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Au croisement du classique et du contemporain : quand la danse compose entre innovation et patrimonialisation.

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Au croisement du classique et du contemporain : quand la danse compose entre

innovation et patrimonialisation.

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Remerciements

Je remercie particulièrement ma tutrice, Sylvia Girel, qui m’a accompagnée tout au long de la rédaction de ce mémoire. Je tiens également à remercier Gilles Suzanne pour ses conseils avisés et dont les cours m’ont aidé dans le cheminement de ce mémoire.

Un grand merci, très particulier, à Madame Thouroude dont la connaissance du milieu de la danse a été précieuse pour moi et à Latifa Sabri qui a pu m’éclairer sur certains points particuliers.

Enfin, je souhaite remercier très chaleureusement ma famille, surtout Virginie Lassalle, et mes ami(e)s, pour leur soutien moral lors de la mise en œuvre de ce projet.

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Sommaire

Introduction générale p.4

Partie 1. Entre classique et contemporain : une frontière poreuse p.9

Chapitre 1. Les prémices des œuvres : de la création au métissage des genres p.20

Chapitre 2. Les ballets classiques revisités p.35

Chapitre 3. Les pièces contemporaines qui empruntent à la danse classique p.49

Partie 2. Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ? p.64

Chapitre 1. Des formes chorégraphiques qui participent à la patrimonialisation de la danse p. 66

Chapitre 2. La réception de la danse et ses publics p.75

Chapitre 3. La médiation culturelle : comment et pourquoi ? p.93

Conclusion générale p.106

Postface. Panorama historique de la danse classique et contextualisation de la danse contemporaine p.111

Annexes p.141

Bibliographie p.152

Table des matières p.161

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Introduction générale

« L’état de plaisir que l’on appelle ivresse est exactement un sentiment de haute

puissance… Les sensations de temps et de lieu sont transformées ; on embrasse des espaces

énormes que l’on vient à peine de percevoir ; le regard s’étend sur des horizons plus vastes et

des multitudes ; les organes s’affinent pour la perception des choses les plus petites et les plus

fugaces ; c’est la divination, la force de l’entendement, mises en éveil par la moindre

incitation, par la suggestion la plus faible : la sensualité “intelligente” ; la force se manifeste

comme sentiment de souveraineté dans les muscles, souplesse de mouvement, et plaisir que

procure cette souplesse, comme danse, légèreté, presto ; la force devient la joie de démontrer

cette force, un coup de bravoure et d’aventure, l’intrépidité, l’indifférence à l’égard de la vie

et de la mort… »1. La manière dont Friedrich Nietzsche décrit la danse est à l’image de sa

philosophie en référence à la force dionysiaque que peut provoquer le seul fait de danser.

C’est un acte qui fait donc partie de la vie humaine depuis les débuts du genre humain et qui

engendre un état de plaisir procurant une perception du monde totalement différente de

n’importe quelle autre. Friedrich Nietzsche décrit avec justesse par cette citation ce

qu’éprouve un être humain en dansant : l’énergie, la vitalité, le plaisir suscités en un seul art ;

l’impression de maîtriser son corps pour n’en faire que langage, expression et beauté ; la

sensation unique de chaque mouvement… Très tôt, elle devient d’ailleurs dans certaines

civilisations une forme de rituel et le corps, à l’origine du mouvement, est dès lors utilisé pour

libérer une expression, se déplacer dans l’espace ou réaliser une trajectoire.

L’art chorégraphique2 s’est imposé très vite dans des règles et codes qui ont régi pendant

longtemps la danse classique se singularisant par une existence considérable de quatre cents

ans. Cette longue période a vu se forger une danse qui s’est ancrée dans un système de

représentations codifié (cf. Histoire de la danse classique en postface : Chapitre 1). Riche de

ce parcours, la danse classique a su s’imposer sur les scènes du monde entier et ceci continue

encore aujourd’hui, au point qu’elle s’affiche même sur les écrans de cinéma. Certains sont

des documentaires à propos de l’Opéra de Paris comme La Danse, le ballet de l’Opéra de

Paris (2009) de Fréderick Wiseman, d’autres sont des narrations dont le dernier en date,

Black Swan (2011) de Darren Aronofsky, a été récompensé aux Oscars. En parallèle,

1 F. NIETZSCHE, « La Volonté de puissance », dans M.C. PIETRAGALLA, Ecrire la danse, De Ronsard à Antonin Artaud…, Paris, Séguier Archimbaud, janvier 2001, p. 170. 2 L’art chorégraphique : manière dont s’opère dans les étapes qu’elle implique une création (inspiration, réflexion, mise en mouvement, composition scénique, etc.) pour aboutir à une œuvre finale.

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aujourd’hui, certaines salles diffusent en direct des ballets programmés à l’Opéra de Paris ou

au théâtre du Bolchoï. Concernant l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre, la directrice de la danse,

s’attache à ce que les représentations soient des ballets notoires du répertoire, ou des ballets

qui méritent d’être découverts. Par exemple, pour la saison 2010/2011, les adeptes de la danse

au cinéma ont pu découvrir Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev et Coppélia de Patrice Bart

mais aussi La Dame aux Camélias de John Neumeier, La Petite danseuse de Degas de Patrice

Bart, Caligula de Nicolas Le Riche et Les Enfants du Paradis de José Martinez.

Sur scène (scènes nationales, centres chorégraphique nationaux, scènes

conventionnées, théâtres municipaux, festivals, etc.) la danse contemporaine est également

aujourd’hui très présente. Elle réinterroge l’art chorégraphique et explore tous les chemins

possibles du corps, du mouvement, de l’espace, des sensations… Elle use de diverses

techniques, envisage de nouveaux horizons (musées, espace public, friches…), et s’intéresse

aux danses urbaines, ou encore à la danse africaine. Ce phénomène est relativement récent et

date du début du XXème siècle. Alors que la danse classique s’est essayée à la recherche du

mouvement et de l’ensemble parfait, la danse contemporaine, quant à elle, plus récente,

déploie une multitude de potentialités et d’alternatives nouvelles qui réinterrogent

incessamment l’art chorégraphique (cf. Histoire de la danse contemporaine en postface :

Chapitre 2).

La danse a donc évolué depuis son apparition et plusieurs genres cohabitent

aujourd’hui sur scène. La danse classique rayonne de façon prestigieuse dans des compagnies

et ballets de renom, tandis que le néo-classique caractérise encore un peu de manière arbitraire

certains chorégraphes actuels, et que le contemporain se développe majoritairement sur les

plateaux des sociétés occidentales. Actuellement, la danse est à un stade d’organisation et de

réflexion qui dépasse même la scène quelle que soit l’esthétique1. Elle fait apparaître une

notion à laquelle de nombreux chorégraphes tiennent : c’est celle de répertoire. Il ne s’agit pas

ici de distinguer leur période d’existence mais bien de réfléchir sur la manière dont la danse

peut être « conservée ». Toutefois, si la danse classique et la danse contemporaine peuvent de

nos jours avoir des préoccupations communes, elles n’abordent pas la chorégraphie de la

même manière. La danse contemporaine s’exprime dans des espaces physiques, mais aussi

1 Dans la première partie de ce mémoire le substantif esthétique sera compris comme : l’ensemble des caractéristiques artistiques propres à chaque genre de danse (classique, néo-classique, contemporaine). La définition du mot esthétique peut venir compléter les caractéristiques d’un genre artistique : « principes esthétiques à la base d'une expression artistique, littéraire, etc. » (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/esth%C3%A9tique/31174, consulté le 14/04/11). Ici donc le sens du mot esthétique doit être entrepris dans une appréhension artistique.

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symboliques, qui travestissent ceux créés sous l’époque classique. « La danse contemporaine

peut être sérieuse, amusante, audacieuse, ironique, brutale, documentaire, osée, plasticienne,

urbaine. Et ces variantes en font justement le sel »1. Elle emprunte encore et toujours des

chemins inconnus et différents qui la mènent sur des territoires encore jamais explorés. Le

fond est repensé en même temps que la forme, à tel point qu’elle semble en perpétuelle

mutation. Plus qu’un pur ensemble de mouvements et qu’une esthétique « simple », la danse

contemporaine est un véritable état d’esprit. Imposant des regards différents aux spectateurs,

ces derniers se retrouvent plongés dans des mondes totalement divers d’un chorégraphe à

l’autre. Comme l’indique Laurence Louppe dans son ouvrage la Poétique de la danse

contemporaine, « la danse contemporaine peut parler à l’imagination de chacun sans passer

par un discours explicatif »2. Dans tous les cas, encore aujourd’hui, la danse contemporaine

est un champ en questionnement incessant. Elle impose un nouveau rapport au corps,

nourrissant de nombreux imaginaires et interrogeant par ce biais-là de nombreux

anthropologues, sociologues et philosophes. Avec la danse contemporaine, le corps devient à

la fois l’objet d’une expression individuelle, intériorisée, mais aussi la possibilité d’expression

des passions universelles à tel point que le mouvement prend forme de manière différente

selon les époques, selon les styles des chorégraphes. Ainsi, les modalités d’écritures et les

thématiques à l’origine d’une œuvre peuvent être diverses.

Cette liberté acquise est tout de même le fruit d’un long processus qui a mené les

artistes et les chorégraphes sur le chemin de la nouveauté. Trois temps majeurs distinguent

l’histoire de la danse et ceci grâce à des volontés, certes souvent uniques, mais qui réunies,

ont fait évoluer le rapport au corps, la scénographie, les costumes, la technique, les

thématiques, la manière de penser la danse, etc. Si au début, les premières formes

spectaculaires, apparentées aux ballets de cour, ont permis l’avènement du ballet classique, la

modernité s’est développée beaucoup plus tard. Après une longue maturation de la danse

classique, au début du XXème siècle, naissent les Ballets Russes et la danse néoclassique qui

revendiquent déjà une certaine modernité. Celle-ci passe par des questionnements liés

intrinsèquement à l’art chorégraphique tout en remettant en cause certains acquis. Dans le

même temps, les précurseurs de la danse contemporaine se dégagent complètement des

carcans du classicisme pour réinventer le langage dansé. Ils permettent réellement

l’avènement de la danse moderne. Celle-ci n’aura de cesse de remettre en cause l’héritage

1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 18. 2 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 12.

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acquis et surtout de s’y opposer pour prôner l’expression de l’individu, pour donner une

certaine indépendance au mouvement, pour libérer le corps de toute virtuosité, etc. La danse

contemporaine naît inévitablement de cette recherche permanente et prolonge les mécanismes

enclenchés par les modernes pour les faire exploser et décupler l’évolution chorégraphique :

travail du mouvement à l’état pur, abandon de la narration, pas de point fixe dans l’espace,

etc… Au fil de son histoire, la danse s’est investie de diverses problématiques et de multiples

positionnements postulant sur la notion de répertoire, la considération du corps, les

innovations en termes de mise en scène et de techniques, les thèmes traités, etc.

Le paysage chorégraphique français est aujourd’hui le fruit d’un métissage entre danse

classique et danse contemporaine. Des formes de diverses amplitudes et d’ambitions multiples

se laissent découvrir aux yeux des spectateurs. Plusieurs catégories d’œuvres côtoient chaque

année les programmations des festivals comme La Biennale de la Danse à Lyon, ou celles des

salles comme le Théâtre National de Chaillot ou le Centre National de la Danse, pour ne citer

que quelques exemples.

Les chorégraphes contemporains s’emparent de la danse classique de manière très

différente car ils peuvent l’associer facilement à leur pratique. Par exemple, beaucoup optent

pour des relectures de ballets du répertoire classique. Parallèlement, de nombreuses pièces

contemporaines n’hésitent pas à faire référence à la danse classique. Celles-ci présentent des

éléments traditionnels du classique comme la composition d’un ballet, la musique, le

chausson de pointe, un moment de ballet, la technique, etc. Il est évident que ces catégories

supposent des sous-propositions déclinables et reconnaissables dans de nombreuses œuvres.

De plus, aujourd’hui l’offre culturelle est multiple et prolifique. Cette abondance

permet aux spectateurs d’emprunter un parcours itinérant le plongeant dans des genres variés

dont l’offre multiforme, entre danse classique, danse-théâtre, danse minimaliste ou danse et

vidéo, n’est presque seulement lisible que par les professionnels et les amateurs initiés. Au

regard des œuvres qui mêlent l’univers classique et contemporain, s’interroger sur leur

réception semble nécessaire. En effet, si elles croisent des références aux deux esthétiques, la

question qui se pose est : comment peuvent-elles être appréhendées ? Sont-elles considérées

comme classiques, néoclassiques ou contemporaines ? Le spectateur est-il troublé par ce

métissage ? Tente-t-il de déceler les caractéristiques de l’œuvre pour déterminer si celle-ci est

alors classique ou contemporaine, voire néoclassique ? Si l’observateur se retrouve confronté

à un problème de classification, il y a une forte probabilité pour que celui-ci soit confus ou

troublé par cette absence de catégorisation.

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Avant de s’intéresser à la condition du spectateur et des publics, il convient donc de

s’interroger sur les évolutions et mutations pointées, sur la manière dont les œuvres sont

créées, et sur les intérêts dont elles sont porteuses.

Derrière ces problématiques de la réactualisation de certains ballets et l’emprunt

d’éléments classiques dans les ballets contemporains, il faut noter que ceux-ci participent sans

doute à la mise en avant du patrimoine chorégraphique. Dans cette perspective, le constat

montre que certaines œuvres classiques peuvent être synonymes de source inépuisable pour

les chorégraphes et les danseurs. Dans quel contexte la danse contemporaine peut-elle enrichir

ce patrimoine acquis depuis près de quatre cents ans ? Une des volontés des chorégraphes se

place peut-être dans l’exploration de toutes les pistes de la chorégraphie. Ceci leur permet

probablement de dégager des œuvres dont la transversalité entre contemporanéité et

classicisme suppose l’émergence de nouvelles formes. Pour quelles raisons les chorégraphes

contemporains sont-ils de plus en plus nombreux à oser l’appropriation des pièces du

répertoire classique ? Les démarches investissent sans doute plusieurs points d’ancrage et

recherchent alors à développer à la fois le potentiel de la danse classique mais aussi celui de la

danse contemporaine. Y-a-t’il une demande particulière de la part du public pour des œuvres

qui se veulent plus lisibles ? De quelle manière la médiation culturelle peut-elle s’insérer dans

ce nouveau paysage chorégraphique ? Ces œuvres participent certainement à la

patrimonialisation de la danse, dans le sens où elles remettent sur la scène des œuvres entrées

au répertoire chorégraphique depuis de nombreuses années ou des œuvres qui font tout

simplement référence à la danse classique. C’est dans cette perspective que l’étude proposée

dans ce mémoire permettra d’aborder dans une première partie la frontière poreuse entre la

danse classique et la danse contemporaine, et dans un second temps, la manière dont le

patrimoine chorégraphique peut être réactualisé et quels rapports ce phénomène engendre-t-il

avec les publics et la médiation culturelle. Enfin, la conclusion permettra de revenir sur les

questions soulevées en introduction et d’y apporter un certain nombre de réponses.

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Partie 1

Entre classique et contemporain : une frontière poreuse

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Questions et notions préalables

L’introduction ayant permis de soulever un certain nombre de points, il convient dans

un premier temps de préciser la problématique et les questions qui se posent quant à l’objet

d’étude et particulièrement au regard de diverses entrées évoquées : le concept du corps, la

scénographie, le vocabulaire, la composition et la notion de répertoire…

Premièrement, il semble intéressant de s’appuyer sur la manière dont la danse

contemporaine s’est emparée de la matière qu’elle utilise, c'est-à-dire le corps. Elle l’expose

de diverses manières pour en montrer toutes les subtilités : sans idéalisme et idéologie du

corps féminin, sans vocabulaire nécessairement codifié, sans une unicité semblable, dans la

recherche du mouvement, du sens et la production de techniques hétéroclites, le corps se

libère. Il est indéniable que par l’autonomie de langage accordée, la danse contemporaine

offre à chaque chorégraphe des modalités d’écritures diverses et variées, d’autant plus que,

petit à petit, la danse contemporaine s’est emparée d’autres domaines artistiques pour les

réintégrer dans le monde chorégraphique. Celui-ci est également le lieu de brassage de

plusieurs cultures dont le mélange permet la richesse des créations. La danse contemporaine,

dans sa globalité et sa complexité a proposé une autre vision et une autre considération du

corps. La danse classique a posé un idéalisme avec l’avènement de la figure féminine à

l’époque romantique (cf. sous partie 1.2 de la postface). Le résultat d’un travail rigoureux des

mouvements accorde une grâce insoupçonnée à la ballerine et le langage codifié, propice à la

transmission, permet une uniformisation des corps. L’idéalisation se projette donc dans une

silhouette menue et svelte. Ainsi, les corps des danseurs classiques et néo-classiques

répondent à des canons esthétiques auxquels ils ne peuvent presque pas échapper. La mise en

réflexion du corps en danse contemporaine passe par l’éclatement de ces codes pour le

détacher de cette image de perfection qui s’est constituée au fil du temps. Le corps est alors

l’objet d’une multiplicité. Là où le corps de ballet était la norme, la danse contemporaine fait

de chacun de ses danseurs une sorte de soliste. A l’image de la société, de son temps, le corps

est mis en scène avec ses défauts et ses qualités : tailles opposées, minceur ou embonpoint,

même si le danseur athlétique reste une norme incontestable. Il n’est plus le prétexte de la

ressemblance mais celui de la différence. Cette considération évoque une forme de

libéralisation du corps, notamment du corps féminin et de la figure romantique. Cette

disponibilité permet de recentrer le travail du chorégraphe sur le rapport du corps à son

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intériorité. En effet, « l’important n’est plus qui danse et comment, mais ce que la danse me

dit »1. Le corps est le lieu de la pensée et de la production du sens. La danse est révélatrice

tant des phénomènes sociétaux que de leurs évolutions, en ce sens qu’elle s’est mis au

diapason de l’égalité entre homme et femme, qu’elle prend part aux critiques et dénonce la vie

politique, qu’elle s’intéresse aux nouvelles technologies, etc.

Tout est possible par l’individualisation de ce corps, de l’ici et maintenant toujours en

devenir, qui est le matériau original et originel de toute danse, de toute chorégraphie. Il y a

une véritable conscience du mouvement à l’état pur occultant les styles préétablis et les

déterminismes culturels en ce sens que même les gestes quotidiens ne sont en aucun cas

écartés de la danse contemporaine. Là où la danse classique épousait les formes filiformes de

ses ballerines et les corps musculeux de ses danseurs, la danse contemporaine ose montrer le

corps dans ses imperfections. Elle use et abuse de costumes en tous genres, mais dévoile aussi

le corps dans sa matérialité, et la recherche du mouvement va amener petit à petit les

chorégraphes à dénuder leurs interprètes. Inévitablement, ceci conduit à interroger le corps en

tant que vecteur d’érotisme mais aussi d’égalité. En effet, homme et femme peuvent se

retrouver sur scène dans leur plus simple appareil. La danse contemporaine s’est éloignée de

Martha Graham (cf. sous partie 2.1 de la postface) qui drapait ses danseuses d’une longue

robe tandis qu’elle dénudait ses danseurs. L’équité participe aux valeurs de la danse

contemporaine et la scène rend compte de ce principe. Il n’y a plus, dans certains ballets, la

différence homme/femme. L’image de l’effacement de la hiérarchie est également active pour

les clivages des rôles homme-femme, en ce sens que les interprètes peuvent danser en même

temps et la même chose : le corps n’est plus un support de distinction mais au contraire, il est

accepté tel qu’il est.

La transposition du corps sur scène permet aussi de repenser sa matérialité et de le

reconsidérer par rapport à un espace et un contexte. Il est le lieu du visible, de l’expression à

l’état pur et dans ce cas-là, la scénographie et la chorégraphie permettent de prolonger

l’expérience initiée par la recherche du mouvement. Actuellement, d’autres dispositions

scéniques remettent en cause l’apparition du corps sur scène et la question de la visibilité (et

surtout de l’invisibilité) du corps, ainsi que du mouvement, est au cœur de la danse

contemporaine. Non pas leur invisibilité en tant qu’image, puisque la danse a su mettre à

profit les arts plastiques et visuels, mais leur invisibilité en tant qu’expérience. A travers les

1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 70.

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arts plastiques et les nouvelles technologies – images virtuelles, cyborgs (mi-humain, mi-

machine), prothèses, interfaces corps-machines, dessins d’animation… – la danse redéfinit la

nature du corps, de ses contours et de ses limites. Au début du XXIème siècle, des mutations

profondes sont en cours ou à venir et, loin d’effacer le corps, comme le voudraient leurs

détracteurs, ces techniques nouvelles obligent à le re-penser, le re-comprendre, le re-sentir.

La danse contemporaine s’est ainsi attachée à décupler les possibles de son premier

matériau, c'est-à-dire le corps mais elle s’est également investie de sa mise en scène, de

l’appréhension de l’espace ainsi que de l’invention d’écritures nouvelles. La liberté du corps

offre donc une multitude de possibilités à l’écriture de mouvement. Entre minimalisme et

théâtralité, les artistes s’offrent à la danse par divers moyens d’écriture et de composition. Ces

dernières sont rendues possibles par l’acquisition et l’appréhension de diverses techniques

dont le chorégraphe dispose pour ensuite dégager sa propre technique. Etant à l’écoute du

monde, chaque artiste s’imprègne des inquiétudes, des problématiques, des bonheurs, des

sentiments, etc. qui le traversent : automatiquement, les formes d’inspiration étant multiples,

leur traduction en mouvement est également multiple. Certains chorégraphes sont beaucoup

plus enclins à proposer une écriture rigoureuse où le moindre geste et l’enchaînement des

mouvements sont déterminés le plus précisément possible. D’autres, au contraire, laissent une

part d’improvisation à leurs danseurs. Le style fait inévitablement partie du langage et est

perçu de manière la plus immédiate. Avant de déceler le propos de l’œuvre, le spectateur

discerne les caractéristiques propres à chaque chorégraphe : « Le style balaie l’ensemble du

vocabulaire d’une danse, lui conférant une identité culturelle et individuelle »1. Cependant,

l’idée de vocabulaire est trop restrictive puisqu’elle ne prend pas en compte le fait que

l’invention de mouvements est infinie. En revanche, il existe des gestes bien définis du fait

qu’ils sont catégorisés par une technique, d’autres sont à l’image du chorégraphe qui l’a

inventé, certains mouvements reflètent simplement les gestes du quotidien, tandis que

l’abstraction a également investi la scène dansante. Le chorégraphe peut tout de même rester

dans l’amplitude qui est la sienne et élaborer ses créations autour de celle-ci : la dynamique de

Lucinda Childs s’inscrit dans l’enchaînement des répétitions, tandis que l’écriture de

Dominique Bagouet reprend des gestes minimaux de mains. Outre l’introduction du

mouvement, le style du chorégraphe peut aussi reposer sur la formulation d’une pensée ou la

récurrence de certains genres de danseurs sur scène. C’est le cas d’Heddy Maalem qui 1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 127.

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interroge souvent la question de l’identité dans ses pièces et met en scène ce qu’il nomme « le

corps noir ».

La composition se met inévitablement au diapason de l’intériorité, d’une envie de

traiter tel ou tel thème. Laurence Louppe la compare aussi au fait de « tirer les fils depuis

l’invisible, donner corps à ce qui n’existe pas »1. Les ressources de la danse contemporaine

sont, à la vue des créations depuis sa naissance, inépuisables. Elle n’hésite pas à emprunter

des voies politiques (Trisha Brown, cf. partie 2.2 de la postface) ou à utiliser des vêtements,

musique ou accessoires du moment, à tourner en dérision les codes sociaux (Pina Bausch, cf.

partie 2.3 de la postface) et à sortir des cadres du spectacle vivant pour se confronter au

public, à un autre public (postmodernes, cf. partie 2.2 de la postface). Toutefois, comme

expliqué en postface, la danse contemporaine ne s’inquiète pas de l’argument de création pour

réaliser un travail sur l’essence même du corps. Outre ces modalités de départ, Laurence

Louppe signale que « généralement, le point de départ de toute œuvre renvoie à un trait

fondamental du danseur contemporain : la nécessité, l’urgence même, de dire, de crier

parfois à la face du monde, le trop-plein de sens et d’attente dont son être est porteur,

jusqu’au débordement »2. La danse contemporaine ne se situe donc pas dans le rêve et

l’illusion comme cela pourrait être reproché à la danse classique. Ainsi, le postmodernisme

s’oppose à la guerre du Vietnam (Yvonne Rainer, M-Walk ou War, fin des années 1960).

D’autres, directement touchés par le sida, n’hésiteront pas à le mettre en scène comme Bill T.

Jones, tandis que Lloyd Newson ne se retient pas d’utiliser pour thématique l’homophobie. Il

est donc indéniable qu’à chaque chorégraphe correspond une multitude de thèmes, de sujets,

d’interrogations, de revendications et cela semble infini. « Devant la vitalité d’un paysage en

constant questionnement, renouvellement, habité par des artistes happant l’urgence de

l’époque avec voracité, l’affaire semble partie pour se courir après sans jamais pouvoir se

conclure »3.

A la rencontre de l’écriture et des sources d’inspiration, quelques similitudes entre les

travaux des chorégraphes peuvent être émises. Cependant, les modalités d’écritures et les

thématiques composant la danse contemporaine peuvent être tellement diverses que celle-ci

arbore des formes totalement différentes. « En détournant le propos de la seule virtuosité, la

danse contemporaine met donc en scène des profils différents qui font parfois de leur

1 Ibid., p. 245. 2 Ibid., p. 248. 3 R. BOISSEAU, Panorama de la danse contemporaine, Paris, Les Editions Textuel, 2010, p. 5.

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maladresse leurs atouts »1. Ici, l’expression populaire « il y en a pour tous les goûts »,

convient très bien. D’autant plus que la chorégraphie s’est également ouverte de plus en plus à

d’autres formes artistiques et à d’autres univers dansés en ce sens que les frontières entre

expressions et genres artistiques sont ainsi parfois rendues perméables.

La danse dans sa multiplicité vient depuis ses origines interroger sa pratique par

rapport à d’autres domaines artistiques. La nouvelle génération de créateurs a accentué ce

déplacement, allant explorer tous les retranchements du possible. La perception du

mouvement est problématisée d’une autre manière et repense le corps et sa matérialité, au

point de parfois remettre en question la danse elle-même. La danse s’expose en compagnie du

cirque, des images, des écrans, d’éléments architecturaux ou du théâtre. L’idée est de pousser

les limites du champ chorégraphique au-delà de sa propre circonscription. Ces œuvres

dégagent des formes dansées de l’ordre du spectaculaire « qu’elles intègrent à une recherche

expérimentale en croisant des techniques de danse formelles avec, selon les chorégraphes,

des techniques de corps non dansantes (cirque, corps extrême, escalade) ou encore en faisant

appel à des supports techniques non corporels (la vidéo notamment) »2. Ces formes de

spectacles contribuent à pousser les limites de l’exploration du corps. Diverses techniques

préétablies par exemple dans les arts martiaux, ou dans les arts du cirque, permettent de

mettre en œuvre un travail différent, au-delà de ce que la danse pourrait proposer.

L’expression est aussi l’objet d’une remise en cause, et la danse contemporaine se confronte à

des formes dansées, de l’ordre du mime, du théâtre, où la parole vient se mélanger à la danse

et inversement. Les créateurs ont eu besoin de ne pas se cantonner aux avancées considérables

de la danse contemporaine lors des années 1980. Ils vont se former à d’autres expressions

artistiques et ont des parcours transversaux. En parallèle de la danse, ils font aussi bien de la

musique, que du chant, du cirque ou de la vidéo. Curieux d’autres cultures, ils sont finalement

à la recherche d’une ouverture pour la danse. Ce phénomène traduit-il une volonté de se

rapprocher du public ? Le mélange des genres étant aujourd’hui la norme, peut-être que les

chorégraphes au-delà de sublimer et problématiser leur art en allant à la frontière d’autres

disciplines, souhaitent, en effet, s’approcher d’un public jusque-là inexistant.

Au-delà de cette transversalité affichée depuis quelques années, la danse

contemporaine va aussi puiser dans des formes diverses : danse africaine, danse hip-hop,

danse asiatique, danse folklorique et … danse classique. Ainsi, la danse contemporaine

1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 139. 2 S. FAURE, « Les Structures du champ chorégraphique français », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°175 – décembre 2008, Paris, Éditions du Seuil, p. 88.

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entretient de plus en plus des pratiques aux frontières perméables et se laisse traverser par

diverses esthétiques qui contribuent à asseoir son ouverture. C’est aussi, le fait qu’elle

privilégie de plus en plus le processus du résultat, même si il y a un net retour de formes

spectaculaires. Ceci est probablement dû à l’effet de nouveauté et de mélange des genres. Une

œuvre alliant hip-hop et contemporain sera peut-être aux yeux du public aussi spectaculaire

qu’une pièce intégrant des moyens techniques visuels comme la vidéo ou la photographie.

Dans tous les cas, il y a dans ces intentions de recherche un réel désir de repenser les formes

et les interrogations de la danse contemporaine, avouant peut-être aussi une volonté de

répondre aux attentes de certains publics. C’est donc aux confins de ces interrogations qu’elle

reste en perpétuelle recherche et qu’elle remet en question ses acquis et déterminismes après

avoir connu une période de stabilisation. Dans cette perspective, la danse contemporaine s’est

également investie dans un croisement avec la danse classique.

Dans un tout autre registre, la danse classique et la danse contemporaine ont développé

les mêmes préoccupations en matière de répertoire. Dans un premier sens, celui-ci désigne

seulement un ensemble de pas ou de danses propres à une communauté, à un style ou à une

compagnie. Dans un second temps, la notion est employée pour désigner un corpus d’œuvres

régulièrement représentées au sein d’un théâtre ou par une compagnie. La survie du répertoire

d’un chorégraphe après sa mort est ainsi dépendante de celle de la compagnie qui a créé ses

œuvres. Dans une appréciation plus générale, le répertoire désigne un recueil des œuvres

considérées comme faisant référence. « Liée à celles de « grands classiques », de « ballets du

répertoire », l’idée de répertoire chorégraphique, au sens absolu, ne se constitue qu’au XX°

siècle »1. Elle est intimement liée à celle de transmission, et semble être le moyen de

pérenniser des œuvres dont l’histoire prouve combien elle reste aléatoire. En effet, beaucoup

d’œuvres ont disparu de ce répertoire pendant de nombreuses années pour ensuite être

abandonnées et oubliées. Si certaines volontés ont permis de faire ressusciter des ballets qui

sont aujourd’hui les emblèmes de la danse classique, l’idée de transmission et de conservation

d’un répertoire n’était pas entreprise. La volonté et la recherche du répertoire a donc composé

avec un passé et effectué des courts-circuits intemporels, convoquant la survie de tel ou tel

ballet plutôt qu’un autre. Le patrimoine s’est peu à peu stabilisé grâce à l’effort de

chorégraphes et maîtres de ballet comme Marius Petipa, Pierre Lacotte ou encore Rudolf

Noureev, et la notion de répertoire est venue signifier ces changements d’état d’esprit.

1 S. JACQ-MIOCHE, « Répertoire » dans P. LE MOAL (sous la dir. de), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 783.

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L’accumulation d’œuvres réalisées depuis des années par la danse classique s’est portée sur

une considération beaucoup plus cumulative. C'est-à-dire que l’émulation de la création a

permis d’abord de dégager de nombreuses formes, supposant une profusion pas réellement

« organisée » de multiples pièces chorégraphiques. Après ce temps de foisonnement, il y a un

temps de stabilisation qui permet finalement la mise en regard d’un passé et la construction

d’un répertoire. Même si celui-ci est le résultat de choix et de sensibilités de chorégraphes qui

ont permis la conservation de certains ballets classiques, il y a à ce stade là une réelle

constitution et affirmation d’un patrimoine. Une fois que celui-ci apparaît et devient

déterminant, un phénomène de réaction s’affirme dans le sens où la danse contemporaine s’est

alors éloignée des références classiques pour finalement s’y référer à nouveau avec l’appui

des acquis obtenus grâce à l’opposition initiée.

L’ensemble des notions dégagées par ce point préalable sont nécessaires pour resituer

le sujet et le propos de ce mémoire avant d’entrer réellement dans la problématique soulevée

par l’introduction générale. Après avoir entamé quelques réflexions sur la manière dont la

danse classique et la danse contemporaine peuvent agir dans le paysage chorégraphique, il

semble alors pertinent d’introduire cette première partie.

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Introduction

Si la danse contemporaine a mis du temps à se développer dans l’Hexagone, c’est

qu’elle a eu du mal à s’imposer dans un paysage chorégraphique fervent de danse classique.

Les pouvoirs publics ont su porter le projet de développer cet art et mettre en place une réelle

volonté dans l’affirmation de la danse contemporaine. Cependant, même si les initiatives

menées par les politiques culturelles ont conduit à pérenniser l’expression contemporaine en

matière chorégraphique, il se trouve qu’à l’aube des années 1980 l’institution a plutôt

tendance à revenir aux « valeurs sûres ». « Elle a établi des cadres, des critères que les

chorégraphes doivent prendre en compte, à quelque niveau que ce soit, pour être reconnus et

pris en considération »1. C’est pourquoi au milieu des années 1980, la danse contemporaine

est à bout de souffle au regard de son image avant-gardiste. Son institutionnalisation rapide lui

a tout de même conféré une place prépondérante dans le paysage artistique français.

La danse contemporaine, bien que parfois considérée comme le parent pauvre des politiques

publiques, a pu bénéficier d’appuis financiers et matériels majeurs. L’arrivée tardive de la

danse contemporaine en France dans les années 1960 a suscité un temps de développement et

de recherche. Toutefois, dès 1978 le ministère des affaires culturelles s’empare du domaine

chorégraphique et crée le Centre national de la danse contemporaine à Angers. Par la suite,

l’ère Lang a permis l’avènement de la danse contemporaine par la naissance des centres

chorégraphiques nationaux (CCN) en région à l’image des Centres Dramatiques Nationaux

(cf. postface Partie 2 : 2.4). L’institutionnalisation a conduit à une professionnalisation rapide

du secteur et par ce biais-là a contribué au développement de l’offre de spectacles. De

nombreuses compagnies ont su bénéficier de cette vague et s’emparer intelligemment des

aides à la création. Dans le même temps, la pratique s’est organisée et la multiplication rapide

des œuvres sur scène suscite un sentiment d’essoufflement de la créativité des chorégraphes.

La danse contemporaine est donc encline à un académisme certain, ne séduisant pas autant un

public fervent d’avant-gardisme, et se retrouve contrainte de remettre en question ses

ambitions. A la fin des années 80, la danse contemporaine n’en est plus à inventer son

langage. Le renouvellement des esthétiques est réalisé, ce qui, du coup, laisse une place pour

l’exploration d’un patrimoine chorégraphique. Elle cherche non seulement d’autres moyens

de séduire son public mais aussi d’autres moyens de réinterroger sa pratique. Elle se tourne

1 M. FILLOUX-VIGREUX, La Danse et l’institution – Genèse des premiers pas d’une politique de la danse en France 1970-1990, Paris, L’Harmattan, septembre 2001, p. 11.

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vers des formes d’hybridation. Ainsi, contrairement à la décennie précédente, « les années

1990 sont caractérisées, si l’on suit les analyses des sociologues et des psychologues par un

retour à un certain classicisme »1. Les chorégraphes se sont ainsi écartés et ont délibérément

choisi de faire éclater les bases de la danse classique pour explorer d’autres voies afin de

mieux y revenir. Ce phénomène remet inévitablement en question l’héritage qu’elle a laissé,

mais d’une autre manière que le rejet absolu. Libérée de toutes contraintes idéologiques et des

codes traditionnels, la danse contemporaine peut alors s’y référer sans avoir la crainte d’y

replonger à corps perdu et de s’y perdre. L’époque permet un passage plus facile entre

classique et contemporanéité. En effet, les danseurs de la nouvelle génération sont

extrêmement bien formés. Ils sont aptes à passer d’une technique à l’autre, ils constituent le

« chaînon manquant » entre les deux techniques.

Diverses possibilités s’offrent aux chorégraphes. Certains s’emparent du répertoire et

d’autres ne s’y réfèrent que très peu. Certains se replongent dans l’utilisation de la technique

tandis que d’autres préfèrent travailler avec le chausson de pointe, etc. Cette nouvelle

confrontation permet donc une profusion d’écriture et de styles différents. Ce n’est pas parce

que la danse classique est réutilisée qu’elle donne à voir des œuvres totalement semblables.

L’ouverture de la danse contemporaine permet de jouer avec les carcans qui avaient limité le

classicisme à ne servir que trop peu la modernité. Ce processus a consisté à s’écarter

brutalement du classicisme pour y revenir peu à peu et mieux s’en emparer. Du côté des

théoriciens et des ouvrages qui paraissent, ce nouveau phénomène commence à susciter des

interrogations. Des articles sont écrits dans des magazines spécialisés, notamment Danser,

tandis que Le Figaro s’intéresse à la saison et la fréquentation de l’Opéra de Paris pour

l’année 2010. Des conférences s’inquiètent aussi de cette nouvelle ferveur en faveur du

patrimoine et du répertoire tandis que Rosita Boisseau, à l’image de son Panorama de la

danse contemporaine, signe un ouvrage sur les Ballets classiques et néo-classiques. Elle

s’intéresse aux ballets qui ont fait l’objet de relectures.

Cette métissage entre classique et contemporain est donc de plus en plus opérant non

seulement dans le milieu de la danse, mais aussi dans les réflexions des auteurs. Les

programmations laissent aussi une place importante à ce genre de création. Par exemple, à la

scène de la Biennale de Lyon en 2010 se confrontent des œuvres postmodernes comme celles

de Trisha Brown à des relectures de ballet comme la version du Sacre du Printemps de

1 J.F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques », dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 214.

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Milicent Hodson dansée par les Ballets de Monte-Carlo. Autant de formes qui trouvent à

s’exprimer et donc qui touchent, par ce biais-là, sans aucun doute, divers publics.

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Chapitre 1 : Les prémices des œuvres :

de la création au métissage des genres

Introduction

« En 2000, le paysage de la danse en France semble parfaitement structuré. Le

secteur est salué par l’institution comme le plus dynamique. Le Centre national de la danse

est en préfiguration. Manifestant contre une politique trop centralisée, les compagnies

chorégraphiques indépendantes, qui reçoivent de l’Etat l’aide à la création mais peinent à

organiser leur diffusion comme à élargir leur public, s’organisent pour faire entendre une

parole issue de l’expérience du terrain et favoriser la circulation sur le territoire d’une danse

protéiforme. […] Il y a là une demande de sortir d’un corporatisme étroit, l’exigence de la

mise à disposition d’un patrimoine historique et intellectuel trop parcimonieusement distillé

comme le souhait de franchir les limites de chaque discipline artistique. Sans récuser les

efforts fournis par les centres chorégraphiques on veut investir les friches, créer des lieux

intermédiaires, inscrire la danse au cœur des préoccupations sociales, réamorcer un dialogue

interrompu entre artistes et spectateurs »1. La danse en France, comme de nombreux autres

secteurs artistiques, est donc un cas particulier en ce sens qu’elle est majoritairement financée

par l’Etat et les collectivités locales. Cependant, ce semblant de faveurs financières accordées

au milieu de la chorégraphie ne sera pas de longue durée. En effet, certains ballets, logés dans

les maisons à vocation lyrique comme les opéras, à l’image de celui de Nice, vont connaître

des difficultés financières dès le milieu des années 2000. Les budgets alloués, notamment par

les collectivités locales, ont été fortement diminués et les raisons invoquées n’en sont pas

moins choquantes : « Elles sont vieillissantes, manquent d’invention artistique et restent très

éloignées des enjeux créatifs d’aujourd’hui »2. Le Ministère de la Culture et de la

1 S. CLIDIERE, A. De MORANT, Extérieur Danse : essai sur la danse dans l’espace public, Montpellier, Edition L’Entretemps, octobre 2009, p. 27. 2 P. VERRIELE, « Ah ! mon beau Ballet… », Danser, n°259 - novembre 2006, Paris, DDB Editions, p. 54.

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Communication s’est vite positionné en faveur de l’exploitation de ressources possibles pour

favoriser la conservation d’un patrimoine. L’intérêt est aussi de permettre à ces compagnies

de réaliser des tournées. Cette volonté affiche aussi l’idée d’inviter des chorégraphes

contemporains pour permettre la création de spectacles de préoccupation actuelle, c’est-à-dire

qui mettent en exergue des questions politiques, économiques, artistiques, etc., suscitées par la

société.

L’idée qui ressort de cet avant propos, démontre que chacun va essayer de se

démarquer et de trouver les moyens de subsister face au manque de moyens financiers qui se

généralise dans le monde de la danse, mais aussi dans le milieu de la culture en général. Ainsi,

la danse contemporaine et la danse classique se retrouvent confrontées à des problématiques

communes à d’autres arts. Certains moyens financiers tendent à se restreindre, les artistes sont

de plus en plus tentés d’aller à la frontière des domaines artistiques pour renouveler leurs

pratiques, certaines compagnies doivent concilier création et production pour tenter de

survivre, etc., et tandis que certains continuent à faire éclater les carcans imposés par la

tradition, d’autres s’y replongent à nouveau pour mettre en réflexion leur art. De nouvelles

formes d’œuvres vont donc découler de cette rencontre entre classicisme et contemporanéité.

Quelles sont les motivations des chorégraphes et quelles formes de créations peuvent découler

de cette quête ? Comment entre classique, contemporain et néoclassique opérer des

classifications qui sont normalement propres à la dénomination de telle ou telle technique et

telle ou telle esthétique ?

La création d’œuvres opérant le métissage entre classique et contemporain conduit

nécessairement le chorégraphe à se positionner en opposition avec la danse contemporaine.

En effet, celle-ci se voulait en totale rupture avec la danse classique mais les artistes trouvent

dans le métissage entre classique et contemporain des problématiques susceptibles de

reconsidérer leur art et de le remettre en question. En effet, ce phénomène interroge sur la

manière dont la danse classique peut être réintégrée dans les ballets actuels

1.1.1 Les intentions et les motivations des chorégraphes

A l’image de l’introduction précédente, il est compréhensible que l’histoire de la danse

et le contexte économique puissent peser et influencer les créations comme l’explique

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clairement Agnès Izrine dans son ouvrage La Danse dans tous ses états1. En effet, elle affirme

que « aujourd’hui, le monde chorégraphique est arrivé au stade de la réflexion au double

sens du terme. Il en est, en quelque sorte, à son stade du miroir : il se contemple pour enfin

advenir, ouvrant ainsi une faille dans l’acte de danser »2. Qu’est ce que qui permet d’asseoir

cette mise en abyme de la danse ? Pourquoi les chorégraphes ont-ils eu le besoin de se

replonger dans ce passé classique ?

La danse, quelle que soit sa technique et son esthétique, reste l’art du mouvement.

Dans tous les cas, elle est donc traversée par les évolutions sociétales. « La société

contemporaine occidentale, la vitesse, la conscience de la misère croissante, l’effondrement

des systèmes des valeurs traditionnels et la crise des idéologies semblent aujourd’hui happer,

sans distinction de genres, un art particulièrement sensible à ce temps parce qu’il est l’art du

mouvement »3.

