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Avant-proposjournal.apropos.free.fr/docs/Apropos_04.pdf4 À propos... — Numéro 4 — Nov. - déc. 2003 Propos mondiaux La religion au Soudan, faire valoir d’intérêtsmoins spirituels

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Edito

Ont participé à ce numéro :Comité de rédation : Amélie Canonne, Yann Grandin, Arnaud Guétin, Christine Guétin, Grégory Jacob, Jean-Baptiste Migraine.

Rédacteurs : Anna Bergeot, Charlotte Bozonnet, Amélie Canonne, Gabrielle De Agueda, Mohamed Ghaleb, Arnaud Guétin,Christine Guétin, Marie-Laure Guétin, Anne Hermier, Marion Lignac, Jean-Baptiste Migraine, Vincent Morel, Zakari Saye,Thibaut le Texier, Hélène Vallier, Claire Yovo.

Avec ce quatrième numéro,le journal À propos… vous

revient sous un nouveau formatet soutenu par une association.Sa première Assemblée généra-le se tient le 29 novembre.Notre projet avance grâce auxcotisations des premiers memb-res et au prix que nous a remisla Fondation Varenne pour nostrois premiers numéros. Dès àprésent, ce soutien et cettereconnaissance nous permet-tent de poursuivre de nouvellesaventures.

De nombreuses personnes ontversé leur cotisation pour queparaisse ce numéro, au formatrelooké et au contenu remode-lé. Le journal À propos… achangé de présentation et arepensé sa ligne éditoriale : uneréflexion, à la fois libre et

engagée, sur le développementet sur la coopération internatio-nale, associée à une vision quise veut la plus ouverte possible,en forme de parcours et de pra-tiques artistiques. Vos récits,chroniques, témoignages,enquêtes, vos écrits variés, poè-mes et illustrations ont en com-mun un même désir d'échangeautour d'une vision plurielle dela culture.

En voici un bref aperçu dans cenuméro : les retours de stage denos « correspondants locaux »ont donné un souffle nouveauaux récits de terrain au Maroc,au Sénégal, au Soudan, et enfinau Mali. Le Mali est plus préci-sément l'objet d'une série d'arti-cles qui portent tant sur les pra-tiques musicales que sur lespratiques magiques… Zakari

Saye, fils du chef de village deTéréli, nous ouvre la « porte »du pays dogon. Vous y trouve-rez également des retours surl'actualité, des analyses etdiverses perspectives sur cetteplanète !

Le cinquième numéro est déjàen préparation, sur le thème“migrants et réfugiés”. Vos pro-positions d’articles, deréflexions, d’invitations sontattendues…Et surtout, appro-priez-vous cet espace d’expres-sion ! Étudiants fauchés,comme professionnels recon-nus ou en devenir, de Paris oude Tombouctou, n’hésitez plus,faites signe !

[email protected]

SommairePROPOS MONDIAUX

Quand les cris du Chili résonnent à Paris....3La religion au Soudan..................................4Le Sida, la Chine et son gouvernement .......6Devenez Ambassadeur à l’UNESCO...........7

PROPOS PHILOL’humanitaire, la vie, la mort.......................8

PROPOS D’EAULa lutte contre la désertification au Maroc10Roulez jeunesse !!!.....................................11

PROPOS BOULOTQu’adviendra-t-il de nous ? .......................12Deux entretiens en 24 h .............................13

PROPOS POLITIQUESCotonou : société civile & partenariat .......14Gels de crédits, ça chauffe !!! ....................15Conséquences du gel des crédits au Mali ..17

PROPOS ETHNO.La porte des greniers Dogon......................18Dieu d’eau – Marcel Griaule .....................19

PROPOS MUSICAUXInstruments et musiciens du Mali ..............20Hadouk, Now .............................................22

À PROPOS… DE COCTEAULe merveilleux au cinéma .........................24

NARCOS PROPOS Le khât & le développement régional........26

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11septembre 2003. Il y atrente ans exactement

que le Chili tombait entre lesmains des réactionnaires menéspar Augusto Pinochet avec l’ai-de des Etats-Unis. Santiagoétait bombardée et le Présidentde la République SalvadorAllende se donnait la mort dansle palais de la Moneda en flam-mes. Avec lui disparaissait bru-talement l'expérience socialistechilienne qui avait déclenchél’enthousias-me dans lem o n d eentier.

Que l’actuel-le Mairie deParis tienne àcommémo-rer ces tra-g i q u e smoments n’est donc pas trèssurprenant. Au programme :colloques sur le Chili d’hier etd’aujourd’hui, inaugurationd'une place Salvador Allendedans le 8ème arrondissement dela capitale et, le soir du 11 sep-tembre, organisation d’une soi-rée à la mémoire du dirigeantde l’Unité Populaire. Pour l'oc-casion, les ors de la Républiques'ouvrent à la société civile. Lessomptueux salons de l’Hôtel deVille accueillent la communau-té chilienne exilée à Paris etune partie du monde associatif.

Les invités sont venus, nomb-reux. Les visages latino-améri-cains se devinent. Survivants,enfants, petits-enfants de

Chiliens, qui sont-ils et qu'ont-ils connu de ces heures terri-bles ? 20h30, les lumières s'é-teignent. Le grand écran s’ani-me sur les images en noir etblanc de ce matin de septembre73. Les grandes avenues deSantiago sont désertes. Oùsont-ils ces milliers de Chiliensqui ont porté Allende au pou-voir ? Ont-ils peur ? Savent-ilsdéjà que ces heures sont cellesde la fin d’une utopie et le

début de17 annéesd’une dic-tature san-g l a n t e ?Le bruitdes chars,des botteset desb o m b e se n v a h i s -

sent la salle. Soudain, une voixs'élève. Une voix de femme,puissante et déchirée. Elle nefait pas partie du film, non. Ellecrie la fin du film dont on n'apas d'images. Les arrestations,les tortures, 3 000 morts etdisparus. Ces hommes et cesfemmes qui avaient cru en unmonde plus juste, plus solidaireet qui pour cela sont tombésdans les bras de la barbarie."Compañeros desaparecidos"(1).Et ce sont des centaines de voixanonymes qui lui font écho"Presente, ahora y siempre"(2).

La soirée était belle, juste etémouvante. Mais ni les souve-nirs précis de Pierre Kalfon,alors correspondant du Monde

à Santiago, ni lalecture d’ex-traits de l’œuvredu poète Pablo Neruda, n'ontrésonné comme ces voix chi-liennes qui réussirent à noustransmettre, à nous, jeunes etmoins jeunes qui ne les avonspas connu, la souffrance etl'espoir d'un peuple que cer-tains ont voulu nier, en vain.

« Je vous dis avoir la certitudeque la semence que nous avonsenfouie dans la consciencedigne de milliers et de milliersde Chiliens ne sera pas défini-tivement perdue. Ils ont laforce, ils pourront nous asser-vir, mais on n'arrête les mou-vements sociaux ni avec lecrime, ni avec la force.L'histoire est nôtre, ce sont lespeuples qui la font. […] RadioMagallanes va sûrement êtreréduite au silence et le son pai-sible de ma voix n'arrivera pasjusqu'à vous. Peu importe,vous continuerez à m'entendre.Je serai toujours à voscôtés… »(3)

Charlotte [email protected]

___________________________

(1) Compagnons disparus

(2) Présents, maintenant et pourtoujours !

(3) Dernier discours de Salvador Allendeprononcé à la radio le matin du 11septembre 1973. Traduction DIAL(Diffusion de l’Information surl’Amérique Latine)

Quand les cris du Chili résonnent à ParisCommémoration du 30ème anniversaire de la mort de Salvador Allende

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La religion au Soudan, faire valoir d’intérêtsmoins spirituels !

Analyser la situation actuelle du Soudan, et de la guerre qui le ronge depuis près de 50ans(1), par le seul biais religieux serait réducteur et occulterait la réalité complexe de ce pays.Le conflit est souvent présenté comme opposant un nord musulman prédateur à un sud chré-tien luttant contre cette islamisation forcée. Mais, comme bien souvent, la question religieuseest instrumentalisée par les parties en présence, gouvernement et SPLM/A (Sudan People’sLiberation Movement/Army), et dissimule des intérêts beaucoup plus pragmatiques.

Tout d’abord, il est nécessai-re de rappeler que les nor-

distes ne sont pas tous musul-mans (à 90% tout de même, lesautres 10% regroupant majori-tairement les déplacés sudisteset les réfugiés des pays voi-sins), et les sudistes ne sont quepartiellement chrétiens (55%)et animistes (25%).

Le tableau suivant permettrad’y voir un peu plus clair dansla répartition des préférencesreligieuses dans le pays et dansles deux principales régions.

Ensuite, l’islam sou-danais se caractérisetraditionnellementpar la position trèsforte occupée par lesconfréries « soufies». Celles-ci placent lacontemplation et laméditation au centrede la religion. Ellescontinuent de structu-rer aujourd’hui, parl’intermédiaire degrandes familles, leschamps socio-cultu-rel, économique et sesuperposent aux principauxpartis politiques soudanais.

Hassan al-Turabi, l’idéologue(formé à la Sorbonne) du régi-me du général Omar al-Béchir,va stigmatiser ce courant etmettre en place, au cours desannées 90, un fondamentalismeislamique au plus haut niveau

de l’Etat. Lescarac tér is -tiques princi-pales, quivont contri-buer à brouiller l’image duSoudan, en seront une applica-tion stricte de la Chari’a, l’or-ganisation d’un embryon d’in-ternationale islamiste, l’accueild’Oussama Ben Laden… Cetteidéologie du pouvoir ne déclen-chera cependant pas l’adhésionpopulaire et l’islam soudanaisdemeure largement imprégnéde tolérance.

Dans ce contexte, le christianis-me, dont la présence remonteau VIè siècle, va tout de mêmecesser de cohabiter harmonieu-sement avec l’islam. Les troisrites majeurs du christianismesoudanais sont les coptes, d’as-cendance égyptienne, les catho-liques et les protestants.

Cependant, plus que de persé-cutions, les chrétiens soudanaissouffrent de discriminations.

Les chrétiens moins victimesde la Chari’a que les musul-mans.

La constitution de 1998 recon-naît dans plusieurs de ses arti-cles « la diversité culturelle et

religieuse et la tolé-rance interreligieu-se » (art.1) et accorde« la liberté de croyan-ce et de culte »(art.24).

« Privilèges » ô com-bien appréciables, ilsne subissent pas le «Qassas » (peine capi-tale), ni le « qat Al-Yad » (amputation),ni le « Rajm » (la fla-gellation), sauf, pourcette dernière peine,

en cas de trafic d’alcool.

Le Soudan est-il si doux à vivrepour les chrétiens soudanaisqui, eux, échappent de fait à cespunitions corporelles ? En effet,ces exactions sont soumises àl’interprétation du juge et,même prononcées, elles sontdésormais très rarement appli-quées.

Le Soudan et ses principales religions

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Il existe un problème d’égalitédevant l’éducation confession-nelle des enfants, permise pourles musulmans et empêchéepour les chrétiens. L’éducationest de toute façon empreintedes valeurs et des normesmusulmanes. La constructiond’églises est limitée, ce que lespouvoirs publics n’opposentpas à la multitude de mosquées,financées en grande partie pardes fonds saoudiens, et quiconstituent les bâtiments lesplus rutilants de Khartoum. Lesdélais d’octroi de visas auxmissionnaires et aux ONGchrétiennes semblent allongés,mais obtenir un visa dans desdélais raisonnables reste detoute façon une missionpérilleuse.

Enfin, à l’exception dequelques personnalités sudisteschrétiennes, qui occupent dehautes fonctions au sein dupouvoir, les chrétiens, y com-pris les coptes nordistes, nepeuvent prétendre à des fonc-tions élevées au sein de l’admi-nistration.

Malgré ces discriminations et laforte présence de chrétiens dedifférents rites, on ne trouvepas trace d’affrontements com-munautaires à Khartoum.

Alors que cache cette volontédes deux parties d’exacerber lefait religieux, d’invoquer leJihad pour le nord et de réduirele conflit à une guerre de reli-gion pour le sud ?

