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Comme beaucoup d’’entre vous l’ont fait remarquer, la perception n’est pas une activité de réception passive du monde autour de nous. Les sensations font l’objet d’un traitement, d’une organisation qui transforme le réel pour répondre à nos besoins (Pierre parle de la survie, c’en est un exemple, certaines informations sont plus cruciales que d’autres mais aussi les préoccupations du moment, les intérêts personnels, obsessions, etc. orientent notre perception). Mais c’est pour ceci que la science a dû surmonter le témoignage des sens pour accéder à la vérité (le terme est utilisé sciemment). Bachelard, philosophe des sciences du 20° siècle, parle d’obstacle épistémologique (qui concerne la connaissance) à propos de la connaissance immédiate, spontanée, (celle issue de l’expérience, le témoignage de nos sens), obstacle que la science se doit de surmonter pour accéder à une connaissance objective du monde (c’est-à-dire distante des seules préoccupations humaines). Donc notre perception du monde est subjective, mais cette subjectivité n’est pas un désordre, un fatras où nul ne peut se repérer, il y a des lois, des règles qui président à l’organisation de nos sensations. Les exemples montrés sont pour la plupart issus d’un livre de P. Guillaume (la psychologie de la forme) où l’auteur essaie de montrer les lois de la perception que son courant (la Gestalt-théorie) a cru déceler dans l’expérience de nos perceptions. Je vous les livre brièvement. Gestalt et perception Points d'un cube imaginaire. Nos perceptions obéissent à un certain nombre de lois : ainsi, une totalité (dans cet exemple, un visage humain) ne peut se réduire à la simple somme des stimuli perçus ; de même, l'eau est autre chose que de l'oxygène et de l'hydrogène ; une symphonie est autre chose qu'une succession de notes. On constate ainsi que le tout est différent de la somme de ses parties, un des principes phares de la théorie de la gestalt. La théorie souligne aussi qu'une partie dans un tout est autre chose que cette même partie isolée ou incluse dans un autre tout - puisqu'elle

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Comme beaucoup d’’entre vous l’ont fait remarquer, la perception n’est pas une activité de réception passive du monde autour de nous. Les sensations font l’objet d’un traitement, d’une organisation qui transforme le réel pour répondre à nos besoins (Pierre parle de la survie, c’en est un exemple, certaines informations sont plus cruciales que d’autres mais aussi les préoccupations du moment, les intérêts personnels, obsessions, etc. orientent notre perception). Mais c’est pour ceci que la science a dû surmonter le témoignage des sens pour accéder à la vérité (le terme est utilisé sciemment). Bachelard, philosophe des sciences du 20° siècle, parle d’obstacle épistémologique (qui concerne la connaissance) à propos de la connaissance immédiate, spontanée, (celle issue de l’expérience, le témoignage de nos sens), obstacle que la science se doit de surmonter pour accéder à une connaissance objective du monde (c’est-à-dire distante des seules préoccupations humaines).

Donc notre perception du monde est subjective, mais cette subjectivité n’est pas un désordre, un fatras où nul ne peut se repérer, il y a des lois, des règles qui président à l’organisation de nos sensations.

Les exemples montrés sont pour la plupart issus d’un livre de P. Guillaume (la psychologie de la forme) où l’auteur essaie de montrer les lois de la perception que son courant (la Gestalt-théorie) a cru déceler dans l’expérience de nos perceptions. Je vous les livre brièvement.

Gestalt et perception

Points d'un cube imaginaire.

Nos perceptions obéissent à un certain nombre de lois : ainsi, une totalité (dans cet exemple, un visage humain) ne peut se réduire à la simple somme des stimuli perçus ; de même,

l'eau est autre chose que de l'oxygène et de l'hydrogène ; une symphonie est autre chose qu'une succession de notes.

On constate ainsi que le tout est différent de la somme de ses parties, un des principes phares de la théorie de la gestalt.

La théorie souligne aussi qu'une partie dans un tout est autre chose que cette même partie isolée ou incluse dans un autre tout - puisqu'elle tire des propriétés particulières de sa place et de sa fonction dans chacun d'entre eux .

