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la Terre primitive, il y a environ 4,3 milliards d’années (Ga), l’en- vironnement a changé à plusieurs reprises, ce qui a une influence considérable sur les processus étudiés. Le vivant est intimement lié au milieu dans lequel il établit les liens qui le construisent et le nourrissent. L’atmosphère, le sol, l’eau superficielle ou souterraine, les grandes profondeurs sous- marines et tous les constituants de ces environnements ont participé à l’élaboration d’un tissu vivant planétaire… qui n’existe tel quel que sur notre planète ! Rechercher les origines du vivant conduit donc à étudier aussi les conditions de formation de ce qui l’entoure, les origines des planètes et de la vie étant intimement liées. Disposant des ingrédients élé- mentaires qui se sont accumulés dans ces conditions, nous recher- chons les étapes du passage d’une chimie prébiotique complexe à une biologie simple. Le métabolisme, soit l’ensemble des réactions bio- chimiques qui caractérisent le vivant, telles que la transmission d’informations d’un état à un autre ou d’un système à un autre, la L étude des processus à l’ori- gine du vivant se distingue de la paléontologie par l’absence de fossile avéré. Dans une démarche « top down », on recher- che dans le vivant contemporain les éléments significatifs pour com- prendre la vie primitive. De la com- paraison des molécules présentes dans les trois domaines du vivant (Archæ, Bacteria, Eucarya), les cher- cheurs pensent identifier l’ancêtre commun aux espèces actuelles. L’autre possibilité consiste à ima- giner les processus compatibles avec les conditions environne- mentales prébiotiques afin de les reproduire en laboratoire (approche « bottom up »). Ces recherches nous éclairent sur l’archéologie chimi- que et biologique des organismes actuels mais personne n’est dupe : on ne pourra jamais reconstituer à l’identique les étapes qui ont donné naissance au vivant. Le célèbre généticien Theodosius Dobzhansky affirmait que « rien n’a de sens en Biologie excepté à la lumière de l’évolution » (1), et l’évolution est, par définition, un processus histo- rique qui ne se reproduira jamais à l’identique. Depuis la création de catalyse, qui accélère les réactions pour qu’elles se réalisent dans des temps compatibles avec la durée de vie d’un organisme, et tous les processus énergétiques associés se déroulent aujourd’hui dans un espace délimité par une membrane. Ce sont toutes ces fonctionnalités que nous essayons de reconstituer en laboratoire. Sur la Terre primi- tive, les choses ont pu se passer en différé ou en même temps. Le confinement pourrait avoir favo- risé la réplication et l’ensemble peut avoir été favorisé par des pro- cessus énergétiques. Les paléo- biologistes se doivent de placer sur un pied d’égalité ces phénomènes indispensables à la naissance du vivant sans construire de fil chronologique a priori. À LA RECHERCHE DU SYSTÈME GÉNÉTIQUE FONDATEUR Si une activité métabolique se produit et n’est pas transmise, les réactants s’épuisent, il n’y a pas de pérennité et tout doit repartir à zéro. Or la vie s’est construite pas à pas, ne rejetant jamais ce sur Le vivant est partout dans les moindres recoins de la planète, y compris les centaines d’espèces de bactéries qui peuplent notre tube digestif… Or nous ne connaissons que 1 % des espèces actuelles, qui représenteraient elles-mêmes un millième des organismes vivants ayant existé depuis les quatre derniers milliards d’années. Dans ces conditions, peut-on retrouver les traces des organismes qui nous ont précédés ? Comment retrouver nos origines ? JUILLET/AOÛT 2013 BIOFUTUR 345 < 39 Aux frontières du vivant, la formation des premières biomolécules © R. LAVINSKY/IROCKS.COM VIA WIKIMEDIA COMMONS les auteurs Marie-Christine Maurel*, d’après les propos recueillis par Agnès Vernet** * Laboratoire Acides nucléiques et biophotonique, Université Pierre et Marie Curie, Paris ** Journaliste scientifique Le borate, ici sous forme d’ulexite, pourrait avoir participé à la formation des acides nucléiques primitifs.