Les ressorts d’une instru-mentalisation du fait reli-gieux…

Pour Khartoum, instrumentali-ser le Jihad permet de « motiver» des troupes, peu enclines àpartir se battre dans le sud dupays. Cela lui permet égale-ment, en résistant encore lorsdes négociations de paix sur lestatut religieux (musulman ou

laïc) de la capitale, de montrer,en cédant sur ce point, lesconcessions que le pouvoir cen-tral est prêt à réaliser. Une pro-position irréaliste de compro-mis a été faite d’appliquer laChari’a dans les villesd’Omdurman et de KhartoumNord et d’exempter le reste dela ville(2), centre politique etadministratif situé entre le NilBleu le Nil Blanc, de la loi isla-mique.

Au sud, le SPLM/A trouve danscette instrumentalisation unmoyen d’obtenir le soutien dela communauté internationale,notamment européenne et nord-américaine. Différents lobbiesde la droite américaine aidentainsi l’église anglicane, etnotamment presbytérienne, àdénoncer ce qui est vu commeune discrimination et une domi-nation raciste du nord sur lesud. Quelques sites d’ONGaméricaines particulièrementmilitantes, remarquées notam-ment à propos de rachats d’es-claves(3), peuvent être consul-tés(4).

En dépit de la rhétorique desprotagonistes et des exactionsréelles, mais géographiquementlimitées, le conflit du sud a unedimension essentiellementpolitique et économique. Il ren-voie avant tout à la question del’association des sudistes aupouvoir, et à l’exigence dedéveloppement égal pour lesdeux régions et de répartitionéquitable des richesses. Lesautres zones de conflits sontnombreuses (Abyei, les montsNouba , le Nil Bleu, leDarfour…) et le fait religieuxn’y est pas systématiquementmis en avant. La reconnaissan-ce de la diversité du peuplesoudanais et la prise en maindes affaires publiques par lapopulation, avec un très fortbesoin de décentralisation, sontles revendications principalesdes parties en conflit contreKhartoum.

La ligne de front entre le nordet le sud, où des combats conti-nuent d’avoir lieu malgré lecessez le feu, se situe étrange-ment aux abords de la ville deBentiu, principale réserve dupétrole soudanais. Les belligé-rants ignorent donc la causereligieuse au nom de laquelleles chefs revendiquent leconflit.

Devant les pressions américai-nes, qui ont déjà abouti à lamise à l’écart d’Hassan Al-Turabi en 2001, le gouverne-ment lâche du lest sur laChari’a. A l’occasion d’unefatwa prononcée par des isla-mistes au mois de juillet 2003,Issam Ahmed El-Béchir,Ministre des Affaires religieu-ses, a mis en garde contre lestentatives de certains islamistesqui qualifient trop facilementd’infidèles leurs opposants etqu’il appartient à la seuleautorité judiciaire de juger lesgens. Cette leçon donnée par unministre du gouvernement fai-sait suite à une envolée lyriqueprononcée quelques mois plustôt par le chef de l’Etat quidéclarait qu’il faudra piétinernos cadavres pour imposer leslois laïques à Khartoum (sic).

« Habile » calcul ou schizo-phrénie, le doute ne semble paspermis.

Vincent [email protected]

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(1) Exceptées les 10 années d’accalmieentre 1972 et 1983.

(2) Khartoum est composé de 3 villescontiguës : Omdurman, Khartoum etKhartoum nord.

(3) Plus que d’esclavage, des enlève-ments contre rançon ont été la plupartdu temps identifiés.

(4) Notamment : www.csi-int.ch,www.anti-slavery.com etwww.sudancampaign.com

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Le Sida, la Chine et son gouvernementLe sida, maladie de l’amour en chinois, reste un sujet trèssensible en Chine. Selon l’ONUSIDA, plus d’un millionde personnes y seraient aujourd’hui infectées. Avec un tauxde croissance moyen de 30% ces dernières années, les experts affirment que le nombre demalades pourrait atteindre 10 millions en 2010. La Chine semble être au bord de la cata-strophe et seule une campagne active des programmes d’éducation sexuelle pourrait renversercette tendance.

Aujourd’hui, Human RightsWatch dénonce les condi-

tions de vie des malades du sidadans le pays. Ils n’ont pas accèsaux soins de santé et les hôpi-taux refusent de les soigner. Leslois chinoises établissent unediscrimination à l’égard des per-sonnes séropositives et certaineslois locales vont jusqu’à leurinterdire l’accès aux piscines ouaux emplois dans le secteur ali-mentaire. Les personnes infec-tées ne peuvent pas se marier.

En matière de prévention, l’ar-chaïsme du pouvoir central estmanifeste. L’administration,pour des raisons de pudeur voired’éthique sociale, a censuré enles retirant des bus et de la TV,toutes les publicités pour lespréservatifs. Toutefois, de vraiesinitiatives ont lieu au niveau deslocalités : des campagnes deprévention donnent notammentlieu à la distribution de milliersde préservatifs. Au Jiangsu, deslois protègent les malades. Ellesgarantissent leurs droits à l’em-ploi, à l’éducation et à la santé.

Face à cette maladie que laChine estime importéed'Occident, l’attitude des autori-tés chinoises a été dans un pre-

mier temps, comme pour leSyndrome Respiratoire AiguSévère (SRAS), de gérer la crisedans le secret afin de privilégierla stabilité politique et écono-mique au détriment des impéra-tifs de santé publique. Alors quele pays était devenu le centre dedéveloppement de l’épidémie enAsie, le gouvernement avaitpréféré mentir afin de préserverl’image d’un environnement sûret stable pour les investisse-ments directs étrangers.

Le deuxième temps a été celuides discours. Cependant, bienque la guerre a été déclarée ausida dès 1991, aucune détermi-nation réelle n’existe de la partdes dirigeants. Ils affirmentprendre des mesures de protec-tion contre le sida pour les jeu-nes en renforçant leur éducationsanitaire. De vastes campagnesd’informations sont mises enplace un peu partout dans lesgrandes villes. Mais est-ce biensuffisant, vu la taille du pays ?La méconnaissance de la mal-adie est totale. Les Chinois,s’ils en ont entendu parlé pen-sent qu’on peut l’attraper parune simple poignée de main oupar une piqûre de moustique.

Un militant chinois pour la luttecontre le sida, le Dr. WanYanhai, a été emprisonné le 24août 2002, par les autorités chi-noises pour avoir « divulgué dessecrets d’Etat ». Celui-ci coor-donnait le Aizhi Action Project,une ONG qui diffuse la majeurepartie de l’information élémen-taire accessible en Chine ausujet du VIH/SIDA. Il a été relâ-

ché quelques semaines plustard.

Par ailleurs, les journalistesétrangers et chinois sont empê-chés d’enquêter sur l’épidémiede SIDA dans la province duHenan et sur le scandale du sangcontaminé. Entre 1992 et 1997,des centaines de milliers de pay-sans ont fait don de leur sangafin de toucher un complémentà leurs maigres salaires. Desagences privées de collecte desang se présentaient dans lesvillages et offraient environ 7euros pour chaque prise de sang.Les seringues étaient partagéeset le reste du sang, après extrac-tion du plasma, était réinjectéchez les donneurs. Près d’unmillion de personnes ont étécontaminées. Le scandale estd’autant plus grand qu’ilimplique des personnalités dehaut rang. Ce "business dusang" avait été mis en place parle directeur de la Santé duHenan. Aujourd’hui, cette pro-vince compte plus de 100 "villa-ges du sida", comme on lesappelle en Chine. Le taux d’in-fection dans ces localités touchede 60 à 84% de la population.Le gouvernement n’a interditqu’en 1998 cette pratique, 5 ansaprès son commencement.

Le troisième temps devrait être,comme pour le SRAS, celui oùle gouvernement chinois dési-gne des responsables et leslimoge. Pour le SRAS, c’était leministre de la santé. Après sonlimogeage, le Vice premierministre Mme Wu Yi avaitdébloqué pour le SRAS la

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somme de 692 millions de dol-lars pour la création d’un réseaude surveillance des maladies. EnChine, près de 400 personnessont mortes du SRAS. Lemillion de paysans infectés duHenan, quant à eux, n’ontjamais obtenu la moindre assis-tance de la part des autorités. Laseule personne qui ait été arrêtéeen Chine pour le sida est unresponsable de la santé duHenan, accusé d’avoir révélédes secrets sur le scandale dusang contaminé.

Gabrielle De [email protected]

Pour échapper à la justice française,devenez Ambassadeur à l’UNESCO

Ou l’histoire du vendeur d’armes devenu ministre…

Pierre Falcone, vendeur d’ar-mes, fraudeur au fisc fran-

çais, vient d’être nommé repré-sentant à l’UNESCO, au titrede Ministre plénipotentiaire dela République d’Angola.

Pierre Falcone est le "héros"principal de l’Angolagate.Cette affaire, médiatisée il y adeux ans, avait conduit lesjuges du pôle financier parisienà découvrir l’existence, en1993-1994 (alors que le conflitangolais opposant MPLA etUNITA depuis 20 ans conti-nuait à semer l’horreur dans lepays), de ventes d’armes(1) parPierre Falcone au gouverne-ment angolais, pour plus de 600millions de dollars. Il avait étélibéré en décembre 2001 aprèsun an de prison, mais il demeu-rait toutefois sous contrôle judi-ciaire en attendant la clôture del’instruction.

L’ intérêt de l’anecdote est lesuivant : interdit de sortie deterritoire d’ici là par le jugeCourroye, Pierre Falcone vapourtant quitter très prochaine-

ment la France en toute légali-té. En effet l’accession au titrede représentant de l’Angola àl’UNESCO lui confère de droitun passeport diplomatique,selon les accords en vigueurentre la France et l’UNESCOdepuis 1954(2) ; celui-ci jouitdonc de tous les privilèges pré-vus par la Convention deVienne de 1975, au premierrang desquels… l’immunitétotale. Falcone pourra doncdorénavant comme bon luisemble se soustraire aux exi-gences de la justice française.

L’impunité, exception cul-turelle française ?

On pourra sans doute remar-quer que la nomination dePierre Falcone à un poste diplo-matique de haut rang n’a en soirien de surréaliste : en Francepar exemple, les fabricants /marchands de canon (qui netombent pas sous le coup d’uneinstruction de justice il est vrai)contrôlent une part importantedu marché du livre… et C.Pasqua, homme de bien peu de

scrupules et chef d’orchestre denombre de crapuleries frança-fricaines(3) (par ailleurs grandami de Falcone) conserve sonsiège de président du ConseilGénéral des Hauts de Seine…

Peut-être… Il semble que nil’UNESCO, ni le Quai d’Orsay,qui doivent contresigner un telordre de nomination, n’aient euleur mot à dire sur l’identité deson heureux bénéficiaire. Cequi appelle selon nous plusieursremarques : - Pas de capacité juridique à s’yopposer sans doute… Mais uneautorité symbolique, dont onaurait pu attendre, pour l’uncomme pour l’autre, défenseursproclamés de la justice et del’État de droit, qu’elles lesconduisent au minimum à pro-tester publiquement contre unetelle nomination ; - Le Quai d’Orsay est-il vrai-ment crédible à se réfugier der-rière des édifications juridiquescomplexes pour justifier sonsilence ? En France, la souve-raineté des États africains estpourtant une notion très relati-

Ça se passe en FranceIl est révolu le doux temps des préservatifs à un franc en phar-macie, celui aussi des amusants packages financés par la Mairiede Paris. Il faut désormais choisir entre les cinq préservatifs à huiteuros et les préservatifs qui craquent.

Les laboratoires pharmaceutiques n'ont pas renouvelé des parte-nariats qu’ils jugeaient trop peu lucratifs avec l'Etat, et l'Etatdiminue toujours plus ses crédits pour le financement de la pré-vention SIDA/MST.

Or à notre connaissance, le préservatif est l’unique moyen de pré-munir du VIH, et l’accès aux outils de protection un droit univer-sel. C’est pourquoi en Chine, en France ou au Botswana, le sidaest affaire de santé publique et donc de responsabilité politique.

www.planning-familial.org / www.actupparis.org / www.aides.org / www.paris.fr/sida

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L’humanitaire, la vie, la mortAu-delà des pratiques habituelles qui guident l’action humanitaire et de sa tendance à l’objectivation par l’édiction de normes, interrogeons notre relation à l’existence : la mort est-elle cette face de l’existence qui n’est pas tournée vers nous ?

