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Au gré de la mémoire, Garry Conille ou le passage d'un météore.(EXTRAIT)

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Le récit que retrace l’auteur est frappé du sceau de l’authenticité. Le lecteur sera étonné d’y découvrir la vérité cachée des attitudes et des comportements, les dessous ténébreux des faits et événements, ainsi que la motivation parfois incroyablement mesquine des acteurs et des opérateurs politiques. Personne, si fébrile et fertile que puisse être son imagination, ne peut deviner ce qui se passe derrière les rideaux de la scène ou dans les coulisses du spectacle. Le style alerte du Dr Gilot conduira allègrement le lecteur dans les méandres encombrées du drame politique haïtien à l’ère du changement TÊT KALE et dévoilera certainement les secrets de la psychologie souvent hermétique des dissimulateurs et manœuvriers de l’ombre. À paraître en mai 2012.

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MORCEAUX CHOISIS 

 

I.‐ Cadet d’une famille de six enfants, cinq garçons et une fille, Gary est né  le  26  février  1966.  Son  père,  Serge  Conille,  était  alors  étudiant  en médecine.  Courageux  et  déterminé,  cet  homme  passait  ses  longues journées  à  ajuster  ses  lourdes  obligations  de  père  de  famille  avec  les horaires  contraignants  de  la  Faculté  et  son  agenda  de  professeur  de physiologie végétale dans les classes terminales des lycées et collèges de la capitale. Marie‐Antoinette Darbouze,  la mère de Garry, avait dû, sur demande  de  ses médecins,  interrompre,  le  temps  de  cette  grossesse difficile,  ses cours de deuxième année de pharmacie. Elle  retourna aux études, moins d’une  semaine après  ses  couches au grand étonnement de ses camarades de promotion. En dépit de leur situation difficile, Serge et Marie‐Antoinette prenaient  le  temps d’accueillir  leurs camarades de faculté et  les amis dans  l’intimité de  leur modeste  résidence de  la  rue Capois.  

L’auteur de ce livre y a vu naître et grandir les garçons, sous l’œil sévère de  leurs  parents,  mais  au  milieu  de  l’attention  particulièrement  affectueuse du cercle d’étudiants qui  les entourait. Et même,  il a eu  le privilège d’introduire le jeune Garry dans les splendeurs de la médecine opératoire,  en  l’autorisant  à  assister  à  la  réparation  d’une  hernie abdominale,  un  samedi  après‐midi  où  il  opérait,  comme  d’habitude,  à l’hôpital de la Mission Baptiste de Fermathe. Le garçonnet avait à peine dix  ans.  Il  devait  se  hisser  sur  la  pointe  des  pieds  pour  assister  au déroulement de  l’intervention.  Il émut  le  chirurgien  jusqu’aux    larmes, quand à la sortie du bloc opératoire, où il l’attendait, il le prit la main et lui dit : « Docteur Gilot, quand  je serai grand,  je veux être un médecin‐

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chirurgien,  comme  toi. »  Les  fruits ont, en effet,  tenu  la promesse des fleurs, et Garry est devenu, à la très grande satisfaction de ses parents et de leurs amis, le brillant obstétricien‐gynécologue  que l’on connaît. 

Le  jeune Gary  a  subi  l’influence  profonde  et  profitable  de  son  grand père  Beauséjour  Conille,  un  juriste  incorruptible  et  d’une  probité absolue. Ses contemporains de  la basoche  lui vouaient  le plus profond respect,  car,  disaient‐ils,    sa  vie  était  intègre,  et  ses mains  nettes  et pures. De lui, Garry a hérité son entregent, son humanisme, son respect profond des gens, des institutions et surtout de la parole donnée. Il leur arrivait de passer des heures en tête à tête. Comme si  le vieil homme présageait de l’avenir de son petit‐fils et tentait de lui faire une mise en garde.  Il lui enseignait non seulement les leçons de choses mais encore lui  parlait  de    la  fragilité  des  choses  humaines  et  surtout  des contradictions  violentes  de  la  politique  haïtienne,  depuis  les  temps reculés.  

Sa grand‐mère Aidée Benoît fut une vaillante et laborieuse quincaillère qui a inculqué à ses enfants et petits‐enfants le sens poussé de l’effort et  l’amour du  travail bien  fait. Tous  ceux qui ont eu  le bonheur et  la chance de travailler sous la direction du Premier ministre s’accordent à reconnaître  l’immense  capacité  de  travail  du  personnage.  Il  ne  se couchait jamais avant minuit et, même malade, il était, avant  4 heures du matin,  installé à son office,  face à une montagne de dossiers.  Il se faisait un point d’honneur de s’assurer que tous  les documents qui  lui avaient été remis la veille soient revus, annotés et disponibles pour les cadres de la Primature devant en assurer le suivi. 

