ceux qui versèrent le sang du Christ ne le firent pas pour effacer les péchés du monde. Mais incons-ciemment ils ont servi l’économie du salut. Dans cette effusion de sang, en effet, la haine des persécuteurs n’était pas seule à l’œuvre, mais aussi l’amour du Sauveur. La haine fit son œuvre de haine, l’amour fit son œuvre d’amour. Ce n’est pas la haine, mais l’amour qui œuvra le salut. Ce Fils unique a été offert, non parce que ses ennemis ont prévalu, mais parce que lui-même l’a voulu. ‘Il a aimé les siens’, il les a aimés ‘jusqu’à la fin’. La fin, c’est la mort acceptée pour ceux qu’il aime : voilà la fin de toute perfection, la fin de l’amour parfait. Car ‘il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis’. Cet amour du Christ fut plus puissant, dans la mort du Christ, que la haine de ses ennemis ; la haine put seulement ce que lui permit l’amour. On livra le Christ à la mort, et cela par méchante haine ; le Père livra son Fils, le Fils se livra lui-même, et cela par amour. L’amour n’est cependant pas coupable de trahison ; il est innocent, même quand le Christ en meurt. Car seul l’amour peut faire impunément ce qui lui plaît. Seul l’amour peut contraindre Dieu, et comme lui commander.» (Baudoin de Ford, XIIe s.)

*

Et Théophile, comprenant que l’amour seul permet d’expliquer tout ce qui advient, entreprend de relire à cette lumière les étapes vers Jérusalem. Il relit la soirée d’adieu à Troas comme une parabole de ce qui va arriver : le pain rompu avec les frères – comme Jésus l’avait accompli avec les siens et selon l’ordre qu’il en avait laissé –, le partage aussi de la parole, comme un viatique, et l’enfant tombé par la fenêtre, que tous croient mort mais que Paul rappelle à la vie. Oui, quelle parabole, qui dit le Seigneur vivant dans son Église, par la parole et le pain, le Seigneur ressuscité, vivant éternellement en ses disci-ples promis eux aussi à une vie sans fin ! Théophile relit encore la halte à Milet et le discours aux anciens accourus d’Éphèse tout exprès pour voir Paul encore et se rassasier de ses paroles. Ceux-là désormais sont les pasteurs du troupeau à la place de Paul. À la place du Christ, le vrai Berger, qui leur remet la tâche de veiller sur ses brebis. Comme lui-même l’a fait, c’est-à-dire en leur livrant sa vie.

«Nous pouvons nous trouver exposés à la violence des bandits et aux dents des loups furieux, et nous vous demandons de prier pour nous. Car les brebis sont rétives, et lorsqu’on cherche celles qui sont égarées, elles disent qu’elles sont devenues étrangères : ‘Si je suis égarée, disent-elles, si je suis près de mourir, pourquoi me cherches-tu ?’ C’est parce que tu es égarée que je veux te rappeler ; parce que tu vas à ta perte que je veux te retrouver. Oui, j’ose le dire, je suis importun. J’entends l’Apôtre me dire : ‘Annonce la parole, insiste à temps et à contre-temps’. Oui, je suis importun, j’ose dire : ‘Tu veux t’égarer, tu veux périr ? Moi, je ne veux pas !’ Je rappellerai la brebis égarée, je chercherai la brebis perdue. Que tu le veuilles ou non, je le ferai. Et si, dans ma recherche, les buissons des forêts me déchirent, je me ferai tout petit, je secouerai toutes les haies autant que le Seigneur puissant me donnera la force, je parcourrai toute la campagne. Si tu ne veux pas que je souffre, ne t’égare pas, ne te perds pas.» (S. Augustin d’Hippone, Ve s.)

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 septembre 2011 | 75

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Comment ne pas lire, en cela aussi, une parabole de la résurrection ? Paul n’est plus là pour ex-horter et fustiger ; mais d’autres pasteurs se sont levés, qui, eux aussi habités par l’Esprit du Christ, avec force et douceur, encouragent et reprennent, stimulent et enseignent.

«La brebis faible se fortifie lorsqu’on lui dit : ‘Attends-toi aux tentations de ce monde, mais le Seigneur te délivrera de toutes, si ton cœur ne s’éloigne pas de lui. Car c’est pour fortifier ton cœur qu’il est venu souffrir, qu’il est venu mourir, qu’il est venu se faire cracher au visage, qu’il est venu se faire cou-ronner d’épines, qu’il est venu entendre des insultes, qu’il est venu enfin se faire crucifier. Il a fait tout cela pour toi ; et toi, rien. Il ne l’a pas fait pour lui, mais pour toi.’ Lorsque les pasteurs craignent de blesser ceux à qui ils parlent, non seulement ils ne les préparent pas aux tentations qui les menacent, mais encore ils leur promettent le bonheur de ce monde que le Seigneur n’a pas promis au monde. Abandonne le sable, construis sur la pierre, sur le Christ, puisque tu veux être chrétien !» (S. Augustin d’Hippone, Ve s.)

*

Théophile pense à son ami Luc, si proche de Paul, qui l’a suivi dans ses tribulations : «Nous étions réunis pour rompre le pain… nous repartîmes le lendemain…» (Actes 20,7.15). Et voilà qu’il se sent pris dans ce grand mouvement de marche et de célébration : à la suite de Paul, à la suite de Luc, il sait que sa vie – que la vie de tout baptisé – désormais sera cela : une marche, parfois difficile, mais soutenue par la manne quotidienne de l’eucharistie, vers le Christ qui ne promet pas seulement la résurrection, mais qui est la Résurrection.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 76

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 22,30-26,32

Après l’arrestation de Paul à Jérusalem, le discours qu’il a improvisé devant le Temple (22,1-31) et l’émeute qui s’en est suivie (22,22-29), c’est un long parcours judiciaire qui est raconté, étape après étape, dans les quatre chapitres que nous lisons ce mois-ci. De même que Jésus avait été

renvoyé de la juridiction d’Hérode à celle de Pilate, du pouvoir religieux au pouvoir politique, Paul est amené à comparaître devant le Sanhédrin (23), puis devant le gouverneur romain Félix (24) et enfin devant le roi Agrippa (25-26). Mais ces comparutions, qui s’échelonnent sur plusieurs années, sont entrecoupées de complots déjoués (23,12-22 ; 25,1-5), de transferts du prisonnier (23,23-35) et de changements des autorités compétentes, de Félix à Festus (24,27), de Festus à Agrippa (25,13-22). Aussi plutôt que d’essayer de suivre par le menu ces péripéties un peu déroutantes, il nous faut plutôt essayer de comprendre ce que Luc veut signifier par ces longs récits.

Le chapitre 23 – qui commence en fait par un verset de transition (22,30) – raconte d’abord la comparution chaotique de Paul devant le Sanhédrin – passage que nous méditons plus particulièrement ce mois-ci – qui, s’il ne contient qu’une ébauche de discours, contrairement au chapitre précédent, se termine, lui aussi par une vision du Seigneur encourageant Paul à poursuivre sa mission (22,17-18 ; 23,11). La rupture avec la Ville sainte et les autorités juives paraît donc bien consommée comme le montre, tout de suite après, le récit quelque peu rocambolesque d’un complot fomenté par des Juifs contre Paul et déjoué grâce à l’intervention de son neveu (23,12-22). Le tribun Lysias, décidément sou-cieux de faire juger son prisonnier selon le droit, le fait échapper, pour la troisième fois, à la mort en ordonnant son transfert précipité à Césarée, avec une forte escorte (23,23-35). La montée à Jérusalem, si ardemment voulue par Paul (cf. 19,21 ; 20,16.23 ; 21,13), est donc bien achevée et l’Apôtre, qui n’est désormais plus maître de ses projets, mais se trouve disputé entre des Juifs qui veulent sa mort et des Romains qui protègent sa vie, se retrouve là où il avait abordé en Terre Sainte, à Césarée (21,9.15-16).

Ces passages sont riches en détails historiques intéressants : on y apprend que Paul avait une sœur à Jérusalem ; on y comprend que la Ville sainte est devenue un lieu de violences et de règlements de compte où des fanatiques sont prêts à donner la mort aux opposants ; on y voit comment un officier romain, imbu de son rôle et de la force du droit de son peuple, rédige pour son supérieur un rapport et comment ce supérieur, escomptant un intérêt politique ou financier, laisse traîner les affaires. Toutes choses intéressantes, mais qui ne sont ici contées que pour mieux faire ressortir l’attitude de Paul, témoin de la vérité, tandis que ceux qui l’accusent ne semblent agir que selon leurs intérêts ; témoin du Christ qu’il n’annonce plus en paroles mais par son silence, semblable à celui du Maître durant sa Passion.

Le chapitre 24 relate la seconde comparution de Paul, cette fois-ci, devant Félix. Ses accusa-teurs, dont le grand prêtre en personne, se présentent à la forteresse du gouverneur romain, à Césarée (24,1), signe là encore du passage qui est en train de s’opérer de Jérusalem aux nations. Deux plaidoiries se succèdent : celle de Tertullus, l’avocat du Sanhédrin (24,2-9), et celle de Paul lui-même (24,10-21). Contrairement à ce qui s’était passé à Jérusalem, la confrontation à Césarée reste paisible : on n’est plus dans le bouillonnement religieux et insurrectionnel de Jérusalem que le tribun avait tant de mal à réprimer ; on se situe désormais dans le temps long de l’administration de l’occupant qui, s’il veut faire les choses dans l’ordre, sait aussi laisser s’enliser les affaires lorsqu’elles risquent de devenir gênantes.

Le plaidoyer (24,2-8) de l’avocat qu’ont dû engager les anciens – que Luc dépeint ironiquement comme incapables de soutenir eux-mêmes leur cause – se place sur le terrain juridique, selon l’at-tente des Romains, et parle de «désordres» (24,5), d’atteintes à l’ordre public. Tandis que Paul (24,10-20), comme devant le Sanhédrin, ne voit à son accusation qu’une seule raison, deux fois répétée : sa foi en la résurrection des morts (24,15.21). Sans récuser la compétence du gouverneur – comme il l’avait fait pour le grand prêtre (24,10 ; cf. 23,3-5) –, il situe néanmoins clairement la question sur le plan religieux.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 77

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Le procès cependant tourne court puisque Félix l’ajourne (24,22). La troisième partie du cha-pitre (24,22-27) montre comment de ce fait il retient Paul prisonnier à Césarée et quelles relations ambiguës il noue avec lui. Un peu à la manière d’Hérode face à Jean Baptiste, Félix – ainsi que sa femme dont il est rappelé qu’elle est juive et qui, comme Hérodiade, a une situation matrimoniale compliquée (24,24) – aime entendre Paul parler, mais ne peut le suivre dans son raisonnement (24,24-25 ; cf. Marc 6,20). Laissant traîner l’affaire par intérêt financier (24,26) et politique – «voulant faire plaisir aux Juifs» (24,27) –, il garde Paul prisonnier («lié», dit le texte) pendant deux ans. C’est un événement extérieur : sa disgrâce et la nomination de son successeur, Festus, qui va faire bouger les choses et ouvrir la der-nière séquence.

Aux chapitres 25 et 26 prend place en effet la troisième comparution de Paul, celle-ci devant le roi Agrippa. Mais auparavant, c’est d’abord l’action de Festus, le nouveau gouverneur, qui est soulignée (25,1-12).