Si les surréalistes,après la première

guerre mondiale,concluaient à la mort dusens, les existentialistes,au lendemain de laseconde, affirmèrent lafin des valeurs. Le salutn’était plus dans le non-sens, mais dans la révol-te.

Alors on se révolta. De1950 à 1980, l’heure futà l’engagement poli-tique. A la fin desannées 60, les despotesoccidentaux ayant lapeau dure face auxcontestataires et le mot

doux pour le public, onalla faire la guerreailleurs. On sauta doncau cou des bourreaux duTiers monde, pour trèsvite, de nouveauimpuissants, tomberdans les bras de leursvictimes.

On ne combattit plus lecrime, on combattit lamort, venue de nullepart, en soignant sesvictimes innocentes.C’est vers elles, logi-quement, que se tournè-rent les compagneshumanitaires de levéesde fonds.

Puis les idées disparu-rent derrière les idéaux,et les idéaux derrière lestechniques. A l’innocen-ce des victimes devaitrépondre la neutralitédes sauveteurs. Ils sefirent techniciens, d’au-tant que le confort d’unepratique objective futun réconfort salutairepour beaucoup.

Rieux, le médecin de LaPeste, a cette phraseétonnante : « Le salutde l’homme est un tropgrand mot pour moi. Jene vais pas si loin. C’estsa santé qui m’intéres-

se, sa santé d’abord » (1).Les humanitairesmodernes s’inscriventdirectement dans cettedémarche. De façongénérale, après avoirréduit les problèmespolitiques à leurs consé-quences, on réduisitavec une méthodologieet une candeur iden-tiques l’homme à sesorganes, – jusqu’à soi-gner comme d’autrestuent, dans l’abstrac-tion.

L’expérience de l’absur-de face au monde trou-ve, dans l’humanitaire

ve, et le couple Élysée-Quaid’Orsay savent pourtant - lors-qu’ils en ont la volonté, et endehors de toute notion de droitinternational - convaincre leurspartenaires du Sud du bien-fondé de leurs choix politiqueset diplomatiques. Les relationsfranco-angolaises avaient malvécu l’épisode de l’Angolagateet n’étaient pas au beau fixeparaît-il… mais toutes propor-tions gardées, les relations fran-co-ivoiriennes n’étaient pasplus cordiales quand J. Chirac,lors des accords de Marcoussis,a imposé ses choix à LaurentGbagbo.

- A titre officiel la France gagnebeaucoup d’argent en vendantdes armes à des pays en guerre,ce n’est pas un scoop… Il n’estpas très subversif non plus dedire qu’une certaine France, àtitre officieux, magouille enAfrique, et qu’elle n’a pas trèsenvie que les citoyens sachentce qu’elle y fait vraiment. …

Alors pourquoi couvrir PierreFalcone de son silence ?

- Surtout, le chemin reste longqui conduira à l’édificationd’une justice internationaledigne de ce nom, tant que lesvendeurs d’armes pourront s’a-briter derrière le droit interna-tional pour éviter de répondrede leurs responsabilités.

Moralité : ceux qui sous lachaleur de l’été avaientmomentanément oublié que laconstruction de la justice mon-diale requiert une vigilance detous les instants doiventconnaître un réveil un peu diffi-cile…

Amélie [email protected]

Opération de déminage en Angola

L’armée angolaise

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(1) « Non autorisées » par les autorités françaises. (2) Les avocats de Pierre Falcone s’appuient sur ce texte, (cf « Falcone sort l’arsenal diplo-

matique », Libération, Lundi 22 septembre 2003, p. 15) alors que certains juristes spécia-lisés contestent leur interprétation et affirment que, selon la Convention du 21 novembre1947 sur les privilèges et les immunités dans les institutions, les immunités « ne sont pasopposables aux autorités de l’État dont la personne est ressortissante ».

(3) Les amateurs se réfèreront aux ouvrages de F.X. Verschave et de l’association SURVIE.

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hilocomme ailleurs, son

exutoire dans la tech-nique. Et l’acteur huma-nitaire, qui a commencésa carrière chezMalraux, au titre dehéros romanesque, lapoursuit chez Kafka, sapratique étant désor-mais moins cadrée pardes valeurs et descroyances que par descodes de conduite et desnormes. Et c’est biennaturel, car si le crimedemandait une solutionpolitique, la mort, elle,pose dorénavant avanttout un problème biolo-gique.

Aussi l’homme engagé,sinon révolté, desannées 70, a-t-il faitplace, si l’on force unpeu le trait, au techni-cien spécialisé. À larelativité des normesmorales, on a substituéla prétendue objectivitétechnique. Et sansdoute, à trop vouloirévacuer ce que le mal-heur a d’absurde, a-t-onde fait contribué à sabanalisation. L’acteurhumanitaire est devenu« l'homme-machine,cette machine-outil,immatriculée maisirresponsable »(2), et lebénéficiaire de l’aideapparaît comme l’hom-me-organe, qui n’a plusde visage, mais seule-ment des plaies. Onretrouvait, après undétour improbable, lesconclusions que tirèrentles enfants de la premiè-re guerre mondiale : «labouffe vient d’abord,

ensuite la morale »(3), etenfin la politique, s’ilnous reste un peu detemps et de force, ce quiest rarement le cas.

Où sont donc passéesles valeurs qui nous gar-daient de cette indiffé-rence ? L’Occident faitla sourde-oreille, et joueles martyrs. Il a eu sonlot de guerres, de veu-ves et d’orphelins. Riend’étonnant à ce qu’iln'accepte plus la mort.

La biologie et la méde-cine sont mobilisées parle XXe siècle dans l’ob-jectif commun de vainc-re l’inacceptable fléau.La mort est leur affaire.Le médecin est son nou-veau maître d’œuvre, leprêtre n’a plus que desseconds rôles, il tendmême à n’être plusqu’un figurant.

La conception la mort adonc changé radicale-ment. On ne meurt pluschez soi, on meurt àl’hôpital. Il n’y a que lamédecine qui puisserésoudre ce problème,devenu technique. Il nes’agit plus pour elle derendre la mort douce,indolore, mais de lareléguer dans le lointaintemporel (mourir à 150

ans), quand la politiquese charge de la déplacerdans un lointain spatial(mourir dans le secretdes maisons de retraites,à l’ombre des mouroirsde banlieues, car il n'estplus question de cons-truire les cimetièresdans les centre-villes).

C’est aujourd’hui untabou, un scandale, quel’on ne veut bien regar-der qu’une fois mis enspectacle. On ne sup-porte son image que parle biais des écrans télé,jusqu’à ne plus vrai-ment différencier lamort dans le Tiersmonde de celle desfeuilletons, ni la guerretélévisée d’un jeu vidéo.Toutes les vies ne sevalent pas(4). Le libéra-lisme s’est fait une reli-gion à l’image de sonidéal humain, cet êtreentièrement détaché del’espèce et faussementdélivré du groupe, danslequel il a placé tous sesespoirs. Ainsi, “libéré”des communautés tradi-tionnelles comme lafamille, la corporationou le syndicat, qui ontprogressivement dispa-rues au XXe siècle,l’in-dividu n’a sans doutejamais été si souverain,ni aussi seul, surtoutface à la mort.

Pourquoi s’étonnerqu’il ne la regarde plusen face, tant a disparu, àpartir du XXVIIe siècle,la « résignation fami-lière au destin collectifde l’espèce [, qui] peut se

résumer par cette for-mule : Et moriemur,nous mourrons tous »(5).

Une telle sacralisationde l’individu pouvait-elle déboucher sur autrechose que la déificationde la vie ? L’Occident,qui juridicise décidé-ment tout ce qu’il tou-che, en a fait un droit. Iln’est dès lors pas sur-prenant que les raresquestions juridiquesenflammant les pas-sions, notamment cellesde l’euthanasie, de lapeine de mort et de lacontraception, c’est-à-dire celles qui posent ceproblème : qui doitvivre et qui doitmourir ? Le devoir devivre est devenu uneobligation morale et lavie, un droit garanti parl’État, dans le cadrecontractuel d’une rela-tion créancier / débiteur.Le libéralisme renoueavec la thèse rous-seauiste, selon laquellela vie d’un citoyen «n'est plus seulement unbienfait de la nature,mais un don condition-nel de l’État »(6). Etquand ledit État n’estplus en mesure derespecter ce contrat, ilrevient aux humanitai-res. Mais sont-ils, defait, en mesure de l’as-surer, ou ne peuvent-ils,qu’en droit, garantir unevie biologique ?

Thibaut Le [email protected]

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(1) CAMUS Albert, La Peste, Paris, Gallimard, p.241(2) CENDRARS Blaise, Bourlinguer, Paris, Gallimard, 1948, p. 209. Cendrars reprend ici le titre de l'ouvrage de La Mettrie, L'homme-machine, 1747.(3) BRECHT Bertold et WEILL Kurt, L’Opéra de Quat’sous, II, 6, song 8, 1928(4) Le cours de la vie varie en fonction des pays et des sexes. En Somalie par exemple, « la vie d’un homme vaut cent chameaux, celle d’une femme

cinquante chameaux ». (Rapporté par DEBRE Bernard, L’Illusion humanitaire, Paris, Plon, 1997, p.67) (5) ARIES Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours, Paris, Seuil, 1975, p.51. Lire aussi MORIN Edgar, L’homme

et la mort, Paris, Seuil, 1951(6) ROUSSEAU Jean-Jacques, Du Contrat Social, Paris, Garnier Flammarion, 1992 [1762], II, 5, p.72

J.Nachtwey, Afghanistan, 1996

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’eau La lutte contre la désertification au Maroc

Une prise de conscience internationale ne suffit pas à enrayer le phénomène de désertifica-tion. Pour faire face aux contraintes climatiques aggravées par la pression anthropique, auxconséquences socio-économiques multiples, un cadre d'actions global a été défini au Maroc,qu'il faut néanmoins activer en intéressant les populations à sa réalisation. Dans cette per-spective, les ONG marocaines sont dès lors un partenaire essentiel.

Au Maroc, pays signatairede la Convention des

Nations Unies sur la Lutte cont-re la désertification (CCD) en1996, l’ensemble des écosystè-mes (oasis, zones de montagneet de parcours, terres agricoles)est gravement touché par ladégradation des ressourcesnaturelles. Cette dernière estprincipalement liée à deux fac-teurs : l’irrégularité climatique,qui fragilise les sols et les for-mations végétales, et la fortepression anthropique, quiaccentue cette fragilité. Le cli-mat, méditerranéen au nord etsaharien au sud, engendre defortes irrégularités climatiquesà l’échelle nationale. Ainsi onenregistre par exemple desmoyennes annuelles de précipi-tations comprises entre 2000mm dans le Rif centro-occiden-tal et 30 mm dans les zonessahariennes. Par ailleurs, lesfréquentes sécheresses accen-tuent l’aridité du climat ce quiengendre une diminutionimportante de la SurfaceAgricole Utile (SAU). Cettedernière ne représente plusaujourd’hui que 25 % du terri-toire.

A l’instar de nombreuses zonesconcernées par la désertifica-tion, les problématiques aux-

quelles sont confrontés les éco-systèmes marocains sont autantd’ordre naturel (sécheresse,ensablement, épuisement desressources en eau, maladie duBayoud)(1), que d’ordre socio-économique (transformationstechnologiques, économiqueset culturelles liées à l’économiede marché). En effet, la dégra-dation des ressources naturellesest étroitement liée au sous-développement économique, àl’enclavement de certainesrégions, aux conflits fonciers etautres facteurs qui conduisentles populations à exercer despressions excessives sur leursmilieux. Les conséquences deces pressions, qui sont notam-ment la réduction de la biodi-versité et la raréfaction des res-sources naturelles, ont poureffet pervers d’accentuer lapauvreté des populations loca-les et risquent à long terme debouleverser les équilibres natu-rels.

