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1 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu Henri JULIEN Président de la SFMC 06 30 31 36 85 [email protected] ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE ET ORGANISATION DES SECOURS Le regard du médecin de catastrophe Les attentats terroristes ont fait plus de 700 victimes à Paris. L’émotion et l’empathie que nous ressentons à l’égard des victimes et de leurs proches, le ressentiment contenu devant ces crimes inexcusables ne doivent pas nous faire oublier notre mission : celle de réfléchir à la meilleure réponse à apporter aux blessés somatiques ou psychiques. L’abnégation et la qualité de l’engagement des personnels de secours et de soins d’urgence en réponse à la catastrophe anthropogénique sociale la plus importante vécue en France depuis la seconde guerre mondiale 1 ont été unanimement louées. Nous nous associons à l’hommage mérité des policiers, des sapeurs-pompiers, des personnels des SAMU et des associations qui sont intervenus en prenant des risques pour eux-mêmes. La réussite opérationnelle manifeste et reconnue des services de l’Etat et des associations agrées de protection civile ne doit pas nous dispenser de rechercher les marges de progrès concernant l’organisation des secours et des soins d’urgence pour un type de catastrophe que la France n’avait pas encore vécu : l’attentat terroriste multisite qui avait frappé Madrid, Londres et Bombay. C’est le but de la SFMC et de ces réflexions que nous vous soumettons. Elles sont limitées à la relève et aux soins d’urgence des victimes et ont été déjà ébauchées dans la Lettre de la SFMC n°84. 1 La rupture du barrage de Malpasset le 2 décembre 1959 avait entraîné 423 morts. Elle a eu des conséquences pour la société française : juridiques, article 171 du Code civil prévoyant les mariages posthumes, matérielles, création des unités d’intervention de la Sécurité Civile, etc. Le présent texte n’est pas destiné à être publié. Il est le fruit de réflexions personnelles et a été rédigé à l’attention des membres de la SFMC et des auditeurs de la session du 27 janvier qui l’amenderont. Reproduction partielle ou totale est autorisée sur demande adressée au président de la SFMC, comme toute critique et commentaire qui seront les bienvenus. HJ, 11 janvier 2016.

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1 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

Henri JULIEN

Président de la SFMC

06 30 31 36 85

[email protected]

ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE ET ORGANISATION DES SECOURS

Le regard du médecin de catastrophe

Les attentats terroristes ont fait plus de 700 victimes à Paris. L’émotion et l’empathie que nous

ressentons à l’égard des victimes et de leurs proches, le ressentiment contenu devant ces crimes

inexcusables ne doivent pas nous faire oublier notre mission : celle de réfléchir à la meilleure

réponse à apporter aux blessés somatiques ou psychiques.

L’abnégation et la qualité de l’engagement des personnels de secours et de soins d’urgence en

réponse à la catastrophe anthropogénique sociale la plus importante vécue en France depuis la

seconde guerre mondiale1 ont été unanimement louées. Nous nous associons à l’hommage mérité

des policiers, des sapeurs-pompiers, des personnels des SAMU et des associations qui sont

intervenus en prenant des risques pour eux-mêmes.

La réussite opérationnelle manifeste et reconnue des services de l’Etat et des associations agrées

de protection civile ne doit pas nous dispenser de rechercher les marges de progrès concernant

l’organisation des secours et des soins d’urgence pour un type de catastrophe que la France

n’avait pas encore vécu : l’attentat terroriste multisite qui avait frappé Madrid, Londres et

Bombay. C’est le but de la SFMC et de ces réflexions que nous vous soumettons. Elles sont limitées

à la relève et aux soins d’urgence des victimes et ont été déjà ébauchées dans la Lettre de la SFMC

n°84.

1 La rupture du barrage de Malpasset le 2 décembre 1959 avait entraîné 423 morts. Elle a eu des conséquences pour

la société française : juridiques, article 171 du Code civil prévoyant les mariages posthumes, matérielles, création des unités d’intervention de la Sécurité Civile, etc.

Le présent texte n’est pas destiné à être publié. Il est le fruit de

réflexions personnelles et a été rédigé à l’attention des membres de la

SFMC et des auditeurs de la session du 27 janvier qui l’amenderont.

Reproduction partielle ou totale est autorisée sur demande adressée au

président de la SFMC, comme toute critique et commentaire qui seront

les bienvenus. HJ, 11 janvier 2016.

2 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

1. La nouvelle forme de terrorisme et de réponse citoyenne : Il ne nous appartient pas de revenir sur les causes de la radicalisation terroriste qui ont favorisé

l’émergence de ce type d’agression : les médias les ont largement développées. Il en est une qui,

de notre point de vue, a été sous-estimée et qui a des conséquences sur le comportement

citoyen : c’est l’Uberisation du terrorisme. Les réseaux sociaux ont contribué au passage à l’acte

d’individus ou de groupes qui ont été recrutés, convaincus, téléguidés par l’intermédiaire

d’internet, de Facebook, de Tweeter. Terroristes parfois dépourvus d’une véritable formation au

maniement des armes : qui se tire une balle dans le pied et appelle le SAMU, qui enraye sa

kalachnikov dans le train…

A cet Uber-terrorisme doit répondre symétriquement l’uber-résistance des citoyens. C’est ce qui

s’est passé spontanément en Belgique : diffusion saturante de messages sur un sujet quelconque

(les chats) pour couvrir une intervention de police. C’est développer la capacité des citoyens de se

prendre en charge ou de porter secours à un proche, un voisin blessé. Le 13 novembre, des

témoins ont utilisé leur chemise pour faire des pansements compressifs, des garrots aux blessés.

