13
Cette formation a eu lieu les 6, 7 et 8 novembre 2013 dans divers établissements scolaires partenaires dans le cadre de l’opération « Lycéens et apprentis au cinéma » 2013-2014. La formatrice Claudine Le Pallec Marand, docteure en cinéma et chargée de cours à Paris 8 en esthétique du cinéma, propose ici une analyse de chacun des films au programme. « L’Exercice de L’Etat » de Pierre Schœller (2011) Ce film récent est présenté à Cannes en même temps que deux autres films français sur le système politique français contemporain : « La Conquête » de Xavier Durringer et « Pater » d’Alain Cavalier. Une comparaison rapide des synopsis éclaire la spécificité de ce projet. Ce n’est pas un biopic (biographical picture) sur le Président en fonction au moment de la sortie sur les écrans (cf. « La Conquête ») ; ce n’est pas non plus le premier mot ambigu d’une prière à une divinité dans un film axé sur la métaphore entre les relations d'un Président de la République et son premier ministre et celles d'un réalisateur avec son acteur (cf. « Pater »). Il ne s’agit pas non plus d’un documentaire comme « 1974, une partie de campagne » (1974, Raymond Depardon), tourné au moment de la campagne présidentielle (victorieuse) de Giscard d'Estaing qui a malgré tout interdit sa diffusion. Extrait « 1974, une partie de campagne » (1974, Raymond Depardon) : 26 mn – 30 mn . La comparaison avec le documentaire souligne la différence du temps des plans et de la découpe des dialogues. Au générique, le travail de recherche documentaire est attesté par quatre conseillers scénarios : une journaliste économique, un photographe politique, un ancien conseiller en communication et l’ex-directeur de l’activité fret de la SNCF. Quatre postes comme quatre réflexions utiles à la compréhension du film. Un choix scénaristique fort contrebalance la personnification du pouvoir du héros (Bertrand Saint-Jean, Olivier Gourmet) et de son directeur de cabinet (Gilles, Michel Blanc). L’attention au débat d’idées en politique s'incarne autour d’une proposition politique d’actualité : la privatisation des gares (au sein d’un gouvernement fictif sans étiquette) : « privatiser ou garder dans le giron de l’Etat ? ». Plus précisément encore, il est question de Vinci, groupe privé français de construction. Ce sujet politique rentre en concurrence avec trois autres trames narratives, toutes 3 présentées dans la première journée du film : - la vie privée du ministre des transports Bertrand Saint-Jean (y compris son accident qui ressort à la fois de la vie publique et de la vie privée). Le film commence d'ailleurs avec un rêve érotique du ministre. (cf l'action 1/13 AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma Auteur ANALYSE DES TROIS FILMS AU PROGRAMME 2013-2014 Claudine Le Pallec Marand Date 2013 Descriptif Synthèse des formations menées dans le cadre de « Lycéens et apprentis au cinéma » par Claudine Le Pallec Marand et consacrées à « To be or not to be » de Ernst Lubitsch, à « L'Exercice de l'Etat » de Pierre Schoeller et à « Daratt, saison sèche » de Mahamat Saleh Haroun.

AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

Cette formation a eu lieu les 6, 7 et 8 novembre 2013 dans divers établissements scolaires partenaires dans le cadre de l’opération « Lycéens et apprentis au cinéma » 2013-2014. La formatrice Claudine Le Pallec Marand,

docteure en cinéma et chargée de cours à Paris 8 en esthétique du cinéma, propose ici une analyse de chacun des films au programme.

« L’Exercice de L’Etat » de Pierre Schœller (2011)

Ce film récent est présenté à Cannes en même temps que deux autres films français sur le système politique français contemporain : « La Conquête » de Xavier Durringer et « Pater » d’Alain Cavalier. Une comparaison rapide des synopsis éclaire la spécificité de ce projet. Ce n’est pas un biopic (biographical picture) sur le Président en fonction au moment de la sortie sur les écrans (cf. « La Conquête ») ; ce n’est pas non plus le premier mot ambigu d’une prière à une divinité dans un film axé sur la métaphore entre les relations d'un Président de la République et son premier ministre et celles d'un réalisateur avec son acteur (cf. « Pater »). Il ne s’agit pas non plus d’un documentaire comme « 1974, une partie de campagne » (1974, Raymond Depardon), tourné au moment de la campagne présidentielle (victorieuse) de Giscard d'Estaing qui a malgré tout interdit sa diffusion.

Extrait « 1974, une partie de campagne » (1974, Raymond Depardon) : 26 mn – 30 mn .La comparaison avec le documentaire souligne la différence du temps des plans et de la découpe des dialogues.

Au générique, le travail de recherche documentaire est attesté par quatre conseillers scénarios : une journaliste économique, un photographe politique, un ancien conseiller en communication et l’ex-directeur de l’activité fret de la SNCF. Quatre postes comme quatre réflexions utiles à la compréhension du film.

Un choix scénaristique fort contrebalance la personnification du pouvoir du héros (Bertrand Saint-Jean, Olivier Gourmet) et de son directeur de cabinet (Gilles, Michel Blanc). L’attention au débat d’idées en politique s'incarne autour d’une proposition politique d’actualité : la privatisation des gares (au sein d’un gouvernement fictif sans étiquette) : « privatiser ou

garder dans le giron de l’Etat ? ». Plus précisément encore, il est question de Vinci, groupe privé français de construction. Ce sujet politique rentre en concurrence avec trois autres trames narratives, toutes 3 présentées dans la première journée du film :- la vie privée du ministre des transports Bertrand Saint-Jean (y compris son accident qui ressort à la fois de la vie

publique et de la vie privée). Le film commence d'ailleurs avec un rêve érotique du ministre. (cf l'action

1/13

AU LYCÉELycéens et apprentis au cinéma

Auteur AN A LYS E D E S T RO I S F I L M S A U PROGRAMME 2013-2014

Claudine Le Pallec MarandDate2013Descriptif

Synthèse des formations menées dans le cadre de « Lycéens et apprentis au cinéma » par Claudine Le Pallec Marand et consacrées à « To be or not to be » de Ernst Lubitsch, à « L'Exercice de l'Etat » de Pierre Schoeller et à « Daratt, saison sèche » de Mahamat Saleh Haroun.

Page 2: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

fantasmatique d'une femme nue entrant dans la gueule d'un crocodile avant le panoramique sur un drap où se dessine suggestivement une bosse)

- la gestion médiatique du fait divers du renversement d'un car scolaire.- l’arrivée en stage au ministère d’un chômeur (Kuypers, un acteur non-professionnel) comme chauffeur du

ministre des transports (sorte de « dommage collatéral » dans le film).

La nature des images

Cette question est primordiale pour trois raisons :

1. Y-a-t-il une image qui ne soit pas de la fiction ?L'utilisation d'extraits d'archives de journaux télévisés sur des manifestants et/ou casseurs de l’entreprise Goodyear et sur la crise de la Grèce permettent de dater le film. Juste avant cet extrait lié à la crise européenne, Gilles écoute le discours d'intronisation de Jean Moulin au Panthéon de Malraux qui fait résonner les mots de « peuple » et « France » alors qu'avec son « camarade de promotion » ils parlent du pouvoir, de l’agir et de l’engagement public/privé.