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la Terre primitive, il y a environ 4,3 milliards d’années (Ga), l’en-vironnement a changé à plusieursreprises, ce qui a une influenceconsidérable sur les processusétudiés. Le vivant est intimementlié au milieu dans lequel il établitles liens qui le construisent et lenourrissent. L’atmosphère, le sol,l’eau superficielle ou souterraine,les grandes profondeurs sous-marines et tous les constituants deces environnements ont participéà l’élaboration d’un tissu vivantplanétaire… qui n’existe tel quelque sur notre planète ! Rechercherles origines du vivant conduitdonc à étudier aussi les conditionsde formation de ce qui l’entoure,les origines des planètes et de lavie étant intimement liées.

Disposant des ingrédients élé-mentaires qui se sont accumulésdans ces conditions, nous recher-chons les étapes du passage d’unechimie prébiotique complexe à unebiologie simple. Le métabolisme,soit l’ensemble des réactions bio-chimiques qui caractérisent levivant, telles que la transmissiond’informations d’un état à un autreou d’un système à un autre, la

L’ étude des processus à l’ori-gine du vivant se distinguede la paléontologie par

l’absence de fossile avéré. Dans unedémarche « top down », on recher-che dans le vivant contemporainles éléments significatifs pour com-prendre la vie primitive. De la com-paraison des molécules présentesdans les trois domaines du vivant(Archæ, Bacteria, Eucarya), les cher-cheurs pensent identifier l’ancêtrecommun aux espèces actuelles.

L’autre possibilité consiste à ima-giner les processus compatiblesavec les conditions environne-mentales prébiotiques afin de lesreproduire en laboratoire (approche« bottom up »). Ces recherches nouséclairent sur l’archéologie chimi-que et biologique des organismesactuels mais personne n’est dupe :on ne pourra jamais reconstituer àl’identique les étapes qui ont donnénaissance au vivant. Le célèbregénéticien Theodosius Dobzhanskyaffirmait que « rien n’a de sens enBiologie excepté à la lumière del’évolution » (1), et l’évolution est,par définition, un processus histo-rique qui ne se reproduira jamaisà l’identique. Depuis la création de

catalyse, qui accélère les réactionspour qu’elles se réalisent dans destemps compatibles avec la duréede vie d’un organisme, et tous lesprocessus énergétiques associés se déroulent aujourd’hui dans unespace délimité par une membrane.Ce sont toutes ces fonctionnalitésque nous essayons de reconstitueren laboratoire. Sur la Terre primi-tive, les choses ont pu se passer en différé ou en même temps. Leconfinement pourrait avoir favo-risé la réplication et l’ensemble peut avoir été favorisé par des pro-cessus énergétiques. Les paléo-biologistes se doivent de placer surun pied d’égalité ces phénomènesindispensables à la naissance duvivant sans construire de filchronologique a priori.

À LA RECHERCHE DUSYSTÈME GÉNÉTIQUEFONDATEUR

Si une activité métabolique seproduit et n’est pas transmise, lesréactants s’épuisent, il n’y a pasde pérennité et tout doit repartir àzéro. Or la vie s’est construite pasà pas, ne rejetant jamais ce sur

Le vivant est partout dans les moindres recoins de la planète, y compris les centaines d’espèces de bactéries qui peuplent notre tube digestif… Or nous ne connaissons que 1 % desespèces actuelles, qui représenteraient elles-mêmes un millième des organismes vivants ayant existé depuis les quatre derniers milliards d’années. Dans ces conditions, peut-on retrouver les traces des organismes qui nous ont précédés ? Comment retrouver nos origines ?

JUILLET/AOÛT 2013 • BIOFUTUR 345 < 39

Aux frontières du vivant, la formation des premières biomolécules

© R. LAVINSKY/IROCKS.COM VIA WIKIMEDIA COMMONS

les auteursMarie-Christine Maurel*,d’après les propos recueillis par Agnès Vernet*** Laboratoire Acides nucléiques

et biophotonique,Université Pierre et Marie Curie,Paris

** Journaliste scientifique

Le borate, ici sous formed’ulexite, pourrait avoirparticipé à la formation desacides nucléiques primitifs.