Ce magistrat semble vouloir reprendre énergiquement l’affaire, mais la même séquence de faits que deux ans plus tôt se déroule : accusation des notables juifs (25,2) ; projet de complot (25,3), empê-ché par le respect procédurier de la législation romaine (25,4) ; et finalement nouvelle citation devant le tribunal (25,6-12). De même que Paul avait échappé à l’hostilité de la foule et à la menace de torture en dévoilant au tribun Lysias sa citoyenneté romaine (22,25-29), de même il échappe à ce faux procès et à la velléité du gouverneur de le livrer aux autorités juives (25,9) en faisant appel à César, comme tout citoyen romain en avait le droit (25,10-11). De même que le tribun, effrayé à l’idée qu’on puisse lui reprocher de n’avoir pas su protéger un citoyen, n’avait pas hésité à convoquer le Sanhédrin (22,30), puis à organiser le transfert de nuit du prisonnier pour le mettre en sécurité (22,23-24), de même le gouverneur Festus accède à la demande de Paul (25,12) et prévoit son départ pour Rome. Et, dans son désir d’envoyer à l’empereur un rapport solide – car, avoue-t-il, «je n’ai rien de bien précis à écrire au Seigneur sur son compte» (25,26) –, il n’hésite pas à présenter son prisonnier au roi Agrippa, de passage à Césarée.

L’organisation de cette confrontation par Festus occupe la fin du chapitre 25 (25,13-27), tandis que le chapitre 26 est, pour sa plus grande part, constitué par la plaidoirie de Paul (26,1-23), suivie des réactions de son auditoire (26,24-32).

Le gouverneur romain résume donc pour ses hôtes de passage la situation juridique compliquée que lui a laissée Félix : un homme, prisonnier depuis deux ans, n’ayant apparemment commis aucun crime contre l’Empire et poursuivi seulement par la haine de ses coreligionnaires, mais qui a demandé à être soumis à la juridiction impériale. Il touche d’ailleurs au cœur de la question en parlant de «contes-tations concernant un certain Jésus qui est mort et que Paul affirme être en vie» (25,19). Face à ce Romain, soucieux de légalité, Agrippa réagit comme l’avait fait son grand oncle Hérode Antippas lorsque Pilate lui avait envoyé l’accusé Jésus : «Hérode, en le voyant, fut tout joyeux ; car depuis assez longtemps il désirait le voir, pour ce qu’il entendait dire de lui ; et il espérait lui voir faire quelque miracle» (Luc 23,8 ; cf. aussi 9,9). Agrippa de même désire «entendre cet homme» (Actes 25,23). Il est à noter qu’à chacune des étapes de ce long parcours judiciaire, l’innocence de Paul est soulignée par les fonctionnaires romains : le tribun Lysias (23,29) ; Félix, de manière implicite en n’instruisant pas le procès (24,22) ; et ici, Festus (25,25), avec les mots mêmes qu’avait utilisés Pilate à propos de Jésus, en entérinant le jugement d’Hérode : «cet homme n’a rien fait qui mérite la mort» (Luc 2,14-15).

La longue apologie qu’il est alors permis à Paul de prononcer (26,2-23), reprend les mêmes thè-mes que son discours devant le Temple (22,3-21). Il rappelle ses origines (24,4-8) en insistant sur sa foi pharisienne pour montrer que, loin de la renier, il la mène à son accomplissement. Il rappelle comment il est devenu, par zèle, persécuteur de ceux qui se réclamaient de Jésus (26,9-11) et comment la voix de ce même Jésus l’a retourné sur la route de Damas (26,12-18). Ce troisième récit de sa conversion – après ceux des chapitres 9 et 22 – insiste moins sur les faits – le rôle d’Ananie, par exemple, est tout

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 78

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

à fait gommé – que sur la mission qui lui a été confiée, en termes empruntés au prophète Isaïe : faire passer les nations païennes «des ténèbres à la lumière» (26,18). S’exprimant ainsi par des réminiscen-ces bibliques que le roi Agrippa peut saisir, Paul se présente finalement comme le véritable «serviteur» qu’Israël a vocation à être. Il peut alors justifier sa conduite (26,19-23) : comme les prophètes des temps anciens, il a obéi à Dieu en prêchant le repentir (26,20). En annonçant la mort et la résurrection du Christ, il n’a fait que rendre explicite le message de l’Écriture (26,27-28).

Luc avait montré Jésus, «debout au milieu de ses disciples (…), ouvrant leur esprit à l’intelligence des Écritures» : «Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem» (Luc 24,44-47). De même il situe Paul, «soutenu» par Dieu (littéralement : «tenu debout», Actes 26,22) en témoin vivant du Ressuscité, transmettant à ses auditeurs ce que lui-même a reçu dans sa vision de Damas. Paul est ainsi constitué apôtre (cf Luc 44,48), et appelle finalement moins à l’inno-center qu’à le suivre.

Ses auditeurs ne s’y trompent pas comme le montrent, dans le dernier passage du chapitre, leurs réactions contrastées (26,24-32). Festus se débarrasse de ce questionnement qui le dépasse, en taxant Paul de folie (26,24) ; tandis qu’Agrippa est ébranlé par ce témoignage de foi et la perspective de salut qu’il ouvre : «Encore un peu, et par tes raisons tu vas faire de moi un chrétien» (26,28). Aussi la conclusion n’a plus rien de juridique, mais devient une prière (26,29) : que le Seigneur «aujourd’hui» (l’adverbe même de la conversion), vienne toucher tous ces hommes ! C’est l’objet et le sens de sa mission que rappelle ainsi Paul.

Mais le noble auditoire se retire : l’accusé n’a pas donné de preuves, il s’est institué en témoin. Il «ne mérite ni la mort ni les chaînes» (26,31) ; il est libre par Dieu et pour Dieu, mais il reste prisonnier des hommes auprès desquels il doit encore témoigner jusqu’au cœur du pouvoir humain : à Rome.

Méditer - Paul devant le Sanhédrin (Actes 23,1-11)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

On s’attendrait à un nouveau discours. Paul, arrêté devant le Temple, avait déjà longuement harangué la foule hostile qui l’entourait. Conduit le lendemain devant le Sanhédrin, par le tribun romain, il tient là l’occasion d’un discours plus enflammé encore devant cette assemblée choisie. Mais le discours attendu se réduit à deux phrases et la comparution se résume à deux altercations qui ne laissent apparaître que violence et divisions. C’est que Paul, identifié à Jésus, est soumis au jugement des hommes, mais déjà situé au-delà, collaborant de toute sa liberté au dessein de Dieu. La Loi a montré ses limites et la Ville sainte, son refus ; c’est plus loin, à Rome, que Paul doit à présent porter son témoignage.

23 [1] Fixant du regard le Sanhédrin, Paul dit : «Frères, c’est tout à fait en bonne conscience que je me suis conduit devant Dieu jusqu’à ce jour.» [2] Mais le grand prêtre Ananie ordonna à ses assistants de le frapper sur la bouche. [3] Alors Paul lui dit : «C’est Dieu qui te frappera, toi, muraille blanchie ! Eh quoi ! Tu sièges pour me juger d’après la Loi, et, au mépris de la Loi, tu ordonnes de me frapper !» [4] Les assistants lui dirent : «C’est le grand prêtre de Dieu que tu insultes ?» [5] Paul répondit : «Je ne savais pas, frères, que ce fût le grand prêtre. Car il est écrit : Tu ne maudiras pas le chef de ton peuple.»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 79

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

[6] Paul savait qu’il y avait là d’un côté le parti des Sadducéens, de l’autre celui des Pharisiens. Il s’écria donc dans le Sanhédrin : «Frères, je suis, moi, Pharisien, fils de Pharisiens. C’est pour notre espérance, la résurrection des morts, que je suis mis en jugement.» [7] À peine eut-il dit cela qu’un conflit se produisit entre Pharisiens et Sadducéens, et l’assemblée se divisa. [8] Les Sadducéens disent en effet qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, tandis que les Pharisiens professent l’un et l’autre. [9] Il se fit donc une grande clameur. Quelques scribes du parti des Pharisiens se levèrent et protestèrent énergiquement : «Nous ne trouvons rien de mal en cet homme. Et si un esprit lui avait parlé ? Ou un ange ?» [10] La dispute devenait de plus en plus vive. Le tribun, craignant qu’ils ne missent Paul en pièces, fit descendre la troupe pour l’enlever du milieu d’eux et le ramener à la forteresse.

[11] La nuit suivante, le Seigneur vint le trouver et lui dit : «Cou-rage ! De même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, ainsi faut-il encore que tu témoignes à Rome.»

«Fixant» : Paul, à la demande du tribun qui l’a conduit devant le Sanhédrin pour qu’il s’expli-que, semble commencer un nouveau discours ; mais celui-ci, qui démarre abruptement, sans les préambules habituels, s’interrompt au bout d’une phrase. Le passage comporte en fait deux scènes successives : l’altercation entre Paul et le grand prêtre (24,1-5) ; puis celle entre Pharisiens et Sad-ducéens (24,6-10), avant un verset conclusif rap-portant une vision (24,11). Ce qui est en cause est finalement le refus d’écouter (on fait taire immé-diatement Paul) et les conséquences de division et de violence que produit cette non-écoute.

«Sanhédrin» : tribunal compétent pour les affai-res religieuses, qu’il juge en interprétant la Loi, et composé des plus hautes autorités juives – grands prêtres, scribes et anciens du peuple. Jésus avait été, lui aussi, traduit devant le Sanhédrin (Luc 23,66s) et avait annoncé à ses disciples qu’ils se-raient eux-mêmes «livrés aux synagogues et aux prisons, traduits devant des rois et des gouverneurs» (21,12) : c’est bien ce qui arrive à Paul qui, après sa comparution devant le Sanhédrin, devra s’ex-pliquer devant le gouverneur romain Félix (Actes 24,10-21) et devant le roi Agrippa (26,1-29).

«Frères» : la formule surprend par sa familia-rité. Pierre, convoqué lui aussi au Sanhédrin,

s’était adressé aux «chefs du peuple et anciens» (Actes 4,9) ; Étienne, aux «pères et frères» (7,21), formule utilisée aussi par Paul devant les Juifs de Jérusalem, au moment de son arrestation (22,1). Ici, il s’adresse à ces hautes autorités avec une certaine désinvolture, car il va montrer, par ses paroles, qu’ils ne sont pas aptes à juger.

«bonne conscience» : cette qualité (syneidèsis) est souvent évoquée par Paul dans ses lettres (cf. 1 Corinthiens 4,1 : «ma conscience ne me repro-che rien» ; 2 Corinthiens 1,12 : «Ce qui fait notre fierté, c’est le témoignage de notre conscience…» ; 1 Timothée 1,5.19 ; 2 Timothée 1,3…). Paul est resté un bon pharisien qui cherche à garder une conscience pure, mais, pour ce faire, à présent, il soumet à la liberté de son jugement les coutumes, même si celles-ci sont traditionnellement rappor-tées à Moïse (cf. Actes 21,21).

«je me suis conduit devant Dieu» : littéralement : «je suis citoyen (politeuomai) pour Dieu». Paul si-tue d’emblée sa responsabilité face à Dieu seul, comme un bon citoyen est responsable devant César. Tout à la fois cela relativise le pouvoir de jugement que l’assemblée a sur lui, et place sa res-ponsabilité personnelle à un niveau plus universel et plus profond que celui de la simple obéissance à la Loi.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 80

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Ananie» : il fut grand prêtre de 47 à 52 ou 59 ; ré-puté collaborateur des Romains, il fut assassiné en 66, lors de la guerre juive. Ce grand prêtre porte le même nom (qui signifie : «Le Seigneur fait grâce») que le disciple qui avait été chargé d’accueillir Paul dans l’Église et de le baptiser (9,10-19). Ainsi, aux prémis-ses de son ministère comme à la fin, la présence de la grâce de Dieu est symboliquement rappelée.

«frapper» : le grand prêtre se disqualifie lui-même en imposant à ses subordonnés un acte contraire à la Loi qui voulait que l’on entende un accusé avant tout jugement (cf. Jean 7,50 où un Pharisien rappelle à ses pairs : «Notre Loi juge-t-elle un homme sans d’abord l’entendre et savoir ce qu’il fait !») et qu’on ne lui fasse pas subir de violence (cf. Léviti-que 19,15 : «Vous ne commettrez point d’injustice en jugeant...» ; Deutéronome 1,60…).

