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Article de Jean Capillon, publié dans le journal "Nos villages". Au XIXème siècle... LES MOULINS, COEUR DE LA VALLÉE DU LOING Entre Nemours et Moret, le Loing abandonne la trajectoire quasi-rectiligne qu'il emprunte en amont pour allonger sa course en l'incurvant vers le nord. S'approchant de la forêt de Fontainebleau, il ralentit sa progression et cette partie du cours d'eau serpente au milieu de nombreux îlots ou d'atterrissements", comme le notent les rapports du XIXème siècle. Construit entre 1719 et 1724, le canal du Loing fait alterner les râcles (rivières naturelles approfondies) et le canal proprement dit : de Fromonville à Moret, le Loing n'est plus emprunté par la navigation. La rivière et sa vallée sont devenues l'objet des convoitises de groupes ou d'individus aux intérêts divergents. Le Loing, dans cette portion de son cours, n'est pourtant plus utilisé par la navigation et les conflits avec ou entre les bateliers et haleurs ne rencontrent ici qu'un écho assourdi. Le chemin de halage antérieur a été aliéné et les propriétés avancent jusqu'aux berges. La rivière elle-même, large souvent d'une trentaine de mètres, est la propriété (partagée) des riverains. L'eau de la rivière emporte les batelets des pêcheurs, est puisée pour l'arrosage des jardins et alimente des moulins en actionnant des roues hydrauliques. Des gués et des ponts permettent son franchissement. Cependant, la mauvaise saison venue, le Loing déborde, d'autant plus rapidement que sa pente est faible et son lit encombré d'îles, inondant les prairies limitrophes de ses berges. Gare aux moulins dont les vannes bloquent trop longtemps l'écoulement des eaux ! Les meuniers sont en effet les moins nombreux mais les plus dérangeants des usagers de la rivière : pour profiter au maximum de la force hydraulique disponible, les aménagements réalisés, les digues et les vannes en particulier nuisent au reste de la population. L'administration (les Ponts et Chaussées) surveille, autorise, interdit, impose des "règlements d'eau" aux moulins. Si le fond de la rivière non navigable est propriété privée, l'eau elle-même appartient à l'Etat, donc à tous ! Le meunier emprunte l'eau qui fournit son énergie à l'endroit des chutes mais doit la restituer entièrement. Il a besoin de beaucoup d'énergie, donc de hauteur de chute : il cherche à relever cette dernière ou à l'approfondir, mais alors il risque d'inonder les prairies voisines ou de priver d'eau les moulins ou propriétaires installés en contrebas. Mieux, sur une rivière qui s'alanguit, se sépare en plusieurs bras, la profondeur est faible, le courant aussi : les meuniers ont construit de longues digues qui accélèrent, concentrent, dirigent les eaux vers la roue du moulin. Au bout du compte, la physionomie initiale de la rivière a été transformé en grande partie au profit des meuniers ... et des pêcheurs. Les dossiers des Ponts-et-Chaussées conservés par les Archives Départementales permettent de compléter pour le XIXème siècle, les informations recueillies par Fernande Sadler. Le Moulin Rouge, à Fromonville, est le premier rencontré après avoir laissé Nemours en amont. Tout ou presque le démarque des moulins d'aval : il gêne peu les riverains mais complique la navigation, profite de la chute d'eau associée à la reprise du canal, il est très lié à Nemours. Ses quatre suivants, moins bien servis, ont mené une existence plus indépendante de Nemours comme le Moret, mais surtout ont eu leur sort associé en de multiples occasions. La plus fondamentale est leur règlement d'eau. Le 9 août 1834, Louis Philippe, roi des Français, par une ordonnance royale donnée aux Tuileries définit le régime légal des moulins d'Hulay, du Roi, de La Fosse et de Montigny. Trente ans et plus ont été nécessaires pour imposer aux meuniers le respect de règles adaptées: délimitation du canal d'amenée d'eau vers la roue par une digue-déversoir débarrassée d'arbres ou d'arbustes et interrompue par un pertuis de 6 mètres pour la navigation, puis par les vannes de décharge. Le Loing http://moulinsidf.free.fr/Pages/moulins/Loing.ht m 1 sur 3 26/02/2011 16:36

Au XIXème siècle les moulins de la vallée du loing

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Article de Jean Capillon, publié dans le journal "Nos villages".

Au XIXème siècle...

LES MOULINS,COEUR DE LA VALLÉE DU LOING

Entre Nemours et Moret, le Loing abandonne la trajectoire quasi-rectiligne qu'ilemprunte en amont pour allonger sa course en l'incurvant vers le nord.

S'approchant de la forêt de Fontainebleau, il ralentit sa progression et cette partie ducours d'eau serpente au milieu de nombreux îlots ou d'atterrissements", comme lenotent les rapports du XIXème siècle. Construit entre 1719 et 1724, le canal duLoing fait alterner les râcles (rivières naturelles approfondies) et le canalproprement dit : de Fromonville à Moret, le Loing n'est plus emprunté par lanavigation.