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domaines, présente une flexibilitélui permettant d’interagir avecsouplesse avec d’autres moléculeset de réaliser des actes métabo-liques — catalyse et régulationspar exemple — de toute premièreimportance dans la vie cellulaire.De nombreuses observations ontconduit à émettre l’hypothèse d’un « monde ARN » qui auraitprécédé le monde à ADN actuel.Le premier élément décisif est cer-tainement le potentiel catalytiquedes ARN. Les molécules d’ARNdouées de ces propriétés sont

quoi elle a pris place, à partir dequoi elle s’est bâtie. Une trans-mission héréditaire fût très tôtindispensable au sein de la diver-sité originelle. Aujourd’hui, cettehérédité est essentiellement assuréepar l’ADN et l’ARN. Très stable,l’ADN est une molécule monotonequi présente des séquences debriques répétitives. Contrairementà l’ARN, le squelette de désoxy-ribose en double hélice a peu depossibilités conformationnelles.L’ARN simple-brin, qui se repliepour former des motifs et des

appelées ribozymes. Nous savonsque l’ARN ribosomal réalise laliaison peptidique formant lesprotéines. Le « ribosome est unribozyme » fût une découvertemajeure de ces 10 dernièresannées. Ada Yonath, prix Nobelde Chimie en 2009, travailleaujourd’hui activement à la miseen évidence du protoribosomedont on trouve les traces molé-culaires dans le ribosome contem-porain.

L’idée que l’ARN est apparuavant l’ADN s’est donc imposée eton considère que l’ADN n’est aufond qu’un ARN modifié qui aémergé plus tardivement au coursde l’évolution primitive. Un autreélément important qui vient étayerl’existence du monde ARN est laprésence de très nombreux co-facteurs ribonucléotidiques indis-pensables aux enzymes protéi-ques. Le ribonucléotide à baseadénine joue de nombreux rôlesau sein du métabolisme actuel,sous forme d’AMP, d’ADP et d’ATP.On le trouve aussi dans le nico-tinamide adénine dinucléotide(NAD), qui intervient lors denombreux processus énergétiques(respiration, photosynthèse…). LeNAD peut être obtenu dans desconditions prébiotiques simples,sans intervention d’enzymes pro-téiques. Il en est de même del’adénine. Ce type de cofacteurs apu se former en grande concen-tration dans l’environnementprimitif et s’intégrer à l’élabora-tion des premiers métabolismes.Un autre argument en faveur dela primauté de l’ARN repose sur lefait que l’uracile, base spécifiquede l’ARN, est synthétisée dans lacellule avant la thymine compo-sant l’ADN. Enfin, une petiteamorce d’ARN est toujours néces-saire à la réplication de l’ADN danstoutes nos cellules.

Nous ne pouvons énumérer icitous les arguments, très nom-breux, en faveur de la primauté del’ARN. Cependant, dire que l’ARNest apparu avant l’ADN et trèsprécocement ne signifie pas quec’était la seule molécule présentesur la Terre, dans les eaux ou dansles glaces primitives. Les acidesaminés formant des petits pep-tides (lire p. 34) ont probablementcohabités avec les ARN ou leursprécurseurs et nous devons main-tenant nous poser la question dela formation de ces premièresmolécules informationnelles.

Le nom d’Hadéen donné à lapremière période de l’histoirede notre planète témoigned’une vision agitée de la Terreprimitive. Les séquelles d’uneformation cataclysmique dusystème solaire s’y manifes-taient par une activité volca-nique intense, des bombar-dements météoritiques etcométaires, une activité ora-geuse et de la radioactivité.Cette vision correspond bienà ce qu’avait imaginé Darwinpour l’origine de la vie danssa fameuse lettre au botanistebritannique Joseph Hooker,en 1871, « une petite maretiède avec toutes sortesd’ammoniac, phosphates, dela lumière, de la chaleur, del’électricité […] ». Le besoind’énergie pour l’émergencede la vie repose aussi sur desbases plus solides. Le physicienautrichien Erwin Schrödingerconsidérait que tout êtrevivant doit transformer unesource d’énergie de potentielélevé – ou des nutriments –en une forme dégradée (chaleur, déchets) pour échap-per à une violation du secondprincipe de la thermo-dynamique, qui stipule quel’entropie d’un système isoléne peut qu’augmenter. En d’autres termes, il doit brûlerde l’énergie.L’auto-organisation des sys-tèmes vivants s’est nécessai-rement faite au travers deréactions autocatalytiques

