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8/16/2019 "Avignon et après?"
http://slidepdf.com/reader/full/avignon-et-apres 1/1
reux à Avignon, où la circulation en
automobile est presque aussi dense
qu à Paris, où l on ne s entend plus
parler sur la place de l Horloge.
il
y a toute une opération de regrou-
pement à faire »
dit Paul Puaux.
«
Il faut retrouver un art de vivre »,
dit Maurice Béjart.
Retrouver un art de vivre ? Voilà
bien une préoccupation de nantis,
répondraient les militants occitans.
Pour eux, il s agit plutôt de lutter
contre l oppression économique et
culturelle dont leur peuple est vic-
time. Leur volonté de crier que le
Midi de la France est colonisé par
le Nord s est manifestée par des
poèmes, des chansons, des specta-
cles ou encore par des conférences
données au cours du troisième festi-
val d Oc, qui s est tenu à Avignon
au palais du Roure du 2 au 9 août.
« ARLEQUIN POLI PA R- L A MOUR »
Le côté monstrueux de- Marivaux
« F.B. Kafka », réalisé par
un jeune metteur en scène
de vingt-cinq ans, Maurice
Rabinowicz, et présenté
ans le cadre du festival d Avignon
pporté un peu d air frais à une ma-
espondance adressée, de 1912 à
1917, par Kafka à F elice B., sa jeune
iancée berlinoise, illustre, grâce à
ne utilisation judicieuse de divers
oyens audiovisuels, les phantasmes
et les obsessions de Kafka, son désir
du mariage, la terreur qu il en avait,
son impuissance à aimer comme les
autres, son refus du monde adulte,
son incapacité à s intégrer dans la
société établie. Deux bandes magné-
tiques stéréophoniques forment le
support musical du spectacle : le
grand air de « la Veuve Joyeuse »,
évoquant l atmosphère frivole de
Prague à cette époque m ais se défor-
mant de plus en plus au fur et à
mesure qu avance l action, des hen-
nissements et des galops de chevaux,
des bruits de train, des cloches dans
le lointain, etc., provoquent de mul-
tiples associations d images en contre-
point de celles qui sont suggérées par
les mouvements et les déplacements
des acteurs sur le plateau.
Bien que le spectacle soit à l évi-
dence inspiré du « Regard du
sourd » de Robert Wilson, il a son
souffle propre, sa logique interne.
C est une création qui n est pas par-
faitement réussie mais qui demeure
pleine de promesses et qui aurait sans
doute reçu un accueil chaleureux au
festival de Nancy. Ici, joué seule-
ment deux soirs au Théâtre munici-
pal, devant un petit nombre de spec-
tateurs, « F.B. Kafka » est passé
presque inaperçu, à croire que le pu-
blic d Avignon se laisse plus facile-
ment attirer soit par un lieu de pres-
tige, la cour d honneur du palais des
Papes, soit par un nom prestigieux
comme celui de Brecht, soit par des
spectacles
e qualité garantie » comme
ceux du « Théâtre ouvert », où Ga-
briel Garran vient de lire, avec suc-
cès, e
la Bouche », de Serge Ganzl.
Un monde bestial
Les spectateurs qui s aventurent,
vers les onze heures du soir, du côté
de la Casa d Irène pour aller écouter
le conteur Bruno de la Salle, trou-
badour des temps modernes, sont
aussi beaucoup trop rares. Bruno de
la Salle pense que la poésie vivante
ne peut être que parlée, qu à partir
du moment où une chose est écrite
elle se fige. Les histoires-poèmes qu il
raconte, tout en tirant d étranges sons
d un extraordinaire instrument fait
de verre et de plastique, demandent
une qualité d attention particulière à
laquelle sont peu préparés des gens
venus plutôt dans l idée de boire un
verre en écoutant des histoires qui
ne porteraient pas à conséquence.
Déçus, ils sortent bientôt pour aller,
à quelques pas de là, retrouver le
tohu-bohu joyeux et rassurant de la
place de l Horloge.
Bruno de la Salle aubit dû aller
dire ses poèmes de l autre côté du
Rhône, à Villeneuve-lès-Avignon,
havre de paix et de tranquillité, où
Dominique Houdart a créé, cette an-
née, un carrefour du théâtre d ani-
mation. Ce n est pas un nouveau fes-
tival, précise-t-il, mais un terrain
d échanges et de réflexion. L après-
midi, des ateliers réunissent des en-
fants qui fabriquent des marionnet-
tes et s entraînent à les manipuler.