Pour comprendre un comportement ou une situation, il importe donc surtout, de les percevoir dans l'ensemble plus vaste du contexte global, avoir un regard non pas plus « pointu » mais plus large : le « contexte » est souvent plus signifiant que le « texte ». « Com-prendre » c'est prendre ensemble.

Un exemple du philosophe Jean-Paul Sartre, influencé par la Gestalttheorie, permet de bien comprendre cela :

« J'ai rendez-vous avec Pierre à quatre heures. J'arrive en retard d'un quart d'heure : Pierre est toujours exact ; m'aura-t-il attendu ? Je regarde la salle, les consommateurs, et je dis : "Il n'est pas là." (...) "J'ai tout de suite vu qu'il n'était pas là"... Il est certain que le café, par soi-même, avec ses consommateurs, ses tables, ses banquettes, ses glaces, sa lumière, son atmosphère enfumée, et les bruits de voix, de soucoupes heurtées, de pas qui le remplissent, est un plein d'être. Et toutes les intuitions de détail que je puis avoir

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sont remplies par ces odeurs, ces sons, ces couleurs... Mais il faut observer que, dans la perception, il y a toujours constitution d'une forme sur un fond. Aucun objet, aucun groupe d'objets n'est spécialement désigné pour s'organiser en fond ou en forme : tout dépend de la direction de mon attention. Lorsque j'entre dans le café, pour y chercher Pierre, il se fait une organisation synthétique de tous les objets du café en fond sur quoi Pierre est donné comme devant paraître... Chaque élément de la pièce, personne, table, chaise, tente de s'isoler, de s'enlever sur le fond constitué par la totalité des autres objets et retombe dans l'indifférenciation de ce fond, il se dilue dans ce fond. Car le fond est ce qui n'est vu que par surcroît, ce qui est l'objet d'une attention purement marginale. (...) Je suis témoin de l'évanouissement successif de tous les objets que je regarde, en particulier des visages, qui me retiennent un instant ("Si c'était Pierre ?") et qui se décomposent aussi précisément parce qu'ils "ne sont pas" le visage de Pierre. Si, toutefois, je découvrais enfin Pierre, mon intuition serait remplie par un élément solide, je serais soudain fasciné par son visage et tout le café s'organiserait autour de lui, en présence discrète »

— Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant (1943).On voit dans ce texte que la présence ou non de son ami guide la perception de ce qu’est la café (Sartre affectionne les cafés). Le café est un décor (le fond) où doit se dessiner la présence de son ami (la forme). L’attente de Sartre (mon ami est-il là ? M’a-t-il attendu ?) fait apparaître tous les objets du café (ses consommateurs, la salle, etc.) comme un décor indistinct (si on lui posait une question sur qui était là, si le café était plein, quelle disposition des tables, etc. il ne saurait pas répondre).

Principes de base de la Gestalt

Vase de Rubin.

La Gestalt est un paradigme qui s'oppose globalement à l'individualisme (bottom-up) en renversant cette perspective vers une approche top-down : en physique, la perception globale d'une forme précède les détails ; en psychologie, la société, le groupe, la culture, la nation sont des entités supérieures qui priment sur l'individu.

D'où le postulat gestaltiste suivant :

le monde, le processus perceptif et les processus neurophysiologiques sont isomorphes ; c'est-à-dire structurés de la même façon, ils se ressemblent dans leurs structures et dans leurs principes (d'une certaine façon).

Il n'existe pas de perception isolée, la perception est initialement structurée. La perception consiste en une distinction de la figure sur le fond (vase de Rubin). Le tout est perçu avant les parties le formant : « Le Tout est différent de la somme des

parties » ou « L'ensemble prime sur les éléments qui le composent ». La structuration des formes ne se fait pas au hasard, mais selon certaines lois dites « naturelles » et qui

s'imposent au sujet lorsqu'il perçoit.

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Les principales lois de la Gestalt

La loi de clôture.

La loi de la bonne forme : loi principale dont les autres découlent : un ensemble de parties informe (comme des groupements aléatoires de points) tend à être perçu d'abord (automatiquement) comme une forme, cette forme se veut simple, symétrique, stable, en somme une bonne forme.

La loi de continuité : des points rapprochés tendent à représenter des formes lorsqu'ils sont perçus, nous les percevons d'abord dans une continuité, comme des prolongements les uns par rapport aux autres.