«la bouche» : le grand prêtre a été irrité par l’assu-rance et la familiarité du ton de Paul. Une scène semblable est rapportée pendant la Passion de Jé-sus, non comme on pourrait s’y attendre par Luc, mais par Jean : «Jésus lui répondit : ‘…Pourquoi m’in-terroges-tu ? Demande à ceux qui ont entendu ce que je leur ai enseigné ; eux, ils savent ce que j’ai dit.’ À ces mots, l’un des gardes, qui se tenait là, donna une gifle à Jésus en disant : ‘C’est ainsi que tu réponds au grand prê-tre ?’» (18,20-22). Mais il y a plus ici qu’une violence inique, rappel de celle qu’a subie Jésus : en frappant Paul sur la bouche, le grand prêtre, symboliquement, refuse la parole prophétique que celui-ci porte de la part du Seigneur (cf. Exode 4,12 ; Deutéronome 18,18-19 : «Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Si un homme n’écoute pas mes paroles, que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c’est moi-même qui en demanderai compte à cet homme.»)

«muraille blanchie» : c’est bien en prophète que s’exprime Paul. Non seulement il annonce la mort violente d’Ananie, mais il le fait en termes pro-ches de ceux qu’Ézéchiel employait contre les faux prophètes comparés à des hommes qui, au lieu de rebâtir la muraille protégeant la ville, se contentent de «la couvrir de crépi» : «Ils égarent mon peuple en disant : ‘Paix !’ alors qu’il n’y a pas de paix. Tandis qu’il bâtit une muraille, les voici qui la cou-vrent de crépi. (…) Eh bien, ainsi parle le Seigneur : ‘J’abattrai le mur que vous aurez couvert de crépi, je le jetterai à terre, et ses fondations seront mises à

nu. Il tombera et vous périrez sous lui, et vous sau-rez que je suis le Seigneur’» (Ézéchiel 13,10.13). Le même type de vocabulaire est appliqué par Jésus aux «scribes et Pharisiens hypocrites qui ressemblent à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle appa-rence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et de toute pourriture» : «Vous de même, au-dehors vous offrez aux yeux des hommes l’apparence de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité» (Matthieu 23,27-28).

«au mépris de la Loi» : première mise en évidence de l’incapacité des juges à juger avec justice Le grand prê-tre viole la Loi qu’il est censé défendre et appliquer ; il se montre ainsi indigne de conduire le peuple.

«je ne savais pas» : la réponse de Paul est à la fois ironique et profondément vraie. Il a certes reconnu celui qui préside le tribunal et l’a identifié comme grand prêtre ; mais, en même temps, il a montré que l’homme qui remplit cette fonction de grand prêtre n’agit pas comme tel et outrage la Loi : il n’est donc pas réellement grand prêtre ni pour Paul, ni aux yeux de Dieu qui, par la bouche de Paul, a dévoilé son péché et annoncé son châtiment.

«maudira» : citation d’Exode 22,27. Ce verset du Code de l’alliance interdit, dans la même phrase, le blasphème contre Dieu et la malédiction contre le chef du peuple qui en est le représentant sur terre. On rappelait aux condamnés par ce verset que, malgré leur colère ou leur déception devant la sentence, ils ne devaient pas s’en prendre au chef du tribunal qui ne faisait qu’exprimer la vo-lonté de Dieu. En recourant à cette citation de fa-çon un peu polémique, Paul veut montrer que lui, au moins, obéit à la Loi et qu’il l’accomplit mieux que ceux qui sont censés la défendre.

«savait» : après avoir disqualifié le grand prêtre, c’est à toute l’assemblée du Sanhédrin que Paul va adresser une seconde parole prophétique pour mettre en évidence l’infidélité de ses membres à leur mission. De même qu’il s’est montré plus fidèle à la Loi que le grand prêtre, il veut mainte-nant montrer qu’il est plus fidèle qu’eux tous à la foi pharisienne en l’avènement du Messie accom-pagné du signe de la résurrection des morts.

«Sadducéens» : ils sont présentés par Luc, dans son évangile, comme «ceux qui ne nient qu’il y ait une résurrection» (20,27) et viennent poser à Jésus la

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 81

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

question absurde de la femme ayant épousé tour à tour sept frères : «Cette femme, à la résurrec-tion, duquel d’entre eux va-t-elle devenir la femme ? Car les sept l’auront eue pour femme» (20,33). De fait, les Sadducéens, très conservateurs, ne recon-naissaient que l’autorité des cinq premiers livres de la Bible (la Torah, c’est-à-dire la Loi) – qui ne font effectivement pas état de l’espérance en la résurrection –, et ils récusaient toutes les tra-ditions ultérieures. Particulièrement nombreux dans l’aristocratie sacerdotale, ils passaient pour plus préoccupés par la politique que par la religion et se satisfaisaient de leur statut et des privilèges concédés par le pouvoir romain.

«Pharisiens» : l’espérance en la résurrection, qui apparaît timidement dans les psaumes et les li-vres prophétiques, et ne s’exprime réellement que dans des écrits de sagesse assez tardifs, est au contraire soutenue par les Pharisiens. Ce terme qui étymologiquement signifie «séparé», définit un courant rassemblant des Juifs pieux, observateurs zélés de la Loi qui, au contraire des Sadducéens, sont très attachés à la tradition orale qui inter-prète et complète la Loi de Moïse. D’où le risque, noté par les évangiles, de sombrer dans la casuisti-que (cf. Matthieu 23,16-24 : «Malheur à vous, guides aveugles, qui dites : ‘Si l’on jure par le sanctuaire, cela ne compte pas ; mais si l’on jure par l’or du sanctuaire, on est tenu.’…» ; et dans l’affectation (cf. Matthieu 6,2.5 ; 23,5-7 : «En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C’est ainsi qu’ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges. Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, à recevoir les salutations sur les places publiques et à s’enten-dre appeler ‘Rabbi’ par les gens.»). Il ne faudrait ce-pendant pas les envisager seulement à partir de ces caricatures qui reflètent surtout des querelles plus tardives, entre le parti pharisien, seul subsis-tant après la chute de Jérusalem, et les premiè-res communautés chrétiennes. Jésus lui-même a eu parfois des relations d’estime ou d’amitié avec eux (cf. Luc 7,36 où il est «invité à manger» chez un Pharisien) et plusieurs ont pu être tentés de le suivre, tels Nicodème (cf. Jean 3,1s ; 19,30), ou cet anonyme à qui sa réponse sur «le plus grand com-mandement» vaut ce beau compliment : «Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu» (Marc 12,34).

«fils de Pharisiens» : Paul revendique comme un honneur d’être «quant à la Loi, un Pharisien»

(Philippiens 3,5), c’est-à-dire de «vivre selon le parti le plus strict de notre religion» (Actes 26,5). Devant le tribun Lysias, il a fait état de sa citoyenneté ro-maine (22,28), mais il ne récuse pas pour autant son identité juive (21,31 ; 22,3) ni l’éducation re-ligieuse qu’il a reçue : «C’est aux pieds de Gamaliel – célèbre docteur pharisien qui apparaît en Actes 5,34-39 – que j’ai été formé à l’exacte observance de la Loi de nos pères» (22,3).

«notre espérance» : Paul tente, par habileté à plaider sa cause, mais aussi par désir d’entraîner ses frères à la plénitude de la foi, d’associer, voire de confon-dre les théologies pharisienne et chrétienne. Mais ce qu’il appelle à plusieurs reprises «l’espérance d’Israël» (24,15 ; 26,6 ; 28,20) n’avait pas pour ob-jet principal la résurrection des morts ; elle portait d’abord sur l’avènement du Royaume de Dieu que devait annoncer le Messie, et ce n’est que comme conséquence de l’alliance que les prophètes ont commencé à envisager la résurrection du peuple (Isaïe 26,18-19 ; Ézéchiel 37,1-14 : «Souffle sur ces morts et qu’ils vivent…») et les textes plus tardifs, la résurrection individuelle. Dans un contexte de persécutions, il s’agissait surtout de faire droit à la nécessité de la juste rétribution de ceux qui étaient morts en martyrs pour ne pas renier le Dieu unique. Cf. Daniel 12,2-3 ; 2 Maccabées 7,9 : «Au moment de rendre le dernier soupir : ‘Scélérat que tu es, dit-il, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois’.»

«se divisa» : la conséquence du refus de la Parole de Dieu, portée par Paul, se fait sentir. Le désac-cord s’installe parmi les représentants du peuple élu. Comme son Maître, Paul devient un «signe de contradiction» (Luc 1,74 ; cf. 12,51-52).

«ni ange ni esprit» : par respect pour la transcen-dance de Dieu, les Pharisiens attribuaient son ac-tion dans le monde à des anges (mot signifiant «messagers») ou des esprits (on en trouve encore trace dans le vocabulaire de l’épisode des Actes racontant le baptême de l’eunuque éthiopien par le diacre Philippe : «L’Ange du Seigneur s’adressa à Philippe et lui dit : ‘Pars…’» (8,26) ; «L’Esprit dit à Philippe : ‘Avance…’» (8,29).) Les Pharisiens leur accordaient un rôle prépondérant comme ex-pression des attributs de la puissance divine, en particulier dans leur manifestation à l’avènement des temps messianiques. Cf. Malachie 3,1-3 : «Voici

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 82

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

que je vais envoyer mon messager, pour qu’il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez ; et l’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient !»

«clameur» : au cri de Paul (23,6) répond la «grande clameur». Mais si le cri exprimait l’innocence de ce-lui qu’on voulait condamner, la clameur ne manifeste que la division et l’opposition, et convainc le Sanhé-drin d’infidélité à sa mission Ils sont bien ces «guides aveugles» que fustigeait Jésus en Matthieu 23,16. Cf. Luc 6,31 : «Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ?»

«rien de mal» : non seulement l’opposition des Sad-ducéens à l’affirmation de Paul pousse les Pharisiens à affirmer plus clairement leur foi, mais celle-ci de-vient pour eux comme un signe de l’accomplisse-ment de cette foi. Aussi spontanément défendent-ils Paul, comme Gamaliel, aux tout débuts de la communauté de Jérusalem, l’avait fait pour Pierre et Jean, interrogés eux aussi par le Sanhédrin (Actes 5,21-39) : «Ne risquez pas, avait-il mis en garde, de vous trouver en guerre contre Dieu» (5,39).

«avait parlé» : les Pharisiens en viennent même à admettre la possibilité – presque la réalité – de la révélation reçue par Paul sur la route de Damas, que celui-ci a racontée dans son premier discours après son arrestation (22,-11). Ils sont tout près d’accepter la mission qui lui a été confiée : «Le Dieu de nos pères t’a prédestiné à connaître sa volonté, à voir le Juste et à entendre la voix sortie de sa bouche ; car pour lui tu dois être témoin devant tous les hom-mes de ce que tu as vu et entendu» (22,14-15).

«craignant» : pour la troisième fois en trois chapi-tres, Paul est sauvé de la foule qui veut l’écharper, par la force romaine (21,34-36 ; 22,22-24 ; 23,10) On est toujours dans le registre de l’ironie : ce sont les païens qui sauvent le porteur de la Parole de Dieu des mains des Juifs et lui permettent de continuer à parler.

«l’enlever» : le même verbe était employé à pro-pos de Philippe «enlevé» par l’Esprit après avoir baptisé l’eunuque (8,39). Plus généralement, Luc a vraiment voulu montrer, dans cette séquence, la continuité entre l’accusation de Jésus devant le Sanhédrin (22,66) et, à sa suite, celle de ses té-moins : Pierre et Jean (Actes 4,5-7), les apôtres (5,21), Étienne (6,12)…

«la nuit» : comme dans la Première Alliance (cf. par exemple le songe de Jacob en Genèse 28,11-16), dans les Actes, c’est au cours de la nuit qu’ont lieu les apparitions d’anges (comme aux apôtres, en 5,19, ou à Pierre emprisonné, en 12,7s) et les songes exprimant symboliquement la volonté de Dieu, comme «la vision» qu’a Paul d’un Macédo-nien l’appelant au secours (16,9-10). Ici c’est «le Seigneur» lui-même qui vient le réconforter en un songe qui est en même temps une apparition ; de même que Jésus, sur la route de Damas, avait pro-voqué et guidé sa conversion et le début de sa mission (9,3-6), de même qu’à Corinthe, il l’avait confirmé dans cette mission (18,9-10), de même il vient ici lui montrer l’élargissement qui doit lui être donné.

