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UNIVERSITÉ DE VALENCIENNES ET DU HAINAUT-CAMBRÉSIS
FACULTÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DE GESTION
MASTER II : JUSTICE ET MÉDIATIONAnnée universitaire 2009/2010
AVANT-PROJET DE RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE DU 1er MARS 2010 :
FAUT-IL SUPPRIMER LE JUGE D'INSTRUCTION ?
Présenté par :
Romain SOUAL
Sous la direction de :
Maître Franz HISBERGUES Et de Monsieur le Procureur de la République Bernard BEFFY
1
« Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y
toucher que d'une main tremblante »
- Montesquieu, 1748
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes sincères remerciements à:
– Maître Franz HISBERGUES, avocat au Barreau de Valenciennes et Maître de Conférence à l'Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis pour l'aide qu'il m'a apportée, sa disponibilité et ses conseils méthodologiques qui m'ont été très précieux pour la réalisation de ce mémoire.
– Monsieur Bernard BEFFY, Procureur de la République près le Tribunal d'Avesnes-sur-Helpe pour m'avoir permis d'intégrer son service, sa confiance, son écoute, ses conseils et sa présence qui furent indispensables.
– Toute l'équipe du Parquet d'Avesnes-sur-Helpe, notamment les substituts Laurent DUMAINE, Laure CAVAIGNAC, pour leur accueil chaleureux et leur disponibilité malgré leur charge de travail, ainsi que ma collègue et formatrice Alexia DEL FRE.
– Mes parents, Lydie, ma famille et mes amis qui m'ont donné la force et le courage de terminer ce mémoire, et qui m'ont soutenu jusqu'aux derniers instants.
3
PLAN SOMMAIRE
INTRODUCTION : ORIGINES ET PARADIGMES
PARTIE 1 : LA SUPPRESSION DU JUGE D'INSTRUCTION, UNE PROBLÉMATIQUE HISTORIQUE AU PRISME DES PRÉOCCUPATIONS ACTUELLES
Titre 1 : Les attributions actuelles du juge d'instruction dans le procès pénal
CHAPITRE 1 : La place du juge d'instruction au coeur de l'instruction préparatoireCHAPITRE 2 : L'étendue des prérogatives du juge d'instruction
Titre 2 : Les grandes causes de la suppression du juge d'instruction
CHAPITRE 1 : L'amoncellement des critiques à l'égard du juge d'instructionCHAPITRE 2 : Le poids des considérations européennes supérieures
PARTIE 2 : L'AVANT-PROJET DE RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE DU 1er MARS 2010, CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCÉE
Titre 1 : La genèse de la réforme
CHAPITRE 1 : Les conséquences délétères de l'affaire « Outreau »CHAPITRE 2 : La propagation de la suppression du juge d'instruction en Europe
Titre 2 : La proposition d'un système « contradictoire à la française » au spectre de ses dérives prévisibles
CHAPITRE 1 : La direction par le parquet d'un cadre unique d'enquête sous le contrôle du juge de l'enquête et des libertésCHAPITRE 2 : L'absence de contre-pouvoir réel dans l'insuffisance des garanties offertes aux parties
CONCLUSION
4
Liste des principales abréviations
JEL: Juge de l'Enquête et des LibertésTEL: Tribunal de l'Enquête et des LibertésChEL: Chambre de l'Enquête et des LibertésCSM: Conseil Supérieur de la MagistratureAPJ: Agent de Police JudiciaireOPJ: Officier de Police JudiciaireJLD: Juge de Libertés et de la DétentionCEDH: Cour Européenne des Droits de l'HommeCESDH: Convention Européenne Supérieure des Droits de l'HommeAvt.P 2010: Avant-Projet de réforme du code de procédure pénale du 1er Mars 2010Cass.: Cour de Cassation Crim.: Chambre CriminelleC.Constit: Conseil ConstitutionnelAss. Nat: Assemblée NationaleCPP: Code de Procédure PénaleArt.: ArticleDDHC: Déclaration des Droits de l'Homme et du CitoyenBull.: Bulletin CriminelTTR: Traitement en temps réelCRPC: Comparution sur Reconnaissance Préalable de CulpabilitéU.E.: Union EuropéenneCRI: Commission Rogatoire InternationaleIPC: Interrogatoire de Première ComparutionOSC: Ordonnance de Soit-CommuniquéTGI: Tribunal de Grande InstanceJIRS: Juridictions Inter-Régionale SpécialiséeTPFA: Tribunaux Permanents des Forces ArméesCPS: Crown Prosecution Service ( Service national des poursuites anglais)GAV: Garde à VueLR: Lettre Recommandée
5
INTRODUCTION : ORIGINES ET PARADIGMES
u lendemain de la célébration de son bicentenaire, l'institution du juge d'instruction est
dans la ligne de mire du gouvernement. La suppression annoncée du juge d'instruction
suscite de vives réactions parmi les acteurs du monde judiciaire mais surtout inquiète, car au-delà de
la disparition du personnage du juge d'instruction, il s'agit de rebâtir les fondations de tout un
système. Et l'on sait combien le temps constitue un atout précieux tant il est le gage d'une réflexion
sereine et aboutie.
A
Mais l'heure est à la décision, l'avant projet de réforme du Code de procédure pénale, rendu
public le 2 mars 2010 sur la base des travaux du comité présidé par Philippe Léger, présente l'œuvre
d'une procédure pénale transformée autour de sa mesure phare, la suppression du juge d'instruction.
Le débat depuis longtemps amorcé déchaîne les passions et demeure le lieu d'une opposition
récurrente entre deux paradigmes procéduraux issus de deux traditions bien distinctes : le modèle
inquisitoire qui est le nôtre, et le modèle accusatoire d'origine anglo-saxonne.
Dépassant les clivages idéologiques, il est constant que tous les pays connaissent deux phases
dans la procédure pénale, à savoir l'enquête et l'audience. Or, chaque État, dans sa capacité à
contrôler la violence réveillée par le crime, réalise un « compromis » en privilégiant soit l'enquête
ou soit l'audience. Autant dire qu'aucun des modèles, qu'il soit inquisitoire ou accusatoire, n'est
présent sous sa forme brute et originelle. On remarque toutefois que le choix du compromis est
étroitement lié au modèle politique :
- Dans la procédure accusatoire dont l'hégémonie fut célébrée de l'Antiquité greco-romaine
jusqu'à l'époque féodale, c'est la victime seule qui engage l'instance. Les parties débattent au cours
du procès de manière orale, publique et contradictoire en soumettant leurs éléments de preuve à
l'arbitrage d'un juge neutre. Dans un tel modèle, la phase d'instruction n'a guère lieu d'être et notre
procès civil en constitue l'archétype majeur. Les travaux des anthropologues montrent ainsi que la
procédure accusatoire se retrouve dans les sociétés sans État, dans lesquelles l'acte de vengeance est
ritualisé par le procès pénal coutumier. Les sociétés anglo-saxonnes sont régulées par le droit et non
par l'État, le juge y est soit désigné par le processus électif, soit nommé à une fonction qu'il
occupera à vie. En ce sens, comme le souligne Jean-Pierre Alline, le juge acquiert « une culture du
contradictoire et une indépendance d'esprit qui lui confère la reconnaissance par ses citoyens, à la
6
différence des juges continentaux vécus, à tort ou à raison, comme de hauts fonctionnaires dont la
carrière est entre les mains du pouvoirs »1. La vérité est produite par les parties qui exposent leurs
moyens de preuves devant le juge-arbitre, lequel veille à la loyauté des débats avec le risque
éventuel de favoriser la partie la plus riche ou la plus rusée.
- À l'inverse, la procédure inquisitoire est généralement l'apanage des sociétés fortes dans
lesquelles la régulation des rapports sociaux passe par l'État dès lors que l'on considère que les
infractions portent atteintes, non seulement à un intérêt privé, mais surtout à une communauté de
valeurs. Ce sont les autorités judiciaires publiques qui mènent l'inquisitio, c'est-à-dire l'enquête, en
application de la loi et qui gardent la maîtrise de la procédure. L'enquête est confiée soit à un
parquet indépendant ou hiérarchisé, soit partagée entre un parquet hiérarchisé et un juge du siège
indépendant et spécialisé à cette fin. La procédure inquisitoire est réputée écrite avec
l'établissement de procès-verbaux qui sanctionnent le déroulement de la procédure, secrète tant à
l'égard des parties que du public et, de manière corollaire, non-contradictoire. Le rôle du juge
d'instruction y est déterminant car l'intervention d'une autorité judiciaire indépendante et impartiale
au cours d'une phase préparatoire au procès spécifiquement consacrée à la vérité judiciaire, par la
recherche active des preuves, garantit la qualité de l'accusation. Si elle a le mérite de conférer
davantage d'efficacité à la machine répressive, la procédure inquisitoire emporte aussi le risque
d'attenter aux droits de la défense, en particulier à l'égard des libertés individuelles et favorise les
abus ou les erreurs.
La France a très tôt revendiqué une culture souverainiste en optant pour le compromis
inquisitoire tant et si bien que notre procès pénal actuel se caractérise par une dualité partagée entre
une instruction secrète et une audience publique. C'est un système qui a été proposé dès le début
de la Révolution par l'avocat monarchien Thouret. Cette dualité procédurale est le fruit d'une mixité
à l'aune de deux courants : le courant accusatoire libéral et le courant inquisitoire souverainiste.
Mais le choix du compromis inquisitoire conduit inexorablement à favoriser la phase pré-
sentencielle du procès pénal, à savoir l'enquête où l'instruction préparatoire tient une place
particulière.
Plus généralement, la notion « d'instruire » est omniprésente dans notre procès pénal dans la
préparation du procès pénal par le juge d'instruction comme dans la conduite de l'audience par le
1 JEAN-PIERRE ALLINNE, Les propositions du Comité Léger au prisme de l’histoire : inquisitoire et accusatoire dans la tradition française, Champ pénal, nouvelle revue internationale de criminologie, Vol. VII, 2010
7
juge répressif. D'ailleurs, la nature même du procédé d'instruction est indissociable de l'idée d'une
démarche de recherche. Par définition, l'instruction consiste à établir l'ensemble des circonstances
dans lesquelles des faits pénalement répréhensibles se sont déroulés afin de déterminer si la
personne qui en est l'auteur peut être tenue pour responsable. L'instruction imprègne la démarche de
tout juge pénal par le souci de produire tout acte nécessaire à la manifestation de la vérité qui
représente l'originalité du système pénal français. Cette quête insatiable de la vérité constitue, selon
De Ferrière, « l'unique but »2 incombant au juge lors de l'instruction, car c'est précisément sur la
base de la vérité telle qu'elle est produite au jour de l'audience que le juge pénal sera en mesure
d'apprécier les différents éléments constitutifs des faits relevant d'une qualification pénale et, s'il y a
lieu, d'envisager la répression de l'auteur.
Pour bien cerner les enjeux du débat sur la suppression du juge d'instruction, il convient de
rechercher dans l'imaginaire collectif quelques représentations qui s'attachent au mythe du juge
d'instruction (I), mais surtout remonter le fil de l'Histoire pour comprendre comment les différentes
péripéties ont abouti à remettre en cause l'emblème de notre vieux compromis inquisitoire (II).
I/ Les mythes du juge d'instruction
Dans notre imaginaire inquisitoire, le juge d'instruction est porteur d'intérêts antagonistes : de
manière négative, il est celui que l'on craint, « l'Homme le plus puissant de France » selon Balzac,
doté de pouvoirs redoutables à l'égard des libertés individuelles ; de manière positive, il est celui de
qui on attend qu'il parvienne à la vérité, qu'il démasque les coupables et qu'il réponde aux attentes
des victimes et de la société.
Le juge d'instruction s'affirme volontiers comme un héros intrépide, un justicier au service de
la vérité, véhiculant l'image du chevalier blanc parti en croisade pour triompher du mal, dont
l'intransigeance incorruptible façonne sa légende au delà des fictions. Parfois, il a endossé le
costume du « petit juge » contre les « gros » qui, loin de lui desservir, n'est pas sans rappeler le
combat de David contre Goliath. Ces caractéristiques se retrouvent, en particulier dans les années
1990, avec les grands noms des juges d'instruction qui ont fascinés par la ténacité avec laquelle ils
se sont emparés des dossiers les plus sensibles, principalement en matière politico-financière ou
relevant de la criminalité organisée, alors même que les politiques se dérobaient.
2 J-P. DOUCET, Dictionnaire de droit criminel sur internet : ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire
8
Dans l'affaire « Elf » (1989-1994), l'instruction d'abord menée par la juge Eva Joly, puis aidée
de sa consoeur Laurence Vichnievsky, avait mis au jour un vaste réseau de corruption impliquant
des politiques et des grands patrons, ayant permis non seulement l'enrichissement des cadres
principaux de l'entreprise publique pétrolière mais aussi la rémunération de dirigeants africains3. Le
cinéaste Claude Chabrol, dans l'un de ses derniers films L'ivresse du pouvoir (2006), s'inspirait
d'ailleurs du personnage d'Eva Joly pour mettre en scène une femme juge face aux puissants,
décrivant de lourdes responsabilités et un esprit de revanche mêlés à une vie chaotique4. Il renvoie
ainsi l'image d'un juge prêt à sacrifier sa vie pour servir l'idéal de la justice et la vérité, néanmoins
controversée aux yeux de la principale intéressée.
D'autres exemples illustrent tout autant ce combat contre la corruption qui ternit la classe
politique aux yeux de l'opinion publique. En 1994, le juge Eric Halphen avait instruit l'affaire des
HLM de Paris et des Hauts-de-Seine, 49 personnes dont quelques personnalités politiques avaient
été mis en examen dans le cadre de fraudes et de financements opaques du RPR, avant d'être
dessaisi du dossier en septembre 2001par la Cour d'appel de Paris et de quitter la magistrature
pendant plusieurs années pour avoir subi des pressions et des tentatives de déstabilisation. De
même, l'affaire des faux électeurs du Ve arrondissement de Paris, avait permis aux juges Baudoin
Thouveniot et Jean-Louis Périès, dont l'instruction avait révélé une fraude aux listes électorales lors
des municipales de 1995 et des législatives de 1997, de renvoyer onze partisans du « clan Tibéri »
dont Jean Tibéri lui-même devant le Tribunal correctionnel.
Sans oublier l'affaire de « l'Angolagate » pour laquelle les juges Philippe Courroye et Isabelle
Prévost-Desprez avaient démontré que plusieurs personnalités politiques françaises avaient touché
des commissions occultes lors d'une vente d'armes au gouvernement angolais commandée par Pierre
Falcone et Arcadi Gaydamak en 1994, l'instruction avait notamment abouti aux mises en examen de
Jacques Attali, Charles Pasqua et Jean-Christophe Mitterrand. Enfin, le juge Renaud Van
Ruymbeke, connu pour son implication très critiquée dans l'affaire des frégates de Taïwan, s'était vu
opposé à plusieurs reprises le secret défense par le gouvernement. Plus récemment, les affaires
« AZF », « DCN » ou encore « Clearstream » sont autant de dossiers considérés comme sensibles et
complexes qui rendent encore aujourd'hui indispensable le recours à un magistrat indépendant du
pouvoir exécutif.
3 La Cour de cassation a clos le volet corruption de cette affaire le 31 janvier 2007.4 Le paradoxe entre la dame de fer et la femme fragile.
9
Or, le mythe du juge d'instruction est également perçu à travers ses dérives. La propagation
des scandales judiciaires a parfois fait de lui « un juge humilié », ébranlant toute son institution ainsi
que les stigmates du modèle inquisitoire dont il constitue l'héritage. À cet effet, ses puissants
pouvoirs ont largement été remis en cause : de mauvaises techniques de confrontation, l'usage
systématique de la détention provisoire, l'importance accordée à l'aveu etc. Le royaume de sa
puissance a pu laisser entrevoir un fourvoiement de ses méthodes et de ses outils, plaçant ce
justicier de la vérité aux prises de ses propres pouvoirs alors que la Constitution lui a dévolu le rang
de gardien des libertés individuelles.
Dany Cohen relève notamment l'ambivalence du rôle du juge : « si d'un côté, l'extension,
principalement impulsée par la CEDH, de sa vigilance et de l'aire de son contrôle améliore
visiblement l'état des libertés ; de l'autre, deux menaces, qui ne sont antinomiques qu'en apparence,
tiennent pour l'une à un usage discutable et parfois arbitraire de ses pouvoirs (...), pour l'autre à un
usage atrophié de ceux-ci, tantôt délibérément, tantôt parce que les moyens matériels font défaut »5.
Le juge d'instruction, certainement plus que les autres juges de par ses pouvoirs liberticides, se
positionne au cœur de cette problématique.
Loin de cette image glorieuse que la fiction nous présente, la réalité a pu revêtir un autre
visage d'autant que le récit médiatique a pris une part considérable dans la construction de l'opinion
publique. En 1972, l'affaire « Bruay-en-Artois » instruite par le juge Henri Pascal avait donné suite
à la découverte du corps d'une jeune fille de mineur, Brigitte Dewèvre, et avait abouti à la mise en
examen d'un notaire et de sa maîtresse sur la base de fausses accusations. Après trois mois de
détention, les accusés avaient été libérés et le juge dessaisi du dossier. En l'absence de preuves
matérielles, l'affaire a été classée sans suite et les faits prescrits depuis 2005.
Plus tard, l'affaire « Grégory » a été présentée comme celle de tous les dérapages. En 1984, le
corps du jeune Grégory Villemin avait été retrouvé dans la Vologne, petite vallée des Vosges.
L'acharnement médiatique avait alors abouti à un véritable lynchage public du juge Jean-Michel
Lambert en charge du dossier. Les partis pris de la presse avaient contribué à la violation du secret
de l'instruction et de la vie privée tandis que l'opprobre s'était abattu sur le juge d'instruction seul et
inexpérimenté. L'affaire « Outreau » en 2006 reprend la même débâcle, entre la place prépondérante
5 D. COHEN, Le juge, gardien des libertés ?, Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°130, p.113-125, 2009
10
des médias et le mouvement d'opinions qui s'en est suivi. Mais déconstruisant le mythe, l'image qui
est ressortie du juge Fabrice Burgaud représente celle d'un « gosse » seul face à ses doutes et ses
hésitations.
Les mythes se créent et nous fascinent tels les idéaux qu'ils incarnent dans la croyance
populaire, celui d'une justice rendue et d'une vérité satisfaite pour le juge d'instruction. Mais la
réalité nous rappelle que le mythe découle avant tout de l'imaginaire et, dans certains cas,
s'empresse de déconstruire la confiance du Peuple en l'institution de sorte que sa légitimité s'en
trouve fragilisée. Dans ces affaires à fort retentissement, les médias « chauds » jouent un rôle
primordial puisqu'ils relayent auprès de l'opinion un récit journalistique qui a tendance à supplanter
la vérité judiciaire. Dès lors, le politique envahit l'espace public de la démocratie d'opinions et, en
règle générale, le temps des critiques laisse place au temps des réformes ou, tout au moins, à des
tentatives qui sont au coeur de l'Histoire.
II/ De l'enracinement de la culture inquisitoire à l'expérience accusatoire étrangère
Aux prémisses de la procédure inquisitoire, on retrouve le fonctionnement des institutions
ecclésiales au XIIe siècle, alors que les systèmes judiciaires en Europe étaient fondés sur une
procédure de type accusatoire, la plus ancienne.
Les tribunaux ecclésiastiques, qui veillaient à l'application du droit canonique, pouvaient
désigner un clerc disposant du pouvoir d'interroger des témoins de sa propre initiative, et si ceux-ci
accusaient une personne d'un crime, l'accusé pouvait alors être jugé. De 1198 à 1213, plusieurs
décrétales vinrent encadrer la procédure. Mais c'est lors du quatrième concile œcuménique du
Latran, en 1215, que le Pape Innocent III opta définitivement pour le modèle inquisitoire, si bien
que l'inquisiteur pouvait exercer d'office sur les rumeurs publiques, sans qu'il n'eût été besoin de
dénonciations accusatrices. L'inquisition médiévale se répandit très largement dans toute l'Europe
continentale grâce à l'emprise de la papauté sur la chrétienté occidentale.
En France, jusqu'au XIIIème siècle, le Roi est source de toute justice, une justice retenue entre
ses mains, nécessaire au maintien de son autorité, qu'il rend lui-même entouré de conseillers. Les
rois successifs déléguèrent progressivement leur pouvoir judiciaire au profit de juges spécialement
nommés. Sous le règne de Philippe Le Bel, premier des rois francs à exercer une autorité plus
11
souveraine que féodale, l'ordonnance de 1303 entérina l'existence des « gens du rois » composés des
procureurs et des avocats chargés de défendre le domaine du Roi. Au XVIe siècle, la justice royale
s'affirma et la victime fut pratiquement dépossédée de son action, exercée par le Procureur au nom
de la Couronne, sous réserve de la constitution de partie civile caractéristique de la procédure
accusatoire déjà présent et réaffirmé par la suite.
En 1522, sur la base du modèle inquisitoire, François Ier institua l'ancêtre du juge
d'instruction - le lieutenant criminel de bailliage - un juge du siège doté du pouvoir d'enquêter et de
juger, pouvant se substituer au Procureur du Roi en l'absence de poursuites publiques6.
L'ordonnance de « Villers-Cotterêts »7 en 1539 marquée par la volonté de François Ier de réformer
la juridiction ecclésiastique créa l'institution du juge d'instruction, à cette époque les deux temps du
procès pénal étaient nettement distingués, à savoir l'instruction et le jugement. L'ordonnance
criminelle de 1670 adoptée par Louis XIV étendit le champ de ses pouvoirs, en autorisant le recours
à la torture dans le dessein de recueillir l'aveu absolu, mais aussi en lui permettant d'entendre tous
les témoins et de conduire l'enquête secrètement.
Mais la Révolution française se prévalant du modèle libéral anglais idéalisé par les Lumières,
fit l'audacieuse expérience de la procédure accusatoire étrangère à la tradition judiciaire française.
À la fin du XVIIIe siècle, le contexte absolutiste de l'Ancien régime inspira une forte
méfiance populaire à l'égard du juge propriétaire de son office, des risques induits par le caractère
secret de la procédure inquisitoire et du corporatisme des parlements. La multiplication des erreurs
judiciaires, et notamment la célèbre affaire « Calas » qui fut l'occasion pour Voltaire d'exprimer les
failles d'une justice rendue sur des éléments de preuve viciés par des accusations fantasques, était un
symptôme évident d'une transition entre un pouvoir arbitraire et un pouvoir de la nation naissante
refusant l'État monarchique. Les lois du 16 et du 24 août 1790 consacrèrent le principe de séparation
du fait et du droit, légitimant la souveraineté du jury populaire en tant que représentants du Peuple.
Dans le même temps, on assista à l'affaiblissement du Procureur dont la fonction était
désormais scindée entre un « accusateur public » élu et un « commissaire » du roi nommé. Dans
cette procédure purement accusatoire, l'instruction ou l'enquête pénale était confiée à un « juge de
paix » élu par les citoyens, saisi soit sur « dénonciation civique » ou d'office à partir de la « rumeur
6 Ce qui lui valut l'adage « tout juge est procureur général »7 Cette ordonnance s'intitule exactement « Ordonnan du Roy sur le faid de justice », elle se compose de 192 articles
rédigés par le Chancelier Guillaume Poyet.
12
publique », qui menait seul l'enquête. Une fois l'information clôturée, il transmettait la procédure à
un juge de district également élu qui exerçait les fonctions de « directeur du jury », chargé de
rédiger l'acte d'accusation, qui saisissait un premier jury « d'accusation » qui se prononçait sur la
suffisance de charges aux fins de renvoyer, s'il y avait lieu, devant le tribunal criminel
départemental. Lors de l'audience, un « accusateur public » tenait le rôle d'avocat général et portait
l'accusation à partir des charges transmises par le jury tandis qu'un « commissaire » du roi était
chargé de requérir. Puis, un jury de jugement composé de douze membres tirés au sort statuait sur la
culpabilité de l'accusé. L'audience était orale et publique, les débats portaient tant sur les faits que
sur la personnalité de l'accusé : l'idée était d'initier le débat entre l'accusé et l'accusateur, mis sur un
pied d'égalité, devant un jury de citoyens et des juges élus de nature à faire émerger la vérité lors de
l'audience.
En dépit de son rayonnement et des multiples bouleversements induits, la Révolution n'enterra
pas la tradition inquisitoire, à l'instar de la gauche jacobine qui revendiqua très tôt une méfiance
envers la magistrature et l'oralité8.
Le Concordat abandonna ce système complexe et Napoléon, par les lois du 27 ventôse de l'an
VIII et du 7 pluviôse de l'an IX, revint à un parquet unique et hiérarchisé. La proclamation du Code
de l'instruction criminelle en 1808 remit l'institution du juge d'instruction comme juge unique au
cœur du système inquisitoire car la reconstruction sous le Consulat réhabilita l'autorité dans toutes
les sphères de la société française. Le législateur opéra un partage du procès en deux phases : l’une
préparatoire, de type inquisitoire, fut confiée au juge d’instruction ; l’autre, de jugement, de type
accusatoire, fut dévolue aux juges répressifs. Le Code de l'instruction criminelle de 1808 resta en
vigueur jusqu'à l'adoption du Code pénal de 1956.
Véritable artificier du processus pénal, le juge d'instruction n'avait pourtant que la qualité
d'OPJ, il était alors placé sous l'autorité hiérarchique du parquet. Même si sa sujétion était largement
nuisible à son image, il traita pourtant seul la plupart des affaires pénales. Le procureur impérial,
remplaçant le « directeur du jury », prenait la décision d'associer ou non le juge d'instruction à
l'enquête préliminaire, sa saisine devint néanmoins obligatoire pour les crimes et facultative pour les
délits. Dans certains cas, le juge d'instruction était associé à une formation collégiale. En effet, il ne
décidait pas seul des actes attentatoires aux libertés et de l'ordonnance de renvoi puisqu'il devait
8 Il était déjà admis que les avocats de la défense tentaient d'arracher au jury souverain un verdict d'acquittement au prix de plaidoiries parfois très superficielles.
13
soumettre la décision à huis clos à deux de ses homologues siégeant dans la chambre du conseil,
ancien jury d'accusation. Mais le cumul de pouvoirs d'enquête et de jugement dérangèrent dans une
procédure inquisitoire secrète, non-publique et non-contradictoire et s'exposa inévitablement à un
risque de pré-jugement, d'erreur ou d'abus judiciaire que les auteurs s'attachaient déjà à critiquer.
Le XIXe siècle vint renforcer la place de l'inquisitoire. En 1856, on fit le constat de l'inutilité
des chambres du conseil, essentiellement devenues des chambres d'enregistrement des actes du juge
d'instruction. La Chancellerie impériale les supprima pour transférer leurs attributions au seul juge
d'instruction. Ici naquit le rapport étroit entre la solitude et les pouvoirs liberticides du juge
d'instruction autour d'une « toute-puissance » dénoncée par Balzac. D'autre part, les pratiques
parquetières s'orientaient vers un évitement de l'audience avec la possibilité inaugurée en 1817 de
décider du classement sans suite. Dans la même perspective, le phénomène de
« correctionnalisation » permit de faire échec à la compétence du juge d'instruction jugée trop lent
et à celle du jury d'assises présumé trop clément. Finalement, en 1863, pour lutter contre une
surpopulation carcérale, le législateur entérina la pratique de citation directe en matière de flagrant
délit, dont découle l'actuelle comparution immédiate. L'évolution des pratiques parquetières
conduisit à un glissement déjà dénoncé vers une « justice expéditive »9.
La fin du XIXe siècle marqua un tournant important dans l'Histoire de notre procédure pénale
puisque la tendance accusatoire fut vivement revendiquée par des activistes tels que Faustin Hélie,
René Bérenger ou encore René Garraud. Néanmoins, la victoire des Républicains à la Chambre en
1879 n'aboutit qu'à l'introduction de quelques éléments issus du contradictoire, en particulier la
décision du placement en détention préventive que la Chancellerie s'empressa d'annihiler. À cette
époque, l'encadrement de la détention préventive, apparat purement inquisitoire, fut largement
réclamé compte tenu des incertitudes sur sa durée. On assista dans le même temps à l'émergence des
droits de la défense sous le couvert d'un courant libéral résurgent face à un compromis inquisitoire
qui serait sans cesse réajusté.
L'avancée majeure en référence au modèle accusatoire fut la célèbre loi Constans de 1897 qui
consacra le droit pour la personne poursuivie à l'assistance d'un avocat, celui-ci ayant accès au
dossier de son client dans les vingt-quatre heures avant chaque interrogatoire. Il était désormais
prévu que les juges d’instruction ne devaient interroger l’inculpé qu’après l’avoir averti au préalable
9 Guillot en 1884 soulignait les graves dangers de la citation directe qui, en tant qu'élément de la justice expéditive, soumet des affaires mal préparées au tribunal.
14
qu’il pouvait s’abstenir de faire des déclarations et lui accordaient, s’il le désirait, l'assistance d’un
avocat, présent à ses côtés lors des interrogatoires. Mais les juges, réticents à l'idée de l'irruption de
l'avocat dans leur cabinet, préférèrent déléguer de plus en plus cet acte au profit du policier par le
biais des commissions rogatoires. En 1806, la chambre criminelle, dans l'arrêt Atthalin, reconnut à
la partie le droit de mettre en mouvement l'action publique. De surcroît, la loi du 22 mars 1921 vint
reconnaître le droit à l'assistance d'un avocat avec accès au dossier de l'instruction à la partie civile.
Par ailleurs, la Société générale des prisons traita, en 1926, de la question « Faut-il modifier
les lois sur l'instruction préparatoire? »10 pour laquelle ces philanthropes, véritables conseillers
officieux de la Chancellerie, défendaient la garantie a minima des droits de la défense, notamment
par l'encadrement de la durée de la détention préventive. Les travaux de Paul Matter aboutirent avec
la loi de 1933 à la mise en place d'un système de « mandats à échéances renouvelables » d'une durée
d'un mois avant de redevenir à durée indéterminée dès 1935. Mais l'idée d'un réexamen périodique
de la nécessité de la détention provisoire considérée comme liberticide fut initiée. À partir de la
déclaration de la guerre en 1939, l'état de siège fut proclamé impliquant l'intervention de juridictions
d'exception.
À la Libération, Henri Donnedieu de Vabres présida la section pénale de la commission de
réforme judiciaire, composée entre autres de Maurice Patin et de Maurice Garçon, chargée de
refondre le Code de l'instruction criminelle dans un souci d'efficacité, en s'appuyant sur les travaux
du Procureur général Matter initiés en 1938. Au même moment, s'ouvrirent les procès des nazis au
Tribunal militaire international de Nuremberg où Henri Donnedieu de Vabres avait été appelé à
siéger en tant que procureur. Il y découvrit les possibilités de négociation du système accusatoire
américain, « l'efficacité de la prokuratura des pays communistes, tout en étant conscient du degré
d'asservissement de l'accusation dans les pays fascistes d'avant-guerre »11. Il proposa pour la
première fois de supprimer le juge d'instruction en organisant un glissement des fonctions. Il posa le
principe de la séparation des fonctions d'information et des fonctions juridictionnelles, à savoir
Parquet et police d'un côté, juge de l'autre côté12.
En effet, le rapport Donnedieu de Vabres préconisait, d'une part, de renforcer le rôle du
Procureur en ajoutant à son rôle d'agent des poursuites celui d'agent de l'information et, d'autre part,
10 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, Paris, 199111 J-P ALLINNE, op. cit.12 P. COUVRAT, Le projet Donnedieu de Vabres en parallèle avec les travaux de la commission « Justice pénale et droits de l'Homme », Archives de politique criminelle, n°13, p. 67, Pedone, 1991
15
de retirer au juge d'instruction son pouvoir d'instruction tout en accroissant son pouvoir
juridictionnel, devenant un juge de l'instruction menée par le parquet. Dans cette optique, le juge
d'instruction deviendrait un simple arbitre chargé de statuer sur les incidents de la procédure, du
contentieux des actes d'instruction, de la remise en liberté alors que le placement en détention
préventive resterait à la discrétion du parquet. Il présentait l'idée d'un juge intervenant en amont,
statutairement égal au Procureur de la République et supérieur aux substituts. Toutefois, le projet fît
l'objet de vives critiques : le contrôle relativement formel du juge, le risque d'une justice aux mains
de l'exécutif susceptible d'enterrer certaines affaires délicates. Le rapport fut rendu public en 1949
sans jamais être soumis au Parlement.
La IVe République accentua le contradictoire au cours de la phase d'instruction. Émergea un
vaste mouvement de défense sociale nouvelle promue au sein d'une Europe en construction. La
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(CESDH) fut signée à Rome le 4 novembre 1950. Elle reconnut à toute personne des droits et des
libertés dont le respect s’imposa aux États membres du Conseil de l’Europe qui l’eurent ratifiée.
Dès 1952, la commission de réforme de la procédure pénale présidée par Antonin Besson, Procureur
général près la Cour de cassation, fit le constat que la détention préventive était difficilement
compatible avec la présomption d'innocence. Or en 1957, face à une presse devenant de plus en plus
intrusive, le député Jacques Isomi fit voter un amendement tendant à renforcer le secret de
l'instruction13. L'aboutissement des travaux de la commission conduisit à la promulgation du
nouveau CPP de 1959, sous l'impulsion de Michel Debré, alors Garde des Sceaux.
Les débuts de la Ve République furent caractérisés par une forte concentration de l'autorité.
Charles De Gaulles qui manifestait un profond respect pour les institutions ne remit pas en cause le
paradigme inquisitoire, si bien que le CPP de 1959 libéra le juge d'instruction de la tutelle du
Procureur de la République en lui conférant une pleine indépendance fonctionnelle. D'un autre côté,
il ne jugea pas utile de remettre en cause le rattachement hiérarchique du parquet à l'exécutif car,
comme le relève Sylvie Thénault, la guerre d'Algérie avait démontré « la nécessité d'un procureur
fort face à l'opposition politique »14.
Les années 1970 consacrèrent la conversion de la détention préventive en « détention
provisoire », tout en rendant obligatoire la motivation de l'ordonnance de placement en détention
13 Art. 11 CPP14 S. THÉNAULT, Une drôle de justice – Les magistrats dans la guerre d'Algérie, Ed. La découverte, 2004
16
provisoire. Aussi, la création du contrôle judiciaire poursuivait le double objectif de désengorger le
système pénitentiaire et de prévenir le risque de récidive. Mais, paradoxalement, la montée de la
criminalité se traduisit par un allongement de la détention provisoire restant le principe.
Face à la place grandissante du thème sécuritaire, l'arrivée de la gauche au pouvoir dans les
années 1980 ne changea pas non plus la tendance qui visait essentiellement à renforcer le rôle
central du Parquet. Or, en 1985, Robert Badinter, Garde des Sceaux, manifesta la volonté
d'introduire définitivement la culture du contradictoire dans la décision de placement en détention
provisoire. Son ambitieux projet consistait à instaurer la collégialité en créant une « chambre de
l'instruction » qui désignerait le juge d'instruction et qui délibérerait à trois sur la mise en détention
provisoire. Le système fut finalement abrogé par une loi de 1987.
En 1989, la commission « justice pénale et droits de l'Homme » présidée par Mireille Delmas-
Marty remit son rapport, non pas dans le but de refondre totalement la procédure pénale, mais en
proposant dix principes fondamentaux à l'origine de l'article préliminaire du CPP introduit par la loi
du 15 juin 2000. Le rapport Delmas-Marty était focalisée sur une protection renforcée des libertés
individuelles, sur une mise en harmonie avec les règles européennes et internationales, ainsi que sur
une recherche d'équilibre afin de rendre le procès pénal équitable15. Le point commun avec le
rapport Donnedieu de Vabres résidait dans le constat de l'incompatibilité des fonctions d'instruction
et de jugement. Le rapport Delmas-Marty recommandait deux conditions préalables et
indispensables à la suppression du juge d'instruction : un parquet statutairement indépendant du
pouvoir exécutif et l'existence d'un « juge de la mise en état » qui serait un juge garant des libertés
individuelles avec des compétences et un statut renouvelés. Il eut toutefois manqué un brin d'audace
au législateur pour procéder à une mise en œuvre complète des travaux de la commission.
À défaut de réformer l'ensemble de la procédure pénale, le législateur se contenta de renforcer
les droits de la défense avec l'entrée en vigueur du nouveau CPP le 1er mars 1993 qui substitua « la
mise en examen » à l'inculpation et consacra l'association des parties à la procédure avec la
possibilité qui leur était désormais offerte de demander des actes d'enquête.
En 1996, Michèle-Laure Rassat remit au Garde des Sceaux de l'époque, Jacques Toubon, un
rapport intitulé « propositions de réforme du code de procédure pénale » insistant sur la
présomption d'innocence, le secret de l'instruction et l'encadrement de la détention provisoire En
15 P. COUVRAT, op. cit.
17
marge, le poids des normes européennes supérieures s'intensifiant, on vit émerger la notion de
« délai raisonnable » dans la durée tant de la procédure d'instruction que de la détention provisoire.
L'annonce faite par Jacques Chirac, Président de la République, d'une vaste réforme de la
Justice aboutit en 1997 à la remise du rapport de la commission « de réflexion sur l'indépendance du
Parquet et le respect de la présomption d'innocence » présidée par Pierre Truche, Premier Président
de la Cour de cassation. Le rapport préconisait de redéfinir les rapports entre le Parquet et le pouvoir
exécutif en maintenant leur lien dans l'établissement et la réalisation de la politique pénale, mais en
proposant la suppression des instructions de la Chancellerie sur les dossiers particuliers. D'autres
points du rapport visaient à renforcer le secret de l'instruction tout en réaffirmant le principe de la
liberté d'expression des médias, ainsi qu'à réformer le CSM pour garantir davantage d'indépendance
aux magistrats. Sur la procédure pénale, deux mesures principales étaient présentées : le retrait du
pouvoir de mise en détention des mains du juge d'instruction dont la décision serait réservée à une
collégialité de juges, et l'intervention de l'avocat à la première heure de la garde à vue.
Plus proches de nous sont les années 2000 qui affichent une société en pleine mutation. La loi
du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, promue par Elizabeth Guigou, Garde des Sceaux, a
inauguré la création du statut de « témoin assisté » et redéfini les critères de la mise en examen dans
le déroulement de l'instruction, mais surtout elle a entériné la création du juge des libertés et de la
détention (JLD) confisquant au juge d'instruction ses prérogatives relatives à la décisions de
placement en détention provisoire et de remise en liberté.
Le développement des nouvelles formes d'une criminalité toujours grandissante a conduit à
envisager une justice capable d'amener une réponse rapide et efficace. En ce sens, la loi du 9 mars
2004 dite « Perben II » a apporté plusieurs novations telles que l'institution des juridictions inter-
régionales spécialisées (JIRS) et le renforcement du droit à l'information de la victime au cours de la
procédure. En marge, le législateur a opéré un glissement vers une « justice parquetière » reprise en
main par l'exécutif : l'élargissement des possibilités de négociation et des pouvoirs quasi-
juridictionnels ont fait du Parquet l'acteur prédominant de la procédure pénale. À cette aune, la loi
Perben II a considérablement renforcé les compétences des services enquêteurs, étendu le domaine
de la composition pénale et introduit dans la phase du jugement la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité (CRPC) permettant à toute personne mise en cause de bénéficier de peines
allégées en échange d’une reconnaissance des faits. Enfin, cette loi a consacré la pratique des
instructions individuelles selon lesquelles le Garde des Sceaux peut enjoindre au Parquet d’engager
18
ou de faire engager les poursuites, ou de saisir la juridiction de jugement de « telles réquisitions
écrites que le ministre juge opportunes ».
Le coup fatal à l'institution du juge d'instruction est porté en 2006. L'affaire « Outreau » a
provoqué un véritable séisme judiciaire dont les retentissements ont précipité une prise de
conscience sur l'ambiguïté de son rôle, en particulier sa double casquette de « juge-enquêteur ». En
réalité, l'agitation intellectuelle qui s'en est suivie s'est inscrite dans une contagion de dérives
récentes qui n'ont eu d'autre effet que de réveiller les doutes sur la légitimité de notre compromis
inquisitoire maintes fois remanié au travers des réformes successives.
La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale a été adoptée dans
le but de remédier aux dysfonctionnements mis en évidence à l'occasion de cette affaire, il s'agit de
renforcer la place du juge d'instruction au sein d'une procédure plus contradictoire en contrepoint.
Vingt ans après sa proposition par Robert Badinter, la collégialité de l'instruction est consacrée par
la loi et devrait entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2011. Toutefois, le législateur s'est d'ores et
déjà employé à regrouper géographiquement les juges d'instruction en généralisant l'expérience des
pôles d'instruction ainsi et en élargissant les hypothèses de co-saisine depuis le 1er mars 2008.
Mais à la surprise générale, le Président de la République Nicolas Sarkozy a fait l'annonce de
la suppression du juge d'instruction, en réponse à la crise de confiance qui a secoué l'ensemble du
corps social. Le souci de moderniser et de simplifier une procédure pénale devenue trop complexe à
la suite d'un enchevêtrement de textes qui ont restreint le rôle du juge d'instruction au sein d'une
procédure inquisitoire affaiblie par l'introduction graduelle du contradictoire.
Le comité présidé par Philippe Léger propose une réforme d'ampleur de la procédure pénale
au travers de la suppression du juge d'instruction, par la création d'un nouveau juge indépendant qui
contrôlera le déroulement d'un cadre unique d'enquête dirigé par un Parquet hiérarchisé. Or,
l’équilibre des pouvoirs nécessite d’offrir des garanties à la justice pour qu’elle puisse faire son
travail en toute indépendance et au justiciable pour qu'il constitue un contre-pouvoir effectif. Une
justice certes respectueuse des libertés individuelles mais aussi égale pour tous, sans que les
relations au pouvoir politique ne permettent d’étouffer des affaires fâcheuses pour le pouvoir.
Si la suppression du juge d'instruction est une problématique historique qui se retrouve au
prisme des préoccupations actuelles (Partie 1), l'avant projet de réforme du Code de procédure
19
pénale du 2 mars 2010 concrétise la volonté politique d'une mort annoncée qui semble finalement
avoir été repoussée aux calendes grecques (Partie 2).
PARTIE 1 : LA SUPPRESSION DU JUGE D'INSTRUCTION, UNE PROBLÉMATIQUE HISTORIQUE
AU PRISME DES PRÉOCCUPATIONS ACTUELLES
La question de la suppression du juge d'instruction est une problématique qui resurgit au
carrefour de l'Histoire. Le débat s'est ouvert au lendemain du Code de l'instruction criminelle de
1808 bien qu'au fil des régimes, rares sont ceux qui ont osé remettre en cause le symbole de
l'héritage de notre vieux compromis inquisitoire.
Néanmoins, quelques projets émanant d'activistes convaincus à l'instar de René Garraud,
Henri Donnedieu de Vabres, Robert Badinter ou encore Mireille Delmas-Marty ont chacun leur tour
marqué un courant dissident, la proposition d'une voie alternative à la disparition du juge
d'instruction, sans jamais éclore d'une réforme au grand jour.
Outre les affaires politico-financières qui firent la gloire du juge d'instruction, les erreurs, abus
ou errements judiciaires mis en exergue lors des affaires « Bruay-en-Artois », « Grégory » ou
encore « Outreau » ont provoqué une crise de confiance concourant à l'immixtion du politique dans
la sphère judiciaire. Car la sensibilisation de l'opinion publique paraît aujourd'hui peu favorable au
sort du juge d'instruction, les critiques s'étant intensifiés depuis les années 1970.
L'impulsion des normes européennes a également transformé notre droit procédural en
promouvant, face au système inquisitoire coutumier, des principes tels que les droits de la défense,
l'égalité des armes, la présomption d'innocence et la célérité de la procédure qui découlent de la
pénétration du contradictoire.
Il importera d'abord d'étudier les attributions actuelles du juge d'instruction dans le procès
pénal (Titre 1), avant de prodiguer les principales causes de la suppression annoncée du magistrat le
plus controversé de l'ordre judiciaire (Titre 2).
20
Titre 1 : Les attributions actuelles de la juridiction d'instruction dans le procès pénal
En France, le principe général de séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de
jugement au sein de notre procédure pénale garantit l'intervention successive du parquet, du juge
d'instruction et du juge pénal qui, restant indépendants les uns à l'égard des autres, disposent
respectivement de fonctions spécifiques qui ne doivent pas se confondre. Le principe se retranscrit
chronologiquement dans les différentes phases de la procédure pénale.
Ainsi, les magistrats chargés des poursuites ont d'abord pour tâche de diligenter des
recherches ayant pour but la découverte de l'infraction, étant conduites par la PJ constituant un
corps spécialisé placé sous sa direction16. Les services de police interviennent aux prémisses du
processus pénal sur ordre du Procureur de la République dans plusieurs cas : sur plainte d'une
victime, sur dénonciation ou sur constatation d'une infraction. Deux régimes d'enquête sont à
distinguer selon la temporalité de la commission de l'infraction, à savoir l'enquête préliminaire ou
l'enquête de flagrance. L'enquête policière permet ainsi de recueillir les premiers renseignements en
recourant à des actes d'investigation de plus en plus étendus, notamment la mesure de garde à vue,
lesquels vont permettre au parquet d'apprécier l'opportunité des poursuites.
L'institution d'une juridiction d'instruction distincte de la juridiction de jugement organise une
phase d'instruction préparatoire (ou information judiciaire) dédiée à la recherche de la vérité dans la
phase pré-sentencielle du procès pénal. Le CPP intègre, dans son livre premier « de l'exercice de
l'action publique et de l'instruction », un titre troisième « des juridictions d'instruction » qui traite,
dans ses articles 79 à 190, « du juge d'instruction : juridiction du premier degré », à savoir son rôle
et ses pouvoirs ainsi que, dans ses articles 191 à 230, « de la chambre de l'instruction : juridiction
d'instruction du second degré » qui connaît des appels et des nullités.
L'ouverture d'une information judiciaire ne peut avoir lieu qu'après la mise en mouvement de
l'action publique par le Parquet, c'est le critère retenu par Jean Pradel dans sa définition de
16 Citons la règle selon laquelle l'OPJ avise le parquet dès qu'il a identifié une personne sur laquelle pèsent des indices de culpabilité.
21
l'instruction préparatoire comme « la phase du procès pénal au cours de laquelle, l’action publique
étant mise en mouvement, des organes judiciaires spécialisés recueillent les éléments nécessaires au
jugement et décident de la suite à donner à la poursuite »17. Autrement dit, il s'agit d'une étape
spécifique qui appelle l'intervention d'un organisme juridictionnel poursuivant la recherche des
preuves en vue d'apprécier s'il existe des charges suffisantes pour ordonner la mise en jugement18.
L'instruction préparatoire attribue une place centrale au juge d'instruction dans la mesure où il
est l'intervenant directeur de la procédure (Chapitre 1), son rôle de juge-enquêteur attise de larges
pouvoirs dont l'exercice demeure toutefois soumis au contrôle de la chambre de l'instruction
(Chapitre 2).
Chapitre 1 : La place du juge d'instruction au cœur de l'instruction préparatoire
Le juge d'instruction poursuit sa tâche en deux temps. Dans un premier temps, il recherche et
rassemble les preuves des infractions par le biais de moyens légaux d'enquête afin d'identifier les
responsables et de déterminer leur part de responsabilité. Il instruit à charge et à décharge, ce qui
implique qu'il exerce ses fonctions en pleine impartialité et indépendance. Sur la base de ces
éléments, il constitue le dossier pénal dont le travail de mise en forme passe par la classification de
ses éléments de sorte à en assurer sa lisibilité19 et par l'éclairage sur la personnalité de l'auteur. Dans
un second temps, le juge d'instruction statue sur la suffisance des charges relevés et qualifie les faits
retenus, il décide alors des suites à donner à l'affaire en ordonnant soit le non-lieu, soit le renvoi de
la personne poursuivie devant une juridiction de jugement.
C'est le Président du TGI qui désigne le juge qui sera en charge de l'affaire et, étant lui-même
un magistrat du siège, le procédé de désignation lui assure une indépendance à l'égard de l'exécutif.
Un système de roulement est organisé dans un tableau répartissant des périodes de permanence en
fonction du calendrier20. Une fois désigné, le juge d'instruction est maître de ses dossiers, il conduit
17 J-P DOUCET, Dictionnaire de droit criminel sur internet : ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire18 Par combinaison des art. 81 et 176 CPP19 Le droit canonique consacrait déjà cette dimension formaliste en considérant que l'instruction est « tout ce qui se
fait pour mettre le procès en état d'être jugé ». Aujourd'hui, le dossier d'instruction est constitué de plusieurs sous-dossiers classifiés selon des côtes de « A » à « E ».
20 Art. D. 30 CPP
22
librement l'information à travers ses investigations et décide seul des suites à donner à l'affaire.
Notons qu'en cas d'urgence, un autre juge d'instruction peut se substituer au juge initialement
désigné.
La loi encadre strictement les cas de dessaisissement qui demeurent rares. Le Président du
TGI peut, pour des raisons de « bonne administration de la justice »21, remplacer le juge
d'instruction par un autre. La chambre de l'instruction bénéficie de la possibilité de retirer un dossier
au juge d'instruction lorsqu'elle annule ou infirme une ordonnance, de même que la chambre
criminelle de la Cour de cassation, pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique.
De la même manière, le Président de la Cour d'appel peut récuser le juge d'instruction à la
demande d'une partie s'il entretient des liens avec l'une d'entre elles de nature à porter des soupçons
graves sur sa partialité22. Le juge d'instruction peut également se récuser lui-même après
autorisation du président de la Cour d'appel23. En outre, il existe plusieurs mesures ponctuelles
permettant de pallier la vacance éventuelle du juge d'instruction, soit le Président de la Cour d'appel
affecte le juge d'instruction du ressort d'un autre tribunal pendant une durée de deux mois, soit le
Président du TGI désigne un juge en remplacement du juge d'instruction.
Depuis la loi du 5 mars 2007 sur l'équilibre de la procédure pénale, les juges d'instruction sont
regroupés au sein des pôles d'instruction qui tiennent lieu d'un regroupement de plusieurs juges
d'instruction réunis dans les juridictions les plus importantes24, tandis qu'on assistera peut-être à la
généralisation de la collégialité25. Désormais, en cas de dossier grave ou complexe, le Président du
TGI peut désigner un ou plusieurs juges pour être adjoints au juge d'instruction chargé de
l'information26. Si un juge d'instruction est déjà saisi, il rend une ordonnance de dessaisissement aux
fins de co-saisine en vertu de l'article 118 CPP. Il en va de même lorsque le juge d'instruction se
dessaisit au profit des juridictions d'instruction spécialisés.
L'acteur institutionnel privilégié qu'est le juge d'instruction dont l'intervention est légalement
encadrée (Section 1), dispose de la libre conduite de l'information judiciaire précédant la phase de
jugement à l'issue de laquelle il reste maître du choix de l'orientation du dossier (Section 2).
21 Art. 84 CPP22 Art. 669 CPP23 Art. 668 CPP24 Art. 52-1 CPP25 Art. 83 CPP26 Art. 83-1 CPP
23
Section 1 : L'ouverture d'une information judiciaire
L'ouverture d'une information judiciaire intervient consécutivement à la mise en mouvement
de l'action publique par le parquet. On envisagera d'abord la compétence (I) puis la saisine du juge
d'instruction (II).