Cette action citoyenne est encore trop rare en France.

Ce qui a suscité des initiatives que la SFMC ne peut que soutenir :

-une plaquette2 a été diffusée par le gouvernement des français qui précise la conduite à

tenir avant l’arrivée de la police,

- une pétition3 a été lancée qui a recueilli 30 000 signatures sur internet pour réclamer une

formation des citoyens,

- la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris ouvre en janvier ses casernes aux parisiens pour

une courte formation sur les gestes qui sauvent,

- le bureau secourisme de la DGSCGC planche sur une formation courte notamment du

contrôle des hémorragies.

2. Les faits, les chiffres dont nous avons pu disposer 4 :

Selon la classification adoptée par la médecine de catastrophe, il s’agit d’une Catastrophe à Effets

Limités5 (CEL), sociétale, sous la forme d’attentats multiples simultanés sur plusieurs sites.

La gestion de l’alerte :

2 http://www.france24.com/fr/20151204-terrorisme-affiche-gouvernement-cas-attentat-comportement 3 #AttentatsParis 4 Ces éléments proviennent de sources diverses : journalistiques, relationnelles ; toujours publiques. Elles méritent

toutes vérification et ne sont pas vérité, mais elles permettent une première réflexion que nous soumettons au lecteur. 5 Il s’agit pour nous d’une catastrophe à effet limité (CEL), l’ensemble des services impliqués dans les secours étant en

pleine capacité d’action : Sureté par la police, Secours par les sapeurs-pompiers et les associations, Soins par les SMUR et les Hôpitaux, Sociaux les attentats n’ayant pas perturbé la grande distribution ou l’hébergement, Sociétaux par les services préfectoraux et municipaux.

3 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

L’alerte des services concernés, police-sapeurs-pompiers-SAMU a été immédiate, tant par les

appels aux numéros gratuits abrégés 15 – 17 – 18 et 112, que par les médias qui ont répercuté

l’information.

Le flot continu et surabondant d’informations, ne provenant pas toujours de témoins directs et

répercutant quelques fois des rumeurs, a nécessité d’en vérifier méthodiquement l’exactitude.

Le coefficient multiplicateur de ce type de catastrophe n’est pas connu et reste à déterminer. Ce

coefficient caractérise le différentiel entre le nombre de victimes attendues lors de la réception

des alertes et celui du bilan final. Il diffère selon le type de catastrophe.

La chronologie des attaques :

- 21h 20 : Premier attentat-suicide par bombe avec projectiles (boulons) au Stade de France, 70 000 spectateurs présents dont le Président de la République : un témoin mort, 10 blessés graves,

- 21h 25 : Fusillade au restaurant le petit Cambodge et le Carillon : 14 morts, - 21h 30 : Deuxième attentat-suicide par bombe au Stade de France, - 21h 32 : Fusillade aux cafés Bonne Bière et Casa Nostra : 5 morts et 8 UA - 21h 36 : Fusillade au restaurant La Belle Equipe : 19 morts - 21h 41 : Suicide par explosion d’un terroriste brasserie du Comptoir Voltaire, 2 blessés, - 21h 50 :

o Début de la fusillade au Bataclan et prise d’otages, o Suicide par explosion d’un terroriste au stade de France : au total 5 UA, 33 UR et

des centaines de consultations assurées par le dispositif DPS et le SAMU 93, - 00h 20 : Assaut du BRI et du RAID6 au Bataclan : découverte de 89 morts et dégagement de

80 UA,

479 victimes, chiffres qui ont été communément admis au lendemain de l’attentat. Ils ne sont cependant pas officiels et ne tiennent pas compte des petits blessés auto-soignés, des impliqués, des otages ou des témoins au contact, des blessés psychiques:

- 129 morts et 7 terroristes suicidés ou abattus, - 100 UA, - 250 UR.

Le 27 novembre l’AP-HP diffuse les chiffres suivants7 :

- 679 personnes au total ont été prises en charge dans les hôpitaux parisiens en incluant les personnes ayant subi un traumatisme psychologique, auxquelles il faut rajouter les victimes accueillies dans les hôpitaux militaires et autres hôpitaux franciliens non AP,

- 69 victimes sont encore hospitalisées, - 52 personnes ne relevaient « pas ou plus » d’une surveillance intensive en service de

réanimation.