et/ou de polymères capablesde répliquer leurs structures,puis d’une sélection. Cettereproduction s’accompagned’une dissipation d’énergieirréversible (figure ci-contre).La diminution d’entropie*1 liéeà l’organisation du système estcompensée par son augmenta-tion dans l’environnement.Toute violation du second prin-cipe de la thermodynamiqueest donc évitée en intégrantle système et son environne-ment. Le simple fait de fixerl’ordre de grandeur de latempérature et l’échelle detemps des phénomènesmontre qu’un potentiel équi-valent à celui de la lumièrevisible était nécessaire pouranimer de tels systèmes. Onpeut en déduire que des sourcesd’énergie, si elles sont aujour-d’hui efficaces pour entretenirla biochimie d’organismesévolués, ne l’étaient pas pourinitier la vie. Cette constata-tion est en contradiction avecl’hypothèse d’une origine duvivant basée sur des méta-bolismes autotrophes car lepotentiel des sources pré-sentes dans les systèmes hydro-thermaux est insuffisant pourmener à un degré suffisantd’irréversibilité.L’auto-organisation du vivantnécessite donc plus que laformation des briques duvivant (acides aminés, nucléo-

tides…). Elle suppose aussi ladisponibilité de sources d’éner-gie de qualité suffisante. En fait, la formation de briques orga-niques n’a, par elle-même, riende nature à mener au vivant.Et rien ne l’empêche de sedérouler dans des conditionsproches de l’équilibre thermo-dynamique, soit spontanément,soit par couplage à un proces-sus exergonique*2. L’auto-organisation d’un systèmecapable de se reproduire etfonctionnant de manière irré-versible exige en sus une sour-ce d’énergie de potentiel adéquat.

Robert PascalÉquipe Dynamique des systèmes

biomoléculaires complexes,Institut des biomolécules

Max Mousseron,UMR 5247, Université Montpellier 2,

Montpellier

*2 Libérant de l’énergie*1 Grandeur caractérisant la dispersion d’énergie

©D

R

Reproduction et irréversibilitéPour être irréversible, la duplication de la molécule A via une boucle auto-catalytique réclame que de l’énergiesoit dissipée, donc que la réactionretour soit impossible.

Quelles sources d’énergie ?

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nucléiques à hexitol, les acidesnucléiques à altritol ou encore lesacides nucléiques à thréose. Sansprétendre démontrer l’existencepassée de ces molécules, les ex-périences de laboratoire révèlentque ce sont d’excellentes matricespour la synthèse d’un brin com-plémentaire, participant ainsi à la transmission d’une informa-tion. La synthèse dirigée par unematrice mime les premiers gestesde la réplication tels qu’ils ont été reproduits en laboratoire parle chimiste britannique LeslieOrgel (6). Dans un simple tube àessai, par appariement des mono-nucléotides et d’un brin matrice,la synthèse d’un brin complémen-taire se produit de novo. Précisonsque dans ces conditions expéri-mentales, les mononucléotides sontactivés par un groupement chi-mique très réactif : l’imidazole.Lorsque l’on chauffe le tube àessais, le double-brin formé sesépare en deux matrices poten-tielles, permettant ainsi la synthèsede nouveaux brins complémen-taires. C’est ainsi que l’on imagineque se sont produits les premierspas de la réplication primitive.Capables d’appariement, les SGArépondent très bien à cette syn-thèse dirigée par une matrice. Ilspermettent que s’effectue la tran-sition d’un système portant uneinformation à un autre type desystème sans perte du « message »et ceci, jusqu’à l’avènement dusystème « génétique » tel que nous