I/ La compétence du juge d'instruction
Tout juge ne peut être saisi d'une cause que s'il dispose du pouvoir de la juger. Les normes sur
l'organisation judiciaire ainsi que les règles fixées dans le CPP déterminent le pouvoir du juge
d'instruction d'être saisi afin de connaître des faits pénalement répréhensibles. Ce pouvoir réside
dans la compétence du juge et s'envisage sous plusieurs formes, lesquelles délimitent son champ
d'action. Le législateur a établi des règles générales de compétence (A) tout en introduisant des
règles dérogatoires du droit commun qui ont vocation à s'appliquer dans des cas plus spécifiques
(B).
A. Les règles de droit commun
Nous aborderons successivement la compétence matérielle (1), la compétence territoriale (2)
et la compétence à l'égard des personnes (3) dont est tributaire le juge d'instruction.
1/ Ratione materiae
L'article 79 CPP dispose que « l'instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime ;
sauf dispositions spéciales, elle est facultative en matière de délit ; elle peut également avoir lieu en
matière de contravention si le procureur de la République le requiert en application de l'article 44 ».
La compétence du juge d'instruction est donc obligatoire en matière criminelle, car il s'agit des
infractions les plus graves qui nécessitent les investigations les plus poussées sur les faits et sur la
personnalité de l'auteur. Elle est facultative en matière délictuelle et exceptionnelle en matière
contraventionnelle. Le juge d'instruction est notamment compétent pour les délits de droit commun
qui présentent une certain degré de complexité, ainsi que pour les infractions spécifiques qui s'y
rattachent. En outre, la compétence du juge d'instruction en matière de contravention est limitée à la
24
possibilité pour le procureur de la République de requérir l'ouverture d'une information, en vertu de
l'article 44 CPP, pour tous les faits dont il est informé et qu'il aurait dénoncé aux officiers du
ministère public près des juridictions de proximité de son ressort.
2/ Ratione loci
La compétence territoriale du juge d'instruction se définit selon trois critères principaux au
regard de l'article 52 CPP. Est ainsi compétent le juge du lieu de l'infraction, celui du lieu
résidence de l'une des personnes soupçonnées ou celui du lieu d'arrestation alors même que
l'arrestation est intervenue pour une autre cause. La loi du 9 mars 2004 a ajouté un quatrième critère
qui est celui du lieu de détention, alors même que la détention est effectuée pour une autre cause.
Ce qui permet au juge d'instruction du lieu où la personne mise en examen a été incarcérée de suivre
effectivement le dossier. De plus, l'article 90 CPP impose au juge d'instruction de soulever, après
réquisitions du parquet, son incompétence territoriale en prenant une ordonnance qui renvoie la
partie civile à se pourvoir devant la juridiction compétente.
3/ Ratione personae
Le juge d'instruction bénéficie d'une compétence générale à l'égard des personnes, la loi ne
distinguant pas selon la nationalité de la personne qu'il soit français ou étranger, il suffit que
l'infraction ait été commise sur le territoire français.
B. Les règles exorbitantes du droit commun
Les règles dérogatoires ont été instaurées dans le but de réserver un traitement spécifique eu
égard à la personne mise en examen ou à la nature de l'infraction : à savoir les mineurs (1), les
personnes bénéficiant d'un privilège de juridiction (2), les infractions relevant d'un régime
particulier (3) ainsi que les infractions aspirant à une extension de la compétence territoriale (4).
1/ Les infractions commises par les mineurs
L'ouverture d'une information judiciaire suit les règles de compétence matérielle, le juge
d'instruction est saisi obligatoirement en matière criminelle et facultativement pour les autres cas.
Le président de la Cour d'appel va alors désigner un ou plusieurs juges d'instruction spécialisés en
25
matière des mineurs. Cependant, tous les TGI ne disposent pas d'une juridiction des mineurs en leur
sein et, le cas échéant, le juge d'instruction ne sera saisi que provisoirement du dossier et devra se
dessaisir à court terme au profit d'un juge d'instruction plus spécialisé.
2/ Les privilèges de juridiction
Certaines personnes en raison de leur qualité bénéficient de dispositions particulières qui vont
avoir pour objet soit de les immuniser contre toute poursuite, soit de différer l'enclenchement de la
procédure ou soit de faire échec à la compétence du juge naturel au profit d'un organe juridictionnel
spécialisé.
Tel est le cas du Président de la République dont la responsabilité pénale peut être engagée par
la Haute Cour de Justice et s'il doit être mis en cause, l'ouverture de l'enquête sera retardée à
l'achèvement de son mandat. Les ministres répondent des crimes et des délits qu'ils commettent
dans l'exercice de leurs fonctions devant la Cour de Justice de la République, comprenant
l'intervention d'une commission d'instruction composée de Hauts magistrats qui instruit les affaires.
Le juge d'instruction peut tout de même recueillir le témoignage d'un ministre en demandant
l'autorisation au Conseil des ministres.
Les parlementaires jouissent d'une immunité absolue s'agissant de leurs opinions et de leurs
votes27, et s'agissant des actions pénales qui visent des actes accomplis en tant que simples citoyens.
La révision constitutionnelle du 4 avril 1995 a néanmoins réduit la portée de l'inviolabilité car le
parlementaire n'est désormais plus à l'abri d'une éventuelle mise en examen. L'article 26 de la
Constitution dispose que les parlementaires ne peuvent faire l'objet d'une arrestation ou d'une
mesure restrictive de liberté sans l'autorisation du Bureau de leur assemblée respective, sauf en cas
de crime ou de délit flagrant ou de condamnation définitive.
Les diplomates (ambassadeurs, négociateurs etc.) bénéficient également d'une immunité totale
contre les poursuites, ils ne peuvent être cités que comme simple témoin, le juge d'instruction
devant recueillir au préalable l'aval du pays concerné.
Enfin, la loi du 4 janvier 1993 a abrogé le privilège de juridiction dont bénéficiaient les
27 L'irresponsabilité des députes et sénateurs est établie par la Constitution dont l'article 26, dans son premier alinéa, dispose « qu'aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ».
26
magistrats, les maires et certains fonctionnaires auteurs de délits dans l'exercice de leurs fonctions
au profit de juges d'instructions souvent éloignés de leur circonscription.
3/ Les infractions particulières
Les suppressions successives de la Cour de sûreté de l'État par la loi du 4 août 1981 et des
Tribunaux permanents des forces armées (TPFA) en temps de paix par la loi du 21 juillet 1982, ont
consacré l'existence d'un TGI dans le ressort de chaque Cour d'appel ayant compétence pour
instruire et juger les affaires militaires et relatives à la sûreté de l'État.
En matière économique et financière, la loi du 6 août 1985 institue des pôles d'instruction
spécialisés auprès de chaque Cour d'appel et des plus grands TGI. Le but est de permettre
l'intervention de magistrats instructeurs spécialisés dans l'instruction des dossiers les plus
complexes. Dans le même temps, le législateur a instauré un pôle santé destiné à permettre aux
juridictions d'instruction initialement saisies de se dessaisir pour les infractions les plus complexes
au profit de la juridiction d'instruction de Paris plus spécialisée, notamment en matière de pollution
maritime28 ou de santé publique29.
À la suite d'une vague d'attentats perpétrés dans les années 1980, la France s'est dotée depuis
la loi du 9 septembre 1986 d'un pôle anti-terroriste au profit de la juridiction d'instruction de Paris.
Le législateur a aménagé une compétence concurrente, nationale et facultative en la matière. Le
procureur de la République a donc la faculté, en fonction des implications des actes terroristes, soit
de saisir un juge d'instruction local ou soit de saisir un juge d'instruction parisien spécialisé.
Plus récentes, les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) créées par la loi du 9 mars
2004 ont permis de regrouper dans les plus grands TGI des magistrats du parquet et de l’instruction
possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance
financière dans des affaires présentant une grande complexité.
28 En application de l'art. 706-108 du Code de l'environnement, ont été traitées les affaires de l'Erika, ELF, Total etc.29 Les dossiers instruits par ce pôle sont nombreux, rappelons-nous entre autres ceux de la maladie de Contre-jambage et de l’Encéphalopathie Fongiforme Bovine (ESB), des cancers de la thyroïde dus à l’exposition a nuage de Tchernobyl, des vaccinations contre l’hépatite B et de ses conséquences, du sang contaminé, des cancers de la plèvre dus à l’exposition à l’amiante à la RATP et à Jussieu mais aussi plus récemment l'explosion de l'usine AZF etc.
27
4/ Les extensions de compétence territoriale
En matière de navigation aérienne, les juridictions françaises sont compétentes pour toutes les
infractions commises à bord d'un aéronef immatriculé en France ou à l'encontre d'un tel appareil
hors du territoire français. Il en va de même lorsque l'auteur ou la victime est française mais que
l'aéronef est immatriculé à l'étranger ou lorsque celui-ci atterrit en France après commission de
l'infraction, c'est l'application du critère de nationalité qui prévaut.
Lorsque des crimes ou des délits ont été commis à l'étranger30, les juridictions françaises sont
compétentes dès lors que l'auteur ou la victime est française, ou qu'il existe un des éléments
constitutifs de l'infraction rattachés à la France.
II/ Les modalités de saisine du juge d'instruction
Le juge d'instruction ne peut s'auto-saisir. La mise en mouvement de l'action publique est
l'acte de poursuite préalable à l'ouverture d'une information judiciaire. Le CPP distingue des
modalités de saisine relevant du droit commun (A) et relevant de cas spécifiques (B), lesquelles
produisent des effets qui vont délimiter le champ d'action du juge d'instruction à l'égard de ses actes
et des personnes mise en cause (C).
A. Les saisines de droit commun
En vertu de l'article 51 CPP, l'ouverture d'une information judiciaire exige soit un réquisitoire
introductif à fin d'informer émanant du Procureur de la République (1), soit une plainte avec
constitution de partie civile émanant de la victime d'une infraction (2). Depuis la loi du 5 mars 2007,
le juge d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République.
1/ Le réquisitoire introductif du Parquet
Le parquet apprécie l'opportunité des poursuites et reçoit les plaintes, les dénonciations et les
30 Encore récemment, on se souvient de l'affaire des bébés congelés qui ont aboutit à l'ouverture d'une information judiciaire en 2007 amenant le juge d'instruction à se déplacer hors du territoire français pour procéder à ses investigations.
28
signalements31. L'enquête policière précède en règle générale le déclenchement des poursuites
puisque les actes d'investigation accomplis par la police judiciaire placée sous la direction du
Parquet ont précisément pour objet d'éclairer sur l'opportunité des poursuites32. Il décide en
conséquence de l'ouverture d'une information judiciaire dans le respect des règles de
compétence du juge d'instruction. Dès lors qu'il constate une infraction relevant d'un crime ou s'il
l'estime nécessaire pour un délit ou une contravention, le Parquet saisit le juge d'instruction par un
réquisitoire introductif qui est une pièce de procédure écrite écartant par là même la citation directe
devant la juridiction de jugement33.
Dans le Traité de droit criminel, Merle et Vitu définissent le réquisitoire introductif comme
« un acte daté et signé par le Procureur de la République ou un substitut, et par lequel le juge
d’instruction est requis d’informer contre un individu, déterminé ou inconnu, concernant la ou les
infractions qui résultent des pièces jointes au réquisitoire (…). Les précisions concernant les faits
soumis au juge d’instruction sont extrêmement importantes, car ce sont elles qui déterminent le
champ exact de sa compétence ».
En vertu du réquisitoire introductif, le Procureur de la République va donc requérir le juge
d'instruction à fin d'informer sur des faits matériels, il n'est saisi que de l'action publique qui
implique de sanctionner une atteinte aux intérêts de la société. De plus, le réquisitoire introductif
peut être pris contre personne dénommée, auquel cas la personne visée bénéficie immédiatement
des droits de la défense, ou non dénommée, auquel cas le juge d'instruction devra au préalable
vérifier la suffisance des charges pour pouvoir mettre une personne en examen34. En outre, dans
certains domaines, le parquet ne peut agir sans l'accord de l’administration à laquelle est rattachée
l'auteur, concernant les infractions fiscales ou de change, en matière militaire.
Le réquisitoire introductif comporte certaines formes légales dont le respect garantit sa
validité, en particulier la date et la signature35 qui sont des éléments substantiels. Car si « le
procureur tient des article 40, 41 et 80 le droit de requérir l'ouverture d'une information au vu de
tout renseignement dont il est destinataire, le réquisitoire introductif ne peut être annulé que s'il ne
31 Art. 40 CPP32 Art. 41 CPP33 Lexique des termes juridiques, Dalloz.34 Art. 80 CPP35 La signature permet d'identifier l'autorité compétente dont émane les réquisitions, l'usage de formules imprimées ne
remet pas en cause la validité du document dès lors que la signature confère l'authenticité à toutes les énonciations qu'elles soient manuscrites ou imprimées.
29
satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale »36. L'invocation de la
nullité doit d'ailleurs être soulevée devant les premiers juges, avant toute défense au fond37. Mais le
réquisitoire introductif reste valable quand bien même certains documents annexés ou visés sont par
la suite reconnus comme irréguliers ou annulés38, ou encore en cas de disparition de pièces dès lors
que les mentions portées sur d'autres actes certifient son existence et en établissent la teneur39.
2/ La plainte avec constitution de partie civile
L'article 85 CPP dispose que « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit
peut en portant plainte se constituer partie civile devant le pôle de l'instruction ». La plainte avec
constitution de partie civile permet à une personne ou à une association de défense des victimes40 de
déclencher les poursuites et devenir partie civile au procès, en saisissant le juge d'instruction à la
fois de l'action publique et de l'action civile, cette dernière tend à la réparation de son préjudice.
La plainte avec constitution de partie civile consiste en une lettre datée et signée par
l’intéressé qui est adressée au Doyen des juges d’instruction. Son auteur indique les faits dont il
estime avoir été victime et précise qu’il en demande réparation. Il mentionne également l’adresse à
laquelle les actes de procédure devront lui être notifiés41. La constitution de partie civile est
conditionnée au dépôt d'une première plainte restée infructueuse : en l'occurrence, soit qu'il y ait
eu au préalable une décision de classement sans suite du Procureur de la République à la suite d'une
plainte déposée devant lui ou un service de PJ, soit après un délai de trois mois à partir du dépôt de
plainte devant ce magistrat ou envoi de la copie d'une plainte déposée devant un service de PJ42.
Après avoir statué sur la recevabilité de la plainte et fixé le montant de la consignation, le juge
d’instruction doit sur le champ la communiquer au Procureur de la République afin qu’il puisse
prendre ses réquisitions43. Il peut demander au juge d'instruction soit à entendre la partie civile, soit
de ne pas poursuivre, soit demander l'ouverture d'une instruction. En principe, il aura donc le devoir
36 Cass.crim. 5 juin 2002 : Bull. crim. N° 129 ; D. 2003. Somm. 35, obs. Pradel ; JCP 2002. IV. 2368 ; RSC 2002. 840, obs. Commaret
37 Crim. 19 octobre 1985 : pourvoi n° 94-81. 397.38 Crim. 25 mai 1927 : Bull. crim. n° 13139 Crim. 15 novembre 1993 : Bull. crim. n° 338 ; D. 1994. Somm. 188, obs. Pradel40 L'association doit être déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, d'avoir pour vocation, par leurs statuts, de défendre ou d'assister une victime, d'avoir recueilli l'accord de la victime ou du titulaire de l'autorité parentale ou du représentant légal.41 Art. 89 CPP42 Art. 85 CPP43 Art. 86 CPP
30
d’informer sur les faits qui auront été dénoncés quand bien même le Procureur de la République
aurait pris des réquisitions de non-lieu, sauf pour des causes affectant l'action publique elle-même,
par exemple lorsque les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou s'ils ne tombent pas
sous le joug d'une qualification pénale ou en cas de prescription acquise de l'action publique.
Dans le cas où le juge d'instruction déciderait de passer outre l'avis du procureur de la
République, il doit statuer par une ordonnance motivée appelée ordonnance de soit-informé. Il fixe
alors le montant de la consignation en fonction des ressources de la victime. S'il rend une
ordonnance de non-lieu, les parties disposent d'un droit d'appel dans les dix jours de sa notification
au greffe du juge d'instruction.
L'article 87 CPP dispose que la constitution de partie civile peut avoir lieu « à tout moment au
cours de l'information ». Lorsque le parquet a déjà saisi le juge d'instruction de l'action publique, la
personne victime de l'infraction peut ainsi saisir le juge d'instruction de l'action civile. La
constitution de partie civile qui n'aurait pas été effectuée devant le juge de l'instruction, peut se faire
devant la chambre de l'instruction jusqu'à ce que soit intervenu l'arrêt de clôture44, mais pas quand la
plainte vise des faits nouveaux à la poursuite initiale45. Cette constitution de partie civile dite « à
titre incident » peut faire l'objet d'une contestation par le parquet et les parties, qui oblige le juge
d'instruction à statuer, de même en cas d'irrecevabilité, par une ordonnance motivée susceptible
d'appel.
B. Les saisines spécifiques
Le Code de procédure pénale envisage également des saisines intervenant dans des cas
spécifiques :
La recherche des causes de la mort (RCM) dans le cadre de la découverte d'un cadavre, qu'il
s'agisse ou non d'une mort violente, mais si la cause en est inconnue ou suspecte46. Dans un tel cas,
le parquet, informé par l'OPJ, dirige des investigations qui, au delà de huit jours, peuvent se
poursuivre dans les formes de l'enquête préliminaire. L'article 74 CPP lui donne ainsi la possibilité
au procureur de la République de requérir l'ouverture d'une information pour RCM en délivrant un
réquisitoire introductif. Le juge d'instruction sera chargé d'établir les causes du décès en demandant
44 Crim. 25 juin 1937 : DP 1938. 1. 48, note G. L. ; S. 1939. 1. 113, note Hugueney45 Crim. 5 juillet 1977 : Bull. crim. n° 252 ; D. 1977. IR. 39646 Art. 74 CPP
31
une autopsie et en effectuant divers actes d'enquête. Le procureur de la République peut également
saisir le juge d'instruction en cas de disparition d'un mineur ou d'un majeur protégé, aux fins de
découvrir la personne disparue47. Pour cela, il procède à tout acte utile à la manifestation de la vérité
selon les formes prescrites pour la conduite de l'instruction. Il peut déléguer par le biais de
commissions rogatoires l'exécution des actes d'enquête aux OPJ. Il peut notamment faire procéder,
sous son autorité et sous son contrôle, aux interceptions des correspondances émises par voie des
télécommunications qui ne peuvent excéder une durée de deux mois renouvelables. Les membres de
la famille ou les proches de la personne décédée ou disparue peuvent ainsi se constituer partie civile
à titre incident48. La loi inclut un tempérament à l'exercice de leurs droits en ce qui concerne la
découverte de la personne disparue, l'adresse ou les documents permettant de la localiser ne peuvent
être communiqués à la partie civile qu'avec l'accord de l'intéressé, s'il est majeur, ou avec l'accord
du juge d'instruction, s'il est mineur. Enfin, une fois les recherches terminées, le juge d'instruction
transmet le dossier au parquet et décide des suites de la procédure.
Dans le cadre d'une infraction flagrante, le juge d'instruction présent sur les lieux disposaient
autrefois d'un pouvoir étendu puisque, conformément à l'ancienne rédaction de l'article 72 CPP, le
Procureur de la République ainsi que les OPJ étaient dessaisis de plein droit à son profit. Le juge
d'instruction accomplissait alors tous les actes de police judiciaire prévus dans le cadre d'une
enquête en flagrance et pouvaient prescrire à tous les OPJ de poursuivre les opérations. Mais depuis
la loi du 23 juin 1999, le juge d’instruction ne dessaisit plus l’OPJ et le procureur de la République
en arrivant sur une scène de crime, de fait il ne peut plus prendre seul l’initiative des investigations,
car la nouvelle rédaction de l'article 72 CPP énonce que le juge d’instruction doit être saisi par le
parquet pour initier des investigations sur les lieux d’une enquête flagrante, c'est le procureur de la
République qui va requérir l’ouverture d’une information.
C. Les effets de la saisine
La saisine du juge d'instruction produit des effets à l'égard de son champ d'action délimité par
le réquisitoire délivré par le Procureur de la République (1), ainsi qu'à l'égard des droits des parties
(2).
47 Art. 74-1 CPP48 Art. 80-4 CPP
32
1/ L'étendue de la saisine
Quelque soit le mode de saisine, le juge d'instruction se trouve saisi « in rem », et non « in
personaem »49. Autrement dit, il ne peut instruire que sur les faits matériels indiqués dans l'acte qui
le saisit50 et ne peut étendre son information à d'autres faits délictueux.
Le réquisitoire détermine ainsi l'objet et l'étendue de la saisine du juge d'instruction et permet
de circonscrire le champ de ses investigations. Cette saisine s'étend aux circonstances dans
lesquelles les faits ont été commis, au visa des textes d'incrimination ainsi qu'aux circonstances
aggravantes. La saisine du juge d'instruction revêt un caractère irrévocable dès lors que les
réquisitions du Procureur de la République tendant à restreindre l'étendue de la saisine en cours
d'information sont inopérantes51. Toutefois, le juge d'instruction n'est pas lié par la qualification des
faits opérée par le procureur de la République dans le réquisitoire introductif.
La chambre criminelle veille au respect de la règle en posant le principe selon lequel « il est
interdit aux juges de se fonder sur des faits distincts de ceux sur lesquels reposent la poursuite »52.
Cependant, lorsque des faits nouveaux sont survenus depuis le début de l'information, le juge
d'instruction les communique au Procureur de la République qui va apprécier l'opportunité des
poursuites, et décidera éventuellement d'étendre la saisine initiale du juge en vertu d'un réquisitoire
supplétif selon les modalités prévues à l'article 80 CPP. Le parquet dispose d'une large latitude dans
le choix et peut alors décider soit que le juge d'instruction informe sur ces nouveaux faits, soit
requérir l'ouverture d'une information distincte, soit saisir la juridiction de jugement, soit ordonner
une enquête, soit décider d'un classement sans suite ou d'une mesure alternative aux poursuites, soit
transmettre les plaintes et les procès-verbaux au procureur de la République territorialement
compétent.
Et même s'il est saisi « in rem », le juge d'instruction n'est pas tenu de limiter son information
aux seules personnes désignées dans l'acte de saisine de sorte qu'il peut mettre en examen toutes les
personnes dont il estime leurs responsabilités en cause dans les faits dont il est saisi.
49 En effet, l'action du juge d'instruction n'est pas dirigée contre une personne déterminée car il doit rechercher toutes les personnes dont la responsabilité est en cause dans la commission d'une infraction.
50 Crim. 10 mai 1973 : Bull. crim. n° 21751 Crim. 24 mars 1977 : Bull. crim. n° 11252 Crim. 8 janvier 1976 : Bull.crim. n°7
33
2/ À l'égard des parties
Une fois le juge d'instruction saisi, celui-ci prend connaissance des pièces de l'enquête
rassemblées pendant la phase policière et oriente ses investigations. Il indique aux parties la durée
du déroulement de l'instruction qu'il envisage, dans la limite d'un an en matière délictuelle et de dix-
huit mois en matière criminelle53.
Dès le début de l'instruction, le juge doit informer la victime de l’ouverture de la procédure
et de son droit de se constituer partie civile ainsi que des modalités d'exercice de ce droit54. Lorsque
la victime est mineure, l'avis est donné à ses représentants légaux. Cette information peut se faire
par lettre simple, dont la copie peut être versée au dossier. Elle peut également se faire lors de
l'audition de partie civile ou part les enquêteurs agissant sur commission rogatoire, dans la mesure
où la victime est identifiée. Si la victime est identifiée en cours d'instruction, c'est à ce moment là
que l'information de son droit à se constituer partie civile devra être effectuée. Elle pourra dès lors
bénéficier de l'aide juridictionnelle si elle remplit les conditions ou d'une assurance de protection
juridique. Aussi, le juge avise tous les six mois la partie civile de l'avancement de l'information
selon les mêmes modalités.
Il peut décider de la mise en examen d'une personne afin de procéder à des actes d'enquête
qui seront dirigés sur elle, seulement s'il existe à son encontre des indices « graves ou concordants »
qui rendent vraisemblable sa participation, comme auteur ou comme complice, à la commission de
l'infraction dont il est saisi et ce, à peine de nullité55. En théorie, il ne peut procéder à la mise en
examen que si le statut du témoin assisté ne lui paraît pas ou plus accessible.
En effet, la loi du 30 décembre 1987 a introduit la procédure intermédiaire de témoin assisté
renforcée par la loi du 15 juin 2000 qui a instauré un régime progressif. Le témoin assisté est un
témoin peu banal puisqu'il n'est pas complètement étranger à la commission de l'infraction. En
conséquence, toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif, ou faisant l'objet
d'une plainte, ou mise en cause, contre laquelle existent de simples indices, sans justifier une mise
en examen, ne peut être entendue que comme témoin assisté56. La procédure de témoin assisté
permet ainsi à la personne mise en cause de bénéficier des droits de la défense afin d'éviter que le
53 Art 89-2 CPP54 Art. 80-3 CPP55 Art. 80-1 CPP56 Par combinaison des articles 113-1 et 113-2 CPP
34
juge d'instruction l'entende comme simple témoin, elle permet également de différer la mise en
examen jusqu'à ce que des indices suffisants soient caractérisés.
Deux hypothèses sont alors envisageables s'agissant de la mise en examen. Soit la personne
était antérieurement témoin assisté auquel cas elle peut demander au juge d'instruction, à tout
moment au cours de la procédure, à l'occasion de son audition ou par lettre recommandée avec
demande d'avis de réception, qu'il procède à sa mise en examen afin de bénéficier de l'ensemble des
droits de la défense57 ; ou le juge d'instruction peut décider seul de la mise en examen du témoin
assisté « s'il estime que sont apparus au cours de la procédure des indices graves ou concordants »58
de sa culpabilité. Ici, le juge d'instruction procède normalement à un IPC, mais il peut procéder à la
mise en examen par lettre recommandée si elle contient les formalités substantielles à peine de
nullité. Soit la personne n'était pas antérieurement témoin assisté auquel cas il survient des « indices
graves et concordants » à son encontre. La mise en examen implique alors un interrogatoire de
première comparution selon les formes prévues par l'article 116 CPP.
La mise en mouvement de l'action publique permet ainsi, dès l'ouverture de l'information
judiciaire, d'attribuer le statut des parties avec, pour la victime, l'audition de partie civile et, pour le
suspect, l'audition du témoin assisté et par exception l'IPC du mis en examen. La détermination de
la qualité des parties engendre la mise en oeuvre des droits de la défense, notamment le droit à
l'assistance d'un avocat, l'accès au dossier de l'instruction, les voies de recours et les demandes
d'acte, avec quelques tempéraments pour le témoin assisté. Toutefois, même si le recours au statut
de témoin assisté est aujourd'hui fréquemment utilisé dans les affaires relevant de la délinquance
financière (abus de confiance, escroquerie etc.), on remarque qu'il ne reste que très rarement
employé pour l'ensemble des infractions dont le juge d'instruction est saisi, ne se substituant guère à
la mise en examen encore aujourd'hui privilégiée.
Section 2 : Le déroulement de l'information judiciaire
L'instruction préparatoire (information judiciaire) s'inscrit dans une marche chronologique
qui envisage successivement la saisine du juge d'instruction, puis le déroulement de l'instruction à
travers la recherche des preuves qu'il accomplit (I), puis le moment de la clôture de l'instruction au
57 Art. 113-6 CPP58 Art. 113-8 CPP
35
terme de laquelle il décide des suites de l'affaire (II).
I/ La libre conduite de l'information : des garanties statutaires
Au cours de l'information, la mission principale du juge d'instruction consiste en la recherche
des preuves en vue de vérifier les charges qui pèsent sur le mis en cause qui va devenir ou redevenir,
à tout moment au cours de l'instruction, mis en examen ou témoin assisté. Les garanties statutaires
du juge d'instruction forgées par la loi sur l'organisation judiciaire ainsi que par les dispositions de la
CESDH font du juge d'instruction un magistrat indépendant (A) et impartial (B).
A. L'indépendance du juge d'instruction
L'indépendance du juge d'instruction à l'égard des pouvoirs institutionnels s'exprime plus
spécifiquement à l'égard du parquet, lequel délimite le champ de ses investigations. Autrefois il
n'était qu'un OPJ placé dans le giron du parquet lui-même rattaché hiérarchiquement au pouvoir
exécutif. Mais le juge d'instruction est aujourd'hui un magistrat du siège et, à ce titre, il est
indépendant et inamovible59.
Il est nommé par décret du Président de la République sur proposition du Garde des Sceaux,
après avis du Conseil Supérieure de la Magistrature (CSM) et, de surcroît, ne doit pas faire l'objet
d'une recommandation négative du jury de classement lors de sa sortie de l'École Nationale de la
Magistrature (ENM). Le juge d'instruction est avant tout un fonctionnaire incorporé au sein d'un
ordre judiciaire hiérarchisé qui demeure soumis au contrôle de la chambre de l'instruction et de son
président60, instituant ainsi un double degré de juridiction. De plus, sa désignation par le président
du TGI ainsi que le contrôle opéré par la Chambre de l'instruction et par son Président, qui sont eux-
mêmes des magistrats du siège, garantissent l'indépendance du juge d'instruction.
Il bénéficie d'une indépendance statutaire garantie par les règles constitutionnelles. L'article
64 de la Constitution fait du Président de la République « le garant de l'indépendance de l'autorité
judiciaire », le Conseil constitutionnel a dès lors la compétence de veiller à l'indépendance de
l'autorité judiciaire tant à l'égard du pouvoir législatif qu'à l'égard du pouvoir exécutif61, posant le
59 Art. 50 CPP60 Art. 220 CPP61 La décision du Conseil constitutionnel du 22 Juillet 1980 mentionne ainsi qu'« il n'appartient ni au législateur ni au
36
principe selon lequel seules les lois organiques - et non les lois ordinaires - peuvent régir le statut
des magistrats62.
Le juge d'instruction est également indépendant à l'égard des pressions médiatiques qui
peuvent être exercées lors des affaires sensibles par la soumission au secret de l'instruction en
vertu de l'article 11 CPP. La règle du secret de l'instruction est une composante ancienne mais
essentielle de la phase d'instruction préparatoire. Autrefois, elle s'imposait à tous avec une évidence
presque déconcertante, de sorte que les rédacteurs du Code de l'instruction criminelle de 1808
l'avaient passé sous silence63.
Le secret de l'instruction permet de garantir l'efficacité des investigations : il oblige toute
personne qui concourent à la procédure d'enquête et d'instruction à ne pas divulguer des
informations confidentielles dont elle a eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de ses
fonctions, hors des cas prévus par la loi, sous peine de sanctions pénales. Le juge d'instruction est
de facto soumis au secret dans le cadre de ses fonctions, d'autant que l'obédience reste due même si
l'information a été divulguée64.
Cependant, un juge d'instruction cité comme témoin devant une juridiction de jugement doit
répondre aux questions posées65, de même le secret de l'instruction n'interdit pas au juge
d'incorporer à une procédure pénale les éléments d'une autre procédure même en cours d'instruction
dès lors qu'ils sont de nature à éclairer et contribuer à la manifestation de la vérité66. Bien plus
encore, certains actes constituant des atteintes au secret ne seront pas sanctionnés s'ils sont justifiés
dans l'intérêt de la manifestation de la vérité67. Il est à noter que le Parquet ne peut se voir opposer le
secret de l'instruction car il doit impérativement bénéficier de l'accès à l'entièreté des informations
indispensables à l'exercice des fonctions qui lui sont dévolues par la loi.
gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à elle des injonctions et de se substituer à elle dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ».
62 C.CONSTIT., 21 février 1992 : Les lois organiques sont directement soumises à l'appréciation du Conseil constitutionnel, ce qui a pour effet de prévenir des changements imprudents portant sur le statut des magistrats.
63 A cette époque, le secret présentait un caractère absolu tant et si bien que les parties étaient tenues dans l'ignorance des charges retenues ou des actes d'investigation réalisés. En effet, l'efficacité de la procédure primait jadis sur le respect des droits des parties.
64 Lexique des termes juridiques, Dalloz.65 Crim. 5 Novembre 199366 Crim. 16 mars 198367 Par exemple la publication des portraits-robots ou la révélation nécessaire à un témoin au cours d’une audition de
certains éléments de procédure, qui pourront être répétés postérieurement par ce témoin sans encourir de sanctions pénales.
37
Une fois saisi, le juge d'instruction conduit l'information « en toute liberté juridique »68, son
pouvoir est étendu sans pour autant être discrétionnaire. Bien que le Parquet, en tant que partie
principale et partie publique, dispose également de pouvoirs considérables tant sur le regard du
déroulement de l'instruction que sur les actes qu'il peut requérir en passant par un droit d'appel
général, le juge d'instruction reste le seul décideur. Il n'est pas tenu de suivre les réquisitions du
Procureur de la République à tel point que s'il s'y refuse, un recours devant la chambre de
l'instruction lui est ouvert. Dégagée de toute injonction mais encadré, le juge d'instruction exerce ses
fonctions en toute indépendance demeurant libre lors de la conduite de l'instruction préparatoire et
lors de sa décision sur l'orientation du dossier.
Comme le résume Renaud Van Ruymbeke, « contrôlé par son activité, le juge reste libre de
ses actes »69. Aussi la jurisprudence de la CEDH se borne-t-elle à rappeler que l'indépendance
statutaire du juge d'instruction s'apprécie selon le mode de désignation, la durée du mandat,
l'existence de garanties contre les pressions extérieures et l'apparence d'indépendance.
B. L'impartialité du juge d'instruction
À la différence de l'indépendance du juge d'instruction qui, en tant qu'autorité judiciaire,
s'apprécie par rapport aux autres pouvoirs institutionnels, le critère de l'impartialité se mesure dans
les relations que le juge d'instruction entretient avec les parties. L'article 81 CPP dispose que le
juge « instruit à charge et à décharge »70, ce qui implique que l'exigence d'impartialité est inhérente
à la recherche des preuves et à la décision terminale statuant sur les charges.
La notion d'impartialité se définit d'ordinaire par l'absence de préjugé ou de parti pris, elle est
est généralement associée à la neutralité, l'équité et l'objectivité. Au delà, la jurisprudence de la
CEDH a permis de faire émerger un double visage de l'impartialité, invitant à opérer une distinction
entre « une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for
intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s'il offrait des
garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime »71.
Le principe général de séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement
68 J-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, L.G.D.J., 200669 R. VAN RUYMBEKE, Le juge d'instruction, PUF, Paris, 200870 Art. 81 CPP71 CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, § 30 : Série A n° 53 ; Ann. fr. dr. int. 1985. 415, obs. Coussirat-
Coustère ; JDI 1985. 210, obs. Rolland et Tavernier
38
constitue la principale garantie d'impartialité consacrée par le législateur, en ce qu'elle permet à
chacun des magistrats d'intervenir dans une phase qui lui est spécifique. Pourtant, l'affectation des
magistrats à ces différentes fonctions ne les cantonnent pas définitivement à l'une d'entre elles, à tel
point qu'il est constant de voir passer les divers magistrats qui composent le corps judiciaire, au
cours de leur carrière, d'une fonction à l'autre et, au terme de leur carrière, que la plupart d'entre eux
ait occupé tantôt les fonctions de poursuite, tantôt d'instruction et tantôt de jugement. Dès lors, la
séparation des fonctions emporte deux manifestations.
- D'une part, le principe implique qu'un magistrat ne peut occuper simultanément plusieurs
fonctions au sein de la même juridiction, il ne peut être à la fois magistrat du jugement et magistrat
de poursuite. Aussi, l'article préliminaire du CPP énonce, en son deuxième alinéa, que la procédure
pénale « doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de
jugement ». Néanmoins, dans des hypothèses de vacance temporaire, le Code de procédure pénale
prévoit qu'un magistrat du siège peut être amené à représenter le ministère public et,
exceptionnellement, le juge d'instruction pourra être remplacé par un magistrat du siège désigné par
le président du TGI. De même, malgré sa spécialisation dans la fonction d'instruction, le juge
d'instruction reste un magistrat du siège et, à ce titre, il continue de siéger dans les audiences civiles
ou correctionnelles portant sur des infractions qu'il n'a pas eu à instruire, en particulier dans les
petits tribunaux.
- D'autre part, l'interdiction faite au magistrat d'intervenir successivement dans une même
affaire au titre de plusieurs fonctions. Ainsi, comme l'observe Georges Levasseur, un magistrat
ayant fait un acte de poursuite dans une affaire, par exemple qui aurait signé le réquisitoire
introductif, le réquisitoire définitif, un éventuel réquisitoire supplétif au cours de l'instruction, ou
qui aurait requis pendant l'audience, ne peut plus faire d'acte d'instruction ou de jugement dans cette
même affaire72. La chambre criminelle avait censuré, par une interprétation extensive de l'article 253
CPP73, l'arrêt d'une chambre d'accusation qui comptait parmi sa composition un membre « qui avait
précédemment rempli les fonctions du ministère public dans la même cause »74 et ce, même en
siégeant au sein d'une juridiction du second degré. De même, un magistrat ayant fait un acte
d'instruction ne peut faire partie de la composition de la juridiction de jugement d'une affaire qu'il a
instruite, le principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement ayant valeur
72 G. LEVASSEUR, Cours de procédure pénale, Paris, 1959-196073 L'article 253 énonce l'incompatibilité pour un magistrat ayant pris un acte de poursuite de faire partie de la cour, en
qualité de président ou d'assesseur, dans l'affaire qui est soumise à la Cour d'assises.74 Crim. 15 mars 1960
39
constitutionnelle75.
Cette incompatibilité est d'application stricte puisqu'elle s'applique même si le magistrat n'a
accompli que des actes isolés, notamment en cas de remplacement d'un juge d'instruction absent.
L'article 49 CPP interdit au juge d'instruction à peine de nullité de « participer au jugement des
affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d'instruction ». De surcroît, l'article 253 CPP
évince de la composition de la Cour d'assises les magistrats qui ont procédé « à un acte de poursuite
ou d'instruction » dans la même affaire que la Cour est appelée à juger.
Ces textes participent consécutivement à l'article 6§1 de la CESDH à veiller au respect de la
séparation des fonctions d'instruction et de jugement. Il faut toutefois préciser que la chambre
criminelle admet une dérogation au principe, lorsque le magistrat n'a accompli qu'un acte matériel
comme une prestation de serment, sans avoir connu l'affaire sur le fond, rejoignant ainsi la position
de la CEDH76.
Il est ainsi difficile de dissocier l'indépendance de l'impartialité, tant les deux qualités sont
étroitement liées entre elles. Le statut du juge d'instruction lui assure donc une conduite libre et
neutre de l'instruction préparatoire qui préserve son choix au moment de l'orientation du dossier.
II/ La clôture de l'instruction préparatoire
C’est le juge qui décide de la clôture de l’information, mais au préalable, il doit solliciter les
réquisitions définitives du parquet et recueillir l’avis des parties (A), pour finalement décider de
l'orientation du dossier en prenant une ordonnance de règlement (B).
A. Le moment de la clôture
Dès qu'il estime que l'information est terminée, le juge d'instruction ou plutôt le collège de
75 C.CONSTIT., 22 novembre 197876 CEDH, 24 août 1993, Nortier c/ Pays-Bas, § 37 : Série A n° 267 ; RTDH 1994. 437, obs. Compernolle ; JDI 1994.
812, obs. Decaux et Tavernier ; RSC 1994. 362, obs. Koering-Joulin ; D. 1995. Somm. 105, obs. Renucci : « considérant que le principe d'impartialité n'a pas été violé dans le cas d'un juge des enfants qui a successivement siégé dans une même affaire, comme juge d'instruction, comme chambre du conseil puis comme juridiction de jugement. La cour relève que les questions à trancher par le juge aux fins desdites questions ne coïncidaient pas avec celle qu'il dut traiter en se prononçant sur le fond. (…) Dès lors, on peut considérer comme objectivement justifiée la crainte du requérant que le juge ne manquât d'impartialité ».
40
l'instruction, depuis la loi du 5 mars 2007, informe le Parquet de sa décision et avise en même temps
les parties et leurs avocats soit verbalement ou par lettre recommandée. L'avis peut être également
notifié par le chef de l'établissement pénitentiaire dans lequel la personne est, le cas échéant,
détenue et adresse un récépissé signé de l'intéressé.
Le juge d'instruction recueille les observations des différents acteurs de la procédure. Les
parties privées que sont le mis en examen, le témoin assisté disposent d'un délai d'un mois si la
personne mise en examen est détenue et d'un délai de trois mois dans les autres cas, pour formuler
leurs observations écrites dont copie est communiquée au parquet, pour solliciter de nouveaux actes
d’instruction ou soulever des nullités77.
A l'issue de ce délai, toute demande sera immédiatement jugée irrecevable. Le juge
d'instruction communique le dossier au parquet en rendant une ordonnance de soit-communiqué
(OSC) et sollicite son avis. Le Parquet dispose alors d'un délai d'un mois si le mis en examen est
détenu ou de trois mois dans les autres cas pour établir ses réquisitions dans lesquelles il synthétise
l'affaire et se prononce sur les charges pesant sur l'auteur de l'infraction. S'il estime que le dossier
est incomplet, le Parquet dispose d'un délai supplémentaire de dix jours si la personne mise en
examen est détenue ou d'un mois dans les autres cas, pour adresser au juge d'instruction un
réquisitoire supplétif sollicitant de nouveaux actes d'enquête ou des observations complémentaires.
Si le juge d'instruction ne les suit pas, il statue par ordonnance motivée susceptible d'appel. De
même, s'il estime que le dossier est en état d'être jugé et que l'information doit se terminer, le
procureur de la République prend ses réquisitions définitives, optant soit pour le renvoi du mis en
examen devant une juridiction de jugement ou soit pour le non-lieu.
Le mis en examen, le témoin assisté ou la partie civile peuvent également demander la
clôture de l'instruction soit à l'issue d'un délai d'un an en matière criminelle et de dix-huit mois en
matière criminelle, à compter respectivement, de la date de la mise en examen, de la première
auditions ou de la constitution de partie civile ; soit si aucun acte d'instruction n'a été accompli
pendant un délai de quatre mois78. Le juge d'instruction doit y répondre dans un délai d'un mois par
ordonnance motivée susceptible d'appel auprès de la chambre de l'instruction soit dans le délai de
cinq jours suivant la notification de la décision ou soit à l'expiration du délai d'un mois.
77 La loi du 5 mars 2007 a étendu le délai de 20 jours consacré par la loi du 24 août 199, qui était rarement respecté dans la pratique.
78 Art. 175-1 CPP
41
B. L'ordonnance de règlement (ou de clôture)
À la clôture de l'information, le collège de l'instruction est maître de la décision finale, il va
statuer en toute indépendance à l'égard des réquisitions du Procureur de la République qu'il n'est pas
tenu de suivre, ni d'attendre au delà des délais légaux prescrits79. Une fois les réquisitions définitives
établies, le juge d'instruction prend une ordonnance de règlement par laquelle il se dessaisit. Il
avise concomitamment les parties soit verbalement ou soit par lettre recommandée, ainsi que le
parquet par tout moyen lorsque le juge d'instruction rend une ordonnance non-conforme à ses
réquisitions80.
L'article 182 CPP prévoit que l'ordonnances de règlement peut être partielle et ne visera que
certains faits dont le juge d'instruction est saisi. Dès lors, la personne ayant fait l'objet d'une
ordonnance de renvoi partiel ou de transmission partielle des pièces, sans être mise en examen pour
d'autres faits, est entendue comme témoin assisté.
Il en va de même en cas de disjonction de la procédure d'instruction qui permet de dissocier le
sort de deux mis en examen, le cas de l'un mineur renvoyé devant le Tribunal pour enfants (TPE) et
de l'autre majeur renvoyé devant le Tribunal correctionnel. L'ordonnance de règlement, partielle ou
totale, sera de deux types : soit une ordonnance de non-lieu ou soit une ordonnance de renvoi devant
une juridiction de jugement.
Le juge d'instruction décide par une ordonnance de non-lieu qu'il n'y a lieu à suivre, estimant
que les faits ne constituent pas une infraction, ou que l’auteur reste inconnu, ou qu'il n’y a pas assez
de charges contre le mis en examen81. L'ordonnance de non-lieu doit toujours être motivée tantôt en
fait et tantôt en droit. L'ordonnance est motivée en fait dès lors que les charges sont insuffisantes, le
parquet pourra ainsi requérir l'ouverture d'une information si de nouvelles preuves sont découvertes
ultérieurement. L'ordonnance est motivée en droit dès lors que la base juridique fait défaut, tel est le
cas lorsque les faits sont pas constitutifs d'une infraction, lorsque l'action publique est prescrite ou
encore lorsqu'il existe une irresponsabilité pénale. Les faits visés dans l'ordonnance devenue
définitive à l'expiration des voies de recours ne peuvent ainsi plus faire l'objet d'un réexamen82.
79 Crim. 25 septembre 1824 : Bull. crim. n°12680 Art. 183 CPP81 Art. 177 CPP82 Non bis in idem
42
Quoiqu'il en soit, l'ordonnance de non-lieu engendre la remise en liberté de la personne
poursuivie qui avait été placée en détention provisoire. Aussi, sur la demande de la personne ou du
Parquet, le juge d'instruction peut ordonner la publication de la décision de non-lieu ou d'un
communiqué dans les journaux, y compris par voie électronique83. Lorsque l'ordonnance de non-lieu
survient à la suite d'une constitution de partie civile abusive ou dilatoire, le juge peut prononcer une
amende civile à l'encontre du plaignant dont le montant ne peut excéder 15.000 euros84.
Au contraire, le juge d'instruction rend une ordonnance de renvoi ou de mise en accusation
que s'il existe contre la personne mise en examen des charges constitutives d'une infraction, dont il
détermine la qualification juridique85. Cette ordonnance permet de renvoyer la personne devant une
juridiction de jugement, selon que l'infraction relève d'une qualification criminelle, délictuelle ou
contraventionnelle. Dans le respect de la présomption d'innocence, elle n'établit pas la culpabilité de
la personne mise en examen dès lors que c'est la juridiction de jugement qui se prononce sur sa
culpabilité effective.
Si le juge d'instruction estime que les faits sont constitutifs d'une contravention, il renvoie le
prévenu devant le Tribunal de police ou devant la juridiction de proximité et couvre les éventuels
vices de la procédure ne fois l'ordonnance devenue définitive86. Dans ce cas, les mesures provisoires
cessent de plein droit car le régime ne s'applique pas aux contraventions.
Si le juge d'instruction estime que les faits sont constitutifs d'un délit, il renvoie le prévenu
devant le Tribunal correctionnel. Dans ce cas, l'ordonnance de renvoi susceptible d'appel met fin en
principe aux mesures provisoires, mais il peut rendre une ordonnance distincte spécialement
motivée et susceptible d'appel demandant le maintien des mesures provisoires jusqu'à sa
comparution, dont le délai est fixé à deux mois pour la détention provisoire. Néanmoins, le Tribunal
correctionnel conserve la possibilité, à titre exceptionnel, de prolonger la détention provisoire pour
une durée de deux mois renouvelable une fois 87. Au total, la détention provisoire peut se prolonger
après la clôture de l'instruction pour une durée maximum de six mois.
Si le juge d'instruction estime que les faits sont constitutifs d'un crime, l'ordonnance dite de
mise en accusation a pour effet de renvoyer la personne mise en examen devant une Cour d'assises
83 Art. 177-1 CPP84 Art. 177-2 CPP85 Art. 176 CPP86 Art. 178 CPP87 Art. 179 CPP
43
et peut être frappée d'appel devant la chambre de l'instruction qui rendra un arrêt de mise en
accusation. Pour les mineurs de 16 à 18 ans, le renvoi s'effectue devant la Cour d'assises des
mineurs. Il faut préciser que la loi du 15 juin 2000 instaurant l'appel des verdicts de Cour d'assises a
supprimé le double degré de juridiction imposé quand les faits relevaient d'une qualification
criminelle. En effet, seule la chambre de l'accusation était compétente pour mettre en accusation et
renvoyer l'affaire devant la Cour d'assises. S'agissant des effets, le maintien du placement de
l'accusé sous contrôle judiciaire s'impose et, s'il est placé en détention provisoire, le juge
d'instruction peut décider de la prolonger pour une durée de un an. Avant l'expiration de ce délai, la
chambre de l'instruction peut décider, à titre exceptionnel, d'une prolongation de six mois
supplémentaires à deux reprises. Après l'instruction préparatoire, la détention provisoire peut ainsi
aller jusqu'à deux ans avant son jugement par la Cour d'assises88.
D'une manière générale, une fois la clôture ordonnée, le juge d'instruction transmet la
procédure au parquet qui, détenteur de l'action publique, va la soumettre à la juridiction compétente
si le renvoi de la personne est décidé. Selon Renaud Van Ruymbeke, le Parquet est ainsi « la
passerelle ente la phase d'instruction et de jugement »89. L'audience se tient pour un ultime examen
du dossier en présence de toutes les parties au procès, le juge pénal détermine alors la peine qu'il
entend appliquer après une courte instruction.
Chapitre 2 : L'étendue des prérogatives du juge d'instruction
Conformément à la loi, le juge d'instruction procède « à tous les actes d'information qu'il
estime nécessaire à la manifestation de la vérité, il instruit à charge et à décharge »90. Le juge
d'instruction s'affirme comme un super-enquêteur, un expert de la vérité poursuivant la recherche
des preuves qui serviront de base au jugement de la personne mise en examen et, de surcroît, à partir
desquelles celui-ci ordonnera le renvoi ou non devant une juridiction de jugement91.
88 Art. 181 CPP89 R. VAN RUYMBEKE, Le juge d'instruction, PUF, Paris, 200890 Art 81 al. 1 CPP91 Art. 146 CPP
44
Pour cela, un greffier l’assiste dans la tenue de son cabinet, son rôle est important puisqu'il
met en forme les dossiers, adresse les convocations, notifie certaines ordonnances et transcrit les
déclarations reçues par le juge. Dans certaines juridictions, les juges seront dotés d’un secrétariat
commun qui décharge le greffier des tâches purement matérielles.
Pour mener à bien sa mission, le juge d'instruction jouit de pouvoirs considérables qui ont
suscité de maintes critiques au fil des siècles : d'une part, les pouvoirs d'investigation du juge
d'instruction consistent d’abord à rassembler des éléments de preuve sur l’affaire, le juge
d'instruction va rechercher s’il y a eu effectivement infraction, et pour cela, s’efforcer d’établir les
circonstances exactes des faits pour permettre de savoir si les conditions de l'infraction sont bel et
bien réunies. Il va rechercher l’identité des participants, car il est possible que l’infraction ne fasse
aucun doute, mais que la personnalité de ceux qui l’ont commise ne soit pas parfaitement connue.
S’il y en a plusieurs, il faudra rechercher la mesure de leur participation respective.
Par ailleurs, le dossier d'instruction contient un sous-dossier « renseignements et
personnalité » classifiée sous la côte « C » qui aidera la juridiction de jugement à déterminer la
peine applicable mais qui pourra trouver son utilité lors de l'exécution de la peine92. On peut donc
dire que la mission du juge d'instruction est de mettre en lumière la vérité tant sur les faits que sur la
personnalité de l'auteur.
