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Au nom de Dieu Revue des Études de la Langue Française Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan Cinquième année, N° 9 Automne-Hiver 2013, ISSN 2008- 6571 ISSN électronique 2322-469X Cette revue est indexée dans: Ulrichsweb: global serials directory http://ulrichsweb.serialssolutions.com Doaj: Directory of Open Access Journals http://www.doaj.org IslamicWord Science Citation Center http://www.ISC.gov.ir SID: Scientific Information Database http://www.SID.ir Journals Database (Magiran) http://www.magiran.com Ministry of Science, Research and Technology http://www.msrt.ir BJM Electronic Database http://www.uijs.ui.ac.ir/relf Centre d’études informatiques des sciences islamiques http://www.noormags.com

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Au nom de Dieu

Revue des Études de la Langue Française

Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan

Cinquième année, N° 9

Automne-Hiver 2013, ISSN 2008- 6571

ISSN électronique 2322-469X

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55/1: 105-118.

Sitographie: Rheaume, J. (1998). Apprivoiser la technologie éducative, éléments de cours.

http://www.fse.ulaval.ca/fac/ten/tv/plxx135.html#bib. Consulté le 20 mai 2001.

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Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan

Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

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TTaabbllee ddeess mmaattiièèrreess

La structure narrative‎ du fantastique

dans La Vénus d’Ille de Mérimée et Premier innocent ‎de Golchiri

M- E, Abbasi, N. Shahverdiani

1-14

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat est-il un anti-roman?

M. Balighi

15-26

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia de Gérard de Nerval

M-H. Djavari, M. Afkhami Nia & N. Daftarchi

27-40

Aux‎origines‎d’une‎fable‎de‎La‎Fontaine‎dans‎

les recueils de contes orientaux

M-J. Kamali

41-50

Étude de quelques procédés paraphrastiques rencontrés dans le résumé de

texte: cas‎ des‎ étudiants‎ de‎ l’Institut‎ National‎ Polytechnique‎ Félix‎

Houphouët Boigny de Yamoussoukro

Dj. Manda

51-62

Romans‎d’«espaces en perdition»:

voyage‎au‎cœur‎des‎territoires‎carnavalesques‎céliniens

M-P. Mindié

63- 74

Abstracts 75

Résumés en persan

_________________________________________

*[email protected]

**[email protected]

La structure narrative‎ du fantastique

dans La Vénus d’Ille de Mérimée et Premier innocent ‎de Golchiri

Abbasi, Mohammad Ebrahim* Doctorant à l’Université de Téhéran, Téhéran, Iran

Shahverdiani, Nahid** Maître assistant, Université de Téhéran, Téhéran, Iran

Reçu :07.01.2014 Accepté:10.05.2014

Résumé

Ce qui distingue le genre fantastique des autres genres littéraires, c’est l’ambiguïté entre une causalité

naturelle et une causalité surnaturelle dans le dénouement d’un récit, ce qui crée un sentiment d’hésitation

chez le lecteur. Avant d’être liée à son contenu, la transmission de l’effet fantastique d’une œuvre connue

pour telle, dépend de la forme et de la mise en écriture de l’événement fantastique raconté. Ainsi, le

schéma syntaxique, la place du narrateur, la focalisation et le style adopté jouent un rôle de premier plan,

auxquels il faut évidemment ajouter l’aspect thématique du récit. Dans cette étude comparée, nous avons

tenté d’analyser la structure narrative de deux récits fantastiques des deux littératures française et persane :

La Vénus d’Ille de Mérimée et Premier innocent de Golchiri, qui offrent une similitude remarquable sur

le plan narratologique. Ce rapprochement, met au jour des interdépendances qui relient ces deux récits

appartenant à deux espaces et époques différents mais à un même genre.

Mots-clés: Fantastique, stratégies narratives, Mérimée, Golchiri, Vénus d’Ille, Premier innocent.

Introduction

« Le fantastique […] c’est l’hésitation

éprouvée par un être qui ne connaît que les

lois naturelles, face à un événement en

apparence surnaturel » (Todorov, 1970: 29),

c’est en ces termes que Todorov, reconnu

comme le critique le plus célèbre du genre

depuis la publication de son ouvrage, résume

le genre fantastique d’une manière générale.

Partant de cette définition, observant les

thèmes, les principaux événements et les

dénouements de La Vénus d’Ille de Prospère

Mérimée (1837) et ceux du Premier innocent

de Houchang Golchiri (1970), nous nous

trouvons tout de suite face à deux récits

fantastiques. L’histoire de La Vénus d’Ille

est axée autour d’une statue de Vénus en

bronze récemment découverte à Ille, localité

du Roussillon où le narrateur, passionné

d’archéologie et d’antiquités, se rend, invité

par l’antiquaire M. Peyrehorade, tout fier de

sa statue romaine. La Vénus sème

l’inquiétude depuis son exhumation: elle

provoque tour à tour des accidents

difficilement explicables. Alphonse, le fils

de l’antiquaire, participe le jour de son

mariage à une partie de jeu de paume; au

cours du jeu il place sa bague de fiançailles

qui le gêne dans ses mouvements au doigt de

la Vénus, sans pouvoir la récupérer après la

partie. L´énigme qui plane autour de la

statue arrive à son paroxysme pendant la nuit

de noces. Le lendemain, on retrouve

Alphonse mort sur son lit dans d´étranges

circonstances, on le dirait étreint dans un

cercle de fer et sur le tapis, on retrouve la

bague. La mariée, devenue folle, donne pêle-

mêle certaines descriptions contradictoires

de la scène du meurtre. Rentré à Paris, le

2/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

narrateur apprend quelques mois plus tard

que M. Peyrehorade est mort lui aussi et que

Mme de Peyrehorade a décidé de faire

fondre la statue pour en faire une cloche,

mais depuis que cette cloche sonne, les

vignes d'Ille ont déjà gelé deux fois.

La statue-monstre est remplacée dans le

Premier innocent par un épouvantail-

monstre et les événements surnaturels

s’enchaînent presque de la même manière.

L’histoire est narrée dans une lettre écrite

par le narrateur, enseignant dans un village,

à son frère qui habite loin depuis six ans. Il

lui raconte entre autre qu’Abdoullah, le

chauffeur, s’est amusé un jour à mettre une

grosse moustache de laine à un épouvantail

nommé Hassani, installé entre une ruine et

un cimetière, devant un champ de blé. Il l’a

coiffé de son propre chapeau, et lui a dessiné

des sourcils et de gros yeux qui se voyaient

même de loin. Ainsi déguisé, l’épouvantail,

qui avait déjà une allure sinistre avec les

deux dépouilles de corbeaux qui pendaient à

ses bras, inquiète peu à peu les villageois.

On attribut tour à tour certains accidents à

Hassani: un gardien des fermes prétend être

poursuivi par l’épouvantail armé, une femme

avorte de son fils suite à cette scène terrible,

une jeune fille retrouvée évanouie le matin

auprès de l’épouvantail est soupçonnée

d’être enceinte de lui et ne se sort plus

pendant quelques mois. Les villageois

aperçoivent enfin la sage femme discrète du

village enterrer quelque chose (un embryon)

juste au pied de l’épouvantail. Abdoullah,

provoqué par ces amis, décide de creuser la

tombe pendant la nuit pour découvrir la

vérité au sujet de l’embryon, mais dans

l’obscurité, il se fait coupé deux orteils sous

le coup d’une pelle. Il meurt suite à

l’infection de cette blessure invalidante. Les

villageois l’enterrent au pied de

l’épouvantail. Avec le temps, ce dernier

perdra peut-être son allure effrayante mais le

narrateur croit entendre toujours ses pas.

Bien que communément reconnues

comme critère de classification d’un récit

dans la catégorie du fantastique, ni

l’hésitation chère à Todorov, ni la seule

présence d’un fantôme, monstre ou toute

autre figure et événement en apparence

surnaturel dans un récit, ne suffiraient pour

en faire un récit fantastique. Cette

conception réduirait ce genre à un répertoire

de thèmes assez limités. Comme l’a souligné

Bozzetto, il ne faut pas oublier que « le

matériau, les thèmes, les images ne sont pas

tout : la « mise en écriture »,

particulièrement dans le cas du fantastique,

est essentielle » (Bozzetto, 1998: 41).

Bellemin-Noël avait d’ailleurs bien précisé

que dans le Fantastique « c’est une forme

qu’on recherche, non un contenu »

(Bellemin-Noël, 1972: 7), une forme

destinée à produire l’effet fantastique : le but

ultime de tout texte appartenant au genre.

Pour Jean Fabre, un autre critique spécialiste

du genre, le récit fantastique, « action avant

tout, […] impose l’étude serrée de sa

structure narrative » (Fabre, 1992: 190). À

cet effet, s'inspirant de l'œuvre de Todorov1,

J. Fabre propose une grille d’analyse

narratologique des récits fantastiques, fondée

sur l'étude de trois aspects: l'aspect

syntaxique (qui traite la logique des actions

et le schéma narratif constituant l’intrigue),

l'aspect verbal (qui aborde les modalités

internes et le style du texte touchant à la

1 T. Todorov avait déjà proposé ces trois aspects pour

l’étude de la structure narrative des récits

fantastiques. (cf. Todorov, T. (1970). Introduction à

la littérature fantastique. Paris: Seuil, pp. 81 et 97.)

Narrative Structure of Fantasy in La Venus… / 3

manière dont le message est transmis), et

l'aspect sémantique (qui prend en compte la

thématique et la fonction de référence au

réel). C’est cette grille, qui nous a semblé

l'outil méthodologique le plus approprié à

notre étude sur les deux récits français et

persan de notre corpus. Ce choix se justifie

par le remarquable parallélisme qui

rapproche, sur le plan narratologique, ces

deux récits appartenant à des espaces et

époques différents. Par le biais de cette

étude, nous espérons apporter un éclairage

sur la mise en écriture du Fantastique,

considéré comme « une catégorie à vocation

universelle » (Molino, 1980: 41). Nous

allons donc aborder les diverses stratégies

narratives et les moyens techniques,

formelles et sémantique dont se servent les

deux écrivains pour créer leur univers

fantastique.

L’aspect‎syntaxique‎

L’aspect syntaxique a affaire avec la

logique des actions et le schéma narratif qui

constitue l’intrigue d’un récit. On peut

repérer pour ces deux récits un schéma

identique, composé d’un ensemble cohérent

de constructions, typique des textes

fantastiques « classiques », mettant en jeu la

logique des actions. Jean Fabre propose un

schéma constitué de quatre éléments

narratifs « montés en série » de manière

suivante : « Normalité → Passion →

Connaissance → Action » (Fabre, 1992:

192).

« La phase normale ou plutôt normative

correspond au réalisme initial » (Fabre,

1992: 192) : le discours critique sur le

Fantastique s’intéresse avant tout au

contexte réaliste, vraisemblable, référentiel

sur lequel la fiction fantastique bâtit sa

trame : « Intrusion brutale du mystère dans

le cadre de la vie réelle » (Castex, 1951: 8);

« rupture des constantes du monde réel »(

Vax, 1987: 172) ; « rupture de l’ordre

reconnu, irruption de l’inadmissible au sein

de l’inaltérable légalité quotidienne»(

Caillois, 1966: 10), « rupture dans le

système des règles établies »( Todorov,

1970: 175) ; « le fantastique ne se donne à

lire que selon un discours de la mimesis ;

qu’il soit sa rupture, son renversement ou

son envers, sa fiction est indéfectiblement

indexée sur le réel » (Mellier, 1999: 44).

Cette indexation réaliste fait donc

l’unanimité des critiques et s’avère

nécessaire pour la « déchirure » fantastique.

L’écrivain doit donc être capable de donner

l’illusion, par ses modalités d’écriture, de la

réalité du monde naturel, car

« structuralement, le réalisme est nécessaire

parce qu’il ne peut y avoir de sentiment de

rupture s’il n’y a déjà quelque chose à

rompre. Il faut donc tisser le réel avant d’y

provoquer la déchirure » (Fabre, 1992: 102).

Plus la construction de la réalité est solide,

plus son brouillage devient inquiétant.

Pourtant ce réalisme ne veut pas dire que le

fait raconté soit vérifiable, mais il suffit qu’il

soit un vraisemblable commun, et justement

plausible. À ce stade, l’incipit du récit joue

le rôle le plus important pour constituer ce

cadre vraisemblable qui est d’ailleurs présent

tout au long du texte et la composante

scripturale est donc essentielle pour mettre

en conflit la surnature avec la réalité et

produire le déchirement fantastique qui

coïncide avec la construction d’un surnaturel

qui se fait voir d’emblée ou se laisse deviner

petit à petit. Le récit de La Vénus d’Ille se

déroule dans un cadre campagnard et plus

précisément dans un village où une statue

4/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

vient d’être découverte. Un archéologue s’y

rend pour l’examiner. La description du

trajet parcouru par ce dernier ainsi que sa

discussion avec son guide, place d’emblée le

lecteur dans une situation vraisemblable. De

même, le récit du Premier innocent s’ouvre

par de simples nouvelles à propos de la vie

ordinaire du village : le mariage d’un proche,

l’accouchement d’une femme, l’état de santé

des membres de la famille, etc. Rien ne

heurte donc la doxa sociale et réaliste du

lecteur.

Commence ensuite la phase de Passion,

qui « en tant qu’opposition à l’action,

marque la soumission du personnage à une

force qui le dépasse, [qu'] il subit » (Fabre,

1992: 192-193). La statue de Vénus fascine

dès le premier instant: le guide indique à

l’archéologue que la statue de Vénus

inquiète d’abord à cause de ses yeux blancs

angoissants, mais aussi parce qu'elle a déjà

provoqué un accident: elle est tombée sur

Jean Coll, l'un des ouvriers ayant participé à

son exhumation, et lui a brisé la jambe. Le

narrateur et son hôte avouent que la statue a

l’air mauvais, qu’elle n’a pas la beauté calme

et sévère des sculptures grecques, que «

dédain, ironie, cruauté se [lisent] sur ce

visage d’une incroyable beauté cependant »

(Mérimée, 1841: 300). Ses facultés

humaines sont parfois même soulignées: «

Ces yeux brillants produisaient une certaine

illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me

souvins de ce que m’avait dit mon guide,

qu’elle faisait baisser les yeux à ceux qui la

regardaient. Cela était presque vrai […] »

(Mérimée, 1841: p.301). L’épouvantail du

Premier innocent, avec le nouveau visage

qu’Abdoullah lui a modelé, reprend vie et se

fait remarquer par son allure grotesque et sa

longue moustache « qu’on pouvait même

distinguer depuis une centaine de mètres »

(Golchiri, 2001: 189)2. Il fait d’abord peur

aux écoliers et ensuite à un certain nombre

de villageois, au point de leur faire changer

le trajet habituel qu’ils empruntaient pour

aller travailler dans les champs.

En ce qui concerne la phase de

Connaissance, qui désigne celle du héros et

non celle du lecteur, elle « peut revêtir

plusieurs aspects : révélation (en dehors de

tout sens mystique), elle s’apparente à la

Passion par son côté douloureux et subi ;

enquête, elle prend déjà figure active ;

conceptualisation, elle joue un rôle soit

réducteur (actif) soit augmentatif de

l’angoisse (passif) » (Fabre, 1992: 193).

Dans les deux récits de notre corpus, la

Connaissance et la Passion s’interpénètrent

sur un mode d’interaction. Les mésaventures

que les paysans imputent à la statue peuvent

être considérées comme les signes du

fantastique qui s’avèrent dès le début

négatifs et maléfiques. La passion de

l’archéologue vis-à-vis de la Vénus a partie

liée avec la connaissance qu’il se fait au fur

et à mesure à propos des événements relatifs

à cette mystérieuse statue. Une fois, le

narrateur est témoin d’un incident où la

statue se comporte « comme vivante » : une

nuit, deux gamins jettent une pierre à la

statue qui, à leur plus grande peur, semble la

rejeter et ainsi les blesse. Le matin, le

narrateur trouve une marque blanche au-

dessus du sein de la Vénus, ce qu’il explique

par le vandalisme dont il était témoin la

veille. Mais il y a encore une trace semblable

sur les doigts de la main droite : la Vénus, a-

t-elle vraiment rejeté la pierre ? (révélation).

2 Toutes les citations extraites des œuvres persanes

sont traduites par nous-mêmes.

Narrative Structure of Fantasy in La Venus… / 5

Le narrateur essaie également, en compagnie

de M. Peyrehorade, de déchiffrer les termes

latines gravée sur la statue, dont le mot

"TVRBUL: "Vénus turbulente ! » (Mérimée,

1841: 305) : (Enquête). Le narrateur du

Premier innocent, fait connaissance des

particularités du phénomène, à travers les

quelques mésaventures narrées au sujet des

villageois, (Soghra, une femme assez âgée,

s’évanouit en voyant l’épouvantail, Taghi, le

gardien des champs, se croit poursuivi par

l’épouvantail muni d’un fusil, etc.)

(révélation). Le narrateur oblige également

son fils de s’approcher de Hassani pour

s’assurer que celui-ci n’est qu’un

épouvantail. Lui-même, après quelques

jours, va vérifier la chose de plus près, mais

n’ose contempler l’épouvantail que « de

loin » (Golchiri, 2001: 191) (enquête). Cette

distance prise, ainsi que les idées qu’il se fait

pendant la nuit au sujet du bruit des pas de

l’épouvantail qu’on entend dans les rues du

village, vont dans le sens de la

conceptualisation passive et donc

angoissante du phénomène.

Quant à l’Action, qui est « à proprement

parler une réaction lorsque la Connaissance

est venue éclairer le personnage » (Fabre,

1992: 193 ), s’il y en a acte, ce n’est qu’une

fausse action de la part des protagonistes, car

elle est aussitôt subvertie et retournée contre

celui qui a tenté ce coup. Dans La Vénus

d’Ille, l’acte inconscient d’Alphonse ne peut

pas être conçu comme une action délibérée,

ce qui est démontré par son indifférence

apparente pour la statue. On peut quand-

même noter que cette indifférence même et

le fait de remplacer la bague de fiançailles,

retenue par Vénus, par une autre qu’il

détenait d’une femme qu’il avait jadis

connue, et de la donner à sa future épouse,

peut en quelque sorte être interprété comme

un défi lancé involontairement. Néanmoins,

il semble que l’intrigue fantastique ne finisse

pas ici. Comme Action, on pourrait encore

évoquer celle de Mme Peyrehorade qui fait

fondre la statue en bronze pour en faire une

cloche d’église afin d’échapper à la

malédiction. Mais, la Vénus, même

transformée en cloche, continue à porter

malheur : « depuis que cette cloche sonne à

Ille, les vignes ont gelé deux fois »

(Mérimée, 1841: 340). Abdoullah du

Premier innocent, agit de même

qu’Alphonse dans La Vénus d’Ille. Il n’a en

effet rien contre l’épouvantail, il le méprise

même, mais lorsqu’il essaye de creuser la

tombe, bien que conscient de son acte, il

ignore totalement la finalité et le sens de son

défi. Pour les deux récits, on conclut alors

que quelle que soit l’action, elle s’avère

vaine, et les protagonistes ne se débattent

que pour mieux s’enferrer. Ils réveillent le

monstre et trouvent la mort, comme dans

tout récit fantastique canonique qui « se

termin[e] presque inévitablement par un

événement sinistre qui provoque la mort, la

disparition ou la damnation du héros »

(Caillois, 1966: 9). Et comme le dit bien

Jean Fabre : « la contre-attaque n’est jamais

qu’un leurre du Destin » (Fabre, 1992: 193 ).

À ces quatre « phases à dominante »

(normative, passive, cognitive, active), on

pourrait également ajouter quelques sous-

schémas qui servent d’introduire

sournoisement le surnaturel dans le cadre

réaliste du récit. On en retient surtout les

parties destinées à un des effets d'annonce,

« un ensemble de tournures négatives

subtilement prémonitoires » (Fabre, 1992:

197 ), infiltrées dans l’introduction du récit.

Ainsi par exemple, la mort d'Alphonse est

6/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

présagée à plusieurs reprises dans le texte de

La Vénus d'Ille: la traduction de la gravure

comme : « cave amantem : méfie-toi, si elle

t'aime» (Mérimée, 1841: 302). C'est souvent

Monsieur Peyrehorade qui provoque, sans

s'en rendre compte, la mort de son fils. Il se

montre très maladroit : il répète des citations

latines sans faire attention au contexte

tragique dans lesquels ces vers sont situés. Il

semble qu'il cherche à faire revivre la Vénus

en lui faisant des offrandes, et cherchant à

faire revivre un culte abandonné depuis

longtemps (mariage du vendredi). Il compare

souvent la Vénus à la jeune fiancée, alors

que Vénus est une déesse connue pour sa

jalousie. De même, dans le Premier

innocent, le narrateur annonce

imperceptiblement les actes débiles ou les

gaucheries et même la situation critique

d’Abdoullah après sa blessure, au sujet de

qui il emploie, déjà dès le début du texte, les

verbes au passé, insinuant ainsi sa mort

prochaine : « il ne s’est pas guéri […]. Il

n’était pas très sage, mais il était quand-

même utile pour le village ». (Golchiri,

2001: 187) Le destinataire de la lettre est

aussi désigné comme « angoissé » par les

rumeurs qu’il a entendues.

Parallèlement, on pourrait parler de la

stratégie syntaxique propre à la situation

finale des textes fantastiques. En effet, « le

paradoxe du Fantastique est que l’aventure

n’est jamais terminée puisqu’elle doit

normalement se poursuivre dans la

conscience du lecteur » (Fabre, 1992: 199 ).

À cet effet, l’histoire de La Vénus d’Ille ne

prend pas fin avec la mort d’Alphonse, mais

avec une note sur les vignes d'Ille qui ont

déjà gelé deux fois depuis que la cloche

(construite avec le bronze fondu de Vénus)

sonne, ce qui marque la continuité du

malheur. L’épouvantail du Premier innocent,

n’est pas démonté, mis en pièces ou

transformé, mais c’est au fil du temps qu’il

retrouve apparemment son caractère

inoffensif initial. Mais en réalité, sa présence

même est angoissante. Il pourra être réveillé

un jour par une nouvelle gaucherie.

L’aspect‎verbal

Nous nous intéresserons ici aux modalités

internes des textes, en particulier aux

questions de « point de vue » et de « style »,

qui entrent en jeu dans l’écriture constitutive

de l’effet fantastique. En ce qui concerne la

vision, le récit fantastique privilégie le

regard du héros ou du moins d’un

personnage qui intervient dans le cours des

événements. Par ailleurs, le fantastique est

un genre qui requiert une nécessaire

complicité entre le regard du narrateur et

celui du lecteur : « Quand le regard

n’adhère pas, le fantastique tombe, quelque

étrange que puisse être l’événement […].

C’est donc le regard porté sur l’événement

qui lui confère certaine densité, ce qui fait

que la position du narrateur est capitale »

(Tritter, 2001: 41). Et bien évidemment la

technique privilégiée pour ce faire, c’est

l’emploi du narrateur homodiégétique. En

effet, selon la théorie de Rabatel, le narrateur

homodiégétique ne dispose pas d’une

omniscience moindre que celle du narrateur

hétérodiégétique « sauf à considérer que ce

dernier est omniscient en vertu des pouvoirs

de la fiction, alors que le premier, en raison

des mécanismes d’identification renforcés du

fait de la première personne, serait plus

"homme", donc plus faillible, en vertu de

grilles de lecture "réalistes" » (Rabatel,

1997: 126). L’usage de la Première personne

« semble authentifier le récit, le donner à

Narrative Structure of Fantasy in La Venus… / 7

croire » (Fabre, 1992: 201). En principe, le

lecteur ne soupçonne jamais le narrateur qui

dit "je" de mentir car toute l'histoire repose

sur son récit, mais c'est oublier que le

narrateur qui dit "je suis" est aussi un

personnage. Ce mode de narration permet

l’insertion crédible de la surnature et /ou de

son effet indispensable au genre fantastique.

Cette première personne a également pour

fonction de « faciliter la participation, une

sorte d’authentification avec le narrateur »

car « le Fantastique nous demande seulement

d’être avec la victime, d’être la victime »

(Fabre, 1992: 202). Cette authentification a

pour conséquence, d’empêcher le lecteur de

toute distanciation avec l’événement raconté,

ce qui est toujours réducteur de l’effet

fantastique. Outre l’emploi de cette première

personne, une autre condition s’impose :

c’est que le narrateur doit se présenter aussi

crédible que son lecteur vis-à-vis de

l’histoire qu’il raconte. Il doit être « ni

superstitieux -plutôt moins peut-être ni

hyper-intellectualisé –plutôt plus tout de

même » (Fabre, 1992: 205) par rapport à son

lecteur, sinon la demi-créance même du

narrateur rendrait caduc l’efficacité

fantasticante du narrateur homodiégétique.

Dans les deux nouvelles que nous

étudions, le récit est raconté à la première

personne, par un narrateur/personnage (non

pas héros) qui participe dans le récit.

Témoins dignes de foi ou mieux, participants

quelque peu victimes, l’archéologue et

l’enseignant sont des narrateurs

homodiégétiques, suffisamment instruits

pour ne pas être superstitieux, fanatiques,

hypersensibles, pré-angoissés, tourmentés ou

névrotiques, car ces dernières qualifications

pousseraient plutôt leurs récits dans le

mythe, le conte ou le fantasmatique au

détriment du Fantastique. Dans ces deux

textes, on trouve en effet, un narrateur sain

de corps et d’esprit qui facilite la nécessaire

identification du lecteur avec les

personnages. Le lecteur va d’ailleurs

partager les interprétations de ce dernier qui,

alternativement, met en doute l’évidence

surnaturelle, l’accepte ou l’insinue. Ce que

nous venons de souligner à propos de la

prédominance du point de vue et de

l’authentification-participation, nous aidera

à comprendre pourquoi la confession, le

journal intime (le cas de La Vénus d’Ille), le

testament, le manuscrit et la lettre (le cas du

Premier innocent) seront des modes

d’expression privilégiés par les écrivains de

ce genre. Caractéristique d’écriture, cette

option de point de vue se complète par une

autre caractéristique majeure de l’écriture :

le style.

« C’est en effet comme réaliste que le

style peut fonctionner à l’intérieur du

genre » (Fabre, 1992: 209) ou comme le

souligne Irène Bessière « le récit fantastique

est thétique ; il pose la réalité de ce qu’il

représente » (Bessière, 1974: 36). Ainsi,

l’écriture du fantastique s’oppose tout de

suite à l’écriture poétique car celle-ci est

d’une part atemporelle et éternisée et d’autre

part, trop rhétorique. Elle engendre par

conséquent la distanciation et de là même

agit comme l’ennemi de l’effet fantastique.

« Toute réflexion interne sur l’écriture est

une rupture de l’effet, tout écart rhétorique

risque de s’inscrire comme un

dysfonctionnement » (Fabre, 1992: 212).

« Quand l’attention des lecteurs se détourne

des faits pour s’intéresser à l’art, le

sentiment de l’étrange est près de se dissiper.

En sorte que l’art fantastique doit tendre à se

8/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

faire oublier comme art » (Vax, 1987:

277) À en voir de plus près, on se trouve

face à la dichotomie style réaliste et

événement extravagant. Loin d’être nuisible,

comme on a parlé du fond réel du récit, cette

dichotomie fonctionne aussi comme

constitutive du genre. Pourtant, il faut

distinguer entre deux styles réalistes « gras »

et « sec » (Fabre, 1992: 210-211). C’est en

effet ce deuxième style qui s’avère plus

efficace pour le Fantastique. Le premier,

plus convenable normalement pour les

romans, tire profit des modalités

d’accumulations, de répétitions, de

prétéritions, d’impressions et d’abstractions

angoissantes pour imposer l’effet fantastique

et devient par là même un amalgame des

sensations et de l’interventions des sens, les

plus directs et les plus immédiats. Tandis

que selon les termes de Robbe-Grillet, « rien

n’est plus fantastique que la précision »

(Robbe-Grillet, cité par Fabre, 1992 : 211 ).

Le style « sec » permet d’aller à l’essentiel, à

dépouiller la réalité en se contentant de

rester hors des choses. Certes, poussé à

l’extrême, ce style peut risquer l’absurde

(comme l’écriture du Nouveau roman ou

celle de Beckett par exemple).

Loin de tomber dans l’une ou l’autre

extrémité, les auteurs de notre corpus,

placent leur style dans une sorte d’équilibre

entre ces deux tendances: chez l’un comme

chez l’autre, on n’est pas face à une écriture

sensationnelle ou sentimentale, les textes ne

sont pas non plus réduits à de simples

descriptions des faits. Les narrateurs comme

les personnages communiquent leurs

impressions sur les événements sans se

noyer dans les détails. De manière générale,

la nouvelle préfère et même exige le

dépouillement et la précision. En effet, c’est

la forme qui convient le mieux à la

concentration des faits et par conséquent à

celle des effets.

« La loi est toujours de concentration, de

netteté, l’art est toujours de ne dire que

l’essentiel, de caractériser fortement et d'une

manière sensible, de se faire croire, d’obtenir

l’adhésion du lecteur et de la conserver à

tout prix. Si loin qu'on s'avance sur les

limites de l'extraordinaire et de l'impossible

de se placer pour cela, acteur ou témoin, sur

la ligne de force où l'événement, le conflit

découvrent leur tranchant le plus vif »

(Raymond, 1950: 17).

Cette affirmation de Raymond au sujet de

la nouvelle, correspond parfaitement aux

exigences du fantastique. Cette description

est autant valable pour le choix de style ‏‏que

le choix du sujet. La nouvelle, ‏ « c'est

l'instant de vérité. Elle ne nous donne accès

qu'à un tronçon de vie; mais ce tronçon doit

contenir la particule inimitable, le noyau :

quelque chose doit s'y trouver déposé qui est

l'essence d'un destin » (Fauchery, 1948:

189). La nouvelle est aussi « la forme de

récit qui permet au créateur de saisir un

drame au moment où il atteint son point

culminant » (Plisnier, 1954: 102). À cette

fin, les nouvellistes choisiront souvent des

instants de crise menés à leur paroxysme, ce

qui est fortement significatif concernant

l’intrigue du Fantastique. Les délimitations

de la nouvelle deviennent surtout

significatives lorsqu’on la compare avec le

roman.

« Avec des longueurs, des taches, des

incohérences, un roman peut rester une

œuvre admirable. Dans une nouvelle, une

altération de la voix, un gauchissement de

l'allure, un trait trop appuyé, une image trop

vive ou trop gracieuse, peuvent tout détruire;

Narrative Structure of Fantasy in La Venus… / 9

a nouvelle ne pardonne pas » (Arland,

1951: 88).

Pour terminer cette partie, nous tenons

également compte de ce que la structure de

la nouvelle offre au Fantastique pour la

phase finale du récit. Comme nous l’avons

déjà mentionné, le genre fantastique préfère

ne pas clore la situation évoquée, mais plutôt

« l’ouvrir ». Rappelons qu’à la fin de nos

deux récits, les cloches continueront de

sonner et la malédiction perdurera ;

l’épouvantail, calme dans son apparence,

reste une menace pour le village. Ainsi, de

même que le Fantastique dans son essence,

« La nouvelle […] se passe de

conclusion, de cette sorte de geste arbitraire,

de mouvement de satisfaction morale sur

quoi s'achève la narration de tant de bons

romans. La fin de la nouvelle est à la fois

plus incertaine et plus rapide. C'est souvent

un vif éclair qui, au lieu de précéder le néant,

nous lance dans une songerie infiniment

créatrice. En réalité, la nouvelle ne doit pas

finir » (Fougère, 1945: 303).

Et par là s’explique le choix d’une forme

courte, d’autant plus efficace, pour l’écriture

de ces récits fantastiques.

L’aspect‎sémantique

Sans vouloir nous attarder sur les thèmes

et les motifs propres du genre, à savoir

l’espace de l’épouvante, le cimetière, la

mort, le regard, etc., pareillement repris dans

ces deux nouvelles, nous aborderons la

spécificité de ces deux récits. Nous

limiterons alors notre étude à l’analyse du

thème de la statue animée en passant par le

motif de la vengeance.