6 BRI et RAID sont deux unités spéciales de la police rattachées à la Préfecture de Police de Paris et au ministère de

l’intérieur. 7 http://www.leparisien.fr/faits-divers/attentats-de-paris-69-personnes-encore-

hospitalisees-jeudi-matin-27-11-2015-5316141.php

4 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

Ceux de la BSPP font mention de : - Stade de France : 4 morts 59 évacués - Bichat : 13 morts 22 évacués - République : 5 morts 19 évacués - Charonne : 19 morts 17 évacués - Voltaire : 1 mort 16 évacués - Bataclan : 82 morts 114 évacués

Ceux du service de santé des armées : 52 blessés ont été admis dans les hôpitaux des armées dont 18 UA8 Sept sites ont été concernés :

Six intra-muros, un dans le département 93 de la petite couronne.

Six pôles différents sont identifiables : - Restaurants Le petit Cambodge et le Carillon : Fusillade - Restaurants Casa Nostra et la Bonne bière : Fusillade - Restaurant la Belle Equipe : un peu plus tard et plus au sud : Fusillade - Dancing le Bataclan : Fusillade, Prise d’otage de 1 500 adultes dans un bâtiment,

exécutions d’otages puis prise d’assaut, durée de l’évènement : 2h ½ à 3h. - Stade de France, 3 explosions-suicides à 10 min d’intervalle. - Voltaire, explosion suicide.

8 Audition du médecin général des armées J.M. Debonne, directeur central du service de santé des armées à la

commission de a défense nationale du mardi 24 novembre 2015.

5 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

Chacun de ces pôles a des caractéristiques différentes de situation, de dangerosité, de durée. Les victimes balistiques sont les plus nombreuses : morts et blessés hémorragiques nécessitant une prise en charge rapide, ce qui expliquerait le fort pourcentage d’UA. Les explosions-suicides ou attentats-suicides n’ont fait qu’un mort en dehors des terroristes eux-

mêmes.

Douze hôpitaux ont accueilli les UA9 :

Accueil hospitalier Urgences

Absolues

Dont

UA

régulées

Urgences

Relatives

Hpl Amboise Paré 1 6

Hpl Beaujon 5 4

Hpl Bichat 6 4 17

Hpl Georges Pompidou 11 10 30

Hpl Henri Mondor 11 3 15

Hpl Kremlin Bicêtre 2 2 6

Hpl Lariboisière 21 5 8

Hpl Pitié Salpêtrière 28 10 25

Hpl St Antoine 6 3 39

Hpl St Louis 13 5

HIA Bégin 10 3

HIA Percy 9 5

Cellules restées blanches lorsque les chiffres ne nous sont pas connus.

2- Le déploiement des secours :

- L’anticipation : La forme multisite des attentats de Madrid10, Londres11 et Bombay12 a fait prévoir par la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) un plan de secours et soins d’urgence

9 Deux sources différentes avec des chiffres non concordants. Dernière source :

http://www.thelancet.com/pb/assets/raw/Lancet/pdfs/S0140673615010636.pdf 10 Madrid, 11 mars 2004 : 5 bombes dans 5 trains différents : 200 morts, 1 400 blessés 11 Londres 7 juillet 2004 : 4 explosions de détonateurs : 1 blessé

6 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

adapté : le Plan Rouge Alpha13, dérivé du Plan Rouge, destiné à couvrir plusieurs sites de CEL simultanées tout en préservant la capacité de faire face à une deuxième vague de CEL et continuer de couvrir les risques quotidiens. Le plan rouge alpha est basé sur la priorisation des EU et 1ère Urgences après un tri très sélectif, sur l’organisation sectorielle intégrée des différents « chantiers », sur la constitution d’une réserve opérationnelle pour un nouvel attentat. Ce plan a fait l’objet d’exercices internes à la BSPP. Remarquable coïncidence : à la demande du Général commandant la BSPP, le Plan avait fait le matin même du 13, l’objet d’un exercice avec l’AP-HP et les 8 SAMU de la grande couronne Parisienne14 . Le thème retenu : plusieurs groupes de terroristes avec 13 sites d’agression par fusils d’assaut, organisation du relevage et de l’accueil de 150 blessés. Plus de 50 médecins ont travaillé sur deux sites : SAMU 75 et BSPP pendant plus de 2h ½.

- Déclanchement du Plan Rouge Alpha et du Plan Blanc Elargi : Alertés, les centres de réception des appels de la BSPP (700 appels au CCOT entre 21h et 21h30) et du SAMU (CRAA) qui ont une obligation d’information réciproque, engagent leurs moyens selon les procédures prévues :

o Plan Rouge Alpha pour la Brigade, avec envoi sur les différents sites de moyens d’intervention de premiers secours et de VSAV, renforcés par des ambulances de réanimation médicalisées (AR), redéploiement des moyens de la BSPP pour la continuité de la réponse opérationnelle, mise en œuvre de la cellule de crise, alerte des SDIS de la grande couronne et renforcement des liaisons avec la Préfecture de Police, les SAMU 75 et 93. La BSPP mobilisent 450 pompiers sur 7 sites, 21 équipes médicales (AR), 125 engins, pour prendre en charge 381 victimes, dont 257 blessés par balle15 16. Le Gl Boutinaud analyse l’action de la BSPP en quatre phases : phase de réaction qui a duré 20 min, puis reprise d’initiative jusqu’à 22h, de concentration des efforts au moment de l’assaut, de retour à la normale avec évacuation des blessés du Bataclan et du Stade de France.