Mise en œuvre duProgramme d’ActionNational (PAN) marocain

Le développement local et la pré-servation des milieux naturelsnécessitent une implication effec-tive des populations concernéespar les problématiques de ladésertification, notamment par lebiais d’organisations communau-taires. C’est précisément danscette optique que le PAN maro-cain, actuellement dans sa phasefinale d’élaboration, place - dumoins en théorie - la dimensionhumaine au centre des activitésvisant à inverser la dégradation

des terres dans les zones arides etsemi-arides. Il insiste sur l’im-portance des approches participa-tives et partenariales dans laconception et l’exécution desactivités, et accorde une attentionparticulière à la perception desacteurs locaux vis-à-vis du phé-nomène de dégradation des res-sources naturelles. En tant questructures représentatives despopulations, les associationsmarocaines ont donc un rôlemoteur à jouer dans la mise enœuvre du PAN. Elles ont notam-ment pour mission d’informer etde sensibiliser la population auxenjeux de la lutte contre la déser-tification, d’enclencher un dyna-misme d’auto développement auniveau local, d’identifier lesbesoins, d’élaborer des projetsspécifiques et d’accompagner la

25 ans de lutte interna-tionale contre la désertification

1977 Plan d’action pour luttercontre la désertification(PACD) adoptée par laConférence des NationsUnies sur laD é s e r t i f i c a t i o n(UNCOD)

1992 Conférence de Rio deJaneiro, Conférence desNations Unies surl’Environnement et leD é v e l o p p e m e n t(CNUED)

1996 Adoption de la« Convention des NationsUnies sur la Lutte contrela Désertification dansles pays gravement tou-chés par la sécheresseet/ou la désertification »,ou CCD, ratifiée à ce jourpar 187 pays

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mise en œuvre de ces projets enpartenariat avec l’ensemble desacteurs concernés. Cependant lesassociations et ONG engagéesdans la lutte contre la désertifica-tion et la préservation de la biodi-versité au Maroc connaissent denombreuses difficultés liées àdifférentes contraintes d’ordreinstitutionnel, financier, ou tech-nique. Ajoutés aux moyenshumains et matériels très limitésdes communes et régions enmilieu rural, qui réduisent forte-ment leur participation effectivedans le processus de réalisation etde planification des projets, cesdifficultés deviennent souventdes obstacles à la réalisation desprojets.

Espérons que le PAN marocain,en offrant un cadre stratégique àla lutte contre la désertification,donnera réellement les moyens àla société civile de jouer son rôled’interface entre l’administrationet la population locale, permet-tant un regain de confiance de lapopulation vis à vis des structuresde développement, ainsi que lamise en œuvre de mesures delutte efficaces à l’échelle du terri-toire national.

Anna [email protected]

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(1) Deux tiers des palmeraies au Marocsont touchés par une infection fon-gique très contagieuse, la maladie duBayoud, contre laquelle on ne connaîtaucun traitement efficace.

À propos... — Numéro 4 — Nov. - déc. 2003 11

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’eau

!!! Roulez jeunesse !!!Un Congrès Mondial sur l'implication de la jeunesse dans la réalisation des Objectifs duMillénaire(ODM) (1) s'est tenu cet été au Maroc. Ce Congrès s'intéressait à la promotionde l'action des jeunes autour des thèmes de la solidarité, de la tolérance et du développementdurable. Retour ce qui devait être…et a été !

Ce congrès était issu d'un par-tenariat entre une association

de jeunes marocains, sans statuts,officieusement contrôlée par legouvernement et une ONGanglaise "Peace ChildInternational", dirigée par desjeunes qui s'occupent d'orienterd'autres jeunes du monde entier àmonter et à financer des projetsde développement. Plus de 1000jeunes, marocains et internatio-naux étaient présents afin de dis-cuter de leur rôle dans la réalisa-tion des ODM. Ils ont adopté ladéclaration de Casablanca.

Ce congrès a principalement étél'occasion de faire participer desjeunes venus du monde entier àdes projets d'actions autour duMaroc. Plus de 110 projets sansaucun rapport avec la réflexionautour de l'action de la jeunessedans le développement y ont étéfinancés, ce qui reste toutefois un

aspect positif du congrès.Pendant ces projets d'action (quirelevaient plus de projets qued'action), les jeunes ont étéconduits d'hôtels 8 étoiles avecpiscine en réceptions de l'ambas-sadeur. Ils ont été filmés et inter-viewés par la télévision nationa-le, escortés par des militaires quise souciaient peu du code de laroute marocain, tout cela dans unesprit de développement durable.Le caractère officiel d'un congrèssponsorisé par Nike a donc déçuplus d'un congressiste. Ils se sontvite rendu compte de l'instrumen-talisation dont ils pouvaient êtreles victimes par le gouvernementmarocain.

Vous me direz qu'un congrèsorganisé par le gouvernementmarocain ne peut pas se passerautrement? Une ONG anglaise etles Nations Unies devaient avoirun droit de regard sur ce que le

g o u v e r n e -ment faisait.Pourtant lesens mêmede la partici-pation de la

jeunesse comme acteur du déve-loppement n'a pas été longue-ment discuté. Or il apparaîtimportant de savoir de qui l'onparle afin de proposer des actionsconcrètes et effectives.

Ce congrès aurait pu porter surn'importe quel sujet, le résultataurait été identique. L'occasionétait pourtant formidable de voirun réseau se créer à l'échelleinternationale et considérant pourune fois les jeunes comme desacteurs du développement et nonplus comme de simples bénéfi-ciaires des politiques que lesinstitutions mettent en place.

Marion [email protected]

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(1) Les objectifs du Millénaire (ODM) pour ledéveloppement ont été adoptés en septemb-re 2000 dans le cadre de la Déclaration duMillénaire adoptée par 189 pays lors duSommet du Millénaire, organisé sous l'égi-de des Nations Unies. Elle engage les payssignataires à consentir des efforts plusimportants en vue de réduire la pauvreté,d'améliorer la santé et de promouvoir lapaix, les droits de l'homme et un environne-ment durable d'ici 2015.

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Qu’adviendra-t-il de nous ?A la veille de la dissolution pure et simple de la promotion 2002-2003 du DESSDéveloppement et coopération internationale, nous avons souhaité, en bons chroniqueurs,donner la parole à ses membres éminents, afin de recueillir leurs impressions, espoirs, dés-illusions et projets.

Cette folle année d'immersion dans le monde cruel du développement aura-t-elle changé nosvies ? Combien d'entre nous envisagent une reconversion dans le bâtiment ? Les études uni-versitaires servent-elles vraiment à quelque chose ? Y a-t-il une vie après la Sorbonne ?

Une conclusions’impose : vous êtesplutôt content !!

Sur la vingtaine de répon-ses à notre questionnaire,on compte… 1 déçu…Sans que l’enthousiasmesoit délirant (on reconnaîtbien là votre esprit critiqueet corrosif), vous semblezfinalement ne pas avoirperdu votre année, puisquevotre opinion générale àl’égard du DESS est plutôtpositive. Les raisons diffè-rent selon que vous êtesfilles ou garçons, plus oumoins jeunes… Mais dansla plupart des cas, vousavez surtout apprécié laqualité de l’équipe ensei-gnante (certains de sesreprésentants en particu-lier), et, ce n’est pas négli-geable, le cadre fort agréa-ble et très convivial de laSorbonne. D’ailleurs, vousêtes nombreux à vousdéclarer « bouleversés » parcette année riche en ren-contres, débats et autresfestivités. Sans que l’onsache si se trouve là la rai-son fondamentale de votresatisfaction… Mais enbons journalistes, nousnous sommes laissés direque certains-taines avaientmis cette année au servicede motivations bien moinsavouables que la solidaritéinternationale…

Une critique quasi-unani-me cependant, qui devraitinduire nos enseignants àréflexion : le déficit d’arti-culation entre théorie etpratique… en somme beau-coup de concepts et deparoles, mais trop peu deméthodes et d’outils…

Mais demain ??…

Et comme vous êtescontent, vous êtes moti-vés… Non pas que vous nesoyez pas inquiets, nonnon… Peu d’entre vous ontd’ores et déjà trouvé un tra-vail à leur mesure(quelques uns cela dit) àl’issue du stage, et la majo-rité, même satisfaits decelui-ci, n’y voient pasencore très clair sur lasuite… La tendance : moi-tié touristes d’automnemoitié piliers d’ANPE… Anoter une candidate à l’in-térim dans le bâtiment : sivous avez des menus tra-vaux, contactez la rédac-tion d’A Propos qui trans-mettra.

En fait vous avez presquetous un rêve, si si ne niezpas : le monde merveilleuxdes ONG !

C’est en effet dans le sec-teur privé non lucratif quevous êtes les plus nomb-reux à espérer vous faireune place, même si le pres-tige et le luxe des organisa-tions internationales conti-nue d’en séduire beaucoup: entre l’UE et l’ONU,votre cœur balance, maispeu de candidats pour lesInstitutions de BrettonWoods en revanche…

Donc vous persistez… A laquestion « La Solidaritéinternationale, pour vous,c’est quoi ? », vous répon-dez « engagement existen-tiel » !! Peu de démobilisa-tions définitives semble-t-il, au moins dans l’immé-diat, mais vous êtes parta-gés entre ceux qui voient

dans la coopération audéveloppement un projetprofessionnel à court termeet ceux, majoritaires, dontla vie ne peut s’envisagerautrement.

Quant à savoir où, peunombreux sont finalementparmi vous ceux qui regar-dent exclusivement vers leSud, même si les enviesd’ailleurs restent fréquen-tes. Raisons pragmatiques(« je prendrai ce qui vient») ou posture politique («c’est ici que je peux êtreutile »), c’est sans doutesur cette question que l’in-décision est la plus flagran-te… Et là, c’est votre gran-

de ouverture d’esprit quenous reconnaissons…

BREF : la solidarité inter-nationale vous y croyez !!!Comme avenir profession-nel au moins… Et l’équiped’À Propos… est déjà dansles starts pour se faire leporte-parole des expérien-ces, des projets et des dés-illusions que vous vousapprêtez à vivre dans lesmois et les années qui vien-nent…

Amélie [email protected]

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oulot

Deux entretiens en 24 h

En tant que vieille étu-diante au cheveu blanc,

la sagesse m’impose d’êtreprévoyante, je me suisdonc inscrite à l’ANPE. Jesais je n’ai pas le droit et jeprofite salement du systè-me. Et bien maintenant jem’en fous, j’en ai marred’être la seule débile à pasmagouiller gentiment.

J’appréhende toujourslorsque je reçois un de leurcourrier. Souvent, il s’agitde convocations à desbilans professionnels, àdes « vitrines » de métiers(en passant, la dernière endate me conviait à me ren-dre à une vitrine sur la pro-preté ;

Quel que soit le contenu deces vitrines, il s’agit iciplutôt des menaces quej’encours si je ne me rendspas à ces forums. Car enfait, je me suis trompée.On ne vous invite pas, onne vous convie pas, onvous somme. Et si vousn’y allez pas, peut êtredécideront ils de vousRADIER. Ce genre demenace est fréquente , uneou deux par courrier enmoyenne. Le courrier enlui même est sobre, simple,voire simplet. Une lettresur du papier de cigarette,une écriture et une policesemblables à celles de lamachine à écrire avec lepapier carbone. Il nemanque plus que l’odeur.Souvent le copier-collern’est pas très maîtrisé alorsles dates se chevauchent etles remerciements de maprochaine visite tant atten-due se déroulent sur deuxlignes suivi bien entendude la sentence fatale d’unbon coup pied au cul pourme mettre dehors si je nesuis pas une bonne chô-meuse. Ce que je suis assu-rément et assidûment, biensûr. mais faut pas poussermamie dans les orties. Jesais que je suis faite pourcertaines carrières et paspour d’autres… n’empê-che qu’un jour, perdue,seule, en fin de droits, j’ai

repris confiance enl’ANPE. Peut être n’est-elle pas si nulle, après tout,si je définis bien ce que jecherche, mon interlocuteurqui doit bien connaître sonmétier, doit pouvoir m’ai-guiller. Aussi, je répondaischaleureusement à leurgentil courrier. Oui, mada-me, je viendrais à votrebilan professionnel carvisiblement, mon sortentre vos mains vousinquiète beaucoup.