2. Qu’est-ce qui relève du réalisme documentaire ?La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le réalisme des décors (la chaîne LCI, le décorum doré ou la cour de Matignon) sont garants d'un projet réaliste certain.

3. De L’influence de la télévision ? Elle joue son rôle sur trois points :- l’utilisation de la caméra portée mime le reportage de télévision en temps réel.- le modèle de la série comme « 24h chrono »1 (une question politique, la sensation catastrophique, le rapport au

temps, l’accumulation de cadavres).- les moments d’intimité (au lit ou aux toilettes) louchent sur la télé-réalité et les talkshow qui ont habitué le

spectateur à demander des comptes sur la vie privée des hommes et des femmes politiques. Par ailleurs, le fait de partager son intimité (le lit, la relation sexuelle avec sa femme) illustre parfaitement le temps consacré et l’investissement physique de la fonction politique.

Gestion du temps et montage

A l’inverse du projet réaliste, le montage suit une forme romanesque avec :- la coupe systématique des trajets et de la continuité des gestes effectués par les personnages.- l’absence d’indication temporelle (contrairement aux indications de lieux : Matignon, Assemblée Nationale où les ministres viennent défendre les lois devant les parlementaires) prive le spectateur de nombreux repères.- le temps du film est un temps élastique : exemple : Les deux premières journées (J1 et J2) correspondent

respectivement l’une, à plus de 30 minutes de film et l’autre, à un peu moins de 30 minutes. Les séquences nocturnes peuvent tout de même servir de points de repères comme valorisation d'un « certain point de vue » (les politiques) et pour considérer le systématisme du montage hypermoderne (plan très court dans un film très

______________________________________________________________

1 Série américaine produite et diffusée entre 2001 et 2010 de 8 saisons sur la chaîne-réseau FOX. Trois principes scénaristiques renforcent le sentiment de paranoïa de la série : le retournement constant des alliances au sein de l’administration américaine et des négociations et renégociations avec les terroristes, secundo la présence d’une narration en forme de « bombe à retardement » (« ticking bomb ») et l’accumulation de cadavres suites à des morts brutales. Décès et traitrise sont inhérents au genre mais la série ajoute le recours constant à la torture dans quasi tous les épisodes. En outre, l’appartenance politique (démocrate ou républicaine) est très rarement mentionnée. Une fameuse horloge apparaît à plusieurs reprises dans chaque épisode. Cette série est d’une densité narrative complexe car chaque épisode est sensé durer une heure et une saison vaut pour 24h seulement – nonobstant l’ellipse temporelle entre chaque saison. La technique du split-screen (ou écran découpé) multiplie les actions parallèles. « 24 h chrono » a créé une organisation d’espionnage fictive au service d’une force omnipuissante et effective américaine dans la mesure où les actions du héros Jack Baueur sont montrées comme nécessaires et efficaces.

2/13

Page 3: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

découpé). Lors de la première nuit, Kuypers appelle Gilles à son cabinet (la photographie du Président dans le dos) puis le ministre fait l’amour avant que tous deux soient transposés cut dans l’habitacle de la voiture officielle le lendemain matin. Le trajet-retour de Kuypers chez lui et le sommeil des trois hommes est dans l’ellipse. La fin de la seconde journée correspond à deux instants nocturnes très importants pour le récit : Gilles, après des moments intimes (sortie de douche, fabrication du repas) reçoit le « Woessner » dont il a été question le matin. Bertrand Saint-Jean s’impose chez Kuypers. Le Lendemain, le troisième jour, jour de l’officialisation de la privatisation des gares actée avec le premier ministre, les personnages commencent à s’essouffler : Gilles court après la voiture qui plus tard s’emballe (sur fond de musique techno) avant que cette voiture vienne s’écraser (vraisemblablement) un autre jour. Bref, après les deux premiers jours, le temps s’est emballé et le spectateur perd encore plus ses repères.

- le temps des personnages est un temps multitâche : exemple : Bertrand Saint-Jean parle de sa candidature politique avec Gilles pendant un déplacement (non précisé) et sort faire face aux manifestants pour leur faire une promesse. Gilles reçoit Kuypers tout en téléphonant et répondant à sa secrétaire.

- l’omnipotence de la présence de la caméra qui passe instantanément d’un lieu à l’autre. Dans une comparaison avec Lubitsch, qui utilise l’ellipse mais également le hors champ, dans « L’Exercice de l’Etat », il n’y a plus de hors champ. Le spectateur semble assister à toutes les actions ayant lieu en même temps.

(montage) Rôle du montage cut dans la sensation de téléportation des personnages et/ou de la caméra et le sentiment de perte de repère du spectateur [autour de 02 mn 30/ autour de 04 mn/ autour de 12 mn/ autour de 15 mn 40/ 18 mn 14/ 19 mn/ 20 mn/ 27 mn 50 (sortie du bébé) / 28 mn 30 (le bébé regarde les chômeurs)/ 28 mn 57 (Elysée/test voiture)/ 29 mn 40 montage regard de Kuypers à Gilles/ 30 mn 44/ 34’28 -35 Kuypers-Gilles-Bertrand Saint-Jean :Le montage réunit tous les changements de lieu de la première journée du Ministre. On ne le voit pas dormir entre la première et la seconde journée.

« L’Exercice de L’Etat » : un film-catastrophe ?

D’ordinaire, la formule vague « film d’action » suggère le plus souvent de la pyrotechnie ou des personnages susceptibles de combattre des armes à la main (super-héros, espions ou militaires). Ici, plusieurs principes concourent à porter l’attention du spectateur sur une situation sociale associée à la catastrophe.Les catastrophes [fait divers d'une sortie de route d'un car scolaire, barrage syndicaliste qui immobilise la voiture ministérielle, extraits télévisés des manifestations en Grèce, chantier de la maison de Kuypers, accident mortel de Martin Kuypers suite à un défaut de sécurité (du ministre des transports !, cauchemar du ministre] sont imminentes et effectives. Elles offrent un tableau violent et assurément pessimiste. Elles multiplient les plans nocturnes ou dangereux (la voiture ministérielle lancée à toute vitesse). Si la catastrophe est attesté par le sang et la révolte des travailleurs, en ce sens la tonalité de la première scène reste douteuse. Que penser de ce rêve érotique du héros où une femme entre nue dans une tête de crocodile ? Est-ce une figure de séduction, une métaphore du pouvoir comme jouissance ou une Marianne mangée toute crue ?

La question du point de vue : où sont les citoyens ?