Un des membres de  la  famille aime à  rappeler que contrairement   aux  supputations de certains analystes politiques, tout semblait prédisposer 

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le jeune Conille à une carrière politique.  Dès son jeune âge, il se faufilait discrètement dans  la  salle  à manger et,  tapis dans un  coin,  il écoutait attentivement  et  pendant  de  longues  heures,  les  hommes  d’État  de l’époque discuter passionnément de l’avenir politique du pays. Plus tard, il confondit  le petit groupe de néophytes du mouvement Lavalas qui  le menaçaient, en pleine salle de classe, de lui infliger le supplice du «Père Lebrun », à cause de l’appartenance politique de ses parents. Il intervint plus d’une fois lors des débats inter‐étudiants pour rétablir ce qu’il disait être  la vérité historique. Il participait   avec la même passion aux débats du MID  que  dirigeait  son  beau‐père Marc  Bazin,  aux  discussions  des groupements de gauche comme aux rencontres des tenants de la droite ou  de  la  mouvance  duvaliériste,  et,  esprit  cartésien,  il  intervenait toujours pour faire valoir la voix de la raison, du patriotisme éclairé et de l’humanisme véritable. 

Sa  résidence  hospitalière  en  obstétrique  et  gynécologie  terminée  à l’hôpital  Isaïe‐Jeanty de Chancerelles, Garry appliqua pour une bourse d’études  au  Programme  Fulbright,  l’un  des  plus  prestigieux programmes  américains  d’échanges  internationaux.  Les  États‐Unis d’Amérique  le  partagent  avec  155  pays  du  globe.    Conille  retint l’attention  du  jury  qui  lui  offrit  de  supporter,  tous  frais  compris,  des études  en  gestion  et  politiques  de  santé,  dans  l’une  des    universités américaines  de  renom.  Il  choisit  de  se  rendre  à  l’Université  de  la Caroline du Nord à Chapel Hill.  Cependant,  le ministre de  la  santé d’alors  refusa péremptoirement de signer  l’accord de principe, au nom du gouvernement haïtien, en dépit des résultats du concours et des recommandations favorables consignés dans  le  rapport du  jury   Fulbright.    Il évoqua pour  justifier son  refus  le 

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prétexte  saugrenu  des  affinités  duvaliéristes  de  la  famille  Conille.  Il opposa  un  non  catégorique  aux  protestations  véhémentes  de l’ambassade américaine,  inconfortable et mal disposée à  faire  les  frais d’une injustice aussi criante. 

 Le gouvernement des États‐Unis dut, pour refroidir le zèle et amortir les impulsions  «pyromaniaques »   de  ce  haut‐fonctionnaire,  adopter  une mesure d’exception et offrir, cette année‐là, à l’État haïtien une seconde bourse  Fulbright,  dont  bénéficia  un  autre    jeune,  classé,  certes, deuxième au  concours,   mais  issu de  la même  famille politique que  le ministre  désobligeant.  Garry  ne  se  laissa  pas  désarçonner  par  cette fâcheuse  mésaventure.  Et  aujourd’hui,  s’il  vous  arrive  de  visiter  le campus  de  Chapel  Hill,  vous  aurez  la  fierté  d’admirer,  au  tableau d’honneur,  le  nom  de Garry  Conille  où  il  a  décroché  une maîtrise  en politique et administration des services de santé. Il n’a pas démérité de son Alma Mater ni de son pays natal.   

Un  autre  évènement  non  moins  troublant  marqua  la  vie  du  jeune Conille. Le 8 janvier 1991,  ……………………………………………………………. 

Alors  que  notre  équipe  travaillait  assidûment  à  la  préparation  de l’énoncé de politique générale du Premier ministre ratifié, Garry Conille reçut  la  visite  d’un  ancien ministre,  et  non  des moindres,  du  régime précédent. Celui‐ci était venu lui apporter son CV et la copie d’un projet sectoriel  de  gouvernement.  Les  deux  hommes  s’entretinrent  pendant plus de deux heures. À  la fin de  l’entrevue,  le PM présenta  le visiteur à l’ensemble du cabinet particulier, puis  le   raccompagna jusqu’à  la sortie de  l’immeuble  logeant  provisoirement  la  Primature.  Au  moment  de revenir à son bureau, il fit une brève halte à l’office où l’on travaillait. Un des membres du cabinet aventura un commentaire : « PM, l’homme que 