Les discours mytho-socio-idéologico-

culturels que l’Histoire inscrit dans une

figure comme la statue animée, « constituent

une sorte de "préformé culturel" dans lequel

a cristallisé depuis longtemps une peur

ancestrale. Le fantastiqueur va l’employer »

(Fabre, 1992: 216). Cette « donnée

immédiate de la conscience »3, bien que

variée selon les civilisations, prend pourtant

dans les deux textes de notre étude une allure

identique à travers deux objets différents,

mais du même registre. Il s’agit de deux

statues animées. La séduction exercée par les

statues antiques, liée à la réminiscence de la

mythologie classique, est un motif littéraire

assez répandu dans la littérature fantastique

(citons entre autres : Arria Marcella de

Théophile Gautier et Le Trône d’Abu-Nasr

de Sadegh Hedayat). Certes, les rapports

entre l’homme et la croyance à une surnature

mythique ont évolué au cours de l'Histoire et

surtout après le positivisme qui a créé un

cadre rationnellement clair et artificiellement

réduit à la logique. Les mythes, ces récits

parlés, engendrant des rituels, avant d'être

repris dans des mythologies, ont été recyclé

par le folklore pour donner d’abord lieu au

merveilleux féerique ou noir, passant par le

gothique pour arriver au fantastique.

« Le XIX° siècle occidental a produit un

nombre important de récits fantastiques, et,

pour un certain nombre, l'effet de fantastique

qu'ils provoquent dérive directement du

« retour » des dieux antiques. Ce retour,

comme on le voit dans La Vénus d'Ille de

Mérimée, est ici dû au premier abord à une

trouvaille archéologique — ce qui est une

façon métaphorique d'illustrer le retour de ce

qui était enfoui » (Bozzetto, article en ligne).

Dans le cas qui nous intéresse, par la

figuration archéologique, sous forme

3 L'expression empruntée du titre de l’ouvrage du

philosophe français Henri Bergson paru en 1889 à

Paris chez F. Alcan.

10/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

d'anamnèse ou de découverte, des débris

et d’anciennes strates de vieilles

superstitions, se révèle la trame

superficiellement cohérente de notre univers

rationnalisé. Ainsi «La Vénus d’Ille », c’est

l’histoire d’une déesse, d’une figure

mythologique représentant la beauté,

l’amour, la jalousie et la haine, qui a eu le

pouvoir de « rendre tous les dieux amoureux

ou de susciter chez eux une vive passion »

(Grand & Hazel, 1981: 34), de pousser « les

mortels à toutes les voluptés et à tous les

vices » et d’inciter davantage « la fécondité

des amours illégitimes » (Dictionnaire de la

mythologie grecque et romaine, 1965: 42). Il

faut noter pourtant que la Vénus romaine,

n’était point diabolique tel qu’on voit dans

l’histoire de Mérimée. « Très ancienne et

modeste divinité italique, Vénus, avant

d’être assimilée à l’Aphrodite grecque,

présidait à la végétation et à la Fécondité »

(Hacquard, 1990: 326). Sur cet aspect, elle

favorise le passage vers l’autre figure

mythique de notre étude : l’épouvantail.

Généalogiquement, les épouvantails se lient

aux dieux de la nature qui étaient les

gardiens de la terre et surveillaient sa

fécondité, tout comme Priape, fils de

Dionysos et d’Aphrodite, qui était le dieu

protecteurs des jardins, causait la pluie et le

beau-temps, aidait les femmes enceintes à

accoucher facilement et plus tard c’est lui

qui, reconnu comme le symbole de virilité,

rend les femmes enceintes.

Dans la mythologie perse, c’étaient les

Farvars qui assumaient ce rôle de

gardiennage des jardins et de secours aux

femmes enceintes et aux nouveau-nés.

Passés à travers le folklore, et mélangés avec

les superstitions zoroastriennes, ils ont

progressivement pris le rôle d’un double

mystérieux: « la croyance au double remonte

aux anciennes croyances iraniennes aux

Farvars et est en effet la suite de cette

perception. Ainsi, un être nommé Â’al qui

dans le folklore apparaît au moment de

l’accouchement des femmes et qui emporte

avec lui la femme et/ou le nouveau-né, prend

sa source dans cette même croyance aux

Farvars dont l’image a pris peu à peu un

aspect effrayant, vu son caractère

mystérieux » (Abâdiân, 1997: 13). En effet,

depuis le temps où l’homme a commencé à

cultiver les champs pour se procurer de la

nourriture, il s’est vu obligé de surveiller sa

ferme contre les oiseaux et les animaux.

Ainsi, l’épouvantail représente le recours de

l’homme aux forces magiques et artificielles.

Il évoque par-là la figure atroce de la « mère

archaïque », opposée à tout parasite qui

perturberait la croissance des plantes. C’est

dans cette ême perspective qu’on accrochait

le corps d’un oiseau mort à ses bras pour

avertir par avance le sort de tout ravisseur.

Ce qui lui donnait un aspect encore plus

effrayant.

Statue et épouvantail, ce sont donc des

objets venus d'un temps autre et d'un autre

espace culturel, avec une efficacité qui leur

est propre et que nous ne pouvons

comprendre. L’homme moderne, s’il les

réactive par mégarde, doit le payer cher

parce qu’il les rend de nouveau capables

d'action dans un univers qui n'est plus le

leur. Mythe et superstition ouvrent tous les

deux la voie à des contradictions, l’un par le

recours à une totalité surhumaine et

surnaturelle, l’autre par la prescription des

rituels illogiques fautes de pouvoir

mentionner certaines causes logiques :

sources favorables aux récits

fantastiques.«Surgi[e] brutalement dans le

Narrative Structure of Fantasy in La Venus… / 11

présent du personnage » (Malrieu, 1992,

120),leur présence réactive d'anciennes

croyances liées fortement à la surnature

avalisant le temps de leur création,

provoquant par là des réactions d’hésitation,

d'angoisse ou de peur chez un lecteur qui ne

vit plus dans l’univers mythique et n’y croit

plus. Les deux nouvellistes ont retenu

l’essentiel de ces mythes et ont tenté

d’adapter l’histoire de façon à ce qu’elle

paraisse vraisemblable aux lecteurs

contemporains (Sur Mérimée, voir : Castex,

1951: 264-265).Ils n’ont d’ailleurs point

besoin de faire un long discours sur les

statues :Vénus et Hassani sont inséparables

de leur cliché mythologique et culturel. Pour

l’homme moderne, la présence de ces forces,

et les effets qu'elles induisent, sont perçus

comme impensables et donc monstrueux.

Leur premier attribut est bel et bien de tuer.

Le gel des oliviers au pied desquels on

découvre la statue, le gel des vignes

provoqué par le son des cloches et le triste

sort d’Alphonse, sont l’œuvre de la Vénus.

Quant à l’épouvantail, il est à l’origine de

l’avortement d’une femme et d’une jeune

fille, et de la mort d’Abdoullah. Ils tuent

pour se venger : c’est la vengeance des actes

gratuits commis contre la mère archaïque.

Jean Coll frappe la Vénus au moment de son

déterrement, sa rencontre avec la statue peut

« s’assimiler implicitement à une lutte »

(Chabot, 1983: 124), à une offense, les

gamins lancent des pierres contre elle,

Alphonse attise sa jalousie en la trahissant.

Dans le Premier innocent, Taghi, le gardien

des champs a implicitement ridiculisé

l’épouvantail en occupant son poste,

Abdoullah a dû payer le prix de sa moquerie

première et de son offense ultime. En plus, la

vengeance immorale et l’innocence des

victimes, surtout dans le cas d’Alphonse et

des deux avortements du Premier innocent

semblent accroître l’intensité de l’émotion

fantastique.

Conclusion

L’angoisse première, disait Derrida, « naît

toujours d’une manière d’être impliqué dans

le jeu, d’être pris au jeu, d’être comme être,

d’entrée de jeu dans le jeu » (Derrida, 1967:

410). Faire entrer le lecteur dans ce jeu

implique de son côté des stratégies narratives

par lesquelles l’effet fantastique devient

majoritaire. Autrement dit, l’aspect

fantasticant d’un récit ne dépend pas

seulement d’une thématique, mais implique

plutôt le choix plus conscient d’une

esthétique. D’autre part, le climat fantastique

ne naît pas tant des êtres et des événements

surnaturels eux-mêmes mais de la manière

dont la présence de ces derniers est justifiée.

Ainsi, en plaçant leur histoire dans des

campagnes imprégnées d’une ruralité

archaïque riche en superstitions obscures, en

cultes secrets liés à des secrets encore plus

lointains, Mérimée et Golchiri se servent

d’une rhétorique, effort et art de persuasion

quant à la « réalité » de la chose surnaturelle

et construisent ainsi une charpente

syntaxique et verbale remplie d’indications

issues du monde réel. Quant à la thématique,

faisant ressurgir, par l’intermédiaire d’un

être inanimé, d’anciens pouvoirs, dans le

quotidien des personnages, ils essaient de

préparer le terrain pour la pénétration de la

surnature dans l'univers du personnage, ce

qui serait plus angoissante que la pénétration

du héros dans le monde du surnaturel. Avant

d’être liée à son contenu, la transmission de

l’effet fantastique d’une

œuvre connue pour

12/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

telle, dépend de la forme et de la

mise en écriture de l’événement

fantastique raconté . L’ensemble de ces

stratégies amènent le narrateur/personnage à

devenir malgré lui l'authentificateur de faits

qu'il était près de

nier au départ. Tout comme ce narrateur,

le lecteur qui lui a fait confiance et l’a suivi

tout au long du récit, opte en quelque sorte

pour une explication surnaturelle.

La monstration sensorielle et explicite des

figures et des événements surnaturels, fait de

ces deux récits des exemples saillant de la

catégorie classique du genre, par opposition

au fantastique moderne de la démonstration

intellectuelle et implicite. Le parallélisme

remarquable entre ces deux récits, écrits à

deux époques, dans deux espaces, deux

cultures, bref dans deux littératures

différentes, n'est-il pas une preuve solide du

caractère universel de l'esprit fantastique?

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14/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

* [email protected]

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat est-il un anti-roman?

Balighi, Marzieh*

Professeur assistante, Université de Tabriz, Tabriz, Iran

Reçu: 30.01.2013 Accepté: 19.10.2013

Résumé

Publiée partiellement en 1941 dans le Journal L’Iran, à Téhéran, traduite en français, en France, en

1953, par Roger Lescot, Bouf-e Kour/La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat demeure un récit

déconcertant. Ce livre est considéré comme le chef d’œuvre de cet écrivain, regardé depuis sa disparition

en 1951 comme l’un des principaux fondateurs de la littérature persane moderne. Mais il est imprégné de

multiples contestations des règles traditionnelles de la narration. Il en résulte un texte très étrange et

complexe. L'œuvre est caractérisée par l'absence d'une intrigue cohérente, le refus de personnages bien «

réels», mise en cause de l'aspect réaliste des lieux, une structure temporelle non définie et un univers

irréductible à toute interprétation humaine. Elle exige dès lors une sorte de lecture qui ne peut plus être

linéaire. Dans ce travail de recherche nous allons étudier comment est traité cette rupture avec les

principaux composants du genre romanesque à l’intérieur de ce roman.

Mots-clés : Chouette aveugle, Sadegh Hedayat, roman, anti-roman, structure narrative, lecteur frustré

Introduction

La Chouette aveugle est un récit de

Sadegh Hedayat, qui a commencé par être

diffusé d’une manière très confidentielle,

sous une forme ronéotypée, en 1936, à

Pompay en Inde. Le texte a paru ensuite, en

1941, à Téhéran, en Iran, d’abord sous forme

de feuilleton dans un journal quotidien, Iran,

puis en formatlivre par l’intermédiaire de ce

même journal. Une traduction française par

Roger Lescot a été publiée en 1953, à Paris,

en France, chez José Corti. C’est un récit

mystérieux. Il se présente comme une

confession rapportée à la première personne

par un narrateur anonyme, rongé par le

remord d’avoir commis un acte atroce, un

crime, sans l’avoir vraiment voulu, dans un

état second provoqué par le vin et l’opium. Il

parle, il écrit plutôt, seul, la nuit de ce

meurtre. Il tente de reconstituer les

événements qu’il aurait vécus. Sous sa

plume, dans son propos, d’inquiétantes

visions oniriques et fantastiques surgissent.

Le récit s’interrompt au matin, vêtu des

vêtements maculés de sang, il attend son

arrestation.

L’intention est novatrice. Sadegh Hedayat

cherche manifestement à inventer et à

introduire dans la littérature iranienne un

modèle de récit fantastique, dans une prose

qui n’existait pas auparavant. C’est un anti-

roman, c’est-à-dire, un récit romancé qui se

caractérise par le refus des conventions

antérieures du genre, l’intrigue, la

conception du héros et des personnages, le

recours à la psychologie, et qui récuse à

l’avance toute tentative d’interprétation

définitive. C’est à Charles Sorel que l’on

doit le terme avec son Antiroman ou

l’histoire du berger Lysis, une œuvre parue

en 1633-34. Le terme «anti-roman» renvoie

à l’époque moins à une forme précise de

fiction narrative qu'à un matériau donné:

16/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

celui de la pastorale amoureuse dont Charles

Sorel montre le ridicule et dénonce les

conventions. Le sens du terme s’est élargi

depuis pour désigner le refus des formes

traditionnelles du roman et des codes

narratifs. Jean-Paul Sartre propose une

définition pertinente en pensant aux

nouveaux romanciers des années 1950,

regroupant des écrivains au style différent,

entre autres, Alain Robbe-Grillet, Nathalie

Sarraute, Michel Butor, etc. «Les anti-

romans», écrit-il, «conservent l’apparence et

les contours du roman ; ce sont des ouvrages

d’imagination qui nous présentent des

personnages fictifs et nous racontent leur

histoire. Mais c’est pour mieux décevoir: il

s’agit de contester le roman par lui-même, de

le détruire sous nos yeux dans le temps

qu’on semble l’édifier.» (Sartre, 1956:7).

Dans La Chouette aveugle, Sadegh

Hedayat semble dénoncer les codes du

roman en prenant clairement position contre

eux. Notre recherche est une étude de

l’aspect anti-romanesque de ce roman. Le

choix de ce sujet nous paraît original et

innovant, quoique le terme de l’anti-roman

est déjà vieux et qu’il existe une grande

lacune dans la bibliographie critique de ce

roman. La plupart des œuvres consacrées à

ce roman ont mené à des analyses simples,

non approfondies et variées qui même

parfois se contredisent. La question

principale qui n’a jamais été posée dans les

ouvrages écrits sur La Chouette aveugle, en

persan ou en français, concerne la remise en

cause de la structure narrative employée par

l’auteur. Par cet aspect, ainsi que par bien

d’autres, La Chouette aveugle préfigure, en

1941, en persan, ce qui s’affirmera dans la

littérature française, à partir du début des

années 1950, sous le nom du «Nouveau

Roman». Nous cherchons à étudier

également comment se manifestent les

caractéristiques anti-romanesques dans ce

roman aux niveaux texture, du texte ou dans

son contenu? Qu’en est-il donc du traitement

du titre, du personnage, du temps, de

l’espace, du sujet, etc.? Comment cette

rupture avec l’esthétique ancienne, insistant

sur l’idée de la création d’un roman insoumis,

subversif, contribue-t-elle à introduire le

roman moderne en Iran?

Un titre ambigu

Occupant une place indéniable dans le

péritexte, le titre joue un rôle très important

dans la relation lecteur/ texte. Genette

affirme que le titre, en tant qu’élément

extradiégétique, remplit plusieurs fonctions.

«La première [fonction], seule obligatoire

dans la pratique et l’institution littéraire, est

la fonction de désignation, ou

d’identification. Seule obligatoire, mais

impossible à séparer des autres, puisque,

sous la pression sémantique ambiante, même

un simple numéro d’opus peut s’investir de

sens. La deuxième est la fonction

descriptive», son rôle étant celui de décrire

le contenu du texte (Genette, 1987: 89). Mais

dans La Chouette aveugle, l’histoire ne

permet pas d’en élucider immédiatement le

sens. Dans les premières pages du récit, le

narrateur exprime son désir d’écrire dans une

solitude absolue, en une sorte de fuite du

monde des hommes. «En effet, la pratique de

la vie m’a révélé le gouffre abyssal qui me

sépare des autres: j’ai compris que je dois,

autant que possible, me taire et garder pour

moi ce que je pense. Si, maintenant, je me

suis décidé à écrire, c’est uniquement pour

me faire connaître de mon ombre» (Hedayat,

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat …/ 17

1953: 25), déclare-t-il. Il a choisi de ne

s’adresser qu’à son ombre. Vers la fin du

récit, l’ombre du personnage finit par

ressembler à un rapace, la chouette. «Mon

ombre sur le mur était exactement celle

d’une chouette» (Hedayat, 1953: 183),

découvre-t-il, hagard. Cette ombre animale,

enfin, qui se penche sur son épaule pour lire

ce qu’il écrit, le terrifie. Ce sont en

apparence des détails insignifiants, indiqués

sans y prendre garde. Ce sont en réalité des

indices, une invitation à décrypter le titre du

roman. Le fait que l’ombre devienne un être

animal est aussi significatif. En Iran, les

chouettes sont considérées en général

comme des oiseaux de mauvais augure. Ces

rapaces nocturnes habitent des ruines. Ce

sont des témoins et des présages de mort et

de destruction. Ce sont des êtres

démoniaques. Dans la mythologie grecque,

la chouette est le symbole d’Athéna, la

déesse de la guerre mais aussi de la sagesse.

Plusieurs raisons, analysées par Pierre

Miquel dans son Dictionnaire symbolique

des animaux l’expliquent. Comme le savant,

la chouette est un animal solitaire qui aime le

silence. De plus, «ses yeux clairs, son regard

fixe et ses gros sourcils confèrent à cet

oiseau une expression sagace. C’est pour

cette raison qu’il est choisi comme symbole

de la sagesse dans la Grèce classique»

(Miquel, 1991: 167), conclut cet auteur. Les

significations symboliques associées à la

chouette sont très contradictoires dans les

deux cultures orientales et occidentales. Ce

symbolisme est surtout maléfique dans le

roman. Cette chouette est un oiseau nocturne,

solitaire, un avatar de la nuit, un signe ou un

présage de malheur. Le narrateur lui

ressemble en quelques points: il est, lui aussi,

solitaire. Il se sent également victime d’une

malédiction obscure. Mais il est aveugle. Il

ne réussit pas à voir en son for intérieur, à

comprendre le sens de ses actes. Il est une

sorte de devin aveugle, privé à la fois de

clairvoyance et de discernement. Il entrevoit

certes un mystère. Il ne réussit pas à en

pénétrer le secret. L’alliance de termes

contradictoires contenue dans le titre de ce

récit, La Chouette aveugle, insiste sur cette

équivoque.

Le titre produit de l’ambiguïté et de

l’incertitude. Se trouvant dans une situation

paradoxale, il informe et en même temps, se

garde de donner trop d’informations. La

relation logico-sémantique entre le titre et le

texte est différente de celle qu’on trouve

dans les romans traditionnels, où le titre

s’affiche comme un résumé du texte qu’il

subsume. Le mouvement dialectique entre

titre et texte est devenu apparemment

impossible: le titre semble refuser toute

responsabilité vis-à-vis de son texte. Le titre

perd donc sa fonction référentielle et semble

coller difficilement à son texte.

Une histoire camouflée

Dans La Chouette aveugle, un narrateur

anonyme parle de lui-même. Au fil de ses

confidences, on apprendra qu’il est un métis

indo-iranien, probablement plutôt indo-

turkmène. La mère aurait été une danseuse

indienne, une bayadère originaire de la ville

de Bénarès, et consacrée à un temple de

Lingam1. Son père, un commerçant iranien,

mais, semble-t-il, d’une famille d’origine

turkmène, se serait rendu jusqu’à Bénarès

pour ses affaires. Il serait tombé rapidement

amoureux de cette bayadère. Il l’aurait

1

Lingam correspond à une représentation

traditionnelle de dieu Shiva, sous la forme d’une

pierre dressé, souvent d’une apparence phallique.

18/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

séduite. Le narrateur aurait été le fruit de leur

amour. Le père se serait aussi converti «à la

religion de Lingam» (Hedayat, 1953: 94),

c’est-à-dire au culte de Shiva, le dieu de la

destruction dans la religion hindoue.

L’action se déroule dans une famille

turkmène. C’est une histoire très exotique

qui est racontée, y compris pour des lecteurs

iraniens. De proche en proche, le narrateur

est amené à expliquer les circonstances qui

l’ont poussé à écrire, à confesser.

Un autre sujet apparaît, le récit d’une

succession de visions, d’apparitions et

d’hallucinations, qui aurait commencé à se

produire un jour fatal, au treizième jour du

printemps, le «jour de Norouz»2

dans le

calendrier iranien. Ce treizième jour est

considéré en Iran comme un jour néfaste. Il

est de tradition de quitter sa maison, toute

cette journée, pour se garder d’un mauvais

sort. Ce jour-là, le narrateur a choisi de rester

dans sa demeure, dans sa chambre, pour

décorer des écritoires en cuir. Un inconnu

survient, qui prétend être son oncle, le frère

de son père, que le narrateur n’avait jamais

connu auparavant. Sur ces circonstances, en

cherchant à se procurer une bouteille de vin

conservée sur une étagère, le narrateur

éprouve une vision. Une mystérieuse jeune

femme, au regard étrange, fascinant, apparaît

à ses yeux. Le narrateur reste en extase.

Quand il reprend conscience, une autre

histoire commence, celle d’une quête.

Pendant «deux mois et quatre jours»

(Hedayat, 1953: 26), nuit après nuit, le

2 La fête du Nôrouz est une fête traditionnelle qui

commémore le nouvel an du calendrier iranien

coïncidant le premier jour du printemps. Nôrouz est

célébré depuis des milliers d’années et est

profondément enraciné parmi les rituels et les

traditions du Zoroastrisme.

narrateur va tenter de retrouver autour de sa

maison le lieu qu’il aurait entrevu pendant

cette apparition. Pour essayer d’oublier cette

vision, le narrateur est tenté d’augmenter ses

«doses d’alcool et d’opium» (Hedayat, 1953:

39). Le récit se transforme alors en une autre

confession, celle d’un fumeur d’opium, ce

qui paraît être à l’origine de la légende qui a

voulu faire de Sadegh Hedayat un opiomane.

Les visions se succèdent. Le récit devient

onirique. C’est encore un autre sujet qui est

abordé, le délire apparent du narrateur.

Le narrateur déclare qu’il veut raconter

une expérience, un «accident»

«métaphysique» qui l’a profondément

marqué. Il répète à plusieurs reprises qu’il

écrit par «besoin d’écrire» comme s’il

s’agissait d’une nécessité vitale. Il tente de

reconstituer des événements apparemment

douloureux vécus par l’écriture et place son

récit sous le signe de l’introspection, de

l’analepse, du retour en arrière.

Le roman comprend deux parties. Dans la

première partie, le narrateur raconte sa

rencontre avec cette femme mystérieuse,

inconnue, dont le visage et le regard n’ont

cessé de le hanter. Dans la seconde, il se

livre à des retours en arrière sur son passé. Il

rapporte les circonstances de sa naissance et

de son enfance, l’histoire de ses parents, il

nous fait part de ses difficultés conjugales.

Au terme de sa confession, il se décrit

couvert de taches de sang et il attend son

arrestation. Une autre intrigue, policière,

apparaît. Au cours de la nuit, dans une crise

de démence, il aurait tué, poignardé sa

propre épouse. C’est encore un autre sujet, le

lien d’un fait divers, camouflé en un récit

fantastique.

La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat

est-elle un récit autobiographique? Est-ce un

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat …/ 19

récit onirique? Est-ce une tentative

d’introspection? Est-ce un récit policier? Le

dessein secret de l’auteur paraît très

camouflé. Hedayet part, semble-t-il, du lien

d’une anecdote et d’un fait divers, c’est-à-

dire l’aveu d’un meurtre. Il masque cette

révélation sous les apparences d’une

confession délirante, celle d’un opiomane. Il

présente aussi cette histoire comme une

pseudo-autobiographie. Du surcroît, dans le

détail, ce texte apparaît comme une

provocation religieuse manifeste.

Une structure circulaire

Le traitement de la structure de ce roman

est très particulier. La situation initiale et la

situation finale sont identiques. Nous lisons

ainsi dans la première partie, l’histoire du

narrateur qui après avoir retrouvé la femme

morte, l’enterre très loin de la ville. Les

dernières lignes de la première partie

dépeignent ainsi la fin de l’anecdote: «Mon

travail terminé, j’examinai mes vêtements;

ils étaient maculés de terre et déchirés, le

sang coagulé s’y coulait en caillots

noirâtres.» (Hedayat, 1953:65) Ces lignes

annoncent le début de la deuxième partie où

le narrateur se décrit comme suit lorsqu’il se

réveille dans le nouveau monde: «J’avais le

corps en feu ; des taches de sang maculaient

mon abâ, mon foulard, mes mains.»

(Hedayat, 1953: 78) Ce qui donne l’illusion

d’une continuité entre les deux parties,

comme si on reprenait le récit là où il s’était

arrêté. À la fin du roman, après avoir tué sa

femme avec un couteau, le narrateur conclut

ainsi son histoire : «Mes vêtements étaient

déchirés, de la tête au pied. J’étais couvert de

sang coagulé. Deux hannetons voletaient

autour de moi.» (Hedayat, 1953: 191) La

forme qui permet le mieux de revenir sur soi

de manière à exécuter une boucle parfaite,

c’est le cercle. Nous pouvons proposer ci-

dessous le schéma de la structure circulaire

du roman.

Première partie (pp. 23-77) Pages intermédiaires (pp. 78-79)

Pages finales (pp. 190-191) Deuxième partie (pp. 80-189)

À l’intérieur de ce premier cycle se

trouvent d’autres cycles, plus petits qui

reproduisent le même mouvement. Le récit

suscite un sentiment ambigu de faire à

chaque fois une nouvelle traversée du texte

mais tout en ayant progressé, la narration n’a

pas vraiment évoluée. L’action du roman est

intérieure. Ce sont des réflexions, des

associations d’idées, des scènes répétées, des

hallucinations qui semblent toujours

recommencer tout en devenant de plus ne

plus inquiétantes. Des événements se

produisent certes mais ils ont tendance à se

répéter. À la clôture structurelle se superpose

l’absence de clôture narrative et cette

disjonction entre fin du récit et non-clôture

du discours est bien une forme de dérogation.

La Chouette aveugle appartient à un genre

particulier littéraire, celui de la littérature de

l’enfermement. Le narrateur est claustré. Il

subit une situation énigmatique, il est pris au

piège, à l’intérieur d’un labyrinthe qui n’a

20/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

pas d’issue. Cette caractéristique a été

remarquée par Youssef Ishaghpour qui dans

Le Tombeau de Sadegh Hedayat fait allusion

à cette réflexion: « ce sentiment

d’enivrement, de terreur, de cauchemar,

d’oppression obsédante, de vertige et

l’impossibilité d’échapper à un cercle, cette

poussée fatidique vers le centre du labyrinthe,

[…] créent le caractère d’apparition de cette

œuvre, de son sens dans son retrait, de ce

qu’elle a d’irréductible.» (Ishaghpour, 1991:

58) Le délire prêté au narrateur retourne sur

lui-même, indéfiniment. Le dénouement jette

un éclairage nouveau sur l’ensemble de

l’histoire et invite à la relecture du texte. La

reprise fait découvrir de nouvelles

interprétations.

Un personnage multiplié

Dans La Chouette aveugle, la question du

personnage est d’autant plus complexe qu’il

y a une sorte de déconstruction et de

brouillage du personnage au sens traditionnel

du terme. Les personnages n’ont pas

d’identité stable, définie par un nom propre.

Vincent Jouve définit ainsi la fonction du

nom propre dans la construction du

personnage: «L’être du personnage dépend

d’abord du nom propre qui, suggérant une

individualité, est l’un des instruments les

plus efficaces de l’effet du réel. […]

L’élimination du nom ou son brouillage ont

donc pour conséquence immédiate de

déstabiliser le personnage.» (Jouve, 2001:

57-58) Le narrateur de La Chouette aveugle

ne révèle jamais son nom. Tout au plus se

répète-t-il comme «un jeune homme débile

et malade» (Hedayat, 1953: 82)

manifestement atteint de folie et de délire.

L’absence de nom tend à remettre en cause

la stabilité de la notion de « sujet » telle qu’il

est définit dans les romans traditionnels.

La femme éthérée, mystérieuse,

énigmatique, qui apparaît dans la première

partie du récit ne porte pas de nom. C’est

toujours par le pronom «Elle» que le

narrateur y fait référence. Cependant, ce

pronom écrit avec un «e» majuscule n’est

qu’un choix de la part du traducteur, Roger

Lescot, car dans le texte persan rien

n’indique dans le pronom qui est utilisé en

persan cette idée de majesté. C’est une

manière de transformer en français ce

principe féminin en une espèce d’allégorie.

D’une manière tout à fait opposée, dans la

deuxième partie du récit, c’est l’adjectif

«garce», une appellation fortement connotée

négativement qui remplace le nom de la

femme du narrateur. Ce mot apparaît de

façon récurrente dans la deuxième partie :

«Je l’appelle garce parce qu’aucun autre

nom ne lui va aussi bien. Je ne veux pas dire

«ma femme», car nous n’étions pas mari et

femme ; ce serait mentir à moi-même. De

toute éternité, je l’ai appelé «garce»

(Hedayat, 1953: 113). D’un côté, le mot

garce suggère la haine du narrateur à l’égard

de sa femme, de l’autre, ce mot suscite en

même temps en lui un désir vif, ce qui

pourrait démontrer aussi son comportement

et ses sentiments contradictoires (l’amour et

la haine) vis-à-vis de la femme. Il écrit:

«Mais la garce…Ce nom que je lui donnais

excitait encore mon désir et me la faisait

apparaître plus vivante et plus chaude.»

(Hedayat, 1953: 174) La seule fois où il

donne un autre nom à sa femme, c’est dans

un discours rapporté par le petit frère de la

garce qui rend visite au narrateur et lui

apporte des gâteaux. Mais ici aussi, le mot

utilisé (Châh Djân) est un surnom ancien

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat …/ 21

mais très courant en Iran pour interpeller la

mère: «Châh Djân me les a donnés pour toi».

Car il appelait ma femme «Châh Djân»

comme si elle avait été sa mère.» (Hedayat,

1953: 122) Une fois aussi le narrateur parle

du vrai nom de la garce qu’il ne révèlera

pourtant pas: «Je l’appelai même, à plusieurs

reprises, par son vrai nom, qui avait comme

une résonance singulière. Mais, dans mon

cœur, au fond de mon cœur, je répétais:

«Garce…garce…» (Hedayat, 1953: 169).

Les autres personnages sont également

appelés d’une manière impersonnelle. Il y en

a qui sont uniquement caractérisés par un

lien familial tel l’oncle, le père, la tante, le

beau-père, ou avec des adjectifs parfois

accompagnés du nom de métier: «le vieux

fossoyeur», «le vieux brocanteur», «le

boucher», «le médecin», «la nourrice», «la

bayadère», etc. Ainsi, l’auteur ne donne-t-il

pas un état civil à ses personnages mais en

donne un portrait, une image virtuelle.

L’anonymat des personnages évoque, d’une

manière générale, l’idée de présence/absence

des personnages tout au long du récit, leur

confère un aspect fantomatique. Ils sont

décrits comme dématérialisés en quelque

sorte. Ils tendent à se confondre avec des

spectres, des esprits, ou d’autres entités

surnaturelles. Le premier, c’est l’oncle du

narrateur. «En tout cas, mon oncle», raconte

celui-ci, «était un vieillard bossu, la tête

entourée d’un turban indien, les épaules

couvertes d’un abâ jaunâtre en loques. Il

avait le visage emmitouflé dans un cache-

nez, mais on voyait son col largement

échancré et sa poitrine velue. On pouvait

compter un par un les poils de sa barbe rare,

qui s’échappaient des plis du foulard. Ses

yeux étaient malades et rouges ; il avait un

bec-de-lièvre.» (Hedayat, 1953: 30-31) Ce

portrait est construit autour de deux axes,

l’un empreint de négativité et de morbidité,

marqué par les termes «bossu», «malade»,

«rouge», «bec-de-lièvre», l’autre renvoyant à

une énigme, «entourée», «couverts»,

«emmitouflé», «cache-nez». La description

physique du personnage s’en tient à ces

notations. On apprendra seulement dans la

deuxième partie qu’il s’agit du frère jumeau

du père. La gémellité insinuera un doute sur

l’identité de ces deux frères. Le malaise

s’accentuera dans la deuxième partie du

roman, quand le vieux brocanteur est décrit

presque avec les mêmes termes: «il reste figé

dans une invariable attitude. Un cache-nez

crasseux lui entoure le cou ; il porte un abâ

en laine de chameau et les poils blancs de sa

poitrine s’échappent à travers son col ouvert.