La première séquence du film se passe dans la tête de Bertrand Saint-Jean. Cette proximité entre ce personnage et les images du film ne se mesure pas qu'au moment où l’acteur est à l’image. Des plans d’insert ou des séquences sans sa présence vont toutes être portées à sa connaissance pour sa propre stratégie d’ascension politique [l'injonction à Woessner de quitter la direction du cabinet du ministre du budget pour passer au privé (Vinci) décidée à L’Elysée, le tête-à-tête Woessner/Gilles]. En ce sens, ce personnage est un pôle d’attraction du film comme il est un pôle d'attraction médiatique (invité d'une radio nationale et présence des photographes lors de ses déplacements).Les simples citoyens, hors des professionnels de la politique, sont une collectivité en souffrance : blessés de l’accident du

3/13

Page 4: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

car scolaire, chômeurs forcés à sourire sur le perron de l’Elysée, syndicalistes CGT en grève, l’infirmière en colère - la femme de Kuypers, « la grande colère » (mot du Président) vu à la télévision.La bande-son, au sens où l’on peut distinguer les chansons et la musique intra diégétique et extra diégétique, accompagne le cloisonnement des deux univers (monde politique et citoyens). Elle suggère des sensations aux spectateurs. Exemple : la musique classique d’église à la naissance du premier enfant du premier chauffeur du ministre (« Tintin »). Une toute autre musique souligne les différences d'échelle du film. D’un côté, la musique « concrète », composée à partir de bruits métalliques et clinquants, donne une ambiance froide qui bien souvent anticipe les catastrophes ; et, de l’autre, l’ampleur des voix polyphoniques accompagne la mort d’un homme. Hors de ces deux extrêmes, les chansons - juke box (d'ordinaire très utilisées au cinéma) sont moins présentes dans le film.Il s'agit donc bien de filmer l'exercice de l'État – un néologisme quelque part entre servir l'État et exercer le pouvoir.

« L’Exercice de L’Etat » Un triple portrait : « l’élu », le technocrate et le chômeur

« - la valeur d’une vie… [la voix du pr tre devant l'assembl e devient inaudible au moment o le Ministre se parleê é ù

lui-m me]à ê - J’ai peu connu Martin Kuypers, c’ tait un homme trop discret, un homme qui s’ignore comme le sont les tres beauxé ê

et nobles, ceux qui sont incapables d’engager le contact avec la peur qu’ils ont de l’incompr hension, la crainte deé

l’absence de bont de ce monde et du mensonge ; parce qu’ils savent d’avance que le combat est vain et que l’ennemié

vaincu couvre de honte son vainqueur. Ces hommes-l sont rares. Martin Kuypers tait l’un d’eux. Je suis ici pour luià é

rendre un hommage officiel. Il y a la reconnaissance de l' tat et il y a la perte d’un homme, le vide qu’il laisse, sonÉ

absence. Cela tisse des liens insoup onnablesç . Martin Kuypers au-revoir.»

L’élu du film (Bertrand Saint-Jean) n'est pas issu du principe démocratique d’une élection puisque par définition c'est un ministre nommé. Dans le film, c’est surtout l’élu des médias et aussi de la caméra du cinéaste qui filme toutes et tous ceux qui convergent autour de lui (les personnages le suivent, l’assistent, l’attendent, lui courent après, lui tendent les micros…). Dès lors, en dehors des campagnes politiques, n’est-il pas simplement dévolu au pouvoir, c’est-à-dire à gagner plus de pouvoir (signes matériels y compris) et à s’approcher du haut de la hiérarchie politique ? Il a accès aux lieux et à des objets de pouvoir (pièces avec dorures et cheminées en marbre, droit à un chauffeur, droit de licencier ou conserver la responsable en communication ou de passer à la télévision). L'élu est toutefois soumis à un travail physique ou plutôt un rythme de travail herculéen. En écho avec sa responsable de communication disant de lui qu’il est « flou », le réalisateur ne lui a pas donné de couleur politique.

Le technocrate (Gilles) n’est pas seulement le spécialiste des « phrases politiques » inspirateur convaincu de la phrase reprise à satiété du film (« Je ne serais pas le ministre de la privatisation des transports »), phrase qui ne demeure vraie, qu’au prix d’un twist (scénaristique) présidentiel décidant le changement de ministère du héros passant des transports au travail. Son personnage s’oppose à un autre directeur de cabinet (« de la même promotion ») qui se justifie de « trahir la cause, trahir le public » [au double sens d’usage démocratique et de celles et ceux qui le regardent ?].Séquences tête à tête Woessner/Gilles [42 mn – 48 mn]Ce tête à tête au cœur du film qui a lieu en « coulisse » insiste sur la perméabilité privé/public/milieu politique et oppose deux types de directeur de cabinet. Gilles est enveloppé par une certaine parole politique qui résonne comme un écho avec une voix très théâtrale.

Le chômeur (Kuypers) [« pour la première fois à l’écran »] n’est pas un personnage qui récrimine. Il reste muet et se pose là grâce au corps massif de l’acteur. Il est parlé par les autres car toutes et tous ont un avis sur lui : les conseillers du ministre, le directeur de cabinet, le ministre lui-même : « il n’est pas un peu trop rock n’roll ?».Séquence : La stagiérisation de Kuypers [20 mn 40 – 27 mn 50]Il s'agit d'étudier dans cette séquence le rythme de l'acteur et des mouvements de caméra en fonction de la présence et/ou de ceux qui entourent le chômeur.

4/13

Page 5: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

Les politiques utilisent des slogans [« Soyez naturel, dites-vous que c’est nous qui avons besoin de vous » / « l’initiative solidarité emploi » / « Ne dîtes pas non, dites pas encore. » / « La seule question c’est le désir, votre désir impérieux de saisir cette proposition, 3 ou 4 semaines au service de l’état. »] et lui parlent très brièvement. Il entre littéralement en scène alors que le membre du cabinet, le ministre et plus tard Gilles font tous plusieurs actions à la fois. Par le choix de la position de la caméra dans le café, le conseiller a déjà un temps d’avance comme sur le spectateur qui ne sait pas d’emblée qui est ce personnage. Le conseiller s’avance sur lui sans hésitation (c’est le seul aux cheveux longs, portant un cuir et sans costume qui ne lit pas le journal et pose même une enveloppe pôle emploi sur le comptoir du café.)

Filmer la parole : immersion politique et filmage des dialogues (cf à comparer avec Daratt)

Aucune voix off n'explique les termes utilisés [déficit, privatiser, la parole du gouvernement, le fret, Bercy, directeur de cabinet, légitimité du portefeuille, attachement local, le privé (Vinci), Beauvau, conflit d’intérêt, l’ENA, la révolution du territoire2, le patron du rail, PR [(acronyme de Président de la République parfois prononcé « le père » (sic) par les acteurs)]. Ceci relève d’une proximité avec des choix documentaires, ou tout simplement de la fiction documentée ou du docu-fiction. (cf « Les Bureaux de Dieu » de Claire Simon avec l’immersion dans le « jargon » et les rendez-vous d’un Planning Familial) Ici, le spectateur vit une « immersion » dans la rhétorique des professionnels du politique.