La rivière et sa vallée sont devenues l'objet des convoitises de groupes oud'individus aux intérêts divergents. Le Loing, dans cette portion de son cours, n'estpourtant plus utilisé par la navigation et les conflits avec ou entre les bateliers ethaleurs ne rencontrent ici qu'un écho assourdi. Le chemin de halage antérieur a étéaliéné et les propriétés avancent jusqu'aux berges. La rivière elle-même, largesouvent d'une trentaine de mètres, est la propriété (partagée) des riverains. L'eau dela rivière emporte les batelets des pêcheurs, est puisée pour l'arrosage des jardins etalimente des moulins en actionnant des roues hydrauliques. Des gués et des pontspermettent son franchissement. Cependant, la mauvaise saison venue, le Loingdéborde, d'autant plus rapidement que sa pente est faible et son lit encombré d'îles,inondant les prairies limitrophes de ses berges. Gare aux moulins dont les vannesbloquent trop longtemps l'écoulement des eaux !Les meuniers sont en effet les moins nombreux mais les plus dérangeants des usagersde la rivière : pour profiter au maximum de la force hydraulique disponible, lesaménagements réalisés, les digues et les vannes en particulier nuisent au reste de lapopulation. L'administration (les Ponts et Chaussées) surveille, autorise, interdit,impose des "règlements d'eau" aux moulins. Si le fond de la rivière non navigable estpropriété privée, l'eau elle-même appartient à l'Etat, donc à tous ! Le meunieremprunte l'eau qui fournit son énergie à l'endroit des chutes mais doit la restituerentièrement. Il a besoin de beaucoup d'énergie, donc de hauteur de chute : il chercheà relever cette dernière ou à l'approfondir, mais alors il risque d'inonder les prairiesvoisines ou de priver d'eau les moulins ou propriétaires installés en contrebas.Mieux, sur une rivière qui s'alanguit, se sépare en plusieurs bras, la profondeur estfaible, le courant aussi : les meuniers ont construit de longues digues qui accélèrent,concentrent, dirigent les eaux vers la roue du moulin. Au bout du compte, laphysionomie initiale de la rivière a été transformé en grande partie au profit desmeuniers ... et des pêcheurs.

Les dossiers des Ponts-et-Chaussées conservés par les Archives Départementalespermettent de compléter pour le XIXème siècle, les informations recueillies parFernande Sadler.Le Moulin Rouge, à Fromonville, est le premier rencontré après avoir laisséNemours en amont. Tout ou presque le démarque des moulins d'aval : il gêne peu lesriverains mais complique la navigation, profite de la chute d'eau associée à lareprise du canal, il est très lié à Nemours. Ses quatre suivants, moins bien servis, ontmené une existence plus indépendante de Nemours comme le Moret, mais surtout onteu leur sort associé en de multiples occasions.La plus fondamentale est leur règlement d'eau. Le 9 août 1834, Louis Philippe, roides Français, par une ordonnance royale donnée aux Tuileries définit le régime légaldes moulins d'Hulay, du Roi, de La Fosse et de Montigny.Trente ans et plus ont été nécessaires pour imposer aux meuniers le respect de règlesadaptées: délimitation du canal d'amenée d'eau vers la roue par une digue-déversoirdébarrassée d'arbres ou d'arbustes et interrompue par un pertuis de 6 mètres pour lanavigation, puis par les vannes de décharge.

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En butte à l'administration, les meuniers du Loing semblent vivre en bonne harmonieentre eux: pas d'évocation de procès sur plus d'un siècle ; par contre, les litiges entrevoisins sont nombreux. L'administration sollicitée dépêche ses ingénieurs, reçoitleurs rapports puis le préfet tranche en publiant un arrêté.Ainsi, à l'occasion d'un différend opposant le meunier du Moulin de Montigny(Paillard) à l'un de ses voisins (le Docteur Molard, médecin-chef à l'hopitalmilitaire du Gros Caillou à Paris), l'affaire étant tranchée en dernier recours par leConseil d'Etat, une décision de Napoléon III, datée de 18662, retire définitivementau Loing, entre Fromonville et Moret, le statut de rivière navigable.Les meuniers se montrent de farouches défenseurs de leurs droits d'usage de larivière car ils se savent indispensables à l'activité des villages : "le coeur de lavallée, c'est son moulin" !Pourtant, tous les moulins n'écrasent pas des céréales. Dans ce domaine encore, leMoulin Rouge de Fromonville se distingue. Propriété du Duc d'Orléans (ou plutôt dela veuve du "condamné d'Orléans", comme le dénomment les actes officiels), lemoulin est acquis en Germinal de l'an VI (avril 1798), par le citoyen Gillet, meunierà Bourron qui obtient dans les mois qui suivent l'autorisation de transformer cemoulin à ciment en moulin à farine.

En 1836, le nouveau propriétaire, le Duc de Riario obtient de Louis Philippel'autorisation d'établir une scierie hydraulique à côté du moulin à farine. Jusqu'à sonarrêt définitif, entre 1890 et 1900, son activité oscille entre la mouture du blé et lascierie. Les quatre autres moulins sont affectés tout au long du XIXème siècle à lamouture des grains avec des bonheurs variés. Présentons, en simplifiant les troisgrandes évolutions techniques de la meunerie aux XVIIIème et XIXème siècles :elles touchent au matériel de mouture utilisé (meules en pierre meulière, puiscylindrique en fonte) et au mode de mouture.