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vous  venez  de  recevoir  est  un  lavalassien  pur  et  dur. »  «Vraiment ? » répondit  Garry  Conille,  flegmatique.  Il  prit  une  pause  et  dit :  « Tu  as raison,  cher  ami,  en  janvier  1991,  il  était  à  la  tête  des  déchouqueurs venus  incendier et piller ma maison. Cependant,  il a  le profil  idéal pour être mon ministre des sports. » Fin de conversation. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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II.‐ Les conseillers du Président persuadent celui‐ci qu’il a toute latitude de  former  son  cabinet  ministériel  tout  seul,  sans  l’avis  du  Premier ministre,  sans  négocier  avec  les  groupes  parlementaires.  Ils  se réservent tout  l’espace des nominations, disposés à remplir toutes  les cases,  dans  le  mépris  des  règles  du  jeu  parlementariste,  dans l’ignorance méprisante des groupes parlementaires sur le dos desquels repose toute la charge de la ratification et du vote de la déclaration de politique générale. 

Le  Parlement  les  attendait  à  cette  entournure  où  « le  magasin  de porcelaine  s’apprête à  recevoir  la visite de  l’éléphant ».  Le G‐16 et  le GPR qui dominent l’échiquier parlementaire à ce moment précis, à eux seuls, réclament sept ministères, plusieurs secrétariats ou secrétaireries d’État,  sans  compter  un  certain  nombre  de  directions  générales.  De telles exigences reviennent à réclamer le partage du pouvoir.   

Les  hommes  du  Palais  tombent  des  nues,  effrayés  de  l’appétit gargantuesque des blocs politiques.  Pourtant, ils n’ont pas à s’étonner : ce  genre  de  tractations  avait  débuté  dès  les  premiers moments  du règne  Martelly,  avec  Daniel  Rouzier,  qui  s’était  disqualifié,  on  s’en souvient,  en  requérant  des  CV  en  fer  forgé  et  des  interviews draconiennes.    On  avait  tout  simplement  coupé  les  ponts  avec  ce martien. Quant  à  Bernard Gousse,  on  n’avait même  pas  entamé  des pourparlers  avec  lui,  puisque  l’échec  était  assuré  et  prédit.    Mais maintenant  que  Garry  Conille  semble  en  mesure  de  passer  sans dommage  sous  les  fourches  caudines  du  Parlement,  les  requêtes  se dessinent  plus  clairement  et  les  pressions  se  font  plus  fortes.  Le chantage  prend  des  allures  embarrassantes ;  on  ne  peut  que  s’y soumettre,  quand  on  sent  ses  pieds  impatients  frôler  les  ultimes 

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marches du trône et que la moindre bévue peut vous faire trébucher et vous désarçonner.  

 

III.‐ 3.‐ LES CERCLES CONCENTRIQUES DE LA RATIFICATION 

Les  grandes  démarches  et  opérations  de  la  ratification  ont  été conduites à partir d’une stratégie élaborée par Garry Conille lui‐même.  De  prime  abord,  il  s’était  rendu  compte  qu’il  ne  pourrait  en  aucun cas laisser  sa  ratification  aux  soins  hasardeux  du  Palais  National. D’autant  que,  en  dépit  de  l’appui  ostensible  du  président  Michel Martelly,  l’entourage de celui‐ci manifestait des réticences confinant à l’opposition radicale, bien que sournoise. 

Après  une  lucide  analyse  de  la  nouvelle  donne  politique  haïtienne, Garry Conille  se persuade que  le vote du parlementaire est  influencé par  des  forces  multiples  et  différentes,  voire  divergentes,  et  qu’il s’avère indispensable de maîtriser ou de neutraliser celles‐ci en vue du succès  de  son  entreprise.  L’ensemble  de  ces  forces,  il  les  classe  en cercles  concentriques.  Il  en  identifie  cinq  principaux. D’abord,  autour du  centre,  le  noyau  des  parlementaires,  le  lieu  géométrique  des pressions,  le  centre  de  gravité  de  l’appareil  avec  les  ambitions accumulées, les aspirations, les préjugés et les rêves ; puis le deuxième cercle  du monde  opulent  des  affaires  qui  alimente  financièrement  le noyau  parlementaire ;  ensuite  les  partis  politiques  qui  offrent  le chapeau  électoral  sans  soutien  financier déterminant  ;  en  quatrième lieu,  la  Communauté  internationale  et  enfin  le  cercle  de  feu  de  la presse qui illumine les visages, mais peut tout aussi bien les consumer. 