Derrière les « vous » de rigueur, la rhétorique des personnages joue aussi son rôle avec les champs sémantiques du sport, de la vitesse (« tu t’actives, vite »), de l’insulte et celui de l’art de la guerre. Les références historiques convoquées par les personnages politiques correspondent quasi-exclusivement à des combats militaires. Tandis que Gilles reconnait Churchill ou écoute en privé le discours d’André Malraux – où le fond de la seconde guerre mondiale offre une nette clarté idéologique – il est surtout question de « bérézina », d’« ultimatum », de tête sur un plateau, « la messe est dite », etc…

Le film détourne le champ-contrechamp classique du dialogue (de fiction) filmé.Exemple : La séquence Europe I est filmé en champ-contre-champ sur les paroles (ce qu’il est impossible de prévoir parfaitement en réalité). Elle illustre la rapidité de la répartie nécessaire. Olivier Fogiel pose une question politique puis sur le fait divers. Le ministre défaille un instant dans le rythme de sa réponse. La joute médiatique a bien eu lieu. La répartie du ministre du budget a lieu « en direct » sur une autre radio (RTL, via des images de l'entretien radio diffusé sur une chaîne politique en direct dans les locaux d'Europe I). Les inserts sur la directrice de communication, présente sur le plateau de la radio, et sur le directeur du cabinet à son bureau relèvent de l’omnipotence du film/réalisateur.

Les films bavards doivent être interrogés à partir de trois points d’entrée :- confronter la parole au récit (à propos des mensonges volontaires ou non des personnages).- confronter la parole et l’image (l’image peut démentir la parole ou illustrer des gestes accompagnant un certain

type de parole).- valoriser ou non la parole au montage (montage cut ou montage son, lorsqu’elle disparaît par exemple).A ce propos, plusieurs séquences sont importantes (rapport au média et conviction personnelle) :D’entrée, dans la séquence du déplacement ministériel sur le lieu du fait divers, après un face à face avec les cadavres, le ministre commence son discours face caméra par « Je voudrais dire aux blessés…» alors que le film ne montre que son adresse aux journalistes (en vue d’images télévisées face caméra).S’il est vrai que la politique n'est pas un métier technique au sens où la fonction peut légitimer les changements d’affectation de ministère (il s’agit de faire exécuter des lois expliquées, préparées et votées par d’autres), le film ne présente pas les « convictions » du personnage. La question reste donc en suspens : Le ministre a-t-il trahi ses « convictions » ? A-t-il des convictions ? Quelle est la différence entre un homme politique et un technocrate (au service des « convictions » des autres) ?

______________________________________________________________

2 Les Français-e-s et plus largement celles et ceux vivant en France sont très nombreux et possèdent de multiples différences (sexe, religion, métier, patrimoine, langue, etc…). La question du territoire est une manière de penser autrement la gestion d’un pays.

5/13

Page 6: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

(montage) Filmer la parole de Bertrand Saint Jean : 10 mn – 11 mn 40 (victime) ; Fogiel ; face au syndicat ; dans la voiture avec Gilles ; en déplacement ; 01h 28- 01h 31 (service funèbre pour Kuypers et silence).

Séquences Josepha « en colère »/ Bertrand Saint-Jean/Kuypers (muet) [52 mn – 57 mn]Cette séquence réunit trois interrogations cinématographiques fortes : filmer le privé (caméra dans la caravane à l’arrêt où vit Kuypers et sa compagne), filmer les actes du personnage politique principal et filmer un dialogue. Bertrand Saint-Jean apparaît ici littéralement flou face à la rage de l’infirmière. L’utilisation du champ contrechamp classique suit cette joute oratoire.

Dans « 1984 » (1950), le romancier anglais George Orwell invente une langue pour un monde d’anticipation. Il précise que cet novlangue (dans la traduction d’Amélie Audibert qui pose le masculin comme le français, le tchadien, etc…) est un outil politique pour se débarrasser de la réflexion au profit de l’affect. Le romancier pousse le réalisme jusqu’à lui consacrer un appendice au roman « Les principes du novlangue » [Gallimard, pp395-407] où il détermine plusieurs caractéristiques : euphémisme, mot-fétiche, principe du slogan (« la catastrophe c’est de ne rien faire »), réduction du sens des mots (par exemple « moderniser » = « privatiser »), impossibilité de créer des paradoxes. Tout en précisant le rôle sélectif du cinéaste et la sécrétion d’une langue technique spécifique à tout milieu social (la cour de récréation comme les ministères et l’Elysée), la comparaison entre le film contemporain réaliste du XXIe siècle et un roman d’anticipation du milieu du XXe siècle permet d'imaginer le travail des scénaristes sur la langue du film. « To be or not to be » d’Ernst Lubitsch (1942)(tournage nov-déc 1941/sortie 6 mars 1942/1947 en France)

Ernst Lubitsch, un berlinois autodidacte et « un pionnier devenu un maître »

La carrière d’Ernst Lubitsch (1892-1947) est incontestablement liée, encore plus que tout autre cinéaste, à son histoire personnelle, à l’histoire du cinéma et à la Grande Histoire3. En embrassant la carrière périlleuse d’acteur puis très vite de réalisateur, il ne reprend pas le flambeau paternel du savoir-faire dans la Konfektion (les « M ntelmenä », les hommes de manteau du quartier de la confection de Berlin). Il n’a pas connu le succès en tant que second rôle de théâtre auprès de Max Reinhardt, metteur en scène des grands décors et des directions de foule sur scène. Bien lui en a pris malgré tout, car il a connu un grand succès, d’abord comme acteur comique de cinéma pendant la première guerre mondiale, parfois avec à la bouche un gros cigare, le plus souvent comme un simple employé, toujours libertin, et plein d’esprit d’à-propos pour parvenir à réussir son ascension sociale. Il fut un parfait exemple de « profil type », c’est-à-dire de composition stylisée d’un personnage récurrent identifié, phénomène courant dans la comédie et plus spécifiquement dans le cinéma muet (le modèle burlesque - slapstick en anglais). Enfin, très vite, il obtient surtout beaucoup de succès en tant que réalisateur. Ses superproductions historiques en costume évoquant la vie privée des puissants firent les grand succès de ce « réalisateur américain berlinois » (dixit la presse de l’époque) puis l’entraînent à Hollywood. Il s’y installe en 1922 sur invitation de May Pickford qu’il doit diriger dans un film historique.

La comédie sophistiquée inséparable de la « Lubitsch touch »

« Je me suis souvent demand qui avait invent cette expression [Lubitsch touch] En fait, c’est une erreur d’isoler cesé é

« touches », elles font partie d’un ensemble, d’une totalit . La cam ra doit faire ses commentaires, ses pigrammes oué é é

« ses bons mots » dans le m me mouvement par lequel elle raconte l’histoire. »êE. Lubitsch, Cité par Herman G. Weinberg, Cahiers du cinéma, Spécial Lubitsch, n°378, dec. 1985, p106.

______________________________________________________________

3 « First Picture in which the story is bigger than the little tramp » (Charlie Chaplin, Note de travail du Dictateur. Reproduit dans DELAGE Christian, Chaplin. La grande histoire, Jean Michel Place, 1998.

6/13

Page 7: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

Aux États-Unis, Ernst Lubitsch poursuit son travail sur la comédie de mœurs (commencé en Allemagne) et devient le roi de la « comédie dite sophistiquée » qui fut une des premières formes de la comédie sentimentale ou la comédie romantique, bref l’histoire d’un couple qui se fait et se défait, dialogue et se dispute, et où le tiers (la maitresse et l’amant) vivifie la séduction et le « contrat » du couple légitime. Dans la bande-annonce d’époque, « To be or not to be » est d’ailleurs présenté comme « a romantic comedy ».Lubitsch offre dans son univers une attention toute particulière aux dialogues et aux comiques de situation et plus précisément aux conversations entre homme et femme, à la configuration du triangle adultérin et aux chambres à coucher à une époque où la censure va s'accentuer. La révolution de son cinéma comique est ainsi résumé par Ernst Lubitsch lui-même : « Goodbye Slapstick and hello nonchalance. » Autrement dit, la psychologie des personnages influe sur la nature des gags : le film est une satire sociale.En fait, la comédie sophistiquée et la « Lubitsch Touch » réunissent :1. une production de rêve.