L’APPARITION DE L’ARNEN QUESTION

L’hypothèse d’un monde ARNoriginel porte une interrogationprofonde : quelles ont été ses condi-tions d’apparition ? La productiond’ARN nécessite la constitutiond’un squelette ribose-phosphatesur lequel se fixent les bases azo-tées A, U, G et C. Ces dernièressont assez faciles à obtenir dansdes conditions prébiotiques, commel’a démontré Joan Oro dans lesannées 1960 (2). On trouve aussides bases azotées en très grandesquantités dans les météorites (3).La source des bases azotées,qu’elles soient terrestres ou extra-terrestres, n’est donc plus un trèsgrand mystère. Le phosphate est,quant à lui, une substance miné-rale en grande quantité sur laTerre. En revanche, le ribose estl’élément critique de la synthèsede l’ARN. Les sucres sont synthé-tisés dans des conditions prébio-tiques par une réaction simple : la« formose reaction » — contractionde « formaldéhyde » et « ose » (4).Le formaldéhyde est une moléculetrès répandue dans l’espace et dansl’univers. Cette réaction génèretoute une gamme de sucres. Maisles produits les plus stables possè-dent de hauts poids moléculaireset le ribose est obtenu en trèsfaible quantité. L’obtention del’unité nucléotidique s’avère doncdifficile dans les conditions pré-biotiques. Le chimiste américainSteven Benner, fondateur de laFFAME (Foundation for AppliedMolecular Evolution), proposequ’une stabilisation du ribose pardes sels de borate se soit produiteau cours de l’évolution primitive.Des gisements de borate datant de-3 Ga ont été découverts en Chine.On trouve également des sels deborate sous forme de roches sédi-mentaires comme les évaporites(colemanite, ulexite) un peu par-tout sur Terre et il semblerait quece minéral soit aussi présent surMars. Benner a démontré sa théo-rie en laboratoire, ouvrant la voieà une recherche extrêmement pro-metteuse (5).

DES SYSTÈMES GÉNÉ-TIQUES ALTERNATIFS

D’autres travaux évaluent la perti-nence de systèmes génétiques alter-natifs (SGA) qui auraient précédél’ARN. On distingue ainsi les acidesnucléiques peptidiques, les acides

le connaissons aujourd’hui. Poserl’hypothèse de systèmes géné-tiques précurseurs de l’ARN re-vient ainsi à imaginer que les pre-mières formes de vie auraient étéhétérogénétiques. Des systèmesgénétiques différents auraientconstitué une biodiversité origi-nelle dans laquelle la sélectionnaturelle aurait puisé les premièresformes moléculaires et cellulairesentre -3,6 et -3,8 Ga.

LES BASES D’UN MÉTA-BOLISME PRIMITIF

Le vivant ne peut se réduire àune simple machine exécutant desprocessus et il ne saurait existersans l’acquisition de fonctionsbiologiques. En transformant descomposés organiques en d’autrescomposés organiques présentantdes propriétés différentes desprécurseurs, le vivant exprime sesressources adaptatives. Le méta-bolisme est aujourd’hui caractérisépar l’activité des protéines, assem-blages complexes d’acides aminéset par l’activité des acides nuclé-iques qui portent et transmettentune partie du message héréditaire.Dans un premier temps, les acidesaminés ont dû s’organiser en entitésplus petites, des peptides capablesde certaines actions chimiquescomme une activité catalytique,indispensable à l’enchaînement deréactions préfigurant un méta-bolisme simple. S’il est généra-lement admis que cinq acides

Du monde prébiotique à notre vivant contemporain, de nombreux processus ont porté l’évolution.