Je m’y rendis cinq joursaprès, munie de mon petitpapier, à l’aube. Nousétions nombreux à avoir eul'idée de nous y rendre trèstôt. L’heure officielle del’ouverture était passée dequelques minutes précieu-ses. Les gens étaientfurieux car les minutespassant, la queue s’allongeet chaque retardataire tentede manger subrepticementquelques rangs, rendant lesgens fébriles et hargneux.Moi, j’étais bien classée etj’étais placée entre unevielle asiatique en âge dela retraite et à qui il man-quait un an de cotisationpour jouir de ses droits.Juste devant, une femmealgérienne venait retirerses 30 d’aide mensuelle.On s’est mises à papoterlorsque le rideau de fers’est relevé et que la portes’est ouverte sur les mursjaunes de l’ANPE. Lephysionomiste chargé de ladistribution des tickets,faisait bien son boulot.« vous venez pourquoi ? –pour trouver un emploi –bon ticket vert. et vous ? –j’ai un problème de décla-ration – bon ticket bleu. etvous ? – j’ai rendez vouspour un bilan – bon ticketblanc. »…

Alors, pour passer le tempson discute : les derniersjobs qu’on a trouvé, lesgalères qu’on a rencon-trées et surtout des bonssoins donnés par le paradisde l’emploi.

Mon tour arrive enfin.Entre temps, j’ai écrit deuxlettres pour une marocaine,trois adresses dictées parun algérien pour une asia-tique, on s’est bien occupé.

Devant la jeune dame jesors mon cv, commence àdiscuter de mes derniersemplois, de mon expérien-ce, je parle, je parle, ellehoche la tête, la penche,fait des moues d’approba-tion, de surprise. Je m’ar-rête, enfin. Très bien, detout ça nous allons en fairela synthèse et les conclu-sions qui s’imposent. Jeme dis que j’ai en face demoi quelqu’un de très effi-cace et constructif vu lessignes dynamiques qu’ellea déployés en écoutantmon récit.

Elle étire ses doigts carapparemment les conclu-sions fusent. Et ses deuxindex se mettent à pianoterson clavier. « Alors, made-moiselle, vous avez termi-né votre mission d’intérim,c’est pourquoi vous cher-chez un emploi car vousavez fini votre missiond’intérim. Voilà, nous som-mes d’accord. Donc, visi-blement, vous avez fait desmissions d’assistance com-merciale par conséquent,nous allons vous donnerdes annonces d’assistancecommerciale ». Voilà abra-cadabra, vive les bilansprofessionnels ! Elle metendis des feuilles jaunât-res sur lesquelles était écritce qu’elle venait de dire.Le bilan était terminé.

Finalement je suis rentréechez moi, avec mon petitCV sous le bras, tout chif-fonné, me disant que bondieu, il y avait sûrement unboulot pour moi dans cepays !

Histoire de ne pas perdre lamain, je répondais quandmême aux annonces qu’el-le m’avait gracieusementdonné. Car c’est ça qui estbien à l’ANPE : tous les

conseils, les prospectus,les annonces, les tickets, etmême l’argent, que l’onvous donne sont gratuits,offerts, cadeaux. Alors j’enai profité de ces annonces.Et j’y réponds plutôt serei-nement. Bla bla bla

Deux petits timbres et hop.Demain fini la carte dechômeuse. Certes, ça m’ar-range bien pour le cinéma,les musées, la piscine,mais j’aime pas être chô-meuse.

Effectivement, 24 heuresaprès, mon portable son-nait :un bonhomme se pré-sente au bout du fil, medisant que ma lettre demotivation lui avait bienplu, qu’il travaillait dansune boîte d’audiovisuel etqu’il fallait qu’on se ren-contre bien vite. Onconvient alors d’un ren-dez-vous. Une fois aprèsavoir raccroché, je medemandais à quelle annon-ce ce monsieur SanchoP… correspondait parmicelles auxquelles j’avaisrépondues. Mais ce n’étaitpas grave que je ne mesouvienne pas avoir répon-du à une annonce relative àl’audiovisuel. Dans l’a-près-midi, mon téléphonesonna, une fois encoreavec cette sonnerie si parti-culière…Un homme seprésenta comme le direc-teur d'une maison d’édi-tion. Il fallait que l’on serencontre au plus vite carma lettre de motivation luiavait bien plu. En raccro-chant, je me disait que j’é-tais bien contente d’avoirpondu une lettre fédératri-ce, convenant à plusieursprofils de boulot ; édition,audiovisuel… J’étaisbien !

Le lendemain matin, je mepréparais pour mon pre-mier rendez vous.

Hélène [email protected]

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Cotonou : la participation de la société civiledans le partenariat européen

Les Accords de Cotonou ou Convention de Lomé V tentent de se défaire de l’image plutôtterne des vingt cinq ans de « système Lomé ». Signés le 23 juin 2000, entre les 15 pays del’Union européenne et 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), ils enté-rinent deux changements de taille : l’ouverture du dialogue politique à de nouveaux acteurs etl’insertion progressive des pays ACP dans l’économie mondiale selon les règles de l’OMC.Entre textes et pratiques, lumière sur un cas d’école : l’implication des Acteurs Non Etatiques(ANE) au Sénégal.

Le Sénégal était plutôt biendisposé à accueillir l’ouver-

ture du dialogue politique auxacteurs non étatiques. Lacoopération y est ancienne etimplique des acteurs institu-tionnels rompus au dialogueACP-UE. Les premiers FondEuropéen de Développement(FED) restent encore dans lesmémoires et de nombreusesinfrastructures lourdes témoi-gnent des projets mis en œuvreselon des approches techniqueset descendantes. Le pays aaussi connu un important déve-loppement des programmesmicro réalisations, prémicesd’une ouverture à ce qu’onappelle aujourd’hui la « sociétécivile », et preuve de la volontépartagée des responsables séné-galais et européens de faireévoluer les pratiques de coopé-ration. Enfin, il existe des for-mes locales, régionales etnationales de structuration de lasociété civile (organisationsprofessionnelles, associations,ONG, syndicats, etc...).Ajoutez à cela des fonctionnai-res européens soucieux d’ins-crire la participation dans lespratiques… et vous aurez tousles ingrédients pour que l’ap-propriation par les bénéficiairesdevienne une réalité.

Comparé aux pays de la sousrégion, le Sénégal fait effecti-

vement figure de leader. Avecune participation réelle et desinnovations telles que le recru-tement de jeunes universitairessénégalais pour encadrer le pro-cessus et rapporter les débatsou encore la création d’ungroupe de travail spécifiqueaux ANE. Une participationeffective est donc assurée, avecune soixantaine de "représen-tants" de la société civile pré-sents plus ou moins régulière-ment jusqu’à la phase de finan-cement des programmes.

Comment ne pas garder un goûtamer devant le gâchis d’unetelle opportunité offerte auxacteurs sénégalais ? Les princi-paux survivants du marathoneuropéen (deux ans de proces-sus administratif avec données

documentaires de soutien aucompte-goutte), enlisés dansleurs querelles de positionne-ment pour déterminer qui était"représentatif" de la nébuleusecommunément appelée sociétécivile, s’en sont tenus à uneparticipation technique, aveccomme simple objectif ledécaissement rapide des fondseuropéens. Sur ce plan là aumoins, leurs intérêts conver-geaient avec ceux des servi-teurs de Bruxelles, et les fonc-tionnaires sénégalais n’ont paseu à craindre pour leurs préro-gatives.

Les ANE se sont laissés appâterpar les 10 millions d’euros gra-cieusement consacrés à leurimplication sans prendre d’ini-tiative politique. Le résultat est

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« Les pauvres attendront ! »titrait un communiqué de pres-se adressé au mois de juillet parCoordination Sud, collectiffrançais d’organisations desolidarité internationale. Ce crid’alarme du milieu associatiffrançais entendait mettre l’ac-cent sur la situation catastro-phique de nombreuses ONGfrançaises (Max Havelaar,Solagral…) : face aux restric-tions budgétaires décidées àBercy, ces associations voientune bonne part de leurs projetsaux Sud compromis. De plus lapolitique sociale du gouverne-ment, en décidant la suppres-sion des emplois-jeunes, aaggravé la question de l’emploiau sein des ONG françaises.Terre des hommes Francedevrait licencier la moitié deson personnel…

La place restreinte des finance-ments publics alloués aux mou-vements de la société civile, etla baisse tendancielle des cré-dits de coopération internatio-nale suscitent une forte mobili-

sation des acteurs du dévelop-pement en France. Nous noussommes procurés une noteinterne au Ministère desAffaires Etrangères, qui dresseun bilan édifiant du dispositiffrançais de coopération interna-tionale.

« NNoouuss ssoommmmeess àà llaaccrroo ii ss ééee ddeess cchheemmiinnss »

Bruno Delaye, actuel directeursur le départ de la DirectionGénérale de la CoopérationInternationale et du Dévelop-pement, conclut par ces motsune note interne adressée à sonministre de tutelle, Dominiquede Villepin. Rappelant que lescrédits de coopération ont servidepuis la fusion des deuxMinistères de « variable d’ajus-tement du dispositif global »(autrement dit on pioche dansles crédits de la coopération audéveloppement pour assurer lefonctionnement de notre diplo-matie), cette note tire sesconclusions : « il est temps d’en

finir avec nos illusions : nousn’avons pas les moyens denotre politique ».

Ces illusions ont été entrete-nues par les promesses du pré-sident Chirac d’atteindre unniveau d’aide publique audéveloppement de 0,5% dès2007(1). Mais c’est bien par lenon-respect d’engagementsantérieurs que cette hausse arti-ficielle va s’obtenir. En d’aut-res termes, le Comité Inter-ministériel de la CoopérationInternationale et du Dévelop-pement avait pris l'engagementsolennel de respecter le princi-pe de la non-additionnalité desallégements de dette : selon ceprincipe, les crédits mobiliséspar l’annulation de la dette denotre ami gabonais(2), par exem-ple, ne devraient pas être comp-tabilisés comme de l’aide audéveloppement. Or le gouver-nement Raffarin et Bercy (brasarmé en matière d’APD) ontrigoureusement oublié ce prin-cipe, pourtant reconnu aprèsune forte mobilisation du

à la hauteur de leurs ambitions :des projets et des programmesclassiques de renforcement descapacités et de mise en réseau,de circulation de l’information,etc. Mais pas de projet sociétalcommun, ni vision ni stratégiepolitique. Pourtant, laCommission avait clairementprécisé, dans une note parueaprès la signature des Accords,que leur implication commen-çait dans la définition même

des stratégies de développe-ment et cela jusqu’au suivi éva-luation des programmes.Focalisés sur le décaissement,les ANE s’en sont tenus à leurrôle de maîtres d’œuvres, mal-gré les efforts de quelquesvisionnaires. Toutefois, les plustéméraires ont lancé l’idée d’unComité de suivi politique duprocessus, sous le regard scep-tique des acteurs institution-nels. La participation pourrait-

elle alors se traduire par uneréappropriation du processus àla base, avec comme corollaireune implication citoyenne dansla gestion des services publics ?Les ANE ont désormais lesmoyens législatifs, il leur resteà trouver la volonté politique.

Anne [email protected]

Gels de crédits, ça chauffe !!!Alors que les crédits de la coopération internationale baissent tendanciellement depuis plus de10 ans, l’année 2003 n’a pas échappé à la triste règle. Les associations de solidarité inter-nationale se mobilisent, tout comme les personnels du Ministère ! En exclusivité nous noussommes procurés une note interne au Ministère des Affaires Etrangères…EXPLOSIF !!!

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smilieu associatif françaisnotamment.

Bref, l’APD va atteindre sur lepapier des chiffres jusque-làinégalés, alors que les créditsde coopération n’auront jamaisété aussi bas. Paradoxe ultimede cette stratégie diplomatiquefrançaise qui tente de faire pas-ser la France comme le premierdéfenseur des intérêts des payspauvres lors de toutes les der-nières grandes messes interna-tionales… Pour autant cettelogique incantatoire ne trompeque ceux qui y croient : l’exem-ple agricole illustre à sonparoxysme le dédoublementfrançais, entre discours incanta-toires et actes (songeons à l'in-sistance française pour mainte-nir la PAC).

L’ augmentation prévisible denotre aide publique au dévelop-pement s’obtient donc par desartifices comptables et des jeuxd’écriture financiers pour les-quels Bercy excelle. En atten-dant, les gels de crédits n’épar-gnent pas les actions de terrainet remettent en cause bon nom-bre de projets et d’interven-tions.

Laissons Bruno Delaye, ce hautfonctionnaire conclure. «Fin2003, les chiffres de l’APDfrançaise seront peut-être enhausse, grâce aux annulationsde dette (ce n’est qu’un feu depaille), mais l’outil sera dura-blement affaibli ».

Claire [email protected]

___________________________

(1) Voir notre article dans A Propos…n°2, mars 2003.