Avec des décors et des gardes robes luxueuses qu’Ernst Lubitsch fait fabriquer et porter sur le corps même de ses acteurs et de ses actrices.

2. des comédies « exotiques ».L’origine théâtrale des scénarios et l’action des films se déroulent dans les grandes capitales européennes – de carton-pâte made in Hollywood.

3. le goût pour la dramaturgie théâtrale (en lien avec l’adaptation théâtrale des scénarios) où trônent la symétrie, la répétition, les décors de porte, les entrées et les sorties des personnages.

4. le motif singulier de mise en scène de la porte fermée sur une action adultère (typique du théâtre de boulevard). Ce motif est typique de sa mise en scène basée sur l’ellipse et le hors champ. Il suggère plus qu’il ne montre. A ce sujet, la mention de l'Europe permet plus de liberté de ton.

5. le jeu avec l’intelligence du spectateur. Lubitsch joue avec ce que le spectateur sait ou ne sait pas, les quiproquos, les surprises et les retournements (il s’agit de distiller des informations dans un certain ordre et d’une certaine manière).

6. le bavardage.La parole y joue un rôle primordial, entre connivence et ironie, sur le principe du double langage. Les mots n’ont-ils qu’un seul sens (notamment dans les champs lexicaux métaphoriques des références grivoises des scènes de séduction) ? L’ironie ou le rire grinçant vaut en quelque sorte pour l’idée que le malheur des uns puisse faire le bonheur des autres.

La Lubitsch Touch/ Extrait Haute Pègre : 56 mn – 1h02La Lubitsch Touch/ Extrait : La 8e femme de barbe bleue : 02 mn 30- 04mn 50 + 06 mn 58 – 10 mn 25

Au début des années 1940, il est au fait de sa gloire. Il est devenu le plus grand réalisateur de comédie américaine des années 1930. L’héroïne du « Voyage de Sullivan » (1941, Preston Sturges) rêve de rencontrer un réalisateur aussi célèbre !Pourtant, dès 1933 Goebbels dénonçait les « films sortis de l’atelier de tailleur de Lubitsch » et en 1935 le régime nazi l’a déchu de sa nationalité.

La grande Histoire

La particularité des films d’Ernst Lubitsch découle aussi de son expérience de son émigration volontaire en 1922. Le rôle du mot « Tchécoslovaquie » dans la rencontre amoureuse au début de « La Huitième femme de Barbe bleue » (1938) en est le plus bel exemple. Les tensions politiques en Europe sont davantage l'enjeu de bons mots que de prises de position dans des films. Le style de ses comédies s'ajoute à l'origine de son arrivée à Hollywood en comparaison avec les exils idéologiques plus tardifs de Fritz Lang ou Anatole Litvak. En outre, l’échec commercial du seul mélodrame parlant qu'il ait réalisé, « J’ai tué un homme » (1932), semble a priori l’éloigner de toute dénonciation politique au cinéma.Pourtant, avec « To be or not to be », premier film du réalisateur basé sur un scénario original, Ernst Lubitsch, par ailleurs

7/13

Page 8: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

co-administrateur du German Refugee Fund, trouve une forme adéquate entre gravité et art de la comédie. « To be or not to be » est ainsi la seule incursion d’Ernst Lubitsch dans un genre commun à l’époque : le film hollywoodien anti-nazi (1941-1945).Ce genre de film se heurte avant décembre 1941 (Pearl Harbor) à l’hostilité des isolationnistes officiellement acquis à la doctrine Monroe de non-intervention sur les affaires du continent européen et sans aucun doute sensibles au boycott économique du régime nazi. C’est pourtant un moyen éclatant pour les nouveaux arrivants de faire allégeance à la démocratie américaine tout en attaquant le régime hitlérien, très rarement en pointant l'antisémitisme du régime. L’application du code Hays né en 1934 est non seulement très stricte pour la représentation sexuelle, la mixité raciale, mais elle intègre aussi le travail de la Commission des activités anti-américaines créée en 1934 (à l’origine pour surveiller la communauté américaine émigrée d’origine allemande). La censure scrute autant la bienséance visuelle en termes de représentation de relations entre les sexes qu’elle traque le mot « juif » susceptible de déplaire au régime nazi (jusqu’en 1941) mais aussi susceptible de scinder le front républicain des spectateurs américains ou même, pour certains, de susciter des représailles contre les juifs des pays occupés. Les réalisateurs allemands émigrés, la plupart juif assimilé non pratiquant, ont sans doute eu également à cœur de présenter la menace nazie comme une menace contre l’humanité et le vivre-ensemble politique. Ces films antinazis où fleurit la croix gammée à partir de 1942 sont loin d’être tous des films d’espionnage ou des films policiers. On trouve aussi un tarzan, un Donald duck ou un drame familial… Quoi qu’il en soit, « Confessions of a Nazi Spy » (Litvak, Warner Brothers, 1939) ouvre la série qui continue notamment avec « La Chasse à l’homme » (1942) et « Les Bourreaux meurent aussi » (1943). Beaucoup de ces films utilisent des images documentaires avec un commentaire pour accentuer le réalisme. Cet ensemble de traits de définition du genre permet de mesurer la liberté de production et l’audace du Dictateur (15 oct. 1940) de Charlie Chaplin qui achève la première ébauche du scénario de sa comédie en automne 1938. Il permet aussi de comprendre le savoir-faire d’Ernst Lubitsch pour contrer la censure. Par ailleurs, « To be or not to be » n’échappe pas à la règle ironique qui veut que les nazis soient joués par des acteurs aux forts accents étrangers, certains juifs allemands ou d’Europe de l’est, et parfois des émigrés fraîchement arrivés après 19334…

Film de fiction antinazi/ Confessions d’un espion nazi : 32 mn- 35 mnFilm de fiction antinazi/ Chasse à l’homme : 00’00- 02 mn 55Le premier extrait permet de comparer les choix de Lubitsch en matière de voix off (menteuse) et de refus de représentation manichéenne en noir et blanc dans le plus pur style expressionniste le phénomène de la torture.