o Plan Blanc Elargi pour le SAMU 75 en coordination avec les SAMU 92-93 : envoi de SMUR sur le terrain en conservant une réserve d’intervention pour

une éventuelle attaque renouvelée, renforcement de la Régulation Médicale du SAMU 75 et mise en place de

cellules de suivi de l’événement, d’une régulation du flux quotidien, d’une cellule d’anticipation opérationnelle, d’activation des hôpitaux, de liaisons avec la cellule Plan Blanc de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), la Cellule d’urgence du DUS et les SAMU régionaux.

interviendront un total de 45 SMUR des SAMU 75 et 93 appuyés par des SMUR du 92, 94, 78, 91, 95, 77.

o Alerte des associations de secouristes : Croix Rouge, Protection Civile et Ordre de Malte : 500 secouristes ont été dénombrés par la BSPP.

12 Bombay : respectivement 11 juillet 2006 : 7 explosions et 166 morts; dix attaques du 26 au 29 novembre 2008 :

188 morts et 312 blessés 13 Le médecin en chef C. FUILLA étant médecin chef de la BSPP. 14 Départements 75, 92, 93, 94 qui constituent la zone d’intervention de la BSPP. 15 CAREZ Céline, « Ce pompier a filmé l’horreur du Bataclan » leparisien.fr, 3 décembre 2015. ; 16

Gl BOUTINAUD Philippe, Retex IFRASEC, 13 décembre 2015.

7 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

o Plan « Camembert » des SAMU parisiens17 : Il consiste, afin de rationnaliser les renforts, à sectoriser Paris en trois « portions » à partir du centre et y rattacher la partie nord aux SAMU 93 et 95, sud-ouest aux SAMU 92 et 78, sud-est aux SAMU 94, 77 et 91. Du fait de la situation des attentats dans le quart nord-est de la capitale et du site Stade de France situé dans le 93, ce plan de renfort a du être adapté.

o Hôpitaux des armées : Les hôpitaux d’instruction Begin et Percy dont les équipes de chirurgie et de réanimation sont rompues au traitement des blessés balistiques, ont accueilli plus de 50 blessés.

o Cas du Stade de France : les trois explosions ont eu lieu pendant la première mi-temps du match. Décision a été prise d’exfiltrer le Président de la République et les autorités présentes et de poursuivre le match afin de sécuriser les abords du stade avant la sortie des spectateurs.

Le ratio 4 sauveteurs pour une victime, relevé lors des interventions en région parisienne semble

avoir été atteint ou dépassé si on inclut le nombre des policiers et des militaires qui viennent

s’ajouter aux sapeurs-pompiers, aux personnels de santé et aux secouristes associatifs engagés sur

le terrain.

- Régulation zonale : Elle a été initiée dans une salle de crise spécifique pour gérer les moyens zonaux et notamment créer une réserve opérationnelle : 25 SMUR ont été pré-alertés et disponibles ; organisation d’une noria d’évacuation par hélicoptères : 9 machines ont été déployées sur une DZ vers le bois de Vincennes.

- Soins médico-psychologiques : Dès 23 h, activation de la cellule d’urgence médico-psychologique de l’Hôtel-Dieu, référente depuis les attentats de Charlie Hebdo et appuyée par les cellules CUMP de la BSPP, du 75 et du 9218.

3- Le bilan d’ambiance des opérations médicales :

Trois caractéristiques vont dominer :

- la persistance du danger : du fait de la durée des agressions unilatérales terroristes-parisiens et les affrontements bilatéraux forces de l’ordre-terroristes, les personnels de secours et de santé sont engagés, sans protection individuelle, en zone de tirs possibles ; plusieurs véhicules de la BSPP ont essuyé des tirs dont deux sont sévèrement impactés par balles.

- la concomitance de trois formes d’agressions simultanées : o les fusillades à l’arme de guerre, o l’explosion de bombes à fragmentation artisanales, o la prise d’otage ;

17 CARLI Pierre, NAHON Michel. Attentats terroristes du 13 novembre 2015, SAMU de Paris. Présentation sous PdF. 18 Jean-Yves NAU, interview du Point.

8 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

- l’association de trois dominantes lésionnelles concomitantes : o des blessures par balles responsables d’hémorragie dont on connait le danger vital

d’évolution rapide depuis les engagements sur les théâtres de guerre au Moyen-Orient : la mort survient dans la première heure si l’hémorragie n’est pas contrôlée sur le terrain par un garrot (tourniquet) et/ou par l’intervention rapide du chirurgien (Damage Control) ;

o les victimes d’explosion, généralement criblées d’éclat, exposées aux risques d’un blast primaire, notamment pulmonaire et éventuellement brûlées, dont le devenir immédiat n’est pas aussi rapidement engagé ;

o les conséquences physiques (mouvements incontrôlés et piétinements) et psychiques auxquelles exposent les prises d’otages en nombre dans un espace restreint pour une durée comptée en heures19.