LE PREMIER CERCLE………… 

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IV.‐ Après plus d’une heure d’attente,  le Président  fait  son apparition dans la salle, accompagné de son épouse et de sa suite.  Même si Garry Conille  possède  la  suprême maîtrise  de  sa  physionomie  et  ne  laisse point  lire ses états d’âme sur  les traits de son visage, on décèle à vue d’œil  une  profonde  contrariété...  La  solennité  débute  par  une pompeuse introduction du maître de cérémonie.  Puis celui‐ci introduit Enex  Jean‐Charles,  Secrétaire  Général  du  Conseil  des  Ministres,  qui donne lecture de l’arrêté portant nomination du cabinet ministériel.  Et là,  le  directeur  de  cabinet  du  PM  découvre  avec  stupéfaction  et désappointement  les  changements  majeurs  y  opérés.    Le  plus important reste la nomination, en lieu et place de Garry Conille, de Jude Hervey  Day,  l’ancien  chef  de  cabinet  de  Jean‐Max  Bellerive,  comme ministre de  la Planification et de  la Coopération externe. Le coup était bien monté, car ce n’est certainement pas par un pur hasard que Day se soit  trouvé  là, à point nommé, pour participer à une  investiture alors que son nom ne figurait pas du tout sur la liste originelle.   

La gifle est cruelle et fatale pour Garry Conille.  Non seulement il n’avait pas  un  seul ministre  sur  qui  compter  (un  jour  va  venir  où  tous  les ministres se désolidariseront de lui), mais encore on lui retirait l’unique champ  d’actions  qui  eût  pu  lui  permettre  de  fidéliser  sa  majorité parlementaire  et  de  contrôler  l’exécution  des  contrats  de  la reconstruction nationale. Dès son  intronisation solennelle,  il est planté sur un socle branlant, colosse aux pieds d’argile, à la merci du moindre vent ou choc, n’ayant de Premier ministre que le titre, sans les moyens ni les atouts.  Cette fragilité se vérifiera tout au long ses quatre mois de gouvernement  : pas un  seul projet déposé par un parlementaire  à  la Primature et  transmis par celle‐ci au ministère de la Planification n’est honoré.   Ou  bien  on  l’ignore  dédaigneusement  en  le  jetant  dans  les 

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tiroirs  de  l’oubli,  ou  bien  on  prend  contact  directement  avec  le parlementaire  solliciteur  pour  réorienter  et  récupérer  son  allégeance vagabonde. 

Que s’est‐il passé en ce crépuscule du 15 octobre au Palais National ?  Le PM arrive avec son arrêté bien ficelé. Tous  les postes sont comblés cette  fois‐ci :  le  document  est  complet.    En  réunion  restreinte,  on soulève le cas du ministère de la Planification. Pourquoi donc, puisqu’il n’existe  aucun  vide  dans  l’arrêté ?  On  rappelle  en  l’occurrence  que Conille avait proposé  le poste à Bellerive qui avait refusé. Peut‐être ce dernier a‐t‐il changé d’avis ? Le Président l’appelle et fait un historique de la question.  Il le met sur speaker phone pour partager l’écoute avec les  autres  assistants :  le  PM,  les  Mayard‐Paul  principalement.  Flottement.   Le Président demande à Bellerive : « Si  tu ne veux pas  le poste, quel est ton candidat ? »  Réponse : « Jude Hervey Day ».   

Alors, ce sera  Jude Hervey Day, aussi simplement que cela.   Garry est désappointé, mais ne dit mot.    Il encaisse  le  coup, puisqu’il  voit bien qu’il vient du Président et que le scénario a été monté.  L’idée lui a frôlé l’esprit de ramasser ses cliques et ses claques et de s’en aller.   Quelle interprétation  donnerait‐on à  ce  geste ?    Il  se  tait  et  reste assis…………………. 

Il  est  possible  aujourd’hui,  aux  relents  des  contrats  de  la  période d’urgence, de mieux pénétrer les motifs cachés de cette tactique visant à  ligoter Garry Conille, à  lui  interdire toute promenade sur  les champs maudits du ministère de la Planification et à transformer cette citadelle de l’embrouille en un fidéicommis de  l’ancienne équipe. 