(2) Selon la pratique en matière de comp-tabilité publique, les montants decréances remboursés par les débiteursde la France sont ordinairement enre-gistrés au budget de la coopération etde l’aide au développement.

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Une conséquence du gel des crédits au MaliLe désengagement de la France du dispositif national d'appui au processus de décentralisa-tion au Mali : révélateur du déséquilibre lié à la territorialisation de l'aide

Au Mali, la France financedepuis 2000 une partie du

dispositif technique d'appui auprocessus de décentralisation.Il s'agit principalement d'unensemble de Centres deConseils Communaux (CCC),chargés d'appuyer les commu-nes à la maîtrise d'ouvrage dudéveloppement local ; c'est-à-dire de leur donner «la capaci-té d'organiser, planifier etgérer les affaires locales avecl'adhésion de la population etla participation de la sociétécivile ».

La gestion des CCC a étéconfiée à des opérateurs choisisparmi des ONGs, programmesde développement, groupe-ments d'intérêt économique etbureaux d'études déjà présentsdans chaque cercle en fonctionde leurs compétences (capacitéfinancière, expériences anté-rieures, programmes encours…). Le dispositif compte46 CCC animés par 28 opéra-teurs (18 ONG dont 8 nationa-les, 6 projets programmes et 4bureaux d'études) répartis entreles 49 cercles du Mali. La taillede ces équipes techniques (deun à six conseillers polyvalents

et spécialisés) est fonctiondu nombre de collectivitésterritoriales présentes dansle cercle. La France s'estengagée à financer 33% deces CCC pour une périodede trois ans.

Or, depuis le mois dedécembre 2002, au termede deux ans de partenariat,le Service de Coopérationet d'Action Culturelle français(SCAC) ne finance plus cesstructures à cause du gel descrédits. Les opérateurs CCCsont donc obligés d'utiliserleurs fonds propres pour conti-nuer d'assurer leurs fonctions etle CCC est assimilé par lapopulation à un volet d'un pro-jet éphémère. Le gel des créditsa donc des conséquences néfas-tes sur les services rendus par lastructure d'appui aux commu-nes, sur la mise en oeuvre desautres programmes des opéra-teurs ainsi que sur l'avenir et laréappropriation par les collecti-vités territoriales de ces CCC(sous forme par exemple desyndicats intercommunaux).Cet exemple montre aussi àquel point le monopôle d'unpartenaire sur les activités dedéveloppement dans une régionaccentue la dépendance descollectivités territoriales. S'iln'y avait pas de territorialisa-tion de l'aide, le retrait d'un par-tenaire aurait un impact iden-tique sur tous les CCC et nonuniquement sur le fonctionne-ment des ceux financés par laFrance.

Cette territorialisation de l'aiden'est ni un phénomène spéci-fique au Mali, ni une stratégiepropre à la France. Le Mali aconnu le même problème avec

son dispositif financier. Àcause de restrictions budgétai-res, le FENU n'a pas pu tenirses engagements initiaux definancement, alors même quedes engagements avaient étéannoncés aux communes quiavaient élaboré leur budget etleurs dossiers sur cette base,tout le processus est reporté.L'impact sur les collectivités detelles renégociations est néan-moins limité par le rôle degarant de la cohérence financiè-re, joué par l'État et l'Unioneuropéenne. Ils constituent unélément de souplesse du dispo-sitif, car ils mettent des fonds àdisposition de toutes les collec-tivités territoriales et dans tousles secteurs. Cela donne doncl'assurance aux collectivitésterritoriales que certains deleurs projets seront financés.

Toutefois ces espoirs déçus dis-créditent non seulement lebailleur qui ne respecte pas sesengagements, révèle la dépen-dance des agences nationalespar rapport aux partenairesextérieurs, et l'incapacité desmaires à réaliser ce qu'ilsavaient annoncé à la popula-tion. À quand la fin de la "poli-tique du drapeau" ?

Christine Gué[email protected]

Conseil communal de Nara

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.La porte des greniers Dogon

Le visiteur qui parcourt lePays Dogon est frappé par

le nombre considérable de gre-niers. Ils constituent, d'une cer-taine manière, une des origina-lités des villages dogons.Chaque famille possède plu-sieurs greniers dans lesquelssont stockées des précieusesrécoltes annuelles de mil, fonio,haricot, oignon, arachide, sor-gho ; des biens personnels et deobjets de cultes y sont aussiconservés.

Les portes de grenier sont par-fois richement décorées defigures humaines, d'animaux etde motifs géométriques sculp-tés issus de l'iconographie desmythes Dogon.

Tout à droite, le Hogon, chefspirituel des Dogon, doit vivredans le Ginna (maison mère). Àcause de son âge, il vit avec sonfils aîné. Le Hogon ne doit passe laver ; il est léché par un ser-pent appelé Lèbè qui représentel'ancêtre des dogons. Chaqueléchée du serpent donne auHogon un jour de plus à vivre.

Au milieu, les masques dekanaga symbolisent l'esprit del'homme, la création du monde.Les bras d'en haut représententle ciel et ceux d'en bas la terre.Le milieu est l'arc central quirelit la terre et le ciel. LeKanaga est devenu l'emblèmedu Mali.

A l'extrême gauche, est repré-sentée l'épouse du Hogon, avecà son côté leurs jumeaux, et,au-dessus, leur petit-fils. LeHogon ne doit pas vivre avec safemme.

Au-dessous decette premièrepartie, un coursd'eau, au bordduquel se trou-vent canards,crocodiles, pois-sons et tortuesd’eau, abrite legénie d'eau oudieu d'eau(Nommo enDogon). Cettepartie rapelle auxdogons que leurpays était traver-sé par un coursd'eau.

A mi-hauteur, lesancêtres desDogon sont aunombre de huit.Ce sont des fon-dateurs des quatretribus du paysDogon (Arou, Dyon, Ono,Domno). Huit de leurs descen-dants ont quitté le plateau man-dingue situé à 60 km à l'est deBamako. Ils sont représentés endeux groupes de quatre entrelesquels ont été placés desmasques représentant les ani-maux domestiques de lafamille.

Au dessous, un couple part en« consultations prénatales ». Lemari tient une chèvre et l'épou-se deux coqs : un blanc et unnoir. On présentait la femmeenceinte chez le féticheur pouravoir une bonne naissance.Cette consultation permettait àla femme d'être assistée parAmma, dieu de la famille.

À coté, une femme enceinte,accroupie devant le gardien du

fétiche, lui demande de fairedes prières pour elle afin qu'el-le puisse accoucher sans diffi-culté.

Au dessus à droite se trouveune partie ronde qui représentela terre. Les dogons se répré-sentent la terre ronde, entouréepar un serpent. Tout autour dece serpent, il n'y a que de l'eau.Ce serpent entoure la terre touten tenant sa queue dans sagueule. Une fois qu'il lâchera saqueue, la terre sera envahie parl'eau et ça sera la fin du monde.

Au troisième plan, on trouve ladivination Dogon dont le divinest le renard. Le soir, un ou plu-sieurs vieux sages se rendent àquelques mètres hors du villa-ge. Sur un terrain plus ou moinssablonneux, ils préparent desparcelles d'environ deux mètres

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de long sur un mètre de largeappelées « tables dedivination ». Une personne ouune famille pose alors des ques-tions au sujet de ses intérêtspropres ou de ceux de l'ensem-ble du village(maladie, pluie,récolte, etc.) que les vieuxsagesécrivent sur le sol à l'aidede courtes baguettes et de peti-tes pierres rondes. Le rituelexige d'autre part que labouillie de mil apportée dans

une calebasse, soit versée enpartie dans une pierre creuse,en partie sur un fétiche modeléen terre, le tout accompagné deprières dans l'espoir d'obtenirdes réponses favorables. Lelendemain matin, après le pas-sage des renards dans la nuit,les vieux sages viennent lire lesréponses.

La porte de grenier Dogon estune porte, une histoire, une cul-

ture, une vie. Pour mieuxconnaître cette porte et son his-toire, faites alors un tour auPays Dogon.

Etudiant en 4ème année de médecine à Bamako

fils du chef de Téré[email protected]

1948 : Dieu d’eau – Marcel Griaule

2001 : L’echo de la falaise - Zakari Saye

« À divers détails,il apparut dansla suitequ'Ogotommêlivoulait donner àl'étranger, dont lepremier séjourdans le paysremontait àquinze ans et en qui il avaitconfiance, l'instruction qu'ilavait lui-même reçue de songrand-père, puis de sonpère ». C'est un homme,Ogotemmêli, chasseur aveu-gle, qui, un an avant la fin desa vie, a dévoilé à MarcelGriaule les secrets de la cos-mogonie (vision symboliquede l'univers) Dogon. Ce livreest réalisé par Marcel Griauleà partir de ses notes prises aucours des 33 jours de forma-tion.

Cet ouvrage de vulgarisationnous invite à la découverte

de cette vision symboliquede l’univers, cette conceptionorganisée de la parole et duverbe, sous une forme à lafois poétique tout en restantfidèle aux exigences scienti-fiques (avec notamment l’ap-pui de nombreux schémas etphotos).

« Les aires de divination sontsituées à l’extérieur du villa-ge dans un endroit sablon-neux. Elles sont entourées debranchages épineux afin queles animaux ne viennent pasles fouler. Pour effectuer sadivination, le devin com-mence par lisser le sable deson aire avec un galet. Ilpose ensuite ses questions entraçant neuf casiers rectan-

gulaires, des trous, des cônes, en plantant des morceaux detiges de mil. À la fin, il répand au hasard une poignée d’ara-chides sur la table. Le lendemain matin, il vient lire lesréponses laissées sous forme de traces par yurugú, le Renardpâle, médiateur temporel entre le présent et le futur. »

Marcel Griaule(1898 - 1956)

1927 : Ethiopie1931-39 : Dakar - Djibouti(premiers contacts avec les Dogon)

1942 : Ethnologue Paris I(première chaire d’ethno. en France)

1946 : Retour au pays Dogon1947 : Conseiller Un° Fçaise

Zakari Saye a collecté dansce livre une cinquantaine decontes ordinaires, contesd’animaux, chantefables,devinettes et énigmes quin’avaient jusqu’alors jamaisfait l’objet d’une parutionsous forme écrite.

Le livre est accompagnéd’un CD sur lequel vousretrouverez des ambiances,chants, musiques et contescaractéristiques du paysDogon.

Dogon

Les Dogon représentent environ3 % de la population du Mali (soit 550 000 person-nes). Le pays Dogon est séparé en deux par la falaisede Bandiagara longue de plus de 200 km. Selon latradition orale, les Dogon, refusant de se convertir à

l’islam, auraient quitté le Mandé (proche de Bamako) vers leXII ème siècle et s’installèrent dans la falaise entre le XIIIème etle XVème. Ces mêmes falaises leur ont permi de résister trèslongtemps à la colonisation française. Jusqu’au premierséjour de Marcel Griaule en 1931, ce pays est inconnu, répu-té dangereux et sauvage.

Jean-Baptiste [email protected]

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Instruments et musiciens du MaliLes sonorités très particulières des intruments du Mandé, balafon, kora, djembé… sont deplus en plus diffusées et appréciées. Les rythmes et les sonorités ouest-africaines se dévelop-pent ici et ailleurs, et de nombreux concerts de qualité sont désormais proposés au public euro-péen. Nous vous présentons ici les principaux instruments et artistes qui ont fait la réputationmusicale du Mali dans le monde entier.

KoraCordophone du monde mandingue à 21 cor-

des, dont l'on retrouve les premièrestraces dès la fin du XVème siècle enAfrique sahélienne. L'instrument seconstitue d'une calebasse, caisse derésonance sur laquelle est fixé unmanche central cylindrique enbois de santal ou en acajou. Les21 cordes de nylon sont répar-ties en deux rangées parallèlessur un chevalet perpendiculai-re à la table d'harmonie enpeau de vache.

Deux baguettes situées depart et d'autre du manchepermettent au musicien detenir l'instrument dont lescordes sont jouées avec lepouce et l'index de chaquemain.

Tambour barboTambour sphérique en calebasserecouvert d’une peau accordableavec une pastille composée d’unmélange de cervelle de vache etd’huile de sá fixée en son centre.Ce type de tambour est utilisédans divers rituels et symbolise lafertilité.