4- Le cas du Bataclan :

21h 5120, attaque du dancing a la Kalachnikov et prise d’otage de 1 500 spectateurs suivie

d’exécutions au jugé. Plusieurs séquences sont identifiables :

- 22h : arrivée sur les lieux du commissaire C. qui entre dans le dancing avec une arme de poing et à 22h 07 abat un des trois terroriste. Cela a comme conséquence de faire cesser les exécutions et monter les deux autres terroristes dans un couloir du 1er étage avec une vingtaine d’otages,

- 22h 15 : Intervention du BRI qui relève les policiers du commissariat et sécurisent le rez-de-chaussée du dancing,

- 22h 45 : Intervention du RAID, contact avec les terroristes vers 23h 27 et début de négociations,

- 00h 18 : Assaut du BRI et RAID, élimination des terroristes. Intervention parallèle des sapeurs-pompiers, du SAMU et des associations pour l’accueil des

rescapés et le ramassage des blessés qui se terminera vers 5h 30 le matin21.

Selon l’analyse des 6 000 procès verbaux de l’enquête officielle par le journal Le Monde, la prise

d’otage des 1 500 spectateurs du Bataclan a fait 90 morts.

L’organisation des secours a reproduit le mode d’organisation pour risque chimique ou

radiologique avec constitution de zones contrôlées et points de regroupement organisés :

- zone d’exclusion, le dancing du Bataclan et son abord immédiat où seule la police (BRI et RAID) a pu pénétrer avec des équipements de protection individuels (EPI), accompagnée de leurs médecins capables de faire des gestes de survie immédiate et secourir les policiers éventuellement blessés. L’extraction des victimes pendant la phase active a été faite par les policiers, avec des moyens de brancardage de fortune,

19 Interview d’Arnaud et Marie, otages, Le Monde, jeudi 31 décembre 2015, p. 14-15. 20 PIEL Simon, CASI Emeline, SEELOW Soren, Des attaques coordonnées depuis la Belgique, Le Monde, jeudi 31

décembre 2015, p. 6-7. 21 Audition du Gl Philippe Boutinaud, commandant la BSPP, mercredi 16 décembre 2015, CR n° 29.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-cdef/15-16/c1516029.pdf

9 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

- PRV ou équivalent, en bordure de zone d’exclusion avec d’autres médecins du BRI et du

RAID sous protection, effectuant le premier tri des victimes et pratiquant des gestes de soins urgents de type contrôle des hémorragies,

- deux PMA hors zone d’exclusion pour parfaire le tri afin d’évacuer les plus graves, effectuer la mise en condition d’évacuation : le damage control ressucitation.

5- Quelques réflexions :

Elles concernent plusieurs aspects du CEL et de sa prise en charge :

- L’"Ubérisation" du terrorisme : L’utilisation des réseaux sociaux a permis de créer une nébuleuse terroriste sous le mode créé par Uber 22 : un conducteur de voiture particulière va devenir temporairement taxi pour répondre à une demande sur le réseau internet alors que ce n’est ni son métier ni son activité dominante. A l’identique, le passage à l’acte terroriste, aux conséquences dramatiques, peut être l’œuvre d’un individu isolé, d’un petit groupe réuni pour l’occasion, motivé et téléguidé de loin, de l’étranger. L’Uber-terrorisme, nouvelle forme d’organisation distendue complique le travail policier de prévention. A notre sens une première parade pourrait être l’Ubérisation symétrique de la réponse citoyenne : au mieux l’intervention directe telle qu’elle a été magistralement assumée dans le Thalys, sinon la capacité pour tout un chacun de se préparer psychologiquement, techniquement et matériellement par une formation à des gestes de secourisme adaptés. Les médias ont montré des témoins avec le torse nu : ils avaient enlevé leurs chemises pour faire des garrots improvisés. Contre exemple, le journaliste du Monde qui a filmé les otages en fuite à l’arrière de Bataclan, puis qui a courageusement porté secours aux victimes avant d’être blessé par balle au bras semble être arrivé à l’hôpital avec un hématocrite effondré faute d’avoir contrôlé son hémorragie par un pansement compressif, un garrot.

22 Uber, anciennement UberCab, est une entreprise technologique qui développe et exploite des applications

mobiles de mise en contact d'utilisateurs avec des conducteurs réalisant des services de transport. www.uber.com/Conduire

10 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

- La permanence du danger : La forme d’agression retenue par les terroristes : succession de fusillades, plusieurs équipes simultanées, plusieurs modes opérationnels ont créé une insécurisation des moyens de secours qui a eu deux conséquences apparentes :

o l’exposition des équipes de sapeurs-pompiers et de personnels de santé aux risques balistiques sans protection individuelle, dans une zone sous le feu ou non sécurisée,

o la création par la police d’une zone contrôlée très large qui a contribué à limiter les déplacements des véhicules de secours, notamment pour organiser des itinéraires libres d’arrivée et d’évacuation. Or tout plan de secours est un plan d’évacuation donc de transport.