Ses paupières sont brûlées, rongées par une

maladie tenace et insolente.» (Hedayat, 1953:

89) Ce dernier vieillard reste figé. Il demeure

immobile. Il garde le silence. Presque

aucune communication ne s’établit entre le

narrateur et le brocanteur, à l’image de la

quasi absence de dialogues dans le fil du

récit. Nonobstant la description assez

repoussante du marchand, le narrateur ne

ressent pas de mépris envers lui. Il se met

même à l’admirer: «le vieux brocanteur

n’était pas un polisson vulgaire et insipide,

du genre de ces coureurs qui attirent les

femmes luxurieuses et bêtes. Les souffrances

et les malheurs qui s’étaient déposés par

couches sur son visage, le dégoût

qu’inspirait sa personne, lui conféraient, sans

peut-être qu’il en eût conscience,

l’apparence d’une sorte de demi-dieu.»

(Hedayat, 1953: 164) Ce vieux brocanteur se

voit ainsi comparé à une divinité dans son

extrême décadence. Il est presque un dieu

déchu.

22/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

Un autre personnage, brièvement évoqué,

est le beau-père du narrateur. Il est, lui aussi,

«un vieillard bossu». Il est décrit de façon

suivante: «Voûté, un cache-nez noué autour

du cou, mon oncle, le père de la garce,

apparut. Il eut un rire sec, terrible, à vous

faire dresser les cheveux sur la tête. Il riait

sans nous regarder, mais si fort que ses

épaules tremblaient.» (Hedayat, 1953: 99-

100). Mais c’est à travers la description du

beau-frère, le petit frère de la «garce»,

l’épouse du héros du récit, qu’on arrive à

avoir une description plus détaillée de ce

beau-père: «son jeune fils, mon beau-frère,

était assis sur le perron. L’enfant ressemblait

au vieux comme deux gouttes d’eau. Il avait

des yeux bridés de Turcoman, les pommettes

saillantes, le teint mat, le nez sensuel, le

visage maigre et brutal.» (Hedayat, 1953:

121). Ces portraits ne sont que des reflets

successifs. Le beau-frère ressemble à son

père, le beau-père du narrateur, qui a les

mêmes caractéristiques que le père, l’oncle,

le vieux fossoyeur et le brocanteur. Il a

également les mêmes caractéristiques que

«la garce», la femme du narrateur. Le

narrateur révèle au fur à mesure de sa

confession que toutes ces entités

surnaturelles sont autant de reflets de lui-

même qui existent en lui-même. «Ces

masques d’épouvante, de crime, de comédie,

se substituaient les uns aux autres, à la

moindre injonction de mes doigts ; celui du

vieux débrideur de Coran, celui du boucher,

celui de ma femme ; je les voyais se

superposer au mien, comme s’il n’en avait

été que le reflet. Ils étaient tous en moi»

(Hedayat, 1953: 171), prend-il conscience.

Son propre visage disparaît sous cette

superposition d’apparences qui semblent

prendre possession de sa personnalité. Il en

résulte un phénomène de dédoublement, de

scission de son identité. «C’était une

décision terrible.», révèle-t-il, «Je sortis du

lit et, ayant relevé mes manches, je pris le

couteau à poignée d’os que j’avais caché

sous mon oreiller puis, voûtant le dos, je

jetai sur mes épaules un abâ marron et me

couvris la figure d’un cache-nez. Au même

instant, je sentis en moi une personnalité

double, un complexe du boucher et du

brocanteur.» (Hedayat, 1953: 175-176)

Un temps cyclique

Le temps de la fiction ne fait référence à

aucune chronologie. C’est à l’aide de

quelques indices éparpillés dans le texte que

le lecteur arrive à peu près à situer le récit

dans un cadre temporel. Voici quelques

exemples d’après les propos du narrateur, la

première partie du roman se déroule dans la

ville de Ray. Au cours de cette partie, le

narrateur propose une fois, «Deux qerans et

un abbâsi» (Hedayat, 1953: 62) au vieux

cocher qui le conduit au cimetière. C’est la

monnaie courante du début du vingtième

siècle jusque dans les années soixante en

Iran. Le narrateur cite également le nom de

Chah Abd-ol Azim, un cimetière connu près

de Ray à cette même époque et jusqu’à

aujourd’hui. Il utilise aussi à plusieurs

reprises le mot cheragh pour la lampe et

takhtekhab pour le lit, les objets qui

appartiennent à une époque récente. Ces

éléments montrent que l’époque où se

déroule l’histoire de cette partie pourrait

correspondre soit à un moment du XXe

siècle, soit à celui de la rédaction du livre

vers 1936. Mais dans la deuxième partie, le

monde dans lequel le narrateur se trouve est,

d’après ses propos, beaucoup plus ancien. La

ville de Ray décrite était encore une grande

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat …/ 23

ville au bord de Souren et s’appelait Rhagès3.

La monnaie était: « Deux dirhams et quatre

pâchiz » (Hedayat, 1953: 163), une monnaie

médiévale qui date de l’ère d’Omar,

deuxième calife après l’Islam. Il existe un

décalage de quatorze siècles environ entre

les deux parties. Le narrateur utilise

également le mot, rakhtekhab pour le lit et la

lampe à huile et parle des Daroughe et

Gazmeh (signifiant les veilleurs de nuit) qui

sont des termes utilisés bien avant le

vingtième siècle. Il existe toutefois des

confusions entre les deux parties. Dans la

deuxième partie par exemple, le narrateur

parle une fois de la place Mohammadiyév

(Hedayat, 1953: 124), nom d’une place qui

existait à l’époque où se passe l’histoire de la

première partie (au vingtième siècle et pas

avant). Les temps sont étrangement

mélangés. Ainsi La Chouette Aveugle est en

quelque sorte, un récit de tous les temps ou

autrement dit un récit intemporel. L’ordre

chronologique du récit obéit à l’imagination

et aux hallucinations du narrateur qui nous

ramène du présent vers un passé très lointain.

Il brouille la chronologie et donne naissance

à un tourbillon temporel parfois difficile à

décrypter.

Le temps du récit est comme le temps du

mythe de l’éternel retour, un temps qui se

définit par «la reprise éternelle des mêmes

phénomènes dans un développement

temporel de l’ordre du cycle.» (Bardeche,

1999: 157). À la fin de la première partie du

récit, lorsque le narrateur compare le dessin

3 L’origine de Ray se perd dans la nuit des temps.

L’orgueil des anciens Mages lui donnait pour

fondateur Chus, petit-fils de Noé. Quelques historiens

persans la font remonter à Houcheng Pichdadi, l’un

des rois de cette première dynastie iranienne des

légendes. Elle était connue sous le nom de Rhagès

aux temps bibliques.

qu’il a fait de la femme éthérée avec celui du

vase antique de Rhagès que le vieux cocher

lui a donné, et qu’il constate que les deux

sont parfaitement identiques, après avoir

traversé un moment d’oubli absolu, il

remonte vers un temps au-delà de son passé

humain, vers le temps lointain de l’origine

du dessin : «Je comprenais que j’avais eu

autrefois un compagnon de misère. Cet

ancien décorateur, ce décorateur qui avait

peint le vase, il y avait de cela des centaines

et peut-être des milliers d’années, n’avait-il

pas été mon compagnon de douleur?»

(Hedayat, 1953: 73) Il croit réincarner le

décorateur de ce vase. Cette croyance en une

métempsychose, en une migration des âmes

d’un corps à l’autre, d’une génération sur

l’autre, tend à nier sa propre participation

aux événements tragiques qui se sont

produits et à le disculper, à le décharger de la

sorte d’un poids considérable. Puis, il se

tourne vers ce temps lointain, disparu depuis

«des centaines et peut-être des milliers

d’années» (Hedayat, 1953: 73), et considère

le décorateur de ce vase comme un

«compagnon» qui aurait traversé «les mêmes

états d’âme que [lui]» (Hedayat, 1953:73):

«Je venais de comprendre qu’à l’époque où

les hommes dont les os sont depuis

longtemps tombés en poussière, […] il y

avait eu parmi eux un misérable dessinateur,

un dessinateur maudit, quelque pauvre

décorateur d’écritoires probablement, mon

semblable» (Hedayat, 1953: 73). Si moderne

qu’elle puisse paraître en apparence, cette

même histoire s’est déjà produite en des

temps immémoriaux. C’est un retour éternel

du même événement, des mêmes visions et

des mêmes hantises. Les effets de fusion, de

simultanéité entre divers moments dans le

récit provoquent une grande confusion. Le

24/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

processus d’écriture de la confession

s’effectue dans une durée qui semble devenir

immobile. On ne repère aucune chronologie

précise. Le présent de l’écriture n’existe pas

parce qu’il mêle à la fois le passé et l’avenir.

On sent de la part de Sadegh Hedayat une

volonté de subvertir le temps de la narration

pour marquer le caractère indicible de

l’expérience à laquelle le personnage est

affronté.

Un espace étrange

L’espace est un des fondements essentiels

du roman: il apporte des repères et fournit

une logique au déroulement de l’histoire. Or,

l’espace traditionnel est connoté

différemment dans La Chouette aveugle et

n’exerce plus sa fonction de repérage. La

première fois où il quitte sa maison et où il

parcourt les régions, c’est pour transporter le

cadavre de la femme mystérieuse qui est

venue mourir chez lui vers un cimetière,

situé dans la banlieue de Téhéran, à Chah Ab

dol-Azim à l’aide d’un vieux corbillard

délabré. «Un brouillard épais recouvrait les

abords de la route. Le corbillard franchissait

avec une vitesse et une douceur étranges,

collines, plaines, rivières. Autour de moi se

déroulait un panorama tel que je n’en avais

jamais vu, ni en rêve ni à l’état de veille»,

raconte-t-il, «de chaque côté du chemin, on

apercevait des montagnes en dents de scie,

des arbres bizarres, écrasés, maudits, entre

lesquels apparaissaient des maisons grises,

de formes triangulaires ou prismatiques ;

avec de petites fenêtres sombres, dépourvues

de vitres.» (Hedayat, 1953: 60) Les maisons

présentent des formes insolites. Les couleurs

sombres et grises dominent cet espace ainsi

que l’effroi et la peur. Il existe une insistance

sur des formes géométriques, triangulaires

ou prismatiques, inquiétantes et menaçantes.

La nature est hostile et néfaste. La vision de

ce monde chaotique provoque l’angoisse

chez le narrateur. La contemplation de ce

paysage revêt une dimension absurde et

délirante, entretient une angoisse démesurée

et suscite d’autres rêveries effrénées, «ces

fenêtres ressemblaient aux yeux troubles de

quelqu’un qui délire. Je ne sais quelle

particularité avaient les murs, mais ils vous

jetaient le froid au cœur. Il était

inconcevable qu’aucun être vivant n’eût

jamais habité là. Peut-être ces demeures

avaient-elles été construites à l’intention

d’ombres d’êtres éthérés?» (Hedayat, 1953:

60) Tout devient étrange dans cet univers

peuplé par des ombres et des esprits qui

représentent en quelque sorte le monde de

l’au-delà.

Une puissance maléfique habite ces lieux.

L’auteur se livre alors à une longue tentative

de description de cet espace irrationnel et

monstrueux: «le cocher empruntait sans

doute un itinéraire insolite ou quelque

chemin détourné», observe-t-il. «À certains

endroits, seuls des troncs coupés et des

arbres difformes se dressaient aux abords de

la route. Au travers, on apercevait des

maisons, les unes basses, les autres élevées,

mais toujours de formes géométriques,

coniques ou en tronc de cône, avec des

fenêtres étroites et obliques, d’où

s’échappaient des capucines violettes qui

grimpaient le long des murs.» (Hedayat,

1953: 60-61) L’insolite et le difforme

caractérisent les régions qui sont traversées.

Rien n’y semble ordinaire. De cette étrangeté

se dégage une atmosphère oppressante. Le

narrateur essaie de restituer un monde qui

serait en train de se décomposer. Les formes

bizarres, anormales servent à suggérer ce qui

En quoi La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat …/ 25

échappe au langage, à faire partager au

lecteur l’état délirant où le narrateur se

trouve plongé, dans un rêve particulièrement

maléfique. C’est un sentiment lugubre et

funèbre qui est décrit par Sadegh Hedayat en

ces lieux sinistres. Le narrateur découvre au

fur et à mesure du récit les abîmes de son

être intérieur. Il en éprouve une terreur

indicible. L’espace est présenté à l’image de

son être, de son désarroi intime. Son âme

aurait ses propres démons, à savoir ces

ombres qui se trouvent projetées sur le décor

environnant. Les métaphores spatiales se

transforment en des symboles de cet univers

intérieur, maladif, morbide. L’exploration de

cet autre monde, inquiétant, surnaturel, qui

surgit mène le narrateur de La Chouette

aveugle jusqu’au bout de l’horreur.

Nécessité d'une lecture active

Le récit, lors de la première lecture, paraît

comme un texte décousu. Le lecteur cherche

une cohérence et une signification entre une

structure d’ensemble bien travaillée et le

foisonnement désordonné des expériences et

des sensations décrites par le narrateur.

Umberto Eco dans son ouvrage Lector in

Fabula, insiste sur le rôle fondamental du

lecteur dans la construction du sens. Selon

lui, entre le lecteur et le texte, une série de

relations et de tactiques s’installe qui risque

de modifier la nature du texte originel: « Un

texte veut laisser au lecteur l’initiative

interprétative, même si en général il désire

être interprété avec une marge suffisante

d’univocité. Un texte veut que quelqu’un

l’aide à fonctionner.» (Eco, 1985: 64)

Le rôle du lecteur dans la compréhension

du roman de La Chouette aveugle paraît

primordial, loin du lecteur passif des longs

romans classiques où tout est clair et rangé.

Le lecteur cherche une signification entre

une structure bien travaillée et le

foisonnement des énigmes et des mystères

décrits par le narrateur. Le narrateur de La

Chouette aveugle partage ses sensations et

ses perceptions et mêle événements réels et

imaginaires. Les phrases sont entourées d’un

halo d’indétermination chargé de

suggestions diverses. Nous entendons

souvent dire que l’écriture exige une certaine

puissance imaginative de la part de l’écrivain

mais en ce qui concerne La Chouette aveugle

la lecture aussi en demande autant. Au cours

de la lecture du texte en se référant à ses

savoirs occidentaux et orientaux le lecteur

tente reconstituer l’univers que l’écrivain a

mis en mots. Il essaie de former à partir de la

multitude d’informations fournies par le

narrateur, une vision cohérente de son

univers insaisissable. Cette diversité de

l’interprétation semble être une des

caractéristiques de La Chouette aveugle qui

pourrait le ranger parmi les œuvres dites

"ouvertes", c’est-à-dire celles «qui se

prête[nt] délibérément à l’interprétation, qui

interdit par sa constitution même, une vision

unique.» (Eco, 1965: 57) Umberto Eco dans

son ouvrage l’œuvre ouverte considère

certaines œuvres contemporaines ouvertes

car elles pourront être envisagées et

comprises selon des perspectives multiples.

Chaque lecteur selon ses savoirs culturels

choisit la clef qui lui semble la meilleure

pour entrer dans l’univers énigmatique de ce

récit. Un lecteur iranien a tendance à

l’interpréter comme un récit oriental, par

contre, un lecteur occidental n’hésite pas à le

ranger parmi des œuvres occidentales. C’est

pourquoi il existe nombre de variété dans les

écrits critiques sur La Chouette aveugle qui

tantôt se complètent et tantôt se contredisent.

26/Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

Celle-ci va donc complètement à contre-pied

des règles habituelles de la narration et

rompt avec la construction linéaire.

Conclusion

Sadegh Hedayat a ressenti le besoin de se

libérer de l’héritage d’une littérature

traditionnelle millénaire, et de tenter

d’introduire dans le pays un art plus moderne.

Auparavant, en Iran, la littérature faisait une

très grande part à la poésie et la prose n’avait

pas encore trouvé sa place. Si en France, le

roman moderne avait pris forme depuis le

XVIIe siècle, en Iran c’est vers le milieu du

XXe siècle qu’il est apparu. Sadegh Hedayat

décide de renouveler la littérature persane en

mettant en cause les codes romanesques dans

La Chouette aveugle. Il rejette le roman de

type balzacien dans lequel prime la

chronologie, le personnage et la psychologie.

Le roman manifesterait son plein potentiel

de liberté dans un mouvement à la fois

destructeur et régénérateur, faisant table rase

du passé romanesque. Il met en cause la

fonction même du roman. Le lecteur s’égare

dans la chronique des événements, le héros

se trouve dans un espace insolite avec des

personnages anonymes et identiques et les

scènes se répètent à maintes reprises. Ce

manque de cohérence bouleverse l’ordre du

récit et affecte donc directement le parcours

du lecteur. Après la publication de La

Chouette aveugle, beaucoup d’écrivains

persans ont essayé de s’en inspirer mais

aucun n’est parvenu, à l’exemple de Sadegh

Hedayat, à fondre ensemble toutes ces

innovations en une seule œuvre. La plupart

se sont contentés de lui emprunter quelques

procédés techniques.

Bibliographie

Bardeche, M-L. (1999). Le principe de

répétition. Paris: Harmattan.

Eco, U. (1965). L’Oeuvre ouverte. Paris:

Seuil.

Eco, U. (1999). Lector in fabula. Paris: LGF,

Coll. Le livre de poche biblio.

Genette, G. (1987). Seuils. Paris: Seuil, coll.

« Poétique », sous la direction de G.

Genette et T. Todorov.

Hedayat, S. (1953). La Chouette aveugle.

traduit du persan par Roger Lescot. Paris:

José Corti.

Ishaghpour, Y. (1991). Le Tombeau de

Sadegh Hedayat. Paris: Fourbis.

Jourde, P. & Tortonese, P. (1996). Visage du

double, un thème littéraire. Paris: Nathan

université.

Jouve, V. (2001). La poétique du roman.

Paris: Armand Colin.

Miquel, P. (1991). Dictionnaire symbolique

des animaux. Paris: Le Léopard d’Or.

Sartre, J-P. (1956). «Préface» à Portrait d’un

inconnu de Nathalie Sarraute. Paris:

Gallimard, coll. « 10/18 »).

*[email protected]

**[email protected]

***[email protected]

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia de Gérard de Nerval

Djavari, Mohammad-Hossein*

Professeur à l’Université de Tabriz, Tabriz, Iran

Afkhami Nia, Mehdi**

Maître de conférences à l’Université de Tabriz, Tabriz, Iran

Daftarchi Nasrin***

Doctorante à l’Université de Tabriz, Tabriz, Iran

Reçu: 14.11.2012 Accepté: 13.10.2013

Résumé:

L’écriture fantastique a un aspect élargi dans la littérature française du XIXe siècle. Ce genre apparaît

pendant ce siècle tantôt sous forme de roman, tantôt sous celle de nouvelle. Au XIXe siècle, les auteurs

s’intéressent de jour en jour à cette forme d’écriture. Aurélia de Gérard de Nerval est un exemple vif qui

représente un univers fantastique par excellence. L’écriture fantastique de cet ouvrage est au service de

l’écriture de soi. Pour mieux développer les techniques textuelles de cette œuvre fantastique, nous

pouvons faire une réflexion profonde sur la structure des personnages, de l’espace et du temps. Toutes ces

structures animent l’autoportrait de l’auteur avec un degré de sincérité. Parallèlement, nous allons étudier

cet ouvrage d’après les théories de Tzvetan Todorov. Toutes ces analyses auront pour seul objectif de

souligner les traits entre l’écriture fantastique et l’écriture de soi. Nous envisageons comprendre comment

l’écriture fantastique du roman d’Aurélia est en correspondance avec les ressorts de l’écriture de soi?

Mots clés: Aurélia, Gérard de Nerval, écriture fantastique, écriture de soi, imagination.

Introduction

Le titre original d’Aurélia aurait dû être

Le Rêve et la vie. Ce récit à «la première

personne» est paru dans «Revue de Paris» le

1er

janvier 1855. Il est formé comme un

journal en deux parties, la première divisée

en dix chapitres, la seconde en six chapitres.

Nerval a commencé l’écriture d’Aurélia en

1853 dans la clinique du docteur Blanche et

l’a ensuite continuée en Allemagne. Le lien

entre le narrateur anonyme et Nerval est

évident et met l’accent sur les dernières

crises de folies de l’auteur. Les techniques

narratives de ce récit reflètent parfaitement

le contenu fantastique de son univers intime.

Nerval traduit ainsi ses inquiétudes par

l’inspiration poétique, par l’intelligence des

choses et des symboles et enfin par la

sublime élégance de son style. Ce récit

comprend ainsi de nombreux éléments

fantastiques destinés à mettre en relief sa

fiction personnelle dans le cadre du texte.

Tous les aspects fantastiques de ce récit

relèvent d’une écriture de soi. Le fantastique

mis en œuvre par Nerval n’est pas un

fantastique détaché du vrai. C’est un

fantastique réel et nourri de ses expériences

personnelles. Nous allons repérer les aspects

que l’auteur emprunte de sa propre vie.

Toutes ces analyses ont pour objectif

d’étudier le degré de fidélité de l’auteur pour

représenter son univers intime dans un cadre

fantastique.

28/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

1. Aurélia, miroir de la vie personnelle de

Nerval

Gérard de Nerval est considéré comme le

véritable créateur de l’univers fantastique. Il

est maître de la description des incertitudes

et des angoisses humaines au XIXe siècle.

En 1851, il sent que sa raison est menacée et

fréquente le docteur Blanche. Il se plonge au

cœur de l’imaginaire les yeux fermés. En

1853, il rédige Aurélia, la rédaction a duré

jusqu’en 1855. Dans cette œuvre l’histoire se

focalise sur le sujet de la rédemption1 sous

une forme autobiographique. Nerval parvient

à employer un style travaillé à l’aide des

formules magiques. Il prend une position

ambivalente entre le romantisme et la

modernité (Tsujikawa, 2008: 11). Les

vecteurs fantastiques de cette œuvre sont

multiples. Le thème de la folie, étant l’une

des formes les plus extrêmes de la perte

d’identité, conduit le personnage à cesser

d’être lui-même. Ce thème produit

l’ambiguïté nécessaire de l’univers

fantastique. L’ambigüité constitue le centre

de la narration en représentant des crises

psychiques et des perceptions surnaturelles.

Dans cette œuvre, la présence de ces formes

invisibles, impersonnelles et innommables

est accompagnée du sentiment de malaise

(Dillens, 2006: 84) chez le protagoniste.

Aurélia, dernière œuvre de Nerval, est le

récit en prose d’un voyage onirique,

«épanchement du songe dans la vie réelle»

(Nerval, 1868: 6), qui dépeint «les

impressions d’une longue maladie qui s’est

passée tout entière dans les mystères de

l’esprit» (Dédéyan, 1966: 59). Il s’inspire de

sa vie, de son vécu et reflètent ainsi l’image

des personnes proches comme celle de ses

1 Une notion connue pour l’auteur.

parents, de son oncle maternel et de sa fille

aimée. Dans cette œuvre, les frontières entre

le rêve et la réalité se brouillent. La figure de

cette femme, en tant que personnage

principale de ce roman, est composée des

caractéristiques fantastiques qui reflètent la

figure de femme idéale rencontrée par

l’auteur.

Nerval a l’intention de transformer en

langage son expérience du rêve et de la

démence. Il déclare que «le rêve est une

seconde vie» (Nerval, 1966: 753). Une dame

que le narrateur adore au nom d’Aurélia, est

perdue2. Cette image féminine construit

l’élément central de l’univers des rêves de

Nerval. La femme absente joue ainsi un

grand rôle dans l’animation des rêves de

l’auteur. Le complexe de la culpabilité et la

nostalgie du salut règnent dans cette histoire.

Ainsi, Nerval fuit-il cette déception en

s’exilant du monde réel vers celui de

l’imaginaire, de la frénésie à la rêverie

(Raymond, 1843: 22). «Je vais essayer, à

leur exemple, de transcrire les impressions

d’une longue maladie qui s’est passée tout

entière dans les mystères de mon esprit»

(Nerval, 1966: 753). Il semble avoir eu à

cœur d’être vraiment le médecin de son

esprit par l’écriture des phénomènes qui

pèsent sur son esprit. Pour ce faire, il

commence, dans une intention thérapeutique,

à transcrire ses rêves sur le papier et créer

l’image d’Aurélia, en tant qu’une copie de

Jenny. À côté des personnes rencontrées, il

fait allusion aux lieux où il a passé sa vie, où

il a voyagé. En résumé, Aurélia est le miroir

de la connaissance de Nerval avec Jenny

Colon et la perte de cette fille idéale, les

2 Allusion aux filles aimées de Gérard, Sophie et

Jenny.

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/29

crises mentales issues de phénomènes. Cette

œuvre reflète les souffrances profondes de

l’auteur dans un cadre fantastique.

2. Écriture fantastique et ses vecteurs

généraux

Au XIXe

siècle, le fantastique cesse de

correspondre à des préoccupations profondes

grâce à l’évolution des sciences (Marlieu,

1992: 38). Castex affirme que:

«Le fantastique ne se confond pas avec

l’affabulation conventionnelle des récits

mythologiques ou des féeries, qui impliquent un

dépaysement de l’esprit. Il se caractérise au contraire

par une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle

; il est lié généralement aux états morbides de la

conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar

ou de délire, projette devant elle des images de ses

angoisses ou de ses terreurs. (…) il décrit des

hallucinations cruellement présentes à la conscience

affolée, et dont le relief insolite se détache d’une

manière saisissante sur un fond de réalité familière»

(Castex, 1951: 8).

D’après cette définition, cette œuvre peut

être considérée comme un exemple vif de

littérature fantastique. Todorov annonce

qu’«il faut que le texte oblige le lecteur à

considérer le monde des personnages comme

un monde de personnes vivantes et à hésiter

entre une explication naturelle et une

explication surnaturelle des événements

évoqués» (Todorov, 1970: 37-38.). Le

fantastique est donc une espèce de genre

merveilleux dans lequel nous trouvons un

mélange du rationnel et de l’irrationnel qui

produisent le doute et l’hésitation. Cette

hésitation, issue de l’état de crise de l’auteur,

donnera naissance à un espace de suspens

littéraire. Ce qui est, à la fin du XIXe siècle,

dérivé des confusions de la mémoire comme

des rêves et des hallucinations.

2. 1. Fantastique, aventure

narratologique

Dans le cadre de la narratologie et de

l’analyse du dispositif des personnages, nous

nous inspirons des travaux de Genette pour

examiner comment se construisent les

personnages et l’univers dans le cadre du

récit fantastique. Aurélia compte pour une

écriture fragmentaire faite de micro-récits.

Cet ouvrage est remarquable du point de vue

du statut de narrateur qui se métamorphose

totalement en «Je» et marque un degré

d’intimité qui se manifeste dans la narration

fantastique au lecteur. Le pronom de «la

première personne au singulier» invite le

lecteur à sentir plus de sympathie à l’égard

du personnage. Le «je» recouvre

apparemment deux statuts: «Celle du

personnage qui perçoit des mondes inconnus

(il vit dans le passé), et celle du narrateur qui

transcrit les impressions du premier, et vit,

lui, dans le présent» (Gouhier, 2003: 11). Le

narrateur, sous l’impact du cauchemar,

cherche à retracer ses sentiments passés. «Je

vais essayer, à leur exemple, de transcrire les

impressions d’une longue maladie qui s’est

passée tout entière dans les mystères de mon

esprit ; (…)» (Nerval, 1999: 753). Ses

visions relèvent de la folie. Il représente sa

situation en ces termes: «Une dame que

j’avais aimée longtemps et que j’appellerai

du nom d’Aurélia, était perdue pour moi.

Peu importent les circonstances de cet

événement qui devait avoir une si grande

influence sur ma vie» (Nerval, 1999: 754.).

La représentation entre rêve et réalité fournit

un aspect fantastique à cette œuvre.

Le narrateur représente son point de vue à

propos d’«Aurélia» comme une figure

angélique: «une figure dominait toujours les

autres: c’était celle d’Aurélia, peinte sous les

30/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

traits d’une divinité, telle qu’elle m’était

apparue dans mon rêve. Sous ses pieds

tournait une roue, et les faisaient cortège. Je

parvins à colorier ce groupe exprimant le suc

des herbes et des fleurs» Nerval, 1999: 754.).

Cependant, il insiste sur la sincérité de ses

observations: «Je m’informais au dehors,

personne n’avait rien entendu. Et cependant,

je suis encore certains que le cri était réel et

que l’air des vivants en avait retenti»

(Nerval, 1999: 754). Il annonce: «les récits

de ceux qui m’avaient vu ainsi me causaient

une sorte d’irritation quand je voyais qu’on

attribuait à l’aberration d’esprit les

mouvements ou les paroles coïncidant avec

les diverses phases de ce qui constituait pour

moi une série d’événements logiques »

(Nerval, 1999: 758) et «avec cette idée que

je m’étais faite sur le rêve comme ouvrant à

l’homme une communication avec le monde

des esprits, j’espérais (…)» (Nerval, 1999:

453). Plus loin, il poursuit: «Quoi qu’il en

soit, je crois que l’imagination humaine n’a

rien inventé qui ne soit vrai, dans ce monde

ou dans les autres, et je ne pouvais douter de

ce que j’avais vu si distinctement» (Nerval,

1999: 750). Le narrateur se distingue à l’aide

de ses goûts «j’aimais surtout les costumes

et les mœurs bizarres des populations

lointaines, il me semblait [dit-il] que je

déplaçais ainsi les conditions du bien et du

mal ; les termes, pour ainsi dire, de ce qui est

sentiment pour nous autres Français»

(Nerval, 1966: 755). L’illusion se manifeste

dans l’énoncé: «déjà leurs formes ravissantes

se fondaient en vapeur confuses» (Nerval,

1966: 755) et «les contours de leurs figures

variaient comme la flamme d’une lampe»

(Nerval, 1966: 772). Ainsi que «les objets et

les corps sont lumineux par eux-mêmes»

(Nerval, 1966:«La femme que je suivais,

(…) faisait miroiter les plis de sa robe en

taffetas changeant». ( Des voix disaient:

«L’univers est dans la nuit» (Nerval, 1966:

773).

À ce propos, Pierre Castex écrit: « Le

fantastique en littérature est enfanté par les

rêves, la superstition, la peur, le remords, la

surexcitation nerveuse ou mentale, l’ivresse

et par tous les états morbides. Il se nourrit

d’illusions, de terreurs, de délire» (Castex,

2011: 6). Le récit d’Aurélia s’inscrit à part

entière, dans les années 1855, représentant le

Second Empire 1852 dirigé par Napoléon

III. D’ailleurs, le narrateur dans un accès de

folie se prend pour Napoléon. «Il me semble

que [dit-il], ce soir, j’ai en moi l’âme de

Napoléon qui m’inspire et me commande de

grandes choses» (Nerval, 1966: 806). Les

événements sociaux fascinent son

imagination et il se perd dans le magma de

sa rêverie pêle-mêle. Ce narrateur intra-

diégétique remplit le rôle de la conscience

réflexive qui ne peut pas chasser ses rêveries

solitaires. Il n’est pas seulement une voix

narrative, mais aussi une position focale qui

coïncide avec celle du personnage (Van

Montfrans, 1999: 93). Le narrateur se

retrouvera à la fin d’Aurélia au sein de livres

et d’objets digne de Faust3 et désigne ainsi

3 Le personnage historique de Faust du XV

e siècle se

flattait d’avoir obtenu des pouvoirs magiques après un

pacte avec le diable. Christopher Marlow écrit en

1588 The Tragical History of Faustus, qui fait de

Faust un personnage que son ambition conduit trop

loin. Le pacte faustien se répète dans le roman de

Friedrich Klinger, ou dans la pièce de Johann Goethe

en 1808. Cependant, Faust ne fut pas le seul

personnage de la littérature diabolique. Nous pouvons

trouver en Grande-Bretagne, des motifs du folklore de

sa région : fantômes, rêves prophétiques, vengeances

post mortem et histoires de sorcellerie. De même,

nous retrouverons ce thème dans de nombreuses

nouvelles du début du XIXe

siècle. Charles Nodier le

met en scène dans La Combe de l'homme mort ; et

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/31

une impression de mosaïque. Le parcours

narratologique de cette œuvre poursuit de

cette manière une démarche labyrinthique.