«témoignage de moi» : Paul est un véritable témoin (martus, «martyr»), prêt à aller jusqu’à la mort pour son Seigneur. Mais a-t-il témoigné «de lui» ? Si, dans son discours aux Juifs le jour de son arres-tation, il a effectivement raconté comment «Jésus le Nazôréen» lui était apparu (22,8), il n’a, devant le Sanhédrin, parlé que de «résurrection des morts» (23,6). On comprend par là que la foi dont témoi-gne Paul n’est pas tant foi à la résurrection que dans le Ressuscité. Là est bien l’accent principal de ses lettres : «Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi» (Galates 2,20).

«Rome» : l’œuvre de Luc est remarquablement composée : tout son évangile était tendu vers la montée de Jésus à Jérusalem ; puis le programme annoncé aux débuts des Actes devait conduire les disciples à être «témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie – ce qui est raconté dans les premiers chapitres –, et jusqu’aux confins de la ter-re» (1,8). Au début de la dernière partie, et alors que l’évangile a été prêché autour de la Méditer-ranée, l’ultime étape est précisée : Paul «forme le projet» de retourner à Jérusalem et «après avoir été là, disait-il, il me faut voir également Rome» (19,21). Ainsi la mission, en atteignant le cœur de l’Empire, va devenir vraiment universelle. Mais cela signifie aussi un déplacement symbolique important : de même que Pierre avait quitté Jérusalem «pour un autre endroit» (12,18), de même Paul ne revient dans la Ville sainte que pour bientôt repartir vers la capitale païenne, figure de l’humanité en l’atten-te de la Révélation faite d’abord au peuple élu et maintenant accomplie et portée à tous.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 83

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Prier

Seigneur Jésus, toi le Ressuscité,le premier-né d’entre les morts,tu nous as rendus vivants de ta vie,libres de ta liberté plus forte que la mort.Sois béni pour le témoignage transmis par tes apôtres,sois béni pour ces paroles inspirées que tu mets sur leurs lèvreset qui rappellent à tous les hommes les merveilles de ton amour.Toi l’Innocent, qui as voulu être livré aux lois des hommes,nous te confions tous ceux qui souffrent l’injustice ;toi qui devant tes juges t’es tenu en silence,nous te confions tous ceux dont la parole est bafouée, dévoyée.Constitue-nous, nous aussi, en témoins de ta résurrection ;mets en nous cet Esprit que tu as promis,qui nous soufflera la juste attitude et la parole vraiepour que cette immense espérance que tu as déployée sur le mondesoit connue et aimée, et reconnue comme venant de toi,notre Seigneur et notre frère, notre appui et notre avenir,notre vie, partagée en plénitude avec le Père et l’Esprit,aux siècles éternels. Amen.

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

Le cœur serré, Théophile suit, étape après étape, les tribulations de Paul. Il frémit devant l’hostilité et la violence manifestées au Sanhédrin. Il s’impatiente devant les lenteurs calculées du gouver-neur Félix et s’indigne qu’il laisse Paul croupir en prison selon ses intérêts mesquins. Il retrouve

espoir en voyant l’attitude perplexe mais bienveillante du roi Agrippa. Tout à la fois tenu en haleine par les rebondissements de ce procès qui semble ne jamais pouvoir réellement s’ouvrir et dépité par la lenteur des procédures, Théophile reste fasciné par l’habileté de Paul à jouer des diverses facettes de son identité. Non pour différer sa condamnation ou sauver sa vie, mais pour suivre, le mieux possible, le plus loin possible, le dessein tracé par Dieu. «Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs (…) ; je me suis fait sans loi avec les sans-loi, afin de gagner les sans-loi…», avait-il expliqué aux Corinthiens (1 Corinthiens 9,20-21). Il sait revendiquer sa citoyenneté romaine devant tribun et magistrats, pour éviter de tomber aux mains hostiles des Juifs. Il sait mettre en avant son identité pharisienne et son combat pour «l’espérance en la promesse faite par Dieu à nos pères» (Actes 26,6), pour révéler la division profonde du Sanhédrin et «en gagner quelques-uns». Il est «citoyen pour Dieu» (23,1) – un citoyen, il l’a aussi écrit, dont «la vraie patrie se trouve dans les cieux» (Philippiens 3,20) –, mais aussi pleinement mem-bre de la cité, sachant en appeler à l’empereur, figure emblématique de la justice humaine. Il préfigure ainsi ce que deviennent les disciples : pleinement fils d’hommes, engagés dans la cité des hommes, mais plus encore fils de Dieu, tournés vers l’espérance du Royaume.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 84

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Les chrétiens ne se distinguent du reste des hommes ni par leur pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n’ont pas d’autres villes que les vôtres, d’autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes ; seulement ils ne se livrent pas à l’étude de vains systèmes, fruit de la curiosité des hommes, et ne s’attachent pas, comme plusieurs, à défendre des doctrines humaines. Répandus, selon qu’il a plu à la Providence, dans des villes grecques ou barbares, ils se conforment, pour le vêtement, pour la nourriture, pour la manière de vivre, aux usages qu’ils trouvent établis ; mais ils placent sous les yeux de tous l’étonnant spectacle de leur vie toute angélique et à peine croyable. Ils habitent leur cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère. Comme les autres, ils se marient, comme les autres, ils ont des enfants, seulement ils ne les abandonnent pas. Ils ont tous une même table, mais pas le même lit. Ils vivent dans la chair et non selon la chair. Ils habitent la terre et leur conversation est dans le ciel. Soumis aux lois établies, ils sont par leurs vies, supérieurs à ces lois. Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent. Sans les connaître, on les condamne. Mis à mort, ils naissent à la vie. Pauvres, ils font des riches. Manquant de tout, ils surabondent. L’oppro-bre dont on les couvre devient pour eux une source de gloire ; la calomnie qui les déchire dévoile leur innocence. La bouche qui les outrage se voit forcée de les bénir, les injures appellent ensuite les éloges. Irréprochables, ils sont punis comme criminels et au milieu des tourments ils sont dans la joie comme des hommes qui vont à la vie. Les Juifs les regardent comme des étrangers et leur font la guerre. Les Grecs les persécutent, mais ces ennemis si acharnés ne pourraient dire la cause de leur haine. Pour tout dire, en un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps.» (Épître à Diognète, IIIe s.)

*

À lire et relire les récits que Paul donne de sa conversion, aux Juifs puis aux autorités qui le lui demandent, Théophile est frappé aussi par la force de son témoignage. Ce ne sont pas des preuves qu’il avance ; c’est l’ardeur qu’il met à raconter sa rencontre avec le Vivant qui ébranle un instant le roi. Paul ne cherche plus à convaincre par son art rhétorique, ni à démontrer par sa connaissance des textes : il n’est plus qu’un témoin. Un témoin «serviteur» (26,16), un passeur de la lumière qui l’a saisi. Car, Théo-phile le remarque soudain, au fur et à mesure des récits qu’en fait Paul, l’événement se transforme : il a eu le temps dans sa prison de se souvenir, de prier, de revenir à l’éblouissement de ce jour, sur la route ; et, quand il en parle maintenant, il n’est plus guère question des circonstances concrètes – jeûner, être conduit par la main jusqu’à Ananie –, mais du sens spirituel de ce qui s’est passé et de la mission qui lui a été confiée. Il n’est plus même question de cécité : la «lumière resplendissante» (26,13) n’a pas aveuglé Paul ; elle en a fait le témoin clairvoyant, envoyé aux nations pour «leur ouvrir les yeux» (26,18). Ainsi s’explique sa sérénité, jusque dans sa prison : il a vu la lumière, il ne peut plus que la goûter et désirer la transmettre.

«Douce est la lumière, et il est bon de contempler le soleil avec le regard de nos yeux de chair. Car si la lumière faisait défaut, le monde ne serait pas le monde et la vie serait sans vie ; et c’est pourquoi Moïse, le voyant de Dieu, disait déjà : ‘Et Dieu vit la lumière, et il dit qu’elle était bonne’. Qu’il nous est bon de penser à la grande, véritable et indéfectible ‘lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde’, c’est-à-dire le Christ, le Sauveur du monde et son libérateur ! Après s’être dévoilé aux regards des prophètes, il s’est fait homme et il a pénétré jusqu’aux dernières profondeurs de la condition humaine. C’est de lui que parle le prophète David : ‘Chantez à Dieu un psaume pour son nom, préparez un passage pour celui qui monte à l’occident : son nom est Seigneur, exultez en sa présence’. Et encore Isaïe, de sa grande voix : ‘Peuples assis dans les ténèbres, regardez cette lumière. Pour vous qui habitez au pays de l’ombre de la mort, une lumière resplendira’. Oui, cette lumière est douce, et ce soleil de gloire est bon pour les yeux qui le regardent. Ainsi donc, cette lumière solaire vue par nos yeux de chair annonçait le Soleil spirituel de justice, le plus doux qui se soit levé pour ceux qui ont le bonheur d’être instruits par lui.» (S. Grégoire d’Agrigente, VIe s.)

*

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 octobre 2011 | 85

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Une dernière chose interroge Théophile : dans les comparutions qui se succèdent, il n’est vite plus question d’atteintes à la Loi ni à l’ordre public. Le véritable enjeu se dévoile au cœur des débats : «C’est pour notre espérance, la résurrection des morts que je suis mis en jugement» (23,6) ; «…ayant en Dieu l’espérance qu’il y aura une résurrection des justes et des pécheurs» (24,15) ; «… des contestations touchant un certain Jésus qui est mort et que Paul affirme être en vie» (25,19) ; «j’ai continué à rendre témoignage (…) que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d’entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes» (26,22-23). Cela seul intéresse Paul, Théophile le comprend, que le Christ, son amour et sa vie, soit ressuscité, et qu’à tous, Juifs ou païens, à tous les hommes qu’il aime d’un même amour fraternel, la résurrection soit assurée par le Ressuscité, pour peu qu’ils l’admettent, pour peu qu’ils l’ac-ceptent comme le Maître et Seigneur de leur vie. Y a-t-il plus beau don que cette vie rendue ? Y a-t-il, pour nos existences précaires, enjeu plus fondamental ? Y a-t-il autre chose qui doive nous soucier ?

«Aujourd’hui, frères, quel témoignage vous rend la joie de votre cœur sur l’amour du Christ ? S’il vous est arrivé un jour d’aimer Jésus, soit vivant, soit mort, soit revenu à la vie, aujourd’hui où les messages de la Résurrection n’arrêtent pas de résonner et de retentir de concert dans l’Église, votre cœur s’en glorifie en vous-mêmes et il s’écrie : ‘Ils m’ont apporté la nouvelle : Jésus, mon Dieu, est vivant !’ Frères, le signe auquel tu reconnaîtras que ton esprit a repris vie dans le Christ, le voici : s’il dit : ‘Jésus est vivant, cela me suffit !’ Ô parole de foi et bien digne des amis de Jésus ! Ô très pure affection que celle qui s’exprime en ces termes : ‘Si Jésus est vivant, cela me suffit !’ S’il est en vie, j’y suis aussi puisque mon âme est suspendue à lui ; mieux, puisque lui-même, il est ma vie, il est toute ma raison d’être. Que pourrait-il me manquer si Jésus est en vie ? Bien mieux : que tout le reste vienne à me manquer, ce qui me touche n’a pas d’importance pourvu que Jésus soit en vie ! Si tel est son bon plaisir, que je me manque donc à moi-même, car, pourvu que lui soit vivant, cela me suffit ! Quand l’amour du Christ a ainsi absorbé l’affection d’un homme au point qu’il vienne à s’oublier pour ne plus être sensible qu’à ce qui touche Jésus, alors la charité a atteint en lui sa perfection.» (Guerric d’Igny, XIIe s.)