Tous premiers instants au restaurant Belle Equipe L’insécurité a contribué au fractionnement des équipes sur les chantiers, à l’isolement

opérationnel et aux initiatives individuelles, aux retards d’intervention ou d’évacuation.

- La direction des secours médicaux : L’organisation harmonieuse, maîtrisée et hiérarchisée d’interventions multisites simultanées est complexe mais reste cependant un objectif catégorique. Elle se rapproche d’une organisation de secours sur plusieurs chantiers, caractéristique de la catastrophe majeure mais avec un déploiement et une montée en puissance beaucoup plus rapide qui concernent des services et des associations multiples. Sur chaque site un DSM et un COS ont été désignés de principe. Où doit de situer le DSM ? Combien de DSM et où les prévoir ? Identifiés comment ? Rattachés à quel(s) COS ou chef(s) de chantiers ? Dotés de quels réseaux de transmission pour entrer en lien avec qui ? Sur les reportages des médias le ou les DSM n’ont pas été apparents, vraisemblablement du fait que les larges périmètres de sécurité ne permettaient que des images prises de loin, des reportages à chaud parcellaires. Il semble que certains responsables opérationnels d’association n’ont pas toujours réussi à entrer en contact avec les voitures PC, le COS ou le COP 23. L’organisation hiérarchisée de l’ensemble des acteurs publics ou associatifs semble laisser une marge de progrès inter-service : police - sapeurs-pompiers - santé – associations - services municipaux.

23 Commandant des Opérations de Police (COP). Dans la suite de l’intervention il a été demandé que le COP revête une chasuble afin d’être facilement identifiable à l’exemple du COS et du DSM.

11 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

- Le triage et ses conséquences : Le tri a été effectué selon les critères classiques :

o UA devant un risque vital regroupant les EU à risque vital immédiat et les 1ères Urgences ou U1 avec risque vital contrôlé par réanimation pendant quelques heures, EU et U1 nécessitant un acte chirurgical dans des délais brefs.

o UR pour les victimes sans risque vital. Afin de prendre en charge rapidement les UA, soit l’évacuation s’est faite directement par les SMUR sans création du PMA, soit après passage au PMA. Ceci entraîne un risque de sur-triage, ce qui a pu conduire aux chiffres de 100 UA24 signalés par la presse et surcharger certains points d’accueil hospitaliers25. Cette impression est corroborée par le fait qu’une semaine après l’AP-HP fait part de 69 personnes (ex UA) encore hospitalisées et de 27 personnes toujours en USI26. Pour reprendre les propos d’Alain Larcan27 "le triage doit être adapté aux circonstances et notamment à la capacité d’accueil hospitalier : le triage est un acte dont on pourrait dire qu’il est la meilleure et la pire des choses : la meilleure en mettant chaque blessé à sa vraie place et le faire opérer en temps opportun, le pire s’il se traduit par un barrage sur le courant d’évacuation". Le 13 novembre tout laisse à penser que la priorité a été donnée à la rapidité de l’évacuation, fonction de l’insécurité du terrain et de la très grande capacité d’accueil des hôpitaux parisiens qui ont, de plus, bénéficié d’un solide renfort spontané et immédiat.

- La régulation des victimes : Elle a été réalisée sur le mode médecine de catastrophe : une régulation semi-quantitative a été substituée, à la régulation quotidienne uninominale :

o régulation par groupes de victimes catégorisées après mise en alerte des services d’accueil hospitaliers,

o activation de filières d‘évacuation et de soins dédiées aux UA, aux UR, Il est à signaler que la totalité des victimes a été admise dans des hôpitaux de Paris et quatre hôpitaux de la petite couronne (militaires : Percy et Bégin ; civils : H. Mondor et Kremlin Bicêtre) témoignant de la très grande capacité d’accueil et de traitement de l’AP-HP et des hôpitaux parisiens. Mais comment aurait pu être géré le même événement en province ? Par exemple à Nancy, Nantes…dont les capacités hospitalières ne sont pas aussi riches ?

- Les PMA et traçabilité des victimes : Un PMA a été installé dans le restaurant Le Repaire de Cartouche, en face du bar le Petit Cambodgien mitraillé, bien visible sur les écrans télévisés. Deux autres PMA ont été déployés à proximité du Bataclan.