2. 2. Fantastique et étude des personnages

d’Aurélia

Gérard Genette ne considère pas le

personnage comme un élément narratif

intrinsèque et n’y fait allusion

qu’indirectement par le rôle des personnages

au niveau de la narration ou de la

focalisation. Le personnage fantastique du

XIXe siècle est généralement un homme

comme tout le monde qui a l’étoffe d’un

héros. Il est singulièrement vide, sans

profondeur et sans originalité dans les

caractères. La vacuité intrinsèque du

personnage compte pour la condition

première du récit fantastique (Marlieu, 1992:

53-54). Les personnages fantastiques se

situent toujours entre deux mondes et sont

généralement des êtres anonymes, solitaires

et sans identité stable. Les fantômes sont les

produits des existences subjectives et des

hallucinations des malades comme

schizophrènes, paranoïaques et

psychasthéniques. En vertu de cette logique,

les personnages fantastiques n’appartiennent

pas au monde ordinaire.

Les personnages d’Aurélia sont les

produits d’un mélange mystique du réel et de

l’imaginaire. Le héros de ce roman vit dans

un état somnambule. Il est prisonnier d’un

monde insolite et confronte un parcours où

le désespoir est au rendez-vous (Raymond,

1843: 365). Ils sont les contraires du «génie

à l’état sauvage» (Raymond, 1843: 105).

Charles Baudelaire dans Le joueur généreux, Gérard

de Nerval Portrait du diable. Le diable apparaît aussi

chez E. T. A. Hoffmann L’homme au sabel. (Baudou,

2011: 22).

Gérard est un homme délicat: «Je (Gérard)

fus réduit à lui (Aurélia) avouer, avec

larmes, que je m’étais trompé moi-même en

l’abusant. Mes confidences attendries eurent

pourtant quelque charme, et une amitié plus

forte dans sa douceur succéda à de vaines

protestations de tendresse» (Nerval, 1966:

755-756). Il descend d’une famille favorisée:

«Il me semblait que je rentrais dans une

demeure connue, celle d’un oncle maternel,

peintre flamand, mort depuis plus d’un

siècle. Les tableaux ébauchés étaient

suspendus ça et là ; l’un d’eux représentait la

fée célèbre de ce rivage» (Nerval, 1966: 763-

764). Il est dégoûté par son milieu social:

«j’avais été l’un des jeunes de cette époque,

et j’en avais goûté les ardeurs et les

amertumes.» (Nerval, 1966: 799). Au début,

il doute de sa folie, mais à la fin, il arrive à

croire à sa santé fragile: «je compris, en me

voyant parmi les aliénés, que tout n’avait été

pour moi qu’illusions jusque-là. Toutefois

les promesses que j’attribuais à la déesse Isis

me semblaient se réaliser par une série

d’épreuves que j’étais destiné à subir»

(Nerval, 1966: 765). Nerval a une

personnalité peu complexe: «je faisais part

de ma joie à tous mes amis, et, dans mes

lettres, je leur donnais pour l’état constant de

mon esprit ce qui n’était que surexcitation

fiévreuse» (Nerval, 1966: 755). Sa crise de

personnalité produit l’atmosphère

convenable pour sa vision fantastique de son

amour perdu.

À force des techniques narratives, le

personnage d’Aurélia semble être une

apparition pure d’une image fantastique. Elle

est une apparition pure d’une image

envisagée dans les rêves de Nerval. Elle n’a

pas de portrait physique et naît du reflet d’un

souvenir d’enfance de Nerval et hante

32/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

l’univers de ses rêveries. Aurélia, la femme-

fantôme, est représentée comme une dame

sensible, douce, tendre et difficile: «sa

douceur succéda à de vaines protestations de

tendresse» (Nerval, 1966: 755-756.). Gérard

crée son propre univers fantastique. «Je

frémis en me rappelant une tradition bien

connue en Allemagne, qui dit que chaque

homme a un double, et que, lorsqu’il le voit,

la mort est proche.» (Nerval, 1966: 762). Ou

encore: «j’avais l’idée que l’âme de mon

aïeul était dans cet oiseau ; mais je ne

m’étonnais pas plus de son langage et de sa

forme que de me voir comme transporté

d’un siècle en arrière» (Nerval, 1966: 760).

L’amour est la condition nécessaire pour la

rencontre des éléments fantastiques chez le

héros. Or, tous les personnages principaux

de cette œuvre portent une physionomie qui

les relie à l’atmosphère d’un monde

fantastique. Bref, l’univers fantastique

nervalien abrite les personnages qui

possèdent une identité ambiguë sous la

forme d’une apparence exceptionnelle grâce

aux techniques narratives. Ils sont des êtres

distincts qui souffrent d’un malaise intérieur.

Nous les trouvons sombrer dans leur solitude

accablante.

2. 3. Confusion structurale d’espace et de

temps d’Aurélia

Les écrivains au XIXe siècle ne songent

pas à assimiler le fantastique au surnaturel.

Ils insistent sur le fait que le surnaturel doit

s’inscrire dans le réel. En effet, le fantastique

est avant tout une réflexion sur le réel «j’ai

mon opinion particulière sur la réalité dans

l’art et ce que la plupart des écrivains

considèrent presque fantastique et

exceptionnel constitue pour moi parfois

l’essentiel de la réalité» (Marlieu, 1992: 38.).

L’idée que le monde serait fantastique

constitue une vision absurde (Péju, 1992:

224). L’espace et le temps fantastiques se

manifestent étrangement contradictoires.

L’espace de l’énonciation fait manifester un

temps localisé sur une zone vivifiée par les

désirs. Cet espace allégorique surgit comme

dynamique dans les frontières de l’art

(Schmitz-Emans, 2007: 119).

L’espace se forme d’une nature

tridimensionnelle, «homogène, continu,

réversible, commun à tous les hommes»

(Vax, 1963: 30) qui est la projection de

l’angoisse et joue un rôle déterminant dans

la représentation de l’univers fantastique.

Les apports de l’architecture de ce monde est

fondamentalement plastique. Cet espace

n’est pas figé et englué dans un temps fixe.

L’espace géographique se transforme dans

une zone vivifiée par le désir. L’espace

évolue les protagonistes. Le plan de l’espace

fantastique n’a toujours pas un schéma.

Divers moyens sont mis en œuvre dans la

littérature fantastique pour donner une

atmosphère mystérieuse au cœur de laquelle

l’effet de surprise produit l’impression

inquiétante.

L’espace du roman d’Aurélia se situe

dans les rêves de Gérard.

«Étendu sur un lit de camp, je crus voir le ciel se

dévoiler et s’ouvrir en mille aspects de magnificences

inouïes. Le destin de l’Âme délivrée semblait se

révéler à moi comme pour me donner le regret d’avoir

voulu reprendre pied de toutes les forces de mon

esprit sur la terre que j’allais quitter (...). D’immenses

cercles se traçaient dans l’infini, comme les orbes que

forme l’eau troublée par la chute d’un corps ; chaque

région, peuplée de figures radieuses, se colorait, se

mouvait, et se fondait tour à tour, et une divinité,

toujours la même, rejetait en souriant les masques

furtifs de ses diverses incarnations, et se réfugiait

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/33

enfin, insaisissable, dans les mystiques splendeurs du

ciel d’Asie» (Nerval, 1966: 761).

La description de cet espace tourne d’une

description réelle vers celle d’un espace

fictionnel discontinu.

«Ça et là, des terrasses revêtues de treillages, des

jardinets ménagés sur quelques espaces aplatis, des

toits, des pavillons légèrement construits, peints et

sculptés avec une capricieuse patience ; des

perspectives reliées par de longues traînées de

verdures grimpantes séduisaient l’œil et plaisaient à

l’esprit comme l’aspect d’une oasis délicieuse, d’une

solitude ignorée au-dessus du tumulte et de ces bruits

d’en bas, qui-là n’étaient plus qu’un murmure».

(Nerval, 1966: 768).

Cet univers a une proximité avec l’espace

surnaturel dont la porte s’ouvre dans les

rêves du héros. Nerval peut alors composer

un lieu de mystère et d’anormalité par

excellence dans cet ouvrage. Il offre un lieu

inexploré et inspire une sorte de répulsion

instinctive. Les structures spatio-temporelles

correspondent à l’atmosphère fantastique de

cette œuvre de Nerval.

Le temps fantastique devient réversible et

circulaire. Il peut être voué à tourner

infernalement. Une causalité mystique

produit la démarche de la temporalité

fantastique. Les personnages de cet univers

des merveilles ne sont plus soumis aux lois

de la nature matérielle. Ils ne constituent pas

des êtres réellement actifs et se soumettent à

un destin implacable (Vax, 1963: 33).

«Le récit est une séquence deux fois temporelle

(...): il y a le temps de la chose-racontée et le temps

du récit (temps du signifié et temps du signifiant).

Cette dualité n’est pas seulement ce qui rend

possibles toutes les distorsions temporelles qu’il est

banal de relever dans les récits (trois ans de la vie du

héros résumés en deux phrases d’un roman, ou en

quelques plans d’un montage «fréquentatif» de

cinéma, etc.) ; plus fondamentalement, elle nous

invite à constater que l’une des fonctions du récit est

de monnayer un temps dans un autre temps» (Genette,

1966: 77).

Le roman d’Aurélia a une chronologie

temporelle psychique. Il met en scène des

événements qui sont toujours en va-et-vient

entre le passé et le présent de narration

«j’allai rêver dans la solitude à ce qui me

semblait une profanation de mes souvenirs.

Le soir rendit à mon nouvel amour tout le

prestige de la veille» (Nerval, 1966: 755-

756). Dans ce récit fantastique, seul compte

le temps subjectif ou le temps du

personnage. Autrement dit, l’existence

fantastique des personnages échappe au

temps humain. Nous saisissons le temps

narratif à l’aide de ce que raconte Gérard.

L’événement perturbateur, ce qui compte

pour un point de référence historique

(Marlieu, 1992: 120-125), se situe à son

passé individuel dont l’image ne s’efface pas

de ses rêves.

Tous les éléments descriptifs de l’espace

fantastique fabriquent un «discours de

mimésis» et assimile le lecteur dans un

monde alternatif où les lois n’ont pas besoin

d’être justifiées. Il se situe ainsi dans un

monde fictionnel où l’étrange se produit et

entraîne une situation de crise. L’utopie4 du

fantastique est en dehors d’un ancrage

réaliste, mais avec une ressemblance

considérable à la vie quotidienne. Les

représentations allégoriques du monde

4 L’imagination devient la source commune de

l’utopie et du fantastique. Les deux genres sont assez

distincts. L’utopie provient de l’expérience mentale.

Alors que l’univers fantastique, est l’univers

métamorphosé de notre monde qui est, cette fois,

rempli des choses monstrueuses (Vax, 1963: 17.).

34/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

fictionnel se caractérisent comme l’espace

de l’énonciation. Cet espace métalittéraire et

emblématique est le produit de l’envers de

l’imaginaire. Ce contre-lieu (Marlieu, 1992:

120) se trouve sur la topographie imaginaire

et reconnaît des endroits de crise, d’altérité,

de déviance et de la folie (Marlieu, 1992:

120). Cet endroit n’appartient normalement

pas à une terre concrète.

3. Étude des thèmes fantastiques d’Aurélia

Ce récit fantastique se limite à créer les

émotions effrayantes par la représentation

des signes déments comme l’apparition d’un

trouble engendré par la disparition des

frontières des choses et des ombres. La peur

et l’effroi s’apprivoisent dans la dimension

surnaturelle. Pierre Castex écrit à ce propos:

«Le fantastique en littérature est enfanté par

les rêves, la superstition, la peur, le remords,

la surexcitation nerveuse ou mentale,

l’ivresse et par tous les états morbides. Il se

nourrit d’illusions, de terreurs, de délire»

(Castex, 1947: 8). Ces thèmes sont

parallèlement des troubles psychiques qui

trouvent une valeur créative et littéraire.

Puis, c’est la peur et des sensations voisines

qui nourrissent l’imaginaire littéraire et

atteignent son apogée dans la littérature

fantastique. Autrement dit, le fantastique est

à la fois issu de l’imaginaire angoissé et

source de la peur qui occupe le temps d’une

incertitude. Elle devient la source des crises

psychiques et des perceptions surnaturelles.

L’état de la «folie» qui fournit l’un des

beaux thèmes de l’univers fantastique, a une

valeur indéfinissable. L’univers fantastique

s’est basé sur les émotions humaines les plus

affreuses. Nous pouvons souligner une sorte

de catégorisation entre les émotions comme

alarme, angoisse, crainte, effroi, épouvante,

frayeur, frisson, inquiétude, phobie et

trouble. L’univers fantastique se caractérise

par son atmosphère obscure qui révèle une

permanence du doute face à l’extraordinaire.

Le passage entre le rêve à la réalité reste

éternellement très étroit. Maintenant, nous

nous intéressons aux thèmes remarquables

de genre fantastique dans cet ouvrage.

La folie est utilisée dans un sens différent

pour créer l’ambiguïté indispensable de

l’univers fantastique.

«Ce livre fait, on le sait, le récit des visions qu’a

eues un personnage pendant une période de folie.

(…). À première vue, le fantastique n’existe pas ici:

ni pour le personnage qui ne considère pas ses visions

comme dues à la folie mais comme une image plus

lucide du monde (il est donc dans le merveilleux) ; ni

pour le narrateur, qui sait qu’elles relèvent de la folie

ou du rêve, non de la réalité (de son point de vue, le

récit se rattache simplement à l’étrange). Mais le texte

ne fonctionne pas ainsi; Nerval recrée l’ambiguïté à

un autre niveau, là où on ne l’attendait pas ; et Aurélia

reste une histoire fantastique» (Todorov, 1970: 43).

Dans le récit d’Aurélia, le thème du doute

est l’un des thèmes clé pour marquer la

déraison: «Je dînai avec eux assez

tranquillement ; mais, à mesure que la nuit

approchait, il me sembla que j’avais à

redouter l’heure même qui, la veille, avait

risqué » (Nerval, 1966: 762). « Je fermai les

yeux et j’entrai dans un état d’esprit confus

où les figures fantasques ou réelles qui

m'entouraient se brisaient en mille

apparences fugitives » (Nerval, 1966: 762).

Le narrateur et le personnage ne peuvent pas

accréditer la vraisemblance de ces

expériences vécues par Gerard. En tout cas,

tout le texte d’Aurélia est plein des indices

qui pourraient affirmer l’incertitude. En

voici quelques exemples:

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/35

«Il me semblait que je rentrais dans une demeure

connue (…). Une vieille servante que j’appelais

Marguerite et qu’il me semblait connaître depuis

l’enfance me dit (…). Et j’avais l’idée que l’âme de

mon aïeul était dans cet oiseau (…). Je crus tomber

dans un abîme qui traversait le globe. Je me sentais

emporté sans souffrance par un courant de métal

fondu (…). J’eus le sentiment que ces courants étaient

composés d’âmes vivantes, à l’état moléculaire (…).

Il devenait clair pour moi que les aïeux prenaient la

forme de certains animaux pour nous visiter sur la

terre (…)» (Nerval, 1966: 422).

Si ces locutions étaient absentes, nous

serions plongés dans le monde du

merveilleux, sans aucune référence à la

réalité quotidienne. Alors que, nous sommes

maintenus dans les deux mondes, à la fois,

sous la lumière de ces locutions indicatrices.

L’imparfait produit une distance entre le

personnage et le narrateur. Ce dernier

commence à prendre distance par rapport

aux autres hommes:

«À travers le peuple de cette capitale, je

distinguais certains hommes qui paraissaient

appartenir à une nation particulière ; leur air vif,

résolu, l’accent énergique de leurs traits, me faisaient

songer aux races indépendantes et guerrières des pays

de montagnes ou de certaines îles peu fréquentées par

les étrangers ; toutefois c’est au milieu d’une grande

ville et d’une population mélangée et banale qu’ils

savaient maintenir ainsi leur individualité farouche.

Qu’étaient donc ces hommes ? Mon guide me fit

gravir des rues escarpées et bruyantes où

retentissaient les bruits divers de l’industrie» (Nerval,

1966: 768).

Gérard, le protagoniste d’Aurélia, est

représenté comme une victime de ses doutes.

Dans ce récit, le langage est le thème

principal d’Aurélia. «Et j’avais l’idée que

l’âme de mon aïeul était dans cet oiseau ;

mais je ne m’étonnais pas plus de son

langage et de sa forme que de me voir

comme transporté d’un siècle en arrière»

(Nerval, 1966: 764). «Mes actions, insensées

en apparence, étaient soumises à ce que l’on

appelle illusion, selon la raison humaine»

(Nerval, 1966: 760). «Les actions insensées»

font référence au naturel alors que l’emploi

de l’expression «en apparence» illustre le

surnaturel. De plus, la présence de

l’imparfait fait suggérer que «ce n’est pas le

narrateur qui pense mais le personnage de

jadis» (Todorov, 1970: 43). Plus loin, le

narrateur reprendra ouvertement que la folie

est la raison supérieure. «Les récits de ceux

qui m’avaient vu ainsi me causaient une

sorte d’irritation quand je voyais qu’on

attribuait à l’aberration d’esprit les

mouvements ou les paroles coïncidant avec

les diverses phases de ce qui constituait pour

moi une série d’événements logiques»

(Nerval, 1966: 770). L’hésitation fantastique

se maintient ainsi au niveau du sens littéral.

1.Les éléments de l’écriture de soi dans

Aurélia

Écriture de soi peut mettre en scène des

positions psychiques de l’auteur. Cet enjeu

d’écriture délimite l’espace intérieur de son

créateur tout en prenant une valeur

spécifique. L’espace textuelle permet à son

créateur de représenter ses expériences et ses

troubles et construire un lieu pour soi.

L’écriture de soi peut exposer la rupture

intérieure et le tragique de l’existence. Dans

l’effort de vérité sur soi et prouver sa

sincérité, la narration se manifestent l’élan

vital ou l’insistance à être.

Le sujet ne se définit jamais

manifestement. Il prend une hospitalité avec

soi-même à la place d’autrui. L’écriture

devient ainsi «la réapparition de soi dans la

volonté de lever ces profondeurs, obscurités

36/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

et opacités» (Montandon, 2004: 8). Écriture

devient ainsi «pharmacie de l’âme»

(Montandon, 2004: 12). Autrement dit,

«plaisir de fabulation permet de se raconter à

travers la fantaisie d’une fiction»

(Montandon, 2004: 13). Michelet dans son

Journal en 1959 écrit :

«C’est pour faire connaissance avec vous, mon

cher moi, que je vous écris cette lettre, qui ne sera pas

la dernière. Car je ne vous connais guère, malgré

l'intérêt que j’y ai ; je vous ai si rarement parlé,

quoique toujours avec vous! J’espère vous moins

négliger à l’avenir, si les passions ne viennent pas

nous empêcher de nous entendre. Je mets cette

restriction car je sais combien vous êtes mobile.

Profitons au moins de cet instant de repos ; écoutez-

moi!» (Montandon, 2004: 13).

Käte Hamburger dans La Logique des

genres littéraires parle du «fictionnel» ou le

«mimétique» comme un premier genre

fondamental. Elle représente le «je» de

l’auteur comme un «je» fictif qui s’incarne

par les personnages et le narrateur. Ce

premier genre se fait apparaître dans deux

sous-catégories du narratif et du dramatique.

Elle ne veut pas dire que les critères

stylistiques de la fiction dans un texte

peuvent être «omniprésents» pour le faire

appartenir au genre fictionnel. Ainsi, un

roman à la troisième personne, en

focalisation externe, peut-il fort bien avoir

les allures d’un témoignage sur des

personnages réels. De même, Gérard Genette

résume l’importance du «je-lyrique» en ces

termes:

«Le nouveau système illustré par d’innombrables

variations sur la triade épique-dramatique-lyrique

consiste donc à répudier le monopole fictionnel au

profit d’une sorte de duopole plus ou moins déclaré,

où la littérarité va désormais s’attacher à deux grands

types: d’un côté la fiction (dramatique ou narrative)

de l’autre la poésie lyrique, de plus en plus souvent

désignée par le terme Poésie tout court» (Stalloni,

2000: 19).

Le journal de Nerval semble bien être le

contraire d’une «tentative d’introspection»

(Stalloni, 2000: 19).Car l’auteur d’Aurélia

évoque beaucoup «plus d’ennuie de soi que

le plaisir d’un Narcisse penché sans cesse

sur son image» (Stalloni, 2000: 19). De cette

manière, l’auteur transcrit sa situation de

crise :

«Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les

impressions d’une longue maladie qui s’est passée

tout entière dans les mystères de mon esprit ; - et je ne

sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car

jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis

senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et

mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout

comprendre ; l’imagination m’apportait des délices

infinis» (Nerval, 1966: 753).

L’un des thèmes récurrents du journal

intime est bien évidemment la représentation

des maux de l’existence de l’auteur. Ici,

l’artiste utilise son protagoniste comme un

médiat pour la description de ses maux

intellectuelles et de ses crises mentales

issues de son expérience d’amour de Jenny

Colon. «Il ne me restait qu’à me jeter dans

les enivrements vulgaires ; j’affectai la joie

et l’insouciance, je courus le monde,

follement épris de la variété et du caprice ;

j’aimais surtout les costumes et les mœurs

bizarres des populations lointaines, il me

semblait que je déplaçais ainsi les conditions

du bien et du mal» (Nerval, 1966: 755). Il

continue ensuite «Quelle folie, me disais-je,

d’aimer ainsi d’un amour platonique une

femme qui ne vous aime plus !» (Nerval,

1966: 755). D’Autre part, l’auteur fait

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/37

allusion à la situation sociale de sa bien-

aimée en ces termes : «Un jour, arriva dans

la ville une femme d’une grande renommée,

qui me prit en amitié, et qui, habituée à

plaire et à éblouir, m’entraîna sans peine

dans le cercle de ses admirateurs» (Nerval,

1966: 755). Ainsi, Nerval a-t-il voulu faire

passer son propre mythe. Il fait la généalogie

de son cœur en murmurant les problèmes de

ses relations amoureuses. Jenny Colon,

héroïne de ce récit fantastique, «était fille de

petits acteurs provinciaux : Jenny Colon, qui

se qualifie «artiste lyrique», et Marie-Anne

Dejean-Le Roy, son épouse, chanteuse elle-

même» (Marie, 1914: 91). Nerval apprend la

mort de Jenny Colon en 1842. L’expérience

d’amour de Jenny se transfigurera dans la

plupart des œuvres de Nerval, surtout

Aurélia.

Les espaces représentés dans ce récit ont

racine dans les lieux vécus par l’auteur.

Gérard de Nerval est confié quelques mois

après sa naissance à une nourrice de Loisy,

près de Mortefontaine. Cet endroit reste un

lieu symbolique dans ce récit sous le nom de

Montagne.

«Je (Gérard) me vis errant dans les rues d’une cité

très populeuse et inconnue. Je remarquai qu’elle était

bossuée de collines et dominée par un mont tout

couvert d’habitations. À travers le peuple de cette

capitale, je distinguais certains hommes qui

paraissaient appartenir à une nation particulière ; leur

air vif, résolu, l’accent énergique de leurs traits, me

faisaient songer aux races indépendantes et guerrières

des pays de montagnes ou de certaines îles peu

fréquentées par les étrangers ; toutefois c’est au

milieu d’une grande ville et d’une population

mélangée et banale qu’ils savaient maintenir ainsi leur

individualité farouche» (Nerval, 1966: 768).

À vrai dire, «c’est bien, en effet, à

Mortefontaine que se sont unis, ont vécu et

sont morts ses ancêtres les plus directs,

qu’est située la terre de famille dont il doit

tirer son pseudonyme (…)» (Marie, 1914:

13). Autre lieu symbolique pour Nerval est

Valois où se situe Mortefontaine. Valois se

métamorphose également dans ce récit en

ces termes:

«On avait seulement mis à part un petit tableau sur

cuivre, dans le goût du Corrège, représentant Vénus et

l’Amour, des trumeaux de chasseresses et de satyres,

et une flèche que j’avais conservée en mémoire des

compagnies de l’arc du Valois, dont j’avais fait partie

dans ma jeunesse ; les armes étaient vendues depuis

les lois nouvelles. En somme, je retrouvais là à peu

près tout ce que j’avais possédé en dernier lieu»

(Nerval, 1914: 813).

Il voyage en 1850 en Allemagne et se

souvient des bords de Rhin dans son roman:

«Un soir, je crus avec certitude être

transporté sur les bords du Rhin. En face de

moi se trouvaient des rocs sinistres dont la

perspective s’ébauchait dans l’ombre»

(Nerval, 1914: 763). L’Italie est le pays de

ses aventures d’amour où il fait la

connaissance de Jenny Colon. Ce pays sera

le pays d’amour du protagoniste du roman

d’Aurélia. «L’étourdissement d’un joyeux

carnaval dans une ville d’Italie chassa toutes

mes idées mélancoliques. J’étais si heureux

du soulagement que j’éprouvais, que je

faisais part de ma joie à tous mes amis, et,

dans mes lettres, je leur donnais pour l’état

constant de mon esprit ce qui n’était que

surexcitation fiévreuse» (Nerval, 1914: 755).

Le dilemme de ce récit se dérive ainsi du

vécu, des expériences personnelles, de la

situation familiale et sociale, des lieux

fréquentés par Nerval.

38/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

1.Degré de sincérité chez Gérard de

Nerval

L’écriture fantastique représente une

reprise des phénomènes étranges dans un

cadre réel. Gérard de Nerval ne s’éloigne pas

de ses vécus jusqu’à la création du récit

d’Aurélia. Il est évident qu’il tente de créer

un univers fantastique réel et reste entre les

limites d’accepter ou de refuser une

expérience triste, celle de la mort de Jenny

Colon. Cette hésitation l’oriente vers les

frontières de fantastique réel. Il commence à

rapporter tout ce qu’il se rappelle des

événements du passé qui pèsent sur son âme.

Gérard de Nerval fait allusion à son enfance,

à ses parents en ces termes. Sa représentation

reste attachée à ses informations de cette

période de sa vie. «Je n’ai jamais connu ma

mère, qui avait voulu suivre mon père aux

armées, comme les femmes des anciens

Germains ; elle mourut de fièvre et de

fatigue dans une froide contrée de

l’Allemagne, et mon père lui-même ne put

diriger là-dessus mes premières idées. Le

pays où je fus élevé était plein de légendes

étranges et de superstitions bizarres. Un de

mes oncles qui eut la plus grande influence

sur ma première éducation s’occupait, pour

se distraire, d’antiquités romaines et

celtiques. Il trouvait parfois, dans son champ

ou aux environs, des images de dieux et

d’empereurs que son admiration de savant

me faisait vénérer, et dont ses livres

m’apprenaient l’histoire» (Nerval, 1914:

798). Il reste fidèle à la représentation des

figures familiales dans son récit. Puisqu’il a

passé son enfance près de son oncle

maternel, il fait allusion, sous plusieurs

reprises à cette figure connue. «J’entrai dans

une maison riante, dont un rayon du soleil

couchant traversait gaiement les contrevents

verts que festonnait la vigne. Il me semblait

que je rentrais dans une demeure connue,

celle d’un oncle maternel, peintre flamand,

mort depuis plus d’un siècle» (Nerval, 1914:

798)). À cette seule différence que la place

de son oncle maternel et celle de ses ancêtres

s’est mélangé. Son oncle n’est pas mort

depuis un siècle. L’exagération est l’essentiel

de genre fantastique et se fait voir dans cet

énoncé. Après avoir fait allusion à la figure

de sa fille aimée, il illustre ses tâtonnements,

sa recherche de tombeau de Jenny Colon et

ses sensations tristes du jour où il apprend la

mort de cette fille en ces termes :

«La fièvre s’empara de moi ; en me rappelant de

quel point j’étais tombé, je me souvins que la vue

que j’avais admirée donnait sur un cimetière, celui

même où se trouvait le tombeau d’Aurélia. Je n’y

pensai véritablement qu’alors ; sans quoi, je pourrais

attribuer ma chute à l’impression que cet aspect

m’aurait fait éprouver. - Cela même me donna l’idée

d’une fatalité plus précise. Je regrettai d’autant plus

que la mort ne m’eût pas réuni à elle» (Nerval, 1914:

781).

Bref, la totalité de cet ouvrage transforme

un reflet de la vie de Nerval avec une

transition de réalité au rêve. Tout cela est

produit sous forme de mécanisme de défense

chez un auteur qui a perdu sa bien-aimée et

qui la recherche dans l’univers de l’art.

Conclusion

Le roman d’Aurélia marque

l’épanchement d’un rêve connu pour Nerval

et brise plus tard le cadre d’une narration

personnelle, d’une histoire imaginaire et

d’un univers fictionnel. L’auteur traduit les

cris de sa passion, commune à toute sa

génération et accélère le rythme de la vie par

sa vision fantastique. La quête de la femme

Fantastique et techniques textuelles dans Aurélia …/39

se métamorphose en descente aux enfers

(Nerval, 1985: 10.). En effet, dans ce récit,

Nerval a justifié «l’épreuve de la démence»

qu’anime la structure dramatique d’Aurélia

(Nerval, 1966: 751). Il décrit la nouvelle

société d’une manière mécanique, répétitive

et prévisible et montre sa soif pour revivre le

passé. Il désire retrouver sa passion infinie à

sa fille aimée à l’aide de l’art. Ces

caractéristiques particulières qui proviennent

de l’exigence de l’époque d’un empereur

ardent, d’une époque en voie de progrès,

d’un pays nouvellement évolué qui subit

l’influence des guerres et prépare cette

génération à supporter une situation tragique

et à tomber dans la nostalgie et la

mélancolie, se reformulent dans un univers

fantastique. Nerval se sert des couches

profondes de sa mémoire pour peindre ses

angoisses et ses désirs qui se sont formés

dans le berceau des structures énigmatiques.

Il décrit les hommes rencontrés dans sa vie

réelle et commence à se découvrir à l’aide de

cet ouvrage autobiographique à l’essence

fantastique. Le narrateur est alors figure

voisine de son auteur. Les personnages

héritent des caractéristiques communes à

leur créateur dans une forme distincte. La

progression spatio-temporelle se dépose

d’une manière plastique. Tout est cloué aux

fantasmes de l’auteur et tous ses fantasmes

se libèrent de la prison de ses couches

préconscientes à l’aide de son écriture

fantastique. Cependant, il n’est pas

parfaitement sincère. Il s’éloigne de temps

en temps de sa réalité vécue par l’emploi de

l’exagération. Il arrive à transmettre une

partie de la réalité de son passé et se

soulager tout en guérissant son âme

tourmentée.

Bibliographie

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* [email protected]

Aux origines d’une fable de La Fontaine dans

les recueils de contes orientaux

Kamali, Mohammad Javad

*

Maître assistant, Université Azad Islamique Mashhad, Mashhad, Iran

Reçu: 16.11.2012 Accepté: 30.12.2013

Résumé

La fable, court récit allégorique, trouve ses origines dans des milliers d’années auparavant. L’Orient,

d’après l’opinion générale, a été le berceau de ce genre littéraire. En Europe, avant La Fontaine, il y a eu

bien des fabulistes assez connus, dont les œuvres manquaient souvent d’aspect artistique. Mais le grand

fabuliste français, par son talent éblouissant, a su comment agir dans la composition de ses fables, et ceci

grâce aux sources gréco-latines et surtout orientales, auxquelles il avait accès. Quant aux fables d’origine

orientale, bien qu’il y ait de nombreuses discussions considérables, il ne se trouve pas assez d’études

comparatives qu’il le faut. Cet article invite les lecteurs à approfondir leur connaissance sur les sources

d’une fable sélectionnée de La Fontaine « La tortue et les deux canards », en la comparant avec ses

adaptations orientales, les plus célèbres. Notre objectif principal consiste à rassembler et à étudier une

série de traductions éparses de cette fable avec une approche pédagogique, convenable dans les cours de la

littérature comparée.