Tambour d’aisselleTambour-sablier, très répandu en Afrique de l'ouest, en particulier dans les pays de sava-ne. Il est taillé dans un bois solide, ses deux ouvertures sont recouvertes de peaux de chè-vres tendues et reliées entres elles par des lanières en cuir. Une modulation des sons estobtenue par pressions de l’avant bras sur ces lanières longitudinales reliant les peaux etdont l'une est frappée par un bâtonnet recourbé. C’est un instrument d’origine mandinguedont la fonction peut-être aussi bien mélodique que rythmique.

Bala (balafon = jouer du bala)Xylophone composé d'un chassis bas sur lequel sont parallèlement disposés 17, 19ou 21 lames de bois de longueurs décroissantes. Chacune a son propre résonateurréalisés dans une calebasse sphérique. L'étendue musicale del'instrument est d'environ trois octaves.

Le musicien joue avec deux baguettes entourées de caoutchoucaux extrémités et porte souvent des bracelets de grelots en feraux poignets. Le Balafon est généralement joué par des griotspour faire de la musique purement instrumentale ou accompa-gner le chant des femmes.

Les bala sont de deux sortes : le "gros xylophone", bala ba etle "petit xylophone", bala nin, donnant deux genres musicaux complètement différents. Seuls les hommesjouent de cet instrument. Le bala ba qui peut être accompagné d'autres instruments tels que les crécelles,accompagne les "battements de mains des femmes", en tant que genre musical à part entière. Le bala nin, lui,est joué en ensemble de quatre instruments : deux xylophones et deux tambours en calebasse.

Neba Solo

Jean-Baptiste [email protected]

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Sites internetswww.mali-music.comwww.lehall.com/galerie/africains/ressources.htm

MagazinesVibrations, nov. 2003 (Oumou Sangaré).Nova Magazine, nov. 2003 (Oumou Sangaré / Rokia Traoré).Les Inrockuptibles, 22-28 oct. 2003 (Oumou Sangaré).

Oumou Sangaré - anthologie OumouEn concert en France : le 7 février 2004 à Evry (91) et le 13 avril 2004 à Villiers-le-Bel (95).

Engagements : Oumou Sangaré a reçu en 2001 un prix de l’Unesco pour sa contribution artistiqueà la compréhension entre les peuples :

- elle préside l’association SOS Mères et enfants, qui aide les orphelins et les enfants dela rue.

- elle lutte contre la détresse des femmes victimes des mariages forcés, de la polygamieet de la maltraitance, dans le cadre de son association Casof. Oumou Sangaré chante ladouleur et la détresse de ces femmes : «Le plus grand problème de la femme africaineest qu’il faut qu’elle recouvre une estime d’elle-même pour avoir le courage de se batt-re pour ses droits ».

- elle est ambassadrice de la FAO (Food & Agriculture Organization de l’ONU).- elle entend préserver l’hospitalité, au fondement de la culture de nombreux pays afri-

cains, mise à mal par les problèmes liés à la carte de séjour.- au micro de Bintou Simporé pour Nova Mag (n° 107, nov. 2003), elle déclare “c’est un

cri de désespoir et d’inquiétude sur ce monde. Les riches deviennent de plus en plusriches, les pauvres de plus en plus pauvres. Je lance un cri d’alarme, il faut être plusgénéreux et plus attentif. La solution pour avoir l’esprit tranquille, c’est d’être correct.Il faut chercher à aimer et ne pas faire de mal.”

Ali Farka TouréLes lignes vocales entêtantes sur quelques notes, souvent reprises par deschœurs féminins, forment une musique monodique, qui mêle les couleursblues des guitares électriques aux vocaux et aux percus traditionnels. Lesinstrumentaux assez dépouillés mettent au premier plan l’alternance parfai-te et magique des voix féminines et masculines. L’auditeur y ressent aussi-tôt l’épanouissement, la sensualité et la spiritualité.

Toumani Diabaté - DjelikaSa musique instrumentale de virtuose de la kora est essentiellement rythmique etmélodique. Elle est portée par le dialogue entre kora et balafon. Au premier plan, lakora, avec ses frottements de timbre, contraste avec la rondeur du balafon. Ici toutn’est que pincements et frictions en lignes mélodiques subtilement développées. Lebalafon, dans les aigus et les mediums, et en rythmique, esquisse des motifs obses-sionnels, qui confèrent une grande clarté à l’ensemble.

Cette musique procure à l’auditeur, outre un dépaysement immédiat, un sentiment de bien-être lié aubalancement du rythme et des fragments mélodiques. On se laisse porter par cette muusique pleine d’échos et de résonances, – de la méditation à la transe.

Entrée sur la scène profes-sionnelle en 1990 avec

son premier albumMoussolou, Oumou Sangarésort actuellement une antho-logie intitulée Oumou(World circuit / Wight &Doy).

Sur le titre “Ne bi fe”, notam-ment, on apprécie l’alternance de voix solo, de chœurs, d’harmonisation à deux voix accompagnées par un rythme lent et sourdavec une forte reverb, des traitements électroniques et des synthés sophistiqués, qui contrebalancent à la perfection les sonoritésaccoustiques des djembés, des cordes, des flûtes. À noter le son caractéristique du kamelen’goni, sorte de luth électrifié sur lemodèle du donson’goni, le grand luth des chasseurs. «Quand les instruments traditionnels et les instruments occidentaux se croi-sent, ça donne toujours des rencontres très positives ».

Arnaud Gué[email protected]

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Hadouk, Nowou comment un trio de musiciens-voyageurs invente de nouvelles musiques du monde…

Qui sont-ils ?

Didier Malherbe, aux instru-ments à vent, Loy Ehrlich, auxclaviers et à la basse gnawa,Steve Shehan aux percussionsvariées, voilà trois grandsinstrumentistes aux talentsmultiples, qui forment un triohors du commun. Rangés,grâce aux bacs des disquaires,dans les catégories travellingmusic ou encore "jazz world",leurs disques nous ouvrentavant tout sur de nouvellescontrées sonores, qui sontautant d'invitations aux voya-ges immobiles. Shamanimal(1999) et Now (2003) donnentaussi à entendre que la force dece trio est plus que la somme de"trois grands noms de la worldmusic" : de leur formation et deses nombreuses facettes,notamment grâce à des instru-ments extraordinaires, naît unemusique à l’originalité radicale.

Steve Shehan, tout d'abord,compte à l'heure actuelle parmiles plus grands percussionistesmondiaux. Il a travaillé avecJohn Mac Laughin, Vangelis,Paul Simon, Paul Mac Cartney,Bob Dylan, Brian Eno, HectorZazou, Arthur H, NithinSawnhey et HariprasadChaurasia…

Pour la collection musicale "lesvoyages imaginaires", et encollaboration avec le Musée del'Homme de Paris, il a composéde superbes voyages musicaux,dans lesquels on retrouve lesinstruments qu'il ramène de sesnombreux déplacements dansle monde : Indigo dreams(1995) est un chef-d'œuvredont l'écoute changera votreperception du rythme et quivous emmenera très loin… Parailleurs, Amok, Journey (1991-1995) sont des œuvres à l'ima-ginaire musical d'une granderichesse. Signalons enfinChimères (1998), avec YoussefEl Idrissi Awham, afin de redé-couvrir les trésors de lamusique maghrébine.

Didier Malherbe est surtoutconnu comme saxophoniste,avec le groupe mythique dujazz-rock progressif, en Franceet durant les 70ies : Gong ; puisaux côtés de Jacques Higelin,de Brigitte Fontaine. Plusrécemment, il a collaboré avecGasparian, le grand musicienarménien du Doudouk, l'instru-ment à anche double d'oùHadouk tire son nom. Cetinstrument en bois d'abricotierémet un son carressant, riche eninflexion et en harmonique. Sagrande puissance expressiveporte les lignes mélodiques deHadouk.

Loy Ehrlich, qui produit le trio,est quant à lui célèbre pour sesréalisations avec Jean-PierreRykiel, avec Youssou N'Dourpour le label Realworld, ouencore avec Touré Kunda.

Vous l'aurez compris, cesont trois géants du son venantde toute la planète (et d'ailleurs)qui forgent une énergie musica-le nouvelle avec Hadouk.

Que font-ils ?

Leur musique est souventassociée à la rêverie, à la déten-te, aux grands espaces, auxcontrées aussi lointaines qu'im-probables…et louée pour sesvertus thérapeutiques.

A ce propos, Didier Malherbereconnaît qu'il y a dans leurscréations musicales « du rêve,plus que de la révolte, maisqu'il y a quand même de larévolte. »

Autrement dit, voyager musica-lement, ce n'est pas forcémentfuir, ni chercher un ailleurs decoton et de moiteurs exotiques,le temps d'une sieste.

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Cette musiquenous ouvre sur unmonde de diversi-té culturelle. Etelle nous initie aulointain, grâce auplaisir musical…Les timbres débor-dent de générosité,les rythmes sontchauds, les cou-leurs contrastées :c'est du très bon son !

Comment font-ils ?!

Hadouk trio ne se limite pas àun style de musique : il se réga-le à prendre ce qu'il y a de bondans toute musique. Et pour cefaire, le choix des instrumentsest proprement inouï.

Outre les claviers, Loy Ehrlichjoue d'une basse acoustiquedont la rondeur du timbre estétonnante, le hajouj, qui estprécisément un luth basse àtrois cordes appartenant à laconfrérie des Gnawa du Maroc.On l'entend aussi au kora, une

sorte d'harpe d'Afrique del'Ouest, dont les sonorités sontintemporelles. Enfin, il utilisele sanza, connu sous le nom de"piano à pouces" ou "piano duvoyageur".

Didier Malherbe alterne entreflûtes, doudouk, bansouri (flûteindienne en bambou), saxopho-ne sopranino, pékou, ocari-nas…

Quant à Steve Shehan, son per-cussion drumset est unique :principalement des djembésassociés à des congas et unederbouka accordées, des cym-bales sur lesquelles il promèneun archet, un tambour à billes

ou ocean drum, descymbalettes balinai-ses renversées (ringcick)…

Quelle relation ont-ils à ces instrumentsde cultures variéesqu'ils mêlent defaçon innouïe ?

Dans sa démarchebien spécifique,

Hadouk intègre d'autres cultu-res. « Il ne s'agit ni de copier, nid'être ce qu'on sera jamais.J'aurais beau faire des efforts etserrer les fesses, je ne seraijamais pigmé, ni javanais (déclare Steve Shehan !). Il afallu que je m'accepte commefaisant le pont entre plusieursinstruments qui peuvent en ren-contrer d'autres, même de façonimprobable. Quand j'ai com-mencé, le concept de worldmusic n'existait pas, - du moinspas encore au sens écono-mique. Ces instruments sontvenus à moi par cadeaux, paroffrandes et puis par découver-te, par plaisir et alors, c'est unéchange. Ce n'est pas quelquechose que je m'approprie. »

Loin de tout éthnocentrisme, netenons-nous pas là une bonneformule pour toute cultureouverte sur le monde ?

Bonne écoute !

Arnaud Gué[email protected]

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Réflexions sur le merveilleux au cinéma selon Jean Cocteau,à partir de ses Entretiens sur le cinématographe et de l’étude de son film Orphée

Des bou-g e o i r s

tenus par desbras humains,des miroirs quel’on traverse, des miroirs qui sebrisent pour mieux se recompo-ser, un centaure que le poèteJean Cocteau croise au détourd’un chemin escarpé, voilà l’i-maginaire auquel nous convieCocteau dans son œuvre ciné-matographique. Nous parlonsun peu au hasard de mer-veilleux, de fantastique, de sur-naturel et même d’oniriquepour qualifier cet irréel quicaractérise son cinéma. Or,dans Entretiens sur le cinéma-tographe, Cocteau exprime sarépulsion face au “faux fantas-tique” et plus généralementface aux “films poétiques”.« Ce que je trouve le plus hor-rible de tout, c’est ce qu’onappelle le film poétique. Ce quifaut, c’est que la poésie sortetoute seule du film et qu’on neveuille pas l’y mettre. Voussavez que la poésie prend lafuite dès qu’on la regarde ».Jean Cocteau voit en horreur le“langage poétique” au cinéma,celui quientend poé-tiser par letrai tementde l’imageet s’expri-mer par dessymboles et du pittoresque.Tout film doit être réaliste - « ilmontre les choses au lieu de lessuggérer par un texte » - et ildoit raconter une histoire. C’estdans ce cadre réaliste et fiction-nel que l’irréel émane et prendtoute sa force. Ainsi, l’irréel aucinéma n’invite pas tant à lacontemplation qu’à une forme

de « ravissement qui noustransporte ».