Et Théophile comprend que là est la vraie source de la prière, que là est la vraie joie de la vie et le sens de la foi qui l’anime. Il le redira souvent, il le sait, dans les moments d’exultation comme dans ceux de dénuement : «Si Jésus est vivant, cela me suffit !»

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 86

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Lire - Actes 27-28

Les deux derniers chapitres des Actes des Apôtres sont entièrement occupés par un récit qui sem-ble avoir tout du carnet de voyage : dès le premier verset (27, 1 : «Quand notre embarquement...»), Luc reprend en effet le «nous» qui l’associe étroitement aux événements. Mais, à y regarder de

plus près, l’importance de la place accordée à ce récit, par rapport à l’ensemble du livre, permet de lui donner une portée plus large : à travers les épreuves et les dangers que traverse le «témoin» du Christ, il devient pour ceux qui l’entourent un instrument de salut. La leçon vaut donc finalement pour toute vie chrétienne.

Le chapitre 27 est tout entier consacré au récit de la traversée depuis Césarée – où s’est tenue la dernière comparution de Paul devant le roi Agrippa (25,13-26,33) – vers Rome. Traversée qui, mal engagée dès le départ, se solde par un naufrage.

Une sorte de prologue (27,1-6), raconte l’embarquement sous la conduite du centurion Julius (27,1) à qui est confiée la charge de convoyer les prisonniers, parmi lesquels Luc nomme Aristarque (27,2), un chrétien de Macédoine déjà mentionné comme compagnon de Paul à Éphèse (19,29) et Troas (20,4). Le centurion se montre plein «d’humanité» (27,3) envers Paul et lui permet, lors de l’escale sur la côte phénicienne, de rencontrer la communauté de Sidon.

Le narrateur cependant multiplie les notations indiquant que la navigation devient difficile. Il parle de «vents contraires» (27,4), expression qui n’était jamais apparue dans les récits de voyages mission-naires de Paul. C’est en fait le trajet inverse de celui emprunté par Paul lors de sa montée à Jérusalem, qui est poursuivi jusqu’à l’escale de Myre en Lycie où soldats et prisonniers embarquent sut un bateau d’Alexandrie, transportant marchandises et passagers (27,5-6).

Après ce prologue, le chapitre 27 raconte, dans une première partie (27,7-20), la décision de poursuivre la route malgré les avertissements des éléments et l’avis de Paul (27,7-12), puis le déchaîne-ment de la tempête (27,13-20).

L’opposition manifestée par la mer et les vents au bon déroulement de la traversée, qui oblige à relâcher en un endroit appelé ironiquement «Bons-Ports», en Crète (27,7-8), est exprimée en effet en des termes qui suggèrent une manifestation de celui qui «commande même aux vents et aux flots» (Luc 8,25). Ces signes cosmiques sont clairement interprétés par Paul qui conseille de demeurer là pour tout le temps de l’hivernage (27,9-10). On remarque que, comme souvent en Luc qui n’insiste jamais sur le merveilleux, l’interprétation peut s’en faire à plusieurs niveaux : il s’agit là d’un conseil de bon sens, compte-tenu du retard pris et de l’approche de l’hiver (27,9), mais aussi d’une prophétie (27,10), com-me le montre la suite du récit qui prend la forme d’une parabole. Le conseil de Paul n’est pas suivi pour des raisons apparemment techniques : meilleure connaissance de la mer du capitaine (27,11), difficultés de l’hivernage en ce lieu (27,12). Mais symboliquement, ce qui est en jeu est le refus d’écouter la voix de Dieu à travers son envoyé et la volonté de l’homme de déterminer seul ce qui est bien ou mal.

La conséquence de ce qui est assimilé à une désobéissance est alors le déchaînement de la tem-pête (27,13-21), de la même manière que, dans le conte qu’est le livre de Jonas, le refus du prophète d’aller prêcher à Ninive avait déclenché une tempête risquant d’engloutir le bateau qui l’emmenait dans la direction opposée (Jonas 1,4-16). Luc dépeint, avec une maîtrise des termes du vocabulaire maritime qu’apprécient les spécialistes, la vigueur de la tempête et les manœuvres tentées par les marins pour garder la maîtrise du navire. Mais, au bout de quelques jours, la bataille est perdue : la cargaison (27,18), puis une partie de l’accastillage (27,19) sont jetées à la mer pour délester le bateau ; le temps bouché empêche même de faire le point et de déterminer sa position (27,20). Il n’y a plus qu’à se laisser dériver en attendant la mort.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 87

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

La seconde partie du chapitre (27,21-44) dont la plus grande part fait l’objet de la méditation de ce mois, montre, dans cette situation désespérée, la grâce de Dieu à l’œuvre. Elle est composée deux fois de la même séquence : une prophétie de Paul qui est promesse de salut (27,21-26 et 33-38), suivie de nouvelles difficultés dues aux initiatives malheureuses des hommes qui veulent bien entendre la promesse de salut, mais sont incapables de s’abandonner à la Providence divine (27,27-32 et 39-44). Symboliquement, les actions des marins et des soldats sont présentées comme des choix de mort, en opposition au projet de vie que Dieu a sur eux. On peut y lire une actualisation de la faute originelle de l’homme, symboliquement décrite en Genèse 3. Pour bien comprendre cet épisode, il faut donc se garder des interprétations psychologiques : il ne s’agit pas de blâmer les initiatives de l’homme ni de faire un éloge de la passivité ; mais de montrer comment Dieu parle, à travers les événements et la parole de ses témoins, et comment il propose toujours à l’humanité, en perte de repères et de sens, sa grâce qui conduit à la vie.

Le chapitre 28, moins homogène, relate d’abord la fin du voyage (28,1-16), puis l’emprisonne-ment de Paul à Rome (28,17-31).

Cette fin de voyage, dans la première partie, est d’ailleurs racontée de façon apparemment désé-quilibrée, en insistant sur le séjour à Malte, l’île où tous ont accosté après le naufrage et la dislocation du bateau (27,41-44). Cette halte de plusieurs mois est ramenée à deux épisodes, moins anecdotiques qu’il n’y paraît, puisque tous deux ont encore pour objet le salut : dans le premier, c’est Paul qui est sauvé de la morsure d’une vipère qui ne lui fait aucun effet (28,1-6) ; dans le second, c’est lui qui est le sauveur puisqu’il guérit le père du «Premier de l’île» et d’autres malades (28,7-10). Autant la décision des hommes avait mené près de la mort (27,9-20), autant ici, dans ce passage symétrique dans la structure globale de ces chapitres, la grâce de salut de Dieu qui s’est manifestée dans la tempête, se déploie pour redonner et restaurer la vie.

L’île même où ils abordent paraît hospitalière (28,1-2), image d’une nature et d’une humanité réconciliées. Dans ce contexte apaisé, la mésaventure survenue à Paul frappe d’autant plus : il est mordu à la main par une vipère (28,3), ce qui est immédiatement interprété comme signe d’une malédiction divine qui lui serait attachée, avant de se révéler au contraire, puisqu’il n’en ressent aucun mal, comme le signe de la bénédiction qui le protège (cf. le retournement inverse de l’opinion à Lystres, en 14,11-19). On songe, bien sûr, au serpent des origines (Genèse 3,1), symbolisant le mal et venant ici, dans un ultime assaut, contrecarrer le salut de Dieu à l’œuvre. Mais la victoire sur le mal a été assumée définitivement par la mort-résurrection du Christ : le serpent n’a pu blesser Paul et c’est lui qui est jeté dans le feu (28,5 ; cf. Genèse 3,14 ; Apocalypse 12,9 et 19,20 : «La Bête fut capturée, avec le faux prophète : on les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre embrasé»).

Le sauvé se révèle à son tour sauveur pendant les trois jours – un temps décisif dans l’Écriture (Genèse 22 ,4 ; Osée 6,2 ; Jonas 2,1...) devenu temps de la résurrection – où il est reçu par le chef de l’île : il guérit en effet son père (le récit n’est pas sans rappeler la guérison de la belle-mère de Pierre, en Luc 4,38-40), puis d’autres malades qui viennent à lui, comme ils venaient à Jésus (Luc 5,15), puis à ses disciples opérant eux aussi des guérisons selon son commandement (Luc 10,9) : Pierre à Jérusalem (Actes 5,14-15), Philippe en Samarie (8,7), Paul lui-même à Éphèse (19,12)... La guérison demeure le signe visible du salut de Dieu qui, entré dans le monde par le Christ, se répand maintenant par la mé-diation de ses disciples.

Une sorte d’épilogue (28,11-16), symétrique du prologue du chapitre 27, clôt le récit du voyage. Après trois mois d’hivernage (28,11), le voyage reprend cette fois sans problèmes en suivant les escales habituelles. De même qu’il avait pu visiter la communauté de Sidon (27,3), Paul a maintenant «la conso-lation» de passer une semaine – comme à Troas (20,6) et à Tyr (21,4) – avec les chrétiens de Puteoli (Pouzzoles), un port sur le golfe de Naples (28,14). Entre les frères de Puteoli qui l’escortent et ceux de Rome qui viennent à sa rencontre (28,15a), c’est une rentrée triomphale, peu réaliste, que fait Paul à

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 88

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Rome : elle fait davantage penser à l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem (Luc 19,28-38) qu’à l’arri-vée d’un convoi de prisonniers ! Il est cependant remarquable de noter que «le courage» qu’avait donné à Paul sa vision (27,24) et dont il avait efficacement témoigné dans la tempête (27,25.38), ait besoin ici d’être ravivé à la vue des frères (28,15b) : c’est en eux à présent qu’il reconnaît le visage de son Seigneur. Il est placé à Rome sous le régime de la «garde militaire» qui permet au prisonnier d’avoir un logement particulier, hors de la prison, à condition que son bras droit reste toujours lié par des chaînes au bras gauche d’un soldat (28,15).

La seconde partie du chapitre (28,17-31), qui sert aussi de conclusion à l’ensemble du livre, relate en deux temps le ministère que Paul, selon son habitude, tente d’exercer d’abord auprès de la com-munauté juive de Rome (28,17-23), et son échec illustré par une citation d’Isaïe (28,23-29). Échec que paraît démentir une conclusion (28,30-31), bien trop brève et énigmatique à notre goût.

L’entretien avec «les notables juifs» (28,17) rappelle ses habitudes missionnaires (cf. 13,46 ; 17,2) ; mais cette fois-ci, c’est d’abord de lui-même qu’il parle et de son innocence reconnue par les Romains (28,18). Les points de contact avec la Passion de Jésus sont nombreux : Paul a comme lui été livré (28,17 ; Luc 9,44 ; 18,52 ; 24,7) ; et comme lui il pardonne à ses accusateurs (28,19 ; et Luc 23,24). Mais, par-delà son sort juridique, c’est sa fidélité à «l’espérance d’Israël» qu’il souhaite démontrer (28,20). La réponse des «notables juifs» est symétrique : s’ils admettent l’innocence de Paul (28,21), ils désirent l’entendre parler de sa doctrine qui «rencontre partout la contradiction» (28,22).

Le deuxième temps de la rencontre (28,23-29) prend la forme d’une journée entière de contro-verses (28,23) qui tourne autour de la messianité de Jésus et du Royaume de Dieu, assimilé maintenant à sa personne. Cette sorte de récapitulation de la prédication adressée aux Juifs aboutit au même constat que dans les annonces précédentes à Jérusalem (2,12-13), comme ensuite à Corinthe (14,1-2), Thessalonique (17,4-5), Bérée (17,11-13) ou Corinthe (18,5-8). La Parole de vie demeure «signe de contradiction» (Luc 2,34). Le long oracle emprunté à Isaïe 6,9-10 (28,26-29) prend acte du refus actuel des Juifs d’entendre le message de salut qui leur est transmis – sans qu’il s’agisse d’une condamnation ni même d’un constat définitif puisque cet oracle a déjà été adressé aux «pères» (28,25) et que la grâce de Dieu a néanmoins continué à leur être donnée et à solliciter leur adhésion (cf. Romains 11,11-12). Pour l’heure, c’est auprès des païens que Paul poursuit son ministère (28,29) : c’est bien à cette fin qu’il a été envoyé jusqu’à Rome.