D'autre part, ses pouvoirs juridictionnels consistent à prendre des décisions revêtant un
caractère contentieux, à arbitrer les positions antagonistes entre les parties poursuivantes et les
parties poursuivies. Car lorsqu'une difficulté surgit entre les parties, seul un magistrat indépendant
est compétent pour les départager. Ces pouvoirs sanctionnent soit le déroulement normal de la
procédure, soit ses péripéties. Or, la prise de décisions juridictionnelles telles que le placement en
détention provisoire, la délivrance de mandats ou encore le renvoi du mis en examen devant une
juridiction de jugement nécessite une pleine indépendance et impartialité avec lesquelles les
intuitions forgées et les convictions acquises lors du travail d'enquête semblent difficilement
conciliables.
Si la nature des pouvoirs du juge d'instruction s'inscrivent dans une dualité dont il conviendra
92 Art. 81 al. 7 et 8 CPP. Le juge d'instruction peut ainsi faire procéder à une enquête de personnalité, obligatoire en matière de crime, de nature à éclairer sur la situation matérielle, familiale et sociale du mis en examen et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé. Il peut également prescrire un examen médical, un examen psychologique ou toutes mesures utiles.
45
de préciser les diverses implications (Section 1), leur exercice se fait toutefois dans le strict respect
de la loi et des voies de recours existantes contre ses décisions et ses actes, par le biais du contrôle
opéré par la chambre de l'instruction (Section 2).
Section 1 : La nature des pouvoirs du juge d'instruction
Nous étudierons successivement les pouvoirs d'investigation (I) puis les pouvoirs
juridictionnels du juge d'instruction (II). Seule échappe à la distinction la mise en examen qui,
quand bien même elle fait naître des droits pour l'intéressé, ne présente pas formellement un
caractère juridictionnel dès lors que le seul recours ouvert aux parties est une requête en nullité sur
le fondement de la violation d'une formalité visée à l'article 80-1 CPP.
I/ Des pouvoirs d'investigation
Au stade de l'information, le juge d'instruction bénéficie de pouvoirs d'investigation beaucoup
plus étendus que lors de l'enquête policière. Il peut prescrire, même en l'absence d'une infraction
flagrante, des saisies et des perquisitions, sans recueillir l'accord de l'intéressé. Ces pouvoirs se
déclinent en de nombreux actes qui consacrent l'intervention d'acteurs autres que le juge
d'instruction. Ainsi, il pourra effectuer les actes demandés par les parties (A), exécuter lui-même
des actes (B) ou parfois les déléguer (C).
A. Les demandes d'actes au juge d'instruction
Bien sûr, le Parquet dispose d'un droit de regard important sur le déroulement de l'instruction,
de même pour les parties privées avec quelques restrictions. Les parties ont le droit de solliciter la
réalisation d'actes d'investigation en formulant au juge d'instruction une demande d'acte. À cet effet,
le juge d'instruction en avise les parties privées lors de leur audition ou interrogatoire. La loi confère
aux parties à la procédure un rôle actif dans la recherche des preuves en permettant tant au parquet
(1) qu'aux parties privées (2) de demander des actes qui seront joints au dossier d'instruction.
46
1/ Par le Parquet
Le Parquet dispose de prérogatives étendues pendant l'instruction, l'article 82 CPP règle la
demande d'actes formulée par le parquet. À cet effet, il peut « à toute époque de l'information »
requérir du juge d'instruction tous les actes utiles à la manifestation de la vérité et toutes les
mesures de sûreté nécessaires. La loi lui accorde un droit de regard important sur le déroulement
de l'instruction, le Procureur de la République peut d'ailleurs se faire communiquer le dossier de la
procédure, à charge pour lui de le rendre dans les vingt-quatre heures, en vue de prendre des
réquisitions aux fins de demande d'actes. Depuis la loi du 15 juin 2000, il peut même assister à la
réalisation des actes qu'il requiert.
Si le juge d'instruction décide de ne pas suivre les réquisitions du parquet, il doit rendre une
ordonnance de refus motivée dans les cinq jours qui suivent ses réquisitions. A défaut d'ordonnance,
le Procureur de la République a la possibilité de saisir directement la chambre de l'instruction dans
les dix jours.
2/ Par les parties privées
Les parties privées que sont la partie civile et le mis en examen peuvent provoquer les
investigations en formulant des demandes d'actes auprès du juge d'instruction par une déclaration
écrite et motivée auprès du greffe de son cabinet. Les parties peuvent solliciter du juge d'instruction
toutes les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé, un examen médical ou un
examen psychologique au regard de l'article 81 CPP93. Aussi, les parties privées peuvent demander
au juge d'instruction d'ordonner une expertise, un complément d'expertise ou une contre-expertise,
ces actes étant visés respectivement par les articles 156 et 167 CPP.
Elles peuvent également demander, en application de l'article 82-1 CPP, à ce qu'il soit
procéder à une audition de partie civile, de témoin assisté ou de témoin, à un interrogatoire de la
personne mise en examen, à une confrontation ou à un transport sur les lieux ; à ce qu'il soit
ordonné la production d'une pièce utile à l'information ou de tous les autres actes qui leur paraissent
nécessaires à la manifestation de la vérité. Depuis la loi du 9 mars 2004, le témoin assistée peut
93 Cependant, lorsque la personne mise en examen est détenue, la demande se fait auprès du chef de l'établissement pénitentiaire.
47
demander au juge d'instruction d'être confronté avec la ou les personnes qui le mettent en cause. De
même, la personne mise en examen qui en fait la demande écrite doit être entendue par le juge
d'instruction dans les trente jours qui suivent la réception de sa demande.
Le juge d'instruction doit, s'il n'entend pas y faire droit, rendre une ordonnance motivée dans
le délai dun mois94 qui est susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction95. Si le juge n'a pas
statué dans le délai d'un mois, les parties peuvent saisir directement le Président de la chambre de
l'instruction qui statuera de manière discrétionnaire sur la possibilité de saisir la chambre en vue de
juger de l'appel. L'appel de l'inertie du juge d'instruction se voit donc soumis au filtre du président
de la chambre de l'instruction.
B. L'exécution des actes par le juge d'instruction
Le juge d'instruction peut réaliser lui-même les actes d'investigation. On sait que les preuves
s'établissent classiquement selon deux moyens : les choses que l'on scrute ou les gens que l'on
entend. Cette distinction fondamentale se retranscrit dans la pratique. Ainsi le juge d'instruction
dont la mission tend à la manifestation de la vérité emploie, pour y parvenir, deux procédés de
preuve, à savoir les investigations matérielles (1) et les auditions des personnes (2) pour lesquelles il
est obligatoirement assisté de son greffier.
1/ Les investigations matérielles
Les investigations peuvent viser à produire des constatations matérielles sur des éléments
issus du déroulement des faits délictueux. Pour ce faire, le juge d'instruction dispose d'un large
panel d'actes auxquels il a recours dans l'exercice de ses fonctions, qui sont visés aux articles 92 et
suivants du CPP.
Le juge d'instruction peut effectuer un transport sur les lieux, il se rend sur la scène de
l'infraction avec l'assistance de son greffier pour procéder à toutes les constatations utiles, lesquelles
sont relatées dans un procès-verbal à la fin des opérations. Il en donne avis au procureur de la
République qui a la faculté de l'accompagner96. Son pouvoir de transport s'étend à l'ensemble du
94 Art. 81 al. 9 CPP95 Art. 167 CPP96 Art. 92 CPP
48
territoire national à l'effet d'y procéder à tous les actes d'instruction97.
Les perquisitions peuvent être accomplies « dans tous les lieux où peuvent se trouver des
objets ou des données informatiques dont la découverte serait utile à la manifestation de la
vérité »98. Le juge d'instruction doit veiller au respect du secret professionnel et des droits de la
défense de sorte que les opérations prescrites sont réalisées en présence du mis en examen au
domicile duquel la perquisition a lieu99. En cas d'impossibilité, le juge d'instruction choisit deux
témoins pour y assister. Lorsque la perquisition a lieu dans un domicile autre que celui du mis en
examen, il demande la présence de deux parents, alliés ou témoins100. Les perquisitions ne peuvent
se dérouler qu'entre 6h et 21h. Un procès verbal est dressé à la fin des opérations et signé par les
personnes présentes.
Le juge d'instruction peut procéder à des saisies consécutivement aux perquisitions en plaçant
sous main de justice des objets qui seront inventoriés puis placés sous scellés. Le maintien de la
saisie ne concerne que les objets ou les données informatiques utiles à la manifestation de la vérité.
Les scellés ne peuvent être ouverts et les documents dépouillés qu'en présence de la personne mise
en examen assistée de son avocat, ou du tiers chez lequel la saisie a été effectuée101.
Par ailleurs, L'article 98 CPP sanctionne la communication ou la divulgation sans
l'autorisation de la personne mise en examen ou de ses ayants droits ou du signataire ou du
destinataire d'un document provenant d'une perquisition à une personne non qualifiée par la loi, par
une amende de 4.500 euros et d'un emprisonnement de deux ans. Enfin, le juge d'instruction est
compétent pour décider de la restitution des objets placés sous main de justice par ordonnance
motivée, soit sur réquisitions du parquet ou après avis de ce dernier, soit d'office ou sur requête
d'une des parties ou de toute autre personne qui prétend avoir des droits sur l'objet102.
Les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, autrement
dit les écoutes téléphoniques, ne sont autorisées qu'en matière criminelle et en matière délictuelle, si
la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement. Le juge d'instruction peut
97 Art. 93 CPP98 Art. 94 CPP99 L'article 95 CPP renvoie au régime des perquisitions en cas d'infraction flagrante, notamment les articles 57 et 59
CPP100 Art. 96 CPP101 Art. 97 CPP102 Art. 99 CPP
49
ainsi prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances téléphoniques
qui sont effectuées sous son autorité et sous son contrôle103. La décision est prise pour une durée
maximum de quatre mois renouvelable.
De même, le juge d'instruction peut requérir tout agent qualifié d'un service d'un organisme
placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des télécommunications ou tout agent qualifié
d'un exploitant de réseau ou fournisseur de services de télécommunications, en vue de procéder à
l'installation d'un dispositif d'interception104. Un procès verbal doit être dressé pour chacune des
opérations et les enregistrements sont placés sous scellés fermés105.
2/ Les auditions des personnes
On entend par « audition » le fait pour une personne intervenant dans la procédure d'être
entendue et questionnée par le juge d'instruction selon différentes modalités : l'audition pour la
partie civile (2.1), le témoin banal (2.2) et le témoin assisté (2.3) ; l'interrogatoire de première
comparution (2.4) et les interrogatoires ultérieurs et confrontations (2.5) qui concernent le mis en
examen.
2.1/ L'audition de partie civile :
L'audition de partie civile par le juge d'instruction peut intervenir dans trois hypothèses : soit
lors de l'information faite à la victime du droit à se constituer partie civile, soit lors de l'avis sur
l'évolution de l'instruction tous les six mois, soit sur demande de la victime d'être entendue.
La partie civile doit indiquer au juge une adresse en France métropolitaine afin de recevoir les
actes qui lui sont destinés. De plus, elle bénéficie du droit à l'assistance d'un avocat qui peut lui
remettre tout ou partie des pièces du dossier avec l'accord du juge d'instruction.
Lors de la première audition de partie civile, le juge d'instruction avise la victime sur
l'exercice de son droit à de formuler une demande d'actes ou de présenter une requête en
annulation106. La victime expose ainsi son appréciation sur les faits, son ressenti consécutivement
103 Art. 100 CPP104 Art. 100-3 CPP105 Art. 100-4 CPP106 Art. 89-1 CPP
50
aux questions du magistrat instructeur relatés dans un procès-verbal signé par les différents
intéressés. En outre, la partie civile peut demander à ce que l'OPJ procède à son audition107.
2.2/ L'audition du simple témoin :
L'audition de témoin consiste en une déposition orale devant le juge d'instruction assisté de
son greffier. On parle de témoin lorsqu'une personne n'est ni la victime ni l'auteur d'une infraction108,
l'article 101 CPP permet au juge d'instruction de faire citer devant lui toutes les personnes dont la
déposition lui paraît utile. À la différence de l'enquête policière, le témoin doit prêter serment et
déposer lors de l'instruction sous réserve des justifications liées à l'âge du mineur109 et au secret
professionnel110.
Les modalités de convocation sont laissées à l'appréciation du juge : soit par lettre simple, par
lettre recommandée ou par voie administrative. Il peut également comparaître volontairement. En
cas de refus de comparaître ou s'il ne comparaît pas, le juge peut faire citer le témoin par huissier : il
sera tenu de comparaître et de déposer sous peine d'une amende pouvant aller jusqu'à 3750 euros111.
Les témoins peuvent être entendus séparément, ou à l'occasion de confrontations avec d'autres
témoins, ou avec les autres parties. L'audition est consignée dans un procès-verbal qui fait mention
des questions et des réponses, la déposition est signé par le témoin, le juge d'instruction et son
greffier112.
Depuis la loi du 15 novembre 2001, en cas de risque de représailles sur sa personne, sur sa
famille ou ses proches de la part de ceux qu'il met en cause, le témoin peut déposer sous l'anonymat
après autorisation du JLD113. Aussi, il peut déclarer comme domicile l'adresse du Commissariat ou
de la brigade de gendarmerie114. Rappelons que le témoin peut être assisté d'un avocat mais ne
107 Art. 152 CPP108 En effet, le statut de témoin n'est pas clairement défini par le Code de procédure pénale, l'article 105 CPP énonce
simplement que « les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues comme témoins ». Tandis que l'article 706-57 CPP vise les personnes à l'encontre desquelles « il n'existe aucune raison plausible de soupçonner » qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction.
109 Art. 108 CPP : les mineurs de moins de 16 ans sont entendus sans prestation de serment 110 Art. 109 CPP : de même, un journaliste cité comme témoin n'est pas tenu de dévoiler l'origine des informations
recueillies dans le cadre de son activité.111 Art. 434-15-1 CPP112 Art. 106 CPP113 Art. 706-58 CPP : cette disposition en faveur de la protection des témoins ne s'applique qu'aux procédures portant
sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement.114 Art. 706-57 CPP
51
bénéficie pas de l'accès au dossier de l'instruction.
2.3/ L'audition du témoin assisté :
La convocation en vue de l'audition du témoin assisté se fait selon les mêmes modalités qu'un
témoin simple, sauf que s'il refuse de comparaître il pourra y être contraint. Lors de la première
audition, le juge d'instruction, après avoir constaté l'identité du témoin assisté, l'informe de
l'exercice de ses droits.
Le témoin assisté bénéficie du droit d'être assisté d'un avocat et a accès au dossier115. Il peut
demander au juge d'instruction d'être confronté avec la ou les personnes qui le mettent en cause, il
peut formuler des demandes en annulation mais ne peut solliciter du juge d'instruction la réalisation
d'actes sauf à être confronté avec la ou les personnes qui le mettent en cause.
À la différence du simple témoin, le témoin assisté ne prête pas serment dans la mesure où
pèse sur lui un soupçon de culpabilité116. Le juge d'instruction lui donne connaissance du
réquisitoire introductif, de la plainte ou de la dénonciation dont mention est faite dans un procès-
verbal117. De surcroît, il ne peut pas faire l'objet d'une mesure de sûreté et ne peut faire l'objet ni d'un
renvoi ni d'une mise en accusation118.
2.4/ L'interrogatoire de première comparution (IPC) :
L'interrogatoire de première comparution intervient lorsque la personne mise en examen
comparaît pour la première fois devant le juge d'instruction119. Celui-ci vérifie l'identité de la
personne et lui fait connaître expressément la qualification juridique de chacun des faits pour
lesquels la mise en examen est envisagée, ces éléments étant mentionnés dans un procès-verbal.
Durant la première comparution, le juge d'instruction informe la personne mise en examen du
choix soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d'être interrogée. La personne a également
le droit à l'assistance d'un avocat qu'elle choisit ou, à défaut, il lui en sera désigné un d'office.
L'avocat peut ainsi faire valoir ses observations au juge d'instruction.
115 Art. 113-3 CPP116 Art. 113-7 CPP117 Art. 113-4 CPP118 Art. 113-6 CPP119 Art. 116 CPP
52
Dès lors, il notifie à la personne en cause soit qu'elle n'est pas mise en examen et qu'elle
dispose des droits du témoin assisté, soit qu'elle est mise en examen et l'informe de ses droits de
formuler des demandes d'actes ou de présenter des requêtes en annulation. De surcroît, elle doit
déclarer une adresse « personnelle » en France métropolitaine pour recevoir les actes qui lui sont
destinés ou l'adresse d'un tiers en produisant l'accord de ce dernier.
Le non-respect de ces formalités est sanctionné par la nullité. En cas d'urgence, le juge
d'instruction peut d'ailleurs procéder à des interrogatoires immédiats. Depuis la loi du 5 mars 2007,
les interrogatoires réalisées dans le cabinet du juge, y compris l'IPC, font l'objet d'un enregistrement
audiovisuel qui ne peut être consulté qu'en cas de contestation à la demande du parquet ou d'une des
parties120.
2.5/ Les interrogatoires ultérieurs et les confrontations
Au cours de l'instruction, le juge d'instruction peut enfin procéder à des interrogatoires
ultérieurs du mis en examen seul ou à des confrontations en présence de la partie civile, du témoin
assisté ou d'autres mis en examen qui obéissent à des règles strictes au visa de l'article 114 CPP :
L'assistance d'un avocat, sauf renonciation expresse, est obligatoire pour les parties privées.
Les avocats sont convoqués au plus tard cinq jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition par
lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou télécopie avec récépissé, ou encore
verbalement avec émargement au dossier.
La procédure est mise à leur disposition quatre jours ouvrables au plus tard avant chaque
interrogatoire de la personne mise en examen ou de l'audition de la partie civile. La procédure est
également mise à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables, sous réserve
des exigences du bon fonctionnement du cabinet d'instruction. Qui plus est, les avocats ont la
possibilité de se faire délivrer, à leur frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier dans
le mois qui suit la demande, dont une reproduction peut être transmise à leur client.
Le juge d'instruction dispose d'un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la
demande pour contester la transmission d'un document par une ordonnance spécialement motivée
120 Art. 116-1 CPP
53
mais, en l'absence de contestation, la transmission est autorisée implicitement.
Le Procureur de la République et les avocats des parties peuvent également poser des
questions ou présenter de brèves observations, si le juge d'instruction refuse, mention est faite dans
le procès-verbal121. À l'issue de l'interrogatoire ou de la confrontation, un procès-verbal est établi
signé par le juge d'instruction, par le greffier et par les personnes intéressées122.
C. La délégation des actes par le juge d'instruction
Le juge d'instruction peut aussi déléguer la réalisation de certains actes d'investigation par le
biais des commissions rogatoires au profit des OPJ ou d'un autre juge qui agissent en son lieu et
place (1), et de l'expertise en commettant une personne spécialisée dans un domaine déterminé pour
les besoins de l'enquête (2).
1/ Les commissions rogatoires
La commission rogatoire est l’acte par lequel un juge d’instruction délègue ses pouvoirs
d'investigation soit à un juge de son tribunal, soit à tout juge d'instruction, soit à un OPJ lorsqu'il est
dans l'impossibilité d'y procéder lui-même et en avise le procureur de la République123.
La commission rogatoire ne peut prescrire que des actes d'instruction se rattachant
directement à la répression de l'infraction visée aux poursuites, l'autorité délégataire devant
respecter l'étendue de la saisine du juge d'instruction. De plus, elle ne peut, à peine de nullité, revêtir
la forme d'une délégation générale de pouvoirs visant de façon éventuelle toute une catégorie
d'infractions124. Les actes susceptibles d'être délégués sont énoncés limitativement à l'article 152
CPP. Les commissions rogatoires ne visent que les actes d'investigation car le juge d'instruction ne
peut jamais se déposséder de ses pouvoirs juridictionnels : les ordonnances, les mandats etc.
Lorsque la délégation est faite à un autre magistrat, celui-ci exerce tous les pouvoirs du juge
d'instruction sauf ceux précités.
Toutefois, lorsque la délégation est faite à un OPJ, la loi exclut qu'il puisse procéder aux
121 Art. 120 CPP122 Art. 121 CPP : renvoie aux conditions d'établissement des procès-verbaux au regard des articles 106 et 107 CPP.123 Par combinaison des articles 81 al. 5 et 151 CPP124 Crim. 22 janvier 1953 : D. 1953. 533, note Lapp
54
interrogatoires et confrontations des personnes mises en examen, à l'audition des parties civile ou du
témoin assisté125. En d'autres termes, le champ d'intervention des OPJ est plus restreint, celui-ci
pouvant accomplir a contrario des auditions de témoins simples, des transports sur les lieux, des
perquisitions, des saisies ou des écoutes téléphoniques126.
S'il délègue l'exécution d'actes aux OPJ lesquels disposent d'une marge de liberté appréciable
dans l'accomplissement de leur mission, le juge d'instruction reste néanmoins maître de
l'information car l'autorité policière délégataire agit pour le compte de celui-ci. À ce titre, il précise
la nature de l'infraction objet des poursuites, il fixe un délai dans lequel la commission rogatoire
doit lui être retournée avec les procès-verbaux127.
Le dépassement du délai imparti ne saurait avoir une incidence sur la validité des actes
accomplis128. Néanmoins, lorsque les OPJ découvrent des faits étrangers à l'information susceptibles
d'une incrimination pénale lors de l'exécution d'une commission rogatoire, ils ont le devoir
d'informer le juge d'instruction tandis qu'ils n'ont que la possibilité d'en avertir le procureur de la
République. Dans ce cadre, les OPJ disposent du pouvoir avant toute communication des procès-
verbaux à l'autorité judiciaire d'effectuer des vérifications sommaires pour s'assurer de la
vraisemblance de l'infraction découverte129. Or, ils ne peuvent procéder à des actes coercitifs sous le
couvert de la commission rogatoire, ils peuvent uniquement mettre en œuvre l'ensemble des
pouvoirs qu'ils tiennent des règles prévues pour les enquêtes préliminaire et de flagrance130.
Enfin, la commission rogatoire internationale (CRI) permet au juge d'instruction français de
donner mission à un juge étranger d'accomplir certains actes d'investigation dans leur pays pour les
besoins de son instruction. Afin de garantir l'efficacité des système pénaux nationaux, de nombreux
États ont conclu des traités ou des accords bilatéraux dans une optique de coopération judiciaire.
Ainsi en est-il de la Convention européenne d'entraide judiciaire du 20 avril 1959 prévoyant que les
commissions rogatoires sont exécutées dans les formes prévues par la législation de l'État requis.
Il faut toutefois préciser que, dans la pratique, le contrôle du juge d'instruction sur la
125 Sauf s'ils en font la demande.126 Crim. 23 novembre 1999 : Bull. crim. n° 269 ; Dr. pénal 2000. Comm. 82, note ; Procédures 2000. Comm. 106,
obs. Buisson.127 À défaut de délai, les procès-verbaux doivent lui être transmis dans les huit jours de la fin des opérations.128 Crim. 15 février 2006 : Bull. crim. n° 44129 Crim. 11 mai 2000 : Bull. crim. n° 186 ; D. 2000. IR. 225.130 Crim. 13 décembre 2000 : Bull. crim. n° 377 ; Procédures 2001. Comm. 114, obs. Buisson
55
délégation de ses pouvoirs ne se résume en règle générale qu'à un simple contrôle formel souvent
opéré a posteriori tant les cabinets des juges d'instruction sont surchargés, poussant ces derniers à
déléguer presque systématiquement les actes d'investigation aux OPJ. Dans la même perspective, le
juge d'instruction peut également déléguer certains actes qui requièrent des compétences techniques
à un expert.
2/ Les expertises
Les experts ont résolument pris une part considérable dans la production de la vérité puisqu'ils
interviennent pour éclairer sur des questions techniques « que la juridiction d'instruction ou de
jugement n'est pas à même de trancher »131.
On compte aujourd'hui une multitude d'experts dans des domaines diversifiés requis en
matière pénale : les médecins légistes, les psychologues et psychiatres, les experts scientifique,
balistique, graphologique ou encore automobile etc. lesquels exercent leurs missions sous le
contrôle du juge d'instruction. Les experts sont recensés sur des listes régionales et nationales
établies chaque année par les Cours d'appel132. Ce sont tantôt des personnes physiques ou tantôt des
personnes morales (association d'experts)133. Ces derniers prêtent serment et apporte leur concours à
la justice « en leur honneur et en leur conscience »134.
Le juge d'instruction peut ordonner une expertise d'office ou sur la demande du parquet ou de
l'une des parties135. Le juge d'instruction rend une ordonnance commettant un ou plusieurs experts
par laquelle il leur impartit un délai pour remplir une mission qu'il définit précisément. Ce délai peut
d'ailleurs être prorogé par ordonnance motivée mais, en cas de non-respect, le juge d'instruction est
libre de remplacer l'expert initial. Les parties peuvent notamment préciser des questions qu'elles
voudraient voir poser à l'expert dans le cadre de sa demande et lui prescrire d'effectuer certaines
recherches ou d'entendre toute personne susceptible de leur fournir des renseignements d'ordre
technique. Ainsi la défense peut-elle demander la réalisation d'un examen médical ou médico-
psychologique afin d'établir l'irresponsabilité pénale du mis en examen.
131 CIRCULAIRE GÉNÉRALE - C. 156 DU 1er MARS 1993132 Art. 157 CPP133 L'article 160 énonce que les experts ne figurant pas sur ces listes prêtent serment chaque fois qu'ils sont commis devant le juge d'instruction.134 Art. 168 CPP135 Art. 156 CPP
56
L'article 161 CPP organise un travail en liaison avec le juge d'instruction qui est informé de
l'avancement des expertises, avec la possibilité d'établir un rapport d'étape si le délai imparti est
supérieur à un an136. À compter de la décision ordonnant l'expertise, les parties ont dix jour pour
demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées, ou encore
d'adjoindre un expert de leur choix à celui ou ceux chargés de la mission.
Dans l'exécution de leur mission, les experts peuvent s'adjoindre de personnes spécialement
qualifiées par leur compétence afin de les éclairer, ceux-ci prêtent serment de manière ponctuelle137.
Ils disposent également des scellés ainsi que des éléments du dossier. À titre de renseignement et
pour le seul accomplissement de leur mission, ils peuvent recevoir les déclarations de toute
personne autre que le mis en examen, le témoin assisté et la partie civile mais, exceptionnellement,
il peut recevoir les déclarations de ces parties avec leur accord en présence de leur avocat ou alors à
l'occasion d'un interrogatoire ou d'une déposition devant le juge d'instruction. Quoiqu'il en soit, les
médecins et les psychologues sont toujours amenés à poser des questions dans le cadre de leur
examen hors la présence du juge et des avocats138.
Une fois sa mission accomplie, l'expert établit un rapport dans lequel il fait part de ses
conclusions qu'il remet au juge d'instruction. Y figurent la signature de l'expert ainsi que le nom et
la qualité des personnes qui l'ont assisté139. Les rapport et les scellés sont déposés au greffe du juge
d'instruction ayant rendu l'ordonnance d'expertise, ce dépôt fait l'objet d'un procès verbal. L'expert
donne connaissance de ses conclusions « par tout moyen » aux OPJ agissant sur commission
rogatoire et, depuis la loi du 5 mars 2007, au parquet et aux avocats des parties.
De son côté, le juge d'instruction donne également connaissance des conclusions de l'expert
aux parties et à leurs avocats après les avoir entendues. Les parties sont invitées à formuler leurs
observations et peuvent demander au juge d'instruction un complément d'expertise ou une contre-
expertise, qu'il ne peut refuser que par ordonnance motivée susceptible d'appel dans les conditions
de l'article 186-1 CPP.
L'expert est investi de la démonstration d'une preuve technique dont la valeur est laissée à
l'appréciation du juge d'instruction. En effet, ce dernier reste le seul compétent pour décider du
136 Art. 161-2 CPP137 Art. 162 CPP138 Art. 164 CPP139 Art. 166 CPP
57
crédit à attribuer à la parole de l'expert qui participe à forger son intime conviction. Mais si l'expert
exécute un acte d'investigation au sens où il concourt à l'établissement de la vérité dans sa spécialité,
sa commission fait l'objet d'une ordonnance du juge d'instruction illustrant l'un de ses nombreux
pouvoirs juridictionnels.
II/ Des pouvoirs juridictionnels
À la différence d'un simple enquêteur, le juge dinstruction prend des actes et des décisions qui
tirent leur caractère juridictionnel de la nature même de son office. En effet, celui-ci jouit d'un
véritable pouvoir de décision qui se manifeste tout au long de la procédure par des actes assurant
son déroulement effectif (A). Aussi, son pouvoir coercitif qui emporte un effet contraignant à
l'égard des libertés individuelles de la personne mise en examen, s'exprime par la possibilité que lui
confère la loi d'ordonner une mesure provisoire (B). Cependant, le juge d'instruction, avec la loi du
15 juin 2000, a perdu le droit dordonner la détention provisoire.
A. Les pouvoirs décisionnels
Les décisions du juge d'instruction revêtent un caractère juridictionnel incontestable dans la
mesure où sa fonction de juge l'amène à produire des actes investis de la force exécutoire et
susceptibles d'appel pour la plupart. Cette force exécutoire lui reconnait un droit en vertu duquel il
peut faire procéder à l'exécution forcée des ses actes en requérant l'appui de la force publique. Le
pouvoir décisionnel du juge d'instruction se matérialise ainsi par les ordonnances qu'il rend (1) et les
mandats qu'il décerne (2).
1/ Les ordonnances
Les ordonnances du juge d'instruction sont l'expression de l'exercice de son office
juridictionnel. Elles constituent les décisions prises par le juge d'instruction manifestée par un écrit
obéissant à des règles formelles. Les ordonnances indiquent le nom du magistrat dont elles émanent
et portent sa signature, elle sont motivées en droit et en fait. Elles produisent des effets juridiques à
l'égard des parties à la procédure et sont susceptibles d'appel devant la chambre de l'instruction.
Dès l'ouverture de l'information judiciaire, le juge d'instruction peut rendre une
58
ordonnance de refus d'informer s'il apparaît, des termes du réquisitoire introductif, que les faits dont
il est saisi ne tombent pas sous le coup d'une loi pénale ou si l'action publique est d'ores et déjà
prescrite140. De même, lorsqu'il est saisi par constitution de partie civile, le juge d'instruction peut
prononcer son irrecevabilité par ordonnance. S'il l'admet, il rend une ordonnance de soit-informé
dans lequel il fixe le montant de la consignation. S'il constate que le dossier échappe à sa
compétence matérielle ou territoriale, il prend une ordonnance d'incompétence qui a pour effet de le
dessaisir au profit de la juridiction compétente141.
Au cours de l'information judiciaire, le juge d'instruction rend de multiples ordonnances.
Certaines ordonnances sont spécifiques car elles ne présentent pas un caractère juridictionnel, les
ordonnances de soit-communiqué permettent au juge d'instruction de transmettre le dossier au
parquet soit sur sa demande ou soit sur sa demande quand des réquisitions doivent être établies
quant à la survenance de nouveaux éléments.
Les autres ordonnances produisent des effets juridiques de plein droit : ce sont d'abord les
ordonnances relatives aux actes d'instruction (ordonnances de refus d'exécuter un acte sollicité par
le parquet ou les parties ou d'ordonner une expertise, ordonnances nommant l'expert ou prolongeant
le délai de la mission), d'autres ordonnances visent les mesures coercitives et les éléments qui leurs
sont subséquents (ordonnances de placement sous contrôle judiciaire ou prononçant sa mainlevée,
ordonnances de saisine du JLD aux fins de placement ou d'un maintien en détention provisoire,
ordonnances de mise en liberté, ordonnances refusant la restitution des pièces ou des documents
saisis142). D'autres ordonnances encore comportant non-lieu partiel ou renvoi partiel peuvent
intervenir au cours de l'information, il en va de même pour les ordonnances visant la transmission
partielle des pièces lorsque les charges recueillies sur les faits apparaissent suffisantes143.
La clôture de l'information donne lieu à des ordonnances qui vont avoir des effets différents
selon la décision spontanée ou provoquée du juge d'instruction. En effet, à la fin de l'information, le
juge d'instruction est appelé à statuer sur les suites à donner aux poursuites, il peut rendre une
ordonnance de non-lieu ou de renvoi devant une juridiction de jugement (infra « la clôture de
l'instruction »). Aussi, plus spécifiquement, l'ordonnance en réponse à la sommation du mis en
examen, du témoin assisté ou de la partie civile de clôturer l'instruction oblige le juge d'instruction à
140 Art. 86 al. 4 CPP141 Art. 90 CPP142 Art. 99 CPP143 Art. 182 CPP
59
statuer après un délai d'un an consécutivement à compter de l'attribution de la qualité de partie au
procès144.
Les ordonnances rendues par le juge d'instruction sont susceptibles d'appel et sont notifiées
aux parties dans les plus brefs délais, « soit verbalement, avec émargement au dossier de la
procédure, soit par lettre recommandée » à l'adresse qui aura été indiquée préalablement au juge
d'instruction. Quand le mis en examen est détenu, elle peut être portée à sa connaissance par le chef
de l'établissement pénitentiaire qui adresse au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé
signé par la personne145. Aussi, lorsqu'une voie de recours est exercée par l'une des parties, l'article
187 CPP pose le principe de continuité de l'instruction, « y compris jusqu'au règlement de celle-ci ».
Autrement dit, le juge d'instruction poursuit son information afin que la procédure ne subisse aucun
retard.
On distingue alors deux objectifs principaux poursuivis par les ordonnances du juge
d'instruction : elles sont parfois applicables en cas d'urgence, par exemple pour mettre fin à un
trouble grave ou à une situation illicite, pour éviter un dépérissement des preuves en ordonnant une
expertise ou en prescrivant une mesure coercitive. Hormis ces cas, le juge d'instruction peut être
amener à prendre par ordonnance de simples mesures d'ordre, comme c'est le cas pour les décisions
destinées à assurer le déroulement normal de la procédure écrite et, au moment où il estime que
l'affaire est en état d'être jugé, à mettre fin à l'instruction de l'affaire et à décider de son renvoi ou
non devant la juridiction de jugement. Les ordonnances se retrouvent donc à tout moment au cours
de l'instruction.
2/ Les mandats
Les mandats sont des ordres écrits décernés par le juge d'instruction pour assurer la présence
de personnes aux fins de recueillir leurs déclarations, d'organiser des confrontations etc. Ils sont
exécutoires dans toute l'étendue du territoire national146. Ils sont soumis à des formalités dont
l'inobservation peut donner lieu à des sanctions disciplinaires. Les mandats précisent l'identité des
personnes à l'encontre desquelles ils sont décernés, ils sont datés et signés par le juge d'instruction et
mentionnent les faits imputables aux personnes ainsi que leur qualification juridique.
144 Art. 175-1 CPP145 Art. 183 CPP146 Art. 124 CPP
60
L'article 122 CPP donne au juge d'instruction le pouvoir de décerner, selon les cas, mandat de
recherche, de comparution, d'amener ou d'arrêt. Ce sont ces quatre types de mandat qui rentrent
dans les pouvoirs du juge d'instruction que nous allons étudier, le mandat de dépôt visant au
placement en détention provisoire est décerné par le JLD depuis la loi du 15 juin 2000.
Le mandat de recherche est l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à
l'encontre de laquelle il est décerné et de la placer en garde à vue. Il a été institué par la loi du 9
mars 2004 et concerne les personnes à l'encontre desquelles il existe « une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction », excluant les
personnes nommément visées dans un réquisitoire introductif, le témoin assisté et le mis en examen.
De même, la loi Perben II tendant à renforcer l'efficacité de la procédure permet désormais au
procureur de la République de décerner un mandat de recherche. La personne découverte en vue du
mandat de recherche est placée en garde à vue avant d'être interrogé par le juge d'instruction147.
Le mandat de comparution, d'amener et d'arrêt sont au contraire décernés à l'encontre de
toute personne dont la culpabilité est présumée, en l'occurrence lorsqu'il existe des indices graves ou
concordants rendant vraisemblable sa participation, comme auteur ou complice, à la commission
d'une infraction, y compris s'il s'agit du témoin assisté ou du mis en examen. L'article 122 rappelle
que les personnes qui ont fait l'objet d'un mandat de comparution, d'amener ou d'arrêt doivent être
entendus en la qualité de témoin assisté.
Le mandat de comparution consiste d'abord à mettre une personne en demeure de se présente
devant le juge d'instruction à la date et à l'heure indiquées par ce mandat afin qu'il procède à son
interrogatoire « immédiatement »148. Ce mandat est signifié ou notifié à la personne à l'encontre de
laquelle il est décerné, respectivement, soit par huissier ou soit par un agent de la force publique.
Même s'il s'agit plus dans les forme d'une convocation au terme de laquelle il ne peut être contraint
physiquement à comparaître, le refus de se présenter donne suite à la délivrance d'un mandat plus
coercitif comme le mandat d'amener.
Autre possibilité pour le juge d'instruction, celle de décerner un mandat d'amener qui est un
ordre donné à un agent de la force publique de conduire immédiatement une personne nommément
désignée par ce mandat devant lui, il est donc exécutoire par l'emploi des mesures coercitives et le
147Art. 135-1 CPP148 Par combinaison des articles 122 et 125 CPP
61
recours à la force publique. L'article 125 CPP énonce qu'en cas d'impossibilité de procéder à un
interrogatoire immédiat, la personne peut être retenue pendant une durée de vingt-quatre heures par
les services de police ou de gendarmerie.
Enfin, le mandat d'arrêt, qui n'est pas sans rappeler le décret de prise de corps sous l'Ancien
Régime, est un ordre donné par le juge d'instruction aux agents de la force publique de rechercher et
d’arrêter toute personne visée afin de la conduire à la maison d’arrêt indiquée, où elle sera reçue et
détenue. L'exécution du mandat d'arrêt donne lieu à l'incarcération de la personne pendant une durée
de vingt-quatre heures à l'issue de laquelle elle est présentée devant le juge d'instruction qui statue
éventuellement sur la mise en examen et peut, le cas échéant, prendre une ordonnance à fin de
placement en détention provisoire. Des dispositions spécifiques sont également prévues lorsque la
personne faisant l'objet du mandat d'arrêt est découverte après le règlement de l'information149.
De la même manière, le mandat d'arrêt européen peut être mis à exécution par le parquet
sur demande du juge d'instruction. Ce mandat, dont le caractère exécutoire est étendu à tous les
États membres de l'U.E., a été institué par une décision du Conseil du 13 juin 2002 portant
substitution du régime de l'extradition et vise ainsi à simplifier la remise d'un délinquant d'un État à
un autre. La loi constitutionnelle du 25 mars 2003 l'a entériné dans notre droit procédural tandis que
l'article 695-22 CPP organise ses modalités d'exécution.
Ces mandats constituent des actes judiciaires revêtant la forme d'ordres adressés aux services
de police et de gendarmerie dont l'exécution vise la comparution ou l'arrestation d'une personne
libre ou détenue afin d'être présenté au juge d'instruction. En outre, il bénéficie de pouvoirs
coercitifs au cours de l'instruction pour préserver la mise en état de l'affaire au jour du jugement qui
ne concernent que la personne mise en examen.
B. Les pouvoirs coercitifs
Le principe est la liberté, la personne mise en examen présumée innocente reste libre.
Toutefois, le juge d'instruction pourra décider du placement sous contrôle judiciaire (1) et, à titre
exceptionnel, en détention provisoire (2). Ces mesures coercitives dites « provisoires », qui n'ont
souvent de provisoire que leur appellation commune, peuvent être effectivement maintenues après
la fin de l'instruction et ce, jusqu'au jour du jugement si le juge d'instruction l'estime nécessaire.
149 Art. 135 CPP
62
1/ Le placement sous contrôle judiciaire
Le contrôle judiciaire astreint une personne mise en examen à se soumettre à une ou plusieurs
obligations « en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté »150. Il peut être
ordonné par le juge d'instruction ou par le JLD si la personne mise en examen encourt une peine
d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave151.
Ces obligations sont énoncées exhaustivement par l'article 138 CPP qui propose pas moins de
dix-sept mesures qui permettent au juge de bénéficier d'une grande liberté au travers des multitudes
de possibilités lui étant offertes.
Le juge va alors personnaliser les obligations en fonction de la nature des faits et de la
personnalité du mis en examen, selon les objectifs visés : d'une part, il peut garantir le maintien de
la personne mise en examen à la disposition de la justice en ordonnant l'interdiction de sortie du
territoire français, la remise du passeport, du permis de conduire, le système des pointages
périodiques au commissariat, le dépôt d'un cautionnement ou encore le placement sous surveillance
électronique (PSE) ; d'autre part, il peut sauvegarder les preuves ou les témoins grâce à l'interdiction
de fréquenter certains lieux ou certaines personnes ; mais aussi il peut favoriser la réinsertion
sociale du mis en examen et éviter une réitération de l'infraction en ordonnant l'interdiction de se
livrer à certaines activités sociales et professionnelles, ou l'obligation de soins grâce à un traitement
médical notamment aux fins de désintoxication.
La mainlevée de la mesure de contrôle judiciaire peut être ordonnée par le juge d'instruction à
tout moment soit d'office, soit sur les réquisitions du procureur de la République, soit sur demande
de la personne mise en examen152. Lorsque le juge d'instruction estime que la mesure de contrôle
judiciaire se révèle insuffisante, notamment en cas de manquements répétés par la personne mise en
examen à ses obligations, il peut saisir le JLD aux fins de placement en détention provisoire qui est,
depuis la loi du 15 juin 2000, la seule autorité judiciaire habilitée pour décerner le mandat de dépôt.
150 Art. 137 CPP151 Art. 138 CPP152 Art. 140 CPP
63
2/ La demande de placement en détention provisoire
La mise en détention provisoire consiste en l'incarcération de la personne mise en examen
dans une maison d'arrêt avant son jugement, lorsqu'une peine criminelle ou une peine
correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement est encourue153.
S'agissant de la durée, la détention provisoire ne doit pas excéder un délai raisonnable au
regard de la gravité des faits reprochés et de la complexité des investigations nécessaires154, selon
les plafonds légaux de quatre mois en matière délictuelle et d'un an en matière criminelle, sous
réserve des prolongations et des dispositions spéciales155. Au surplus, il est acquis depuis fort bien
longtemps que la durée de la détention provisoire s'impute sur la durée d'exécution de la peine
d'emprisonnement prononcée156.
Renaud Van Ruymbeke rappelle également que la détention provisoire ne se fonde pas sur la
culpabilité de la personne mais plutôt sur la nécessité d'assurer l'ordre public qui est un critère très
controversé157. Ainsi, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si le contrôle
judiciaire ne suffit pas à parvenir aux objectifs fixés par l'article 144 CPP.
La loi précise que la détention provisoire doit être l'unique moyen, « au regard des éléments
précis et circonstanciés résultant de la procédure »158, de conserver les preuves ou les indices
matériels, d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille soit une
concertation frauduleuse entre la personne mise en examen avec ses complices ou co-auteurs ; de
protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice ou de
mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; de mettre un terme à un trouble
exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de
sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé159. Quant aux mineurs, ils disposent d'un
statut particulier : la détention provisoire d’un mineur est exclue s’il a moins de treize ans en
matière criminelle et moins de seize ans en matière délictuelle.
153 Par combinaison des articles 714 et 143-1 CPP154 Art. 144-1 CPP155 ART. 145-1 et 145-2 CPP156 Art. 716-4 CPP157 R. VAN RUYMBEKE, Le juge d'instruction, PUF, Paris, 2008158 Dans sa rédaction issue de la loi di 5 mars 2007.159 L'article 144 précisant que le trouble ne saurait résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire.
64
Depuis la loi du 15 juin 1000, le JLD est désormais le seul qui puisse ordonner et prolonger la
détention provisoire, les demandes de mise en liberté lui sont également soumises160. Le juge
d'instruction, dans les conditions sus-visées, saisit le JLD par une ordonnance à fin de placement en
détention provisoire dans laquelle il motive son avis et joint les réquisitions du parquet. S'il n'entend
pas suivre les réquisitions du parquet et qu'il estime que la détention provisoire n'est pas justifiée, le
juge d'instruction qui ne transmet pas le dossier au JLD est tenu de statuer sans délai par ordonnance
motivée.
Le Procureur de la République est également un acteur indéniable du placement en détention
provisoire puisqu'il peut saisir le juge d'instruction de réquisitions demandant la mise en détention
provisoire du mis en examen. Si le juge d'instruction refuse, il rend une ordonnance motivée qu'il
notifie au parquet lequel peut, lorsque l'infraction est punissable d'une peine de réclusion criminelle
égale ou supérieure à dix ans, saisir le JLD afin qu'il place le mis en examen en détention
provisoire161.
Le JLD fait ainsi comparaître la personne mise en examen et procède à un débat contradictoire
en présence de l'avocat, après un délai permettant de préparer sa défense, puis statuera sur le
placement en détention provisoire. Il peut notamment, pendant ce délai, par une ordonnance
motivée et insusceptible d'appel, prescrire une incarcération dont la durée déterminée ne peut
excéder quatre jours jusqu'à la tenue du débat contradictoire soit pour permettre au mis en examen
de préparer sa défense effective, soit pour permettre au juge d'instruction de procéder à des
vérifications sur sa personne ou sur les faits162. Depuis la loi du 5 mars 2007, la publicité des débats
est obligatoire. Si les JLD refuse, il peut décider d'office de mettre sous contrôle judiciaire comme
substitut à l'incarcération.
L'ordonnance prononçant le placement en détention provisoire est susceptible d'appel mais ne
produit pas d'effet suspensif, le mis en examen appelant est donc incarcéré immédiatement. La
chambre de l'instruction est normalement tenue de statuer dans un délai de dix jours suivant la
décision.
Cependant, la procédure dite du « référé-liberté » permet au Parquet ou au mis en examen
ayant interjeté appel au plus tard le jour suivant la décision du JDL, de demander au président de la
160 Art. 137-1 CPP161 Art. 137-4 CPP162 Art. 145 CPP
65
chambre de l'instruction que son appel fasse l'objet d'un examen accéléré, lequel doit statuer avant le
troisième jour ouvrable par une ordonnance non motivée et insusceptible d'appel. Le Président
pourra alors décider d'infirmer l'ordonnance du JLD et ordonner la remise en liberté ou le placement
sous contrôle judiciaire163. De surcroît, dans son « référé-liberté », l'appelant peut demander à ce que
son recours soit directement examiné par la chambre de l'instruction qui statue, au plus tard, le
cinquième jour ouvrable suivant la demande164.
La remise en liberté intervient à l'initiative de la chambre de l'instruction165 ou du JLD mais
plus généralement à l'initiative du juge d'instruction qui l'ordonne soit d'office, soit sur les
réquisitions du parquet ou soit sur demande de la personne détenue. Si le juge d'instruction accède à
la demande, la liberté de la personne peut être assortie d'un contrôle judiciaire. À l'inverse, s'il
rejette la demande, il doit la transmettre au JLD avec laquelle il joint son avis motivé166.
Si une ordonnance prescrivant la remise en liberté du détenu est rendue contrairement aux
réquisitions du parquet, ce dernier peut faire appel auprès du JLD ou du juge d'instruction. Il
dispose ainsi d'une procédure dite de « référé-détention » lui donnant la possibilité de saisir le
premier président de la Cour d'appel qui suspendra l'effet de l'ordonnance de mise en liberté du juge
d'instruction afin d'assurer le maintien de la personne en détention provisoire167. La chambre de
l'instruction est alors tenue de statuer sur l'appel dans un délai de dix jours.
Section 2 : Le contrôle de la chambre de l'instruction
La chambre de l'instruction est la juridiction d'instruction du second degré, elle connaît des
appels des décisions prises par la juridiction du premier degré et des nullités de la procédure. Elle
s'organise en une formation collégiale de la Cour d'appel composée d'un président et de deux
conseillers168, et dispose de son propre greffier. Le Procureur général ou ses substituts exercent les
fonctions du ministère public169. Elle se réunit au moins une fois par semaine et toutes les fois qu'il
est nécessaire sur convocation de son président ou sur la demande du procureur général170.
163 Art. 187-1 CPP164 Art. 187-2 CPP165 Art. 201 CPP166 Art. 148 CPP167 Art. 148-1-1 CPP168 Art. 191 CPP169 Art. 192 CPP170 Art. 193 CPP
66
La chambre de l'instruction dispose également d'attributions particulières qui lui confèrent
un contrôle étendu sur l'ensemble de la procédure : elle exerce un contrôle sur les OPJ et les APJ171,
elle connaît des demandes d'extradition172 ou de réhabilitation des condamnés173, voire même de
certains règlements de juge174. Bien plus encore, elle dispose d'un pouvoir actif dans la lutte contre
l'inertie du juge lorsque aucun acte d'instruction n'a été accompli pendant quatre mois175. La
chambre de l'instruction peut soit évoquer le dossier, c'est-à-dire procéder à son examen complet
sans se limiter aux points appelés à être tranchés, soit renvoyer le dossier à un autre juge
d'instruction.
La procédure devant la chambre de l'instruction présente quatre caractéristiques majeures. Elle
est relativement rapide dans la mesure où la chambre doit statuer « dans les plus brefs délais »,
encore plus en matière de détention provisoire176. C'est une procédure contradictoire puisque les
parties et leurs avocats sont avisés de la date de l'audience et un délai leur est imparti pour préparer
la défense, le dossier est d'ailleurs tenu à leur disposition177. Depuis la loi du 5 mars 2007, l'audience
se tient publiquement en matière de détention provisoire sous réserve d'une demande contraire
émanant du Parquet, du mis en examen ou de son avocat. Après rapport du conseiller, le Procureur
général et les avocats des parties sont entendus. La chambre de l'instruction peut ordonner la
comparution d'une personne concernée qui devient de droit si le mis en examen est placée en
détention provisoire lorsque celle-ci ou son avocat en fait la demande178.
Afin de comprendre la portée du contrôle exercé par la chambre de l'instruction, observons ses
attributions principales. Ce sont d'abord les recours ouverts aux parties privées et publique contre
les décisions et actes du juge d'instruction (I), puis le contrôle exercé par son président doit veiller
au bon fonctionnement des cabinets d'instruction de son ressort (II).
171 Art. 224 et s. CPP : il peut adresser aux membres de la PJ des observations. L'article 227 du CPP lui donne même le pouvoir d'interdire l'exercice de leur fonction d'OPJ, temporairement ou définitivement, dans le ressort de la Cour d'appel ou sur le territoire national.
172 Art. 696-13 CPP : la chambre de l'instruction recueille les observations de la personne réclamée et statue sur les conditions de fond de l'extradition.
173 Art. 783 CPP174 Art. 658 CPP : lorsque deux juges d'instruction appartenant au même ressort sont saisis simultanément de la même
infraction, la chambre de l'instruction règle le juge compétent.175 Art. 221-2 CPP : le délai est ramené à deux mois lorsque la personne mise en examen est placée en détention
provisoire.176 Art. 194 CPP177 Art. 197 CPP178 Art. 199 CPP
67
I/ Les recours devant la chambre de l'instruction
La chambre de l'instruction ne connaît de l'information menée par le juge d'instruction que si
elle est saisi du dossier. Elle opère toutefois un large contrôle sur les actes du juge d'instruction et
s'affirme comme le principal garde fou tendant à encadrer l'exercice des ses pouvoirs. Elle a pour
mission, d'une part, de statuer sur les appels interjetés contre les ordonnances du magistrat
instructeur (A) et, d'autre part, de statuer sur la régularité des actes diligentés par le juge
d’instruction avec la possibilité de prononcer la nullité (B).