A partir de l’étude du filmOrphée, nous mettrons envaleur cette forme de fantas-tique propre à Jean Cocteau, ce“vrai irréel” comme il l’appel-le, qui permet à tous de « rêverensemble le même rêve ».

Tout film de Jean Cocteaurepose sur une structure narrati-ve classique dans la mesure oùcette dernière est un ancrageprimordial pour que coexistentle réel et l’irréel. Lorsque JeanCocteau décide d’adapter aucinéma la descente mythiqued’Orphée aux Enfers, c’estaussi et surtout la rencontre dedeux univers, celui de la vie etcelui de la mort, qui doit êtremontrée. Pour que ce film nesoit pas prétexte à mettre enimage les lieux de la mort, ildoit être fondé sur une histoire.« Ce qui est capital, c’est lerécit. On raconte une histoire,on ne doit pas se perdre dans lepittoresque ». L’intrigue ici estcentrée sur la figure du poète.Un poète dont la célébrité

agace sedoit derépondre àl’impératif« Etonnez-nous » pourr e s t e r

poète. Il se voit subitement atti-ré par les pièges que lui tend sapropre mort - la mortd’Eurydice en fait partie. « Lepoète doit mourir plusieurs foispour renaître » commenteCocteau en exergue du scénariode son film. Cette renaissance alieu à la fin du film quand lepoète travaille à nouveau.

Comment Jean Cocteauest-il parvenu à représenter ceparcours poétique ? Quels par-tis-pris esthétiques a-t-il mis enœuvre ?

La mise en scène de Cocteau secaractérise par son réalisme ;les personnages et les décors nesont absolument pas traités surle mode du symbolisme.« Dans Orphée, où j’évite lesymbolisme et où j’organiseune logique de l’illogisme, ils(les spectateurs) ne peuvent s‘empêcher de dire que MariaCasarès représente la Mort,qu’Heurtebise et le motocyclis-tes sont des Anges de la Mort,la Zone un lieu infernal et lesjuges ceux du TribunalSuprême. Tout ce que j’évite. »La mort d’Orphée interprétéepar Maria Casarès n’apparaîtpas, comme elle le soulignedans une réplique du film, avecun suaire et une faux. Elle nesymbolise en aucun cas laMort ; elle est simplement l’in-carnation de la mort d’Orphée.

Autoportrait, 1940

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Orphée, poète, doit mourir pourrenaître. Il tombe amoureux desa mort qui doit se sacrifierpour qu’Orphée devienneimmortel. Pour qu’amour etsacrifice aient lieu, il est néces-saire que la mort d’Orphée soitune incarnation humaine et unefemme pour la dimension sacri-ficielle. Nous voyons bien àquel point Cocteau, dans lacaractérisation de ses personna-ges, a fui le symbolisme creuxpour donner vie au mythe. Letravail sur le décor témoigne dela même attention. Cocteau aappelé la Zone ce lieu fait « dusouvenir des humains et de laruine de leurs habitudes ».C’est en quelque sorte la pre-mière étape dans le monde de lamort. Ce lieu, Cocteau le sou-haite « sans lyrisme et anti-dantesque ». Ainsi il tourne sesséquences en décor natureldans les ruines des casernes deSt Cyr. Il n’a pas souhaité cons-truire un décor infernal symbo-lisant les affres de la mort. Quoide plus réaliste pour présenterle passage de la vie à la mortque de choisir un paysage deruines – cet entre deux entre lebâti et le vide ? Avec son déco-rateur, Cocteau partage lamême conviction qui consiste àpenser que « la féerie s’accom-

pagne mal du vague et que lemystère n’existe que dans leschoses précises ».

L’essentiel pour compren-dre le cinéma de Jean Cocteauest de savoir que l’irréel émanedu réel et qu’il y a ainsi un« réalisme de l’irréel ». Au ciné-ma, l’irréel ne peut pas êtrepure spéculation, il doit êtremontré et acquérir alors uneexistence réelle. « Les gensvoient ce qu’on leur montre,c’est la force du cinématogra-phe.(…) Je l’ai employé, parceque c’est la seule manière deprouver l’impossible ; si jeraconte à quelqu’un qu’unmonsieur entre dans unmiroir, il hausse les épaules.Mais je le montre ». Dans lefilm Orphée, les miroirs sontl’équivalent cinématogra-phique du Styx, ce fleuvemythologique qui traduit lepassage du monde des vivantsau monde des morts. C’est pareux que se fait la jonction desdeux mondes. Un objet réel, lemiroir, devient surnaturel par ladéfinition même qu’en donneCocteau dans son film.Heurtebise ne dit-il pas àOrphée : « regardez-vous toutevotre vie dans une glace et vousverrez la mort travaillercomme les abeilles dans uneruche de verre » ? C’est par lemiroir et lui seul que la mortpeut apparaître. Un autre objetdu monde réel est doté égale-ment d’une présence surnatu-relle, c’est la voiture qui émetdes phrases venues de l’au-delà. Cocteau écrit à ce propos :« notre époque (…) est fertileen mystère. Je n’en crée pas denouveau en faisant parler uneautomobile. La radio y pour-voie ». La radio devient dans lefilm un objet insolite.

Cocteau recherche dans lecinéma sa capacité à « prouverl’impossible » ou, ce qui revientau même, à atteindre une "véri-

té". C’est pour cela qu’il n’ajamais eu recours aux trucagesgrossiers de laboratoire. Il nefaut pas que les apparitions del’irréel au cinéma tombent dansle "visible". C’est de l’universdu poète que se dégage l’irréel,c’est du poète qu’émane la poé-sie. Quelle est cette vérité quele cinéma permet de mettre enœuvre ? Cette vérité, expliqueCocteau, c’est celle par laquel-le l’artiste s’exprime ; elle s’op-pose à la réalité qui n’apportequ’une plate copie de sesmodèles. En mettant en scèneun poète, Cocteau peut repré-senter cette quête d’une réalitésupérieure ; les poètes sonteffectivement ceux qui sontattirés par « tout ce qui dépas-sent le monde qu’ils habitent ».La vérité du poète s’exprimepar le langage de l’insolite,d’un irréel qui envahit lemonde réel. Au cinéma cedépassement du monde réel setraduit par un ravissement.Nous partageons la même« indifférence aux choses de cemonde » pour laisser faire le“travail mystérieux” du ciné-ma, à savoir nous transporterdans un rêve éveillé.

Marie-Laure Gué[email protected]

Orphée

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Le khât, défi pour un développement régionalEntre la Péninsule arabique et l’Afrique orientale, il est consommé une plante qui fascine toutvisiteur dans la région. Véritable lien social, le Khât constitue parmi d’autres un obstacle audéveloppement. Retour sur un phénomène de société qui a tant nourri la littérature régiona-le.

Une consommation auxorigines lointaines

L’évocation de la drogue dansla Corne d’Afrique, mèneincontestablement à celle de laconsommation généralisée etlégalisée du Khât. De son nomscientifique Catha EdulisForskal, la consommation dukhât remonte à des tempsimmémoriaux. Pour ses défen-seurs, l’usage du Khât peutconstituer un rempart contre lesdrogues dures dans ces pays àmajorité musulmane où l’al-cool est prohibé . Infusé ouinhalé, mais surtout mastiqué,le Khât provoque un étateuphorisant et stimulant.L’ exigence du consommateurpour s’en procurer des feuillesfraîches, nécessite le transportdu produit - presque exclusive-ment par voie aérienne - dansles vingt quatre ou quarantehuit heures après la cueillette.

L’art de bien « brouter letschat ou le Kaad » : unphénomène de société

L’usage de cette plante n’estpas un produit de luxe réservéaux seuls privilégiés, mais elleconstitue un produit deconsommation courante parmid’autres. Les consommateurssont dans une majorité écrasan-te des hommes. Toutefois, laparticipation des femmes à desséances de « broutage » collec-tives, jusqu’alors marginales

tend à s’étendredepuis peu. Cesséances durent enmoyenne cinqheures. Elles s’ac-complissent entrequatorze heure etdix-neuf heure.Le jeudi, c’est lejour de prédilec-tion, car c’est laveille du reposhebdomadai re .Généralement, la“Khât-party” sefait entre amisdans un mabraze, c'est-à-direune pièce réservée et aménagéeavec des coussins où chacuntrouve ses aises. Accompagnédes cigarettes, du thé à la can-nelle et à la cardamome ainsique du Coca Cola, la « khat-party » est l’occasion de faire etde défaire le monde : les lan-gues se délient, les discussionsfusent, les clivages politico-cla-niques tombent, des nouveauxprojets naissent, les bonnesrésolutions se succèdent ; brefle moral est au beau fixe.Cependant, ces moments dedétente, de convivialité peuventvite devenir un long cauchemarpour celui qui en consommesans modération.

Un frein au développementéconomique et social

Le principal défaut du Khât estle lourd impact qu’il porte auxrevenus des ménages. Un"brouteur" quotidien peut y

laisser jusqu'à la moitié de sonsalaire. En outre, le khat sembledissiper les sentiments de faimet de fatigue et produire un sen-timent d'exaltation. L'usageabusif de ce produit peutconduire de la malnutrition jus-qu'à la tuberculose. Toutefois,sans aller jusqu'à parler de toxi-comanie, la consommationrégulière du Khât conduit à uneaccoutumance. Les conclusionsdu rapport de l’OICS en 1998sont préoccupantes :

« L’Afrique de l’Est est connuepour ses cultures extensives duKhât, qui est cultivé principa-lement en Ethiopie, au Kenya,en Ouganda et au Yémen,ainsi que dans certainesrégions de Madagascar et de laTanzanie, d’où plusieurs ton-nes sont exportées versDjibouti, la Somalie et leYémen. Avec l’industrie duKhât, l’une des régions agrico-les les plus florissantes est deve-nue un importateur net deproduits alimentaires ». En

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À bientôt pour de nouveaux propos…Dans le 5ème numéro prévu pour janvier 2004, nous vous proposons un dossier sur lethème “Migrations et asile”, coordonné par Florent Marty.

effet, la sécurité alimentairerisque d'être menacée dans cespays où on observe une tendan-ce - chez certains petits exploi-tants yéménites par exemple - àaccorder davantage de terre à laplantation du Khât, génératriced’un meilleur revenu, qu'auxcultures vivrières. Ainsi, face àl'effondrement du cours du cafésur les marchés mondiaux, latentation est grande parmi lesplanteurs individuels qui assu-rent la quasi-totalité de la pro-duction du café en Ethiopie(troisième producteur africain).

Même si le Khât constitue unformidable tissu social, lesEtats dans cette partie dumonde doivent travaillerensemble pour affronter unfléau régional qui lamine tousleurs efforts de politique dedéveloppement, aussi minimessoient-ils. Ceci suppose certesune réelle volonté politique,des moyens importants et sur-tout un changement des menta-lités en générant une prise deconscience des risques.Néanmoins, même avec la

meilleure volonté du monde,aucun gouvernement n’estcapable de financer seul, lareconversion des centaines demilliers de familles vers unautre travail aussi lucratif quela vente du Khât. Le défi qui estlancé à ces Etats est d'essayerd'atténuer les impacts socio-économiques de l'usage sansmodération du Khât sans enprohiber pour autant laconsommation. Pour cela, ilconviendrait peut être de com-mencer par mettre en place uneréglementation des jours devente.

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(1) Isabelle Vouin-Bigot, "Le Khât enSomalie: réseaux et enjeux" inPolitique africaine, numéro 60, 1995

(2) Mâcher le Khât, se dit à Djiboutibrouter. Il se nomme tschat enEthiopie et à Djibouti et Kaad enSomalie et au Yémen.

(3) OICS est l’organe international decontrôle des stupéfiants, financé parl’ONU. Organe de contrôle indépen-dant des gouvernements, ses memb-res sont élus par le ConseilEconomique et social de l’ONU surune liste établie par l’OrganisationMondiale de la Santé

Mohamed [email protected]

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Remise des prix le 19 nov. 2003

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