Les deux versets de conclusion (28,30-31), pour déconcertants qu’ils puissent paraître, se com-prennent dans cette perspective d’ouverture. Paul prêche à Rome pendant deux ans, le temps maxi-mum de la détention préventive prévu par la loi romaine (cf. 24,27) : on peut donc en déduire que, relâché alors, faute sans doute d’accusateurs, il a poursuivi sa mission. Il n’a d’ailleurs pas cessé de la mener, comme l’indique cette fausse conclusion qui ressemble plutôt à l’un des multiples «sommaires» rencontrés tout du long. Le véritable sujet de ces derniers versets, comme de tout le livre, est la Parole de Dieu qui poursuit son cours «sans obstacles» (c’est le dernier mot en 28,31 ; cf. 2 Timothée 2,9 : «Pour lui je souffre jusqu’à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée»). La Parole de Dieu vivante à travers les témoins, Pierre, Étienne, Philipe, Paul et Luc lui-même et tous les autres à leur suite, qui l’annoncent et continueront à l’annoncer, au long des siècles, avec «l’assurance» que donne l’Esprit Saint (28,31 ; cf. 2,29, 4,13.29.31).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 89

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Méditer - Le salut dans la tempête (Actes 27,21-38)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

La traversée de Paul prisonnier et de ses compagnons vers Rome est riche en difficultés et en rebon-dissements : des vents contraires qui retardent la navigation, une tempête qui les maintient quatorze jours dans l’abîme et se solde par un naufrage, un hivernage forcé sur une île. Mais Luc ne cherche pas ici à rapporter les événements hauts en couleur de la biographie d’un héros, pas plus qu’il ne livre un récit épique de voyage. Paul n’est pas le nouvel Ulysse ! C’est une parabole qu’il donne, pour clore son livre, mais surtout pour ouvrir la suite des temps où se poursuivra la course de la Parole : la parabole du salut assuré par Dieu, à travers l’eau, à tous les hommes, malgré leurs peurs et leurs maladresses, pour peu qu’ils prêtent l’oreille à la voix de ses prophètes.

27 [21] Il y avait longtemps qu’on n’avait plus mangé : alors Paul, debout au milieu des autres, leur dit : «Il fallait m’écouter, mes amis, et ne pas quitter la Crète ; on se serait épargné ce péril et ce dommage. [22] Quoi qu’il en soit, je vous invite à avoir bon courage, car aucun de vous n’y laissera la vie, le navire seul sera perdu. [23] Cette nuit en effet m’est apparu un ange du Dieu auquel j’appartiens et que je sers, [24] et il m’a dit : ‘Sois sans crainte, Paul. Il faut que tu comparaisses devant César, et voici que Dieu t’accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi.’ [25] Courage donc, mes amis ! Je me fie à Dieu de ce qu’il en sera comme il m’a été dit. [26] Mais nous devons échouer sur une île.»

[27] C’était la quatorzième nuit et nous étions ballottés sur l’Adriatique, quand, vers minuit, les matelots pressentirent l’approche d’une terre. [28] Ils lancèrent la sonde et trouvèrent vingt brasses ; un peu plus loin, ils la lancèrent encore et trouvèrent quinze brasses. [29] Craignant donc que nous n’allions échouer quelque part sur des écueils, ils jetèrent quatre an-cres à la poupe ; et ils appelaient de leurs vœux la venue du jour. [30] Mais les matelots cherchaient à s’enfuir du navire. Ils mirent la chaloupe à la mer, sous prétexte d’aller élonger les ancres de la proue. [31] Paul dit alors au centurion et aux soldats : «Si ces gens-là ne restent pas sur le navire, vous ne pouvez être sauvés.» [32] Sur ce les soldats coupèrent les cordes de la chaloupe et la laissèrent tomber.

[33] En attendant que parût le jour, Paul engageait tout le monde à prendre de la nourriture. «Voici aujourd’hui quatorze jours, disait-il, que, dans l’attente, vous restez à jeun, sans rien prendre. [34] Je vous engage donc à prendre de la nourriture, car c’est votre propre salut qui est ici en jeu. Nul d’entre vous ne perdra un cheveu de sa tête.» [35] Cela dit, il prit du pain, rendit grâces à Dieu devant tous, le rompit et se mit à manger. [36] Alors, retrouvant leur courage, eux aussi prirent tous de la nourriture. [37] Nous étions en tout sur le navire deux cent soixante-seize personnes. [38] Une fois rassasiés, on se mit à alléger le navire en jetant le blé à la mer.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 90

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«plus mangé» : constatation de la situation déses-pérée dans laquelle se trouve le navire : l’ayant délesté de sa cargaison (27,18), puis de ses agrès (27,19), mais incapables de se diriger (27,20), les hommes, livrés à eux-mêmes, n’ont plus qu’à at-tendre la mort. Ce qui intéresse Luc, ici, n’est pas de nous dire que, dans la tempête, ils sont en proie à un mal de mer qui les empêcherait de manger ; mais de peindre dans cette situation tra-gique la condition de l’homme coupé de Dieu, qui n’a plus alors de quoi soutenir sa vie. Pour faire sentir cela, il reprend certains éléments littéraires des descriptions bibliques de tempêtes (Psaume 107,23-30 ; Jonas 1,4-5...).

«debout» : il ne s’agit pas pour Paul de faire un discours – le contexte ne s’y prête guère ! – mais son attitude est comparable à celle de l’orateur qui va adresser une parole et du chef qui rassem-ble une communauté. En cet avant-dernier chapi-tre des Actes, on peut y voir une inclusion avec le discours de Pierre après la Pentecôte, au chapitre 2 : «Pierre alors, debout avec les Onze, éleva la voix...» (2,14). À la fin, comme au début, une parole de salut est adressée à tous les hommes présents (sur le bateau ou à Jérusalem), symbolisant toute l’humanité.

«Il fallait» : expression typique de Luc pour in-diquer qu’il s’agit là du dessein de Dieu et pour inviter l’homme à se situer dans le mouvement de l’histoire du salut. L’expression, qui est utilisée ici encore aux versets 24 et 26, apparaît 12 fois dans l’évangile (Luc 2,49 ; 9,22 ; 13,16.33 ; 15,32 ; 17,25 ; 19,5 ; 21,9 ; 22,37 ; 24,7.26.44 : «Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes») ; et 24 fois dans les Actes (1,16 : «Il fallait que s’accomplît l’Écri-ture...», etc).

«ne pas quitter» : la navigation a été difficile dès le départ (cf. 27,4 : «les vents étaient contraires...» ; 27,7-8 : «navigation lente... à grand peine... pénible-ment...») et le bateau contraint à faire escale dans un port de Crète. Là, une première prophétie de Paul a averti du risque de naufrage ; mais la déci-sion de départ a été prise à partir de considéra-tions techniques (cf. 27, 11 : «Le centurion se fiait au capitaine et à l’armateur plutôt qu’aux dires de Paul»). Il faut, pour bien comprendre tout cela, se souvenir que ce récit de voyage – quelle que soit par ailleurs sa véracité historique – est aussi une

parabole, c’est-à-dire l’histoire imagée du salut de l’homme : la volonté de Dieu ne passe pas en ef-fet par un arrêt obligatoire ou non en Crète ! Ce que Luc veut montrer à travers cet événement, en lui-même anecdotique, c’est que les hommes sont toujours enclins à écouter leur propre sa-voir, ce qu’ils croient être leurs connaissances et leur maîtrise des choses et des situations, et que, ce faisant, ils négligent d’écouter la voix de Dieu qui leur indique cependant la route à suivre, qui est toujours une route de vie. Ces hommes sur ce bateau, image de notre monde, reproduisent la faute d’Adam voulant prendre par lui-même le fruit (Genèse 3). Ils n’écoutent pas l’envoyé de Dieu et pensent assurer par eux-mêmes leur salut.

«bon courage» : si la désobéissance, ou la non-écou-te de Dieu, conduit à la mort (cf. Genèse 2,17 : «Le jour où tu en mangeras, tu seras passible de mort»), Dieu répond toujours à l’homme qui, par sa faute, s’est coupé de lui, par une parole d’espérance et un surcroît de grâce : le descendant de la femme, est-il dit au serpent, «t’écrasera la tête» (Genèse 3,15), ce qui annonce la venue d’un Sauveur qui vaincra définitivement le mal. Paul ici aussi, en une seconde prophétie, renouvelle de la part de Dieu la promesse de salut. Certes les conséquences du mal commis ne peuvent être évitées (cf. Genèse 3,16-19) : ici le naufrage aura bien lieu ; mais le salut final est assuré.

«un ange» : en plus de la voix entendue sur le che-min de Damas (Actes 9,4s ; 22,7s ; 23,14s) et dans le Temple (23,18s), c’est la troisième fois que Paul bénéficie d’une vision nocturne pour être récon-forté – par un ange déjà à Corinthe (18,10 : «Je suis avec toi et personne ne mettra la main sur toi pour te faire du mal»), et par le Seigneur lui-même à Jérusalem (23,11) ; et pour être affermi dans sa mission : «Continue de parler» (18,9) ; «Il faut encore que tu témoignes à Jérusalem» (23,11). La sollicitude du Seigneur envers ses amis ne se dément pas.

«je sers» : réminiscence de l’histoire de Jonas : «Lè-ve-toi, crie vers ton Dieu...» (Jonas 1,6), en même temps que notation réaliste : les équipages étaient effectivement composés de marins venant de na-tions diverses, adorant des dieux différents. Mais Paul, contrairement à Jonas qui «fuit loin du Sei-gneur» (1,10), «appartient» au Seigneur et le sert fidèlement. Si même un prophète rebelle comme

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 91

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Jonas a été gage de salut pour le bateau sur lequel il avait embarqué pour Tarse (1,15), a fortiori à la prière de Paul, le salut sera assuré à tous.

«sans crainte» : l’expression est caractéristique des théophanies de la Première Alliance (cf. Genèse 15,1 ; 26,24 ; Exode 20,20 ; Juges 6,23 ; Isaïe 41,10 ; 43,1 ; Jérémie 1,8 ; Ézéchiel 3,9 ; Daniel 10,12.18 ; Sophonie 3,16....). Luc reprend la formule pour en faire la salutation de l’ange apparaissant à Zacharie (Luc 1,13) et à Marie (1,30), et venant réconforter Paul : «Sois sans crainte, continue de parler» (18,9).

«Il faut» : une seconde fois cette expression, au cœur de la prophétie, précise le dessein de Dieu : s’il faut que Paul comparaisse devant César, c’est-à-dire devant la juridiction impériale, c’est pour qu’il témoigne devant le souverain de ce monde, donnant ainsi symboliquement à son témoignage une portée universelle. La prière de la première communauté chrétienne, formulée au début des Actes, après l’arrestation de Pierre et Jean, trouve là son accomplissement : «Permets, Seigneur, à tes serviteurs d’annoncer ta parole en toute assurance, étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges par le nom de ton saint serviteur Jésus» (Actes 4,29). Pour que son «serviteur» «annonce la Parole» jusqu’au cœur de l’Empire, le Seigneur qui, bien plus que l’empereur règne sur les éléments qu’il a créés, va réaliser le «signe» de les faire tous échapper aux dangers de la mer.

«Je me fie» : les hommes d’équipage ont fait de mauvais choix ; ils ne sont pas coupables de s’être trompés, mais de n’avoir pas écouté Paul et de ne s’être fiés qu’à eux-mêmes au lieu de recon-naître les signes de Dieu à travers ses paroles. Aussi sont-ils maintenant non seulement récon-fortés par son message – tous resteront en vie –, mais encore appelés à partager la foi de Paul, qui fonde son assurance et sa confiance. Là encore la séquence a portée universelle : après la faute, la miséricorde du Seigneur est donnée incondi-tionnellement et en premier, mais l’homme doit se mettre en condition de l’accueillir.