Mots clés: La Fontaine, fable, La Tortue et les deux Canards, origine, oriental, comparaison.

Introduction

Le genre littéraire de la «fable» est un

type d’apologue, en vers ou en prose,

illustrant une leçon de morale, et mettant le

plus souvent en scène des animaux qui

parlent et qui se comportent comme des êtres

humains. L’histoire de la fable remonte à la

plus haute antiquité. Le contact des

musulmans avec l’Empire byzantin et leur

invasion en Espagne ont introduit dans

l’Europe méridionale un grand nombre de

contes et d’apologues d’origine indienne.

Ces contes, étant transportés par la Perse et

le monde arabo-musulman, ont passé dans la

littérature française à partir de la moitié du

XVIe siècle, notamment par l’intermédiaire

des ouvrages originaux traduits en persan, en

arabe et en sanskrit. Parmi les fabulistes

français chez qui on trouve des imitations de

ces contes, Jean de La Fontaine (1621-1695)

tient certainement la première place.

Dans cet article, nous allons essayer de

faire une étude pédagogique d’une fable de

La Fontaine en la comparant avec celle qui

se trouve dans les divers recueils de contes

orientaux, et nous nous penchons

exclusivement sur la fable: «La Tortue et les

deux Canards».

Les Fables de La Fontaine

Sur plus de 240 fables écrites par La

Fontaine, seulement une vingtaine d’entre

elles sont inventées, toutes les autres sont

inspirées de ses prédécesseurs. Les deux

grands modèles dont il s'est inspiré dans ses

Fables, sont d’un côté ceux d’Esope,

fabuliste grec du VIe siècle avant Jésus-

Christ, et ceux de Phèdre, poète romain du

42/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

premier siècle ; et d’un autre côté, les fables

orientales de Pilpay, traduites en français en

1644.

A l’inverse des fables inanimées de

l’Antiquité gréco-romaine et l’époque

médiévale, La Fontaine, dès qu’il s'est

familiarisé avec les contes orientaux, il y a

trouvé un modèle plus intéressant: Il s’est

enthousiasmé pour le sage Pilpay (la variante

de la transcription de «Bidpay» ou «Bidpaï»)

au point d’en oublier Esope. Certes, cette

nouvelle source d’inspiration a eu son

influence dans l’évolution de sa conception

de la fable. Les six derniers livres de son

ouvrage renferment ainsi toutes ses fables

d’origine orientale. Il a prévenu son lecteur

dans son «Avertissement» du second recueil

des Fables: «Je dirai par reconnaissance que

j’en dois la plus grande partie à Pilpay sage

indien. Son livre a été traduit en toutes les

langues. Les gens du pays le croient fort

ancien, et original à l’égard d’Ésope, si ce

n'est Ésope lui-même sous le nom du sage

Locman.» Mais outre la première traduction

de Kalila et Dimna, intitulée Livre des

lumières ou La conduite des roys, La

Fontaine avait sans doute accès à d’autres

sources, telle que la traduction latine, car le

Livre des lumières ne contenait que quatre

premiers chapitres du texte persan.

Pour saisir jusqu’à quelle mesure il s’est

servi des fables d’origine orientale, il est

indispensable, avant tout, de faire une

comparaison entre une fable d’Esope avec

un sujet similaire et celle du fabuliste

français:

«De la Tortue et de l’Aigle.- La Tortue mal

satisfaite de sa condition, et ennuyée de

ramper toujours à terre, souhaita devenir

Oiseau, et pria très instamment l’Aigle de lui

apprendre à voler. L’Aigle s’en défendit

d’abord, lui représentant qu’elle demandait

une chose contraire à son tempérament ;

cependant se laissant vaincre par les prières

de la Tortue, il la prit entre ses serres et

l’enleva ; et l’ayant lâchée au milieu des airs,

elle tomba sur une pointe de rocher, se brisa

le corps, et mourut de cette chute.»

Fables d’Esope (Tome I).

Cette courte fable d’Esope est racontée

d’un ton assez sec au discours indirect: «un

simple exemple sans intérêt en soi, sans

valeur autre que l’illustration de la moralité»

(Lambert, 2011: 150). L’Aigle ne joue pas

exactement le même rôle que les deux

Canards dans la fable de La Fontaine ou les

deux Cygnes, comme nous allons voir dans

celle du Pantchatantra, ancien recueil de

contes animaliers ; son rôle devient cruel à la

fin du récit: il va laisser la pauvre tortue en

plein ciel, sans aucune raison bien

déterminée.

La Tortue et les deux Canards (Fable de

La Fontaine)

Une Tortue était, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,

Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :

Volontiers gens boiteux haïssent le logis.

Deux Canards à qui la commère

Communiqua ce beau dessein,

Lui dirent qu’ils avaient de quoi la

satisfaire :

Voyez-vous ce large chemin? Nous vous voiturerons,

par l’air, en Amérique, Vous verrez mainte

République, Maint Royaume, maint peuple, et vous

profiterez

Des différentes mœurs que vous remarquerez. Ulysse

en fit autant. On ne s’attendait guèreDe voir Ulysse

en cette affaire. La Tortue écouta la proposition.

Marché fait, les oiseaux forgent une machinePour

transporter la pèlerine. Dans la gueule en travers on

Aux origines d’une fable de La Fontaine …/ 43

lui passe un bâton. Serrez bien, dirent-ils ; gardez de

lâcher prise. Puis chaque Canard prend ce bâton par

un bout. La Tortue enlevée on s’étonne partoutDe

voir aller en cette guiseL’animal lent et sa maison,

Justement au milieu de l’un et l’autre Oison. Miracle,

criait-on. Venez voir dans les nuesPasser la Reine des

Tortues. - La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet;

Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux

fait. De passer son chemin sans dire aucune chose;

Car lâchant le bâton en desserrant les dents, Elle

tombe, elle crève aux pieds des regardants. Son

indiscrétion de sa perte fut cause. Imprudence,babil,

et sotte vanité, Et vaine curiosité, Ont ensemble étroit

parentage. Ce sont enfants tous d’un lignage. (Livre

X, fable 2).

La fable de La Fontaine met en scène des

animaux plutôt rares dans l’œuvre: la Tortue

(VI, 10 ; VIII, 16 ; XII, 15) et notamment les

Canards (XII, 7). Il s’agit plutôt du récit d’un

voyage tragique, où le narrateur s’efface

pour laisser une grande place au dialogue:

une véritable pièce de théâtre, exactement

comme dans les versions orientales.

L’ordre de ce récit:

o L’équilibre initial. Une tortue et deux

canards qui vivaient en tranquillité.

o La rupture de l’équilibre. La tortue

décide de voir les différents pays étrangers.

Elle confia sa décision aux canards.

o Le rétablissement d’un équilibre. Les

deux canards trouvèrent le moyen de

l’emmener avec eux, à condition qu’elle

s'abstienne de parler. La tortue serra le centre

d’un bâton dont les canards saisirent les

deux bouts et s’envolent tous trois.

o La conclusion. Pour répondre aux

étonnements évoqués par les témoins de la

scène, la tortue ouvrit la bouche, tomba et

creva alors.

Quoique cette fable ait paru pour la

première fois dans le recueil indien

Pantchatantra, La Fontaine l’a tirée du Livre

des lumières de Pilpay, sans modifier le

sujet: il met en scène la lenteur aussi

corporelle qu’intellectuelle de la tortue.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire

la conjonction « et » dans le titre, les deux

canards ne sont pas des ennemis, mais plutôt

des amis sincères.

Pantchatantra

Le Pantchatantra est le plus ancien

recueil de contes animaliers de la littérature,

qui nous est venu de l’Inde. Littéralement, le

mot Pantchatantra est composé de deux

parties: pantcha qui signifie «cinq» et tantra

qui veut dire «occasion de sagesse». Cet

ouvrage est une compilation attribuée à un

brahmane nommé Vishnusharman, connu en

Europe sous le nom de Bidpay, brahmane

semi-légendaire (Levrault, 9). Le texte

original en langue sanskrite, ainsi que la

traduction en vieux perse pahlavi, d’après

laquelle la traduction arabe a été faite, sont

disparus. En 1826, Jean-Antoine Dubois,

connu sous le nom d’abbé Dubois, a publié

la première traduction française de ce recueil

d’après les textes originaux indiens: Le

Pantcha-Tantra, ou les Cinq ruses, fables du

Brahme Vichnou-Sarma ; Aventure de

Paramarta et autres contes. Kosegarten, à

qui l’on doit la première traduction

allemande du texte sanskrit du

Pantchatantra a bien constaté, en 1848, qu’il

y avait une variété entre onze manuscrits

dont il s’est servi. Son ouvrage a servi à son

tour de base de traduction dans quelques

autres langues européennes. En 1871,

Edouard Lancereau a retraduit le texte

original en français sous le titre

Pantchatantra ou Les Cinq Livres: Recueil

d’apologues et de contes. La dernière

44/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

traduction appartient à Alain Porte: Les Cinq

Livres de la Sagesse : Pancatantra (2000).

La Tortue et les deux Cygnes.

Il y avait dans un étang une tortue

nommé Kambougrîva. Deux amis de cette

tortue, nommés Sankata et Vikata, de

l’espèce des cygnes, […] avaient conçus

pour elle la plus grande affection. Toujours

ils venaient sur le bord de l’étang,

racontaient avec elle beaucoup d’histoires de

dévarchis, de brahmarchis et de râdjarchis ;

et à l’heure du coucher du soleil, ils

regagnaient leur nid.

Pantchatantra ou Les Cinq Livres, (Livre I,

Fable XIV). Trad. Edouard Lancereau, 1871.

Dans cette version plus fiable, les deux

oiseaux qui emmènent la tortue, sont des

cygnes et non des canards. Tous les trois ont

chacun leur nom. Le récit commence par la

description de la vie de Kambougriva (la

tortue) et son affection pour Sankata et

Vikata (les deux cygnes) qui, avant le

coucher du soleil, venaient lui raconter des

histoires indiennes.

L’ordre de ce récit:

o L’équilibre initial. Une tortue et deux

cygnes qui vivaient en paix près d’une

source d’eau.

o La rupture de l’équilibre. La source

se mit à se tarir et les cygnes décidèrent de

partir vers une autre source. Ils vinrent

prendre congé de la tortue.

o Le rétablissement d’un équilibre. La

tortue leur pria de l’emmener et leur

expliqua le moyen dont ils pouvaient se

servir. Les cygnes acceptèrent, mais à

condition qu’elle garde le silence. La tortue

tint le milieu d’un bâton dont les cygnes

saisirent les deux bouts et tous trois

s’envolèrent.

o La conclusion. Pour répondre aux

étonnements des habitants de la ville, la

tortue ouvrit la bouche, tomba et fut mise en

morceau par ceux-ci.

Comme nous pouvons le constater ,

l’ordre du récit n’est pas exactement le

même que celui de La Fontaine. Tout

d’abord, le motif de la tortue pour quitter sa

maison, ce n’est pas le souhait pour voyager

dans d’autres pays, mais c’est la sécheresse

de l’étang. A cet égard, il paraît que La

Fontaine s’est inspiré plus ou moins

d’Esope.

L’amitié qui lie la tortue aux cygnes, naît

de l’étang, le lieu même où ils vivent

(Biaggini, 2005: 17). Même la sécheresse de

l’étang ne menace pas leur amitié, car les

deux cygnes décident de l’emmener par un

bâton. Le témoignage des gens permet de

réconcilier le principe de la fiction et celui

d’un bon sens que partagerait le lecteur de la

fable. Mais la tortue, par ignorance, voulant

réagir à la vaine curiosité des témoins, met

fin à ce lien d’amitié et à sa propre vie.

De plus, ici, c’est la tortue qui propose

aux cygnes le moyen de l’emmener, tandis

que chez La Fontaine, ce sont les deux

canards qui trouvèrent le moyen.

Hitopadésa

Parmi les divers recueils de contes et

d’apologues qui ont été composés en Inde, le

Hitopadésa, écrit par Narayana, est à la fois

un des plus remarquables et des plus

célèbres. Bien que la date de sa composition

ne soit pas précise, on a affirmé qu’elle ne

remonterait pas à une époque très ancienne.

Le Hitopadésa n’est pas, sans doute, le type

original des fables connues en Europe telles

Aux origines d’une fable de La Fontaine …/ 45

que les fables de Kalila et Dimna ou celles

de Bidpay. Comme la plupart des recueils de

fables qui ont circulé dans l’Orient, ce livre

n’est qu’une imitation du fameux

Pantchatantra. Dans cet ouvrage, comme

dans le Pantchatantra, chaque livre s’est

composé d’une fable principale à l’intérieure

de laquelle sont renfermées d’autres fables

récitées par les personnages mis en action

Le Hitopadésa a été traduit dans presque

tous les idiomes modernes de l’Indes: il en

existe des versions en bengali, en mahratte et

en différents dialectes hindous. Parmi ces

dernières, la plus remarquable est celle qui a

été publiée en bradjbhâkhi par Lalloû-Lâl,

intitulée Râdjnîti (ou la Politique des rois). Il

y a aussi une imitation persane de ce livre,

faite avant le milieu du XVIIe siècle par le

mufti Tâdj ed-dîn, sous le titre de Moufarrih-

al-Qouloûb (ce qui réjouit les cœurs). Tâdj

ed-dîn a supprimé tout ce qui concerne les

croyances religieuses et les mœurs des

Hindous, en les remplaçant par des idées

islamiques. La version de Tâdj ed-dîn a été

traduite en hindoustani par Mir Bahâdor Ali

Hosseini en 1802, et publiée l’année

suivante, à Calcutta, sous le titre d’Akhlâq-i-

Hindi.

Le Hitopadésa a été traduit vers la fin du

XVIIIe en anglais, d’abord par Wilkins

(1787), et ensuite par le célèbre William

Jones (1799). Mais c’est vers la moitié du

XIXe siècle que Francis Johnson a fait

paraître une nouvelle traduction anglaise

plus précise intitulée Hitopadesa or Salutary

Counsels of Vishnu Sarman. La traduction

française de cet ouvrage a paru en 1855 à

Paris par Edouard Lancereau, sous le titre de

Hitopadésa ou l’Instruction utile.

La Tortue et les deux cygnes. Dans le pays

de Magadha, il y avait un étang que l’on

appelait Phoullotpala. Deux cygnes, nommés

Sankata et Vikata, vivaient depuis longtemps

sur cet étang, et une tortue nommée

Kambougriva, leur amie, demeurait avec

eux. Un jour vinrent des pêcheurs. Nous

allons, dirent-ils, rester ici aujourd'hui, et

demain matin nous prendrons des poissons,

des tortues, etc. […]

Hitopadésa ou l’Instruction utile: Recueil

d’apologues et de contes.

Trad. Edouard Lancereau, 1855.

Si courte que soit cette fable, les

personnages principaux et même les endroits

(le pays et l’étang) ont un nom. Au lieu de la

sécheresse de l’étang, c’est l’arrivée des

pêcheurs, qui amène la tortue à quitter sa

maison. De peur d’être prise par ceux-ci, la

tortue demande aux cygnes de l’aider. Mais

ses amis ne trouvent aucune solution. Aussi

la fin de cette fable est-elle différente: les

deux cygnes continuent à mener leur vie

heureuse et tranquille, sans rien faire pour

aider leur amie.

Kalile et Dimna

Le livre de Kalile et Dimna, qui relate les

aventures de deux chacals nommés Karataka

[devenu Kalila en arabe] et Damanaka

[Damna en arabe], est sans doute le plus

volumineux recueil de fables du monde.

Dans la première moitié du VIe siècle, il a

été traduit directement du texte sanskrit du

Pantchatantra en pahlavi par un médecin

royal nommé Borzouyeh sous l’ordre de

Chosroès Nouchiravan, roi de Perse. Dans le

VIIIe siècle, Abdallah ibn-Moqaffa, un grand

lettré persan, qui occupait la charge de

secrétaire auprès de plusieurs califes de son

46/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

époque, a traduit ce livre en arabe selon la

version pahlavi; et pour la première fois, le

traducteur y a fait mention de Bidpaï

(probablement “Vidyapati”) comme auteur

du recueil. Le texte original, ainsi que la

traduction pahlavi, sont perdus durant les

siècles. Bien que la traduction libre en arabe

diffère considérablement des divers

manuscrits sanskrits qui existent, elle serait

plus fidèle qu’eux et représente une des plus

anciennes recensions de l’ouvrage indien.

Cette traduction a eu dès lors un succès

grandissant, et elle a passé en plusieurs

langues.

Au début du XIIe siècle, la première

traduction persane a été faite par

Abou’lmaâli Nasrallah d’après la même

version arabe. Mais trop chargée de

métaphores et de termes obscurs, elle n’était

pas une reproduction fidèle. Cette adaptation

renferme seize parties ; si dix de celles-ci

remontent à une origine indienne selon les

dires du traducteur dans son introduction, les

six parties restantes sont d’origine perse et

remontent à des époques antérieures et

postérieures à l’Islam. Vers la fin du XIe

siècle, Siméon Seth avait traduit cet ouvrage

de l’arabe en grec. C’était la première

traduction dans une langue européenne. Les

premières traductions italienne (1583) et

latine (1666) du Kalila et Dimna ont été

réalisées suivant ce texte grec. En France,

Silvestre de Sacy l’a traduit de l’arabe pour

la première fois en 1816 sous le titre du

Livre de Kalila et Dimna. La traduction la

plus récente appartient à André Miquel.

La Tortue et les deux Canards. On

raconte qu’en une fontaine vivaient deux

canards et une tortue unis par les liens de

l’amitié. Vint un temps où l’eau de la

fontaine baissa dans des proportions

considérables. Les canards décidèrent alors

qu’il leur fallait quitter cet endroit et se

transporter ailleurs. Ils firent leurs adieux à

la tortue […]

Le livre de Kalila et Dimna

Trad. André Miquel, 1980.

Il est clair qu’il n’y a pas de grande

différence entre cette fable et celle de sa

version originale, le Pantchatantra ; excepté

que les canards remplacent les cygnes. Le

narrateur est toujours effacé et nous raconte

directement les discours sans aucun

jugement.

o L’équilibre initial. Une tortue et deux

canards, qui vivent près d’une fontaine, sont

des amis.

o La rupture de l’équilibre. La fontaine

se mit à se tarir et les canards décidèrent de

partir vers une autre source. Ils vinrent

prendre congé de la tortue.

o Le rétablissement d’un équilibre. La

tortue les pria de l’emmener. Les canards

acceptèrent, mais à condition qu’elle évite de

parler. Alors ils lui demandèrent de mordre

le milieu d’un bâton dont ils saisirent les

deux bouts et tous trois s’envolèrent.

o La conclusion. Pour répondre aux

paroles d’étonnement prononcées par les

gens, la tortue ouvrit la bouche, tomba et se

tua.

Ici, ce sont les deux canards qui trouvent

un moyen sûr pour faire voler la tortue.

L’histoire finit d’une façon moins fâcheuse

que celle du Pantchatantra: la tortue ne sera

pas écrasée par les témoins de sa chute!

Fable de la Tortue et les deux Canards.

(La version persane de Nasrallah)

Aux origines d’une fable de La Fontaine …/ 47

اند که در آبگیری دو بط و آورده -حکایت باخه و دو بط

و یکی باخه ساکن بودند و میان ایشان بحکم مجاورت دوستی

دست روزگار غدار رخسار حال ایشان ناگاه . افتاده مصادقت

در آن فام صورت مفارقت بدیشان نمود، و بخراشید و سپهر آینه

بطان چون . آمد آب که مایه حیات ایشان بود نقصان فاحش پیدا

درود باش ایم، ب بوداع آمده: یک باخه رفتند و گفتآن بدیدند بنزد

.و رفیق موافقای دوست گرامی

.، ابوالمعالی نصراهلل منشی(باب االسد و الثور) کلیله و دمنهترجمه

Si nous nous rendons compte de la

quantité de l’adaptation de Nasrallah, nous

précisons que le texte paraît plus long que le

texte français. A expliquer que dans

l’ancienne prose persane, suivant la tradition

et dans le but d’orner les phrases d’un texte,

on se servait des termes, des expressions ou

parfois des vers qui ne faisaient qu’ajouter

une répétition. Nous avons souligné ce

pléonasme dans le texte persan ci-dessus.

Presqu’à la même époque, Mohammad

ibn-Abdallah Al-Bokhari a élaboré

également une autre version persane du livre

de Kalile et Dimna, d’après le texte pahlavi.

Sa traduction, intitulée Les Histoires de

Bidpaï, semble être plus fidèle à l’original ;

mais, esthétiquement parlant, moins

artistique que celle de Nasrallah.

Fable de la Tortue et les deux Canards.

(La version persane d’Al-Bokhari)

پشتی ط و سنگای بوده است در روزگار و دو ب چشمه

اند و به حق همسایگی به یگانه دلی در وی مقام ساخته بوده

چشمه کمتر ]آب[. روزگاری برآمد. کردند زندگانی می

و با یک دیگر . گشت و آن دو مرغ آبی بر خود بترسیدند

بسگالیدند که ما را به همه حال جای دیگر به دست باید

ه نقل باید آوردن که در وی آب و چره باشد و آن جایگا

و برفتند و بگشتند و جای خویش به دست آوردند. کردن

کردند که پشت را بدرود می عزم رفتن درست کردند و سنگ

.ه سالمت باش که ما بخواهیم رفتنب

.، ترجمه محمدبن عبداهلل البخاریبیدپایداستانهای

Anvâr-i Souhaïli

En 1498, Hossein ben-Ali, surnommé Ali

Vaëz Kâchefi, trouvant la version de

Nasrallah trop difficile à lire et à

comprendre, a réalisé une nouvelle version

persane sous le titre de l’Anvâr-i Souhïli

(Les Lumières de l’étoile Canope) afin de

mettre cet ouvrage à la portée de la majorité

des lecteurs de son temps. Le nouveau titre

se rapporte au prince Ahmed Souhaïli,

ministre du sultan, et neveu du Tamerlan.

Kâchefi a modifié notablement l’ensemble

de l’ouvrage en y insérant une préface, de

nouveaux apologues et un assez grand

nombre de citations empruntées à la poésie

persane. Il faut ajouter également que vers la

fin du XVIe siècle, Akbar, empereur de

Delhi, a demandé à son fameux vizir

Aboulfazl de faire une autre version persane

de l’Anvâr-i Souhaïli, de manière à rendre

encore plus facile la lecture de ce livre.

Celui-ci a réalisé cet ordre en 1590 en

publiant une nouvelle rédaction sous le titre

de Eyar-i Dânich (Le Parangon de la

science). Cet ouvrage a été traduit en

hindoustani, sous le titre de Khired-afrouz

(L’Illuminateur de l’Entendement).

Toutefois l’Anvâr-i Souhïli de Vaëz

Kâchefi a servi de texte pour la première

traduction française intitulé Livre des

lumières ou La conduite des roys composé

par le sage Pilpay indien, publié en 1644.

Cette traduction, qui contient seulement les

quatre premiers chapitres, a été faite par de

Gilbert Gaulmin sous le pseudonyme de

48/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

David Sahid (Lochon, 2002:10). On en

connaît plusieurs éditions dont Les Fables de

Pilpay, philosophe indien, ou la Conduite

des rois (Paris: 1698) et Les Fables de

Pilpay, philosophe indien, et ses Conseils

sur la conduite des grands et des petits

(Bruxelles: 1725).

Fable de la Tortue et les deux Canards.

(La version originale en persan de l’Anvâr-i

Souhïli)

که آبش از صفای ضمیر چون اند که در آبگیری آورده

به عذوبت و لطافت از پذیر بودی و آینۀ صافی عکس

پشتی دو بط و سنگالحیات و چشمۀ سلسبیل خبر دادی عین

و به حکم مجاورت سررشتۀ حال ایشان به ساکن بودند

مصادقت کشیده بود و همسایگی به همخانگی انجامیده و

به دیدار هم خوش برآمده عمری به رفاهیت بسر

]...[بردند می

نقصانی ایشان بود که مادۀ حیات و مدد معاش در آن آب

کلی پدید آمد و تفاوتی فاحش ظاهر گشت بطان چون بر کیفیت

آن صورت وقوف یافتند دل از وطن مألوف برداشته عزیمت جال

.انوار سهیلی یا کلیله و دمنۀ کاشفی...[]را تصمیم دادند

En confrontant la version persane de

Vaëz Kâchefi avec les deux traductions

françaises ci-dessous, on voit bien qu’il se

trouve des passages et des vers qui ne se sont

pas reflétés dans les deux traductions. C’est

le même phénomène, et un peu plus exagéré,

que nous venons d’expliquer pour la version

persane du livre Kalile et Dimna. A noter

que seules les parties soulignées dans le

texte persan ont été citées par les traducteurs,

et les passages ajoutés par l’auteur ne se sont

pas figurés dans les textes traduits en

français!

Traduction 1 - Il y avait une tortue qui

vivait doucement dans un étang, en

compagnie de quelques canards. Il vint une

année de sécheresse, telle qu’il ne resta point

d’eau dans l’étang, de sorte que les canards

furent contraints de déloger. Ils allèrent

trouver la tortue pour lui dire adieu.

Livre des lumières ou La conduite des roys

composé par le sage Pilpay indien.

Trad. David Sahid, 1644.

Traduction 2 - Il y avait une tortue qui

vivait contente dans un étang avec quelques

canards. Il vint une année de sécheresse, de

forte qu’il ne resta point d’eau dans l’étang.

Les canards se voyant contraints de déloger,

allèrent trouver la tortue pour lui dire adieu.

Les Fables de Pilpay, philosophe indien…

Trad. Galland et Cardonne, 1698.

Bien que l’ordre du récit dans l’Anvâr-i

Souhaïli soit identique à celui du livre de

Kalile et Dimna, la narration est plus

détaillée: face à la demande de la tortue, les

deux canards lui rappelèrent d’abord qu’il

était presque impossible de l’emmener,

puisqu’elle ne savait pas voler ; mais tout de

suite après, ils lui proposèrent une condition

logique. C’est au moment où la tortue

accepta leur condition qu’ils préparèrent le

moyen de l’emmener. Et cette fois-ci ce sont

les villageois (et pas les habitants de la

ville), étonnés de la nouveauté de ce

spectacle, qui se mirent à crier.

La comparaison du contenu des

traductions françaises de l’Anvâr-i Souhaïli

avec celui de la fable de La Fontaine

indiquera aussi à quel point se laisse

influencer le fabuliste français.

Houmayoun-Nameh

Au début du XVIe siècle, Ali Tchelebi,

professeur à Andrinople, a traduit l’Anvâr-i

Aux origines d’une fable de La Fontaine …/ 49

Souhaïli de Vaëz Kâchefi du persan en turc,

sous le nom de Houmayoun-Nameh (Le

Livre impérial), et il l’a dédié au sultan

Soliman Ier

. Cette version turque a été

traduite en français par Antoin Galland. La

traduction, intitulée Les Contes et Fables

indiennes de Bidpaï et de Lokman, qui a été

publiée en 1724, ne comprend que les quatre

premiers chapitres du Houmayoun-Nameh.

En 1778, Cardonne, secrétaire-Interprète du

roi et professeur au Collège Royal, a

complété la traduction de Galland, et l’a

publiée en trois volumes.

Les deux canards et la tortue. - Deux

Canards et une Tortue vivaient dans un étang

avec d’autant plus d’agrément, qu’il était net

et bien entretenu ;[…] […] Un contretemps

cruel et fâcheux survint néanmoins, qui les

mit dans la nécessité de se quitter ou de

périr. L’eau de l’étang diminuait tous les

jours par une sécheresse extraordinaire, et

les Canards s’aperçurent que bientôt les

moyens de subsister allaient leur manquer.

Quoiqu’avec un grand regret, à cause que

c’était-là le lieu de leur naissance, cette

contrainte les fit résoudre d’aller chercher

ailleurs une autre demeure. […]

(Les Contes et Fables indiennes de Bidpaï et

de Lokman, tome II. Trad. Galland et

Cardonne, 1778).

Il est évident que le traducteur turc, Ali

Tchelebi, a ajouté volontairement beaucoup

de phrases à la fable, mais il n’a pas modifié

l’ordre du récit. Certes, sa version donne

plus de plaisir aux lecteurs qui cherchent à se

renseigner sur les détails. Si nous avons

rapporté cette version, c’est dans l’intention

de fournir une autre occasion pour comparer

mieux la fable de La Fontaine avec toutes les

traductions françaises de la fable pareille qui

existent dans les recueils de fables.

Conclusion

L’histoire de la fable commence dans

l’Antiquité. Au XVIIe siècle, La Fontaine,

s’est inspiré plutôt des fables d’Esope, et

celles de Phèdre ; mais pour la composition

de certaines de ses fables, de celles qui

avaient déjà paru dans les recueils indiens.

Le fabuliste français, alors qu’il n’a eu aucun

voyage en Orient, a su faire appel à quelques

traductions des contes animaliers, parues

avant et après la publication de ses Fables.

En confrontant le contenu d’une de ses

fables intitulée « la Tortue et les deux

Canards » avec celui du Livre de Kalila et

Dimna, il est avéré qu’elle avait pour origine

l’Anvâr-i Souhaïli (l’autre version du Livre

de Kalila et Dimna) et non les Fables

d’Esope. Quoique la version arabe du Livre

de Kalila et Dimna soit considérée comme la

source de tous les développements ultérieurs

du recueil, l’Anvâr-i Souhaïli constitue en

soi une source qui a exercé une forte

influence sur le fabuliste français. Cette

comparaison démontre aussi que la structure

de la fable est centrée sur un seul et même

concept chez La Fontaine, ainsi que dans

tous les recueils orientaux, sauf dans le

Hitopadésa, la tortue et les deux canards

établissent une petite communauté par leur

amitié ; mais puisque la tortue n’a pas pu

tenir sa propre promesse envers ses amis,

elle est exclue de la communauté et elle a

finalement perdu sa vie.

Bibliographie:

Biaggini, O. (2005). Quelques enjeux et

l’exemplarité dans le Calila e Dimna et le

Sendebar. Cahier de Narratologie, no12.

50/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

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d’apologues et de contes. (1855). Trad. du

sanscrit par Edouard Lancereau. Paris:

Jannet, P. Libraire.

La Fontaine, J. de. (2009). Fables choisie.

Paris: Gallimard.

(1980). Le livre de Kalila et Dimna. Trad. de

l’arabe par André Miquel. Nouvelle

édition. Paris: Klincksiek.

(1826). Le Pantcha-Tantra, ou les Cinq ruses,

fables du Brahme Vichou-Sarma ; Aventure

de Paramarta et autres contes. Le tout traduit

pour la première fois sur les originaux indiens

par Jean-Antoine Dubois. Paris: J.-S. Merlin.

(1778). Les Contes et Fables indiennes de Bidpaï

et de Lokman, (tome II). Trad. Galland et

Cardonne, Paris: P.G. Simon.

Lambert, K. Y. (2011). La Fontaine et la

réécriture des sources. DOCT-US Journal:

3/1.

Levrault, L. (2012). La Fable, évolution du

genre. Paris: Librairie Delaplane, [s. d.].

Lochon, Ch. (2002). La Fontaine et la réécriture

des sources. Lettre de l’Association des

Professeurs de Lettres : 24.

(1871). Pantchatantra ou Les Cinq Livres. Trad.

de sanscrit par Edouard Lancereau. Paris:

Imprimerie Nationale.

Tchelebi-Ben-saleh, A. (1778). Les Contes et

Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman.

Ouvrage commencé par feu M. Galland,

continué et fini par M. Cardonne, tome II,

Paris: P. G. Simon.