La loi de proximité.

La loi de la proximité : nous regroupons les points d'abord les plus proches les uns des autres.

La loi de similarité.

La loi de similitude : si la distance ne permet pas de regrouper les points, nous nous attacherons ensuite à repérer les plus similaires entre eux pour percevoir une forme.

La loi de destin commun : des parties en mouvement ayant la même trajectoire sont perçues comme faisant partie de la même forme.

La loi de familiarité : on perçoit les formes les plus familières et les plus significatives.

Ces lois agissent en même temps et sont parfois contradictoires.

Les exemples cités appartiennent au domaine visuel ; c'est celui que la communication imprimée permet de reproduire. Les principes de la psychologie des formes trouvent une application dans le domaine auditif en psychologie de la musique et probablement aussi par rapport aux sensations kinésiques, de mouvement corporel. Les lois de continuité et de similitude, par exemple, s'appliquent quand on suit un instrument particulier dans un ensemble orchestral, ou une conversation dans un environnement bruyant. Dans les mêmes circonstances, la loi de familiarité fait entendre une voix connue, alors qu'on prête attention à une autre, un phénomène appelé l'Effet cocktail party.

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Pour en revenir aux exemples que je vous avais proposés et qui n’ont de valeur que rattacher à une théorie (celle de la forme pour moi ou, en tout cas, de la subjectivité organisée de l’expérience sensorielle). Chacun d’entre vous a pu, légitimement, y voir des choses différentes mais ceci montre, dans tous les cas, la subjectivité de notre perception puisqu’elle est lié à nos singularités, à notre vécu, à nos obsessions.

Toutefois, a minima, voici quelques éléments de lecture de ces images :

Ces différentes figures peuvent être vues comme des projections d’un solide selon des perspectives différentes. Mais nous ne voyons pas ceci et selon les perspectives nous allons chercher la forme la plus simple, c’estt une illustration de la « loi de la bonne forme ».

Il y a une symétrie axiale dans les formes noires à gauche et dans les formes noires à droite.

Cette symétrie est rarement vue mais cette symétrie fait que nous voyons dans le premier cas des formes noires sur un fond blanc et l’inverse dans le second.

Le 4 que l’on ne voit que très difficilement est à la jonction des deux formes plus prégnantes parce que dotées d’une forte unité, formes qui nous empêchent de voir le 4 alors que dans la figure 2 le 4 est visible car il n’est pas « dominé » par des formes plus prégnantes.C’est la loi de la bonne forme.

Ambiguïté et impossibilité de voir les deux possibilités en même temps. Illustration de la perception de fond sur forme.

Loi de destin commun : la structure fond / forme est ici à l’œuvre avec la reconstitution d’un fond continu sur lequel vient en épaisseur une deuxième forme (les cercles concentriques continus devant lesquels « passe un ventilateur » fait de rayons ou le contraire).

Apparition de formes imaginaires (triangle, sphère).C’est le principe de familiarité et/ou de bonne forme.

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L’ambiguïté des images (vieille/jeune femme, lapin/canard ?) nous montre aussi l’impossibilité de voir les deux en même temps.

Les lignes rouges sont parallèles mais pour nos yeux elles semblent s’inflèchir en légères courbes alors qu’il n’en est rien. C’est le dynamisme des lignes du contexte qui crée cette perception.La deuxième figure montre que les lignes obliques crèent une disymétrie dans la figure qui nous empêche de voir que M est au milieu de la flèche (primauté du tout –l’ensemble de la figure- sur les parties).

Ici l’œil part de la gauche et suit donc la côte en la « montant ».

Et là alors que les éléments sont les mêmes nous « descendons la côte parce que notre œil suit toujours le même

chemin en parcourant les images.

Et, pour conclure, le texte d’un de nos plus grand philosophe et écrivain.

« Imagination. — C'est cette partie décevante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux.

Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages; et c'est parmi eux que l'imagination a le grand don de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.

Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison; elle suspend les sens, elle les fait sentir; elle a ses fous et ses sages : et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. »

Pascal, Pensées, 82-44 L’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme, par une estimation fantastique ; et, par une insolence téméraire, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure, comme en parlant de Dieu.

Pascal, Pensées, 84-551