A partir des années 1990 et suite à l’époque Bagouet, certains chorégraphes dont le

goût pour une certaine virtuosité gestuelle se fait à nouveau ressentir, marquent les esprits. En

effet, leurs chorégraphies, très écrites, privilégient la vitesse du mouvement, ce qui provoque

des effets assez époustouflants. L’ère de la virtuosité, n’est donc pas enterrée. Les artistes

n’ont plus l’appréhension de rentrer systématiquement dans l’écriture du geste, la recherche

d’une technique, au point que la danse contemporaine est, presque malgré elle, rentrée dans le

système de l’académisme. Elle traverse donc une période désormais plus

conventionnelle : « Où les valeurs d’invention gestuelle, de renouvellement des langages et

des esthétiques laissent largement la place à l’exploitation du patrimoine existant »4. Ce n’est

pas pour autant que la danse contemporaine a cessé de remettre en question le langage du

corps. Certains chorégraphes, en revanche, vont s’évertuer à aller dans le sens contraire de

cette mouvance et chercher à investir d’autres lieux (friches, créer des lieux intermédiaires,

inscrire la danse au cœur des préoccupations sociales, etc.). Pour faire face à cet académisme,

depuis quelque temps, la danse contemporaine s’est également ouverte à d’autres branches

artistiques. Ce phénomène commun aux arts plastiques, au théâtre, à la musique, etc. s’est

confronté à la chorégraphie. En effet, les sources de croisement se trouvent aussi à l’intérieur

même de la danse. Puisant dans de nombreuses disciplines, aussi bien dans la danse africaine

que le hip-hop ou le flamenco, il semble évident que certains chorégraphes ont voulu se

frotter à la danse classique.

1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002. 2 Ibid.., p. 161. 3 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008. p.204. 4 Ibid., p.206.

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D’un autre côté, la danse classique s’est attachée à l’abandon de la narration pour

l’adoption de l’abstraction (cf. sous partie 1.4 de la postface). Cette initiative portée par

George Balanchine repose sur le conseil de ne plus chercher à comprendre la danse comme

« un art semblable au théâtre, à la littérature et au cinéma. […] Pour aimer le ballet, dit-il, il

faut le regarder, il n’est pas nécessaire d’y penser »1. De part et d’autre, s’opèrent donc des

changements qui tendent vers l’une et l’autre des disciplines. Elles s’ouvrent et mettent en jeu

des modalités qui au départ ne leur étaient pas prédestinées. Petit à petit, des entrées dans

chaque champ chorégraphique ont souligné les pas en avant de la danse classique vers la

modernité, et de la danse contemporaine vers la tradition. De plus, sous le prétexte de la

modernité, la danse classique n’en abandonne pas moins l’idée de l’argument à l’origine de la

pièce. C’est également le cas de la danse contemporaine. En effet, Laurence Louppe constate

que certains chorégraphes s’appuient sur un travail thématique : soit d’une inspiration

extérieure, soit à partir d’un roman, d’une œuvre, d’un fait personnel, etc. Ici encore, il y a

une similitude entre les deux esthétiques. Il est évident que cette proximité de création

interroge les créateurs et les incitent à déplacer leur art aux frontières de l’esthétique dans

laquelle il s’exprime.

Par ailleurs, l’Opéra de Paris a également rendu cet inévitable métissage entre

classique et contemporain. L’initiative date de 1973 (cf. postface), mais c’est Rudolf Noureev

qui donnera véritablement cette impulsion : « Le temple du classique ouvre progressivement

ses portes à la création contemporaine »2. En effet, dès la moitié des années 1980, il devient

récurrent que des chorégraphes comme Dominique Bagouet ou encore Maguy Marin soient

invités pour y créer des pièces. A tel point qu’aujourd’hui, Brigitte Lefèvre affirme même

qu’il est normal qu’une maison comme l’Opéra conserve et diffuse, par le biais du répertoire

des œuvres classiques et propose à son public des pièces aux réflexions et techniques

contemporaines. En parlant de la danse contemporaine et de la danse classique, elle affirme

que « l’on n’est pas dans un monde séparé » 3. Dans le même sens, une crise du spectacle

dans les années 1990 a permis d’effacer la frontière entre les deux « mondes ». Les

compagnies classiques et leurs directeurs cherchent alors le moyen de se tourner vers de

1 Propos de George Balanchine dans J.P. PASTORI. La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 101. 2 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 120. 3 A. IZRINE, B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse.

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nouveaux chorégraphes. L’idée est que le danseur classique peut tout danser, car sa technique

lui impose une telle maîtrise de son corps, qu’il est capable de s’adapter à toute écriture

chorégraphique. En effet, l’apprentissage n’est plus autant séparé. La concurrence s’est

tellement développée que les danseurs préfèrent assurer leurs arrières avec une base technique

solide en prenant des cours de classique et de contemporain. En danse contemporaine, ils

deviennent flexibles car ils passent d’un chorégraphe à l’autre dans leur formation.

L’enseignement de la danse classique a lui aussi été remis en question car il s’effectue

désormais sur l’acquisition de nouvelles méthodes, comme la kinésiologie (analyse du

mouvement) et l’idéokinésis (utilise les images mentales pour améliorer la qualité du geste). Il

ne faut également pas oublier que ces élèves et danseurs formés à ces nouvelles approches

sont les créateurs de demain. Ils sont donc habitués à passer d’une écriture à l’autre, et leurs

chorégraphies s’en inspirent nécessairement. D’autre part, à l’inverse des années précédentes

où les chorégraphes devaient eux-mêmes former leurs danseurs, « les nouveaux « auteurs »

travaillent avec un vocabulaire gestuel déjà existant et sont en droit d’attendre que les écoles

se chargent de former les danseurs »1.

Ainsi, tandis que la danse classique tend à l’effacement des frontières imposées par la

danse moderne2, celle-ci n’en est plus à son moment d’explosion et d’invention. Elle « prend

des orientations qui tendent à effacer ses différences originelles avec la pensée classique »3.

Si la danse contemporaine s’est d’abord positionnée en rupture avec le classicisme pour ouvrir

les champs de la création et proposer une multitude de formes, elle s’est ensuite enfermée

dans un certain conformisme usant ses capacités d’innovation. La période glorieuse de la

danse contemporaine, où chaque chorégraphe se sentait investi d’une mission de découverte,

est en effet révolue. Les créateurs actuels tendent plutôt vers l’appropriation des acquis lors de

l’avènement de leur domaine qu’ils soient classiques ou contemporains. Après la rupture, il

s’est opéré un renversement pour établir, non pas un retour en arrière, mais une introspection

de la pratique chorégraphique. Ce phénomène s’inscrit donc dans la continuité de ce qui a été

fait auparavant. « La danse contemporaine, à l’image de l’individu des années quatre-vingt-

dix s’est définitivement libérée des pesanteurs idéologiques et des codes traditionnels ; elle

peut aujourd’hui se référer de nouveau à eux sans crainte de s’y perdre. La danse

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p.206. 2 La danse moderne est née avec les précurseurs de la danse contemporaine. Historiquement, la première annonce donc la deuxième, cependant, le terme moderne peut-être aussi utilisé pour mentionner la danse contemporaine, c’est ainsi qu’il faut l’entendre dans ce mémoire. La postface énonce les étapes de cette considération et pour une précision plus rapide la conclusion de la deuxième partie de la postface explique l’appréhension de ces termes. 3 I. GINIOT, M. MICHEL, op.cit., p. 211.

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contemporaine, comme l’individu gagnent dans cette opération une certaine émancipation,

car elle n’hésite plus à s’annexer des sphères au départ étrangères voir contradictoires à

leurs propos »1. Cette nouvelle approche permet en revanche de toucher un public qui

jusque-là ne se sentait que peu concerné. Désormais, des spectateurs du théâtre ou de la danse

classique viennent assister à des formes contemporaines. Même si l’institution française a

permis cet essor, elle se révèle aussi être un frein à l’invention et à la création. « Elle a crée

des cadres formés sur le modèle des œuvres chorégraphiques d’une époque. Ces cadres

rendent aujourd’hui plus difficile l’invention d’autres modèles : la création doit répondre aux

exigences multiples du marché, de la diffusion, des modes de production, et des bailleurs de

fonds »2.

Les chorégraphies de la fin du XXème siècle et celles du début du XXIème siècle se

retrouvent donc traversées par divers changements, diverses influences qui contribuent au

rapprochement de la danse classique et contemporaine. Outre un manque de renouvellement

de la danse contemporaine à l’état pur, peut-être que ce croisement de techniques,

d’esthétiques et de modes corporels offre également la possibilité de démultiplier les

expressions corporelles. C’est ainsi, que les chorégraphes ont tenté de donner une ouverture à

leur danse qui commençait à s’enfermer dans un certain épuisement de l’inspiration. Certes,

ce rapprochement fait de ceux-ci de véritables hommes ou femmes producteurs de spectacles

très conventionnels ; mais si la danse classique et la danse contemporaine opèrent cette

proximité c’est bien que leurs critères d’opposition ne sont plus opérants. Tout simplement,

les chorégraphes sont obligatoirement à l’écoute du monde qui les entoure. De plus, la danse

en général est aujourd’hui « soumise et sera de plus en plus soumise à l’invasion de la sphère

économique et sa libéralisation dans tous les domaines »3. Il faut répondre aux attentes du

public et les programmateurs doivent les prendre en compte car ils sont tenus à une

progression des recettes. Au même titre que le ballet, la danse contemporaine est propulsée

dans un mouvement qui tend vers une forme de standardisation du produit. Ainsi, la pièce

dansée doit répondre à un certain nombre de codes pré-établis comme pour son homologue (le

ballet). Ce phénomène n’est qu’une tendance car il existe bien évidemment beaucoup de

salles qui préfèrent programmer des formes beaucoup plus avant-gardistes réservées à un

public d’initiés. En effet, dès lors que la danse contemporaine répond à cette standardisation,

1 J.F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques », dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 215. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008. p. 212. 3 J.F. THIRION, op.cit., p. 213.

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elle s’adresse nécessairement à un public plus large (cf. Partie 2) et certains chorégraphes

souhaitent participer à la vulgarisation de leur domaine. C’est le cas d’Angelin Preljocaj, qui,

comme son prédécesseur Maurice Béjart, joue sur l’alternance d’œuvres populaires, donc plus

lisibles pour un public novice, et d’œuvres plus radicales, réservées à un public déjà plus

amateur. Cette conception sera développée dans la partie de ce mémoire réservée au public,

mais d’ores et déjà, il est important de noter que les motivations des chorégraphes, dans

l’assimilation du classique et du contemporain, peuvent s’insérer dans le souci de toucher un

large public, souvent éloigné de la danse. Quelles sont donc ces formes plus lisibles ? Est-ce

que le mélange classique/contemporain permet réellement la création d’œuvres plus

accessibles pour le public ? Ce métissage permet-il l’avènement de nouvelles formes ou la

création d’un nouveau genre ?

1.1.2 Quelles formes artistiques découlent de ce métissage ?

« A l’approche du XXIème siècle, le passé travaille la modernité, la mémoire refoulée

reprend possession des corps de la danse. Les détracteurs de la danse moderne, toujours

pugnaces, n’hésitent pas à affirmer que ce retour en arrière stigmatise une absence évidente

de créativité, voire d’avenir. Le fléau du sida décimant la jeune génération dans le même

temps où les aînés – Martha Graham, Hanya Holm, Alwin Nikolaïs, Alvin Ailey – tendent à

disparaître, un processus de conscientisation de l’héritage et d’interrogation du passé semble

désormais en marche, sous un double aspect : celui de la redécouverte d’œuvres dont les

années quatre-vingt s’étaient coupées, et celui de la projection dans l’avenir de la danse

présente »1. Cet élan ne s’éteint en aucun cas avec le XXIème siècle. Au contraire, celui-ci a

pris de l’ampleur dans les années 2000. La question de la mémoire et de l’héritage devient

vraiment prégnante, depuis la mort de Dominique Bagouet (1992). Cette considération s’est

accélérée avec les décès récents de trois personnalités emblématiques de la danse : Maurice

Béjart, Merce Cunningham, et Pina Bausch. Au-delà de s’interroger sur la conservation de

leurs œuvres, ce phénomène de considération se retrouve aussi dans la manière d’aborder les

créations artistiques aujourd’hui. Le spectateur assiste alors à des pièces contemporaines qui

sont le résultat d’une lecture revisitée d’un grand ballet du répertoire classique. Celui-ci peut

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 220.

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être aussi amené à voir des formes qui usent d’éléments instaurés par la danse classique :

chausson de pointe, tutus, composition du ballet, mouvements de technique classique,

partition musicale, danseurs classiques, etc. Ces deux formes sont développées dans les deux

parties suivantes de ce chapitre. Ce système de création repose sur des modalités qui

fusionnent classique et contemporain et se pose naturellement en rupture de la vocation

originelle de la modernité, puis de la danse contemporaine.

Les chorégraphes s’attachent donc à des reprises de ballets ou à mettre en œuvre des

références classiques dans leurs pièces. Avant d’entrer dans ces détails et cette classification

d’œuvres, il semble important de prendre un exemple concret pour en déterminer ses

caractéristiques. Un chorégraphe semble parfaitement illustrer cet alliage entre classicisme et

contemporanéité. William Forsythe1 joue avec les limites et les possibilités des deux

techniques, en ce sens que ses pièces sont autant le reflet d’une tradition que d’une modernité.

Elles surprennent le spectateur averti tant la virtuosité est poussée à l’extrême, jamais atteinte

avant lui. Il présente sur scène « une théâtralité exubérante et hurleuse dont la provocation

est partie prenante »2 et n’hésite pas à insérer dans sa danse des éléments tels que le funk, la

break dance ou les danses africaines. Donnant un nouveau souffle au vocabulaire classique,

ses chorégraphies ont tout de l’énergie contemporaine. « Ses danseurs semblent défier en

permanence les lois de l’équilibre et de la pesanteur ; les mouvements sont cassés, les lignes

distordues, la rapidité d’exécution frise la stridente »3. Les costumes sont d’une simplicité

maximale et les dispositifs scéniques sont réduits au minimum. Sa danse est alors désarticulée

montrant aux yeux des spectateurs la manière dont le monde peut être convulsif. Le

mouvement prime à tel point que la musique est souvent répétitive. Elle est juste nécessaire au

danseur pour appuyer ses impulsions : « volontairement abstraites, les œuvres du

chorégraphe ne cherchent pas à exposer une rhétorique gracieuse, mais à rendre compte de

la diversité des rapports humains contemporains »4. Ainsi, il est à l’écoute du monde qui

l’entoure, il est toujours au courant de l’activité politique et artistique.

Sa première production pour l’Opéra de Paris, France/Dance ne reste pas dans les

annales et reçoit, en effet, un accueil mitigé. Elle porte une réflexion un peu désabusée sur le

patrimoine artistique. Petit à petit, il affirme son style et Steptext, pièce créée à l’Opéra de

1 Ici la description de l’œuvre de William Forsythe découle d’un travail de recherche et d’une synthétisation de celui-ci 2 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 136. 3 Ibid., p. 136. 4 M.C. PIETRAGALLA, La Légende de la danse, Paris, Flammarion, 1999, p. 155.

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Steptext, William Forsythe © Costin Radu

Impressing the Czar, William Forsythe © Philippe Coqueux

Lyon, permet d’entrevoir ce que sera son œuvre toute entière. Il décortique le corps à

l’extrême, dans toute sa matérialité. La vitesse et les déséquilibres provoquent des états de

transe chez ses danseurs. Il permet alors au public d’observer l’anatomie en détail : peau,

muscles, nerfs, ossature. Sa danse provoque soit la fascination, soit le rejet, tant elle est forte.

Son affirmation dans le monde de la

chorégraphie lui permet de créer sa

compagnie à Francfort. Dès lors, son

travail devient entier, car il peut modeler à

son gré le corps de ses danseurs : « leurs

corps fuselés acceptent toutes les

distorsions, toutes les cassures,

soutiennent des rythmes et des durées qui

semblaient jusque-là réservés aux robots

de la science fiction »1. Cette recherche

très poussée du corps lui permet de mettre

en scène une sorte d’apocalypse qu’il réinterroge à chacune de ses pièces. Il cultive

l’ambiguïté de sa danse piochant autant dans la technique classique que la technique

contemporaine. Il exploite de nombreux codes modernes tout en conservant une gestuelle

traditionnelle. Il importe petit à petit des éléments de formes hybrides comme des musiques

tonitruantes, des lumières agressives, des corps disloqués, des références au travail de Laban

de Roland Barthes, de Michel Foucault ou encore de Derrida, etc. Ses pièces sont ponctuées

de provocations verbales et sonores,

tandis que les effets scéniques renforcent

le chaos et la violence (tombées brutales

de rideau, modulation de l’espace par des

effets lumineux, etc.).

Son style d’écriture

caractéristique lui permet d’obtenir des

commandes dans le monde entier : Ballet

de l’Opéra de Paris, San Francisco Ballet

et New York City Ballet. Sa danse est

ainsi propulsée à travers la planète et

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 208.

Steptext, William Forsythe @ Costin Radin

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touche autant un public de « balletomanes » qu’un public amateur de danse contemporaine. A

repousser les limites et à opérer l’improbable réconciliation des genres, William Forsythe a

finalement eu plusieurs « vies » dans son parcours artistique. Il sait aussi bien bousculer et

couper au cutter la technique classique. D’Artifact (1984) à Impressing the Czar (1988), il

repense la ligne de la ballerine, parfois sur pointes.

Dans les années 1990, le chorégraphe ose des créations entièrement contemporaines, à tel

point que son public est un peu dérouté par le plateau encombré de tables dont la disposition

piège les danseurs dans One Flat Thing Reproduced, ou par le triptyque d’Atmospheric

Studies faisant référence à la guerre en Moyen Orient. Dernièrement, le chorégraphe s’attache

à des formes de chorégraphies performatives comme Heteropia qui invite le public à circuler

sur deux plateaux, d’un univers à l’autre. Il est donc important de retenir que Forsythe décline

sa danse entre classique et contemporain et qu’il revendique sa position haut et fort : « Le

vocabulaire n’est pas, ne sera jamais vieux. C’est l’écriture qui date. Je ne me pose pas la

question de savoir si je suis un chorégraphe classique, simplement il est plus aisé pour moi de

parler le langage classique »1 .

Les œuvres qui découlent du métissage classique et contemporain sont donc des

formes hybrides qui tentent à repousser les limites de chaque technique et de chaque

esthétique. Le cas particulier de William Forsythe montre bien que ces combinaisons peuvent

prendre plusieurs déclinaisons. D’un côté le langage classique peut être déstructuré,

désarticulant le corps dans une mise en scène et une atmosphère très contemporaine, et d’un

autre côté le langage moderne peut être prépondérant dans une pièce tout en conservant une

certaine rigueur et virtuosité classique. On peut supposer que le métissage entre tradition et

modernité propose des formes nouvelles, dont la classification s’avère difficile. Il n’est donc

pas véritablement question d’un nouveau genre. Ces nouvelles formes puisent dans les

possibles de la danse. De ce fait, elles prennent de multiples chemins et empruntent de

manière très différente les voies du passé et du présent. Il est donc indéniable que ces pièces

s’insèrent dans une démarche totalement contemporaine. En effet, comme l’œuvre de William

Forsythe, le métissage ne produit pas un style unique d’œuvres caractéristiques de ce

phénomène car différents moyens permettent d’opérer ce lien entre classique et moderne et il

en résulte des pièces totalement différentes. Ceci dépend donc de la posture du chorégraphe et

1 Propos de William Forsythe dans P. VERRIELE, Légendes de la danse, Une histoire en photos 1900 – 2000, Paris, Hors Collection, 2002, p. 68.

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de la manière dont il envisage son art. Certains, comme Forsythe, se situent dans un langage

plus classique pour s’ouvrir à la modernité par des énergies de mouvements, une réflexion sur

le corps, une conscientisation du monde, une mise en scène qui touchent au contemporain.

Tandis que d’autres préfèrent partir d’une esthétique moderne pour exécuter un retour en

arrière avec des incursions de mouvements, de codes, de costumes, de musique, de

composition, de références classiques. D’autres encore, auront pour intérêt de repositionner

leur création par rapport à une autre œuvre, de réinventer et repousser les frontières du temps

en reprenant une œuvre de répertoire. Toutes ces manières de considérer la danse et sa

transversalité, entre classique et contemporain, soumettent l’art chorégraphique à l’invention

de nouvelles formes. L’objectif est donc de repenser le corps, le mouvement et l’esthétique.

Ceci s’insère naturellement dans la typologie de la danse contemporaine puisque celle-ci

englobe de multiples formes : minimalisme, académisme, postmoderne, afro-contemporain,

danse et vidéo, etc. Si l’on considère cette déclinaison, le mélange entre danse classique et

danse contemporaine entre totalement dans la catégorie de danse contemporaine. Par exemple,

William Forsythe, est mentionné dans de nombreux ouvrages traitant de danse

contemporaine comme celui de Philippe Noisette, Danse contemporaine mode d’emploi ou

bien comme celui de Rosita Boisseau, Panorama de la danse contemporaine. Cependant, la

classification de ces nouvelles formes soulève quelques interrogations. Il est en effet, difficile

de faire la part des choses entre classique, néoclassique et contemporain pour certains styles

de chorégraphes ou pour certaines œuvres.

1.1.3 Où projeter les frontières entre danse classique, danse néoclassique, et

danse contemporaine ? Comment opérer ces classifications ?

De manière rapide, comme expliqué dans le paragraphe précédent, les œuvres mêlant

classique et contemporain sont logiquement classées dans la catégorie de la danse

contemporaine. Cependant, il n’est pas vraiment aisé, que ce soit pour un novice ou pour un

amateur, de spécifier à quel genre de danse il a affaire. S’appuyant sur diverses esthétiques et

diverses techniques, ces œuvres remettent nécessairement en question les catégories qui se

sont dessinées au fil de l’histoire de la danse. Dans ce cas-là, pour dégager la notion de genre,

il semble intéressant de s’appuyer sur la supposition de Nathalie Heinich concernant l’art

contemporain : « L’art contemporain ne cesse de donner prise à des controverses, depuis une

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dizaine d’années, à des polémiques récurrentes. Or l’essentiel de ce qui les motive me paraît

une acceptation erronée du terme “contemporain”. Celui-ci en effet gagnerait à être pris au

sens non pas d’un moment de l’évolution artistique, correspondant à une périodisation, mais

d’un “genre” de l’art, homologue de ce que fut la peinture d’histoire à l’âge classique »1. Si

cette assertion est transposée au milieu de la danse, il est facile de mettre en évidence trois

genres : la danse classique (dont le terme n’est utilisé que depuis les années 1930), la danse

néoclassique (dont l’invention est due à Serge Lifar également dans les années 1930) et la

danse contemporaine (qui s’inscrit à la suite de la danse moderne avec l’œuvre de Merce

Cunningham à la fin des années 1940). La danse oscille donc entre ces trois genres. Pourquoi

une œuvre de danse contemporaine empruntant à la danse classique n’est-elle pas

néoclassique ? Et pourquoi une pièce néoclassique n’est-elle pas obligatoirement

contemporaine ? Concorder parfaitement avec une classification artistique est d’autant plus

difficile que les chorégraphes jouent délibérément avec cette transgression des frontières.

C’est le cas notamment de William Forsythe, surnommé Billy dans le monde

chorégraphique. « Habile à jongler avec les concepts, brillant manipulateur des médias,

« Billy », comme on l’appelle, ne cache pas sa fascination pour l’illusion scénique :

« Bienvenue à ce que vous croyez voir », aime-t-il répéter non sans quelque démagogie. Que

croyons-nous voir ? L’œuvre d’un artiste génial ou le plus grand bluff de cette fin de siècle ?

Est-il classique, est-il moderne ? Il est en tout cas bien de son époque »2. Ici, force est de

constater que des spécialistes sont contraints de se poser la question sans même pouvoir y

répondre réellement, tant la tâche est difficile. Ceci convoque l’idée qu’en danse, il est aussi

difficile de caractériser une forme qu’un genre en général. Cependant, même la danse

classique peut-être considérée comme renouvelée, incluant de nouveaux codes comme

l’abandon de la narration ou l’utilisation d’énergie contemporaine. La catégorisation échappe

à l’art mais elle répond seulement à un besoin humain de rationalisation des choses. Certains

artistes revendiquent cette position et ne s’inquiètent en aucun cas de ces considérations lors

de leurs créations à l’image de Thierry Malandain qui ne s’encombre pas de ces exigences.

« Une des forces de Malandain, […] , est de ne pas se noyer dans des termes qui croient

résoudre l’évolution de l’art, et ne font en fait que le codifier aussi arbitrairement que ce

contre quoi il s’insurge : sur la sellette, l’éternel et vain, parfois même malsain, conflit entre

« classicisme » et « modernité ». Tout grand créateur que nous taxerions aujourd’hui de

classique a été moderne en son temps, et même si sa démarche consistait à un retour à des

1 N. HEINICH, Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’Echoppe, 1999, p. 7. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 210.

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normes oubliées depuis des siècles, comme la Renaissance se bâtit sur une utopie à l’antique,

comme le XIXème siècle reprit à son compte les chimères médiévales pour en habiller ses

propres fantasmes. Ordre et désordre, les deux finissant par s’inverser, cette alternance est

presque rythmique dans le va-et-vient de l’esprit humain. L’acceptation de cette balance

n’est-elle pas plus enrichissante – et aussi bien plus ardue – que la lutte permanente ? »1. Ce

trouble entre ordre et désordre, pose en effet problème. Il rend impossible la classification des

formes nouvelles. En effet, le nouveau est une connaissance qui se présente dans le désordre,

or le propre de la connaissance c’est aussi d’être ordonnée. En ce sens, une nouvelle

connaissance et par ce biais-là une nouvelle forme implique sa « remise en ordre », d’où le

besoin de classification. La connaissance du monde s’est toujours donnée dans un double sens

d’ordre et de désordre. Ceci a toujours gouverné la création (ordre ou désordre/tradition ou

nouveauté) et par le même biais la re-création (remise en ordre). Le nouveau est effrayant car

il se projette à l’encontre du durable, du stable et de la connaissance. Le nouveau est une

connaissance en désordre qui ne peut être acceptée, on lui préfère des œuvres d’art que

l’individu connaît déjà. Le besoin de classification répond nécessairement à cette peur du

nouveau. Dès l’appréhension d’une forme nouvelle, en l’occurrence d’une forme au

croisement du classicisme et du contemporain, le désir de classification s’impose pour ne plus

placer cette œuvre dans l’inconnu mais dans la connaissance et ainsi l’accepter en tant

qu’œuvre.

Dans la logique historique et la logique technique, la danse néo-classique se trouve

aux confins de la danse classique et de la danse contemporaine (cf. sous-partie 1.4 de la

postface). Cependant, même cette classification suscite des controverses et la polémique

repose sur un ensemble de stigmatisations. En effet, de nos jours, le mot néoclassique suppose

une démarche qui ne comporterait aucune valeur contemporaine. « En cela, la notion relève

de la stigmatisation idéologique plus que de l’analyse esthétique. On peut mesurer cette

stigmatisation dans la différence de traitement critique entre Neumeier et Forsythe. Si le

second est tenu pour créateur majeur et jamais stigmatisé de l’épithète “néoclassique”, le

premier reçoit facilement le qualificatif et est considéré avec une certaine condescendance »2.

Philippe Verrièle démontre clairement que le terme néoclassique accolé à un travail de

chorégraphe peut être péjoratif. Cette considération n’est pas remise en cause pour certains

1 J. THUILLEUX, A pas contés avec Thierry Malandain – Les dix ans de ballet Biarritz, Biarritz, Atlantica, décembre 2010, p. 35-36. 2 P. VERRIELE, « La Danse néoclassique », La Scène, Eté 2010- n°57 Paris, Millénaire Presse, p. 23.

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artistes qui, comme William Forsythe, sont plus reconnus dans le milieu de la danse. L’idée

de néoclassicisme est donc très floue puisqu’elle confère une étiquette à certains et pas à

d’autres. Outre cette distinction le terme « néoclassique signifie que des chorégraphes

d’aujourd’hui pactisent avec les formes du classique, c’est-à-dire du passé, autant dire de

l’obscurantisme »1. Cette comparaison n’est pas sans rappeler l’expression « pactiser avec le

diable ». Ainsi, ce terme ne servirait que la résurrection de l’opposition et de l’affrontement

initiés lors de l’émergence de la danse contemporaine, où le terme néoclassique relevait plus

d’une esthétique que d’une idéologie. C’est ce que revendique Thierry Malandain dans

l’émission télévisuelle Métropolis : il affirme qu’il n’apprécie pas le terme néoclassique car il

« ne veut rien dire » et il met à la marge car « c’est une danse passéiste »2. Aujourd’hui, les

chorégraphes, comme Jiri Kylian ou Thierry Malandain, esquissant une esthétique

néoclassique, répondent nettement à une idéologie contemporaine. Leur classification au sein

de la danse contemporaine semble plus pertinente, non seulement parce qu’elle ne répond pas

à des critères de disqualification comme la danse néoclassique, mais aussi parce qu’elle

englobe une multitude de formes.

Opérer cette classification repose sur une réflexion qui est finalement donnée à ceux

qui touchent de près le monde chorégraphique. Cette logique fait également abstraction d’une

certaine catégorisation puisque la danse contemporaine foisonne de styles chorégraphiques

reflétant la personnalité artistique de chaque chorégraphe. Y intégrer l’ensemble de la création

actuelle revient à signifier que la classification de la danse en général est difficile, même si

l’on peut dessiner certains courants au sein de la danse contemporaine, chaque œuvre reste

particulière. Ceci répond à l’idée que l’art en lui-même ne peut se soumettre à un processus de

catégorisation tant il peut s’exposer sur des critères totalement inconstants et multiples. Le

« nulle étiquette »3 arboré par Thierry Malandain, semble être le mot de la fin concernant ce

problème qui s’impose autant aux initiés qu’aux novices. Cependant, il faut retenir que les

exigences de la visée spectaculaire, de la demande culturelle et institutionnelle, soutiennent

l’idée de classification par catégories qui est donc nécessaire pour répondre à certaines

nécessités, notamment pour les structures de diffusion, de production, pour certains esthètes et

critiques, pour l’institution et le public. Les parties de ce mémoire consacrées au public et à la

médiation culturelle reviennent sur ce sujet.

1 P. VERRIELE, « La danse néoclassique », La Scène, Eté 2010- n°57 Paris, Millénaire Presse, p. 23. 2 Propos de Thierry Malandain, Emission Métropolis – Arte, diffusée le 20 et 21 novembre 2010 : http://www.malandainballet.com/, Rubrique Actualité, Métropolis (consulté le 06/04/11). 3 J. THUILLEUX, A pas contés avec Thierry Malandain – Les dix ans de ballet Biarritz, Biarritz, Atlantica, décembre 2010, p. 38.

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Conclusion

L’idée de métissage des œuvres suscitent de nombreuses interrogations. Certaines

peuvent trouver des réponses tandis que d’autres restent en suspens. C’est notamment le cas

de la classification des œuvres révélant un certain mélange entre contemporain et classique.

En effet, « les différentes façons de faire l’art ne s’échelonnent plus sur un axe unique, entre

pôle inférieur et supérieur, mais sur plusieurs axes »1. Toute catégorisation est le résultat d’un

processus auquel participent les acteurs culturels tels que les critiques, les programmateurs,

les amateurs, etc. faisant partie du monde de l’art. Cependant, à ce stade du mémoire, il est

important de retenir l’idée que l’art obéit à des hiérarchies variant dans le temps et selon les

contextes, et que dans certains cas la catégorisation, surtout en ce qui concerne l’art

contemporain, peut s’avérer difficile selon les époques, les formes, les forces artistiques en

présences, etc.

Le mariage opéré par certains chorégraphes peut prendre diverses formes selon leurs

intentions, leur style d’écriture, leurs sources d’inspiration, leur approche du mouvement, etc.

Ce phénomène s’est opéré dans un contexte propice au développement de ces nouvelles

formes. A tel point que ce ne sont pas seulement les artistes qui ont initié la porosité entre la

danse classique et la danse contemporaine. En effet, c’est tout un contexte qui a permis cette

adéquation. L’institution a également permis d’impulser ces intentions ainsi que les

programmateurs et autres diffuseurs. Cependant, la situation artistique de la danse

contemporaine lui a aussi été bénéfique. Elle s’est non seulement ouverte à d’autres formes

mais a aussi participé à la mise en valeur d’un patrimoine chorégraphique quelque peu oublié

pendant ses années glorieuses.

Différentes formes ont éclos de ces nouvelles intentions chorégraphiques. Certains

chorégraphes se sont investis à plusieurs reprises dans la relecture d’œuvres du répertoire

classique, tandis que d’autres ont totalement décortiqué la danse classique pour mieux la

réinvestir dans des formes plus contemporaines. Ces deux intentions participent au métissage

entre tradition et modernité, mais elles relèvent tout de même d’intentions et de symboliques

très différentes.

1 N. HEINICH, Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’Echoppe, 1999, p. 9.

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Chapitre 2 : Les ballets classiques revisités

Introduction

« Nombre des ballets ‘classiques’ du dix-neuvième siècle, du moins du 19ème siècle

français, se sont perdus. Il n’en demeure que des ombres. […] Parfois même, il ne nous en

reste que le titre. Généralement, les éléments qui perdurent sont l’argument, fixé ou non sur

l’objet éditorial qu’on appelle un livret, et la partition musicale. Parfois, une iconographie

plus ou moins précise et abondante peut évoquer les aspects visuels, qui contribuent, si l’on

veut, en partie, à l’élaboration d’un imaginaire du corps »1. Cette assertion de Laurence

Louppe démontre combien il est finalement impossible que les ballets classiques qui se

produisent sur scène à l’heure actuelle ne peuvent être en aucun cas identiques à ceux qui

étaient présentés lors de leur création. Certains ont échappé à cette perte grâce à la

transmission orale et conservent le plus important, c’est-à-dire le mouvement dansé, et

d’autres comme les ballets de Marius Petipa (cf. sous partie 1.2 de la postface) ont été

conservés à la fois par la transmission orale et par la notation. Cependant, l’interprétation de

ses œuvres est rarement réalisée dans une fidélité intégrale. Ainsi, le sens du propos peut

légèrement différer du sens initial. De plus, comme l’a souligné Brigitte Lefèvre lors de la

conférence à Montpellier Danse, le 31 mars 2011, ces ballets-là sont dansés par des individus

de la société actuelle. Ainsi, elle a affirmé qu’il faut toujours que des troupes conservent la

danse classique mais que les danseurs d’aujourd’hui sont des hommes et des femmes

totalement imprégnés du monde qui les entoure, avec leurs préoccupations et leurs envies.

Nécessairement leur interprétation, même si elle se veut fidèle au livret, sera conditionnée par

la société dans laquelle ils vivent. D’ailleurs, Brigitte Lefèvre s’est attachée à rappeler que les

techniques ont aussi évoluées, en ce sens que la technique corporelle a changé mais aussi le

chausson de pointe, les planchers de scène, les décors, etc. Ainsi, une œuvre classique donnée

sur scène, de nos jours, présente peut-être quelques mouvements originels mais elle est très

différente de celle qu’elle était lors de sa création. Une œuvre de danse est finalement en 1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, Coll. Libraire de la Danse, p. 324.

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évolution permanente parce qu’elle est dansée et remise en « forme » par des hommes et des

femmes de leur temps. Ceci revient à considérer nettement la notion dégagée par Serge Lifar :

celle d’auteur. Si l’on considère les propos précédents, plus qu’une recréation la reprise d’un

ballet classique tient plutôt de la création. C’est d’ailleurs ce même « auteur-chorégraphe »

qui a permis, en son temps, de reconquérir le public de l’Opéra de Paris.

Les chorégraphes de la danse contemporaine se sont emparés de cette notion d’auteur.

Ils la doivent donc à l’idée qu’aucun des ballets classiques n’ait pu être conservé dans sa

totalité et de ce fait chaque ballet est finalement un acte créatif à part entière. Toutefois, les

relectures ont donc été constantes en danse classique, en revanche la danse contemporaine s’y

intéressée beaucoup moins vite.

1.2.1 Un répertoire à l’épreuve de la danse contemporaine

Les grands ballets classiques ont finalement toujours été synonymes d’inspiration. C’est

également le cas pour les chorégraphes contemporains qui, désormais, n’hésitent plus à

s’attaquer aux grands « chefs-d’œuvre » de la danse, si bien que certaines reprises sont à leur

tour devenues des « chefs-d’œuvre » reconnus dans le monde entier. Ce phénomène s’est

considérablement accentué depuis une quinzaine d’année et n’est pas prêt de s’arrêter. La

danse contemporaine n’adapte plus ou ne propose pas nécessairement des variantes mais elle

réinvente, elle redonne un nouveau souffle à ces ballets et en propose une relecture. Toutes les

possibilités sont autorisées et contrairement à d’autres domaines artistiques où l’idée de

« remakes », peut déranger la chorégraphie ne s’est jamais souciée de ce genre

d’appropriation. « Dans un autre champ artistique que la danse, où le respect de l’auteur est

imposé par la tradition, la notion de “remake” peut exercer une ironie, décapante ou

neutralisante. Elle concourt précisément à ruiner la sacralité auctoriale, ou la vision

emphatique d’une origine de l’œuvre que de nombreux discours n’ont cessé de remettre en

cause, […] de telle effractions sont saines, intelligentes, porteuses d’une provocation aussi

plaisante que salutaire. Il n’en va pas de même du tout dans le champ chorégraphique, trop

fragile par absence d’une théorie véritable portant sur l’histoire des œuvres »1. Ce

phénomène de métissage entre tradition et modernité relève donc du fait que l’histoire de la

1 Ibid., p. 325.

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Le Sacre du Printemps, Maurice Béjart © Channel Riviera

danse ne doit pas être lue de manière chronologique. C’est la même idée qui implique qu’une

chorégraphie doit être reçue au présent car sa présence sur scène est éphémère, en ce sens

qu’elle a été produite par des individus de leur temps.

Les premières relectures contemporaines sont antérieures à la seconde moitié du

XXème siècle avec en tête de file Le

Sacre du Printemps. Les deux

versions qui restent encore dans la

mémoire collective de la danse sont

celles de Maurice Béjart en 1959 et

celle de Pina Bausch, une quinzaine

d’années plus tard, en 1974. Par la

suite, il faut attendre les années

1980 pour que se dessine l’avenir

des « remakes ». La Giselle de Mats

Ek, en 1982, est l’une des premières

du genre à reprendre un ballet

romantique. Depuis, l’idée de « relookage » de la danse classique a pris beaucoup d’ampleur,

et ce, notamment, depuis la fin des années 1980. Maguy Marin marque les esprits avec sa

Cendrillon en 1985, dont la création se fait à l’Opéra de Lyon.

L’exploration du patrimoine artistique réinterroge alors des œuvres comme Le Lac des

Cygnes, Coppélia, Roméo et Juliette, Les Noces, La Mort du Cygne, etc. Autant de titres qui

résonnent plus ou moins dans la mémoire collective du public et des programmateurs. En

effet, cette profusion de relectures n’est pas seulement due au besoin des artistes de

réinterroger un passé et la danse contemporaine. Dès les années 1990, les budgets tendent à se

resserrer : « Obligation signifiée aux directeurs de théâtres et de scènes nationales de

présenter des budgets en équilibre. Ils programmeront donc volontiers des œuvres aux titres

plus connus que le nom de ceux qui les créent »1. Cette situation a sans aucun doute suscité

une émulation autour des relectures. On peut supposer que ce phénomène a également pris de

l’ampleur auprès des ballets de maisons lyriques, notamment lorsqu’ils se sont retrouvés dans

des situations financières difficiles. Outre ces faits contextuels, qu’est ce qui pousse les

chorégraphes à ouvrir la porte du répertoire classique et à en amorcer leur propre vision ?

1 A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 15.

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Giselle, Mats Ek © Icare

« Les chorégraphes contemporains qui osent

s’approprier des pièces du répertoire classique ne sont pas

légion. Si leur nombre augmente, si l’inclination pour les

ballets et certaines partitions musicales s’accentue depuis

quelques années, l’entreprise reste gageure. Etrangement,

ceux qui y goûtent y reviennent. Attrait pour le livret et la

narration, pour la musique, pour les défis… Désir de se

dépasser, de se hisser à la hauteur des mythes de la

danse… »1. L’idée de départ est donc différente selon les

chorégraphes. Chacun à sa manière décide d’opérer la

relecture d’une œuvre. Cependant, la tâche n’en demeure

pas pour autant facile. Chacun choisit pour une raison ou

pour une autre de se tourner vers une production du

passé soit par méconnaissance, par réponse à une

commande, par intérêt pour la partition, pour réinterroger un thème, pour soulever les

problématiques que suppose la chorégraphie initiale ou par amour de la danse classique…

La première raison invoquée est la méconnaissance. C’est par exemple le cas de Maurice

Béjart pour son Sacre du Printemps et son Boléro. Il explique qu’il n’avait jamais vu ces

ballets. Il ajoute qu’il avait à peine entendu parler du Sacre2. Ici, c’est l’intérêt pour Stravinski

qui fût à l’origine de l’intention première tout comme Farid Berki. Issu de la danse urbaine, il

n’avait pas saisi l’ampleur de Petrouchka et ne savait pas que c’était une œuvre marquante du

répertoire. Ce qui l’intéressait relève de la gestuelle. Celle-ci proche du hip-hop, lui parlait

forcément. L’esthétique des Ballets Russes avec les pieds en dedans (contraire d’en dehors :

soit pieds parallèles) où les mouvements tout en angles ont totalement séduit Farid Berki.

La commande joue aussi un rôle important dans la création de relectures. Par exemple,

Angelin Preljocaj a répondu à la commande de l’Opéra de Lyon pour son Roméo et Juliette en

1990, comme l’année précédente, où il a créé Les Noces à la demande de la Biennale du Val-

de-Marne. L’institution est très friande de ce genre de commande et n’hésite pas à confier ce

genre de proposition à de nombreux chorégraphes. Par exemple, Michel Kelemenis a été

investi en octobre 2009 de la création de Cendrillon pour le Ballet du Grand Théâtre de

Genève. Cette adaptation du conte de Perrault n’a pas attendu la partition de Prokoviev et est

dansée dès 1822 à Londres. Ce n’est qu’en 1945 que celle-ci est adoptée comme musique de

1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9. 2 A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 16.

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Cendrillon, Maguy Marin

© Michel Cavalca

référence pour ce ballet au Bolchoï de Moscou. Depuis, nombreux sont ceux qui se sont

laissés emporter par les notes de Prokoviev : Frederick Ashton et Rudolph Noureev pour les

classiques, Maguy Marin et Jean Christophe Maillot pour les contemporains. La relecture de

Maguy Marin s’avère également être une commande de l’Opéra

de Lyon.

La partition joue aussi un rôle essentiel. C’est souvent elle qui

marque le chorégraphe et qui développe son envie de relecture. A

ce stade-là, Stravinski est presque inégalable et suscite les

appropriations du Sacre du Printemps, de l’Oiseau de Feu, de

Petrouchka, des Noces, etc. La musique fait parfois écho à une

envie mais aussi à une résonnance intime chez le chorégraphe.

C’est le cas d’Heddy Maalem pour qui la création du Sacre du

Printemps n’a pas été d’un pur hasard : « Aujourd’hui, Heddy

Maalem explique que c’est il y a quatre ans, alors qu’il se

trouvait à Lagos, au Nigeria, pour préparer ce qui allait devenir

Black Spring, qu’il a commencé à entendre en lui le Sacre du

Printemps de Stravinsky. Dans la clameur martelée de cette

mégapole de 12 millions d’habitants, New York africaine exhibant sans fard les traits

grotesques et sauvages de la modernité occidentale. À Lagos, le chorégraphe regardait d’un

œil stupéfait l’Afrique noire et le monde blanc faire naufrage, ensemble »1. Ce chorégraphe

n’a pas été tenté par la relecture pour le simple plaisir de revisiter le passé mais surtout parce

que son travail est traversé par la question de l’identité et du corps noir. Le Sacre du

Printemps est crée pour quatorze danseurs africains, en 2004. Dans une alternance qui lui est

propre, le chorégraphe qui excelle dans des formes plus minimalistes, comme des solos ou des

pièces courtes, se plonge à nouveau dans des problématiques qui lui sont chères. L’idée

principale n’est donc pas de rester totalement fidèle à la chorégraphie initiale. Il réinvente

totalement la cérémonie vouée au Sacrifice de l’Elue. Ici, il dédouble le maître de cérémonie

sous forme de jumeaux pour faire l’écho de ce pays qui l’a tant touché : il signe alors une

chorégraphie qui convoque l’Afrique dans ses traditions ancestrales et ses problématiques

contemporaines. Heddy Maalem n’est pas le seul à avoir été fasciné par cette partition. « La

musique révolutionnaire de Stravinski n’inspira pas moins de quatre-vingt chorégraphes,

dont Mary Wigman, Maurice Béjart, John Neumeier, Paul Taylor, Martha Graham et Pina

1D. CREBASSOL, Le Sacre du Printemps [en ligne], Disponible sur : http://www.heddymaalem.com/complements.php, (consulté le 08/04/11).