A la fin du XVIIIème siècle, les meuniers les plus performants écrasent le blé "à laparisienne" : la mouture est reprise plusieurs fois entre les meules pour extraire uneplus grande quantité de farine. Les moulins traditionnels travaillent "à la grosse",procédant à un seul passage entre les meules, produisant moins de farine panifiable.Les moulins du Roy à Grez et de la Fosse à Bourron ont chacun deux roues, deuxpaires de meules et travaille à la parisienne en 1809 : leur production alimente enpartie le marché de la capitale. Avec le Moulin de Montigny, qui moud pourtant pourles particuliers "à la grosse"", ils sont les plus importants, laissant loin derrière euxles moulins de Fromonville et d'Hulay.

A partir de la première moitié du XIXème siècle, se diffuse la méthode "anglaise"nécessitant plusieurs passage de la mouture entre les meules de petit diamètre (1,30m au lieu de 2 m environ). Une seule roue, par un système plus complexed'engrenages actionne plusieurs paires de meules soutenues par un bâti en fonte, lebeffroi? Des aménagements hydrauliques sont rendus nécessaires par le changementde mode de mouture, l'automatisation des opérations (déjà) et l'élévation en hauteurdes moulins : c'est au moins le cas du Moulin de La Fosse, à Bourron, en 1858. Il estprobable que les autres moulins ont dû suivre un mouvement précocement amorcé àNemours et Moret.Le Moulin d'Hulay fait figure originale à ce moment. Son propriétaire d'alors,François-Jacques Betz-Pénot a développé parallèlement à la mouture classique dublé une "fabrique de semoules et de gruaux de maïs" dont le système a étérécompensé dès 1852 par la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale.Une troisième série d'innovations vient alors bouleverser les données. Originaire deHongrie, une nouvelle technique de mouture se substitue peu à peu aux meules. Leblé est écrasé, au cours de six passages successifs, entre des cylindres cannelés enfonte qui tournent en sens inverse. Le blutage (séparation de la farine et du son) estégalement transformé, à partir de 1889, par l'usage de tamis plans, animés d'unmouvement rotatif, les "plansichters". La France est atteinte par la "mouturehongroise" à partir de 1880 à un moment de crise économique qui rend plus vive laconcurrence entre moulins et moins assurées les situations établies.Les investissements nécessités par une adaptation aux techniques modernes sontélevés et les disponibilités financières des meuniers très inégales. Ainsi, le Moulinde Montigny connaît-il, sans doute, une transformation complète en 1880, sinonpourquoi Mr Renoult, son propriétaire, aurait-il élargi sa roue motrice à cette date ?En 1892, la même transformation affecte le Moulin du Roy, propriété de Mme Veuve

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Betz. Cette famille possède conjointement, jusqu'au début du XXème siècle, lesmoulins du Roy et d'Hulay. Ce dernier a assurément profité alors d'identiquesmodifications, même si la date ne peut encore en être déterminée.

A la veille de la Grande Guerre, il est le seul des cinq moulins à poursuivre sonactivité de meunerie. Ceux de Fromonville et de Montigny ont cessé de tourner peuavant 1900, les moulins du Roy et de La Fosse les ont imités au cours de la décenniesuivante. Aussi, lorsque tous les moulins de France sont réglementés et contingentésen 1935-36, seul subsiste parmi eux le Moulin d'Hulay à Grez-sur-Loing. Sonpropriétaire d'alors, Mr Thévenon travaille avec du matériel moderne : deuxappareils à cylindres, deux plansichters complétés par d'autres bluteries, mis enmouvement par une roue hydraulique de 40 CV. Ecrasant 120 quintaux de blé parjour en moyenne, il figure au 16ème rang des 45 moulins seine-et-marnais encore enactivité.

Seul survivant des moulins du Loing entre Nemours et Moret fonctionnant à l'issue dela Révolution Française, le Moulin d'Hulay est symbolique à plus d'un titre. Il montred'abord que la mise en application d'un règlement d'eau, même datant de 1834, n'apas empêché son maintien, son développement, en respectant le plus possible lesintérêts des riverains. Il témoigne ensuite de la faculté d'adaptation et d'innovation decertains meuniers du siècle dernier aux mutations technologiques. Seul moulin decommerce en 1936, il écrasait quatre fois moins de blé que ses confrères vers 1810 !Il reflète également la part déterminante occupée par l'énergie hydraulique dans notredépartement au cours de la "Révolution industrielle" du siècle dernier, alors que l'onassocie traditionnellement à celle-ci l'usage de la vapeur.Enfin, s'il reste l'unique moulin en activité dès 1914, cette solitude reflète laconcentration tardive mais impitoyable des moulins du département.

Des 548 moulins à eau et à vent recensés en 1809, seuls 45 continuent d'écraser descéréales en 1936.A leur manière, les moulins de nos "villages" témoignent pour tous les autres.

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