«échouer» : la grâce de salut promise semble para-doxale puisque, si la vie des hommes va être sau-vée, le bateau et sa cargaison seront perdus. Drôle de salut que d’arriver nu et trempé sur une côte inconnue, en ayant tout perdu ! Mais, toujours dans la perspective de la parabole de l’histoire du

salut que représente ce texte, on peut compren-dre que le mal commis en refusant d’écouter Dieu laisse des traces (ici symbolisées par la perte du navire), même si la grâce est redonnée en abon-dance. De même, en Genèse 3, la désobéissance entraîne, de la part de Dieu, la promesse du salut final (3,15), mais aussi, pour la femme (3,16) et l’homme (3,17-18), des conséquences domma-geables : non pas punition de Dieu, mais suites concrètes de la rupture avec lui, qui a introduit le mal dans le monde.

«quatorzième» : ce chiffre n’est pas anodin, mais renvoie à l’expérience biblique fondamentale du salut : celle de la pâque. C’est en effet la qua-torzième nuit du mois d’Abib (ou Nisan) que le peuple est invité à consommer l’agneau pascal (Exode 12,6-8) en souvenir de la pâque du Sei-gneur (12,11) qui a permis la libération du peuple d’Égypte et son salut à travers les eaux de la mer Rouge (cf. aussi Lévitique 23,5 ; Nombres 9,3). Ici aussi, ce quatorzième jour, un repas va être pris (v. 35-36) avant le salut à travers l’eau.

«l’Adriatique» : le terme a, dans l’Antiquité, une ac-ception plus vaste qu’aujourd’hui et désigne toute la partie de la Méditerranée comprise entre la Grèce, l’Italie et l’Afrique. Le bateau se trouve en fait proche de Malte.

«minuit» : le milieu de la nuit est le moment pri-vilégié de la prière de louange ou de supplication (cf. Psaume 119,62 : «Je me lève à minuit te rendant grâce pour tes justes jugements» ; ou la prière de Jonas dans les entrailles du poisson : Jonas 2,1s). Luc montre aussi Jésus en prière la nuit (6,12) ; et la tradition s’en poursuit dans les Actes : la com-munauté se réunit à Jérusalem pour prier en de-mandant la libération de Pierre (12,12) ou, à Troas, en saluant le départ de Paul (20,7) ; de même Paul et Silas prient à minuit, dans leur prison de Philip-pes (16,25). Mais le milieu de la nuit est aussi le moment décisif où Dieu se manifeste (cf. Exode 11,4 ; Sagesse 18,14 : «Alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal» – ce texte étant repris dans la liturgie de la fête de Noël). L’attitude appropriée du croyant est donc celle de la veille (cf. la béatitude de Luc 12,37 : «Heureux le serviteur que son Maître en arrivant trouvera en train de veiller» ; et aussi 21,36).

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 92

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

«Craignant» : il ne s’agit pas ici de la «crainte de Dieu» inspirée par l’Esprit, c’est-à-dire la recon-naissance de sa transcendance, à laquelle le dis-cours de Paul essayait de faire accéder les marins, mais d’une peur toute humaine. En entendant la promesse qu’ils seraient sauvés par Dieu, ils ont retrouvé l’espoir et un peu de sérénité ; mais, au lieu de rendre grâce à Dieu et de s’en remettre désormais à celui qui leur annonce le salut, ils voient dans «l’approche de la terre» une nouvelle raison d’avoir peur. Ils vont donc à nouveau bascu-ler de la confiance dans le Dieu qui sauve à la mise en œuvre de moyens humains pour tenter de se sauver seuls.

«la venue du jour» : l’ironie de la phrase est patente. Les marins espèrent seulement que l’obscurité qui les enveloppe depuis le début de la tempête va se dissiper au matin pour qu’ils puissent apercevoir la terre proche et faire les manœuvres nécessaires pour y accoster. Mais le jour que toute la tradition biblique redoute et, tout à la fois, «appelle de ses vœux», est ce que les prophètes nomment «le Jour de Dieu», jour de manifestation divine et de juge-ment (cf. Amos 5,18 ; Joël 2,1-2 ; Sophonie 1,14-15, d’où a été tiré le fameux Dies irae, Dies illa...) et qui devient, dans les évangiles et particulièrement en Luc, le «Jour du Fils de l’homme» (Luc 17,22-37).

«s’enfuir» : c’est toujours la même logique humaine de la désobéissance qui est à l’œuvre. Les hom-mes, poussés à la fois par la peur et le désir de toute-puissance (ou l’illusion de leur puissance) veulent déterminer et mettre en œuvre eux-mê-mes les moyens de leur salut. Mais ici, comme sou-vent dans l’histoire (on est toujours dans le cadre de la parabole), leurs initiatives sont inefficaces et malheureuses et ne font que contrecarrer l’action salvatrice de Dieu.

«élonger les ancres» : beaucoup de commentateurs font remarquer que Luc semble fort bien docu-menté en ce qui concerne les choses de la mer et l’art de la navigation : ce qu’il dit des vents et des courants semble exact ; il connaît les termes tech-niques du vocabulaire maritime et les utilise à bon escient. Il décrit correctement les manœuvres : ici il s’agissait d’abord de jeter des ancres à la poupe (v. 29) pour stabiliser le bateau face au rivage, puis, après avoir vérifié la hauteur des fonds, mouiller des ancres à la proue pour, en relevant celles de l’arrière, faire pivoter le bateau sur lui-même de

façon à ce que la poupe vienne glisser sur la plage. Manœuvre délicate qui ne peut s’effectuer que de jour et par mer calme. À moins que, selon la ver-sion rapportée ici par Luc, les marins n’essaient pas vraiment de relever les ancres de la poupe, mais tentent tout simplement de s’enfuir : encore une façon de se sauver tout seuls, dans tous les sens du terme : sans compter sur Dieu et en aban-donnant les autres.

«ne restent pas» : le décalage des plans où se si-tuent les personnages est toujours flagrant. Alors que marins et soldats romains cherchent seule-ment des moyens pratiques de sortir de cette si-tuation concrète, les paroles de Paul peuvent s’en-tendre de la situation qu’ils sont en train de vivre, mais surtout de la condition des hommes dans le monde : c’est en restant unis et en demeurant là où Dieu les a placés que les hommes – l’humanité entière – seront sauvés. Le labeur de Paul et des autres «témoins» n’a de sens que pour hâter ce moment.Par cette idée qu’on ne peut être sauvé qu’en-semble, on retrouve, à la fin du livre, le thème si prégnant dans les premiers chapitres des Actes, de la cohésion nécessaire de la communauté : tous avaient «un même cœur» (1,14 ; 2,46 ; 4,24 ; 5,12) ; c’est cette disposition de la première communau-té chrétienne qui doit être conservée et étendue au monde entier.

«coupèrent les cordes» : nouvelle initiative humaine – qui va bien au-delà de ce que Paul avait demandé de la part du Seigneur et qui donc est assimilable à une nouvelle désobéissance –, ce qui revient à compli-quer encore un peu plus la situation concrète puis-que la chaloupe est perdue. On retrouve à nouveau la même séquence caractéristique de l’histoire de l’humanité : don de Dieu – désobéissance – consé-quences dramatiques – miséricorde et reprise du plan de salut par une nouvelle grâce de Dieu.

«le jour» : nouvelle mention, à double sens, du jour. Certes matériellement la nuit s’achève, mais c’est aussi l’arrivée du quatorzième jour, le jour de la pâque, le jour de l’intervention divine de salut.

«prendre de la nourriture» : le thème de la nourri-ture est présent de façon massive dans les versets 33 à 36 ; en quatre versets on relève : «prendre de la nourriture» (3 fois), «être à jeun», «pain», «man-ger» ; et encore, au verset 38 : «rassasié» et «blé».

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 93

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Le premier sens en est que Paul, ayant déjà in-vité ses compagnons à partager sa foi en la parole du Dieu qui sauve (v. 25), les convie maintenant à partager avec lui un geste concret d’espérance en «prenant de la nourriture».

«dans l’attente» : cette rupture du jeûne prend un second sens, plus liturgique, puisqu’il renvoie à la fin de «l’attente» du peuple hébreu, esclave en Égypte, qui est invité «le quatorzième jour» à man-ger l’agneau pascal, «toute la communauté d’Israël» étant rassemblée par maison (Exode 12,6). Dans cette pâque de salut qu’ils sont en train de vivre, tous sur le bateau, marins et soldats romains, of-ficiers et prisonniers, sont invités à partager en-semble un repas, à communier dans la même es-pérance de délivrance.

«un cheveu de sa tête» : la promesse de salut, déjà énoncée au v. 22, se retrouve en cette troisième prophétie de Paul, exprimée avec les paroles mê-mes que Luc prête à Jésus dans son dernier dis-cours avant la Passion : «Vous serez haïs des hom-mes à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne se perdra. C’est par votre constance que vous sauverez vos vies !» (Luc 21,17-19). Paul re-prend à son compte les paroles du Maître pour apporter à ses compagnons le même réconfort avant l’épreuve, car si, en Luc, elles précèdent la Passion, ici elles précèdent le naufrage, passage symbolique à travers les eaux de la mort, qui sont aussi les eaux du salut.

«prit du pain» : on atteint ici le troisième niveau de sens, accomplissant le thème de la nourriture. La même séquence de quatre verbes – prendre (le pain), bénir rompre, donner – se retrouve en Luc à trois reprises : lors de la multiplication des pains (Luc 9,16), du dernier repas avant la Passion (22,19) et du repas pris, après la Résurrection, avec les deux disciples d’Emmaüs (24,30) ; c’est-à-dire, si l’on veut, la préfiguration, l’institution et la commémoration du rite eucharistique, exprimant le don absolu de lui-même fait par Jésus pour nous rendre à la vie. Les gestes de Paul évoquent donc clairement le repas eucharistique, d’autant qu’en Luc la simple expression «rompre le pain» devient un terme technique désignant l’Eucharistie (cf. Luc 24,35 ; Actes 2,42). Le dernier verbe de la séquence – donner – est toutefois absent ici, sans doute parce que tous ne peuvent encore partager pleinement la foi de Paul.

«tous de la nourriture» : même si tous n’ont pas encore pleinement part au repas eucharistique, tous au moins partagent le même pain, c’est-à-dire qu’ils goûtent déjà ensemble au même fruit du salut offert à toute l’humanité par la mort-ré-surrection du Christ.

«deux cent soixante-seize» : l’insistance dans le ver-set porte moins sur le nombre de personnes que sur l’unanimité de la communion au salut. Ces hommes divers par leurs provenances et leurs intérêts forment en cet instant une communauté rassemblée en un repas qui, en son sens plénier, est le mémorial de la Cène de Jésus avec ses dis-ciples avant sa Passion, annonce et symbole tout à la fois de la vie nouvelle dont peut vivre à pré-sent la communauté. Là encore, on peut observer une inclusion entre cet avant-dernier chapitre et les premiers chapitres des Actes qui décrivent la communauté des «croyants» qui «n’avait qu’un cœur et qu’une âme» (4,32 ; cf. aussi 2,42-46).Certains commentateurs font en outre remar-quer que 276 est la somme arithmétique des 23 premiers chiffres (comme 153, le nombre des poissons ramenés par les disciples en Jean 21,11, est la somme des 17 premiers chiffres). Ce qui est une façon d’exprimer la totalité : ce sont bien ef-fectivement tous les hommes qui sont sauvés par la pâque du Christ à travers les eaux de la mort et sa résurrection à laquelle tous ont part.

«rassasiés» : derrière le sens matériel évident, on peut apercevoir des réminiscences bibliques. Cf. par exemple Exode 16,12 : «Au crépuscule vous mangerez de la viande et au matin vous serez rassa-siés de pain. Vous saurez alors que je suis le Seigneur votre Dieu» ; Psaume 22,26 : «Les pauvres mangeront et seront rassasiés. Ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent» ; Siracide 24,21 : «Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif». Mais cette thématique est exploitée par Jean plus encore que par Luc (cf. Jean 6,48-58).