Le cinéma-plaisir de Lubitsch contre un système idéologique totalitaire

Ernst Lubitsch aime tourner en studio pour tout contrôler mais aussi pour tout imaginer et même changer les choses. Les moments de guerre sont d’ailleurs filmés visiblement en studio. Il est primordial de repérer toutes les séquences qui se déroulent au théâtre (en répétition, devant un public ou en faveur de la résistance polonaise, pour une pièce de théâtre politique ou pour une pièce du répertoire) ainsi que les répliques récurrentes empruntées au théâtre de William Shakespeare (le soliloque5 d'« Hamlet » et la longue tirade sur l'humanité des Juifs du personnage de Shylock dans « Le Marchand de Venise »).Représenter le milieu du théâtre qu’il a connu par ailleurs au début de sa carrière, lui permet surtout d’opposer la fabrique d’un monde (la clôture comme l’imagination du théâtre) face à l’uniformité totalitaire du système nazi. D’un côté, un uniforme unique, un signe de reconnaissance unique et bien sûr une seule fonction, la destruction de l’ennemi et l’instauration de la censure, qui sont guidés par un seul slogan (« Un Reich de 1000 ans ») ; de l’autre, les armes du

______________________________________________________________

4 Le personnage de Bronski voit dans le rôle d’Hitler de la pièce Gestapo le rôle de sa vie. Greenberg joue sa vie en prononçant le monologue de Shylock devant son ami Bronski déguisé en Hitler et devant des nazis en uniforme.5 « Etre ou ne pas être. C’est la question. Est-il plus noble pour une âme de soutenir les coups et les flèches d’un sort atroce ou de prendre les armes… » (traduction des sous-titres du film)

8/13

Page 9: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

théâtre : la substitution, le travestissement, l’accessoire (la moustache), le texte su par cœur, l’improvisation, le maquillage, la direction des mouvements de foule et même la prestidigitation – toute la panoplie du spectacle permet de lutter contre la terreur humaine.

La complexité du brillant scénario peut-être abordé par plusieurs traits de sa construction :1. Les ellipses : la fin de la répétition de la pièce Gestapo au théâtre Polski et le début des représentations

d’Hamlet ; le début de la guerre en Pologne et la participation de Maria Tura à la résistance ; le retour de Joseph Tura chez lui le soir ; les préparatifs de la résistance dans le théâtre Polski ; la découverte du corps de Siletski par la Gestapo.

2. Les propos déguisés ou indirects : le code amoureux pris pour un code politique, l’entrevue Siletsky/Maria Tura à l’hôtel Europe Isk gardé par les SS (les champs lexicaux du théâtre et de la guerre).

3. Les substitutions : le théâtre Polski « déguisé » en QG de la Gestapo à Varsovie (avec le faux bureau du colonel Ehrhardt).

4. L’utilisation de la parole : séduire, effrayer, gagner du temps, allonger son rôle d’acteur, trouver un jeu de mot, se trahir (les mots ou le ton).

5. Les moments de courage et d’égocentrisme des personnages.

La représentation d’Hitler dans « To be or not to be » permet de revenir sur la mise en scène du film.Il est alternativement un personnage joué par l’acteur Bronski et, pour un court instant, apparaît Hitler-lui-même mais privé de visage. Il est aussi l’occasion d’un portrait verbal comme un homme in-humain au sens où il n’aurait pas d’humour et se priverait de tout plaisir : « Quand on ne boit pas, on ne fume pas, on ne mange pas de viande...»

Extrait 02’54- 07’30 : Hitler à Varsovie en août 1939De nombreuses séquences-type d’un film d’Ernst Lubitsch s’ouvrent sur une porte. La loi du cadre-prison (ici « le siège de la Gestapo à Berlin » selon la voix over) enferme les personnages sous des croix gammées et dans une pièce gardée par des uniformes (qui bouche la profondeur de champ). Comment se sortir d’une telle situation ? C’est la réplique inattendue de l’acteur jouant Hitler qui permet au film de se poursuivre… Elle révèle que cette porte soi-disant unique est un décor de théâtre. Plus tard, c’est la déclaration de guerre qui va sortir Maria Tura d’une situation dangereuse où son amant Stanislas voulait l’enfermer… Ensuite, les répliques sur le rire font écho au projet de comédie sur un sujet grave que réalise lui-même Ernst Lubitsch, avant de présenter le couple d’acteur principal du film. Entre temps, faute de pouvoir présenter « son opinion », M. Greenberg donne sa « réaction » : « Un rire ce n’est pas rien ». La querelle des égos submergent alors la répétition de la scène, d’abord à travers les répliques de deux seconds rôles. Le jeu de mot à partir de ham qui signifie en anglais à la fois le cabot de théâtre, le mauvais acteur, et le jambon est une référence religieuse introduite au nez et à la barbe de la censure… Ensuite, au moment où l’auteur de la pièce réaffirme la teneur de son projet « un drame réaliste, un témoignage sur l’Allemagne nazie », le couple vedette entre en action. Enfin, toute la compagnie se retrouve de manière anarchique et non ordonné tel un cœur bruyant pour discuter ensemble autour de la performance (déguisement, jeu, odeur) d’un des leurs déguisé en Hitler : « juste un homme avec une petite moustache.» Ainsi, les acteurs joueront quand même, mais comme à ciel ouvert, la pièce antinazie qu’ils projetaient de donner avant sa censure. Le plaisir des acteurs est devenu le sauf-conduit de la terreur et de la bêtise humaine. Dès lors les procédés comiques sont réalistes car ils sont susceptibles d’exprimer une vérité qui, pour être stylisée, n’en est pas moins vraie.Cette bêtise sert de prétexte à des gags tout au long du film comme lors de la surprise horrifiée du colonel Ehrhardt qui voit Hitler ouvrir la porte de l’appartement avec sa propre clef ou le saut dans le ciel des aviateurs fanatisés…

Extrait 1h23’30-1h27 : une comédie anti-nazieLes déplacements des personnages suivent un trajet très codé en fonction de l’audace de leurs actions. Profitant de la sortie inattendue (attendue par la caméra) de Bronski des toilettes pour dames, les résistants sortent des toilettes des hommes et font semblant de venir de la loge où se tient le vrai Hitler. Les toilettes pour dame (« Ladie’s lounge ») est à la fois un lieu idéal pour se cacher de la horde des hommes nazis mais aussi un élément d’humour au tout début de la tirade

9/13

Page 10: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

dramatique dite par Greenberg qui reprend pour la dernière fois son monologue de Shylock.Pour l’arrivée d’Hitler au théâtre Polski réquisitionné, la position de la caméra « invisibilise » (jusqu’à suggérer une position proche de la caméra subjective) insiste sur l’unicité et l’obéissance qui l’entoure. Quasi à travers ses yeux, le monde ne serait plus qu’un seul mot (« Heil ») et une seule personne : un militaire en uniforme.

Suivre la représentation d’Hitler dans « To be or not to be » permet également de proposer une comparaison avec deux autres films réalisé en amont et en aval : « Le Dictateur » (Charlie Chaplin, 1940) et « Inglorious Basterds » (Quentin Tarantino, 2010).

« Le Dictateur » (1940)Le projet du film est très précoce puisqu’un premier scénario est prêt en automne 1938. A un moment où les États-Unis ne sont pas entrés en guerre, la source du modèle du dictateur est parfaitement identifiable mais censé être fictive. La recomposition du bureau du Führer à la Chancellerie comme les ressemblances historiques (la visite de Mussolini) ou le profil lui-même sont confondants. Le personnage d’Hynkel, personnage principal cette fois-ci, est totalement grotesque dans un film qui privilégie le burlesque à la satire sociale. Charlie Chaplin (qui n'est pas né de parents juifs, faut-il le préciser ?) met en scène le lieu du ghetto et spécifie abondamment la discrimination raciste du régime hitlérien. Dans l’un et l’autre des deux films pacifistes, la capacité des êtres humains à se tuer est tournée en dérision.