A. Une voie d'appel contre les décisions du juge d'instruction ou du JLD
La loi confère aux parties privées, à savoir le mis en examen et la partie civile, ainsi qu'à la
partie publique, à savoir le Procureur de la République, un droit d'appel contre les décisions du juge
d'instruction dont le champ varie en fonction de la qualité de l'appelant. L'appel est interjeté par
déclaration au greffe du TGI notifiée aux parties dans les cinq jours qui suivent la notification de
l'ordonnance. Par exception, l'appel du Procureur général doit être signifié aux parties dans les dix
jours suivant l'ordonnance du juge. Le mis en examen détenu provisoirement peut interjeter appel
auprès du chef de l'établissement pénitentiaire179.
L'article 185 du CPP dispose que « le procureur de la République a le droit d'interjeter appel
devant la chambre de l'instruction de toute ordonnance du juge d'instruction ou du juge des libertés
et de la détention ». En effet, le parquet en tant qu'agent des poursuites, bénéficie d'un droit d'appel
général concernant toutes les ordonnances, quelque soit la décision du juge. En l'absence
d'ordonnance du juge d'instruction ou du JLD dans un délai de dix jours consécutivement à des
réquisitions contraires prises par parquet, celui-ci pourra saisir « directement » la chambre de
l'instruction180.
En effet, l'appel interjeté par les parties privées concernant l'ordonnance de rejet d'une
demande d'acte, peut être soumis au filtre du président de la chambre de l'instruction, lequel décide
de la saisine ou non de la chambre par une ordonnance insusceptible d'appel. Il s'agit surtout de
prévenir les recours dilatoires susceptibles d'être formés tant par le mis en examen pour repousser le
179 Art. 185 CPP180 Art. 82 CPP
68
prononcé de sa peine que par la partie civile pour retarder la mise hors de cause du défendeur. Pour
le reste, les appels sont portés directement devant la chambre de l'instruction, s'articulant autour de
manifestations distinctes selon la place qu'occupe la partie au procès. Ainsi le mis en examen qui est
la partie défenderesse peut-il faire appel des ordonnances visant la compétence, la recevabilité de la
partie civile ainsi que le contrôle judiciaire et la détention provisoire.
La loi du 5 mars 2007 entérine l'obligation pour la chambre de l'instruction d'effectuer un
réexamen d'une décision de placement en détention provisoire tous les trois mois. De son côté, la
partie civile étant la partie demanderesse au procès peut quant à elle interjeter appel des
ordonnances visant la compétence et l'irrecevabilité de la constitution de partie civile, des
ordonnances de non-informer, de non-lieu et les ordonnances faisant grief à ses intérêt civils.181
L'appel produit un effet suspensif en principe s'agissant de les ordonnances à l'égard
desquelles il est interjeté. En d'autres termes, l'ordonnance frappée d'appel ne pourra pas faire l'objet
d'une exécution tant qu'il n'aura pas été statué sur cet appel. L'effet suspensif est également acquis
pendant le délai d'appel, exception faite du délai de dix jours du procureur général. Or, la règles est
écartée pour toutes les ordonnances concernant la liberté du mis en examen (contrôle judiciaire et
détention provisoire) qui restent exécutoires jusqu'à leur infirmation182.
Enfin, l'appel n'interrompt pas le cours de l'instruction au regard du principe de continuité
posé à l'article 187 CPP. Toutefois, le président de la chambre de l'instruction peut ordonner par une
décision insusceptible de recours, que l'instruction soit suspendue. D'ailleurs, le même texte précise
qu'il en va de même lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'une requête en nullité.
B. Une requête en nullité des actes de la procédure
À tout moment au cours de l'instruction, il peut survenir des actes irréguliers ou illicites contre
lesquels le procureur de la République et les parties, que sont le mis en examen, le témoin assisté et
la partie civile, peuvent former un recours en annulation devant la chambre de l'instruction183.
On distingue classiquement entre les nullités textuelles, lorsqu'un texte prévoit expressément
181 Art. 186 CPP182 Les mécanismes de référé-liberté et référé-détention étudié précédemment permettent d'accélérer la procédure
d'appel et donc l'infirmation de l'ordonnance visée qui doit être sitôt suivie d'effet.183 Art. 173 CPP
69
la nullité d'un acte irrégulièrement accompli comme c'est le cas en matière de perquisition ou
d'écoutes téléphoniques, et les nullité dite « virtuelles », en cas de méconnaissance d'une formalité
substantielle d'un acte qui a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle
concerne184. De manière générale, la requête en nullité ne peut être soulevée que si l'acte en question
n'est pas susceptible d'appel.
En dépit d'un nombre important de nullités, la pratique révèle leur prononcé est assez rare car
leur mise en oeuvre se confronte à plusieurs éléments qui méritent d'être pris en compte. L'existence
des purges de nullités se concrétise au travers de plusieurs situations. Tel est le cas lorsqu'une partie
renonce expressément à se prévaloir d'une irrégularité résultant de la méconnaissance d'une
formalité substantielle185.
Le cas des forclusions également qui, sous peine d'irrecevabilité, oblige les parties à faire état
des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant ou pendant leur interrogatoire ou audition
dans un délai de six mois à compter de ces interrogatoire ou audition, la loi du 9 mars 2004 a
notamment étendu cette hypothèse aux interrogatoire et audition ultérieurs186.
De surcroît, lorsque la chambre de l'instruction est saisie, les parties doivent lui proposer tous
les moyens de nullité dont elles ont pu avoir connaissance, à défaut de quoi elles ne seront plus
recevables à en faire état, sous réserve du droit de la chambre de les relever d'office187. Dès lors, si
ces conditions sont satisfaites et si la chambre de l'instruction admet l'irrégularité de l'acte visée, elle
prononce la nullité et peut décider d'étendre l'annulation soit à tout ou partie des seuls actes vicié,
soit à à tout ou partie de la procédure ultérieure.
Toutefois, la jurisprudence de la chambre de l'instruction est sujette à certaines incertitudes
concernant la mise en œuvre de ces nullités. En effet, l'article 802 du CPP conditionne le prononcé
d'une nullité à ce que l'irrégularité examinée ait porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle
concerne, reprenant l'idée de l'adage « pas de nullité sans grief ». Autrement dit, la nullité suppose
la démonstration par celui qui l'invoque d'un grief à ses intérêts. Ainsi, le prononcé des nullités reste
relativement rare car hormis la démonstration d'un grief, la nullité péremptoire c'est-à-dire ne
requérant pas la démonstration d'un grief, est finalement limitée au cas de l'atteinte à l'ordre public.
184 Art. 171 CPP185 Art. 172 CPP186 Art. 173-1 CPP187 Art. 174 CPP
70
Le contrôle de la chambre de l'instruction encadre l'exercice des pouvoirs du juge d'instruction
en ce qu'elle peut reprendre en main la conduite de l'information pour rendre un arrêt de clôture.
Avant la clôture de l'instruction, elle dispose d'un champ de contrôle étendu notamment, par le
biais de l'évocation, elle est amenée à examiner la totalité du dossier. En ce sens, elle peut remettre
en liberté même d'office un détenu provisoirement, voire l'astreindre au contrôle judiciaire188. Elle
peut également demander à ce qu'il soit informé contre les personnes mises en examen ou prévenus
ou demander la mise en examen de personnes renvoyées devant elle ou non, sur tous les chefs
d'infractions, principaux ou connexes au dossier, à condition que ces personnes n'aient pas fait
l'objet d'une décision de non-lieu devenue définitive189. La chambre de l'instruction peut prescrire de
compléter l'information en cours en ordonnant une expertise ou un supplément d'information190.
Enfin, l'annulation de la procédure irrégulière et l'infirmation d'une ordonnance par la voie de
l'appel lui permet soit de renvoyer l'affaire à un juge d'instruction, soit d'évoquer l'affaire et terminer
l'information. L'arrêt de clôture rendu pourra emporter le non-lieu ou le renvoi devant une
juridiction de jugement. Toutefois, hormis le contrôle juridictionnel qui porte sur les actes et les
décisions du juge d'instruction sur la forme ou sur le fond, le Président de la chambre d'instruction
exerce quant à lui un contrôle sur la gestion du cabinet du juge d'instruction.
II/ Le contrôle de la gestion de l'office du juge d'instruction
L'activité du juge d'instruction fait l'objet d'un contrôle du président de la chambre de
l'instruction dans le ressort de la Cour d'appel auquel se rattache sa juridiction. Le champ de ce
contrôle est strictement défini puisqu'il ne concerne que l'aspect fonctionnel et gestionnaire de
l'office du juge d'instruction, autrement dit sa performance globale. Quand bien même certains
argueront que ce contrôle obéirait d'avantage à des considérations formalistes, il demeure primordial
dans l'encadrement des fonctions du juge d'instruction et, au surplus, représente une garantie
supplémentaire indéniable pour les justiciables lors de l'instruction préparatoire.
Le contrôle est opéré par le Président de la chambre de l'instruction et rentre dans ses
188 Art. 201 CPP189 Par combinaison des articles 202 et 204 CPP190 Art. 205
71
attributions propres fixées aux articles 219 et suivants du CPP. Le Président de la chambre de
l'instruction est un magistrat du siège de la Cour d'appel investi d'une vaste mission posant par
conséquent la question de l'effectivité de sa mise en œuvre.
Or, à la lecture du texte, le Président de la chambre de l'instruction apparaît comme un
véritable garant de « la bonne administration » du cabinet du juge d'instruction. Il lui appartient de
veiller à l'absence de négligence dans le travail quotidien du juge d'instruction, plus concrètement de
surveiller les abus dans la pratique des commissions rogatoires ou des enquêtes de personnalité, de
veiller à ce que les procédures ne prennent pas un retard injustifié191 et d'observer les demandes de
clôture de l'instruction à l'expiration de certains délais. À cette fin, le juge d'instruction lui adresse
une notice semestrielle dans laquelle il indique, pour chaque dossier dont il est saisi, la date du
dernier acte d'information exécuté. Il peut ainsi, s'il l'estime nécessaire, se déplacer pour rendre
visite aux juges d'instruction au sein de leur cabinet.
Par ailleurs, le Président intervient au titre de la protection des libertés individuelles, par ses
visites dans les maisons d'arrêt dans le but de vérifier qu'il n'y ait pas de détention provisoire
injustifiée. Il intervient également au titre des droits de la défense dans le cadre, par exemple, de la
contestation par le mis en examen de l'audition d'un témoin gardant l'anonymat, ou encore au titre
du droit au respect de la vie privée. En outre, le président constitue un filtre aux demandes parfois
dilatoires des parties à l'intention de la chambre de l'instruction.
La mise en oeuvre de ce contrôle se heurte néanmoins à des obstacles matériels tant le temps
manque cruellement aux magistrats face à l'engorgement des voies de droit actuelles, ainsi le
président conserve-t'il la possibilité de déléguer tout ou partie de ses pouvoirs à un autre magistrat
du siège. Si le président de la chambre de l'instruction est également consulté pour la notation du
juge d'instruction, son influence reste toutefois limité car, en l'absence d'un pouvoir contraignant
réel, il ne peut être reproché au juge d'instruction d'avoir procédé à un acte tendancieux.
191 Par combinaison des article 220 et 221-2 CPP
72
Titre 2 : Les « grandes causes » de la suppression du juge d'instruction
Le débat sur la suppression du juge d'instruction anime les pensées depuis des siècles. Parmi
les causes de cette suppression, de nombreux paramètres rentrent en compte. L'affaiblissement de la
nature inquisitoire de l'instruction préparatoire a irrémédiablement marqué un tournant vers une
procédure d'instruction contradictoire, dont la perspective se renforce par la tentation accusatoire
véhiculée par les systèmes judiciaires voisins et par les instances européennes. Aussi, la remise en
cause du rôle du juge d'instruction et de la manière dont il exerce ses fonctions semble s'étendre à
l'ensemble de l'institution au travers des récents scandales judiciaires.
Il faut dire que, depuis 2002, les pouvoirs du Parquet n'ont cessé de grandir au détriment des
juges du siège. Il est un corps puissant de l'institution judiciaire car la loi lui confère dorénavant un
rôle primordial dans toutes les procédures rapides face aux infractions de masse. L'extension du
domaine des enquêtes préliminaire et de flagrance sous la direction du parquet permet dorénavant
d'éviter de saisir le juge d'instruction.
En parallèle, la création du JLD par la loi du 15 juin 2000 a privé le juge d'instruction de son
pouvoir de placer en détention provisoire, dont le recours était devenu quasiment systématique.
Désormais, non seulement le juge d'instruction partage des pouvoirs qui lui étaient autrefois
propres, mais il agit de moins en moins de son propre chef.
Quant à la loi du 5 mars 2007, elle a favorisé un regroupement matériel et fonctionnel des
juges d'instruction dans l'exercice de leur fonction. Pourtant, il faut bien admettre que
l'enchevêtrement des réformes n'a pas permis d'endiguer toutes les dérives pratiques.
Si la question de la suppression du juge d'instruction est au coeur des débats en France tant la
fonction paraît aujourd'hui soulever bon nombre de critiques (Chapitre 1), le rayonnement des
dispositions européennes sur notre procédure pénale d'inspiration inquisitoire a pour sa part
métamorphosé le rôle du juge d'instruction en ce qu'il s'affiche désormais comme le garant de
l'équité de la procédure, procédant d'une tentation accusatoire étrangère à la tradition judiciaire
française. (Chapitre 2).
73
Chapitre 1 : L'amoncellement des critiques à l'égard du juge d'instruction
« Aucune puissance humaine, ni le roi, ni le garde des sceaux, ni le premier ministre ne peut
empiéter sur le pouvoir d'un juge d'instruction, rien ne l'arrête, rien ne le commande. C'est un
souverain soumis uniquement à sa conscience et à la loi. En ce moment, où philosophes,
philanthropes et publicistes sont incessamment occupés à diminuer tous les pouvoirs sociaux, le
droit conféré par nos lois au juge d'instruction est devenu l'objet d'attaques d'autant plus terribles,
qu'elles sont presque justifiées par ce droit, qui, disons-le, est exorbitant. Néanmoins, pour tout
homme sensé, ce pouvoir doit rester sans atteinte ; on peut, dans certains cas, en adoucir l'exercice
par un large emploi de la caution ; mais la société, déjà bien ébranlée par l'inintelligence et par la
faiblesse du jury, serait menacée de ruine si l'on brisait cette colonne qui soutient tout notre droit
criminel ».
- Balzac, Splendeur et misère des courtisanes, 1838
Le juge d'instruction endossent de nombreux griefs qui se retrouvent à toutes les époques
depuis sa création. Le Code d'instruction criminelle de 1808 avait fait du juge d'instruction le rouage
du système répressif en lui confiant l'essentiel des pouvoirs inquisitoires. La lutte contre l'arbitraire
avait d'ailleurs poussé les penseurs, à l'instar de Balzac, à se méfier de ces puissants pouvoirs dont
l'exercice était laissé à un Homme seul face à son unique jugement. En effet, le juge d'instruction se
situe à l'interstice de la sécurité collective et des libertés individuelles car pour préserver la sécurité
des uns, il peut porter atteinte aux libertés des autres.
L'entrée en vigueur du CPP du 2 mars 1959, qui le détacha de la tutelle du procureur de la
République, avait confirmé la dualité des pouvoirs du juge d'instruction. À la fois juge et enquêteur,
il cumulait des pouvoirs juridictionnels et des pouvoirs d'investigation dont la compatibilité est
encore à l'heure actuelle très controversée, même si le législateur a progressivement tenté de réduire
leur portée.
En réalité, le juge d'instruction est à la fois un une personne et une institution. Cela nous
ramène à observer l'intérêt de la question de sa suppression au regard des postulats d'Hobbes et de
74
Rousseau portant sur la nature humaine. Si pour Hobbes, « l'Homme est un loup pour l'Homme »192,
les institutions peuvent toutefois garantir des comportements positifs. Tandis que, pour Rousseau au
contraire, c'est l'institution qui corrompt l'Homme en ce qu '« il ne devient bon ou mauvais que par
l’application qu’on en fait et les relations qu’on lui donne »193.
La succession des fiascos judiciaires n'ont été que l'occasion de voir resurgir des griefs qui
semblent bel et bien immuables, ayant trait à la manifestation du pouvoir. La toute-puissance du
juge d'instruction, sa schizophrénie, son inutilité, son isolement et sa jeunesse, la lenteur et la rareté
de son intervention sont autant de dialectiques maintes fois employées par le passé et qui continuent
de prendre aujourd'hui tout leur sens.
La multiplicité des critiques a sans doute suggéré de repenser l'existence du juge d'instruction
par rapport à son utilité dans la phase préalable du procès pénal (Section 1), puis la défiance suscitée
par l'exercice de ses pouvoirs a profondément remis en cause le maintien de l'institution du juge
d'instruction (Section 2).
Section 1 : Des doutes sur la nécessité de l'existence du juge d'instruction
Le juge d'instruction a acquis ses lettres de noblesse sous le régime Napoléonien où les
craintes et les peurs qu'il inspirait jadis était mise au profit d'une vision autoritaire ancrée dans les
mémoires au travers de son mythe. Véritable artificier de la justice pénale, il était indispensable
dans le cadre des crimes et des délits qui nécessitaient des investigations lourdes et complexes.
L'existence du juge d'instruction est aujourd'hui largement remise en cause, la marginalité de son
intervention (I) n'est que la conséquence, à notre sens, de son inadaptation face aux enjeux de notre
époque (II).
I/ La marginalité de l'intervention du juge d'instruction
Obligatoire en matière criminelle et facultative lorsque la complexité ou la gravité d'un délit le
justifie, le juge d'instruction est aujourd'hui saisi de moins de 5 % des affaires pénales. Le centre de
192 T. HOBBES, Le léviathan, 1668193 J-J. ROUSSEAU, Le contrat social, 1762
75
gravité des investigations semble s’être déplacé en amont, vers l’enquête placée sous l’autorité du
magistrat du parquet. En effet, l'ouverture résiduelle d'une information judiciaire endosse les griefs
de sa lenteur et de sa complexité (A) qui, face au processus de « correctionnalisation » des crimes et
délits ainsi qu'à l'essor des mesures alternatives au procès sous l'égide du parquet (B), fait de
l'intervention du juge d'instruction une marginalité au sein du paysage judiciaire français.
A. L'ouverture d'une information judiciaire, une exigence résiduelle
Le juge d'instruction serait-il devenu inutile ? Une phase d'instruction préparatoire surchargée
par rapport aux moyens déployés, un juge d'instruction sur le déclin confrontée à la lenteur de
l'acheminement de la procédure dont l'ouverture est devenue rare et exceptionnelle.
En 1864, Bonneville de Marsangy qui vouait déjà une obsession aux lenteurs de la procédure
d'instruction, proposait ainsi dans son livre De l'amélioration de la loi criminelle d'y recourir le
moins souvent possible ; réservant l'intervention du juge d'instruction « en matière criminelle, en cas
d'arrestation seulement ou de grande complexité, en matière délictuelle »194. Cette suggestion
s'inscrivait dans un mouvement général tendant à retirer de la compétence du juge d'instruction les
affaires issue de la petite criminalité afin de les traiter dans le cadre de l'enquête parquetière.
La loi du 20 mai 1863 sur les flagrants délits avait notamment permis au Procureur de déférer
une personne poursuivie soit sur le champ devant le tribunal correctionnel, soit le lendemain avec
placement en détention provisoire. La règle a finalement été reprise dans le CPP consacrée à l'article
79 CPP qui rend obligatoire l'instruction préparatoire en matière de crime et de délits relevant de
dispositions spéciales. A l'inverse, elle est facultative pour les petits et moyens délits de même pour
certaines contraventions si le procureur le requiert.
La raréfaction de la saisine du juge d'instruction tient avant tout à ses lenteurs, des
procédures lourdes et complexes qui engorgent le fonctionnement quotidien du système judiciaire
auxquelles sont aujourd'hui préférées des procédures rapides et simplifiées à l'initiative du parquet,
souvent au détriment de l'idée d'une certaine qualité de la justice.
Le rapport Delmas-Marty relevait que la durée moyenne de l’instruction était passée de 1 à 9
mois entre 1810 et 1980. Depuis lors, les multiples retards accumulés poussent la durée moyenne de
194 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, Paris, 1991 p. 69
76
l’instruction à une croissance exponentielle, atteignant jusqu'à 18,2 mois en 2003 alors même que le
nombre d’ouvertures d’information baisse de 11% entre 1999 et 2003195. Cette durée moyenne
s'établit à 36 mois pour les affaires de moeurs ou financières. Il faut dire que les multiples
condamnations prononcées chaque année par la CEDH pour non-respect du délai raisonnable
placent la France parmi les pires élèves de l'Union Européenne derrière l'Italie et devant la Pologne.
Par conséquent, si au début du XXe siècle, la juridiction d'instruction pouvait se prévaloir de
quelques 90.000 à 100.000 dossiers chaque année, la régression est frappante puisque les juges
d'instructions n'ont été saisi que de 30.800 affaires nouvelles en 2006 contre 43.600 en 1997 ; pour
une moyenne de 7,4 % des crimes et délits poursuivis en 1996, et finalement 4,3 % en 2006196.
On remarque, dans le même temps, une diminution visible des saisines des juridictions
d'instruction spécialisées dans les affaires politico-financières. Jean-Paul Jean relève ainsi qu'en
2006, les juges issus du pôle financier ont été amenés à connaître 200 nouveaux dossiers, contre 165
en 2007 et 90 en 2008197. Aussi, l'engagement des responsabilités personnelles des juges
d'instruction en raison des retards injustifiés des procédures est une pratique qui se développe au
sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). L'exemple de Daniel Legrand, vice-président
chargé de l'instruction du TGI du Mans, qui s'est vu imposé une mise à la retraite d'office pour avoir
délaissé 71 dossiers sur les 152 dont il avait eu à connaître entre 1998 et 2007.
En effet, les interventions successives du Parquet, du juge d'instruction et du JLD font de
l'ouverture d'une information judiciaire un circuit complexe impliquant des lourds débats ainsi
qu'une pluralité d'intervenants qui mobilisent du temps, en particulier pour les affaires sensibles où
la lenteur paraît tout de même plus justifiée.
La longévité des informations judiciaires peut s'expliquer, sur un plan matériel, par
l'insuffisance des conditions de fonctionnement du cabinet d'instruction. Le binôme greffier-juge se
trouve confronté à assurer seul le suivi et l'avancement simultanée d'une centaine de dossiers quelle
que soit leur importance, tout en devant gérer dans le même temps des dizaines de détenus.
À cela, s'ajoute la « procéduralisation » de l'instruction qui, au fil des réformes législatives, a
multiplié les actes formalistes au risque d'un éventuel dévoiement de la mission du juge
195 MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Annuaire statistique de la justice : rapport, 2008196 MINISTÈRE DE LA JUSTICE, rapport op. cit.197J-P JEAN, Supprimer le juge d'instruction, pourquoi pas ? mais... : note, Fondation Terra Nova, 2009
77
d'instruction, ainsi que les possibilités de recours ouvertes aux parties. Les recours aux fins de
demandes d'actes, de nullité ou en incidents formés auprès de la chambre de l'instruction
s'additionnent ainsi aux contentieux déjà conséquents de la détention provisoire et du contrôle
judiciaire, participant à rendre ces gardes fous inopérants.
Enfin, les constitutions de parties civiles sont souvent en proie à un aspect dilatoire visant à
retarder l'issue du volet civil du procès ou à faire procéder à des investigations aux frais de la
Justice, alors même qu'elles s'achèvent pour la plus grande partie par un non-lieu. Mais la loi a
institué différents procédés pour lutter contre cette tendance, le plaignant de mauvaise foi peut faire
l'objet d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse à l'initiative de toute personne visée dans la
plainte avec constitution de partie civile, permettant de demander le versement de dommages et
intérêts dans un délai de trois mois qui suivent l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction198.
Notons que la dénonciation calomnieuse est sanctionnée de manière autonome par le Code
pénal199. La fixation d'une consignation, c'est-à-dire d'une somme d'argent peut être demandée au
plaignant afin de garantir le paiement de l'amende prévue. En outre, la loi du 5 mars 2007 a limité la
portée de cette dernière critique en ajoutant des dispositions majeures qui visent à dissuader les
constitutions abusives ou dilatoires de partie civile.
La rareté et la lenteur du déroulement de l'instruction préparatoire contribuent donc à
favoriser la marginalité de l'action du juge d'instruction. Bien plus inquiétant encore, l'allongement
de la durée de placement en détention provisoire s'ajoute à l'allongement de la durée de
l'information judiciaire, en dépit du postulat selon lequel toute personne poursuivie doit être
présentée à une juridiction de jugement dans un délai raisonnable. En marge, le parquet a développé
des pratiques soucieuses d'assurer la vélocité de la procédure pénale en promouvant l'efficacité de la
sanction dans la mise en oeuvre de la politique pénale.
B. L'évolution des pratiques parquetières
D'abord, l'évolution des pratiques parquetières met en évidence l'expansion du phénomène
de « correctionnalisation » judiciaire par le biais de la comparution immédiate, remplaçant la
198 Art. 91 CPP199 L'art. 434-26 CP dispose que « le fait de dénoncer mensongèrement à l'autorité judiciaire ou administrative des faits
constitutifs d'un crime ou d'un délit qui ont exposé les autorités judiciaires à d'inutiles recherches est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende ».
78
procédure dite de « flagrant délit ». Il s'agit d'un mode de règlement des dossiers pénaux aujourd'hui
privilégié qui emprunte un circuit court, puisque l'enquête préliminaire débouche directement sur
une convocation à bref délai200 aux fins de comparaître devant une juridiction de jugement.
L'article 395 CPP mentionne trois conditions relatives à sa mise en oeuvre : elle s'applique aux
délits dont la peine maximale encourue est au moins égale à deux ans d'emprisonnement ou, en cas
de délit flagrant, si la peine maximale encourue est au moins égale à six mois d'emprisonnement ; et
lorsque le Procureur estime que les faits sont suffisamment établis et que le dossier est en état d'être
jugé. Bien que les avocats évoquent souvent une marge de temps insuffisante pour préparer une
défense adéquate, force est de constater que cette procédure est facilement acceptée dans la pratique
par les personnes poursuivies, qui préfèrent être jugées dans le cadre de la comparution immédiate
notamment dans le but d'éviter un placement en détention provisoire dont le terme est souvent
incertain. Notons que les violences, les vols ou les délits routiers font souvent l'objet d'un traitement
par cette voie rapide.
Ensuite, l'essor des mesures alternatives aux poursuites et de leur recours s'inscrit dans une
volonté de contractualiser le règlement de l'infraction, par le choix d'une troisième voie qui se situe
entre le classement sans suite et le déclenchement des poursuites.
En effet, la loi du 23 juin 1999 vient renforcer l'efficacité de la procédure pénale, en instituant
une diversité de classement sous conditions, soit auprès de l'autorité des poursuites ou par
délégation à un OPJ : le rappel à la loi, la régularisation de la situation fiscale, la réparation du
dommage causé et la médiation pénale ; soit par le biais de structures sanitaire, sociale ou
professionnelle aux frais de l'intéressé : un stage professionnel, une formation, un stage de
citoyenneté ou de sensibilisation à la sécurité routière.
De même, la création de la composition pénale201 applicable à des délits et contraventions
limitativement énumérés permet au Procureur de proposer à la personne qui a reconnu sa culpabilité
d'exécuter certaines obligations en contrepartie de l'extinction des poursuites. Depuis la loi du 9
septembre 2002, les mesures de composition pénale sont inscrites sur le casier judiciaire et leur
validation peut être déléguée au juge de proximité.
200 Entre 10 jours et 2 mois selon l'art. 394 CPP.201 Art. 41-2 CPP
79
Aussi, la loi du 9 mars 2004 est intervenu dans une optique de désengorgement des
juridictions et d'efficacité de la réponse pénale, en encourageant le recours aux mesures alternatives
aux poursuites. Elle institue la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC),
plus communément appelée la procédure dite du « plaider coupable », qui s'affilie au mécanisme de
la composition pénale202. Elle permet au Procureur de la République de proposer à une personne
poursuivie qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés une sanction pénale acceptée par celle-ci et
homologuée par le juge pénal203. Il s'agit d'éviter la procédure de jugement de droit commun dès lors
qu'il existe un accord sur les points essentiel du dossier que sont la culpabilité, la peine et le
quantum204. Cette procédure ne s'applique qu'aux majeurs ayant commis un délit dont la peine
d'emprisonnement encourue est inférieure à cinq ans, et ne s'applique a contrario ni aux mineurs, ni
en cas de délits d'homicides involontaires, de délits de presse, de délits politiques ou de délits dont
la procédure est prévue par une loi spéciale.
Enfin, la généralisation du traitement en temps réel (TTR) depuis 1990 a vocation à
s'appliquer à un grand nombre d'affaires pénales permettant au parquet, lorsque le dossier est
suffisamment étayé, de communiquer l'orientation du dossier sur un simple appel téléphonique des
services enquêteurs. L'usage des nouvelles techniques de communication a ainsi permis d'instaurer
un contrôle lors du traitement par courrier des procédures205. L'organisation parquetière met en
exergue la création de nouveaux bureaux d'enquêtes permettant aux grands parquets de privilégier le
traitement des affaires de moyenne complexité par le biais de l'enquête préliminaire, tant qu'une
mesure coercitive n'est pas envisagée, en s'adressant au JLD pour procéder aux actes les plus
attentatoires aux libertés individuelles (perquisitions, écoutes téléphoniques etc.).
Ainsi, l'évolution des pratiques parquetières poursuit un objectif de rapidité et d'efficacité dans
le fonctionnement de la justice pénale qui semble bien vouloir rompre avec l'intervention rare et
lente du juge d'instruction. L'évolution des pratiques parquetières et notamment le renforcement de
ses pouvoirs quasi-juridictionnels concrétisent le rôle prédominant du parquet dans la procédure
pénale, faisant de l'intervention du juge d'instruction une nécessité résiduelle. La marginalité de
202 L'adoption de cette loi a largement été influencée par la procédure du plea-bargaining aux États-Unis, permettant au Procureur de traiter toutes les infractions, du meurtre au vol simple, dans le cadre d'une procédure simplifiée et rapide.203 Art. 495-7 CPP204 La proposition de la peine et de son quantum par le Procureur étant faite selon les modalités de l'art. 495-8 CPP.205 Toutefois, comme le relève Catherine Giudicelli, la multiplication des affaires pénales est venue limiter son rôle à un contrôle très formel tant il est parfois difficile de joindre un parquetier - avec des délais d'attente téléphonique records - tout comme le fait de devoir refaire le récit de l'enquête au fil du changement des permanences, le plus souvent sur un rythme de 24 heures, « c'est-à-dire sur une période plus courte qu'une durée de garde à vue [ce qui] ne favorise pas la continuité de l'enquête ».
80
l'intervention du juge d'instruction n'est alors que la conséquence de son inadaptation aux
nombreuses évolutions de la procédure pénale.
II/ L'inadaptation du juge d'instruction face aux enjeux de notre époque
La fonction de juge d'instruction a connu de profondes mutations depuis le Code de
l'instruction criminelle de 1808 qui, au fil des réformes, a laissé transparaître un sentiment
d'inadaptation dans la lutte contre une criminalité grandissante et évolutive. Aujourd'hui, le
cloisonnement de la fonction du juge d'instruction entre l'inexpérience et la solitude (A) se
confronte à l'absence de la plus-value de son travail (B).
A. Le cloisonnement du juge d'instruction : entre isolement et jeunesse
La solitude et l'inexpérience du juge d'instruction sont des critiques récurrentes adressées par
ses détracteurs. Ces deux attraits ont été largement mis en exergue à la suite de l'affaire « Outreau »,
lors de l'audition parlementaire retransmis en direct à la télévision. Des millions de gens découvrent
alors le visage d'un juge trop jeune mais surtout beaucoup trop seul. Tiraillées entre l'isolement et la
jeunesse, les fonctions du juge d'instruction obligent pourtant à de grandes responsabilités,
requérant qualité et investissement personnel de la part du magistrat.
Déjà en 1818, Béranger soulignait dans son ouvrage Justice criminelle en France d'après les
lois permanentes, les lois d'exception et les doctrines des tribunaux la jeunesse de ce corps de
magistrats, ironisant que ces juges étaient « des hommes en quelque sorte imberbes »206, les
critiques se sont radicalisés au fil des siècles. Mais il serait fort malvenu d'affirmer cette conception
empirique de la fonction soutenant que le savoir découle de l'expérience, car la compétence d'un
juge n'est pas forcément rattachée à son âge. N'oublions pas que les futurs magistrats issus de
l'École Nationale de la Magistrature (ENM) représentent la Justice de demain et, à ce titre, il est
dans l'ordre naturel des choses que toute carrière doit avoir un commencement. Que seraient les
grands juges sans leurs débuts ? Ce stigmate de la jeunesse a refait surface lors de l'affaire
« Outreau » qui a relancé les plus vifs débats.
Plusieurs solutions ont été envisagées pour préparer l'entrée en fonction des futurs magistrats,
206 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, Paris, 1991
81
notamment en organisant à la sortie de l'ENM des formations spécialisées dans certaines branches
du droit. Bonneville de Marsangy proposait notamment la création d'une école des juges
d'instruction eu égard à la complexité des dossiers ainsi qu'à la responsabilité afférente aux pouvoirs
dont il dispose. L'idée d'une ancienneté minimale a également été abordée sans pour toutefois faire
l'objet d'une réelle consécration législative.
La nomination aux fonctions de l'instruction est relativement encadrée, plus spécifiquement
par les recommandations fonctionnelles instituées en 1996. Le jury de classement peut ainsi assortir
sa déclaration d'aptitude à l'exercice des fonctions judiciaires qu'il a pour tâche d'émettre à une
recommandation sur les fonctions que l'auditeur de justice est le mieux à même d'exercer lors de son
premier poste. Cette faculté permet d'écarter l'accès prématuré pour certains auditeurs de justice à
l'exercice de certaines fonctions. Mais, en pratique, comme le relève les rédacteurs du projet de loi
organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats de 2006-2007,
« ces recommandations sont rares et de faible portée : elles n'emportent aucune obligation pour les
auditeurs qui peuvent choisir le poste qu'ils souhaitent. Par ailleurs, ces recommandations ne sont
transmises aux autorités de nomination qu'à l'occasion de la première affectation en juridiction puis
sont versées au dossier de l'auditeur conservé par l'ENM »207.
Au surplus, on constate que le CSM dispose d'un moindre pouvoir de contrôle puisqu'il n'a
vocation qu'à donner un avis conforme s'agissant des propositions de nomination des magistrats du
siège. A contrario, le cumul de l'ancienneté et le poids de l'habitude peuvent également contrarier
l'exercice des fonctions de juge d'instruction, la loi du 25 juillet 2001 permet ainsi de restreindre la
durée de certaines fonctions, notamment celle de l'instruction.
La solitude du juge d'instruction était jadis indissociable de sa « toute puissance », car le
fait de concentrer tant de pouvoirs entre les mains d'un seul juge laissait perplexe quant aux
éventuelles dérives inhérentes à la nature humaine : ego sur-dimensionné, abus de pouvoirs etc. Or,
les limites aux pouvoirs du juge d'instruction introduites par le législateur ont participé à le
cloisonner dans une solitude qui s'apparente aujourd'hui davantage à un affaiblissement de son rôle
dans la justice pénale. Sur le plan fonctionnel, la solitude s'exprime d'abord par l'isolement du
cabinet du juge d'instruction vis-à-vis du parquet et des autres services, de même l'organisation
matérielle invite à l'opposition d'un juge d'instruction jeune et solitaire face à un parquet fort
207 COMMISSION DES LOIS présidée par J-J. HYEST, projet de loi organique n°125 relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats : rapport, 2006-2007
82
travaillant en équipe208. Cette représentation de la solitude se retrouve au moment du travail de
réflexion dans la conduite de l'instruction préparatoire et pèse d'autant plus au moment de la
décision209. Car hormis des contacts purement informels avec d'autres juges d'instruction qui ne sont
pas saisis du dossier, et donc n'en connaissent pas plus ses éléments factuels, ce personnage solitaire
ne bénéficie pas du bienfait des échanges qu'apporte le travail collectif permettant souvent d'enrichir
une réflexion personnelle.
En effet, les hypothèses de co-saisine étant autrefois restreintes, la conduite commune des
investigations ne s'entendait pas comme une réalité pratique. Mais c'est sans compter sur la loi du 5
mars 2007 qui, on y reviendra, a instauré la collégialité et a étendu le domaine de la co-saisine afin
de pallier ces difficultés. Aussi, le contrôle de la chambre de l'instruction et plus particulièrement de
son président ne semble guère contrecarrer la solitude du juge d'instruction dans son travail. Le
rapport Viout faisait d'ailleurs le constat de « l’impossibilité pour un grand nombre de présidents de
chambre de l’instruction d’assurer pleinement leur mission de contrôle en profondeur du bon
fonctionnement des cabinets d’instruction, y compris dans les domaines énumérés par l’article 220.
(…) Leur plan de charge ne leur permet pas davantage de déléguer cette mission à l’un des
conseillers »210.
Enfin, le juge d'instruction se retrouve seul face aux pressions des médias, en particulier lors
des affaires sensibles car il demeure soumis au secret de l'instruction tant et si bien que la
communication des pièces du dossier est limitativement laissée à l'appréciation du parquet. Par
exception, l'article 11 du Code de procédure pénale confère au parquet la possibilité d'établir des
communiqués afin de lutter contre la divulgation des informations erronées ou partielles, ou encore
rétablir une situation génératrice d'un trouble à l'ordre public.
Mais bien plus encore, au delà de la jeunesse et de la solitude, c'est l'action même du juge
d'instruction qui est en cause. En effet, les mauvaises pratiques judiciaires posent dès lors le
problème de l'utilité de la fonction quant à l'apport du travail qu'il fournit.
208 Il est à noter que la loi du 5 mars 2007 institue les pôles d'instruction, qui prévoit un regroupement géographique des juges d'instructions dans les plus grandes juridictions, mais les juges d'instruction au sein des petites juridictions restent soumis à la même problématique.209 Même si la loi du 5 mars 2007 prévoit de résoudre cette double question en instaurant la collégialité, la mise en oeuvre d'un tel dispositif a d'abord été repoussée à 2010 et maintenant à 2011, de quoi laisser songeur sur la volonté du législateur de mobiliser les moyens nécessaires...210 COMMISSION VIOUT, rapport du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », 2005
83
B. L'absence d'apport réel de la phase d'instruction
L'ouverture d'information étant désormais relativement limitée, quelle est la plus-value réelle
du travail du juge d'instruction au regard des affaires dont il est saisi ? Pour bien comprendre cet
apport, il faut se référer à un double héritage légué par le système inquisitoire, à savoir la recherche
active des preuves à travers la manifestation de la vérité et le personnage du juge d'instruction. Or,
l'avènement des nouvelles techniques de preuve consacre l'avancement du rôle du policier qui réduit
considérablement l'efficacité du travail et des méthodes d'un juge d'instruction plus que jamais
dissout dans les travers de son époque.
Le premier héritage du modèle inquisitoire est la préoccupation de la manifestation de la
vérité qui imprègne la démarche du juge d'instruction et qui constitue encore à l'heure actuelle
l'épicentre du procès pénal français. Cette procédure inquisitoire se caractérisait jadis par le recours
à l'administration de la torture dans les affaires criminelles. Il s'agissait d'un outil procédural
employé au service de la manifestation de la vérité, par des aveux qui étaient arrachés au suspect
lorsque les témoins et les preuves matérielles faisaient défaut. Aujourd'hui, la torture est
unanimement prohibée par les textes concourant à la protection des droits fondamentaux, « mais pas
le modèle procédural et intellectuel qui lui était associé »211.
En effet, la pénétration dans notre droit d'éléments relevant de la procédure accusatoire a
insufflé l'exigence d'équité au sein du procès pénal, consacrant par là-même la place prépondérante
des droits des parties au détriment de la production de la vérité exacte des faits. Dans la procédure
inquisitoire, l'établissement de la vérité la plus proche de la réalité est l'exigence fondamentale à la
tenure du procès pénal justifiant ainsi l'intervention du juge d'instruction, alors que dans la
procédure accusatoire au contraire, la vérité émane des débats entre les parties et laissent souvent
planer des doutes et des imprécisions sur des points qui ont été écartés.
Du premier héritage découle le second qui est le personnage du juge d'instruction au
service de la manifestation de la vérité. Descendant du lieutenant criminel qui suscitait tant l'effroi
des populations, il s'affiche toutefois comme l'expert privilégié de la vérité, voué à une quête
insatiable de découvrir le « vrai » qu'il relate dans un récit objectif des faits. Pour Antoine Garapon
et Denis Salas, il est en théorie « l'opérateur d'une rationalisation glacée du travail judiciaire »212. Il
211A. GARAPON et D. SALAS, Les nouvelles sorcières de Salem, leçons d'Outreau,212 A. GARAPON et D. SALAS, op. cit.
84
s'attache à la raison démonstratrice au travers de multiples outils (confrontations, vérifications sur
les lieux ou auprès des personnes etc.) qui s'appuient sur une méthode hypothético-déductive. Il
échafaude des hypothèses qu'il a pour tâche de vérifier au cours de l'enquête, parfois même par
l'emploi de la ruse ou des pièges qu'il tend, s'inscrivant dans une certaine « culture du doute ».
Des sciences expérimentales à leur concrétisation, ces pratiques se retrouvent par exemple
dans l'Ancien Testament, dans lequel le Roi Salomon proposa de trancher l'enfant vivant en deux
que se disputaient deux mères dont l'une avait éprouvé le deuil de son enfant, la vraie mère s'était
manifestée par le renoncement à son enfant afin de lui éviter la mort tandis que l'autre persistait à
demander le partage ; chez les Turcs quand le cadi se trouva face à un turc ayant exercé en tant que
chamelier, qui démentait un vol commis à l'encontre d'un chrétien pour qui il avait accepté de faire
voiturer, le turc finit par abjurer sa profession à l'appel du cadi de sa qualité de chamelier ; ou
encore dans les ouvrages d'Extrême-Orient qui relatent notamment les habilités du Juge Ti, alors
que trois moines bouddhistes se réclamaient d'une injustice du criminel Tsien Mo afin d'obtenir
réparation du vol de leur statue en or, le juge fît procéder à la confrontation des trois descriptions de
ladite statue qui apparurent toutes différentes, révélant ainsi la subtile supercherie213.
Néanmoins, les limites de ces méthodes ont largement été mises en évidence, notamment par
l'instrumentalisation de la torture pour recueillir des aveux, mais de manière plus contemporaine,
lors des scandales judiciaires à l'occasion desquels on s'est rendu compte que la détention provisoire
pouvait être détournée à cette même fin. On remarque que la détention provisoire précédant le
renvoi devant une Cour d'assise est une pratique quasi-automatique, quand bien même la décision
finale aboutirait à un non-lieu. Détournant ses outils à son profit, le juge d'instruction vide ainsi
l'essence de son travail qui consiste à la production d'une vérité objective des faits.
Aujourd'hui, la promotion des preuves rationnelles ouvrent également la voie à de nouvelles
techniques de preuve adaptées aux évolutions technologiques lesquelles confèrent un rôle
déterminant à la police judiciaire :
- En premier lieu, il faut bien constater que le juge d'instruction a appris à délaisser le terrain
au fil du temps, déléguant par le biais des commissions rogatoires tous les actes d'investigation sur
les lieux ou auprès des personnes. Béranger, en 1818, soulignait déjà le rôle grandissant des
policiers dans la conduite des investigations, prenant acte de l'inutilité du juge d'instruction : « les
213 Voir ANNEXE 3
85
juges d'instruction ne font à peu près rien puisque c'est la police qui se saisit, qui arrête et qui
interroge ».
- En second lieu, la parole des experts est devenue déterminante quant à la vérité sur la
personnalité de l'auteur et sur les faits, ce qui pose inévitablement la question du crédit à lui
accorder.
Les constatations matérielles, les écoutes téléphoniques, les surveillances, les vérifications
techniques et scientifiques donnant lieu à la création de services spécialisés, ou encore les auditions
des témoins consacrent le rôle charnier de la police judiciaire et des experts dans la recherche de la
vérité. Aussi le juge d'instruction ne se contente-t-il plus que d'un travail de synthèse en amont afin
d'orienter les questions lors de ses interrogatoires. Que dire également de la synthèse finale du
dossier figurant dans l'ordonnance de règlement qui n'est souvent qu'un copier-coller des
réquisitions définitives rédigées par le Parquet.
Pire encore, l'ouverture d'une information judiciaire aboutirait même à une confusion entre les
différents éléments de preuve recueillis durant les phases successives à tel point que l'établissement
des fais, caractérisé par des témoignages recoupés et des éléments factuels, est parfois rendu délicat
par la neutralisation de plusieurs éléments discordants.
L'apport relatif de la phase d'instruction exhorte ainsi à reconsidérer l'existence du juge
d'instruction dans la procédure pénale : des dérives pratiques dans des méthodes mal maîtrisées,
l'absence de plus-value réel dans le travail du juge d'instruction, le souci du respect de l'équité qui
lui est imposé au détriment de la manifestation de la vérité. À cela, s'ajoute le rôle concurrent des
services enquêteurs qui conduisent au quotidien les investigations, incluant une dimension
dynamique et opérationnelle.
Mais le déclin du juge d'instruction ne saurait concerner la seule fonction et s'étend
vraisemblablement à l'ensemble de l'institution désormais ébranlée par la défiance qu'elle inspire et
encore plus par la volonté du législateur de réduire ses pouvoirs.
86
Section 2 : La défiance à l'égard de l'institution du juge d'instruction
La toute-puissance à laquelle le juge d'instruction aspire naquît du cumul d'importantes
prérogatives au service de fonctions a priori paradoxales. Certains y ont vu une pathologie
« schizophrénique » animée par l'idée d'une profusion de fonctions naturellement incompatibles
jetant ainsi le doute sur l'exercice à charge et à décharge de telles prérogatives (I). La multiplication
des scandales judiciaires a engendré une rupture entre l'institution du juge d'instruction et le système
pénal dans lequel il s'intègre, mais bien plus encore, elle a inspiré la défiance des citoyens à l'égard
de l'institution judiciaire. Dès lors, le législateur s'est attaché à déposséder le juge d'instruction de
ses pouvoirs originels au profit d'organes juridictionnels concurrents (II).
I/ La « schizophrénie » issue de la double fonction de juge-enquêteur
La double casquette de juge-enquêteur a depuis longtemps fait couler de l'encre chez les
détracteurs du juge d'instruction. Le cumul de ces fonction est considéré comme incompatible dans
la mesure où il porterait atteinte au principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement.
L'origine de l'incompatibilité alléguée (A) permettrait ainsi de mettre en évidence un risque supposé
de partialité qui soulève de vifs débats (B).
A. L'origine de l'incompatibilité des pouvoirs d'investigation et de jugement
Dans la tradition inquisitoire française, le procès pénal se divise classiquement en trois phases
et fonctions spécifiques : la poursuite, l'instruction et le jugement214. Cette distinction est censée
constituer une garantie d'impartialité essentielle pour les justiciables puisque ces trois phases sont
confiés à des autorités distinctes qui interviennent successivement au cours de la procédure : le
procureur, le juge d'instruction et le juge pénal ; chaque magistrat restant spécialisé dans sa tâche.
Alors, le juge d'instruction ne fait-il qu'instruire et, de surcroît, il ne peut ni s'auto-saisir ni juger de
l'affaire.
La problématique relative au cumul des fonctions se retrouve notamment à l'occasion de la
lutte contre l'arbitraire du juge. La loi du 17 juillet 1856 portant suppression de la chambre du
214 À l'inverse, le système accusatoire dans lequel l'instruction est inexistante ne connaît que les phases de poursuite et de jugement.
87
conseil, qui constituait selon Béranger un filtre inutile entre la fin de l'instruction et la comparution
de l'individu devant la juridiction de jugement215, transféra ses attributions juridictionnelles au juge
d'instruction désormais appelé à trancher les demandes ou les difficultés juridiques qui lui sont
présentées par les parties, tout en disposant du pouvoir de placer en détention préventive. Cette
étape marque la concentration des fonctions de juge et d'enquêteur, alors qu'il n’était qu’un officier
de police judiciaire conditionné par l'obéissance hiérarchique au Parquet. Il devient alors le pilier de
l'instruction et de l'incarcération provisoire, fort d'une « toute puissance » que lui confère la loi et
dont Balzac se bornait à dénoncer les vices et les abus.
À la Libération, le rapport Donnedieu de Vabres avait constaté que la séparation des fonctions
de poursuite et d'instruction n'était de fait plus respecté216. Mais le Code de procédure pénale de
1958 lui attribua le statut de magistrat indépendant et inamovible, le libérant ainsi du lien qui le
rattachait au parquet et, par conséquent, au pouvoir exécutif qui décide de l'avancement des
carrières de ces magistrats. Plus tard, le rapport Delmas-Marty remis en 1990 fit le constat, d'une
part, que la séparation de la poursuite et de l'instruction ne se justifiait plus et, d'autre part, que le
juge d'instruction cumulait des fonctions d'investigation et des fonctions juridictionnelles qui
apparaissaient plus que jamais incompatibles217 au regard de la protection des droits fondamentaux :
- d'abord, sur le plan strictement juridique, la commission faisait valoir que « le juge, dans ses
fonctions juridictionnelles, doit jouer le rôle d'arbitre neutre » qui prend en compte les suggestions
des parties, tout en gardant un regard objectif sur l'analyse des situations de faits auxquels il se
confronte. Néanmoins, la commission poursuivait que la logique même des investigations impose a
contrario « de bâtir des hypothèses sur la culpabilité des uns et des autres » ;
- ensuite, sur la plan matériel, « sa double tâche est extrêmement lourde » de sorte que le juge
d'instruction est amené « à sacrifier tantôt ses fonctions d’investigation par un abus des
commissions rogatoires, tantôt ses fonctions juridictionnelles ».
D'après l'expression de Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux, le juge d'instruction « est à
la fois Maigret et Salomon » et cumulerait une troisième fonction, la fonction d'accusation qui se
215 J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, Paris, 1991216 Le procureur disposant d'un rang supérieur dans la hiérarchie judiciaire, le juge d'instruction était quant à lui limité dans sa liberté d'action, car il n'avait aucun pouvoir sur la police judiciaire dirigée par le parquet et demeurait contrarié par le caractère contradictoire de l'instruction préparatoire.217 COMMISSION « JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L'HOMME » présidée par MIREILLE DELMAS-MARTY, La mise en état des affaires pénales : rapport, La Documentation française, Paris, 1991
88
manifesterait lors de la mise en examen dont le mécanisme est manifestement tendancieux, ainsi
que lors du renvoi devant une juridiction de jugement que le juge d'instruction ou la chambre de
l'instruction peuvent ordonner alors même que le Parquet, qui est l'organe en charge des poursuites,
aurait requis une décision contraire.