Vaez kâchefi, H. (1644). Livre des lumières ou

La conduite des roys composé par le sage

Pilpay indien. Trad. du persan par «David

Sahid d'Ispahan ville capitale de Perse».

Paris: chez Simeon Piget.

(1698). Les Fables de Pilpay, philosophe indien

; ou la Conduite des Rois. Trad. du persan par

Galland et Cardonne, Paris: Chez Florntine &

Pierre Delaulne.

منابع فارسی

، تصحیح بیدپایهای داستان. (1631) البخاری، محمدبن عبداهلل

.خوارزمی :تهران .لری و محمد روشنپرویز ناتل خان

، تصحیح و ترجمه کلیله و دمنه. (1631) نصراهلل منشی، ابوالمعالی

.ان، امیرکبیررتوضیح مجتبی مینوی، چاپ سی و پنجم، ته

انوار سهیلی یا کلیله و دمنۀ .(1636) بن علی واعظ کاشفی، حسین .امیرکبیر :انرچاپ سوم، ته. کاشفی

*[email protected]

Étude de quelques procédés paraphrastiques rencontrés dans le résumé de

texte:

cas des étudiants de l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët Boigny

de Yamoussoukro

Manda, Djoa Johnson*

Maître assistant, Département des Langues et Sciences Humaines

Institut National Polytechnique Félix Houphouët Boigny de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire)

Reçu: 12.06.2013 Accepté: 22.12.2013

Résumé

Pratiqué aux grands concours administratifs, le résumé de texte occupe une place de choix dans les

cours de techniques d’expression française des universités et Grandes Écoles, notamment de l’INP-HB

de Yamoussoukro. Malheureusement, sa pratique cause problème aux étudiants. Au nombre des

lacunes rencontrées figure la paraphrase qui constitue un véritable souci pour les apprenants et les

enseignants. L’objectif principal de l’étude est d’identifier les procédés linguistiques susceptibles de

basculer le texte vers la paraphrase. Au terme d’un test soumis aux étudiants, cinq (05) variations de

forme paraphrastiques ont été identifiées. Ces résultats pourraient contribuer à l’amélioration de la

méthodologie qui sous-tend l’enseignement du résumé de texte. Mais ils ne suffisent pas pour rendre

compte de la totalité des différentes « façons de dire » inhérentes à l’exercice.

Mots clés : paraphrase, résumé de texte, sémantique, syntaxe, lexique.

Introduction

La paraphrase est constamment

dénoncée dans les copies de candidats sur

le résumé de texte aux différents concours

administratifs et scolaires. A l’Institut

National Polytechnique Félix Houphouët-

Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro, le

phénomène de paraphrasage est aussi

devenu un fléau chez les étudiants alors

que le résumé de texte occupe une place

essentielle dans les cours de techniques

d’expression française dans cette

institution. Mais qu’entend-on par

paraphrase?

La paraphrase, selon Encarta, «est une

opération de reformulation qui consiste à

reproduire le contenu sémantique d’une

phrase par une autre phrase, formellement

différente.» Catherine Fuchs, pour sa part,

pense

«qu’une phrase ou un texte Y constitue une

paraphrase d’une autre phrase ou d’un autre texte

X lorsque l’on considère que Y reformule le

contenu de X ; autrement dit, lorsque X et Y

peuvent être tenus pour des formulations différentes

d’un contenu identique, pour deux manières

différentes de dire la même chose» (1982: 7).

Des deux définitions, on peut retenir

que la paraphrase est une notion

relationnelle d’équivalence sémantique

(souvent partielle, puisque deux phrases

formellement distinctes ne disent pas tout à

fait la même chose) qui engage des

phrases, comme la synonymie engage des

mots ou des expressions. Ainsi, pour un

énoncé comme Le camion de la

coopérative a renversé une fillette, un

étudiant écrira, par exemple, Une fillette a

été renversée par un camion. Or, le résumé

retiendra l’idée d’accident puisque selon

Yves Stalloni: «On ne résume pas des

mots, pas même des phrases, on résume

des idées. Ce sont elles qui constituent la

52/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

trame essentielle du texte et dont on attend

prioritairement la restitution» (1998: 30).

La paraphrase est donc proscrite dans le

résumé de texte comme le recommande le

même auteur: «Le résumé doit rester

objectif, neutre, dépourvu de toute

paraphrase ou de tout commentaire

parasites» (1998: 21). Du point de vue de

la reformulation, le passage de l’actif au

passif a entrainé quasiment l’énoncé vers

la paraphrase. Cette construction

syntaxique peut recevoir la désignation de

«procédé paraphrastique». Les apprenants

et les enseignants sont conscients de ces

difficultés, mais ils ont du mal à les

identifier. Aussi toute solution visant à les

limiter reste-elle inefficace. Cette

préoccupation constitue notre problème de

recherche.

Le but de l’étude est donc d’identifier

ces différentes «façons de dire» qui

entrainent le résumé vers la paraphrase.

L’opération permettra de connaître leur

nature en vue d’une analyse. Les résultats

pourraient contribuer au renforcement de la

méthodologie du résumé de texte. Pour y

parvenir, nous aurons recours aux

approches syntaxique et lexicale. La

première nous permettra de répertorier, sur

la base des règles transformationnelles, les

constructions syntaxiques intuitivement

senties comme ayant le même sens. La

seconde approche montrera comment deux

mots différents peuvent être utilisés pour

désigner le même objet ou la même action.

Mais chemin faisant, nous nous appuierons

sur des considérations sémantiques puisque

les énoncés produits sont fondés sur une

base sémantique, celle du texte à résumer.

D’ailleurs Régine Prime recommande «une

fidélité scrupuleuse au sens, c’est-à-dire

redonner toutes les idées de l’auteur dans

l’ordre et en suivant sa progression

argumentative» (2010: 7).

Notre corpus est constitué de

productions de cent cinquante-quatre (154)

étudiants issus de deux classes de

deuxième année de l’École Préparatoire:

Prépa Commerciale (PC2A) et Prépa

Biologique (PB2A) ainsi que deux classes

de première année de l’École Supérieure

d’Industrie: DUT INFO1 et DUT ELN1.

Pour mieux comprendre l’étude, nous

allons axer notre développement sur trois

points essentiels:

-un aperçu sur le résumé de texte;

-le corpus;

-l’identification et l’analyse des

procédés paraphrastiques.

1. Aperçu sur le résumé de texte

1.1. Principes généraux

Y. Stalloni (1998: 23) résume en dix

points les principes de l’exercice.

• Appellation: Résumé ou

contraction. Termes interchangeables.

• But: Restituer brièvement un texte

pour un lecteur qui ne le connaîtrait pas.

• Dimensions:

- Textes de plus de 2000 mots: 1/10

- Textes de moins de 2000 mots: de 1/5

à 1/8.

• Faculté de dépassement: 5 à 10%

en plus ou en moins.

• Mesure du format: Tous les mots

comptent, même ceux formés d’une seule

lettre.

• Pénalisations: 1 point (sur 20) en

moins pour tout mot au-delà ou en deçà de

la tolérance accordée; puis 1 point par

tranche de dix mots.

• Prise en charge: Respectez le

système énonciatif ; mettez-vous à la place

de l’auteur et dites «je» si nécessaire.

• Respect: Fidélité scrupuleuse au

sens et à l’ordre du texte.

Étude de quelques procédés paraphrastiques Félix …/53

• Synonymes et citations: Pas de

citation de l’énoncé; pas de recours

systématique aux synonymes.

• Ton, forme, orthographe: Écrivez

correctement, lisiblement, dans un français

clair et sans faute d’orthographe.

1.2. Quelques conseils pratiques

Nous les empruntons à Yann Le Lay

(2001: 148-149).

• La lecture préalable du texte à

résumer se fait de manière active, crayon

en main: on repère et on entoure les mots

de liaison et les formules de transition, on

annote les paragraphes en indiquant

sommairement leur contenu et leur rôle et

en délimitant arguments et exemples.

• Les différentes parties ainsi

définies sont numérotées, on isole entre

parenthèses les phrases redondantes qu’il

n’y a pas lieu de reprendre dans le résumé.

• Chaque partie numérotée est alors

résumée; on n’oublie pas les articulations

logiques nécessaires.

• On détermine le nombre de mots du

texte initial et du résumé: il suffit de

compter le nombre de mots d’une ligne

moyenne, articles et prépositions élidés

compris, et de le multiplier par le nombre

de lignes, puis on vérifie le rapport entre

les deux (un résumé «au quart»

comprendra environ quatre fois moins de

mots que le texte). On procède enfin aux

ajustements nécessaires (par exemple

remplacer la locution «au cas où» +

conditionnel par «si» + indicatif suffit à

faire gagner deux mots).

• On relit le résumé ou on le fait

relire par une personne qui ne connaît pas

le texte de départ afin d’en vérifier le style

et la cohérence.

Voici à présent le texte qui a servi à

l’évaluation des étudiants:

2. Texte à résumer et remarques

générales

2.1. Texte à résumer

Curieux pacifisme à sens unique

L’après-guerre est toujours, dans le

monde, un temps de réflexion et de

médiation sur la paix. Car celle-là est

l’aspiration profonde des êtres humains,

même si la guerre trouve elle aussi son

origine dans les passions de l’homme.

Déjà, en pleine guerre du Golfe, des

mouvements dits pacifiques se sont levés

pour conspuer la guerre et demander la

paix. Ce n’était pas nouveau. Toutes les

fois qu’a été mise au point une arme

nouvelle, qu’un avion militaire a survolé

un territoire au cours d’exercices ou que le

silence des armes a été rompu, on a vu des

manifestations pacifistes semer le désordre

dans les zones urbaines. La stratégie de ces

gens: mobiliser des foules pour dire non.

Mais non à quoi? C’est là que le pacifisme

a quelque chose d’équivoque. Car faut-il

laisser les puissants écraser impunément

les petits?

Si l’ONU n’avait rien fait pour

qu’existe de nouveau le Koweït, cela aurait

été une manière d’accepter la loi du plus

fort dans les relations internationales,

d’admettre que la planète ne soit qu’une

jungle où l’homme constitue désormais un

loup pour son semblable.

Curieux pacifisme à sens unique.

Quand, en Afrique ou ailleurs dans le Tiers

monde, la dictature des partis uniques

écrase la liberté des citoyens, on ne voit

jamais les pacifistes s’organiser pour

protester ; quand les grandes puissances

dépouillent les pays sous-développés de

leurs matières premières, on ne voit jamais

ces personnes crier leur opposition; quand

les médias des pays développés profèrent

des mensonges pour faire réussir la

politique des puissants, jamais on entend la

54/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

voix des pacifistes ; quand le racisme

orchestré de l’apartheid humilie des

peuples de façon indigne, le silence de la

plupart des pacifistes en devient

inquiétant…

Tout le monde comprend que la

véritable question est: qu’est-ce que la

paix? Depuis Platon, la paix se définit

comme la «tranquillité de l’ordre».

L’ordre, on le sait, dit que chaque chose est

à sa place.

Quand chaque chose est donc là où elle

doit se trouver, chacun est à sa place, tout

est tranquille: «On a la paix». On le voit le

problème de la définition du mot «paix»

est lié à celui du terme «ordre». Mais il n’y

a ici-bas qu’un lieu où chacun soit à sa

place, et où tout soit bien tranquille: c’est

le cimetière. Pourtant, aucun mort ne peut

se lever pour dire non. C’est la paix des

cimetières, où règne le silence des armes,

l’absence de guerre, la paix des pays

totalitaires à parti unique, où tous les

citoyens, «peuple caméléon» sont ce qu’il

plaît au prince.

La paix véritable est tranquillité d’un

ordre fondé sur quatre facteurs: la vérité, la

justice, l’amour et la liberté. Ordre moral et

social qui a pour base la vérité, qui se

réalise dans la justice, qui demande à être

vivifié par l’amour et qui trouve dans la

liberté un équilibre sans cesse rétabli et

toujours plus humain.

Voilà pourquoi la paix véritable

s’articule autour de trois notions

étroitement imbriquées: celle des droits et

devoirs de l’homme, celle de la nature de

l’autorité politique, celle du bien commun

à l’humanité tout entière. Thèmes

solidaires en ce sens que la paix exige la

justice dont le respect est l’œuvre propre

de l’autorité lorsqu’il s’agit du bien

commun.

Monseigneur Albert Ndongno, Curieux

pacifisme à sen unique. Billet extrait de

Jeune Afrique-Économie. Avril 1991,

n°142.

Question: Résumez ce texte en 170 mots

avec une marge de tolérance de plus ou

moins 10%. Indiquez à la fin du résumé le

nombre de mots utilisés.

2.2. Remarques générales sur le texte

a) Thème: La recherche de la paix ou la

définition du concept de paix.

b) Originalité: Le texte est d’actualité.

c) Idée générale: L’auteur dénonce le

sens ambigu de la notion de pacifisme et

redéfinit le concept de paix.

2.3. Idées essentielles des paragraphes

a) Paragraphes 1 et 2: La recherche de

la paix constitue une préoccupation

majeure pour les hommes après les conflits

comme ce fut le cas pendant la crise armée

dans le Golfe. Mais en certaines occasions,

les contestataires, en quête de stabilité,

sont promptes à causer des troubles dans

les villes alors qu’ils se réclament artisans

de paix.

b) Paragraphe 3: L’ONU a rétabli la

paix au Koweït.

c) Paragraphe 4: Les hommes ont basé

la définition du concept de paix sur un seul

aspect: ils ne parlent de pacifisme qu’à

l’occasion de conflits armés. Or il s’impose

dans d’autres situations déshumanisantes.

d) Paragraphes 5 et 6: Une définition du

concept de paix s’impose donc. En effet,

celle qui relève de la philosophie (la

définition originelle) est aujourd’hui

contrariée.

e) Paragraphes 7 et 8: La véritable

cohésion sociale est fondée sur des valeurs

sociales et morales et fait appel à l’homme,

à la politique et à toute l’humanité.

Étude de quelques procédés paraphrastiques Félix …/55

3. Analyse des procédés identifiés

Nous avons identifié cinq types de

procédés paraphrastiques que nous

analysons successivement.

3.1. La voix

La voix ou (diathèse), selon Martin

Riegel et ses collaborateurs (2009: 437), se

définit suivant la façon dont le verbe

distribue les rôles sémantiques de ses

actants. Il s’agit ici du passage de l’actif au

passif qui constitue une paraphrase non

admise dans le résumé de texte. Elle est

traduite dans les énoncés ci-dessous:

●Pendant la guerre du Golfe, la paix a été

demandée par les mouvements pacifiques.

(Coulibaly B. DUT INFO1)

●Lorsque les pays sous-développés sont

dépouillés par les grandes puissances.

(Sea D. M. PB2A)

L’énoncé (1) est la reformulation de la

première phrase du paragraphe 2 (Déjà, en

pleine guerre du Golfe, des mouvements

dits pacifiques se sont levés pour conspuer

la guerre et demander la paix.) du texte de

base quand E2 est tiré de la troisième

phrase du paragraphe 4 (quand les grandes

puissances dépouillent les pays sous-

développés de leurs matières premières).

Syntaxiquement, ces énoncés sont bien

construits mais il existe un rapport de

paraphrase entre eux et les phrases du texte

qui sont des constructions actives. J. D.

Apresjan (1973: 173-175) parle de

transformation syntaxique à lexique

constant pour qualifier ces changements

dans les relations syntaxiques mais dont le

lexique reste intact. La passivation

provoque la permutation des actants et des

rôles qui leur sont associés. En (1), par

exemple, les syntagmes «mouvements

pacifiques» et la «paix» qui sont

respectivement sujet et objet actif

deviennent dans le même ordre,

complément d’agent et sujet passif. Raison

pour laquelle la phrase passive

s’accompagne souvent de notables

différences interprétatives. Une phrase

active comme Quand les grandes

puissances dépouillent les pays sous-

développés de leurs matières premières et

sa correspondance passive Lorsque les

pays sous-développés sont dépouillés par

les grandes puissances ont-elles le même

sens? N. Chomsky (1965: 22-23) pense

que la transformation passive ne modifie

pas le sens Mais plus loin, il fait cette

précision:

«Ceci suppose que l’on écarte d’une part les

faux passifs (ex: Jean a persuadé Pierre d’examiner

Marie / Jean a persuadé Marie d’être examinée par

Pierre, où les relations grammaticales profondes ne

sont pas conservées), et d’autre part les passifs non

synonymes des actifs correspondants, du fait du jeu

de certains quantificateurs ex: Tout le monde ici

connaît au moins deux langues / il y a au moins

deux langues qui sont connues de tout le monde

ici» (1965: 224-225).

C. Fuchs, pour sa part, soutient qu’

«il y a entre une phrase active et sa

correspondance passive à la fois du pareil, à savoir

une certaine relation de base entre les termes, du

type qui fait quoi à qui? et du pas pareil dans la

sélection d’un certain ordre de présentation, qui

privilégie ou thématise l’un des termes de la

relation, du type de qui parle-t-on?, de quoi est-il

question?» (1982: 40).

Ainsi E2 et sa correspondance active

ont-ils en commun une même relation

thématique profonde avec grandes

puissances comme agent du dépouillement,

et pays sous-développés comme agi.

Cependant, les premiers termes prédiquent

la propriété «dépouilleur-de-pays sous-

développés» à propos de «toutes les

grandes puissances», tandis que les

56/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

seconds prédiquent la propriété «dépouillé-

par-les grandes puissances» à propos des

« pays sous-développés». Telle nous

semble la conclusion à laquelle est parvenu

Chomsky (1977: 121-122) à propos de la

passivation. On pourra donc conclure avec

R.- L. Wagner et J. Pinchon que«l’emploi

de la voix passive est toujours motivé par

une raison: raison de sens, raison de style.

Pour apprécier la valeur d’un passif, il

convient donc de l’opposer à la voix active

qui pourrait figurer dans le même texte»

(1991: 303).

On le voit, le problème d’équivalence

sémantique entre une phrase active et son

homologue passive a fait couler beaucoup

d’encre, selon que les auteurs focalisent

leur attention sur ce qu’elles ont de

commun, ou au contraire sur ce en quoi

elles diffèrent. Mais en tout état de cause,

retenons que la passivation constitue une

paraphrase qui n’est pas admise dans le

résumé de texte. En tenant compte des

règles qui régissent cet exercice, on

pourrait dire en E2: Les pays riches

affaiblissent économiquement ceux du

Tiers monde.

3.2. Le changement synonymique

La synonymie est une relation

d’équivalence de sens entre deux termes de

même nature grammaticale ou deux

acceptions de ces termes, caractérisée par

la similitude des éléments entrant dans la

définition. Le recours aux synonymes est

fortement conseillé dans le résumé de texte

puisqu’on exige qu’il soit rédigé dans une

forme personnelle. Toutefois, soumettre le

résumé à un simple assemblage de

synonymes est une aberration, comme le

constate ici Y. Stalloni: «Il serait vain,

voire absurde ou dangereux de soumettre

le texte à une retranscription à partir de

synonymes» (1991: 21). Mieux, cela

constitue une paraphrase sévèrement

sanctionnée. Les illustrations suivantes

illustrent parfaitement le phénomène:

●En effet, la paix est un désir important des

êtres vivants.

(Ouattara B. PC2A)

●La loi, c’est accepter que la terre ne soit un

terrain où l’homme est un animal pour son frère.

(Bohoussou A. C. DUT ELN1)

●Étonnant pacifisme à une seule facette.

(Sonan A. M. PB2A)

●C’est la paix dans les tombeaux où les canons

se sont tus.

(Yozan B. DUT INFO1)

La correspondance entre ces énoncés et

les phrases du texte de base s’établit

comme suit:

-E3 équivaut à la deuxième phrase du

paragraphe 1: «Car celle-là est l’aspiration

profonde des êtres humains…» ;

-E4 se rapporte à la troisième séquence

du paragraphe 3: «une manière d’admettre

que la planète ne soit qu’une jungle où

l’homme constitue désormais un loup pour

son semblable.» ;

-E5 est la reformulation de la première

phrase du paragraphe 4: «Curieux

pacifisme à sens unique.» ;

-E6 est l’interprétation de la première

séquence de la dernière phrase du

paragraphe 6: «C’est la paix des cimetières

où règne le silence des armes…»

En passant des phrases de base à leur

reformulation, on observe les changements

synonymiques suivants:

Énoncé (3)

Énoncé (4)

aspiration désir planète

terre

profonde important jungle

terrain

êtres humains êtres vivants loup

animal

semblable frère

Étude de quelques procédés paraphrastiques Félix …/57

Énoncé (5)

Énoncé (6)

curieux étonnant

cimetières tombeaux

sens facette

silence se sont tus

unique seule armes

canons

Quand on confronte les premières

phrases aux secondes, on constate une

différence de sens, fût-elle minime. Y. Le

Lay justifie le décalage sémantique par le

fait que «les synonymes envisagés seront

inadaptés s’ils comportent par rapport au

mot à remplacer des nuances concernant le

registre de langue, l’intensité, l’intention»

(2001: 78).

En s’appuyant sur cette thèse, le terme

canon en (6) au niveau du sens est

beaucoup restreint alors que son

correspondant armes est étendu car il

prend en compte tout ce qui sert à faire la

guerre: pistolet, lance roquette, RPG,

mortier, etc. Quant au registre de langue,

canon est souvent utilisé dans un registre

familier tandis que arme appartient à la

langue courante et même soutenue. Dans la

même logique en (3), l’adjectif profonde

dans «aspiration profonde» est plus fort en

termes d’intensité que important dans

«désir important» qui signifie considérable,

essentiel ou capital. Il en est de même pour

loup en (4), un carnivore très vorace et

destructeur. Ce terme est donc plus fort

que animal, un terme générique. Sur le

plan intentionnel, le mot frère, substitut

de semblable en (4), désigne une relation

de familiarité, d’appartenance à un groupe

alors que semblable a pour signifié, le

prochain ou tout être humain. De tels

termes, selon l’expression de M. Riegel et

ses collaborateurs (2009: 927)

entretiennent une relation de synonymie

partielle ou contextuelle.

On le voit, la synonymie est un

phénomène délicat puisque la plupart des

mots sont polysémiques. En conséquence,

deux termes sont rarement

interchangeables dans tous leurs emplois.

Pour établir la synonymie entre

expressions, il faut donc, selon la

recommandation de C. Fuchs «prendre en

compte non seulement l’identité

extensionnelle au niveau de la référence,

mais également l’identité intensionnelle au

niveau du sens: il ne suffit pas que les

expressions dénotent le même objet ou le

même état de choses, encore faut-il que le

point de vue sur ce référent soit le même,

ou comparable» (1982: 16).

La forme restituée de l’énoncé (3) est:

Les hommes recherchent ardemment la

stabilité.

3.3. La focalisation

Le terme est utilisé par A. Culioli

(1976: 120-124) pour souligner tous les

procédés d’insistance ou de mise en relief.

Plus précisément, il s’agit de phrases

emphatiques où le locuteur reprend un

constituant de la phrase là où le résumé

demande d’aller à l’essentiel. Cette reprise

constitue une autre façon de dire, comme

le témoignent les illustrations ci-dessous:

●Les puissants, ils écrasent sans justice les plus

faibles.

(Koffi D. M. PC2A)

●Il y a l’ONU qui a lutté pour que le Koweït

retrouve la stabilité.

(Zobo B. L. PB2A)

●C’est Platon qui essaie de définir la paix.

(Kouamé K. C. DUT ELN1)

Syntaxiquement, ces énoncés sont bien

écrits et ne posent aucune difficulté au

niveau de la compréhension, la seule

difficulté relève du fait que certains

éléments en italique comme le pronom ils

en (7) et le relatif qui en (8) et (9)

58/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

reprennent respectivement les termes

puissants, ONU et Platon. En d’autres

termes, ils redisent la même chose ; ce qui

constitue une sorte de paraphrase. En

outre, l’accent d’insistance est placé par les

candidats sur les termes qu’ils veulent

mettre en valeur, par contraste avec le reste

de la phrase. Deux moyens formels sont

utilisés dans cette opération:

-la dislocation de la phrase: le mot

puissants en (7) est détaché en tête de

phrase et repris par ils en vue de recevoir

un effet d’insistance ;

-l’extraction de constituants ONU et

Platon, encadrés respectivement en tête de

phrase par Il y a…qui et C’est…qui.

Sur le plan communicatif, le constituant

puissants, en (7) disloqué à gauche, est pris

comme thème, c’est-à-dire le groupe qui

porte l’information présentée comme déjà

acquise, selon l’expression de D.

Maingueneau (2003: 190) et le reste de

l’énoncé forme le propos, le groupe qui

porte l’information présentée comme

nouvelle. Alors que dans E8 et E9, ONU et

Platon sont traités comme des propos, et le

reste des énoncés constitue des thèmes.

Sur le plan sémantique, on observe le

même type de répartition entre un posé et

un présupposé. L’énoncé (7) présuppose

que «Les puissants écrasent quelque

chose» et spécifie qu’il s’agit des «plus

faibles», et non pas d’un autre objet ou

d’un autre groupe d’individus. Les deux

éléments (les puissants et les plus faibles)

entretiennent donc une relation de

spécification.

Les présentatifs, puisqu’ils traduisent

l’exagération et la grandiloquence, selon

les termes de M. Riegel et ses

collaborateurs (2009: 718), provoquent des

difficultés d’interprétation. C’est ainsi qu’à

propos de C’est…qui, M. Grevisse et A.

Goosse soutiennent que «c’est…qui

conformément à la nature première de ce,

introduit plutôt une explication par rapport

à un autre fait» (2011: 606). Quel est ce

bruit? C’est ma sœur qui se lève. D’une

manière analogue, E9 (C’est Platon qui

essaie de définir la paix) suppose qu’il est

la réponse à une question de type: Qui

d’entre vous a défini la paix?

En définitive, la focalisation est proche

de la fonction expressive du langage de R.

Jakobson reprise par B. Cocula et C.

peyroutet selon laquelle «l’émetteur

communique ses impressions, ses

émotions, ses jugements sur le contenu de

son message» (1978: 28). Elle crée deux

phénomènes: d’une part la paraphrase et

d’autre part l’exagération qui éloignent

fortement la phrase obtenue des principes

du résumé. En effet, l’auteur de cet

exercice doit s’abstenir de tout

commentaire, de toute approbation ou

désapprobation, il doit s’effacer et faire

abstraction de sa propre personnalité. Ainsi

en (7), on peut dire: Les puissants traitent

les faibles de façon cruelle.

3.4. L’expansion du mot

L’expansion (ou extension) est selon M.

Grevisse et A. Goosse «l’ensemble des

objets du monde auxquels un mot est

applicable» (2011: 609). Plus précisément,

il s’agit du résultat de l’addition successive

d’éléments facultatifs aux éléments

essentiels de la phrase. L’expansion du mot

est une variation de forme paraphrastique

décriée dans le résumé puisqu’elle véhicule

des informations fausses et accessoires

comme le soulignent les énoncés ci-après:

●La politique de ces gens, sans foi ni loi, est de

rassembler des groupes de personnes.

(Brou Amani C., PCom2A)

●La cohésion vraie, gage de tout

développement, est tranquillité d’un ordre.

(Koffi B. Firmin, dut info1)

Étude de quelques procédés paraphrastiques Félix …/59

●La paix exige la justice, mais pas celle des

vainqueurs, qu’il faut respecter.

(Ebrottié Ebba N., dut eln1)

L’énoncé (10) reformule la phrase «La

stratégie de ces gens: mobiliser des foules

pour dire non», voir paragraphe 2; E11 est

la correspondante de la phrase «La paix

véritable est tranquillité d’un ordre fondé

sur quatre facteurs», voir paragraphe 7 ; E

12 est tiré de «la paix exige la justice dont

le respect est l’œuvre propre de l’autorité»,

voir dernière phrase du dernier paragraphe.

Quand on confronte ces productions à

celles du texte de base, on observe des

ajouts situés à deux niveaux de la structure

hiérarchique de la phrase. En effet, il

apparait à côté du groupe nominal sujet et

du groupe verbal des constituants mobiles.

Il s’agit des segments sans foi ni loi en

(10), gage de tout développement en (11)

et mais pas celle des vainqueurs en (12).

Les trois «modifieurs» fonctionnent

comme des compléments : complément du

nom en (10) et (11) et complément du

verbe en (12). Ils entretiennent avec les

mots auxquels ils sont attachés un rapport

descriptif et conflictuel. Dans E11 par

exemple, l’effacement de gage de tout

développement ne modifie pas la valeur

référentielle du groupe nominal La

cohésion vraie, mais s’interprète comme la

suppression d’informations accessoires et

fausses à propos du référent cohésion déjà

suffisamment déterminé par l’adjectif

épithète vraie, l’autre élément du groupe

nominal.

L’expansion du mot est donc proscrite

dans le résumé puisqu’elle fait dire au texte

ce qu’il n’a jamais dit. Dans cette logique,

la forme restituée de l’exemple 10 est:

L’objectif visé par les contestataires est de

rassembler des groupes de personnes.

3.5. Le passage à la converse

Ce type de paraphrase a été mis en

évidence par J.D. Apresjan; il en donne un

exemple: C’est plus un planificateur qu’un

rêveur. /C’est moins un rêveur qu’un

planificateur (1973: 173-175). Il s’agit

donc de couples de termes qui expriment la

même relation, mais qui se distinguent par

l’inversion de l’ordre de leurs arguments.

Certaines productions des étudiants sont

calquées sur ce modèle:

●Un territoire a connu le passage d’un avion au

cours d’un entrainement.

(Dibi Yao G. PCom 2A)

●La justice est partie intégrante de la paix.

(Djiré Vamara, dut eln1)

L’illustration (13) est tirée de la phrase:

« Toutes les fois […] qu’un avion militaire

a survolé un territoire au cours

d’exercices…», voir paragraphe 2 ; E14

correspond à «Thèmes solidaires en ce

sens que la paix exige la justice […]

lorsqu’il s’agit du bien commun», voir

dernière phrase du dernier paragraphe.

Quand on compare les couples d’énoncés,

on constate une permutation de leurs

arguments, ce qui produit des expressions

paraphrastiques. Ainsi, les groupes

nominaux un avion militaire et un

territoire qui jouent respectivement le rôle

du sujet et de complément dans le texte

initial deviennent complément et sujet à

l’image des actants du couple actif/passif.

La même inversion des arguments se

produit entre E14 et sa correspondante

initiale.

En outre, la relation converse combine

les caractéristiques de la synonymie et

celles de la passivation. A ce titre, elle est à

la fois une paraphrase lexicale (les deux

énoncés en question ne se distinguent par

un mot: c’est l’exemple de a survolé /a

connu en (13) et exige /est partie

60/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

intégrante en (14)), et une paraphrase

syntaxique avec l’inversion de l’ordre des

arguments comme le couple actif-passif.

La problématique d’une identité

sémantique totale entre les couples de

phrases s’impose. A ce sujet, T. Shopen

proclame «: Je crois qu’il existe très peu

de couples de phrases ayant une forme

grammaticale différente, et qui soient

sémantiquement équivalentes, c’est-à-dire

qui aient la même structure sémantique»

(1972: 349). Cette thèse rejoint le postulat

structuraliste selon lequel tout changement

de forme induit nécessairement un

changement de sens, si minime soit-il. En

(14), on pourra retenir par exemple: Il ne

peut avoir cohésion sociale sans la justice

ou bien La cohésion sociale dépend de la

justice.

Conclusion

Le test soumis aux cent cinquante-

quatre (154) étudiants de l’Institut

National Polytechnique Félix Houphouët

Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro en

vue d’identifier les procédés linguistiques

qui entrainent le texte vers la paraphrase a

permis d’identifier cinq variations de

forme paraphrastiques. Le passage de

l’actif au passif, la synonymie, la

focalisation, l’expansion du mot et le

passage à la converse ont été tour à tour

étudiés à partir des approches syntaxique

et lexicale. Ces résultats sont significatifs

et montrent l’apport et l’importance des

données linguistiques dans la

compréhension d’un texte. Ils pourraient

contribuer au renforcement de la

méthodologie qui sous-tend

l’enseignement du résumé de texte. Mais

ils ne suffisent pas pour rendre compte de

la totalité des différentes façons de dire

inhérentes à l’exercice. D’autres études, à

partir d’autres types de textes (littéraires,

journalistiques, publicitaires) avec un

échantillon étendu et varié, permettraient

de saisir entièrement les lacunes et de

généraliser les résultats à l’ensemble de

l’institution scolaire.