24 Au lendemain du week-end, toujours selon les journaux seuls 43 victimes étaient encore en ranimation, un est

décédé. 25 Interview du Dr JUVIN, Hôpital Georges Pompidou. 26 Point de l’AP-HP le 26 novembre à 10h : 69 personnes prises en charge dans les hôpitaux de l'AP-HP : à l'hôpital

Saint-Louis, l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l'hôpital Européen Georges Pompidou, l'hôpital Henri-Mondor, l'hôpital Lariboisière, l'hôpital Saint-Antoine, l'hôpital Bichat et l'hôpital Beaujon. Parmi elles, 52 personnes ne relevaient «pas ou plus» d'une surveillance intensive en service de réanimation. 27 A. LARCAN, Historique du triage militaire. Médecine et armées, 673-693 http://www.sfmc.eu/fichiers_reserve/18-

03-13_Triage_mili_Larcan.pdf

12 Société Française de Médecine de Catastrophe - 38, rue Dunois - 75 647 - PARIS, Cedex 13 Tel : 06 43 26 51 81 - E mail : [email protected] - Site web : www.sfmc.eu

Ce 13 novembre, Il ne pleuvait pas, il ne faisait pas froid. Cela a rappelé les conditions de la fusillade de la rue des Rosiers du mois d’août où le PMA avait été installé dans une cour d’immeuble. La prudence impose toutefois de prévoir une intervention sous d’autres conditions météorologiques, avec des véhicules moins nombreux offrant un abri trop limité. Sur les écrans et les images des médias, les fiches de tri n’ont pas toujours été visibles. Le système informatique intégré SINUS28 a été déployé sur le terrain mais ne semble pas avoir couvert l’ensemble des sites et n’a pas concerné les services d’accueil des hôpitaux en aval. Sa première utilisation lors d’une intervention multisites avec un aussi grand nombre de victimes semble devoir mériter une étude particulière afin que l’ensemble des victimes soit répertorié avec ce système et non pas seulement ceux de la BSPP. Médecins de catastrophe, nous devons aux familles au premier chef et aux autorités la liste exhaustive des personnes prises en charge. Un médecin, même et surtout en situation de catastrophe a le devoir d’information directe ou indirecte des familles. La destination préférentielle des victimes vers les hôpitaux de l’AP-HP a permis de reconstituer des listes, mais là encore c’est encore c’est peut-être une exception toute parisienne.

- Les soins médico-psychologiques : Le contact direct avec la mort, le vécu les témoins des fusillades, le long calvaire (plus de 2 h) des otages du Bataclan témoins de froides exécutions ne peuvent que provoquer un stress, un choc psychologique facteur de Syndrome Post Traumatique (SPT). Après les attentats de Charlie Hebdo, il a été décidé d’activer une cellule de soins médico-psychologiques à l’Hôtel Dieu après tout évènement susceptible de traumatiser des parisiens en nombre. Ce qui a été fait : un renforcement venu de la BSPP et des cellules du 75 et 92 a permis de réunir rapidement près de 45 psychiatres. Peu d’impliqués ont cependant rejoint ce site dont la capacité de soin a été sous employée. Parallèlement se sont développées des cellules improvisées dans les mairies du 10ème et 11ème arrondissement, rapidement débordées. Le lendemain matin une cellule a été installée à l’Ecole militaire. Deux thèmes de discussion ont fait surface :

o Très classiquement, la controverse sur l’utilité de soins médico-psychologiques immédiats et leurs justifications non évidentes pour certains spécialistes,

o La nécessité de mieux coordonner la réponse : « comment le dossier va-t-il évoluer ? qui procèdera à l’évaluation ? Quelle est ici, la chaîne cde commandement ? que s’est-il passé ? » s’interroge publiquement un des acteurs.

La nécessité d’un retour sur évènement et de l’anticipation par un plan adapté et une

direction des secours est apparue clairement.

Concernant les sauveteurs eux-mêmes, une attention particulière doit leur être réservée à

l’exemple des sapeurs-pompiers de Paris qui ont découvert les 78 morts du Bataclan et qui

ont bénéficié d’une consultation médico-psychologique.

- La gestion des impliqués :

28 Système d’information Numérique Standardisé (SINUS) adopté par la Préfecture de Police, la BSPP et les SAMU de

l’Île de France permettant l’incrémentation et le suivi des listes de victimes d’un ACEL.

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La création de CADI (Centre d’Accueil Des Impliqués29) dans les Mairies d’arrondissement, initiée par la Maire de Paris, a conduit à y regrouper des impliqués et des témoins auxquels des secouristes formés (notamment de la Croix Rouge et de l’Ordre de Malte) ont dispensé un premier accueil médico-psychologique et social : accueil à dimension humaine, boissons chaudes et petite collation, protection thermique, écoute bienveillante (defusing). Cette dimension a été quelques fois assimilée aux soins médico-psychologiques assurés par la CUMP ou les ont intégrés (voir plus haut). Les décisions d’ouvrir des CADI, d’initier des cellules de soins médico-psychologiques doivent être coordonnées au sein d’une organisation unique et harmonieuse. Nos amis Belges ne séparent pas le médical, du psychologique et du social : ils assurent un soutien médico-psycho-social avec des équipes opérationnelles tripartites. Une réflexion est à certainement à conduire sur cet aspect des secours et de leur organisation.