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© D’APRÈS D'OÙ VIENT LA VIE ? ÉDITIONS LE POMMIER (2010)

Acides aminés

Peptides

Bases azotées(adénine…)

Sucres

SGA

(…)

Eau, argiles, substances minérales…

Accumulation Prolifération pérénnité Développement, différenciation, régulation

MONDE ARNARN libresProviroïdes

(…)

COMPARTIMENTSProtocellules

Diversités phénotypique(…)

NICHES ÉCOLOGIQUES(…)

ARN nus

ViroïdesEucaryotes

ARN/compartiments

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(O2)

Endosymbiose

(Chloroplastes)

(…)

Monde ARN/Monde ADN

MONDE PRÉBIOTIQUE AMORCES INTERACTIONS

ACQUISITIONDE LA VIEINTRA-

CELLULAIRE

Lignées cellulaires

Sélection naturelle, évolution Vivant

Virus

Pro-procaryotes

(cyanobactéries…)

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(1) Dobzhansky T (1973) Am Biol Teach 35,

125-9

(2) Oro J, Kimball AP (1961) Arch Biochem

Biophys 94, 217-27

(3) Callahan MP et al. (2011) Proc Natl Acad

Sci USA 108, 13995-8

(4) Reid C, Orgel LE (1967) Nature 216, 455

(5) Benner SA et al. (2012) Acc Chem Res

45, 2025-34

(6) Orgel LE (1992) Nature 358, 203-9

(7) Maurel MC, Ninio J (1987) Biochimie

69, 551-3

(8) Wächtershauser G (1988) Microbiol Rev

52, 452-84

(9) Mansy SS et al. (2008) Nature 454,

122-5

P

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favorisé l’émergence de la bio-chiralité grâce à l’orientation deces molécules minérales. En tantque source d’électrons d’un méta-bolisme primitif, elle suggère enfinque les premiers organismes étaientchémo-autotrophes (8).

Les théories conduisant à imagi-ner la constitution d’une biomasseoriginelle ne sont pas exclusives :des éléments simples qui réagissentdans l’eau, dans l’atmosphère ousur des surfaces minérales ont puproduire la biomasse primitive sousl’influence d’une source d’énergie(décharge électrique, rayonne-ment lumineux, voire d’autressources chimiques ou mécaniques)(encadré p. 40). Une vision dyna-mique s’impose. Une différen-ciation constante, des invasions etdes extinctions moléculaires consti-tuent un équilibre en mouvement.Une circulation de matière – quicaractérise le vivant actuel – a dûse produire dès les origines pourpréserver et régénérer les pre-mières formes après perturbationou transformation brutale ducontexte physique et géochimique.

UN CONFINEMENT VITALL’association des processus de

réplication et de catalyse au seind’un compartiment est un élémentfondamental qui a rendu favo-rable, au plan thermodynamique,la synergie du vivant. Ceci a puse produire, au tout début, dansun simple trou dans la roche,formant une cellule primitiveminérale. La première « niche »écologique en quelque sorte.

Il est aussi envisageable que leconfinement des premières molé-cules complexes du vivant se soitopéré grâce à des coacervats,vésicules issues de la polyméri-sation thermique de polypeptidesou de polysaccharides. Ces vési-cules, aujourd’hui synthétisées en laboratoire, sont comparablesau liposome actuel produits par association de lipides. JackSzostak, prix Nobel de médecineou physiologie en 2009 pour sestravaux sur la télomérase, s’inté-resse à ces vésicules mimant lespremières cellules, dont il tente de coupler la formation avec unmétabolisme. Il a déjà mis enévidence que ces protovésiculessont assez thermostables pourproposer des conditions compa-tibles avec une réplication spon-tanée d’acides nucléiques (9).

aminés suffisent pour avoir uneactivité catalytique, il a été mis enévidence qu’une base azotée telleque l’adénine porte une activitécatalytique équivalente à celle d’unseul acide aminé : l’histidine (7).

On connaît aujourd’hui un grandnombre de ribozymes se présen-tant sous forme de motifs dif-férents. On en trouve dans les ARNmessagers, associés à l’ARNt, àl’ARN ribosomal. Les plus petitsribozymes se trouvent dans desvirus sous forme d’épingles à che-veux (« hairpin ») ou de tête demarteau (« hammerhead »). On ena même trouvé dans les viroïdes,les plus petits agents pathogènesconnus à ce jour. Certains cher-cheurs pensent, à la suite deTheodor Diener, spécialiste améri-cain des virus végétaux, que cesmotifs catalytiques présents dansl’ARN seraient les vestiges des pre-miers catalyseurs du monde ARN.