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62/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

*[email protected]

Romans d’«espaces en perdition»:

voyage au cœur des territoires carnavalesques céliniens

Mindié, Manhan Pascal *

Université Allassane Ouattara de Bouaké, Côte d’Ivoire

Reçu: 18.05.2013 Accepté: 22.12.2013

Résumé:

Le présent article évoque le problème des «espaces en perdition» chez L-F. Céline, dont les romans,

qui se structurent autour de la question spatiale, nous proposent des lieux cruels, des mondes sanguinaires

aux allures de l’enfer dantesque. Ces territoires, qui apparaissent comme des univers toujours en proie à un

cataclysme originaire ou au délabrement, rappellent à l’esprit la fin du monde, celle du paradis terrestre.

Ces espaces en perdition tiennent lieu alors de gouffre, de prison, de torture, de souffrance, de châtiment.

De façon claire, ce sont des mondes de perversion qui dévorent, dénudent et désarment les corps

représentés.

Mots clés : Espaces, Territoires, Violence, Carnavalesque, Sites, Chronotope, Cruauté

Introduction

La notion de voyage est au cœur de

l’expression romanesque de Céline. Elle

implique que de Voyage au bout de la nuit à

Rigodon, l’écrivain a montré son

rattachement au genre picaresque. Le

narrateur de cses récits éprouve des

difficultés à se trouver un espace de bonheur

et de liberté, faisant des territoires parcourus

des espaces de perdition, des espaces

précaires de décomposition et

d’ensevelissement de l’homme. Ainussi, le

héros est-il sans cesse en proie à une quête

inlassable à travers l’espace, démontrant que

le roman de Céline, une longue traversée

rocambolesque du monde contemporain dans

laquelle il y a peu de regards attendris,

encore moins d’expressions d’attachement

au lieu d’existence. «Le tableau des

mondes» (Verdaguer, 1988 : 29) manifeste

cruauté, désespoir, dissolution et constitution

du «non-espace» (), comme si le romancier a

décidé de profaner, de désacraliser ou de

détruire les formes canoniques du cadre de

vie de ses personnages, pour en faire des

espaces carnavalesques, des lieux

«homicidaires» (Harel, 2008 : 168).

Mais qu’en est-il effectivement des

représentations d’espaces en proie à la

précarité dans ces romans? Comment se

présente alors l’espace du voyage au bout de

la déshérence? Quels discours les narrateurs

tiennent-ils sur ces milieux? La description

est-elle inconvenante?

Cette étude se veut surtout l’étude de la

surface, c’est-à-dire de l’espace, en tant que

«forme a priori où se dessine tout trajet

imaginaire» (Durant, 1969 : 480). Elle

permet de faire «le constat d’une inanité de

la forme et du lieu» (Harel, 2008 : 207) en

France, en Afrique, en Amérique et en

Angleterre.

64/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

I. La France, un théâtre d’opérations

militaires et une «aire de jeux»

carnavalesques

Dans Voyage au bout de la nuit, la France

se décompose en plusieurs microcosmes

ruraux (Noirceur-sur-le lys, le Bois de

Boulogne) et urbains (Paris, Rancy,

Toulouse et Vigny). Les milieux ruraux sont

synonymes de champs de bataille, mettant à

nu les menaces de mort et toutes sortes de

dangers et de démesures. Ces théâtres

d’opérations militaires sont sources de fêtes

sanglantes et macabres, projetant une image

grandiose et grotesque des zones rurales. Et

la vision chaotique de ces lieux apparaît dans

le spectacle brutal de l’étripage et du

dépeçage des humains, avec l’étalement des

tripes sous forme de «pagaïe» : «Il y en avait

pour des kilos et des kilos de tripes étalées,

de gras en flocons jaunes et pâles, des

moutons éventrés avec leurs organes en

pagaïe, suintant en ruisselets ingénieux dans

la verdure d’alentour» (Céline, 1952 : 32).

«L’image de désordres des chairs, des

entrailles exposées à l’air libre et de l’étalage

au dehors de ce qui devrait être contenu à

l’intérieur» (Verdaguer, 1988 : 184) montre

que Céline place toujours son lecteur dans

un décor malsain, fait de perversions

grotesques. De plus, ce spectacle nauséeux

implique la décomposition et de

déliquescence générale du corporel. En effet,

au désordre viscéral s’associe la liquidité,

avec l’image grotesque du sang répandu à

travers les herbes : «Et puis du sang encore

et partout, à travers l’herbe, en flacons

molles et confluentes qui cherchaient la

bonne pente» (Céline, 1952 : 32). Les

combats d’une rare violence sont alors

assimilables à une sorte de foire de sang.

L’on a l’impression que le romancier

transpose dans son roman un décor forain où

la fête et le carnaval tournent au vinaigre.

Les zones rurales, théâtres d’opérations

militaires sont marquées par l’obsession de

la décadence inscrivant l’écriture

romanesque célinienne dans la «tradition de

l’abject du XXe siècle» (Verdaguer, 1988 :

187), qui prend, selon les termes de Kristeva

«la relève de l’apocalypse et du carnaval»

(Kristeva, 1980 : 165). Céline célèbre dans

ces lieux la violence et la mort.

Avec Paris, se précise alors, comme

l’affirme Verdaguer, la «division du monde

célinien en régions du dessus et régions du

dessous» (Verdaguer, 1988 : 84). Elle a alors

l’allure d’une ville à la souterraine et

labyrinthique par l’existence dans cette

localité de «trous, tunnels, caves et tombes»,

des réalités qui traduisent l’ensevelissement,

la descente dans les entrailles de la terre,

l’avalage (donc la mort) et l’enlisement, car

le métro parisien se réduit à un monstre

dangereux qui dévore les êtres, qui «avale

tous et tout» (Céline, 1952 : 305), comme le

souligne Bardamu : «La ville cache tant

qu’elle peut ses foules de pieds sales dans

ses longs égouts électriques» (Céline, 1952 :

306). L’être parisien n’est qu’une simple

nourriture et un déchet pour ce centre

«labyrinthique de digestions infinies»

(Verdaguer, 1988 : 84). Ce microcosme

manifeste laideur, lourdeur et étroitesse à

l’image de Rancy, une banlieue

parisienne où Bardamu s’installe pour

exercer son métier de médecin des pauvres:

«La plupart du temps, notre cour n’offrait que des

hideurs sans relief, surtout l’été, grondante de

menaces, d’échos, de coups, de chutes et d’injures

indistinctes. Jamais le soleil ne parvenait jusqu’au

Romans d’«espaces en perdition»:voyage :…/65

fond. Elle en était comme peinte d’ombres bleues (…)

Dans la nuit quand ils allaient faire pipi, ils cognaient

contre les boîtes à ordures» (Céline, 1952 : 339).

Rancy se présente comme une prison

exigüe, avec entassement d’une forte

population de prisonniers, qui baignent dans

l’urine, manifestation aqueuse et visqueuse

du corporel, signes matériels de la

déliquescence des zones urbaines françaises.

Mais il entreprit de visiter les autres villes

telles que Toulouse et Vigny-sur-Seine.

Dans ces différentes banlieues, il constate le

règne de la misère, de la pauvreté et de la

souffrance multiforme : insalubrité, maladie,

mort, promiscuité, mauvaise diététique,

désordre, etc.

Bardamu, blessé au front, incapable de

continuer la fête des fous, est donc envoyé

en Afrique comme commis pour faire

fortune. Le voyage le conduisant vers

l’Afrique lui permet de faire l’amère

expérience d’un autre microcosme étroit, que

Verdaguer nomme «prison-flottante»

(Verdaguer, 1988 : 112), qui est de toute

évidence l’Amiral Bragueton, le bateau à

bord duquel il effectue le voyage

rocambolesque. Dans le navire de fortune

qui transporte Bardamu de Marseille en

Afrique, celui-ci est victime de la barbarie

des autres voyageurs. Cette violence

gratuite, dont il fait l’objet, apparaît comme

une fête à laquelle tout le monde est convié :

hommes et femmes, mais l’élément féminin

est ce qui active plus la verve et la rapine de

ses bourreaux :

«D’après ce que je croyais discerner dans la

malveillance compacte où je débattais, une des

demoiselles institutrices animait l’élément féminin de

la cabale. (…) Elle quittait peu les officiers

coloniaux aux torses moulés dans la toile éclatante et

parés au surplus ni moins qu’une infecte limace, bien

avant la prochaine escale. (…). Cette demoiselle

attisait leur verve, appelait l’orage sur le pont de

l’Amiral Bragueton, ne voulait connaître de repos

qu’après qu’on m’eut enfin ramassé pantelant, corrigé

pour toujours de mon imaginaire impertinence, puni

d’oser exister en somme, rageusement battu, saignant,

meurtri, implorant pitié sous la botte et le point d’un

de ces gaillards ont elle brûlait d’admirer l’action

musculaire, le courroux splendide» (Céline, 1952 :

129).

Scène anarchique de carnage et de viol

conscients, cette bastonnade ressemble aux

images «saturnales» dont parlait Bakhtine à

propos des textes de Rabelais (Bakhtine,

1970 : 150). Bardamu, qui fait figure

d’étranger, différent des autres occupants du

navire-cirque ou navire-piège, est pris pour

la cible étrange à abattre, à réduire au néant.

Selon ce que fait remarquer René Girard,

pour qu’il y ait violence sur un individu, ce

dernier doit présenter des traits de différence

avec les autres, ses bourreaux : «la violence

inassouvie cherche et finit toujours par

trouver une victime de rechange, qui ne doit

pas être semblable aux autres; une victime

relativement indifférente, une victime

sacrifiable» (Girard, 1972 : 17). Bardamu

semble répondre àde ce critère par son

calme, son sérieux dans le bateau, alors que

les autres sont pour la plupart des

alcooliques et des prostitués, ce qui

présageait déjà que le voyage pourrait

comporter des risques, des menaces : «À

l’embarquement à Marseille, je n’étais guère

qu’un insignifiant rêvasseur, mais à présent,

par l’effet de cette concentration agacée

d’alcooliques» (Céline, 1952 : 128). Après

ce voyage tourmenté, Bardamu débarque en

Afrique, à Bragamance, à Fort-Gono. Il

66/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

saisit cette occasion pour dénoncer

l’injustice du colonialisme.

II. L’Afrique, un site archaïque et

anachronique à humanité jetable

L’Afrique, second milieu naturel après

celui du front, apparaît comme une terre

nouvelle à découvrir et à conquérir pour des

raisons économiques, politiques et sociales,

mais aussi pour son exotisme. Le narrateur-

picaro, ce gueux des temps modernes, en

profitent pour jeter un triple regard sur ce

continent présenté à partir de l’imagerie

occidentale, le présentant comme un site

archaïque, un univers carnavalesque.

Le narrateur-personnage, après avoir

échappé à la furie des autres voyageurs,

débarque en Afrique, constate que l’univers

de la colonisation est malsain et immonde,

tant le système a dévié de sa trajectoire, de

sa mission de «civilisation ou

d’«humanisation du Noir» pour devenir un

obstacle à l’épanouissement de celui-ci.

Bardamu parvient à la conclusion que deux

grands motifs réels ont guidé l’entreprise

coloniale : les motifs sociopolitiques d’une

part et de l’autre, les motifs économiques.

Pendant ces différentes errances à travers

toute la colonie de la Bambola-Bragamance,

Bardamu ne s’empêche pas d’ouvrir un coin

de voile sur le système colonial et sur ses

avatars. Son parcours de ce territoire

s’organise autour de Fort-Gono, Bikomimbo

et Topo ou le petit Togo. L’on voit encore ici

que Bardamu, comme à la guerre, ne reste

pas fixé en un lieu. D’un univers à l’autre, sa

détermination à critiquer et à dévoiler le faux

semblant, le mal des lieux et des êtres, se

manifeste.

Ainsi, dans l’esprit du narrateur-errant, au

niveau social et politique, l’Afrique apparaît

comme un dépotoir, une terre d’asile pour

les bons à rien européens et les laissés pour

compte des métropoles occidentales. Ceux-

ci, parfois invalides, à l’image de Bardamu

lui-même qui, blessé à la guerre, quelque

peu invalide, demande à s’installer en

Afrique pour se refaire une situation sociale

qu’il n’aurait jamais eue s’il restait fixé sur

sa terre natale. La colonie africaine servait

de solution de sécurité aux problèmes

sociaux des nombreux soldats, comme

Bardamu, engagés pendant la guerre :

«Les huiles ont fini par me laisser tomber et j’ai

pu sauver mes tripes, mais j’étais marqué à la tête et

pour toujours. Rien à dire. «Va-t’en!...qu’ils m’ont

fait. T’es plus bon à rien!...En Afrique! Que J’ai dit

moi.» (…) on m’avait donc embarqué là-dessus, pour

que j’essaye de me refaire aux colonies. Ils y tenaient

ceux qui me voulaient du bien, à ce que je fasse

fortune» (Céline, 1952 : 122).

Sur le plan économique les colons

avaient un but clair, celui d’exploiter et de

piller sans vergogne les richesses africaines,

parfois avec la collaboration de quelques

vendus ou traîtres : «Pour un paquet de

lames «pilett» j’allais trafiquer avec eux des

ivoires longs comme ça, des oiseaux

flamboyants, des esclaves mineures. C’était

promis. La vie quoi!» (Céline, 1952 : 120).

L’expropriation était parfois violente et

humiliante comme la situation vécue par une

famille des récolteurs de caoutchouc, dont le

père est rudoyé devant ses enfants :

«Le collègue au «corocoro» achetait du

caoutchouc de traite, brut, qu’on lui apportait de la

brousse, en sacs, en boules humides. D’autorité les

commis recruteurs s’en saisir de son panier pour peser

le contenu sur la balance. (…) Pesée faite, notre

gratteur entraîna le père, éberlué derrière son

comptoir et avec un crayon lui fit son compte et lui

Romans d’«espaces en perdition»:voyage :…/67

enferma dans le creux de la main quelques pièces en

argent. Et puis : «va-t’en!» (…) Tous les petits amis

blancs s’en tordaient de rigolade, tellement il avait

bien mené son buisiness» (Céline, 1952 : 150).

En dépit de cette injustice économique,

les colons tels le gouverneur général de la

Compagnie Pordurière de Bikomimbo où

Bardamu retrouve Robinson, le sergent

Alcide, le Lieutenant Grappa et les miliciens

de Fort-Gono, chargés de la sécurité

régnaient par la terreur, la violence et

l’autoritarisme :

«Dans cette colonie de la Bambola-Bragamance,

au-dessus de tout le monde, triomphait le gouverneur.

Ses militaires et ses fonctionnaires osaient à peine

respirer quand il daignait abaisser ses regards jusqu’à

leurs personnes. Bien au-dessus encore de ces

notables les commerçants installés semblaient voler et

prospérer plus facilement qu’en Europe. (…)

L’élément militaire encore plus abruti que les deux

autres bouffait de la gloire coloniale» (Céline, 1952 :

137).

Les autochtones noirs subissaient un

traitement inhumain: hommes, femmes et

enfants connaissaient le même sort

dramatique. La chicote, la verge et les

injures n’étaient point ménagées à leur

égard, en dépit de leur dévouement au

travail :

«Des files de nègres, sur la rive, trimaient à la

chicote, en train de décharger, cale après cale, les

bateaux jamais vides, grimpaient au long des

passerelles tremblotantes et grêles, avec leur gros

panier plein sur la tête, en équilibre parmi les injures,

sortes de fourmis verticales. (…) les mères, qui

venaient trimarder avec leur enfant en fardeau

supplémentaire» (Céline, 1952 : 141).

Pire encore, les Noirs étaient l’objet de

bastonnades carnavalesques sur les places

publiques, malgré tout leur pacifisme et leur

passivité inouïe et déconcertante:

«Alors! commanda Grappa. Vingt coups! Qu’on

en finisse! Vingt coups de chicote pour ce vieux

maquereau!...(…) Le vieux vit arriver sur lui quatre

miliciens musclés. (…) il se mit à rouler des yeux,

injectés de sang comme ceux d’un vieil animal

horrifié qui jamais auparavant n’aurait encore été

battu. (…) pagne retroussé et d’emblée reçut sur le

dos et les fesses flasques une de ces volées de bâton

souple à faire beugler une solide bourrique pendant

huit jours. Se tortillant, le sable fin giclait tout

alentour de son ventre avec le sang, il en crachait du

sable en hurlant, on aurait dit une chienne basset

enceinte, énorme qu’on torturait à plaisir» (Céline,

1952 : 167-168).

Le regard de Céline sur le voyage africain

montre que ce monde est compartimenté,

bipolarisé : d’un côté les Blancs, le diable en

personne, violent, et brutal, et de l’autre, les

Noirs, ignorants, naïfs et hypocrites. Mais

dans l’esprit du Blanc, le Noir n’est pas

différent de l’animal. Toutes les

comparaisons contenues dans ce passage

mettent en évidence ce rapprochement :

«injectés de sang comme ceux d’un vieil

animal» «beugler une solide bourrique» «on

aurait dit une chienne basset enceinte».

Le Noir est comparé à une «bourrique», à

une «chienne basset enceinte». Dans cette

humiliation et cette déshumanisation du

Noir, l’on note que les autres membres de

cette communauté étaient passifs, aucune

réaction virulente de leur part n’était

observée. Céline nous montre un monde sans

communication où les frontières raciales et

culturelles balisent tout et bloquent toute

illusion de rapprochement réel et

d’harmonie. Ce regard croisé de Céline

équivaut au regard sur les riches et les

pauvres, sur les Bourgeois et les prolétaires-

68/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

ouvriers. Dans l’esprit de Céline le Noir est

le symbole du pauvre, victime de la misère

pluridimensionnelle et le Blanc représente le

riche, celui qui a tous les moyens de sécurité

et de survivance et qui écrase le pauvre, le

réprouvé. À l’image du picaro, Bardamu

saisit toutes les opportunités que lui offrent

ses voyages pour dénoncer l’inadmissible et

l’intolérable. Au terme de son séjour

africain, Bardamu est diminué par la maladie

(le paludisme), la chaleur, l’eau et la pluie,

en somme la nature : «La végétation bouffie

des jardins tenait à grand-peine, agressive,

farouche, entre les palissades, éclatantes

frondaisons formant laitues en délire autour

de chaque maison, (…) dans lequel achevait

de mourir de pourrir un Européen jaunet»

(Céliné, 1952 : 129).

Dans l’esprit du narrateur, l’Afrique est

loin d’être un continent exotique, un monde

de rêve et d’utopie, car sa nature révèle son

aspect corrosif et sauvage : «Cette frange

grise, le pays touffu au ras de l’eau, là-bas,

sorte de dessous de bras ne me disait rien qui

vaille. C’était dégoutant à respirer cet air-là,

même la nuit, tellement l’air restait tiède,

marine moisie » (Céline, 1952 : 156).

Céline montre que l’Afrique ne peut

susciter aucun espoir. Tous ses micro-

espaces (Fort-Gono, Bikimimbo et Topo)

présentent le même décor de la désolation et

de la décomposition. AÀ l’air irrespirable, à

la chaleur torride et à la végétation touffue

de Fort-Gono, correspondent l’oppression et

l’enlisement exercés par l’eau, qui, comme

la guerre, accélère la dissolution tragique et

grotesque du corps à Topo. En plus de cette

nature hostile, il faut souligner l’anarchie

dans laquelle les roitelets de cette colonie

baignent : «Nous voguions vers l’Afrique, la

vraie, la grande; celle des insondables forêts,

des miasmes délétères, des solitudes

inviolées, vers les grands tyrans nègres

vautrés aux croisements de fleuves qui n’en

finissent plus» (Céline, 1952 : 120).

Bardamu se préoccupe plus de la tyrannie

et la rigidité du pouvoir africain, toute chose

qui montre que ce continent ne peut pas être

l’eldorado promis aux va-nu-pieds

européens. Et c’est dans cette situation de

déconvenue que l’errant-narrateur est vendu

comme esclave et déporté en Amérique, où il

erre, comme à son accoutumé dans les rues

de New-York d’abord et puis enfin dans

celle de Détroit, où il assume la condition

ouvrière chez Ford.

III.- L’Amérique, le chronotope du monde

de cruauté

L’Amérique se perçoit à travers New-

York et Détroit. Au niveau architectural,

New-York est une ville à architecture

verticale : «Figurez- vous qu’elle était

debout leur ville, absolument droite. New-

York c’est une ville debout. (…) elle se

tenait bien raide (…), raide à faire peur»

(Céline, 1952 : 184). Ce type de

d’architecture implique une manière de lever

la tête, de faire front, de s’opposer à la

position couchée, propre au règne animal,

qui caractérise les villes européenne : «Mais

chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées

les villes, au bord de la mer ou sur les

fleuves, elles s’allongent sur le paysage»

(Céline, 1952 : 184). L’architecture verticale

que revendiquent les cités américaines est

synonyme d’élévation et de puissance,

d’autorité et de pouvoirs : «raide à faire

peur». Cela dit, les Américains logent entre

ciel et terre à l’instar des «pantins

désarticulés» (Harel, 2008 : 203), et leurs

villes sont le symbole d’un monde qui rêve

Romans d’«espaces en perdition»:voyage :…/69

ou aspire à écraser ou brutaliser un

œkoumène horizontal. Outre cet aspect de

puissance, la position verticale pourrait être

la transfiguration de la puissance phallique

honteuse, qui renseigne sur la condition

d’une société débridée, en proie à la

démesure. Durant son séjour New-yorkais,

Bardamu visite des hôtels (Laugh-calvin),

des cinémas, passe chez Lola et Molly, et en

ressort complètement désillusionné; New-

York est donc une zone franche.

Après New-York, il émigre à Détroit où il

travaille chez Ford. Son constat sur cette

autre ville américaine est amer. En effet,

Détroit abrite des bâtiments-prisons ou

cages : « J’ai vu en effet les grands

bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages

à mouches sans fin, dans lesquels des

hommes à remuer, mais à remuer à peine,

comme s’ils se débattaient plus que

faiblement» (Céline, 1952 : 223). Cette zone

industrielle tient lieu de cité lépreuse, un

asile pour les travailleurs migrés qui gagnent

difficilement leur vie, qui se sentent

fortement déprimés et épuisés corps et âme.

Ce microcosme met fin à l’illusion d’un

monde de liberté; il contraste avec toute idée

de déambulation, de sociabilité.

New-York et Détroit sont dans l’esprit du

héros-narrateur le chronotope de la ville-

cruelle et de la ville-prison. Elles sont

menaçantes et dangereuses pour

l’épanouissement de l’immigrant. Pour

Bardamu, ce qui compte en Amérique et

pour les Américains c’est le dollar qu’ils

adorent comme un dieu : «(…) trop léger le

Dollar, un vrai saint-esprit, plus précieux que

du sang. (…) Ils parlent à Dollar en lui

murmurant des choses à travers un petit

grillage, ils se confessent quoi (…). Ils se la

mettent sur le cœur» (Céline, 1952 : 192-

&193).

L’esprit des Américains serait capturé par

le matériel; ils n’auraient point de

considération pour les choses sacrées, à telle

enseigne qu’ils profanent le Saint-Esprit par

un blasphème conscient. Comme dans toute

symbolique carnavalesque, l’espace de

l’errance dans ce roman, et à l’image des

personnages, qui y déambulent, est un

monde de dureté, de décomposition et

d’ensevelissement des visiteurs. Tous ces

milieux semblent ne pas avoir de fondement

interne et moral pouvant leur permettre

d’être stables et cohérents. Et comme

l’espace influence l’individu, les

personnages errants de Voyage au bout de la

nuit sont également instables. Le mouvement

de fuite et d’errance «picaresques» dans

lequel sont pris les héros pourrait s’expliquer

par la crainte et la peur qu’inspirent les

hommes: «C’est que je ne connaissais pas

encore les hommes. Je ne croirai plus jamais

à ce qu’ils disent, à ce qu’ils pensent. C’est

des hommes et d’eux seulement qu’il faut

avoir peur, toujours.» (Céline, 1952 : 20), et

puis par la méchanceté et la cruauté qu’ils

manifestent toujours par un désir farouche

de nuisance et de meurtre :

«Un peu meilleur l’endroit dans ses débuts,

forcément, parce qu’il faut toujours un peu de temps

pour que les gens arrivent à vous connaître, et pour

qu’ils se mettent en train et trouvent le truc pour vous

nuire. Tant qu’ils cherchent encore l’endroit par où

c’est le plus facile de vous faire du mal, on a un peu

de tranquillité, mais dès qu’ils ont trouvé le joint alors

ça vous redevient du pareil au même partout. En

somme, c’est le petit délai où on est inconnu dans

chaque endroit nouveau qu’est le plus agréable.»

(Céline, 1952 : 367).

70/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

Le héros découvre un monde où

«l’homme est un loup pour l’homme» selon

les termes John Lock, et conclut que «l’enfer

c’est les autres». Enfin, et sous une forme

plus métaphorique, à travers l’image de la

corruption, du pourrissement qu’engendre

l’immobilité, Céline s’explique la mobilité

de ses héros. Dans son esprit, demeurer en

un lieu fait naître une sorte de corruption,

d’abord, autour de soi : « AÀ mesure qu’on

reste dans un endroit, les choses et les gens

se débraillent, pourrissent et se mettent à

puer » (Céline, 1952 : 349), ensuite l’homme

lui-même se décompose : « Dès qu’une

porte se referme sur un homme, il

commence à sentir tout de suite et tout ce

qu’il emporte sent aussi. Il se démode sur

place, corps et âme. Il pourrit ». (Céline,

1952 :451). En d’autres termes, et pour lui,

les habitudes font de l’homme une sorte de

mort-vivant. C’est ce qui explique le fait que

les personnages céliniens saisissent toutes

les occasions de changer d’air, laissant

derrière eux des avortons de bonheur, car

poursuivis toujours en tout lieu par l’autre.

La menace qu’autrui constitue en tant que tel

pousse ainsi les héros céliniens à fuir sans

cesse, comme si la perpétuelle hostilité du

monde organisé oblige au vagabondage, à

l’errance comme ce fut le cas des gueux

espagnols.

IV. L’Angleterre, un hyperespace de

liberté, mais aussi de cruauté

«L’hyperespace donne le sentiment de

vivre dans un monde accueillant, prolixe en

émotions de toutes de sortes» (Harel, 2008 :

206). Londres dont la silhouette apparaît

dans Guignol’s band est, après Paris, New-

York et Détroit une autre ville que

Ferdinand, le héros de Céline parcourt.

Londres est une ville-fluviale et portuaire qui

est portée vers : «l’estuaire et la mer sans le

désespoir qui marque la fin du Voyage au

bout de la nuit» (Cresciucci ,1990 : 163), ou

au bout des «ossuaires d’une encyclopédie

sans pertinence» (Harel, 2008 : 209), et qui

offre à Ferdinand une liberté de

mouvements, contrairement à New-York et

Détroit, symboles d’enferment et de

claustration. En effet, Ferdinand, le héros

errant dans les «boroughs et areas» de

Londres.

D’abord accueilli au quartier général de

Cascade : «On pouvait pas désirer mieux!...

place admirable comme «Boarding». Les six

étages d’un seul tenant!... Leicester Street.

Leicester Square W. I…» (Céline, 1951 :

182), Ferdinand parcourut nombres

d’arrondissements (boroughs) et de quartiers

(areas) comme le note Jill Forbes :

«Ce Londres est doté d’un centre et deux

extrémités disposés de façon linéaire; c’est-à dire le

West End situé, malgré son nom, au centre et, d’un

côté les quartiers populaires de l’Est, des Docks et du

London Hospital où Ferdinand se sent comme chez

lui et l’autre côté, Willesden, le faubourg plus

bourgeois de l’Ouest où habitent Virginie et le

colonel et où Ferdinand se perd dans les usages»

(Forbes, 1976 : 35).

La multiplicité des références

topographiques et des toponymes révèle qu’à

Londres, Ferdinand et ses amis peuvent aller

partout, aller où ils veulent. C’est un monde

de liberté, de mouvement. Dans cette

perspective, les images connues de la

«périurbanité» (Harel, 2008 : 206) ne

s’appliquent pas à cette ville. Ce faisant, cet

hyperespace est le signe de l’émergence

d’une nouvelle socialité favorisant

l’autonomie et une convivialité sans

Romans d’«espaces en perdition»:voyage :…/71

précédent. Londres permet alors au héros de

conserver l’illusion d’une certaine liberté de

déplacement, de mobilité, de fluidité et de

solidarité sociale. Cette vision de l’espace

est le signe d’une certaine ouverture au

monde, l’espérance de la transfiguration du

cadre perceptif du romancier qui, avec cette

ville, fait tant soit peu, de l’espace un

univers perceptif qui modifie les manières de

faire de Ferdinand.

Toutefois, l’on ne doit pas oublier

l’ambivalence de la représentation spatiale

de la socialité chez Céline. En effet,

l’instabilité psychologique de Ferdinand

poursuivi par la justice policière de Mathew

fait qu’il évoque la précarité, la marginalité

des lieux: «Si les bourres s’amenaient,

raflaient tout?... j’étais coquet avec mes

fafs!... ma réforme, mes tampons gommés»

(Céline, 1951 : 36). Ferdinand, en tant que

réfugié est toujours sur le qui-vive. Anxieux,

il imagine que quelque chose pourrait lui

arriver à tout instant. Il vit cette instabilité

psychologique créée par le monde qui

l’entoure. Finalement, il se met dans une

logique de soupçon ; toute parole d’autrui,

tout bruit entendu du dehors et tout geste

étaient conçus comme une menace ou un

piège contre lui, ce qui justifie sa fuite

permanente, ses errances et ses promenades

dans les différents «boroughs» et les «areas»

de la ville de Londres.

De façon claire, Ferdinand a bénéficié de

trois grands asiles : le Leicester, la maison

de Van Claben et celle de du colonel

O’Collogham. Mais pour insuffisance de

sécurité et de protection, il a été obligé de les

fuir tous. À Leicester, Ferdinand redoute,

malgré la générosité de ses protecteurs,

l’atmosphère confuse, une certaine bassesse

et les ragots sournois et dangereux du lieu,

alors qu’il fait l’objet de poursuites de la part

des autorités policières (le Sergent Mathew)

et par les hommes de Cascade. Chez Van

Claben, le délabrement, la vétusté et le

désordre hyperbolique du domaine

inquiètent Ferdinand qui décide de s’en aller

pour éviter d’être victime d’une éventuelle

catastrophe naturelle :

«Ça faisait un prodigieux spectacle des monticules

de camelote autour de Titus. Tout demandait qu’à

retomber… Ça dégringolait pour des riens, ça

s’effondrait par avalanches, par vallons, par trombes

de quincailles à travers les voitures d’enfants, (…) ça

s’écroulait par tonnerres, basculait au loin les matelas,

les oreillers couvertures» (Céline, 1951 :163).

En outre, il évoque l’immoralité

débordante du lieu, une résidence où

l’alcool, le tabac, la drogue, la méchanceté,

en somme une espèce d’orgie sous l’effet de

cigarettes hallucinogène y règnent, ce qui

gêne Ferdinand. Et comme conséquence

néfaste de cette atmosphère de cruauté, Titus

Van Claben est assassiné et sa maison

incendiée. À cet égard, ce lieu de refuge est

sans aucun doute le symbole de cette

violence contenue, partant, aussi,

l’expression d’une logique carcérale de

l’habitat.

Après ce forfait, Ferdinand trouve refuge

à Willesden, chez le colonel O’Collogham,

où rencontre la jeune et belle Virginie, la

nièce du colonel, dont il s’éprend

passionnément. Apparemment, «cet espace-

refuge lui est d’une hospitalité toute relative,

et provisoire» (Genette, 1966 : 101).