« Inglorious Basterds » (2010)« Je n’ai pas montr de chambres de torture, de s ances de flagellation, de gros plans de nazis surexcit s quié é é

brandissent un fouet et roulent des yeux concupiscents. Mes nazis sont diff rents ; il y a longtemps qu’ils ont d passé é é

ce stade [de la folie sadique]. Les s vices, les coups de fouet, la torture sont devenus pour eux une routineé

quotidienne. » E. Lubistch, 29 mars 1942, New York Times

Contrairement aux deux prédécesseurs qui ont vécu cette époque, Quentin Tarantino utilise le genre du film de guerre avec un plaisir non-dissimulé jusque dans la mise en scène grand-guignolesque du sang et de l’héroïsme militaire. Dans ce film où le personnage de « Schulz » est un hommage direct à « To be or not to be », Quentin Tarantino reconstruit la grande histoire en tuant Hitler lui-même avec les moyens du cinéma, dans un cinéma. Davantage, il a poursuivi une sorte de métamorphose en créant un « nazi sophistiqué » qui réussit tant par la stratégie que par la séduction à survivre pour mieux interroger la ou les distinctions du mal.

Hitler en amont et en aval dans le cinéma US/ Le Dictateur : 17 mn – 18 mn 30 (da juden) + 51 mn – 53 mn 20 (la mappemonde)Guerre et film de guerre Le Dictateur : 01mn 40- 04 mn 50Hitler en amont et en aval dans le cinéma US/ Inglourious Basterds : 01h 59 - 02h03 (nazi sophistiqué) + 02h 16 – 02h 19 : le plaisir d’Hitler devant un film de guerre et le corps d’Hitler troué de bal avant l’explosion du cinémaGuerre et film de guerre Inglourious Basterds : 25 mn – 32 mn 40

« Daratt, saison sèche » de Mahamat-Saleh Haroun (2006)

« Daratt. Saison sèche » est le troisième long métrage du fondateur de l’histoire du cinéma tchadien qui est non seulement réalisateur mais aussi scénariste : Mahamat-Saleh Haroun (1961) dont la francisation de son patronyme a imposé l’usage de son prénom pour nom dans le cadre de sa carrière internationale.Le Tchad est un pays d’une certaine Afrique. Sans accès à la mer, des dunes de sable à l’infini constituent son principal paysage. Ces dunes éclatent sous la lumière du soleil et identifient une Afrique chaude où le climat est dominé par la saison sèche. Le pays a été périodiquement traversé de guerres civiles depuis son indépendance en 1960, et ce, jusqu'au

10/13

Page 11: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

moment même de la fin du tournage de Daratt. Le pays a été colonisé par l’armée et le gouvernement français depuis 1900, date de sa mise sous protectorat. Le français côtoie donc l’arabe tchadien, langue officielle du pays. Mahamat-Saheh Haroun est un artiste toujours en activité, très impliqué dans l’avenir du cinéma au niveau national, panafricain et international. Il a créé pendant ses études parisiennes le Guide des cinéastes africains et, surtout, il est parvenu à restaurer le plus ancien cinéma de la capitale tchadienne (N’Djamena) et à créer une école nationale d’audiovisuel et de cinéma. Il participe par ailleurs à plusieurs instances africaines concernant l’art et l’industrie du cinéma.A travers ses films, ses fictions évoquent la vie contemporaine de son pays. Les deux premiers racontent en outre la situation du cinéma dans son pays : un état de la production et des salles puis une réflexion sur la force de l’identification pour des spectateurs occasionnels. Le premier, « Bye Bye Africa » compose le journal intime d’un réalisateur revenu au Tchad après la mort de sa mère qui évoque la difficulté de réaliser un film sur place. Le second, « Abouna, Notre père », un film d’apprentissage de deux frères après la disparition de leur père, représente une séance de cinéma surprenante où les deux jeunes garçons sont persuadés de voir leur père sur l’écran.« Daratt » prolonge la thématique de la filiation en soustrayant la référence directe du-film-dans-le-film. Dans ce troisième film il est davantage question de genres cinématographiques et surtout d’une histoire de vengeance. Ce type de récit fait immanquablement référence au western. « Daratt » partage avec ce genre une géographie désertique, un accessoire fétiche, le pistolet et même une scène de confrontation typique : la « scène de duel ».

Un cinéma symbolique : silence, couleurs et gestesLe cinéma de Mahamat-Saleh Haroun contraste avec l’hyper-montage contemporain de « L’Exercice de l’Etat » comme avec le privilège de l’ellipse et le jeu avec le hors-champ lié au filmage de la parole d’Ernst Lubitsch. Le cinéma de Mahamat-Saleh Haroun utilise des plans longs et met en scène des personnages souvent mutiques. Ce système donne le temps aux spectateurs de « voyager » dans le plan et notamment de s’attacher à l’usage symbolique c’est-à-dire signifiant (et non automatique) des couleurs et des gestes. Ainsi faut-il se demander à chaque fois :- quels personnages partagent les mêmes couleurs ?- qui touche qui ? De quelle manière ? (volontairement ou non ? avec empathie ou agressivité ?)Ce savoir-faire du cinéaste crée des liens invisibles et inaudibles que le spectateur doit être capable de « lire ». Ainsi, Mahamat-Saleh Haroun construit un spectateur attentif au moindre « signe» car tout détail fait sens : le slogan dramatiquement ironique « Le monde à portée de main » de l’affiche derrière les deux jeunes adultes comme les T-shirts d’Atim avec un masque africain ou l’inscription « Mad of Africa » plutôt que siglé de marques célèbres. Les usages symboliques d’une séquence [08’55 : 11’07] : « roman familial » et souvenirs de western

Extrait connexe 1 : « Les 400 coups » (François Truffaut, 1959) :

Le psychanalyste Sigmund Freud a proposé l’expression de « roman familial6» basé à la fois sur l’idée de construction imaginaire que l’enfant se forge à propos de ses origines et le principe du récit. Or, dans une des premières séquences de Daratt, celle dans l’habitacle d’un 4x4 en partance vers la capitale, Atim pivote la tête pour nous raconter l’histoire de son prénom – l’orphelin en français. Avant de détourner lentement la tête, Atim fait face à un militaire qui pointe son arme vers son visage (plan fétichiste d’une arme au milieu du cadre et vue en très gros plan au cinéma après la formule

______________________________________________________________

6 Dans Le Mythe de la naissance du héros d’Otto Rank (1909), Sigmund Freud est l’auteur d’un article où il propose le terme de « roman familial [des névrosés] ». Cet article est disponible dans Névrose, psychose et perversion [P.U.F, 1973, p157-160] dans une traduction de Jean Laplanche.