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La Sacre du Printemps, Heddy Maalem © Patrick Fabre

Bausch »1. D’autres, comme

Maurice Ravel et son unique

Boléro, ou encore les partitions de

Piotr Ilitch Tchaïkovski, ont

contribué à ce phénomène de

relectures. Ces compositions

musicales détiennent l’avantage

d’être intemporelles.

Le thème suscite également des

envies plus que l’idée de reprendre

un ballet classique. Maurice Béjart utilise Casse-Noisette (1998) en mémoire de son enfance.

Cependant, il se trouve que ce ballet est un des chefs-d’œuvre du ballet romantique,

chorégraphié par Marius Petipa et Lev Ivanov, en 1892. Malgré le fait que Béjart ne fût pas un

adepte des relectures, il s’est attelé à la tâche. La musique est pratiquement le seul élément

qu’il a conservé. Le reste est le pur produit de ses souvenirs d’enfant. Son ballet est

totalement autobiographique et narre l’histoire d’un petit garçon qui perd sa mère à l’âge de

sept ans. Cependant, comme un collage dans son Casse-Noisette, Maurice Béjart insère le pas

de deux de la chorégraphie initiale de Marius Petipa. Toutefois le chorégraphe n’a pas créé

Casse-Noisette car le ballet originel l’inspirait. D’autres se trouvent au contraire investis de la

problématique que suscite la chorégraphie initiale et souvent ce sont les grands ballets du

répertoire classique, comme Le Lac des Cygnes ou Giselle, qui provoquent ce désir. En effet,

certains chefs-d’œuvre, empreints d’une symbolique universelle, interrogent souvent des

chorégraphes contemporains. Mats Ek, par exemple, enrichit l’histoire de Giselle : en

conservant la musique et l’argument, il signe une tragédie moderne. Il a été « stupéfait par les

possibilités que recevaient l’histoire. […] mais ces possibilités étaient partiellement

endormies »2. Il propose une chorégraphie qui utilise le corps de manière plus moderne pour

réveiller ces possibilités de thématiques et de contrastes (l’individuel contre le collectif,

l’amour, l’opposition entre bourgeoise et prolétariat, la folie, etc.). Bertrand d’At s’est arrêté

sur la problématique que posait en lui Le Lac des Cygnes. Le fait de voir et revoir l’œuvre, il a

eu quelque chose à en dire aussi. Et à l’image de la pensée de Mats Ek concernant Giselle,

Bertrand d’At trouvait que certaines possibilités n’apparaissaient pas.

1 J. MOATTI, R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p.44. 2 Propos de Mats Ek, Emission Les leçons de…– Arte, diffusée le 24 mars 2009, < http://www.arte.tv/fr/Les-lecons-de---/2535310.html >, (consulté le 08/04/11).

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Enfin, d’après Brigitte Lefèvre1, certains artistes contemporains sont tout de même très

amoureux de la danse classique et de sa virtuosité. C’est le cas de Jérôme Bel et Raimund

Hoghe. Ce dernier est adepte des relectures : L’après midi d’un faune, Le Sacre du Printemps

ou encore le plus classique de tous les classiques, Le Lac des Cygnes, dont il qualifie la

musique de « si forte qu’on peut y voir à travers »2. L’idée est également que cette musique

reflète son travail puisqu’elle est construite de répétitions. En effet, le travail de Raimund

Hoghe repose sur l’idée de récurrence des mêmes gestes. Pour lui, ce ballet est également

dans son idéal de conception des œuvres puisqu’à l’image des chansons de Dalida ou de Piaf

qu’il insère dans ses œuvres, Le Lac des Cygnes est un ballet très populaire ou connu au

moins de nom.

Les initiatives des relectures sont donc diverses selon les envies et sensibilités des

chorégraphes. Ceci étant dit, il est intéressant de se tourner vers ce que produisent ces

recréations et de s’interroger sur les buts qu’elles poursuivent.

1.2.2 Des relectures aux intérêts multiples

L’idée première d’un remake est nécessairement basée sur une l’intention de détourner

une interprétation dansée offrant diverses possibilités de restructuration d’un ballet. Tout est

faisable, et la pièce peut-être totalement réinventée tout en restant fidèle à l’original. Pour Jan

Fabre « revenir à la source originelle du ballet, est une façon de lui redonner un sens fort ».3

L’important est de ne pas de trahir l’œuvre initiale mais de la traduire dans un langage

contemporain et de la rendre lisible aux spectateurs d’aujourd’hui. Ce travail revient à

dépouiller le ballet de ses éléments désuets ou incomplets pour mettre en exergue son propos,

« sa beauté », et son originalité. « Décaper » les surplus pour en dégager le caractère

intemporel : voilà l’intérêt nécessaire d’une relecture. Les chorégraphes s’attachent donc à

donner leur interprétation personnelle et à en révéler de nouveaux aspects esthétiques ou

symboliques. De plus, les héroïnes du ballet sont tout de même quasiment éternelles, elles ont

marqué l’histoire de la danse à jamais. Il semblerait qu’elles répondent encore aux attentes du

1 A. IZRINE. B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 2 P. NOISETTE, « Un lac, des cygnes », Danser, n°249 – décembre 2005, Paris, DDB Editions, p. 15. 3 Propos de Jan Fabre dans A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 17.

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public de l’Opéra de Paris, du Royal Ballet, du Bolchoï ou de certains ballets de maisons

lyriques françaises comme le Ballet du Capitole, le Ballet de Nancy, etc. Cela prouve que la

danse classique attire toujours un public certain. Se rapprocher du répertoire classique offre

non seulement de multiples possibilités mais peut également relever du défi pour certains

chorégraphes. En effet, la relecture peut imposer quelques contraintes car elle soulève des

problématiques de conceptions différentes que celles d’une simple création. Certaines

données (musique, personnages, histoire, etc.) deviennent incontournables lorsque les

créateurs tiennent à les insérer dans leur production. A tout cela s’ajoute la nécessité d’opérer

un retour en arrière, de faire un travail sur le temps. Toutes ces caractéristiques sont facteurs

de créativité, d’autant plus que souvent ce sont des questionnements existentiels qui perdurent

dans ces œuvres. En effet, elles touchent aux grands mythes de l’humanité et leur symbolique

est souvent universelle. Dans la volonté de remettre au goût du jour un ballet classique, il y a

nécessairement l’envie de toucher un public large puisque les thématiques usuelles traversent

en grande partie chaque être humain : l’Amour, la Mort, le Bien, le Mal, la hiérarchie sociale

et/ou la hiérarchie sexuelle, etc.

L’avantage pour ces chorégraphes c’est donc que les possibilités de création soient

réinterrogées et qu’elles s’élaborent au regard d’un temps passé. Un choix s’impose à eux : ils

peuvent aussi bien décider de conserver les personnages ou aussi bien les supprimer. Par

exemple, le Lac des Cygnes de Raimund Hoghe fait resurgir par bribes des références au

ballet classique. La musique est un collage de différentes versions dirigées par Pierre

Montreux ou Léonard Bernstein. Toutefois, ce qui est très intéressant, c’est la manière dont la

chorégraphie épurée peut faire résonner la version classique. « Les apparitions fantômatiques

de quatre danseurs établissent une succession de relations où chacun peut être cygne et

prince dans un glissement de genre et une transposition des rôles »1. L’intérêt des relectures

se situe également au niveau de l’écriture. Certains vont tenter de détourner le langage

classique pour la réincarner dans un style moderne comme le fait Mats Ek dans Gisèle, ou Le

Lac des Cygnes. D’autres, en revanche, vont conserver une base de mouvements académiques

voire classiques comme Thierry Malandain. Ce dernier joue également avec la

démultiplication. Il s’amuse à détourner les codes du pas de deux classique comme dans son

Roméo et Juliette (2010). En effet, il transpose le moment incarné prévu par Berlioz pour le

duo des deux interprètes en neuf états amoureux. Neuf couples se succèdent donc pour

1 K. MONTAIGNAC, Compte rendu de l’article « Le Lac des cygnes démystifié, revu et corrigé », Jeu, n°117 – (4) 2005. p. 43, consultable sur : http://id.erudit.org/iderudit/24678ac (consulté le 14/03/11).

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montrer différents moments : l’attente, la joie, l’absence, etc. Il avait déjà détourné La Mort

du Cygne par le biais de trois danseuses laissant voir à tour de rôle trois chorégraphies sur la

musique de Saint-Saïnt. La succession de ces trois interprétations laisse place à une quatrième

représentation avec la reprise de leur chorégraphie simultanément.

Outre la transposition d’un ballet, la recréation voue également une véritable passion à la

musique. L’intérêt est alors de calquer une danse d’aujourd’hui sur des partitions conçues à la

base pour la danse classique. C’est notamment ce que revendique Michel Kelemenis pour son

Cendrillon : « Le miroitement des écritures

chorégraphique et musicale devient une

alternative à la dépendance et éloigne le risque

de la redondance »1. Angelin Preljocaj, quant à

lui, s’est totalement imprégné des pulsations de

la partition de Serge Prokofiev pour son Roméo

et Juliette. Chez Maguy Marin, l’intérêt d’une

relecture se situe au croisement de l’exploration

du mouvement pour l’insérer dans un système

dramatique à la limite de la danse

contemporaine, du ballet et du théâtre. Dès lors,

elle peut s’offrir le luxe de traiter naïvement le

langage académique car elle resitue son

Cendrillon dans une maison de poupée.

Si ces recréations sont aussi nombreuses

depuis quelques années, ce n’est pas par hasard.

En effet, comme supposé plus haut, l’intérêt financier n’est pas des moindres. « Ne soyons pas

hypocrites, affirme Bertrand d’At. En tant que directeur, je sais très bien que “le Lac”

appâtera les spectateurs qui sont en attente d’un grand ballet classique. D’abord parce qu’ils

connaissent l’histoire, ensuite parce qu’en ces temps de « petites formes », ils ont envie de

voir du monde sur scène, du spectaculaire »2. Il s’agit là d’une réalité concrète qui oblige

malgré elle à réinterroger une programmation pour les diffuseurs ou à envisager d’autres

modalités de créations pour certains chorégraphes. Par exemple, Bertrand d’At, directeur de la

1M. KELEMENIS, Comment faire danser Cendrillon [en ligne], Disponible sur : < http://www.kelemenis.fr/spip.php?article532 >, (consulté le 08/04/11). 2A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 17.

Cendrillon, Michel Kelemenis © Vincent Leprelse

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danse du Ballet du Rhin, affirme que sa relecture du Lac lui permet de rééquilibrer son budget

mais aussi de fidéliser le public. En effet, un public conquis sera plus enclin à revenir voir une

création contemporaine dont le financement est alors rendu possible par le succès de la

réinterprétation du ballet classique.

Enfin, la question des relectures permet de mettre au jour un certain patrimoine et de

redonner une couleur plus actuelle au répertoire classique. Cependant, il est nécessaire de

remarquer que ce phénomène est rendue possible par la conservation de ce répertoire. En

effet, le ballet classique a pris récemment conscience de l’importance du répertoire dans le

sens où chaque œuvre est singulière et « indétrônable ». L’idée est donc d’effectuer un retour

en arrière conséquent pour remonter les ballets dans la conscience de leur époque de création.

La relecture des ballets classiques est quelque peu rendu possible par cette volonté très ferme

de conservation des chorégraphies classiques par la transmission du répertoire. En effet,

comme ces œuvres sont conservées, leurs relectures ne semblent pour la plupart pas altérer

l’originelle. Cette connaissance apportée par le respect du patrimoine permet la création de

pièces contemporaines qui ne portent en aucun cas atteinte au Lac des Cygnes initial ou à la

Giselle classique. Si auparavant, s’instaurait un effet d’accumulation, en ce sens que la

production de pièces chorégraphiques ne s’effectuait pas nécessairement dans une continuité

sans se préoccuper de ce qui avait déjà été fait, de nos jours, il y a une réelle conscience du

passé, et les relectures sont créées, la plupart du temps, après une recherche historique sur le

ballet original.

1.2.3 Etude de cas : 6 Giselles1

Cette pièce contemporaine, créée le 7 avril 2010, au Centre national de la danse à Pantin

est l’objet d’une commande du Ballet National de Marseille (BNM) à Olivia Grandville. Cette

chorégraphe a reçu une formation à l’école de l’Opéra de Paris qui lui a permis de faire partie

du corps de ballet, puis elle rejoint, dès 1989, la compagnie de Dominique Bagouet. Son

travail s’intéresse à la dimension polysémique de la danse. Pour le BNM, elle signe une pièce

qui met en jeu des références du ballet romantique. Elle a envisagé cette œuvre comme

l’occasion de mélanger le vocabulaire classique à sa gestuelle contemporaine.

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue à l’Opéra de Marseille le 23 avril 2010.

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6 Giselles, Olivia Grandville

© Pascal Delsey

Le titre énonce clairement le lien avec le ballet romantique. Giselle est, en effet,

l’emblème romantique du répertoire classique, c’est sans doute l’héroïne la plus populaire. Le

choix n’est pas anodin puisqu’Olivia Grandville travaille sur l’idée de corps de ballet et donc

questionne la tradition à travers un langage contemporain : « Au départ une commande :

travailler à partir d’un vocabulaire classique et utiliser la pointe. Pour moi une gageure que

d’avoir à retraverser cette technique, à accepter d’en remettre en jeu la forme très spécifique

de virtuosité sans faire de concessions quant aux qualités de mouvements et de présences que

je défends, et ce malgré cette tension verticale que génèrent inévitablement la pointe et

l’entraînement quotidien lié à cette pratique »1. Comme indiqué précédemment, la commande

a été à l’origine de ce métissage. L’envie d’Olivia Grandville s’est donc portée sur une mixité

modérée et bien équilibrée. L’enjeu étant bien évidemment de prendre une référence

historique de la danse classique dont les éléments romantiques sont largement représentatifs :

tutus blancs et chaussons de pointes. Ces deux

accessoires sont insérés dans la pièce plus de manière

poétique que pour développer des prouesses techniques.

Outre ces caractéristiques, la chorégraphe a choisi de

conserver l’image du solo de Giselle finissant le premier

acte du ballet original. Il s’agit du moment où l’héroïne

se meut dans l’espace, traversée par un moment de folie

unique dans l’histoire du ballet dont l’intensité

dramatique a été rarement égalée. L’intérêt d’Olivia

Grandville pour cette scène s’est porté sur la tradition

pantomimique du romantisme dansé. De plus, la perte

de raison de la jeune héroïne pose nécessairement

question et inspire la chorégraphe. « Dominée et rendue

folle par sa passion amoureuse, elle est condamnée à

devenir cette figure féminine fantômatique et séductrice, qui hante l’imaginaire masculin du

19e siècle (et au delà…) à l’aube de la découverte de l’inconscient et de la psychanalyse »2.

1O. GRANVILLE, 6 Giselles [en ligne], Disponible sur : < http://www.ballet-de-marseille.com/spip.php?rubrique344 >, (consulté le 10/04/11). 2 O. GRANVILLE, 6 Giselles d'Olivia Grandville les 23 et 24 Avril à l'Opéra de Marseille [en ligne], Disponible sur : < http://www.mecenesdusud.fr/blog/index.php?post/2010/04/6-Giselles-d-Olivia-Grandville-les-23-et-24-Avril-%C3%A0-l-Op%C3%A9ra-de-Marseille >, (consulté le 10/04/11).

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6 Giselles, Olivia Grandville

© Pascal Delsey

Ici, Olivia Grandville fait référence aux wilis1, figures emblématiques du romantisme

(définition donnée à la sous partie 1.2 de la postface).

Olivia Grandville décline sa Giselle, à l’image de Thierry Malandain qui multiplie son

cygne agonisant, en six danseuses. Les interprètes arrivent en scène sur pointes et entrent

ensemble à l’image du corps de ballet classique. Les déplacements d’ouverture, uniquement

sur pointe, rythment le début. Elles exécutent des pas classiques, assez simples (échappés,

développés, battements, dégagés, ronds de jambe, etc.) mais de manière très saccadée. Sans

artifices, sans fioritures, ni lyrisme, les mouvements sont assez nets et secs. Le projet du corps

de ballet classique (apporter un ensemble scénique autour des premiers danseurs) est

transposé par l’exacerbation des positions arrêtées. L’intention ne va pas au-delà du geste. Ces

6 Giselles, pointes aux pieds, sont tout de même vêtues de

façon assez moderne : haut à capuche et shorts courts blancs.

Au fil de la pièce, le langage classique devient contemporain

et l’écriture chorégraphique tend vers l’abstraction à tel point

que la chorégraphe laisse une large part d’improvisation à ses

danseuses. Peu à peu, le plateau scénique se modifie en un

vaste salon d’essayage, chacune s’habillant et se déshabillant

selon les vêtements qu’elle trouve : aux costumes folkloriques

se mêlent les tutus blancs (courts et longs), tandis que des

vestes presque trop masculines s’imposent sur des jupes. Le

chausson de pointe n’est plus exclusif, certaines sont pieds

nus. Elles se laissent gagner par la folie et l’hystérie au fur et à

mesure qu’elles se vêtissent et se dévêtissent, comme si chaque tenue supplémentaire

confortait l’état de crise des Giselles. La fin de la pièce sonne comme un unisson. Les

danseuses, en débardeur et shorty blanc, retrouvent un ensemble beaucoup plus brutal que le

début de la pièce. La chorégraphie est alors tout à fait contemporaine, les mouvements jouent

sur les déséquilibres et le travail du poids du corps. Les appuis sont beaucoup plus ancrés dans

le sol. Dans cette transition vers la folie, les danseuses passent d’une gestuelle classique à une

gestuelle très contemporaine. Les deux sont mêlées lorsque chacune déambule sur scène pour

s’habiller ou se déshabiller avec les vêtements déposés sur le sol.

Ici, Olivia Grandville a choisi d’axer sa pièce sur ce qui a l’époque de la création de Giselle

était une véritable révolution dans un spectacle de danse : la folie de l’héroïne. Le caractère

1 Jeunes filles qui se retrouvent transformées en fantôme pour avoir trop dansé.

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narratif, n’est pas du tout repris, ni même l’objet de sa perte de raison. L’esthétique classique

se mêle donc à l’esthétique contemporaine. Elle abandonne la musique originale pour un

montage signé Olivier Renouf dont la composition s’appuie sur Antonio Vivaldi, Henry

Cowell, Salvatore Sciarrino, Francis Poulenc, George Crumb, Domenico Scarlatti et PJ

Harvey. Le résultat dure une demi-heure et n’a pas été très bien reçu par quelques critiques :

« Quant à la pièce d’Olivia Grandville, elle débutait avec génie – ah ces filles en survêt

traversant sur pointes la scène – puis se perdait un peu en longueurs, et en références drôles,

mais pas exemptes, bizarrement, de clichés féminins (importance du déguisement, de

l’habillage/déshabillage, de l’échevelé…) »1. Voici, ici, une critique caractéristique qui ne

s’est pas souciée de mettre en perspective 6 Giselles avec l’histoire de la danse et qui est

restée en surface de la pièce. Et si « les clichés féminins » associés à Giselle n’étaient pas là

pour dénoncer un état sociétal, qui conditionnant les femmes actuelles, les plongerait dans une

folie (dépensière, hystérique, ridicule, etc.) ? Dans la salle, les connaisseurs ont su reconnaître

la folie de Giselle, mais, à l’évidence, ces derniers connaissent l’objet du ballet originel. Dans

une relecture telle que celle-ci, le piège est en effet que les références soient réservées à des

connaisseurs et qu’elles soient peut-être mal comprises par les autres. Mats Ek, avec sa

Giselle, a en revanche moins pris de risques. Il a conservé l’idée de la narration mais

transpose l’histoire. Le second acte de Giselle ne se déroule pas dans un cimetière, comme il

est d’usage dans les versions traditionnelles, mais dans un asile psychiatrique de femmes : les

malades en chemise de nuit et les infirmières en blouse blanche sont les wilis du XXème siècle,

et l’intraitable infirmière en chef, leur reine. Cette Giselle, réactualisée, a sans doute beaucoup

plus séduit le public, puisque narrative et par ce biais-là, peut-être plus accessible.

Conclusion

« Un grand ballet classique n’est pas un bibelot que l’on range sur une étagère pour

l’admirer sans y toucher. Il exige d’être pris en main, épousseté, tourné et retourné sous

toutes les coutures : comme héritage et comme actualité ; par les danseurs et par le public »2.

Dans son propos, fort de sens, Rosita Boisseau exprime ce qui vient d’être démontré. En effet,

1 C. BOURGUE, A. FRESCHEL, « Le Ballet National n’en finit pas de danser… », Zibeline, n°30 – du 20/05/10 au 17/06/10, Zibeline SARL, p. 28. 2 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9.

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un ballet classique fait partie du patrimoine culturel de la danse. En aucun cas, il ne faut

l’exclure des réflexions actuelles. Il permet non seulement de mettre en regard un passé avec

un présent, mais aussi de dégager des œuvres des problématiques et questionnements sous-

jacents ou inexploités. Ces œuvres sont nécessairement fortes de sens, puisqu’elles revisitent

la tradition et la transpose dans un monde actuel. Chaque chorégraphe y déchiffre ce qu’il voit

selon son expérience, sa sensibilité, sa formation, etc… La création faisant l’objet d’une

relecture questionne également les danseurs, puisqu’ils sont aussi concernés par ce retour en

arrière. Le public, qui n’est en aucun cas homogène et qui n’a pas les mêmes références, doit

jouer avec ses connaissances. L’idée de relire une œuvre du répertoire implique

nécessairement ce genre de questionnements, même si parfois ce retour au passé peut se faire

par méconnaissance. Cette alliance permet également de mêler les techniques. Certaines

pièces sont entièrement contemporaines comme Le Lac des Cygnes de Raimund Hoghe ;

d’autres oscillent entre classique et contemporain, prévalant aux chorégraphes d’être assimilés

au néoclassique, comme Thierry Malandain et sa Mort du Cygne ; tandis que d’autres

composent leurs œuvres avec des coupures ou des évolutions du classique vers le

contemporain comme Olivia Grandville et ses 6 Giselles, etc. Là encore, l’idée de relecture

pourrait être soumise à réflexion car la chorégraphe n’a pas gardé le titre originel de la pièce,

cependant le thème, et le personnage de Giselle est démultiplié en six danseuses. Le projet de

relecture semble totalement opérant, ce qui n’aurait pas été le cas si la pièce avait eu un nom

complètement éloigné du ballet original et si la chorégraphe ne s’était pas clairement basée

sur le ballet classique.

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Chapitre 3 : Les pièces contemporaines qui empruntent à la

danse classique

Introduction

Les relectures suscitent beaucoup plus le métissage entre tradition et modernité que les

créations contemporaines. Comme évoqué plus haut, elles imposent des contraintes même si

l’œuvre finale ne reste pas aussi libre qu’une pièce inventée dans l’élan d’inspiration du

chorégraphe.

A la lecture du premier chapitre de cette partie, il est évident que la danse

contemporaine englobe de multiples formes. Ces dernières ont ainsi pour habitude

d’emprunter des caractéristiques à d’autres domaines ou d’autres genres chorégraphiques. La

danse est devenue danse-théâtre, elle a profité des apports des arts plastiques ou vidéos pour

modifier l’espace scénique, elle s’est essayée à la fusion de la danse africaine et de la danse

contemporaine, elle s’est même confrontée aux arts martiaux. Les relectures ne sont donc pas

les seules chorégraphies qui laissent place à la danse classique dans leurs compositions.

Aujourd’hui de nombreux chorégraphes contemporains usent d’éléments techniques,

vestimentaires ou musicaux pour mêler leur esthétique à celle de la danse classique. Certaines

caractéristiques soulignent l’intérêt de nombreux artistes pour la tradition, tandis que d’autres

font le choix d’emprunter à l’esthétique classique pour compléter tout simplement le sens de

l’œuvre, ou pour user de références qui ne sont pas véritablement opérantes en danse

contemporaine.

Dans ces formes d’œuvres, la personnalité du chorégraphe joue également beaucoup :

parfois, il se dégage un réel intérêt pour la danse classique puisque certains d’entre eux se sont

déjà consacrés à réaliser des relectures de ballet du répertoire. Comme dans ces dernières, les

créations sont nécessairement personnelles, et à chaque chorégraphe, il existe de nouvelles

formes quasiment à chaque fois. Comment les artistes puisent-ils dans les ressources

classiques sans faire des relectures de ballet ? Quel bénéfice en retire la danse

contemporaine ?

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1.3.1. Par quels moyens le classicisme s’intègre-t-il dans les pièces de danse

contemporaine ?

Il y a divers moyens qui permettent de mettre en œuvre le métissage entre classique et

contemporain car l’origine du mélange n’est pas récente. En effet, même si la danse

contemporaine s’est au départ positionnée en rejet de la tradition, elle s’est par la suite

rapprochée dans certaines périodes ou par certaines techniques (cf. sous partie 2.2 de la

postface : Merce Cunningham qui se sert de la technique classique pour son travail de jambe).

A l’image de l’impulsion des relectures qui a eu lieu dans les années 80, les chorégraphes

coordonnant la danse classique et la danse contemporaine se sont multipliés, l’idée étant de

s’adresser à l’œil et à l’émotion mais aussi à l’esprit.

Les chorégraphes choisissent parfois délibérément de prendre certaines références

dans la danse classique tandis que d’autres s’en inspirent pour jouer sur d’autres symboliques

(la féminité, la figure de la ballerine, la beauté masculine, etc.). Dans ces catégories d’œuvres

on retrouve ainsi Angelin Preljocaj, Michel Kelemenis, Thierry Malandain, Maguy Marin

mais aussi d’autres chorégraphes dont l’emprunt au classique ne semblerait pas évident de

prime abord comme Jérôme Bel ou encore Frédéric Flamand. Plusieurs possibilités et

propositions permettent de réaliser le rapprochement entre classique et contemporain comme

la composition de la pièce chorégraphique, la musique utilisée, l’appel à l’inconscient

collectif, la participation de danseurs à la formation classique ou la volonté de démontrer des

conventions classiques.

La composition de la pièce chorégraphique est un des premiers éléments qui semble proche de

l’agencement d’un ballet classique. Ce dernier débute souvent par une scène d’exposition tel

un bal où la plupart des danseurs et du corps de ballet se retrouvent sur scène, il présente

toujours un solo du héros et de l’héroïne, et un ou plusieurs pas de deux. La finale est

également récurrente, c’est la dernière partie du ballet classique. Angelin Prejlocaj avec son

Blanche Neige1, s’est amusé à jouer avec les codes de la danse classique car pour lui ces

caractéristiques lui permettaient d’instaurer un autre sens à son œuvre. Il reprend donc l’idée

de bal dans une scène d’exposition qui surélève Blanche Neige et son père. Au dessous, les

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 1er mars 2009 à Odyssud (Blagnac).

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danseurs sont alignés en quatre colonnes : ils dansent. L’héroïne et son père les regardent. Ici,

Angelin Preljocaj règle des conventions qui rendent compte d’un certain ordre social et d’un

certain ordre politique (à l’image du ballet de Cour). Comme dans le ballet classique, il met

en avant les personnages principaux en les surélevant mais, par cette configuration scénique,

il dénonce peut-être aussi l’ordre social dont les fossés sont de plus en plus contrastés.

Blanche Neige permet sans doute plus facilement ce genre de composition puisque c’est un

ballet narratif. En effet, le chorégraphe a tenu à mettre en image le conte des frères Grimm et

à en donner une vision beaucoup moins édulcorée que celle de Walt Disney. Il s’est

volontairement enfermé dans la contrainte de respecter l’histoire et d’y être fidèle du début à

la fin de sa création. C’est pourquoi l’inspiration de codes du ballet classique semble plus

directe. En effet, la construction du conte permet une composition chorégraphique qui

commence par une scène d’exposition, qui suscite la juxtaposition de plusieurs tableaux, qui

participe à l’élaboration de duos entre les deux amants et qui se termine par un ensemble final.

La narration semble donc parfaitement s’adapter aux conventions de création d’un ballet

classique. Peut-être qu’Angelin Preljocaj ne s’est pas obligatoirement calqué au modèle des

ballets classiques mais dans tous les cas, son Blanche Neige est composé de manière très

proche de cette conception.

La musique peut permettre de faire référence au ballet classique mais, comme la sélection

d’une composition ou d’une narration, ce

choix peut paraître totalement subtil. En

effet, certains artistes insèrent des

morceaux ou un ensemble de musiques qui

ont fait les beaux jours des ballets

classiques. Par exemple, Disgrâce de

Michel Kelemenis débute sur la musique de

Tchaïkovski du Lac des Cygnes. Ceci

étonne les artistes : « Comme chacun

précédemment, ils s’étonnent de l’entrée en

matière musicale, le final d’orchestre du Lac des cygnes, et de la présence de figures

hautement signifiantes »1. La gestuelle n’est pas sans rappeler l’allure dramatique du Lac,

quand les danseurs, un à un s’affaissent sur le sol.

1 M. KELEMENIS, Journal de Disgrâce [en ligne], Disponible sur : < http://www.kelemenis.fr/spip.php?article497 >, (consulté le 12/04/11).

Disgrâce, Michel Kelemenis © Agnès Mellon

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Frederic Flamand s’est aussi plongé dans le répertoire classique pour chorégraphier une partie

de Métamorphoses1. A la musique originale de La Mort du cygne, il ajoute à gauche de la

scène un élément suspendu rond. A ce moment-là de la pièce, cette suspension permet la

diffusion simultanément à la musique, d’une archive vidéo présentant le solo original

classique. Les danseuses entrent sur scène avec des chaussures à talons, elles portent des

tuniques de couleur chair. Leurs jambes sont nues, elles sont dépouillées de tout artifice, à tel

point que le regard du spectateur ne se pose que sur leurs talons. Ici, le moment de grâce

s’installe pendant un court instant, il met en exergue la féminité dans toute sa splendeur et sa

douceur.

La danse classique ne fait pas seulement irruption de manière discrète dans les pièces

contemporaines. En effet, parfois certains chorégraphes optent pour des éléments qui touchent

directement l’inconscient collectif. Le chausson de pointe est de nos jours une référence

presque symbolique de la danse classique. Il est entré dans les représentations. Il est même

l’emblème avec le tutu de la danse classique. Ce dernier est donc tout naturellement réutilisé

en danse moderne et beaucoup de chorégraphes se jouent de son

image et l’intègre dans leurs créations. Frédéric Flamand laisse

par exemple ses danseuses, toujours dans Métamorphoses,

s’aventurer sur scène avec des pointes. Michel Kelemenis s’est

également amusé à créer une pièce, TATTOO, pour le Ballet

National de Marseille en 2007, où les danseuses portent des

chaussons de pointes verts. Par le costume gris sombre, qui

laisse apparaître toutefois quelques bribes de couleur vert clair,

le chorégraphe a choisi de mettre en avant le chausson en le

dénaturant et le démystifiant. Le costume peut également

prendre part dans certaines pièces contemporaines. Par exemple,

le tutu court est souvent repris et détourné : c’est notamment le

cas dans La Tentation d’Eve de Marie-Claude Pietragalla qui ne le vêt qu’à moitié (c'est-à-

dire qu’elle porte juste le plateau et ne couvre pas le haut de son corps avec le justaucorps) ou

qui le tient sur sa tête.

La matière du corps est aussi une manière de revenir à la danse classique. Angelin Preljocaj

s’est donc essayé à travailler avec des danseurs issus d’une formation totalement classique. Sa

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 14 octobre 2010 à l’Opéra de Marseille.

TATTOO, Michel Kelemenis

© Agnès Mellon

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dernière création, Suivront mille ans de calme1, mêle ses propres danseurs et des interprètes

du Bolchoï. Une première pour le chorégraphe dont les possibilités en termes de création sont

démultipliées. Le mélange des techniques et des technicités lui offre une matière exploitable

très dense. Il met en œuvre une chorégraphie très physique et parfois même impressionnante

rendue possible par la virtuosité des

danseurs. A la demande du Bolchoï,

Angelin Preljocaj s’était rendu dans

ce temple de la danse classique pour

transmettre une œuvre de son

répertoire. Mais lors de sa rencontre

avec les danseurs, le chorégraphe a

été fasciné par leur manière de

danser. Il leur a donc proposé de

créer une pièce exclusivement pour

eux. L’enrichissement s’est produit

au-delà de Suivront mille ans de calme puisque les danseurs, que ce soient ceux du Bolchoï ou

ceux de la compagnie française, ont travaillé ensemble.

La technique classique permet donc également de créer à l’image de ce que fait William

Forsythe des ballets totalement contemporains.

Karole Armitage élabore également de nouvelles

formes. Elle aime sortir la technique classique

de ses carcans pour développer un langage

totalement moderne. « Elle affirme sa volonté :

non pas une recherche d’avant-garde, mais

l’utilisation d’une technique vieille de quatre

cent ans pour la mise au jour d’un “ballet

moderne” »2. Rave3 est totalement à l’image du

travail de cette chorégraphe qui n’hésite pas à

changer de style musical (punk, techno, etc.) et à

s’entourer de plasticiens. Le corps est l’objet de

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 17 novembre 2010 au Grand Théâtre de Provence. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 153. 3 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue au Théâtre de Castres lors de l’édition des Extravadanses (festival) de 2004.

Suivront mille ans de calme, Angelin Preljocaj © Michel Cavalca

Rave, Karole Armitage © Laurent Philippe

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tous les possibles, elle le disloque et lui inflige les pires traitements. Associée au Ballet de

Lorraine, elle signe donc une pièce sur mesure aux allures de défilé déjanté ou de concert rock

halluciné. Les mouvements, en boucle, alternent avec des duos étirant les corps de ses

danseuses. Cette chorégraphie est un hymne à la joie de vivre qui a été recherchée et mise en

avant suite au choc du 11 septembre 2001. Joie de vivre qui se traduit par un jeu de couleurs

et de lumières vives dans un mouvement incessant qui rappelle ceux d’un peintre composant

sur sa toile. En effet, les danseurs sont très peu vêtus mais chacun d’entre eux est coloré par

une peinture sur l’ensemble du corps. Rave détourne la technique classique de manière à la

rendre totalement contemporaine.

La danse classique fait aussi une apparition dans certaines pièces contemporaines, notamment

pour mettre en regard le travail d’une danseuse du corps de ballet : Véronique Doisneau1.

C’est une œuvre totalement particulière que Jérôme Bel signe pour une ancienne danseuse de

l’Opéra de Paris. A l’heure de la retraite de cette dernière, il la met en scène dans une forme

inédite. C’est un véritable hommage qu’offre le chorégraphe à la danseuse, lui donnant

l’opportunité d’une confession. En effet, elle parle au public et raconte son histoire au ballet

en expliquant les difficiles conditions scéniques du corps de ballet. Elle est sur le point de

prendre sa retraite. Son monologue est entrecoupé de démonstrations. Le public assiste à une

forme totalement nouvelle : un bilan avant un départ en retraite d’une danseuse qui expose ses

préférences en matière chorégraphique. Certains instants dansés ne sont accompagnés que de

sa propre voix, elle chante la musique. Il y a un moment de la pièce qui est notamment très

marquant, lorsqu’elle reste immobile et enchaîne quelques postures sur scène pendant que

passe la musique du Lac des Cygnes. Elle parle en effet d’une très belle scène dans ce ballet

où l’ensemble du corps de ballet est réuni. Cependant, elle affirme que ce moment est horrible

à effectuer car il implique de gérer de très longues poses afin de mettre en valeur les premiers

danseurs. Ce moment, et cette œuvre en général, procèdent d’une réelle prise de conscience

du travail de corps de ballet et de sa difficulté. Le public est face à une seule danseuse et ne

peut pas s’empêcher de constater que la chorégraphie du corps de ballet est quelque chose de

très répétitif et très ingrat. Véronique Doisneau dégage également l’idée de souffrance du

corps, en ce sens qu’elle suppose l’engourdissement des muscles ainsi que la douleur

provoquée par la stabilité et la durée de certaines positions. Toutefois, le fait qu’elle soit seule

sur le plateau démontre que sans un ensemble cohérent cet enchaînement de mouvement n’a

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vu sur Internet (cf. source dans la Bibliographie).

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aucun intérêt. Il prend réellement forme en tant que décor humain, lorsque c’est un corps de

ballet qui l’exécute.

1.3.2. Quel est l’apport de ces éléments à la danse contemporaine ?

Le métissage entre classique et contemporain remet en jeu certains acquis et codes

hérités puis ensuite rejetés et permet dans un premier temps d’enrichir le vocabulaire des

chorégraphes. En effet, du fait de la diversité des techniques modernes et de la virtuosité de la

danse classique, les modalités d’écriture peuvent être totalement différentes et permettent de

décupler le langage dansé. C’est notamment le cas de Karole Armitage qui associe les pas

classiques à l’énergie moderne tout en faisant éclater les carcans instaurés par la tradition. En

ce sens, elle opère une mise en abyme de la danse classique pour la remettre en question.

C’est donc tout un héritage qui est remodelé et mis à plat.

Chaque chorégraphe décide de manipuler cet héritage, et ainsi ce patrimoine de

manière différente, mais l’intention reste pour la plupart commune. Il est évident que les

artistes contemporains n’ont de cesse d’interroger leur art et de ce fait, reprendre des éléments

de la danse classique semble évident dans cette démarche. Cependant, comme évoqué dans

l’introduction de ce mémoire, la danse contemporaine n’a pas toujours été en accord avec la

danse classique et s’est placée totalement en rupture. Petit à petit, elle s’est donc permis de

réintégrer des éléments techniques, vestimentaires ou de composition pour la remettre en

question. De plus, la danse classique est souvent associée à des « croyances ». Elle joue sur

des figures qui sont encore largement opérantes : la féminité, la beauté, l’élégance, la fragilité,

la grâce, etc. L’idée de certains chorégraphes repose sur ces présupposés liés à la danse

classique. Par exemple, le travail de Michel Kelemenis avec Disgrâce1 est intéressant car il

met en opposition certains clichés pour rendre la grâce masculine. En effet, le clin d’œil du

début à la musique du Lac des Cygnes dans une pièce qui se nomme Disgrâce, mettant en

scène cinq hommes en caleçon noir et chaussettes blanches, joue sur le contraste entre la

grâce dégagée par l’ensemble des ballets classiques et la disgrâce qui peut s’opérer entre cinq

danseurs d’horizons divers. Le chorégraphe pointe là une des particularités de la danse

contemporaine. Celle-ci peut être tellement abordée par diverses techniques que l’association

1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue au Studio/Kelemenis lors de mon stage chez Kelemenis & Cie en première année de Master.

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Véronique Doisneau, Jérôme Bel

© Anna Van Kooij

de cinq danseurs différents peut confondre l’œuvre dans une certaine « disgrâce » et c’est sur

cette infime fragilité que joue Michel Kelemenis.

Ainsi, hormis la multiplication des possibilités d’écritures, l’assemblage et le

croisement des deux esthétiques permettent de remettre en

question à la fois la danse classique et la danse

contemporaine. Ceci passe par des mises à nu de références

pour les réinterroger. L’idée n’est donc pas de mettre en

avant un point plutôt qu’un autre, mais que cette mixité

entre tradition et modernité serve à l’expression du geste et

au langage chorégraphique pour en délivrer de nouvelles

formes. Il est indéniable que la conscience de création des

chorégraphes se porte beaucoup plus sur ces possibilités

d’assemblage. Il y a tout de même un respect des

chorégraphes contemporains envers la danse classique.

Certains ont donc compris l’intérêt de se retourner vers un

passé qui a tout naturellement construit leur danse

d’aujourd’hui. Au lieu de persister sur ce rejet, leur travail

dégage alors le meilleur des apports de la danse classique pour mettre en exergue certaines

références, certains codes inamovibles, et remettre en cause certains présupposés. Par

exemple, la pièce de Jérôme Bel pour Véronique Doisneau est emblématique en la matière. Sa

force symbolique s’est posée au-delà : en effet, Véronique Doisneau, était programmée juste

après le défilé annuel de la compagnie et de l’école de danse de l’Opéra de Paris. Le sens de

l’œuvre a donc été décuplé, car jouée dans l’institution même de la danse classique, juste

après la présentation de l’ensemble des danseurs dont la plupart font partie du corps de ballet.

Dans le respect du travail effectué, cette pièce démontre quand même le caractère ingrat et

invisible du travail d’une interprète au sein du corps de ballet. L’idée n’est sans doute pas de

dénoncer ce système immuable aux ballets classiques, mais surtout de faire prendre

conscience au public que la beauté d’une œuvre classique peut-être due parfois à un travail

infime mais très difficile et que la « gloire » et les applaudissements ne doivent pas être

accordés seulement aux étoiles.

Suivant les catégories décrites dans la partie précédente, force est de constater que la

danse classique n’enferme pas les œuvres contemporaines qui font appel à elle. En effet,

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celles-ci n’ont pas toutes le même objectif : l’idée n’est pas de conforter la danse

contemporaine dans la production d’un académisme qui s’est dessiné sans que le classicisme

s’impose à nouveau. L’intérêt est de pouvoir faire des parallèles et des croisements, entre des

sensations, des techniques, des expressions, des rapports au corps totalement différents. Il y a

différentes manières de composer avec un patrimoine. Les relectures en sont finalement la

forme la plus directe. Indirectement, les artistes actuels peuvent également permettre de

mettre à jour un héritage. Plusieurs points d’entrées comme la musique, la composition, les

danseurs, les costumes, etc. offrent diverses manières de créations, les points d’ancrages

pouvant être tant historiques, que techniques, contextuels, etc., mais ils permettent une

ouverture d’appréhension de l’œuvre beaucoup plus grande. Le but est d’aller au-delà de la

tradition. Le jeu des chorégraphes peut être plus ou moins subtil dans l’insertion de

caractéristiques de la danse classique, cependant,

certaines références peuvent donner un tout autre

sens à la pièce. Encore faut-il avoir les codes de ces

références.

Certaines combinaisons peuvent donner une

toute autre couleur à la pièce. C’est notamment le

cas lorsque la compagnie de l’Opéra de Paris

interprète une œuvre résolument contemporaine.

Brigitte Lefèvre souligne que Le Sacre du

Printemps de Pina Bausch, dansé par les danseurs

de l’Opéra de Paris n’a pas la même texture que la

version donnée par la compagnie de la chorégraphe.

Les danseurs classiques donnent une autre fraîcheur

à la pièce, puisque formés à dominante classique, ils

interprètent nécessairement de manière différente

cette pièce que les propres danseurs de la compagnie de Pina Bausch. La matérialité de leur

corps peut donner donc une autre ampleur à ce Sacre du Printemps. La transmission de cette

pièce au répertoire d’une compagnie classique signe bien l’intérêt de métisser classique et

contemporain.