- La multiplication des centres de gestion de crise : La doctrine élaborée lors de la conception du plan rouge ou plan NoVi, préconise une unité de mission, de commandement et de méthode. Un seul chef, une seule organisation, une mission commune, gage de son efficacité. Ce schéma idéal semble avoir été rendu difficile à appliquer du fait de la multiplication des sites, de leur situation dans deux départements. Il semble également que la multiplication des cellules de crises ait été une gêne au traitement opérationnel. Averties de l’importance de l’agression et de ses conséquences, elles ont manqué d’informations directes et ont interrogé les responsables opérationnels déjà très occupés au règlement des urgences. A notre connaissance les centres de décision opérationnels se sont multipliés : CO du ministère de l’Intérieur à Beauvau (CIC), CO de la Préfecture de Police, CO de la BSPP, CO de la Zone de Défense, CO de la Mairie de Paris auxquels il faut ajouter le centre de régulation zonal du SAMU 75 et la cellule de crise de l’AP-HP.

- Le problème des transmissions : Une fois de plus, la manœuvre transmission nécessaire aux services de secours a souffert d’une trop grande complexité et d’un cloisonnement interservices et/ou associatif. Notons également que dans un pareil cas, le réseau GSM peut être amené à être neutralisé pour prévenir des mises à feu d’explosifs par téléphone portable. Or le réseau GSM a été très largement utilisé par tous les intervenants.

- Le nécessaire RetEx : Un débriefing, un retour d’expérience s’impose pour tirer et partager les leçons des opérations. Cette forme de catastrophe subie en France pour la première fois le justifie pleinement. Ce débriefing devrait inclure l’ensemble de la chaîne de secours et de soins d’urgence concernés : du policier au directeur d’hôpital en donnant la parole à tous les acteurs engagés publics et privés, gouvernementaux ou associatifs. C’est à ce prix que le plan rouge alpha peut être rendu plus efficace encore, qu’il pourra être complété par un plan blanc élargi adapté si cela apparaît utile, que l’intervention des CUMP sera rendue plus performante.

29 Aussi appelés CAI : Centre d’accueil Des Impliqués.

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C’est ce que nous souhaitons, persuadés que c’est de l’analyse scientifique que viennent les progrès, analyse réalisée à distance de l’évènement pour ne plus subir de pression psychologique et/ou médiatique.

En conclusion : Il ne nous appartient pas de discourir sur les facteurs des attaques terroristes que notre capitale a subies le 13 novembre, ni sur les mesures de prévention qu’il aurait fallu prendre ou qui en découlent. Ceci n’est pas notre propos. Cependant la forme nouvelle du terrorisme, portée par les réseaux sociaux, qui vise à mobiliser des individus en dehors d’un schéma organisationnel classique, repérable et que nous proposons d’appeler l’Uber-terrorisme, réclame une contremesure du même mode : la diffusion dans le public de la capacité à se prendre en charge dès les premiers instants. Diffuser les techniques de self protection, les techniques et les matériels de premiers secours nous semble aller dans le sens d’une plus grande sécurité et résilience des populations. L’attentat multisite que nous venons de vivre à Paris, a fait l’objet depuis les attentats similaires de Madrid et de Bombay, de la rédaction par la BSPP d’un plan rouge alpha. Le 13 novembre en a été sa première application. Il est souhaitable que ce plan soit mieux connu et approfondi, qu’il dispose d’un volet complémentaire blanc. L’AP-HP avec son extraordinaire capacité d’accueil et de traitement a absorbé l’essentiel des blessés. Le renforcement des équipes hospitalières de garde par des confrères et des paramédicaux qui se sont présentés spontanément a également contribué à en augmenter encore la capacité de traitement. Mais ce qui est valable à Paris, capitale dotée d’une capacité hospitalière exceptionnelle ne l’est certainement pas dans le reste de la France. Ceci plaide pour le respect des fondamentaux définis par la médecine de catastrophe opérationnelle qui ne doivent pas être oubliés. L’urgence collective n’est pas la somme des urgences individuelles30. Il est très important de tirer les leçons de cette catastrophe, notamment dans ses aspects opérationnels : organisation de la réponse, techniques performantes et adaptées, accompagnement logistique. L’objectif de mieux former les personnels de santé à la médecine de catastrophe s’en trouve renforcé. C’est ainsi que la SFMC s’est proposée de réunir et écouter les grands témoins le 27 janvier. Cette session devrait contribuer à enrichir et poursuivre le débat, ouvrir des perspectives. Si le lecteur de ces pages très personnelles avait le souhait de compléter ces informations, de transmettre une remarque ou une critique, de faire part d’une expérience personnelle, il sera écouté et lu avec beaucoup d’intérêt. Au lendemain et à la suite de la plus importante catastrophe que la France ait eu à déplorer depuis la rupture de barrage de Malpasset de décembre 1959, ce texte a été rédigé sans aucune prétention

- en hommage aux victimes et à leurs familles, avec toute notre empathie attristée, - aux personnels de santé, de secours et de sûreté engagés, avec notre sincère admiration.

Henri JULIEN 18-novembre 2015 – 10 janvier 2016

Illustrations sans copyrights trouvées sur internet, tableau personnel.

30 Voir l’éditorial de la Lettre de la SFMC n° 75.