«jetant le blé» : toujours la même dualité de sens. La raison pratique est simple : puisque la terre est proche, on n’a plus besoin de provisions et on cher-che à alléger le navire pour faciliter la manœuvre. Mais c’est aussi une manière symbolique de dire que seul le repas de Dieu, le pain eucharistique, peut rassasier et que c’est en lui que se trouve la vraie vie. Les épreuves ne sont pas terminées pour autant : les versets suivants racontent la disloca-

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 94

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

tion du bateau due aux manœuvres hasardeuses des marins (v. 39-41) et les risques pour les pri-sonniers d’être tués à cause de la peur des sol-dats (v. 42-43). Autrement dit, la vie humaine reste toujours marquée par la même séquence de péché et de grâce. Mais la grâce a le dernier mot : «Tous parvinrent sains et saufs à terre» (v.44). Le salut à tra-vers l’eau et l’atteinte d’une terre nouvelle est un

thème biblique récurrent depuis Noé échappant au déluge et le peuple atteignant la Terre promise en passant la mer Rouge, jusqu’à l’explication qu’en donne la Première épitre de Pierre : «... aux jours où Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. Ce qui y correspond, c’est le baptême qui nous sauve à présent» (1 Pierre 3,23).

Prier

Dieu de vie qui, par désir d’amour, as créé le monde et l’homme,et veux les mener à leur plein achèvementpour qu’éternellement ils vivent en toi,sois béni pour ce dessein de salut que tu poursuis depuis l’origine,à travers les vicissitudes de l’histoire,et que, sans fin, avec une infinie patience,tu reprends à la mesure des infidélités et des erreurs de l’homme.Sois béni d’avoir envoyé le Fils de ta grâcequi, en notre chair, a traversé les eaux du mal et de la mortpour qu’après lui nous puissions aborder au port tranquille de ton éternité.Sois béni pour ton Esprit Saint qui nous inspire et ravive en nous le couragedans la traversée tumultueuse et les remous de cette vie.Sois béni pour les témoins de ton amour qui nous ont fait connaître ta Paroleet qui, pour nous, dessinent ton visage ;sois béni pour leur ardeur à porter ta bonne nouvelle au cœur du mondeet à publier les merveilles que tu accomplispour peu que l’on se laisse aller à ta grâce.Fais que nous soyons comptés parmi ces témoins heureux,libres «Théophile», qui mettent leur joie à parler de toiet qui déjà s’appliquent à ta louange, leur vocation d’éternité,notre vocation commune qui nous réunira avec toi, Père,et les vivants de tous les temps, pour les siècles sans fin. Amen.

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 95

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

Contempler

«Qu’en dit Théophile ?» est la nouvelle forme de cette dernière étape de notre lectio divina, traditionnellement nommée «Contempler». Il s’agit en réalité de laisser la Parole féconder notre vie et notre cœur, ce lieu où habite le «Théophile» à qui Dieu parle...

Qu’en dit Théophile ?

L’attention de Théophile est suspendue aux péripéties du voyage de Paul vers Rome, à la succession de contretemps et d’épreuves qui s’abattent sur le navire, au vain déploiement de tout l’art des marins qui tentent d’en reprendre la maîtrise. Il a lu les récits grecs des grandes odyssées mari-

times ; il connaît les mésaventures du prophète Jonas embarqué pour Troas ; il a prié les psaumes avec les voyageurs perdus dans les tempêtes : «Montant aux cieux, descendant aux gouffres, sous le mal leur âme fondait ; tournoyant, titubant comme un ivrogne, leur sagesse était toute engloutie. Et ils criaient vers le Seigneur dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés» (Psaume 107,26-28). Mais là, il pressent qu’il s’agit de tout autre chose. Il admire le calme de Paul, son abandon à l’Esprit de Dieu qui lui inspire une parole de consolation, sa foi dans le dessein providentiel de Dieu qui se poursuit, par-delà les obstacles posés par l’obstination et l’orgueil de l’homme. Mais soudain, dans ce récit plein de fracas et de dangers, où les hommes sans cesse basculent de la peur à la présomption, de l’intervention maladroite à l’abattement, il lit comme une image de la traversée de cette vie.

«Je marchais au bord de la mer, et tandis que j’avançais, je fixais mes regards sur les flots. Le spectacle qu’ils m’offraient n’avait pas le charme que l’on trouve lorsque le temps est serein et que la mer em-pourprée vient jouer sur le rivage d’une manière agréable et paisible. Qu’y avait-il donc ? Je me servirai volontiers, pour le dire, des paroles de l’Écriture : ‘Le vent soufflait avec force, la mer se soulevait’. Et comme il arrive dans de semblables agitations, les vagues se soulevaient au loin, puis s’abaissaient et envahissaient le rivage ou bien, heurtant les rochers voisins, se brisaient et se transformaient en écume et en fines gouttelettes.

Cette mer, me disais-je, n’est-ce pas notre vie et la condition humaine ? Là aussi se trouvent beaucoup d’amertume et d’instabilité ; et les vents ne sont-ils pas les tentations qui nous assaillent et tous les coups imprévus du sort ? C’est, je crois, ce que méditait David, cet homme si admirable, lorsqu’il s’écriait : ‘Sauve-moi, Seigneur, car les eaux me sont entrées jusqu’à l’âme’, ou bien : ‘Arrache-moi du fond des eaux !’, ou encore : ‘Je suis dans la haute mer et le flot me submerge’. Parmi ceux qui sont tentés, les uns me semblaient être comme ces objets légers et inanimés qui se laissent emporter sans opposer la moindre résistance aux attaques ; ils n’ont en eux aucune fermeté, ils n’ont pas le contrepoids d’une raison sage qui lutte contre les assauts. Les autres me semblaient des rochers, dignes de ce Roc sur lequel nous sommes établis et que nous adorons ; ce sont ceux qui, formés par les raisonnements de la vraie sagesse, s’élèvent au-dessus de la faiblesse ordinaire et supportent tout avec une inébranlable constance» (S. Grégoire de Nazianze, IVe s.).

Le monde cependant ne saurait être seulement une faible barque ballottée par des flots tempétueux et soumise au bon gré des vents. Le monde, tiré par Dieu du chaos et organisé par sa Parole aux premiers jours, ne peut être ainsi devenu un abîme sans repères et sans signification où les gesticulations de l’homme ne cachent pas son impuissance foncière et sa course à la mort. Le monde, surgi à la Parole de Dieu et visité par sa Parole venue dans la chair, est animé d’un dynamisme puissant qui le mène vers son accomplissement ; et tout l’enjeu de la liberté de l’homme, Théophile le comprend bien, est de travailler à concourir à ce grand mouvement de la grâce qui le sollicite, au long d’une histoire devenue sainte, d’entrer dans l’alliance donnée et redonnée incessamment par Dieu.

«Si un jour, nous sommes assaillis par d’inévitables épreuves, rappelons-nous que c’est Jésus qui nous a ordonné de nous embarquer et qu’il veut que nous le précédions sur la rive d’en face. Il est impossible en effet pour qui n’a pas supporté l’épreuve des vagues et du vent contraire de parvenir à ce rivage-là. Ainsi, lorsque nous nous verrons entourés par des difficultés multiples et pénibles, fatigués de naviguer au

Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne 10 novembre 2011 | 96

http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2011

milieu d’elles avec la pauvreté de nos moyens, imaginons que notre barque est alors au milieu de la mer, secouée par les vagues qui voudraient nous voir faire naufrage dans la foi ou en quelque autre vertu. Et si nous voyons le souffle du malin s’acharner contre nos entreprises, représentons-nous qu’à ce moment le vent nous est contraire. Quand donc, parmi ces souffrances, nous aurons tenu bon durant les longues heures de la nuit obscure qui règne dans les moments d’épreuves, quand nous aurons lutté de notre mieux en prenant garde d’éviter le naufrage de la foi, soyons sûrs que vers la fin de la nuit, lorsque la nuit sera avancée et que poindra le jour, le Fils de Dieu viendra après de nous, en marchant sur les flots pour nous rendre la mer bienveillante. Lorsque nous verrons le Verbe nous apparaître, nous serons saisis de trouble jusqu’au moment où nous comprendrons clairement que c’est le Sauveur qui nous est présent. Croyant encore voir un fantôme, nous crierons de frayeur, mais lui nous dira aussitôt : ‘Ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur’» (Origène, IIIe s.).

De ce sens du monde et des événements, de ce dessein de salut soutenu par Dieu, révélé par son Fils et accompli en lui, Paul et tous les autres dont Théophile découvre l’histoire, Pierre et les Onze, les Hébreux à la suite de Jacques et les Hellénistes comme Étienne ou Philippe, les païens comme Corneille et les lévites comme Barnabé, les femmes comme Lydie et Priscille, et Silas, et Timothée, et tous les autres..., tous sont témoins. Et Luc lui-même, cet ami, ce frère, qui a eu, inspiré par l’Esprit, cette idée d’une portée si considérable de mettre tout cela par écrit. De l’envoyer comme une lettre adressée à lui, Théophile et, il le sent bien, à tous ceux qui après lui la liront, pour qu’ils soient eux aussi constitués comme témoins et qu’ils portent, jusqu’aux horizons indiqués par Jésus, «jusqu’aux extrémités de la terre» (Actes 1,8), cette nouvelle si simple et si grande : nous ne sommes pas perdus dans l’océan du monde ; Dieu, qui nous a créés, nous appelle à partager avec lui un bonheur d’éternité : il nous l’a dit et montré en son Fils.

«Les apôtres, fortifiés par l’Esprit Saint, furent envoyés par lui dans le monde entier, pour appeler les païens, pour montrer aux hommes le chemin de la Vie, pour les arracher à leurs idoles, pour purifier leurs âmes et leurs corps par le baptême de l’eau et de l’Esprit Saint. Les apôtres donc, après avoir com-muniqué aux croyants cet Esprit Saint qu’ils avaient eux-mêmes reçu du Seigneur, ont établi et organisé l’Église. En répandant la foi, la charité et l’espérance, ils ont réalisé ce qui avait été annoncé d’avance par les prophètes, la vocation des païens. Ainsi par le secours de leur ministère, ils ont rendu manifeste la mi-séricorde de Dieu en admettant tous les hommes à participer aux promesses qui avaient été faites aux pères. Ainsi à ceux qui croient, qui aiment le Seigneur et vivent dans la sainteté, la justice et la patience, le Dieu de tous accordera la vie éternelle par la résurrection des morts, et cela en raison des mérites de Celui qui est mort et ressuscité, Jésus Christ, à qui il a donné la royauté universelle, l’autorité et le pouvoir de juger les vivants et les morts. Donné par Dieu au baptême, l’Esprit Saint demeure en celui qui le reçoit aussi longtemps qu’il vit dans la vérité, dans la sainteté, la justice et la patience. Car c’est aussi par la vertu de cet Esprit que les croyants ressusciteront pour entrer, corps et âme, dans le royaume de Dieu» (S. Irénée de Lyon, IIe s.).

Luc, qui s’est informé comme un historien de tout «depuis les origines» (Luc 1,3), qui a cherché à montrer à travers les événements le sens de ce qui advient et la grâce de Dieu à l’œuvre dans l’histoire, laisse à son livre une fin ouverte devant Théophile : ce n’est pas sur le sort d’un prisonnier, tiraillé entre Juifs et Romains, qu’il s’achève ; mais sur la Parole libre, annoncée «avec pleine assurance et sans entrave» (Actes 28,31), et qui vient toucher les Juifs comme les Romains, le fils cadet rebelle tout comme le fils aîné obéissant (cf. Luc 15), tous enfants du même Père. La Parole laissée à présent à Théophile qui referme le livre, pour qu’elle prenne en lui sens et vie, qu’à son tour il en devienne un heureux porteur. Le livre refermé, Théophile est apôtre. Et avec lui, tous les «Théophile», «amis de Dieu», que nous sommes.