Au-delà de querelles initiées dès le début du XXème siècle, la tradition et la modernité

ne doivent pas s’opposer mais s’unir pour mieux se compléter. La danse est par essence le lieu

de l’éphémère et du vivant, à la frontière d’arts divers (arts plastiques, vidéos, musique, etc.)

il est nécessaire qu’elle retourne parfois à ses origines pour éviter de se perdre, pour pouvoir

Le Sacre du Printemps dansé par le Ballet de

l’Opéra de Paris, Pina Bausch ©Jacques Moatti

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se ressourcer et pouvoir créer de nouvelles formes. Si certains dénoncent le fait que la danse

puisse prendre aujourd’hui des formes trop spectaculaires, d’autres s’en défendent. C’est le

cas d’Angelin Preljocaj, dont le parcours s’établit sans aucun tabou entre la narration et

l’abstraction. L’exemple de Blanche Neige est pour lui une certaine manière de retravailler les

fondements de sa danse, dont le rapport au conte et son intemporalité n’est pas sans rappeler

l’idée d’universalité liée à la danse classique. Cette dernière est parfois donc « boudée » et

sujet à controverse, mais cela n’empêche pas certains chorégraphes plus ou moins populaires

de revendiquer son impact. Marie Claude Pietragalla défend l’apport de la danse classique :

« Le mépris que la France a pour cette esthétique me dérange. C’est notre histoire qu’on

cherche à nier, une exception culturelle qu’on cherche à nier, une exception culturelle qui est

une référence partout à l’étranger »1. La chorégraphe est connue pour ses prises de positions

fermes, mais il n’en reste pas moins, qu’elle n’est pas la seule à revendiquer un héritage dont

chacun peut-être porteur. Ce point particulier est développé dans la partie 2 du mémoire (cf.

2.1.2). La danse classique est tout de même forte de ces quatre cents ans d’histoire, elle fait

partie d’un patrimoine inaliénable et composer avec elle est peut-être une forme d’ouverture

beaucoup plus intéressante que se positionner en rupture avec elle.

1.3.3. Etude de cas : Magifique2, Thierry Malandain

En France, un chorégraphe est très emblématique du métissage entre classique et

contemporain. Son travail suscite beaucoup de réflexion comme évoqué précédemment, il

n’est pas facilement classifiable (partie 1.1.3). C’est un artiste qui est de formation classique,

mais en tant que danseur, il a pu interpréter des pièces contemporaines. Pour lui, le classique

n’est pas une danse figée, à tel point que son répertoire est un joyeux mélange de tradition et

d’éléments de formes actuelles. Ses danseurs affirment que Malandain apporte une ouverture

au vocabulaire classique. Il fait évoluer une position, un costume, un mouvement en fonction

de son temps. Par exemple, ses costumes sont toujours très simples, proches de la nudité, ils

se plient à la faisabilité des mouvements permise par l’acquisition d’une technique virtuose.

Ainsi, le chorégraphe se ne s’arrête pas au langage classique mais se projette au-delà dans des

1 L. GOUMARRE, « Portrait : Marie Claude Pietragalla », Danser, n°274 – mars 2008, DDB Editions, p. 63. 2 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue à la salle Alizé (Muret) le 02 avril 2011.

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Magifique, Thierry Malandain

© Olivier Houeix, Didier Fioramonti

scénographies inventives, des costumes insolites, des jeux de lumières nécessaires, etc. A la

tête du centre Chorégraphique National de Biarritz depuis 1998, Thierry Malandain se défend

donc de ne jamais trahir un héritage. Son objectif est d’amener la danse au plus grand nombre.

Son langage est, indéniablement, beaucoup plus facile à appréhender et beaucoup plus lisible

pour certains publics, notamment les novices.

Il signe Magifique en 2009 pour dix huit danseurs. C’est une commande de l’Opéra de

Saint-Etienne. Cette pièce, outre une technique classique très poussée mais aussi réadaptée à

la manière de l’artiste, est chorégraphiée sur une musique qui fait directement référence aux

grands ballets classiques. En effet, Thierry Malandain choisit d’évoquer son enfance à travers

les compositions de Tchaïkovski. Ce dernier a signé les notes de trois ballets de référence :

Casse Noisette, La Belle au bois dormant et Le Lac des Cygnes. Magifique est donc composé

sur ces trois suites de Tchaïkovski. C’est une sorte de « best-of » de chacun des ballets, mais

en aucun cas l’œuvre de Thierry Malandain n’a pour but de donner à voir un extrait de ces

trois ballets classiques. Toutefois, la musique prend

une place prépondérante dans cette pièce car le

chorégraphe l’a découverte pendant son enfance : quoi

de plus enchanteur que les compositions de

Tchaïkovski pour l’imaginaire enfantin. Petit, il s’est

donc laissé emporter par ces notes de musique : les

princes côtoyaient les princesses, les forêts sombres

renfermaient des animaux maléfiques, etc… La

musique est alors une matière, un point de départ pour

une œuvre qui finalement n’est pas vouée à la

mémoire des trois ballets classiques. C’est sa mémoire

personnelle qui, en revanche, lui permet de faire

référence aux ballets, tout en les détournant grâce à ses

souvenirs d’enfance. La barre de l’échauffement classique à l’ouverture du rideau trône au

milieu de la scène, juste devant un grand miroir qui par la suite deviendra mobile. Ces deux

instruments indispensables à l’apprentissage de la danse classique sont le prétexte de jeu et

d’échange entre les danseurs. Peu à peu, la barre devient le lieu d’un baiser amoureux (peut-

être Aurore et son prince) ou se replie à la manière d’un ring de boxe. Le chorégraphe

s’amuse même à détourner le pas de deux classique en l’écrivant pour deux hommes. Les

costumes sont d’ailleurs asexués, de couleur chair, ils font naturellement appel à la nudité. La

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Magifique, Thierry Malandain

© Olivier Houeix, Didier Fioramonti

scène devient le lieu d’une succession de souvenirs que la gestuelle de Thierry Malandain

vient sublimer ou, en tout cas, éclairer.

Pure, simple, limpide, il projette ses

mouvements au-delà de la gestuelle

classique mais il ne s’y restreint pas car il

la mêle à des propositions nettement

contemporaines. Il ne cherche pas la beauté

du geste, mais sa juste parole, s’inspirant de

la matière brute de la vie pour en dégager

des formes expressives et créatives. Le

corps des danseurs semble soumis à tous

les possibles, la virtuosité technique permet des prouesses empreintes de poésie. Ce ballet est

un jeu grandeur nature, il s’amuse de la barre mais aussi des miroirs pour cacher ou

démultiplier l’image des interprètes. La modernité de cette pièce relève aussi de ces

références aux ballets dont la musique envahit la scène. Le fameux pas de quatre du Lac des

Cygnes est dansé par quatre hommes dont seuls les pieds sont visibles au dessus d’un caisson

et bougent sur le rythme de la musique. Le baiser d’Aurore, La Belle au bois dormant, a lieu

sur la barre d’échauffement, tandis qu’Odette (Lac des Cygnes) déploie une gestuelle des

jambes en appui sur ses coudes.

Magifique fourmille donc de références à la danse classique : musique, ballets,

gestuelle, barre et miroir, etc. Toutefois, Thierry Malandain pousse sa chorégraphie pour faire

éclater les carcans de la danse classique. Il n’hésite pas à détourner les ballets traditionnels

avec une nette touche d’humour. Il permet aux corps de ses danseurs de transcender la

musique de Tchaïkovski. Il s’amuse de son rêve de petit garçon et fait défiler ses interprètes

comme lors du défilé de la compagnie et de l’école de l’Opéra de Paris. Parallèlement,

l’énergie déployée est très contemporaine quel que soit le mouvement, qu’il soit classique ou

contemporain. Le geste est respiré et s’étend au-delà des corps. Ces corps qui, comme en

danse contemporaine, ne sont pas homogènes : grands et petits se côtoient sur scène, tandis

que les danseuses ne sont en aucun cas à l’image de la ballerine filiforme mais sont des

femmes actuelles, contemporaines. Par ailleurs, son travail est réalisé sur l’instant, il

improvise les mouvements que les danseurs reproduisent, en ce sens que sa chorégraphie n’est

pas déjà écrite lorsqu’il va travailler avec ses interprètes. Cette pièce s’inspire de faits

enfantins mais ne raconte pas nécessairement l’histoire de son enfance, par des bribes

d’images qui parlent à chacun : course poursuite, parties de cache-cache, jeu avec les barres,

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etc. Thierry Malandain signe ainsi une chorégraphie qui parle à chacun, qui fait appel à

l’imaginaire de son public, ce dernier ne doit pas nécessairement reconnaître les références

utilisées. Cependant, celles-ci permettent tout de même de mettre à nu et de réinterpréter un

patrimoine, pour celui qui en détient les clés. Le public ce soir-là est ravi1. Certains soulignent

la rigueur classique, tandis que d’autres s’attachent à l’inventivité du chorégraphe.

L’exemple de cette œuvre souligne bien la confusion qui peut régner dans sa

qualification. En effet, certains spectateurs ont « surtout apprécié la technique classique car

elle suppose une rigueur que l’on ne retrouve pas dans la danse contemporaine »2. Comme

expliqué plus haut, la classification d’une œuvre comme Magifique relève d’une grande

difficulté. Le public, ce soir-là, a assimilé ce qu’il a vu à du classique ou néo-classique, parce

qu’il s’est positionné sur une technique et une esthétique du mouvement qui est, en effet, très

proche du classique. Pourtant nombreux sont ceux, Thierry Malandain le premier, qui

défendent l’association du style du chorégraphe au néo-classicisme. Lors de cette

représentation, trois pièces étaient présentées. Force est de constater que les spectateurs ont vu

une danse très académique mais aussi très contemporaine, notamment dans L’Amour sorcier.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut associer de manière directe les deux autres pièces à la

danse classique ou néoclassique ! Cet exemple montre bien la complexité des formes qui

empruntent à la danse classique, d’autant plus que Thierry Malandain sublime souvent la

technique classique.

Conclusion

Le mélange entre classique et contemporain donne nécessairement et

incontestablement une multitude de formes. La modernité peut être développée de manière

très différente, à tel point qu’elle tisse sa toile aux confins de plusieurs arts et de plusieurs

techniques. Le langage dansé s’en retrouve épanoui, décuplé, inventif et créatif. Pour ce qui

est du métissage entre classicisme et contemporanéité, certains s’accordent à dire que les

formes qui en découlent restent toutefois très académiques. Cependant, comme énoncé plus

haut, ce fort retour à l’académisme ne s’est pas opéré par hasard et touche de nombreux

1 Magifique (2009), La Mort du Cygne (2002) et L’Amour sorcier (2008), salle Alizé, Muret (Haute Garonne), le 02 avril 2011. 2 Propos d’une spectatrice lors de la représentation du 02 avril 2011.

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chorégraphes encore aujourd’hui. D’autres problématiques se soulèvent quand la danse

contemporaine touche à l’univers classique, en ce sens que réintégrer des éléments tels que la

musique, les mouvements, les costumes, etc., participent à remettre un patrimoine au goût du

jour et à en réinventer les limites ainsi que les possibilités. L’existence de ces formes

démontre que de nombreux chorégraphes opèrent un retour en arrière, non seulement pour

prendre conscience d’un passé technique, mais aussi pour mieux pouvoir appréhender la

danse d’aujourd’hui. L’idée est de s’imprégner du passé pour mieux le conjuguer avec le

monde actuel et mieux le transmettre aux générations futures. Car il s’agit bien de cela

aujourd’hui. La danse contemporaine cherche à laisser sa trace et dépasser son caractère

éphémère : certains chorégraphes, chacun à leur manière, ont donc pensé à la suite comme

Dominique Bagouet, Pina Bausch, Merce Cunningham, Maurice Béjart pour les disparus, ou

Angelin Preljocaj qui, lui, fait noter ses créations. Il y a une vraie prise de conscience du

patrimoine et de ce qu’il peut apporter de nouveau. L’histoire de la danse est ainsi remaniée et

réinventée, les siècles pouvant se rapprocher ou s’éloigner à la guise des chorégraphes. Ceci

confère finalement à la danse un pouvoir puissant de création, puisqu’il y a d’un côté les

artistes qui vont puiser dans le passé tout en étant traversés par des dimensions totalement

contemporaines, et d’un autre côté les chorégraphes qui se défendent d’entrer dans un certain

académisme pour créer en rejet radical de tous les aspects de la scène conventionnelle.

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Conclusion

Il y a donc plusieurs manières de faire référence à la danse classique dans les pièces

contemporaines. Les chorégraphes opèrent des choix qui déterminent nécessairement leurs

créations mais aussi, bien souvent, leur écriture. En réponse à leur quête du mouvement, de la

conscience du corps, du sens du geste, ils se plongent plus ou moins volontairement dans le

bain de la tradition. Le but n’est pas de rester cantonné au passé mais bien évidemment de

servir la danse dans son évolution, de proposer des formes nouvelles. Ces dernières

réinterrogent alors la danse dans sa pratique, dans ses ambitions, dans son regard porté sur le

monde. Ces œuvres qui découlent du métissage entre classique et contemporain peuvent

prendre deux angles différents : elles investissent la scène sous formes de relectures de ballets

classiques, ou elles donnent à voir certains éléments de la danse classique (chaussons,

musique, chorégraphie, narration, etc.). Ces pièces restent pour autant connectées au monde

actuel. Par exemple, la Gisèle de Mats Ek, se retrouve transportée dans un hôpital

psychiatrique tandis que Matthew Bourne transpose son Lac des Cygnes dans un milieu

homosexuel constitué uniquement de danseurs. D’autres prennent le parti de proposer des

univers qui éloigneront le spectateur de son quotidien le temps de la pièce. Magifique est par

exemple, une invitation à un retour en enfance tout comme Blanche Neige d’Angelin

Preljocaj. Ce n’est pas pour autant que ces artistes s’adonnent uniquement à créer des pièces

oniriques. Thierry Malandain se revendique comme étant un artiste conscient du monde qui

l’entoure mais il s’offre parfois l’envie de laisser son public s’échapper de la réalité. Certains

s’accorderaient à dire que cette manière de fonctionner relèverait du divertissement. D’autres

préfèrent voir en ces intentions l’idée d’amener un large public à la danse.

Peut-être que la solution la plus sage serait d’appréhender ces œuvres comme étant

porteuse d’un patrimoine. Elles participent, avec plus ou moins de respect, à réveiller une

tradition. Ce système fait les beaux jours de l’académisme et ainsi de la danse contemporaine

car il suppose une création prolifique. Par rapport à ce phénomène, il est donc intéressant de

se pencher sur ce qu’implique la problématique du patrimoine. De quelle manière cette

régénérescence de la tradition s’opère sur le public ? En quoi la médiation culturelle peut-elle

jouer sur la réception de ces œuvres dans ce processus de « patrimonialisation » et

d’innovation ?

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Partie 2

Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ?

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Introduction

Une réflexion sur les formes chorégraphiques créées à la frontière entre la danse

classique et la danse contemporaine ne peut occulter la question du public. Ce dernier

interroge intrinsèquement des questions liées à la médiation culturelle. Les œuvres traitées

danse ce mémoire n’ont pas toutes des ambitions communes, mais à travers la partie

précédente, il est indéniable que ces dernières entretiennent un rapport plus ou moins direct

avec la notion de patrimoine. C’est un facteur qui mérite donc d’être pris en compte dans la

relation de ces pièces au public et dans leurs possibles médiations. Cependant, ce n’est pas la

seule problématique que soulève le métissage entre classique et contemporain. En effet,

comme évoqué plus haut, ces œuvres supposent des difficultés de classification, pourtant leurs

passages sur scène imposent naturellement aux acteurs culturels d’opérer certaines

catégorisations. Ces dernières ne doivent pas dénaturer l’œuvre mais ne doivent pas non plus

l’enfermer trop hâtivement dans un genre plutôt qu’un autre.

Outre ces interrogations, il est intéressant de se pencher sur la question des publics de

la danse, de mettre au jour leurs pratiques et de voir quels spectateurs seraient les plus

réceptifs à ces formes qui mélangent tradition et modernité. Un travail préalable est ainsi

nécessaire sur la connaissance des publics de la danse mais aussi sur la manière dont se

manifeste leur réception. Cette dernière reste particulière à la danse puisqu’elle met en jeu

autant les sensations corporelles que des modalités d’appréhensions cognitives. Ce passage

mène indéniablement à une réflexion sur la médiation culturelle, et plus particulièrement celle

de la danse. Comment la médiation culturelle peut-elle saisir ces nouvelles formes ? Y a-t-il

un axe particulier à dégager dans le cadre de ces œuvres ? Faut-il spécifier la particularité de

ces œuvres dans leur contribution à faire émerger un patrimoine ?

A l’heure où la danse classique fait les beaux jours de l’Opéra de Paris et de certains

ballets en province, où la définition de la danse néoclassique, toujours présente sur scène

grâce aux mêmes compagnies classiques reste difficile, et où la danse contemporaine a pris

une ampleur considérable, il semble intéressant de mettre en œuvre une réflexion sur la

médiation de ces œuvres qui finalement investissent le lien entre ces trois genres. Comment

peut-elle s’emparer de ces éléments pour instaurer un rapport sensible entre le public et ces

formes ? Faut-il nécessairement évoquer l’actualisation d’un patrimoine ? Autant de questions

qui méritent réflexion…

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Chapitre 1 : Des formes chorégraphiques qui participent à la

patrimonialisation de la danse

Introduction

L’idée qui ressort de la première partie de ce mémoire suppose certaines questions. En

effet, les œuvres traitées dans ce mémoire offrent au public, explicitement ou implicitement,

un regard particulier sur l’histoire de la danse classique. Elles réactualisent un patrimoine qui,

comme le souligne Marie Claude Pietragalla, fait partie intégrante d’un passé commun et

d’une identité commune à la France. Outre ces réflexions, les chorégraphes opèrent un retour

au passé pour réaliser une introspection sur leurs pratiques, cependant les modalités de

création n’en sont pas pour autant réduites et les chorégraphes dispose d’une très grande

liberté par l’assemblage du classique et du contemporain. Comme évoqué précédemment, leur

volonté n’est pas de faire régresser l’évolution mais au contraire de déployer de manière

exponentielle de nouvelles formes qui viennent réinterroger la danse contemporaine.

Actuellement, les réflexions vont également dans le sens de ce phénomène. Ce n’est

pas anodin si Montpellier Danse a programmé une conférence nommé « Le Répertoire à la

pointe du contemporain ? ». De nombreux ouvrages manifestent cette même inquiétude,

tandis que certains auteurs signifient que c’est aussi peut-être le propre de la danse d’être un

art éphémère par excellence. Dans ce cas-là, faut-il aller à l’encontre de cette « fatalité » ? Les

œuvres faisant référence à la danse classique, que ce soient des relectures ou des pièces

contemporaines empruntant des éléments, restent peut-être une possibilité de conserver le

meilleur de l’héritage de la danse.

Il semble évident de traiter de la notion du patrimoine avant de s’intéresser à la

manière dont ces œuvres peuvent contribuer à la patrimonialisation de la danse. Ce point

permettra d’appréhender par la suite la question du public et de la médiation.

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2.1.1 La notion de patrimoine et la question de la patrimonialisation

D’après Agnès Izrine1, la notion de patrimoine s’est développée au début du XXème

siècle. Elle est née en parallèle de l’avènement de la démocratie et de la naissance d’une

classe moyenne. D’autre part, la notion de répertoire existe depuis la seconde moitié du XXème

siècle. C’est donc à partir de ce moment-là que la danse se retrouve dans une perspective

d’ouverture au plus grand nombre.

Le sens du mot patrimoine va se construire petit à petit. Il vient du latin patrimonium

qui signifie « héritage du père ». Cette racine sous-entend l’idée de filiation et de

transmission : « Le patrimoine, au sens où on l’entend aujourd’hui dans le langage officiel et

dans l’usage commun, est une notion toute récente, qui couvre de façon nécessairement vague

tous les biens, tous les “trésors” du passé »2. Cette conception suscite divers degrés de

compréhension et différentes manières de l’envisager. Cet ouvrage consacré à La Notion de

patrimoine indique que cette conception peut être entreprise tant dans le domaine privé que

dans le domaine public. Ainsi, les auteurs consacrent des chapitres au fait religieux, au fait

monarchique, au fait familial, au fait national, au fait administratif et au fait scientifique. Le

patrimoine peut autant être individuel que collectif et consacré à divers objets. Ceci implique

qu’il est aussi bien matériel qu’immatériel supposant alors une prise en compte des biens

artistiques. L’élément déclencheur de cette considération est la Révolution Française. « Le

sens du patrimoine, c’est-à-dire des biens fondamentaux, inaliénables, s’étend pour la

première fois en France aux œuvres d’art, tantôt en fonction des valeurs traditionnelles qui

s’y attachent et qui les expliquent, tantôt au nom de ce sentiment nouveau d’un lien commun,

d’une richesse morale de la nation entière »3. Ainsi, la notion du mot patrimoine ne prend son

sens actuel qu’à partir de la Révolution Française et, avec la Déclaration des Droits de

l’Homme et du Citoyen de 1789 naît l’idée que les biens nationaux appartiennent à tous. Dès

cette période, la création d’une liste des monuments à conserver et à détruire devient

primordiale. Plus tard, sous le Premier Empire, cette prise de conscience s’étend en province

et les préfets sont chargés de lister les monuments notables de leur circonscription et bientôt

l’Etat se superpose aux particuliers pour assurer la sécurité des biens, notamment les

1 A. IZRINE, B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 2 J.P. BABELON, A. CHASTEL, La Notion de patrimoine, Paris, Liana Levi, janvier 1995, p. 11. 3 Ibid., p. 58.

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monuments mais aussi les œuvres d’art. Ces dernières font d’ailleurs preuve de toutes les

attentions puisque c’est également l’époque où naissent les premiers musées. Il y a donc un

réel désir de conservation pour l’intérêt commun, pour les générations futures : la restauration

prend ainsi naissance.

La notion de patrimoine est donc différente selon les pays et les régimes politiques

ainsi que les aléas de l’histoire. En France, aujourd’hui encore, il est implicitement

indispensable de conserver ces biens qui participent à la mémoire collective. Dès 1972,

apparaît avec l’UNESCO la notion de patrimoine mondial. Elle part du principe que les

humains ont des œuvres communes qu’il est capital d’entretenir. Ainsi, « par hypothèse […]

le concept de patrimoine peut s'articuler sous trois rubriques. La première constate ce qui du

passé mérite d'être conservé ; la seconde touche aux motivations qui conduisent à accepter le

passé ou à le rejeter ; la troisième, d'ordre pratique, concerne les modalités par lesquelles le

patrimoine a été progressivement apprécié, conservé et transmis »1. Outre ces

caractéristiques, la notion mérite d’être étendue, notamment lorsqu’elle touche le domaine

culturel. C’est le Conseil de l’Europe qui consacre cette réflexion, avec l’article 2 de la

convention dite de Faro : « Le patrimoine culturel constitue un ensemble de ressources

héritées du passé que des personnes considèrent, par-delà le régime de propriété des biens,

comme un reflet et une expression de leurs valeurs, croyances, savoirs et traditions en

continuelle évolution »2. Celui-ci peut alors être matériel ou immatériel. L’UNESCO œuvre

ainsi en faveur d’un patrimoine vivant et il se dégage donc une véritable conscience que le

patrimoine ne passe pas uniquement par la conservation des bâtiments historiques ou des

tableaux anciens. Il y a une réelle volonté de considérer cette notion, au-delà de la matérialité

des objets, pour envisager un ensemble de caractéristiques qui participent à la culture d’une

nation. La danse est donc nécessairement incluse dans cette considération. La preuve en est

que la notion de répertoire est devenue implicite pour certaines grandes compagnies,

notamment pour l’Opéra de Paris qui se donne pour mission la conservation et la diffusion

d’œuvres capitales du passé. Ce répertoire est donc constitutif d’un patrimoine, celui d’une

compagnie mais aussi celui qui admet la fabrication d’une mémoire collective avec ses

valeurs, ses croyances et ses savoirs. Ceci introduit l’idée d’une transmission dans la tradition

de certains savoir-faire, de certains pas, de certains mouvements, de certains agencements

1J.M. LENIAUD, « Patrimoine, art » [en ligne], Encyclopédie Universalis, Disponible sur : < http://www.universalis-edu.com.rproxy.univ-provence.fr:2048/encyclopedie/patrimoine-art/ > (consulté le 15/04/11). 2 Ibid.

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scéniques, de certaines connaissances, etc. Le patrimoine contribue donc à donner une valeur

pérenne à certains objets. C’est notamment le cas de la danse classique. Elle est, comme le

mentionne Marie Claude Pietragalla, représentative de l’exception culturelle de la France, et

notamment grâce à la compagnie de l’Opéra de Paris, elle fait rayonner la France dans le

monde entier.

Le patrimoine est donc le résultat d’une prise de conscience humaine qui procède

d’une mise en réflexion du passé. Cette considération est tout de même propre au monde

occidental. De plus, elle est réellement le pur produit de l’humanité répondant à certains

besoins. De ce fait les processus de patrimonialisation ne répondent en aucun cas à un besoin

naturel : « Ils ne vont pas de soi. Ils expriment au contraire une affectation collective (sociale

donc) de sens ; laquelle découle d’un principe de convention. Ce dernier traduit un accord social

implicite (souvent territorialisé et institutionnalisé) sur des valeurs collectivement admises ;

témoignage tacite d’une indéniable identité partagée »1. Ainsi, la constitution d’un patrimoine

s’effectue à travers diverses démarches. Aujourd’hui, il y a un véritable engouement pour tout

ce qui est potentiellement patrimonial, à tel point que parfois, c’est la valeur symbolique qui

primera sur la valeur artistique de l’objet. Auparavant, certains critères entraient en compte

comme des canons esthétiques, des prouesses techniques, des contextes évènementiels, etc. La

crise de la modernité a donc enclenché le phénomène de patrimoine : « Pour qu’il y ait

patrimoine, il faut donc des processus (sociaux au sens complet du terme) de patrimonialisation,

soit des modalités bien précises de transformation d’un objet, d’une idée, d’une valeur en son

double symbolique et distingué, raréfié, conservé, frappé d’une certaine intemporalité (même s’il

est daté, paradoxe ?), soigneusement sélectionné… »2. Ainsi, certains facteurs, plus que d’autres

permettent de mettre au regard des éléments actuels avec un passé. La danse contemporaine peut

alors participer à la patrimonialisation de la danse au regard de cette citation.

1 G. DI MEO, « Processus et construction des territoires » [en ligne], Disponible sur : <http://docs.google.com/viewer?a=v&q=cache:8YLxS6JOChgJ:www.ades.cnrs.fr/IMG/pdf/GDM_PP_et_CT_Poitiers.pdf+patrimonialisation&hl=fr&gl=fr&pid=bl&srcid=ADGEESipGXIfj-_fFktoHLBUMFYwQWDvHVGZmdc8NtfBks846M4lG1uA2oujpie6aoHTe3nSY7gUmSmVkWHcHNwXfwqjmIq1vqnfdNmgnJZ2pqSpQI3Acx_O-im_GUOYlHaR7tlBEKZI&sig=AHIEtbRYfNve2Ik-a3EF80mKRobgLr1aWg >, (consulté le 18/04/11). 2 Ibid.

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2.1.2 La danse contemporaine : une ouverture et une actualisation du

patrimoine chorégraphique

« La juxtaposition des différentes pièces classiques et contemporaines solidarise une

chaîne qui remonte le temps et ouvre une page de l’histoire de la danse. Plus question de

simplement connaître ses références : il s’agit de les vivre en direct, de les manipuler aussi

sur l’écran de son imagination. Le patrimoine devient alors une valeur sensible à savourer au

présent »1. Rosita Boisseau dans son Panorama des ballets classiques et néo-classiques pose

ainsi l’idée que la danse se donne au présent et se vit sur l’instant, n’échappant pas, toutefois,

à cette ferveur patrimoniale. Si pendant quelques temps le public français s’est totalement

désintéressé des œuvres du passé chorégraphique, la tendance s’inverse dès la moitié du

XXème siècle. Comme évoqué plus haut, le répertoire et sa transmission deviennent même les

préoccupations des chorégraphes contemporains qui cherchent à préserver leurs créations par

tous les moyens. La danse participe alors à la constitution d’une mémoire. « L’accélération du

temps, la vitesse, les mutations rapides qui sont le propre du XXème nous ont sans doute incités

à nous pencher sur notre passé avant qu’il ne soit trop tard »2. En parallèle, un nouveau

concept, dû à la naissance du Ministère des Affaires Culturelles en 1959, sous l’impulsion

d’André Malraux, apparaît. Il développe l’idée de démocratisation culturelle3 qui implique la

mise en avant d’œuvres de référence dont la visibilité doit être la plus large possible. Elles

doivent donc être portées sur scène au plus grand nombre. La pérennité des ballets est donc

devenue nécessaire : « Comme si le fameux « devoir de mémoire » avait envahi tous les

secteurs de notre société, et que la danse, longtemps considérée comme l’art de l’éphémère,

se devait brusquement de conserver ses traces ou de regarder en arrière »4. De plus, la danse

a souvent été considérée comme étant un art mineur. Ce n’est qu’à partir de 1981 qu’elle va se

poser en tant qu’art majeur, reconnue par l’institution.

1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9. 2 A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 53. 3 Démocratisation culturelle : Notion, élaborée par André Malraux, à la création par décret le 24 juillet 1959 du Ministère des Affaires Culturelles, qui se traduit par la « mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent. ». Le fruit de cette volonté s’est porté sur la création des maisons de la culture visant à mettre directement le public en présence des œuvres et des artistes. 4 A. IZRINE, op. cit., p. 53.

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Le répertoire est ainsi constitué d’œuvres qui ont « miraculeusement » survécues.

Grâce à certains artistes, notamment Marius Petipa, certains ballets classiques sont

aujourd’hui encore présents sur scène. Ces derniers ne sont en aucun cas identiques à leur

création, ils ont été transmis de génération en génération. Les chorégraphes ont ainsi adaptés

ces œuvres et ont permis l’avènement de la notion d’auteur en danse. Ceci résonne dans le fait

que la danse classique s’est finalement toujours réactualisée, sans jamais reproduire un ballet

à l’identique. C’est par exemple ce qu’explique Didier Deschamps, directeur sortant du CCN

de Nancy et futur directeur du Théâtre National de Chaillot. « La conservation, oui, le

conservatisme, non […]. Quand on prétend faire à l’identique une grande pièce du

répertoire, s’amuse-t-il, c’est soit une bêtise, soit de l’ignorance, soit un leurre, soit un

mensonge. […] Il y a des choses qu’on ne fait plus, ou même que l’on ne perçoit plus dans

une chorégraphie et qui, pourtant, étaient intéressantes à leur époque… Du coup, cela ouvre

de nouveaux champs de possibles »1.

Didier Deschamps décrit parfaitement ce que la conjugaison au passé suscite. La mise

en avant du patrimoine suppose des réflexions. A l’écoute du monde, la danse contemporaine

ne peut donc s’empêcher de le réinterroger. Les œuvres contemporaines qui empruntent à la

danse classique n’ont cependant pas pour ambition de conserver cette dernière. Pourtant, force

est de constater que ces œuvres enclenchent une autre manière de concevoir l’héritage

traditionnel cassant le principe de ballets éternels dont la forme et l’interprétation seraient

immuables. C’est par petites touches qu’agissent les chorégraphes actuels. Ce n’est pas pour

autant qu’ils occultent l’idée de transmission de certains mouvements, de certaines narrations,

de certaines musiques, etc. Toutefois cette transmission procède d’une alliance avec la

nouveauté.

La danse, selon la définition donnée dans la première sous-partie de ce chapitre,

montre divers procédés de patrimonialisation. Il y a donc la construction d’un répertoire qui

permet au public de retrouver des pièces anciennes. Dans un cadre donné, les ballets sont

remontés selon des critères très spéciaux et dans le respect le plus total de sa création

classique. « C’est en 2009 par exemple que certains spectateurs de l’Opéra de Paris ont eu la

chance de voir Troisième Symphonie de Gustav Mahler chorégraphiée en 1975 par John

Neumeier. Trente-quatre ans après sa création, cette rareté très décalée au regard de la

production actuelle pointe un fait somme toute banal mais qu’il vaut toujours de signaler :

1 Propos de Didier Deschamps dans A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 55.

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l’histoire de la danse s’écrit en dehors de toute chronologie »1. Amener sur scène des œuvres

telles que celle-ci participe nécessairement à la patrimonialisation de la danse. En effet,

comme le dit Rosita Boisseau, l’idée, ici, est que des œuvres rares soientt présentées

actuellement et en ce sens, elles s’inscrivent dans une histoire. Le répertoire est donc

l’élément le plus propice à la construction d’un patrimoine de la danse. Plusieurs facteurs

sociaux évoqués au début de ce sous-chapitre ont permis l’avènement d’un souci du passé,

même en danse, d’autant plus que le public a l’impression d’effectuer un retour au passé, de

voir quelque chose qui a traversé le temps. En cela, il porte un vif intérêt aux ballets

classiques. Il est clair que les ballets qui fonctionnent encore sont cependant ceux qui

procurent toujours des sensations vives. Lorsqu’elle aborde Le Lac des Cygnes, Rosita

Boisseau affirme qu’ « il ouvre aussi des pistes de réflexion insoupçonnées selon les moments,

selon aussi les danseurs. La vision des interprètes se colore de nuances liées à l’époque et

distingue parfois les détails que l’on n’avait peut-être pas perçus ou différemment. Cette

capacité des œuvres majeures à sans cesse repousser leurs cadres aussi stricts soient-ils, en

reconduisant l’attente du public, explique sans doute leur longévité »2. Il est donc intéressant

de noter que l’intemporalité procède d’une interprétation à chaque fois nouvelle de l’œuvre.

Le répertoire qu’il soit classique ou contemporain est donc l’élément essentiel d’un processus

de patrimonialisation de la danse. Il reste la manière officielle de constituer un patrimoine qui

conserve les œuvres du passé et, instauré par de nombreuses compagnies, la danse ne peut y

échapper.

Des formes beaucoup plus indirectes participent également à la patrimonialisation de

la danse. Il y a bien évidemment des écrits, des peintures, des images, des vidéos, etc. Des

expositions peuvent recenser des costumes et des décors, d’autres des photographies. Des

centres de ressources bien documentés permettent de mettre en avant l’histoire de la danse

classique mais aussi contemporaine. Et puis, plus indirectement, les œuvres opérant le

métissage entre tradition et modernité sont des facteurs qui constituent peu à peu la rénovation

d’un patrimoine. Au-delà de renouveler des œuvres du passé, il permet la confrontation de

celles-ci à leurs homologues classiques, et ceci rend possible un chassé-croisé donnant une

dimension historique à la danse. Ces pièces réinvestissent les codes de la danse classique pour

en proposer une dimension totalement contemporaine. Par ce phénomène, elles participent

nécessairement au processus de patrimonialisation de la danse. Elles transforment l’objet et

1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9-10. 2 Ibid., p. 8.

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font nécessairement appel à son double antérieur. Celui-ci devient alors un objet symbolique.

En ce qui concerne les relectures, même si les œuvres ne sont pas conservées à l’identique,

elles permettent cependant de raréfier et de distinguer le ballet originel. Elles conduisent alors

l’intemporalité de celui-ci. En effet, les pièces revisitées démontrent que les caractéristiques

des chorégraphies originales ont traversé le temps et sont toujours opérationnelles. Outre ces

créations dont l’intention repose en la réappropriation d’un objet préexistant, les pièces

contemporaines, par leurs références à la danse classique, mettent également en œuvre ce

processus de patrimonialisation. Elles revendiquent plus ou moins directement des positions

historiques qui sont ancrées dans les codes de l’esthétique traditionnelle. L’utilisation d’un

tutu, du chausson de pointe, de la musique d’un ballet de répertoire, d’une gestuelle classique,

met en avant un certain héritage constitué pendant près de quatre cents ans. Ces références

permettent le même retour au passé que suscitent les relectures. Elles remettent au jour le

patrimoine tout en le considérant comme rare et exceptionnel. A la lecture de la première

partie de ce mémoire, il est indéniable que les intentions des chorégraphes se posent dans

d’autres problématiques. Malgré ce fait, qu’ils le veuillent ou non, ces artistes, par la création

d’œuvres croisant la danse classique avec la danse contemporaine, initient la

patrimonialisation de la danse. Pas seulement parce qu’ils la mettent au goût du jour, mais

surtout par ce qu’ils impliquent un retour en arrière, ce qui permet de « sacraliser » l’œuvre, la

technique, le costume, la musique, etc. traditionnels.

Conclusion

Un sens aigu du patrimoine s’aiguise grâce à un contexte particulier dont l’existence a

permis l’émergence d’une considération notoire de l’héritage commun. Ainsi, pour qu’un

processus de patrimonialisation se détermine, il faut qu’une interaction dynamique et

dialectique d’acteurs se mette en place. C’est le cas en ce qui concerne les œuvres

chorégraphiques. Il y a d’un côté une réelle prise de conscience qui se traduit par la

constitution d’un répertoire, où chaque pièce est transmise au public de manière la plus

représentative du passé. D’un autre côté, se mettent en place des alternatives qui convoquent

l’héritage classique d’une autre façon. De manière évidente, les chorégraphes ne se

retranchent pas derrière cette idée de patrimonialisation de la danse, même s’ils sont de plus

en plus sensibles à dissimuler l’opposition entre classique et contemporain. Leurs

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préoccupations en matière patrimoniale se composent surtout de la manière dont eux-mêmes

vont laisser une trace dans l’histoire de la danse. Cette perspective souligne une autre façon

d’engager la notion de répertoire. En effet, pour hisser leurs parcours chorégraphiques au

statut d’auteur en tant que tel, il faut proposer un vocabulaire particulier et se définir dans la

singularité. Ainsi, on peut assimiler les créations des artistes comme Merce Cunningham, Pina

Bausch, Trisha Brown ou encore Angelin Preljocaj comme étant constitutifs des répertoires de

leurs propres compagnies mais plus généralement d’un répertoire de la danse contemporaine.

En ce sens que celui-ci participe, d’ores et déjà, à sa mémoire collective.

Il existe donc un répertoire contemporain qui s’insère nécessairement dans l’histoire

de la danse. Toutefois, celui-ci n’est pas encore revisité. C’est la question que pose en suspens

Agnès Izrine dans l’ouvrage La Danse dans tous ses états : « En passant, personne ne s’est

jamais demandé pourquoi les chorégraphes français se référeraient sans cesse à des œuvres

qui, par nature, leur échappent. Pourquoi revenir sans cesse au XIXème siècle plutôt que de

relire des œuvres du répertoire contemporain qui, en un sens, devraient les concerner

davantage ? »1. Justement, peut-être que le contexte de cette ferveur patrimoniale a suscité

des envies de relectures chez les chorégraphes. Il ne faut pas oublier qu’une porte avait été

entrouverte, et promettait la voie royale aux formes mêlant danse classique et danse

contemporaine : « Toujours est-il que le style de Forsythe vient donner des réponses à ceux

que la mort et sa forme édulcorée, l’arrêt, angoissent, ainsi qu’à ceux qui rêvaient en secret

de recentrer la danse du côté de ses racines classiques, avec tout ce que cela comporte de

performance et d’amour de l’idéal. […] De surcroît, ce type de danse va offrir une alternative

aux plus réfractaires au contemporain, réconciliant enfin « tous les publics », y compris ceux

qui craignaient que l’on ne se roule par terre »2.

1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 137. 2 Ibid., p. 137.

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Chapitre 2 : La réception de la danse et ses publics

Introduction

Parler d’œuvres sans aborder la question des publics et de la réception semble

inconcevable. C’est dans son rapport au spectateur que l’œuvre prend tout son sens. Il est

indéniable que les œuvres parlent du monde mais s’adressent à ceux qui agissent à l’intérieur

de celui-ci. La danse implique une relation particulière. D’une part, elle fait partie du

spectacle vivant qui suppose la création d’un lien entre l’objet et l’individu de manière

éphémère en un temps donné. Il est unique car, par essence, le même spectacle ne sera, par

exemple, en aucun cas représenté à l’identique deux soirs de suite, et parce qu’ils se jouent

dans l’instant, les arts vivants supposent le caractère de l’unicité. D’autre part, la danse

s’expose au public d’une manière différente que le théâtre, ou le chant car elle ne fait pas

appel à lui de la même façon. Bien évidemment, toutes les formes de spectacle vivant font

appel à la présence du corps sur scène et à son expressivité. En revanche, la danse n’a pour

seul langage que l’utilisation du corps et ses possibilités de mouvements peuvent permettre à

un chorégraphe de dégager sa propre écriture donnant un sens à ses créations.

Le public n’est donc pas confronté de la même manière à une chorégraphie qu’à une

pièce de théâtre. La réception de la danse sera par conséquent différente de celle des autres

arts vivants car elle fait appel au spectateur à plusieurs niveaux. Avant de les énoncer, il est

important pour cette partie de déterminer comment se constitue un rapport esthétique à

l’œuvre pour en venir spécialement à l’objet chorégraphique. En ce sens, il est intéressant de

déterminer du mieux possible comment peuvent se constituer les publics de la danse. En

conséquence, l’intérêt de cette partie repose également sur les rapports que peuvent susciter

les œuvres de danse qui mêlent les univers du classique et du contemporain. Ces nouvelles

formes impliquent-elles des rapports différents avec le public ? Supposent-elles des relations

esthétiques particulières ?

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2.2.1. De l’expérience esthétique à la réception de la danse

Toute œuvre d’art déploie diverses fonctions et suppose des configurations presque

uniques à chaque spectateur. Le rapport qu’il entretient avec un objet artistique est de l’ordre

de l’expérience esthétique qui induit deux manières et deux niveaux d’appréhension. Ici,

l’expérience esthétique sera donc comprise comme celle qui convoque aussi bien le champ

cognitif que le champ sensible de l’individu. Elle implique une mise en sens de ce dernier.

L’esthétique est en prise directe avec l’humain car elle peut faire appel à lui par divers

moyens. Jean Marie Scheaffer, dans son ouvrage Les Célibataires de l’Art, entreprend une

conception anthropologique de la relation esthétique à l’œuvre. Pour lui, « la conduite

esthétique […] est celle d’un fait anthropologique, d’une activité qui prend place tout

naturellement dans l’ensemble de nos conduites fondées sur notre relation cognitive au

monde »1. Cependant, on ne peut nier le fait que le lien qui s’établit entre un individu et une

œuvre suppose également une phase sensible. L’idée première est, bien entendu, que

l’expérience esthétique crée un trouble chez le spectateur. Si pendant un temps la philosophie

de l’art assimilait ce trouble à la Beauté, aujourd’hui, il est plus sage de la considérer comme

mettant à l’épreuve nos représentations du monde en ce sens que le rapport à l’art doit

questionner, interroger, donner un regard critique, susciter la réflexion sur le lien qu’entretient

l’individu au monde. Que l’expérience artistique soit agréable ou non, l’importance de ce

phénomène repose sur la façon dont l’art agit sur le sujet, qu’il participe au sensible et à la

connaissance, tout en venant modifier son rapport au monde. En effet, avant tout, l’expérience

relève d’une relation que le sujet entretient avec son environnement, l’objet sur lequel porte

son intérêt et la manière qu’il a de se concentrer, de porter son attention sur celui-ci. Il est

nécessaire de spécifier que « ce n’est pas l’objet qui rend la relation esthétique mais la

relation à cet objet qui rend celui-ci esthétique »2. L’expérience esthétique se situe ainsi au

cœur de la relation entre l’œuvre et celui qui la contemple. Ceci implique que la réception

esthétique peut conduire alors à une forme d’autonomie du jugement en ce sens que le sujet

porte un regard individuel sur l’œuvre à laquelle il est confronté. Ce dernier passe donc

nécessairement par sa cognition mais aussi par son appréhension sensible de l’objet culturel.