 

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V.‐ ……….. Des témoins crédibles racontent que le député Arnel Bélizaire n’a  pas  du  tout  insulté  le  Président.  Il  n’y  a même  pas  échanges  de propos. Le chef de  l’État, sans agressivité aucune, sans nulle  intention de déplaire à  son groupe, évoque  les possibles difficultés qui  font en général  la saveur des amours naissantes.  Il met ses nouveaux alliés en garde,  il  les  sermonne,  leur  reprochant  amicalement  que  plusieurs d’entre  eux,  « comme  Arnel  Bélizaire »,  s’amusent  à  salir  son  image.  Bélizaire de répondre : « Oui, Président,  je vous ai sali. » Alors, devant la  fierté  cocardière avec  laquelle  le député assume  son antipathie,  le Président  s’énerve  et  se  met  à  lancer  des  propos  grossiers  contre Bélizaire.  Celui‐ci  n’est  pas  décontenancé :  « Président Martelly,  vous savez que je ne vous aime pas. »  C’est alors que le Président sort de ses gonds  et  accuse  le  parlementaire  de  tous  les maux  et  le  couvre  de toutes  les  abominations.  Le  député  reste  impassible ;  certes,  il  ne  se croise pas les bras sur la poitrine dans un geste de pieuse soumission ; au contraire,  il plonge sur  le chef de  l’État, avec  la brutalité d’un coup de  poignard,  le  regard  furibond  de  ses  yeux  exorbités,  scintillant  de tous  les éclairs  fulgurants de  la contre‐attaque sauvage et  imminente. Cependant,  tout  furieux qu’il est,  il se maîtrise,  il reste en place et ne prononce plus une seule parole, en dépit des gestes de provocation du Président qui vient agiter jusque sous son nez le doigt de l’insulte et de l’anathème et lui infliger devant ses pairs la meurtrissure du ridicule. Sa posture  figée, affichant  l’air d’un martyr et non pas d’un vaincu, dans une  attitude  insolente  d’affrontement  muet,  de  muscles  bandés  et d’agressivité  contenue,  agace  davantage  le  Président  qui,  comme brusquement  exorcisé  de  la  majesté  présidentielle  et  savourant  les intonations  de  sa  propre  voix,  se  laisse  aller  à  la  diatribe  vulgaire, ordurière et  triviale.  Jamais, de  l’avis des députés, on n’avait entendu 

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tant  de  jurons  affreux,  comme  si  le  diable  et  une meute  de  harpies étaient venus se loger et rouler leurs tonneaux d’insanités dans la gorge du Président. Dans  le registre de  l’injure,  le Président ne donne pas  la petite  mesure.  Les  parlementaires  estiment  en  avoir  eu  la  dose suffisante et qu’il est temps de se retirer  :  la réunion est terminée.  Ils quittent  les  lieux,  toute  indignation  bue,  soucieux  et  incertains  des lendemains de la collaboration.  Ce groupe nouveau‐né va‐t‐il survivre à cet esclandre ?    

Le scandale saute vite  les hauts murs du Palais National et explose sur les places publiques de la capitale et en province…… 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Page 13: Au gré de la mémoire, Garry Conille ou le passage d'un météore.(EXTRAIT)

VI.‐ ……… Alors  le  PM  décide,  pour  le  bien  de  l’État  et  la Nation,  de prendre  le risque de  jeter un coup d’œil critique sur  les contrats, hors de tout esprit d’inquisition. Ne l’intéressent point ceux des contrats qui sont totalement accomplis, exécutés, consommés. Mais  les accords en cours d’exécution, qui engagent son gouvernement à lui, pour lesquels il  va  débourser  et  autoriser  des  décaissements,  sur  lesquels  le Parlement  un  jour  va  lui  demander  compte,  il  tient  à  les  revisiter.  Il adresse des correspondances aux ministres chez qui sont domiciliés ces documents.    La  réticence  est manifeste  et  irritée. On  lui  expédie  au compte‐gouttes  des  contrats  de  supervision  en  retenant  les  juteux contrats d’exécution. Il insiste. 

Après plusieurs appels et  sollicitations, appuyés par des  interventions orales  et  épistolaires  du  président  Michel  Joseph  Martelly  (voir annexes),  la  Primature  reçoit  un  lot  partiel  de  41  contrats  qui  sont soumis  à  l’analyse  d’une  commission  d’audit.  Par  souci  de transparence,  le  PM  annonce  publiquement  la  formation  de  cette commission dans un message du 15 février 2012.  La nation est avertie. 

De  ce  jour,  le  Premier  ministre  est  marqué  pour  la  hache,  comme l’arbre le plus ombrageant de la forêt.  On considère qu’il a ouvert une boîte de Pandore qui va déverser  toutes sortes de maux sur  la cité et provoquer  des  transes  chez  nombre  d’opérateurs  imprudents  ou indélicats de la finance haïtienne.  

L’affaire  des  contrats met  au  grand  jour  le  spectacle  d’un  désordre financier inouï…………………………………………..