Extrait : « Pour le petit enfant, les parents sont d’abord l’unique autorit et la source de toute croyance. Devenir semblable eux,é à

c’est- -dire l’ l ment du m me sexe, devenir grand comme p re et m re, c’est le d sir le plus intense et le plus lourd de cons quencesà à é é ê è è é é

de ces ann es d’enfance. Mais avec les progr s du d veloppement intellectuel, il ne peut manquer de se produire que l’enfant apprenneé è é

peu peu conna tre les cat gories auxquelles appartiennent ses parents. Il fait la connaissance d’autres parents, les compare aux siensà à î é

et acquiert ainsi le droit de douter du caract re incomparable et unique qu’il leur avait attribu .»è é

11/13

Page 12: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

cinématographique typique du champ contrechamp yeux dans les yeux). Le jeune homme ne manifeste, en ce tout début de récit, aucun signe de peur comme un héros qui n’a rien à perdre. A côté de lui, un homme récite le coran et une femmeprotège son enfant. Ce sont deux voies d’avenir possible pour Atim s’il décidait finalement de renoncer à la violence : soit le refuge dans la religion, soit le devoir de protection du nouveau-né. Deux voies toutes tracées. Mais Atim n’en est pas encore là, car lui, qui dès cet instant fait face à la violence, trouvera une troisième voie qu’on ne peut pas encore imaginer. Ces plans à l’intérieur du camion composent un véritable « roman familial » au sens où le spectateur peut projeter sur les autres personnages l’avenir d’Atim avant d’entendre le récit de son passé expliquant son prénom. Le regard-caméra d’Atim est justifié dans la fiction (il regarde sans peur le militaire) mais n’est-il pas aussi un air de défi (on dit fréquemment défier du regard) en prenant les spectateurs à témoin ? Le mutisme qui caractérise le personnage contraste avec les deux autres expressions audibles qui correspondent à deux autres manières de réagir à la violence : la psalmodie du Coran (le choix de la religion et le devoir de prière) et le cri de l’enfant (le choix de la parentalité et le devoir de protection de la vie).L’extrait des « 400 coups » propose un même type d’alternative comme horizon de l’identité masculine au garçon encore trop petit pour être un père : « les jésuites ou les enfants de troupe ». Dans le noir, il entend ce qu’il ne devrait pas entendre : son roman familial (raconté hors champ).

Extrait connexe 2 : « Le Bon, la Brute et le Truand » (Sergio Leone, 1966) : 05’47 : 14’26

Le mutisme et le regard face-caméra sont d’usage courant dans le genre du western, type de film de vengeance par excellence. Ces deux options dilatent les moments précédents les coups de feu et utilisent l’action de « la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent » (expression religieuse de l’Ancien testament ou qisâs dans le Coran). C’est aussi un moyen de faire participer le spectateur aux séquences de duel : qui va dégainer le premier ? Le héros peut-il éviter le duel ? Le duel a-t-il toujours pour accessoire une arme ? Une représentation plus réaliste implique-t-elle l’hésitation et l’indécision avant de commettre un meurtre de sang-froid ?Atim crache d’abord du pain, laisse tomber la miche qu’il a fait semblant de lui rendre et tourne autour de Nassara en le défiant constamment du regard. Il tremble quand il pointe son arme. Il est tenté de le tuer à mains nues lorsqu’il le masse… Dans la première partie du film, la mise en scène de Nassara prend la forme d’une cible : traveling-avant de suivi d’un adversaire (filmé à l’aide d’une caméra à l’épaule pour suivre une cible mobile comme dans un jeu vidéo), face-à-face dans le même cadre ou, simple dos vu à distance avec en amorce l’autre personnage hostile (cible fixe).La séquence du duel bien connue du cinéphile est régulièrement détournée dans ce film (au sens où il n’y aura pas de cadavre à l’écran). A ce propos, il faut se rappeler qu’une telle scène ne se limite pas forcément à une scène avec des armes ; elle ne se limite pas non plus à deux personnages, voire, selon ce que filme Haroun, au-delà des affrontements humains, elle peut évoquer des conflits structurels plus larges.

Avant la surprenante séquence finale d’un film de vengeance sans cadavre, deux confrontations Atim/Nassara cessent avec l’arrivée sonore (entendue d’abord hors champ) du camion de la boulangerie ambulante profitant des mannes de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). A la seconde approche de la boulangerie ambulante, Atim croise les bras dans un signe visible d’hostilité qui marque sa soudaine solidarité avec l’injustice dont est victime Nassara. Dans cette séquence, il ne porte plus la veste militaire signe visible de son adhésion à la politique meurtrière de son grand-père (ou que portent également les militaires qui l’ont tabassé). Il est habillé en pantalon bleu comme la couleur de la porte d’accès à la boulangerie et la maison de Nassara. C’est aussi celle du pantalon de Nassara. Peu à peu, il adhère aux nouveaux « habits » (la couleur bleu et le marcel du boulanger) qu’a pris le meurtrier de son père qui lui apprend – avec les marques de la sueur et de la farine – les gestes du métier. Le risque du contact avec l’adversaire c’est d’approcher, d’entendre et de toucher son humanité (ici, son envie d’être aimé, son respect du culte, sa générosité envers les enfants nécessiteux…). La prise de « risque » ou l’évolution du personnage commence quand il passe la porte bleue de la boulangerie de Nassara.

La scène finale est un trio où l’extrémité de l’arme sort du cadre qui confronte Atim à deux héritages a priori contradictoires : la transmission d’un savoir-faire d’une figure paternelle de substitution et le diktat de la vengeance familiale du grand-père qui a perdu son fils. La caméra se place de telle manière à réunir les deux hommes âgés qui

12/13

Page 13: AU LYCÉE Lycéens et apprentis au cinéma ANALYSE DES TROIS ... · La place de la communication moderne (logos RTL, utilisation de SMS à même l'écran et citation AFP...) et le

partagent les mêmes couleurs. Nassara est dévêtu de son turban aux motifs guerriers et de sa djellaba beige afin d’être humilié (torse nu). Pour ce qui est de filmer la parole, on doit surtout remarquer qu’Atim ne ment pas à son grand-père quand il dit ne pas avoir tremblé cette fois-ci et qu’il est donc devenu un homme. L’image lui donne raison. Sans mentir, il a toutefois fait un choix qui correspond à une décision autonome : le refus de la vengeance. Le cinéaste veut-il nous dire que c’est cela « être un homme ? ». En tout cas, ni le lien avec le grand-père (dont il prend la main – comme posée à l’extrême du cadre), ni le lien avec Nassara n’ont été tranchés dans le sang.

Le fonctionnement symbolique du film apparaît dans le montage de motifs singuliers :

Nassara filmé comme une cible : 15 mn – 18 mn 15 (sac plastique, Nassara quitte la boulangerie, mosquée, jeux vidéo) + 21 mn – 22 mn (crachat du pain) ; 25 mn – 26 mn 40 (chorégraphie de l’opposition) ; 44 mn 30- 46 mn (face à la glace cible de dos).

Séquences où Atim touche Nassara : 54 mn 30- 56 mn (chute de Nassara) ; 01h- 01h 03 mn (la peau) ; 01h17 mn – 01h 19 (dans le noir).

Liens invisibles : 22 mn – 24 mn 40 (amitié, marche parallèle jusqu’au Monde à portée de main) ; 01h 24 mn 40s – 01h 28 mn 30s (Atim entre deux filiations).

13/13