1 J.M. SCHAEFFER, Les Célibataires de l’Art – Pour une esthétique sans mythes, Paris, Gallimard, Coll. nrf essais, février 1996, p. 345. 2 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11).

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Il doit mettre en œuvre une modification plus ou moins importante de notre rapport à l’œuvre.

A ce titre-là, Jean Marie Scheaffer signale que « le grand art n’est pas celui qui nous plaît

perceptuellement, mais celui qui nous dérange intellectuellement »1. De plus, l’expérience

esthétique ne peut pas non plus être totalement démantelée et détournée de connaissances ou

de pratiques antérieures de l’individu. Toutefois, celle-ci fait appel à la cognition et à la

faculté intellectuelle, mais il est indéniable qu’elle recouvre aussi une part

d’incontrôlable : « Parce que le monde réel, celui dans lequel nous vivons, est fait de

combinaison de mouvements et de points culminants, de ruptures et d’unions reformées,

l’expérience de l’être vivant est susceptible de posséder des qualités esthétiques. L’être vivant

perd et rétablit de façon récurrente l’équilibre qui existe entre lui et son environnement. Le

moment où il passe du trouble à l’harmonie est un moment de vie extrêmement intense »2.

Ainsi, généralement, le jugement qui découle de la relation entre l’objet artistique et le sujet

participe à sa connaissance du monde et donc à son appréhension.

La danse participe à cette relation esthétique particulière, mais elle peut susciter des

modes de réceptions uniques en leur genre. Elle « peut parler à l’imagination de chacun sans

passer par un discours explicatif. La perception d’un corps en mouvement déclenche des

ouvertures d’imaginaire, des cheminements intérieurs propres à chacun, et qu’il serait bien

impertinent d’aller contrôler, ou même orienter »3. A l’image de la réflexion de Laurence

Louppe, il devient évident que la réception de la danse passe plus facilement par le rapport

sensible que par l’intention intellectuelle. En revanche, elle doit engager des questions sur le

monde qui l’entoure.

Comme toute analyse esthétique, le jugement passe par des éléments qui sont presque

basiques, constituant un simple cadre de lecture. Entrent en jeu plusieurs « ingrédients » :

conception de l’espace scénique, proposition des décors et des costumes, univers sonore,

projection de lumières, temporalité de l’œuvre, formes corporelles, écriture chorégraphique,

qualités énergétiques, relations entre les danseurs, rapports aux objets, interprétation,

références à d’autres chorégraphes, œuvres ou techniques. Au-delà, pour les connaisseurs,

d’autres possibilités d’analyse peuvent avoir des intérêts. Quelques repères leur permettent là

encore de se constituer un jugement sur l’œuvre à laquelle ils sont confrontés. Les appuis des

1 J.M. SCHAEFFER, Les Célibataires de l’Art – Pour une esthétique sans mythes, Paris, Gallimard, coll. nrf essais, février 1996, p. 127. 2 J. DEWEY, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2010, p. 55. 3 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 12.

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danseurs peuvent alors déterminer la manière dont le poids du corps est déplacé et comment la

gravité est ressentie. Les mouvements analysés seront alors les sauts, les élans, les élévations,

ou les portés. Ceci est mis en relief par l’intensité donnée aux gestes. On peut assimiler cette

dernière à la manière dont les flux d’énergies traversent le corps des danseurs. Le rythme est

également une valeur importante qui module les actions des interprètes et permet ruptures ou

accélérations, jeux de poids, distributions plus ou moins importantes d’énergies, successions

d’appuis qui permettent de mettre en avant un phrasé et des variations du déroulement

temporel. Celui-ci est indéniablement perçu par tous les spectateurs, même les moins avertis.

Le rythme suscite également un rapport à la musique, il induit que cette temporalité spécifique

soit plus ou moins en adéquation avec ce que lui apporte le support sonore. Au-delà de cette

conception, la musicalité du mouvement interagit à travers des formes. Ces dernières

supposent également une interprétation et c’est à ce stade-là, que la dimension affective entre

en jeu. Les danseurs incarnent ainsi ces formes, ce qui rend la perception de la chorégraphie

parfois plus difficile. En effet, l’interprétation est parfois totalement déconnectée de la forme

comme le veut la postmodern dance. Le corps se met finalement au diapason des états d’âme,

c’est ce qui, communément en danse contemporaine, s’assimile à des états de corps. Philippe

Guisgand prolonge la réflexion : « L’expression nous renvoie ici au double sens du terme

interprétation. Le danseur est interprète en rendant visible les formes corporelles choisies par

le chorégraphe, mais il doit également motiver son mouvement, retrouver les états qui ont

présidé à sa création, faire naître à nouveau les champs d’intensité qui permettent l’existence

du mouvement »1. Le geste du danseur est donc coloré d’un sentiment, d’un désir, d’une

sensation, d’une émotion. Outre ces éléments qui offrent un cadre au jugement esthétique

d’une chorégraphie, celui-ci passe également par des appréhensions qui échappent

naturellement au spectateur. La réception se trouve au cœur de sensations uniques à la danse.

De nombreux auteurs émettent des hypothèses quant à la relation entre le regardeur et

la pièce dansée et certains s’accordent à dire que lorsqu’un spectateur assiste à une pièce

chorégraphique, il s’effectue un dialogue entre le corps du danseur et le corps du spectateur.

Ces suppositions ne sont certes pas automatiques mais gagnent à être énoncées. « Le

mouvement de l’autre met en jeu l’expérience propre du mouvement de l’observateur :

l’information visuelle génère, chez le spectateur, une expérience kinésique (sensation interne

1 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11).

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des mouvements de son propre corps) immédiate, les modifications et les intensités de

l’espace corporel du danseur trouvant ainsi leur résonance dans le corps du spectateur »1.

Ceci agit pour la danse classique mais notamment pour la danse contemporaine. Cette

dernière laisse en effet, de par la liberté de mouvement, beaucoup d’ouverture

d’interprétation. En voyant un corps se déplacer sur scène, il se peut que le spectateur soit

transporté dans la perte de son propre poids du corps. Cette transposition est d’autant plus

probable qu’en danse contemporaine, les corps des danseurs ne sont pas systématiquement

hors norme et ne font pas toujours appel à la virtuosité. L’expérience kinésique peut donc

s’établir comme toute expérience esthétique. La transposition corporelle, qui agit sur le

regardeur, est alors l’objet d’un trouble : ayant perdu la certitude de son propre poids,

l’observateur devient en partie le poids de l’autre. C’est un ressenti qui n’est en effet pas

vraiment commun. Philippe Guisgand prolonge la compréhension de cette sensation : « Mais

l’essentiel réside dans le fait que cette contamination kinesthétique du spectateur par le

danseur (qui fait que nous nous sentons « bougés » à la vue du mouvement) ouvre un monde

commun à l’acteur et à son public fondé sur le sentir ; dès lors, percevoir un mouvement,

c’est aussi être soi-même le mouvement. Et c’est ainsi que le mouvement fait sens »2. Cette

« transfusion » de corporéité n’est pas seulement vécue par le regardeur, c’est également un

élément important pour le danseur car il s’agit pour lui d’un partage dont son corps est le

principal objet. Pour Hubert Godard, « se joue une aventure politique (le partage du

territoire) »3. Ainsi, la signification du mouvement se joue autant à travers le corps du

danseur que celui du spectateur. Dans cette perception s’invite aussi un héritage acquis. La

réception de la danse, convoquant parfois le corps, peut également supposer la résonnance

d’un réseau complexe d’apprentissages et de réflexes qui déterminent la particularité du

mouvement de chaque individu ainsi que sa façon de percevoir les gestes des autres. La

perception et la réception de la danse peuvent donc agir, selon certains auteurs, sur le corps

des spectateurs même si ce phénomène n’entre pas toujours en jeu.

La réception de la danse agit de manière à la fois très simple mais aussi complexe sur

le spectateur. D’autant plus que l’expérience esthétique reste particulière à la danse et la

1 H. GODARD, Postface « Le geste et sa perception » dans I. GINIOT, M. MICHEL, La danse au XXe siècle, Larousse, Paris, octobre 2008, p. 210. 2 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11). 3 H. GODARD, op. cit., p. 210.

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réception qui en découle n’en est pas moins simple. En effet, d’après Hans Robert Jauss,

créateur du concept de l’horizon d’attente (développé en sous partie 2.2.3), il faut réunir tous

les éléments qui participent à la réception, en ce sens qu’ils se réfèrent à l’histoire sociale,

l’histoire de l’art ou l’histoire personnelle de chacun. Ainsi, le rapport entre l’art et un

individu se construit selon « l’expérience de vie » de chacun en fonction de donnés liées au

sujet, à son époque et à l’œuvre. La réception est un phénomène propre à chaque être humain

qui se vit comme une expérience intériorisée, située aux frontières de plusieurs réalités

(individuelle, artistique, historique et sociale). C’est pourquoi, après avoir vu un spectacle, il

est parfois difficile pour un individu de dire ce qu’il a vu. En effet, il lui faut un temps de

digestion sur la manière dont son corps a vécu la chorégraphie et cette réception convoque

divers éléments qui permettent d’établir un jugement soumis à l’expérience esthétique de

l’individu. Bien évidemment, celle-ci est beaucoup plus parlante en ce qui concerne la danse

contemporaine. Certaines différences peuvent avoir lieu dans la réception de la danse

classique, mais il est intéressant d’aborder ce point dans la troisième sous-partie de ce chapitre

qui traite particulièrement des œuvres qui conjuguent classicisme avec contemporanéité. Entre

temps, il semble nécessaire de s’interroger sur les publics de la danse. Y-a-t-il un type de

public, pour un style d’œuvres ou au contraire ces derniers se mélangent-il ? Comment

intègrent-ils leurs pratiques dans le paysage chorégraphique actuel ?

2.2.2. Les publics de la danse

Avant de déterminer les publics de la danse, il est important de dégager la notion

même de public. Celle-ci interroge, d’après Antigone Mouchtouris, « sur l’être dans l’espace

public et sur la manière dont cet espace le façonne, dans une temporalité donnée »1. Elle

continue et affirme que « durant cette temporalité et dans une spatialité donnée, l’individu va

en effet se priver de son individualité pour pouvoir faire partie d’une unité qui lui permet

d’être en contact avec autrui. Les individus se rencontrent mais chacun d’entre eux est

distinct en lui-même et par soi. Cette unité se construit dans un instant et, par conséquent,

cette temporalité transforme un groupe d’individus en une unité : le public »2. Le public est

1 A. MOUCHTOURIS, Sociologie du public dans le champ culturel et artistique, Paris, L'Harmattan, 2003, coll. Logiques Sociales, p. 14. 2 Ibid., p. 14.

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donc le fruit d’une cohésion spatio-temporelle qui est constitutive et qui construit du lien

social. L’ “unité” dont parle Antigone Mouchtouris, dans son ouvrage Sociologie du public

dans le champ culturel et artistique, est considérée comme porteuse de pratiques spécifiques.

La notion de public induit automatiquement un rapport à l’œuvre. Il s’établit une

relation entre les spectateurs eux-mêmes et l’œuvre ou l’objet culturel. Ce qu’il faut

également noter c’est le fait que « dans le secteur culturel et artistique, la complexité des

rapports qui peuvent être entretenus entre l’objet proposé – le lieu – et les convictions de la

personne dues à son éducation familiale et scolaire, sont réunies pour former les conduites

sociales d’un public dans la sphère publique »1. Il est donc important d’analyser un public en

tenant compte de ses différences. Ainsi, prendre en compte le public dans son ensemble

revient à le considérer dans son “unité” mais également dans sa diversité. C’est pour cela qu’il

est possible de parler “des publics”. Obligatoirement, le nombre important et la diversité de

propositions artistiques convoquent naturellement plusieurs publics. Si on les prend dans leur

dimension sociologique, chaque public peut correspondre à une ou plusieurs classes sociales,

une ou plusieurs catégories d’âge, une ou plusieurs préférences artistiques, une ou plusieurs

pratiques culturelles, etc.… Cependant, en tant qu’entité éphémère, un public est unique.

Pourtant, il est intéressant d’étudier des tendances pour avoir un ordre d’idée des spectateurs

de telle ou telle forme culturelle. Il faut quand même signaler que la plupart du temps, les

parcours culturels qui agissent dans la vie d’un individu peuvent être de plus en plus divers et

diversifiés. Ces derniers sont certes conditionnés par éléments intrinsèques à l’individu mais

dorénavant avec la multiplicité de l’offre artistique, une personne peut opérer un va et vient

parfois très « incohérent » dans ses pratiques. En effet, si la théorie de Bourdieu était opérante

il y a quelques années, il n’est pas sûr qu’elle soit encore d’actualité. Elle suppose l’existence

d’une appartenance de classe qui constitue la détention d’un capital social, un capital

économique et un capital culturel. L’individu pourvu d’un habitus de classe dispose alors

d’un niveau d’instruction qui correspond à sa catégorie d’appartenance, en ce sens que la

société impose un déterminisme social. Caricaturalement, ceci se traduit par le fait qu’un fils

d’ouvrier aura plus de chance de devenir ouvrier que cadre et inversement, un fils de cadre

sera plus probablement cadre dans sa profession future plutôt qu’ouvrier. Ainsi, d’après

Bourdieu, l’origine sociale est très importante et déterminante également dans les pratiques

culturelles. Le niveau d’études est aussi un élément déterminant. Pour lui, le niveau

d’instruction constitue une variable importante. Par exemple, à niveau de diplôme égal, la

1 Ibid., p. 78.

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catégorie détenant des études dites classiques (latin) est très représentée dans le nombre de

visiteurs de musée. A cela, Bourdieu rajoute que l’amour de l’art vient en « pratiquant » et

c’est par ce biais-là que la famille est déterminante, puisque c’est elle, en tant qu’institution

socialisatrice, qui dès l’enfance, contribue à convoquer une aisance plus ou moins développée

avec le monde de l’art. Bien sûr, l’école ne fait que renforcer ces inégalités. Ainsi, l’accès à la

culture est réservé à une certaine classe cultivée, qui impose elle-même un modèle de culture

légitime. Toutefois, depuis la mise au point du concept bourdieusien, d’autres réflexions ont

été menées. En effet, la société française a connu de profondes mutations comme la

démocratisation scolaire et le renouvellement des élites. Philippe Coulangeon évoque une

modification active du mode de vie des élites tant dans leurs pratiques sociales que culturelles.

Il signale également le fait que se met en marche une « certaine déconnexion de l’univers

symbolique des classes supérieures et du domaine de la culture savante »1 développant un

éclectisme en matière de pratiques culturelles. Les conditions de production et de diffusion de

la culture se sont nettement améliorées et les français ont assisté à un élargissement de l’offre

institutionnelle, un essor des industries culturelles, des médias et des nouvelles technologies.

Autant d’éléments qui ont changé la donne en matière d’accès à la culture et de catégorisation

des publics en ce sens qu’il y a une réelle modification des modes d’accès à l’art et par

conséquence une diversification des univers culturels des français. L’outil d’analyse

conduisant à déterminer une culture populaire, une culture moyenne et une culture cultivée

n’est vraisemblablement plus opérant. Olivier Donnat remarque même que « chaque individu,

en réalité, intègre des éléments appartenant aux différents contextes vécus au cours de son

parcours biographique et réalise un agencement plus ou moins original en conservant la

marque des univers antérieurs qu’il a fréquentés, ou même simplement côtoyés »2. De

multiples influences agissent aujourd’hui sur chaque individu, en fonction des endroits où il a

vécu, des gens qu’il a rencontré, des études qu’il a faites, etc. Parallèlement à la modification

du monde de la culture et des parcours individuels de chacun par rapport à celui-ci, s’est

développée une diversité des propositions artistiques qui rendent le parcours des spectateurs

parfois très aléatoire. Certains auteurs n’hésitent pas à considérer ce phénomène comme le

produit de la société de consommation. Dans l’introduction de son ouvrage, Poétique de la

danse contemporaine, Laurence Louppe évoque qu’ « …un contact occasionnel avec un

1 P. COULANGEON, « Quel est le rôle de l’école dans la démocratisation de l’accès aux équipements culturels ? », [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/deps/colloque/coulangeon.pdf >, (consulté le 25/05/11), p. 11. 2 O. DONNAT, « Les Univers culturels des Français » [en ligne], Disponible sur : < http://id.erudit.org/iderudit/009583ar >, (consulté le 28/12/09).

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spectacle, malgré la vivacité des perceptions qu’il peut susciter, risque de laisser le sujet à

l’écart de grandes richesses, plus enfouies. Et dont la connaissance, loin de le surcharger

d’informations inutiles, peut conduire à identifier au mieux ses propres réactions, à

comprendre l’acuité de certaines propositions, à ressentir plus profondément les résonances

de l’expérience esthétique »1. Elle semble évoquer le fait que le spectateur ne construit pas de

références, ni de lien particulier entre ce qu’il voit ; il serait juste, d’après elle, soumis à la

banalité de la “seule consommation d’un moment culturel”2.

Au regard du paragraphe précédent, le public d’aujourd’hui est très difficilement

saisissable. Cependant, certains chiffres parlent et les intentions des programmateurs ne sont

pas non plus prises au hasard. Le public de la danse a fait très rarement l’objet d’études.

Quelques indications peuvent être saisies de part et d’autre, entre les déclarations des

diffuseurs, ou les écrits sur la danse. Il faut tout de même noter le fait que « à la différence du

cinéma, des musées, et des lieux de patrimoine, le contact avec les arts vivants –théâtre,

concert, opéra, ballet – demeure très minoritaire, en France, comme dans la plupart des pays

voisins »3.

L’année 2010 a été « l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris »4 qui a établi

depuis quelques années un outil de recensement de ses spectateurs. Si l’année 2009 n’a pas

été très fructueuse en partie à cause de la crise, cette baisse de fréquentation ne s’est pas

réitérée. En effet, l’Opéra de Paris a vendu 12 000 places de plus en 2010, soit un total de

784 000. Brigitte Lefèvre note que les balletomanes sont au nombre de 350 000 spectateurs5.

Quel que soit le genre, les salles sont pleines : par exemple, à l’époque de Noël, entre Le Lac

des Cygnes à l’opéra Bastille et Le Sacre du Printemps de Pina Bausch au palais Garnier, la

compagnie de danse a réuni plus de 80 000 spectateurs. Il est intéressant de noter au passage,

la représentation de la danse contemporaine dans l’ancien bâtiment, alors que le ballet

classique avait lieu dans le bâtiment moderne. « En 2010, un seul des 13 programmes a

rempli la salle à 80% seulement, les autres atteignant 99 à 100% »6. Ceci démontre donc

1 Propos de Laurence LOUPPE dans M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion

Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 1er décembre 2005» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 8. 2 Ibid., p. 8. 3 P. COULANGEON, Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Découverte, coll. Repères, juin 2005, p. 102. 4 A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30. 5 A. IZRINE. B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 6 A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30.

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qu’il y a un public pour la danse, notamment à l’Opéra. Celui-ci est particulièrement attiré par

la danse classique puisque la plupart des représentations du ballet sont issus du répertoire

classique. D’ailleurs, Brigitte Lefèvre se félicite de toucher une nouvelle génération. Quant à

Christophe Tardieu, directeur adjoint de l’Opéra de Paris, il réfléchit beaucoup plus en termes

sociaux : « Si le public du lyrique est surtout CSP +, celui de la danse est plus diversifié : on

y trouve Français, étrangers, Parisiens, provinciaux, et toutes les catégories de classes

sociales »1. Si ces propos semblent un peu utopistes, il n’en est pas moins convainquant que la

danse classique attire un public assez variable. Certes, la notoriété de l’Opéra de Paris doit

également jouer sur la venue des spectateurs.

Si la danse classique est généralement attractive, ce phénomène paraît un peu plus

compliqué pour la danse contemporaine. Plusieurs degrés de réception semblent impliquer

plusieurs genres de publics. Dans un premier temps, la danse contemporaine semble

véhiculer une image trop souvent négative et parfois ambigüe, due sans doute à une

méconnaissance trop grande. La danse contemporaine semble ainsi souffrir de sa diversité, ce

qui tend peut-être à flouer son image. Il se dégage donc une idée assez vague de ce que peut

être la danse contemporaine. La multitude de ses formes engendre nécessairement plusieurs

appréciations, plusieurs réceptions et donc sans aucun doute plusieurs publics. Toutes ces

pistes entreprises par la danse contemporaine font que, très souvent, il est difficile d’expliquer

à un profane en peu de mots ce que c’est. Ainsi, une réputation colle au corps de la danse

contemporaine. C’est ce qu’explique Philippe Noisette : « Si l’on s’en tient à la définition

répandue, à savoir que l’élitisme est le fait de favoriser une élite aux dépens de la masse, la

danse contemporaine peut faire figure d’accusée. Ainsi les rares études sur son public montre

qu’il est souvent d’un niveau d’études supérieures, citadin et…blanc »2. De manière un peu

caricaturale, l’auteur dresse un portrait du public de la danse, à l’image de celui de toutes les

formes de créations d’avant-garde, qui toutefois n’est pas à négliger. Certains s’accordent à

dire qu’il y aurait une ébauche de public, c’est-à-dire un petit noyau dur, les habitués et les

occasionnels3. Cependant, Philippe Noisette nuance son propos, vers quelque chose qui

semble plus logique : « En fait, il faut parler de publics (au pluriel donc), et le contemporain

n’a pas son pareil pour brasser large »4. Ceci revient à l’affirmation de Laurence Louppe qui

1 Propos de Christophe Tardieu dans A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30. 2 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58. 3 F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques » dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 215. 4 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58.

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insinue que la danse contemporaine du fait de son ouverture peut parler à l’imaginaire de

chacun. S’ajoutent à cela les « tensions » relatives à l’opposition entre les créations qui

s’inscrivent totalement dans l’écriture du mouvement et celles qui dévoilent un discours

beaucoup plus conceptuel. En effet, cette opposition serait également ressentie dans le fait que

chaque catégorie attire un public plutôt qu’un autre. Ici, un certain élitisme peut entrer en jeu

pour des formes dont la sophistication conceptuelle les enferme dans une herméticité quasi-

immédiate. Celles-ci sont ainsi difficiles d’accès pour un public non averti. Parallèlement à ce

phénomène, la danse contemporaine par son institutionnalisation a gagné un terrain qu’elle

n’occupait pas auparavant. En effet, dès les années 1980, il y a eu une réelle volonté politique

pour que la danse contemporaine puisse enfin s’implanter sur le territoire français. Il s’est

développé une réelle cohabitation des formes dans le paysage chorégraphique. Poursuivant

cette impulsion et même si le budget de la danse est encore très modeste par rapport à l’art

lyrique et à la musique, la danse contemporaine a gagné en visibilité notamment par l’aide à la

création, à la diffusion, par la naissance d’entités importantes telles que le Centre national de

la danse ou les centres nationaux chorégraphiques (cf. postface sous partie 2.4). Cet intérêt

soudain pour la danse a conduit à aider certaines compagnies plus que d’autres, à

subventionner certains projets plus que d’autres, etc. et en réponse à ces financements de

nombreux artistes se sont ancrés dans un certain conformisme : celui de l’académisme. Et

c’est ce dernier qui faciliterait alors la diffusion de la danse contemporaine, même si certains

auteurs signalent que ceci conduit également à l’appauvrissement de la recherche

chorégraphique. Cependant, ce phénomène reste sans aucun doute à prouver.

L’élitisme associé à la danse contemporaine reste tout de même un problème qui pose

question. Nicolas Six titre alors un article dans Danser qu’il nomme « Peur du peuple ». Il

compare l’engouement suscité par la danse sportive et les battles de hip-hop. A tel point que

son sous-titre pose très nettement la situation : « Deux tiers des Français n’ont jamais vu de

danse classique ou de danse contemporaine. Mais la danse sportive ou les battles hip-hop

remplissent Bercy. Clientèle intello élitiste contre popu vulgaire ? »1. Il ne faut pas bien sûr

comparer ce qui est incomparable mais c’est vrai que si la danse contemporaine était

programmée à Paris Bercy, il n’est pas certain que la salle serait comble. Un seul a tenu le

pari : Maurice Béjart dans les années 1980. Les 12000 places reviennent à l’addition des

publics de l’Opéra Bastille et Garnier, des spectateurs du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de

la ville. Ceci est encore un système d’alarme très caricatural mais les faits sont là et comme le

1 N. SIX, « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 30.

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souligne Philippe Noisette : « la danse contemporaine n’est pas élitiste, elle est simplement

mal connue »1. Toutes les danses ne sont pas populaires et, ici encore, les chiffres le prouvent

notamment lorsque Nicolas Six, toujours dans le même article, annonce que sur l’ensemble

des créateurs actuels seulement trois chorégraphes contemporains attirent régulièrement : à

eux trois, Angelin Preljocaj, Philippe Decouflé et le duo Montalvo-Hervieu, réunissent 100

000 personnes. « Hélas, 100 000 spectateurs représentent un Français sur 600 »2. Au regard

de ces problématiques, il semble que certaines écritures chorégraphiques répondent plus aux

attentes du public que d’autres. Il est certes très important que des formes conceptuelles, qui

privilégient la recherche corporelle ou intellectuelle, existent, mais celles-ci ne peuvent

toucher qu’un public très restreint, alors que les spectacles beaucoup plus académiques

trouvent tout à fait leur légitimité. Derrière le problème du public se profile aussi et surtout la

question de l’accessibilité et de la lisibilité qu’ont les spectateurs des œuvres.

2.2.3. Quel public, quelle réception pour les œuvres du métissage entre classique

et contemporain ?

Si Nicolas Six met en avant les trois chorégraphes les plus attractifs du moment, il

explique également pourquoi. Il signale au passage qu’avec le décès de Maurice Béjart la

danse, et notamment la danse contemporaine, a perdu un grand ambassadeur. « Ses grands-

messes populaires faisaient du bien à la danse, en attirant un public nouveau »3. Il était, en

effet, très populaire, même chez les profanes et c’est ce que soutient notamment Angelin

Prejlocaj dans le même article. Il est d’ailleurs le premier à revendiquer que le populaire n’est

pas toujours péjoratif, notamment en ce qui concerne la danse contemporaine. Pour lui : « On

a tort d’opposer les gens très médiatisés et ceux qui travaillent dans les marges […]. Ils se

nourrissent mutuellement »4. Ainsi, si la forme de la danse contemporaine reste sans aucun

doute universelle, elle doit revoir sa copie au niveau de l’affrontement entre ses acteurs.

Cependant, d’après Nicolas Six, certains semblent très peu se soucier du déficit de popularité

de cet art. « Une partie des programmateurs et des journalistes partagent ce dédain pour les

1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58. 2 N. SIX, « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 30. 3 Ibid., p. 30. 4 Ibid., p. 31.

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créations qui séduisent le très grand public »1. Souvent les publics amateurs n’aiment pas non

plus que les œuvres deviennent populaires car, pour eux, l’élitisme est valorisant les classant

comme connaisseurs. Il peut donc exister une forme de repli de la part des publics experts, car

la popularisation d’une œuvre ou d’un art, les déclasse de la catégorie d’amateur/connaisseur.

Nicolas Six affirme également que de nombreux chorégraphes français préfèreraient être

reconnus en tant qu’intellectuels, plutôt qu’en tant qu’artistes rassembleurs. Ainsi d’après

Preljocaj, ce qui est trop gai ou trop populaire est inévitablement sanctionné. Il ne vante pas

non plus les mérites d’une danse de divertissement mais à trop vouloir séparer ce qui est

« noble » de ce qui est « vulgaire », le cloisonnement entre danse classique, danse jazz, et

danse néoclassique se renforce.

Or, il se trouve que la diversité peut être très positive en matière d’image. En effet,

lorsque la danse contemporaine se joue des frontières artistiques, elle semble souvent plus

accessible et plus ouverte. Elle met nécessairement en avant d’autres codes et d’autres modes

de représentations qui parlent peut-être à un public plus large. Les œuvres qui s’insèrent sur le

métissage entre classique et contemporain sont de cette veine, faisant nécessairement appel à

de multiples références qui peuvent convenir à plusieurs publics. Inévitablement, elles

peuvent répondre aux attentes du public qui est sensible à la danse classique mais aussi à celui

qui aime la danse contemporaine. C’est en effet une forme qui peut répondre aux horizons

d’attentes de divers spectateurs. En ce sens que l’horizon d’attente, principe dégagé par Hans

Robert Jauss « n'est en rien un cadre préconstruit qui s'imposerait à tous : il est le produit de

sensibilités, de comportements, de modes de perception propres à une communauté

culturelle »2. Il énonce donc que les attentes du public sont conditionnées par le temps présent

et qu’en aucun cas elles ne sont figées dans un cadre spatio-temporel. En revanche, il est le

résultat du parcours culturel du spectateur. Ce dernier, avant n’importe quel spectacle,

développe cet horizon d’attente selon ses goûts, ses aspirations et ses considérations sur l’art,

et la danse en ce qui concerne ce mémoire. Chaque spectateur se crée une idée en fonction de

l’objet qu’il va voir. Un spectacle qui croise la danse classique avec la danse contemporaine

répondra nécessairement à davantage d’horizons d’attentes qu’un spectacle purement

moderne. D’un côté celui-ci peut convenir à ceux dont la sensibilité se réserve sur

l’expressivité du mouvement, et d’un autre côté il peut répondre à l’expectative de certains

1 Ibid., p. 31. 2 J. CAUNE. « La Médiation culturelle : une construction du lien social » [en ligne], Disponible sur : < http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Caune/Caune.pdf >, (consulté le 27/03/09).

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qui recherchent certains codes ou certaines références au classicisme. Même si la danse

contemporaine a cherché à s’extraire du rang, aujourd’hui certains codes traditionnels sont

encore opérants. Quelques spectres sémiologiques agissent encore sur certains publics de la

danse : « En effet près de quatre siècles après « l’invention » du ballet classique, nous le

posons toujours comme l’opérateur central de la construction d’une normalité dansante. De

ce fait, l’image stéréotypée du corps dansant est au féminin (bien qu’inventé par des hommes

pour des hommes), attachée au schéma implicite de la beauté et de la grâce, une sorte d’être

au monde harmonique où la virtuosité s’impose »1. Ceci est en partie l’objet d’une mémoire

sociale dont le fort impact est le résultat de conventions. Ces dernières contribuent

obligatoirement à la fabrication des horizons d’attente portés par les spectateurs. Howard

Samuel Becker revendique que « chaque monde de l’art recourt à des conventions connues de

tous, ou presque tous, les individus pleinement intégrés à la société dans laquelle il

s’insère »2. Même si son analyse et ses travaux portent plus sur le phénomène de création,

cette problématique, mise en avant par Howard Samuel Becker, peut tout de même s’adapter à

la réception. Les conventions dont il parle peuvent faire partie de la vie quotidienne et, à ce

moment-là, participer à la compréhension des œuvres par la plupart des individus. Par

exemple, le ballet classique met en œuvre certaines conceptions comme le rapport amoureux

entre un homme et une femme. C’est un système qui répond à des acceptations connues de

chacun et donc la plupart des individus peuvent comprendre l’intrigue posée par de nombreux

ballets classiques. Les conventions peuvent en revanche faire appel à des sujets qui,

participant en tant que public, connaissent et reconnaissent les conventions propres au monde

de l’art dans lequel ils évoluent. En fonction de cette relation, le sociologue indique qu’il y a

des publics occasionnels et des publics avertis. A cela, il ajoute l’idée que ces derniers

détiennent souvent des conventions que les publics profanes ne soupçonnent même pas. Ce

phénomène serait déclenché par la suite de transformations novatrices. En effet, très souvent,

les artistes souhaitent innover. Ceci ne peut se faire sans échapper à un certain formalisme et

donc ne répondent plus aux conventions préétablies du monde dans lequel ils agissent. Par

cette démarche, ils ne répondent plus aux horizons d’attente de ceux qui ne se tiennent pas

« aux faits » de l’évolution du monde de l’art en question. Il y a là un décalage qui s’installe

entre public averti et public novice. « Les formes traditionnelles que les innovateurs

remplacent par autre chose sont précisément celles qui, aux yeux d’un public moins averti,

1 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », in S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 290. 2 H.S. BECKER, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, coll. Champs, février 2006, p. 64.

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distinguent l’art de tout le reste. Ce public là ne va pas à un spectacle de danse pour voir des

gens courir, sauter ou tomber ; cela il peut le voir partout ailleurs. Il y va pour voir des

hommes et des femmes exécuter les mouvements difficiles et savamment codifiés qui font la

“vraie danse” »1. C’est également ce qu’affirme Betty Lefèvre : « les productions de la danse

contemporaine sont souvent mesurées à l’aune de la « vraie » danse c’est-à-dire le ballet

classique »2. Un public novice n’anticipe donc pas nécessairement la matérialité gestuelle

d’un saut, d’une course ou d’une chute. Il n’est pas apte à concevoir ce genre de mouvements

en dehors de leur réalité immédiate. Ces composants sont donc l’apanage d’un public

amateur.

D’après ces réflexions, les horizons d’attente de plusieurs publics peuvent être

« contentés » lorsqu’ils sont face à une œuvre de danse contemporaine qui usent d’éléments

ou de références classiques. En effet, le public qui ne détient pas les conventions du monde de

l’art des initiés peut-être convaincu par une relecture dont la chorégraphie est très écrite, ou

une forme proche du style de William Forsythe ou Thierry Malandain. Le public occasionnel

est sans doute plus habitué à exécuter un va-et vient entre classicisme et contemporain. Celui-

ci détient à minima les normes imposées par les deux techniques et peut être attiré par leur

mélange. Concernant le public averti, le métissage peut être intéressant s’il répond à des

conceptions et conventions sans doute très contemporaines. Véronique Doisneau de Jérôme

Bel (cf. sous partie 1.2.3) ou 6 Giselles (cf. sous partie 1.3.1) d’Olivia Grandville peuvent

certainement répondre aux horizons d’attentes de celui-ci. Dans tous les cas, ces œuvres

mettent en jeu des codes, des règles et des normes dont la réception interprétative sera

différente en fonction des conventions que détient le spectateur. En effet, le phénomène de

réception reste tout de même quelque chose d’individuel qui agit sur le sujet selon sa

sensibilité, sa connaissance du monde de l’art, son expérience du monde, etc. Il n’y pas de

réception type pour tel ou tel spectacle ou pour tel ou tel genre artistique. Au-delà de

l’expérience esthétique de chacun, se développe l’idée que « chaque œuvre en soi, par le seul

fait de se distinguer (tant soi peu) de toutes les autres, enseigne à son public quelque chose de

nouveau : un nouveau symbole, un nouveau mode de représentation, une nouvelle forme »3.

Dans cette perspective les possibilités de métissage de la danse contemporaine et de la danse

classique peuvent être exploitées de multiples manières. Ceci conduit inévitablement à

repousser les conventions présentes dans tel ou tel monde de l’art.

1 H.S. BECKERD, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, coll. Champs, février 2006, p. 72. 2 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », in S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 291. 3 H.S. BECKERD, op.cit., p. 86.

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Le fait que la diversité tende à toucher plusieurs publics peut tout de même repousser

certains amateurs de danse contemporaine. Sous prétexte que la programmation de ces œuvres

n’a pour seul et unique but d’attirer un public important, certaines intentions de chorégraphes

sont donc dénigrées au profit de l’intellectualisme ambiant. S’instaure alors une

problématique entre art et divertissement. Cependant, comme le montre Nicolas Six dans son

article, une programmation plus éclectique dans certaines salles rendrait possible la réduction

des écarts de fréquentation. Selon lui, ceci permettrait de composer une programmation plus

démocratique et plus respectueuse de tous les publics. Il note, en effet, que les cadres voient

trois fois plus fréquemment de danse que les employés, et six fois plus que les ouvriers.

Dominique Hervieu, chorégraphe et co-directrice de Chaillot, conforte cette pensée : « il y a

des gens tolérants qui comprennent que c’est par la diversité des approches d’un art qu’on le

présente au mieux. Nous sommes dans une société très hétérogène. Il faut répondre à des

sensibilités très différentes »1. D’après l’auteur, il faudrait que les programmateurs déploient

plus d’initiatives semblables et plus en accord avec des publics autres que celui des initiés.

« Qu’ils cessent de programmer des pièces à destination exclusive des spectateurs issus de

leur milieu social. On aimerait qu’ils cessent de bâtir des programmations stratégiques,

visant à valoriser leur image aux yeux des professionnels de la danse »2. L’auteur n’hésite pas

à pousser le vice jusqu’à demander à ce que les diffuseurs aient le « courage » de défendre un

volet populaire dans leur programmation annuelle. Dans cette perspective, pour Nicolas Six,

les chorégraphes doivent aussi jouer le jeu à l’image du duo Montalvo-Hervieu ou comme

Angelin Prejlocaj qui alterne entre des œuvres populaires et des œuvres moins accessibles.

Cependant, tous les professionnels ne sont pas de cet avis et c’est là qu’entre en jeu la notion

de divertissement. C’est ce qu’explique Agnès Izrine, actuelle rédactrice en chef de Danser,

dans son ouvrage La Danse dans tous ses états. Elle ne partage pas l’avis de Dominique

Hervieu : « Utilisant des danseurs de haut niveau, rompus à tous les styles, poussant au

paroxysme l’amalgame de techniques en tout genre, et l’apport de métissages divers, ce

courant […] refait de la danse un « divertissement » destiné aux couches populaires. Les

représentants de cette nouvelle tendance s’appellent José Montalvo ou Blanca Li […] Les

directeurs de théâtre – sous couvert d’amener des spectateurs néophytes à la danse

contemporaine – ne s’y trompent pas et les programment pour combler le déficit que d’autres

1 Propos de Dominique Hervieu dans N. SIX. « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 32. 2 N. SIX. « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 32.

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formes entraînent »1. Il est concevable que des spectacles conjuguant danse classique, danse

contemporaine, danse hip-hop, cirque, projections vidéos et autres arts en tout genre soient

assimilés à des propositions divertissantes suscitant l’attention de multiples publics. En

revanche, les formes qui assument le métissage entre danse contemporaine et danse classique,

au regard de la première partie de ce mémoire, ne revendiquent pas nécessairement cette

convocation des publics.

Les intentions des chorégraphes ne reposent pas principalement sur une volonté de

s’adresser à plusieurs publics. Cependant, comme évoqué plus haut dans ce sous-chapitre, et

contrairement aux propos d’Agnès Izrine, l’hybridation des œuvres entre tradition et

modernité peut convoquer plusieurs publics et répondre alors à divers horizons d’attente.

Toutefois un problème se pose. C’est celui qui convoque la normalisation de l’art et sa

catégorisation. Si dans la sous partie 1.1.3 de ce mémoire, il a été convenu que l’art échappait

à toute classification stable, durable, et homogène possible c’est notamment le cas à la vue de

ces œuvres, car le spectateur ne sait pas à quel genre il est confronté. En effet, il est

concevable que ces pièces contribuent à créer un trouble dans leur réception. Supposant

qu’elles soient d’ores et déjà difficiles à ranger dans un genre pour les critiques et

programmateurs, il est compréhensible que certains publics se questionnent à propos de ce

qu’ils voient. Ces interrogations semblent pertinentes. Toutefois, elles agissent généralement

sur des spectateurs occasionnels ou initiés. En revanche, au regard des réflexions posées en

début de cette sous-partie, il semblerait que le public néophyte ne soit pas intrigué par ce

processus visant à classifier l’œuvre. Il faut tout de même rester vigilant car la conception

d’une programmation demande souvent de mettre en lumière les genres qui la composent.

C’est pourquoi, malgré l’hypothèse émise en sous partie 1.1.3, il est tout à fait recevable que

la classification prenne sa place. En effet, elle semble obligatoire lorsqu’elle interroge la

notion de public et les programmations qui lui sont proposées. Comme évoqué dans la sous

partie 1.1.3, l’être humain ne peut s’empêcher de rationnaliser son existence et, par ce biais-là,

l’art. Ainsi, il est nécessaire au regard des attentes d’un public d’opérer une classification sur

ces œuvres. Le danger est, comme expliqué dans la partie 1 de ce mémoire, de catégoriser les

œuvres de manière trop hâtive et trop arbitraire. C’est alors aux programmateurs et aux

chorégraphes de veiller à ce que celle-ci soit la plus juste possible pour ne pas placer le public

en porte-à-faux avec les œuvres qu’il voit. Et la médiation dans tout ça ?

1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 137.

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Conclusion

La question du public est relativement compliquée, d’autant plus que la danse est un

peu « l’enfant pauvre » des études statistiques et des analyses de publics. Il faut donc opérer

par bribes d’informations et par observations. Tous s’accordent à dire que la danse peut parler

à tous mais qu’elle est sujette à une idée d’élitisme. Certaines formes, sous couvert de troubler

les frontières entre divers arts, sont accusées de divertissements et attirent un public large.

Finalement, les œuvres qui convoquent danse classique et danse contemporaine suscitent

également moins de désintérêt que des œuvres conceptuelles. Elles sont peut-être un des

moyens d’attirer un public néophyte et de le faire accéder par la suite à des formes plus

contemporaines encore comme des spectacles conceptuels ou minimalistes. Ce n’est pas pour

cela qu’il faut dénigrer les pièces où la tradition converse avec la modernité, car elles sont

souvent qualitatives et réinterrogent le rapport au corps, la manière de penser la danse et sa

vision du monde. Elles problématisent également l’héritage chorégraphique de diverses

manières. Il est donc intéressant de considérer la part que peut jouer la médiation dans la

réception de ces œuvres. L’intérêt se pose nécessairement sur la notion d’hybridation qu’elles

convoquent. Betty Lefèvre en reprenant l’idée d’Umberto Eco explique que : « La danse

contemporaine, en tant qu’œuvre ouverte, va solliciter le spectateur avec d’autres symboles,

d’autres modes de présentations : en cela chaque présentation artistique participe d’une

éducation du public en l’obligeant à repenser les conventions »1. Le mot « d’éducation » du

public n’est peut-être pas très heureux mais en tout cas, la perspective d’amener un public

novice à la danse par des formes beaucoup plus dansées ou lisibles semble être un bon

compromis. C’est notamment le cas des pièces contemporaines qui empruntent à la danse

classique et des relectures de ballets car elles convoquent certaines références qui font appel à

des conventions implicites dans la mémoire collective de la société française. En ce qui

concerne les publics occasionnels et les publics initiés la médiation peut-elle là aussi répondre

à une sensibilisation en regard d’un certain trouble que peuvent créer ces œuvres ?

1 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », dans S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 293-294.

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Chapitre 3 : La médiation culturelle : comment et pourquoi ?

Introduction

L’étude d’œuvres entretenant des rapports avec des spectateurs implique

nécessairement que l’on se questionne sur les effets qu’elles produisent sur le regardeur et sur

la manière dont celui-ci s’approprie ces œuvres. L’expérience esthétique est donc le fruit d’un

espace tant cognitif que sensible chez l’individu. La médiation se construit également dans le

rapport à l’œuvre participant à révéler la manière dont cette dernière peut s’insérer dans le

monde actuel. Elle repose sur la fabrication d’un lien entre l’œuvre et l’individu.

Généralement, l’intérêt de la médiation n’est pas d’enrichir la connaissance du spectateur

mais surtout de participer à la construction d’un rapport sensible et/ou cognitif entre lui et

l’œuvre. Au regard du chapitre précédent, il semble que la danse contemporaine a tout à

gagner de la médiation culturelle. En effet, même si d’après de nombreux auteurs, elle peut

parler à l’imaginaire de tous, la danse contemporaine reste le privilège de certains initiés. Le

but de la médiation n’est pas de faire du remplissage mais elle peut tout de même contribuer à

amener un public éloigné de la danse contemporaine. Si celle-ci développe une relation qui

fonctionne entre l’œuvre et le sujet, ce dernier sera par la suite sans doute plus enclin à se

diriger de lui-même vers une forme artistique.