D'autres encore, comme l'avocat Jean-Yves Le Borgne, le décrivent comme un être animé par
la poursuite d'intérêts antagonistes, déchiré entre le respect des principes fondamentaux et
l'efficacité de son enquête. On comprend aisément qu'il paraît inconcevable pour la défense que le
juge d'instruction puisse revêtir, dans un premier temps, la casquette de policier qui recherche les
preuves tout en procédant à des actes attentatoires aux libertés individuelles et, dans un second
temps, celui de juge garant des droits des individus.
A la lumière de ces éléments, cette « schizophrénie » relèverait donc, non pas d'une
multiplicité de personnalités qui n'en reste finalement que l'une de ses déclinaisons, mais plus
largement d'une incapacité pour le juge d'instruction d'établir une relation avec le monde qui
l'entoure. Or, comme le souligne Vincent Sizaire, les contempteurs évoquant la « schizophrénie » du
juge d'instruction ne distinguent pas clairement « s'il s'agit de l'impossibilité d'instruire
simultanément à charge et à décharge ou d'exercer de concert des fonctions d'investigation et des
fonctions juridictionnelles »218. En pareil cas, la question du cumul des fonctions paraît étroitement
liée à celle de l'impartialité du juge d'instruction dans sa mission d'instruire à charge et à décharge
consacrée à l'article 81 CPP dont l'analyse nous fournit quelques éléments de réflexion.
B. Un risque supposé de partialité au cours de l'instruction
Le cumul des fonctions d'investigation et de jugement semblerait donc induire un risque de
partialité qui, sur le seul plan juridique, apparaît aujourd'hui largement discutable. Cette
incompatibilité des fonctions se retrouvent sur le plan matériel, auquel cas l'impartialité est
directement perçue comme un élément aléatoire car dépendant essentiellement de la personne qui
exerce les fonctions.
Certes, le juge d'instruction est un enquêteur puisqu'il procède à toutes les investigations utiles
à la manifestation de la vérité, c'est même là sa fonction originelle. Toutefois, sa fonction de
218 V. SIZAIRE, Quel modèle pour l'instruction? dans « Le rapport Léger : analyse des propositions », AJ pénal n°10/2009, p. 388-392, octobre 2009
89
jugement ne s'entend pas au sens classique du terme, elle s'exprime par les nombreuses ordonnances
que le juge d'instruction rend pour tous les évènements importants de la procédure, en particulier à
la fin de l'information judiciaire.
En réalité, les pouvoirs d'investigation du juge d'instruction constituent l'implication directe de
sa tâche qui consiste, au visa de l'article 176 CPP, à examiner s'il existe des charges suffisantes pour
statuer, s'il y a lieu ou non, au renvoi de la personne mise en examen devant une juridiction de
jugement. Pour cela, sa démarche s'inscrit dans un cadre purement juridictionnel qui le conduit à
apprécier les éléments constitutifs d'une infraction dont il est saisi sur la base de ses investigations,
et ainsi déterminer les suites qu'il entend donner à la procédure. Il s'agit là d'une attribution qui est
inhérente à tout juge pénal dont l'action doit tendre à la complète manifestation de la vérité en
pesant le « pour » et le « contre » en instruisant à charge et à décharge.
Pourtant, il faut bien rappeler que l'exercice d'une fonction est toujours caractérisé par la
personnalité de l'homme ou de la femme qui l'occupe, le critère de l'impartialité restant
éminemment humain. Aussi, il serait absurde de considérer que l'accomplissement de la mission du
juge d'instruction consiste à la recherche d'un coupable, même si certains argueront qu'elle
prédomine dans la pratique de certains magistrats, il est acquis que la complète manifestation de la
vérité doit guider le travail permanent du juge d'instruction tant dans ses actes d'investigation que
dans ses décisions juridictionnelles.
La garantie d'impartialité ne saurait toutefois résulter du seul recul demandé au juge
d'instruction dans l'analyse de ses dossiers, en tant qu'élément objectif, impliquant son
dessaisissement d'office en cas de lien avec l'une des parties (infra « L'impartialité du juge
d'instruction »). En effet, le rôle de garant de l'équité de la procédure dont le législateur l'a investi
deviendrait illusoire si le juge était naturellement voué à porter une part d'arbitraire imperceptible et
inavouable dans son jugement, eu égard à la subjectivité entachant l'analyse des éléments de preuve
c'est-à-dire leur interprétation, leur compréhension et leur adhésion ou non, qui est inhérente à tout
être humain. Ainsi, l'impartialité subjective oblige le juge d'instruction à faire abstraction de ses
opinions personnelles, de ses croyances et des sentiments de confraternité ou de proximité.
Dans la pratique, d'autres éléments sont de plus en plus dénoncées comme constituant une
menace à l'impartialité, tel est le cas d'une proximité parfois reprochée avec les magistrats du
Parquet ou encore avec les services de police. Il faut dire que des magistrats partageant un même
90
quotidien liés par des dossiers qu'ils ont à connaître tour à tour sont inexorablement amenés à
développer des contacts officieux au prix d'une éventuelle consultation, notamment au moment des
réquisitions du parquet219.
Dans la même perspective, on évoque souvent un glissement des fonctions entre les magistrats
du siège et du parquet, qui aboutirait pour certains à une confusion entre « culture du doute » et
« culture de l'autorité », tel un magistrat du Parquet devenu juge d'instruction serait sans doute
pousser à instruire plus à charge qu'à décharge. En effet, le modèle français se caractérise encore par
une forte représentation de l'autorité dont le personnage du juge d'instruction est l'héritier de sorte
que la culture de l'instruction à décharge, socialement moins glorifiante, est largement évincée en
particulier dans les affaires sensibles relayées auprès de l'opinion publique.
Il faut bien admettre que le principe de séparation des pouvoirs en vertu duquel est établi le
régime des incompatibilités fonctionnelles ne permet pas d'enrayer définitivement le risque de
préjugé défavorable. En effet, les failles sont nettement visibles si bien qu'un juge d'instruction peut
être amené à exercer des fonctions différentes, successivement, dans des affaires différentes, alors
que la personne poursuivie est la même. Le doute qui persiste sur l'impartialité exigée du juge
d'instruction dans la réalisation de sa mission rend délicat le maintien de tels pouvoirs entre les
mains d'un seul Homme. C'est pourquoi le législateur a entendu affaiblir l'étendue des prérogatives
du juge d'instruction.
II/ L'amenuisement des prérogatives régaliennes du juge d'instruction
Les réforme législatives successives ont contribué à réduire la « toute puissance » du juge
d'instruction en transférant une partie de ses pouvoirs coercitifs au juge des libertés et de la
détention (A), tout en limitant amplement son champ d'intervention grâce à l'essor des pouvoirs
d'enquête du parquet (B).
A. Le transfert des pouvoirs au juge des libertés et de la détention (JLD)
En 1808, les rédacteurs du Code de l'instruction criminelle avaient d'ores et déjà refuser de
219 Ce qui apparaît définitivement contraire au respect des droits de la défense, et donc à l'exigence d'un procès équitable.
91
confier au juge d'instruction le choix du placement en détention avant la phase de jugement,
réservant cette décision à une formation collégiale en chambre du conseil dont le fonctionnement
allait devenir très vite apparent. Or, en 1856, la suppression de la chambre du conseil provoqua le
transfert des attributions d'incarcération au seul juge d'instruction.
Face au constat du nombre grandissant des détentions provisoires en dépit des multiples
réformes du législateur, la tendance à limiter le recours à la détention provisoire par le choix d'un
partage de l'autorité en la matière n'est pas nouvelle. Mais ces dernières années, les exigences
relatives au procès équitable sous l'impulsion de la jurisprudence de la CEDH imposait que ces
pouvoirs soient confiés à un magistrat distinct, lesquelles imposaient une dépossession des pouvoirs
coercitifs du juge d'instruction.
La loi du 15 juin 2000, entrée en vigueur le 1er juillet 2000, a donc transféré les attributions
du juge d'instruction en matière de détention provisoire à un nouveau juge, le juge des libertés et de
la détention (JLD). Magistrat du siège, désigné par le président du TGI, et qui occupe le rang de
président, premier vice-président ou vice-président, il est seul compétent pour ordonner un
placement en détention provisoire ou sa prolongation220. Le JLD est aussi compétent en matière
d'enquêtes de police, en particulier à autoriser tous les actes attentatoires aux libertés individuelles
(perquisitions, écoutes téléphoniques etc.). Il existe une incompatibilité fonctionnelle qui interdit sa
présence dans une formation de jugement des affaires pénales dont il a connu, en tant que garantie
d'impartialité.
Ainsi le juge d'instruction qui estimerait nécessaire de recourir à une telle mesure doit-il saisir
par ordonnance motivée le JLD qui statuera après débat contradictoire, le juge d'instruction restant
toutefois compétent pour ordonner une remise en liberté (infra « la demande de placement en
détention provisoire »). Mais la nouvelle répartition des pouvoirs consacre une compétence
concurrente entre le JLD et le juge d'instruction en matière de placement sous contrôle judiciaire.
En effet, s'il estime que la détention provisoire n'est pas nécessaire, le juge d'instruction peut décider
de son libre chef de placer la personne poursuivie sous contrôle judiciaire. Le JLD dispose quant à
lui de la même initiative s'il estime que la demande de placement en détention provisoire n'est pas
justifiée. Bien plus encore, le parquet peut même évincer totalement le juge d'instruction de la prise
de décision, on l'a vu, « en cas de crime en saisissant directement le JLD à cet effet. Ainsi, dans
cette hypothèse, le contentieux de la détention provisoire peut être réglé exclusivement entre le
220 Art 137-1 CPP
92
Parquet et le JLD.
Dépossédé du pouvoir de décerner un mandat de dépôt, le juge d'instruction détient encore
certains pouvoirs qui interfèrent dans le déroulement de la détention provisoire. Il peut ainsi
interdire au détenu de communiquer pendant un délai de dix jours, sauf avec son avocat,
renouvelable une fois. À l'inverse, le juge d'instruction est compétent pour autoriser les visites
familiales. De surcroît, après un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le
juge d'instruction peut encore, mais plus rarement, interdire les visites familiales par une décision
écrite et motivée qu'il notifie par tout moyen et sans délai au demandeur, lequel bénéficie d'un
recours auprès du président de la chambre de l'instruction. De même, le juge d'instruction conserve
le pouvoir de remettre en liberté soit d'office ou à la demande du détenu concurremment au JLD.
Or, il faut bien admettre que le transfert acquis des attributions en matière de détention
provisoire au profit du JLD n'a pas permis d'inverser l'allongement de la durée moyenne de
détention provisoire qui, selon le rapport de 2006 de la Commission de suivi de la détention
provisoire instaurée par la même loi du 15 juin 2000, est passée de 5,3 mois en 1990 à 6,6 mois en
1999 allant jusqu'à 8,7 mois en 2005221.
On sait pertinemment que les mauvaises conditions de détention, l'insuffisance quant à la
motivation des décisions ainsi que les méconnaissances des dossiers constituent autant de tares qui
continuent d'alimenter les critiques. En outre, rappelons que le Parquet traitant de plus en plus de
dossiers dans le cadre de l'enquête, le JLD est saisi pour autoriser certains actes coercitifs
nécessaires aux investigations, limitant le champ d'intervention du juge d'instruction.
B. L'extension des pouvoirs d'enquête du Parquet
Depuis quelques années, le législateur n'a cessé d'accorder une place grandissante au parquet
dans le traitement des affaires pénales grâce à la multiplication des procédures rapides sur lesquelles
il exerce son contrôle. Mais c'est surtout le renforcement conséquent de ses prérogatives durant la
phase préalable au jugement qui a parachevé le rôle primordial du parquet dans la direction de
l'enquête de flagrance et préliminaire, en concourant dans le même temps à l'éviction du juge
d'instruction.
221 MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Annuaire statistique de la justice : rapport, 2008
93
La loi Perben II du 9 mars 2004 a renforcé les pouvoirs coercitifs des services enquêteurs et
du Parquet, conduisant se dernier à se passer de plus en plus de l'ouverture d'une information
judiciaire.
L'extension du domaine de l'enquête de flagrance a d'abord été consacrée par une
jurisprudence extensive de la chambre criminelle qui suppose qu'une infraction soit en cours de
manifestation, qui avait tendance à interpréter la notion largement. De manière générale, l'enquête
de flagrance accorde des pouvoirs coercitifs plus importants au parquet et aux services enquêteurs
que dans les autres enquêtes car le temps constitue un véritable impératif dans l'établissement des
preuves. La loi du 9 mars 2004 a ajouté des nouveaux moyens de coercition à la disposition du
parquet en flagrance qui ont vocation à s'appliquer à la criminalité organisée. Le Procureur peut
ainsi faire procéder à des opérations de surveillance et d'infiltration222, des perquisitions en dehors
des heures légales à savoir entre 21h et 6h223, des écoutes téléphoniques vise les enregistrements, les
interceptions et les transcriptions de correspondances diligentés par le parquet après autorisation et
sous le contrôle du JLD.
Les pouvoirs du Parquet en matière de flagrance se voient également renforcés par l'extension
de la durée de l'enquête de flagrance qui permet ainsi de différer l'ouverture d'une information
judiciaire, laissant un délai supplémentaire pour rassembler suffisamment d'éléments en vue de
favoriser la comparution immédiate de la personnes poursuivie224.
D'autre part, les récentes évolutions conduisent à un rapprochement entre l'enquête de
flagrance et l'enquête préliminaire, tendant à faire disparaître l'intérêt même de la distinction.
Pourtant la distinction temporelle est essentielle, à la différence de l'enquête de flagrance, l'enquête
préliminaire suppose que la police mène les investigations aux fins de faire apparaître une
infraction. En effet, progressivement, on a assisté à une mise en commun de certaines attributions
telles que la possibilité de procéder à des constatations et des examens techniques ou
scientifiques225, du recours aux écoutes téléphoniques226 ou encore la création d'un mandat de
222 Art. 706-80 et 706-81 CPP223 Art. 706-89 et 706-91 CPP224 L'art. 53 CPP permet au parquet de poursuivre l'enquête de flagrance pendant un durée de huit jours sans discontinuité, et prolonger de huit jours supplémentaires pour les crimes et délits punissables d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement.225 Art. 77-1 CPP226 Par combinaison des art. 74-2, 706-73 et 706-95 CPP, cette mesure est aménagée dans deux cas de figure : soit lorsqu'une personne en fuite fait l'objet d'un mandat d'arrêt ou a été condamnée à une peine d'emprisonnement d'au moins un an ferme, soit si les besoins de l'enquête de flagrance ou préliminaire l'exigent consécutivement à une infraction visée à l'article 706-73 CPP et relevant de la criminalité organisée.
94
recherche que le parquet peut délivrer à l'encontre d'un suspect tant en matière d'enquête
préliminaire que de flagrance, alors même que cette prérogative appartenait au seul juge
d'instruction227.
Enfin, la loi du 9 mars 2004 a également modifié le régime des perquisitions destiné à
faciliter le traitement de l'enquête préliminaire en renforçant les pouvoirs coercitifs à l'égard du
suspect et des témoins. En effet, le parquet peut désormais saisir le JLD par requête afin que soit
ordonnée une perquisition sans l'accord de la personne poursuivie pour un crime ou un délit
punissable d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement228.
De surcroît, la consécration du droit de réquisition du Parquet permet en vertu de l'article
77-1-1 CPP d'affirmer la pleine légitimité de son action, qui peut recourir « par tout moyen » auprès
de toute personne susceptible de détenir des documents intéressants l'enquête. Le Parquet dispose
dorénavant de l'accès aux données détenues par les administrations et par les organismes privés ou
publics, la loi du 5 mars 2007 y a ajouté les documents issus d'un système informatique ou d'un
traitement de données nominatives, « notamment sous forme numérique » et ce, sans que le secret
professionnel puisse lui être opposé.
Il faut remarquer que parallèlement à l'extension des pouvoirs d'enquête du parquet et des
services enquêteurs, se sont développés les pouvoirs de contrôle du JLD. La création du JLD a ainsi
abouti à un glissement des prérogatives du juge d'instruction permettant au parquet de disposer d'un
large panel d'actes coercitifs soumis à l'autorisation du JLD, notamment en matière de criminalité
organisée où il peut désormais se passer de l'instruction.
À plus forte raison, au fil des réformes, le juge d'instruction a finalement assisté à son propre
déclin. Un déclin d'abord qui ressort du transfert successif de ses prérogatives qui caractérisaient
autrefois l'exercice de son office au profit d'autres entités concurrentes, mais un déclin surtout qui
tient à ce que maintes affaires échappent aujourd'hui à sa compétence. Certains diront alors que le
juge d'instruction présente le visage de Janus, s'il est érigé en tant que garant des libertés
fondamentales, il dispose encore de certains pouvoirs qui constituent une menace pour les libertés
individuelles.
227 Par combinaison des art. 70 et 77-4 CPP228 Art. 76 CPP
95
Chapitre 2 : Le poids des considérations européennes supérieures
L'influence constante des normes européennes pénètre massivement notre procédure pénale
dans le cadre de la construction d'une procédure européenne unifiée, qui passe évidemment par
l'instauration de garanties pour l'ensemble des justiciables autour de principes fondamentaux ayant
vocation à s'appliquer dans tous les États membres.
La procédure pénale française, qui fît le choix du compromis inquisitoire lors de la phase
préparatoire du procès, a ainsi connu de profonds changements depuis le Code de l'instruction
criminelle de 1808, aboutissant à un système mixte dans lequel le juge d'instruction exerce ses
larges pouvoirs tout en étant investi du rôle de garant de l'équité de la procédure.
Dès lors, la multiplication des réformes législatives, que certains ont pu qualifier de « trompe
l'oeil », a profondément remis en cause la teneur du travail du juge d'instruction, car celui-ci semble
aujourd'hui contraint à passer plus de temps à veiller au respect des droits des parties souvent au
prix de lourdes formalités juridictionnels, le conduisant à délaisser les investigations sur le terrain.
Section unique : Le renforcement des garanties des parties sous l'impulsion des
exigences européennes d'un « procès équitable »
L'article 6 de la CESDH intitulé « droit à un procès équitable », énonce un certain nombre de
principes voués à garantir les droits des parties notamment dans l'exercice des pouvoirs d'enquête et
juridictionnels du juge d'instruction. À ce titre, l'article 6§1 promulgue le principe de célérité de la
procédure en imposant au juge de statuer dans « un délai raisonnable », l'article 6§2 réaffirme le
respect de la présomption d'innocence animant la réalisation de sa mission, et l'article 6§3 prévoit la
mise en oeuvre des droits de la défense pour pallier l'arbitraire de la procédure.
La jurisprudence de la CEDH a également découvert des principes implicitement reconnus
comme constituant des garanties relatives à un procès équitable, parmi lesquelles on trouve le
principe d'égalité des armes et du contradictoire.
96
Ainsi, ces garanties se matérialisent dans des implications concrètes tant à l'égard des parties
auxquelles le législateur a conféré un rôle actif tout au long de l'instruction préparatoire (Sous-
section 1), qu'à l'égard du juge d'instruction sur lequel pèsent désormais de lourdes obligations
tendant à la protection des justiciables (Sous-section 2).
Sous-section 1 : Le rôle actif des parties dans la conduite des actes d'instruction
Le choix du compromis inquisitoire lors de l'instruction préparatoire avait consacré
l'hégémonie du juge d'instruction en excluant totalement les parties du déroulement de la procédure.
Seul le juge d'instruction participait activement à la recherche de la vérité et appréciait la teneur des
charges qui pesaient contre l'accusé. L'émergence de la notion de « procès équitable » a finalement
eu raison de cette conception archaïque, en introduisant progressivement les droits de la défense (II)
ainsi que le principe du contradictoire (I), l'instruction préparatoire consacre désormais le rôle actif
des parties au travers d'une effervescence législative conférant au juge un statut de gardien à part
entière des droits fondamentaux.
I/ Le respect des droits de la défense
Le principe du respect des droits de la défense constitue l'un des principes essentiels de la
procédure pénale actuelle. Si l'expression des « droits de la défense » semble avoir parfaitement
intégré le vocable des juristes contemporains, il n'en demeure pas moins que sa définition s'avère
délicate compte tenu de l'abstraction qui entoure sa mise en œuvre.
Selon Gérard Cornu, les droits de la défense sont « l'ensemble des prérogatives qui
garantissent à la personne mise en cause la possibilité d’assurer effectivement sa défense dans le
procès pénal »229. Dans la même perspective, Jean Pradel vise « l’ensemble des prérogatives
accordées à une personne pour lui permettre d’assurer la protection de ses intérêts tout au long du
procès »230. On remarque que ces définitions mettent toutes deux l'accent sur la pluralité des droits
attachés à la personne contre laquelle l'action est portée et dont il dispose à tout moment dans le
229 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Quadrige, PUF, Paris, 2008 230 J. PRADEL, Procédure pénale, Cujas, 2008
97
procès pénal.
La doctrine ne livre pas de liste exhaustive des différentes implications des droits de la
défense, considérant que c'est plutôt l'organisation du procès et ses évolutions qui déterminent la
construction des droits de la défense231.
Une autre approche est proposée par Thierry Garé et Catherine Ginestet envisageant l'exercice
de « droits défensifs » aux fins de parer les attaques des parties au procès, dont le caractère aléatoire
est directement perçu comme un affect aux libertés individuelles. En ce sens, les droits de la défense
peuvent se définir comme « des droits que possède toute personne pour se protéger de la menace
que constitue pour elle un procès »232. La protection des droits du justiciable passe avant tout par la
reconnaissance des droits de la défense en tant que garantie fondamentale au sein d'un État de droit.
En droit interne, le Conseil Constitutionnel l'érige au rang de principe fondamental reconnu
par les lois de la République233 tout en lui conférant valeur constitutionnelle au travers de
plusieurs décisions234. La Cour de cassation a largement rappelé, de manière unanime, la valeur
primordiale attachée au respect de la défense constituant « pour toute personne un droit fondamental
à caractère constitutionnel »235. La chambre criminelle de la Cour de cassation lui reconnaît même
une valeur supra-nationale, censurant les arrêts qui y contreviendraient au seul visa des articles 6 et
13 de la CESDH236.
Aussi, la CESDH impose, en son article 6§3, que les droits de la défense soient préservés à
l'occasion de toute accusation et, a fortiori, lors de la phase préparatoire du procès pénal devant le
juge d'instruction. Le respect des droits de la défense imprègne définitivement la garantie d'un
231 Il s'agirait d'une liste à géométrie variable s'inscrivant dans un modèle procédural particulier.232 T. GARÉ et C. GINESTET, « Les droits de la défense en procédure pénale » in Droits et libertés fondamentaux, dir. R. Cabrillac, M-A Frison Roche et T. Revet, Dalloz, 2008, p. 509233 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, déc. n°76-70 DC, 2 décembre 1976 ; solution rappelée notamment dans une décision du 23 janvier 1987, n°86-225 DC : « considérant que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux des lois de la République (…) ».234 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, déc. n°81-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, solution rappelée notamment dans les décisions du 29 décembre 1989, n°89-268 DC et du 13 août 1993, n°93-325 DC.235 COUR DE CASSATION, Ass. Plén. 30 juin 1995, Bull. n°4236 COUR DE CASSATION, 5 décembre 1978 : « attendu que tout prévenu a droit à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l'objet et qu'il doit, par suite, être mis en mesure de se défendre tant sur les divers chefs d'infraction qui lui sont imputés que sur chacune des circonstances aggravantes susceptibles d'être retenues à sa charge ; (...) attendu cependant que ladite circonstance aggravante n'était pas mentionnée dans l'ordonnance de renvoi et a été relevée d'office par le juge du second degré ; qu'il ne résulte d'aucune des énonciations de l'arrêt que le prévenu comparant ait été préalablement informé de cet élément modificatif de la prévention et ainsi mis en mesure de se défendre spécialement sur ce point devant les juges du fond ; d'où il suit que les droits de la défense ont été méconnus ».
98
« procès équitable » élaborée par les instances européennes. L'article 6§3 de la CESDH dresse
ainsi une liste des déclinaisons concrètes résultant de l'énoncé du principe, parmi lesquelles figurent
le droit à l'assistance d'un avocat, le droit d'être informé de la nature et des causes de l'action
engagée ou encore le droit d'accéder au dossier. Mais surtout, la CEDH veille à assurer la protection
effective des droits de la défense. La Cour précise, à ce titre, que cette protection « vaut
spécialement pour les droits de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès
équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique »237.
Les droits de la défense consistent d'abord dans le droit de se défendre, autrement dit le droit
d'être entendu et d'être en mesure de présenter ses arguments devant un juge, mais c'est également le
droit d'être assisté par un avocat afin de permettre une défense effective et ce, même si la personne
ne dispose pas des moyens de le rémunérer. Le droit à l'assistance d'un avocat dans la phase
préparatoire du procès pénal fût consacré par la célèbre loi Constans du 8 décembre 1897 accordant
par là même l'accès au dossier de la personne mise en cause, qui vînt tel un prémisse à
l'affaiblissement du caractère inquisitoire de l'instruction préparatoire. Cette solution fût reprise lors
de la réforme du Code de l'instruction criminelle aboutissant au Code de procédure pénale de 1959,
dans lequel la présence de l'avocat lors de la phase d'instruction est expressément visée aux articles
114 et suivants.
Aujourd'hui, la présence de l'avocat est obligatoire d'une manière générale en matière
criminelle238 et plus spécifiquement lors de l'interrogatoire de première comparution devant le juge
d'instruction239. Le choix de l'avocat relève de la personne, d'ailleurs la confidentialité entre l'avocat
et son client est également une empreinte des droits de la défense. S'agissant des moyens, la loi du
10 juillet 1991 prévoit la mise en place du dispositif de l'aide juridictionnelle de nature à garantir
une défense effective à toutes les personnes quels que soient leurs revenus.
Sous l'influence de la jurisprudence de la CEDH, les interventions législatives successives
sont venues restreindre les pouvoirs du juge d'instruction, par le renforcement des droits de la
défense, induisant un caractère accusatoire de plus en plus ancré dans l'instruction préparatoire.
Ainsi en est-il de la loi du 15 juin 2000 qui a étendu le droit à l'assistance d'un avocat, dont
bénéficiaient déjà la personne mise en examen et la partie civile, au témoin assisté. Le même texte
237 CEDH 13 mai 1980, Artico c/ Italie
238 Art. 317 CPP239 Par combinaison des art. 116 al. 3 et 80-2 CPP
99
fait l'interdiction au juge d'instruction de procéder à la mise en examen par courrier recommandé,
faisant de l'assistance de l'avocat au cours de l'entretien préalable le principe. Le juge d'instruction a
donc l'obligation de convoquer l'avocat de chaque partie avant chaque audition, confrontation ou
interrogatoire.
Ensuite, les avancées fulgurantes du droit à l'information des parties entérine la place
grandissante accordée aux droits de la défense. En effet, la conception absolutiste du secret
permettait jadis au juge d'instruction de mener la procédure à l'insu de l'accusé et de la victime.
Dans le Code de l'instruction criminelle de 1808, le juge d'instruction n'avait ni l'obligation de
notifier les charges retenues contre la personne poursuivie, ni celle de tenir les parties informées des
investigations entreprises. L'information est aujourd'hui obligatoire dans de maintes cas avec, de
surcroît, plusieurs textes qui lui sont dédiés.
Assurément, les dispositions de l'article 6§3 montrent la nécessité de mettre un soin extrême à
notifier l'accusation à l'intéressé. Dès lors, la CEDH considère qu'en matière pénale, une
information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification
juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité
de la procédure240. Dans cette optique, l'article 80-2 du CPP exige que le juge d'instruction porte à la
connaissance de la personne qu'il envisage de mettre en examen chacun des faits dont il est saisi,
tout en précisant leur qualification juridique et, au surplus, l'article 183 ajoute que les décisions
susceptibles de faire l'objet des voies de recours de la part « d'une des partie à la procédure » ou d'un
tiers doivent leur être notifiées dans les plus brefs délais.
Le droit à l'information comprend également la transmission aux parties et à leurs avocats des
conclusions des experts ainsi que les rapports établis par toute personne requise pour les besoins de
la procédure, le juge d'instruction fixant un délai aux parties pour présenter leurs observation et
formuler leurs demandes241.
Enfin, l'article 6§3 b de la CESDH promulgue le droit de disposer du temps et des facilités
nécessaires à la défense de l'accusé. D'une part, il s'agit de laisser un délai suffisant à l'accusé pour
préparer les arguments nécessaires à sa défense qui seront portés à la connaissance le juge et
nécessairement pris en compte dans son analyse. Il s'agit, d'autre part, de permettre à l'accusé de
240 CEDH, 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c/ France, § 51 : Rec. 1999-II, et 52 ; D. 2000. 357, note Roets ; RTDH 2000. 281, obs. Flécheux et Massis241Art. 167 CPP
100
disposer de tous les éléments pertinents qui ont été recueillis ou pouvant être recueillis par les
autorités compétentes242. Dès lors, l'avocat peut demander que lui soit communiqué, pendant le
déroulement de l'instruction, le dossier pénal et dispose de la possibilité, en vertu de la loi du 30
décembre 1996, de remettre à son client des actes ou des pièces de la procédure.
Le juge d'instruction qui exerçait hier son activité dans le secret des parties se voit aujourd'hui
contraint de composer avec le respect des droits de la défense de plus en plus présents. Les réformes
législatives ont introduit l'exigence d'une défense effective en permettant à l'accusé de bénéficier de
l'assistance d'un professionnel du droit, d'une information complète sur son statut ainsi que d'un
accès aux pièces de la procédure. Subsidiairement, le respect des droits de la défense trouve son
corollaire naturel dans le respect de l'égalité des armes et du contradictoire.
II/ Le respect de l'égalité des armes et du contradictoire
Absente de la rédaction de l'article 6§1 de la CESDH, l'expression de l'égalité des armes est
pourtant employée de manière récurrente par la CEDH en tant que composante de la notion plus
large de « procès équitable »243. L'égalité des armes se définit comme l'obligation d'offrir à chaque
partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, de nature à ne pas la placer injustement dans
une situation de désavantage par rapport à son adversaire244. C'est à ce titre que la CEDH rappelle
qu'il est « l'une des garanties fondamentales » de la bonne administration de la justice245.
Le droit interne présente l'égalité dans le traitement des parties de manière plus formelle,
s'attachant parfois à rechercher la symétrie exacte des droits246. Sur le plan pragmatique, le principe
implique une égalité entre les parties tant dans les moyens de preuves que dans l'accès aux voies de
recours, et surtout il sous-tend au respect du contradictoire imposant au juge de veiller à ce que tous
les éléments du litige fassent systématiquement l'objet d'un débat entre les parties.
242 Comm. EDH, 14 décembre 1981, Jespers c/ Belgique : DR 27/61243CEDH, 27 juin 1968, Neumeister c/ Autriche, § 22 : req. N° 1936/63244 En effet, la CEDH n'exige pas une égalité objective et absolue entre les parties, elle se contente de vérifier qu'aucune partie n'ait été mis dans une position désavantageuse vis-à-vis de l'autre dans l'exercice de ses droits. CEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer BV c/ Pays-Bas, § 33 : Série A n° 274245 CEDH, 26 mai 1986, Feldbruge c/ Pays-Bas, § 44 : Série A n° 99 ; Cah. dr. eur. 1988. 452, obs. Cohen-Jonathan ; Ann. fr. dr. int. 1987. 239, obs. Tavernier.246 Cette position est illustrée au travers de deux arrêts de la chambre criminelle concernant le délai d'appel du procureur général auquel la loi accorde deux mois contre dix jours pour les autres parties. Crim. 6 mai 1997 : Bull. n° 170 et Crim. 17 septembre 2008 : Bull. n° 188
101
Enracinée dans la culture inquisitoire, l'instruction préparatoire présentait par le passé un
caractère non-contradictoire qui a progressivement été atténué au gré des réformes législatives,
offrant dorénavant la possibilité aux parties d'intervenir dans la réalisation et le contrôle des actes
d'instruction. On rappelle que l'article préliminaire du Code de procédure pénale dispose que « la
procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des
parties »247.
Le rôle des parties dans l'exercice des actes d'instruction s'est considérablement élargi depuis
1808 par la multiplication des droits qui leurs ont été accordés par le législateur. Des droits qui
visent en premier lieu la demande d'actes d'investigation. Si la loi du 4 janvier 1993 avait concédé
un droit relativement restreint aux parties afin de leur permettre de demander la réalisation de
certains actes, la loi du 15 juin 2000 a considérablement étendu cette possibilité leur permettant
désormais de demander l'exécution de tous les actes qui paraissent nécessaires à la manifestation de
la vérité248.
L'article 113-3 du CPP donne également le droit au témoin assisté de demander au juge
d'instruction d'organiser une confrontation avec la ou les personnes qui le mettent en cause. Il faut
d'ailleurs rappeler que la partie civile et le mis en examen bénéficient du droit de demander au juge
d'instruction que soient ordonnés une expertise, un complément d'expertise ou une contre-expertise
constituant des éléments probants à charge ou à décharge, lesquels peuvent d'ailleurs demander de
prescrire aux experts, au cours de leur travail, « d'effectuer certaines recherches ou d'entendre toute
personne nommément désignée et susceptibles d'apporter des renseignements d'ordre technique »249.
Et qu'importe la décision du juge d'instruction de faire droit ou non à la demande, il se doit de
répondre aux parties par une ordonnance motivée et susceptible d'appel250.
L'imprégnation du contradictoire dans l'instruction préparatoire est largement mise en
évidence, en second lieu, par le contrôle des parties sur les actes et les décisions du juge
d'instruction. Le droit d'appel, toutefois restreint à certains actes et sous réserve du filtre du
Président de la chambre de l'instruction, n'en demeure pas moins primordial tant il n'a cessé de
croître depuis lors.
247 Ces principes étant rappelés par le Conseil constitutionnel dans une décision du 2 février 1995, n°95-360 DC248 Art. 82-1 CPP249 Par combinaison des art. 156, 165 et 167 CPP250 Art. 161-1 CPP
102
On l'a vu précédemment, il faut distinguer entre le statut des parties privées selon qu'elle est
mise en examen ou partie civile à la procédure. Les articles 186 et 186-1 du CPP visent
expressément les ordonnances susceptibles d'appel par le mis en examen, parmi lesquelles sont
énumérées les ordonnances de rejet d'une demande d'acte251, les ordonnances qui statuent sur la
recevabilité d'une constitution de partie civile, sur la compétence du juge d'instruction, sur le
contrôle judiciaire ou la détention provisoire. La partie civile dispose du même droit d'appel contre
le rejet d'une demande d'acte, et plus spécifiquement l'article 186 al. 2 CPP prévoit que la partie
civile peut interjeter appel de l'ordonnance relative à la compétence du juge d'instruction ainsi que
des ordonnances de non-informer, de non-lieu ou faisant grief à intérêts civils sans que celle-ci
puisse néanmoins contester une décision portant sur le placement sous contrôle judiciaire ou en
détention provisoire. Aussi faut-il rappeler que la loi du 4 janvier 1993 a aménagé un recours en
annulation des actes de la procédure n'étant pas susceptibles d'appel par voie de requête devant la
chambre de l'instruction à l'initiative du mis en examen et de la partie civile et, depuis la loi du 9
mars 2004, du témoin assisté252.
De manière générale, l'accroissement continu des droits des parties privées a consacré leur
rôle actif dans la mise en oeuvre des actes d'instruction. Par conséquent, la phase de l'instruction
préparatoire d'inspiration inquisitoire se trouve désormais pénétrée par le souci constant de veiller
au respect des droits de la défense et du contradictoire, à tel point que le juge d'instruction
représente à l'heure actuelle le véritable garant de l'équité de la procédure. Curieux dessein que celui
d'un grand inquisiteur devenu protecteur des personnes qu'il suspecte et tenu à des lourdes
exigences formelles.
Sous-section 2 : L'augmentation des obligations à la charge du juge d'instruction
Le renforcement des droits accordés aux parties est évidemment révélateur de la
préoccupation actuelle d'insuffler un équilibre par la participation des différents acteurs lors de
l'instruction préparatoire. Au delà, l'enjeu du « procès équitable » s'exprime par l'augmentation des
obligations légales incombant au juge d'instruction et qui bouleversent l'accomplissement de sa
mission. Alors, le législateur oblige le juge d'instruction à veiller à la préservation de la présomption
d'innocence (I) mais également au respect de la célérité de la procédure (II).
251 Cette initiative étant soumise au filtrage du président de la chambre de l'instruction. Le droit d'appel est reconnu aux parties sans filtrage s'agissant des autres actes et décisions.252Art. 173 al. 3 CPP
103
I/ La préservation de la présomption d'innocence
La présomption d'innocence est un principe cardinal de la procédure pénale, longtemps
écartée par la conception de l'ancien droit qui postulait que l'accusé était présumé coupable jusqu'à
ce qu'il démontre la preuve de son innocence.
Déjà en 1764, Beccaria insistait dans son Traité des délits et des peines sur la nécessité pour la
justice de « respecter le droit que chacun a d'être cru innocent ». Issue de la philosophie libérale des
Lumières qui tendait à restaurer l'équilibre entre l'accusé et l'accusateur - surtout quand il s'agit de
l'État - en basculant la charge de la preuve contraire sur le second, la présomption simple
d'innocence a été promulguée par la DDHC de 1789 en tant que droit fondamental dont tout humain
doit disposer253.
Depuis lors, le principe n'a cessé d'être réaffirmé dans les textes nationaux et internationaux. Il
consiste à ce que toute personne soit présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie
par un jugement irrévocable, et s'applique à l'égard du juge et à l'égard des tiers à la procédure.
Le Conseil constitutionnel lui a reconnu valeur de norme constitutionnelle en vertu de la
protection des libertés individuelles et du droit à la sûreté254. La CESDH s'y réfère en son article 6§2
parmi les éléments inhérents à un procès équitable255, sous le strict contrôle de la CEDH256. La loi du
15 juin 2000 l'a finalement intégrée dans la rédaction de l'article préliminaire du Code de procédure
pénale faisant du juge d'instruction, lors de la phase préparatoire, le garant par excellence de la
présomption d'innocence.
Fort de cette bienveillance qu'il lui est alloué, le juge d'instruction dans sa mission
d'instruire « à charge et à décharge » doit être investi du souci permanent de veiller au respect de
la présomption d'innocence en ne portant pas de pré-jugement sur la culpabilité de la personne.
253« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».254 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, déc. n°81-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, op. cit.255 « Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie ».256 CEDH, 23 avril 1998, Bernard c/ France, § 37 : Rec. 1998-II ; JCP 1999. I. 105, obs. Sudre ; RSC 1999. 404., obs. Koerling-Joudin
104
La mention relative à la mise en examen, qui a succédé à celle de l'inculpation par la loi du 4
janvier 1993, était d'ailleurs considérée comme plus respectueuse de la présomption d'innocence
quand bien même la nature et l'objet même du processus remettent en cause le droit pour tout
individu de ne pas être présenté comme coupable avant toute condamnation. L'introduction du statut
de témoin assisté par la loi du 15 juin 2000 obère de la volonté du législateur à faire de ce nouveau
statut le principe et de la mise en examen l'exception. Dans cette optique, le juge d'instruction
procède à la mise en examen dans le seul cas où il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de
témoin assisté, dans des conditions qui sont nettement restrictives puisque la loi vise expressément
l'existence d'indices graves ou concordants257.
La préservation de la présomption d'innocence par le juge d'instruction joue également à
l'égard des tiers grâce à la règle protectrice du secret de l'instruction à laquelle il est soumis de
facto258. Autrefois, elle s'imposait à tous avec une évidence presque déconcertante, de sorte que les
rédacteurs du Code de l'instruction criminelle de 1808 l'avaient passé sous silence. À cette époque,
le secret présentait un caractère absolu tant et si bien que les parties étaient tenues dans l'ignorance
des charges retenues et des actes d'investigation réalisés. En effet, l'efficacité de la procédure
primait jadis sur le respect des droits des parties.
Le secret de l'instruction est aujourd'hui régi par l'article 11 CPP et s'étend à tous les actes de
l'instruction préparatoire, de l'ouverture jusqu'à sa clôture, s'imposant à toutes les personnes qui
concourent à la procédure259. La divulgation d'une information à caractère secret, hors les cas prévus
par la loi, est d'ailleurs réprimée par une sanction pénale spécifique260. De même, les tiers auxquels
le secret aurait été dévoilé encourent le chef de recel de violation du secret de l'instruction261. Ceci
étant, dans une société où l'instruction des dossiers sensibles est de moins en moins secrète, le
257Art 80-1 CPP258 D'autant que l'obédience reste due même si l'information a été divulguée. Rennes, 7 mai 1979 : Sem. jur. , 1980, I. n° 2984259 « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Ainsi les magistrats, les greffiers, les OPJ et APJ, les personnes requises telles que les experts ou les interprètes sont tous des acteurs qui concourent à la procédure et sont donc soumis au secret de l'instruction. A l'inverse, les tiers que sont le mis en examen, le témoin assisté, la partie civile, le témoin ou encore le journaliste ne sont pas tenus par le secret professionnel, l'avocat pouvant quant à lui être délié du secret professionnel propre à sa fonction par son client.260 L'article 226-13 CP prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.261 Les journalistes bénéficiant d'un immunité relative à leurs sources d'information, la Cour de cassation a toujours refusé de considérer l'information comme susceptible de recel. Ainsi, la Cour sanctionne l'obtention illégale de l'information détenue sur la base de la loi de 1881 par le biais du recel des pièces obtenues par violation du secret de l'instruction.
105
principe est souvent sujet à controverse compte tenu d'une incompatibilité alléguée avec le droit à
l'information qui se veut dorénavant plus intrusif, ce qui pose évidemment la question des limites du
secret262.
L'ensemble de ces obligations imposent au juge d'instruction une démarche originale à l'égard
du prévenu ou de l'accusé car celui-ci doit d'abord présumer de son innocence pour pouvoir ensuite
prouver sa culpabilité, la tâche est particulièrement ardue dès lors que la loi lui impose de rester
objectif dans l'accomplissement de sa mission. D'autre part, le secret de l'instruction permet d'éviter
les ingérences de l'opinion publique dans des affaires les plus sensibles qui peuvent nuire au
principe de la présomption d'innocence. Pour le reste, la loi exige du juge d'instruction qu'il
conduise la procédure dans des délais encadrés par la nécessité de célérité.
II/ L'exigence de célérité de la procédure
La plupart des auteurs s'accordent à souligner que la spécificité des rapports entre le temps et
la procédure tient à l'impératif de célérité263. Si certains l'envisagent comme une « rapidité
voulue »264, d'autres encore comme un « juste rythme »265, il est certain que la célérité ne s'apparente
guère à la précipitation, mais plutôt à la promptitude266. Jean Pradel s'attache à lui donner une
véritable dimension protectrice des principes fondamentaux de l'ordre juridique et des droits des
parties au procès267. La particularité de l'exigence de célérité tient sans soute au fait qu'elle ait été
consacrée d'abord en droit européen puis en droit interne.
En effet, l'article 6§1 de la CESDH énonce que « toute personne a le droit à ce que sa cause
soit entendue dans un délai raisonnable ». La CEDH précise que ce délai raisonnable est nécessaire
à l'efficacité et à la crédibilité de la justice268 et qu'il appartient aux États d'organiser leur système
juridique à cette fin269. La jurisprudence de la CEDH a mis en exergue trois critères qui donnent lieu
à une appréciation in concreto de la durée de la procédure, lesquels sont repris par la chambre
262La chambre criminelle ayant tendance à prononcer des condamnations symboliques pour ces faits.263 G. ROUJOU DE BOUBÉE, Le temps dans la procédure pénale, LGDJ, 1983 pp.77-81264 R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, tome II, Cujas, 2001, n° 8265 J-F. BURGELIN, « La situation spécifique de la matière pénale » in Le temps dans la procédure pénale, op. cit.266C. ETRILLARD et G.FOURNIER, Le temps dans l'investigation pénale, l'Harmattan, Paris, 2005267 J. PRADEL, « La célérité de la procédure pénale en droit comparé », RIDP, 1995, p. 323 : « La rapidité de
l'instance pénale. Aspect de droit comparé. » 268 CEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, § 58 : Série A n° 162-A269 CEDH, 14 novembre 2000, Delgado c/ France, § 50 : req. n° 38437/97
106
criminelle : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités
compétentes270.
En droit interne, l'influence de la Commission « Justice pénale et droits de l'homme » présidée
par Mireille Delmas-Marty en 1991 a très certainement inspiré la loi du 15 juin 2000 élevant
l'exigence de célérité au rang de principe général de la procédure pénale, codifié au dernier alinéa de
l'article préliminaire du CPP qui dispose « il doit être définitivement statué sur l’accusation dont [la
personne suspectée ou poursuivie] fait l’objet dans un délai raisonnable ». Le délai raisonnable
s'applique naturellement au déroulement de l'instruction préparatoire dont la lenteur a été abordée
précédemment. Le législateur a cru bon d'instituer plusieurs procédés de nature à garantir la vélocité
du traitement des affaires par le juge d'instruction.
Néanmoins, le temps lors de la phase préalable au jugement peut parfois paraître
excessivement long tant il y a des indices matériels à rechercher, des témoignages à recueillir ou des
suspects à auditionner. C'est pourquoi la durée des investigations pénales peuvent se compter en
jours, en mois ou même en années conditionnant ainsi leur progression et leur efficacité271. Dès lors,
le législateur se montre particulièrement contraignant voire, à certains égards, incitatif quant à la
multitude des dispositions figurant dans le CPP obligeant le juge d'instruction à agir rapidement.
Il s'agit également d'un véritable instrument au service des droits des parties. Même si le juge
d'instruction reste maître dans le choix du moment de la clôture, on a vu que les parties peuvent
toutefois demander qu'il mette fin à l'instruction préparatoire à l'expiration du délai qui leur a été
indiqué par le juge d'instruction, ou lorsqu'aucun acte d'instruction n'a été accompli pendant une
durée de quatre mois. Le juge d'instruction est alors tenu à un délai d'un mois pour répondre par une
ordonnance motivée susceptible d'appel. À défaut de réponse, un recours auprès du président de la
chambre de l'instruction leurs est accordé. Ce mécanisme consacre le rôle actif des parties dans les
possibilités de lutter contre le retard ou l'inertie du juge d'instruction.
Dans une autre mesure, se pose au juge d'instruction, l'obligation de rendre compte des
lenteurs de ses investigations ou de la durée excessive d'une information. Ainsi, la durée de
l'instruction ne peut excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés, de la
complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice effectif des
270 CEDH, 31 juillet 2001, Zannouti c/ France, § 51 : req. N° 42211/98271 Plus que le juge d'instruction, c'est la phase de l'instruction préparatoire en France qui est remis en cause au travers
de plusieurs condamnations prononcées par la CEDH relevant une violation du délai raisonnable.
107
droits de la défense272. Si, à l'issue d'un délai de deux ans, l'instruction n'est toujours pas terminée, le
juge d'instruction doit rendre une ordonnance motivée dans laquelle il indique les motifs de la durée
de la procédure, justifiant la poursuite des investigations ainsi que les perspectives de règlement.
Cette ordonnance est transmis au président de la chambre de l'instruction qui conserve ainsi
l'opportunité de saisir la chambre.
Alors même que le formalisme rigoureux imposé au juge d'instruction soulève dans la
pratique l'écueil de sa lenteur, celui-ci apparaît pourtant à la lecture du texte comme le garant de la
célérité de la procédure. Mais dans le cadre d'une réflexion d'ensemble, il est légitime de se
demander si l'étau dans lequel le juge d'instruction est aujourd'hui enfermé, eu égard au respect des
éléments commandant l'équité de la procédure, ne restreint-il pas son rôle ou, pire encore, ne le
détourne-t'il pas de sa mission originelle ?
Selon Jean-Paul Jean, c'est « la procéduralisation croissante de l’instruction » qui conduit
inexorablement « à la réduction du temps judiciaire consacré au traitement de fond et à la recherche
de la vérité »273. Reste que le mythe du grand inquisiteur semble désormais bien loin de la
conception procédurale actuelle qui fait de la protection des droits des parties une exigence
fondamentale de l'instruction préparatoire au détriment de l'efficacité jadis employée. En ce sens, les
normes européennes influent directement sur le droit interne qui, rappelons-le, a connu des
mutations d'ampleur au cours des dernières années, par l'énonciation de garanties communes
minimales dans un contexte de construction de l'identité européenne.
Dès lors, la problématique relative à la suppression du juge d'instruction ne se pose pas
nécessairement, mais les nombreuses critiques accumulées par les partisans de cette tendance ont
participé à s'interroger sur le maintien du juge d'instruction dans un système qui semble submerger
par une vague accusatoire qui rayonne parmi les systèmes voisins. Les critiques ne s'en trouvent que
plus renforcées.
272 Art. 175-2 CPP273 J-P JEAN, Supprimer le juge d'instruction, pourquoi pas ? Mais... : note, Terra Nova, 2010
108
PARTIE 2 : L'AVANT-PROJET DE RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE DU 2 MARS 2010, CHRONIQUE
D'UNE MORT ANNONCÉE
Le 7 janvier 2009, à l'occasion de la rentrée solennelle des magistrats de la Cour de cassation,
le Président de la République, Nicolas Sarkozy, avait annoncé la suppression du juge d'instruction
au profit d'un « juge de l'instruction » s'inscrivant dans le cadre d'un projet de refonte globale de la
procédure pénale qui puisse répondre aux attentes de notre siècle. Ce nouveau juge « contrôlera le
déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus » car « la confusion entre la fonction d’enquête
et les pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction n’est plus acceptable ».
À cette fin, un comité de réflexion sur la réforme de la justice pénale, présidé par Philipe
Léger, Avocat général, avait été installé, le 13 octobre 2008, par la Garde des Sceaux, Rachida Dati.
Sa composition éminemment partisane avait d'ores et déjà suscité les critiques alors que,
concomitamment, la démission de deux de ses membres dont la juge d'instruction Corinne
Goetzmann estimant que « l'impartialité de la commission était compromise », avait attisé les
regards méfiants sur le bien-fondé du projet. Les travaux ne se sont pas faits sans peine. L'avant
projet de réforme de la procédure pénale du 2 mars 2010 prévoit la suppression du juge d'instruction
La rapport définitif, remis le 1er septembre 2009 au Président de la République, livre douze
propositions tendant à la suppression du juge d'instruction et la création d'un « juge de l'enquête et
des libertés » (JEL) sous le contrôle duquel serait placé un cadre unique d'enquête dirigé par le
parquet. Dans l'ensemble, le rapport se dit poursuivre des objectifs de simplification et de cohérence
de la procédure tout en renforçant les droits de la défense. La particularité de ce rapport tient à la
présence des opinions minoritaires et dissidentes des membres du comité, qui permet une lecture
instructive afin de situer les débats initiés.
Concrétisant le travail entrepris au travers de 630 articles sur 225 pages, l'avant-projet du futur
code de procédure est finalement présenté le 1er mars 2010 à la Garde des Sceaux, Michelle Alliot-
Marie, qui persiste et signe, bien décidée à mener la réforme jusqu'à son terme. L'ultime
concertation qui vise à associer les principaux acteurs du droit est lancée dans un climat d'hostilité,
puisque la suppression du juge d'instruction et remise en cause du statut du parquet sont des points
qui ont été présentés comme non-négociables.