Le soir, des spectacles sont donnés
par Yves Joly, par la compagnie Hu-
bert Jappelle ou par celle de Domi-
nique Houdart, qui a mis en scène
un curieux « Arlequin poli par
l amour ». Le texte de Marivaux est
lu par un acteur et une actrice en
costume d époque, assis à l avant-
scène, côté cour, tandis que, sur le
plateau, des marionnettes de taille
humaine sont manipulées à vue par
des « hommes invisibles » vêtus de
noir comme dans le théâtre japonais
du Bunraku. Ces poupées animées,
fabriquées par Marcel Violette (qui
s est inspiré des « Caprices » de
Goya), révèlent la véritable nature
des personnages de Marivaux, expri-
ment l aspect monstrueux de leurs
rapports et font apparaître tout un
•
monde dur, bestial et purement ins-
tinctif.
L expérience du théâtre d anima-
tion de Dominique Houdart n aurait
sans doute pas pu être tenté
è ailleurs
qu au festival d Avignon et elle
veut y instaurer une pratique radica-
lement différente, en cherchant no-
tamment à toucher la population lo-
cale. Le festival d Avignon est d ail-
leurs à un tournant. Les organisa-
teurs le sentent bien : «
Ce vingt-
sixième festival,
dit Paul Puaux,
est
l aboutissement de ce qu a voulu Vi-
lar quand il a ouvert le Festival à
toutes les disciplines artistiques. »
L aboutissement de ce qui était
recherché depuis environ quatre ans.
Le moment est venu de changer les
choses. Mais cette opération ne peut
être menée à bien que par un créa-
teur.
C est sans doute à Maurice Béjart,
qui est à Avignon depuis le début
du mois d août, que reviendra le soin
de prendre ce virage avec l aide de
toute l équipe du Festival.
En quoi consistera le changement ?
Pour le moment, on cherche .des
idées, on constate que l éparpille-
ment des activités et des lieux fait
que les artistes ne se rencontrent plus
assez, qu on n est plus vraiment heu-
Un troupeau de codions
Défense de la langue d oc, arbi-
trairement baptisée pa tois bien qu elle
soit parlée aujourd hui, quotidienne-
ment, par six millions de personnes,
lutte contre l extension des camps
militaires comme celui de Canjuers
(35 000 hectares) coupant le haut
Var en deux, bientôt 40 000 (quoi-
que l agrandissement prévu par De-
bré n ait pas encore été officiellement
annoncé), dénonciation de la préten-
due régionalisation, « la nouvelle
Floride » (le « Bronze-Cul de l Eu-
rope ») étant en réalité celle- des
chaînes d hôtels et des sociétés finan-
cières, protestation contre la liquida-
tion des industries régionales et le
chômage croissant qui amène les
jeunes à s exiler vers le Nord, on re-
trouve tous ces thèmes dans les chan-
sons de Beltrame, de Marti ou d Es-
telle, tout comme dans le spectacle
du Centre dramatique occitan, mis
en scène par André Neyton autour
de la farce en un acte de Gaston
Beltrame, « le Darrier Moton », le
dernier mouton de C anjuers, qui bêle
le nom du ministre de la Défense
nationale, Debrêêêê, mais qui bêlera
bientôt « Occitanie » en occitan, ,
et de la « Messa pels porcs », la
« Messe pour les porcs », d Yves
Rouquette, cri de colère et de déses-
poir s adressant au peuple d Oc, trou-
peau dé cochons à vendre, qui dort
et ferait bien de se réveiller. Le spec-
tacle se termine par un texte de
Robert Lafont, « C était l année
1972 ». Dep uis bientôt sept cents ans,
les terres de Toulouse et de Pro-
vence ont vu leur destinée liée à
Notre-Dame de Paris : tout était à
vendre, jusqu au vent dans les frênes
de la forêt. On faisait l été des festi-
vals « pointus » de théâtre et de
cinéma. Les usines fermaient leurs
portes mais rien n était joué. Une
voix venait .des hommes de la plaine,
de la vigne, de la montagne, qui di-
sait que cela n était pas juste.
Malgré une, présentation qui ne
met pas toujours suffisamment en
valeur la violence des textes, le spec-
tacle a une force incontestable, même
pour un public non occitan. Mais
c est évidemment dans les villages où
il est joué habituellement qu il porte
le plus.
FR NÇOISE KOURILSKY
estiv l
Avignon
et après
Retrouver un art de vivre ?
Voilà bien un problème pour nantis
disent les milit nts occit ns
Le Nouvel ObserVateui P