Chaque œuvre suppose une médiation, en ce sens qu’elle agit seulement sur un objet

artistique et non sur un domaine artistique. Ainsi plusieurs formes de médiations artistiques

sont possibles. Elles sont souvent multiples et variées : discussions, rencontres, visites

guidées, ateliers, activités pédagogiques, etc. Le problème c’est que la médiation culturelle

reste tout de même assez vaste et sa définition est souvent très différente d’une structure

culturelle à l’autre. C’est pourquoi les manières de réaliser une médiation peuvent totalement

différer d’un endroit à l’autre, d’une politique de public à l’autre, etc. Il est donc très difficile

d’expliquer ce qu’est la médiation culturelle, tant elle reste une notion recouvrant diverses

manières d’appréhension du lien entre un public et une œuvre pour beaucoup de personnes du

milieu artistique.

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2.3.1. La médiation culturelle et la danse

La définition de la médiation culturelle est une notion assez jeune. C’est peut-être un

des facteurs qui conditionne la difficulté de sa signification et de sa compréhension. « Depuis

plus de trente ans, les activités de médiation culturelle, qui visent à favoriser l’appropriation

collective des différentes formes d’art et de patrimoine, ont connu un essor continu dans

l’ensemble des domaines artistiques et culturels »1. Ainsi donc, la médiation culturelle s’est

développée depuis une trentaine d’années à tel point que son expansion a contribué à une

fragmentation de son appréhension et donc de sa définition.

Implicitement la question de la médiation pose la question de l’œuvre, du public et du

lien qui les unit. Ceci implique une étude des deux éléments. Il faut dégager en quoi l’œuvre

peut être intéressante et comment s’adresser à tel ou tel public. Aujourd’hui, la médiation

culturelle participe au constat de l’échec de la démocratisation culturelle et tente de réparer les

carences de cette dernière. Certaines structures se donnent donc pour objectif de rétablir une

proximité entre l’art et des publics dits « éloignés », « empêchés ». « La médiation repose sur

une interrogation sans cesse renouvelée sur la place, le rôle et la légitimité de l’institution

culturelle »2. Cette remise en question de la démocratisation culturelle passe aussi par la

manière dont ont été menées les politiques culturelles et sur le constat d’un certain

immobilisme au regard de quelques publics. Le constat s’avère difficile puisqu’il remet en jeu

toute une équité supposée entre les spectateurs. Un des enjeux de la médiation repose donc sur

le développement culturel et part du constat qu’il ne faut pas seulement mettre en place des

politiques tarifaires ou des évènements autour d’une œuvre ou d’un artiste. Elle revendique un

certain accompagnement du public. Elle insiste donc sur le fait qu’il y a encore aujourd’hui

des publics qui ne côtoient en aucun cas les lieux de l’art. Ainsi, elle remet en cause un

système qui considérait depuis toujours que l’œuvre permettait sa propre médiation. Cette

conception avait été initiée par le premier ministre des Affaires Culturelles, André Malraux,

impliquant l’idée que le lien entre le public et l’objet d’art naissait au simple contact avec

l’œuvre, à l’image de « l’immaculée conception ». « Méfiance, car la médiation renvoie à ce

qui a été banni du champ culturel : la reconnaissance de fonctions intermédiaires, faisant le

1 P. CHANTEPIE, « Avant Propos » dans N.AUBOUIN, F.KLETZ, O.LENAY, Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/cetudes-2010-1.pdf >, (consulté le 25/04/11), p. 1. 2 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11).

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lien entre monde de la culture et monde des publics, remettant en cause « l’aura » de l’œuvre

d’art et la croyance dans sa force communicationnelle »1.

La médiation relève donc du constat que la relation entre certains publics et certaines

œuvres ne sont pas automatiques, voire inexistantes. Elle met alors en œuvre divers dispositifs

qui permettent de rétablir certaines « injustices », carences. Par ce biais-là, elle permet la mise

en relation entre des mondes qui parfois sont totalement opposés. Son but est donc de

s’adresser à ses publics par des références qui sont constitutives dans chacun de ces mondes.

Ainsi, la relation à autrui dans la médiation est nécessaire, elle suppose un réel souci de l’être

humain. Le médiateur doit mettre en œuvre une analyse des spectateurs à qui il s’adresse pour

faire raisonner en lui des éléments qu’il connaît afin de le rendre disponible pour une

expérience sensible. Le but n’est pas non plus d’intégrer l’œuvre dans le monde de ceux qui

l’observent, mais il est nécessaire de trouver le juste milieu entre l’espace de l’art et l’espace

du regardeur. En ce sens, la médiation permet de mettre en exergue certains principes

universels que peuvent contenir les objets d’arts. Elle développe une capacité à remettre en

question l’art et ses pratiques tout en reliant ce questionnement aux problématiques actuelles.

Celle-ci s’inscrit dans la construction de l’espace public et du lien social. La médiation

culturelle ne s’insère en aucun cas dans une logique de communication, ni de consommation

de l’art, mais bien dans un souci de pratiques culturelles inexistantes ou incohérentes. Elle

s’intègre dans la sphère culturelle comme l’idée d’une sensibilisation. Cette dernière ne doit

pas « prêcher la bonne parole ». En effet, la difficulté de la médiation repose sur l’idée qu’elle

peut inciter et orienter le regard du spectateur. C’est la réserve qu’émet Jean Caune : « Il

convient également de réfléchir sur les médiations qui empruntent à l’expérience artistique sa

capacité d’influencer notre perception, de conditionner notre imaginaire, de mobiliser nos

émotions et notre implication affective »2. Une bonne médiation doit donner des pistes de

réflexions ou des accès divers au sensible, mais en aucun cas dicter la conduite esthétique du

sujet, en ce sens que celui-ci doit s’approprier lui-même l’œuvre à laquelle il est confronté.

C’est en cela que la médiation doit veiller, ne pas trop déborder sur l’espace sensible du

1 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11). 2 J. CAUNE, La Médiation culturelle : une construction du lien social [en ligne], Disponible sur : < http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Caune/index.php >, (consulté le 27/03/2009).

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spectateur. La médiation c’est ainsi « aérer, ouvrir le discours, la forme, le contenu pour que

d’autres puissent y inscrire les sens de leurs pratiques de spectateurs ou de participants »1.

La danse contemporaine n’est pas éloignée des pratiques de médiation. Pourtant Marie

Christine Bordeaux signale que l’idée même de médiation suscite, dans le monde du théâtre,

de vives réactions. « Le théâtre se pense comme un art intrinsèquement médiateur. […] Le

monde des arts vivants en général, et du théâtre en particulier, est globalement hostile à ce

qui lui paraît être un écran inutile et nuisible entre les artistes et le public »2. Contrairement à

cet état d’esprit, la danse contemporaine est plus sensible à l’idée de transmission qu’implique

la médiation. Moins soutenue par les pouvoirs publics, la danse contemporaine a trouvé là un

moyen de trouver sa place et d’exister. Les spectacles sont le lieu de discussions post-

représentations, de débats de présentation, de sensibilisation sur le parcours d’un artiste, de

conférences dansées, d’ateliers pratiques et pédagogiques, de répétitions ouvertes, etc. La

médiation est alors un moyen de créer des expériences auxquelles le spectateur n’aurait pas

accès sans elle. Ici encore, le débat peut se projeter dans ce qu’est de la médiation et qui n’en

est pas. Toujours est-il que des actions sont menées, qu’elles ont pour but de rapprocher des

publics avec la danse, notamment la danse contemporaine, et que ce sont tout de même des

efforts notoires. Ceci est le résultat du trouble définitionnel qui tourne autour de la notion de

médiation. En danse, cette dernière agit souvent entre le corps du danseur et le corps du

spectateur. Elle s’étend dans la pratique de la danse elle-même, l’idée est donc de faire

éprouver la danse par soi-même.

Les actions de médiation « multiplient […] les modes en présence de la danse pour

construire des publics, et on ne peut qu’être frappé par le jeu constant qui est fait entre

extraits dansés, séquences de films, archives, photographies, écoute de séquences musicales,

reconstitutions plus ou moins hasardeuses, pastiches, discours sur la danse, qui sont autant

de modes indirects de présence de cet art »3. La médiation se superpose donc au domaine

chorégraphique. La multiplicité des formes implique également un mise en réflexion de la

1 M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 24 avril 2007» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 7. 2 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11). 3 M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 1er décembre 2005» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 7.

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danse et son accès pas seulement pour les publics empêchés. En effet, Laurence Louppe fait la

constat que « le spectateur de danse contemporaine, la plupart du temps, est appelé à

vagabonder d’une manifestation à une autre, sans qu’un fil continu le relie à un champ

permanent de références, ou, mieux sans doute, à un champ artistique susceptible de produire

et d’éveiller des sensations particulières, des pensées, des états de corps et de conscience, que

les autres arts ne lui donneront pas. Chaque chorégraphe contemporain, parfois chaque

œuvre chorégraphique, sont alors approchés, au hasard des programmations, comme un

évènement ponctuel, un rapide passage d’objet spectaculaire parmi d’autres »1. Il se dégage

là une idée de consommation du bien culturel sans nécessairement poser une réflexion sur

celui-ci. La médiation de la danse doit aussi participer à rendre les pratiques culturelles plus

intelligibles. Sans nécessairement éduquer les publics, la médiation culturelle se doit de

mettre en relation le sujet avec l’œuvre, tout en lui proposant une perception sensible et

problématique du monde, l’idée étant de construire et de déconstruire des représentations.

Pour cela, il suffit de faire prendre conscience au public de sa fréquentation du monde de l’art.

La médiation d’une œuvre peut participer à la mise en perspective de chaque pratique pour

établir des comparaisons et construire une pensée propre à chaque spectateur. La médiation ne

doit donc pas seulement être pensée dans l’objet d’amener des publics « empêchés » vers une

œuvre d’art, mais aussi dans le but de contextualiser une pratique artistique. Si le spectacle de

danse contemporaine engendre une certaine appréhension, la médiation peut contribuer à

engager un parcours personnel vers l’art.

L’initiative de la médiation doit ainsi se concentrer sur tous les publics. Elle doit amorcer ou

démultiplier les fonctions de l’art, c'est-à-dire susciter une expérience sensible entre l’œuvre

et le spectateur, convoquer et remettre en question les représentations des individus et mettre

en réflexion le monde et la perception du sujet.

2.3.2. Quelle médiation pour les œuvres entre classique et contemporain ?

Plusieurs points d’ancrages sont importants pour établir des actions de médiation sur

les relectures de ballets classiques ou sur les œuvres de danse contemporaine qui utilisent des

éléments de danse classique. En effet, comme vu précédemment ces pièces touchent à

1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, coll. La pensée en mouvement, mars 2004, p. 12.

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diverses interrogations et problématiques qu’il serait intéressant de transmettre au public. La

médiation peut là aussi agir à plusieurs niveaux sur des publics novices ou sur des publics

amateurs et initiés. Ces œuvres permettent, comme évoqué au sous chapitre précédent, de

croiser des publics habitués à la danse classique et d’autres habitués à la danse contemporaine.

La médiation dispose là de divers publics sur lesquels travailler de manière différente.

Cependant, celle-ci doit toujours être attentive à éveiller la sensibilité du spectateur.

L’expérience esthétique en elle-même lui apportera la connaissance mais il est pourtant

difficile de maintenir cet horizon.

Ces œuvres touchent donc à un patrimoine. Elles le réinterrogent et le réactualisent par

une pensée et une écriture, celles du chorégraphe. Celui-ci donne à voir des éléments dont la

danse est plus ou moins directement héritière. La médiation doit se poser la question de ce

patrimoine. Puisque les artistes choisissent de le mettre en avant faut-il s’en emparer,

pourquoi et comment ? Comme l’explique ce mémoire, il y a deux types d’œuvres qui

conditionnent cette perception modernisée de l’histoire : les relectures et les pièces

contemporaines qui font référence par divers moyens à la danse classique. Celles-ci ne

s’appréhendent donc pas de la même manière et ne font pas sens auprès du public de la même

façon. Les relectures proposent clairement une vision différente ou totalement transposée dans

un autre univers. Bertrand d’At (cf. sous-partie 1.2.2) souligne le succès d’une relecture et

affirme que celle-ci fidélise son public. Ici, la médiation a peut-être un rôle à jouer. Elle peut

se placer soit dans l’expression du lien entre le ballet d’origine et la relecture, soit essayer

d’occulter totalement la pièce traditionnelle. Tout dépend de l’objectif que l’on place dans la

médiation et du public auquel elle s’adresse. En effet, c’est un point très important. Par

exemple, si l’intervention se fait sur des spectateurs novices ou « éloignés », il serait peut-être

intéressant d’insérer deux ou trois éléments historiques pour faire prendre conscience que la

relecture permet un passage entre le passé et le présent. Le chorégraphe n’opère pas ce lien

par hasard, c’est parce qu’il éprouve une certaine nécessité de réinterroger un patrimoine.

Intégrer dans la médiation quelques prises de conscience sur l’héritage de la danse permettrait

sans doute d’éclairer le propos de l’œuvre. L’idée ici n’est pas de baser toute la médiation sur

ce point, mais il est indéniable que certaines comparaisons ou explications en ce sens

pourraient participer à l’expérience sensible du regardeur.

Dans une autre perspective, il peut-être intéressant de mettre en avant le côté historique de

l’œuvre dans une médiation qui s’adresserait à un public féru de danse contemporaine. En

effet, celui-ci, habitué à voir des pièces beaucoup moins lisibles et beaucoup plus

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conceptuelles, n’est pas dans la nécessité de construire ses expériences esthétiques. L’idée ici

est que ce public connaisseur peut amplement comprendre et s’intéresser à une médiation qui

met en rapport l’héritage classique et la danse contemporaine. D’ailleurs, ce n’est pas parce

que l’objectif de la médiation sera de mettre l’accent sur l’histoire de la danse que celle-ci ne

peut pas participer à l’expérience sensible du spectateur. En effet, ce dernier faisant appel à

ses connaissances acquises grâce à la médiation, à ses expériences artistiques et esthétiques

précédentes et à sa sensibilité, pourra se laisser emporter par l’œuvre différemment.

Pour les publics habituels de la danse classique, la médiation pourrait jouer totalement en

contrepoids de cet héritage. En effet, celui-ci détient sans doute la plupart des clés historiques

de la danse classique et connaît certainement nombreuses histoires traitées dans les ballets

classiques. L’idéal de la médiation envers ces publics serait d’occulter totalement la partie

historique. Souvent, le public de la danse classique n’est pas toujours habitué des pièces

chorégraphiques contemporaines. Si c’est le cas, il s’intéresse souvent à des pièces très écrites

en matière de mouvements. L’intérêt de cette médiation serait alors de miser totalement sur la

danse contemporaine et parler nécessairement de la pièce remaniée. Le public est apte à faire

les passerelles lui-même entre passé et présent, toutefois la médiation doit lui apporter

quelque chose de nouveau. C’est en cela que son expérience sensible sera complète. Si la

médiation lui ouvre le chemin de l’œuvre dans sa modernité, le spectateur connaisseur de la

danse classique pourrait ainsi trouver un réel intérêt dans la relecture.

Ces trois exemples de construction de la médiation sont bien sûr quelques pistes de réflexions.

Cependant, il existe de multiples publics qui ont chacun leur particularité. De plus, il ne faut

pas oublier que l’unité qui constitue le public à un moment donné comporte une multitude

d’individu qui, chacun à leur manière, développe un rapport particulier avec l’œuvre. Ces

idées sont à prendre dans l’absolu, et il y a donc des pistes à développer sur le terrain en

fonction de l’œuvre, du public et de la structure dans laquelle elle est programmée. Les

relectures sont souvent la garantie de la venue du public, mais ce n’est pas pour autant que

leur médiation ne serait pas « efficace ».

Les œuvres empruntant à la danse classique par divers moyens vont bénéficier là aussi

de médiations très diverses. De la même manière que les relectures, à chaque œuvre

appartient sa problématique et plusieurs points d’ancrages sont possibles. La médiation peut

très bien s’établir sans se soucier des références à la danse classique. Tout dépend de la

manière dont le médiateur veut conduire ses actions et de la façon dont il souhaite positionner

l’œuvre. La danse classique et la danse contemporaine dans leur rapport d’opposition ou

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d’inclusion/exclusion permettent de rendre visibles des perceptions jusque-là inéprouvées. La

réception s’en retrouve alors modifiée notamment lorsqu’il s’agit de la phase kinésique si

l’œuvre mêle les deux techniques. La médiation doit-elle nécessairement préparer le

spectateur à ces sensations ? Il est presque certain qu’un public de danse classique appréciera

l’écriture de Thierry Malandain ou de William Forsythe. Peut-être au contraire qu’un public

amateur de danse contemporaine trouvera cette danse un peu trop « léchée », sans grand

intérêt, etc. Le public de danse classique peut être amené à déceler la modernité dans la

gestuelle de ces chorégraphes par l’énergie ou la déstructuration du mouvement employées.

La médiation pourra donc se faire à un autre niveau en ce qui le concerne, en revanche peut-

être que les adeptes de la danse contemporaine seront sensibles à ce que la médiation les initie

en ce sens. Ceci dépend toujours du public auquel on s’adresse, puisqu’en effet chaque

spectateur doit être considéré dans son individualité, et celui-ci est peut-être tout à fait capable

de déceler la modernité d’une écriture telle que celle de Thierry Malandain ou de William

Forstythe.

Pour les pièces qui empruntent la musique de grands ballets classiques, il est peut-être

intéressant que la médiation joue sur cet atout sans trop s’y perdre non plus, sans trop rentrer

dans une explication contextuelle et historique, mais en replaçant la partition dans le monde

actuel et dans la manière dont le chorégraphe peut placer une gestuelle contemporaine dessus.

La médiation peut venir participer à développer l’expérience esthétique que procure

l’association de la musique de ballet classique et la création chorégraphique contemporaine.

Pour les pièces dont la référence musicale est accompagnée de références gestuelles, vidéo ou

autre, il est peut-être nécessaire que la médiation les insère. Certains chorégraphes s’amusent

à jouer sur le costume et notamment le chausson de pointes. C’est un élément qui est commun

dans la conscience collective de beaucoup et il reste très vite associé à la danse classique. Là

encore tout dépend du public qui participe à la médiation mais celle-ci devra veiller à la

mettre en avant de façon plus ou moins discrète. A chaque forme et à chaque chorégraphie se

déploie un travail de médiation particulier en fonction du public auquel on s’adresse.

Là où la médiation peut venir jouer un rôle, c’est dans l’appréhension du genre des

œuvres qui s’exposent à la frontière du classique et du contemporain. En effet, certaines

pièces peuvent créer de la confusion dans l’esprit des spectateurs. Peut-être qu’à ce niveau-là,

la médiation a un rôle à tenir en ce sens qu’elle pourrait participer à éclairer le trouble qui

s’instaure chez certains publics. Ce dernier agit également sur les critiques et sur les auteurs

de la danse. Comme évoqué dans la sous partie 1.1.3, ces pièces posent le problème de leur

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classification. En effet, les difficultés rencontrées au regard de ces œuvres sont qu’elles se

situent aux croisements de diverses techniques et font référence de manière différente à

certaines époques distinctes. A partir de là, chacun se construit sa propre grille d’analyse

selon ses connaissances, et il peut vite se retrouver perdu. Sans expliciter de manière

inquisitrice, la médiation culturelle peut venir se confronter à cette confusion. Elle peut très

bien faire passer le message que le plus important dans la réception d’une œuvre, ce n’est pas

de savoir ce que l’individu voit, mais surtout ce qu’il regarde, ce que ça évoque chez lui.

L’important n’est donc pas de se concentrer sur le genre de danse qui est proposé mais surtout

de laisser parler et raisonner les sensations que provoque le mouvement sur scène dans le

propre corps de l’observateur. Il faudrait donc que la médiation s’impose en amont de ce

trouble. Cependant, on ne peut nier le fait que les programmations nécessitent souvent de

qualifier le style artistique qu’ils proposent. Comme expliqué plus haut (cf. sous partie 1.1.3),

les œuvres telles que les relectures ou celles qui empruntent des éléments ou références à la

danse classique ont tendance à être soit catégorisées sous l’esthétique du néoclassique ou celle

du contemporain. La pertinence voudrait qu’elles soient plutôt considérées comme

contemporaines que néoclassiques. Il faudrait donc que la médiation soit un moyen de faire

passer cette idée sans pour autant intellectualiser son propos. L’intérêt repose sur le fait que le

spectateur ne se retrouve pas confronté à un problème de classification alors que le but de

l’expérience esthétique, c’est de se laisser porter par l’œuvre. C’est en quelque sorte la

« sérénité » du spectateur à laquelle peut contribuer la médiation. En effet, elle peut lui éviter

des questions inutiles qui le détourneraient du sensible de l’œuvre. Il faut que son esprit soit

au moins libre de cette interrogation pour pouvoir apprécier l’œuvre à sa juste valeur, dans sa

matérialité corporelle, dans sa gestuelle et dans son écriture. Le but n’est pas d’essayer de

déchiffrer si tel ou tel mouvement est classique, néoclassique ou contemporain, mais surtout

d’être attentif à ce que disent ou ce qu’évoquent ces mouvements ou de se laisser transporter

par ces derniers pour les apprécier dans leur matérialité. Ceci ne va pas nécessairement de soi

et c’est en cela que la médiation peut-être utile.

En dernier lieu, il semblerait que ces œuvres soient un très bon outil pour un premier

accès à la danse contemporaine. En effet, ces formes sont sans aucun doute très lisibles pour

beaucoup de publics, en ce sens qu’elles peuvent répondre aux attentes d’un public plus ou

moins initié, voire novice. Elles sont donc, pour la plupart, plus faciles d’accès que des formes

minimes ou conceptuelles. Ces dernières sont un bon moyen de mener des publics

« éloignés » ou qui ne se sentent pas concernés par la danse contemporaine. La médiation peut

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jouer un rôle en ce sens qu’en tissant le lien avec l’œuvre, elle peut désacraliser la danse

contemporaine. Le but est de montrer que celle-ci peut s’adresser à tous et qu’elle ne présente

pas nécessairement des formes « intellectuelles ». Ceci se base donc sur les « a priori » liés à

cet art et la médiation doit se fixer pour objectif de les déconstruire. Ces œuvres pourraient

être une porte d’entrée vers des formes par la suite plus difficiles d’appréhension. Une fois le

premier pas franchi dans une salle de spectacle, le second sera sans doute plus facile, le

troisième un peu plus… Le rejet que peut provoquer l’art contemporain peut être atténué par

l’approche d’œuvres peut-être plus faciles d’accès. Il faut admettre que certaines œuvres ne

s’adressent pas à tout le monde et la médiation culturelle a tout à gagner à orienter un individu

non amateur vers une forme plus lisible. Le rejet sera certainement moindre, voire inexistant,

si l’on sensibilise un public non initié.

Conclusion

Au regard de ce chapitre, la médiation semble nécessaire et l’art n’a rien à perdre à sa

mise en place. Finalement, elle est rendue possible sur tout types$ d’œuvre, quelle que soit sa

difficulté d’appréhension. Elle a pour but de favoriser la réception esthétique sans pour autant

trop la guider ou trop l’influencer. Ceci reste tout de même un point de vue car certains

considèrent que des visites guidées pures et simples seront de la médiation, tandis que

d’autres considèrent la médiation comme offrant un « passeport » (payant) avec un nombre de

spectacles à la clé. Ainsi, pour certaines structures, la médiation revendique une certaine

éthique, tandis que pour d’autres elle n’a pour intérêt que de faire du « remplissage ». Bien

évidemment, ces exemples sont des extrêmes et de nombreuses entités culturelles se placent

entre ces deux considérations. La médiation doit garder son côté de transmission dans le but,

certes de fidéliser un public, non pas parce que le tarif est plus attractif, mais car l’expérience

esthétique qu’il aura vécu aura été constructive pour lui.

La médiation de la danse semble aussi diverse et variée car elle est sans aucun doute

un des moyens d’effacer le sentiment d’incompréhension qui l’entoure. A juste titre, elle attire

tout de même un grand nombre de spectateurs, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si un

français sur six cent n’a jamais assisté à un spectacle de danse contemporaine, la médiation

peut nécessairement trouver sa place. Elle s’insère parfaitement dans le projet de la

démocratisation culturelle.

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Toutefois même si la médiation est devenue une évidence pour un bon nombre

d’institutions et d’acteurs culturels, « la terminologie de médiateur ou de médiation est

rarement utilisée, et même souvent volontairement évitée au profit d’expressions comme :

action culturelle, action pédagogique, relation aux publics, action territoriale, animation

scientifique, action musicale, etc. La médiation apparaît comme un mot valise renvoyant à

une grande hétérogénéité d’activités »1. Ainsi, la médiation et son champ d’action sont très

fragmentés. Elle ne s’insère pas dans la société de la même manière selon la structure qui

l’initie, selon les publics auxquels elle s’adresse et la nature des relations qu’elle souhaite

entretenir avec eux. Le problème qui se pose donc, c’est que parfois, la médiation reste trop

en marge. Celle-ci fait belle figure de théorisation mais le terrain est totalement différent. Ceci

marque un manque de reconnaissance pour la profession même de « médiateur culturel », ce

qui rappelle donc le grand écart entre les discours des politiques culturelles et les pratiques.

Ces dernières « pourront s’approcher des ambitions théoriques affichées, lorsqu’elles

deviendront un véritable objet de gestion »2, c'est-à-dire lorsque la profession sera à minima

structurée.

1 N. AUBOUIN, F. KLETZ, O. LENAY, Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/cetudes-2010-1.pdf >, (consulté le 25/04/11), p. 2. 2 Ibid., p. 11.

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Conclusion

Les œuvres qui participent au métissage entre danse classique et danse contemporaine

suscitent plusieurs réflexions en matière de patrimoine et de son héritage. Qui dit héritage dit

transmission : il y a donc des chorégraphes qui remettent à jour ce patrimoine dont les

regardeurs peuvent s’emparer. Toujours est-il que ce phénomène nécessite parfois une

médiation s’adressant au public. Contrairement au théâtre, et même si elle se dit ouverte à

tous, la danse contemporaine est ouverte à cela par diverses activités. Elles permettent au

spectateur d’approcher ce domaine soit par des sensibilisations intelligibles de

compréhension, soit par un travail de sensations sur le corps.

La dimension patrimoniale de ces œuvres reste très importante car elles conjuguent un

passé au présent tout en pensant au futur. Proposant des formes inédites et plus lisibles, elles

sont une réelle porte d’accès pour des publics « éloignés ». Il ne faut en aucun cas les

déconsidérer comme étant des œuvres trop « simples ». Comme les autres, elles participent

tout autant à renouveler la pratique chorégraphique et l’interrogent d’une autre manière. Ce

n’est pas parce qu’elles usent de la diversité et que leur lisibilité est plus probante, qu’elles ne

comptent pas dans l’histoire de la danse. La médiation culturelle ne doit donc pas pour autant

s’en emparer automatiquement. Dans son objectif de « transmission », elle doit faire prendre

conscience des intérêts de ces œuvres. Dans cette perspective, il ne faut pas oublier que la

médiation a pour but de créer un lien entre un public et une œuvre afin que l’expérience

esthétique soit la plus épanouie possible comme la décrit Jean Caune dans son ouvrage Pour

une éthique de la médiation, Le sens des pratiques culturelles. « La culture esthétique ne se

limite pas au domaine de l’appréciation, pas plus qu’elle ne s’oppose à la culture

scientifique, qui se préoccupait seule de la compréhension. Il faut dépasser l’idée qui ne voit

dans l’activité esthétique qu’un moyen de loisir, de fuite devant la pesanteur du réel, de

résolution des tensions sociales et jamais une activité qui, en elle-même, apporte une

compréhension propre du monde. L’art n’est pas un « supplément d’âme » qui vient apporter

une plus-value immédiate à la connaissance […] . Une des conditions pour donner à la

culture esthétique cette fonction d’interprétation du monde de la relation interpersonnelle est

de ne pas la réduire au rapport à l’œuvre d’art et d’y inclure la formation de l’individu par

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l’expression artistique. L’objectif est alors de penser la relation entre cognitif et affectif »1.

La médiation ne doit avoir aucune prétention. Son seul et unique but est donc de participer de

cette culture esthétique.

1 J. CAUNE, Pour une éthique de la médiation – Le Sens des pratiques culturelles, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1999, p. 104.

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Conclusion générale

« Plus on y réfléchit, plus il semble particulièrement vain de vouloir apporter une

définition de la danse. Il faudrait reprendre une fois pour toutes les propositions de quelques

esthéticiens sur l’art en général et choisir pour la danse une lumière spéciale. Mais l’exemple

de ces mêmes esthéticiens est décourageant. A vouloir limiter on obscurcit et l’on parvient

seulement à reculer un peu plus la solution du problème, en admettant qu’il y ait une solution

et un problème »1. Dans le cas de ce mémoire, le problème de la danse serait donc comment

conserver le patrimoine de la danse classique, et peut-être que la solution, hormis la création

d’un répertoire, est le fait que ce soit la danse contemporaine qui permet la renaissance de la

tradition par divers moyens. Toutefois, ces œuvres peuvent aussi créer un trouble par la

difficulté de leur classification et la meilleure solution serait donc de catégoriser ces œuvres

dans le genre de la danse contemporaine pour répondre à un besoin de rationalisation

humaine. L’idéal serait de laisser parler ces œuvres sans préjugés, sans intention de

comparaison, sans projet de classification. Elles marquent une réactualisation de la danse et

par ce biais là, elles sont largement parlantes. Il suffit que le chorégraphe affirme une identité

qui lui est propre. L’exploration de tous les registres de création, des volontés d’expressions

des créateurs sont la meilleure manière d’exprimer leur art. Par la suite, « dès que les corps

s’exposent, la chorégraphie quitte son créateur et est soumise à la lecture du spectateur en

stimulant, entre autre, sa sensibilité à la différence (une réflexion éthique), provoquant ce

moment magique de l’échange où regardeurs et regardés respirent ensemble et se confrontent

à la complexité de nos comportements »2. La danse permet des expériences qui renvoient

directement ou indirectement à d’autres expériences, parfois celles de la vie de tous les jours,

mais elle permet aussi de se détacher de ce quotidien.

« Nombreux sont les spectateurs qui cherchent encore et toujours des codes d’accès à

un art plus proche de l’irrationnel que de la logique : non pour quadriller une œuvre mais

pour savourer les interstices, là où l’imaginaire de chacun a la liberté de se glisser pour

s’épanouir. Le plasticien Marcel Duchamp aimait à dire que c’est le spectateur qui fait

l’œuvre. A condition qu’il s’accorde ce droit, fasse confiance à ses perceptions, ouvre sans

complexe les vannes de son inconscient. Il ne s’agit pas de consommer, mais de jouir en

1 P. SOUPPAULT, « Terpsichore », dans M.C. PIETRAGALLA, Ecrire la danse, De Ronsard à Antonin Artaud, Paris, Séguier Archimbaud, janvier 2001, p. 144. 2 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », dans S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 298.

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inventant sa vision propre »1. C’est dans ce sens-là que doit œuvrer la médiation car elle doit

donner la possibilité aux spectateurs de s’ouvrir à un univers qu’ils ne connaissent pas ou

peu : elle peut aussi bien amener un public novice qu’un public connaisseur. L’idée n’est pas

d’amener les spectateurs vers une réception qui serait identifiée comme « bonne » ou

« mauvaise », mais de les conduire vers un cheminement qui serait propre à chacun.

Les œuvres traitées dans ce mémoire intègrent une dimension particulière. En effet,

par leurs caractéristiques, elles permettent l’avènement de nouvelles formes qui sont chacune

créées à l’image de la sensibilité de leur auteur.

De tout temps, les grands ballets ont été repris. Leur transmission s’est faite par voie

orale mais leur ancrage est toujours resté dans le système classique et c’est finalement tard

que la danse contemporaine s’intéresse à ces ouvrages. Par sa rupture avec la tradition, elle a

marqué un besoin de s’en éloigner pour mieux l’analyser et mieux y revenir par la suite. Les

relectures sont donc multiples et variées dans leur façon de réinterroger à la fois la danse

classique mais aussi contemporaine. Elles impliquent un travail de recherche historique et

nécessitent une réflexion poussée pour retirer l’essence. Cette dernière est conservée par la

pièce contemporaine qui décuple donc les fonctions du ballet. Le spectateur assiste à des

œuvres totalement contemporaines dans la gestuelle, d’autres aiment mêler inlassablement la

technique classique et contemporaine, tandis que certaines s’amusent à insérer des fragments

de mouvements classiques ou des éléments comme les costumes ou les décors qui font

références au ballet originel.

D’un autre côté, la danse contemporaine n’a pas eu besoin de s’incarner dans une

reprise de ballet pour emprunter à la danse classique. Elle s’adonne avec plaisir à l’alliage des

sources classiques et de l’esthétique contemporaine. L’insertion de la danse classique se fait

par bribes ou très explicitement. Chaque ouvrage présente à sa manière un élément de la

danse classique. Selon son inspiration le chorégraphe choisit de mettre en avant une narration,

une musique de ballet, un costume, un chausson de pointe, etc. Dans ce cas-là aussi, la danse

classique est considérée comme productrice de création et assemblée à la danse

contemporaine, elle multiplie les possibilités de mouvements et d’expressions. Loin d’effacer

les valeurs de la modernité, elle l’invite à s’ouvrir à d’autres horizons. Que ce soit dans la

gestuelle, ou dans la portée symbolique, ces pièces contemporaines apportent un renouveau

certain à la danse. Elles mettent en regard des éléments qui originellement n’étaient pas faits

1 R. BOISSEAU, Panorama de la danse contemporaine, Paris, Textuel, septembre 2008, p. 5.

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pour être associés : ils étaient, même à une certaine époque, pour beaucoup de chorégraphes,

antagonistes.

L’histoire de la danse a donc permis ce lien qui avait été brisé entre classicisme et

contemporanéité. A un moment donné, pour « survivre », la danse classique a eu besoin de se

moderniser, tandis que la danse contemporaine, sans être arrivée à saturation s’est ancrée dans

un certain conformisme et un certain académisme. Les expérimentations se tournent alors vers

la remise en jeu des codes sans les occulter mais en les transposant dans une esthétique et une

technique contemporaine. De nombreux chorégraphes excellent en la matière comme Maguy

Marin, Angelin Prejlocaj, William Forsythe, Thierry Malandain, Karol Armitage, Mats Ek,

etc. pour ne citer qu’eux. Il y a donc différentes manières de réinterroger le passé. Certains

utilisent la technique de la danse classique pour en développer des mouvements totalement

modernes, tandis que d’autres préfèrent détourner le propos de l’œuvre originale pour le

transférer dans un monde actuel. En général, ces œuvres ont tout de même la capacité de

traiter de thèmes universels et sont parfois plus lisibles, en ce sens qu’elles sont souvent plus

« dansantes » et moins conceptuelles. Elles « parlent » généralement plus que des œuvres

minimalistes. En tout cas, elles peuvent être le moyen d’amener des publics novices à la danse

et la médiation a, en effet, tout à gagner à travailler sur ce genre d’œuvres. Elle doit les

considérer tout d’abord comme des pièces contemporaines et axer son propos selon l’œuvre.

La mise en avant du patrimoine est très importante mais elle ne doit pas nécessairement

occulter le reste du propos de la pièce ou son intérêt. D’autant plus qu’en général, les

chorégraphes ne participent pas à la patrimonialisation de la danse volontairement ; si leurs

créations s’inspirent du classique, certains ne revendiquent pas la réactualisation d’un

patrimoine. Tout naturellement ces œuvres réinterrogent un passé de manière évidente, mais

souvent les artistes pensent d’abord leur création en ce qu’elles vont pouvoir amener de

nouveau à leur art mais aussi à leurs productions. Certains, comme Angelin Prejlocaj ou

Bertrand d’At, vont aussi se soucier du public en créant des œuvres qui s’inspirent de la danse

classique. Plus de 150 000 spectateurs ont vu Blanche Neige, tandis que Bertrand d’At est

certain de fidéliser un public avec sa relecture classique du Lac des Cygnes, afin que ce

dernier se rende à la présentation des pièces contemporaines données par son ballet.

Il y a donc différentes manières d’aborder les œuvres qui opèrent le métissage entre

danse classique et danse contemporaine. En effet, « une fois n’est pas coutume ». Même si il y

a certains intérêts communs ou certaines similitudes dans les pièces qui confrontent la

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tradition à la modernité, chacune d’entre elles revendique une position unique face à un passé

dont tous les danseurs et chorégraphes sont, parfois malgré eux, les héritiers. La danse est en

perpétuel devenir, car chacune de ses productions est éphémère et que sa capacité à se

réinventer est infinie. De plus, son caractère créatif reste alors ineffaçable pour trois

catégories de personnes : le chorégraphe, les danseurs et les spectateurs. La danse laisse

naturellement une trace. En cela, le spectateur participe à son tour à sa mémoire. En effet, le

mode de réception kinésique enclenche une sensation qui s’infiltre chez le regardeur de

manière inconsciente pour toujours. Ainsi, il porte en lui des états de corps dont il s’est fait

siens et qu’il véhicule. Outre ce phénomène, le public est également un vecteur de

transmission de la danse. Par le seul fait de sa réception, celui-ci est par la suite tenté de

donner son avis et expliquer ses impressions sur telle ou telle forme et, par ce biais-là, il

participe à la création d’une mémoire collective puis à la construction d’un patrimoine vivant.

Les spectateurs peuvent alors avec la production de vidéos, d’articles, ou bien de

photographies, etc. contribuer au renforcement du patrimoine chorégraphique. En effet, l’idée

de transmission passe aussi par les images et les mots dont le seul but est de faire renaître un

évènement passé par un médium. Ce qu’il reste chez le spectateur sont des visions floues mais

son corps et son esprit conservent tout de même le sens premier de l’œuvre.

Au regard de ce paragraphe, il y aurait finalement trois manières de « conserver » la

danse mais certaines pratiques n’ont pas la même ambition. La constitution d’un répertoire a

été nécessaire à un moment donné de l’histoire de la danse en ce sens qu’elle a permis la

création d’un patrimoine chorégraphique classique. La danse contemporaine s’est aussi

tournée vers cette notion, surtout les chorégraphes. Certains, notamment ceux qui agissent

dans le secteur institutionnel ou ceux qui sont très renommés, cherchent absolument à

partager leur répertoire et à le prolonger dans la durée, voire même après leur mort. Tous les

moyens sont bons comme notamment la notation, la captation ou encore la délégation d’un

danseur à la tête de la compagnie. D’autre part, les pièces contemporaines qui réintroduisent

la danse classique permettent elles aussi la patrimonialisation de la danse, en ce sens qu’elles

réactualisent le répertoire. Par ce biais-là, elles remettent au goût du jour les attributs et codes

de la danse classique. Enfin, la danse peut être entreprise dans une mémoire collective qui

prend naissance dans les perceptions du public. Ainsi, « la mémoire de la danse est le lieu de

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tous les possibles à partir de l’instant où on l’aborde à travers le surgissement de la trace

humaine, intime, sensible, rare des spectacles »1.

1 E. SEVERIN, Le Processus de patrimonialisation des œuvres chorégraphiques contemporaines, Mémoire -DESS « Développement culturel, et directions de projets », Université des Lumières Lyon II/ARSEC, année 1999/2000.

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Postface

Panorama historique de la danse classique

et contextualisation de la danse contemporaine

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Ces deux aperçus historiques et contextuels montrent en quoi les esthétiques

classiques et contemporaines ont su se remettre en question à différents moments de leurs

évolutions. Il est important de noter que cette postface est bien sûr sélective. En effet,

l’histoire de la danse est tellement complexe, diverse et étoffée que tous les chorégraphes

importants et novateurs n’ont pu être cités. Cette postface dresse un panorama rapide afin

d’éclairer le lecteur sur le propos de ce mémoire. En effet, il est nécessaire de prendre en

considération la manière dont la danse classique, la danse néo-classique et la danse

contemporaine se sont constituées. De manière évidente, l’avènement de la danse

contemporaine n’a pas pour autant relégué la danse classique « aux oubliettes ». Les scènes

actuelles présentent les trois esthétiques.

En France, la question de la modernité a traversé ces deux esthétiques. Naturellement,

elles s’en sont emparées chacune de manière différente. En effet, « les dix ans d’expansion

inouïe de la danse contemporaine en France (1982-1992) correspondent quasi exactement à

la mandature de Noureev (1983-1992) à l’Opéra de Paris, qui s’empressera de revisiter et

d’inscrire tous les chefs d’œuvre de Petipa à son répertoire (Don Quichotte, 1981,

Raymonda, 1983, le Lac, 1984, Casse-Noisette, 1985, la Belle au bois dormant, 1989, la

Bayardère, 1992) »1. Cependant, la frontière entre classique et contemporain qui s’était

fortement dessinée dès la naissance de la danse contemporaine s’est peu à peu décimée.

Comme évoqué précédemment, dès 1973, Carolyn Carlson est invitée à l’Opéra de Paris en

tant qu’étoile chorégraphe, tandis que Merce Cunningham crée pour la compagnie Un jour ou

deux. Dès lors, la danse contemporaine entre à l’Opéra de Paris. Noureev invite la compagnie

de Martha Graham en 1984 : cet évènement constitue un cas historique d’accueil d’une

compagnie moderne dans la plus vieille institution de la danse en France. Ceci marque

nettement la « trêve » entre les deux esthétiques, même si auparavant la danse contemporaine

ne s’est pas toujours positionnée à l’encontre de la danse classique. Ainsi, de nos jours, il

n’est pas rare de voir certains chorégraphes contemporains puiser quelques éléments de leur

inspiration dans la danse classique.

1 A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 54.

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Chapitre 1 : De quelle manière la danse classique a permis la

création d’un répertoire ?

Introduction : La danse comme instrument du pouvoir

Comme évoqué précédemment, les origines de la danse classique et ainsi du ballet

remontent aux expressions originelles du mouvement qui consistaient en des rites, en des fêtes

civiles ou religieuses. Le moyen utilisé par les hommes pour attirer l’attention des dieux s’est

très vite porté vers l’utilisation de la danse. Cette dernière a pour intérêt de convoquer les

divinités afin de maîtriser les éléments qui dépassent la nature humaine. L’homme

paléolithique est confronté à des phénomènes sur lesquels il ne peut avoir de pouvoir. Il

s’adonne ainsi à des rites dansés pour provoquer la pluie ou réalise des danses solaires ou

lunaires. La danse est ensuite présente partout dans la civilisation grecque : rites religieux,

cérémonies civiques, fêtes, éducation des enfants, entraînement militaire, vie quotidienne, etc.

Elle permet également de rendre hommage aux dieux devant les temples. Il y a même des

danses consacrées à un dieu particulier, comme le culte de Dionysos qui est généralement

dansé. Peu de temps après le Moyen Age, la tradition continue à lier la danse à la religion.

Mais l’époque est sujette à des crises qui vont toucher les sensibilités et il s’amorce une prise

de conscience et une réflexion sur la vie et la mort : c’est l’ère des danses macabres. De ces

danses collectives ressort une longue maturation qui conduit la danse à s’ouvrir vers de

nouveaux horizons. Les danses de groupe tendent alors vers des danses de couples. En effet,

vers le XIIème siècle, la danse noble, à l’image de l’écart qui se creuse entre les classes, tend à

s’éloigner des danses populaires : il s’opère un refus du « corps collectif » (institué dans les

danses populaires) dans la volonté de raffinement entrepris par les couches aisées.