109
Les réticences ne se sont pas faites attendre. En effet, la suppression du juge d'instruction a
déployé de vives inquiétudes et a donné lieu à des oppositions virulentes, suspectant une reprise en
main de la justice pénale par le pouvoir exécutif. En ce sens, André Vallini, président de la
commission sur l'affaire « Outreau » envisage la réforme proposée comme « une menace pour
l’indépendance de la justice et l’égalité des justiciables », Renaud Van Ruymbeke craint quant à lui
« une mise au pas de la justice pénale », tandis que Gilbert Thiel présage que « le Procureur de la
République, sous tutelle de l’exécutif, va devenir l’Homme le plus puissant de France ».
Les syndicats de la Magistrature, le syndicat des avocats de France, l'Association française
des magistrats instructeurs s'insurgent d'une telle réforme et multiplient les avis défavorables ;
tandis que dans le même temps, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme
(CNCDH), le Conseil de l'Union Européenne ainsi que les juridictions françaises jusqu'à la Cour de
cassation fustigent le projet de la suppression du juge d'instruction.
L'annonce de la suppression du juge d'instruction vient concrétiser une réflexion ancienne
réveillée par le spectre de l'affaire « Outreau ». La genèse de la réforme devra être abordée (Titre 1),
pour ensuite étudier le texte proposé qui se réclame d'un véritable système contradictoire « à la
française » (Titre 2).
Titre 1 : La genèse de la réforme
Au lendemain de la catastrophe judiciaire « Outreau », un vaste débat s'est ouvert en France
sur la nécessité de réformer le fonctionnement de la justice pénale dans le but d’assurer à tout
justiciable un procès équitable, contradictoire et dans le respect de l’égalité des armes.Cette
réflexion d'ampleur devait aspirer à une profonde réforme de la procédure pénale, en particulier
s'agissant de l'instruction préparatoire et du devenir du juge d'instruction.
Hélas, l'apport n'a pas été à la hauteur des ambitions projetées car la loi du 5 mars 2007, qui
comportait pourtant des réelles avancées notamment au travers de la collégialité, est demeurée lettre
morte, une loi circonstancielle dépourvue d'ambition réelle en l'absence de sa mise en oeuvre.
110
Même si toutes les dispositions de cette loi ne sont pas encore à ce jour entrées en vigueur, il faut
bien constater que les mentalités et les pratiques judiciaires n’ont pas véritablement changé.
Loin de renforcer la place du juge d'instruction dans la procédure pénale, le Président de la
République, Nicolas Sarkozy, plaide en faveur de sa suppression. Fort d'un libéralisme affirmé, il
entend refondre les bases mêmes du modèle procédural vers un système plus accusatoire. Cette
intention s'inscrit dans le cadre d'un processus déjà entamé, en ce que notre système inquisitoire a
été progressivement fissuré par l'introduction d'une forte dose de contradictoire.
De surcroît, pour inspirer la réflexion portant sur le projet de réforme, le législateur s'est livré
à une étude comparative des systèmes judiciaires européens. En effet, l'Europe met en évidence une
tendance accusatoire forte qui tend à faire de l'existence du juge d'instruction l'exception. Ainsi,
l’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction depuis plus de vingt ans, et l’Espagne
demeure le seul pays où un juge dirige l’instruction. De manière générale, on a assisté ces dernières
années à une reprise en main du pouvoir exécutif et le ministère public tient un rôle de plus en plus
important dans la poursuite des affaires pénales.
L'affaire « Outreau » rappelle, à bien des égards, l'affaire « Calas » avant la Révolution qui
avait donné lieu à des fausses accusations soutenues par des magistrats convaincus, elle vaut à la
fois symptôme social et alerte politique, ne serait-ce parce que notre système inquisitoire a atteint
des limites irréversibles (Chapitre 1). La propagation de la suppression du juge d'instruction chez
nos voisins européens a ainsi conforté la volonté politique de transformer radicalement l'archétype
de notre procédure pénale (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Les conséquences délétères de l'affaire « Outreau »
Le juge d'instruction souffre de son image. L'affaire « Outreau » a remis la fonction au coeur
des controverses. Elle s'inscrit dans la longue lignée des affaires « Bruay-en-Artois », « Dutroux »,
« Grégory », « Amirault » ou encore celle des « Little Rascals » qui ont suscité l'émoi de l'opinion
publique et qui montrent qu'aucun système n'est pas à l'abri des dérives. Erreurs, errements ou abus
judiciaires, les pouvoirs du juge d'instruction et, de surcroît, son rôle sont remis en cause alors que
111
le climat sécuritaire réclame d'avantage de répression.
Dans leur ouvrage Les nouvelles sorcières de Salem, leçons d'Outreau, Antoine Garapon et
Denis Salas compare l'affaire « Outreau » à l'affaire des sorcières de Salem qui s'est déroulée en
1692 au Massachusetts. Des fillettes sont prises de convulsions et se disent possédées par le diable.
Elles multiplient les accusations de sorcellerie, poussées par les parents, à l'encontre d'un cercle de
notables. Les magistrats saisis du dossier accréditent la parole des enfants et la communauté entière
s'émeut d'un complot satanique. Au total, près de vingt-cinq personnes seront condamnées à mort
sur une centaine d'accusés. Une nouvelle enquête conclut finalement à l'erreur judiciaire tandis que
les autorités proclament l'innocence des condamnés. S'ensuit alors une longue période de repentance
à travers des excuses publiques faites par les magistrats et jurés.
L'affaire « Outreau » reprend l'illustration des mêmes mécanismes de panique morale où les
« grandes peurs » qui caractérisent l'imaginaire de la société conjurent une crise profonde des
institutions. Dans notre société démocratique, la pédophilie constitue la transgression ultime en tant
qu'atteinte sexuelle infligée à l'enfance sujette à une vive réaction sociale. Relayées par les médias
de masse, ces grandes peurs, lorsqu'elles se réalisent, attisent l'indignation collective appelant dès
lors l'intervention de la justice réparatrice. Et lorsque la justice ne remplit pas la fonction que la
Constituante lui a dévolue, la confiance en l'institution est fragilisée à tel point que la crise s'étend à
l'ensemble du système.
Pour bien saisir les enjeux de l’affaire « Outreau », il faut donc tenter d'identifier les différents
dysfonctionnements qui expliquent l'erreur judiciaire au travers de la procédure (Section 1), et voir
si les évolutions apportées par la loi du 5 mars 2007 ont apporté des solutions quant à l'avenir du
juge d'instruction (Section 2).
Section 1 : Le reflet des dysfonctionnements d'un système
La catastrophe judiciaire d'« Outreau » consiste en un point crucial pour le sort du juge
d'instruction car elle a précipité une prise de conscience sur l'ambivalence de son rôle. Une brève
rétrospective s'impose, si l'affaire « Outreau » est le fruit d'un certain activisme judiciaire contre la
pédophilie soutenu par des demandes collectives (I), ce sont les bases de notre procédure en tant
112
qu'héritage du système inquisitoire qui sont remis en cause (II).
I/ L'affaire « Outreau », récit d'un désastre judiciaire
Le déroulement de l'affaire « Outreau » s'opère en deux temps : d'abord, le temps du procès où
il sera utile de procéder à un bref rappel des grandes étapes de la procédure (A), puis l'intervention
d'une commission d'enquête parlementaire chargée de cibler les dysfonctionnements mis en exergue
à cette occasion (B).
A. Rappel des faits et de la procédure
L'affaire « Outreau » débute, comme dans la plupart des affaires de moeurs et de pédophilie,
par un signalement au procureur de la République par les services sociaux. Alors qu'une fratrie de
quatre enfants issus du couple Delay-Badaoui fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative et d'un
placement dans des familles d'accueil, ceux-ci font des révélations sur plusieurs faits d'abus sexuels
commis par leurs parents.
Le Procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Gérald Lasigne, ouvre une enquête
préliminaire qui ne va démarrer que près d'un mois et demi plus tard. Les parents sont placés en
garde à vue et procèdent à des déclarations, les enfants sont également entendus mais en l'absence
d'un dispositif d'enregistrement audiovisuel pourtant obligatoire en pareil cas.
La perquisition de leur domicile permet de saisir 163 cassettes pornographiques, ainsi que du
matériel à usage sexuel. Par la suite, les enfants restent placés et poursuivent leurs déclarations
consignées par les assistantes maternelles en impliquant de plus en plus de personnes (boulanger,
huissier, expert-géomètre, enseignant etc.) qui seront considérées comme le cercle des notables.
En 2001, le juge Fabrice Burgaud est désigné pour mener l'instruction du dossier. À ce
moment, les preuves matérielles font défaut. Quatre personnes sont immédiatement placées en
détention provisoire, Myriam Badaoui, Thierry Delay, Aurélie Grenon et David Delplanque, qui
confirment les dénonciations des enfants.
Par ailleurs, la crédibilité des propos des enfants est validée par les experts psychologues
113
requis par le juge d'instruction qui attestent pourtant la validité de leurs déclarations. Les médias se
font plus présents et élaborent le récit journalistique de « la malédiction de la Tour du Renard » :
« celui d'enfants pauvres livrés par leurs parents aux riches et aux puissants »274, dans le cadre d'un
réseau criminel de pédophiles.
L'instruction va durer dix-huit mois pendant laquelle dix-sept personnes sont mis en examen
et quarante enfants victimes sont identifiées, d'autant que des faits connexes viennent se grever au
dossier. La multiplication des témoignages fantasques, des fausses allégations dénonçant des faits
imaginaires, à l'instar de Daniel Legrand, accusé de viols, qui avait inventé l’histoire du meurtre
d’une jeune fille que deux enfants Delay et leur mère Myriam Badaoui relayèrent aussitôt, sèment
des doutes et des incohérences sur la vérité des faits. Le juge Burgaud effectue même un transport
dans le jardin ouvrier de Myiam Badaoui et organise des fouilles aux fins d'y découvrir le corps de
l'enfant victime, en vain.
L'instruction est clôturée en mai 2003. Au total, treize personnes (sur dix-sept) ont été placées
en détention provisoire pendant la durée de l'instruction, soit entre un et trois ans, avant d'être mises
en accusation. Parmi eux, les parents des principaux enfants accusateurs. L'instruction du dossier est
également marquée par le suicide de François Mourmand après avoir passé dix-sept mois en prison.
Alain Marécaux a aussi tenté de se suicider et a failli mourir après une grève de la faim de quatre-
vingt treize jours.
Le 5 mai 2004, s'ouvre le procès « Outreau » au Palais de Justice de Saint-Omer. Sept des dix-
sept accusés sont totalement acquittés tandis que les dix autres ont été condamnés, dont le couple
Delay-Badaoui à des peines respectives de quinze et vingt ans de réclusion criminelle, pour des
qualifications de viols, d'agressions sexuelles, de proxénétisme et de corruption de mineurs.
L'appel interjeté par six des dix condamnés en première instance porte l'affaire devant la Cour
d'assises de Paris. Dès les premiers moments, l'accusation vole en éclats par les surprenants aveux
de la principale accusatrice, Myriam Badaoui : « Il m'est passé une folie par la tête (…) je voudrais
leur dire pardon (...) j'ai menti. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi je suis descendue aussi bas
(…) c'est comme si j'avais deux personnalités en moi »275, propos corroborés par Thierry Delay.
274 A. GARAPON et D. SALAS, Les nouvelles sorcières de Salem, leçons d'Outreau, Seuil, Paris, 2006275 LE MONDE, « Outreau : Myriam Badaoui innocente les six accusés et charge le juge Burgaud » : article, 18/11/2005
114
Mais bien plus encore, au cours de l'audience, ce sont les expertises psychologiques qui ont
largement été remises en cause de même que les rétractations de deux enfants ayant reconnu avoir
menti sous la pression des questions des avocats de la défense, cinq ans auparavant. Innocentés, les
six appelants sont finalement acquittés.
Chose exceptionnelle, un large mouvement d'excuses publiques aux acquittés « au nom de la
Justice » est intervenu de la part du procureur général de Paris, Yves Bot, avant même le rendu du
verdict, de la part du Garde des Sceaux, Pascal Clément, après l'acquittement en Cour d'assises, et
de la part du Président de la République, Jacques Chirac, dans un communiqué en leur assurant
qu'une enquête sur les raisons des dysfonctionnements et les éventuelles responsabilités serait
lancée afin de tirer toutes les conséquences de ce tragique épisode judiciaire.
B. Le contrôle a posteriori de la commission d'enquête parlementaire
La création, en décembre 2005, d'une commission d'enquête parlementaire « chargée de
rechercher les causes du dysfonctionnement de la justice et de formuler des propositions pour éviter
leur renouvellement », a donné suite à l'acquittement général lors du procès « Outreau » en appel.
En effet, l'article 6 de l'Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires prévoit la création d'une commission formée au sein de l'Assemblée
Nationale ou du Sénat qui a pour mission de « recueillir des éléments d'information soit sur des faits
déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de
soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les ont créées ».
Cette commission a été installée sous la présidence de André Vallini, député PS, avec Gérard
Houillon, député UMP, en tant que rapporteur. Elle est composée de trente membres répartis
proportionnellement à la représentation politique de l'Assemblée Nationale. Entre le 10 janvier et le
12 avril 2006, la commission d'enquête a ainsi entendu 221 personnes pendant plus de 200 heures
d'auditions parmi lesquelles figurent les acquittés, les magistrats et les experts étant intervenus dans
le dossier, des avocats, des associations, des psychologues etc.
Il faut distinguer le travail de la commission d'enquête parlementaire du phénomène
médiatique qu'elle a engendré à l'égard de l'opinion publique. En effet, la commission voulait que
les auditions se déroulent à huis clos, ce qui a eu pour effet de susciter de vives critiques. Elle a
rapidement revu sa décision initiale en choisissant de laisser le choix de la publicité des débats à la
115
discrétion de la personne auditionnée, ce qui est assez juste en somme. Le récit des acquittés
d'Outreau, l'expression de leur vécu et de leurs souffrances, en toute simplicité et avec une grande
authenticité, ont évidemment ému l'opinion. S'en est suivie l'indignation populaire émoustillée par la
compassion envers le récit d'hommes et de femmes ordinaires qui racontent l'histoire extraordinaire
d'innocents détenus sous le joug d'une procédure arbitraire.
L'audition du juge Burgaud a pris une toute autre proportion car l'avènement de la « télévision
cérémonielle »276 a certainement parachevé la mise en place d'un véritable arsenal médiatique avec
la présence de commentateurs et de professionnels techniques, et avec la retransmission des
auditions des acquittés peu avant celle du juge. Le récit médiatique a souvent fait de l'audition du
juge Burgaud un règlement de compte, l'accusateur désormais placé sur le banc des accusés,
l'offenseur devenu offensé.
Ce renversement symbolique a largement été relayé par les formules sarcastiques des médias :
un juge « sur la sellette », qui a passé « un sale quart d'heure » etc. D'ailleurs, la présence des
avocats aux côtés du juge Burgaud invite à rapprocher son audition d'une comparution devant une
juridiction. La médiatisation des auditions parlementaires, au delà de la poursuite d'un objectif de
« désintermédiation », a été l'occasion de fournir un moyen de contrôle diffus aux citoyens qui, par
le regard, ont pu forger leur propre appréciation sur le fonctionnement des institutions sous réserve
de la tribune laissée au journaliste277.
Les travaux de la commission d'enquête parlementaire n'ont pas été exempts de critiques.
Rappelons que la commission avait pour mission d'identifier les principales causes des
dysfonctionnements mis en évidence lors de l'affaire « Outreau » en vue de formuler des
propositions pour les résoudre.
Mais les députés ne se sont pas contentés de demander au juge Burgaud d'expliquer le
déroulement de la procédure, ils lui ont directement demandé de s'expliquer, cette dernière
démarche s'inscrivant davantage dans celle d'un juge, parfois même sur des points appartenant au
secret des délibérations des décision en Cour d'assises278 et au secret professionnel dans les rapports
entre l'avocat et son client.
276 Voir à ce sujet, D. DAYAN et E. KATZ, La télévision cérémonielle. Anthropologie et histoire en direct, PUF, Paris, 1996
277 A. GARAPON et D. SALAS, op. cit.278 Par là, la commission s'est immiscée dans le processus d'élaboration des décisions, alors que le secret des
délibérations est censé garantir l'anonymat des décisions.
116
Les auditions se sont bâties sur une structure narrative, qu'importe la cohérence entre les
propos, l'importance est de raconter et de partager son expérience dans une optique de
réhabilitation. Le procédé d'audition lui même n'est pas contradictoire puisque les déclarations faites
par les acquittés ou leurs avocats ne font l'objet d'aucune vérification tandis que le juge Burgaud ne
peut intervenir. Ainsi, à défaut de méthode concrète, André Vallini a reconnu qu'il dirigeait les
auditions « à vue » en laissant une large place à l'improvisation. C'est pourquoi des questions parfois
imprécises, répétitives voire même intrusives ont pu être posées. Par conséquent, les garanties
essentielles s'amenuisaient au fur et à mesure que la méthode et son dispositif porteur n'étaient pas
encadrés.
Mais l'essentiel est que les nombreuses auditions menées tambour battant ont recueilli un
large succès. Il faut saluer la création d'une telle commission qui est une première consécutivement
à une catastrophe judiciaire. Porteuse d'espoir, la commission fait le bilan de l'échec. Plus que
l'erreur d'un homme, ce sont les défaillances de tout un système qui sont en cause. Et pourtant, le
juge Burgaud est apparu comme le premier rôle de cette mise en scène. L'opportunité d'une réforme
de la justice est à saisir et un vaste chantier a été ouvert par la commission d'enquête parlementaire.
Le système inquisitoire est en péril car les multiples dysfonctionnements sont finalement révélées
au grand jour.
II/ La remise en cause du compromis inquisitoire
Dans l'affaire « Outreau », l'attention s'est focalisée sur un seul homme, le juge Burgaud car
lorsqu'une institution faillit, ce sont généralement ses représentants qui sont pointés du doigt soit en
raison d'une négligence, soit en raison d'une volonté de puissance. Pourtant, dans cette affaire,
l'erreur est inhérente à la procédure, et non à la personne seule. Dès lors, les différents rapports (le
rapport Viout et le rapport de la commission d'enquête parlementaire) ont mis en cause tant le
fonctionnement de l'appareil judiciaire (A) que la fonction même de juge d'instruction (B).
A. La mise en cause du fonctionnement de l'appareil judiciaire
D'une affaire pour le moins ordinaire, un calvaire insoupçonnable. L'affaire « Outreau » ne
laissait pourtant en rien présager une telle débâcle émanant de l'institution judiciaire. Alors
117
comment expliquer la déroute de l'ensemble du système ? Plusieurs paramètres sont à prendre en
compte.
Le tournant majeur de l'affaire a consisté dans la multiplication des dénonciations faites par
les enfants, les rumeurs sont très vite renforcées par la pression des parents poussant l'enfant à
parler, ainsi que par les contacts réguliers entre les assistantes maternelles. Des listes de noms
sortent et mettent en cause près de 70 personnes, l'accusation s'emporte et les charges s'alourdissent.
L'ampleur est telle qu'aucun obstacle objectif ne sera susceptible de venir contrecarrer ces rumeurs
car les preuves matérielles sont inexistantes. La parole occupe donc une place prééminente où
pouvoir et vérité sont étroitement liés.
En effet, l'importance accordée à la parole de l'expert psychologue a éveillé les griefs étant
donné leur rôle central dans la production de la vérité au sein du système inquisitoire. Toutefois, il
convient de s'interroger sur le crédit à accorder à l'analyse produite qui est souvent abordée au
travers de concepts flous dont l'interprétation est rendue assez subjective279. En effet, notre société
consacre la sacralisation de la parole de l'enfant, qu'il faut protéger à tout prix, même au détriment
des droits de la défense ou de la présomption d'innocence, de sorte que ses déclarations sont
considérées comme évangile face aux transgressions sexuelles absolues.
La détention provisoire a été également visée par un recours trop systématique. On a souvent
entendu que « sans détention provisoire, il n'y aurait peut-être pas eu d'affaire Outreau»280. Il faut
rappeler qu'au cours de l'instruction, treize des dix-sept accusés ont été incarcérés provisoirement.
L'instrumentalisation de cette mesure privative de libertés en tant que moyen de pression est
unanimement ressortie au travers des témoignages des acquittés, tendant à recueillir des aveux
souvent erronés. « J'ai trois ans pour instruire, vous aurez vingt ans pour réfléchir », « vous avouez
ou vous me faîtes perdre mon temps » sont autant de sarcasmes qui ont pu être entendus dans le
cabinet du juge d'instruction. De même, Roselyne Godard témoigne ainsi « on me pressait d'avouer
si je voulais rentrer le soir même ». Dans l'affaire « Outreau », le choix de la détention provisoire est
justifié par le risque social, une référence imprécise au « trouble à l'ordre publique » de l'ancien
279 En guise d'illustration, on se souvient du fou rire qui avait saisi la Cour d'assises de Paris lors du procès en appel. Le 17 novembre 2005, Christine Condamin, une des experts chargés de procéder à l'examen psychologique des enfants d'Outreau, est appelée à la barre pour rendre compte de ses conclusions concernant l'un des enfants accusateurs de Dominique Wiel, acquitté. Elle explique, avec un sérieux inaltérable, déduire des signes d'abus sexuels de ses dessins représentant un « papillon avec des trous », « un poisson », « deux ours qui saignent parce qu'ils se sont battus » ou une « tête de Martien avec un drôle de nez ».
280 P. HOUILLON, Rapport fait au nom de la Commission chargée de rechercher les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, 6 juin 2006, n° 3125
118
article 144 du CPP, dans un climat gouverné par les enjeux sécuritaires. De fait, les actes
d'investigation s'étant multipliés, les détentions se sont d'autant prolongées qu'il est apparu utile de
se questionner sur leur durée.
Il est également incontestable que les principaux gardes fous du juge d'instruction n'ont pas
rempli leur rôle. Loin de contrôler et d'alerter sur les erreurs, ils n'ont fait que les confirmer. Le
contre-pouvoir que constitue la défense a largement été neutralisé et ce, pour plusieurs raisons.
L 'environnement social dont sont issus les faits a généralement favorisé l'intervention d'avocats
commis d'office, l'accès au dossier ne s'est fait que tardivement281, et la plupart des demandes d'actes
tendant à faire procéder à des expertises ou à des contre-expertises ont été refusées par le juge
d'instruction tout en étant suivi par la chambre de l'instruction.
En effet, l'afflux des recours contre les refus de demandes d'actes et contre les multiples
placements en détention provisoire a enfermé les juges de la chambre de l'instruction dans un
contrôle essentiellement formel, en usant de motifs dépourvus de toute originalité et en n'acceptant
des avocats que de brèves observations. L'amas d'un travail démesuré a engendré, selon Antoine
Garapon et Denis Salas, un mécanisme décisionnel de substitution qui est la confiance aveugle en
leurs collègues282, faisant du recours initié une simple phase d'homologation.
Le JLD, qui était censé contrôler le prononcé du placement en détention provisoire, s'est
également figé dans la confirmation. La ponctualité de ses interventions, qui plus est, en bout de
chaîne en font un magistrat sans prise réelle sur l'affaire dès lors qu'il ne possède pas, lorsque le
dossier lui est transmis, d'indications concrètes sur la personnalité du mis en examen. Le JLD reste
en quelque sorte spectateur de la procédure, son costume de gardien des libertés se trouve ainsi
fortement diminué.
Au delà de ces dysfonctionnements, c'est la procédure inquisitoire qui est remise en cause par
l'affaire « Outreau ». En effet, si la défaillance de l'ensemble des contrôles procéduraux a
inexorablement contribué à enfermer l'instruction préparatoire dans une vérité « auto-référentielle »,
c'est surtout la culture inquisitoire ancrée dans la tradition judiciaire française qui se retrouve
soudainement confrontée à une réaction forte de l'opinion publique tendant à provoquer une rupture.
Une rupture avec le modèle procédural actuel pour faire le choix de l'audience et des débats
281 Soit un an après l'ouverture de l'information judiciaire.282 A. GARAPON et D. SALAS, op. cit.
119
caractéristiques du système accusatoire. Le renforcement du contradictoire semble être l'issue du
problème alors que, dans le même temps, la fonction de juge d'instruction fait également l'objet
d'une analyse minutieuse.
B. La mise en cause de la fonction de juge d'instruction
Dans l'affaire « Outreau », le juge d'instruction est au coeur de la polémique. Pourtant, ce ne
sont pas les agissements d'un juge négligent ou assoiffé de pouvoir qui ont été mis en évidence,
mais bien les conditions d'exercice de ses fonctions qui ne sont pas propices à prévenir les
éventuelles dérives. En effet, la seule chose que l'on peut reprocher au juge Burgaud, c'est d'avoir
surinterprété les faits, d'avoir tirer des conclusions erronées sûrement trop hâtivement de certains
faits et de certaines déclarations.
Dès lors que le crime sexuel avilie l'innocence enfantine, le sacré a toute sa place, l'émotion
suscitée par les faits a été nettement perceptible dans ses déclarations283. Aussi, le successeur du
juge Burgaud évoquant l'état du dossier laissé par son prédécesseur à son arrivée, décrit un dossier
de plus de vingt tomes, 2800 pièces de fond, de nombreux mis en examen et vingt-cinq parties
civiles. Devant la complexité du dossier et face à l'ampleur médiatique, le juge d'instruction s'est
rangé derrière ses acquis, à savoir servir la justice et la vérité. Et c'est précisément la production
d'une vérité biaisée qui a provoqué l'injustice. Mais peut-on faire le grief de l'impéritie à un juge qui
exerce seul ses premières fonctions ?
En effet, deux problèmes majeurs ont été soulignés à plusieurs reprises dans les rapports
établis, celui de la solitude et de l'inexpérience du juge d'instruction face à des dossiers sensibles
: « la jeunesse des magistrats à l’issue de leur scolarité et le caractère souvent très individualiste de
leurs méthodes de travail, sont souvent dénoncés souvent même sans complaisance par ces
derniers »284. L'audition du juge Burgaud a ainsi montré un magistrat d'aspect juvénile, enclin à des
doutes et des hésitations, dont le malaise était évident. Car il faut préciser que le juge Burgaud s'est
retrouvé saisi de l'affaire au hasard du roulement des permanences, alors qu'il n'avait que six mois
283 « Lorsque j'ai pris le dossier, j'ai découvert des témoignages qui étaient poignants, qui étaient abominables. L'horreur qu'avait pu vivre ces enfants (…) Quiconque a eu à connaître ce dossier se souviendra surtout de ces enfants, de leurs souffrances (…) J'ai découvert dans la procédure les déclarations des enfants. Là, je dois dire que c'était véritablement horrible. Les enfants indiquaient que cela avait duré cinq années, des faits dans lesquels ils expliquaient qu'ils étaient violés quotidiennement ». - Journal Le Monde, édition du 10 juillet 2006
284 COMMISSION D’ENQUETE DE L’ASS. NAT., rapport n° 3125 sur les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d'Outreau, 6 juin 2006
120
d'ancienneté depuis sa sortie de l'ENM. Alors, si le juge d'instruction n'a pas commis de faute
professionnelle caractérisée285, les nombreuses erreurs d'appréciation qu'il a commis l'ont amené à
manquer cruellement de perspicacité et de recul vis-à-vis des dénonciations des principaux
accusateurs. On ne se bornera pas à rappeler les implications concrètes de cette solitude que nous
avons eu l'occasion de développer précédemment, mais il s'agit surtout d'insister sur une culture de
la collégialité naissante.
Les différents rapports ont ainsi dressé le constat de ce que la garantie d’une information
judiciaire alliant compétence technique, neutralité et recul dans la recherche et l’appréciation des
éléments à charge et à décharge ne passait pas par une défiance de principes vis-à-vis de la jeunesse
du juge d’instruction mais devait être recherchée au niveau d’une rupture de sa solitude. La
perspective d'un travail en équipe doit se développer afin de rompre avec ces critiques. La
commission d'enquête parlementaire se justifie d'une telle réforme qui « aurait l’avantage de
permettre des regards croisés sur les orientations d’enquête et sur les éléments à charge et à
décharge. Elle complèterait également, par des contacts avec des collègues plus expérimentés, la
formation des magistrats récemment affectés dans les fonctions de juge d’instruction »286.
L'affaire « Outreau » est intervenue au carrefour de l'Histoire de la procédure inquisitoire
acculée par les réformes et les erreurs. Elle a inspiré une large réflexion issue de la mobilisation des
différents corps de la société se questionnant sur la légitimité du compromis inquisitoire, alors
même que la vérité sur les faits est apparue lors de l'audience. Poursuivant, cela conduit à
s'interroger sur l'opportunité d'une réforme vers un modèle plus accusatoire.
Mais force est de constater que notre culture judiciaire ne semble pas encore disposée à se
contenter d'une vérité débattue par les parties puisqu'à l'inverse, on assiste à un renforcement de
l'inquisitoire. La commission d'enquête parlementaire et le rapport Viout ont tous deux préconisé le
maintien du juge d'instruction, en particulier en renforçant son action par le choix de la collégialité.
Section 2 : La loi du 5 mars 2007, la lettre morte d'un texte en dépit de l'activisme ?
La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale a fait de la
285 Précisons que la Chancellerie avait traduit le juge Burgaud devant le CSM pour qu'il réponde de sa responsabilité et le CSM avait finalement opté pour une simple réprimande.
286 COMMISSION D’ENQUETE DE L’ASS. NAT., rapport op. cit.
121
nécessité de rompre la solitude et la jeunesse du juge d'instruction le point d'orgue de la réforme
avec l'instauration de la collégialité. Toutefois, en l'absence de moyens suffisants quant à une mise
en oeuvre immédiate, un dispositif provisoire a été élaboré.
L'objectif, après modification, a été fixé au 1er janvier 2011. En attendant, le législateur a
institué les pôles de l'instruction (I) et a renforcé la co-saisine, en vue d'accéder à la collégialité qui
espérons-le pourra aboutir (II). D'autres dispositions de la loi visent à renforcer le caractère
contradictoire de la procédure s'agissant des expertises, de la détention provisoire, des droits de la
défense et de la célérité etc. lesquels ont été largement évoqués dans la première partie.
I/ La création des pôles de l'instruction
L'instauration des pôles d'instruction procède de la volonté du législateur de concentrer les
moyens de la justice en généralisant l'expérience des pôles spécialisés comme en matière
d'infractions financières, de terrorisme ou de pollution maritime. Situons d'abord le cadre légal des
pôles d'instruction à travers leur composition et leurs compétences (A) pour ensuite entrevoir les
modalités de saisine de ces pôles (B).
A. Le cadre légal des pôles d'instruction
La loi du 5 mars 2007 met en place les pôles de l'instruction qui visent à un regroupement
géographique des juges d'instruction. Le nouvel article 52-1 CPP dispose que « dans certains
Tribunaux de grande instance, les juges d'instruction sont regroupés au sein d'un pôle de
l'instruction ». Ces pôles d'instruction tendent à remédier au grief de la solitude du juge d'instruction
rappelé par l'affaire « Outreau ».
Le décret du 22 mars 2009 remplaçant l'article D.15-4-4 CPP insérée par le décret du 16
janvier 2008, qui avait été déclaré nul par une décision du Conseil d'État en date du 19 décembre
2008, vient ainsi régulariser l'existence des pôles de l'instruction. Il énumère une liste de 91 TGI
dans lesquels il existe un pôle de l'instruction et le ressort de compétence territoriale de ces pôles.
La coordination de l'activité des juges d'instruction peut-être assurée par un ou plusieurs juges au
sein du pôle compétent, compte tenu des spécialisations prévues par la loi telles que le pôle
financier ou les JIRS etc. Avec l'entrée en vigueur des pôles, une information peut désormais être
122
ouverte avec au moins deux juges au sein du pôle dont dépend la juridiction concernée.
La loi organise une compétence automatique en matière de crimes et de délits graves ou
complexes. Les juges d'instruction composant le pôle de l'instruction sont donc seuls compétents
pour connaître des affaires criminelles et lorsque plusieurs juges d'instruction sont désignés dans le
cadre d'une co-saisine. Ils demeurent également compétents en cas de requalification des faits en
cours d'information ou lors du règlement de celle-ci.
B. La saisine des pôles de l'instruction
Dans les juridictions ne comportant pas de pôle d'instruction, le Procureur de la République
qui requiert soit une co-saisine ou soit l'ouverture d'une information criminelle, se trouve dessaisi de
l'affaire au profit du pôle qui est à cette fin compétent, opérant une délocalisation de la procédure.
Ce même Procureur demeure donc compétent pour procéder à l'ouverture de l'information ou pour
déférer toute personne devant le juge du pôle. Le parquet « sans pôle » dispose alors de deux
solutions : il peut saisir la juridiction du pôle compétent, soit en déférant lui-même, soit en
saisissant à cette fin le procureur de la République du pôle.
Or, sur ce dernier point, la loi consacre une compétence concurrente à l'initiative du
Procureur de la République près le TGI au sein duquel se trouve le pôle compétent, lequel peut
également prendre un réquisitoire introductif, puisqu'il est compétent territorialement sur l'ensemble
du ressort de compétence de ce pôle, « y compris pour diriger et contrôler les enquêtes de
police »287.
Par ailleurs, l'article 80-III CPP donne la possibilité au Procureur de la République près du
TGI au sein duquel il existe un pôle qui estime qu'aucune information relevant de la compétence du
pôle ne doit être ouverte, peut requérir le placement sous contrôle judiciaire ou en détention
provisoire et ce, avant même de transmettre le dossier au procureur de la République
territorialement compétent288. La personne visée par la procédure doit alors comparaître au plus tard
le troisième jour ouvrable suivant devant le Procureur de la République sans pôle. Durant
l'information, c'est le procureur du pôle qui sera compétent pour prendre les réquisitions relatives au
déroulement de la procédure (contrôle judiciaire, détention provisoire, réquisitions supplétives etc.).
287 Art. 80-II CPP288 Art. 80-III CPP
123
Le renvoi se fait devant la juridiction naturellement compétente.
Cette réforme instaurant les pôles d'instruction accompagne la réforme de la carte judiciaire.
Elle exprime la tendance à faire intervenir une pluralité de juges d'instruction au sein d'un pôle pour
les affaires les plus graves et complexes. Car loin d'y voir un remède à la solitude du juge
d'instruction, le Conseil du Barreau s'inquiète de ce que cette délocalisation propage le risque de
voir la justice pénale se concentrer dans les grandes villes et, par conséquent éloigner les justiciables
des avocats les plus proches, en privilégiant les avocats dont les cabinets sont implantés à proximité
des grands tribunaux.
Et il faut préciser que la réforme implique des moyens humains et financiers considérables de
sorte que la collégialité deviendrait illusoire si les pôles se retrouvaient submergés par des amas de
dossiers sans disposer des moyens pour les traiter efficacement.
II/ La nouvelle coordination du travail du juge d'instruction
La loi du 15 juin 2000 avait instauré le processus de co-saisine impliquant la désignation
d'une pluralité de juges en cas d'affaire grave ou complexe, mais dont l'utilisation était demeurée
relativement limitée du fait de la nécessité de l'accord du juge d'instruction saisi du dossier. La loi
du 5 mars 2007 a élargi les hypothèses de co-saisine en supprimant l'accord du juge dans certaines
hypothèses, (A) avec terme du 1er mars 2008 au 1er janvier 2011 avant de rendre effectif la
collégialité de l'instruction (B).
A. Le développement de la co-saisine
L'article 83-1 CPP, dans sa nouvelle rédaction, prévoit expressément la désignation d'un ou
plusieurs juges pour être adjoints au juge d'instruction en charge d'une information « lorsque la
gravité ou la complexité de l'affaire le justifie ». Dès l'ouverture de l'information, le Président du
TGI peut directement décider de la co-saisine soit d'office, soit sur réquisition du procureur de la
République. Dans les mêmes conditions, à tout moment au cours de la procédure, la co-saisine peut
être envisagée avec ou sans l'accord du juge d'instruction chargé de l'information. C'est précisément
là que les situations diffèrent :
124
- d'une part, lorsque la co-saisine intervient sur demande du juge d'instruction ou avec son
accord, elle est toujours décidée par le président du TGI au sein duquel existe le pôle compétent
territorialement soit d'office, soit sur réquisition du parquet ou soit sur requête des parties. L'alinéa 3
de l'article 83-1 CPP précise que les parties ne peuvent pas renouveler leur demande avant six mois,
de sorte qu'elles ne remettent pas sans cesse en cause la compétence du juge d'instruction chargé
seul de l'affaire. Si l'information judiciaire a été ouverte dans une juridiction « sans pôle », la co-
saisine intervient après que le juge d'instruction initialement saisi se soit dessaisi au profit du pôle
compétent ;
- d'autre part, lorsque la co-saisine a été décidée tandis que le juge d'instruction refuse de
donner son accord, il faut distinguer selon que le l'information a été ouverte dans un TGI avec ou
sans pôle d'instruction :
→ dans le premier cas, la co-saisine est décidée par le président de la chambre de
l'instruction agissant soit d'office, soit sur demande du président du TGI, sur réquisition du parquet
ou sur demande des parties par déclaration datée et signée au greffier du juge d'instruction saisi du
dossier289. La loi prévoit qu'il statue dans un délai d'un mois à compter de la réception de la
demande ;
→ dans le second cas, le président de la chambre de l'instruction saisit la chambre aux
fins de co-saisine qui statue dans un délai d'un mois. Il peut alors décider soit qu'il n'y a lieu à co-
saisine auquel cas il renvoie au dossier le juge d'instruction, soit de procéder au dessaisissement du
juge d'instruction afin de désigner plusieurs juges d'instruction si celle-ci est « indispensable à la
manifestation de la vérité et à la bonne administration de la justice ». Le texte précise que les
décisions prises par le Président du TGI ou du Président de la chambre de l'instruction sont des
mesures d'administration judiciaire non susceptibles de recours290.
Afin d'organiser le travail dans le cadre de la co-saisine, la loi précise que le juge
d'instruction initialement chargé de l'information coordonne son déroulement. Il s'agit, dans
l'esprit du législateur, non pas d'instaurer une hiérarchie, mais plutôt une régulation des relations qui
seront nécessairement fondées sur la compréhension et la coopération. D'ailleurs, il appartient aux
juges d'instruction concourant au dossier de se répartir l'accomplissement des diligences avec
l'assistance d'un greffier dans tous les cas où la loi en fait l'obligation. Rien n'empêche les magistrats
co-saisis d'accomplir en commun certains actes, tels que les transports, interrogatoires ou auditions,
289 Art. 81 CPP290 Art. 83-1 al. 5 CPP
125
assistés d'un seul greffier. Toutefois, l'article 83-2 CPP précise que le juge d'instruction désigné en
premier a seul qualité pour saisir le JLD, pour ordonner une mise en liberté d'office et pour rendre
l'avis de fin d'information et l'ordonnance de règlement291.
Le mécanisme de co-signature a été introduit, sans faire l'objet d'une obligation comme les
travaux préparatoires le préconisaient, mais en tant que possibilité s'agissant de l'avis de fin
d'information prévu à l'article 175 CPP et l'ordonnance de règlement. La co-signature encourage la
concertation sur la décision prise de manière conjointe et permet ainsi d'impliquer les juges
d'instruction adjoints à l'évolution de la procédure.
Mais en pratique, comme le relève judicieusement le rapport du Sénat portant sur la loi du 5
mars 2007, la co-saisine se heurte en pratique à l'insuffisance des effectifs de juges d'instruction au
sein de nombreux tribunaux de grande instance292. Sur 180 tribunaux de grande instance, 66 ne
comportent qu'un seul juge d'instruction. On estime que 60 nouveaux magistrats seront nécessaires à
la mise en place des pôles d'instruction et à l'élargissement de la co-saisine, quand on sait que le
coût annuel d'un juge d'instruction débutant pour le budget de l'Etat, avec pension et primes étant de
58.525 euros, l'enveloppe globale nécessaire pour financer la réforme s'élèverait à 6,3 millions
d'euros.
Le renforcement de la co-saisine est un premier pas vers la collégialité poursuivant un double
objectif : en premier lieu, il s'agit d'un gage de protection pour le juge qui se voit moins exposé en
terme de responsabilité ; en second lieu, il s'agit de conférer une plus grande force à ses décisions
car prises par une pluralité de magistrats. Aucune donnée chiffrée n'est aujourd'hui disponible pour
évaluer les moyens mobilisés par le gouvernement. Pourtant, il faut bien convenir que cette réforme
s'inscrit à contre courant de la politique actuelle tendant à la diminution du nombre de
fonctionnaires.
B. L'avenir de la collégialité de l'instruction ?
La collégialité est la disposition la plus incertaine issue de la loi du 5 mars 2007 car on entrée
en vigueur était originellement prévue à compter du 1er janvier 2010 mais a finalement été
repoussée au 1er janvier 2011 faute de budget, elle tend ainsi à rendre l'instruction entièrement
291 Art. 83-2 CPP292 RAPPORT ASS. NAT. n° 3125
126
collective.
Le nouvel article 83 CPP prévoit que pour chaque information, le président du tribunal
désigne une formation collégiale, formée de trois juges d'instruction, dont un magistrat du premier
grade exerçant les fonctions de juge coordinateur. Il est prévu que les actes les plus importants de la
procédure soient soumis à la collégialité : y figurent la mise en examen, le placement sous contrôle
judiciaire, la saisine du JLD, la mise en liberté d'office, l'avis de fin d'information ou les
ordonnances de règlement et de non-lieu. Les autres actes de la procédure pourraient être délégués à
un juge d'instruction composant le collège.
Cette réforme s’appuie sur l’idée que la collégialité permettrait d’instituer « en amont de la
procédure pénale un travail d’équipe pour faire échec au plus tôt à tout risque d’erreur »293 :
- d'un côté, la collégialité représenterait une garantie d'impartialité essentielle pour le
justiciable car les décisions prises par une formation collégiale impliquent des discussions
argumentées, des échanges de points de vue et finalement une concertation pour arriver à l'unicité ;
- d'un autre côté, la collégialité serait également une garantie d'indépendance à l'égard des
pressions extérieures. Elle permettrait finalement de faciliter l'intégration des jeunes magistrats par
un encadrement des plus anciens, de même que la transmission des bonnes pratiques
professionnelles.
Pourtant, si la collégialité met en évidence des avantages, ses inconvénients sont également
appréhendés. On peut alors craindre que la garantie initiée par la concertation d'une pluralité de
magistrats ne soit qu'apparente en se référant à la collégialité dans la formation des tribunaux
correctionnels, le rôle des assesseurs ne serait alors que secondaire, confirmant le plus souvent la
décision du Président. Car il est acquis les assesseurs « forment souvent leur conviction au travers
des éléments de l’audience et de ceux fournis par le magistrat chargé plus spécialement d’étudier
l’affaire »294. Cette crainte pourrait s'envisager lors de l'information judiciaire puisqu'un juge
d'instruction parmi la formation collégiale pourrait être amené à réaliser seul certains actes
d'instruction.
293 RAPPORT ASS. NAT. n° 3125294 M. NORD-WAGNER, Le renforcement de la collégialité,
127
De même, la collégialité n'aurait-elle pas pour effet de diluer les responsabilités des juges
d'instruction dans le nombre. En cas d'erreur judiciaire, il pourrait être particulièrement difficile de
discerner la part de responsabilité exacte de chacun des protagonistes dans la décision litigieuse.
La proposition de la collégialité avait été envisagée par le passé dans le projet de réforme de
Robert Badinter en 1985, alors Garde des Sceaux. Mais jusque lors, le législateur l'avait laissé pour
lettre morte. Espérons qu'il ne réserve pas le même sort à la loi du 5 mars 2007 en tant qu'avancée
réelle à l'organisation et à la coordination de la juridiction d'instruction, même si tout porte à croire
que le juge d'instruction vit ses dernières heures. Il était prévu à l'origine que la mise en œuvre de la
collégialité, des pôles de l'instruction et de la co-saisine fasse l'objet d'un bilan par le gouvernement
à l'issue d'un délai de deux ans après leur entrée en vigueur. Il s'agit là d'un projet ambitieux quand
on connaît la brève durée de vie d'une loi procédurale.
En définitive, sa mise en oeuvre effective de la collégialité dépendra essentiellement de la
volonté des juges d'instruction de changer les mentalités en insufflant les perspectives d'un travail
en équipe, mais aussi des moyens humains et financiers que le gouvernement sera capable de
mobiliser face à la volonté du Président de la République de mettre à mort le juge d'instruction. Au
cours des travaux préparatoires, le législateur a également été invité à porter un regard analytique
sur les systèmes judiciaires voisins dans lesquels la suppression du juge d'instruction s'est fortement
répandue.
Chapitre 2 : La propagation de la suppression du juge d'instruction en Europe
La suppression du juge d'instruction a été engagée dans plusieurs pays européens à l'instar de
l'Allemagne et l'Italie qui ont d'ores et déjà franchi le pas, en instaurant un cadre unique d'enquête
dirigée par le parquet avec l'aide de la police judiciaire et sous le contrôle d'un juge du siège garant
des libertés individuelles.
D'autres pays consacrent un rôle grandissant du Parquet dans la phase préparatoire du procès
pénal qui, outre le développement généralisé de ses pouvoirs quasi-juridictionnels, semble indiquer
un basculement vers une procédure de type accusatoire. Cette tentation se trouve confortée par
128
l'incidence des règlements de procédure adoptés pour le Tribunal Pénal International et la Cour
Pénale Internationale, qui montrent que le schéma dominant de la procédure pénale est bel et bien
d'attrait accusatoire.
Force est de constater que la tendance actuelle ne paraît pas compatible avec le maintien du
juge d'instruction, tant en ce qui concerne la recherche et l'évaluation des preuves qu'en termes de
coopération judiciaire avec les autres États de l'Union Européenne, notamment face aux nouvelles
formes de criminalité. Dès lors, l'étude des différents systèmes judiciaires européens doit être pour
nous un laboratoire d'observation afin d'initier notre réflexion vers d'autres sentiers.
Section unique : Étude comparative des principaux systèmes judiciaires européens
en matière pénale
Le fonctionnement de la justice pénale en Europe est largement épars rendant l'approche
comparative difficile tant les systèmes varient selon la place accordée aux acteurs institutionnels, ou
bien selon le choix de la procédure inquisitoire ou accusatoire, ou encore selon le principe de
légalité ou d'opportunité des poursuites295.
Parmi cette diversité, des constats communs révèlent que la plupart des pays ont opté pour la
séparation des organes de poursuite et de jugement, les parquets bénéficiant dans leurs prérogatives
de l'engagement des poursuites, du soutien de l'accusation et de l'appel des décisions du juge.
On remarque que la suppression du juge d'instruction s'est largement répandue chez nos
voisins, lesquels ont préféré confier la direction de la phase préparatoire au parquet (I) sous le
contrôle d'un juge du siège qui veille à la protection des libertés publiques et à la légalité de la
procédure (II).
I/ Le rôle croissant du Parquet dans une tendance accusatoire forte
L'essor du rôle du parquet dans l'instruction des affaires pénales est un phénomène général,
295 J-P. JEAN, Systèmes judiciaires européens : les principales tendances en matière pénale, AJ Pénal, n°11/2008, p. 453-455, novembre 2008
129
qui s'observe dans la plupart des pays européens. À l'exception de l'Espagne où le juge d'instruction
subsiste fort d'un héritage inquisitoire ancré dans la tradition judiciaire (A), les pays comme
l'Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal accorde une place centrale au parquet dans la direction de la
phase préparatoire précédant le jugement (B), alors que le Royaume-Uni, le Pays de Galles et la
Suisse consacre des mécanismes particuliers qui révèlent également la place grandissante de
l'organe de poursuite (C).
A. Le maintien du juge d'instruction en Espagne
L'Espagne reste l'un des rares pays comme la France à avoir conservé le juge d'instruction,
magistrat indépendant. Le code de procédure pénale, inspiré du code de l'instruction criminelle
français de 1808, date de 1882. Plusieurs réformes ont été engagées ces dernières années sans
toutefois remettre en cause le moule procédural originel.
Le juge d'instruction espagnol bénéficie même d'un champ d'action plus étendu que son
homologue français puisque, hormis les infractions mineures, toutes les infractions font l'objet d'une
instruction menée par le juge d'instruction à l'aide des agents de police judiciaire, lesquels sont
placés en état de subordination en vertu de la Constitution296. Dans le cadre de ses fonctions, le juge
d'instruction est placé « sous l'inspection directe » du Procureur près le tribunal compétent auquel il
rend compte périodiquement de son activité.
Le juge d'instruction jouit d'une grande indépendance dans sa mission d'instruire à charge et à
décharge et demeure libre de recourir à tous les moyens qu'il estime utiles à la manifestation de la
vérité dans le respect du principe de proportionnalité. Si le Code de procédure pénale fixe la durée
de l'instruction à un mois, le juge d'instruction décide du moment de la clôture de l'instruction, de
sorte que l'instruction se prolonge autant qu'il l'estime nécessaire.
Le Parquet qui opère un contrôle essentiellement formel sur l'action du juge d'instruction
bénéficie d'une autonomie fonctionnelle, les carrières des magistrats du siège et du parquet étant
distinctes et le Parquet disposant de sa propre organisation. Les membres du Parquet sont soumis à
une subordination hiérarchique et peuvent recevoir des directives de leurs supérieurs. Le Procureur
296 « La police judiciaire dépend des juges, des tribunaux et du ministère public en ce qui concerne la recherche du délit ainsi que la découverte et l’arrestation du délinquant, dans les termes établis par la loi ». Ces « auxiliaires » de justice agissent selon les instructions qu'ils reçoivent des autorités judiciaires. Dans la phase précédant l'instruction, la police judiciaire agit sous le contrôle du parquet.
130
général de l'État, au sommet de la hiérarchie, donne des instructions relatives à la politique pénale.
Dans le système espagnol, l'instruction constitue la base de l'accusation et non du jugement
car, une fois que le juge d'instruction a rendu son arrêt de clôture, il appartient à l'accusation de
solliciter l'ouverture du procès ou le non-lieu mais c'est la juridiction de jugement qui décide s'il y a
lieu ou non d'ouvrir le procès. Enfin, il faut dire que l'instruction étant devenue la phase principale
de la procédure, de nombreuses critiques s'élèvent pour réformer l'instruction en confiant sa
direction au parquet, mais rien n'a été réalisé pour l'heure.
B. La place centrale du parquet en Allemagne, en Italie, au Pays-Bas
et au Portugal et dans les pays de l'Est
- L'Allemagne et l'Italie ont fait tous deux le choix de la suppression du juge d'instruction
respectivement en 1975 et 1989, confiant au parquet le monopole des poursuites et la direction de la
phase préliminaire de la procédure :
En Allemagne, le Parquet instruisant à charge et à décharge en vue d'établir une mise en
accusation est considéré comme un « organe autonome de l'administration de la justice ». Le code
de procédure pénale lui donne ainsi le pouvoir de requérir de toutes les administrations tous les
renseignements qui lui sont nécessaires, sous réserve de l'autorisation du juge de l'instruction. Le
Parquet fait réaliser la plupart des actes d'instruction par la police297 qui se voit attribuée le statut
d'auxiliaire du Parquet et demeure donc soumise aux ordres de ce dernier. Il existe différents
Parquets qui sont tous fortement hiérarchisés.