Willesden est donc un espace ambivalent : il

est à la fois un lieu de refuge mais aussi celui

de l’éclosion de la passion amoureuse latente

dans l’esprit du narrateur. Depuis sa

rencontre-fusion avec Virginie, Ferdinand

72/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

n’est plus resté fixé en un lieu, il était

constamment en mouvement par-ci par-là en

compagnie de la petite vertueuse Virginie:

«On va passer d’abord chez Stram! Lime Lane

Upper! Pour les cotillons!... (…) et puis dare-dare tout

de suite Gospel! Le numéro 24? Hundred twenty four

the bus! Une heure de trajet au moins… à griffe tout

le quartier! Là c’est les fournitures métal, les petits

chaudrons, les valves ventouses… les étoupes aussi…

(…) on allait voir la chimie… Là y avait encore des

achats…la liste était encore longue…cap sur Soho

pour les droguistes…» (Céline, 1964 :431-432).

Cependant, Ferdinand voit encore une

menace de la part de l’oncle de Virginie, et

pense à s’en aller : «Ah y avait plus qu’à

foutre le camp, déguerpir de cette maudite

tôle. Ils auraient ma peau!...» (Céline, 1964 :

568). De fait, l’on peut admettre que cet

«espace soit comme il était à l’époque

baroque, à la fois attirant et dangereux,

favorable et maléfique» (Céline, 1964 : 102).

Ferdinand serait alors habité par ce qu’Alain

Cresciucci nomme «la claustrophobie

constamment mise en relation conflictuelle

avec le désir claustrophilique» (Cresciucci,

1990 : 167), chez Céline. Le moins qu’on

puisse dire c’est que Ferdinand éprouve son

existence comme une «angoisse, son

intériorité comme une hantise ou une nausée

; livré à l’absurde et au déchirement»

(Genette, 1966 : 101), il croît trouver une

certaine stabilité ailleurs, ce qui explique sa

constante errance, en plus des trois grands

espaces de refuge, à travers les petits refuges

comme les pubs (lieux de délire, de folie et

d’agressivité), le Touit-Touit Club (l’enfer

ou le purgatoire), le London Hospital, le

métro et les jardins où Ferdinand et Virginie

passent des moments voluptueux très

agréables, et qui constituent des paradis

(Day, 1974 : 205). Tout ce que l’on peut

retenir de l’espace londonien c’est qu’il est

tragique et grotesque. En cela, il ressemble

au Paris de la guerre, à l’Afrique, à la nature

agressive, dissolvante et liquéfiante et à

l’Amérique, à l’esprit pourri par le

matérialisme, dont l’architecture, certes,

moderne, constitue une barrière à tout

immigrant. Tout ceci atteste que

«l’espace des représentations contemporaines est

un, ou du moins, malgré ou par delà les différences de

registres et les contrastes d’interprétation qui le

diversifient, il est susceptible d’une réduction à

l’unité; cette unité se fonde, évidemment, sur

quelques traits particuliers qui distinguent notre

espace, c’est-à-dire l’idée que nous nous faisons de

l’espace» (Genette, 1966 : 101).

Conclusion

Au terme de cette analyse, il convient

d’affirmer que l’écriture romanesque de

Céline se réduit à une expérience spatiale.

Son roman fonctionne alors sur la base d’une

analyse de l’espace (la société) et des

hommes. Le narrateur de cses récits et

certains personnages sont pris par une

obsession de partir, de fuir les lieux qu’ils

visitent. Cette perpétuelle soif de la fuite

s’explique par une volonté de faire le tour du

monde, de mieux le connaître, afin de mieux

le disséquer, et dénoncer ses cruautés et ses

barbaries. En effet, les territoires parcourus

par ses héros se présentent comme des lieux

à la dérive, des espaces à la limite de «l’être

et du non-être» (Cusson, 2003 : 83).

L’on ne voit que dans ces images

spatiales le symbolisme du démembrement,

de la dissolution, de l’ensevelissement et

l’évocation de la perdition humaine dans

l’informe, par le biais de du broyage digestif

tous azimuts. Les territoires céliniens

Romans d’«espaces en perdition»:voyage :…/73

projettent «l’image de la grande marmelade

des hommes» (Verdaguer, 1988 : 85),

l’image d’un gouffre à l’envers et celle d’un

abîme si profond qu’on ne peut sonder, mais

qui exhale des odeurs fétides et nauséeuses.

Ce sont en somme, des zones carnavalesques

où évoluent des personnages tout aussi

anomiques que grotesques. L’espace célinien

se caractérise de ce point de vue par le

cauchemar de la destruction humaine.

Céline est donc le véritable créateur

d’une littérature narrative du non-espace

comme il se plaisait à le proclamer devant

quiconque voulait l’entendre, lorsqu’il tance

ses devanciers en ces termes : «Les gens- là

n’ont pas le sens créateur. Moi je suis de

l’école d’Henri IV. Les gestes pour les

gestes m’écœurent, m’horripilent. Je les hais.

Est-ce créateur ? Ma seule question. Je suis

le père sperme » (Louis, 1980 : 142). Il est

créateur au sens de celui qui a donné vie et

forme à la nouvelle littérature sur l’espace. Il

s’attribue ainsi la paternité de la révolution

littéraire en général et celle de l’écriture

romanesque faite de transgression et de

rupture en particulier.

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Abstracts

Narrative structure of fantasy in

La Venus d’Ille of Merimée and The First innocent of‎ Golshiri

Abbasi, Mohammad Ebrahim

*

Postgraduate Student, University of Tehran, Tehran, Iran

Shahverdiani, Nahid**

Assistant professor, University of Tehran, Tehran, Iran

Received:07.01.2014 Accepted: 10.05.2014

Abstract

What distinguishes fantasy from other genres is ambiguity in and dualism between natural and

supernatural causalities in a story, which creates confusion and hesitation in the mind of the

reader. In a fantastic story, conveying the effect of fantasy depends more on the narrative mode

than on theme. For this reason, the structure of the story, the narrative mode, the narrative point

of view and the author’s style play a major role in how the element of fantasy is conveyed. Of

course, theme plays an important role as well. In this comparative study, we have tried to

examine the similarities between the two short stories La Venus d'Ille and The ‎First innocent in

terms of structure, style and theme. The former was written by Mérimée, who was a French short

story writer in the 19th

century, and the latter by Golshiri, an Iranian writer in the 20th

century.

This study gives us the opportunity to study the interdependencies – in terms of narrative

structure- which have connected these two stories from two different ages and two different

literary forms, classifying them in the same literary genre.

Keywords: Fantasy, narrative strategies, Mérimée, Golshiri, La Venus d'Ille, The ‎First innocent.

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76 / Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

Why is Sadegh Hedayat's novel, The Blind Owl, considered to be such an antinovel?

Balighi, Marzieh

Assistant Professor, University of Tabriz, Tabriz, Iran

Received: 30.01.2013 Accepted: 19.10.2013

Abstract

First appeared in Tehran in 1941 as a serial in the daily Iran and translated into French by

Roger Lescot in 1953, The Blind Owl follow a disconcerting storyline. Widely regarded as

Sadegh Hedayat's masterpiece, this novel introduces its author - since his death in 1951 - as one

of the main founders of modern Persian literature. But this work is considered to be such an

antinovel, challenging to traditional narrative. This is a challenge that results in a very strange and

complex text characterized by the absence of a coherent plot, the characters depicted as unreal,

the unrealistic places, an undefined temporal structure and at last by the complexity of its

atmosphere, irreducible to the interpretation. It therefore requires a non-linear reading. In this

article, we will discuss how is applied, in this novel, the challenges to the major components of

the prose narrative.

Keywords: The Blind Owl, Sadegh Hedayat, novel, antinovel, narrative structure, frustrated

reader.

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English Abstracts / 77

Fantastic and textual features of Aurelia by Gérard de Nerval

Djavari, Mohammad-Hossein

Professor, University of Tabriz, Tabriz, Iran

Afkhami Nia, Mehdi

Associate Professor, University of Tabriz, Tabriz, Iran

Daftarchi, Nasrin

Postgraduate Student, University of Tabriz, Tabriz, Iran

Received: 14.11.2012 Accepted: 13.10.2013

Abstract

“Fantastic” is a broad discussion in the literature of the nineteenth century. This genre

appeared sometimes in the form of novel or story. Initially, at the same time of the birth of the

school of Romanticism, the literary form of Fantastic started to appear. Gérard de Nerval

represents the world of fantasy by the textual techniques. In this paper, we study the effects of the

literary textual features of the Aurélia. We will discuss about the relationship between the textual

techniques for analyzing the mechanisms of Fantastic under the textual features. Gérard Genette’s

theories could be considered as a good method for this analysis. Our research is based on the

study of fantastic traits manifested in the form of textual features such as narrator, personages,

space and time. In this article, we plan to understand how the textual mechanisms of the novel

could meet the demand of the fantastic spring

Keywords: Fantasy, Aurélia, Gérard de Nerval, chimerical world and imagination.

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78 / Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

At the origins of a fable by La Fontaine in the collections of oriental tales

Kamali, Mohammad Javad

Assistant Professor, University of Azad Islamique Mashhad, Mashhad, Iran

Received: 16.11.2012 Accepted: 30.12.2013

Abstract Fable, allegoric short story, has its origins for thousands of years. The Orient, according to

general opinion, was the birthplace of this genre. In Europe, before La Fontaine, there were many

known fabulists, whose works often lacked artistic aspect. But, the great French fabulist, by his

dazzling talent, knew how to act in the composition of his fables, thanks to the Greco-Latin and

especially oriental sources, to which he had access. As for oriental fables, although there are

many considerable discussions, there are not many comparative studies, as there should. This

article encourages us to improve our knowledge on the source of a selected fable of La Fontaine

"The Tortoise and the two ducks", by comparing it with its translations in the most famous

oriental collections. Our main purpose is to collect and study a series of scattered translations of

this fable, to establish a pedagogical approach, suitable in comparative literature courses.

Keywords:La Fontaine, fable, The Tortoise and the Two Ducks, origin, oriental.comparison.

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English Abstracts / 79

Study of some paraphrastic processes encountered in the text summary:

for students of the Institut National Polytechnique Felix Houphouet Boigny in

Yamoussoukro

Manda Djoa Johanson

Assistant Professor, Department of Languages and Social Sciences

National Polytechnique Institut Felix Houphouet Boigny in Yamoussoukro (Ivory Coast)

Received: 12.06.2013 Accepted: 22.12.2013

Abstract Practiced in major administrative competitions, text summary occupies a prominent place in

the discipline of French expression techniques in universities and Grandes Ecoles, including the

INP-HB, Yamoussoukro. Unfortunately, its practice causes problems for students. Among the

deficiencies encountered, we can mention the paraphrase that becomes a real concern for learners

and teachers. The main objective of the study is to identify the linguistic processes used to shift

the text to paraphrase. After a test given to students, five (05) paraphrastic form variations were

identified. These results could contribute to improvement of text summary teaching methodology.

But they are not sufficient to characterise all different "ways of saying" inherent in the exercise.

Key words: paraphrase, text summary, semantics, syntax, vocabulary.

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80 / Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 9, Automne-Hiver 2013

Novels of "spaces perdition"

journey to the heart of the celinian's carnival cerritories

Manhan Pascal Mindie

University of Alassane Ouattara Bouaké, Ivory Coast

Received: 18.05.2013 Accepted: 22.12.2013

Abstract:

The article discusses the problem of "spaces in distress" in the works by L-F. Celine, whose

novels, which are structured around the spatial issue, explore cruel places and bloody worlds like

Dante’s hell. Those territories, which appear as universes that are in prey to an original cataclysm

or a state of decay, remind us of the end of the world, that of paradise on earth. These spaces in

distress are therefore, abyss, prison, torture, suffering and chastisement. Clearly, they are worlds

of perversion which devour, strip and disarm the bodies represented.

Keywords: Spaces, Territories, Violence, Carnivalesque, Sites, Chronotope, Cruelty.

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1 چکیده های فارسی

یریاثر گلش اول معصومو مهیاثر مر رهیجز زهره در کیفانتاست ییروا ساختار *یعباس میمحمدابراه

تهران دانشگاه یدکتر یدانشجو

**انیشاهورد دیناه تهران دانشگاه اریاستاد

1393/2/20: تاریخ پذیرش 1392/10/17:تاریخ دریافت

چکیده

یعیطب علت کی نیب برداشت یدوگانگ و یریگ جهینت در ابهام سازد، یم زیمتما یادب انواع گرید از را کیفانتاست یادب نوع آنچه

جنبه انتقال کیفانتاست داستان کی در. شود یم خواننده ذهن در وهم ینوع باعث که باشد یم اثر کی در یعیماوراءطب علت کی و

یساختار چارچوب اساس، نیهم بر. دارد یبستگ آن تیروا یچگونگ به باشد، مرتبط داستان یمحتوا به آنکه از شیپ اثر، زیانگ وهم

البته صد و کنند یم فایا کیفانتاست اثر انتقال یچگونگ و زانیم در را یاساس نقش نوشتار سبک و دید هیزاو ،یراو گاهیجا داستان،

دو داستان کوتاه ینموده اند تا با مقابله یپژوهشگران سع ،یقیتطب مقاله نیا در. آمد خواهد مهم نیا کمک به هم یانتخاب مضمون

یبه بررس ران،یمعاصر ا سندهینو یریاثر هوشنگ گلش اول معصومقرن نوزده فرانسه و سندهینو مِهیاثر پروسپر مِر رهیجز زهره

ییروا یآورد تا مولفه ها یامکان را فراهم م نیا سهیمقا نیا. بپردازند یو مضمون یسبک ،یدو داستان از بعد ساختار نیا یشباهتها

.شود یبررس دهندیقرار م یژانر ادب کینموده و در کیو عصر مختلف را بهم نزد اتیدو داستان از دو ادب نیکه ا

.اول معصوم ره،یزهره جز ،یریگلش مِه،یمِر ،یتگریروا یها وهیش ک،یفانتاست: یدیکلگان واژ

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1992 پاییز و زمستان، 9، شمارة پنجمسال ، مجلّة مطالعات زبان فرانسه 2

وف کور صادق هدایت یک ضدرمان است؟بچرا

بلیغی مرضیه استادیار، دانشگاه تبریز

22/2/1992: تاریخ پذیرش 11/11/1991:تاریخ دریافت

چکیده

توسط رژه لسکو به زبان فرانسه ترجمه گردید یکی از 19٩9منتشر شد و در سال ایراندر روزنامه 192١که در سال کور بوف

این رمان، صادق هدایت به عنوان بنیانگذار رمان نو در ایران شناخته با انتشار . صادق هدایت محسوب می شود شاهکار های ادبی

اما این اثر یک ضد رمان است، بدان معنا که نویسنده برای خلق آن از تمام قوانین مرسوم کالسیک داستان نویسی سرپیچی . شد

از . یده و عجیبچٻپلق اثری است کامال حاصل این سرباز زدن خ .کرده است که در زمان خود نوعی ابداع و نوآوری شناخته می شود

،مکانی غیر واقعی ،وجود شخصیتهای فراواقعی ،نبود طرح داستانی منسجم ׃شد متذکربارز این رمان میتوان این موارد را ویژگیهای

ه با زیر سوال بردن در مقاله حاضربه مطالعه و بررسی این مطلب خواهیم پرداخت که چگون. زمانی نامعلوم و داستانی غیر قابل تعبیر

. قوانین رمان نویسی رمانی به نام بوف کور محقق شده است

.، صادق هدایت، رمان، ضد رمان، ساختار روایی، نقش خوانندهبوف کور: واژگان کلیدی

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*

9 چکیده های فارسی

فانتاستیک و ویژگی های متنی اورلیای ژرار دو نروال

جواریمحمد حسین

استاد، دانشگاه تبریز

نیا مهدی افخمی

دانشگاه تبریزدانشیار،

نسرین دفترچی دانشجوی دکتری، دانشگاه تبریز

21/2/1992: تاریخ پذیرش 22/1/1991:تاریخ دریافت

چکیده

این نوع ادبی در این عصر گاه به شکل رمان و گاه به . درادبیات قرن نوزدهم بحثی وسیع محسوب می شود "فانتاستیک"

در ابتدا، همزمان با مکتب رمانتیسم، نوع ادبی فانتاستیک در قالب چارچوبهایی خاص . شکل داستان کوتاه ظاهر شده است

شخصی است که دنیای وهم و خیال را به کمک تکنیکهای متنی به نمایش می اثر اورلیای ژرار دو نروال نمونة م. تعریف شد

در این مقاله، قصد داریم به مطالعه ویژگی های متنی فانتاستیک در اثر ادبی اورلیا نوشته ژرار دو نروال بپردازیم تا . گذارد

دربارة روایت شناسی می توانند مبنای تئوریهای ژرار ژُنت . چگونگی رابطه متن و مکانیسم های فانتایستیک را درک کنیم

به منظورِ تحلیلِ عمیقترِ ساختارهای متنی، ما می توانیم در عینِ حال . مطالعاتی مناسبی برای این تحلیل مد نظر قرار گیرند

اُرلیای ما در نظر داریم درک کنیم که مکانیسمهای متنی رمانِ. به تحلیلِ عمیقِ ساختارهای شخصیتها، زمان و مکان بپردازیم

. ژرار دو نِروال چه ارتباطی با سرچشمة نوع ادبی فانتاستیک دارند

.فانتاستیک، اورلیا، ژرار دو نروال دنیای شگفتی ها، تخیل: کلیدی واژگان

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1992 پاییز و زمستان، 9، شمارة پنجمسال ، مجلّة مطالعات زبان فرانسه 2

در جستجوی منشاء یکی از فابل های الفونتن در مجموعه حکایتهای شرقی

کمالی محمدجواد استادیار، دانشگاه آزاد مشهد

9/1١/1992: تاریخ پذیرش 22/1/1991: تاریخ دریافت

چکیده

همه اتفاق نظر دارند که شرق مهد این نوع ادبی بوده . آمیزی است که ریشه در هزاران سال قبل دارد فابل، قصه کوتاه کنایه

اما . آثارشان غالباً جنبه هنری نداشته استاند، که شده زیادی بوده نویسان کم و بیش شناخته در اروپا، پیش از الفونتن، فابل. است

التینی و به ویژه منابع شرقی که در -کننده، و به لطف منابع یونانی مندی از استعدادی خیره نویس شهیر فرانسوی، با بهره فابل

های ا اینکه بحثزمین دارند، ب هایی که ریشه در مشرق در خصوص فابل. دسترس داشت، به خوبی دانست که چگونه از عهده برآید

کند که با این مقاله، ما را ترغیب می. مالحظه و زیادی در اختیار است، مطالعات تطبیقی چندانی، آن گونه که باید، وجود ندارد قابل

و مقابله آن با ترجمه فابل مشابه در معروفترین « پشت و دو مرغابی الک»بررسی محتوی یک فابل برگزیده الفونتن تحت عنوان

های تالش اصلی ما در این تحقیق، گردآوری ترجمه. تری به دست آوریم های شرقی، درباره منبع آن شناخت عمیق عه حکایتمجمو

.پراکنده این فابل و بررسی تطبیقی آنها با رویکرد آموزشی مناسب در درس ادبیات تطبیقی است

.مقابله ،یشرق منشاء، ،یمرغاب و پشت سنگ فابل، الفونتن،: یدیکل واژگان

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٩ چکیده های فارسی

تکنیک فلیکس مورد مطالعه دانشجویان موسسه ملی پلی: سازی متونبررسی چند فرایند تفسیری در خالصه

هوفوئه بوانی در یاموسوکرو

ماندا جوا جانسون

تکنیک یاموسوکرو، ساحل عاجها و علوم اجتماعی موسسه ملی پلیاستادیار گروه زبان

1/1١/1992: تاریخ پذیرش 22/9/1992:دریافتتاریخ

چکیده

های ها و موسسات صاحب نام و همچین در آزمونهای مهندسی و تخصصی دانشگاههای رشتهسازی متن در کالسخالصه

سازی صهاما متاسفانه فرایند خال. بی یاموسوکرو جایگاه مهم و خاصی دارد. اچ-پی. ان. بزرگ استخدامی و دولتی به خصوص در آی

از میان مشکالت و نواقصی که وجود دارد، فرایند تفسیر عبارت برای دانشجویان و . آفرین استمتن برای دانشجویا اغلب مشکل

موضوع اصلی پژوهش حاضر بررسی فرایندهای زبانشناختی است که قادرند متن را . ای بسیار جدی و حقیقی استمدرسان دغدغه

در پایان یک آزمون گرفته شده از دانشجویان، مشخص گردید که . بارتی مطلوب رهنمون سازندبه سمت و سوی نوعی تفسیر ع

سازی شناسی آموزش خالصهروش تواند در جهت بهبوداین نتایج می. های ممکن تفسیر عبارت وجود داردحداقل پنج متغیر از نمونه

های متفاوت بازگویی یک متن را که در عمل وجود توانند کلیت روشاگرچه این موارد به هیچ روی نمی. از متون به کار گرفته شود

. دارد، در بر بگیرند

.تفسیر عبارت، خالصه متن، معناشناسی، زیرساخت نحوی، واژه: واژگان کلیدی

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1992 پاییز و زمستان، 9، شمارة پنجمسال ، مجلّة مطالعات زبان فرانسه 2

غوری در فضاهای کارناوالی سلین

مانهان پاسکال میندیه دانشگاه آالسان اواتارا دو بواکه، ساحل عاج

1/1١/1992: تاریخ پذیرش 21/2/1992:تاریخ دریافت

چکیده

های سلین که عموما در رمان. دهدرا در آثار لویی فردینان سلین مورد بررسی قرار می« فضاهای ره به زوال»مقاله حاضر مساله

این فضاها همواره به مثابه . هستیمهای خونین و دوزخی مواجه های ظالمانه و جهانچرخند، ما با مکانحول محور توصیف فضا می

شوند که گویی آخرالزمان شوند که در معرض زیرورو شدن و نابسامانی قرار دارند و چنین به ذهن متبادر میهایی معرفی میجهان

مجازات هایی همچون گرداب، زندان، شکنجه، رنج و این فضاهای در حال زوال با درونمایه. بهشت روی کره خاکی فرا رسیده است

مایهها دریدن و برهنه کردن و بیای هستند که در آنشدههای تباهبه عبارت روشن، این فضاها در واقع جهان. اندهمپیوند شده

. ها سکه رایج استکردن بدن

.انداز، خشونت، کارناوال، کرونوتوپ، ظلمفضا، چشم: واژگان کلیدی

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.باشدريال مي 03333ريال و ساالنه 03333( ارسال ةبا احتساب هزين)شماره حق اشتراك براي هر ـ

:لطفاً وجه مورد نظر را به حساب اختصاصي دانشگاه اصفهان به شماره

1211123107331 –كد شناسه : 223111سيباي ملّي

.ارسال فرماييد« مطالعات زبان فرانسه» ةدفتر مجل: همراه فرم اشتراك به نشانيواريز و اصل فيش بانكي را به

72122-10222: پستي كد. زبان ةهاي خارجي، دفتر مجلزبان ةدانشكد ،دانشگاه اصفهان: اصفهان: آدرس

(30220071092: دورنگار 30221901220: تلفن)

www.uijs.ui.ac.ir/relfنشريه مطالعات زبان فرانسه دانشگاه اصفهان ةسامان

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.........................................:از هر شماره : تعداد درخواستي

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امضاء

مجله مطالعات زبان فرانسه

2091 پاييز و زمستان، 9سال پنجم، شماره

فهرست مطالب

2 - 22 يریاثر گلش معصوم اولمه و یاثر مر رهیزهره جزدر کیفانتاست یيساختار روا ■

محمدابراهيم عباسي، ناهيد شاهورديان

20 - 10 وف كور صادق هدایت یک ضدرمان است؟بچرا ■

بليغي مرضيه

11 -23 فانتاستیک و ویژگي هاي متني اورلیاي ژرار دو نروال ■ دفترچينسرين افخمي نيا،مهدي جواري، محمد حسين

22 - 03 هاي شرقيدر جستجوي منشاء یكي از فابل هاي الفونتن در مجموعه حكایت ■

كمالي محمد جواد

02 - 01 :سازي متونبررسي چند فرایند تفسیري در خالصه ■

تكنیک فلیكس هوفوئه بواني در یاموسوكرومورد مطالعه دانشجویان موسسه ملي پلي مانداجواجانسون

00 - 12 سلین كارناوالي فضاهايدر غوري ■ مانهانپاسكال مينديه

10 چكیدة انگلیسي مقاالت

چكیدة فارسي مقاالت

مطالعات زبان فرانسه مجـلــــــــه

اصفهانهاي خارجي دانشگاه زبان فرانسه دانشكده زبان علمي ـ پژوهشيدو فصلنامة 1337-0012: ، شاپا2091 پاييز و زمستان، 9، شمارة پنجمسال

X209-1011: شاپاي الكترونيكي

ينیز ياندكتر محمّدجواد شکر: مدير مسؤول استادیار گروه فرانسه دانشگاه اصفهان

[email protected]

یدكتر محمود رضا گشمرد: سردبير

دانشگاه اصفهان فرانسه گروهدانشيار

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كوچی سليمی ابراهيمدكتر : داخلی مدير دانشگاه اصفهان گروه فرانسهاستادیار

[email protected]

كاظمی ناديا: اجرايی مدير 139 -35132997: تلفن

عظيمی نازيتادكتر : ويراستار فرانسه استادیار گروه فرانسه دانشگاه اصفهان

[email protected]

نظریشاه محمدتقیدكتر : انگليسی ويراستار استادیار گروه انگليسی دانشگاه اصفهان

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طيبه ابراری: صفحه آرايی 139 -35132997 :تلفن

هيأت تحريريه اعضای

گروه زبان و ادبيــــات فرانســـه دانشگـاه اصفهــان استاد اصغری تبريزی دكتر اكبر باغبانبيك دكتر حسين

استاد

خاورشناسی دانشگاه مارك بلوك استـراسبــورگ گروه

جواری دكتر محمدحسين

استاد

گروه زبان و ادبيـــات فرانســـه دانشگـاه تبریز

دكتر كريستين راگه

استاد

)3پاریس(وولنگروه زبان و ادبيات آمریكایی دانشگاه سوربن

دكتر ابراهيم سليمی كوچی

استادیار

ادبيات فرانسه دانشگاه اصفهانگروه زبان و

شعيری دكتر حميدرضا

دانشيار

گروه زبان و ادبيات فرانسه دانشگاه تربيت مدرس تهران

عباسی دكتر علی

دانشيـــار

گروه زبان و ادبيات فرانسـه دانشگاه شهيد بهشتـی تهران

فروغی دكتر حسن

استاد

دانشگــاه شهيد چمـران اهـوازگروه زبان و ادبيــات فرانسه

گروه زبان و ادبيات فرانسه دانشگاه اصفهان دانشيار دكتر محمودرضا گشمردی

دانشگاه اصفهان ةچاپخان :چاپ و صحافي

ريال 03333: قيمت

72122-10222: كدپستي . هاي خارجي، دفتر مجلة زباناصفهان، دانشگاه اصفهان، دانشكدة زبان: آدرس

(30200071092: دورنگار 30201901220: تلفن )

www.uijs.ui.ac.irسامانة نشرية مطالعات زبان فرانسة دانشگاه اصفهان

كميسـيون »دبيرخانـة 1/0/2092مـور 99030/0، طبق مجـوز شـمارة مطالعات زبان فرانسه مجلة ـ پژوهشيعلمي درجة

. وزارت علوم، تحقيقات و فناوري ابالغ گرديده است« نشريات علمي

هنماي تدوین مقالهار

هاي ادبي و هاي خارجي، نظريهشناسي، آموزش زباندر حوزة ادبيات، زبانمطالعات زبان فرانسه فصلنامة علمي ـ پژوهشي .2

.پذيردشناسي، مقاله به زبان فرانسه ميترجمه

.به صورت دو فصلنامه منتشر مي شود مطالعات زبان فرانسهمجله .1

. مقاالت ارسالي نبايد به هيچ مجلة ديگر ارسال و يا در جايي ديگر منتشر شده باشند .0

. پذير استامكان www.uijs.ui.ac.ir/relfارسال و اطالع از وضعيت مقاالت تنها از طريق سامانة مجله به نشاني اينترنتي .2

گيري و ، واژگان كليدي، مقدمه، متن اصلي، نتيجه(به فرانسه، فارسي و انگليسي)چكيده : ها باشدد شامل اين بخشيمقاله با .0

.كتابنامه

كليدواژه و 1تا 0همراه با ( كلمه 133تا 203بين )چكيده . كلمه باشد 1333تا 2033تعداد كلمات مقاالت ارسالي بايد بين .0

.هاي فارسي و انگليسي الزامي استترجمة آن به زبان

.شوندهمة مقاالت دريافت شده داوري و ارزيابي مي .1

بين خطوط نگاشته شده cm 2.0و فاصلة 21، اندازة Times New Romanبا فونت Wordمتن مقاالت بايد تحت برنامة .7

.باشد

فرورفته از سمت cm 2سطر در قالب پاراگراف جداگانه با يک فاصله از خطوط متن اصلي و به صورت 2هاي بيش از نقل قول .9

.بين خطوط نوشته شوند 2و فاصلة 23ها بايد با قلم قولاين نقل. شوندچپ در بين گيومه نوشته مي

. نوشته شوند( ايتاليک)به صورت كج اسامي آثار در متن اصلي بايد .23

.گردندمشخص مي« كتابنامه»فهرست منابع و مآخذ در پايان متن مقاله و با عنوان .22

نامه را رعايت نكرده مقاالتي كه اين شيوه. تدوين شود APAفهرست منابع مقاله بايد مطابق مثال زير منحصراً طبق شيوة .21

.شد باشند در بررسي اوليه برگردانده خواهند

Livres: Mounin, G. (2008). Les problèmes théoriques de la traduction. Paris: Gallimard.

Articles: Thoiron, Ph. & Béjoint, H. (2010). La terminologie, une question de termes?. Meta, 55/1:

105-118.

Sitographie: Rheaume, J. (1998). Apprivoiser la technologie éducative, éléments de cours.

http://www.fse.ulaval.ca/fac/ten/tv/plxx135.html#bib. Consulté le 20 mai 2001.

و هم در فهرست منابع، اي مربوط به يک سال ارجاع داده شده است، هم در ارجاعات داخل متن از نويسندهاگر به چند اثر .20

.مشخص گردد a, b, cبالفاصله پس از سال انتشار با حروف

:استمطابق مثال زير ( شماره صفحه: شامل نام خانوادگي نويسنده، سال انتشار مجله)ارجاعات در متن مقاله در ميان دو كمان .22

«Chaque langue structure la réalité à sa façon et, par là même, établit les éléments de la réalité qui sont

particuliers à cette langue donnée» (Mounin, 2008: 44).

ايد بالفاصله پس از شمارة اين توضيحات ب. آيدمالحظات و نكات توضيحي فقط به صورت پانوشت در پايين همان صفحه مي .20

ها بايد تنها در پانوشت. ها با عدد نشان داده شودگذاري بيايد و ترتيب پانوشتمطالب مربوط با پانوشت و قبل از عاليم نقطه

.ايمواقع ضرورت براي روشن شدن يک موضوع مرتبط به كار بروند و نه براي يادآوري ارجاعات كتابنامه

.گيرندداور به طور محرمانه مورد داوري قرار ميي مقاالت به وسيله ي دو همه .20

.داندمجله حق رد يا ويرايش مقاالت را براي خود محفوظ مي .21

بسم اهلل الرّحمن الرّحیم

مجلّة مطالعات زبان فرانسه

اصفهانهاي خارجي دانشگاه زبان فرانسة دانشكدة زبان علمي ـ پژوهشيدو فصلنامة

9، شمارة پنجمسال

1337-0012: ، شاپا2091 پاييز و زمستان X209-1011: شاپاي الكترونيكي

http://ulrichsweb.serialssolutions.com المللي نشريات ادواريراهنماي بين: اولريخ

http://www.doaj.org فهرست مجالت پژوهشي با دسترسي آزاد : دوآج

http://www.ISC.gov.ir پايگاه علوم استنادي جهان اسالم

http://www.SID.ir پايگاه اطالعات علمي جهاد دانشگاهي

http://www.magiran.com بانک اطالعات نشريات كشور

http://www.msrt.ir وزارت علوم تحقيقات و فناوري

http://www.uijs.ui.ac.ir/relf پايگاه الكترونيكي مجالت دانشگاه اصفهان

سالميعلوم يمركز تحقيقات كامپيوتر ياطالع رسان پايگاه

http ://www.noormags.com