La véritable impulsion est donnée par les cours européennes à travers l’Europe

pendant la période de la Renaissance. C’est à cette époque-là qu’apparaît le maître à danser

qui, au service des princes et des rois, instaure des règles qu’il enseigne. Se développent ainsi

des techniques, des postures et des pas qui sont retracés dans des traités pour envisager le

ballet dans sa globalité. Ces derniers jettent alors les bases d’un art qui se veut être les

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prémices de la danse classique. Le plus majeur d’entre eux a été écrit par Toinot d’Arbeau et

se nomme L’Orchésographie. Il décrit les danses de caractère et les pas de danse de cour du

XVème et du XVIème siècle. La danse devient alors, dans l’Italie du XIVème et XVème siècle, le

prétexte de fêtes à la gloire des princes, permettant de s’écarter du dogme religieux replaçant

l’homme au centre du monde. Les spectacles à l’italienne vont s’expatrier en France grâce à

Charles VIII et François 1er.

Déjà, le ballet de cour connaît la recherche de la virtuosité et de l’illusion scénique.

Petit à petit, l’influence du roi agit sur la danse par la création en 1570 de l’Académie de

musique et de poésie. La danse commence donc à s’intellectualiser par le lien qui s’établit

entre elle et la littérature. Le 15 octobre 1581, le Ballet comique de la reine est donné au

Louvre pour le duc de Joyeuse. L’art total prôné à cette époque est réalisé pour la première

fois en France par l’unité dramatique : musique, poésie et danse. Mais dès lors, le ballet entre

dans une dimension politique grâce à son apparence faste. D’une durée de dix heures, le

spectacle, auquel assiste plus d’un millier de personnes, a coûté une somme conséquente. A

partir de cet évènement, le ballet de cour est utilisé pour appuyer la justice et la puissance du

roi.

Celui qui use et utilise de cette association est bien évidemment Louis XIV. Il est

l’emblème même de ce lien qui unit pouvoir et danse. Le futur roi fait alors son apparition à

l’âge de treize ans, en 1651, dans Cassandre. Bon danseur, il développe et voue une vraie

passion pour cet art. Très vite, il devient même son instrument de règne et permet de le

symboliser en tant que Roi-Soleil. Tous les arts lui permettent de travailler son image. La

naissance des académies profite dès lors au classicisme tandis que le baroque italien est rejeté.

1.1 Les bases de la danse classique

L’année 1661 est fondatrice pour l’art de la danse et notamment le ballet classique.

Elle instaure l’Académie royale de danse sous la responsabilité de Pierre Beauchamp, alors

maître à danser du roi. Il fixe les règles et dès 1669, Raoul Feuillet instaure la première

notation chorégraphique. Celle-ci reste très schématique et ne décrit en aucun cas les

mouvements du haut du corps ainsi que ceux des bras. C’est finalement une danse stylisée et

épurée qui commence à entrer dans les théâtres. Dès lors, des artistes professionnels

commencent à intégrer les ballets de cour à l’effigie de Louis XIV. Ce qui fait la prospérité du

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roi, c’est également la coopération de Beauchamp, de Lully et de Molière. La comédie ballet

est possible grâce à la réunion de ces trois personnes : le maître de ballet, le directeur de la

musique du roi et l’homme de théâtre.

L’apparition de la comédie ballet et la naissance de l’Académie royale permettent

l’avènement d’un professionnalisme qui ne fera que croître par la suite. On doit notamment à

Pierre Beauchamp les cinq positions qui définissent la base de la technique classique qui, plus

tard, participent à l’élaboration de la danse néoclassique, jazz et contemporaine. Il rend le

geste plus aiguisé, moins naturel.

Plus tard, la comédie ballet évite au ballet de se laisser absorber uniquement par l’opéra et la

volonté de Molière de la transposer au théâtre est d’une importance fondamentale. Déjà, avec

Les Fâcheux, Molière regrette que les moments dansés ne s’intègrent pas correctement dans la

comédie mais, dès Le Bourgeois gentilhomme, il coordonne de manière beaucoup plus

originale le ballet et le théâtre. La danse trouve une part intégrante à l’action.

Le ballet de cour est donc voué à disparaître dès lors que Louis XIV n’y danse plus. Ainsi, en

1673, la première scène de danse théâtrale prend beaucoup plus d’ampleur après quelques

années d’existence. C’est Lully qui s’empare de ce privilège après avoir mis Molière à l’écart.

Sa nouvelle association à Beauchamp, au librettiste Quinault, et au décorateur Vigarini

instaure un genre nouveau d’opéra pour lequel le ballet et « l’ouverture à la française » assoit

le professionnalisme de la danse. Cependant, elle n’est pas un art autonome et dépend

nécessairement du théâtre ou de l’opéra. Très vite considérée comme un divertissement, la

technique se développe comme une sorte d’exutoire. Désormais, l’Opéra de Paris se nomme

tel quel. Dès 1681, les femmes sont acceptées en son sein et la nouvelle scène à l’italienne

amène Beauchamp à parfaire sa danse. Très vite, l’en-dehors (position qui consiste en

l’ouverture des pieds vers l’extérieur partant de la hanche) conditionne fortement les

déplacements et mouvements dans l’espace. Cette posture inspire des sauts, des tours et

amène les cinq positions fondatrices, comme évoqué plus haut, de la danse classique. Les

enchaînements deviennent de plus en plus complexes et précis. Avec le déclin de Louis XIV,

la danse se projette à nouveau sur un retour à la sensibilité, au naturel et à la nostalgie. La

danse suit donc le passage de la tragédie lyrique à l’opéra ballet proposé par Jean-Philippe

Rameau dans Les Indes galantes. Ce dernier use pourtant des éléments techniques élaborés

auparavant pour permettre l’élévation et la virtuosité des corps. Dès que le ballet se déplace

sur scène, il gagne et assume la relation scène/salle. Ainsi, il devient un spectacle dans lequel

le roi n’est plus au centre. L’espace du public est nettement différencié de celui de la scène, à

tel point que la composition de la salle à l’italienne permet l’existence d’un parterre et d’un

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niveau supérieur. Le XVIème siècle voit donc la construction de ces théâtres à l’italienne

permettant des jeux de perspective et d’illusion.

La danse est envisagée dans une globalité qui centralise alors le décor, la musique et la

danse. Dès cette période, le spectacle entre dans une vision frontale qui n’aura de cesse de

s’imposer jusqu’au XXème siècle. La symétrie et la hiérarchie s’installent très vite dans

l’espace. Le centre de la scène contribue à exposer les variations des solistes et personnages

principaux, c’est le lieu principal de l’action tandis que les extrémités permettent de dérouler

un fil conducteur beaucoup moins important. Ce système de convention s’impose très vite

dans le ballet conditionnant automatiquement le spectateur et lui confiant des clés de lecture

non négligeables. Cette habitude chorégraphique est encore d’usage de nos jours quel que soit

le style pratiqué. L’Europe devient alors le laboratoire d’un ballet de genre nouveau qui se

développe. L’Encyclopédie de Diderot évoque l’idée d’une nouvelle danse. C’est Noverre qui

incarne cette évolution. En désaccord avec l’esthétique de son temps, Jean Georges Noverre

sanctionne de façon virulente la danse dont il est le témoin : « Les ballets n’ont été jusqu’à

présent que de faibles esquisses de ce qu’ils peuvent être un jour. […] Je pense, Monsieur,

que cet art n’est resté dans l’enfance que parce qu’on en a borné les effets à celui des feux

d’artifice faits seulement pour amuser les yeux »1.Ces propos, intégrés dans sa Lettre sur la

danse de 1760, se revendiquent en opposition avec ce qui a été fait auparavant. Il se

positionne en faveur d’un art qui ne doit pas se limiter à la beauté et aux prouesses techniques.

Pour Noverre, la danse doit s’adresser directement à l’âme, ne plus être qu’une

illusion. Il prône alors un ballet d’action qui respecterait la vraisemblance et la vie. Il invente

une conception du ballet novatrice de manière réformatrice. Touché de manière très influente

par les idées de Diderot, Grimm, d’Alembert et Voltaire, Jean Georges Noverre évoque la

possibilité de l’expression d’une action pour la danse. La technicité initiée par les maîtres de

ballet précédents permet à Noverre de substituer à la danse un pouvoir de parole. Malgré cette

utilisation technique, il prône un retour au naturel pour éviter la symétrie et insérer un certain

désordre. Le corps est le lieu de l’expression et l’âme est nécessairement impliquée dans l’art

chorégraphique. La danse revendiquée se positionne finalement en opposition par rapport à ce

qui a été mis en place. L’utilisation des bras est privilégiée à celle des jambes, les

mouvements et les gestes deviennent conducteurs des sentiments et des passions. Son travail

sera cependant incompris, toutefois il entre en 1776 à l’Opéra de Paris. Dès lors, il fait face à

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 15.

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des résistances, qu’elles soient portées par les chorégraphes ou par les danseurs. Ce nouveau

style n’est pas réellement adopté. On lui préfère la chorégraphie de Gaétan Vestris, mais on

doit tout de même à Noverre une introduction réussie de la pantomime et donc la production

d’une œuvre qui marque « la première émergence d’une dialectique qui constitue encore, de

nos jours, l’un des moteurs essentiels de l’évolution de la danse théâtrale »1. Il a donc élevé

ce qui n’était qu’un simple divertissement au rang de spectacle. Le chorégraphe obtient

également un statut équivalent à celui du musicien, du poète et du peintre.

1.2 Du Romantisme à l’académisme, la naissance d’un répertoire

La Révolution et ses apports novateurs dans la société de 1789 n’ont pas été à l’origine

d’un nouveau ballet. Mais s’il n’y a pas eu de remise en cause au niveau de la forme, le thème

des ballets devient plus contemporain. La danse se préoccupe des bourgeois, des paysans, et

des militaires : les classes moyennes sont fortement représentées. Le réalisme est, dès lors,

mis en scène par Jean Dauberval (élève de Noverre) dans La Fille mal gardée en juillet 1789.

L’histoire porte des personnages issus de la vie quotidienne de l’époque. Ce succès est

indépendant de la direction de l’Opéra de Paris, puisque deux ans auparavant, ce sont les

frères Gardel qui prennent la direction de l’Opéra pour une durée de quarante ans.

Le ballet du XIXème siècle prend une ampleur considérable dont l’impact sera

déterminant pour l’histoire de la danse. Outre l’avènement de la danse masculine, le XIXème

siècle est synonyme de la préparation de l’âge d’or du Romantisme. Cette période-là marque

l’histoire à jamais avec des personnages qui résistent à l’évolution du ballet. Giselle, créé le

28 juin 1841 est sans doute une des pièces les plus connue du répertoire classique. C’est une

réelle révolution puisque sur scène l’aboutissement des périodes antérieures se dévoile aux

yeux du public. C’est ainsi que le thème du surnaturel peut être traité plus facilement, car

depuis 1813 que Madamoiselle Gosselin s’est tenue en équilibre sur la pointe de ses pieds, la

technique de la danse féminine propose de plus en plus de mouvements virtuoses. Dès lors, la

marque de la danse classique est trouvée : « les pointes » supposent un travail technique de

surélévation permanente des danseuses. Giselle, emblème de l’époque romantique, incorpore

1 Ibid., p. 19.

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Giselle, Interprétée par Elisabeth Morin

(Opéra National de Paris) © Jacques Moatti

aussi pour la première fois la dimension de folie d’un personnage. C’est un thème récurrent

depuis la Révolution dans les spectacles de boulevard. La danse commence donc à s’inspirer

d’autres arts, notamment aussi pour les décors. Par exemple, le roman amène le goût pour des

créations exotiques et empreintes d’univers étrangers.

Le public vient voir les ballets pour se plonger dans un

monde irréel et imaginaire. L’Opéra de Paris, fermé

sous l’influence de l’Eglise pendant l’Empire, ressort

d’autant plus fort de ces innovations qui font la

spécificité du ballet romantique. Ce style novateur est

aussi porteur d’un monde fantasmagorique. Bien avant

Giselle, La Sylphide dont la création a lieu le 12 mars

1832, marque l’avènement de la période romantique.

La chorégraphie est signée de Philippe Taglioni sur

une musique de Jean Schneitzhoeffer. Le livret

d’Adolphe Nourrit s’inspire d’un conte fantastique de

Charles Nodier : Trilby. Ce ballet expose le

tiraillement d’un jeune homme entre sa fiancée, dont

l’existence est bien réelle, et son attirance pour une fille

de son imagination. Là encore, le tutu long de tulle blanc qui fait l’emblème de la Sylphide et

plus tard des Willis1 devient alors caractéristique de la danse classique. Le décor permet

l’élévation des sylphides dans les airs. Déjà présent dans La Sylphide, le chausson de pointe

permet une avancée considérable dans le geste dont l’apogée se laisse alors voir quelques

années plus tard dans Giselle. Ce ballet « établit le règne de la ballerine, et fait d’elle dans le

même temps un être désincarné et impondérable, plus proche du fantôme que de la femme »2.

En revanche, ce thème surnaturel ne sera pas très prolifique dans l’histoire de la danse.

Lors de la chute du second empire, le ballet français tend à s’essouffler. Cependant un

spectacle prépondérant, encore aujourd’hui dans le répertoire, connaît un succès majeur avant

l’effondrement du style romantique. Coppélia, créé le 25 mai 1870 est chorégraphié par

Arthur Saint-Léon et Charles Nuitter avec ce qu’il reste du romantisme. Un renouveau est

nécessaire pour ramener l’attention du public qui s’est plutôt détourné vers l’opéra lyrique.

Cette période s’ouvre alors sur ce que l’histoire de la danse nommera l’académisme. Celui-ci

1 Jeunes filles qui se retrouvent transformées en fantôme pour avoir trop dansé. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 20.

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vient directement d’un pays qui a et aura un rôle majeur dans la danse : la Russie. La figure

dominante du ballet devient alors Marius Petipa. Il aura une influence considérable dans le

monde de la danse. D’origine française, cet artiste exilé à Saint-Pétersbourg s’offre le

privilège de prolonger l’ère du romantisme dans cette partie du monde. Ce jeune danseur

marseillais est appelé par le Théâtre impérial Mariinski car l’usage en Russie depuis le XIXème

siècle est de faire appel à des chorégraphes français. A peine âgé de 29 ans, il commence ainsi

une carrière longue de soixante ans, dont la production permettra la naissance de près d’une

cinquantaine d’œuvre. Ces créations entrent dans l’ère du ballet académique et sa nomination

en tant que maître de ballet, en 1857, permet alors de remettre au goût du jour des œuvres

disparues du répertoire français. Sans lui, Giselle, pourtant chef-d’œuvre quelques années

auparavant, aurait disparu. En effet, l’Opéra de Paris ne représente plus cette œuvre qui fut

l’emblème de la période précédente, celle du romantisme. L’ère Petipa est synonyme de

virtuosité jamais atteinte jusque-là. Les pas et mouvements sont affinés pour servir les

histoires de conte de fée. Les étoiles sont particulièrement mises à l’honneur. La mimique

vient compléter le style général du ballet alors que le côté exotique est inséré par

l’intermédiaire des danses de caractères. Ce chorégraphe joue beaucoup sur le côté

spectaculaire de sa danse dont le résultat n’est pas nécessairement la production de chefs-

d’œuvre. Grâce au directeur du théâtre, une collaboration permet alors à Marius Petipa de

donner un élan à sa carrière. Son travail avec Tchaïkovski a marqué à jamais l’histoire de la

danse. Trois œuvres sont caractéristiques de cette période et font notamment partie

aujourd’hui du répertoire. Elles sont reprises à chaque saison par de nombreuses compagnies :

La Belle au bois dormant (1890), Le Lac des cygnes (1895), Casse-Noisette (1892). Son

influence, outre la création de ballets notoires, sera aussi très importante pour la suite dans la

formation de ses danseurs. Sa domination en terme d’académisme et son monopole sur

l’enseignement en Russie ont touché ceux qui seront plus tard à l’origine des Ballets Russes.

C’est d’ailleurs Nijinsky, Fokine, Karasarvina, et entre autre Pavlova, qui profiteront de la

brèche entrouverte par les nouvelles tendances. Marius Petipa, dépassé par cet élan se verra

dans l’obligation de quitter le théâtre Mariinsky en 1904, six ans avant sa mort, car ses

héritiers ont entamé une révolte contre le maître dont l’ambition marquera à jamais la danse.

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1.3 Les Ballets Russes : une lueur de modernité

Un nom est à l’origine de la révolution provoquée par les Ballets Russes : Serge de

Diaghilev. C’est en tant qu’impresario avisé qu’il enclenchera le renouveau du ballet

classique. Son mécénat permet de faire naître une troupe dont le chorégraphe est Michel

Fokine. Avec les danseurs, ils vont permettre des spectacles éclatant la routine de

l’académisme. C’est une révolution qui s’enclenche. Le 19 mai 1909, au Théâtre du Châtelet à

Paris, Diaghilev tente un véritable pari. Dans un décor conçu par des peintres de renom (Alain

Bakst, Alexandre Benois, Nicolas Roerich), les danseurs évoluent sur scène dans une

technique superbe tout en développant une danse novatrice. C’est un véritable choc qui attend

les spectateurs ce soir-là. Dans une explosion de couleurs et de rythme se succèdent quatre

ouvrages : Cléopâtre, Le Festin, Le Pavillon d’Armide, Les Danses polovtsiennes, interprétés

par Pavlova, Nijinski, Rubinstein ou Bolm. Une révolution est en marche : dès cette

représentation le spectacle est un véritable triomphe. Un an plus tard, forte de ce succès, la

troupe des Ballets Russes revient avec un programme plus impressionnant : L’Oiseau de feu,

Carnaval et Schéhérazade. Ce programme est également accompagné de musiciens dont l’un

des jeunes interprètes n’est autre qu’Igor Stravinski. Chaque chorégraphie est déployée dans

un style propre. Michel Fokine défend l’idée que la danse ne doit aucunement entrer dans une

routine et fléchir sous la virtuosité gratuite. Il invente des mouvements qui se veulent

expressifs. Le langage dansé est directement issu du sujet traité et les rencontres que fait le

chorégraphe sont déterminantes pour les Ballets Russes. Son échange avec Isadora Duncan, la

danseuse « aux pieds nus » sera par exemple déterminant pour la création du ballet Eunice.

Plusieurs styles sont abordés : le genre grec, le genre oriental, le genre franco-viennois, et le

genre russe.

Il reste tout de même très attaché à l’école classique mais défend dans toutes ses pièces

l’alliance de l’expression au langage de corps. Dès lors, cette nouvelle conception ne sera pas

seulement appréciée à Paris mais viendra frôler les scènes de Monte-Carlo, Rome et Londres.

Ces ballets deviennent finalement plus européens que russes faisant appel à des artistes tels

que Jean Cocteau, Maurice Ravel, Georges Braque, George Rouault, Henri Matisse, José

Maria Sart, Manuel de Falla, etc. D’autant plus que leurs productions ne sont pas présentées

en Russie.

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Avec ce succès notoire, un danseur est

particulièrement remarqué : Vaslav Nijinski. Il

incarne véritablement le renouveau russe. Il ne

s’embarrasse plus des conventions

traditionnelles. « En Nijinski, Diaghilev trouve

l’instrument de ses rêves, apte à emblématiser

ce que sa compagnie apporte de plus

détonnant : des chorégraphies courtes signées

Michel Fokine qui décapent la danse

classique ; des décors et des costumes

luxuriants de Bakst et de Benois qui tranchent sur le terne carton-pâte des routiniers du décor

théâtral »1 . Il entre petit à petit dans une démarche expérimentale. Son premier ballet,

L’Après-midi d’un faune, créé le 29 mai 1912, en référence au poème de Mallarmé, sur une

musique de Debussy use encore des décors de Bakst. Il déplace les mots du poème dans une

danse s’éloignant de l’académisme. Dès lors, le choc ne sera plus synonyme de succès. Cette

œuvre désoriente : elle n’a pas d’appui réellement narratif, aucune virtuosité n’est déployée, et

l’érotisme présent se dégage du personnage principal, le chorégraphe lui-même. Le public est

partagé, Michel Fokine horrifié par la laideur du spectacle. Cependant, ce spectacle marque

un pas important vers l’avènement de la danse contemporaine. Fokine se détache de la troupe

des Ballets Russes. Plus tard, Le Sacre du Printemps continuera cette rupture. La partition est

de Stravinski, deux actes composent le ballet : « L’Adoration de la terre » et « Le Sacrifice ».

Sous l’impulsion de la technique de l’eurythmie mise au point par Dalcroze, le spectateur

assiste à des mouvements dissociés car le rythme des jambes est différencié de celui du buste

et des bras. Nijinski s’est également attaché à complexifier la chorégraphie par rapport au

rythme de la partition musicale. Référence importante dans le monde de la danse et repris par

de nombreux chorégraphes encore de nos jours, Le Sacre du Printemps n’a pas pour autant

convaincu le public à l’époque de sa création.

« Dans la lignée des Ballets Russes, un suédois de Paris, Rolf de Maré, collectionneur

d’art, ose marier lui aussi les genres, les interprètes de formation classique avec les artistes

1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 22.

L’Après midi d’un faune, Vaslav Nijinski © BNF

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de tout horizon »1. Mais la suite des Ballets Russes est également synonyme de la naissance

de la danse néoclassique, avec la reprise de la troupe par le chorégraphe Serge Lifar.

1.4 L’avènement du néo-classique

Serge Lifar ne reste pas longtemps directeur du théâtre Mariinsky, il est appelé par le

directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, en tant que directeur du ballet. Il impose alors

à la compagnie une discipline et une exigence technique importantes pour rénover et élargir le

répertoire. Le chorégraphe y ajoutera ses propres créations. Il réintègre la notion de

chorégraphe au sens d’auteur et rejette dès ses premières productions les éléments accordés au

peintre et au musicien pendant les Ballets russes. Un de ses premiers ballets, est d’ailleurs

rythmé par ses propres gestes sans aucune musique. Cette œuvre, Icare, est d’ailleurs le

prétexte de l’écriture d’un Manifeste du chorégraphe en 1935. Son style s’inspire de

l’Antiquité et Lifar s’attache à peaufiner de plus en plus sa signature alors que l’occupation

fait acte en France. Par exemple, Suite en blanc, en 1943, mélange musique orientale et pas

classiques, visant à dessiner les

qualités de l’étoile qu’il a

formée, tout en y insérant de

nouveaux mouvements. Il

conserve les chaussons de

pointes mais l’en-dehors

(expliqué précédemment : 1.1)

n’est plus nécessairement la règle,

et il invente de nouvelles

positions comme la sixième (pieds resserrés côte à côte de façon parallèle). Il refaçonne

l’académisme de manière à le rendre plus actuel par rapport à son temps. Ses œuvres sont à

l’origine de ce que l’on peut nommer le néo-classicisme. Cette expression est consacrée à des

œuvres qui se veulent être un savant mélange « de conservatisme et d’innovation »2. Malgré

1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, Coll. Art Contemporain, 2010, p. 26. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 45.

Suite en blanc par le Ballet de l’Opéra de Paris Serge Lifar © Icare

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un esprit novateur, l’influence de Lifar fonctionnera encore longtemps sur la danse française

et sa mutation vers la danse moderne et contemporaine se fera plus tardivement qu’ailleurs.

En effet, le néo-classique ne remet aucunement en question l’héritage classique,

notamment en ce qui concerne la technique, mais s’inspire de thèmes reflétant l’époque dans

laquelle il s’insère. C’est une danse qui se développe en même temps que la danse moderne,

mais celle-ci ne remet pas en cause le langage dont elle est l’héritière. Comme suggéré

précédemment par Lifar, le néo-classique élabore sa propre esthétique en cherchant à mettre

sur scène des corps moins rigides avec plus de souplesse, moins figés pour obtenir des

déséquilibres. L’axe vertical s’en retrouve décalé. En France, comme aux Etats Unis, des

chorégraphes notoires vont s’imprégner de cette mouvance. Tous ces artistes semblent

nostalgiques de l’époque des Ballets Russes.

Des personnages qui ont fait la gloire de cette époque comme Boris Kochno (ancien

secrétaire de Diaghilev) et Jean Cocteau rencontrent le danseur Roland Petit pour donner

naissance aux Ballets des Champs-Elysées. Roland Petit en devient le chorégraphe et son

style acrobatique, composé de sauts et de chutes au ralenti sera parfaitement incarné par Jean

Babilée, notamment dans Le Jeune Homme et la Mort en 1946. Cette œuvre pose des

questions existentialistes oscillant entre les thèmes de la mort et

de l’amour, tandis que Zizi Jeanmaire, incarnera, quelque temps

après, d’une manière à la fois érotique et dramatique, Carmen,

personnage de l’opéra de Bizet. C’est un chorégraphe sensible à

l’air du temps qui impulse son art sur le devant de la scène, en

France comme à l’étranger. Il marque alors l’histoire de la danse

à jamais puisqu’il devient brièvement le chorégraphe d’une

troupe qui se compose d’un certain Gaston Berger, futur Maurice

Béjart. De plus, « Le Jeune Homme et la Mort demeure

aujourd’hui encore le ballet le mieux reçu, en France comme à

l’étranger, peut-être parce que chaque nouvelle génération peut

s’y retrouver »1.

Maurice Béjart parviendra, lui, à mener la danse néoclassique sur de nombreuses

scènes touchant un large public. Sa compagnie remplit encore les Zénith de France. Le

fondateur des Ballets de l’Etoile, puis des Ballets du XXème siècle, rend la danse populaire.

1 Ibid., p. 51.

Le Jeune Homme et la Mort,

Roland Petit @ Luciano Romano

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Son esthétique se veut minimaliste et recourt au geste en tant que symbole. Il vêt ses danseurs

de tuniques qui dévoilent leur corps, ôtant toutes fioritures apparentées aux costumes. Son

choix de musique est également en rupture avec les conventions puisqu’il s’amuse à jongler

entre le groupe Queen et Mozart. Son travail le mènera à prôner un art total puisant son

inspiration dans le monde qui l’entoure. Il est à l’écoute de l’universalité et s’attache à rendre

sur scène, par une vision du corps primaire, l’ensemble des philosophies et croyances qui

traversent la civilisation planétaire. Sa danse est donc le résultat de mélange entre expression

africaine et danse classique, entre cirque et verbe du geste. Il fait finalement des incursions

dans la danse contemporaine grâce à des expérimentations visant à rendre un art total, avant

de revenir vers une mouvance plus néoclassique. Même s’il ne renouvelle pas nécessairement

son esthétique, Maurice Béjart reste un génie de la danse explorant les limites entre modernité

et classicisme, dont les œuvres les plus notoires sont encore aujourd’hui représentées sur les

scènes du monde entier. Certaines sont évocatrices du chorégraphe seulement par leurs noms :

Symphonie pour un homme seul (1955), Le Sacre du printemps (1959), Boléro (1961),

L’Oiseau de feu (1970), etc.

Plus que française, la danse néoclassique devient un phénomène européen et s’étend

également en Angleterre avec Frederick Ashton, en Allemagne avec Jonh Cranko ou au

Danemark dans la continuité de Bournonville.

Le lieu du néoclassicisme en danse reste tout de même les Etats-Unis. C’est un

français expatrié qui portera le flambeau et trouvera l’inspiration régénératrice de cette

esthétique : Georges Balanchine. Il se détache

totalement de la narration ou de l’intention

créatrice de l’argument. Le maître mot est alors

abstraction. Exilé à New York, il crée d’abord

Sérénade (1934) sur une musique de Tchaïkovski,

puis s’atèle à la naissance d’une école où il aura la

possibilité de façonner le corps de ses danseuses

selon ses exigences. Le style de celles-ci est

beaucoup plus glamour que romantique. « Jambes

interminables et buste plat, petite tête sur un long

cou, ces « merveilleux oiseaux glacés » sont des

instruments dociles dont l’entraînement forcené Sérénade, Georges Balanchine ©Paul Kolnik

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permet de pousser sans cesse plus loin les distorsions du vocabulaire classique »1. Mister B.

entretient une esthétique épurée qui lui est propre ayant pour seul objet la danse. Cette

modernité assimilée à la danse classique lui prévaut de devenir chorégraphe du New York

City Ballet. Entre vitesse, petites batteries, énergie, syncopes, asymétries, dynamiques,

déséquilibres, sa danse se veut au paroxysme de la technique classique de la manière la plus

épurée possible. La relation musique/danse est très importante à ses yeux. Son alliance avec

Igor Stravinski marque cette volonté. De cette collaboration naîtra Agon (1957) : la

proposition et la composition de la danse pure, pour elle-même. De nombreux ballets

balanchiniens font aujourd’hui partie des saisons de compagnies dans le monde entier. Les

disciples du maître sont pour certains encore à l’œuvre ou l’ont été jusque dernièrement. En

France, le Ballet du Capitole, avec à sa tête Nanette Glushak jusqu’à la fin de la saison 2012,

met souvent en scène des œuvres de ce chorégraphe, tandis que l’Opéra de Paris programme

aussi régulièrement ses ballets.

Conclusion

L’héritage de la danse classique s’est donc constitué petit à petit, au fil du temps et de

l’évolution des techniques mais également des sociétés. Voyageant à travers les continents,

elle s’est développée grâce à des chorégraphes qui ont su la remettre en question. Forte de

quatre cents ans d’histoire, la danse classique a instauré des codes, des règles et des

conventions dont la pérennité dans le temps montre un fort ancrage dans les usages. Les cinq

positions, l’en-dehors, le chausson de pointe, la narration, la position frontale face au

spectateur sont des caractéristiques de l’esthétisme classique qui existent encore aujourd’hui.

Entre conservation et innovation, le ballet classique a parcouru un long chemin laissant la

trace de certains ballets emblématiques. Ces derniers font désormais partie d’un patrimoine

commun à des nombreuses compagnies à travers le monde. Ils constituent aussi une référence

pour un grand nombre de chorégraphes contemporains, avec d’un coté ceux qui s’y réfèrent et

s’en réclament, et de l’autre ceux qui se positionnent contre, comme le prescrit la

contemporanéité, entre les deux ceux qui cherchent à composer avec cette référence tout en la

renouvelant. La danse classique constitue un ensemble de propositions puisqu’à chaque

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 57.

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époque correspond un chorégraphe, des interprètes. « Elle s’est ainsi formée d’ajouts

successifs dont aucun n’annule l’autre »1. Elle a pu se transmettre par voie orale (de

chorégraphes à interprètes, ou de danseurs à interprètes) ou par le biais de la reconstitution.

Cette dernière est « la vision d’une œuvre chorégraphique disparue du répertoire, remontée à

partir de témoignages, de recherches sur des documents d’époque et d’hypothèses fondées

historiquement. Cette démarche intervient lorsqu’il y a eu rupture dans la transmission orale,

conduisant à un oubli partiel ou total de l’œuvre »2 . La danse classique perdure notamment

grâce à ce système et ainsi ne se fige pas. En effet, comme le souligne Maurice Béjart, dans

La Danse art du XXe siècle ?, un ballet classique comme Giselle, par exemple, n’a

actuellement rien à voir avec le ballet qui a été créé à l’époque romantique. Il n’empêche que

ces ballets font aujourd’hui partie d’un répertoire, que l’on nomme plus exactement le

répertoire classique héritier des ces transmissions orales et de ces reconstitutions. Il suffit

alors aux interprètes de conjuguer tradition et modernité en empruntant un double

cheminement : celui d’un retour à la source même du ballet et celui de sa propre intériorité et

de ses propres valeurs. Ce qui réactualise le répertoire classique, c’est donc la façon dont il est

repris par les danseurs. Ils apportent ainsi leur “pierre à l’édifice” par ce qu’ils sont et par la

manière dont ils évoluent (notoriété, style…) dans le milieu de la danse et plus largement dans

le milieu artistique. Roland Petit avoue même dans ses entretiens avec Jean-Pierre Pastori3

qu’une chorégraphie évolue nécessairement avec ses interprètes.

En parallèle, comme une suite logique à la danse classique, s’est développée une

modernité revendiquée notamment par les Ballets Russes puis par la danse néoclassique. Les

premiers passionnent et désorientent à la fois le public, tandis que la seconde réinvente le

langage dansé et développe sa propre conception de la danse, s’inspirant de diverses formes

empruntées à la danse jazz, moderne ou encore folklorique. L’abstraction si chère à la danse

contemporaine est ainsi mise en exergue dans le néoclassique. C’est une mutation de

référentiel par une réactualisation du classicisme. Parallèlement à cette évolution, la danse

contemporaine s’est frayée un chemin petit à petit et a totalement bouleversé les codes.

1 E. ROUCHIER, N. LECOMTE dans P. LE MOAL (sous la direction de.), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 700. 2 S. JACQ-MIOCHE dans P. LE MOAL (sous la direction de.), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 782. 3 J.P. PASTORI, ROLAND PETIT - Rythme de vie – Entretiens avec Jean-Pierre Pastori, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 2003, p. 57.

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Chapitre 2 : L’apparition de la danse contemporaine et ses

effets dans le temps

Introduction : Les précurseurs

Comme la danse classique, la danse contemporaine s’est formée selon un processus au

long cours. Naturellement, le bouleversement esthétique qu’elle a engendré est le résultat de

plusieurs années de recherches (sur l’appréhension du corps, de la musique de l’espace…) et

de certaines études de précurseurs. Elle s’est ensuite développée dans divers endroits (lieux

publics, musées, friches, etc.), sous différentes formes (minimalisme, afro-contemporaine,

danse-théâtre, etc.). La façon de penser le corps réinterroge les pratiques de la danse classique

et, comme évoqué précédemment, apparaissent de nouvelles formes en rapport avec leur

temps, comme le néoclassique. Contrairement à ce style, la danse contemporaine se

positionne en premier lieu en rupture de tout carcan traditionnel. Elle réinvente le mouvement

et naît où finalement le lourd héritage du classicisme a peu marqué. Simultanément deux pays

sont traversés par cette tendance : les Etats-Unis et l’Allemagne.

Les précurseurs ont nécessairement influencé la vision de la danse en ce tout début du

XXème siècle. C’est au XIXème siècle qu’ils développent leur théorie. Ils ont chacun la

particularité de ne pas être issus du milieu chorégraphique. Delsatre, le français, « déduit que

l’intensité du sentiment commande l’intensité du geste »1. Ainsi, selon lui, un simple

mouvement peut se mettre au diapason de l’être total et le langage discursif serait alors

inférieur à ce que peut donner l’expression corporelle. Emile Jacques Dalcroze, suisse

d’origine, (évoqué précédemment : 1.4) soutient quant à lui que « le corps est un passage

obligé entre pensée et musique »2. Ainsi l’apprentissage de la musique nécessiterait un

apprivoisement du corps. Le rythme déterminerait donc le mouvement et son impulsion. Ces

découvertes mettent en exergue ce qui sera l’une des bases de la danse moderne puis

contemporaine : l’alternance de la contraction et du relâchement du corps.

1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 36. 2 Ibid., p. 37.

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Un autre avant-gardiste de la danse moderne mettra en œuvre une approche

rénovatrice du mouvement : Rudolf von Laban. Il l’étudie sous toutes ses formes. Son travail

reste encore aujourd’hui le plus développé en la matière. Il permet l’invention de la notation

du mouvement : il le décompose en quatre pôles (le poids - lourd, léger -, le temps - vif, lent -,

l’espace - direct, indirect -, le flux - libre, contrôlé) et isole la notion d’énergie qui se veut

essentielle à la danse moderne. Son écriture va permettre de retranscrire n’importe quel

mouvement et sera reconnu comme un outil extraordinaire par le milieu chorégraphique dès

sa mise au point en 1926. Dans la « labanotation », le mouvement est intimement lié à

l’espace et à l’exploitation de ligne verticale, horizontale et transversale. Contrairement à la

danse classique, il songe au mouvement comme trajet au lieu d’une juxtaposition de poses.

La naissance de la danse contemporaine est donc synonyme d’une mouvance du temps

où la modernité s’engage dans tous les domaines : industrialisation, technologies, découvertes

scientifiques, etc.… A l’image de ses précurseurs, elle s’est ainsi emparée de formes

totalement diverses en accord avec son/ses époque(s).

2.1 La modernité américaine et l’ouverture allemande

La danse, comme évoqué précédemment, ne se limite plus aux propositions

traditionnalistes. « Quand Isadora Duncan jette ses chaussons aux orties pour danser nu-

pieds, elle dit non à tout un mode de pensée. Plus question de se soumettre aux diktats de

chorégraphes, compositeurs, costumiers voire de librettistes »1. Sa danse doit être

l’expression d’une vie intérieure en communion avec le monde. En quête d’identité face à une

Europe prépondérante, Isadora devient très vite une personnalité charismatique qui dépasse

largement le milieu de la danse. Sa réflexion se porte sur le mouvement et elle ne s’attache

aucunement aux formes préétablies. Le langage gestuel devient libre de toutes contraintes,

c’est la musique, et seulement la musique, qui guide les pensées intérieures. Les sources du

mouvement deviennent alors son corps et la musique, délaissant toute technique quelconque.

Considérant l’Europe comme plus ouverte à la modernité, elle décide de s’y réfugier pour

présenter son travail dès 1897. Elle laisse donc une trace indélébile dans l’histoire de la danse

1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 38.

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comme l’a fait Loïe Fuller quelques années plus tôt. Cette dernière, dans les années 1880, fait

la découverte du pouvoir illusoire dans la manière d’évolution d’un costume par rapport à la

lumière qui l’éclaire. Ses solos travaillent cette conception et ses bras sont drapés par de

larges tissus. Ce système est prolongé par-delà ses membres supérieurs avec des bâtons de

bois. Elle joue donc des effets produits et anime ses mouvements face à la lumière.

L’innovation est telle qu’elle provoque un enthousiasme certain dans le monde des arts tout

entier et elle conquiert les scènes de l’Europe dès 1892. Bien avant l’apparition des Ballets

Russes, le pas en avant vers la modernité est donc bien enclenché. Sa danse reste surtout

spectaculaire, mais elle est à l’initiative de la mise en exergue du lien entre l’espace et le

mouvement. Elle dégage une poétique de la danse par le jeu provoqué entre le corps, l’espace

et la lumière. Ces principes sont novateurs et vont être fondateurs pour de nombreux

chorégraphes, elle est finalement visionnaire de l’insertion des jeux d’écran sur les scènes

actuelles.

Dans la lignée de la danse moderne américaine, après Doris Humphrey qui compose sa

première œuvre dans le silence, l’histoire de la danse a retenu Martha Graham. Cette dernière

s’oppose vivement à Isadora Duncan : « Je ne veux pas être arbre, fleur, vague ou nuage.

Dans le corps du danseur, nous avons, nous, public, non pas à rechercher une imitation des

gestes de tous les jours, ni des spectacles de la nature, ni

des étranges venus d’un autre monde, mais à retrouver un

peu de ce miracle qu’est l’être humain motivé, discipliné,

concentré »1. Sur des musiques

contemporaines (Debussy, Ravel, Satie, Prokoviev,

etc…), Martha Graham commence à chorégraphier

exclusivement au féminin, et dès ses jeunes années, elle

n’a de cesse de faire mûrir son art. Son œuvre constituée

de cycles touche aussi bien l’orientalisme, le style grec ou

le primitivisme. A la recherche donc de ses racines

identitaires, elle propose une technique qui lui est propre :

travail de la respiration, puissance dramatique du

mouvement, contact du sol, et le mouvement qui fait d’elle une danseuse connue dans le

monde entier, à savoir l’alternance de contraction/release (contraction/relâchement). Le

1 Propos de Martha Graham dans P. BOURSIER, Histoire de la danse en Occident, Paris, Seuil, 1978, p. 256.

Martha Graham © DITE/USIS

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mouvement grahamien paraît continu. Les danseuses mises en scène sont des figures

dominatrices voire même castratrices. Interrogeant la condition de la femme par ce geste

alternatif du bas-ventre, elle « fait du bassin – à la fois centre du corps et zone privilégiée de

l’expression du désir – le moteur de tout mouvement »1. Basé sur une certaine frustration, son

travail choque, car la charge érotique qu’il comporte est presque effrayante. Le tragique est

toujours posé en contrepoint de l’érotisme ambiant. Pendant près de cinquante trois ans, sa

compagnie n’accueille donc que des femmes, et ce n’est qu’en 1938, qu’elle accepte des

hommes : Eric Hawkins et un certain Merce Cunningham. Elle couvre alors le corps de ses

danseuses mais dénude celui de ses danseurs pour rendre leur donner un effet athlétique. Elle

considère alors le costume comme le prolongement du corps. Ce qu’il faut retenir de Martha

Graham, c’est son incroyable talent d’interprète mais, surtout, la création d’une technique qui

sera reprise par les générations futures et touchera même la danse jazz.

L’Allemagne est fortement marquée par ces pionnières américaines et la fin de la

Première Guerre mondiale a contribué à l’essor d’un nouveau courant. L’expressionisme

allemand traverse ainsi tous les arts et devient le creuset d’expériences extrêmes et ouvertes.

La danse moderne allemande s’inspire notamment des travaux d’Emile Jacques Dalcroze et

de Rudolf von Laban. C’est une période un peu chaotique que

subissent les artistes. Cet expressionnisme se traduit par un

détachement du mouvement vers une sorte de paralysie, enfermé

dans le carcan des traditions, le mouvement serait voué à sa mort.

C’est en ce sens que Mary Wigman travaille et élabore une danse qui

se veut expressionniste. Artiste confrontée à la tragédie de la

Première Guerre mondiale, elle traduit son ressenti dans des gestes

violents emplis de désespoir. La montée du nazisme, qui résonne

comme un traumatisme, transparaît dans sa danse. A quelques

années près, ses préoccupations sont bien loin de celles de

l’académisme de la danse classique. Concernée par la création, elle

tente d’en décrire le processus et excelle dans sa forme la plus

minime : le solo. Les puissances invisibles qui l’animent, ramènent

la danse aux fonctions cathartiques qu’elle occupait dans les sociétés archaïques. C’est le cas

dans ses solos d’avant-guerre : Danse de la sorcière (1926), Danse de mort (1928) et

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 115.

Mary Wigman © The

Dance Collection _ The New

York public Library of the

Performing Arts

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Invocation (1929). Ses œuvres recherchent donc la puissance de l’expression. Très tournée

vers ce qu’il se passe aux Etats-Unis, Mary Wigman fait connaître son art à travers toute

l’Allemagne mais sera contrainte de fermer son école de Dresde en 1940, sur instruction des

nazis. Elle ouvrira à nouveau une école à Berlin après la guerre, tandis que Kurt Jooss

décidera de s’enfuir dès 1934. Ses collaborations avec des personnes d’origine juive étant

écourtées par le pouvoir allemand, il continue à créer ses chorégraphies en Angleterre. Ses

ballets se veulent à la fois le reflet d’une époque, mais contrairement à tout ce qu’a pu

produire la danse moderne jusqu’à lui, il axe son travail sur un mélange de danse classique et

des principes élaborés par Laban.

Cette époque est également marquée par le Bauhaus. La danse allemande est donc

plurielle en ce début de XXème siècle. Cette école d’art et d’architecture instaure une

recherche de nouvelles formes et s’inspire de théorie. Oskar Schlemmer est une référence

pour ce courant qui interroge la relation entre l’homme et son environnement, exploitant les

nouvelles technologies, un art appliqué et reproductible. Le spectacle devient alors un terrain

d’expérimentation. Il est le résultat d’un alliage détonnant : entre couleurs, peinture, éclairage,

musique, acoustique, formes, etc… Ces caractéristiques peuvent autant faire référence au

spectacle « total », Schauspiel de Kandinsky ou au Ballet triadique de Schlemmer. C’est un

mouvement qui se veut « abstrait », tout en étant porté beaucoup plus sur l’impression

visuelle qui se dégage du mouvement que sur le mouvement lui-même. Le Bauhaus sera

également soumis à la dictature nazie et fermera ses portes en 1933.

La danse moderne se développe donc dans des pays dont l’influence classique n’a pas

été prépondérante. Elle continue son ascension, toujours dans ces pays fondateurs, avant de

venir influencer la France.