L'Allemagne étant un État fédéral, le Parquet fédéral intervient pour les infractions portant
atteinte à la Fédération298 et il existe, par ailleurs, un parquet dans chaque Land. La loi relative à
l'organisation judiciaire fixe le statut du Parquet, les Procureurs allemands sont ainsi des
fonctionnaires et la loi leur impose d'obéir aux directives de leurs supérieurs, qu'elles soient d'ordre
général ou concernant un dossier particulier. À ce titre, le Parquet peut recevoir des instructions du
ministère de la justice dont il dépend hiérarchiquement.
297 En effet, la police de sécurité générale du Land dispose d'un large pouvoir autonome d'enquête, notamment pour les affaires concernant la petite criminalité, le parquet ne contrôlant que la régularité de l'enquête policière. À l'inverse, pour les affaires complexes, la police criminelle de la Fédération ou des Landër, qui est une police spécialisée relevant des ministère de l'intérieur de la Fédération ou des Landër, mènent les investigations. 298Notamment en cas de crimes contre la sûreté de l'État, de terrorisme etc.
131
En Italie, l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale a consacré la suppression
de l'instruction préparatoire au profit d'une phase d'enquête préliminaire conduite par un parquet
statutairement indépendant, nous y reviendrons, induisant le basculement dans une procédure de
type accusatoire299.
Le Parquet réalise donc l'enquête préliminaire avec l'aide des officiers de police judiciaire,
lesquels travaillent directement sous la direction du parquet en vertu de l'article 109 de la
Constitution300 et ce, quel que soit leur corps d'appartenance. De plus, la procédure de l'incident
probatoire, à la demande du parquet ou du mis en examen, permet au juge de recueillir, à titre
exceptionnel, des éléments de preuve pendant l'enquête préliminaire.
- Les Pays-Bas et le Portugal ont quant à eux conservé le juge d'instruction mais il occupe une
place relativement limitée car son intervention lors de la phase de l'instruction préparatoire est
devenue quasi-exceptionnelle :
Aux Pays-Bas, le Code de procédure pénale de 1926 place le parquet au centre de la phase
préparatoire au jugement. Il dirige l'enquête préliminaire réalisée par la police de façon assez
autonome, laquelle est placée sous l'autorité du parquet dans le cadre de son activité judiciaire.
L'instruction n'est jamais obligatoire, c'est le parquet qui décide d'en demander l'ouverture,
notamment si le dossier requiert des éléments que seul le juge peut recueillir. Mais l'originalité du
système fait que même si une information judiciaire est ouverte, l'enquête du parquet se poursuit
simultanément. Concernant son statut, le parquet néerlandais est placé sous l'autorité du ministre de
la Justice. Le Parquet est dirigé par un collège de procureurs généraux qui peut donner à tous les
membres des instructions.
La loi sur l'organisation judiciaire prévoit également la possibilité pour le Ministre de la
Justice de donner des instructions aux membres du parquet et, au surplus, s'il intervient pour
demander la levée des poursuites, il doit obligatoirement en informer le Parlement. Toutefois, il
convient de préciser que l'instruction préparatoire autrefois privilégiée est devenue absente de la
plupart des procédures. Ceci s'explique surtout par l'extension des pouvoirs du Parquet et de la
police dans des domaines qui jadis étaient réservées au seul juge.
299 Même si des éléments relevant de la procédure inquisitoire ont été intégrés par la suite.300 « L’autorité judiciaire dispose directement de la police judiciaire ».
132
Au Portugal, le nouveau Code de procédure pénale, en vigueur depuis 1987, a confié au
parquet la direction de la phase préparatoire qu'il dénomme « l'enquête de police ». Outre un statut
d'autonomie sur lequel nous reviendrons par la suite, le Parquet dispose de tous les moyens qu'il
estime nécessaire pour décider ou non de la mise en accusation, sous réserve du domaine du juge
d'instruction concernant les actes d'information portant atteinte aux droits fondamentaux de l'accusé.
L'instruction subsiste sous la conduite du juge d'instruction assisté de la police, elle s'envisage
plus comme un instrument de contrôle de l'enquête menée par le parquet dont la demande est à
l'initiative soit de la personne mise en examen ou de la victime après qu'il ait été statué sur la mise
en accusation.
C. L'essor de la fonction du parquet au Royaume-Uni, au Pays de
Galles et en Suisse
L'Angleterre et le Pays de Galles consacrent une procédure pour le moins particulière, issue
de la tradition du common law, dans lequel l'enquête est réalisée par les services de police dont
l'organisation est décentralisée parmi 43 forces compétentes sur des secteurs géographiques
déterminés, et qui bénéficient d'une grande indépendance dans la recherche des preuves à charge et
à décharge301. Il y a encore peu de temps, le rôle de la police s'étendait jusqu'à la rédaction de l'acte
d'accusation et à la détermination les charges avant de le transmettre au service national des
poursuites pénales - Crown Prosecution Service (CPS), mis en place en 1986, qui décidait s'il y
avait lieu ou non de poursuivre. La loi de 2003 sur la justice pénale a confié la tâche de rédiger
l'acte d'accusation au CPS dans la plupart des cas.
Cette réforme a instauré une véritable collaboration entre la police et le CPS dès le début de
l'enquête et, celle-ci n'étant pas placée sous son autorité, il ne peut lui apporter des conseils
juridiques qu'après avoir été saisi par la police. Placé sous l'autorité de l'Attorney General, un
membre du gouvernement responsable devant le Parlement, le CPS est organisé de manière
centralisée et hiérarchique. Ainsi, le CPS est dirigé par le Directeur des poursuites – Director of
Public Prosecution – qui jouit d'une grande autonomie fonctionnelle dans l'exercice de ses
pouvoirs302. En outre, les membres qui le composent dépendent de la fonction publique alors que la
301 Même si la police ne dépend pas du ministère de l'intérieur, celui-ci peut lui adresser des circulaires générales. De plus, depuis les années 1980, des lois tentent de limiter l'autonomie des services de police en renforçant les pouvoirs du ministère de l'intérieur à leur égard. Ainsi en est-t'il de la loi de 1994 qui permet au ministre de demander à une autorité locale la démission d'un chef de police ou de procéder au contrôle de l'activité d'une force de police.302 Le directeur des poursuites dispose du pouvoir de mettre fin à des procédures entamées et la poursuite de certaines
133
jurisprudence préserve leur indépendance fonctionnelle.
Enfin, la Suisse affiche un modèle procédural en pleine transformation au profit du parquet
dont le rôle est en pleine expansion. Actuellement, l'instruction des affaires pénales varient selon
que la procédure applicable relève du Code fédéral ou de l'un des 26 codes cantonaux. Dans cette
perspective, l'instruction se voit confiée selon les cas soit au juge d'instruction, soit au parquet.
L'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale303 prévue le 1er janvier 2011 consacre
l'unification de l'instruction sur l'ensemble du territoire et transfert au parquet la direction de la
procédure.
II/ L'encadrement des pouvoirs du Parquet pendant la phase préparatoire
À l'évidence, le contexte européen paraît favorable à la suppression du juge d'instruction dont
l'existence est clairement minoritaire face à un Parquet qui tend à assumer seul la direction de la
phase préparatoire au jugement. Dans la plupart des systèmes, on constate que la prévalence est à la
substitution du juge d'instruction qui conduit l'enquête par un juge de l'instruction qui en contrôlerait
le déroulement (A). L'idée n'est pas sans poser des problèmes quant à la mise en œuvre d'un tel
renversement des fonctions et, assurément, l'indépendance des Parquets italiens et portugais devrait
inspirer le législateur français à l'aune de la solution dégagée par l'arrêt Medvedyev de la CEDH qui
refuse d'accorder au parquet français la qualité « d'autorité judiciaire » (B).
A. Un contrôle juridictionnel par un juge garant des libertés individuelles
La direction de la phase préparatoire du jugement étant confiée au Parquet, la loi lui
consacre expressément l'obligation d'instruire à charge et à décharge, à l'instar du juge d'instruction.
Tel est déjà le cas en Allemagne et en Italie, puis prochainement en Suisse. Si le Parquet dispose de
moyens conséquents pour mener à bien ses investigations dans le but de se prononcer sur la mise en
accusation, certains actes d'instruction relèvent de la compétence exclusive du juge.
En effet, l'exécution des actes les plus attentatoires aux libertés individuelles, notamment le
placement en détention provisoire, les saisies, les écoutes téléphoniques, les mesures secrètes de
infractions relatives à la politique publique et à la sécurité de l'État est subordonnée à son aval préalable.303 Adopté le 5 octobre 2007 après un long travail entamé en 1994.
134
surveillance, les perquisitions, etc. sont soumis à l'intervention d'un juge : à savoir le juge de
l'instruction en Allemagne, le juge de l'enquête préliminaire en Italie, le juge d'instruction au Pays-
Bas ainsi qu'au Portugal, le magistrate en Angleterre qui est un juge non professionnel.
Par ailleurs, le nouveau Code de procédure pénale suisse prévoit la création d'un Tribunal des
mesures de contraintes qui se réserve le prononcé des mesures portant atteintes aux droits
fondamentaux à l'issue d'un débat contradictoire. D'une manière générale, selon les cas, soit le juge
autorise préalablement la prescription ou la réalisation des actes, soit il y procède par lui-même.
Le juge apparaît donc plus comme un garant des libertés publiques et contrôle la légalité
des mesures prises eu égard aux circonstances. Néanmoins, il faut préciser que son intervention est
conditionnée à la demande préalable du Parquet, ce qui restreint d'emblée son champ d'action
puisqu'il ne dispose pas de la faculté de s'auto-saisir. À cela, s'ajoute le transfert de certains pouvoirs
d'investigation qui relevaient de la compétence traditionnelle du juge au profit du parquet. En
Allemagne, depuis la réforme de 1975, le Procureur peut contraindre les témoins et les experts à
comparaître. De même, aux Pays-Bas, le juge a été évincé par l'extension des pouvoirs coercitifs du
parquet et de la police.
Enfin, le cas d'urgence dont les circonstances demeurent à l'appréciation du Parquet, constitue
une règle dérogatoire de la compétence réservée au juge. Ainsi le Parquet empiète-t-il sur le
domaine privilégié du juge en ordonnant une saisie, une perquisition, un examen corporel ou une
écoute téléphonique dont la validité est soumise à la confirmation postérieure du juge dans de brefs
délais. Le juge reste seul compétent pour prononcer une mise en détention provisoire ou procéder à
des auditions sous serment. Notons que les possibilités d'intervention du Parquet en cas d'urgence
sont particulièrement étendues en Allemagne et la Cour constitutionnelle fédérale lui impose de
motiver les cas d'urgence.
B. L'indépendance des Parquets italiens et portugais
L'indépendance des Parquets italiens et portugais remontent respectivement à 1947 et à 1992.
Dans ces deux pays, le parquet ne peut pas recevoir d'instructions de la part du pouvoir exécutif. Ils
consacrent deux mécanismes distincts aux fins de garantir cette indépendance tantôt statutaire tantôt
fonctionnelle :
135
- Le Parquet italien se caractérise par son indépendance tant à l'égard des autres pouvoirs que
de par son autonomie interne304. D'ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature garantit
l'indépendance des magistrats du siège et du parquet305, tandis que le ministre de la Justice ne
dispose que d'un rôle limité s'agissant de l'organisation et du fonctionnement des services306. Par
ailleurs, les membres du parquet bénéficient d'une grande indépendance à l'égard des chefs
hiérarchiques du parquet. Pourtant, la loi du 25 juillet 2005 donnait délégation au gouvernement
pour réformer l'organisation judiciaire, voulue par Sylvio Berlusconi, envisageait de restreindre
l'autonomie du parquet307. Mais les décrets nécessaires à l'exercice de cette délégation n'ont pas été
adoptés.
- Le Parquet portugais est quant à lui organisé de manière hiérarchique, mais le principe de
légalité des poursuites, solennellement affirmé par la Constitution, permet de mettre à l'abri ses
membres d'éventuelles pressions qui seraient exercées par des supérieures peu scrupuleux qui
souhaiteraient étouffer une procédure gênante pour le gouvernement. Ainsi, le parquet portugais ne
peut recevoir des instructions ni du pouvoir judiciaire, ni du pouvoir exécutif et garantit la conduite
obligatoire des affaires douteuses dans lesquelles le pouvoir politique peut se retrouver impliqué.
Ces deux modèles permettent donc aux magistrats du parquet d'exercer leurs fonctions en
toute indépendance, lesquels une fois détachés de toutes instructions hiérarchiques, participent à la
garantie d'une justice égale pour tous les citoyens. Il y a fort à parier que les instances européennes
penchent en ce sens d'autant que la Garde des Sceaux, en dépit de sa réticence persistante à réformer
le statut du parquet, devra intégrer la remise en cause de ce rattachement à une éventuelle réforme
de l'organisation judiciaire du modèle procédural français.
304 L'article 104 de la Constitution dispose que « la magistrature constitue un corps autonome et indépendant de tout autre pouvoir» et l'article 107 ajoute que le parquet « jouit des garanties établies à son égard par les règles relatives à l’ordre judiciaire ».305 L'article 105 dispose que « les nominations, les affectations et les mutations, les promotions et les mesures disciplinaires concernant les magistrats sont du ressort du Conseil supérieur de la magistrature, selon les règles de l’ordre judiciaire ».306 À ce titre, l'article 110 énonce que « Sous réserve des compétences du conseil supérieur de la magistrature, il appartient au ministre de la justice de veiller à l’organisation et au fonctionnement des services relatifs à la justice. »307 Aux termes de ce texte, le procureur devenait le « titulaire exclusif de l'action pénale » alors que les autres membres du parquet faisaient l'objet de délégations « pour la réalisation de certains actes ». En outre, le texte prévoyait la séparation des carrières du siège et du parquet.
136
Titre 2 : La proposition d'un système « contradictoire à la française » au spectre de ses dérives prévisibles
Partant de la suppression du juge d'instruction, l'avant projet de réforme, rendu public le 1er
mars 2010, se prévaut d'une refonte complète et globale du CPP. Nouvelle codification, nouveau
plan et nouvelle terminologie sont avancés. Mais c'est un projet incomplet qui est soumis à
concertation puisque le texte vise essentiellement la phase pré-sentencielle du procès pénal et ne
concerne que quatre des neuf livres du futur code.
Les travaux préparatoires se réclament d'un système dépassant les clivages idéologiques entre
inquisitoire et accusatoire pour proposer un système « contradictoire à la française » dans lequel les
parties pourraient participer activement à l'enquête en demandant des actes d'enquête et, s'il refuse,
mener une contre-enquête en saisissant un juge du siège, garant de l'équité de la procédure et des
libertés individuelles. Il s'agit de « garantir l'effectivité d'une procédure contradictoire en favorisant
une réelle égalité entre tous les citoyens tant dans l'enquête pénale que devant le juge qui la
contrôle. Quelques brèves observations sur la forme.
La codification du futur CPP se présente sous la même forme que le Code pénal de 1992,
divisé en livres, titres et chapitres. La nouvelle numérotation des articles se présente sous la forme :
XXX-XX, le chiffre des centaines correspondant à celui du livre, celui des dizaines à celui du titre
et celui des unités à celui des chapitres. Le code se compose de neuf livres précédés d'un livre
préliminaire qui énonce les principes fondamentaux, on s'intéressera aux dispositions générales
(Livre Ier), aux autorités judiciaires pénales (Livre II), aux enquêtes judiciaires pénales (Livre III) et
au contrôle judiciaire, à l'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) et à la
détention provisoire (Livre IV).
Des parties nouvelles et des nouvelles typographies d'écriture sont aménagées et destinées à
simplifier la lecture. S'agissant de la terminologie, de nouveaux termes renvoyant à des nouveaux
concepts émergent de l'avant-projet : l'action pénale remplace l'action publique, elle-même
désignant la politique pénale dans son ensemble, le juge d'instruction et le JLD disparaissent au
profit du juge de l'enquête et des libertés (JEL) alors que la chambre de l'enquête et des libertés
137
(ChEL reprend les fonctions de la chambre de l'instruction.
Si l'avant-projet attribue au parquet la conduite d'un cadre unique d'enquête placé sous le
contrôle d'un juge de l'enquête et des libertés (Chapitre 1), il convient d'examiner quels contre-
pouvoirs sont mis à la disposition des parties pour garantir l'équité réelle de la procédure au regard
de l'économie générale du texte (Chapitre 2).
Chapitre 1 : La direction par le Parquet d'un cadre unique d'enquête sous le contrôle
du juge de l'enquête et des libertés (JEL)
L'enquête judiciaire pénale (Livre III de l'avant-projet) devient le cadre unique des
investigations, elle se substitue à l'enquête de police et à l'instruction préparatoire. Elle est conduite
par le Procureur de la République et, par délégation de ce dernier, par les OPJ et a « pour objet de
rechercher et de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en identifier
les auteurs »308. Il prévoit un contrôle de cette enquête par les juges du siège sous la forme du
juge de l’enquête et des libertés (JEL) et du tribunal de l’enquête et des libertés (TEL), en premier
ressort, et sous la forme de la chambre de l’enquête et des libertés (CHEL), en appel.
- L'enquête est écrite car le Procureur, assisté de son greffier, ainsi que les OPJ et APJ,
dressent des procès-verbaux des actes qu'ils effectuent et les versent au fur et à mesure au dossier de
la procédure309. L'enquête est contradictoire dès lors que le mis en cause ou la victime acquiert la
qualité de partie à la procédure.
- L'enquête est loyale de sorte que le texte pose le principe selon lequel aucune dénonciation
anonyme ne peut être prise en compte pour procéder à des investigations au cours de l'enquête sauf
sur autorisation préalable du procureur de la République par décision écrite et spécialement motivée
ou sans autorisation préalable en cas d'urgence ou de risque d'atteinte à la personne310.
308 Art. 311-1309 Art. 311-4310 Art. 311-8 Avt.P 2010
138
- L'enquête est secrète, le secret professionnel s'applique à toutes les personnes qui ont
connaissances des pièces issues de la procédure dans le but de garantir l'efficacité des investigations
et de préserver la présomption d'innocence ainsi que la dignité de la victime311.
Voyons d'abord les contours du cadre unique de l'enquête pénale judiciaire (Section 1) pour
ensuite mesurer la portée du contrôle exercé par le JEL avec ses diverses implications (Section 2).
Section 1 : L'instauration du cadre unique de l'enquête judiciaire pénale
L'avant-projet part du postulat selon lequel le Parquet est le garant de l'efficacité de l'enquête,
l'érigeant comme l'organe central de la procédure sans aucune modification de son statut. Il convient
de préciser l'articulation entre le parquet et la police qui assurent le déroulement de l'enquête pénale
(I) et de déterminer l'étendue du renouveau des pouvoirs du parquet (II).
I/ Le déroulement de l'enquête judiciaire pénale
Si la suppression du juge d'instruction opère le transfert de l'entièreté des affaires pénales sous
la direction du Parquet (A), la réalisation des actes d'enquête inclut nécessairement une dimension
opérationnelle qui semble bien profiter au rôle des services de police (B).
A. Le monopole du Parquet dans la direction de l'enquête pénale
L'avant-projet affirme que l'enquête judiciaire pénale est conduite par le Procureur de la
République. À cette fin, il est procédé « à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité par le
Procureur de la République lui-même ou, sous sa direction ou ses instructions, par les OPJ ou
APJ »312. Dans les principes fondamentaux, il est dit que « les investigations et débats sont conduits
à charge et à décharge », ce qui suppose la capacité pour le Parquet de faire abstraction de sa culture
de l'accusation en dépit du fait qu'il reste fondamentalement l'agent des poursuites.
Le Procureur de la République contrôle la régularité de l'enquête en ayant la possibilité de
311 Art. 311-11312 Art. 311-1
139
saisir la ChEL s'il lui apparaît qu'un acte est entaché de nullité et, au surplus, il peut établir des
communiqués au public pour mettre fin à un trouble ou au tiers intervenant dans la procédure.
De manière subsidiaire, on assiste à un accroissement du rôle de la police dans la conduite de
l'enquête. C'est pourquoi, plus que la conduite, on dira que le Parquet exerce la direction de
l'enquête judiciaire pénale par la mise en œuvre de plusieurs dispositions :
- d'abord, le texte réaffirme la direction de la PJ par le Procureur de la République ;
- ensuite, le texte fait peser des obligations sur les OPJ, lesquels doivent informer le Procureur
de la République sur les infractions commises, l'aviser dès qu'une personne suspectée est identifiée,
lui rendre régulièrement compte du déroulement des enquêtes et lui adresser l'ensemble des procès-
verbaux313 ;
- enfin, le Procureur de la République dispose de la faculté d'assister aux opérations effectuées
par les services enquêteurs pour en diriger et en contrôler l'exécution314.
Deux types d'enquête sont distingués mais le critère de la temporalité tend à s'estomper : celle
menée d'initiative et celle menée sur instructions écrites du Parquet. Le Procureur de la République
reste libre de désigner le service enquêteur qui sera chargé de l'exécution de ses instructions et peut
exiger une information périodique lorsque la durée ou la complexité d'une enquête le justifie. Il
conserve un pouvoir de contrôle sur la GAV qu'elle ait été décidée d'office par l'OPJ ou sur ses
instructions.
Le Parquet est ainsi amené à jouer principalement le rôle de directeur des enquêtes conduites
par la police. Comme le souligne Valérie Malabat, « on peut alors s'interroger sur la capacité du
Parquet à pouvoir effectivement diriger et contrôler les enquêtes menées par les OPJ si ses effectifs
ne sont pas augmentés... »315.
313 Art. 311-14314 Art. 311-19315 V. MALABAT, L'avant-projet du futur code de procédure pénale : refonte, simplification ou confusion des phases
de la procédure pénale, AJ pénal, Avril 2010
140
B. L'avancement du rôle du policier dans la conduite de l'enquête pénale
De prime abord, le statut de la PJ est fixé dans le livre II, titre III de l'avant-projet intitulé
« des autorités judiciaires pénales ». Le texte fixe la mission de la PJ et donne compétence aux OPJ,
aux assistants de PJ pour mener les enquêtes sous la direction du Parquet, les commissaires de
police sont absents de cette liste316. Par ailleurs, les agents de police municipale perdent leur qualité
d'agents de police judiciaire adjoints et, par là même, leur pouvoir de constater toutes les infractions
sauf à relever des contraventions. L'avant-projet leur fait toutefois l'obligation de rendre compte des
infractions dont ils ont connaissance sans qu'ils n'aient pu les constater317.
Le transfert de la totalité des affaires pénales au Parquet profite bien évidemment au policier
qui dispose plus que jamais d'une grande liberté dans la conduite de l'enquête. On peut donc
craindre que le Parquet délègue la réalisation d'actes d'enquête aux policiers dans des conditions
plus larges que l'actuelle commission rogatoire du juge d'instruction. Si l'information du Procureur
de la République sur les moyens d'enquête constitue certes un progrès, il ne dispose toujours pas du
pouvoir de décider face à une hiérarchie policière qui serait bien décidée à paralyser certaines
investigations.
Mais la prégnance de la police sur l'enquête judiciaire pénale s'exprime surtout par la
possibilité laissée aux OPJ agissant sur les instructions écrites du procureur de la République de
réaliser l'interrogatoire de notification des charges, qui remplace l'actuel IPC précédant la mise en
examen318. En effet, si aujourd'hui ce pouvoir est confiée à un magistrat du siège indépendant, il sera
demain confié au parquet qui, sauf exception, n'hésitera pas à le déléguer aux OPJ.
Dans la même perspective, on imagine que les auditions pourront être déléguées aux OPJ en
l'absence de précisions alors qu'aujourd'hui, le mis en examen ne peut être entendu que par le juge
d'instruction. Il est notamment prévu que lorsque l'interrogatoire de notification de charges est
effectué par l'OPJ, il aura lieu après la levée de la GAV suivant le compte rendu au Parquet et la
prise de décision de ce dernier. Au moment de l'interrogatoire, c'est donc bien l'OPJ qui est le plus
apte à apprécier la validité des arguments du mis en cause et de son avocat. Dans la pratique, on
craint que les instructions téléphoniques devancent les instructions écrites, de sorte que le procureur
procède à un simple entretien formel avec l'OPJ.
316 Art. 232-4 317 Art. 233-15 et s. Avt.P 2010318 Art. 312-10
141
Il faut remarquer que l'avant-projet redessine le cadre des relations entre le Parquet et la
police. À l'instar du juge d'instruction cloisonné dans son cabinet gérant une centaine de dossiers, le
parquetier serait à son tour amené à gérer des centaines de procédure pour lesquels il ne pourrait pas
assurer un suivi effectif. Dès lors, le policier serait le meilleur connaisseur du dossier de par sa
proximité et si l'interrogatoire des charges par l'OPJ devenait la norme, il y a fort à parier que les
relations entre policier et avocats seront à réinventer.
II/ La renouveau des pouvoirs du Parquet
Érigé en tant qu'organe central de la procédure unique d'enquête, l'avant-projet concentre
d'importants pouvoirs entre les mains du Parquet qui découlent du transfert des fonctions du juge
d'instruction (A). Parallèlement, l'élargissement du champ des mesures alternatives renforce
considérablement son rôle ainsi que la portée de ses pouvoirs (B).
A. Les nouveaux pouvoirs du Parquet
La concentration des fonctions du juge d'instruction dans le Parquet marque le transfert non
seulement des pouvoirs d'enquête, mais aussi des pouvoirs juridictionnels en ce qu'il décide de
l'issue de l'enquête judiciaire pénale. Les dispositions de l'avant-projet énoncent donc que le parquet
conduit « à charge et à décharge » les investigations tendant « à la manifestation de la vérité », ce
qui n'est pas sans rappeler la mission du juge d'instruction.
Le Procureur de la République accomplit ou fait accomplir, soit par un OPJ, soit par un
expert, des actes d'enquête limitativement énumérés. Il faut notamment préciser que l'avant-projet
est incomplet sur ce point, la rédaction des mesures d'enquête étant encore en cours.
Le texte présent nous fournit une énumération des actes d'enquête, il s'agit « notamment » des
constatations et transports sur les lieux, auditions, interrogatoires et confrontations, perquisitions et
fouilles de véhicules, saisies, prélèvements, réquisitions aux fins de prestation matérielle,
réquisitions aux fins de mise à disposition d'informations, expertises, interceptions de
correspondances émises par voie de télécommunications, sonorisations et fixations d'images de
certains lieux ou véhicules, surveillances et infiltrations, utilisations des fichiers de PJ, opérations
142
de déchiffrement des données319.
Au cours de l'enquête, le texte reconnaît au parquet la possibilité de recourir aux mesures
restrictives ou privatives des libertés dont certaines ne peuvent être ordonnées que par le JEL saisi
de réquisitions motivées à cette fin. Il s'agit du contrôle et de la vérification d'identité, de
l'interpellation, de la garde à vue, du mandat, du contrôle judiciaire, de l'assignation à résidence sur
surveillance électronique (ARSE) et de la détention provisoire320.
Par ailleurs, l'avant-projet lui confie le soin de décider de l'issue de l'enquête pénale. Le
Parquet peut alors choisir soit de renvoyer la personne devant une juridiction de jugement, soit
prononcer le classement judiciaire de la procédure à défaut d'éléments suffisants, ou soit mettre en
oeuvre une procédure alternative à la saisine de la juridiction de jugement.
Lorsqu'il existe des parties à l'enquête, le Procureur de la République procède à la clôture de
l'enquête et oriente la procédure par une décision de règlement. Il met en œuvre la procédure
contradictoire lorsque sa décision de règlement tend au renvoi devant la cour d'assises, le tribunal
correctionnel ou le tribunal de police, à une décision d'irresponsabilité pénale et au classement
judiciaire321.
Il notifie aux parties et leurs avocats un avis de fin d'enquête, en leur communiquant sa
décision provisoire de règlement322. Les parties disposent d'un délai d'un mois pour déposer des
demandes d'actes ou d'expertise, déposer une requête en annulation, ou adresser des observations
sur la décision provisoire du procureur. Ce délai est porté à quinze jours lorsque la personne est
détenue avec une prolongation possible. Le règlement définitif peut être contesté par les parties
devant le JEL.
Ce cumul des fonctions a été trop souvent reproché au juge d'instruction pour être aujourd'hui
admis concernant le parquet. Aussi, la « toute-puissance » du parquet pose inévitablement le
problème de son statut. Car si la CEDH dans l'arrêt Medvedyev a confirmé que le parquet n'est pas
une « autorité judiciaire », peut-on réellement lui confier des pouvoirs privatifs des liberté et, plus
319 Art. 311-2 Avt.P 2010320 Art. 311-3321 Art. 331-15 Avt.P 2010 : une exception existe si la seule partie est une partie civile, lorsque le procureur poursuit un
ou plusieurs mis en cause devant la tribunal correctionnel.322 En cas d'affaire grave ou complexe, le procureur n'est pas tenu d'adresser dans le même temps sa décision
provisoire de règlement.
143
largement, peut-on lui confier des fonctions juridictionnelles ?
N'oublions pas que le Parquet peut contrôler la privation de liberté avant le jugement grâce à
la mesure de GAV, il peut dorénavant statuer sur une irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental et dispose du pouvoir, garanti dans les principes fondamentaux, de décider de la répression
en proposant une peine validée par un juge du siège.
B. L'élargissement des pouvoirs quasi-juridictionnels
On constate que l'avant-projet invite le parquet à recourir en masse aux mesures alternatives
aux poursuites en élargissant considérablement le champ de ses pouvoirs quasi-juridictionnels.
En effet, le texte prévoit comme principe fondamental que les autorités de poursuites chargées
de l'action pénale peuvent déterminer la peine applicable en matière correctionnelle et
contraventionnelle « dès lors qu'il y a consentement ou absence d'opposition des intéressés et qu'il
n'est pas porté atteinte aux libertés individuelles »323. Cette disposition est d'autant plus surprenante
qu'elle donne suite à l'énonciation du principe de séparation des autorités de poursuite et de
jugement. Le Parquet dispose ainsi de plusieurs procédés dont certains ont été étendus à tel point
que certains craignent une banalisation de l'évitement du juge.
Le domaine de la composition pénale se trouve généralisée à tous les délits sans limitation de
quantum, premier pas vers une justice négociée324. De même, l'extension de la CRPC à toutes les
contraventions ainsi qu'à tous les délits sans limitation de peine, à l'exception des délits de presse,
politiques et des homicides volontaires325. À l'heure actuelle, la CRPC est limitée aux délits dont la
peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement. La suppression du juge
d'instruction permet ainsi au Parquet de traiter par cette voie les délits les plus complexes traités par
le juge d'instruction et dont l'examen en audience correctionnelle est indispensable.
Aussi, l'ordonnance pénale, procédure sans audience avec validation de la proposition de la
peine du Parquet par un juge du siège, est réservée aux délits de presse et aux contraventions.
De manière générale, l'élargissement des pouvoirs du Parquet suscite quelques inquiétudes.
323 Art. 111-2 324 Art. 334-38 Avt.P 2010325 Art. 334-49
144
Dans ce nouveau système, on voit déjà resurgir les critiques tenant au cumul des pouvoirs du juge
d'instruction à l'égard du parquet. On y ajoute volontairement l'impossibilité pour l'agent des
poursuites d'enquêter « à charge et à décharge ». Assumant plus que la direction de l'enquête
judiciaire pénale, le Parquet est également un juge capable de déterminer unilatéralement la peine.
À cette fin, le développement du champ des mesures alternatives parachève le rôle quasi-
juridictionnel du parquet de nature à évincer l'intervention du juge.
Section 2 : L'étendue du contrôle protecteur de la juridiction de l'enquête et des libertés
Si l'on en croit la Chancellerie, le JEL présenterait comme caractéristiques « de garantir le
contradictoire de la procédure et la manifestation de la vérité par des investigations effectuées à
charge et à décharge, en statuant sur les demandes formées par les parties qui n'ont pas été acceptées
par le Procureur de la République » ainsi que « de garantir le respect des libertés individuelles » en
statuant sur les mesures privatives de liberté (contrôle judiciaire, ARSE, détention provisoire) et sur
les actes coercitifs d'enquête (perquisition, écoutes téléphoniques, prolongation de la garde à vue)
demandés par le procureur de la République (I).
L'organisation de la juridiction de l'enquête et des libertés constitue une garantie
supplémentaire grâce à l'institution d'un tribunal de l'enquête et des libertés (TEL) en tant que
formation collégiale, et la présence d'un second degré de juridiction, la chambre de l'enquête et des
libertés (ChEL) qui s'inscrit sur les traces de la chambre de l'instruction (II).
I/ Les caractéristiques du juge de l'enquête et des libertés (JEL)
L'avant projet de réforme du CPP consacre à ce nouvel acteur les articles 211-2 à 211-16. Pour
bien comprendre le rôle que le groupe de travail lui a dévolu, il conviendra de poser le statut du JEL
et de définir ses missions (A). La procédure devant le JEL renforce la perspective du contradictoire
tant dans les débats que dans la décision (B).
A. Le statut et les missions du JEL
Le JEL reprend le statut du JLD, il est un magistrat du siège ayant le rang de Président, de
145
premier vice-président ou de vice-président. Un autre magistrat du Tribunal peut être chargé
temporairement des fonctions du JEL par le TGI. Son mode de nomination puis son mode de
désignation, quand il existe plusieurs JEL dans un tribunal, sont directement issus du statut actuel du
juge d'instruction. C'est le président du TGI qui désigne le JEL devant statuer sur une demande
d'une partie ou sur les réquisitions du Procureur selon un tableau de roulement. D'ailleurs, cette
décision du président du TGI constitue toujours des mesures d'administration judiciaire non
susceptibles de recours.
Toutefois, la désignation n'est pas nécessaire dans deux cas : d'une part, lorsque le JEL doit
statuer dans une procédure au cours de laquelle il est déjà intervenu en vertu du régime des
incompatibilités ; d'autre part, lorsque le JEL a été désigné pour statuer sur une demande de
placement sous contrôle judiciaire, en détention provisoire ou d'assignation à résidence avec
surveillance électronique, celui-ci est alors le seul JEL compétent pour intervenir lors de la suite de
la procédure.
Or, le texte consacre trois exceptions à ce dernier cas : la suppléance d'un autre JEL du même
Tribunal est prévue en cas d'urgence et pour les actes isolés, le Président peut également désigner un
autre JEL en cas d'absence ou d'empêchement du JEL initialement saisi y compris en cas de
nomination à un autre poste, le président du TGI peut enfin dessaisir le JEL dans l'intérêt d'une
bonne administration de la justice sur requête motivée du procureur de la République agissant soit
spontanément soit à la demande des parties326.
Un régime d'incompatibilité est institué et fait l'interdiction au JEL, à peine de nullité, de
participer au jugement des affaires dont il a connu au cours de l'enquête pénale sauf s'il n'est
intervenu que pour autoriser une perquisition, une prolongation de GAV, des écoutes téléphoniques,
une sonorisation ou une fixation d'images de certains lieux ou véhicules327.
Le JEL se voit doté de missions qui se manifestent tant au cours de l'enquête qu'à son issue :
- Pendant l'enquête pénale, sa mission est triple : d'une part, il est chargé de garantir le
déroulement contradictoire, équitable et impartiale de la procédure et de contrôler que les
investigations sont effectivement effectuées à charge et à décharge « en statuant sur les demandes
326 Art. 211-8 327 Art. 341-15 Avt.P 2010
146
formées par les parties qui n'ont pas été acceptées par le Procureur de la République ou auxquelles
celui-ci n'a pas répondu » ; d'autre part, il est chargé de garantir le respect des libertés individuelles
en statuant en matière de contrôle judiciaire, d'assignation à résidence sous surveillance
électronique, de détention provisoire ainsi que sur certaines demandes du Procureur de la
République tendant au prononcé de certains actes d'enquête attentatoires aux libertés individuelles
(perquisition, écoutes téléphoniques etc.) ; enfin, il lui appartient de saisir la ChEL s'il lui apparaît
qu'un acte ou une pièce de la procédure est entaché de nullité328.
- À l'issue de l'enquête, il peut être chargé de statuer « à la demande si celle-ci conteste la
décision rendue par le Procureur de la République »329.
Le JEL joue donc le rôle à la fois du juge d'instruction330 et du JLD à ce stade de la procédure.
Consécutivement à la disparition de ces deux magistrats, l'avant projet opère une fusion entre deux
fonctions au profit d'un seul juge. En effet, le JEL est présenté comme le principal contre-pouvoir
du parquet destiné à assurer « l'équilibre du système » selon la Garde des Sceaux, Michelle Alliot-
Marie. Il est l'arbitre que les parties peuvent saisir en cas de refus ou d'absence de réponse du
parquet quant à une demande ou à une contestation.
B. La procédure et les décisions du JEL
Le JEL peut être saisi par les parties pendant le déroulement de l'enquête judiciaire pénale :
lorsque le Procureur de la République refuse de faire procéder à un acte sollicité par une partie331 ou
d'ordonner une expertise ou une contre-expertise332, lorsqu'une partie conteste l'attribution de la
qualité de partie pénale ou de partie civile par le Procureur333, lorsque le procureur refuse d'attribuer
la qualité de partie civile ou de partie assistée à une personne334, ainsi que lorsque le procureur
s'oppose à la délivrance de copies de pièces du dossier aux parties en raison de risques de
pression335.
Le JEL intervient également au stade de la clôture et du règlement de l'enquête judiciaire
328 Art. 211-3 329 Art. 211-4 330 À tout le moins dans ses attributions juridictionnelles.331 Art. 313-19 332 Art. 313-21 et 313-25 333 Art. 312-24, 312-25 et 312-30 334 Art. 312-8 et 312-36 335 Art. 313-13 Avt.P 2010
147
pénale : lorsque le Procureur de la République refuse de clôturer une enquête contradictoire336,
lorsqu'une partie conteste une décision de règlement du procureur de la République337, lorsque la
partie civile conteste une décision de classement de l'enquête judiciaire338, ou encore lorsque la
partie pénale conteste son renvoi devant la cour d'assises ou le Tribunal correctionnel339.
Les parties présentent dans les dix jours suivant la notification du refus du Procureur de la
République ou, en cas de défaut de réponse, à l'expiration du délai qui lui est imparti pour
répondre, une requête écrite et motivée au greffe du JEL.
Le juge examine la requête et statue après avis écrit du Procureur, sans débat contradictoire,
au regard de la saisine qui lui a été adressée et des éventuelles observations des parties ou de leurs
avocats. Lorsque le JEL statue sur la demande de la partie pénale qui conteste son renvoi devant le
Tribunal correctionnel, les autres parties et les avocats en sont informés et peuvent formuler des
observations écrites dans un délai de dix jours340.
Toutefois, le juge doit procéder à l'examen de la requête avec débat contradictoire dans trois
hypothèses : en cas de contestation d'une décision du procureur de la République attribuant la
qualité de partie pénale, de contestation par la partie pénale d'une décision de renvoi devant la cour
d'assises, de demande tendant au prononcé d'une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de
trouble mental341. À cette fin, le greffier du JEL convoque l'avocat de la partie ayant saisi le juge et
les avocats des autres parties au moins cinq ouvrables avant le débat. Le débat contradictoire se tient
et le juge statue en « séance publique », c'est le principe. Or, le Procureur de la République, la partie
pénale ou son avocat peuvent s'opposer à la publicité dans des cas limitativement énoncés et, le cas
échéant, le juge statue sur cette opposition en audience de cabinet par décision motivée, après avoir
recueilli les observations du Procureur, de la partie pénale et de son avocat.
Si le juge accède à l'opposition, le débat a lieu et le juge statue en audience du cabinet, c'est-à-
dire hors la présence du public. Dans certains cas, les débats ont lieu et le juge statue
obligatoirement en audience de cabinet, il en va ainsi lorsque la partie pénale était mineure au
moment des faits ou lorsque la partie civile s'oppose à la publicité alors qu'elle est en droit de
336 Art. 313-42 337 Art. 331-29 338 Art. 331-30 339 Art. 331-31340 Art. 341-4 341 Art. 341-3
148
demander le huis-clos lors de l'audience de jugement342.
Le JEL dispose de la possibilité de faire comparaître la partie qui l'a saisi si celle-ci ou son
avocat en fait la demande. Au cours de l'audience, le JEL entend les observations de l'avocat de la
partie qui l'a saisi, puis du procureur de la République, l'avocat de la partie pénale ayant la parole en
dernier. Les avocats des autres parties à la procédure peuvent être éventuellement entendus. Si la
partie pénale est détenue, elle peut comparaître lors du débat selon un moyen de télécommunication
audiovisuelle343.
Dès lors, le JEL est tenu de statuer par ordonnance motivée dans un délai d'un mois à compter
de sa saisine. À défaut, la partie qui l'a saisi peut saisir directement la ChEL de sa contestation344. Il
lui appartient également de saisir la ChEL s'il décèle qu'un acte ou une pièce de la procédure est
entachée de nullité. Il peut alors surseoir à statuer jusqu'à l'arrêt de la chambre345. L'ordonnance du
JEL est notifiée à la partie qui l'a saisi et à son avocat. Les ordonnances de règlement qui clôturent
l'enquête pénale sont également notifiées à l'ensemble des parties et à leurs avocats346.
Lorsqu'il est saisi d'une demande d'acte ou d'expertise et qu'il l'estime fondée, le JEL
ordonne au Procureur de la République de procéder ou de faire procéder à ces investigations. Au
surplus, il peut aussi ordonner « tout autre acte qui n'a pas d'autre finalité que de répondre à la
demande de la partie ». Le juge impartit un délai qui ne peut être inférieure à un mois, sauf cas
d'urgence particulière, au parquet pour réaliser l'acte visé et s'assure de son exécution. Le JEL opère
donc un contrôle sur la réalisation de son ordonnance en ce qu'il peut décider soit de se faire
délivrer les procès-verbaux relatifs à l'exécution de l'acte ordonné ou soit décider de se déplacer sur
les lieux d'exécution de l'acte afin d'en contrôler le déroulement347.
En cas de contestation de la décision de règlement du Procureur de la République
portant clôture de l'enquête pénale, le JEL examine si l'enquête est achevée et si des charges
suffisantes sont réunies à l'encontre de la partie pénale. S'il estime l'enquête inachevée et que des
lacunes persistent, il peut renvoyer l'affaire au parquet en ordonnant de réaliser certains actes. S'il
estime qu'aucun élément à charge suffisant n'est établi, il rend une ordonnance de classement
342 Par combinaison des articles 341-5 et 341-6 343 Art. 341-13 Avt.P 2010344 Art. 341-11 345 Art. 341-10 346 Art. 341-13 347 Art. 341-15
149
judiciaire. S'il constate l'existence de charges suffisantes à l'encontre de la partie pénale, il ordonne
son renvoi devant la juridiction de jugement compétente. S'il constate l'existence de charges
suffisantes à l'encontre d'une personne visée par l'enquête mais qui n'a pas la qualité de partie
pénale, il renvoie l'affaire au parquet aux fins de poursuite de l'enquête348.
Si le JEL est compétent pour autoriser les actes intrusifs et coercitifs envisagés par le parquet,
son rôle ne s'arrête pas là tant et si bien qu'il s'affiche comme un arbitre entre le Parquet et les autres
parties. Il pourrait ainsi imposer au procureur de la République de réaliser des actes d'enquête
lorsque celui-ci les aurait refuser aux parties, il pourrait également aller à l'encontre de la décision
du Procureur de la République sur le règlement de l'enquête pénale. Autant dire que l'intervention
du JEL en amont avec le pouvoir d'ordonner la réalisation d'actes d'enquête à un Procureur qui les
estimerait inutiles n'est pas sans soulever des difficultés.
II/ L'organisation des juridictions de l'enquête et des libertés
La nouvelle organisation de la juridiction de l'enquête et des libertés consacre la création d'un
tribunal de l'enquête et des libertés (TEL) en premier ressort caractérisé par le retour de la
collégialité (A). L'institution de la chambre de l'enquête et des libertés (ChEL) est largement
calquée sur le modèle de la chambre de l'instruction actuelle en dépit de la réécriture de plusieurs
articles (B).
A. Le tribunal de l'enquête et des libertés (TEL)
Le TEL est une formation collégiale de trois magistrats qui ne peut être saisi que par le JEL. Il
est composé d'un président et de deux assesseurs, dont au moins un JEL, désignés par le Président
du tribunal. Le président est un magistrat de rang de Président, de premier vice-président ou de vice
président, qui exerce le cas échéant les fonctions de JEL. Les deux assesseurs sont désignés parmi
les magistrats du siège qui exerce dès lors les fonctions de JEL. Il est précisé que l'un des deux
assesseurs peut être un juge de proximité349.
Un régime d'incompatibilité a été envisagé pour les membres du TEL qui ne peuvent sans
348 Art. 341-16 349 Art. 211-13 Avt.P 2010
150
exception et ce, à peine de nullité, participer au jugement des affaires dont ils ont connu au cours de
l'enquête pénale350. On voit resurgir la collégialité ambitionnée par la loi du 5 mars 2007 mais dans
un champ beaucoup plus restreint, nous y reviendrons.
Le TEL est chargé d'une triple compétence qui se manifeste au cours ou à l'issue de l'enquête
judiciaire pénale : il doit statuer sur les demandes de prolongation de la détention provisoire, il doit
statuer sur la demande d'une partie, sur renvoi du JEL dès lors qu'il l'estime utile en raison de la
complexité ou la gravité du dossier, il doit enfin saisir la ChEL s'il lui apparaît qu'un acte ou une
pièce de l'enquête est entaché de nullité351.
Hormis le cas des réquisitions du Procureur de la République aux fins de la prolongation de la
détention provisoire, les modalités de saisine sont laissées à la seule initiative du JEL lorsqu'il
estime que la complexité ou la gravité du dossier le justifie. Le TEL est donc saisi par ordonnance
du JEL afin que la contestation portée devant lui par une partie soit examinée par une formation
collégiale, gage du contradictoire. Le TEL dispose alors d'un délai d'un mois à compter de sa saisine
pour statuer par un jugement motivé rendu après un débat contradictoire. Le jugement est notifié
aux parties et peut faire l'objet d'un appel dans les mêmes conditions que les ordonnances du JEL,
devant la ChEL dont nous allons maintenant étudier les attributs.352
B. La Chambre de l'enquête et des libertés de la cour d'appel (ChEL)
Il est institué au sein de chaque Cour d'appel au moins une ChEL. Elle est composée d'un
président exclusivement attaché au service de la ChEL qui est désigné par décret après avis du CSM
; assisté de deux conseillers pouvant assurer le service d'autres chambres de la cour, qui sont
désignés chaque année, pour la durée de l'année judiciaire suivante, par l'assemblée générale de la
cour d'appel353.
La ChEL opère un contrôle sur l'enquête pénale car elle est amenée à connaître, d'une part, des
appels formés contre les ordonnances du JEL ou contre les jugements du TEL par le Procureur de la
République et les parties ; d'autre part, des requêtes en nullité déposées par les parties, le Procureur,
350 Art. 211-16351 Art. 211-17 352 Art. 342-1 à 342-5 353 Art. 211-17
151
le JEL ou encore le TEL354. En marge, la ChEL conserve certaines compétences particulières355.
Le texte consacre deux modalités de saisine de la ChEL, l'une directe tandis que l'autre se fait
via le Président de la chambre :
- Il est prévu que les appels concernant les ordonnances du JEL de règlement qui porte clôture
de l'enquête pénale sont directement examinés par la ChEL. Aussi, l'avant-projet ouvre à la partie
ayant saisi le JEL ou le juge lui-même la possibilité de solliciter une évocation devant la ChEL,
lorsque le Procureur de la République refuse de procéder ou de faire procéder dans les délais fixés
aux actes d'enquête ordonnés par le JEL356.
- À l'inverse, les appels concernant les ordonnances du JEL en matière de demande d'acte ou
d'expertise restent soumis au filtre du précisent de la ChEL357. De même, l'exécution imparfaite358
par le Parquet des actes ordonnés par le JEL peut faire l'objet d'une demande par la partie ayant saisi
le JEL ou le juge lui-même au président de la ChEL de saisir cette chambre aux fins d'évocation du
dossier.
Le Président de la chambre filtre les requêtes présentées par les parties en droit et en
opportunité :
- En droit, s'agissant des appels formés hors délai et des requêtes en nullités, le Président de
la chambre constate par ordonnance motivée leur irrecevabilité. Le Président de la ChEL a dix jours
à partir de la réception de la demande pour statuer sur sa recevabilité par ordonnance motivée qui ne
peut faire l'objet l'objet d'un pourvoi en cassation qu'en cas d'excès de pouvoir. Une fois
l'irrecevabilité constatée, le Président ordonne le retour du dossier au Procureur de la République
mais il peut aussi transmettre le dossier au procureur général et peut ordonner la suspension de la
procédure359.
- En opportunité, s'agissant des appels formés contre les ordonnances du JEL en matière de
354 Art. 211-18 355 Et notamment le contrôle et la surveillance de la PJ, la charge du contentieux de l'extradition et des mandats d'arrêt
européens ainsi qu'e s'agissant du règlement de juges, du dessaisissement d'une juridiction, d'une demande de réhabilitation et des incidents d'exécution concernant la cour d'assises.
356 Art. 343-6 357 Art. 343-2 358 Ou doit-on sous entendre une exécution de mauvaise foi du parquet réduit au simple rôle d'exécutant ?359 Art. 343-4
152
demande d'acte ou d'expertise ou lorsque le procureur de la République a procédé imparfaitement
aux actes ordonnés par le JEL, le président de la ChEL décide par ordonnance motivée s'il y a lieu
ou non de saisir la chambre360.
Les parties disposent d'un délai de dix jours pour présenter leurs requêtes. Si la demande est
jugée recevable, le Procureur général met le dossier en état dans les dix jours suivant la réception
des pièces qu'il transmet à la ChEL avec son réquisitoire. La ChEL dispose alors d'un délai de deux
mois pour statuer361. Le Procureur général notifie la convocation à l'audience aux parties et à leurs
avocats tout en respectant un délai minimum de cinq ouvrables entre la date de la notification et la
date de l'audience362. Lorsque la personne est détenue, la notification est faite par les soins du chef
de l'établissement pénitentiaire.
Pendant ce même délai, le dossier est tenu à la disposition des avocats des parties au greffe de
la ChEL363. Ceux-ci bénéficient d'une copie du dossier qui leur est délivrée « sans délai ». Les
parties et leurs avocats sont admis à produire des mémoires jusqu'au jour de l'audience qu'ils
communiquent au parquet et aux autres parties et qu'ils déposent au greffe de la ChEL.
Devant la chambre, le principe est la publicité mais le Parquet ou une partie peuvent
s'opposer à la publicité. L'arrêt rendu en chambre du conseil n'est susceptible de pourvoi en
cassation qu'en même temps que l'arrêt portant sur le principal364. Un des membres de la ChEL
établit un rapport, puis le Procureur général et les avocats des parties sont entendus. Le texte précise
que la parole revient en dernier à la partie pénale. La lecture des arrêts se fait par le Président ou un
de ses conseillers, les arrêts sont signés par le Président et le greffier et mentionnent le nom des
magistrats ayant participé à la décision. La notification des arrêts se fait aux avocats des parties dans
les trois jours ouvrables de leur prononcé365.