UN SYSTÈME DYNAMIQUEDes surfaces minérales auraient

pu favoriser l’organisation dumétabolisme primitif. Les sub-stances minérales sont indispen-sables à certaines fonctions bio-logiques, même en très petitesquantités. Le fer, le soufre et lemagnésium sont, en particulier,bien identifiés aujourd’hui dansnombre de macromolécules etpourraient refléter une certainecontinuité liant les métabolismesprimitif et contemporain. JohnDesmond Bernal, Graham Gairns-Smith, Aharon Katchalsky etaujourd’hui Gunter Wächtershauseront proposé que des surfaces miné-rales aient favorisé la formation demolécules biochimiques clés.

Des argiles ou sulfures métal-liques, présents sur des parois descônes volcaniques ou dans lessources chaudes sous-marines, etdu sulfate de fer sont autant d’élé-ments énergétiques et chimiquesdont on tente de suivre l’évolution.Sur les évents sous-marins, de la pyrite de fer est fabriquée enabondance, accompagnée de laproduction d’hydrogène et d’élec-trons. L’hydrogène peut être l’agentréducteur du CO2 qui se transformeainsi en molécules organiquescomme le méthane ou des sucresélémentaires. Ce type de processusest à rapprocher d’un métabolismeautotrophe.

Pour Gunter Wächtershauser,cette pyrite de fer aurait aussi

D’autres approches, comme cellede David Deamer, à l’Université deCalifornie à Santa-Cruz, étudientla formation de ces vésicules dansdes conditions de forte salinitémimant un milieu prébiotique.Avec sa collaboration, le labora-toire Acides nucléiques et bio-photonique de l’Université Pierreet Marie Curie a obtenu des poly-mères d’acides ribonucléiques enmilieu hypersalé. Les travaux sepoursuivent en présence de lipidesafin de mettre en lumière le poten-tiel catalytique et synergétique des lipides à la fois pour la consti-tution de vésicules et d’oligo-ribonucléotides.

En recherchant les prémices des phénomènes caractérisant levivant, le chercheur doit s’affran-chir des définitions et modesd’interrogation traditionnels. Onpensait, il y a encore 10 ans, queles virus ne pouvaient apparte-nir au vivant car ils dépendentd’un hôte pour se répliquer. Or ona découvert que certaines bac-téries, comme les rickettsies, unrègne qui a toutes les « lettres denoblesse » du vivant, sont aussides parasites obligatoires. Si aucours de l’évolution, certains ARNrestés nus ont donné naissance àdes viroïdes, d’autres ont été com-partimentés pour former les viruset les premières lignées cellulaires.

La frontière entre le vivant et lenon vivant s’estompe et les défi-nitions fixes sont désormais ob-solètes. La limite qui distingue levivant du non vivant est un étatdécidé par l’observateur. Toutefrontière subjective ne permet pasd’isoler les événements fondateursde la vie. L’étude des processusprimitifs montre qu’il existe unegraduation de ces états. Du pointde vue darwinien, la diversitéexiste à toutes les échelles.

Les étapes d’accumulation et deprolifération furent indispensablespour l’établissement d’une masseorganique primitive et d’unediversité à partir de laquelle lasélection naturelle a pu s’exercer(figure p. 41). C’est ainsi qu’ont pus’exprimer les activités propres à ce qui identifie le vivant. Unréplicateur est aussi vivant qu’unmétabolisateur. Cette idée degraduation et de continuité estessentielle pour mettre au jour pas à pas les vestiges et les stratessuccessives qui ont présidé auxorigines des espèces vivantescontemporaines. �

Maurel M-C (2010) D’où vient la vie ? Éditions Le Pommier,coll. Les Petites Pommesdu savoir

Forterre P, d’Hendecourt L,Malaterre C, Maurel M-C(2013) De l’inerte au vivant. Une enquête scientifiqueet philosophique. La ville brûle, coll. 360

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