2.2 Merce Cunningham et les précurseurs de la post-modern dance

La danse moderne s’est donc concentrée sur le corps mais aux yeux de Merce

Cunningham, la dimension spectaculaire a quelque peu oublié l’essence même de la danse,

c'est-à-dire le mouvement. Tandis que de nombreuses œuvres modernes prennent encore une

forme narrative, le chorégraphe rejoint la même volonté que Georges Balanchine et rejette

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l’idée qu’un ballet doive nécessairement raconter quelque chose. Il fait également le simple

constat que la relation préétablie au XVIIème siècle entre la scène et les spectateurs n’a

également pas été remise en cause. La musique est encore trop considérée dans sa relation à la

danse et les costumes respectent leurs significations. « Merce Cunningham fait le constat de

ces persistances d’un autre temps et, dès ses premières œuvres, fait basculer l’histoire du

spectacle vivant dans le XXème siècle »1. Il rend donc les codes et usages de la nouvelle danse,

la danse moderne, presque obsolètes et inscrit notamment la danse dans l’histoire de l’art

contemporain. La chorégraphie moderne est en décalage avec les autres arts d’avant-garde et

la danse n’est pas réellement le reflet de son époque.

Pendant sa formation, le jeune Merce rencontre le musicien John Cage. Cette dernière

sera le point de départ d’une longue carrière, puisque le futur chorégraphe se destinait à être

comédien. Sa traversée dans la compagnie de Martha Graham (1939-1945), en tant que

soliste, sera aussi déterminante pour son avenir. Dans un même temps, il travaille également

avec John Cage. Ce dernier propose comme principe que la musique est du bruit, soumise à

une composition qui se veut aléatoire. Merce s’empare alors cette conception pour la traduire

dans la danse et considère désormais le mouvement à l’état pur. Il insère dans ses

chorégraphies une part de hasard avec laquelle il joue jusqu’à la fin de sa carrière. Plusieurs

invitations au Black Mountain College plongent les deux collaborateurs dans une émulation

artistique qui leur permet de mettre en pratique leurs expériences dès 1948. Se met en marche

une autonomie de création, c'est-à-dire que chacun invente de son côté. Ceci oblige les

danseurs à ne pas évoluer sur un rythme s’imposant à eux, la danse existe par elle-même.

Cette période est également un moment important puisqu’elle lui permet de rencontrer les

plus grands peintres contemporains comme Robert Rauschenberg, Jasper Johns, etc. Dès lors,

Merce Cunningham repense l’espace scénique. Son constat se base sur l’idée que les ballets

classiques et modernes n’ont jamais remis en question la base de perspective et la symétrie

dont l’instauration sont dues aux ballets de cour.

Dès lors, il n’y a plus de hiérarchie dans le ballet, le centre de la scène n’est plus

l’endroit principal de l’action. Il reprend la théorie d’Einstein comme quoi, il n’y pas de point

fixe dans l’espace. Le mouvement est également diversifié, chaque danseur peut être dans une

temporalité distincte et faire un mouvement totalement différent des autres. Ses chorégraphies

sont donc extrêmement complexes. « Autant de conditions qui requièrent des spectateurs une

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 127.

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autre façon de voir »1. Il appartient à chacun de poser son regard sur telle ou telle partie de la

scène ou sur son ensemble. Sa danse prend comme axe la colonne vertébrale et donne à voir

ses interprètes avec un torse et des

membres poussés en avant. Le corps se

retrouve fragmenté. Merce Cunningham

intègre des acquis de la technique

classique pour le travail des jambes. Son

style développe tout de même la

virtuosité et impose de véritables

tableaux vivants sur scène grâce à la

participation de Rauschenberg, Johns,

Warhol ou encore Duchamp. De ces

collaborations l’histoire de la danse

retient : Summerspace (1958), Witerbranch (1964), Walkaround Time (1968), etc. Il déplace

également la danse dans des endroits incongrus pour son époque. Ses Events seront présentés

dans des musées et chacun d’entre eux est unique puisque adapté à un espace unique.

« Merce Cunningham, par sa technique, son studio de danse autant que par sa

compagnie, a influencé des générations successives d’artistes. A quatre vingt-dix ans, il

signait, au printemps 2009, Nearly Ninety, pièce d’une vitalité contagieuse »2.

Les années 1960 voient apparaître la post-modern dance. Dans la lignée de

Cunningham, des artistes se réunissent pour former le Judson Dance Theater en 1962 à

New-York au sein de la Judson Church. Des personnalités qui vont marquer le monde de la

danse sont présentes : Yvonne Rainer, Trisha Brown, Lucinda Childs, Steve Paxton, Simone

Forti et Judith Dunn. Cette époque marque un pas de plus dans la danse contemporaine.

Même si dans un premier temps cette dénomination leur permet juste de se distinguer des

modernes, ce mouvement chorégraphique va se révéler comme une véritable révolution. C’est

donc un état d’esprit qui se veut en rupture avec le ballet classique mais aussi la danse

moderne.

En effet, la modern dance s’est institutionnalisée et s’est finalement refermée sur elle-même,

s’adressant presque uniquement à une élite intellectuelle. Malgré l’apport incontestable qu’a

1 Ibid., p. 130. 2 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 204.

Walkaround Time, Merce Cunningham © James Klisty

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amené Merce Cunningham, les postmodernes lui reprochent d’avoir participé à cet élitisme

conservant l’idée d’une certaine virtuosité technique et d’y avoir réintégré certains éléments

de la technique classique. Les postmodernes vont réutiliser les acquis qui correspondent à

leurs idées et se détacher de tout superflu. C’est ce que revendique Yvonne Rainer : « Non au

spectacle, non à la virtuosité, non aux métamorphoses, au magique, aux faux-semblants, non

au charme […] non aux émotions »1. Ils investissent le concept des happenings et des events.

Des dispositifs réalisés grâce à la collaboration de plasticiens, de poètes et de musiciens,

permettent à Yvonne Rainer de réaliser une critique des conventions esthétiques. Steve Paxton

se tourne quant à lui vers les arts martiaux et assimilera la danse au contact-improvisation.

Trisha Brown travaille le mouvement en remettant en question certains fondamentaux. Sa

danse ne contient plus de centre mais le corps entier est traversé par une fluidité, une mobilité,

une gravité : il n’y pas une partie du corps plus importante qu’une autre. Lucinda Childs,

quant à elle, se projette dans une danse minimaliste. Elle explore alors le pouvoir de la

répétition du mouvement. La mise en avant d’une géométrie permet de rendre visible la

construction de l’espace et du temps. Quelques temps plus tard, Lucinda Childs réinvestira la

danse classique, et notamment ses pas (glissés, sautés, etc.) pour jouer sur des combinaisons

d’enchaînements de plus en plus complexes.

Ce groupe fonctionne de manière communautaire et non hiérarchique. Cette

caractéristique est valable entre chorégraphes et interprètes mais aussi entre danseurs et

publics. Fautes de moyens, les postmodernes donnent leur premier concert de danses d’abord

au Living Theater en 1961, puis à la Judson Church l’année suivante. Mais c’est dans des

espaces inattendus que les postmodernes vont trouver leur place : toits, lofts, galeries d’art,

parois de bâtiments, et donnent alors un sens complet à la performance.

2.3 L’Allemagne d’après-guerre : le règne de Pina Bausch

Pays vaincu de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a vu la danse s’associer au

parti du national-socialisme, notamment lors des fêtes liées aux Jeux Olympiques en 1936

avec la participation de Mary Wigman et Rudolf von Laban. Il est donc difficile pour le

milieu chorégraphique expressionniste de trouver sa place dans un pays qui subventionne plus

1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 107.

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facilement la danse classique. Trois femmes vont tenter de s’imposer dans ce style qu’elles

veulent voir perdurer : Susanne Linke, Reinhild Hoffman et Pina Bausch.

Une « ancienne » réussit à tirer son épingle du jeu en 1957 par l’adaptation d’un

magnifique Sacre du Printemps. Ballet symbolique de l’avant-gardisme russe, il devient

finalement l’occasion de conjuguer modernité et classicisme. Puisque c’est l’époque qui le

veut, Mary Wigman entoure sa danseuse principale d’un corps de ballet classique. Deux ans

plus tard, c’est Maurice Béjart qui signera le sien.

Kurt Jooss de retour en Allemagne prend la direction de la Folkwang Hoschule, à

laquelle se sont relayés les trois nouveaux protagonistes de la danse à sa tête. La figure

majeure de cette époque restera tout de même Pina Bausch. C’est un élément majeur de la

danse contemporaine qui se révèle rapidement en tant que chorégraphe. Ses ballets

déclenchent des soubresauts artistiques et lui valent une reconnaissance rapide. Elle réinvente

le spectacle de danse en touchant à la fois à la revue, l’opérette ou au happening.

Profondément ancrées dans les réalités du monde qui est le sien, ses créations blâment

l’enfermement de l’humanité dans les systèmes sociaux qui imposent des stéréotypes et

l’hypocrisie. Dès ses débuts, des œuvres abondamment puissantes, mais aussi très austères

marquent les esprits : Im Wind der Zeit (1969), Nachnull, etc…

Son Sacre du printemps ose faire danser ses interprètes sur de la

terre fraîche maculant leur corps au fur et à mesure de la

représentation. Celle-ci a lieu en 1975, deux ans après sa

nomination à la tête du Ballet de Wuppertal. Le style de la

chorégraphe a su dès lors s’imposer dans le temps alliant beauté

lyrique, théâtralité, fluidité, etc… Petit à petit, elle crée un

nouveau langage souvent constitué à partir de l’introspection de

ses danseurs. « Contrairement à l’opinion répandue, l’approche

de Pina Bausch n’a pourtant rien d’un travail théâtral. Si ses

danseurs, rigoureusement entraînés par un cours classique

quotidien, manipulent sur scène le langage, chantent, offrent des

situations et des actions, et dansent finalement très peu le plus

souvent, Pina Bausch refuse pourtant de créer des

Pina Bausch dans Café Mûller

© Guy De Lahaye

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personnages »1. Ses danseurs sont le reflet d’une humanité, et plus qu’une interprétation, Pina

Bausch propose dans chacune de ses œuvres quelque chose de l’ordre de la représentation. Le

corps est seulement le prétexte de tous les autres moyens expressifs. Lui seul est finalement

porteur de sens, puisqu’aucun autre sens n’est donné par une linéarité narrative. La banalité de

certains mouvements est transposée dans un contexte tout à fait illusoire (danseuse prenant un

bain tout en faisant la vaisselle, hommes en smoking pataugeant dans l’eau jusqu’à mi-corps).

La scénographie est extrêmement forte et les costumes porteurs du style de Pina Bausch. Tout

est fait pour déstabiliser le spectateur et l’emmener dans des situations à l’extrême des

conventions. « La critique sociale qui se développe dans ces longs spectacles, souvent

sombres, touffus, répétitifs, mais d’une force renversante, revêt de multiples aspects […] En

s’attaquant aux codes de la danse et du théâtre, Pina Bausch rompt avec la narration, fait

éclater le récit »2. Elle n’hésite pas à se mettre en scène dans la dérive de ses danseurs : Café

Müller (1978), mais elle devient au fil du temps à la fois plus douce et plus inquiète avec ses

personnages.

2.4 Le cas particulier de la France

C’est mai 68 qui marque les débuts timides de la danse contemporaine en France.

C’est un art presque marginal qui va s’imposer petit à petit. Cependant, dès le départ, elle ne

trouve pas réellement sa place, sauf auprès d’un nombre assez restreint de spectateurs. La

danse se trouve « d’un côté bloquée par une élite dont les origines se situent souvent dans une

bourgeoisie qui a tendance à se replier sur les valeurs « sûres », de l’autre, confrontée au

désintérêt des classes populaires qui ne se sentent pas concernées par un art élitaire et peu

diffusé, la danse a bien du mal à sortir du carcan technique et d’une esthétique classique »3.

Les Ballets Russes restent donc la référence en matière de modernité. La danse classique a

bien tenté de se renouveler mais elle n’a en aucun cas remis en cause la technique, ni

l’esthétique mais seulement les thèmes des ballets. Le rapport scénique reste toujours le même

mais on ne peut en aucun cas enlever à Roland Petit ou Maurice Béjart d’avoir su amener un

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 170-171. 2 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, Coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 81. 3 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 67.

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nouveau public, qui n’était pas habitué des scènes de danse classique, dans des salles de

spectacles.

Certaines tentatives isolées ont bien tenté d’importer la danse moderne dans

l’Hexagone. Très tôt un duo se forme, constitué de Françoise et Dominique Dupuy, tandis

que Jacqueline Robinson, ayant étudié la danse auprès de Mary Wigman, ouvre un studio à

Paris dans les années 1950 et que Karin Waehner, disciple également de Wigman, s’installe

en France. C’est à peine si dans les années 1960, la venue de Merce Cunningham est

remarquée dans le studio des Dupuy. L’élément déclencheur est donc incontestablement le

phénomène de mai 1968. Proches des étudiants, les danseurs de l’Opéra de Paris sont prêts à

entendre ce que les étudiants revendiquent. En théorie, tout « devient possible », il n’y a plus

de contraintes et toutes les manières d’expression qui se veulent être originales peuvent être

créées. La remise en question de certains danseurs classiques conduit le Ministère de la

Culture à les suivre pour la création du Ballet Théâtre contemporain. Quarante cinq danseurs

sont réunis pour faire découvrir des créations contemporaines françaises et étrangères dont la

réalisation est rendue possible par la participation de plasticiens et de musiciens. Dans cet

élan vers la modernité plusieurs danseurs de l’Opéra vont choisir la voie de la danse

contemporaine : Michel Descombey en 1969, suivi de près par Brigitte Lefèvre (actuelle

directrice de la danse à l’Opéra de Paris) et Serge Garnier dont l’union permettra la création

du Théâtre du Silence à La Rochelle. Le nouveau directeur de l’Opéra de Lyon, ancien

danseur de Béjart, Vittorio Biagi, porte l’ambition de s’ouvrir au contemporain. Cependant, la

notion de modernité reste encore bien abstraite et ne remet pas totalement en question le

langage gestuel prodigué par la danse classique. Les créateurs n’ont, en effet, pas encore

intégré le fait que la danse moderne a ses propres techniques et philosophies. Très vite, leurs

possibilités de création s’épuisent. Le succès de la modernité arrive alors par la venue de

danseurs américains : Alwin Nikolaïs, Peter Goss ou encore Carolyn Carlson. Dès lors, la

modernité est assimilée à la technique et au renouvellement du langage corporel.

L’apprentissage passe également par l’improvisation et la composition. Cette danse vient

investir les scènes françaises mais surtout des endroits tels que des galeries de peinture, des

maisons pour tous, des MJC, des gymnases ou des parkings… A cette époque-là, peu de lieux

peuvent accueillir la danse à proprement parler car ils ne sont pas prévus pour cet art. Ceci

étant, Carolyn Carlson, par exemple, marque très vite les esprits. Engagée au sein de la

compagnie Anne Béranger, en tant que soliste et chorégraphe en 1971, elle fait forte

impression au futur directeur de l’Opéra de Paris. Cette rencontre sera signée, en 1973, par la

proposition d’un solo Density 21,5 sur la scène de la plus vieille institution chorégraphique de

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France. Son succès lui vaut d’être embauchée « comme étoile-chorégraphe, titre spécialement

créé pour elle »1. La danse contemporaine fait donc son entrée au sein du symbole même de

la danse classique. Certains réfractaires laissent entendre leurs voix mais malgré cela, elle

devient vite une référence imposant son propre style inspiré de diverses sources littéraires.

De nombreuses vocations sont suscitées mais celles-ci ne trouvent aucun projet très

formateur en France et sont obligées de s’exiler aux Etats-Unis pour apprendre. Dans le même

temps, Merce Cunningham commence à se faire connaître dans l’Hexagone. Le fait que ce

dernier ait mis en place une technique très codifiée correspond à la fois aux danseurs et aux

spectateurs. Le manque d’enseignement tourne aussi certains danseurs vers l’école Mudra,

fondée par Maurice Béjart à Bruxelles. Des futurs grands noms de la danse contemporaine y

passent pendant les années 1970 : Maguy Marin, Dominique Bagouet, Hervé Robbe, etc.

Cette absence française sera comblée en 1978 par la création du Centre National de Danse

Contemporaine à Angers (CNDC). C’est donc la première école professionnelle de danse

contemporaine, rendue possible par la création d’une infrastructure adaptée. L’impulsion est

donnée par le Ministère de la Culture et appuyée par la Ville. A sa tête, l’un des plus grands

chorégraphes américains de cette époque : Alvin Nikolaïs. Il y prolonge ainsi le courant initié

par Carolyn Carlson. Il va former les futurs chorégraphes des années 1980. Une autre

institution voit le jour au cours de cette période. Née 10 ans plus tôt, en 1968, son influence

devient de plus en plus marquante au fil des années : le concours de Bagnolet. Au début très

amateurs, les candidats deviennent de plus en plus professionnels et le concours voit défiler

des chorégraphes comme Dominique Bagouet, Karine Saporta, Maguy Marin, Dominique

Boivin, François Vernet, Jean Claude Galotta, Régine Chopinot, Philippe Découflé, Mathilde

Monnier, Angelin Preljocaj, etc. pour ne citer qu’eux. La plupart de ceux qui sont passés par

ce concours sont restés gravés dans la pierre historique de la chorégraphie et le concours de

Bagnolet donne finalement pendant vingt ans la température de la danse en France.

« Rapidement, il devient la carte de visite indispensable, chaque année apportant sa nouvelle

« cuvée » sur le marché »2. Inadapté à l’évolution de la société et de la culture en France, le

concours prend fin en 1986.

Les années 1980 sont synonymes d’institutionnalisation et le ministère Lang n’est pas

pour rien dans cette étape de la danse française. Dès 1981, des mesures sont prises en faveur

de la danse. La France devient un terreau propice au développement d’une danse

contemporaine de qualité. Le langage chorégraphique est de mieux en mieux appréhendé par

1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 178-179. 2 Ibid., p. 184.

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des compagnies qui ont gagné en assurance. Les spectateurs se laissent prendre au jeu. La

création est prolifique et cette danse s’empare autant de la rigueur que du plaisir des formes

pures. Elle est alors en osmose avec la fin de siècle et devient prétexte à exprimer la confusion

d’une époque. L’institutionnalisation contribue à cette explosion de styles poussant tout de

même à mettre en avant les formes spectaculaires. Malgré une diversité apparente, la

codification de certains styles permet vite de caractériser le travail de tel ou tel chorégraphe.

Le langage se standardise et même s’académise. Ceci pose la question du clivage initié dès le

début du siècle par les précurseurs et les sensibilités modernes, entre la danse classique et la

danse contemporaine. Cette distanciation est-elle aussi prégnante ? Ce qui est à retenir, c’est

notamment le fait que la danse contemporaine française est héritière non seulement d’une

tradition théâtrale riche, mais aussi d’espaces symboliques chargés d’histoire où la danse

classique a notamment laissé des traces. La théâtralité se laisse alors ressentir par l’émotion

sous-jacente au langage, étant le reflet d’une intériorité. La recherche du mouvement reste

tout de même primordiale pour certains chorégraphes : Odile Duboc, Daniel Larrieu et

Dominique Bagouet.

Comme évoqué précédemment, sans une assise institutionnelle forte, la structuration

du champ chorégraphique français n’aurait peut-être pas pu être aussi rapide et effective.

Même si certains s’accordent à dire que la danse contemporaine reste encore aujourd’hui le

parent pauvre du milieu du spectacle, une véritable politique a permis son essor dans les

années 1980. La combinaison entre décentralisation et prise en considération de l’Etat permet

de dégager un premier maillage du territoire. L’implantation de compagnies et des principaux

chorégraphes français en région, en référence au modèle théâtral permet la naissance des

Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN). La sédentarisation de ces compagnies est donc

permise par la combinaison des financements de l’Etat, la Ville, la Région et/ou le

Département. Ces évènements permettent la fidélisation d’un public qui s’élargit petit à petit.

Aujourd’hui 19 Centres Chorégraphiques sont implantés sur l’ensemble de l’Hexagone. Ce

système unique en France est beaucoup envié par les milieux chorégraphiques étrangers.

Ainsi, la reconnaissance de jeunes artistes s’est accélérée par cette institutionnalisation qui

permet également l’ancrage de la danse dans un professionnalisme certain. Quelques années

plus tard la promotion de la danse contemporaine sera prolongée par la création des Centres

de Développement Chorégraphique. Le premier est créé à Toulouse en 1995 et aujourd’hui, ce

réseau dénombre huit structures qui travaillent ensemble au soutien des artistes et à la

diffusion de la danse contemporaine.

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Les années 1980 ont déclenché une effervescence en matière de création et de

développement chorégraphique. Les décennies suivantes ont continué dans cette lancée tout

en observant un certain retour en arrière et effaçant les clivages instaurés par la danse

moderne entre classique et contemporanéité (voir Partie 1).

Conclusion

Ce chapitre dresse un panorama rapide de la construction de la danse contemporaine.

Son histoire est tellement prolixe que cette partie se concentre sur les points essentiels de sa

construction ainsi que sur les éléments nécessaires à la compréhension des parties suivantes.

Les années 1990 et 2000 sont quant à elles traitées dans la première partie de ce mémoire

puisque le propos de ce mémoire touche finalement à de nombreuses créations de la fin du

XXème siècle. Les œuvres précédant ces décennies ne sont pas pour autant exclues du propos

ci-présent.

En conclusion, il est indéniable qu’aujourd’hui la danse contemporaine se traduit en

diverses techniques et esthétiques repoussant très souvent les limites du possible. Elle investit

de nouveaux espaces tout en s’institutionnalisant. Le public, quelque peu réticent au début et

surtout constitué d’intellectuels, s’élargit au fur et à mesure que cette danse vient à sa

rencontre et s’implante sur le territoire. Complexe et diversifiée, la danse contemporaine

recouvre finalement divers courants se partageant entre danse moderne/modern dance et danse

postmoderne/post modern dance. Ainsi, même dans sa dénomination la danse contemporaine

pose problème. Outre une classification difficile, certains auteurs s’accordent à assimiler les

deux courants précédant la danse contemporaine, tandis que d’autres préfèrent les distinguer

de l’objet d’étude de cette partie. A la vue de l’historique présenté ci-dessus, il est évident que

ces trois courants sont porteurs d’une certaine modernité mais si chacun d’entre eux est

considéré comme étant une nouvelle forme d’art, alors leur distinction n’est pas anodine.

Outre cette supposition, il est évident que cette confusion persiste car chacun de ces styles se

base sur des thèmes, techniques, ou revendications qui peuvent parfois être proches.

La danse contemporaine est aujourd’hui très diversifiée et hétéroclite et ceci rend

difficile sa catégorisation, d’autant plus qu’elle est à l’écoute du monde qui l’entoure, et en

propose une réflexion. Son inspiration vient de multiples et diverses références.

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Annexes

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Version : Maurice Béjart, création 1959 © François Paolini

Annexe 1 : Déclinaison photographique des relectures du Sacre du Printemps

Argument original : « Dans la Russie primitive et païenne, vieillards, adultes et adolescents

se préparent à célébrer le retour du printemps. Le grand rituel se déroule en deux temps :

« L’Adoration de la Terre », traduite par les rondes, les danses et les transes des garçons et

des filles, en groupes séparés. Puis « le Sacrifice », d’une élue que la communauté offre au

dieu Iarilo. Cette adolescente, glorifiée par tous, doit danser jusqu’à succomber

d’épuisement »1.

Livret : Igor Stravinski et Nicolas Roerich – Musique : Igor Stravinski – Chorégraphie : Vaslav Nijinski –

Création : Théâtre des Champs-Elysées le 29 mai 1913.

1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 44.

Version originale, Vaslav Nijinski © Roger Viollet

Version : Pina Bausch, création 1975 © Ulli Weiss

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Version : Angelin Preljocaj, création 2001

© Jean Barak

Version Heddy Maalem, création 2004 © Patrick Fabre

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Annexe 2 : Déclinaison photographique des relectures de Giselle

Argument original : « Giselle, jeune paysanne au cœur fragile, aime Albrecht qui lui jure

fidélité. Elle danse en son honneur, faisant fi des remontrances de sa mère qui lui rappelle

l’histoire des wilis, ces jeunes filles transformées en fantôme pour avoir trop dansé.

Amoureux éconduit par Giselle, le garde-chasse Hilarion découvre qu’Albrecht n’est autre

que le duc de Silésie, fiancé à la fille du duc de Courlande. Devant tous il révèle l’identité de

son rival. Giselle en perd la raison et s’effondre sans vie.

Venus, tour à tour, se recueillir, le soir sur la tombe de Giselle, Hilarion et Albrecht sont la

proie des wilis et de leur reine, l’implacable Myrtha, qui les condamne à danser jusqu’à la

mort. Sortant de sa tombe, Giselle, nouvelle wilis, tente en vain d’intervenir. Albrecht ne sera

sauvé que par les premières lueurs de l’aube qui font rentrer les wilis dans leurs tombes »1.

Livret : Théophile Gautier, Vernoy de Saint-Georges, Jean Coralli, Musique : Adolphe Adam, Chorégraphie :

Jules Perrot, Jean Coralli, Création : Opéra de Paris le 28 juin 1841

1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 16.

Version classique interprétée par Laëtitia Pujol (Ballet de l’Opéra de Paris) © Jacques Moatti

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Version Mats Ek, création 1982

@ Jean-Pierre Maurin

Version Garry Stewart, création 2008 © Chris Hertzfeld

Version Olivia Grandville © Agnès Mellon

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Annexe 3 : Déclinaison photographique des relectures du Lac des Cygnes

Argument original : « La nuit, chassant près d’un lac, le prince Siegfried découvre une jeune

princesse Odette, qui, métamorphosée avec ses amies cygnes le jour, retrouve sa forme

première la nuit. Seul un amour absolu la délivrera du pouvoir maléfique de Rothbart.

Subjugué par sa grâce et sa beauté, Siegfried lui jure fidélité éternelle. Le lendemain, au bal

donné par sa mère pour fêter sa majorité, le prince se parjure, abusé par Odile, fille de

Rothbart, qui prend l’apparence d’Odette.

Quand il se rend compte de son erreur, Siegfried, désespéré, court retrouver Odette

mortellement blessée par cette trahison. Il la supplie de lui pardonner et tente de l’arracher

aux griffes de Rothbart. Le prince et le mauvais génie s’affrontent en un combat mortel où

tous deux périssent. Tandis que les âmes d’Odette et Siegfried se rejoignent dans l’au-delà,

les princesses-signes retrouvent leur forme humaine, délivrées du sortilège »1.

Livret : V.P Beguitchev, Vassili Gueltzer – Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski – Chorégraphie nouvelle

version : Marius Petipa (acte I et III) et Lev Ivanov (acte II et IV) – Création : Théâtre de Mariinski de Saint-

Petersbourg le 27 janvier 1895.

1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 34.

Version classique © Jacques Moatti

Version Mats Ek, création 1987 © Lesley Leslie-Spinks

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Version Matthew Bourne, création 1995 ©Bill Cooper

Version Raimund Hoghe, création 2005 © Laurent Philippe

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Annexe 4 : Déclinaison photographique des relectures de Roméo et Juliette

Argument original : « Dans une Vérone ensanglantée par les incessants combats entre deux

familles ennemies, les Capulet et les Montaigu, le fils de ces derniers, Roméo, s’introduit

masqué avec ses amis Mercutio et Benvolio, au bal des Capulet. Il tombe amoureux de leur

fille, Juliette, elle-même conquise par cet inconnu. Les deux jeunes gens s’avouent leur

passion sur le balcon de Juliette et décident de se marier secrètement. Frère Laurent bénit

leur union dans l’espoir de réconcilier les deux familles. Mais Tybalt, le belliqueux cousin de

Juliette, tue Mercutio. Roméo le venge aussitôt, et pour ce crime est banni de Vérone. Juliette,

qui refuse d’épouser le fiancé que ses parents lui imposent, absorbe un puissant somnifère qui

lui donne l’apparence de la mort.

Croyant sa femme réellement morte, Roméo, désespéré, se tue sur sa tombe. Juliette se

réveille trop tard et se poignarde sur le corps de son époux »1.

Livret : Serge Prokofiev et Léonide Lavrovski d’après Shakespeare, Musique : Serge Prokofiev,

Chorégraphie : Léonide Lavrovski, Création : Théâtre de Lenningrad le 11 janvier 1940

1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 100.

Version Angelin Prejlocaj, création 1990 © Gérard Ansellem

Version classique © Jacques Moatti

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Version Sasha Waltz, création 2007 © Bernd Uhlig

Version Thierry Malandain, création 2010 © Olivier Houeix

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Annexe 5 : Déclinaison photographique des relectures de Cendrillon

Argument original : « Cendrillon, souffre-douleur de sa belle mère et de ses deux sœurs, se

désole de ne pouvoir les accompagner au bal donné par le prince. Elle se console en valsant

avec son balai. Une pauvre femme charitablement accueillie par Cendrillon, se révèle être

une bonne fée qui transforme les haillons de la jeune fille en robe de bal et une citrouille en

carrosse, pour la mener chez le prince. Mais Cendrillon doit impérativement revenir avant

minuit. Reine de la fête, au grand dam de ses sœurs qui ne peuvent la reconnaître, Cendrillon

danse avec le prince et oublie l’heure. Aux douze coups de minuit, elle s’enfuit en perdant

dans sa hâte un soulier. Le prince s’en empare et commence un long périple autour du monde

pour retrouver sa belle inconnue. Quand il parvient enfin chez Cendrillon, celle-ci laisse

tomber de sa poche l’autre soulier, à la stupéfaction de ses sœurs et à la grande joie du

prince.

Pour étoffer le conte de Perrault, Prokofiev a imaginé de brillants divertissements dans

chacun des trois actes : les quatre Saisons, avec les fées Printemps, Eté, Automne et Hiver qui

apprêtent Cendrillon pour le bal ; les douze Heures, qui surgissent de la pendule aux douze

coups de minuit ; les danseuses espagnoles, orientales et russes, rencontrées au cours du

voyage du prince »1.

Livret : Nicolaï Volkov d’après Charles Perrault, Musique : Serge

Prokoviev, Chorégraphie : Rostislav Zakharov, Création : Théâtre

Bolchoï de Moscou le 15 novembre 1945.

1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 102.

Version classique © Laurent Philippe

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Version Christophe Maillot, création 1999 © Marie-Laure Brianne

Version Maguy Marin, création 1985 © Marin Gerrad

Version Michel Kelemenis, création 2009 @ Vincent Lepresle

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Bibliographie

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153

Ouvrages

∗ BABELON, Jean Pierre. CHASTEL, André. La Notion de patrimoine, Paris, Liana Levi,

janvier 1995.

∗ BECKER, Howard Samuel. Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,

1988 (nouvelle édition février 2006).

∗ BOISSEAU, Rosita. Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel,

novembre 2010.

o Panorama de la danse contemporaine, Paris, Textuel, septembre 2008 (nouvelle

édition juin 2010).

∗ BOURSIER, Paul. Histoire de la danse en Occident, Paris, Seuil, 1978.

∗ BROUILLARD, Edmond. SIMONNET, Valérie. Danser, Héricy (Seine et Marne),

Editions du puits fleuri, mars 2002.

∗ CAUNE, Jean. Pour une éthique de la médiation : Le Sens des pratiques culturelles,

Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1999.

∗ CHARLOU, Solenn, La Danse contemporaine, du corps du danseur au corps du

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des Lumières Lyon II, année 2009/2010.

∗ CLIDIERE, Sylvie. De MORANT, Alix. Extérieur Danse : essai sur la danse dans

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∗ COULANGEON, Philippe. Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Découverte,

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∗ DEWEY, John. L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2010.

∗ GILLET, Camille. La Danse contemporaine à Toulouse : Diffusion et réception du public

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∗ GINIOT, Isabelle. MICHEL, Marcelle. La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, 2002

(nouvelle édition octobre 2008).

∗ GIOFFREDI, Paule (sous la direction de). A la rencontre de la danse contemporaine,

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∗ HEINICH, Nathalie. Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris,

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∗ IZRINE, Agnès. La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002.

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∗ JAUSS, Hans Robert. Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, coll. « Tel »,

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∗ LEFEVRE, Betty. « L’expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine »,

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∗ LE MOAL, Philippe (Sous la direction de), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse,

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∗ MOATTI, Jacques. Danse, Paris, Play Bac, 2003.

∗ MOATTI, Jacques. SIRVIN, René. Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse,

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Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales », 2003.

∗ NOISETTE, Philippe. Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. « Art

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∗ PIDOUX, Jean-Yves (sous la direction de). La Danse art du XXe siècle ?, Lausanne,

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∗ PASTORI, Jean-Pierre. La Danse – Des Ballets russe à l’avant-garde, Paris, Gallimard,

coll. « Découvertes Gallimard », juin 2009.

o Rythme de vie – Entretiens avec Jean-Pierre Pastori, Lausanne, La Bibliothèque

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∗ PIETRAGALLA, Marie-Claude. La Légende de la danse, Paris, Flammarion, 1999.

o Ecrire la danse, De Ronsard à Antonin Artaud…, Paris, Séguier Archimbaud,

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∗ SCHAEFFER, Jean-Marie. Les Célibataires de l’Art – Pour une esthétique sans mythes,

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∗ SCHNEIDER, Marcel. L’Esprit du ballet, Paris, Bratillat, 2002.

∗ SEVERIN, Elise. Le Processus de patrimonialisation des œuvres chorégraphiques

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Université des Lumières Lyon II/ARSEC, année 1999/2000.

∗ THUILLEUX, Jacqueline. A pas contés avec Thierry Malandain – Les Dix ans de ballet

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∗ VERRIELE, Philippe. Légendes de la danse, Une histoire en photos 1900 – 2000, Paris,

Hors Collection, 2002.

Articles de périodiques

∗ BARBIER, Nathalie. MAUBERT, Florent. « La Programmation », Danser, n°237 –

novembre 2004, DDB Editions, p. 24-26.

∗ BAVELIER, Ariane. « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro,

Jeudi 17 février 2011.

∗ BOURGUE, Chris. FRESCHEL, Agnès. « Le Ballet National n’en finit pas de danser… »,

Zibeline, n°30 – du 20/05/10 au 17/06/10, Zibeline SARL, p. 28.

∗ Collectif, « Penser la danse contemporaine », Paris, Revue Collège international de

philosophie - Rue Descartes 44, PUF, 2004.

∗ FAURE, Sylvia. « Les structures du champ chorégraphique français », Actes de la

Recherche en Sciences Sociales, n°175 – décembre 2008, Paris, Éditions du Seuil.

∗ GOUMARRE, Laurent. « Portrait : Marie Claude Pietragalla », Danser, n°274 – mars

2008, DDB Editions, p. 63.

o « Une Blanche Neige très noire », Danser, n°279 – septembre 2008, DDB Editions,

p. 42-43.

∗ IZRINE, Agnès. « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions,

p. 14-18.

o « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – avril 2011, Paris, DDB

Editions, p. 52-56.

∗ MARTEL, Frédéric. « Danse et culture de masse », Danser, n°299 – juin 2010, Paris, DDB

Editions, p. 44.

∗ MONTAIGNAC, Katya, « Le Lac des Cygnes démystifié, revu et corrigé », Jeu : revue de

théâtre, n°117 – (4) 2005, p. 39-43.

∗ NOISETTE, Philippe. « Un lac, des cygnes », Danser, n°249 – décembre 2005, Paris,

DDB Editions, p. 8-16.

∗ Dir. PLANSON, Cyrille. « Publics : les nouveaux comportements », La Scène, printemps

2009, p. 53-68.

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32.

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Dossiers de presse

∗ MELY, Christophe. Le BNM à l’Opéra de Marseille les 23 et 24 avril 2010 [en ligne],

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∗ MALANDAIN BALLET BIARRITZ. Magifique [en ligne], Disponible sur :

< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/Magifique.pdf >.

o La Mort du Cygne [en ligne], Disponible sur :

< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/MortCygne.pdf >.

o Roméo et Juliette [en ligne], Disponible sur :

< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/RomeoJuliette.pdf >.

Œuvres chorégraphiques

∗ BROWN, Trisha, Early Works, années 1960 (Compagnie Trisha Brown).

o Opal Loop-Cloud Installation # 72503, 1980.

o Set and Reset, 1983.

o If you couldn’t see me, 1994.

o L’Amour au théâtre, 2009.

∗ CHILDS, Lucinda, Tempo Vicino, 2010 (Ballet National de Marseille).

∗ GRIGOROVITC, Yuri, Casse Noisette, Retransmission Cinéma Pathé, 2010 (Ballet du

Bolchoï).

∗ MAALEM, Heddy, Mais le diable marche à nos côtés, 2010 (Compagnie Heddy Maalem).

∗ MALANDAIN, Thierry, Les Nuits d’Eté, 2010 (Ballet National de Marseille).

o La Mort du Cygne, 2002 (Ballet National de Biarritz).

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o L’amour sorcier, 2008 (Ballet National de Biarritz).

o Magifique, 2009 (Ballet National de Biarritz).

∗ GRANDVILLE, Olivia, 6 Giselles, 2010 (Ballet National de Marseille).

∗ PIETRAGALLA, Marie-Claude, Marco Polo, 2008 (Pietragalla Compagnie).

∗ PRELJOCAJ, Angelin, Suivront mille ans de calme, 2010 (Ballet Preljocaj).

o Blanche Neige, 2008.

∗ KELEMENIS, Michel, Disgrâce, 2009 (Kelemenis & cie).

∗ FLAMAND, Frédéric. Métamorphoses, 2007 (Ballet National de Marseille).

Œuvres chorégraphiques – DVD, Internet

∗ BEL, Jérôme, Véronique Doisneau, (Opéra National de Paris) [en ligne], Disponible sur :

<http://www.youtube.com/watch?v=OIuWY5PInFs>, (consulté le 15/03/2010).

∗ PETIT, Roland, Le jeune homme et la mort, 1946 (Opéra National de Paris).

∗ PETIT, Roland, Carmen, 1949 (Opéra de Paris).

∗ MARIN, Maguy, Cendrillon, 1989 (Opéra de Lyon).

∗ PRELJOCAJ, Angelin, Roméo et Juliette, 1990 (Opéra de Lyon).

∗ PRELJOCAJ, Angelin, Le Parc, 1994 (Opéra National de Paris).

Emissions de télévision

∗ Emission Métropolis – Arte, diffusée le 20 et 21 novembre 2010 :

<http://www.malandainballet.com/>, Rubrique Actualité, Métropolis (consulté le

06/04/11).

∗ Emission Les leçons de…– Arte, diffusée le 24 mars 2009, < http://www.arte.tv/fr/Les-

lecons-de---/2535310.html >, (consulté le 08/04/11).

Conférences

∗ ADOLPHE, Jean-Marc, Conférence autour de Trisha Brown et de son œuvre, Toulouse,

08/02/2010, CDC Toulouse.

∗ IZRINE, Agnès. LEFEVRE, Brigitte. Conférence : Le Répertoire à la pointe du

contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse.

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Entretiens

∗ Avec Dominique Thouroude, Titulaire du CA de danse classique, ancienne soliste du

Ballet du Capitole.

∗ Avec Latifa Sabri, Chargée de la programmation du festival Les Extravadanses à Castres

(Tarn).

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Table des matières

Remerciements ......................................................................................................................... 2

Sommaire .................................................................................................................................. 3

Introduction générale ............................................................................................................... 4

Partie 1. Entre classique et contemporain : une frontière poreuse.............................. 9

Questions et notions préalables ........................................................................................ 10

Introduction ...................................................................................................................... 17

Chapitre 1. Les prémices des œuvres : de la création au métissage des genres............. 20

Introduction ...................................................................................................................... 20

1.1.1 Les intentions et les motivations des chorégraphes............................................ 21

1.1.2 Quelles formes artistiques découlent de ce métissage ? ..................................... 26

1.1.3 Où projeter les frontières entre danse classique, danse néoclassique, et danse

contemporaine ? Comment opérer ces classifications ? ................................................... 30

Conclusion ........................................................................................................................ 34

Chapitre 2. Les ballets classiques revisités .................................................................... 35

Introduction ...................................................................................................................... 35

1.2.1 Un répertoire à l’épreuve de la danse contemporaine ........................................ 36

1.2.2 Des relectures aux intérêts multiples .................................................................. 41

1.2.3 Etude de cas : 6 Giselles ..................................................................................... 44

Conclusion ........................................................................................................................ 47

Chapitre 3. Les pièces contemporaines qui empruntent à la danse classique ................ 49

Introduction ...................................................................................................................... 49

1.3.1. Par quels moyens le classicisme s’intègre-t-il dans les pièces de danse

contemporaine ? ............................................................................................................... 50

1.3.2. Quel est l’apport de ces éléments à la danse contemporaine ? ........................... 55

1.3.3. Etude de cas : Magifique, Thierry Malandain .................................................... 58

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Conclusion ........................................................................................................................ 61

Conclusion ........................................................................................................................ 63

Partie 2. Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ? ....... 64

Introduction ...................................................................................................................... 65

Chapitre 1. Des formes chorégraphiques qui participent à la patrimonialisation de la

danse………………………………………………………………………………………..66

Introduction ...................................................................................................................... 66

2.1.1 La notion de patrimoine et la question de la patrimonialisation ........................ 67

2.1.2 La danse contemporaine : une ouverture et une actualisation du patrimoine

chorégraphique ................................................................................................................. 70

Conclusion ........................................................................................................................ 73

Chapitre 2. La réception de la danse et ses publics ....................................................... 75

Introduction ...................................................................................................................... 75

2.2.1. De l’expérience esthétique à la réception de la danse ........................................ 76

2.2.2. Les publics de la danse ....................................................................................... 80

2.2.3. Quel public, quelle réception pour les œuvres du métissage entre classique et

contemporain ? ................................................................................................................. 86

Conclusion ........................................................................................................................ 92

Chapitre 3. La médiation culturelle : comment et pourquoi ? ....................................... 94

Introduction ...................................................................................................................... 94

2.3.1. La médiation culturelle et la danse ..................................................................... 95

2.3.2. Quelle médiation pour les œuvres entre classique et contemporain ? ................ 98

Conclusion ...................................................................................................................... 103

Conclusion ...................................................................................................................... 105

Conclusion générale ............................................................................................................... 107

Postface. Panorama historique de la danse classique et contextualisation de la danse

contemporaine .............................................................................................................. 112

Chapitre 1. De quelle manière la danse classique a permis la création d’un répertoire ? 114

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Introduction : La danse comme instrument du pouvoir ................................................. 114

1.1 Les bases de la danse classique ............................................................................ 115

1.2 Du Romantisme à l’académisme, la naissance d’un répertoire ........................... 118

1.3 Les Ballets Russes : une lueur de modernité........................................................ 121

1.4 L’avènement du néo-classique ............................................................................. 123

Conclusion ...................................................................................................................... 126

Chapitre 2. L’apparition de la danse contemporaine et ses effets dans le temps ......... 128

Introduction : Les précurseurs ........................................................................................ 128

2.1 La modernité américaine et l’ouverture allemande.............................................. 129

2.2 Merce Cunningham et les précurseurs de la post-modern dance ......................... 132

2.3 L’Allemagne d’après-guerre : le règne de Pina Bausch ...................................... 135

2.4 Le cas particulier de la France ............................................................................. 137

Conclusion ...................................................................................................................... 141

Annexes ................................................................................................................................. 142

Annexe 1 : Déclinaison photographique des relectures du Sacre du Printemps ............ 143

Annexe 2 : Déclinaison photographique des relectures de Giselle ................................ 145

Annexe 3 : Déclinaison photographique des relectures du Lac des Cygnes .................. 147

Annexe 4 : Déclinaison photographique des relectures de Roméo et Juliette ................ 149

Annexe 5 : Déclinaison photographique des relectures de Cendrillon .......................... 151

Bibliographie ......................................................................................................................... 153

Table des matières ................................................................................................................ 162