La procédure d'évocation permet ainsi un contrôle sur l'ensemble de la procédure par la
ChEL dans la mesure où celle-ci dispose de la possibilité de reprendre en mains la conduite de la
procédure jusqu'au règlement de l'enquête366. La ChEL peut alors désigner un ou plusieurs de ses
360 Art. 343-2 361 Art. 343-11 362 Art. 343-12 363 Art. 343-13 364 Par combinaison des articles 343-15 et 343-17365 Art. 343-21 366 Art. 343-8
153
membres pour procéder ou faire procéder aux actes qui avaient été ordonnés ou « à tous les actes
nécessaire à la manifestation de la vérité judiciaire »367. Il faut toutefois noter que la demande aux
fins d'évocation devient caduque si le procureur a accompli les actes ordonnés avant que le
président de la ChEL ait pris sa décision368.
Ces mécanismes sont censés constituer pour les parties les principales armes dans la lutte
contre une éventuelle inertie du Parquet. Il faut également préciser que le Président de la ChEL
conserve des pouvoirs propres qui rappellent étrangement ceux du Président de l'actuel chambre de
l'instruction. Dès lors, le Président peut saisir la ChEL, statuer lui-même sur des saisines de la ChEL
manifestement infondées ou irrecevables, statuer en matière de référé-liberté et également surveiller
le bon fonctionnement des cabinets des JEL.
Reste à se demander si la multiplication des voies de recours n'encourt pas un risque de
paralysie de la procédure et si l'institution d'un contrôle en amont de l'enquête pénale sera
vraisemblablement effectif. On ne peut qu'en douter compte tenu de l'insuffisance des garanties
offertes aux parties.
Chapitre 2 : L'absence de contre-pouvoir réel dans l'insuffisance des garanties
offertes aux parties
La suppression du juge d'instruction induit le basculement dans une procédure plus
accusatoire qui se manifeste par la garantie d'une enquête menée de manière impartiale, loyale et
contradictoire. Les rédacteurs de l'avant-projet mettent en avant l'essor du rôle de la défense qui
mènerait face à l'accusation, une contre-enquête, sous l'arbitrage du JEL. Ce juge pourrait
également, sur demande des parties, enjoindre la réalisation d'actes d'enquête au Parquet et statuer,
dans des conditions plus restrictives, sur les constitutions de partie civile, en réordonnant l'ouverture
d'une affaire classée sans suite.
Toutefois, le rôle et les droits attribués aux parties consacrent la précarité de leur place par
rapport au Parquet qui garde le dernier mot. À cet égard, la création du JEL ne permet pas de
367 Art. 343-7 368 Art. 343-9
154
contrebalancer les pouvoirs importants du parquet, de même que la multiplication des recours,
concourt à rendre inopérant le contrôle exercé par le juge.
Il apparaît d'ailleurs que le renforcement des garanties statutaires du Parquet est une condition
préalable consécutive à la suppression du juge d'instruction. Force est de constater que l'équilibre de
la procédure défendue par les rédacteurs de l'avant-projet n'est pas respectée et que dans maintes
cas, le parquet pourra éviter un contrôle somme toute lacunaire du juge et contourner les bienfaits
prônées de la procédure contradictoire.
L'absence de contre-pouvoir effectif dans l'insuffisance des garanties des autorités judiciaires
intervenant au cours de la procédure (Section 2), emporte ainsi rupture de l'égalité des armes
(Section 1).
Section 1 : Un déséquilibre structurel portant rupture de l'égalité des armes
Ce déséquilibre s'explique par les carences tenant à la qualité des parties et à leur attribution
par le parquet (I), par conséquent les droits des parties se trouvent insuffisamment garantis pour
peser efficacement sur le déroulement de la procédure (II).
I/ Des carences tenant à la qualité des parties
L'insuffisance du statut des parties pénale, assistée et civile (A) ainsi que les faiblesses de la
partie citoyenne (B) ne permettent pas renforcer la position des parties à l'égard du parquet qui
dirige seul une procédure dont les phases tendent à se confondre.
A. L'insuffisance du statut des parties pénale, assistée et civile
L'attribution de la qualité de partie à l'enquête judiciaire pénale relève soit du Procureur de la
République ou soit du JEL après refus du Procureur369. Elle est le point de départ de la phase
contradictoire de l'enquête, présenté comme un régime renforcé. La partie pénale remplaçant le mis
en examen, la partie assistée remplaçant le témoin assisté, et la partie civile, bénéficient des mêmes
369 Art. 312-1 Avt.P 2010
155
droits sauf dispositions contraires370. Seule la partie pénale peut faire l'objet d'un renvoi devant une
juridiction de jugement ou d'une mesure provisoire. Les parties ont également le droit de demander
la réalisation d'actes d'enquête au parquet et, s'il refuse, saisir le JEL, puis la ChEL qui pourra
conduire les actes d'enquête en cas d'inertie du parquet face aux injonctions du JEL371.
L'attribution de la qualité de partie civile permet de mettre en mouvement l'action pénale
ou de citer directement par voie d'huissier l'auteur de l'infraction devant la juridiction compétente372.
Elle relève du Procureur de la République qui peut refuser soit pour des raisons de droit ou si les
circonstances de fait particulières liées à la commission de l’infraction justifient un classement
judiciaire de la procédure373. La décision de refus du Parquet peut être contestée devant le JEL puis
devant la ChEL en appel. L'avant-projet fait de l'acceptation par le Procureur de la constitution de
partie civile une simple possibilité (« peut ») laissée à sa discrétion. Le long acheminement en cas
de refus répétés risque fort d'en décourager plus d'un. Par ailleurs, le Procureur peut saisir le JEL
afin de prononcer contre la partie civile une amende civile en cas de constitution de partie civile
abusive ou dilatoire. De même, une amende civile est également prévue en cas de contestation
abusive d'un classement sans suite par la partie civile374 qui nous semble excessive.
L'attribution de la qualité de partie pénale est conditionnée à l'existence « d'indices graves
ou concordants »375 rendant plausible la participation de la personne à l'infraction, ce qui déclenche
l'action pénale. Elle permet à la personne mise en cause de bénéficier des droits de la défense dans
une procédure contradictoire grâce à l'assistance d'un avocat présent au cours des interrogatoires et
l'accès aux pièces du dossier. Toutefois, la qualité de partie pénale est obligatoire en matière
criminelle376 et lorsque le Procureur envisage de saisir le JEL pour autoriser une mesure
provisoire377. Le Procureur de la République ou l'OPJ sur instructions du premier dans des cas
limitatifs procède à l'interrogatoire de notification des charges dans lequel sont mentionnés la nature
et la qualification juridique des faits reprochés, la possibilité d'être assisté d'un avocat, du choix de
se taire ou de faire des déclarations ou d'être interrogé378. À l'issue de l'interrogatoire, le Procureur
peut décider soit de modifier la nature des infractions ou de leur qualification, ou soit d'attribuer la
370 Art. 312-2 Avt.P 2010371 Art. 313-16 372 Par combinaison des articles 334-14 et 334-64373 Art. 312-31 et 312-32374 Art. 332-6375 Alors que l'intitulé de l'article mentionne l'existence d'indices graves « et » concordants.376 Art. 312-7377 Art. 312-6378 Art. 312-11
156
qualité de partie assistée. La personne mise en cause peut également demander au JEL de lui
attribuer la qualité de partie assistée. En cas de contestation de la décision du Procureur octroyant le
statut de partie pénale dans le délai d'un mois suivant la notification, le JEL statut par ordonnance
motivée après un débat contradictoire d'examen des charges au cours duquel il entend les
observations du procureur, puis celle de la personne et de son avocat379.
L'attribution de la qualité de partie assistée est possible s'il existe « un ou plusieurs indices
rendant plausible la participation à la commission d'une infraction »380. Le critère est très proche de
celui du placement en GAV qui consiste en l'existence de « raisons plausibles » de soupçonner la
commission d'un crime ou d'un délit381. La qualité de partie assistée peut être attribuée sur décision
soit du Procureur de la République d'office ou à la demande de l'intéressé, soit du JEL sur une
contestation de l'attribution de la qualité de partie pénale ou du refus d'attribution de la qualité de
partie assistée. Il faut noter que le JEL peut statuer ultra petita en ce qu'il peut placer une personne
sous le statut de partie pénale alors même qu'elle le saisit du refus du Procureur de lui accorder le
statut de partie assistée. L'attribution se fait soit à l'issue d'une audition, soit par l'envoi d'une LR.
Sur un plan purement technique, le changement terminologique semblerait induire une
confusion s'agissant du début de la phase juridictionnelle du procès pénal. Si l'on s'en tient aux
dispositions sus-visées, s'opère un renversement de logique explicité par Valérie Malabat, car « c'est
désormais l'attribution de la qualité de partie qui met en mouvement l'action non l'exercice de
l'action qui confère la qualité de partie »382. Aussi, il est regrettable de ne pas avoir confié cette tâche
au JEL puisque le fait que l'attribution relève de l'agent des poursuites aboutit à une confusion des
genres.
B. Les faiblesses de la constitution de partie citoyenne
La création d'une nouvelle partie citoyenne, qui pourra exercer les droits reconnus au cours
d'une enquête judiciaire pénale sans être elle-même directement victime pour autant, est totalement
inédite.
Cette qualité peut être attribuée à toute personne physique ou morale qui a dénoncé au
379 Art. 312-24380 Art. 312-16381 Art. 327-2382 V. MALABAT, L'avant-projet du futur code de procédure pénale : refonte, simplification ou confusion des phases
de la procédure pénale, AJ pénal, Avril 2010
157
Procureur de la République, par lettre recommandée avec accusé de réception un crime ou un délit
lorsque sont réunies les conditions suivantes : un intérêt légitime à agir, un préjudice à la collectivité
publique et une dénonciation suivie de classement judiciaire ou n'ayant pas donné d'acte d'enquête
pendant une durée de six mois383.
La personne qui prétend à devenir partie citoyenne en fait la demande écrite et motivée à la
ChEL qui décide de l'attribution de cette qualité par un arrêt motivé après avoir entendu les
observations du Procureur général.
Une fois la qualité accordée, la partie citoyenne bénéficie de l'entièreté des droits reconnus
à la partie civile et peut décider de mettre en mouvement l'action pénale384. Toutefois, la
constitution de partie citoyenne ne permet pas de lutter efficacement contre l'inertie du parquet
puisque la mise en mouvement de l'action pénale conduit à la réouverture d'une enquête par le
Parquet alors que ce dernier avait pourtant décidé du classement judiciaire de l'affaire ou l'avait
délaissé.
À l'inverse, la partie citoyenne ne peut prétendre à la réparation d'un dommage385. Le
texte ne précise pas les possibilités de remboursement en cas de condamnation consécutive à la mise
en mouvement de l'action pénale par la partie citoyenne tels que les frais d'avocats engagés. De
surcroît, le montant excessif de l'amende civile sanctionnant la constitution de partie citoyenne
abusive, dilatoire ou malveillante, qui s'élève à 100.000 euros, est de nature à dissuader les
personnes physiques ou les associations de défendre un intérêt public alors même qu'ils
concurrencent directement le parquet qui est le représentant des intérêts de la société.
Comme le remarque Philippe Vouland, « cette réforme encourage un peu plus la
judiciarisation des rapports sociaux, elle ne compensera pas la dépendance du parquet et ne peut en
être le contrepoids ». Outre l'approximation du critère d'intérêt légitime à agir en l'absence d'un
préjudice personnel, les deux autres critères apparaissent restrictifs :
- d'une part, car le critère du préjudice causé à la collectivité risque d'être dur à satisfaire s'il
s'agit de démontrer un préjudice effectif ;
383 Art. 122-47 et 122-48 Avt.P 2010384 Art. 122-49 Avt.P 2010385 Art. 122-50
158
- d'autre part, la condition de classement judiciaire ou d'absence d'actes d'enquête pendant six
mois risque bien d'être annihilé par des actes d'enquête sans portée réelle renouvelés périodiquement
au terme du délai. La neutralisation de ce dispositif présenté comme un des principaux contre-
pouvoirs à la direction de l'enquête par le parquet ne lui présage guère d'ambition quant à sa mise en
œuvre.
II/ Une régression colossale pour les droits des parties
Le transfert des fonctions d'instruction au parquet laisse ainsi entrevoir un recul majeur du
contradictoire et de l'impartialité (A), tandis que l'exercice effectif des droits de la défense suscite
les inquiétudes des praticiens (B).
A. Le recul majeur du contradictoire et de l'impartialité
À l'heure actuelle, l'instruction préparatoire est le seul lieu où s'exprime pleinement le
contradictoire au cours de la phase pré-sentencielle du procès pénal. On rappelle que l'instruction
permet aux parties non seulement de prendre connaissance du dossier et des pièces qui le composent
mais également de demander des actes afin de participer à la manifestation de la vérité.
L'avant-projet de réforme met le contradictoire au coeur de la procédure d'enquête unique et
réserve l'accès aux droits qui en découlent aux personnes ayant la qualité de partie à l'enquête, dont
l'attribution est laissée à la discrétion du Parquet. De prime abord, on remarque que la procédure
contradictoire devant le JEL pourra être contournée dès lors qu'une mesure privative de libertés n'est
pas envisagée. Plus précisément, le contradictoire se trouve affaibli au travers de plusieurs
dispositions :
- L'absence de collégialité des décisions attentatoires aux libertés individuelles car seule la
décision de prolongation de la détention provisoire est prise par le TEL en formation collégiale.
- Le maintien du filtre du président de la ChEL qui, par une décision insusceptible de recours,
pourra décider ou non de saisir la ChEL ou lors de l'évocation du dossier par la ChEL, ce qui est
loin d'assurer la collégialité des débats.
159
- La désignation de l'expert revient au Parquet soit d'office ou sur demande des parties, celles-
ci conservant la possibilité de demander la désignation d'un expert particulier, mais le Procureur
peut toujours désigner l'expert de son choix386. Cette disposition est profondément contraire au
principe de l'égalité des armes dès lors que cette désignation devrait relever d'un juge impartial et
indépendant pour éviter des expertises univoques.
- On peut également regretter que seul le Parquet dispose de la faculté de demander au
Président de la ChEL de mettre fin à l'exécution provisoire d'une décision du JEL, les autres parties
n'ayant pas accès à ce droit.
S'agissant du risque de partialité, il est incontestable que les magistrats du Parquet n'offriront
pas, eu égard à la hiérarchie interne du corps, les mêmes garanties d'indépendance que le juge
d'instruction. En attribuant la direction de la totalité des enquêtes à l'agent des poursuites qui est
dans le même temps partie au procès pénal, l'avant-projet aspire à un bouleversement symbolique de
nature à nuire à l'impartialité.
Le texte instaure un régime des incompatibilités fonctionnelles qui apparaît contraire à l'article
6§1 CEDH relatif au droit à un procès équitable. Ainsi, le JEL qui aurait prolongé une garde à vue,
autorisé une écoute téléphonique ou une perquisition pourra faire partie de la composition de la
juridiction de jugement de la personne concernée387.
De la même manière, l'impartialité et le contradictoire sont particulièrement menacés dans la
conduite de l'enquête judiciaire pénale si le Parquet demeure sous l'autorité directe du pouvoir
exécutif. Et si les garanties relatives à l'exercice des droits de la défense demeurent insuffisantes
pour contrebalancer l'élargissement de ses pouvoirs, il y a fort à parier que l'équilibre de la
procédure ne soit que virtuelle.
B. Des inquiétudes sur l'exercice effectif des droits de la défense
À la lecture des travaux préparatoires, il ne fait aucun doute que la recherche d'un équilibre de
la procédure a animé l'esprit des rédacteurs de l'avant-projet de réforme, tout au moins dans le
principe. Or, le texte dans sa rédaction finale ne prend pas suffisamment en compte la nécessité de
386 Art. 313-21 Avt.P 2010387 Art. 211-2
160
réformes pourtant réclamées depuis quelques années pour garantir l'effectivité des droits de la
défense, de sorte que l'équilibre tant prôné semble être devenu manifestement illusoire. Plusieurs
arguments peuvent être avancés :
- D'abord, l'assistance de l'avocat pour le mis en cause n'est prévue qu'au cours de ses
interrogatoires. L'avocat est ainsi écarté en matière de terrorisme, de stupéfiants et de criminalité
organisée.
- Ensuite, le débat brûlant sur la situation de la personne placée en GAV. Si la possibilité d'un
entretien avec un avocat lui est désormais offerte dès le début de la mesure, le même texte dispose
que la personne en GAV peut être entendue sans l'assistance d'un avocat388. Mais cette dernière
disposition est limitée par le principe selon lequel il est interdit en matière criminelle ou
correctionnelle de prononcer une condamnation sur le fondement des déclarations d'auto-
incrimination sans avoir été en mesure de bénéficier de l'assistance d'un avocat389. Mais surtout,
l'avant-projet inaugure une mesure de retenue d'une durée de quatre heures en dehors du régime de
la GAV et des droits qui en découlent390. Il est alors prévu que la personne peut être entendue
librement tout en prévoyant qu'elle peut être « appréhendée et ramenée par la contrainte ».
- Enfin, la nécessité d'une réforme de l'aide juridictionnelle à laquelle l'avant-projet ne fait
hélas aucune référence. En l'absence d'une augmentation considérable du budget de l'aide
juridictionnelle, la possibilité de mener une contre-enquête offerte aux parties, dans la demande
d'actes en particulier, dépendra de la diligence de leur avocat et donc de la situation de fortune du
justiciable. En effet, il est aisément concevable que la partie la plus fortunée sera favorisée dans la
production des actes d'enquête car il faut garder à l'esprit que les parties ne disposeront jamais des
moyens d'enquête intrusifs appartenant au Procureur de la République : écoutes téléphoniques,
perquisitions, les mesures de police technique et scientifique etc.
En outre, il est loisible de craindre que l'activité de l'avocat pendant l'enquête ne s'éloigne du
lieu du Tribunal si les interrogatoires et auditions sont menées par les OPJ sur instructions écrites du
Procureur de la République. Il faut donc considérer les difficultés matérielles engendrées eu égard à
la multiplicité des lieux de garde à vue. D'un point de vue matériel, les conditions d'accès au dossier
supposent également une réorganisation d'ensemble des rapports entre les services enquêteurs et le
388 Art. 327-17 Avt.P 2010389 Art. 113-4 390 Art. 327-7
161
Parquet qui, comme le souligne Vincent Sizaire, n'a absolument pas été pensée.
Cette insuffisance des droits accordés aux parties en l'absence de garanties statutaires
suffisantes des autorités judiciaires concourt à rompre l'égalité des armes.
Section 1 : L'insuffisance des garanties statutaires des « autorités judiciaires »
Dans l'avant-projet de réforme, le renforcement de la hiérarchisation du parquet à qui il est
confié la direction de l'enquête judiciaire pénale pose le problème de son statut quant à la garantie
d'un procès équitable (I). En amont, le contrôle protecteur du JEL sur la procédure est révélateur
d'une absence totale d'effectivité de sorte que le juge est largement évincé (II).
I/ L'indépendance du parquet, un préalable indispensable à la réforme
La question de la dépendance du Parquet n'a jamais été abordée depuis le Code de l'instruction
criminelle de 1808 jusqu'à la promulgation du code pénal de 1959. « Il s'agit d'une problématique
strictement contemporaine »391, comme le relève Jean Pradel. Sous le règne de Charles X, la
chambre criminelle avait rendu un arrêt du 28 décembre 1827 dans lequel elle avait précisé qu'« en
confiant ainsi à des corps indépendants la surveillance de l'action publique, en les autorisant à la
mettre en mouvement, ces lois ont crée en faveur de la liberté civile une de ses plus fortes
garanties ».
Le débat resurgit à l'aune du contexte européen (B) et alors que les dispositions envisagées
paraissent incompatibles avec l'article 64 de la Constitution (A).
A. La conformité à l'article 64 de la Constitution
L'avant-projet de réforme a opté pour un renforcement de la hiérarchisation du Parquet dans la
conduite de l'action publique qui correspond à la nouvelle terminologie de la politique pénale. Il
pose directement le principe selon lequel le Ministre de la Justice a autorité sur les magistrats du
391 J. PRADEL, Les relations entre le ministère public et le ministre de la justice dans l'avant-projet de réforme de la procédure pénale, Recueil Dalloz 2010, n°11
162
Ministère public près les juridictions du fond, conduit la politique d'action publique déterminée par
le gouvernement, adresse des instructions générales d'action publique aux magistrats du ministère
public, dénonce les infractions dont ils ont connaissance, enjoint au Ministère public d'engager ou
de faire engager des poursuites et de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qui sont
versées au dossier392.
Cette conception hiérarchisée de l'organisation parquetière est renforcée par le principe selon
lequel « les magistrats du ministère public doivent, au cours de la procédure pénale, se soumettre
aux instructions de leurs chefs hiérarchiques et du ministre de la Justice »393. Seule véritable limite
qu'apporte par l'avant-projet, la circonscription d'un véritable « devoir de désobéissance » prévoyant
l'interdiction d'ordonner le classement sans suite et de donner des instructions contraires à l'exigence
de recherche de la manifestation de la vérité ainsi qu'à la conduite des investigations à charge et à
décharge394.
Alors que l'entrée en vigueur de l'article 30 du CPP introduit par la loi Perben du 9 mars 2004,
s'agissant des instructions individuelles et générales pouvant être émises par le Garde des Sceaux,
avait été avalisée par le Conseil Constitutionnel dans la décision n°2004-492 rendue le 2 mars 2004,
l'avant-projet place intégralement la conduite de la politique d'action publique sous la conduite du
Garde des Sceaux.
En l'absence totale d'autonomie du Parquet quant à la conduite de l'action publique, le texte
n'offre pas de garanties suffisantes au regard de l'indépendance des autorités judiciaires visée par
l'article 64 de la Constitution. Le principe concerne tant les magistrats du siège que ceux du parquet
si bien que plusieurs décisions relayent cette vision soutenant que ceux-ci constituent un corps
unique de la magistrature395.
B. La conformité à la jurisprudence de la CEDH
Le rattachement hiérarchique du Parquet mérite d'être abordé au regard des instructions
générales et des instructions individuelles que le Garde des Sceaux peut adresser à ces magistrats.
L'arrêt Schiesser c/ Suisse de la CEDH du 4 décembre 1979 avait notamment relevé que le
392 Art. 221-4, 221-5, 221-6 Avt.P 2010393 Art. 221-3 Avt.P 2010394 Art. 221-7 Avt.P 2010395 C. CONSTIT, déc. N° 93-326 DC, 11 août 1993 et déc. N° 92-305 DC, 21 février 1992
163
Procureur cantonal suisse présentait des garanties suffisantes et était une autorité judiciaire au sens
de la CESDH, tout en constatant qu'il n'avait pas reçu d'instructions dans l'affaire qui lui était
déférée.
En France, s'agissant des instructions générales d'action publique, le Garde des Sceaux
intervient pour prescrire ses directives sur l'opportunité des poursuites et les modes de poursuites
dans certains domaines. Dès lors que le Parquet traitera une affaire relevant du domaine sur lequel
portent les instructions générales du Garde des Sceaux, il ne sera plus une autorité judiciaire au sens
de la CESDH. Il en va de même s'agissant des instructions individuelles qui donnent la possibilité
au Garde des Sceaux d'intervenir dans un dossier en particulier.
Plus récemment, l'arrêt Medvedyev de la CEDH, en date du 29 mars 2010, a condamné la
France pour détention illégale dans l'affaire d'un équipage soupçonné de trafic de drogue, et vient
remettre en cause le statut actuel du Parquet et sa légitimité au sein de la procédure, disposant que
« le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des
parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure
pénale, à l'instar du Ministère public ».
Cette décision fait suite à un arrêt de premier instance, du 10 juillet 2008, qui avait déjà
considéré que le Procureur français n'est pas « une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence
de la Cour donne à cette notion », à défaut d'indépendance « à l'égard du pouvoir exécutif pour
pouvoir être ainsi qualifiée ».
La problématique se pose évidemment au regard de l'avant-projet de réforme compte tenu du
pouvoir de direction de l'enquête confié au Parquet, et notamment à l'issue de la GAV puisqu'il est
l'autorité qui prolonge la GAV et devant laquelle le mis en cause est déféré s'il n'est pas remis en
liberté. Il est toutefois prévu le principe selon lequel « toute personne présumée innocente qui est
privée de liberté à la suite d’une décision n’émanant pas d’un juge ou d’une juridiction doit
comparaître dans un délai de quarante-huit heures au plus tard devant un juge ou une juridiction
pour que soit examiné le bien fondé de sa privation de liberté »396.
Pour autant, l'avant-projet ne tient pas compte des avertissements lancés par la CEDH qui
exigent, au regard de l'article 3§5 CESDH, que toute personne arrêtée ou détenue soit aussitôt
396 Art. 112-5 Avt.P 2010
164
conduite devant un juge ou un magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires397, tel n'est pas le
cas du Parquet si l'on s'en tient à son rattachement hiérarchique réaffirmé.
II/ Le défaut d'effectivité du contrôle de l'enquête pénale
Ce contrôle de la procédure exercé par le JEL, magistrat indépendant, est censé constituer le
corollaire naturel de l'attribution au Parquet de la direction des enquêtes pénale. Or, l'avant-projet
consacre au JEL, au TEL et à la ChEL des statuts qui présentent des garanties insuffisantes pour
assurer un contrôle réel des enquêtes face au renforcement des prérogatives du Parquet :
- De prime abord, le refus du principe du juge unitaire par dossier, en vertu duquel une
enquête ne sera suivie par un seul JEL que lorsqu'il aura été désigné pour statuer sur une demande
de placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire, cette disposition affaiblit la
position du JEL en ce qu'il est permis de douter de sa capacité à contrôler réellement un dossier où
plusieurs juges pourront se succéder.
- Aussi, le dessaisissement du JEL peut être demandé au Président du TGI dans l'intérêt d'une
bonne administration de la justice par le Parquet agissant soit d'office, soit à la demande d'une
partie. Or, comme le souligne Mireille Delmas-Marty, « que le contrôlé puisse demander le
dessaisissement de son contrôleur risque d'affaiblir considérablement la stature du JEL ».
- Il est tout aussi regrettable de constater l'absence de spécialisation de la juridiction de
l'enquête et des libertés car il n'y a pas nécessairement un TEL par TGI, le Président du TEL n'étant
pas forcément un JEL et l'un de ses assesseurs pouvant être un juge de proximité.
- En matière de discipline des OPJ, le JEL et le TEL sont largement effacés alors qu'il seront
les premiers à avoir connaissance des dysfonctionnements lors du contrôle de l'enquête.
- De même, lorsque JEL est saisi par le Procureur de la République d'une demande
d'hospitalisation en cas d'irresponsabilité pénale pour trouble mental et qu'il refuse, le Préfet dispose
d'une compétence concurrente pour prononcer l'hospitalisation Le texte prévoit un recours revenant
devant le même JEL qui l'aurait refusé au préalable.
397 CEDH, Schiesser c/ Suisse, 4 décrembre 1979
165
- La décision de prolongation de garde à vue prise par le Procureur de la République devrait
quant à elle relever systématiquement du JEL, la seule véritable autorité judiciaire dans l'esprit des
juges européens (arrêt Medvedyev).
- De surcroît, si seule la ChEL peut reprendre en mains la conduite de la procédure et réaliser
elle-même des actes d'enquêtes, elle ne peut toutefois désigner le JEL à cette fin, contrairement à
l'actuelle chambre de l'instruction.
- Enfin, se pose la question patente de la disposition matérielle des pièces de la procédure
pour le JEL, il serait ainsi inconcevable que le JEL ne dispose pas de manière permanente des
dossiers dont il est saisi.
Le statut et les moyens accordés au JEL ne laissent en rien présager la possibilité pour lui de
contrôler effectivement l'enquête ainsi que le principe du contradictoire. En effet, le seul moyen
pour le JEL de contrôler le déroulement de la procédure est de statuer sur les demandes formées par
les parties qui n'ont pas été acceptées par le Procureur de la République ou auxquelles il n'a pas
répondu. Son pouvoir de contrôle n'est donc pas automatique et ne s'exerce pas sur l'intégralité de
l'enquête. Il en va de même pour le TEL qui ne peut-être saisi que par le JEL dans des cas limitatifs
tandis que son contrôle ne s'exerce qu'à l'égard des parties. Aussi aurait-il fallu permettre à ces
contrôleurs d'être saisi de l'intégralité du dossier pour étendre leur champ d'action à l'entièreté de
l'enquête judiciaire pénale.
Par ailleurs, on peut douter du pouvoir d'injonction du JEL en cas d'inertie du Parquet. Outre
que l'exercice de ce pouvoir affecte la démarche du Parquet qui, en tant qu'autorité de l'accusation,
se retrouve contraint de réaliser des actes d'enquête pour la défense, alors même qu'il avait refusé
d'y procéder auparavant. On note qu'aucune sanction n'est prévue si le Parquet ne se conforme pas
aux injonctions du JEL, seul un recours devant la ChEL est ouvert afin de réaliser les actes
d'enquête. Il est tout de même dommageable que le JEL ne puisse pas réaliser les actes d'enquête
lui-même alors que la ChEL est claquée sur l'actuelle chambre de l'instruction, cette dernière
disposant déjà de ce pouvoir rarement mis en oeuvre en raison de la surcharge de travail.
En définitive, l'insuffisance des garanties statutaires du JEL s'ajoute à la multiplication des
voies de recours encourant un risque de paralysie qui pourrait neutraliser l'effectivité de son contrôle
166
sur l'enquête. L'extension du champ des modes alternatifs à la discrétion du Parquet et l'éventualité
de l'intervention du JEL participent également à évincer ce contrôle déjà très parcellaire.
*
* *
CONCLUSION
Rappelons que le temps laissé à la réflexion est un facteur essentiel sachant que la dernière
réforme d'ampleur avait débouché au CPP de 1959 après plus de trente années de travail. La lecture
de l'avant-projet nous laisse penser que le temps a cruellement manqué au comité Léger pour
parvenir à une réflexion plus aboutie : l'incomplétude du projet, les fautes d'accord éparses, des
dispositions contraires qui se neutralisent, des mécanismes renvoyant à des concepts flous etc. Le
système imaginé est également marqué par la volonté poignante de la Chancellerie de ne pas
remettre en cause certains points cruciaux tels qu'envisager l'indépendance du Parquet, notamment
sous l'impulsion de la jurisprudence de la CEDH. Le rapport Delmas-Marty en faisait déjà une
condition préalable indispensable à une éventuelle suppression du juge d'instruction. Il lui eut
manqué un brin d'audace pour oser un projet plus ambitieux.
L'absence d'effectivité du contrôle exercé par le JEL se confronte à la toute suprématie du
Parquet sur une enquête judiciaire pénale qui concrétise l'avancement du policier, de sorte que le
contradictoire risque d'être fortement évincé. Plus généralement, les garanties tenant à une enquête
impartiale, loyale et contradictoire sont largement insuffisantes pour profiter au justiciable. La
tendance accusatoire mise en avant par les rédacteurs de l'avant-projet s'en trouve anéantie. Sa mise
en œuvre impliquerait la nécessité d'une réorganisation matérielle au sein de toutes les juridictions
qui, à l'heure actuelle, paraît irréaliste.
En effet, l'avant-projet n'a été accompagné d'aucune étude d'impact pour savoir réellement
quels seront le coûts engendrés par la refonte du système. Il faut prendre en considération que dans
un contexte de réduction des dépenses budgétaires, les effectifs parquetiers devront nécessairement
être augmentés et les actuels juges d'instruction remaniés. Mais les mentalités des praticiens sont-
elles réellement prêtes à changer ? Au delà du crédit à accorder à cet avant-projet pour le futur, la
167
question de la suppression du juge d'instruction est davantage celle de l'opportunité d'une réforme
d'ampleur qui semble plaider en sa faveur... pour l'instant.
En ce 7 mai 2010, cédant aux hostilités du monde judiciaire, le gouvernement a finalement
renoncé à la suppression du juge d'instruction pour des raisons afférentes au calendrier. Mais pour
combien de temps encore ? À l'heure actuelle, seule la réforme de la GAV reste prioritaire et devrait
être présentée avant la fin de l'année. Le débat sur la suppression du juge d'instruction est de
nouveau ajourné et son existence demeure perpétuellement en sursis.
*
* *
168
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
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TEXTES OFFICIELS
- Avant-projet de réforme du code de procédure pénale soumis à concertation du 2 mars 2010- Code de Procédure pénale du 1er mars 1994- Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes
170
- Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale - Loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens- Loi n° 84-576 du 9 juillet 1984 tendant a renforcer les droits des personnes en matière de placement en détention provisoire et d'exécution d'un mandat de justice- Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale- Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature
JURISPRUDENCE
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SITES INTERNET
www.metiers.justice.gouv.frwww.service-public.frwww.courdecassation.frwww.legifrance.frwww.lemonde.frwww.lejdd.fr
171
Table des matièresINTRODUCTION : ORIGINES ET PARADIGMES..........................................................................6
I/ Les mythes du juge d'instruction...................................................................................8 II/ De l'enracinement de la culture inquisitoire à l'expérience accusatoire étrangère.....11
PARTIE 1 : LA SUPPRESSION DU JUGE D'INSTRUCTION, UNE PROBLÉMATIQUE HISTORIQUE AU PRISME DES PRÉOCCUPATIONS ACTUELLES..........................................20
Titre 1 : Les attributions actuelles de la juridiction d'instruction dans le procès pénal.................21Chapitre 1 : La place du juge d'instruction au cœur de l'instruction préparatoire.....................22
Section 1 : L'ouverture d'une information judiciaire............................................................24 I/ La compétence du juge d'instruction...........................................................................24
A. Les règles de droit commun.................................................................................24 1/ Ratione materiae..............................................................................................24 2/ Ratione loci.....................................................................................................25 3/ Ratione personae.............................................................................................25
B. Les règles exorbitantes du droit commun ............................................................25 1/ Les infractions commises par les mineurs.......................................................25 2/ Les privilèges de juridiction............................................................................26 3/ Les infractions particulières............................................................................27 4/ Les extensions de compétence territoriale.......................................................28
II/ Les modalités de saisine du juge d'instruction...........................................................28 A. Les saisines de droit commun..............................................................................28
1/ Le réquisitoire introductif du Parquet.............................................................28 2/ La plainte avec constitution de partie civile....................................................30
B. Les saisines spécifiques........................................................................................31 C. Les effets de la saisine..........................................................................................32
1/ L'étendue de la saisine.....................................................................................33 2/ À l'égard des parties........................................................................................34
Section 2 : Le déroulement de l'information judiciaire........................................................35 I/ La libre conduite de l'information : des garanties statutaires......................................36
A. L'indépendance du juge d'instruction...................................................................36 B. L'impartialité du juge d'instruction.......................................................................38
II/ La clôture de l'instruction préparatoire......................................................................40 A. Le moment de la clôture.......................................................................................40 B. L'ordonnance de règlement (ou de clôture)..........................................................42
Chapitre 2 : L'étendue des prérogatives du juge d'instruction ..................................................44Section 1 : La nature des pouvoirs du juge d'instruction......................................................46
I/ Des pouvoirs d'investigation.......................................................................................46 A. Les demandes d'actes au juge d'instruction..........................................................46
1/ Par le Parquet...................................................................................................47 2/ Par les parties privées......................................................................................47
B. L'exécution des actes par le juge d'instruction.....................................................48 1/ Les investigations matérielles.........................................................................48 2/ Les auditions des personnes............................................................................50
2.1/ L'audition de partie civile :.....................................................................50 2.2/ L'audition du simple témoin :.................................................................51 2.3/ L'audition du témoin assisté :.................................................................52 2.4/ L'interrogatoire de première comparution (IPC) :..................................52 2.5/ Les interrogatoires ultérieurs et les confrontations.................................53
C. La délégation des actes par le juge d'instruction..................................................54
172
1/ Les commissions rogatoires............................................................................54 2/ Les expertises..................................................................................................56
II/ Des pouvoirs juridictionnels......................................................................................58 A. Les pouvoirs décisionnels....................................................................................58
1/ Les ordonnances..............................................................................................58 2/ Les mandats.....................................................................................................60
B. Les pouvoirs coercitifs........................................................................................62 1/ Le placement sous contrôle judiciaire ...........................................................63 2/ La demande de placement en détention provisoire........................................63
Section 2 : Le contrôle de la chambre de l'instruction.........................................................66 I/ Les recours devant la chambre de l'instruction...........................................................67
A. Une voie d'appel contre les décisions du juge d'instruction ou du JLD...............68 B. Une requête en nullité des actes de la procédure..................................................69
II/ Le contrôle de la gestion de l'office du juge d'instruction..........................................71Titre 2 : Les « grandes causes » de la suppression du juge d'instruction.......................................72
Chapitre 1 : L'amoncellement des critiques à l'égard du juge d'instruction..............................74 Section 1 : Des doutes sur la nécessité de l'existence du juge d'instruction........................75
I/ La marginalité de l'intervention du juge d'instruction.................................................75 A. L'ouverture d'une information judiciaire, une exigence résiduelle......................76 B. L'évolution des pratiques parquetières.................................................................78
II/ L'inadaptation du juge d'instruction face aux enjeux de notre époque......................81 A. Le cloisonnement du juge d'instruction : entre isolement et jeunesse..................81 B. L'absence d'apport réel de la phase d'instruction.................................................84
Section 2 : La défiance à l'égard de l'institution du juge d'instruction................................87 I/ La « schizophrénie » issue de la double fonction de juge-enquêteur..........................87
A. L'origine de l'incompatibilité des pouvoirs d'investigation et de jugement.........87 B. Un risque supposé de partialité au cours de l'instruction.....................................89
II/ L'amenuisement des prérogatives régaliennes du juge d'instruction.........................91 A. Le transfert des pouvoirs au juge des libertés et de la détention (JLD)...............91 B. L'extension des pouvoirs d'enquête du parquet....................................................93
Chapitre 2 : Le poids des considérations européennes supérieures...........................................96 Section unique : Le renforcement des garanties des parties sous l'impulsion des exigences européennes d'un « procès équitable ».................................................................96Sous-section 1 : Le rôle actif des parties dans la conduite des actes d'instruction...............97
I/ Le respect des droits de la défense..............................................................................97 II/ Le respect de l'égalité des armes et du contradictoire..............................................101
Sous-section 2 : L'augmentation des obligations à la charge du juge d'instruction............103 I/ La préservation de la présomption d'innocence........................................................104 II/ L'exigence de célérité de la procédure.....................................................................106
PARTIE 2 : L'AVANT-PROJET DE RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE DU 2 MARS 2010, CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCÉE.........................................................................108
Titre 1 : La genèse de la réforme..................................................................................................110Chapitre 1 : Les conséquences délétères de l'affaire « Outreau »............................................111
Section 1 : Le reflet des dysfonctionnements d'un système...............................................112 I/ L'affaire « Outreau », récit d'un désastre judiciaire ..................................................112
A. Rappel des faits de la procédure........................................................................113 B. Le contrôle a posteriori de la commission d'enquête parlementaire..................115
II/ La remise en cause du compromis inquisitoire........................................................117 A. La mise en cause du fonctionnement de l'appareil judiciaire.............................117 B. La mise en cause de la fonction de juge d'instruction........................................120
173
Section 2 : La loi du 5 mars 2007, la lettre morte d'un texte en dépit de l'activisme ?......121 I/ La création des pôles de l'instruction........................................................................122
A. Le cadre légal des pôles d'instruction.................................................................122 B. La saisine des pôles de l'instruction....................................................................123
II/ La nouvelle coordination du travail du juge d'instruction........................................124 A. Le développement de la co-saisine.....................................................................124 B. L'avenir de la collégialité de l'instruction ?........................................................126
Chapitre 2 : La propagation de la suppression du juge d'instruction en Europe.....................128Section unique : Étude comparative des principaux systèmes judiciaires européens .......129en matière pénale................................................................................................................129
I/ Le rôle croissant du Parquet dans une tendance accusatoire forte............................129 A. Le maintien du juge d'instruction en Espagne....................................................130 B. La place centrale du parquet en Allemagne, en Italie, au Pays-Bas et au Portugal et dans les pays de l'Est..............................................................................131 C. L'essor de la fonction du parquet au Royaume-Uni, au Pays de Galles et en Suisse.........................................................................................................................133
II/ L'encadrement des pouvoirs du Parquet pendant la phase préparatoire...................134 A. Un contrôle juridictionnel par un juge garant des libertés individuelles............134 B. L'indépendance des Parquets italiens et portugais..............................................135
Titre 2 : La proposition d'un système « contradictoire à la française » au spectre de ses dérives prévisibles....................................................................................................................................137
Chapitre 1 : La direction par le Parquet d'un cadre unique d'enquête sous le contrôle du juge de l'enquête et des libertés (JEL).............................................................................................138
Section 1 : L'instauration du cadre unique de l'enquête judiciaire pénale..........................139 I/ Le déroulement de l'enquête judiciaire pénale..........................................................139
A. Le monopole du Parquet dans la direction de l'enquête pénale..........................139 B. L'avancement du rôle du policier dans la conduite de l'enquête pénale.............140
II/ La renouveau des pouvoirs du Parquet....................................................................142 A. Les nouveaux pouvoirs du Parquet....................................................................142 B. L'élargissement des pouvoirs quasi-juridictionnels ...........................................144
Section 2 : L'étendue du contrôle protecteur de la juridiction de l'enquête et des libertés.145 I/ Les caractéristiques du juge de l'enquête et des libertés (JEL).................................145
A. Le statut et les missions du JEL.........................................................................145 B. La procédure et les décisions du JEL.................................................................147
II/ L'organisation des juridictions de l'enquête et des libertés......................................150 A. Le tribunal de l'enquête et des libertés (TEL)....................................................150 B. La Chambre de l'enquête et des libertés de la cour d'appel (ChEL)...................151
Chapitre 2 : L'absence de contre-pouvoir réel dans l'insuffisance des garanties offertes aux parties......................................................................................................................................154
Section 1 : Un déséquilibre structurel portant rupture de l'égalité des armes.....................155 I/ Des carences tenant à la qualité des parties...............................................................155
A. L'insuffisance du statut des parties pénale, assistée et civile.............................155 B. Les faiblesses de la constitution de partie citoyenne..........................................157
II/ Une régression colossale pour les droits des parties................................................159 A. Le recul majeur du contradictoire et de l'impartialité........................................159 B. Des inquiétudes sur l'exercice effectif des droits de la défense..........................160
Section 1 : L'insuffisance des garanties statutaires des « autorités judiciaires »................162 I/ L'indépendance du parquet, un préalable indispensable à la réforme.......................162
A. La conformité à l'article 64 de la Constitution...................................................162 B. La conformité à la jurisprudence de la CEDH...................................................163
174
II/ Le défaut d'effectivité du contrôle de l'enquête pénale............................................165CONCLUSION.................................................................................................................................167BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................169ANNEXE GENERAL......................................................................................................................176
175
ANNEXE GENERAL
- 1 -SCHEMA RECAPITULATIF DE LA PROCEDURE
PENALE ACTUELLE
- 2 -SCHEMA RECAPITULATIF DE L'ENQUETE JUDICIAIRE PENALE SELON L'AVANT-PROJET DE REFORME DU 1er
MARS 2010
- 3 -TROIS ACTES D’INSTRUCTION PARTICULIÈREMENT
BIEN VENUS
176
Annexe 1
177
Annexe 2
178
Annexe 3
TROIS ACTES D’INSTRUCTION PARTICULIÈREMENT BIEN VENUS
I – Le juge et les deux prétendues mères( Ancien Testament, Premier livre des Rois )
Deux femmes se disputent un enfant devant Salomon.L’une dit : - Voici mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort.L’autre dit : - Ce n’est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort, et mon fils est celui qui est vivant !Le roi ordonna : - Apportez-moi une épée.Puis il dit : - Partagez l’enfant vivant en deux, et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre.Alors la femme dont l’enfant était vivant s’adressa au roi, car sa pitié s’était enflammée pour son fils, et elle dit : - S’il te plaît, Seigneur, Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le tue pas !Mais l’autre disait : - Il ne sera ni à toi, ni à moi : partagez le !Alors le roi prit la parole et dit : - Donnez l’enfant à la première, ne le tuez pas. C’est elle la mère ![On trouve déjà ce subtil acte d’instruction dans les textes de l’ancienne Mésopotamie]
II – Le cadi et le chamelier( Exemple donné par Warée, dans ses « Curiosités judiciaires », p. 386 )
Les Turcs n’ont ni Institutes, ni Code, ni Digeste, et cependant ils ne laissent pas de très bien juger des causes qui embarrassent les juges les plus habiles, En voici un exemple.
Un marchand chrétien s’accorda avec un chamelier turc pour le transport d’un, certain nombre de balles de soie, qu’il voulait faire voiturer d’Alep à Constantinople, et se mit en chemin avec lui ; mais, au milieu de la route, il tomba malade, et ne put suivre la caravane, qui arriva longtemps avant lui, à cause de ce contretemps.
Le chamelier, ne voyant pas venir son homme au bout de quelques semaines, s’imagina qu’il était mort, vendit les soies et changea de profession.
Le chrétien arriva enfin, le trouva après avoir perdu bien du temps à le chercher, et lui demanda ses marchandises. Le fourbe feignit de ne pas le connaître, et nia avoir jamais été chamelier.
Le cadi, devant qui cette affaire fut portée, dit au chrétien : - Que demandes-tu ?- Je demande, dit-il, vingt balles de soie que j’ai remises à cet homme-ci.- Que réponds-lu à cela ? dit le cadi au chamelier.- Que je ne sais, reprit ce dernier, ce qu’il veut me dire avec ses balles de soie et ses chameaux ; et que je ne l’ai jamais ni vu ni connu.
Alors le cadi, se tournant vers le chrétien, lui demanda quelle preuve il pouvait donner de ce qu’il avait avancé. Le marchand n’en put donner d’autre sinon que sa maladie l’avait empêché de suivre le chamelier. Le cadi leur dit à tous deux qu’ils étaient des bêtes, et qu’ils se retirassent de sa présence. Il leur tourna le dos.
Pendant qu’ils sortaient ensemble; il se mit à une fenêtre et cria assez haut :- Chamelier, un mot !
Le Turc tourna la tête, sans songer qu’il venait d’abjurer cette profession. Alors le cadi, l’obligeant de revenir sur ses pas, lui fit donner la bastonnade et avouer sa friponnerie. Il le condamna à payer la soie, outre une amende pour les épices [ pour les frais de justice ].
179
III – Le mandarin et les soi-disant moines(Extrait de : Robert Van Gulik « Le mystère du labyrinthe », Collection 10/18 n° 1673)
Le criminel Tsien Mo, coupable de sédition, recevra le châtiment qu’il mérite. Mais je sais que, outre ce crime abominable, il a trompé et volé un grand nombre d’entre vous. Que les requérants viennent déposer leur plainte auprès du tribunal. Chaque cas sera examiné avec soin, et les victimes de ce chien seront dédommagées selon les possibilités allouées à ce tribunal…
Des acclamations enthousiastes montèrent de la foule. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que les sbires réussirent à rétablir le calme dans la salle d’audience.
Agglutinés dans un coin, trois moines bouddhistes étaient restés à l’écart de l’excitation générale et chuchotaient entre eux. Le calme revenu, ils se frayèrent un chemin dans la foule en criant à tue tête qu’ils étaient les malheureuses victimes d’une terrible injustice.
Alors qu’ils s’approchaient de l’estrade, le juge Ti fut frappé de leur mine peu engageante. Les traits de leur visage étaient durs, sensuels, et on lisait de la fausseté dans leur regard. Comme ils se mettaient à genoux devant l’estrade, le juge ordonna :- Que l’aîné de vous trois nous donne son nom et qu’il dépose sa plainte !- Le moine ignorant agenouillé devant Votre Excellence est appelé Pilier de la Foi. Nous habitons moi et mes deux camarades dans un petit temple situé dans le quartier sud de cette ville. Nos journées s’écoulent dans la récitation des prières et la méditation.Notre modeste temple ne possédait qu’un seul objet de valeur, une statue en or de notre Bienveillante Dame, Kouan Yin, Amen ! Mais, pour notre infortune, il y a de cela maintenant deux lunes, ce monstre de Tsien s’arrêta dans notre temple et déroba la sainte statue. Dans l’Au-delà ce chien sera jeté dans l’huile bouillante pour son horrible sacrilège. Mais, en attendant qu’il reçoive de la justice divine son châtiment, nous supplions humblement Votre Excellence de nous faire restituer notre trésor sacré, et si ce scélérat l’a déjà fait fondre, de bien vouloir nous accorder un dédommagement en or ou en argent !
Ayant ainsi parlé, le moine toucha trois fois le sol de son front.Le juge garda un moment le silence tout en caressant lentement ses favoris, puis reprit sur le
ton de la conversation :- Si cette statue était le seul trésor que possédait votre temple, je suppose qu’elle fut l’objet de tous tes soins ?- Cela est si vrai, Votre Excellence, répondit le moine avec empressement, que c’est moi qui l’époussetais chaque matin avec un plumeau de soie tout en récitant mes prières !- Je suis sûr, continua le juge, que tes deux compagnons montrèrent la même dévotion à servir leur déesse ?- L’humble moine que je suis, intervint le moine de droite, a fait brûler pendant de longues années de l’encens devant notre Bienveillante Dame, chaque matin, et contemplé la grâce de ses traits avec vénération. Amen !- Le moine ignorant à genoux devant vous, ajouta le dernier, a passé chaque jour de nombreuses heures au pied de la statue dans une indicible extase !
Le juge secoua la tête avec un sourire satisfait. Puis s’adressant au premier scribe, il le somma d’un ton sec :- Qu’on donne à chacun de ces requérants un morceau de fusain et une feuille de papier blanc !
Tandis que l’on remettait ces menus objets aux moines stupéfaits, le juge ordonna à nouveau :- Que le moine agenouillé sur le degré de gauche vienne se placer à gauche de l’estrade. Celui sur le degré de droite, à droite de l’estrade. Quant à toi, Pilier de la Foi, tourne-toi, et fais face à l’assistance !
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Les trois moines se dirigèrent d’un pas lourd vers les places que le juge leur avait attribuées. Alors le juge dit d’un ton péremptoire :- Agenouillez-vous et tracez pour la Cour un dessin de cette statue d’or !
Des murmures étonnés montèrent de l’assistance. Silence ! hurlèrent les sbires. Les trois moines peinèrent un long moment sur leur ouvrage. De temps en temps ils grattaient leur crâne chauve, et la sueur coulait de leur front.- Qu’on m’apporte ces feuilles de papier ! ordonna enfin le juge au chef des sbires.
Mais dès qu’il eut jeté un rapide coup d’œil sur les trois dessins, le juge les repoussa avec mépris au bord de la table. Comme ils voltigeaient vers le sol, chacun put se rendre compte qu’ils étaient tous très différents. Sur le premier, la déesse avait quatre bras et trois têtes, sur le deuxième huit bras, tandis que sur le troisième on avait représenté un personnage de forme humaine, tenant un enfant embrassé.- Ces malfaiteurs se sont moqués de la justice ! tonna le juge d’une voix terrible. Qu’on leur donne dix coups de canne !
Les sbires dénudèrent le dos des moines et les jetèrent sur le sol, face en avant. Le bambou siffla dans l’air …
Note de l’auteur : L’épisode du faux témoignage des trois moines est basé sur une histoire tirée du T’ang-yin-pi-shih.
Document issu du dictionnaire de droit criminel de J-P DOUCET
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